LES REGISTRES
CHAPITRE
1 Le registre comique
(PAGES 20 à 29)
OBSERVATION
(PAGES 20-21)
Introduction
Molière utilise merveilleusement la tradition héritée de la comédie antique et de
la farce médiévale pour développer ses propres comédies de caractère. Désormais
la réflexion et le rire se confondent. Le comique n’est plus limité aux genres «bas»
de la littérature. Les faiblesses et les défauts des hommes sont étalés sur la scène,
pour essayer de les corriger, ou de leur donner – au moins le temps d’une repré-
sentation – un regard lucide sur eux-mêmes. « C’est une entreprise hardie que
d’aller dire aux hommes qu’ils sont peu de chose. » Cette hardiesse est aussi le
courage de dénoncer toutes les formes d’aveuglement, tous les abus de l’autorité.
La Fontaine et La Bruyère partagent la même intention. C’est dans le comique
que Molière trouve le moyen de relever ce défi.
7
Réponses aux questions
I. La rupture dans l’ordre logique
1. La réaction d’Orgon étonne car elle n’est pas celle qu’on attendrait :
il aurait dû se préoccuper de la santé de son épouse malade et il préfère
s’enquérir de l’état de celui qui se porte admirablement ; ce qui fait rire, c’est qu’il
s’agit d’une sorte d’inversion du comportement logique.
2. La chute de Sganarelle vient clore un raisonnement qui tend à prouver que la
machine humaine est merveilleusement conçue et qu’elle répond à une nécessité
supérieure. Elle prête à rire car la chute physique coïncide avec l’échec de la
démonstration. S’il y a un point commun entre le rire provoqué par Orgon et le
rire provoqué par Sganarelle, c’est que dans les deux cas on joue sur la logique :
les comportements des deux personnages se révèlent absurdes.
Exercice 2B
1. On découvre un jeune homme au sourire narquois vers lequel sont tournés les
regards d’un couple dont la tenue indique qu’ils vont se marier. L’ironie mani-
festée par le jeune homme fait sourire car elle est inattendue dans de telles cir-
constances. Il est d’usage que chacun félicite les jeunes mariés en se réjouissant
de leur choix.
2. La photographie d’Elliot Erwitt joue sur l’écart. Le jeune homme et le couple
ont des attitudes opposées : corps incliné pour le premier, raideur des seconds ;
sourire ironique qui s’oppose à la mine interrogative ou craintive des jeunes
mariés. Le rapprochement des deux attitudes dans le même espace (peut-être la
salle des mariages) souligne l’écart. Le spectateur peut penser que le jeune homme
est le témoin du mariage et qu’il n’est pas dupe de cette institution. Il semble pos-
séder une expérience supérieure au jeune couple qui craint la signification de son
sourire. Le spectateur, habitué aux situations vaudevillesques, peut lire dans cette
image que le jeune homme a été amant de la future mariée ou qu’il imagine des
stratégies pour la séduire.
3. « Pour le moins bon et pour le pire » (détournement d’une expression atten-
due) ou bien « Cupidon s’en fout » (allusion à une chanson de Brassens).
9
Analyser le jeu sur les mots
et sur les niveaux de langage
Exercice 3B
1. Deux réseaux lexicaux dominent dans le texte d’Albert Camus. D’abord celui
de la boxe : « ring », « rallonge », « puncheur ». Ensuite celui du débat contradic-
toire : « défend », « discussion », « plaidoyer », « persuasion », « contradicteur ».
2. L’utilisation des deux réseaux lexicaux rend insolite et amusant le récit du
match de boxe. En effet, on a l’impression que le combat tient à la fois du sport
mais aussi d’un débat contradictoire. Ce mélange est comique dans la mesure où
les coups sont ici assimilés à des arguments. On a une sorte de comique par ren-
versement, puisque d’ordinaire on recourt aux arguments précisément pour ne
pas recourir aux coups !
Exercice 4BB
1. La première expression détournée par Queneau se trouve à la première ligne :
« Il pleuvait à pierre fendre » qui est formée à partir de l’expression courante « Il
gèle à pierre fendre » dont l’auteur a transposé le verbe. La seconde expression
figure à la ligne 9 : « testa du hochet ». Raymond Queneau a inversé certaines
lettres ainsi que la place des termes, transformant ainsi une expression qui ini-
tialement était « il hocha de la tête ».
2. À deux reprises Queneau utilise des mots anglais mais qu’il écrit à la façon
française, ce qui les rend étranges et amusants : « ouateurproufe » (l. 8), « oué-
zeur » (l. 18).
Exercice 6B
– Pourquoi tant d’ADN : référence à « pourquoi tant de haine ». Jeu sur la proxi-
mité sonore entre les deux termes, qui laisse supposer la polémique dont il peut
être question dans l’article.
– La cage aux fioles : référence au titre de la pièce (et du film) La cage aux folles.
Jeu sur la proximité sonore suggérant la folie qui a gagné le monde du sport,
envahi par le dopage.
– L’offensive du général Cyber : même principe que les titres précédents avec le
détournement de l’expression « le général hiver ».
– En letton armé : cet autre titre du Canard enchaîné joue sur le même procédé
en détournant l’expression « en béton armé ».
– L’igloo du spectacle par référence au « clou du spectacle ».
– Toubib or not toubib pour « to be or not to be », l’expression par laquelle com-
mence le monologue de Hamlet chez Shakespeare.
– Tour de France : des contrats au dope niveau au lieu de « top niveau ».
Exercice 10BB
1. Dans Les Caractères, La Bruyère dresse souvent le portrait type de certains
« fâcheux ». Théodecte en fait partie. Ce dernier apparaît comme un être imbu
de sa personne, qui n’est intéressé que par le fait de se faire remarquer : « il ne
revient de ce grand fracas que pour bredouiller des vanités et des sottises » (l. 6
et 7), « il se met le premier à table » (l. 12). L’exagération tend à montrer qu’il
occupe tout l’espace et envahit tout.
2. On observe l’emploi des procédés suivants :
– L’accumulation : celle de la dernière phrase est particulièrement longue :
« il mange, il boit, il conte, il plaisante, il interrompt ».
– La gradation : à la ligne 3, « il rit, il crie, il éclate » permet d’insister sur le carac-
tère excessif du personnage et son comportement outrancier.
– L’hyperbole : les expressions « c’est un tonnerre » (l. 3 et 4), « il interrompt tout
à la fois » (l. 15) renforcent dans la description le trait de caractère principal du
personnage.
– L’antithèse : le fracas se résout en bredouillage (l. 6-7).
13
3. Les images, comparaisons et métaphores, le rythme des phrases, les jeux sur
les sonorités constituent les autres procédés utilisés par La Bruyère.
Exercice 12**
1. Le narrateur de Podium exerce une profession peu commune puisqu’il est sosie
de chanteur célèbre. La situation dans laquelle il se trouve est amusante car il a
dû abandonner son premier rôle sous la pression de la concurrence et s’est replié
sur un chanteur de moindre notoriété (C. Jérôme). Il relate la situation avec le
ton de n’importe quel salarié qui évoque la vocation, les lois du marché ou les
conditions de travail et cette apparence de sérieux au sujet d’un métier qui ne l’est
pas renforce l’inscription du texte dans le registre comique.
2. L’extrait de Podium de Yann Moix comporte trois énumérations dans son
premier paragraphe : « pas une ville en France, pas un village, pas un bourg, pas
un lieudit, pas un mas » ; « Luc François, Chris Damour, Claude Flavien »,
« Bécaud, Johnny, Hugues Aufray, Frank Alamo et Sacha Distel ». Ces énuméra-
tions relèvent du procédé de l’exagération : la situation triviale du sosie qui exerce
ses talents dans les boîtes de nuit est amplifiée jusqu’à devenir un phénomène
14
national qui concerne un grand nombre de personnes. Cela donne au texte un
ton humoristique puisqu’il présente sous une apparence de sérieux une situation
plutôt triviale.
3. Le texte évoque le milieu du show business : le vrai nom des vedettes est
souvent très banal et leur pseudonyme assez grossier fait appel aux clichés. C’est
ainsi que Jean-Philippe Smet devient Johnny Hallyday ou Claude Dhotel
C. Jerôme. Yann Moix caricature cette tendance en baptisant ses sosies Chris
Damour (jeu de mot transparent), ou Luc François et Claude Flavien qui télé-
scopent la moitié du pseudonyme de leur idole Claude François avec leur nom
réel. Le surnom de « Couscous » attribué à Jean-Baptiste Cousseau joue sur l’eu-
phonie et le ridicule de la connotation. Enfin, le narrateur pousse la logique
jusqu’à succéder à C. Jérôme en D. Jérôme au nom d’un raisonnement aussi impa-
rablement alphabétique que grotesque.
4. Le début du roman Podium relève de la satire. Yann Moix s’appuie sur la cari-
cature des sosies des vedettes de la chanson populaire pour évoquer les mœurs de
l’époque actuelle. Le texte a une apparence de sérieux puisque les chanteurs
évoqués existent et renvoient explicitement à la variété française des années 1970 ;
les chansons sont citées et situées dans le temps comme le seraient des textes lit-
téraires… Le personnage principal analyse sa profession de sosie en tenant compte
de la concurrence (« la profession était déjà saturée »), du marché (« ça marche
toujours mieux qu’Hervé Vilard… ») comme un cadre pourrait envisager sa car-
rière. Les trois énumérations présentes dans le premier paragraphe créent une exa-
gération qui donne au phénomène des sosies une grande importance apparente.
La carrière des sosies est racontée en mêlant le vocabulaire stéréotypé habituelle-
ment utilisé dans la presse pour les parcours artistiques triomphants – « fait auto-
rité », « feu sacré » « trouver ma voie » – à celui de la compétition économique :
« m’incliner », « lâche l’affaire », « recyclé », « sosie officiel »… En s’appuyant sur
ces procédés, l’auteur dénonce la logique économique qui domine tellement notre
société qu’elle a même envahi le champ de la variété. Il suggère que la culture popu-
laire a acquis le même statut que la culture savante au risque de la confusion. On
peut lire aussi dans ce texte une satire du personnage vaniteux qui ne juge sa réus-
site que selon des critères économiques.
EXO-BAC
(PAGE 29)
Joël Guenoun suscite le sourire en jouant avec les mots et leurs surprises. Le signi-
fiant et le signifié d’un mot ont dans le langage courant un rapport arbitraire. Le
graphiste donne du sens à la graphie des mots en jouant sur la forme des lettres.
Ainsi, le « z » du mot « nez » prend la forme d’un appendice nasal. Le « E » de
« Ève » devient empreinte de dents plantées dans la chair d’une pomme. Le « i »
de « obéir » symbolise un militaire saluant. Guenoun joue également des conno-
tations associées aux mots. La pomme croquée évoque l’un des épisodes bibliques
de la création du monde ; le verbe « obéir » connote le garde-à-vous, l’armée, le
soldat…
Le poème de Robert Desnos joue sur un montage de clichés (« avoir le cœur sur
la main ») qu’il renouvelle (« la cervelle dans la lune » pour « être dans la lune »).
Il utilise la répétition : « il avait » (vers 1, 5, 7, 15), « c’était un […] copain » (vers
4, 7, 11, 14, 18, 22, 23). Le poète emploie également des expressions familières :
« le feu là où vous pensez » ; du verlan : « le feu au erèirred » ; des paroles de
refrains à boire : « Étienne à la tienne mon vieux ». Par ailleurs, la mise en page
d’André Belleguie renforce ces aspects comiques en jouant sur la graphie des mots.
Il compose des formes de calligrammes dans le texte : le cœur du premier vers ;
l’ascension vers la « lune » dans le troisième vers ; la composition renversée de
« l’envers » au vers 8, la forme d’une dent avec le décrochement souligné d’un
trait vertical (vers 15-16 et 17) pour évoquer la dent contre Étienne ; la compo-
sition oblique de « Ni la main » qui descend dans « la poche du voisin » matéria-
lisée par des traits ; la composition oblique de « ne pleurait » (vers 21) qui offre
l’aspect d’un bas de gilet de cérémonie.
Écriture
Le collage de Jacques Prévert comme les mots-images de Joël Guenoun et le poème
de Robert Desnos s’inscrivent dans le registre comique en troublant l’ordre habi-
tuel des choses, en créant des ruptures inattendues. C’est ainsi que Prévert rap-
16
proche une image appartenant à l’une des tours de Notre-Dame d’un visage
féminin, ou que Joël Guenoun met en relation le signifié et le signifiant des mots
dont le couple est habituellement arbitraire. L’une des lettres formant le mot
« nez » devient appendice nasal ; le « E » de Ève se fait empreinte de mâchoire dans
une pomme, en renvoyant ainsi à l’épisode biblique ; le « i » d’obéir se transforme
en militaire au garde-à-vous. La mise en page d’André Belleguie joue également
sur le graphisme en disposant les mots de manière à faire écho à leur sens : « Il
avait sur le cœur » s’inscrit dans une forme de coeur, le mot « poche » est rangé
dans un carré, le mot « envers » est retourné, « la lune » s’envole comme un esprit
distrait…
Le poème de Robert Desnos repose davantage sur les effets comiques qui nais-
sent des surprises du langage. Son poème comporte de nombreux clichés qu’il
détourne en les associant de manière à surprendre le lecteur. Pour décrire le
« bon copain », il égrène des clichés concernant les différentes parties du corps :
« avoir le cœur sur la main », « avoir l’estomac dans les talons », « les yeux dans
les yeux », « avoir le feu au derrière », « prendre ses jambes à son cou », « mettre
ses yeux partout », « avoir une dent contre quelqu’un », « avoir sa langue dans sa
poche ». Ces formules banales prennent ainsi un nouveau sens. Le poète joue sur
les mots en détournant les clichés – « Être tête en l’air » devient « avoir la cervelle
dans la lune ». Il procède également par associations d’idées : le mot « Étienne »
fait naître deux vers inspirés de chansons à boire, l’expression « la langue dans
la poche » est prise au pied de la lettre et « ni la main dans la poche du voisin »
s’impose logiquement. Ces nombreux jeux de mots font sourire le lecteur mais
sont aussi une manière tendre et sensible d’évoquer l’amitié.
Critères de réussite
• Construction et progression de deux paragraphes.
• Explication des procédés du comique communs aux trois documents.
• Analyse du poème de Desnos et de ce qui fait son originalité.
17
LES REGISTRES
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 30-31)
Introduction
C’est dans les années 1630-1640 que s’est forgée la dramaturgie « classique », qui
reprend des éléments déjà présents dans les œuvres de Jodelle (Cléopâtre, Didon)
et se poursuivra jusqu’à Voltaire et Crébillon. Conformément à la théorie de
l’Imitation, les auteurs s’inspirent de l’Antiquité, comme le fait Racine. Celui-ci
introduit cependant une part nouvelle d’humanité dans la tragédie à travers la
passion de Phèdre pour Hippolyte et le désespoir de Thésée qui a lui-même causé
la mort de son fils : la tragédie ne se limite plus aux « grands intérêts d’État » et
aux « passions plus mâles que l’amour » qui caractérisent le théâtre de Corneille.
C’est également sa sensibilité qui fait de l’œuvre de Prévost une œuvre moderne,
ouverte aux désarrois, à la mélancolie, à la cruauté de la passion amoureuse. Des
Grieux se confond avec cette voix émue qui, en faisant le récit de son amour pour
Manon, tremble au souvenir des situations pathétiques traversées.
19
Réponses aux questions
I. L’univers tragique
1. On trouve dans la tirade de Théramène deux allusions aux forces divines.
D’abord au vers 15 : « Le ciel… » et ensuite au vers 23 : « où des dieux… ».
Hippolyte et Thésée reprochent aux divinités d’être impitoyables en arrachant
une « innocente vie » (v. 15).
2. Le récit de Théramène à propos de la fin abominable d’Hippolyte met en évi-
dence certaines qualités chez ce dernier : noblesse de caractère et courage (v. 10,
15), générosité de l’amour puisque ses dernières paroles sont pour Aricie dont le
sort l’inquiète : « Dis-lui qu’avec douceur il traite sa captive » (v. 20).
20
EXERCICES
(PAGES 35 à 38)
Exercice 2BB
1. Texte 1. Dans l’extrait de Sauver Ispahan de Jean-Christophe Ruffin, la situa-
tion est tragique puisque la masse noire des Afghans, « les barbares », va attaquer
les habitants d’Ispahan qui semblent sans défense : mères, enfants, maris, épouses,
vieillards. L’opposition de la « masse noire » des agresseurs et le « bleu dans ce
ciel » donne l’impression qu’une force supérieure est à l’œuvre, qu’il ne s’agit pas
seulement d’un conflit entre deux armées mais plutôt d’un affrontement entre le
bien et le mal.
Texte 2. La situation d’Iphigénie est tragique puisque l’héroïne se dit prête à sacri-
fier sa vie pour obéir à la volonté de son père qui veut l’assassiner. Elle obéit à
des impératifs moraux qui la dépassent. Elle va perdre la vie, tuée par celui à qui
elle la doit. Son destin la dépasse puisqu’elle va être exécutée pour obtenir la
faveur des dieux.
2. Dans le texte de Jean-Christophe Ruffin, le héros n’apparaît pas en tant qu’in-
dividu. On peut néanmoins qualifier les habitants d’Ispahan de héros tragiques
puisqu’ils ont conscience que le combat qui va s’engager contre les Afghans est
perdu d’avance, que la beauté de la nature niée par la noirceur des assaillants
dit leur échec prévisible : ce peuple a donc la lucidité caractéristique du héros
tragique. L’Iphigénie de Racine présente toutes les caractéristiques de l’héroïne
tragique. C’est une femme d’une exceptionnelle grandeur d’âme, pourvue d’un
sens exacerbé du devoir et de la vertu puisqu’elle déclare à son père qui veut sa
mort : « Vos ordres sans détour pouvaient se faire entendre./… j’acceptais l’époux
que vous m’aviez promis,/Je saurai, s’il le faut, victime obéissante… ». Elle est
lucide en acceptant son destin : « cœur aussi soumis », « victime obéissante ».
Enfin, Iphigénie est courageuse en affirmant qu’elle tendra elle-même la tête au
bourreau (vers 9-10). Grandeur d’âme, lucidité, courage : Iphigénie est l’incar-
nation de l’héroïne tragique.
Exercice 3B
1. Le tableau de Théodore Géricault montre des rescapés du naufrage de la
21
frégate La Méduse embarqués sur un radeau de fortune. Ils tentent d’attirer l’at-
tention d’un bateau qui pourrait les secourir.
2. Cette scène s’inscrit dans le registre du pathétique car les personnages vivent
une situation d’extrême douleur : ils ont été victimes d’un naufrage, ont été ignorés
par les secours, subissent la faim, la soif et les rudesses de la mer. Le tableau invite
le spectateur à la compassion, à l’attendrissement et à la pitié devant le sort de
ces victimes. (Le registre ne peut être tragique puisqu’unincident et un concours
de malheureuses circonstances sont à l’origine de la situation : il n’y a pas eu inter-
vention d’une force supérieure ou d’une divinité.)
3. Pour amplifier le registre pathétique, le peintre multiplie les procédés qui sus-
citent la compassion. Le spectateur est placé dans le même axe que les
personnages : il se sent ainsi impliqué dans la scène, comme s’il guettait lui aussi
les secours tant attendus. Cette implication du spectateur est renforcée par la
composition du tableau qui est dominée par une puissante diagonale dessinée des
bras tendus au chiffon agité qui aspire le regard. Le peintre a choisi de montrer
les diverses manières de se comporter dans une situation aussi dramatique : la
résignation du vieil homme, la mort, le désespoir impuissant, le renoncement,
l’espoir… Cela facilite l’identification du spectateur qui ne peut que se projeter
dans une situation identique. En outre, le peintre a donné aux corps un aspect
très réaliste (il a pris des cadavres pour modèles). Les tons de chairs grisâtres
comme les muscles ordinaires font de ces naufragés des êtres proches de nous.
Une Un point de
diagonale fuite est
s’achève situé
sur le à l’extérieur
chiffon du tableau.
agité.
L’œuvre se découpe
La diagonale découpe le tableau en deux parties :
en trois parties égales.
– à gauche, en bas, la résignation et la mort ;
– à droite, en haut, la vie et l’espoir.
Exercice 4BB
1. On peut qualifier la situation de Jacques Thibault de tragique car ce person-
nage va mourir pour une cause noble, une obligation morale qu’il s’était fixée :
faire cesser la guerre. Malheureusement pour lui, et c’est ce qui rajoute au tra-
gique de la situation, son action a été inutile : « Les tracts ! Il meurt sans en avoir
jeté un seul ! »
22
2. Jacques Thibault peut apparaître comme un héros tragique car il sait faire
preuve de vertu et de courage en mourant pour une cause qu’il défend : le paci-
fisme. Il est tellement lié à sa cause qu’il ne pense pas à sa propre dis-parition,
mais à l’impossibilité de remplir sa mission.
Exercice 6BB
1. La situation vécue par le narrateur apparaît pathétique car elle est une des plus
douloureuses qui soit pour un amoureux : il aime encore au moment où il n’est
plus aimé. Il doit donc faire le deuil de tout ce qui a été le bonheur de sa vie : « Je
lui rappelai tous les moments de bonheur que nous avions passés ensemble ». Et
Carmen est inflexible. « Je me jetai à ses pieds, je lui pris les mains, je les arrosai
de mes larmes » (l. 15 et 16), mais « cette femme était un démon ».
2. La répétition peut permettre d’amplifier l’expression des sentiments, par
exemple « sauver » est repris deux fois au début de l’extrait. De la même façon
« tout » est répété à trois reprises dans la ligne 19 : « Tout, monsieur, tout ! Je lui
offris tout… ». L’utilisation de phrases exclamatives dans ce passage permet de
renforcer le registre pathétique de même que la proximité avec un interlocuteur
pris à témoin.
3. Carmen apparaît avant tout comme une femme libre : « mais Carmen sera tou-
jours libre » (l. 9), et volontaire. Lorsqu’elle a pris une décision, elle la respecte
quitte à en mourir : « T’aimer encore, c’est impossible. Vivre avec toi, je ne le veux
pas » (l. 21 et 22).
Remarque. La référence à cette scène dans l’opéra de Bizet peut permettre de
montrer ce que la musique ajoute au pathétique : on a alors recours à un support
seulement auditif, pour mieux centrer la recherche sur le rôle de la musique. On
peut aussi, à partir de ce même opéra, recourir à l’audiovisuel cette fois-ci, et ana-
lyser la scène telle qu’elle est filmée par Peter Brook dans La Tragédie de Carmen,
ce qui permet d’étudier le glissement du pathétique au tragique.
Exercice 10BB
1. La scène est d’abord perçue par le regard de Mâtho, au début de l’extrait :
« Mâtho regarda autour de lui, et ses yeux rencontrèrent Salammbô » (ligne 1).
Mais le foyer de perception bascule ensuite et c’est le regard de Salammbô qui
perçoit dès lors la scène pour le lecteur (« elle n’avait aperçu que Mâtho », l. 7).
2. Le point de vue de la focalisation interne amplifie la dramatisation de la scène
car le lecteur découvre les actions et perçoit les sentiments des personnages à
mesure qu’ils apparaissent. Le discours indirect libre (l. 20-21) amplifie cet effet.
3. Chacun des paragraphes met en évidence un sentiment : l’attirance pour le
premier (« Cet homme qui marchait vers elle l’attirait », l. 10) ; l’horreur pour le
25
deuxième (« et le misérable marchait toujours ! », l. 20) ; la compassion pour le
troisième (« elle ne voulait pas qu’il mourût », l. 30).
4. Salammbô est d’abord inexorablement attirée par Mathô : « un de ces abîmes
où le monde entier disparaît sous la pression d’une pensée unique… » (l. 9 et 10).
Cette attirance laisse ensuite place au sentiment qui avait auparavant uni les deux
personnages, l’amour : «… des paroles douces : elle avait soif de les sentir encore,
de les entendre » (l. 28 et 29). Le lecteur, lui, est plutôt amené à ressentir un sen-
timent d’épouvante à la fin du texte après avoir découvert le châtiment réservé à
Mathô.
5. À la dernière phrase du texte, c’est un sentiment d’épouvante, accompagné de
pitié, qui s’empare du lecteur : le portrait du deuxième paragraphe, le retour en
arrière effectué dans le troisième paragraphe et le contraste saisissant ainsi mis
en place contribuent à la dramatisation de l’agonie.
6. Le lexique concerne d’abord l’état dans lequel se trouve Salammbô dans les
lignes 4 à 12 : « involontairement », « s’effaçant », « silence », « abîmes », « dis-
paraît ». Puis, dans la suite du texte, le lexique dominant est celui du corps et de
la souffrance qui nous livre un portrait saisissant de Mathô torturé : « yeux »,
« apparence », « forme », « tendons », « poignets », « rouge », « pendaient »,
«dénudés», «souffert», «agonisât»… Les deux images principales qu’on retrouve
dans l’extrait correspondent à ce lexique. La métaphore de la ligne 9 (« un de ces
abîmes où le monde entier disparaît») rend compte de la fascination de Salammbô
à l’égard de Mathô, tandis que l’image (métaphore) des lignes 18 à 20 (« de ses
orbites sortaient deux flammes qui avaient l’air de monter jusqu’à ses cheveux »)
suggère la vie qui brûle encore en lui mais peut-être aussi la haine qu’il peut
nourrir à l’encontre de Salammbô.
Étudier l’exclamation,
l’interrogation et l’apostrophe
Exercice 11BB
1. Milady tente d’abord de convaincre les hommes qui l’entourent de la livrer à
la justice : « conduisez-moi devant un tribunal ; vous n’êtes pas des juges, vous,
pour me condamner. » (l. 8 et 9). Elle cherche ensuite à les émouvoir en évoquant
son âge : « parce que je suis trop jeune pour mourir ! » (l. 13 et 14), avant de
revenir à un argument plus pragmatique : « je me ferai religieuse » (l. 18 et 19).
Enfin, elle s’adresse à celui qu’elle a aimé, d’Artagnan, en le suppliant (l. 40 et
41).
2. Pour émouvoir ses « juges », Milady utilise diverses stratégies. D’abord, elle
utilise une forme d’imprécation puisqu’elle manifeste sa révolte contre ces hommes
qui veulent l’exécuter sans la juger : « vous n’êtes pas des juges, vous, pour me
condamner ». Ensuite, elle emploie la lamentation, exprimant son regret de devoir
mourir si jeune (l. 13 et 14), avant d’exploiter la supplication : elle implore
d’Artagnan, lui demandant de se rappeler quels sentiments les liaient.
26
EXO-BAC
(PAGE 39)
Écriture
Gianciotto Malatesta, seigneur de Rimini ; Paolo Malatesta, frère de Gian-
ciotto ; Francesca da Rimini, épouse de Gianciotto, amante de Paolo
27
Verticales qui suggèrent l’ordre : Les obliques soulignent
c’est l’endroit où se tient le meurtrier. la fusion des deux amants.
La scène se passe dans l’une des salles du palais du seigneur de Rimini. Paolo
Malatesta et Francesca da Rimini sont assis côte à côte sur le divan.
FRANCESCA (très pâle et avec hésitation). – Un trouble s’élève dans mon âme
éperdue… Mes yeux ne voient plus, je ne puis plus parler. Je sens mon corps
brûler… Ô Paolo, je dois me détourner. Je crains de ne pouvoir me soustraire
au feu qui me blesse !
PAOLO (la voix un peu étranglée, mais avec une grande douceur). – Que dites-
vous ? Ah ! vous changez de visage ! Je n’ose espérer entendre ce que vous me
confessez. Tant de regards croisés, tant de gestes réprimés… Depuis que je
vous ai vue, mon coeur se consume.
FRANCESCA (se masquant les yeux des deux mains). – Taisez-vous! Je ne puis plus
longtemps endurer ce chagrin. Que faisons-nous? Comment pouvons-nous tenir
de tels propos ? Je ne puis pourtant quitter ces lieux. Le devoir m’ordonne de
songer à Gianciotto. (À part.) Cruel destin qui me fait préférer son frère Paolo.
PAOLO (lui ôtant les mains des yeux). – Madame, jugez de ma douleur, moi
qui n’aime nulle autre que vous-même, moi dont l’ardeur extrême…
28
LES REGISTRES
CHAPITRE
3 Le registre lyrique
(PAGES 40 à 49)
OBSERVATION
(PAGES 40-41)
Introduction
On ne peut comprendre Romances sans paroles sans connaître le contexte bio-
graphique de la rencontre avec Rimbaud et l’explosion lyrique que celle-ci pro-
voque dans l’œuvre de Verlaine. C’est dans le vagabondage tumultueux des deux
poètes que Verlaine puise l’inspiration des Romances sans paroles. Le titre du
recueil rappelle que toute poésie est d’abord soupir, murmure, mélodie. Ainsi, les
« Ariettes oubliées » qui inaugurent le recueil font entendre au lecteur un chant
de l’âme, une voix lyrique qui s’exprime en motifs impressionnistes. Cet art de
la suggestion est porté à la perfection dans l’ariette de la pluie.
Céline cherche quant à lui à recréer dans le roman l’émotion et la musicalité du
parler. Le narrateur trouve dans le désordre et la misère du monde l’occasion de
chanter quelques instants magiques. Moments bénis où le sujet est libéré un
instant de la pesanteur des êtres et des choses. « Les hommes sont lourds, lourds,
lourds », se plaint Céline. À travers les tribulations de Ferdinand, le romancier
emporte le lecteur et le monde dans ce qu’il appelle son « métro émotif ».
EXERCICES
(PAGES 45 à 48)
Exercice 2BB
1. On peut relever trois séries de pronoms dans le poème : ceux de la troisième
personne du singulier (« elle ») qui désignent la femme aimée ; ceux de la première
personne (« je », « moi ») qui marquent la présence de l’auteur ; et enfin, ceux de
la première personne du pluriel (« nous-mêmes ») qui concernent à la fois l’au-
teur, le lecteur et la femme désirée.
2. Le glissement du « elle », désignant la femme aimée, vers le « nous-mêmes »
marque une progression de l’expression du sentiment amoureux : une sorte de
fusion se crée entre l’auteur et cette présence féminine. Ce jeu sur les pronoms est
renforcé par la confrontation entre le « elle » et le « je » dans les trois derniers
vers : « qu’elle ouvre son sourire pour que je puisse y entrer » suggère que c’est la
femme qui est maîtresse de l’amour auquel l’auteur aspire.
Exercice 4BB
1. C’est surtout l’expression «qui nous remuait le ventre» à la ligne 4 qui exprime
l’émotion du narrateur lorsqu’il évoque un personnage qu’il a connu durant son
enfance au Brésil. Ce sont aussi au début et à la fin du texte les verbes « je me
souviens » et « on n’oublie pas » qui marquent l’ancrage de cette émotion au plus
profond de l’être (« au fond de nous »).
2. Cet extrait appartient au registre lyrique car on y retrouve le thème de la mélan-
colie : celle liée au souvenir d’un homme plutôt qu’à la nostalgie de son pays d’ori-
gine : « Au fond de nous, ce n’est pas un pays qui a grandi mais un homme » (l. 16
et 17). On y découvre aussi, à travers les propos du personnage de Waldemar
Cuzco, l’expression du plaisir des sens, de la communion avec un pays : « Vous
aurez envie de ces fruits secs et sucrés, de ces chants lancinants et tendres qui déchi-
rent nos ciels plus net que les orages » (l. 11 à 13).
Exercice 9BB
1. Le destinataire du message du narrateur s’appelle Marima (l. 1), et on sait
qu’elle est née à l’endroit évoqué dans l’extrait (le Biafra) : « à toi qui est née sur
cette terre rouge où le sang coule maintenant » (l. 16 et 17).
2. Le narrateur s’exprime à la première personne : on ne trouve pas moins de
onze occurrences du pronom « je ». C’est par l’évocation de ce pays où il a vécu,
34
à travers cette nostalgie qui semble faire « remonter » (« Je n’ai rien oublié », l. 1)
des odeurs, des saveurs, des sons (« j’ai dans la bouche le goût très doux de la
soupe d’arachides. Je sens l’odeur lente des fumées […] j’entends les cris des
enfants », l. 4 à 7), que le narrateur établit une relation d’intimité.
Exercice 11BBB
1. Bérénice reproche à Titus de trahir leur amour (« s’avouant infidèle ») et ceci
par ambition (« contentez votre gloire »). Elle l’accuse même de le faire avec faci-
lité : « L’ingrat, de mon départ consolé par avance » (v. 17).
