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PREMIER LIVRE DE RABELATS
Rien n'est plus connu que la biographie de Rabelais, aussi
nous bornerons-nous a rappoler oolles dos particularités do sa
vie qui, réelles ou supposées, sont de nature i jeter quelque
lumitre sur ses éerits. On sait gu’il naqnit & Chinon, en 1483,
Ja méme année que Raphaél et Luther. Son pére se nommait
‘Thomas Rabelais, seigneur de la Doviniére, un des meilleurs
vignobles du pays. On a dit qu'il était eabaretier, mais il est
prouvé qu'il exerca la profession d’apothicaire, laquelle, alors,
exigeant des connaissances assez élendues, le classait dans la
jo lettrée. II était, de plus, fort riche pour T'époque,
ode la Devinidro valait au moins 20,000 écas, un
Il était d'usage dans les familles ri-
ches de la bourgeoisie, qu'un de leurs eadets, pour Ie moins, en-
leat dans les ordres. Francois Rabelais se conforma done & cot
usage. Les couvents étaient les seuls établissements d’instruc~
tion publique; il s'y trouva en tres haute conipagnie ot y fit
des connaissances qu'il conserva toute sa vie. Plus tard, il
abandonna la vie monastique pour I’étude de ln médecine dont
il avait da puiser Je goat dans In pharmacie paternelle; mais
ile fit sans rompre jamais avec I'Eglise et rien n’était plus
commun de son temps que ce passage du clottre au monde.
Liat ccclésiastique élant une profession comme une autre,
on était trbs tolérant surle chapitre des mecurs, et un moine
n'était pas plus déconsidéré pour avoir un enfant illégitimea LA NOUVELLE REVUE,
que ne Vest aujourd'hui un membre de la magistratur
lorsque pareille infortune lui arrive, Rabelais eut un fils qu'il
reconnut et qui porta le nom de ‘Théodore. 11 mourut année
méme de sa naissance. Ses amis lui adressbrent leurs condo
ances en vers latins. On ignore quelle pouvait étre Ix more:
probablement quelque griselte de Montpellier. Ce fait prouve
que maitre Alcofribas sacrifiait aux faiblesses humaines, sans
que la femme ait tenu plus de place dans sa vie que dans ses
livres. Nalle part il ne s'est élevé contre le eélibat ecclésiastique,
fosté le moindre goit personnel pour le mariage; les
perplesités de Panurge a cet égard ne furent jamais Jes siennes,
etl n’en a jamais entretenu lo public, I! était hardi: penseur,
mais nullement révolutionnaire en quoi que ce fat
rapport, on ne saurait mioux le comparer qu’a Gthe, Il vint &
Lyon en 1832, pour publier son premier ouvraze Hippocratis et
Galeni libri aliquot, oboe fut partir de cette date que commenga
sa vie littéraire, De novembre 1532. {évrier 1834, il fut attaché,
fen qualité de médecin,& Phopital de Lyon; mais son esprit était
trop vaste pour se confiner dans eetto bonorable spécialits
L'ancionne cité impériale était, vers le milion du xvi sitcle,
ce que Bordeaux avait été sous Ia domination des rois angovins
a'Angletorre au xiv*, ce que fut plus tard Edimbourg au xvi’,
Cest-a-diro un centre local de vie intellectuelle qui rivalisait
avec la capitale, Lo grand imprimeur allemand Gryphe venait
de s'y établir. Co fat de ses presses que sortirent les Commen-
aria linguee lating de Dolet, ot tant d'autres livres remarquables
par leur élégance autant que par leur correction. Autour de lui
s'était groupée une pléiade de savants et de littérateurs qui s'in-
titulait Ia Société angéligue. Inutile de dire qu'il no fant. pas
interpréter co mot dans le sens séraphique qu'il a pris dans
notre langage moderne. Agyelos signific réellement un messeyer,
un porteur de nouvelles; Ia Société angelique. de Gryphe était
juste aussi angélique que Vogoneo Havas. On Ia nommerait
anjourd’hui une agence de correspondance, Seulement, dans un
temps oii Pantagrucl prenait si aisémont les gons de lettres &la
gorge, il fallait rédiger ses correspondances en un style tout
particulier, qui se nommait alors le Zantemnois, le patelinage, ou
ous ceLe PREAJER LIVRE DE-RABELAIS. 788
le grimoire. A cette époque, los nouvelles n’allaient pas vite,
Ja province ne savait guére ce qui s’était passé a la cour que
Vannée suivante, si toutefois elle venait a Je savoir. Une gazotte
ou ce qui en tenait liew groupait pour le moins tous les évé
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‘ments d'une année. On prenait son temps pour I composer,
aussi bien que pour la déchilfrer. Ce fut de cette fagon que
Rabelais mit au jour les hovribles et espouvantables faits et
prowesses de trés renommé Pantagruel, roi des dipsodes, dont le
fond dut lui étre fourni par sa protectrice la reine de Navarre et
pout-stre rafraichi par elle sous le psoudonyme de meltre Jean
Launel. qui indique un adepte de la quinte, tandis que celui
AAleofribas Nasier est tout ce qu’il y a de plus orthodoxe.
Gryphe lui-méme y figueo sous eolui de Panurge, et le sujet du
pamphlet est un projet de divorce entre Francois I" et Léonore
Autriche, sour de Charles-Quint, projet qui avorta.
Cotte académie littéraire comptait parmises membres Etienne
Dolet et Bonaventure Desperiors. Le premier a Vagede vingt ans
avait attaqué le elergé toulousain pour avoir brilé Caturee. Mal
Jui on prt, car le clergé ne le lui pardonna jamais. I attendit
patiemment dix-sept ans l'occasion de pouvoir le livrer aux ri
guours du bras séculier quil'emprisonna, le tortura et finalement
lebrala, La seule grace qu’on lui accorda fi'd’étre étranglé avant
etre bralé, s'il voulait dire une pridre a la Vierge. Le pauvre
patient la fit d'autant plus volontiers, que le culte de la Madone
tI'un des masques dont le quiétisme lunaire s'alfublait de
préférenco, En 1882 il navait que 23 ans, c'est a dire 27 ans de
moins que autour de Pantagruet; & la mémo époque, tous deux
Gtaient correctours dans I'imprimerie de Gryphe.
Los liltérateurs du xvi" sibele vival
nt dans le plus sublime
:mépris de la religion établio, A leurs yeux, lechristianisme n'était
pas autro chose que la discipline catholique. Is étaient loin
etre athées, mais les doctrines do la quinte dsteignaiont sur
tontes les intelligences ot leur faisaient eonsidérer le dogme de
Vimmortalité & un tout autre point de vue que celui du chtistia-
nisme. Leurs théories religieusos étaient rostées exactement,
celles du VI livro de Virgile et du premier livre dos Tuscislanes
de Cieéron. « C'stait pour eux, a la fois, une espérance, une con-
ous sxxvi so