2. On trouve des interjections : « Eh bien ! » (v. 1), « Ah ! » (v. 9) qui marquent la
vivacité des sentiments de la reine Bérénice. Il y a aussi d’autres exclamations aux
vers 15 et 16 indiquant l’incompréhension, la déception, l’impossibilité de conce-
voir la vie sans Titus. Les interrogatives des vers 9 à 12 ainsi que du vers 17 mon-
trent combien Bérénice est blessée par le comportement de Titus qu’elle interpelle
d’ailleurs pour essayer de le ramener à la raison : « songez-vous en vous-
même/Combien ce mot cruel est affreux quand on aime ? »
3. Aux vers 3 et 5, Bérénice utilise le mot « bouche » pour s’adresser à Titus. Aux
vers 14 et 15, c’est le nom du roi qu’elle emploie. Si elle cesse alors d’employer
le « vous », c’est pour une mise à distance qui peut prendre plusieurs sens :
– elle l’éloigne de son intimité : elle fait comprendre que c’est simplement la parole,
35
la raison d’État qui donne cet ordre (« bouche ») ; dans le second cas, Titus désigne
davantage la fonction, celle de roi, que l’époux ;
– mais en même temps, par une sorte d’ambivalence des sentiments très vrai-
semblable étant donnée la situation, en le mettant ainsi à distance, elle le voit
avec toute cette force de la vision de l’être aimé, et l’évocation de la bouche peut
même alors prendre une connotation sensuelle.
Exercice 13BB
1. Le poète s’adresse à une femme appelée Georgia. Il utilise le procédé de l’in-
sistance puisqu’il répète ce prénom à 20 reprises. Ce prénom conclut vingt des
vingt et un vers de ce poème. Son intention est de faire comprendre à cette femme
qu’elle l’obsède et qu’il ne saurait vivre sans elle.
2. La présence de l’auteur est marquée par l’utilisation du pronom personnel
« je » qui structure le poème en étant placé au début de 15 vers sur 21. Ce
pronom s’oppose au prénom Georgia qui est répété en fin de vers. L’éloignement
dans les vers entre le pronom personnel et le prénom de la femme aimée suggère
que cet amour n’est pas partagé, que la fusion des deux individus est impossible.
3. Le poème de Philippe Soupault s’inscrit dans le registre lyrique. L’auteur mani-
feste l’exaltation du sentiment amoureux ; il confie à Georgia, la femme aimée,
son trouble, l’intensité de l’émotion qui l’envahit. L’utilisation du pronom per-
sonnel « je » qui ouvre 15 vers sur les 21 que compte le poème souligne l’expres-
sion des sentiments individuels et le souci de mettre en place une relation d’intimité
qui est caractéristique du registre lyrique. La forte présence du pronom person-
nel de la première personne du singulier est une anaphore qui renvoie à l’ex-
pression directe des sentiments éprouvés par l’auteur. Dans le registre lyrique,
l’auteur cherche à partager ses sentiments avec celle à qui il s’adresse : dans le
poème, les marques de cette sollicitation apparaissent à travers la répétition du
prénom Georgia qui structure le texte en concluant la quasi-totalité des vers. Il
s’agit d’un procédé d’insistance fondé sur la répétition qui donne un tour obses-
sionnel au poème. Pour suggérer l’intensité des sentiments qu’il éprouve, le poète
36
recourt à l’hyperbole (« le feu est comme la neige », « j’écoute les bruits tous sans
exception », « les nuages sont bas ils vont tomber ») comme à la gradation (« je
vois », « je marche », « je cours » puis « j’appelle », « je crie »). Les connotations
des termes utilisés par le poète sont plutôt négatives : « je ne dors pas », « le froid
silence et la peur », « les nuages sont bas »… Le lyrisme se teinte de mélancolie
voire de désespoir. L’amour passionnel éprouvé par le poète semble ne pas être
partagé ainsi qu’en témoigne l’éloignement entre le pronom « je » et le prénom
« Georgia » qui ne fusionnent jamais en un « nous ». Ce poème incantatoire bou-
leverse tant il fait partager avec justesse ce que le sentiment amoureux peut avoir
d’obsédant et de monstrueux. Chaque lecteur ne peut que se sentir ému par un
amour exprimé d’une manière aussi déchirante.
EXO-BAC
(PAGE 49)
Écriture
Les deux poèmes communiquent avec intensité des émotions et des sentiments
personnels. Apollinaire comme Hardellet exaltent le sentiment amoureux : « je
veux vous aimer » (v. 9), « nous avons aimé » (v. 18). C’est ainsi que les deux
textes sont marqués par la mélancolie liée au temps qui passe inexorablement et
à l’amour enfui.
L’auteur d’Alcools insiste sur la distance : « Quand donc reviendrez-vous » (v. 5),
« la musique est si lointaine » (v. 7). Le bal de chez Temporel (v. 2 et 26) est pour
Hardellet un endroit qui suscite le retour vers le passé (à ce nom de Temporel se
rattachent d’ailleurs des connotations liées à la fuite du temps). Le procédé de
l’anaphore, avec la répétition du verbe « penser » aux vers 3, 9, 11 et 27, par
lequel l’auteur invite son interlocuteur à se pencher sur son passé, contribue à
donner un ton mélancolique au Tremblay. Dans « Marie », ce sont les répétitions
lexicales : « dansiez » (v. 1) et « danserez » (v. 2), « cœur » (v. 14), « changeant »
(v. 14 et 15), « sais-je » (v. 15, 16 et 18) et syntaxiques (« Quand donc reviendrez-
vous Marie », v. 5, puis « Quand donc finira la semaine », v. 25) qui donnent cette
impression.
Les poètes essaient en vain de ressaisir la réalité de la femme aimée. Les images
employées par Hardellet montrent son désarroi : « il n’est demeuré qu’un reflet »
s’oppose au souhait prononcé au vers 12 (« qui garderait son vrai contour ») et
révèle le travail du temps qui passe en effaçant tout : « sur le tain écaillé des
glaces. » Apollinaire exprime des sensations proches à travers des images : « Les
brebis s’en vont dans la neige » (v. 11), «des soldats passent» (v. 13) ou «tes mains
feuilles d’automne » (v. 19). Le recours aux pronoms de la première personne
souligne que les poètes expriment directement ce qu’ils éprouvent. Ils créent ainsi
une relation d’intimité, une proximité avec le lecteur. Les pronoms personnels
(« vous y dansiez ») et les adjectifs possessifs (« ta jeunesse », « tes cheveux ») sug-
gèrent que les auteurs cherchent à partager leurs sentiments avec leurs interlo-
cuteurs en les apostrophant. Ces sollicitations contribuent à impliquer le lecteur.
Ces deux textes sont enfin marqués par le regret et le chagrin. Apollinaire utilise
l’image du fleuve qui est comparé à sa peine car « Il s’écoule et ne tarit pas »
(v. 24), tandis que Hardellet fait allusion à « une jeunesse gâchée » (v. 9). Ces émo-
tions complexes liées à la mélancolie et aux bonheurs passés sont caractéristiques
du registre lyrique.
Critères de réussite
• Présence d’une idée directrice par paragraphe.
• Présence d’exemples extraits de textes étudiés.
• Correction de la syntaxe et du vocabulaire de l’analyse stylistique.
38
LES REGISTRES
CHAPITRE
4 Le registre épique
(PAGES 50 à 59)
OBSERVATION
(PAGES 50-51)
Introduction
Les deux textes de la double page d’observation, aussi différents soient-ils, se
rejoignent à travers le registre dans lequel ils s’inscrivent. Tous deux s’inspirent
de l’épopée pour rendre compte, en les glorifiant, d’exploits héroïques dans un
cadre épique.
Le journaliste sportif inscrit volontiers son compte rendu dans le registre épique
lorsqu’il s’agit de mettre en valeur l’exploit des athlètes : les Jeux olympiques, la
Coupe du monde de football, le Tour de France sont autant d’occasions d’expri-
mer en un « chant épique » la démesure d’une performance qui fait du sportif le
héros glorifié de la société contemporaine.
Les Trophées constituent l’unique recueil de José-Maria de Heredia. Chacun des
cent dix-huit sonnets qui le composent se présente comme un « microcosme
verbal », un monde en miniature dans lequel les mots rares, les couleurs violentes
et les décors antiques rappellent les grands moments de l’Histoire.
39
Réponses aux questions
I. Le chant épique
1. Les marques de la présence du journaliste, narrateur de l’exploit sont :
– « Je dirai que » (l. 1) ;
– « de plus terribles encore nous attendent » (l. 4) ;
– « je ne suis pas de ceux qui ménagent leurs adjectifs […] ou qui lésinent sur
l’épithète. » (l. 5-8) ;
– « Je ne mâcherai donc pas mes mots » (l. 10 et 11) ;
– « je n’ai pas besoin de vous l’apprendre » (l. 20 et 21) ;
– « à mon avis » (l. 22) ;
– « nous dûmes y cheminer à l’aveuglette » (l. 34).
Texte A Texte B
Comparaisons – «comme dans une émanation – « comme des feuilles
volcanique » mortes » (v. 6).
(l. 36-37) ;
– « ils passaient comme ces
ultimes détenteurs du verbe»
(l. 61-62).
Métaphores – « je ne suis pas de ceux qui – « la chaleur du carnage »
ménagent leurs adjectifs (v. 4) ;
pour ne pas les fatiguer » – « tourbillonner les archers »
(l. 5-7) ; (v. 7) ;
– « je ne mâcherai donc pas – « ciel enflammé » (v. 14).
mes mots » (l. 10-11) ;
– « le clou de la journée »
(l. 22) ;
– « la horde automobile qui
s’engouffra soudain »
(l. 30-31) ;
– « les klaxons en avaient
plein la gueule »
(l. 41-42) ;
– «le cortège des mécaniques
affolées » (l. 49-50) ;
– « toboggan d’automobiles »
(l. 57-58) ;
– « stupide colère des avertis-
seurs » (l. 59-60).
41
Texte A Texte B
Hyperboles – « nettement dantesque » – « très rude » (v. 1) ;
(l. 2) ; – « tout hérissé de flèches »
– « infernal(e) » (l. 13 et 17) ; (v. 9) ;
– « bruits déchirants » (l. 36) ; – « flux vermeil de ses
– « piège fabuleux » (l. 40-41) ; blessures fraîches » (v. 10) ;
– « le plus émouvant » – « fracas des buccins »
(l. 45) ; (v. 12).
– « les interstices du chaos »
(l. 56-57) ;
– «cataclysme sidéral» (l. 66).
EXERCICES
(PAGES 55 à 58)
Repérer le narrateur et
la dimension orale du registre épique
Exercice 1B
1. La présence du narrateur est marquée par l’utilisation des pronoms person-
nels « je » (l. 6, 10 et 14), « moi » (l. 1) et « me » (l. 6). Il apparaît également à
travers les adjectifs possessifs « ma » (ligne 6), « mon » (l. 13). Les marques de
jugement suggèrent que le narrateur est épanoui : « pleinement libre » (l. 5), « ma
chance » (l. 6), « heureux accord » (l. 8 et 9).
2. Cet extrait des Mémoires d’Hadrien de Marguerite Yourcenar prend une
dimension solennelle par le choix des termes qui soulignent le caractère excep-
tionnel et unique du voyage entrepris par le narrateur : « première fois » (l. 4),
« pleinement » (l. 5), « des siècles passeraient » (l. 7 et 8), « aveu […] jamais fait »
(l. 11). La répétition des négations : « jamais » (l. 10), « pas même » (l. 13 et 14)
soulignent l’importance du moment. Les personnages cités – « Pythagore »,
« Platon » – comme les noms de lieux – « Athènes », « Rome » – sont extrême-
ment prestigieux. Le narrateur recourt en outre à des procédés de style qui
rendent l’intensité du voyage. « Quelques hommes avant moi » (l. 1) est un euphé-
misme puisque ces hommes ne sont rien moins que « Pythagore, Platon, une dou-
zaine de sages ». L’utilisation des gradations « de voir, de réformer, de créer »
(l. 5 et 6) puis « d’une fonction, d’un tempérament, d’un monde » (l. 9 et 10)
donne au texte une ampleur solennelle. La longueur des phrases, marquées par
un rythme ternaire, ainsi que les parallélismes (« pas même à mon Athènes »/« pas
même à Rome » ; « étranger partout »/« isolé nulle part ») produisent un effet
d’ampleur et de puissance.
Exercice 2BB
1. Les détails qui représentent le soldat comme un vieil homme pauvre : il est
assis sur une « botte de foin » (l. 10 et 11) et possède un « regard noir tout chargé
42
de misère, d’événements et de souffrances » (l. 11 à 13) ; le narrateur compare sa
veste au « sac où jadis étaient ses hardes, ses souliers, toute sa fortune » (l. 15 à
17) ; ses cheveux sont « gris » (l. 20).
2. Les indications qui montrent que le soldat s’apprête à raconter un récit épique
sont les suivantes :
– il met en garde son auditoire sur la longueur du récit qu’il s’apprête à com-
mencer : « Vous le voulez, répondit Goguelat. Eh ! Bien, vous verrez que ça ne
signifie rien quand c’est dit au pas de charge. » (l. 3 à 5) ;
– le vocabulaire de la guerre est utilisé : « charge », « bataille », « cartouches »,
« baïonnette », etc. ;
– la posture du soldat, se levant pour prendre la mesure de l’auditoire ; le regard
solennel qu’il jette sur l’assemblée ;
– l’hyperbole de la dernière ligne du texte : « il porta la tête vers le ciel afin de se
mettre à la hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire. »
3. Le fantassin est détenteur du savoir ; il a participé à des événements historiques
qui ont décidé du destin de la nation pour laquelle il a combattu : il prend donc,
aux yeux de l’assemblée, une dimension supérieure qu’il ne se prive pas de mettre
en évidence par sa gestuelle : « il porta la tête vers le ciel afin de se mettre à la
hauteur de la gigantesque histoire qu’il allait dire » (l. 21 à 23).
Exercice 4BB
1. Les termes qui soulignent l’intensité de l’affrontement : « âpre fièvre » (v. 1) ;
« s’ameuter et éclater » (v. 3) ; « fureur réenflammée » (v. 6) ; « bruit », « fumée »
(v. 9) ; « on se bat » (v. 10) ; « peur », « terreur » (v. 13). On peut également relever
le réseau lexical du bruit et du mouvement, omniprésent dans ce passage : « voler »
43
(v. 2) ; « éclater » (v. 3) ; « crépiter » (v. 4) ; « fureur » (v. 6) ; « monte » (v. 8) ; « bruit
« (v. 9) ; « gestes » (v. 11) ; « tourbillons » (v. 12) ; « hâte » (v. 14) ; « dépassent »
(v. 15).
2. L’ensemble de ces termes amplifie le spectacle de la bourse et des boursier : la
corbeille devient le champ de bataille où les fortunes changent de main.
Exercice 6BB
1. Les thèmes du monde moderne évoqués par le Manifeste du futurisme sont :
Les transports L’industrialisation Le sport
– « les gares » ; – « les usines » ; – « gymnastes » ;
– « les ponts » ; – « leurs fumées » ; – « grands poitrails » ;
– « les locomotives » ; – « la coutellerie » ; – « claquements
– « les rails » ; – « longs tuyaux ». de drapeau » ;
– « chevaux d’acier » ; – « applaudissements
– « aéroplanes » ; de foule enthousiaste ».
– « l’hélice ».
Exercice 8BB
Les épreuves qui font de l’aviateur un héros épique :
– la longue marche « sans piolet, sans cordes, sans vivres » (l. 2-3) ;
– l’escalade « des cols de quatre mille cinq cents mètres » (l. 3-4) ;
– le sang qui témoigne des souffrances endurées dans le froid (l. 5-9) ;
– l’errance obstinée vers une issue incertaine (l. 8-13).
Exercice 10BB
1. Le héros collectif est représenté aux vers 1 à 4 :
« Alors tout se leva. – L’homme, l’enfant, la femme,
Quiconque avait un bras, quiconque avait une âme,
Tout vint, tout accourut. Et la ville à grand bruit
Sur les lourds bataillons se rua jour et nuit. »
La syntaxe et les figures de style participent à faire du peuple un héros collectif :
l’hyperbole (« tout se leva »), la métonymie (« la ville… se rua »), l’utilisation sys-
tématique du singulier créent une unité à laquelle participent l’ensemble des révo-
lutionnaires.
2. Aux armes des «lourds bataillons» («boulets», «obus», «balle», «mitrailles»,
« canons »), les révolutionnaires ne peuvent opposer que leur « bras » et leur
« âme ». Seul le nombre, l’effet de masse, l’union permettent d’envisager la vic-
toire : cette union est soulignée par les termes « tout », « quiconque », « la ville »,
« mille efforts », « foule », « faubourgs ». Le héros n’est donc plus un guerrier au
service d’un destin individuel, mais un être collectif, uni dans le combat et les
valeurs qui fondent la cité.
Exercice 12BBB
1. Le réseau lexical du mouvement : « relais » (l. 1) ; « porteurs » (l. 1) ; « marche
rigide » (l. 2) ; « geste » (l. 2 et 6) ; « repartaient » (l. 4) ; « sentier » (l. 7) ; « avan-
çaient » (l. 9) ; « pas » (l. 9) ; « ralenti » (l. 9) ; « long chemin » (l. 11) ; « battement »
(l. 13) ; « marche funèbre » (l. 14).
Le récit déroule une série d’actions, de péripéties qui s’enchaînent au rythme de
la marche. Les pauses sont brèves alors que le chemin est rendu long et difficile
par la mission que se donnent les porteurs : descendre les blessés de la montagne,
tout en veillant à ce qu’ils ne souffrent pas.
2. L’attitude des villageois trahit les valeurs qu’ils défendent : la solidarité
(«relais», «pas ordonné», «rythme accordé à la douleur»), la compassion («geste
prudent et affectueux », « ne pensant qu’à ne pas secouer les civières »), la modes-
tie et la pudeur (« comme s’ils eussent voulu cacher aussitôt ce que leur geste
venait de montrer de leur cœur »).
3. Le rythme des phrases adopte celui de la marche des porteurs ; les phrases sont
longues et segmentées de manière régulière afin de recréer le rythme de la des-
cente : « et ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait emplir
cette gorge immense où criaient là-haut les derniers oiseaux, comme l’eût empli
le battement solennel des tambours d’une marche funèbre. » Les phrases longues
et complexes amplifient l’action représentée.
4. Les images (l. 10 à 14) :
– « ce rythme accordé à la douleur sur un si long chemin semblait emplir cette
gorge immense » : la métaphore ajoute à l’impression de puissance irrésistible
dégagée par la marche des hommes ; celle-ci absorbe le cadre naturel, l’emplit
tout entier, comme si la nature assistait en silence (les oiseaux se taisent) au spec-
tacle ;
– « ce rythme… semblait emplir cette gorge immense… comme l’eût empli le bat-
tement solennel des tambours d’une marche funèbre » : la comparaison souligne
47
l’atmosphère quasi religieuse de la marche, en même temps qu’elle marque, par
ses sonorités (allitérations en « r » et en « b »), le rythme des « tambours » imagi-
naires.
Les deux images, subordonnées dans la même phrase, amplifient la scène de
manière à l’accorder au registre épique choisi par l’auteur.
49
EXO-BAC
(PAGE 59)
50
Marque Présence des
référentielle du couleurs bleu,
lieu des combats blanc et rouge,
(des collines). mais aussi
du noir.
Opposition entre
les volumes du Enchevêtrement
quart inférieur des obliques
du tableau et qui soulignent
les obliques la violence
des trois quarts des combats.
supérieurs.
Écriture
Et voici ce que, brusquement, nous découvrîmes stupéfaits… une ombre déme-
surée vint s’étendre sur les prisonniers. Le ciel semblait s’assombrir, comme si
Vulcain et Mars eux-mêmes refusaient d’assister au terrible spectacle. L’air vibrait
d’un formidable silence, un gigantesque nuage verdâtre avait éteint le soleil. Ce
lourd paquet de ouate étouffait tous les sons, épousant les moindres aspérités du
terrain, s’asseyant pesamment sur les bosses. Quelques poings levés tentèrent de
défier le ciel, de s’insurger contre cette terrible malédiction. Mais très vite, les pri-
sonniers s’étaient immobilisés, soudain changés en horribles gargouilles, pétri-
fiés par la terreur. Les esprits eux-mêmes étaient asphyxiés. Les vapeurs
méphitiques s’attaquèrent aux bronches, se jouant des dérisoires remparts des
masques de caoutchouc en s’insinuant au plus profond des corps dont elles incen-
diaient les chairs.
…
Critères de réussite
• Présence d’un narrateur qui prend en charge le récit.
• Évocation d’un combat, d’un conflit qui justifie le registre épique.
• Respect de la situation des personnages présents dans le texte de Barbusse.
• Utilisation du vocabulaire et des procédés du registre épique.
51
LES REGISTRES
CHAPITRE
5 Le registre fantastique
(PAGES 60 à 67)
OBSERVATION
(PAGES 60-61)
Introduction
Cazotte (que Nodier avait rencontré dans sa jeunesse, à qui Nerval a consacré
une longue étude) a écrit, outre des contes de chevalerie comme Olliver (en
1763), des récits fantastiques inspirés fortement des Mille et Une Nuits : La Patte
du chat (en 1741), Les Mille et Une Fadaises (en 1742), la Suite des Mille et Une
Nuits (en 1788-1789) qui montrent en lui un écrivain habile, à la fois malicieux
et parodique, mais aussi sensible au renouvellement de l’imaginaire qui conduira
bientôt au romantisme. On le voit dans Le Diable amoureux, son chef-d’œuvre,
qui s’inscrit à la suite des innombrables romanssuscités par le succès du Diable
boiteux de Lesage, et qui tire aussi profit des rêveries de l’alchimie et des mys-
tères de la franc-maçonnerie… Au-delà de ses Contes cruels, le fantastique de
Villiers de L’Isle-Adam se plaît à jouer dans les marges des « mystères de la science
positive » et de la philosophie : Wagner, Poe, Baudelaire sont ses maîtres, alors
même que Villiers se laisse fasciner par les inventions, les formes du raisonne-
ment et les hypothèses de l’esprit scientifique qu’incarne Edison dans L’Ève
future !
53
Réponses aux questions
I. L’univers fantastique
1. Dans le texte de Jacques Cazotte, c’est l’apparition étonnante du diable appelé
par le narrateur qui fait basculer le récit vers l’étrange. Dans le récit de Villiers
de L’Isle-Adam, une apparition se produit qui semble aussi venue de l’au-delà :
« le souffle de l’autre monde enveloppait ce visiteur ».
2. Les phrases exclamatives : « Il me le tendait, comme pour me l’offrir !… »
(l. 14 et 15), « Oh ! Je ne voulais pas voir cela ! » (l. 16 et 17), traduisent les réac-
tions d’angoisse du narrateur face à la présence étrange.
Exercice 3B
1. Le narrateur se montre d’abord curieux devant cette situation inattendue,
et cette curiosité se manifeste par des questions: il a l’impression de quelque chose
qui demande explication. Il a ensuite une impression de « déjà vu » (« où je me
souvenais d’avoir vécu » à la ligne 5) liée à une attirance indépendante de sa
volonté (« non mû par la curiosité mais par une force indépendante de ma
volonté », à la ligne 8). Enfin la troisième impression est celle que le mort est lui-
même.
2. La découverte du visage du mort le plonge dans une terreur sans nom car il y
reconnaît son propre visage : « j’entendais distinctement s’entrechoquer mes
mâchoires tandis que mes yeux restaient rivés à cette face immobile. Le mort de
la chambre, c’était moi ! » (l. 12 à 15).
Remarque. Le fait de reconnaître les lieux sans y être auparavant venu fait partie
des impressions dont il est fréquemment question dans les textes fantastiques
(voir par exemple dans Louis Lambert de Balzac). Cela tient au fait que ce type
d’expérience, que nous avons tous eu l’occasion de connaître (l’impression
d’avoir déjà vécu l’événement), peut recevoir à la fois une explication surnatu-
relle et une explication rationnelle. L’explication rationnelle a effectivement été
tentée en psychologie, où il est question de « paramnésie » ou « fausse recon-
naissance » : ce serait la fatigue de l’être surmené ou malmené qui le conduirait à
ne plus être capable, psychologiquement, de faire clairement la distinction entre ce
qui appartient au passé et ce qui appartient au présent, une forme de baisse de vigi-
lance de la conscience qui conduirait à prendre pour du passé ce qui est du
présent.
56
Étudier les images et les connotations
Exercice 4BB
1. « Malgré son apparence », « singulièrement », « strictement personne », « elles
ne changèrent pas », « tous vides », « des décors minutieusement reconstitués »
sont les principaux mots et expressions qu’on peut relever dans les lignes 9 à 23
marquant le caractère étrange du cadre du récit.
2. L’événement insolite auquel le narrateur est confronté est qu’un taxi sans âge,
roulant sans bruit et à une vitesse étonnante pour ce type d’automobile, le mène
à travers une ville complètement déserte.
3. Face à ces événements insolites le narrateur cherche des réponses logiques. Le
caractère ancien du taxi ne doit pas étonner, puisqu’il ressemble à des taxis réels,
ceux de la bataille de la Marne. Le narrateur prend d’abord pour une coïncidence
le fait que les rues soient désertes : « il se trouvait que les gens avaient tous affaire
ailleurs » (l. 16). Ensuite, le fait que le chauffeur ne se soit pas trompé ramène à
la réalité de la course commandée. La dernière « explication » n’appartient plus
au domaine de la logique, il s’agit de donner corps à une impression difficile à
rendre : « j’avais l’impression que le parcours s’effectuait à travers des décors
minutieusement reconstitués, avant l’arrivée des acteurs » (l. 21 à 23).
4. Comme dans tout récit fantastique, le lecteur (à la suite du narrateur) peut
être amené à hésiter entre deux explications face aux événements insolites : une
explication de type rationnel, et une de caractère fantastique. En ce qui concerne
le récit d’André Hardellet, on pourrait très bien reprendre l’explication logique du
narrateur : c’est une coïncidence, tous les gens sont occupés ailleurs. De même,
le conducteur du taxi, en disant « je sais » à propos de la direction, affirme sim-
plement qu’en attendant sur cette route, son passager ne pouvait que vouloir se
rendre à Paris. L’heure explique l’absence de promeneurs : il est plus tard qu’il
n’y paraît et les gens sont tous chez eux… On peut aussi supposer que le narra-
teur s’est en fait endormi en attendant son taxi et qu’il rêve tout cela. Pour ce qui
est du fantastique, on serait par contre en droit de supposer que le narrateur est
amené vers Paris par un taxi qui revient du passé (d’où son aspect de « taxi de la
Marne»). L’inquiétude provient du silence («sans ce bruit»), de la solitude («stric-
tement personne ») et d’une impression d’illusion (« des décors reconstitués »).
Le taxi qui vient d’ailleurs peut être rapproché de la charrette de l’Ankou dans
les légendes bretonnes, annonciatrice de la mort.
Interpréter l’insolite
Exercice 5BB Vers le commentaire
1. L’événement insolite concerne la disparition mystérieuse de la jeune fille qui
avait guidé le narrateur, mais aussi l’inexistence attestée d’un lieu qu’il recher-
chait : « depuis cinquante ans qu’il habitait le pays, il n’avait jamais entendu parler
de la ferme de la Croix-du-Fau » (l. 16 à 18).
57
2. Sur les traces du narrateur, le lecteur peut hésiter entre deux explications : la
première, de type rationnel, peut suggérer que « la gamine en blue-jeans » s’est
perdue dans le brouillard, et le narrateur insiste sur l’existence de ce brouillard.
D’autre part, les affaires classées constituent une situation réelle assez fréquente,
puisque les disparitions et les assassinats ne débouchent pas nécessairement sur
la découverte des corps et des coupables. Pour l’explication surnaturelle, la jeune
fille pourrait être une revenante, un « spectre » qui aurait volontairement attiré
les gendarmes vers les marais et la mort. La première explication est du domaine
de la logique car elle fait appel à des faits plausibles alors que la seconde appar-
tient au fantastique car elle fait appel à des interprétations qui ne sont pas de ce
monde.
EXO-BAC
(PAGE 67)
Critères de réussite
• Mise en place d’une forme d’ambiguïté, à travers l’utilisation du vocabulaire
appartenant au registre fantastique.
• Respect des éléments du décor proposés par le texte B.
• Présence et originalité d’une métaphore filée, d’une personnification et d’une
gradation.
59
LES REGISTRES
CHAPITRE
6 Le registre réaliste
(PAGES 68 à 79)
Le registre réaliste traverse toutes les époques et toutes les formes d’art.
Il connaît son apogée en littérature et en peinture au XIXe siècle devenant
une école artistique à part entière. C’est dans le roman que le réalisme
trouve alors son moyen d’expression privilégié. Être réaliste, c’est d’abord
vouloir représenter la réalité, ou tout au moins offrir une représentation
de celle-ci, en accord avec le moment où elle est perçue. C’est pourquoi
le chapitre du manuel s’attache à traverser les époques et les genres, du
fabliau du Moyen Âge au roman contemporain : il s’agit en effet de mettre
en évidence cette capacité du registre réaliste à exprimer les préoccupa-
tions de chaque époque, de justifier l’affirmation de Champfleury, le théo-
ricien du mouvement réaliste en littérature, lorsqu’il affirmait que « le
réalisme est aussi vieux que le monde et, en tout temps, il y eut des réa-
listes ».
OBSERVATION
(PAGES 68-69)
Introduction
Le fabliau est un diminutif du mot fable: il désigne le conte au sens large du terme.
Il se donne donc pour objectif essentiel de raconter une histoire, « toujours dans
les limites du vraisemblable et excluant tout surnaturel » (Montalglon). Le genre
proprement dit tombe en désuétude au XIVe siècle, progressivement remplacé par
le conte et la nouvelle, qui en conservent souvent le registre. C’est en tout cas le
registre réaliste qui triomphe avec les quelque trois cents contes et nouvelles écrits
par Maupassant : retrouvant la simplicité et la verve des fabliaux, l’écrivain réa-
liste parvient, tout aussi bien que Balzac ou Zola, à faire le tableau de la société
du XIXe siècle. Ses courts récits, publiés d’abord dans des journaux, proposent au
lecteur un cadre dans lequel s’inscrivent son quotidien, ses passions ou ses
angoisses… Si le réalisme, en tant qu’école littéraire, est de l’aveu même de
Maupassant un leurre, le registre réaliste traverse bel et bien les siècles, comme
s’il était le passage obligé de toute forme d’expression artistique.
61
Réponses aux questions
I. La représentation du réel
1. Les lieux évoqués dans chaque texte sont des lieux familiers, qui appartien-
nent à l’univers quotidien du lecteur : il s’agit du marché pour Garin, et du chemin
qui y mène ; le tramway, le café, le pavillon de banlieue sont les lieux familiers
évoqués par la nouvelle de Maupassant.
2. Le fabliau veut mettre en évidence la gourmandise du prêtre : la vue des mûres
suffit à le mettre en appétit : « Il en a grand-faim, grand désir » (l. 12). Dès lors, le
prêtre se laisse guider par son instinct, sans plus réfléchir aux conséquences éven-
tuelles de ses actes. « Aussitôt le prêtre se hisse ; sur la selle il monte à deux pieds
et se perchant sur le roncier il mange avec avidité les plus belles qu’il a choisies. »
Cette représentation peut être qualifiée de réaliste car elle renvoie à une réalité
proche du lecteur du Moyen Âge qui sait combien, même lorsqu’on est prêtre, il
est difficile de résister à ses instincts.
6. Le niveau de langage utilisé est courant (« on leur souhaita le bonsoir »), voire
familier dans les dialogues (« Dieu, si l’on disait hue ! », « Quoi de neuf ? »), de
manière à entretenir une forme de proximité avec le lecteur. L’histoire racontée
doit être immédiatement compréhensible et le niveau de langage adapté aux
milieux sociaux représentés : le choix du niveau de langage courant ou familier
participe donc à l’inscription du texte dans le registre réaliste.
EXERCICES
(PAGES 74 à 78)
Exercice 2BB
1. et 2. Les termes qui renvoient aux lieux du réel ou à un temps familier et à la
réalité quotidienne qu’ils évoquent :
63
– strophe 1 : « propriétaire », « toit » Þ l’appartement, la maison en location, dont
on ne peut plus payer le loyer ;
– strophes 2 et 4 : « rendez-vous », « robe à froufrous », « cou » Þ le rendez-vous
amoureux, les baisers échangés ;
– strophe 3 : « gargotière », « sous », « table » Þ le petit restaurant où l’on peut
manger à crédit.
3. Brassens chante les plaisirs de la vie, l’amour, une misère tenace mais secon-
daire, une forme de bohème. La chanson de Brassens s’inscrit dans le registre réa-
liste en évoquant un temps et un espace familiers, des moments, des lieux, des
personnages proches du lecteur, immédiatement identifiables par ceux qui ont
vécu l’époque évoquée par la chanson.
Exercice 3B
En citant le nom d’Édith Piaf, le texte s’inscrit dans la vie quotidienne du lecteur.
Le narrateur évoque ainsi les « obsèques populaires » de la chanteuse, faisant
appel à la mémoire du lecteur de 1979, date de la parution du roman. Le narra-
teur évoque ensuite sa propre existence, ses espoirs et ses regrets : ses rêves sont
comparables à ceux de sa génération, entre nostalgie (« les années trente-cinq,
trente-huit, juste avant la guerre », l. 7-8) et désillusion (« Moi, à vingt-neuf ans,
c’est fini. », l. 4). L’univers évoqué, l’avant-guerre, l’après-guerre, le présent (« la
pub, la télé, les photos », l. 10) font du narrateur le complice du lecteur, un proche
qui partage avec lui une mémoire commune.
Exercice 5BB
1. Le texte évoque « la cordonnerie » – une prison dans laquelle est enfermée l’hé-
roïne, mais aussi un lieu de travail – et lui associe un vocabulaire technique :
« ourlage » (l. 4 et 5) ; « mouchoirs à carreaux » (l. 5) ; « délissage » (l. 6) ; « chif-
fons » (l. 6) ; « travail » (l. 7) ; « madras » (l. 17 et 18).
64
2. L’héroïne tombe dans une « contemplation hébétée et un ruminement gro-
gnonnant » (l. 8 et 9) annonçant l’abandon progressif de toute activité intellec-
tuelle au profit de la simple satisfaction des sens, et notamment du toucher et du
goût : c’est ainsi qu’on la voit « passer sa main à plusieurs reprises sur la coton-
nade » (l. 19 et 20) ou rester « les yeux allumés de gourmandise, les lèvres humides
et appétantes » (l. 26 à 28) devant une assiette de prunes. Élisa compense ainsi la
dégradation de sa situation morale par un assouvissement des instincts les plus
primaires : la faim, la soif, le désir.
Exercice 6BB
1. Les sens évoqués dans le texte sont essentiellement le toucher et le goût : cette
présence reflète l’obsession du « pauvre » pour la nourriture qui lui manque cruel-
lement et qu’il dispute aux chiens. Les différents plats évoqués au début du
passage sont destinés aux seigneurs, tandis que les pauvres n’ont « pas de place
à table » (l. 5 et 6) et « doivent se contenter d’une seule tournée », « d’un seul plat »
(l. 9 et 10). Dans ces conditions, chacun « serre son pain dans son poing » (l. 12),
pour empêcher que les chiens ne s’en emparent, mais aussi pour en apprécier phy-
siquement la présence. Le goût de la nourriture est, de plus, dénaturé par sa
consistance : c’est ainsi que les os lancés par les valets sont « plus secs que des
charbons ardents » (l. 11 et 12).
2. Le texte dénonce les injustices de la société féodale, en opposant les seigneurs
aux pauvres. Les premiers sont servis dès qu’ils en manifestent le désir (l. 2-3)
tandis que les seconds sont tenus à l’écart du repas, rejetés loin du feu et de la
table, comme exclus de la société féodale (l. 3-6). Mais plus que les seigneurs, ce
sont leurs valets, « la valetaille », qui sont attaqués. Ceux-ci profitent de leur situa-
tion pour voler ce qui est dû aux pauvres, et pour servir « chichement » les sei-
gneurs eux-mêmes. Le texte dénonce ainsi tous ceux qui, par leur malhonnêteté,
empêchent la société de fonctionner correctement, abusant à la fois ceux qui leur
sont socialement inférieurs, mais aussi leurs maîtres : l’invective finale résume le
sentiment du narrateur à leur égard : « Ah ! S’ils pouvaient être brûlés et leurs
cendres dispersées par le vent ! »
Exercice 7BB
Le tableau de Maximilien Luce s’inscrit dans le registre réaliste car il présente
une scène de la vie quotidienne : un homme à sa toilette. La scène se déroule dans
un espace domestique comme en témoigne la présence d’une table, d’une bassine,
d’un vêtement jeté sur une chaise. Ce tableau montre un moment familier, quo-
tidien qui est une des marques du réalisme. Le peintre accorde une grande impor-
tance au corps : l’homme est montré torse nu. Le corps n’est pas celui des modèles
antiques : les abdominaux sont relâchés. Le décor (une simple table, une chaise,
une petite pièce), les vêtements du personnage (une tenue de travail) situent la
scène dans un milieu modeste. Enfin, Maximilien Luce témoigne d’un souci du
détail vrai, de la précision en montrant une bouteille de vin posée le long du mur,
le vêtement jeté, le petit tableau accroché près de la bassine… Le souci du peintre
est donc de se rapprocher le plus possible de la réalité, de permettre au specta-
teur de retrouver un univers et des personnages familiers.
65
Composition extrêmement rigoureuse,
le tableau s’inscrit dans des verticales
et des diagonales qui structurent toute
l’œuvre.
La répétition de la figure du rectangle
(le miroir, les cadres, la table) et de
celle de l’ovale contribue à l’équilibre
du tableau.
Exercice 8BB
1. Le passage donne une place importante au corps, qui apparaît dans sa vie orga-
nique et manifeste tous les signes de la dégradation et de la déchéance. Le duc
d’Orléans n’est pas encore habillé, assis sur sa chaise percée. La situation peut
être qualifiée de réaliste car l’auteur, loin de cacher les détails qui relèvent de l’in-
timité du personnage évoqué, les relève et les commente. Les lieux décrits sont
eux-mêmes réalistes : de la chambre du duc d’Orléans, le lecteur découvre le
« caveau », la chaise percée et une fenêtre, qui inscrivent le personnage dans un
univers purement utilitaire.
2. Le Régent est « tête basse, d’un rouge pourpre, avec un air hébété » (l. 6 et 7).
Les épreuves de la maladie et de la vieillesse l’ont physiquement transformé. Il
tourne la tête « lentement » (l. 8), comme si ce simple geste était une épreuve ; sa
langue est « épaisse » (l. 10), comme s’il avait des difficultés à s’exprimer… Telles
sont les caractéristiques du duc d’Orléans qui justifient la surprise et l’effroi de
Saint-Simon.
66
Caractériser les personnages et le héros réalistes
Exercice 9B
Le registre réaliste L’univers merveilleux
– « assis sur une souche » (l. 1) ; – « un vilain qui ressemblait fort
– « une massue en main » (l. 1-2) ; à un Maure » (l. 2-3) ;
– « un vilain » (l. 2) ; – « il avait plus grosse tête que
– « laid et hideux » (l. 3) ; roncin ou autre bête » (l. 4-5) ;
– « cheveux mêlés en broussailles, – « vêtu de très étrange façon » (l. 8).
front pelé » (l. 5-6) ;
– « appuyé sur sa massue » (l. 7-8) ;
– «deux cuirs nouvellement écorchés,
cuir de taureaux ou cuir de bœufs »
(l. 9-11) ;
– « juché sur un tronc » (l. 16).
On remarque que ce sont surtout les images qui renvoient à un univers mer-
veilleux : la comparaison avec un « Maure », les images renvoyant au monde
animal, la tenue vestimentaire générale ; tandis qu’au contraire les détails inscri-
vent le texte dans le registre réaliste en donnant une vision précise des attitudes,
des traits et des vêtements du « vilain ».
Exercice 10BB
1. Les deux personnages présentés dans l’extrait appartiennent au même type
puisque ce sont des policiers. Ils sont donc ancrés dans une réalité sociale.
2.
Nom Guilvinec Crémieux
Aspect physique grand, épaules larges, vêtu de gris
costume bleu, cravate yeux et cheveux gris
bleue, cheveux brun mince et ramassé
foncé, yeux humides,
visage couperosé
Caractère irascible sans éclat mais attire
(« il se mit à jurer ») quand même l’œil
Profession représentant de la loi représentant de la loi
Exercice 11BB
Le personnage de Julien Sorel est caractéristique de l’univers réaliste, même s’il
demeure chez lui un grand nombre de traits hérités du romantisme. L’extrait met
symboliquement en scène l’ascension sociale du héros (« Cette position physique
le fit sourire, elle lui peignait la position qu’il brûlait d’atteindre au moral », l. 7 à
9). Julien se situe en marge de l’univers bourgeois dans lequel il tente de s’insérer,
et même de la société tout entière (« bien sûr d’être séparé de tous les hommes »,
l. 6). Ses motivations reposent sur l’argent et une certaine forme de vanité sociale.
Enfin, le héros porte sur la société qui l’entoure un regard neuf, dénonçant l’hypo-
crisie des nantis et des puissants qu’il rencontre sur son chemin : « Le maire de
Verrières était bien toujours, à ses yeux, le représentant de tous les riches et de tous
les insolents de la terre » (l. 11 à 13). Ses attitudes, ses faiblesses, sa naïveté lui per-
mettent de s’attirer la sympathie du lecteur.
Exercice 14B
1. Le document reproduit est la lettre reçue par le héros. Il se distingue du récit
par l’italique, qui donne une forme d’authenticité au document.
2. La reproduction d’un document « réel » par Montherlant contribue à créer,
aux yeux du lecteur, un effet de réalité. Celui-ci est renforcé par les termes qui
renvoient directement à l’univers notarial : « maître », « notaire », « affaire », « suc-
cession », « étude ».
Exercice 15BB
1. Les éléments du décor qui participent à la création d’une atmosphère antique
sont : « surplombant » (l. 2), « rocailles » (l. 3), « grotte » (l. 4), « statues » (l. 4),
« péplums » (l. 5), « colonnes » (l. 10), « piliers » (l. 15).
2. Malgré la présence de ce décor antique, le texte présente un univers ancré dans
la réalité du XIXe siècle. En effet, chacune des allusions à l’Antiquité est accom-
pagnée d’une indication : la grotte est « fausse », les statues sont « de plâtre rose »,
les « péplums » sont « écornés », les colonnes en fonte… À chaque fois, l’auteur,
dénonce le caractère factice et délabré du décor, qui renvoie du coup à une simple
salle de bal dont la description s’inscrit dans le registre réaliste : les indicateurs
de lieu qui organisent la description sont très précis, comme s’il s’agissait d’un
endroit réel (« Un peu au-dessus de moi », « à droite », « à gauche ») ; le nom de
la salle renvoie de la même manière à un univers connu du lecteur : « le bal de la
brasserie Européenne ».
3. Les connotations qui se dégagent de la description sont très négatives : l’eau
du bassin est « morte » ; les rocailles se « hérissent » ; la grotte est « fausse » ; les
toiles qui ornent le plafond sont « jadis vertes et maintenant pourries par les feux
du gaz et les suintements de l’eau » ; la salle est comparée à une « halle » au toit
en « dos d’âne »… L’ensemble de ces termes et de leurs connotations participent
à l’effet de réel : il s’agit d’un lieu banal et sans fard, ancré dans la réalité du XIXe
siècle par son aspect misérable, caractéristique du réalisme par la profusion des
détails qui recréent l’univers quotidien.
Exercice 16BB
1. L’expression des sensations constitue un effet de réel car elle s’attache à retrou-
ver les « petits détails vrais » qui vont rappeler au lecteur les sensations qu’il a
lui-même éprouvées : tous les sens sont sollicités, mais c’est l’ouïe qui domine. La
salle est bruyante, le tumulte règne, mais elle est également colorée. Le lecteur se
retrouve ainsi en position de participant à la fête.
70
L’ouïe Le goût Le toucher L’odorat La vue
– « les – « cigares » – « en – « les – « les poses
détonations (l. 6) ; marchant sur bouffées abandonnées
du champagne, – « sauces » les mains » des cigares, et repues,
le choc (l. 6) ; (l. 4) ; l’odeur les gestes
des verres, – «vins» (l. 7); – « chaleur des sauces, débraillés,
le tumulte des – « cham- du gaz » (l. 5) ; les fumées les corsets
rires, la course pagne » – « les voi- des vins » éclatants,
des assiettes, (l. 7-8). sinages » (l. 6-7). les yeux
les voix (l. 13) ; émerillonnés,
éraillées, – « les teints les paupières
les chansons échauffés et battantes »
commencées», martelés par (l. 10-13).
(l. 7-10) ; le masque »
– « les (l. 13-14).
tutoiements »,
(l. 13) ;
– « un solo de
pastourelle »,
(l. 20-21).
Exercice 17BBB
1. Les procédés employés dans le dialogue pour contribuer à recréer le sentiment
de la réalité sont :
– l’usage d’un niveau de langage familier : « V’là » (l. 3) ; « Eh bien, on ira le cher-
cher, c’t’fant » (l. 14), etc.
– l’usage du patois normand : « Quel âge qu’il a, ton petiot » (l. 1) ; « une potée »
(l. 26) ;
– l’usage d’une syntaxe relâchée, de constructions incomplètes et de mises en
valeur expressives : « Pourquoi que tu me l’as pas dit ? » (l. 5).
2. Le réalisme de la scène contribue à la rendre émouvante. Outre la rudesse des
dialogues, qui renvoient à l’univers des paysans normands, la précision des
détails, qui caractérisent de manière indirecte les personnages, laisse percevoir
plus qu’ils ne les décrivent les sentiments de Rose et de son maître. La servante
« murmure » (l. 2) en confessant sa faute tandis que lui reste « debout, immo-
bile » (l. 7). Le rire soudain du maître (l. 11) surprend à la fois la servante et le
71
lecteur, car il s’agit « de son gros rire des bons jours ». L’opposition des attitudes
crée une tension croissante jusqu’à la fin de l’extrait. Le baiser sonore final, bon
enfant, et l’allusion à la soupe mettent un point final à la conversation et au sus-
pense : alors qu’on craignait une réaction violente du fermier, celui-ci accepte
cet enfant tombé du ciel comme un cadeau inespéré. Cette attitude pleine d’hu-
milité chez un personnage qu’on devine dominateur et brutal dans les paroles
qu’il prononce, suscite l’émotion du lecteur tout en contribuant à inscrire le texte
dans le registre réaliste.
EXO-BAC
(PAGE 79)
2. Le vocabulaire technique est présent avec les termes de « cuve » (l. 1), « meu-
leuses » (l. 4 et 10), « baladeuse » (l. 5 et 10), « agrégats » (l. 5), « tambours »
(l. 7) ou « disques à air comprimé » (l. 13 et 14). Le lexique du temps domine à
la ligne 8 : « trois jours, à dix heures par jour » et « deux heures ». Les images uti-
lisées par François Bon sont empruntées à la réalité très concrète et familière : « la
72
tôle criait » (l. 7), « comme des phoques en sueur » (l. 9), « nous faisait des ombres
de fantômes » (l. 11). Tous ces procédés sont caractéristiques du registre réaliste.
Le vocabulaire technique et les images familières donnent un effet de réalité
comme les indications de temps qui renvoient au quotidien du travail.
Écriture
L’œuvre réaliste montre au lecteur et au spectateur des situations concrètes et
familières qui font écho à celles qu’il rencontre dans sa propre vie : elle représente
le monde réel. Cette intention est très perceptible dans le tableau comme dans
l’extrait de roman qui prennent tous deux pour thème des ouvriers sur leurs lieux
de travail. Les deux œuvres renvoient à un monde connu, inscrit dans un temps
familier. Le tableau de Malyuev donne l’impression d’être un instantané saisi sur
un chantier tandis que le texte comporte des notations précises renvoyant au
temps du travail : « trois jours, à dix heures par jour » (l. 8). Les personnages mis
en scène sont également fort proches : des ouvriers du bâtiment pour le peintre,
des ouvriers de maintenance pour F. Bon. Ce choix de « héros » modestes ancrés
dans la réalité sociale est une des marques du réalisme. La manière dont les corps
sont traités est un autre procédé commun aux deux œuvres : le peintre insiste sur
la musculature saillante de l’ouvrier au premier plan tandis que le romancier
utilise de nombreuses notations relatives à l’effort physique dans ses manifesta-
tions les plus concrètes : « trembler sous les pieds » (l. 7), « en sueur » (l. 9),
« accroupis » (l. 9), « pesait dans les bras » (l. 10), « effort physique poussé jusqu’à
la fatigue » (l. 12), « travailler à bout de bras » (l. 14 et 15).
Pour produire un effet de réel, le peintre comme le romancier multiplient les
détails empruntés à la réalité. Boris Malyuev donne à voir le gant de sécurité de
l’ouvrier ; il détaille l’arrière-plan en peignant les échafaudages et les cheminées
d’usines. François Bon donne une impression de réalité en employant un lexique
spécialisé – « cuve » (l. 1), « meuleuses » (l. 4 et 10), « baladeuse » (l. 5 et 10),
« agrégats » (l. 5), « tambour » (l. 7), « disques à air comprimé » (l. 13 et 14) – qui
ancre le texte dans l’univers quotidien des ouvriers. Il utilise également des images
familières qui ajoutent à l’effet de réalité du texte : « la tôle criait » (l. 7), « comme
des phoques en sueur» (l. 9), « nous faisait des ombres de fantôme » (l. 11). Enfin,
les deux auteurs créent une proximité avec le lecteur ou le spectateur en utilisant
des personnages relais. Les personnages situés à l’arrière-plan du tableau regar-
dent la scène tandis que le texte de F. Bon est écrit du point de vue d’un ouvrier
(« on y accédait », l. 1, « nous faisait », l. 11) : le lecteur ou le spectateur peut ainsi
plus facilement s’inclure dans la scène et ressentir une impression de réalité.
Critères de réussite
• Mise en évidence des caractéristiques de l’univers réaliste proposé par le texte
et l’image (lieux, temps, personnages).
• Étude des procédés propres au registre réaliste (effets de réel).
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés, qui confrontent le texte et
le document iconographique.
73
LES REGISTRES
CHAPITRE
7 Le registre polémique
(PAGES 80 à 87)
OBSERVATION
(PAGES 80-81)
Introduction
La critique cinématographique est l’un des lieux privilégiés de l’affrontement
polémique. Le regard critique met en évidence les qualités et les défauts d’une
œuvre : ici, l’adaptation pour le cinéma du roman de Jean Giono, Le Hussard sur
le toit. Les deux articles proposés sur le film de Jean-Paul Rappeneau illustrent
l’opposition polémique des points de vue : le premier attaque le film tandis que
le second en fait l’apologie. Le lecteur – l’élève en l’occurrence – se trouve ainsi
pris à partie : à lui de choisir son camp, de trancher en fonction des valeurs défen-
dues par l’un ou l’autre des journalistes…
EXERCICES
(PAGES 85-86)
Exercice 2B
Cette œuvre d’art s’inscrit dans le registre polémique par le choix des matériaux
qui la constituent et la manière dont ils sont traités. Les boîtes de Coca-Cola sym-
bolisent la société de consommation. Leur compression sous forme de cube peut
donner lieu à toutes sortes d’interprétations : la destruction revendiquée, le recy-
clage, la primauté du hasard sur le geste artistique. Elle laisse libre cours à l’ima-
gination du spectateur convié à se forger sa propre opinion.
Exercice 6BB
1. Giono exprime son aversion pour un comportement social : le camping. Il fait
la satire des mœurs de ses contemporains qui préfèrent partir en vacances en
« troupeau » plutôt que de rechercher la solitude.
78
2. Les procédés du registre polémique peuvent être classés ainsi :
L’attaque L’indignation L’ironie
– « Ils ne sont à leur – « Ils me l’ont avoué, – « C’est bruyant : tant
aise (et insolents) que ils ne peuvent pas mieux, ça sent mauvais:
dans la foule, que dans supporter un jour de bravo! On s’y bouscule!
le commun, le banal, confrontation avec la à merveille ! surtout que
le vulgaire » (l. 6-7) ; nature telle qu’elle est» rien de particulier ne
– «Ils ne savent rire que (l. 3-5) ; leur soit proposé ! »
tous ensemble, que – « ils ne savent ni voir, (l. 8-10) ;
dormir tous ensemble, ni entendre, ni goûter, – « Entendre ronfler
que se soulager tous ni surtout se tailler le voisin sous sa tente
ensemble » (l. 15-17) ; une part personnelle de toile, quel délice !
– « hors du troupeau, de joies » (l. 13-15). rencontrer le voisin à
point de salut » (l. 21). l’abreuvoir, quelle joie !
respirer ce que le voisin
vient d’expirer, voilà
la vie ! » (l. 17-21).
EXO-BAC
(PAGE 87)
Écriture
Guy de Maupassant regrette que soit venu le temps du carnaval. Il se demande
quel bonheur « stupide » ceux qui y participent peuvent bien y trouver.
Commençons par lui répondre que personne n’est obligé de se joindre à ceux qui
aiment le carnaval et que nous n’avons pas besoin de la présence de Guy de
Maupassant pour fêter dignement cet événement. La danse, les chants font partie
des traditions populaires qui permettent à chacun de se défouler le temps d’une
sortie, d’oublier les soucis du quotidien. Les grandes réunions comme le carnaval
favorisent les rencontres et suppriment les barrières sociales. Le sociologue Michel
Maffesoli ne rappelle-t-il pas que les grands rassemblements tels que le Mondial,
la Techno Parade ou l’Armada des voiliers sont des occasions fortes de rassem-
bler et de conforter la communauté? Les confettis dont les gens se couvrent mutuel-
lement symbolisent ainsi le bonheur d’être ensemble. La « foule délirante de joie »
que déplore Guy de Maupassant ne fait qu’exprimer sa satisfaction d’être réunie
au sein d’une communauté de goûts et de traditions. Comment ne pas être sen-
sible à des manifestations comme la Fête de la musique dans laquelle toutes les
musiques se fondent, portées par des musiciens professionnels comme par des ama-
80
teurs ? Non, ce n’est pas la bête qui se déchaîne le jour du carnaval : c’est l’homme,
l’homme entier et naturel, l’homme libre et heureux de crier sa joie ! Lecteurs,
n’ayez crainte… Comme tant d’autres, profitez du carnaval pour oublier, le temps
de quelques chants, les tracas du quotidien, car il n’y a nulle honte à cela !
Critères de réussite
• Inscription du texte dans le genre de la lettre ouverte et respect du système énon-
ciatif ainsi déterminé.
• Appui sur des valeurs opposées à celles de Maupassant.
• Adoption d’une stratégie relevant du registre polémique : attaque, indignation,
ironie ou provocation.
81
L’IMAGE
CHAPITRE
8 L’analyse de l’image
(PAGES 88 à 103)
Pendant des siècles, la peinture a été reconnue comme l’image par excel-
lence, le modèle de toutes les images. L’image s’est d’abord imposée avec
évidence, avec autorité, comme représentation fidèle du réel ou de l’ima-
ginaire. Mais le développement de la photographie a bouleversé ce rapport.
Désormais, l’image est multiple et présente partout. Elle est narrative, inci-
tative, explicative, descriptive. Elle s’inscrit dans un registre, elle s’appuie
sur des codes.
OBSERVATION
(PAGES 88-89)
EXERCICES
(PAGES 95 à 102)
Exercice 2B
1. Les principales lignes de force du tableau de Degas sont des diagonales dis-
posées en parallèle. Une ligne courbe relie les coiffures de trois danseuses et guide
le regard du spectateur (voir page suivante).
2. Le tableau oppose le bleu, couleur froide, avec des couleurs plus chaudes, qui
sont le rose et le marron.
3. L’image est équilibrée grâce à une diagonale qui part du haut du tableau à
droite vers le bas à gauche, en traversant le visage d’une danseuse et le bras d’une
autre. Une autre diagonale relie trois visages des danseuses. D’autre part, la figure
85
composée par les quatre danseuses représentées en gros plan s’inscrit dans un
losange qui ferme l’espace et insiste sur la gestuelle et l’harmonie qui lie les quatre
femmes. Cette unité est renforcée par le recours à une palette réduite dans laquelle
le bleu, le blanc et le marron dominent et se fondent.
Exercice 3BB
1. Les principales lignes de force sont les verticales qui créent des bandes qui indi-
vidualisent les coureurs. À chaque bande correspondent une teinte et un coureur :
cela permet au peintre d’insister sur l’isolement des coureurs dans l’épreuve. Ils
courent ensemble mais sont motivés par leur réussite personnelle.
2. Les lignes de fuite suivent, sur la gauche, les lignes formées par la piste de
course. Le point de fuite se trouve à l’extérieur du tableau. Le peintre suggère
ainsi la longueur de la piste et l’intensité de l’effort fourni. Il donne également
une impression de vitesse.
3. Pour souligner le fait que les athlètes disposent chacun d’un couloir de la piste,
le peintre les a isolés dans des bandes de couleur. Chacun semble empiéter sur
l’espace de l’autre. Le tableau donne l’impression que l’espace est trop étroit pour
permettre à chaque coureur de trouver sa place : il traduit plastiquement la riva-
lité qui oppose ces sportifs. En outre, les visages sont vides ; l’accent est mis sur
les jambes et les poings serrés. Les coureurs apparaissent comme des corps iden-
tiques qui cherchent à imposer leur force.
Exercice 4B
1. La photographie de William Eggleston fait appel à de nombreux codes sym-
boliques. Elle joue sur les codes chromatiques : la couleur rouge-orange très vive
du pont qui domine l’image est complémentaire du bleu du ciel qui apparaît en
arrière-plan. Le pont se détache ainsi par contraste et se trouve valorisé. L’image
s’appuie également sur les codes des formes géométriques. Le pont se décompose
en rectangles élémentaires qui se répètent et lui donne une grande puissance. La
répétition des lignes horizontales et verticales donne un rythme rigoureux à
l’image. Le spectateur a l’impression que le pont va dévorer la ville. Cette asso-
ciation du pont à une sorte de bouche monstrueuse est un code culturel. Le beffroi
qui apparaît à l’arrière-plan suggère le pouvoir, la ville traditionnelle.
86
2. Le titre de la photographie, Spirit of Dunkerque, peut d’abord désigner sym-
boliquement ce qui fait l’esprit de la ville de Dunkerque : une cité ancienne sym-
bolisée par son beffroi qui s’est développée grâce à l’industrie portuaire (l’énorme
pont évoque les docks, les containers…). La complémentarité des couleurs, l’har-
monie des formes géométriques invitent à cette lecture. Cependant, on peut aussi
interpréter cette image en y lisant la métaphore d’une ville en crise qui s’est vue
dévorer par une industrie aveugle et qui a perdu son âme : le beffroi est relégué
à l’arrière-plan, la forme du pont connote une industrie ancienne et monstrueuse.
Remarque. William Eggleston est aujourd’hui considéré comme l’un des maîtres
de la photographie couleur et, à ce titre, l’un des grands artistes du XXe siècle.
Exposé pour la première fois en 1976 au MoMA, à New York, il a ouvert la voie
à une nouvelle génération de photographes que le public, habitué au noir et blanc,
jugeait vulgaires et aux sujets banals.
Exercice 5BB
1. Les lignes de force du tableau de Chardin sont des lignes obliques qui mettent
en évidence le château de cartes. Une première oblique traverse le bras gauche
du jeune garçon. D’autres obliques correspondent à l’angle de la table et à ceux
du tiroir ouvert (dont l’ouverture invite le spectateur à entrer dans le tableau en
accompagnant son regard). Les lignes horizontales sont formées par le bras droit
et le plateau de la table. Les verticales des cartes qui apparaissent sur la droite
de l’image sont reprises avec le cadre de la table, le tiroir et le haut du bras droit :
elles donnent une impression de stabilité.
2. Le nombre d’or se situe à l’intersection d’une horizontale et d’une verticale
placée à un tiers des bords du tableau. Il correspond au château de cartes.
3. Le château de cartes est mis en évidence par le nombre d’or. Cela correspond
au titre du tableau et attire l’attention du spectateur sur la fragilité de l’édifice
dans la construction duquel le jeune garçon est absorbé.
4. Le bicorne et le costume que porte le jeune garçon disent son appartenance à
la bourgeoisie. Ses bras posés sur la table ainsi que son visage penché et fermé
suggèrent une intense concentration. Le château de cartes symbolise la fragilité.
Au-delà de l’instantané d’un simple amusement puéril, on peut voir, dans ce
Château de cartes, une résurgence, à une échelle plus domestique, du thème de
la Vanité, telle qu’elle était couramment pratiquée au XVIIe siècle : quoi de plus
menacé et éphémère, en effet, qu’un édifice fait de cartes, quoi de plus fugace que
l’enfance et ses jeux ? Le temps s’enfuit, semble nous dire Chardin, et seule
demeure la fragilité de nos existences.
Exercice 7BB
1. Les lignes de force qui dominent dans ces deux tableaux sont les courbes. Le
spectateur perçoit immédiatement les courbes formées par les corps des mois-
sonneurs endormis. Ces courbes sont relayées par les meules de foin, les serpes,
les sabots… Elles donnent aux tableaux un puissant mouvement de vague, créé
par de vigoureux coups de pinceau, qui berce les deux silhouettes endormies.
Elles se marient à la droite horizontale de l’horizon pour créer une impression de
douceur, de calme et d’harmonie. Les points forts sont les tâches claires qui cor-
respondent aux vêtements des dormeurs. Ils se situent à l’emplacement du nombre
d’or. Les peintres insistent ainsi sur le lien paisible du sommeil qui unit les mois-
sonneurs. Le regard du spectateur est ensuite attiré par l’arrière-plan très clair
qui magnifie la lumière du soleil sur les meules et exalte l’harmonie de la nature.
Les lignes de fuite qui convergent vers l’horizon et la lumière du soleil renforcent
cette impression de grande sérénité.
2. Les deux peintres jouent sur les codes chromatiques en privilégiant les cou-
leurs chaudes (jaune, rouge) qui créent une atmosphère apaisée. Les touches de
bleu, couleur froide, sont teintées de rouge et s’intègrent harmonieusement aux
couleurs chaudes. Le blanc de la tenue des dormeurs symbolise leur pureté, l’in-
nocence de leur repos. Les formes géométriques sont rares dans ces tableaux : les
différents éléments qui composent l’image – meules, dormeurs, charrette, bœufs…
– semblent s’intégrer les uns ou autres. Le code géométrique dominant est celui,
omniprésent, de la ligne courbe. Elle confère aux tableaux une grande fluidité
qui donne une puissante impression d’harmonie. Les sabots, la serpe, les meules
de foin sont des codes culturels qui renvoient immédiatement au travail agricole.
88
Ce travail est habituellement associé à la douleur, à la difficulté du travail phy-
sique. La représentation de la sieste déjoue cette assimilation du travail des champs
à une activité pénible et donne une vision bucolique de la scène. Les traits peu
individualisés des personnages, le fait qu’ils forment un couple, la tendresse qui
les lie, hors de toute connotation sexuelle, leur donnent une dimension univer-
selle. On peut lire dans ces tableaux une évocation d’un paradis perdu dans lequel
êtres humains, animaux et nature vivaient dans une sereine harmonie.
3. Les deux tableaux sont tellement proches qu’il est tentant de les inscrire dans
le même registre. Un examen attentif invite cependant à nuancer. Le tableau de
Jean-François Millet s’inscrit dans le registre réaliste : la scène représentée est
banale et quotidienne, la présence des corps est forte et les détails nombreux
(rendu des pieds meurtris, précision photographique des sabots et d’une partie
de la paille…). Le tableau de Van Gogh s’inscrit davantage dans le registre lyrique.
Le peintre juxtapose les couleurs pures par touches fragmentées et donne une
vision subjective de la scène en stylisant les meules ou en gommant les traits des
visages. Il cherche à faire partager au spectateur l’émotion qui naît de cette pai-
sible scène bucolique.
4. Le tableau de Van Gogh est, de manière évidente, un hommage à celui de
Millet, peint une vingtaine d’années plus tôt. Il l’a peint d’après une gravure de
Millet. Il en a repris le sujet, les figures, la composition, en orientant simplement
les personnages dans le sens inverse. Les deux toiles sont néanmoins profondé-
ment différentes puisque Millet donne plutôt une version réaliste de la scène tandis
que Van Gogh propose une vision marquée par la subjectivité. Le monde de la
campagne lui donne un sentiment de pérennité et renvoie à l’image biblique de
l’homme gagnant son pain à la sueur de son front.
Exercice 8B
1. Une distinction peut être effectuée entre les textes figurant dans les cartouches
jaunes et ceux qui apparaissent sous forme de phylactères. Les phylactères repren-
nent, au discours direct, les propos échangés par les protagonistes de l’action au
moment où elle se déroule. Dans les cartouches est retranscrit le discours d’un
narrateur, le photographe, qui revient sur son voyage en Afghanistan. À la manière
d’une voix off, ses propos tentent de restituer l’état d’esprit dans lequel il se trou-
vait au moment du voyage pour faire revivre au lecteur les événements tels qu’il
les a vécus. Ce système de narration est caractéristique du récit autobiographique.
2. Le dessin, permet de prendre du recul par rapport à l’action rapportée. Le
recours à un illustrateur contribue à donner à l’expérience personnelle d’un pho-
tographe qui accompagne une mission humanitaire en Afghanistan une dimen-
sion universelle qui est celle d’un Européen découvrant une culture dont il ignore
tout. Les photographies donnent une crédibilité aux faits rapportés : elles contri-
buent à renforcer le pacte autobiographique scellé entre l’auteur et le lecteur.
3. Cette planche de bande dessinée s’inscrit clairement dans le registre réaliste.
Les auteurs s’attachent à représenter le réel en évoquant le quotidien d’un repas.
L’action se déroule dans un espace domestique. La mention du plaisir pris à se
89
nourrir renvoie au registre réaliste qui attache une grande importance au corps
et à ses besoins physiologiques instinctifs. Les personnages sont des individus
ordinaires de milieu modeste puisqu’ils sont paysans. Ils sont animés par des moti-
vations élémentaires : se reposer après une longue marche ou se nourrir. La pré-
sence de noms tels que « Najmudin » ou « Bassir Khan » ancre la scène en
Afghanistan. Les photographies qui présentent en gros plan des objets fort simples
appuient la véracité du récit en jouant un rôle d’effet de réel.
Exercice 9BB
1. Les quatre vignettes de la planche de Joann Sfar sont dominées par les lignes
courbes qui correspondent aux corps des musiciens et des danseurs ou à leurs
vêtements. Les phylactères eux-mêmes s’inscrivent dans des lignes courbes. Les
couleurs dominantes sont le blanc, le bleu et le rouge-orangé. L’utilisation des
deux couleurs complémentaires que sont le bleu et le rouge contribue à rendre
les vignettes harmonieuses. L’harmonie entre les danseurs et les musiciens est sug-
gérée par l’utilisation de couleurs aquarellées identiques pour les deux groupes.
L’omniprésence des courbes donne l’impression que danseurs et musiciens forment
un seul corps habité par la musique, qui apparaît sous forme d’onomatopées dans
les phylactères servant de fil conducteur à la planche.
2. Cette suite d’images s’inscrit dans le registre lyrique. Joann Sfar vise à faire
partager au lecteur l’émotion qui naît de la musique : les corps se mêlent et s’aban-
donnent aux rythmes. Le dessin n’est pas réaliste. La salle dans laquelle dansent
les personnages est simplement suggérée. Les fenêtres sont de guingois, comme
si elles étaient elles-mêmes en train de danser. Les personnages ne sont pas indi-
vidualisés et ne forment qu’un seul corps décliné en plusieurs postures. L’utilisation
des couleurs privilégie l’harmonie des complémentaires plutôt que la reproduc-
tion du réel. Le dessinateur tente de donner un équivalent plastique des multiples
sensations que l’on peut éprouver en dansant.
Exercice 10BB
1. La Tempête de Vernet peut être qualifiée d’image narrative car l’image à elle
seule suggère une histoire. Le spectateur peut reconstituer les événements en asso-
ciant différents détails du tableau. L’histoire racontée dans le tableau se lit d’abord
de l’arrière-plan au premier plan. L’arrière-plan montre un ciel et une mer déchaî-
nés. Un deuxième plan, plus proche, présente un bateau fortement incliné qu’on
devine être victime de la tempête. Au premier plan, apparaissent des êtres humains
que leur attitude (bras implorants, corps épuisés) permet d’assimiler à des nau-
fragés. Sur la droite du tableau, au premier plan, on remarque deux embarca-
tions et des individus qui se dirigent vers les naufragés. Le spectateur, respectant
le sens de lecture occidental, peut donc reconstituer l’histoire. Un bateau pris dans
une violente tempête a fait naufrage. Des naufragés ont pu s’échapper du navire
en détresse et attendent des secours. Des sauveteurs vont leur venir en aide.
2. Diderot écrit un vif éloge de cette toile. Des termes tels que « bel ensemble »
(l. 1), « harmonieux » (l. 2), « sans effort et sans apprêt » (l. 3 et 4), « beaux »
90
(l. 6), « pittoresque » (l. 7), « vraies, agissantes, naturelles, vivantes ; comme elles
intéressent » (l. 9-10), « la force » (l. 11), « la vérité » (l. 13-14) soulignent l’en-
thousiasme de l’écrivain.
3. Le jugement de Denis Diderot, « tout est harmonieux », se justifie d’abord par
la construction de l’image qui multiplie les effets d’harmonie. Le tableau se divise
verticalement en deux parties : le ciel qui occupe les deux tiers de la surface et la
côte qui apparaît sur le tiers inférieur. Le nombre d’or correspond au navire en
détresse. Le tableau est dominé par des lignes horizontales (horizon, nuages) qui
suggèrent un calme inattendu pour une scène de tempête. Les verticales qui appa-
raissent avec la tour à gauche et le haut rocher à droite forment une sorte de cadre
qui ralentit le regard et donne de la hauteur à la scène. La perturbation créée par
la tempête se lit dans les diagonales parallèles : celles des bateaux à droite et, à
gauche de l’image, celles des bras des naufragés. Cette composition contribue à
donner à la tempête une dimension extraordinaire : au-delà de la péripétie, ce
tableau suggère la modestie de l’homme face aux forces éternelles de la nature.
L’harmonie apparaît également dans le camaïeu des couleurs chaudes et sombres
qui parcourt toute la gamme chromatique entre le jaune et le marron.
4. En concluant que « le fond est privé de lumière et le devant éclairé », Diderot
insiste sur une spécificité de ce tableau. En effet, la peinture classique privilégie
l’éclairage venant de l’arrière-plan (le soleil se situe habituellement derrière l’ho-
rizon). Vernet a choisi d’éclairer les personnages du premier plan par quelques
rayons de soleil, que l’on voit poindre dans le coin supérieur droit du tableau. Il
met ainsi en relation les hommes et la nature, et invite le spectateur à porter son
attention sur le sort des naufragés et à partager leur détresse.
Exercice 11BBB
1. Les lignes de force horizontales donnent une impression de calme : tous les per-
sonnages sont absorbés par leurs sens. Elles permettent aussi d’approfondir l’image
en lui donnant une grande profondeur de champ. Le tableau comporte de nom-
breux plans : les courtisanes, le fils prodigue, deux personnages sur un pont et la
91
ville de Paris (identifiable grâce à la cathédrale Notre-Dame). Les lignes courbes
unissent les différents groupes de personnages du premier plan, qui symbolisent
chacun un sens. Les deux diagonales qui dominent le tableau lui donnent un grand
dynamisme et en unifient les différents éléments.
2. Les points forts de L’Enfant prodigue sont les masses claires qui attirent l’at-
tention du lecteur sur les différents sens représentés. À droite et à gauche du
tableau, la main d’un personnage et la gorge d’une femme évoquent le toucher.
La table portant des fruits ainsi qu’une main tenant une pomme correspondent
au goût. L’ouïe est mise en valeur par la clarté du luth, des partitions et des visages
des musiciennes. L’odorat apparaît avec les deux personnages de droite dont une
même masse claire réunit les nez. Enfin, la partition sur la table, le regard des
musiciens, la femme debout mise en évidence sur le fond clair, renvoient à la vue
puisqu’elle surplombe la scène.
3. Les lignes de fuite convergent vers la cathédrale Notre-Dame en reliant cour-
tisanes, fils prodigue et édifice religieux. Elles mettent en évidence l’épisode reli-
gieux qu’évoque ce tableau : la parabole du fils prodigue.
4. Le peintre use des codes chromatiques pour mettre en évidence les figures du
premier plan et la ville de Paris qui apparaît en arrière-plan. Les figures sont bros-
sées dans des dominantes de bleu et de rouge, deux couleurs complémentaires,
qui alternent. Cela donne une unité au groupe. La ville de Paris est représentée
par une gamme de gris qui donne l’impression qu’elle est lointaine et lui donne
le statut d’une sorte de décor. Les formes géométriques dominantes sont des
courbes qui rythment le tableau : elles contribuent à souligner l’harmonie des sens
symbolisés par les différentes courtisanes. Ce tableau joue fortement des codes
culturels. Nous pouvons y lire une allégorie des cinq sens avec, de gauche à droite,
le toucher, le goût, l’ouïe, la vue et l’odorat. Le titre et la scène renvoient à l’une
des paraboles les plus connues de l’Évangile selon Luc du Nouveau Testament :
le fils prodigue qui retourne à la maison après avoir gaspillé sa fortune. L’histoire
met en parallèle deux personnages visibles de profil dans la partie droite du
tableau. Le fils aîné, qui respecte les règles, et le fils plus jeune (le prodigue), qui
va à la découverte du monde, sans respecter les commandements de son père. Ce
père, tout à sa joie de le retrouver vivant, lui pardonne son inconduite à travers
le banquet. Le tableau suggère que le fils prodigue retrouve le chemin de la foi
(la cathédrale) et du respect.
5. Ce tableau s’inscrit dans le registre pathétique. Sa composition très rigoureuse,
le choix d’une palette de couleurs sombres et la référence à une scène biblique
traduisent la volonté du peintre de susciter la compassion par rapport au destin
du fils prodigue. Il s’agit aussi de favoriser la médiation autour de la célèbre para-
bole du Nouveau Testament.
Exercice 12BB
1. Robert Rauschenberg détourne un des tableaux les plus célèbres du monde :
La Joconde (ou Portrait de Mona Lisa), peinte par Léonard de Vinci entre 1503
et 1507, et titrée ici Pneumonia Lisa.
92
2. Le rythme est marqué par la répétition à quatre reprises du motif original
qu’est le Portrait de Mona Lisa, qui est repris toujours dans le même format. Le
tableau fait penser à une série d’affiches collées sur les murs qui auraient été macu-
lées, lacérées et dégradées de manières différentes.
3. La Joconde est une des œuvres d’art les plus connues du monde et constitue
en tant que tel une icône populaire. Elle marque l’aboutissement des recherches
du XVe siècle sur le portrait. Elle fascine les artistes de l’époque romantique qui
contribuent à faire grandir sa légende. L’artiste désacralise La Joconde en cou-
vrant la toile de larges touches de peinture. Sa démarche est représentative du
pop art, mouvement artistique né dans les années 1950 aux États-Unis et en
Grande-Bretagne, qui se caractérise par le réemploi d’images préexistantes, en
particulier d’images de masse pour interroger sur la place de l’artiste et de l’art
dans une civilisation dans laquelle l’image est omniprésente. Il rappelle qu’avant
d’être un signe universellement reconnu, La Joconde est un tableau.
4. Le registre dans lequel s’inscrit ce tableau est celui du comique. Robert
Rauschenberg détourne une image très célèbre en la désacralisant à grands coups
de pinceau. Cela fait sourire le lecteur habitué à une grande révérence envers les
arts. On peut aussi y lire une manière amusante pour le peintre du XXe siècle de
se confronter à un autre peintre du XVIe siècle.
Exercice 15BB
1. Les détails du texte de Claude Esteban qui renvoient à la solitude de la jeune
femme sont les suivants : « Elle s’ennuie » (l. 1), « Elle a eu tout le temps » (l. 1),
« Elle a le temps » (l. 5-6), « Elle semble un peu lasse, ou peut-être s’ennuie-t-elle »
(l. 10-11), « On dirait qu’elle boit sa tasse de café sans plaisir, juste pour attendre »
(l. 17-18), « Elle leur tourne le dos, elle ne les voit pas » (l. 35-37).
2. Le texte s’appuie d’abord sur la tasse à café (l. 1 à 10) pour évoquer par méto-
nymie les établissements dans lesquels on consomme rapidement un café. Claude
Esteban interprète son allure et la posture de son corps : « Elle a dix-huit ans,
vingt ans au plus. C’est une femme assez grande. […] des bas clairs» (l. 12 à 16).
L’auteur s’appuie alors sur le décor pour nourrir son développement personnel :
« grande table ronde » (l. 19), « table de bois noir » (l. 20), « grande baie de verre »
(l. 27-28). Il émet des hypothèses : « Mais sans doute n’est-ce pas » (l. 21-22) à
partir de détails. La fin du texte s’attache à interpréter ce qui apparaît d’abord
comme étant un bouquet de roses (l. 28-29) avant d’être identifié comme un com-
potier (l. 33).
95
3. Claude Esteban continue son texte de la manière suivante :
« On dirait qu’elle attend quelque chose, elle ne sait pas quoi. En face d’elle, une
chaise de bois noir, lisse, impeccable. Elle est juste contre la table et personne,
évidemment, ne va s’y asseoir. Mais cette jeune fille songeuse n’est là que pour
un moment. Sa tête est prise dans un chapeau à la mode, avec une large coiffe et
des bords rabattus qui lui cachent les cheveux. Ses sourcils semblent suggérer
qu’elle est brune, mais elle a le teint clair, les joues roses comme une paysanne.
Sa main gauche est gantée. Elle a libéré l’autre main pour saisir la tasse. On
n’aperçoit pas le gant de la main droite. Peut-être l’a-t-elle glissé dans son sac
pour ne pas l’oublier. Son manteau est en velours vert avec des parements de four-
rure autour du coup et au bas des manches. C’est une jeune fille très sage et, natu-
rellement, elle regrette d’être assise là, à une table où n’importe qui peut venir lui
parler. Son manteau ne dissimule pas tout à fait le décolleté de sa robe rouge. Il
s’est ouvert un peu quand elle s’est assise, et l’on découvre un buste très clair, très
blanc, juvénile. Elle pense d’une façon appliquée, presque comme une étudiante,
à ce qu’elle doit faire. Elle est trop maquillée, pourtant. C’est, peut-être, une jeune
femme qui veut se faire engager dans une grosse maison de commerce. Elle s’est
maquillée plus que d’ordinaire, et cela lui déplaît. Elle est très pudique. Peut-être
qu’elle vient d’une petite ville, et qu’elle est habillée comme à New York ou à
Chicago, pour qu’on ne remarque pas, en la regardant, ses origines provinciales. »
EXO-BAC
(PAGE 103)
Écriture
Cette photographie d’Alex Majoli est parfaite. Sa composition très rigoureuse
la rapproche de la peinture. Les lignes de force verticales soulignent la barrière
qui sépare jeunes filles et jeunes garçons. Pourtant, les diagonales suggèrent la
tentative de rencontre, lui donnent une grande dynamique. L’axe de symétrie
96
qui divise l’image en deux présente la scène et son reflet. Les questions posées
par la manière d’aborder l’autre, qui sont si importantes à l’adolescence, concer-
nent les filles comme les garçons. Aucun des deux protagonistes de la scène n’est
plus à l’aise que l’autre. Ce n’est ni un instant décisif, ni une photo volée. Le
photographe n’apparaît pas dans le reflet du miroir. Il s’est tenu hors champ
pour laisser à cette scène son intimité.
La scène est publique puisqu’elle se déroule dans un magasin, mais aussi privée
en se situant dans ce qu’on devine être une cabine d’essayage. Il y a un jeune
garçon et une jeune fille, et toujours la même histoire de séduction. On s’ob-
serve. Le garçon est debout, dominant de toute sa taille la jeune fille assise. Cela
lui donne peut-être un peu de l’assurance qui lui manque. Leurs regards fusion-
nent dans une diagonale. Leurs sourires éclatants disent leur volonté de séduire,
de nouer une relation heureuse.
Alex Majoli, jeune photographe de l’agence Magnum, célèbre pour ses repor-
tages à travers le monde, montre aussi son immense talent dans le quotidien.
On peut réaliser de grandes photos à côté de chez soi. Il regarde ces adolescents
avec empathie. On devine que lui-même ne doit pas être très âgé. Comme Marion
Poussier avec sa photographie prise au cours d’une colonie de vacances à Saint-
Jean-du-Doigt, Alex Majoli part de l’anecdote, d’une banale scène entre deux
adolescents, pour lui donner une dimension universelle. Cette scène d’approche
maladroite apparaît dans toute sa fraîcheur. Dans ces domaines, l’expérience
aide peu. Les films, les livres, les peintures ont interrogé depuis des siècles les
mystères de la séduction. Pourtant, cela n’est d’aucun secours quand il s’agit de
vivre ses premiers émois, de se lancer à son tour dans la rencontre bouleversante
de l’autre. Les photographies d’Alex Majoli et de Marion Poussier rendent avec
simplicité l’entrée dans le monde adulte.
97
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 104-105)
EXERCICES
(PAGES 110 à 115)
Exercice 2BB
1. Le décor qui doit figurer dans la séquence est celui d’un « club de jazz »,
« confortable à la lumière tamisée » (l. 1-2). « Un photophore » (l. 8), « un verre
de vin blanc » (l. 8) et un verre de « Perrier » (l. 9) sont les accessoires indispen-
sables. La musique de jazz est celle d’« un groupe qui laisse sa place à un autre
sur la petite scène » (l. 3-4). Deux personnages sont à l’écran : la commissaire
Vaudieu et le juge Clermont.
2. Vaudieu est une « commissaire de retour dans son service après avoir vaincu
son alcoolisme » (l. 5-6), même si elle risque toujours la rechute : « Ça l’est tou-
jours. Surtout à cette heure-là dans les endroits comme ça » (l. 21-22). Elle est
encore jolie : « t’es encore pas mal » (l. 16). Elle a rompu avec un passé marqué
par l’alcool et les nuits blanches (l. 26-30). Elle fait allusion à la perte d’un être
cher (sans doute un enfant) et à la douleur qu’elle ressent toujours : « J’imagine
souvent les choses que j’aurais pu faire avec lui. Il aurait l’âge de mon petit lieu-
tenant » (l. 32-34). Elle est intime du juge puisqu’elle le tutoie (l. 18) et qu’il
connaît son alcoolisme : « Ça a été dur d’arrêter ? » (l. 20). Ils ont probablement
souvent travaillé ensemble.
Clermont est un juge un peu las de son travail : « J’ai dû signer 1 000 commis-
sions rogatoires […] l’idée de faire ça pendant encore dix ans me fout la trouille »
(l. 10-14). Comme il se situe à dix ans de la retraite, nous pouvons estimer son
âge à cinquante-cinq ans. Son caractère est marqué par la générosité et la sym-
pathie : il cherche à comprendre les sentiments éprouvés par Vaudieu.
3. Un plan d’ensemble permettrait de situer la scène dans son contexte : deux
personnes dans un club de jazz. Un plan moyen attirerait l’attention sur les deux
personnages principaux attablés. On pourrait ensuite tourner cette séquence en
privilégiant les plans rapprochés et les gros plans afin de souligner les réactions
et les émotions des personnages. Cela conviendrait pour cette scène psycholo-
gique.
Exercice 5
1. Le champ du premier photogramme représente le visage tourné d’une femme
en gros plan. À l’arrière-plan, on aperçoit une maison et son jardin. Le champ
du second photogramme montre des corbeaux perchés en grand nombre sur une
structure en bois. À l’arrière-plan, des corbeaux sont juchés sur une sorte de tour.
2. Le spectateur est incité à suivre le regard de l’héroïne. Son visage tendu et
l’inquiétude qui se lit dans son regard suggèrent qu’elle voit quelque chose qui
l’effraie. Le spectateur ne peut voir ce qu’elle voit et cela crée une tension confir-
mée par le plan suivant, qui présente des corbeaux ayant envahi tout l’espace.
Exercice 7BB
1. Cette séquence de film comporte toutes les caractéristiques d’une scène d’ex-
position telle qu’on peut en trouver au théâtre. Le lieu de l’action est précisément
situé : dans un appartement à Barcelone : « les volets sont entrebâillés, et il y a
une sorte de pénombre caractéristique des pays chauds » (l. 3-4), « Soledad est
espagnole, c’est la seule à être d’ici » (l. 21). Le héros, Xavier, rencontre pour la
première fois les personnages qui joueront un rôle majeur dans le film. Ils sont
présentés au spectateur d’une manière qui semble naturelle. C’est ainsi une
réplique d’Alessandro (lui-même nommé par Tobias à la ligne 32) qui permet au
spectateur d’identifier les divers protagonistes : « Je suis italien, Tobias est alle-
mand, Wendy est anglaise, Lars est danois et Soledad est espagnole… » (l. 19 à
21). Chacun des personnages est caractérisé. Tobias est soucieux de tester le
nouveau locataire. Il pose des questions précises qu’il a listées. Cela montre qu’il
est très ordonné, soucieux de prendre la direction des opérations. Wendy s’ex-
cuse pour cet interrogatoire, qu’elle juge ridicule. Elle apparaît comme attentive
aux autres. Alessandro n’est pas d’accord avec les autres mais se range facilement
à leur avis. Il est conciliant. Soledad ne participe pas vraiment à la conversation.
Elle semble d’un naturel enjoué. Lars parle peu. Ce personnage, qui semble conci-
liant et juste, se comporte en observateur. Le spectateur dispose ainsi très rapi-
dement des informations qu’il attend dans une exposition : identification des lieux
et personnages, début d’une intrigue (Xavier va-t-il être accepté comme locataire ?
Comment cette petite communauté va-t-elle évoluer ?).
2. Pour situer la scène, on peut recourir à un plan d’ensemble montrant l’ap-
partement et ses occupants. L’image pourrait ensuite présenter une alternance de
plans rapprochés et de gros plans s’attachant aux personnages qui s’expriment
afin de les individualiser et de montrer leurs émotions. L’angle de vue pourrait
être une légère contre-plongée pour suggérer que ces locataires fascinent le
nouveau venu.
3. La caméra subjective, adoptant le point de vue de Xavier, semble préférable.
Le spectateur découvre les locataires à travers le regard du jeune homme qui les
rencontre pour la première fois. Cela rendrait la scène vraisemblable. D’autre
part, le spectateur pourrait s’identifier à Xavier et se sentir impliqué dans le film.
103
Exercice 8BB
1. Les plans 43-2 sont perçus du point de vue d’Amélie qui découvre Nino près
d’un photomaton ; les plans 43-3 sont perçus par Nino qui regarde dans la direc-
tion d’Amélie. Le plan 43-4 est à nouveau du point de vue d’Amélie, comme le
43-5. Cette alternance donne du rythme à la scène et permet de comprendre que
les personnages sont fascinés l’un par l’autre, qu’ils éprouvent un coup de foudre.
2. Le rythme de l’action s’accélère à partir du plan 43-4, qui correspond au
moment où Nino se met à courir. Dans les plans précédents, le cinéaste usait des
champs/contrechamps. À partir du plan 43-4, la caméra suit l’action grâce au
travelling ou à un demi-tour. Elle accompagne la course du personnage et accé-
lère donc le rythme du film.
3. Le cinéaste utilise les gros plans (images 1, 4, 5, 6, 7 et 11), le plan rapproché
(images 3 et 9), le plan américain (image 8), le plan d’ensemble (image 10) et le
plan moyen (image 2). Le type de plan dominant est donc le gros plan, qui met
l’accent sur les détails ou les visages. Ce choix contribue à émouvoir en insistant
sur les émotions ressenties par les personnages. Cette volonté d’insister sur les
émotions, très présente, par exemple, dans l’image 6, qui s’éloigne du réalisme
pour montrer le cœur d’Amélie battre en transparence dans sa poitrine, inscrit la
scène dans le registre lyrique. Il s’agit de faire partager l’émoi amoureux ressenti
par les deux personnages qui se rencontrent pour la première fois.
Exercice 9BBB
1. Antoine Doisnel, un jeune garçon, flâne avec un ami dans les rues de Paris. Ils
font l’école buissonnière. Au détour d’une rue, Antoine reconnaît sa mère qui est
en train d’embrasser son amant. Il est stupéfait et décide de cacher ce qu’il a vu
à son ami. Ils s’éloignent de la scène.Cette scène s’inscrit dans le registre réaliste
puisqu’elle se déroule dans des lieux quotidiens (rues parisiennes) avec des per-
sonnages ordinaires et qu’elle relève du temps de l’intime.
2. Le plan général revient à deux reprises : les plans 1 et 2 permettent de com-
prendre qu’Antoine et son ami déambulent dans les rues de Paris. Les plans 3
puis 4 d’ensemble montrent un couple s’embrassant près d’une bouche de métro.
Ces quatre plans permettent de situer l’action et de préparer la rencontre. Les
plans rapprochés qui montrent alternativement le couple d’amants et le couple
d’adolescents ont pour fonction de faire partager au spectateur les réactions des
deux partis. Quatre gros plans (photogrammes 5, 7, 9 et 12) insistent sur le
baiser et la réaction de la mère : ces moments sont mis en évidence car ce sont
les plus importants de la séquence. Le plan américain qui conclut la séquence
suggère que les deux adolescents sont en train de s’éloigner.
3. Les plans 4, 5, 7, 9, 11 et 12 sont perçus du point de vue d’Antoine tandis que
les plans 8, 10 et 13 le sont du point de vue de la mère. Le spectateur comprend
que les deux personnages se sont vus. Antoine a reconnu sa mère avant que celle-
ci ne s’en aperçoive : le spectateur peut alternativement emprunter le point de vue
de chaque protagoniste et mesurer l’intensité de la scène.
104
4. François Truffaut révèle les sentiments des personnages à travers leurs regards
et leurs gestes. Les plans sur lesquels ils apparaissent soulignent la complicité qui
unit Antoine et son ami puisque leurs corps sont toujours montrés côte à côte.
La mère et l’amant sont d’abord éloignés (plan 3), puis ils se rapprochent étroi-
tement (plans 4, 5, 7, 9 et 11). Le plan 12 montre qu’une distance s’est instaurée
entre eux une fois qu’ils ont été surpris. La stupéfaction ressentie par Antoine se
lit à travers son regard dans les plans 6, 8 et 10 tandis que celui de son ami, qui
tourne son regard vers Antoine plus que vers la mère, montre qu’il ne comprend
pas vraiment la scène. La mère ne voit pas dans un premier temps (plan 5) ; un
coup d’œil de côté lui fait mesurer qu’elle se trouve prise en flagrant délit (plan
7) tandis que le plan 11 traduit son désarroi. L’amant, quant à lui, n’a d’yeux que
pour la mère : il en est sans doute très amoureux.
5. Éléments de réponse : Une scène célèbre du film de François Truffaut, Les 400
Coups, montre le héros du film, Antoine Doisnel, surprendre sa mère dans les
bras d’un amant dans les rues de Paris. Les deux personnages sont en situation
gênante puisqu’Antoine devrait être à l’école tandis que sa mère est censée tra-
vailler. Pour donner à cette rencontre toute son intensité dramatique, le cinéaste
recourt à divers procédés cinématographiques. Deux plans d’ensemble, qui mon-
trent d’abord Antoine et son ami, puis la mère et son amant, situent la scène dans
les rues de Paris. Un travelling avant sur le couple en train de s’embrasser permet
au spectateur de comprendre que c’est de la mère d’Antoine qu’il s’agit. Le plan
suivant, avec Antoine et son ami en train de regarder le couple, montre que le
spectateur a découvert la scène en même temps que les deux jeunes gens. Un gros
plan sur le couple souligne le regard de la mère qui vient de réaliser qu’elle a été
surprise. Pour souligner les émotions des deux personnages, le cinéaste alterne
les gros plans qui adoptent alternativement les deux points de vue. Deux plans
finals sur les personnages vus de dos suggèrent qu’ils décident de s’ignorer et de
taire cette rencontre aussi gênante pour l’un que pour l’autre. Dans cette séquence
au rythme très rapide, le cinéaste parvient, sans recourir à la parole, à faire par-
tager la gravité du moment en suggérant finement les réactions de chacun des
personnages : profonde gêne de la mère, irritation de l’amant, incompréhension
de l’ami d’Antoine, stupéfaction d’Antoine.
Exercice 11BB
1. Comme le titre du documentaire l’indique, Agnès Varda aborde le thème des
glaneurs, c’est-à-dire ceux qui ramassent les produits restés au sol après la récolte.
Cela lui permet d’aborder le thème du gaspillage et de la pauvreté dans nos riches
sociétés et aussi de s’attarder sur la beauté des produits naturels.
2. La subjectivité se repère d’abord dans le choix de ce qui est montré : Agnès
Varda a choisi un glaneur qu’elle filme et donne à entendre. Elle est touchée par
une pomme de terre en forme de cœur et abandonne les glaneurs pour se montrer
elle-même en train de ramasser la pomme de terre puis se filmer chez elle. Elle a
alors l’idée d’organiser une récolte de pommes de terre rejetées et pense aux Restos
du cœur. Le lien entre les séquences de ce documentaire repose donc entièrement
sur la subjectivité de son auteur. Dans l’image, cette subjectivité se marque par
le fait qu’elle se montre, filme son propre corps et révèle l’intérieur de son domi-
cile en utilisant la caméra comme son œil. La multiplication des plans rappro-
chés et des gros plans souligne cette subjectivité. Dans la bande-son, elle apparaît
à travers la voix off de la réalisatrice. Le point de vue sur la réalité défendu dans
ce documentaire est explicitement subjectif : l’auteur suit sa sensibilité et le fil de
ses idées pour présenter ses réflexions sur la pauvreté, la relation à la nature ou
le gaspillage à notre époque.
3. La voix d’un glaneur utilisée dans les plans 1 et 2 crée un effet de réel. Le
documentaire part de la réalité et se rapproche en cela du reportage. La voix
off d’Agnès Varda souligne la subjectivité du film. Elle se met en scène, plans
3,4 et 5 – « Je les ai filmées de près et j’ai filmé d’une main mon autre main » –,
contrairement au journaliste qui s’efface de son propos. Elle fait partager au
spectateur le cheminement intellectuel et sensible qui a été le sien pour construire
le documentaire : « Une idée m’est passée par la tête », plan 7. Nous pouvons
enfin noter, plan 6, l’utilisation d’une musique douce qui suggère l’émotion
esthétique ressentie à la vision de la pomme de terre en forme de cœur.
EXO-BAC
(PAGE 115)
Lecture
1. Le scénario de Claude Chabrol reprend scrupuleusement les indications
données dans le roman de Flaubert. Il situe la scène dans la maison des Rouault
(nom de jeune fille d’Emma), respecte la mention de l’armoire dans laquelle se
trouve « la bouteille de curaçao et deux verres ». Flaubert écrit qu’Emma « alla
106
chercher dans l’armoire », qu’elle emplit un verre « jusqu’au bord » et « versa à
peine dans l’autre » : le cinéaste suit exactement ce déroulement. Le romancier
donne des indications très précises sur les mouvements d’Emma qui boit : « elle
se renversait pour boire et, la tête en arrière, les lèvres avancées, le cou tendu, elle
riait de ne rien sentir, tandis que le bout de sa langue, passant entre ses dents fines,
léchait à petits cous le fond du verre ». Le scénario comporte les mêmes indica-
tions à l’exception de la précision « elle riait de ne rien sentir » qui n’est pas direc-
tement filmable. Claude Chabrol modifie légèrement le dialogue écrit par Flaubert
en transformant le discours indirect en discours direct (« elle lui proposa de boire
quelque chose » devient « Vous allez bien boire quelque chose ? ») et en le déve-
loppant.
2. En adaptant Madame Bovary, Claude Chabrol tentait l’impossible puisqu’il
avoue lui-même que « la perfection du livre rend son adaptation impossible ». Il
a donc pris le parti de la fidélité absolue au roman sans rien y ajouter : « J’ai tout
pris dans le roman. Pas une phrase qui ne soit pas de Flaubert. » La confronta-
tion du scénario et du roman montre que Chabrol a atteint son objectif puisqu’il
reprend scrupuleusement les moindres détails donnés par le romancier. Il a cepen-
dant dû adapter le roman aux contraintes du cinéma : un dialogue qui peut être
rapidement résumé à l’écrit doit être entièrement rédigé pour le grand écran.
Écriture
Elle se rassied et reprend son ouvrage, un bas de coton où elle fait des reprises.
Un silence s’établit que Charles ne rompt pas. Emma se rafraîchit les joues en y
appliquant la paume de sa main.
EMMA. – Depuis un mois, de temps en temps, j’ai des étourdissements.
CHARLES. – Oh !
EMMA. – Pensez-vous que les bains de mer me feraient du bien ?
CHARLES. – Les bains de mer ? Euh ! oui… C’est bon pour les étourdissements.
EMMA. – Je me souviens que quand j’étais au couvent, j’avais déjà des étourdis-
sements. Et vous avez raison, les bains de mer le dimanche les calmaient.
CHARLES. – Vous avez étudié… euh… au couvent ?
EMMA. – Oui. Cela n’a pas toujours été très facile mais j’y ai acquis de solides
bases. C’est là que j’ai appris à repriser le coton !
CHARLES. – Ah… Oui. Le coton. Cela ne faisait pas partie de mes matières au
collège…
107
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION
CHAPITRE
10 Le travail de l’écriture
(PAGES 116 à 127)
OBSERVATION
(PAGES 116-117)
Introduction
On trouve dans Le Horla la trace des préoccupations de Maupassant au moment
où il écrit la nouvelle : de 1884 à 1886, l’écrivain a suivi les cours de Charcot sur
l’hystérie et sur l’hypnose.
Deux versions successives furent rédigées. La première parut en octobre 1886
dans le Gil Blas ; la seconde, trois fois plus longue, parut en recueil l’année sui-
vante. Dans la première version, le docteur Marrande convoque l’un de ses
patients devant une assemblée d’aliénistes afin qu’il leur raconte les troubles dont
il est victime. Dans la seconde version, le récit se présente sous la forme d’un
journal intime, dont la première page est datée du 8 mai, jour anniversaire de la
mort de Gustave Flaubert.
109
À sa parution, la nouvelle laissa croire à la folie de Maupassant, tant les pages
qu’elle contient paraissaient, à travers leur violence et leur intensité, témoigner
d’une expérience vécue par l’auteur.
EXERCICES
(PAGES 121 à 126)
Remarque. Ce sont tout particulièrement les recherches menées sur les écrivains
réalistes-naturalistes, qui ont permis et suscité le développement des études géné-
tiques. Le travail préparatoire fait pleinement partie de la conception que l’écri-
vain se fait de l’œuvre littéraire. Pour inscrire le réel dans le texte, il faut se
documenter, se rendre sur les lieux où se déroule l’action du roman. L’écrivain
manifeste par ses carnets une proximité avec la réalité, qui est le gage de l’œuvre
à venir.
112
Exercice 2B
1. Les caractéristiques de l’ébauche :
– utilisation du conditionnel présent (« il serait », l. 1) ;
– les abréviations (« ds », l. 2 ; « tt », l. 4) ;
– les répétitions (« et il y aurait », l. 1 et 4) ;
– les corrections (« son » existence Þ « sa vie tout entière » ; « pos » pour
« posés » Þ « rassemblés »).
2. Le thème suggéré par l’ébauche est celui du peintre et de l’autoportrait.
Exercice 3BB
1. Marguerite Yourcenar choisit la vie de l’empereur Hadrien pour son roman.
Ce choix correspond à celui d’« une vie connue, fixée par l’Histoire » : il s’agit
d’un être réel, dont l’existence est ancrée dans un cadre spatio-temporel bien
défini, qu’il s’agira de reconstituer.
2. Pour « faire en sorte qu’il se trouve dans la même position que nous », Margue-
rite Yourcenar place son personnage devant la mort : c’est le sens de la première
page du roman, qui détermine l’ensemble du récit à venir, un récit rétrospectif
qui justifie l’appellation de Mémoires.
Exercice 5BB
1. Balzac, dans cette lettre à madame Hanska datée du 18 octobre 1834 (texte
B), explique les raisons pour lesquelles il s’est documenté avant de rédiger La
Recherche de l’Absolu (texte A) : « laisser le livre vrai scientifiquement » (l. 2-3).
Cette démarche témoigne d’un souci de réalisme de la part de l’auteur qui veille
cependant à « ne pas ennuyer de chimie les froids lecteurs de France en faisant
un livre dont l’intérêt se base sur la chimie » (l. 6-8).
2. Le réseau lexical dominant dans le premier texte est celui de la chimie : « eau
distillée », « soufre », « substances », « analyse », « potasse », « chaux », etc. Sa
présence se justifie par la volonté de l’auteur d’inscrire son œuvre dans le registre
réaliste.
113
Étudier un plan
Exercice 6BB
1. L’auteur met en valeur les éléments importants de son futur récit en les souli-
gnant dans le plan qu’il en établit. Les passages soulignés correspondent aux
futures scènes de son roman (« Ils le soignent ») ou aux détails importants dans
la progression de l’intrigue (« se tutoient »). Chacune des entrées du second plan
correspond, dans l’esprit de l’auteur, à une étape – passage à dominante narra-
tive, descriptive ou dialoguée – du futur récit : 1. description ; 2. narration ;
3. narration ; 4. description ; 5. description ; 6. narration ; 7. narration et dia-
logue ; 8. narration et dialogue ; 9. narration ; 10. narration et dialogue ; 11. dia-
logue ; 12. narration.
2. et 3. Certaines idées du premier plan sont abandonnées dans le second : elles
seront développées dans la suite du récit et feront l’objet d’autres chapitres (les
pillards, les paniques, etc.). On peut expliquer cette évolution par une volonté
d’amplification : la mort du petit garçon est suivie dans le second plan par la mort
symbolique du médecin ; l’épisode se termine avec l’arrivée des soldats qui veulent
placer le héros en quarantaine.
Remarque. On voit là combien l’évolution d’un plan peut être importante : le
récit est sans cesse en construction, et il peut être intéressant de lire avec la classe
le passage correspondant dans le roman (chapitre 2), afin de constater que de
nouvelles évolutions se sont produites, entre la rédaction du second plan et la
rédaction définitive du récit.
Caractériser le titre
Exercice 8BB Vers l’oral
1. La thématique évoquée par les différents titres envisagés est celle du double,
évoquée explicitement (« Deux frères », « Le Bien et le Mal ») ou non (« Ombre »,
« Les Thibault »).
2. Le dernier titre se donne comme ambition de faire le portrait d’une famille,
comme Zola l’a fait auparavant pour les Rougon-Macquart. Mais l’objectif de
Martin du Gard n’est pas, comme celui de Zola, de mettre en évidence les consé-
quences de l’hérédité et du milieu sur les personnages ; elle est de montrer l’évo-
lution des personnages face à l’éducation et surtout à l’Histoire.
3. Roger Martin du Gard envisage plusieurs titres pour le roman qu’il intitulera
finalement Les Thibault. Des quatre titres initialement envisagés, trois sont infor-
matifs : Le Bien et le Mal renseigne le lecteur sur le contenu thématique du roman ;
Deux frères et Les Thibault donnent des indications sur les personnages. Le qua-
trième titre envisagé, Ombre, possède une autre fonction : il cherche à séduire le
lecteur en l’intriguant sur le contenu du roman. Le titre finalement choisi se donne
pour ambition de faire le portrait d’une famille, inscrivant par la même occasion
le roman dans le registre réaliste (le lecteur perçoit d’emblée la proximité avec
Zola).
Exercice 9BB
1. La fonction des titres imaginés par Umberto Eco :
– Titre 1 : informer le lecteur sur le personnage principal ;
– Titre 2 : informer le lecteur sur le lieu et le thème de l’œuvre ;
– Titre 3 : séduire le lecteur en l’intriguant.
2. Le dernier titre est plus mystérieux : il évoque le Moyen Âge (Le Roman de la
rose) tout en comportant une dimension poétique (la rose et ses connotations).
Le second est probablement écarté car trop réducteur : il n’évoque que l’intrigue
(« crime ») et fait songer au roman policier. Le premier est trop mystérieux et pas
115
assez attirant : on ne comprend pas forcément qu’il s’agit du nom du personnage
principal.
Exercice 10BB
Construction des différents titres contenus dans la liste :
Nom propre Groupe nominal Phrase verbale
– L’Automne – L’Écume des jours (nom + – Elles se rendent
à Pékin (lieu de complément de nom) ; pas compte (l’élision
l’action) ; – Les Fourmis (article + nom) ; de la négation
– Trouble dans – En avant la zizique (préposition + suggère l’atmosphère
les Andains (lieu nom) ; policière) ;
de l’action). – Textes et chansons (nom + nom) ; – J’irai cracher sur
– L’Arrache-cœur (article + nom vos tombes (volonté
composé – néologisme) ; de provoquer le
– L’Herbe rouge (nom + adjectif) ; lecteur) ;
– Le Loup-garou (article + nom – Et on tuera tous
composé) ; les affreux (niveau
– Chroniques de jazz (nom + de langage familier :
complément du nom). atmosphère
policière).
Remarque. On peut faire étudier aux élèves la fonction des différents titres choisis,
généralement provocateurs. Par exemple, un titre comme L’Automne à Pékin a
étonné à la parution du roman car l’action ne se déroule ni en automne, ni à
Pékin… Lorsque le titre désigne le genre auquel appartient l’ouvrage, il s’agit de
textes relevant de la chronique musicale (Vian était également musicien).
Exercice 13BBB
Texte 1. Marguerite Yourcenar use de la suppression de termes : le mot entre
« une » et « fois » est biffé ainsi que celui entre « ces » et « bois » ou « les » et « spé-
culations ». Elle recourt également à la substitution de termes : « forêts » est rem-
placée par « grandes futaies » et « ces » par « leurs ».
Texte 2. Jean Giono procède par suppression puisqu’il barre un tiers de son
manuscrit.
Texte 3. Gustave Flaubert introduit de nouveaux termes (« les paupières entre-
closes, le regard perdu ») puis substitue d’autres termes à ceux qu’il avait ajouté
(« les paupières entrecloses et humant le vent du soir »).
Exercice 14BBB
La page du manuscrit des Immémoriaux de Victor Segalen indique que l’écrivain
utilise plusieurs moyens d’améliorer son brouillon. Il supprime des termes ainsi
qu’en témoignent les ratures qui suivent « disparaître », « la nuit », « la brise
lente », « sommets endormis », « frôlements hargneux », « et surtout » et « la
face ». Ces corrections semblent avoir pour objectif de clarifier son propos, d’ôter
des informations redondantes. L’écrivain recourt également à l’introduction de
nouveaux termes comme le montrent les indications manuscrites qui envahissent
les marges. Il utilise peu la substitution de termes : l’étude de ce brouillon suggère
que Segalen écrit un premier jet en notant les multiples formules qui lui viennent
à l’esprit et que son travail de correction consiste surtout à élaguer, à améliorer
la lisibilité et le style de son texte.
EXO-BAC
(PAGE 127)
Écriture
On peut proposer comme corrigé le texte définitif de Zola (L’Œuvre, ch. X), dont
voici quelques extraits :
– « Claude étouffa un peu en entrant dans le salon d’honneur, le cœur battant
d’avoir monté vite le grand escalier. Il faisait dehors un limpide ciel de mai, le
velum de toile, tendu sous les vitres du plafond, tamisait le soleil en une vive
lumière blanche. »
– « Des espaces restaient vides, des groupes se formaient, s’émiettaient, allaient
se reformer plus loin ; toutes les têtes étaient levées, les hommes avaient des
cannes, des paletots sur le bras, les femmes marchaient doucement, s’arrêtaient
en profil perdu ; et son œil de peintre était surtout accroché par les fleurs de leurs
chapeaux, très aiguës de ton, parmi les vagues sombres des hauts chapeaux de
soie noire. Il aperçut trois prêtres, deux simples soldats tombés là on ne savait
d’où, des queues ininterrompues de messieurs décorés, des cortèges de jeunes filles
et de mères barrant la circulation. »
– « Alors, Claude se mit à chercher son tableau. »
– « Comme il se retrouvait dans la salle de l’Est, cette halle où agonise le grand
art, le dépotoir où l’on empile les vastes compositions historiques et religieuses,
d’un froid sombre, il eut une secousse, il demeura immobile, les yeux en l’air.
Cependant, il avait passé deux fois déjà. Là-haut, c’était bien sa toile, si haut, si
haut, qu’il hésitait à la reconnaître, toute petite, posée en hirondelle, sur le coin
d’un cadre, le cadre monumental d’un tableau de dix mètres, représentant le
déluge, le grouillement d’un peuple jaune, culbuté dans de l’eau lie-de-vin.
– « Claude s’en alla, revint à trois reprises, le coeur battant, chaque fois qu’un
rare visiteur stationnait et promenait un lent regard de la cimaise au plafond.
Un besoin maladif l’enrageait d’entendre une parole, une seule. Pourquoi
exposer ? comment savoir ? tout, plutôt que cette torture du silence ! Et il étouffa,
lorsqu’il vit s’approcher un jeune ménage, l’homme gentil avec des petites mous-
taches blondes, la femme ravissante, l’allure délicate et fluette d’une bergère en
Saxe. Elle avait aperçu le tableau, elle en demandait le sujet, stupéfiée de n’y
118
rien comprendre ; et, quand son mari, feuilletant le catalogue, eut trouvé le titre :
l’Enfant mort, elle l’entraîna, frissonnante, avec ce cri d’effroi :
« Oh ! l’horreur ! est-ce que la police devrait permettre une horreur pareille ! »
Alors Claude demeura là, debout, inconscient et hanté, les yeux cloués en l’air,
au milieu du troupeau continu de la foule qui galopait, indifférente, sans regard
à cette chose unique et sacrée, visible pour lui seul. »
Émile Zola, L’Œuvre, 1886.
Critères de réussite
• Mise en place du cadre, des personnages, de l’atmosphère suggérés par le dossier
documentaire.
• Respect des règles d’écriture du récit (temps verbaux, mode de narration, dis-
position en paragraphes, etc.).
• Insertion des formes du discours rapporté (discours direct, indirect ou indirect
libre).
119
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 128-129)
Introduction
L’œuvre de Guillaume Apollinaire est significative de l’importance qu’il faut accor-
der aux différents contextes de la création littéraire. Elle s’inscrit dans la tradi-
tion d’un genre – la poésie – qu’elle renouvelle de manière spectaculaire. Elle est
le reflet d’un contexte historique fort – la Première Guerre mondiale – dont elle
restitue une perception originale. Elle dialogue, en lui rendant hommage à sa
façon, avec la tradition. Enfin, elle interroge une existence abrégée de manière
121
prématurée : Apollinaire, victime de la grippe espagnole, est enterré le jour de
l’Armistice.
L’œuvre d’Apollinaire est l’expression immédiate d’une modernité recherchée,
revendiquée, par le poète sensible aux formidables mutations de la civilisation
européenne au début du XXe siècle. Le temps, le rythme du temps n’est plus le
même, les images mentales se superposent selon une logique nouvelle, les bruits,
les couleurs, la vision du monde ont changé, et la poésie célèbre cette transfor-
mation de la sensibilité de l’homme moderne. Mais Apollinaire est aussi habité
par le souvenir mélancolique de la tradition lyrique. La chanson populaire, la
ballade médiévale, l’expérience de l’écoulement – du temps, des sentiments, des
choses – se conjuguent dans son œuvre avec l’explosion fulgurante du simulta-
néisme, cher aux peintres cubistes qu’il admire.
123
EXERCICES
(PAGES 133-134)
Exercice 2BB
1. On peut relever dans la tirade de Chateaugredin, personnage type du bour-
geois sous le Second Empire, un certain nombre d’informations sur le contexte
social de la seconde moitié du XIXe siècle :
– les rapports sociaux : la présence d’un portier, la rente constituée par un
immeuble en location, les rapports de force entre locataires et propriétaires
(le terme à régler tous les trois mois) ;
– les mentalités : le mensonge, l’adultère, les bains de mer à Trouville ;
– les valeurs dominantes : l’argent, la transmission du patrimoine, la rente, la
famille (l’oncle Hérissart, la tante Lognon, les Ripincel mère et fille).
2. L’intention de l’auteur est de tourner en dérision la bourgeoisie du Second
Empire : il représente sur la scène ceux qui viennent applaudir ses vaudevilles en
riant d’eux-mêmes.
Exercice 5B
1. « Depuis quelques temps, on a changé cette façon de penser : le bon goût est
revenu » (l. 10 à 12).
125
2. L’auteur oppose le passé (« autrefois », l. 1) au présent (« depuis quelques
temps », l. 10) pour établir le constat d’un horizon d’attente qui a évolué radi-
calement :
EXO-BAC
(PAGE 135)
Écriture
Paris, le 12 juillet 1840
Mon cher vieux,
Je n’en reviens pas, je suis au comble de l’indignation ! Jamais je ne me suis senti
autant humilié. Imagine-toi que je viens de proposer mes deux manuscrits, ces
deux œuvres qui me sont si chères, sur lesquelles j’ai tant peiné dans ma triste
mansarde cet hiver, sur lesquelles je fondais tant d’espoirs, à deux libraires pari-
siens… Eh bien ! L’Archer de Charles IX comme mon recueil de poésies ont été
bien reçus ! Porchon et Vidal, les deux libraires, ne leur ont même pas jeté un
coup d’œil ; ils m’ont renvoyé brutalement sous prétexte qu’ils ne s’occupent que
des livres fabriqués.
Ces deux commerçants se fichent complètement de l’art, de la littérature, de tout
ce à quoi nous croyons, de ce qui est pour nous la fonction sacrée du poète. Pour
eux, le livre n’est qu’une vulgaire marchandise, comme les autres. Ils m’ont ri au
nez. Pour moi, le libraire doit au contraire être à l’écoute des auteurs, il doit les
127
conseiller, les soutenir, les encourager… La solitude de l’écrivain, les angoisses
devant l’œuvre à écrire sont déjà une telle épreuve ! On pourrait au moins espérer
de l’éditeur et du libraire qu’ils accordent un minimum de respect et d’attention
aux auteurs qui les font vivre.
Enfin, je ne renonce à rien, je continue d’écrire, car j’ai foi dans mon œuvre et
suis sûr de trouver, un jour ou l’autre, celui qui me comprendra.
Je t’adresse une amicale et vigoureuse poignée de mains.
Critères de réussite
• Respect de la forme : l’épistolaire.
• Respect de l’objectif d’écriture : développer la fonction du livre et le rôle de
l’éditeur
• Prise en compte de la situation d’énonciation imposée par le sujet (énonciateur,
contextes…).
128
L’ÉCRITURE ET LA PUBLICATION
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 136-137)
Introduction
Le naturalisme apparaît comme l’un des mouvements les plus structurés de l’his-
toire littéraire. Derrière Zola, le « maître de Médan », une multitude d’auteurs
en quête de reconnaissance s’engouffre dans l’énorme succès de L’Assommoir
(1877) pour faire du naturalisme la principale forme d’expression du roman des
années 1870-1890. Les premiers participent aux Soirées de Médan, recueil de
nouvelles naturalistes (1881) qui apparaît, à la suite du manifeste intitulé Le
Roman expérimental (1879), comme l’acte fondateur du mouvement. Parmi eux,
Guy de Maupassant, qui s’affranchira bien vite, immédiatement remplacé par
une myriade d’auteurs aujourd’hui presque oubliés : Paul Alexis, Paul Bonnetain,,
Lucien Descaves, Gustave Guiches, Paul et Victor Margueritte, Octave Mirbeau,
les frères Rosny…
129
Toute une génération de jeunes auteurs trouvent dans le naturalisme un tremplin
vers la gloire, parfois éphémère, parfois renouvelée à coups de disputes et de scan-
dales, tel le « Manifeste des cinq » publié à la suite de La Terre (1887) : « Nous
répudions énergiquement cette imposture de la littérature véridique, cet effort
vers la gauloiserie mixte d’un cerveau en mal de succès. Nous répudions ces bons-
hommes de rhétorique zoliste, ces silhouettes énormes, surhumaines et biscor-
nues, dénuées de complication, jetées brutalement, en masses lourdes, dans des
milieux aperçus au hasard des portières d’express. » Le coup est rude pour le
maître, qui s’attendait à davantage de reconnaissance. L’enquête de Jules Huret
sur le naturalisme, en 1891, semble sonner le glas du mouvement en tant que tel.
Zola poursuit cependant son œuvre, tandis que ses disciples cherchent chacun
leur propre voie.
EXERCICES
(PAGES 140 à 144)
Exercice 2BB
1. On retrouve le thème de la nature dans les deux textes. Il s’agit pour Rousseau
d’une « campagne encore verte et riante, mais défeuillée en partie et déjà presque
déserte » (l. 1 et 2). Pour Chateaubriand, « de grandes bruyères terminées par des
forêts » (l. 1 et 2), traversées par « une feuille séchée que le vent chassait » (l. 3 et
4). Dans les deux cas, il s’agit donc de l’arrivée de l’automne, dont la dimension
symbolique emplit les narrateurs d’un même sentiment de solitude et de peine :
« impressions douces et tristes » (l. 5), « déclin d’une vie innocente » (l. 7 et 8),
« flétries » (l. 10), « tristesse » (l. 10), « ennuis » (l. 11)… chez Rousseau ; tandis
que Chateaubriand affirme : « Un secret instinct me tourmentait » (l. 14 et 15).
Les deux passages explorent ainsi les mêmes thèmes, qui seront les thèmes privi-
légiés du romantisme.
2. Avec Julie ou la nouvelle Héloïse (1761), Rousseau innove par son culte du
sentiment individuel, par la place qu’il accorde à la sensibilité, à l’imagination, à
la rêverie, par sa passion pour la nature, son idéal de vie simple, son dédain pour
les contraintes sociales. Il aura une grande influence en France, en Allemagne, en
Angleterre, en Suède. Rousseau apparaît donc aux yeux des écrivains roman-
tiques, et notamment des romanciers, comme un précurseur : le titre même de ses
Rêveries semble en constituer le programme.
Exercice 4B
1. La casquette de Charles Bovary, d’une « laideur muette » (l. 15), a « des pro-
fondeurs d’expression comme le visage d’un imbécile » (l. 15 et 16). C’est pour-
tant par son intermédiaire que le lecteur, comme ses camarades de classe, prennent
connaissance du personnage, identifiant immédiatement le pauvre Charles à un
anti-héros. La casquette apparaît d’abord comme un mélange « composite » (l. 11)
de « bonnet à poil », de « chapska » (l. 12), de « chapeau rond, de la casquette de
loutre et du bonnet de coton » (l. 12 à 14). Le patchwork indescriptible laisse
ensuite place à une forme : « Ovoïde et renflée de baleines » (l. 16 et 17), la cas-
quette se construit peu à peu. Les verbes et les indicateurs spatio-temporels per-
mettent à la description de mettre progressivement en place un tableau (« elle
commençait par », l. 17 ; « puis, s’alternaient », l. 18 ; « venait ensuite », l. 20 ;
« d’où pendait », l. 22 et 23).
Le couvre-chef se construit ainsi progressivement, dans une réalité qui demeure
improbable car insaisissable. La dernière phrase de cette description, brève, se
veut cependant rassurante : « Elle était neuve ; la visière brillait. » (l. 25).
2. Ce n’est pas tant à travers la description de la casquette que Flaubert met en
place l’univers réaliste du roman qu’à travers celle de la salle de classe. Le « nous »
initial laisse ainsi supposer une existence réelle du narrateur, de même que l’em-
ploi de l’italique, appliqué aux termes utilisés alors par les enfants de la classe
(« le genre », l. 6 ; « le nouveau », l. 9). De même, le premier paragraphe met en
place une atmosphère réaliste, un moment probablement vécu par l’auteur lui-
même et dans lequel le lecteur peut retrouver sa propre enfance.
Exercice 5BB
1. Maupassant conteste à l’écrivain réaliste l’ambition, selon lui illusoire, de dire
le vrai, de décrire la réalité telle qu’elle est. Il prend ainsi ses distances avec l’école
naturaliste et ses excès. Pour lui, le roman réaliste donne une « vision plus com-
133
plète, plus saisissante, plus probante que la réalité même » (l. 13 à 15). L’écrivain
est d’abord un artiste qui, comme tel, se doit de faire œuvre d’art, plutôt que de
montrer « une photographie banale de la vie » (l. 12 et 13).
2. La casquette de Charles décrite par Flaubert, le maître spirituel de Maupassant,
reflète l’ambition affirmée par Maupassant. Sous les apparences du réalisme, elle
présente l’acte d’écrire comme une reconstruction purement esthétique de la
réalité. Ce n’est pas tant la casquette qui impressionne que la description qu’en
fait Flaubert. Seule compte, en définitive, la virtuosité de l’écrivain et non le sujet
qu’il a choisi.
Exercice 6BB
C’est le peintre lui-même qui donne au spectateur la clé d’interprétation de sa
toile : « Dans son sommeil, l’Amour, la Gloire et la Richesse lui apparurent. » Le
tableau de Puvis de Chavannes explore l’un des thèmes privilégiés du symbo-
lisme : le rêve. Couché dans un paysage onirique, un homme endormi voit ainsi
apparaître en songe l’allégorie de ses désirs. La composition du tableau, en plans
horizontaux, entraîne le regard vers l’horizon. Les couleurs foncées du premier
plan laissent progressivement place à une lumière de plus en plus vive, produite
par la pleine lune. Les trois personnages sont ainsi baignés dans un halo qui leur
donne une apparence surnaturelle. La couleur dominante, le bleu, assure le
passage de la réalité à l’univers des songes, renforcée par l’omniprésence du flou.
Exercice 7BB
1. Le symbolisme repose sur l’idée que le monde réel n’est que le reflet d’une
réalité transcendante. C’est cette dimension supérieure que l’artiste, poète, peintre
ou musicien, doit atteindre grâce à ses œuvres. Mallarmé préfère donc la sug-
gestion à l’explicite (« Nommer un objet, c’est supprimer les trois quarts de la
jouissance du poème », l. 1 et 2). Et le symbole lui apparaît comme l’outil le plus
propre à réaliser ses desseins : métaphores, images, objets concrets évoquent ainsi
dans la poésie symboliste des états d’âme ou des idées.
2. Le poème de Verlaine insiste davantage sur le rôle prépondérant de la musique,
derrière laquelle les mots s’effacent. Pour Verlaine, c’est la musicalité qui permet
d’exprimer les états d’âme : « De la musique avant toute chose » (v. 1). Mais la
seconde strophe met aussi l’accent sur le choix des mots : « Rien de plus cher que
la chanson grise/Où l’Indécis au Précis se joint » (v. 7 et 8).
Comprendre l’organisation
d’un mouvement littéraire
Exercice 8B
1. Pour André Breton, le surréalisme est d’abord une exploration nouvelle des
possibilités du langage (« exprimer, soit verbalement, soit par écrit […] le fonc-
tionnement réel de la pensée », l. 2 à 4), reposant sur l’exploration de l’incons-
cient (« automatisme psychique », l. 1).
134
2. On trouve dans cet extrait des Champs magnétiques de nombreux exemples
d’écriture automatique : un mot en appelle un autre (« vent », l. 1/« soleil », l. 3 ;
« gares », l. 6/« couloirs », l. 7 ; « minutes », l. 8/« siècles », l. 9…), sans aucune
logique autre que celle des associations d’idées.
3. Le texte de Jean d’Ormesson évoque le mouvement surréaliste dans sa réalité
quotidienne. « Mouvement » (l. 2), « groupe » (l. 6), « bande survoltée » (l. 7) : il
met l’accent sur le caractère tumultueux des relations entretenues par ceux qui
ont participé au mouvement. À leur tête, un homme, André Breton, qui s’impose
incontestablement comme le chef de file (« génie », l. 9 ; « goût du pouvoir »,
l. 10) du mouvement.
Exercice 9B
1. Les caractéristiques attribuées au théâtre de l’absurde sont les suivantes :
– il trouve son origine dans la réflexion menée avant la Seconde Guerre mondiale
sur la condition humaine par Camus ou Sartre, philosophes, romanciers et dra-
maturges ;
– il ne naît réellement qu’après la Seconde Guerre mondiale, avec l’apparition de
l’expression « théâtre de l’absurde », en donnant au terme un sens différent de
celui qu’il avait jusqu’alors. Le mot « absurde », désormais réservé au théâtre,
désigne « l’aspect dérisoire de la condition humaine » (l. 9).
2. Eugène Ionesco affirme que le théâtre traditionnel est « prisonnier » (l. 1),
victime des habitudes et des conventions qui le figent. Pour lui, le théâtre ne
remplit plus son rôle dès lors qu’il est saisi par la « peur » de choquer le public
en lui donnant une vision ou bien trop comique ou bien trop tragique du monde
(l. 8 à 11). Il veut au contraire dénoncer à travers ses pièces le « caractère déri-
soire d’un langage vidé de sa substance » (l. 14 et 15), tout en remettant en cause
l’action, « connue d’avance » (l. 16). L’expression de la dernière phrase (« tout
oser au théâtre ») résume le point de vue du dramaturge de l’absurde.
3. Le projet de Ionesco correspond à la définition donnée dans le texte A car il
a pour ambition de bousculer « les conventions et les principes du théâtre bour-
geois » (l. 10 à 11).
136
EXO-BAC
(PAGE 145)
Écriture
Le rêve est l’un des thèmes privilégiés du mouvement surréaliste. Il ouvre une
porte sur un monde merveilleux où tout devient possible, car aucun contrôle de
la raison ne s’y exerce. C’est ainsi qu’on retrouve l’univers du rêve dans la pein-
ture surréaliste. L’artiste ne cherche plus à représenter la réalité mais à fixer des
images surgies de son inconscient, exprimant ses désirs et ses obsessions, ses
angoisses et sa part de folie. La toile de Salvador Dali est à cet égard caractéris-
tique d’une œuvre immédiatement reconnaissable en tant qu’œuvre surréaliste :
elle affirme l’indépendance de l’esprit et sa capacité à s’affranchir des contraintes
de la raison ou de la logique. Le poème de Paul Eluard ne fonctionne pas autre-
ment : le poète vit comme un rêve l’amour qu’il éprouve. L’anaphore obsédante
du pronom « elle » débouche de manière systématique sur la création d’images
surréalistes car dictées par l’inconscient : « Elle ne me laisse pas dormir », affirme
Eluard, l’esprit empli de celle qui hante ses nuits et ses jours, obsédante car objet
d’un amour fou. Ce dernier caractérise l’amour surréaliste, en bouleversant l’uni-
vers réel par l’exaltation continue qu’il provoque.
137
LES REPÈRES FONDAMENTAUX
LES GENRES
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 146-147)
Introduction
D’une incroyable créativité, Hugo a transformé tous les genres qu’il a abordés –
poésie, théâtre, roman – pour faire de la littérature le moment d’une avancée. Les
romans de Hugo, Notre-Dame de Paris, Les Misérables, Quatre-vingt-treize, ont
touché un vaste public et inspirent encore aujourd’hui cinéastes et musiciens. Le
romancier utilise les conventions du genre romanesque, coïncidences invraisem-
blables, personnages idéalisés, pour composer des fresques complexes où il s’in-
139
terroge sur les forces à l’œuvre dans l’histoire humaine. S’il se moque des règles
de la littérature réaliste, c’est pour mieux dénoncer les aspects les plus scanda-
leux de la réalité sociale et politique. Les Misérables, le roman le plus célèbre de
Hugo, a imposé certains personnages, comme Javert, Jean Valjean, Cosette ou
Fantine. Il a aussi donné une grande force à des personnages secondaires qui ne
traversent que quelques épisodes, chacun illustrant à sa manière une question
morale ou politique. Mais le véritable héros du roman est incontestablement Jean
Valjean : tour à tour père de famille, forçat, industriel, maire, bourgeois parisien,
il affronte sans cesse son destin, témoin de toutes les injustices et de toutes les
misères de son temps.
EXERCICES
(PAGES 155 à 160)
Identifier le narrateur
Exercice 1B
1. Dans le texte A, le narrateur utilise la première personne (« Je me suis assis »,
l. 7 et 8). Il s’impose comme le personnage central du récit, le héros du roman :
« Tous me regardaient » (l. 10). Dans le texte C, le narrateur apparaît à la fois
comme un témoin et un personnage de l’histoire qu’il raconte. Il n’est pas au
centre du récit (répétition de « je suivais ») car il raconte l’histoire d’un autre per-
sonnage : son père, le « Nain jaune », qui donne son titre au roman.
2. Dans le texte B, le narrateur est totalement extérieur à l’histoire racontée. A
aucun moment la première personne n’est utilisée dans le récit. Le narrateur appa-
raît comme un être invisible mais omniscient, une voix anonyme qui connaîtrait
tout de la vie des personnages (« ne redoutait au monde que deux choses », « ne
prenait jamais le ton sérieux avec son fils »).
Exercice 2BB
1. Dans les deux textes, la fiction est identique : Oliver est venu déclarer son amour
à la femme de son meilleur ami Stuart. Dans les deux cas, le récit est pris en charge
par un narrateur-personnage. Dans le texte A, il s’agit d’Oliver tandis que le point
de vue adopté dans le texte B est celui de Gillian. En adoptant successivement le
point de vue des différents protagonistes de l’intrigue, Julian Barnes permet au
lecteur de mieux comprendre la psychologie de chacun. Le lecteur a le plaisir de
constater qu’un même événement est nécessairement vécu de manière différente
141
par les personnages : il se sent supérieur à eux. L’écrivain peut également adopter
son style d’écriture à chaque personnage et ainsi montrer sa virtuosité.
2. Oliver est très sensible à son apparence. Il compose soigneusement son atti-
tude pour ne pas « avoir l’air d’un livreur » (l. 4). Il se présente comme étant sûr
de lui et rassurant : « en répétant calmement » (l. 11) ou « pour l’apaiser » (l. 10).
Oliver apparaît en outre comme un pédant qui use de formules un peu ridicules
telles « une alarme a pris la mer dans le havre de ses yeux » (l. 9 et 10) et d’un
vocabulaire soutenu. Il se considère à l’égal d’un dieu puisqu’il est assisté dans
son entreprise par la « seule déesse Flora » (l. 6) elle-même. Le point de vue de
Gillian apporte de sérieuses nuances. Elle perçoit Oliver comme un personnage
ridicule : « blanc comme un linge et tenant ses deux bras à l’horizontale et aussi
raides qu’un dessus d’étagère » (l. 15 à 17) ou « un maître d’hôtel robot ayant
oublié son plateau » (l. 23). Contrairement à ce que pense Oliver qui est satisfait
de sa déclaration, Gillian n’y a entendu que bredouillements incompréhensibles
puis hurlement. Oliver vit la scène comme un intense moment, une solennelle
déclaration d’amour tandis que Gillian n’en saisit pas le sens et n’y voit qu’un
épisode comique : « Naturellement, j’ai éclaté de rire » (l. 27). Oliver n’en appa-
raît que davantage comme un personnage fat et grotesque.
Les informations données sur Gillian sont moins nombreuses : elle est fidèle à son
mari puisqu’en découvrant le bouquet de fleur, elle pense à « Stuart » (l. 5) et la
déclaration amoureuse d’un autre homme ne peut lui apparaître autrement que
ridicule. Oliver lit dans son regard une émotion sentimentale quand il ne s’agit
que de la surprise. Gillian semble dotée d’un solide sens de l’humour dans le choix
des expressions qu’elle emploie (« aussi raides qu’un dessus d’étagère »). Enfin,
Gillian semble être très franche, très naturelle : elle éclate de rire « naturellement »
(l. 27).
Exercice 3B
1. La scène est racontée par une voix anonyme, extérieure à l’histoire. Le narra-
teur, placé en position d’observateur, rapporte les gestes et les paroles des per-
sonnages avec un regard impartial (« deux hommes entrèrent », l. 2). Il n’évoque
ni leurs sentiments ni leurs pensées et n’apporte des informations à leur sujet que
par l’intermédiaire du dialogue qu’il retranscrit. C’est de cette manière que le
lecteur apprend que l’un des deux personnages se prénomme Al (l. 7). La focali-
sation externe est renforcée par les indications données sur l’atmosphère: «Dehors
il commençait à faire sombre » (l. 10).
2. La porte du restaurant s’ouvrit et les deux hommes entrèrent. Ils s’assirent
devant le comptoir, face au barman qui se demandait qui pouvaient bien être ces
inconnus. Il leur demanda ce qu’ils voulaient prendre, du ton le plus enjoué qu’il
put.
– J’sais pas, répondit celui qui était entré le premier. Qu’est-ce que tu veux bouffer,
Al ? demanda-t-il à son copain, songeant qu’ils n’avaient pas un sou en poche et
qu’ils étaient juste entrés pour se réchauffer.
– J’sais pas, a répondu Al. J’sais pas ce que je veux bouffer.
142
Dehors, il commençait à faire sombre. Al songeait au barman, qui attendait leur
commande. La lueur du réverbère s’alluma derrière la vitre, le rappelant brus-
quement à la réalité. Ils consultèrent alors le menu.
Exercice 4B
1. La scène, dans ce passage, est perçue par Saccard, le héros du roman. On passe
de la focalisation zéro à la focalisation interne à partir de la ligne 4 : « Et ses
regards, amoureusement, redescendaient toujours… » En effet, à partir de ce
passage, le lecteur perçoit la scène à travers les regards et les pensées du person-
nage, le narrateur s’effaçant derrière lui.
2. Le réseau lexical dominant de la fin de l’extrait est celui de la richesse : « pous-
sière d’or» (l. 13 et 14), «rosée d’or» (l. 14), «émeraude» (l. 17), «saphir» (l. 18),
« rubis » (l. 18), « lingot d’or » (l. 21 et 22), « pièces de vingt francs » (l. 24). Cette
transformation du paysage de Paris en conte des Mille et Une Nuits souligne pour
le lecteur combien Saccard est attiré par l’argent. Le regard du personnage dévoile
en lui un être ambitieux, sensuel et jouissif.
Exercice 5BB
1. Le narrateur apporte quantité d’informations sur le personnage : son adresse,
son caractère (« un excellent homme », l. 2 et 3), son nom, son identité, son âge,
etc. Rien n’est caché au lecteur de son aspect physique ou physiologique.
2. Le point de vue utilisé est le point de vue omniscient, dans la tradition du genre
romanesque. L’auteur évoque le personnage à différents moments de son exis-
tence (« En hiver », l. 8 ; « à la belle saison », l. 9 et 10) et effectue un retour en
arrière pour expliquer comment il a eu la révélation de son « don ». Le narrateur
connaît aussi bien le passé de son personnage que son présent ou son avenir.
Il est omniscient.
Exercice 7B
1. On trouve deux repères temporels dans l’extrait : le premier fixe l’époque de
l’action (« Le 16 juillet 1907 », l. 1), le second évoque sa durée (« dix ans après »,
l. 9 et 10). L’auteur emploie le présent de narration (« voit », « s’étonne »,
« meurt ») afin d’actualiser les événements, de les rendre plus vivants.
2. Le retour en arrière se situe à la ligne 6 du passage : « On avait l’habitude de
le voir vivre ». La phrase évoque le passé de l’histoire racontée, un passé dans le
passé, précédant la mort du personnage. Cela explique l’utilisation du plus-que-
parfait. L’anticipation, au contraire, est caractérisée par l’utilisation du futur
simple : « il faudra », « il viendra », « demanderont ».
Exercice 8B
Dans le texte A, le retour en arrière commence à la ligne 5. Il est introduit par les
deux-points et signalé par l’utilisation du plus-que-parfait. Sa fonction est d’éclai-
rer un détail du récit pouvant apparaître étonnant au lecteur : l’utilisation d’un
taxi pour un très long trajet (« cinq heures », l. 1). Dans le texte B, le retour en
arrière apparaît à la ligne 6. Le narrateur revient sur son enfance pour souligner
combien l’attachement de son père à la ferme familiale était fort.
Exercice 12B
1. a) La description fait découvrir au lecteur un paysage de campagne : « terre »
(l. 2), « métairies » (l. 4), « champ de seigle » (l. 5 et 6), « une seule route » (l. 7),
« chemin plein d’ornières » (l. 8), « sentiers sablonneux » (l. 9), « de marécages,
de lagunes, de pins grêles, de landes » (l. 11 et 12).
b) Les indicateurs spatiaux structurent la description : « ici » (l. 3), « autour d’un »
(l. 5), « à dix kilomètres du bourg de Saint-Clair » (l. 6 et 7), « jusqu’à l’Océan »
(l. 10), « quatre-vingts kilomètres » (l. 10 et 11).
c) Les verbes utilisés sont essentiellement des verbes d’état ou des présentatifs,
qui soulignent l’absence d’action.
2. Argelouse apparaît comme un hameau perdu au sein d’une campagne immense
et morne, dans lequel le temps semble s’être arrêté.
Exercice 13BBB
1. Les procédés de la description : voir tableau ci-après.
145
Lexique Indicateurs Réseaux Emploi
de la perception spatiaux lexicaux des verbes
Analyser le portrait
du personnage de roman
Exercice 14B Vers le commentaire
1. Le personnage évoqué apparaît comme un personnage profondément antipa-
thique. Son identité souligne ses origines bretonnes (« Née Pluvignec », l. 3 et 4 ;
« devenue totalement Rezeau », l. 5 et 6) et sa richesse (« cette riche, mais récente
maison Pluvignec », l. 4 et 5). Sa beauté passée n’a d’égale que sa laideur présente
(l. 7 à 14).
2. « Madame mère », ainsi que la nomme le narrateur (l. 2), apparaît comme un
personnage profondément antipathique. Elle se caractérise d’abord par son âge
(« trente-cinq ans », l. 1) et sa taille : elle est plus grande que son mari (l. 3). Le
portrait aborde ensuite les caractéristiques physiques, opposant le passé au
présent : « elle avait été belle » (l. 7). Tous les traits physiques se caractérisent par
leurs connotations négatives : « grandes oreilles », « cheveux secs », « bouche
serrée », « visage agressif », « menton en galoche » (l. 8 à 14). Portrait physique
et psychologique sont mis en relation au moyen du témoignage du personnage
appelé Frédie : « Dès qu’elle ouvre la bouche, j’ai l’impression de recevoir un coup
de pied au cul » (l. 11 à 13).
Dès lors, le portrait met en évidence une femme méchante, qui considère ses
enfants comme des ennemis et les traite comme tels. Le portrait moral du per-
sonnage la montre ainsi passionnée par les timbres, ennemie des mites, des épi-
nards et de ses enfants : « elle avait de larges mains et de larges pieds, dont elle
savait se servir » (l. 19 et 20).
Exercice 15BB
1. Les caractéristiques physiques du personnage sont les suivantes :
– « jolis bras » (l. 4) ;
– « mains […] un peu carrées » (l. 4 et 5) ;
– « jambes très moyennes, grasses aux genoux » (l. 5 et 6) ;
– « cheveux d’un blond distingué quoique paraissant artificiel et qui ondulaient
d’eux-mêmes » (l. 8 et 9) ;
– « visage acceptable bien que peu marquant » (l. 14 et 15) ;
– « menton proéminent et de trop lourdes proportions » (l. 19 et 20) ;
– « quarante-six ans » (l. 27) ;
– « rides étroites et profondes » (l. 30).
147
2. Le personnage effectue en quelque sorte son autoportrait (« Catherine s’était
accordé… », l. 3 ; « Elle sut tôt que… », l. 10), un autoportrait peu flatteur et sans
concession, qui la dévalorise probablement. On peut dire d’elle qu’elle apparaît
comme un être lucide mais pessimiste, légèrement complexé, voire tourmenté.
Définir la fonction
des personnages dans un récit
Exercice 16B
– Frédéric Moreau : sujet de la quête. Le héros de L’Éducation sentimentale aime
Mme Arnoux qu’il ne peut posséder ; il possède Mme Dambreuse et Rosanette,
qu’il n’aime pas. Ceci résume sa vie qui a été un échec.
– Deslauriers : adjuvant. Il est l’ami du héros, avec lequel ce dernier réfléchit sur
le sens de la vie ; pour lui aussi, sa vie aura été un échec.
– Mme Dambreuse : opposant. Elle représente l’ambition mondaine de Frédéric :
elle sera, un court instant, son amante, mais ce dernier sera incapable de la garder.
– Jacques Arnoux : opposant et adjuvant. Il est le mari complaisant de Mme
Arnoux mais représente un obstacle pour Frédéric.
– Mme Arnoux : objet de la quête. Elle est le grand amour de Frédéric, prise entre
ses devoirs de mère et d’épouse ; elle ne saura prendre la décision qui la rendra
heureuse en compagnie de Frédéric.
– Rosanette Bron : opposant. La demi-mondaine représente pour le héros une
échappatoire facile ; maîtresse de Frédéric, elle représente le côté sensuel de
l’amour.
149
EXO-BAC
(PAGE 161)
Écriture
Contrairement au roman, dont la narration s’étale sur plusieurs chapitres ou plu-
sieurs livres, la nouvelle n’occupe que quelques pages de manière à présenter une
intrigue resserrée. C’est ainsi que l’intrigue de la nouvelle intitulée « Le 17 juillet
1994 entre 22 et 23 heures » occupe un cadre temporel limité à une nuit : la durée
de la garde à vue endurée par le narrateur dans le cadre d’une enquête criminelle.
Elle occupe également un cadre spatial limité, celui d’un bureau de police sur
lequel aucune information n’est donnée, car inutile au progrès de l’intrigue. Le
lecteur est donc confronté aux pensées de l’accusé, qui vagabondent au gré des
questions qui lui sont posées.
La nouvelle est ainsi une forme de récit bref. Sa brièveté permet au récit d’at-
teindre rapidement une tension dramatique qui trouve son couronnement dans
la chute, aux dernières lignes du texte. Dans la nouvelle de Tonino Benacquista,
la chute repose sur la fin de la garde à vue. L’enquête n’a pas avancé, elle ne peut
pas avancer. Les dernières phrases de la narration évoquent l’avenir du narrateur
auquel le lecteur peut maintenant s’identifier, car il sait, sans aucun doute pos-
sible, qu’il est innocent : « J’irai peut-être en prison pendant les vingt années à
venir si cette heure-là ne me revient pas en mémoire. Ça me laissera le temps d’y
réfléchir. » En même temps que la nouvelle trouve sa chute, son titre s’éclaire,
plongeant le lecteur dans un abîme de perplexité et d’horreur.
150
LES GENRES
CHAPITRE
14 L’écriture du poème
(PAGES 162 à 173)
OBSERVATION
(PAGES 162-163)
Introduction
Au tournant des années 1850, c’est une esthétique neuve que proposent les
« poètes maudits » : ils créent les moyens d’une mutation radicale de la poésie, en
rupture avec le goût classique. Baudelaire fait de la poésie une quête de soi, par
les « correspondances » qu’elle dévoile entre le monde sensible et des vérités
cachées ; Verlaine donne au langage poétique une musicalité neuve ; Rimbaud
progresse vers la connaissance des pouvoirs cachés du langage. Les premières
années du XXe siècle voient Cendrars et Apollinaire s’engager dans l’affirmation
d’une nécessaire modernité de l’art, pensant que le langage poétique peut traduire
une nouvelle perception du monde.
151
Réponses aux questions
I. Les règles de la versification
1. La forme du texte de Paul Verlaine affirme d’emblée sa dimension poétique :
il est constitué de strophes, elles-mêmes constituées de vers, chaque vers com-
mençant par une majuscule. Le texte de Verlaine affirme donc immédiatement le
genre littéraire auquel il appartient.
2. La forme du texte de Blaise Cendrars est plus difficile à identifier : absence de
strophes, vers qui ne sont pas disposés de manière classique, différences de carac-
tères à l’intérieur même du texte : la forme est déroutante pour le lecteur qui n’est
pas habitué à rencontrer ce type de disposition. Contrairement au texte de
Verlaine, il faut lire le texte de Cendrars pour identifier le genre auquel il appar-
tient ; on s’aperçoit alors qu’il s’agit d’un poème car son intention est celle de tout
texte poétique : jouer sur le langage, produire des effets poétiques en « jonglant »
avec les mots, affirmation contenue implicitement dans le premier vers.
EXERCICES
(PAGES 168 à 172)
Étudier la métrique
Exercice 1B
– 12 syllabes : alexandrin
– 12 syllabes : alexandrin
– 10 syllabes : décasyllabe
– 2 x 8 syllabes : deux octosyllabes.
Exercice 2B
1. et 2.
– Extrait 1 : six alexandrins (les e muets sont soulignés)
Je suis donc arrivée au douloureux moment
Où je vois par mon crime expirer mon amant.
N’était-ce pas assez, cruelle destinée,
Qu’à lui survivre, hélas ! je fusse condamnée ?
Et fallait-il encor que pour comble d’horreurs,
Je ne pusse imputer sa mort qu’à mes fureurs ?
Racine, Bajazet, 1672.
Remarque. La licence poétique « encor » permet au poète de respecter le mètre ;
la graphie « encore » aurait en effet ajouté au vers une syllabe prononcée.
153
– Extrait 2 : quatre octosyllabes (les e muets sont soulignés)
Elle buvait mes petits mots
Qui bâtissaient une œuvre étrange ;
Son œil, parfois, perdait un ange
Pour revenir à mes rameaux.
Valéry, Charmes, 1922.
Remarque. Le « e » placé en fin de vers (rime féminine) est toujours muet car suivi
d’un blanc.
Exercice 3BB
1. Il s’agit de quatre vers de dix syllabes (décasyllabes).
2. La diérèse se situe au dernier vers : « violente », habituellement prononcé en
deux syllabes, en comporte ici trois ; l’adverbe qui précède ce terme (« lentement »)
permet d’expliquer quel est l’effet produit : la diérèse souligne, tout comme l’ad-
verbe « lentement » la douleur lancinante qui anime le poète.
Exercice 4BB
L’extrait se compose de quatre vers de douze syllabes (des alexandrins, v. 1, 2, 4,
5) et de deux vers de six syllabes (des hexamètres, v. 3 et 6). Le changement de
mètre correspond à un changement de rythme qui souligne l’attente exaspérée
du poète.
Étudier la rime
Exercice 6B
Qualité Genre Disposition
vers 1 et 2 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies
vers 3 et 4 pauvre rimes masculines rimes plates ou
suivies
vers 5 et 6 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies
vers 7 et 8 suffisante rimes masculines rimes plates ou
suivies
vers 9 et 10 suffisante rimes féminines rimes plates ou
suivies
Exercice 7BBB
1. Les règles du sonnet, rappelées par Tristan Corbière :
– un même mètre pour l’ensemble des vers (« d’un pied uniforme », v. 1) ;
– la construction des strophes : deux quatrains (« par quatre en peloton », v. 2) et
deux tercets (« Je pose 4 et 4 = 8 ! Alors je procède,/En posant trois et trois ! »,
v. 12) ;
– les variations de rythme (« Qu’en marquant bien la césure, un des quatre s’en-
dorme…/Ça peut dormir debout comme soldats de plomb », v. 3 et 4) ;
– la disposition des rimes et leur importance sonore (« Chaque vers est un fil, et
la rime un jalon », v. 8).
2. Les reproches adressés par le poète aux règles de la versification :
– strophe 1 : un rythme trop régulier (« uniforme »/« s’endorme » ; « peloton »/
« plomb ») ;
– strophe 2 : une forme trop contraignante (« forme »/« chloroforme » ; « long »/
« jalon »).
3. Les termes appartenant au réseau lexical de la poésie et leur définition (d’après
le Petit Robert) :
• SONNET : 1537 ; it. sonnetto, du fr. sonnet « chansonnette » (1165). Poème de
quatorze vers en deux quatrains sur deux rimes (embrassées), et deux tercets.
155
« Un sonnet sans défauts vaut seul un long poème » (Boileau). Les sonnets de
Ronsard. Sonnets irréguliers de Baudelaire.
• VERS : v. 1138 ; plus souvent « laisse, strophe, couplet » en a. fr. ; lat. versus
« sillon, ligne, vers ».
1. r Un vers : fragment d’énoncé formant une unité rythmique définie par des
règles concernant la quantité (vers mesurés, métriques), l’accentuation ou le
nombre de syllabes. Vers grecs, latins, composés d’un certain nombre de mètres
ou de pieds : hexamètre, pentamètre, tétramètre ; … Scander des vers de Virgile.
Vers accentués de la poésie anglaise. Vers syllabiques, assonancés puis rimés,
de la poésie française. Vers de six, sept, huit, neuf, dix, onze, douze syllabes,
etc. Vers faux, boiteux. Vers blanc. Nombre d’un vers. Coupe du vers : césure,
enjambement, rejet. Vers réguliers, conformes aux règles de la versification
traditionnelle. « Si on en est arrivé au vers actuel, c’est surtout qu’on est las
du vers officiel » (Mallarmé). Vers libres : suite de vers réguliers mais de lon-
gueur inégale et dont les rimes sont combinées de façon variée (dans la poésie
classique) ; vers non rimés et irréguliers (depuis les symbolistes). Vers-librisme :
Suite de vers (laisse, strophe, tercet, quatrain, etc. ; poème). Vers de mirliton.
De bons, de mauvais vers. Un vers de Dante, de Corneille.
2. r Les vers : l’écriture en vers. L’idée se fait jour « qu’il existe des vers qui
ne sont pas de la poésie et qu’il est au contraire de la poésie en dehors des
vers » (Caillois). Composer, écrire, faire des vers, de la poésie. « Et Mallarmé,
avec sa douce profondeur : « Mais, Degas, ce n’est point avec des idées que
l’on fait des vers… c’est avec des mots » » (Valéry). Faiseur de vers. k rimeur,
versificateur. Recueil de vers. Œuvre en vers. Dire, réciter, déclamer des vers.
Mettre en vers, écrire en vers. k rimer, versifier. Vers de circonstance : poèmes
inspirés par l’actualité, les menus faits de la vie de l’auteur.
• PIED : 1580 ; unité rythmique constituée par un groupement de syllabes d’une
valeur déterminée (quantité, accentuation). Les pieds employés dans la
métrique ancienne. Abusivement syllabe (dans un vers français).
• CÉSURE : 1537 ; lat. cœsura « coupure », de cœdere « couper ».
Repos à l’intérieur d’un vers après une syllabe accentuée. La césure classique
coupe le vers en hémistiches et en marque la cadence.
• RIME : v. 1160 ; de rimer.
1. r Disposition de sons identiques à la finale de mots placés à la fin de deux
unités rythmiques; élément de versification, procédé poétique que constitue cette
homophonie. Rime et assonance. Mot employé pour la rime. «Rime, qui donnes
leurs sons Aux chansons » (Sainte-Beuve). « nous ne pourrons jamais secouer le
joug de la rime ; elle est essentielle à la poésie française » (Voltaire). « Ô qui dira
les torts de la Rime». (Verlaine). – Rime riche, comprenant au moins une voyelle
et sa consonne d’appui (ex. image – hommage). Rime pauvre (ex. ami – pari).
– Rime féminine, masculine, terminée par e muet ou non. Rimes plates, rimes
croisées (ou alternées), rimes embrassées. Rime intérieure, à l’hémistiche. – Rime
pour l’oreille (rime véritable) et rime pour l’œil (ex. aimer – amer). Rime en
-age, en -ment, etc., mots terminés par ces finales. Dictionnaire de rimes.
156
2. Loc. Sans rime ni raison : d’une manière incompréhensible, absurde. Il est
parti sans rime ni raison. Ça n’a ni rime ni raison, aucun sens. – (Au sens 1)
« Il faut que la rime soit raison » (Alain).
• MUSE : XIIIe ; lat. musa, gr. moûsa.
1. r Chacune des neuf déesses qui, dans la mythologie antique, présidaient
aux arts libéraux. Les neuf Muses : Clio (histoire), Calliope (éloquence, poésie
héroïque), Lempomène (tragédie), Thalie (comédie), Euterpe (musique),
Terpsichore (danse), Érato (élégie), Polymnie (lyrisme), Uranie (astronomie).
Le Parnasse, séjour des Muses. Apollon et les Muses. Spécialt. Muse qui inspire
le poète. « J’allais sous le ciel, Muse ! et j’étais ton féal » (Rimbaud).
2. r Fig. La Muse : la poésie. luth, lyre. La muse épique des anciens.
3. r Vx ou plaisant : Inspiratrice d’un poète, d’un écrivain. C’est sa muse.
• LYRE : 1548 ; lire v. 1155 ; lat. lyra, gr. lura.
1. r Instrument de musique, connu depuis la plus haute Antiquité, à cordes
pincées, fixées sur une caisse de résonance d’où partent deux montants courbes
soutenant une barre transversale. La lyre, attribut d’Apollon. – Par compar.
En forme de lyre, en lyre, galbé comme les montants de la lyre antique. Cornes
en lyre.
k Au Moyen Âge, instrument de la famille des violes.
2. r Littér. Symbole de la poésie, de l’expression poétique. Accorder, essayer
sa lyre. « Et j’ajoute à ma lyre une corde d’airain ! » (Hugo). – Fam. et vx Toute
la lyre : toutes choses ou personnes du même genre.
Exercice 8BB
1. La qualité, le genre et la disposition des rimes dans les deux quatrains de
Rodenbach :
Qualité Genre Disposition
vers 1 et 4 suffisante rimes masculines
rimes embrassées
vers 2 et 3 suffisante rimes féminines
vers 5 et 8 suffisante rimes féminines
rimes embrassées
vers 6 et 7 suffisante rimes masculines
2. Les termes rapprochés à la rime – « hiver »/« fer » ; « province »/« grince » ;
« angoisse »/« paroisse » ; « trottoirs »/« noirs » – expriment un rejet violent de la
province et de ses dimanches. La grisaille, le froid, l’omniprésence de la religion
sont mis en évidence par l’association des termes situés à la rime, qui présentent
tous des connotations négatives. On peut rapprocher cette thématique du titre
du recueil, La Jeunesse blanche, qui s’oppose aux « capuchons noirs » des femmes
du peuple hantant les rues des villes de province.
157
Analyser l’unité de la strophe
Exercice 9B
1. La mesure des vers est régulière : il s’agit d’octosyllabes.
2. Les deux strophes sont composées de six vers : il s’agit donc de sizains. Leurs
rimes sont suivies pour les deux premiers vers, puis embrassées. On retrouve donc
le schéma traditionnel du sizain (un distique + un quatrain aux rimes embras-
sées), soit AABCCB.
Exercice 10BB
1. Le schéma des rimes : ABAB CDCD (deux quatrains aux rimes croisées).
Les rimes intérieures – « étés »/« blés » ; « blés »/« sentirai » – crée un jeu d’échos
sonores dans le poème, en associant des termes rimés à la fin du premier hémis-
tiche de deux vers. On retrouve les mêmes sonorités disséminées dans la première
strophe du poème : « j’irai », « Picoté », « laisserai », « baigner ». L’assonance
suggère la gaieté du poète, son bonheur devant le spectacle de la nature et la pers-
pective d’une totale liberté.
2. Chaque strophe possède une unité syntaxique : elles sont toutes deux compo-
sées d’une seule phrase et se terminent toutes deux par un point. Mais les strophes
possèdent également une unité thématique : la première strophe évoque la nature
dont elle développe le réseau lexical (« été », « sentiers », « blés », « herbe », « fraî-
cheur », « vent », « baigner », « tête nue ») et toutes les sensations qu’elle procure
(« picoté », « sentirai », « fraîcheur », « baigner ») ; la seconde évoque les senti-
ments ressentis par le poète (« amour », « âme ») et définit la bohème : l’absence
de soucis, l’amour et le spectacle de la nature.
Exercice 12BB
Saisir,/saisir/le soir,// la pomme/et la statue, (2 + 2 + 2 + 2 + 4)
Saisir l’ombre/et le mur// et le bout// de la rue. (3 + 3 + 3 + 3)
Saisir le pied,/le cou/de la femme/couchée (4 + 2 + 3 + 3)
Et puis ouvrir/les mains.// Combien d’oiseaux/lâchés (4 + 2 + 4 + 2)
Combien d’oiseaux/perdus// qui deviennent/la rue, (4 + 2 + 3 + 3)
L’ombre,/le mur,/le soir,// la pomme/et la statue ! (1 + 3 + 2 + 2 + 4)
Jules Supervielle, Le Forçat innocent, Éd. Gallimard, 1930, DR.
Le rythme binaire des premiers vers laisse place, dans le dernier vers du poème,
au rythme accumulatif : celui-ci traduit l’impatience du poète à « saisir » le monde
qui l’entoure, souligne et renforce l’énumération finale du poème. Le premier mot
du vers 6, en s’écartant du schéma rythmique du poème, est mis en valeur :
« ombre » est le mot-clé, riche de connotations.
Exercice 14BB
1. Tous les vers de ce court poème de jeunesse de Baudelaire comportent douze
syllabes : ce sont des alexandrins.
159
2. Les accents et les coupes :
Il aimait/à la voir,// avec ses jupes/blanches,
Courir/tout au travers// du feuillage/et des branches,
Gauche/et pleine de grâce,// alors// qu’elle cachait
Sa jambe,/si la robe// aux buissons/s’accrochait.
Charles Baudelaire, Poèmes de jeunesse, publié en 1872.
3. C’est, au dernier vers, le mot « jambe » qui est mis en valeur, à travers le rejet.
D’autant plus que la ponctuation se confond jusqu’alors avec la métrique. Le
poème donne l’impression fugitive de la course de la jeune fille à travers les
feuillages, expression de la grâce, de la pudeur et de la naissance du désir amou-
reux.
4. Critères dévaluation de la lecture du poème :
– respect des liaisons ;
– respect de la règle du e muet ;
– coïncidence des accents du poème avec l’intonation.
Exercice 19BB
1. Les répétitions lexicales apparaissent dans « aucun express » (dans le titre et
dans les vers 1 et 29), « aucun » (v. 1, 3, 4, 5, 7, 9, 23, 25, 26, 27, 29, 31, 32, 33,
34), « j’ai tout essayé » (v. 11, 12), « je me suis emporté/trans-porté » (v. 15, 16,
21, 22). Le texte est structuré par une répétition syntaxique : l’anaphore « aucun »
+ moyen de transport.
2. Le champ lexical dominant du texte est celui des moyens de transports :
« express, tacot, Concorde, navire, trolley, vapeur, escalator, chariot ailé, trans-
porté, grands axes, landau, astronef ».
3. La chanson joue sur le double sens du mot « transport » qui désigne le moyen
de se déplacer d’un point à un autre mais aussi le sentiment amoureux. L’« enver-
gure » (v. 4) désigne à la fois la largeur des ailes du Concorde et la personnalité
de l’être aimé. « Fondre » (v. 9) renvoie à la chaleur de la vapeur comme à l’at-
tendrissement amoureux. Les « méandres » (v. 14) sont à la fois les courbes d’un
fleuve et celles du corps de l’être aimé, le « landau » (v. 23) renvoie au moyen de
transport de l’enfant et à la pater-nité (« bouche bée », v. 24).
4. La chanson d’Alain Bashung aborde les thèmes du rapport amoureux en filant
la métaphore à partir de la polysémie du mot « transport » qui désigne à la fois
les moyens de locomotion et l’état amoureux. Lointain écho à « L’invitation au
voyage » de Baudelaire, ce texte dédié à la femme aimée (« sinon toi », v. 28) exalte
la grandeur des sentiments que son auteur éprouve. Aucun moyen de transport,
fût-il un astronef, ne peut emporterl’auteur comme le fait la femme aimée. La
chanson peut être interprétée comme une déclaration d’amour aussi originale
qu’hyperbolique.
162
Étudier les caractéristiques
du langage poétique
Exercice 20BB
1. Les répétitions sonores, syntaxiques et lexicales qui rythment le poème :
– répétition des quatrains, qui constituent chacun une phrase ;
– présence de rimes croisées, qui développent leurs sonorités dans la strophe (ex. :
ABAB) ;
– répétition du mot-clé du poème : « jeune fille » (v. 1 et 11).
2. Le terme « harmonie » (v. 11) est polysémique ; on peut lui donner différents
sens. Il peut renvoyer à l’harmonie entre deux êtres (« C’est peut-être la seule au
monde/Dont le cœur au mien répondrait ») ou encore à l’harmonie du poète avec
le monde et lui-même (« Adieu, doux rayon qui m’a lui »). Mais il peut également
désigner l’harmonie musicale du poème, celle du refrain évoqué au vers 4 : la
jeune fille est une figure de la muse inspiratrice ; seule sa présence permet au poète
de trouver les mots justes.
Exercice 21BB
1. Les réseaux lexicaux développés par le poème de Charles d’Orléans :
Les saisons Les habits La nature
– « temps » (v. 1, 7 – « manteau » (v. 1, 7 – « bête », « oiseau »
et 13) ; et 13) ; (v. 5) ;
– « vent », « froidure », – « vêtu », « broderie » – « Rivière, fontaine et
« pluie » (v. 2) ; (v. 3) ; ruisseau » (v. 9) ;
– «soleil luisant» (v. 4). – « portent », « livrée » – « gouttes » (v. 11).
(v. 10) ;
– « s’habille » (v. 12).
La présence des réseaux lexicaux des saisons et des habits s’explique par la per-
sonnification qui parcourt le poème : le poète compare le temps météorologique
à un être humain, dont les habits varient en fonction des saisons.
2. Le poème est un rondeau, première forme fixe à apparaître à la fin du
XIIIesiècle : le rondeau est lié au chant et à la danse ; il signifie « danse en rond ».
À l’origine composé d’une strophe unique, dont la particularité est la présence
d’un refrain, le rondeau se transforme au XIVe siècle pour s’organiser en plusieurs
strophes : ici, trois strophes de respectivement quatre, trois et cinq vers.
Le refrain se retrouve d’une strophe à l’autre (« Le temps a laissé son manteau »,
v. 1, 7 et 13) tandis que les rimes, qui se répètent d’une strophe à l’autre, adop-
tent le schéma suivant : ABBA ABA ABBAA. Toutes les combinaisons possibles
se retrouvent, comme si le poème était constitué de trois quatrains aux rimes
embrassées, puis croisées, puis suivies : ABBA ABAB BBAA.
La première strophe développe le thème du temps qui échange le manteau qu’il
utilise en hiver pour la broderie qu’il revêt au printemps. Les vers 2 et 4 oppo-
sent ainsi le « vent », la « froidure » et la « pluie » au « soleil luisant, clair et beau ».
163
La seconde strophe met en scène le spectacle du réveil joyeux de la nature qui
reprend en chœur le refrain. La troisième strophe établit le constat des change-
ments produits par l’arrivée du printemps : chacun change sa façon d’être,
« Chacun s’habille de nouveau :/Le temps a laissé son manteau ».
Exercice 22BB
1. Le réseau lexical dominant du poème est celui de la mer : « sables » (titre et
vers 6) ; « vents et marées » (v. 2, 8 et 13) ; « mer » (v. 3 et 9) ; « algue », « vent »
(v. 5) ; « vagues » (v. 11 et 14).
2. et 3. Le premier vers (« Démons et merveilles ») joue sur l’expression « monts
et merveilles ». Quels sont ces démons auxquels le poète fait allu-sion ? On peut
supposer qu’ils renvoient aux « yeux entrouverts » évoqués au vers 10, regard qui
promet monts et merveilles à celui qui s’y plonge… Plus généralement le titre du
poème pourrait évoquer un danger, mais le lyrisme amoureux et le rythme lan-
cinant du poème créent une atmosphère doucement envoûtante à laquelle cède
l’homme amoureux.
EXO-BAC
(PAGE 173)
Écriture
Éléments de réponse :
– le texte A est un poème en vers, un sonnet d’apparence classique, tandis que le
texte B est un poème en prose, écrit postérieurement ;
164
– le poème en prose partage avec le sonnet un certain nombre de thèmes
communs : le parfum, le souvenir, l’exotisme ; mais il s’en distingue également :
le « sein chaleureux » du sonnet y laisse place à « l’odeur de tes cheveux » ;
– le sonnet présente un univers plus condensé, dispose d’un espace moindre ; le
poème en prose est plus long, il peut s’étendre pour développer les mêmes impres-
sions et sensations ;
– les procédés : le sonnet utilise les ressources de la versification (métrique, rimes,
sonorités), tandis que le poème en prose joue surtout sur les effets de répétitions
sonores et lexicales ; les deux textes ont en commun les images poétiques, les alli-
térations et les assonances ;
– les deux poèmes évoquent, chacun à leur manière, un même univers, fait d’har-
monie et de sensualité.
Remarque. Le parfum révèle l’univers des souvenirs. Baudelaire ne précise pas
que tel parfum lui rappelle tel lieu, tel moment ou tel événement : le parfum le
place dans une ambiance où se reconstruit l’univers rêvé : « Parfois on trouve un
vieux flacon qui se souvient,/D’où surgit toute vive une âme qui revient ». Le
parfum se présente ainsi comme l’occasion de lier les sensations et les impres-
sions, une ressource artistique, une trouvaille esthétique qui permet de donner,
vers ou prose, une unité au monde surgi de l’écriture. Dans la mesure où les sen-
sations olfactives sont particulièrement sensuelles, le parfum est aussi le moyen
privilégié d’évoquer la femme et de la caractériser.
Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés.
• Affirmation, pour chaque paragraphe, d’une idée directrice guidant la confron-
tation des deux poèmes.
• Utilisation du vocabulaire de l’analyse du texte poétique ; interprétation des
procédés repérés.
165
LES GENRES
CHAPITRE
15 Le théâtre
(PAGES 174 à 191)
OBSERVATION
(PAGES 175-176)
EXERCICES
(PAGES 180 à 190)
Exercice 2B
1. Le spectateur sait ce qu’ignore Éraste, qui croit s’adresser à Angélique. Cet
effet de la double énonciation est source de comique et tient le spectateur en
suspens : jusqu’à quand durera la confusion ? Que dira le père à son fils ?
2. C’est le taffetas du domino qui abuse Éraste et rend vraisemblable un qui-
proquo causé par l’obscurité.
Exercice 4BB
Le spectateur connaît l’innocence d’Hippolyte puisqu’il a assisté à sa tentative de
séduction par Phèdre et qu’il a vu à l’œuvre la noirceur de sa belle-mère. En écou-
tant Thésée demander au plus redoutable des dieux de punir son fils, le specta-
teur voit l’aveuglement du roi, victime de son épouse mais aussi des dieux
eux-mêmes. Cet égarement qui montre la faiblesse du roi, la fragilité de la vertu
et qui fait d’Hippolyte une victime innocente rend le passage particulièrement
tragique. Les vers 5 et 6 où Thésée avoue l’amour et la confiance qu’il a pour son
fils rendent la scène encore plus poignante. L’effet tiré de la double énonciation
renforce ici le tragique de la scène.
Exercice 6B
1. Florindo est d’abord seul (l. 1 à 4) puis il est observé par Ottavio (l. 6 à 10),
s’aperçoit de la présence d’Ottavio (l. 10) et lui adresse la parole (l. 12 et 13).
2. Le recours au monologue est justifié par la timidité de Florindo. Nous appre-
nons ainsi cet amour que Florindo n’ose déclarer.
3. Le monologue permet au personnage de s’exprimer librement, d’autant plus
librement que l’interlocutrice désirée et redoutée est absente. L’aparté réagit à la
présence d’un personnage en scène : il pourrait difficilement se prolonger aussi
longuement que le monologue.
171
4. L’humour naît d’abord de la timidité de l’amoureux volubile tant que la dame
aimée est absente. On sourit ensuite du brusque changement de ton de Florindo :
le discours amoureux qui célèbre l’« adorable balcon » (l. 1) se transforme en dis-
cours culturel et convenu sur « la belle architecture » (l. 12 et 13).
Exercice 7BB
1. Aux vers 3 et 4, Agamemnon, dans sa colère, s’adresse au bouillant Achille
qui vient de quitter la scène. Il le tutoie alors qu’il le vouvoyait lorsqu’il était en
sa présence. Les deux vers révèlent la colère d’Agamemnon blessé dans son orgueil
par le jeune héros qui vient de le menacer. Apostrophant ainsi Achille, il le rend
responsable du meurtre d’Iphigénie qu’il va ordonner.
2. Les deux verbes à l’impératif sont le tournant de ce monologue. Agamemnon
a décidé de livrer sa fille aux prêtres chargés de la sacrifier. Sous le coup de sa
colère, qu’il accentue peut-être pour mieux se justifier, il n’a pas eu à délibérer
longtemps pour se décider.
3. Les motivations d’Agamemnon sont hélas très claires. Le roi des rois s’est senti
défié, menacé par Achille, et devant de telles menaces, la vie de sa fille ne compte
plus. Ce qui est effrayant, c’est la tranquille lucidité de ce père pourtant aimant.
Ce qui le décide, c’est sa « gloire intéressée » (v. 6). On ne peut pas être plus clair.
Achille, du reste, avait été trop content de le menacer. On est entre hommes, entre
héros, entre rois : pauvre Iphigénie !
Exercice 8BB
1. Texte A : le premier parallélisme, en chiasme, est : « amant d’aujourd’hui » (l.
3) et « demain mon mari » (l. 4). Le second unit la question et la réponse (l. 9 à
12). La reprise de la conjonction amène le parallélisme entre « m’en parler du
matin jusqu’au soir » et « te le prouver du soir jusqu’au matin », que renforce le
chiasme final, matin-soir/soir-matin.
Texte B : le parallélisme entre la question et la réponse joue sur la reprise de l’im-
personnel « il faut » (l. 8) ainsi que l’identique brièveté (quatre syllabes) des deux
répliques.
2. Texte A : le premier parallélisme montre l’esprit de Suzanne et la met à l’unis-
son de son futur mari toujours fertile en mots qui font mouche. Le second crée
un effet d’écho qui unit les deux personnages dans le même jeu amoureux : com-
plicité que soulignent, s’il en était besoin, les didascalies.
Texte B : le parallélisme souligne la présence d’esprit mais aussi l’insolence du
valet qui ose répondre. En répondant et sur ce ton et à cette vitesse, le valet rejette
toute culpabilité alors que la question du temps est une question sensible pour
les pouvoirs ; il sait bien que, comme le dit Corneille, « ce n’est pas obéir qu’obéir
lentement ».
3. La question attire l’attention sur le passage de la réplique à la maxime que le
public retiendra car sa validité ne se limite pas à l’échange des seuls personnages
en scène. La réplique de Figaro, à laquelle le pluriel et le présent de vérité géné-
172
rale donnent l’extension de la maxime, permet à l’auteur de s’adresser directe-
ment au public : l’ambiguïté propre au théâtre (est-ce le personnage ou est-ce l’au-
teur qui parlent ?) fait toute la saveur du mot d’auteur, qui est différente dans le
roman, où les maximes sont aussi courantes.
Exercice 9B
1. Les élèves repéreront facilement l’opposition entre les expressions adressées à
l’interlocuteur, « Ma petite Amélie » (l. 3), « Et moi donc » (l. 10), et les formules
insultantes mises en aparté « Petite traînée » (l. 4), « Salaud » (l. 11). Ces apartés,
si explicites, jettent le doute sur les autres répliques : « je suis bien content » (l. 9),
« Aux anges » (l. 13) se comprennent comme des antiphrases.
2. Le comique naît de la situation et de l’impossibilité de tout dialogue véritable
entre les personnages. La fausseté des formules de politesse ou d’amitié éclate
ouvertement et l’effet comique est d’autant plus fort que la confusion est géné-
rale et affecte tous les personnages en scène.
Exercice 10BB
1. Le recours à l’aparté est nécessaire car un véritable dialogue est impossible
entre la jeune reine et le jeune messager. Le dialogue officiel, celui que toute la
cour peut entendre, est doublé par les pensées inavouables des deux personnages:
Ruy Blas ne peut montrer sa jalousie, la reine ne peut montrer qu’elle est inté-
ressée par le jeune homme. L’aparté rend ainsi sensible la force de l’interdit qui
sépare les deux jeunes gens.
2. Ces apartés font avancer l’action car ils montrent que la reine n’est pas insen-
sible au jeune homme et qu’elle commence à se douter qu’il est le mystérieux
auteur de la déclaration d’amour reçue trois jours plus tôt.
3. Les apartés contribuent à la tension dramatique puisqu’ils font pressentir que
quelque chose est possible. La reine se montre « émue » et l’attitude de son royal
époux justifie ou excuse ce trouble qu’elle éprouve. Si elle reconnaît l’auteur du
message, comment réagira-t-elle ? Comment Ruy Blas surmontera-t-il la jalousie
qu’il éprouve, l’amour qui le consume ? Le spectateur sait qu’ils sont, sans le
savoir, en train de sombrer dans le piège que leur a tendu l’ennemi de la reine.
Exercice 12BB
1. Les circonstances du dialogue qui s’engage de même que le nom et la situa-
tion des personnages ne sont pas indiqués dans ces premières répliques. Le lecteur
sait que le troisième personnage est Le Fils et il peut se douter que Elle et Lui sont
ses parents, mais rien ne l’indique au spectateur. Cependant, surgit immédiate-
ment l’expression d’un désaccord entre les deux personnages, désaccord que l’in-
tervention du troisième personnage approfondit. Ainsi, l’action est lancée avec
une remarquable économie de moyens. On est d’emblée devant l’essentiel : les
relations, accord, désaccord, entre les personnages.
2. Face à Lui, qui appelle à l’euphorie de l’accord, Elle se refuse à partager la joie
qu’appelle la formule « c’est beau ». Les didascalies « hésitante » (l. 2), « comme
à contrecœur » (l. 4) marquent sa timidité, sa réticence : il s’agit d’une nuance
presque imperceptible mais Lui sent bien qu’il s’agit d’un refus, d’une rupture,
d’où son inquiétude, son incompréhension. Nathalie Sarraute éclaire avec une
force incisive les effets d’une intonation. À bien écouter ce « Oui… » (l. 2), c’est
une véritable rupture, une révolte, un refus, un « non » en tout cas qui s’entend.
Le jugement esthétique, en soi sans doute indifférent, révèle des abîmes entre les
êtres et met à jour les rapports de force. Elle s’écarte de Lui parce que Le Fils est
là et qu’elle redoute sa réaction.
Exercice 13B
1. Le recours au monologue souligne la solitude absolue à laquelle Jason se voit
réduit : ses enfants ont été tués, la fille du roi qu’il comptait épouser est morte et
Médée vient de lui échapper. Solitude absolue, impuissance absolue : il ne lui reste
plus qu’à mourir.
2. La comparaison de l’exposition et du dénouement est cruelle pour le pauvre
Jason. Que reste-t-il de son arrogante désinvolture, du cynisme avec lequel il évo-
quait l’abandon de Médée et d’Hypsipile ? Il justifie son suicide par l’impossibi-
lité de punir Médée ; il regrette de ne pouvoir venger Créuse : tel était son devoir.
Il se révèle pressé de retrouver celle qu’il voulait épouser et s’en remet aux dieux
pour rétablir une justice qu’il avait oubliée en trahissant Médée.
174
3. Ce terrifiant dénouement est tragique puisqu’il donne une image de la faiblesse
essentielle de l’être humain. Jason, certes, a trahi la confiance de Médée, mais il
est réduit à l’impuissance par une « sorcière » (v. 8) et s’en remet aux dieux pour
rétablir la justice. Cette pitoyable image de l’humanité est propre au registre tra-
gique.
Exercice 14BB
1. La conversation continue et le trio familial est toujours au complet. Les mêmes
tensions déchirent les personnages. Le fils continue à affronter le père et la mère
continue à soutenir son fils. Le conflit reste toujours aussi vif et ne connaît pas
la résolution attendue dans un dénouement.
2. La réplique finale, cependant, cherche à mettre fin à la conversation par un
retour autoritaire à l’ordre : le fils doit se taire devant son père et ne pas usurper
la posture magistrale. À partir de là, les mots que le fils utilise sont mis en ques-
tion. Coup de force pour finir, mais que l’on sent aussi fragile qu’arbitraire.
Exercice 16BB
Les deux intrigues des œuvres de lonesco et de Beckett éliminent les conflits, fami-
liaux, sociaux, religieux, politiques, idéologiques dont se nourrissent tant d’œuvres
théâtrales. Il n’y a pas d’histoire : de là le sentiment qu’il n’y a ni début ni fin puis-
qu’on pourrait imaginer un troisième acte semblable au deuxième : on peut
attendre longtemps Godot et les Smith pourront toujours prendre la place des
Martin. Comme aucune action n’est nouée qui opposerait des obstacles aux désirs
des personnages, il n’y a ni exposition, ni dénouement. N’est-ce pas ce vide même,
cette absence d’une action qui donnerait sens aux dialogues, que les deux intrigues
font voir ?
Exercice 17BB
1. La chaleur donne l’occasion d’ouvrir la fenêtre. La phrase que « crie » Suzanne
175
(l. 9 à 12) détaille ce qu’elle est en train d’apercevoir : d’abord le Comte puis
Pédrille puis les chiens qu’elle compte, au fur et à mesure qu’ils entrent dans son
champ de vision. Essentielle pour l’intrigue, la réplique donne une réalité tangible
à l’espace que la scène ne peut représenter.
2. En donnant une réalité à l’espace extérieur, en faisant croire que la fenêtre
s’ouvre sur les allées du jardin et non sur les coulisses, Beaumarchais donne aussi
plus de réalité à la chambre représentée sur scène. L’illusion théâtrale est parfaite :
on peut se prendre au jeu. On pourra prolonger cet exercice en proposant aux
élèves de chercher dans Le Mariage de Figaro (ou dans la pièce qu’ils lisent ou
étudient) d’autres passages où l’espace hors-scène est évoqué. Dans le seul acte
II du Mariage, on s’appuiera sur les scènes 14, 15 et 21.
Exercice 18BB
1. Les trois premières répliques font sentir le passage du temps en décrivant à la
seconde près l’inexorable écoulement du temps. On pense au vers de Boileau :
« Le moment où je parle est déjà loin de moi. »
2. Ionesco souligne que son œuvre respecte absolument l’unité de temps puisque
la durée de la présentation coïncide, à la seconde près, à la durée de l’action repré-
sentée. Marguerite et le médecin annoncent ainsi l’inexorable dénouement. Le
temps irréversible mène directement à la mort.
3. Cette parfaite coïncidence permet de jouer sur les mots. Le mot « distraire »,
évoque évidemment l’amusement, le divertissement au sens que lui a donné Pascal:
le théâtre n’en est-il pas une forme essentielle ? Le mot « programme » désigne les
suites d’action qu’on a l’intention d’accomplir mais aussi le petit livret qui décrit
les divers moments d’un spectacle (musical ou théâtral) ou d’une cérémonie. La
« cérémonie » qui commence désigne à la fois la représentation théâtrale et la
mort du roi Bérenger 1er.
Remarque. Les indications, malheureusement trop rapides, données dans les
repères aideront les élèves à étudier le temps au niveau d’une œuvre intégrale.
L’exercice proposé les invite à noter la façon dont les écrivains peuvent faire du
temps un thème de leur création.
Exercice 22B
Le diminutif, les sonorités amusantes et suggestives font de Lisette, Trapolin et
Durillon des noms de personnages de comédie. Dans la comédie de Dancourt, Les
Agioteurs, jouée en 1710, Monsieur Durillon est le nom d’un procureur. Lisette
est le plus souvent le nom d’une servante alors que le doux prénom d’Angélique
(qui apparaît dans la comédie du Malade imaginaire comme dans les comédies de
Régnard et de Dancourt) convient à la jeune première, l’héroïne de la comédie.
La terminaison latine, le lien à l’histoire et à la mythologie font d’Antiochus, de
Thésée et d’Albin des noms de personnages de tragédie. Mais une surprise est
toujours possible : ainsi, le nom de Nicomède, que Corneille a rendu glorieux, ne
baptise plus dans Le Deuil de Hauteroche (1672) qu’un humble valet de comédie.
Exercice 23B
Extrait 1. Les vers de Jacques Pradon (1644-1698) sont tirés de la tragédie Phèdre
et Hippolyte (1677).
Extrait 2. Les vers de Jean Galbert de Campistron (1656-1723) sont tirés de la
tragédie Tiridate (1691).
Extrait 3. Les vers de Jean-François Régnard (1655-1709) sont tirés de la comédie
Le Joueur (1696).
Extrait 4. Les vers de Paul Scarron (1610-1660) sont tirés de la comédie Jodelet
ou le Maître valet (1643).
179
Les modalités interrogatives et exclamatives participent sans doute à la noblesse
du registre tragique, mais elles se retrouvent évidemment dans la comédie, comme
on le voit (s’il en était besoin) aux vers de Scarron. De même les superlatifs, les
expressions hyperboliques peuvent se retrouver aussi dans la comédie comme le
montre l’emploi de « fureurs nonpareilles ». Ce qui semble être un indice décisif,
c’est le lexique du corps : limitée dans les extraits de tragédie à la synecdoque
« quelles mains », l’évocation du corps est plus précise dans la comédie : « perdra
ses oreilles », « face, profil, jambe, bras ou main ». Mais on se souvient que dans
Phèdre, Racine a écrit : « Ton nom semble offenser ses superbes oreilles. » Le verbe
« guigner » qui, selon Furetière, « se dit aussi de ceux qui regardent quelque chose
assidûment et avec envie de l’obtenir » a peu de chance d’apparaître dans une tra-
gédie. Le registre, le genre, les traits lexicaux et syntaxiques se combinent de façon
complexe : on ne peut définir le genre aux seuls indices linguistiques.
Exercice 24BB
1. On trouve dans ce passage les critères du genre comique indiqués dans le
tableau de la page 178. Les personnages semblent appartenir à la société actuelle ;
la situation évoquée (l’échange de cadeaux un jour de Noël) peut être reconnue
et vécue par tout un chacun. La langue employée est familière et les auteurs cher-
chent à provoquer le rire.
2. La situation évoquée étant connue de tous, elle se prête à la représentation.
La mise à distance, inhérente à l’imitation, à la mimesis, se prête à cette mise en
jeu qui permet à chacun de reconnaître un moment de la vie quotidienne, moment
essentiel (et parfois périlleux) de la vie familiale et sociale : celui de l’échange. Le
spectateur peut se reconnaître tour à tour dans le rôle de celui qui offre et dans
le rôle de celui qui reçoit.
3. La question attire l’attention sur le rôle de l’indispensable accessoire, le gilet,
qui contribue à inscrire la scène dans le registre comique. La chose est au centre
du jeu qui se développe tout au long de la scène : d’abord attendu pendant le
déballage (l. 13), mal identifié (l. 16) puis difficilement enfilé (l. 28, l. 33), le gilet
tricoté est enfin longuement commenté (l. 24 et 25, l. 46).
Outrageusement difforme, apparemment inachevé, d’un coloris prétendument
élégant mais terne, l’accessoire est l’occasion de tous les excès qui provoquent le
rire. Il condense, à la façon d’une caricature, toute la laideur de ce qu’on pour-
rait appeler le « tricoté maison », bonheur de ceux qui font les tricots, malheur
(parfois) de ceux qui les portent.
4. Mortez commence par prendre le gilet pour une serpillière et il doit rapide-
ment effacer sa bévue en multipliant les « bien sûr » (l. 21 et 22). Ensuite, il feint
d’admirer le choix des coloris, mais « la touche de gaieté » (l. 31) résonne comme
une antiphrase. De la même façon, la répétition de « je suis ravi » (l. 34 et 36)
essaie d’étouffer la déception. L’expression « comme ça jamais » (l. 36) qui sou-
ligne pour le spectateur le côté indescriptible de la chose est entendue par Thérèse
comme un compliment : « c’est une chose qui n’est pas courante ». On est au bord
d’un quiproquo. Thérèse ne semble pas comprendre non plus l’ironie désinvolte
180
de Mortez qui veut limiter l’usage du gilet à la descente des poubelles (l. 42 à 44).
C’est Mortez qui doit ensuite rassurer Thérèse légèrement inquiète de ses audaces :
« il n’y a pas de mal » (l. 52) mais l’on sent son soulagement lorsqu’il trouve une
raison pour ne pas enfiler le joli gilet. L’amusement redouble lorsque la scène s’in-
verse et que Mortez entame l’éloge du cadeau qu’il offre à Thérèse.
Exercice 25BBB
1. La question invite à analyser les termes du sujet puisque toute dissertation doit
commencer par là. La plupart des élèves pourront expliquer « idolâtrie » par
« adoration » ou « admiration excessive », « fixés » par « figés » ; le mot « confor-
misme » ne devrait pas poser de difficulté et l’explication portera alors sur le mot
« bourgeois », qui invite à faire de la résistance au conformisme un acte libéra-
teur et révolutionnaire. L’analyse du sujet pourra se poursuivre par l’explication
de « immédiate, directe ».
2. On passe à la deuxième étape de l’analyse du sujet : la recherche des références.
La dissertation peut puiser certes dans les textes du corpus mais on s’attend à ce
que les œuvres étudiées pendant l’année soient évoquées. Cette étape est essen-
tielle et encourageante car elle permet de revenir sur les œuvres étudiées et de
donner confiance aux élèves qui ne voient pas comment utiliser ce qu’ils savent
pour traiter un sujet. Dès cette étape, il faut montrer comment ces références
peuvent éclairer la remarque en jeu. Comme les termes de la citation portent sur
tout chef-d’œuvre, on ne se limite pas forcément aux œuvres littéraires. L’étude
d’un mouvement littéraire et culturel facilitera cette orientation.
Quelques œuvres actuelles qui s’inscrivent dans la définition d’Artaud: Une femme
(Anne Ernaux) ; L’Émission de télévision (Michel Vinaver), Art (Yasmina Réza) ;
Extension du domaine de la lutte (Michel Houellebecq)… Quelques chefs-d’œuvre
du passé : L’Avare (Molière) ; Le Père Goriot (Balzac) ; Les Fleurs du mal
(Baudelaire) ; Madame Bovary (Flaubert) ; Du côté de chez Swann (Marcel
Proust) ; L’Étranger (Albert Camus)…
3. La question invite à réfléchir sur ce pronom « nous » qui semble aller de soi
mais dans lequel chacun n’est pas forcé de se reconnaître. De la même façon, le
mot « actuelles » pourra être mis en question.
On peut évoquer, pour illustrer ces « façons de sentir actuelles », l’œuvre d’Assia
Djebar, qui évoque la mémoire des femmes algériennes, la nostalgie et l’engage-
ment militant (Vaste est la prison, 1985). On peut aussi citer les ouvrages de
Michel Houellebecq qui dressent un bilan de la société contemporaine (Extension
du domaine de la lutte, 1994).
4. La question porte sur « un chef-d’œuvre théâtral » parce qu’il est certain que,
depuis le collège, chacun aura au moins étudié une fois un chef-d’œuvre du passé.
Elle devrait permettre l’expression sincère de réactions personnelles, ce qui devrait
donner un sens à l’exercice de dissertation. Mais on sera attentif à ce que les
termes du sujet soient précisément évoqués. On reconnaîtra, par exemple, que la
question des privilèges de la noblesse telle qu’elle est mise en scène, par exemple
dans Le Mariage de Figaro, est intéressante mais que cette question se pose dif-
181
féremment deux siècles après la Révolution française. L’œuvre de Beaumarchais,
si admirable soit-elle dans son genre, ne nous touche plus de façon « immédiate,
directe ». C’est en s’appuyant sur ces termes que le paragraphe gagnera en perti-
nence et abordera la question de la langue, du style évoquée par la formule
« façons de sentir actuelles ».
5. La question appelle à réfléchir sur la notion de chef-d’œuvre. Un chef-d’œuvre
est une œuvre qui nous (ce fameux « nous » !) parle encore aujourd’hui de façon
« immédiate, directe ». Si l’intérêt que nous portons à telle œuvre est de l’ordre
de la curiosité historique, alors ce n’est pas un chef-d’œuvre. Le chef-d’œuvre,
c’est l’œuvre qui est encore vivante : rien n’est moins « fixé » qu’un chef-d’œuvre
puisqu’il est capable d’être lu et apprécié de mille façons différentes. Ils sont si
peu «fixés» qu’on en voit tous les jours perdre leur statut de chef-d’œuvre, comme
la plupart des poésies de Musset, par exemple. Les chefs-d’œuvre bougent, vivent,
meurent, ressuscitent comme les sociétés qui leur ont donné naissance. Est-ce se
faire des illusions de penser que c’est le propre des œuvres d’art (et de la philo-
sophie) de pouvoir rouler ainsi d’âge en âge jusqu’à nous ?
Exercice 27BB
1. Le récit progresse par étapes qui révèlent peu à peu la gravité de l’accident : le
sauvetage a d’abord l’air naturel (l. 3), puis facile, spontané (l. 8 et 9) et se révèle
enfin périlleux et délicat (l. 12 à 16).
2. Le sauveteur croit que la formule « c’est vous » exprime admiration et recon-
naissance, et il réagit par l’expression d’une noble modestie : « je n’ai fait que mon
devoir ! » (l. 3), « et puis c’est tout, quoi ! » (l. 9). Et c’est sans doute sur le même
ton qu’il dit « et puis on l’a sauvé ! » (l. 15 et 16).
3. La dernière réplique crée la surprise et provoque le rire. La formule « c’est
vous », que le sauveteur avait prise pour des félicitations émerveillées, était en
fait, dans l’esprit du père, l’expression d’un reproche et d’une réclamation.
4. Le caractère dramatique de la scène ne nuit pas au comique puisqu’il donne
toute sa force au quiproquo. Mais il fallait, bien sûr, que l’enfant ait été sauvé.
Exercice 29BB
1. Les didascalies soulignent la complexité mouvante des rapports entre le fils et
la mère. Le ton « très dur » avec lequel le fils donne des ordres à sa mère semble
d’autant plus impérieux et cassant que la mère obéit « sans un mot ». Mais au fur
et à mesure que la mère s’engage dans sa danse, le ton du fils change, se nuance
de respect comme on le voit à l’apostrophe « madame » (l. 8), bientôt corrigée
cependant par le mot « vieille » (l. 11, 13 et 16). Il finit par rire « aux éclats »
(l. 19). La mère est alors parfaitement accordée au fils puisqu’elle chante avec lui
« en écho » (l. 20) et c’est elle qui lui donne des ordres (l. 22), la mère entraînant
le fils dans le mouvement que le fils avait imposé à la mère. Le bonheur vertigi-
neux de cette danse est souligné par la didascalie où l’auteur note son « élégance ».
Mais toutes les répliques du fils disent aussi son bonheur et son admiration. Les
apostrophes aux palmiers, au vent puis aux cailloux, les modalités impératives qui
marquent ici l’enthousiasme, le désir, l’émerveillement contribuent à faire de la
danse un événement merveilleux, aussi éclatant qu’une révolution.
2. Les éléments évoqués dans la réponse précédente inscrivent la scène dans le
registre lyrique. La fantaisie des souliers, l’énergie déployée, l’élan émerveillé,
l’appel aux forces de la nature participent à cette célébration exaltée qui est le
propre du lyrisme. Un autre aspect de l’existence semble apparaître qui renverse,
comme une révolution, le cours ordinaire de la vie : la marche se transforme en
danse, la parole en musique.
EXO-BAC
(PAGE 191)
Écriture
Le rapprochement des deux textes montre à quel point les deux personnages sont
proches : même fascination pour le pouvoir, même envie d’étouffer l’autre en le
domestiquant ou en l’écartant, même façon de faire de l’être le plus proche le plus
menaçant rival. La relation qui les noue l’un à l’autre est une relation de pouvoir
qu’exacerbe le rang élevé, le plus élevé possible, qu’ils occupent sur la scène
du monde.
Néron présente sa mère comme une puissance dont il a du mal à s’affranchir. Le
regard maternel le frappe de timidité : « pouvoir » rime ici avec « devoir » (v. 6
et 7) car c’est d’elle qu’il tenait ce qu’il devait faire. Le souvenir de « tant de bien-
faits » lui impose un sentiment de reconnaissance qu’il ressent comme une
contrainte et comme une faiblesse. Il s’efforce de reculer dans le passé ce qui pour-
rait le lier à elle (passé composé de « j’ai lu si longtemps » et « mémoire », v. 7 et
8). Le sentiment dominant est la crainte d’être en sa présence: terrorisé, «étonné»,
il « tremble » devant elle et c’est toujours un malheur que d’être exposé « à sa
185
vue » (v. 5). On comprend son effroi quand on découvre ce qu’il représente pour
sa mère. Le fils qu’elle aime est un fils qui lui renvoie les vœux de la cour. Pur
reflet du pouvoir maternel, il incarne une force dont elle est l’âme. Le fils est,
comme le sénat évoqué au vers 12, ce « grand corps » dont elle est « l’âme toute
puissante ». Elle se réjouit de le voir « mal assuré » : que Néron prenne conscience
de son pouvoir, c’est pour elle « être enivré », être emporté par ce que Littré définit
comme « le trouble produit dans une âme par une passion, par une possession ».
Littré cite Racine qui fait dire à Joas (Athalie, IV, 5) : « De l’absolu pouvoir vous
ignorez l’ivresse » : une ivresse qu’Agrippine n’ignore pas.
Le « dépit » qu’éprouve Agrippine se présente d’abord comme un besoin de
« confiance » (v. 4) mais cette confiance s’analyse en termes politiques. Ce
« crédit » qui tombe désigne la « puissance, l’autorité, les richesses qu’on
acquiert » (Furetière) grâce à la confiance qu’on vous accorde. Ce « crédit » est
la mesure de la « grandeur ». Le bonheur perdu d’Agrippine est celui du pouvoir
qu’elle possédait lorsqu’elle avait le soin de « tout l’État », lorsqu’elle était « l’âme
toute-puissante » du Sénat romain et que son « ordre au palais assemblait le
Sénat ». Ce bonheur du pouvoir se redoublait d’être dissimulé « derrière un
voile » : d’être « invisible » la rendait plus « présente ». Bientôt Néron se cachera
lui aussi pour épier Junie parlant à Britannicus. La tirade de Néron confirme la
position de pouvoir occupée par Agrippine dont il redoute le caractère impé-
rieux et dominateur. En entendant le fils, on voit comment ce qui semble si
naturel à la mère peut être écrasant, terrifiant. Ce qu’il appelle « son devoir »
n’a existé que par le « pouvoir de ces yeux » maternels. La résistance dont elle
se plaint n’est qu’une fuite, la seule façon pour lui de résister à un pouvoir qui
l’étouffe. Les deux personnages s’éclairent ainsi par ces discours qui révèlent la
profondeur de leur relation.
Critères de réussite
• Prise en compte des termes de la question qui invitent à comparer les relations
entre les deux personnages.
• Effort d’organisation de la réponse à partir de deux ou trois paragraphes
clairement délimités.
• Présence de citations brèves mais clairement commentées et intégrées à l’expli-
cation proposée.
186
LES GENRES
CHAPITRE
On assiste au long des siècles à une diversité toujours plus grande des
formes de l’argumentation. Cette diversité répond à l’évolution et à l’his-
toire de la littérature, comme à celle de ses supports et des moyens de la
communication, qui correspondent aux enjeux sociaux, politiques et phi-
losophiques de chaque époque.
Mais on mesure également combien persistent le modèle et les principes de
la rhétorique de l’Antiquité, en retrouvant derrière l’évolution des formes
les principaux types de discours qui caractérisaient, à Athènes comme à
Rome, les genres oratoires. Louer ou blâmer, attaquer ou défendre, inciter
à l’action ou déconseiller, mettre en valeur ou tourner en dérision restent
les principaux moteurs de tout discours argumentatif. Le cinéma semble
avoir lui-même retrouvé les vertus de l’ancienne rhétorique : nombreux
sont aujourd’hui les films dont l’action se situe dans un tribunal, où se
joue, – réellement ? métaphoriquement ? – le sort de la société contempo-
raine. Ultime espace où les tensions et les conflits peuvent espérer se régler
à travers le discours.
OBSERVATION
(PAGES 192-193)
Introduction
L’éloge de l’œuvre de Prévert auquel se livre Yann Queffelec trouve son pendant
dans le blâme virulent qui lui fait écho dans le texte de Michel Houellebecq. Deux
conceptions s’affrontent, points de vue diamétralement opposés sur un homme,
sur une œuvre, sur la poésie en général et sur la fonction du critique littéraire.
Lorsque Queffelec rend hommage à Prévert, il s’agit du coup de chapeau d’un
écrivain à un autre, probablement flatté d’avoir à remplir cette mission qui le
place au même rang que son prédécesseur. Lorsque Houellebecq évoque Prévert,
il s’agit clairement de choquer et de provoquer le public en ébranlant ses certi-
tudes. Dans les deux cas, le propos est subjectif, car il ne repose que sur des juge-
ments personnels peu argumentés.
187
Réponses aux questions
I. Les conditions de l’argumentation
1. L’émetteur de l’argumentation mise en place dans le texte A est l’écrivain Yann
Queffelec. L’objet de son discours est l’œuvre de Jacques Prévert, dont il fait
l’éloge. L’émetteur de l’argumentation mise en place dans le texte B est l’écrivain
Michel Houellebecq. L’objet de son discours est l’œuvre de Jacques Prévert, dont
il fait le blâme. Les destinataires de ces deux discours sont les lecteurs du journal
Télérama pour le premier, les lecteurs d’un recueil de conférences pour le second.
188
EXERCICES
(PAGES 201 à 206)
Exercice 3BB
1. L’auteur défend la thèse selon laquelle l’urbanisation accrue de notre société
nous conduit à « l’asphyxie » (l. 1 et 2).
2. Ses arguments sont les suivants : les hommes sont privés d’espace et de liberté
(l. 2 à 6) ; l’aménagement de nos espaces de vie complique celle-ci au lieu de la
simplifier. Il prend pour exemples les pannes d’ascenseur ou d’électricité qui sont
vécues comme des catastrophes.
Exercice 4BB
1. L’auteur réfute la thèse de ceux qui reprochent aux scientifiques d’être dan-
gereux pour l’humanité.
2. L’argument apporté est qu’il n’existe proportionnellement pas plus de scien-
tifiques dangereux que dans le reste de l’humanité. Il est illustré par les exemples
des Dr Frankenstein ou Folamour, dont les expériences ont causé moins de dégâts
réels que les raisonnements des gens d’église ou des hommes politiques.
189
Étudier les stratégies d’une argumentation
Exercice 5B
1. Dans le texte A, Voltaire utilise l’attaque (par le biais de l’ironie) pour dénon-
cer la guerre. Dans le texte B, il fait appel aux sentiments du lecteur.
2. Dans le premier passage, Voltaire manie l’arme de l’ironie de manière à tourner
en dérision la guerre en s’appuyant sur la complicité du lecteur. Il utilise pour cela
l’antiphrase (« Le merveilleux de cette entreprise infernale », l. 1), le rapproche-
ment de mots appartenant à des domaines opposés (chaque chef « invoque Dieu
solennellement avant d’aller exterminer son prochain », l. 3 et 4) et la périphrase
satirique (« on chante à quatre parties une chanson assez longue […] dans une
langue inconnue à tous ceux qui ont combattu », l. 10 à 13, pour le Te Deum).
3. Dans le second passage, au contraire, Voltaire fait davantage appel à l’émo-
tion du lecteur. Il commence par mettre en avant les valeurs admises par tous
(« l’humanité, la bienfaisance, la tempérance, la douceur, la sagesse, la pitié », l. 1
à 3) avant d’utiliser un vocabulaire affectif (« tourments inexprimables », l. 6 ;
« mourants », l. 7 ; « détruite », l. 9 ; « cris des femmes et des enfants expirant »,
l. 11 et 12). En variant les stratégies argumentatives, le philosophe donne ainsi
plus de force à son discours.
Exercice 6BB
1. Les stratégies argumentatives mises en œuvre sont les suivantes : texte A :
l’appel aux émotions ; texte B : le discours logique ; texte C : l’humour.
2. Les procédés utilisés sont les suivants :
– texte A : la mise en page du texte (le gras, les polices), l’exclamation (titre,
conclusion), le vocabulaire affectif (« souffrances », l. 2 ; « émouvoir », l. 4 ; « arra-
chés », l. 9…), la présence d’un slogan, l’implication par les pronoms (« nous »,
« nos », « vous ») ;
– texte B : la précision du lexique et les répétitions (« La liberté » l. 1, 7, 12, 17,
19, 20), l’appui sur des faits et des exemples (« le Code de la route » l. 9, « la
Déclaration de 1789 » l. 12), les connecteurs logiques (« mais » l. 2 ; « parce que »
l. 15 ; « donc » l. 22) ;
– texte C : la complicité avec le lecteur pour jouer sur l’humour en utilisant les
questions (« à quoi servent les usagers ? » l. 14, « à quoi servent les voyageurs ? »
l. 14…), le paradoxe (« Il faudrait supprimer les usagers » l. 15), la périphrase
satirique (les usagers servent « à ternir l’image des chemins de fer chaque fois que
se produisent une panne de caténaire, une grève, un accident » l. 19).
Exercice 11BB
1. François Mauriac défend la thèse selon laquelle la culture américaine a une
influence croissante sur notre société, au point de la transformer. Il cherche à faire
partager au lecteur le sentiment de rejet qu’il éprouve pour un mode de vie qui
lui paraît étranger à sa propre culture. C’est cette valeur d’identité culturelle qu’il
met en avant pour justifier son point de vue (« notre génie »).
2. Outre les arguments et les exemples apportés (les États-Unis nous ont apporté
leur musique, leur mode de vie, leur cinéma…), Mauriac utilise un certain nombre
de procédés de la persuasion : le vocabulaire dépréciatif (« transformés », l. 6 ;
« imposent », l. 10 ; « stéréotypé », « interchangeable », l. 12 ; « idolâtrie », l. 13 ;
« s’asservit », « folie », l. 15 ; « les moutons de l’Occident », l. 16 et 17), mais aussi
l’implication par les pronoms « me » (l. 3), « je » (l. 4), « nous » (l. 5, 10 et 18) et
« notre » et « nos » (l. 6, 8 et 20).
Remarque. On peut faire établir aux élèves un parallèle entre ce texte et l’image
qui le précède (exercice 10) afin de montrer la continuité du discours et la diver-
sité des techniques argumentatives mises en œuvre.
Exercice 14BB
1. Il s’agit bien sûr d’un éloge funèbre.
2. Vallès fait le portrait de Courbet en insistant sur ses qualités d’artiste et sur
ses qualités d’homme. Il s’appuie pour cela sur le vocabulaire laudatif (« Homme
de paix », l. 1 ; « sans arme », l. 2) et apporte des arguments pour réfuter les
reproches faits au peintre (son engagement auprès des communards). Le portrait
s’ornemente de figures de rhétorique qui participent à la forme de l’éloge : l’allé-
gorie, l’anaphore, la métaphore, la métonymie.
3. Vallès invoque et défend à travers cet éloge les valeurs de liberté, d’honnêteté
(l. 13) et de travail (l. 19).
193
Exercice 15BB
1. Dans cette chronique, Guy de Maupassant fait le blâme de la guerre : il s’agit,
au sens large du terme, d’un réquisitoire contre la guerre et les guerriers.
2. Maupassant veut faire partager au lecteur toute l’horreur qu’il éprouve pour
la guerre et ceux qui la font. Il implique le destinataire à travers l’emploi du
pronom « nous » (premier paragraphe) et de la fausse question (second para-
graphe).
3. Le vocabulaire qui désigne les « hommes de guerre » est un vocabulaire déva-
lorisant : ils sont des « brutes » que l’on voit « tuer par plaisir, par terreur, par
bravade, par ostentation » (l. 2 à 4). Maupassant prend position au nom du droit
(l. 4), de la loi (l. 5), de la justice (l. 5), de l’innocence (l. 6) et de l’intelligence
(l. 15).
Exercice 16BB
1. L’émetteur de ce réquisitoire contre le jeu est Jean de La Bruyère. Le destina-
taire est le lecteur des Caractères, et plus particulièrement celui qui s’adonne au
jeu. L’objectif poursuivi par le moraliste est de dénoncer le fléau que constituent,
à ses yeux, les jeux d’argent.
2. L’auteur met en œuvre un certain nombre de procédés rhétoriques :
– l’hyperbole (« Mille gens se ruinent au jeu », l. 1) ;
– l’exclamation (« quelle excuse ! », l. 3) ;
– les questions oratoires (« Y a-t-il une passion, quelque violente ou honteuse
qu’elle soit, qui ne pût tenir ce même langage ? », l. 3 à 5) ;
– le vocabulaire évaluatif (« effroyable », l. 7 ; la ruine totale », l. 9, etc.) ;
– la gradation d’intensité (« effroyable, continuel, sans retenue, sans bornes », l. 7
et 8).
EXO-BAC
(PAGE 207)
Écriture
Le poème prend la forme d’un tableau narratif : il commence par la description
des enfants se rendant au travail (vers 1 à 3) ; se poursuit avec celle des condi-
tions dans lesquels ces enfants sont placés (vers 5 à 15) ; se termine avec l’ex-
pression de la thèse défendue par l’auteur (vers 16 à 24). On peut parler d’un
raisonnement inductif : le poète part de l’exposé d’un cas particulier pour aller
progressivement vers l’idée à défendre. Mais parallèlement aux arguments mis
en place (le travail étouffe les enfants, détruit leurs capacités physiques et intel-
195
lectuelles), le poème fait aussi appel aux sentiments du lecteur, à sa pitié, pour
mieux le persuader.
La force de persuasion du poème repose donc également sur l’éloquence de Victor
Hugo. Il utilise pour cela un certain nombre de figures de style : les antithèses :
«cendre»/«joue» (vers 11); les parallélismes: «Ils vont, de l’aube au soir, faire éter-
nellement/Dans la même prison le même mouvement. » (vers 5-6); «D’Apollon un
bossu, de Voltaire un crétin!» (vers 21); les métaphores : « Accroupis sous les dents
d’une machine sombre, etc. » (vers 7-8) ; ou encore la métonymie : « la cendre est
sur leur joue » (vers 11). L’ensemble de ces figures contribuent à émouvoir le
lecteur en lui dressant un tableau très sombre du travail des enfants. Comme les
adresses au destinataire, elles participent à l’argumentation et manifestent l’élo-
quence du poète.
Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes rédigés et structurés ;
• Analyse de la progression de l’argumentation contenue par le poème ;
• Mise en évidence des procédés qui participent à l’éloquence du poème.
196
PARTIE II
Depuis le Moyen Âge, le roman apparaît comme une forme littéraire pri-
vilégiée de représentation de l’homme et du monde. Tous les registres s’y
retrouvent. Tous les sentiments y sont développés. Toutes les épreuves
auxquelles l’homme est confronté sont représentées par le genre roma-
nesque.
À travers lui, chaque écrivain fait sentir ce qu’il aime, ce qu’il trouve beau
ou laid, admirable ou inquiétant dans l’homme et dans la société. C’est
ainsi que le romancier s’interroge et expose ses doutes par l’intermédiaire
de ses personnages. Il fait alors partager au lecteur sa vision du monde.
Du roman de chevalerie au Nouveau Roman, du conte philosophique au
roman sentimental, du héros invincible à l’anti-héros, le romancier ne se
contente pas d’exprimer les mutations sociales : en défendant ses valeurs,
en explorant les rêves, les désirs et les angoisses profondes de l’homme, il
contribue aussi à faire changer les mentalités.
OBSERVATION
(PAGES 208-209)
EXERCICES
(PAGES 215 à 222)
Exercice 2✢✢
1. Les souvenirs du héros, Tanguy, remontent à la guerre civile espagnole (juillet
1936-avril 1939) qui oppose les républicains élus aux militaires insurgés, entraî-
199
nés par le général Franco. Ce fort ancrage historique permet au roman de donner
une impression de vérité, même si les souvenirs sont fragmentés.
À travers la confusion de la mémoire, Tanguy se souvient des miliciennes dans
les rues, des sirènes pendant les alertes, de la voix de sa mère à la radio, du jardin
public de Madrid, du passage des enterrements, de sa nurse. Ce sont là des indi-
cations historiques, « objectives », qui donnent l’impression au lecteur d’être
plongé dans une situation bien réelle, au moment où un destin individuel croise
celui d’un peuple.
2. De même, l’univers mis en place par le roman est celui de la guerre, avec son
cortège d’angoisses et de souffrances : longues queues, maisons bombardées,
cadavres dans les rues, soldats en armes, sirènes hurlantes, contrôles de papiers,
enterrements. La première phrase (cf. « le coup de canon », comme les trois coups
au théâtre) souligne cette dimension obsédante de la guerre dans la mémoire du
héros. Les impressions et les émotions de l’enfant – la peur, la faim, l’angoisse, la
tristesse, les pleurs… – donnent un caractère concret aux conséquences, aux effets
de la guerre sur les individus. Le romancier crée ainsi un univers intimiste émou-
vant au milieu du climat de violence général.
Exercice 3✢✢✢
1. Écrit à la première personne, le journal tenu par Mlle Célestine R…, femme
de chambre, multiplie les indications spatio-temporelles : la date (14 septembre),
l’heure (trois heures), l’atmosphère du jour (climat doux et humide). Par ailleurs
il renvoie à une période de deux ans dans la vie du personnage, en soulignant la
multiplication des places occupées : instabilité de la femme de chambre ? Exigences
démesurées ou défauts et vices de ses employeurs ?
L’action en tout cas se déroule vraisemblablement à Paris, puisque tous les lieux
cités renvoient à des quartiers de la capitale, et que Le Figaro a servi de moyen
de contact.
2. Nombreux sont les moyens par lesquels le romancier peut « authentifier » le
récit qu’il livre au lecteur : manuscrit trouvé dans l’armoire d’un grenier, envoyé
anonymement par la poste, transmis sur un lit de mort. Ici, l’écrivain dit avoir
rencontré personnellement l’auteur du texte, et avoir été séduit par elle.
Ce qui donne un caractère de réalité à cette fiction du manuscrit communiqué
tient précisément à la représentation de l’écrivain dans son travail (sollicité pour
« corriger », émettant un jugement sur le texte, refusant d’abord d’intervenir),
comme à celle de la femme de chambre, à la fois jeune et jolie…
3. C’est le propre du roman réaliste que de chercher à donner au lecteur l’im-
pression de la réalité. Il s’agit pour le romancier de «faire vrai», d’effacer la fiction
pour produire un effet de réel. Disciple et ami de Zola, Octave Mirbeau multi-
plie ici les procédés qui créent l’illusion de la réalité. D’abord, son roman est écrit
à la première personne et épouse la forme d’un journal intime : mention de la date
en tête de chaque fragment, alternance des temps du discours (commentaires
actuels) et du récit (événements passés), considérations générales, etc. Il s’agit
alors de donner au personnage de Célestine les traits physiques et psychologiques
200
conformes à son statut de femme de ménage. Mirbeau souligne cette conformité
à travers son langage : « ç’a été tout »… Mais le romancier va plus loin : avant
que l’histoire ne commence, il se présente lui-même pour attester de l’existence
de Célestine, qui lui aurait confié son manuscrit. Ici encore il multiplie les garan-
ties de vérité, ayant d’abord refusé de corriger, avant d’être séduit par la jeune
femme. Tout cela paraît vraisemblable. Mieux: réel. Et le lecteur peut lire le roman
en toute confiance. Il a entre les mains un « document vrai ».
Exercice 7✢
1. En quelques lignes, le texte fait apparaître trois personnages proches de la nar-
ratrice : son mari, sa meilleure amie, sa mère. Le cercle des personnages secon-
daires qui gravitent autour de l’héroïne est constitué.
2. Le roman s’ouvre sur une situation de crise : le mari de la narratrice a disparu.
Il s’agit dès lors de la soutenir par des liens d’amour et d’amitié. La mère, la pre-
mière prévenue, après avoir essayé de réconforter sa fille, fait appel à la meilleure
amie de celle-ci pour continuer ce travail de soutien. On assiste ainsi à la mise en
œuvre d’un réseau de solidarité féminine. Non sans humour : à la discrétion de la
mère (« quelque chose ne tournait pas rond ») fait écho l’entrée en matière brutale
de la meilleure amie : « Qu’est-ce que c’est que cette histoire, ton mari a disparu ? »
L’enchaînement des faits racontés, l’apparition successive des personnages, les
détails qui ponctuent le récit (« le canapé ») contribuent à donner de la narratrice
l’image d’une personne réelle, que l’on pourrait vraiment rencontrer.
Exercice 8✢✢
1. Dès le titre du roman, Diderot présente les deux héros de l’histoire, Jacques
et son maître. Reprenant une situation fréquente dans le roman et le théâtre clas-
siques, le maître et le valet forment ici le moteur de l’action à travers le pronom
« ils », avant de se différencier par leurs réactions devant les événements.
2. Les personnages d’arrière-plan comprennent les malfaiteurs d’une part (bri-
gands, canaille), les gens de l’auberge avec leurs enfants et leurs valets d’autre
part.
3. Dès les premières lignes, la situation apparaît comme sinistre, puisque les deux
héros traversent un pays marqué par la misère : misère des lieux, des gens, de la
nourriture. Cette misère engendre un climat général d’insécurité, dans le pays
comme dans la chambre qui leur est donnée. Ce sentiment d’insécurité est ren-
forcé par le rire et l’insolence provocatrice des brigands qui, eux, sont parfaite-
ment à l’aise dans cet univers dont l’administration (et la police) semblent absents.
Dans ce climat menaçant, Jacques réagit avec détermination. Son fatalisme – « Il
arrivera ce qui est écrit là-haut» – est l’expression de son courage. Il veut se venger
de l’offense et ne craint pas d’aller affronter le groupe des brigands.
À l’inverse, le maître de Jacques est plus inquiet. La peur le gagne et, dans cet
épisode, c’est bien Jacques le véritable héros, conformément à la leçon donnée
par le roman et le théâtre de l’âge classique. Devant les situations difficiles, c’est
le valet qui montre les plus belles qualités humaines.
Exercice 13✢✢✢
1. Les éléments du décor sont ceux de la discothèque dans laquelle danse le per-
sonnage : on retrouve ainsi les notations de bruit et de lumière, la musique élec-
tronique et la foule des danseurs. Par ailleurs, le lieu lui-même semble évoluer :
le mot « salle », repris à travers l’expression « la grande salle », s’ouvre magique-
ment sur l’image extérieure et solaire d’une « esplanade » ou d’un « plateau de
pierres ».
2. La danseuse est d’un bout à l’autre « seule au milieu des gens ». Elle est d’abord
vue par le photographe ; puis le cercle des danseurs se fige autour d’elle au fur et
à mesure qu’ils s’arrêtent de danser ; enfin, jusqu’à la dernière ligne, elle est « toute
seule dans le cercle de lumière ». Le romancier met ainsi en valeur Lalla Hawa,
au centre du monde, comme si c’était d’elle qu’émanait la lumière fascinant les
gens qui l’entourent.
3. La lumière est celle des projecteurs de la discothèque. Le mot «lumière» revient
cinq fois dans l’extrait, amplifié dans les expressions : « la lumière les aveugle »
et « la lumière brille », et s’opposant au réseau lexical de l’ombre (« noir »,
« couleur de cuivre », « on ne voit pas », « ombre »). Le thème de la lumière
fusionne avec celui de la danse et du corps pour ne former qu’un seul portrait,
fascinant : celui d’une danseuse éblouissante. Il rappelle symboliquement que l’hé-
roïne est un personnage du Sud, éloignée des pays du soleil dans le monde gris
de la civilisation.
4. Lalla est d’abord vue à travers son corps tout entier, silhouette de danseuse au
milieu de la piste. Puis les plans se rapprochent : sa robe, sa peau, ses cheveux.
206
C’est ensuite son regard qui fixe l’attention. Puis ses pieds nus – longuement
décrits (cf. « la plante de ses pieds et ses talons ») – et enfin, le reste de son corps
souple : ses hanches, ses épaules, ses bras, comparés à des ailes. C’est bien du por-
trait d’une danseuse qu’il s’agit ici : les éléments physiques présents dans l’extrait
se rapportent tous au corps en mouvement. Il est question de ses « pas ». Et si Le
Clézio insiste autant sur les pieds, c’est que tout le génie de la danse repose sur
eux.
5. Le romancier souligne avant tout la solitude du personnage. Le mot « seule »
est présent dès la première ligne, et il est repris à plusieurs reprises dans la der-
nière phrase, dans une sorte de rythme, d’incantation mélancolique où se mêlent
le battement de la danse, le caractère exceptionnel du personnage et la tristesse.
Exercice 16✢✢✢
1. et 2. Texte A : il s’agit ici d’un roman de formation, qui nous montre les débuts
d’un jeune homme dans la vie sociale et son apprentissage de la vie. Julien Sorel
s’arrache à son milieu familial pour entrer dans « la bonne société ». C’est son
premier emploi, et l’on voit naître déjà un conflit qui reviendra tout au long du
roman : comment garder sa fierté dans le monde, comment – lorsque l’on vient
d’un milieu très modeste – ne pas se laisser humilier.
Texte B : il s’agit ici d’un roman de science-fiction ou d’un roman d’anticipation
scientifique. En 1865, Jules Verne mène ainsi une exploration de l’imaginaire et
crée le suspense en envoyant ses personnages dans la Lune à bord d’une fusée.
Le lecteur partage ainsi le danger que comporte cette aventure pleine de risques.
Texte C : le Voyage au bout de la nuit de Céline est un roman très riche qui croise
plusieurs enjeux du texte romanesque. Il apparaît ici comme un roman satirique
qui, sur le ton de l’amertume et de la raillerie, fait la critique de la société, dénonce
les préjugés et montre les inégalités.
Texte D : Malraux est, avec Sartre et Camus, l’un des écrivains du roman engagé.
Son roman développe une réflexion sur l’homme, sur sa place dans le monde, sur
les valeurs qui sont les siennes. Le sacrifice au service de la révolution, la détresse
devant la mort, le temps qu’il faut pour devenir un homme sont autant de ques-
tions soulevées par La Condition humaine.
3. Au-delà de la rédaction d’un ou de deux paragraphes, on peut partir de la
question posée pour mettre en place le plan d’une dissertation sur le roman et la
vision du monde que propose chaque romancier.
Introduction
La vitalité du genre romanesque depuis son origine… les mutations du genre tout
au long de l’histoire en fonction de l’évolution des mentalités, des événements
historiques et des grandes mutations sociales… le développement du nombre des
lecteurs et la diversité de leurs centres d’intérêts… l’originalité des grands écri-
vains qui développent leur propre vision du monde… il y a donc une unité du
genre romanesque ; mais il y a aussi une grande, une étonnante variété de visions
du monde proposées au lecteur ; enfin on n’oubliera pas que le style et les modes
de narration sont eux aussi des façons de « dire l’homme et la société ».
Première partie. L’unité du genre romanesque
Qu’est-ce qui constitue un roman : un contexte spatio-temporel, un héros et des
personnages secondaires variés, une intrigue générale, des péripéties successives,
208
etc. On retrouve tous ces éléments dans chaque extrait ; chaque fois, le lecteur
est amené à s’identifier à une situation de crise devant laquelle réagissent les per-
sonnages : passion amoureuse, conflit familial et problème professionnel, entre-
prises périlleuses, aventures pleines de risques… ; différence de classes sociales
suscitant le dépit, l’envie ou la haine… ; mort d’un personnage provoquant la
colère, le chagrin ou le doute. Le lecteur sait qu’il y aura « un début » et « une
fin » à l’histoire qu’il commence à lire… Il pourrait prétendre que tous les romans
se ressemblent.
Deuxième partie. La diversité des visions du monde
Le roman est un genre très riche qui ne cesse de se diversifier ; les lecteurs ne se
ressemblent pas et les romans sont différents les uns des autres : roman d’analyse,
roman de formation, roman d’aventures, roman satirique, roman engagé pro-
posent chaque fois de nouvelles représentations de l’homme et de la société… Du
roman picaresque au roman policier, du roman de chevalerie au conte philoso-
phique, du roman sentimental au roman de l’absurde, quelle richesse ! quelle
variété de points de vue !… Ici c’est l’intimité des êtres qui compte, là les chan-
gements sociaux, là encore la réflexion sur la vie et la mort… il y a même des
romans où l’on trouve des anti-héros qui bouleversent complètement nos habi-
tudes de lecture…
Conclusion
Le roman change, il est en perpétuelle mutation et, tout en répondant aux attentes
du lecteur, crée de nouvelles images de l’homme et du monde : ce n’est pas seule-
ment parce que le roman suit l’évolution sociale, il peut aussi anticiper sur cette
évolution et contribuer au changement des mentalités … Enfin on néglige trop
souvent le style de l’écrivain qui est lui aussi une façon de dire le monde : le ton
de Céline, par exemple (texte C), mais aussi le Nouveau Roman manifestent
immédiatement cette importance de la langue… Le récit à la première personne,
le roman épistolaire, la diversité des formes de narration participent à ce renou-
veau qui entraîne l’adhésion des lecteurs…
EXO-BAC
(PAGE 223)
Écriture
Yvonne de Galais est sans doute l’une des héroïnes les plus troublantes et les
plus attachantes dans l’histoire de la littérature romanesque. C’est que la jeune
fille est d’un bout à l’autre du roman entourée de mystère. Le narrateur et tous
ceux qui tomberont sous son charme soulignent à chacune de ses apparitions la
sorte d’envoûtement qu’elle exerce. Ici, dès sa première rencontre avec elle, le
narrateur manifeste l’émotion qui le saisit à sa vue. Son récit met en valeur cette
apparition presque féerique, mais il souligne aussi tout ce qui, derrière le mystère,
est source d’inquiétude chez cette belle jeune fille.
C’est d’« elle » que l’on parle, c’est « elle » qui est au centre des conversations :
le narrateur prépare habilement l’entrée en scène de celle qui occupe les esprits.
Encore ne sait-on que « peu de choses », et c’est ainsi que se développe le thème
de « la mystérieuse jeune fille ». Le caractère de conspiration (« à voix basse »)
de ceux qui l’attendent, « l’étrange équipage » qui est le sien ajoutent à l’im-
pression de mystère. Ce mystère se teinte de féerie avec l’entrée en scène de la
voiture aux vieilles moulures et le vieux cheval blanc qui paraissent sortis d’un
conte de fées mélancolique, comme une « histoire du temps passé » tout à coup
ressuscitée. La solennité et la franchise naïve avec laquelle le narrateur, utilisant
le superlatif absolu, exalte la beauté de la jeune fille annonce le portrait qui suit.
Il permet de justifier ce jugement. Elle est bien « la jeune fille la plus belle qu’il
y ait peut-être jamais eu au monde », celle qui – de sa chevelure blonde à la déli-
catesse de ses traits – montre grâce et finesse. Le narrateur utilise une image poé-
tique, délicate, pour montrer qu’elle est l’élue de la nature et des hommes – « Sur
son teint très pur, l’été avait posé deux taches de rousseur » –, achevant ainsi le
tableau.
210
Cependant, de manière très rapide, avant même d’avoir pu mieux connaître la
jeune fille, le narrateur multiplie les termes qui font contraste avec la beauté :
« gravité », « tristesse », « découragement », « réflexion » apparaissent sans raison
immédiate, anticipant sur des développements ultérieurs du roman. Ces émotions
marquent immédiatement le visage pur de l’héroïne. Que signifient ces rougeurs
qui la gagnent ? On est loin alors de la beauté touchante et radieuse. C’est une
autre forme de mystère qui se dégage. La comparaison avec des personnes
malades – « comme il arrive chez certains malades gravement atteints sans qu’on
le sache » – fait planer une menace, suscitant la « pitié déchirante » de ceux qui
l’admirent.
À la fin de cette première rencontre, la cousine du narrateur a beau chercher à
dissiper le mystère et la fascination en engageant le dialogue avec la jeune fille,
celle-ci demeure entourée de son secret. Yvonne de Galais gardera jusqu’au bout
sa séduction énigmatique. Non, cette jeune fille n’est pas une jeune fille comme
les autres. Et le destin du grand Meaulnes témoignera de ce charme envoûtant,
qui hante le souvenir de tous les lecteurs du roman d’Alain-Fournier.
SUJET DU BAC
(PAGE 224-225)
I. Questions
1. La Peste de Camus s’inscrit immédiatement, dès l’incipit, dans le genre roma-
nesque. Dès les premières lignes de son récit, le romancier multiplie les indica-
tions de temps et de lieu qui installent le cadre dans lequel se déroule l’action :
« Le matin du 16 avril », « le cabinet », « l’immeuble », la ville. C’est également
par un retour sur la ville d’Oran que se ferme le texte. Le début et la fin du roman
se répondent ainsi parfaitement.
De plus, Camus met très rapidement en scène son héros, dont l’identité est com-
muniquée aussitôt au lecteur et dont le statut de personnage principal est ren-
forcé par la présence de personnages d’arrière-plan, comme le concierge, « le vieux
M. Michel ». C’est le héros qui déclenche l’ensemble des péripéties qui vont
conduire de la découverte du premier rat à la lutte contre la peste. Enfin le texte
B nous montre une autre des composantes essentielles du roman : les dialogues
entre les personnages.
Espace-temps défini, héros et personnages multiples, enchaînement de péripéties,
alternance du récit, des descriptions et des dialogues : à ces composantes essen-
tielles du roman s’ajoute une vraie vision du monde propre au romancier Albert
Camus.
2. On peut rappeler qu’en règle générale – même si l’on trouve des exceptions –,
le personnage que le lecteur découvre aux premières lignes, aux premières pages
du roman, en est généralement le héros. Sa présence au début du texte le quali-
fie comme tel. Dans le cas de La Peste, on voit bien que tout au long des premiers
paragraphes, le lecteur « entre dans l’action » par l’intermédiaire du docteur. C’est
211
lui que l’on retrouve ensuite dans le texte B, livrant sa vision du monde et des
hommes, servant de porte-parole à l’écrivain. C’est lui que l’on retrouve enfin
aux dernières lignes, assurant la clôture du récit, tout en ouvrant la réflexion du
lecteur. On peut ajouter également que son titre (et son métier) de « docteur » le
qualifie plus qu’un autre à incarner le héros dans un roman qui raconte le combat
contre une épidémie de peste.
215
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
18 La poésie
(PAGES 226 à 235)
OBSERVATION
(PAGES 226-227)
Introduction
Dans l’histoire de la poésie, le XVIIIe siècle aura eu le mauvais rôle. Nous ne
percevons plus aujourd’hui l’immense intérêt, la passion du XVIIIe pour l’écriture
versifiée.
Tragédies, comédies, ouvrages lyriques, poèmes didactiques, poèmes philoso-
phiques, épigrammes, contes en vers, odes, fables, satires, épopées, éloges, poésies
de circonstances, chansons, bouts rimés : la cour, les théâtres, les salons, les aca-
démies réclament des poèmes. Mais la règle de l’imitation, la maîtrise générali-
sée du code ont, pour ainsi dire, exténué l’inspiration poétique (en dépit de
217
quelques noms : Voltaire, Crébillon, Gresset, J.-B. Rousseau, Parny, Florian, et
surtout Chénier). La réaction romantique se comprend contre cet usage socialisé
de la poésie. « Poésie se prend quelquefois pour le feu de la poésie », écrit le
Dictionnaire de Trévoux (1771) : voilà des vers, mais il n’y a point de poésie.
Le XIXe siècle se veut au contraire au plus près du feu, au plus près du foyer de
l’écriture poétique. De sorte que toutes les formes peuvent désormais s’ouvrir
– poèmes en prose, vers libres, poésie graphique, déconstruction – à l’exigence
de la modernité.
EXERCICES
(PAGES 230 à 232)
Exercice 2✢✢
1. Il s’agit d’une ballade. La ballade « improvisée » par Cyrano respecte les règles
de cette forme fixe :
– trois strophes de huit octosyllabes ;
– un envoi au dédicataire ;
– un refrain situé au dernier vers de chaque strophe ;
– un schéma des rimes ABABBCBC identique pour chacune des trois strophes.
2. Les différentes images utilisées par Cyrano pour désigner son épée :
– « je tire mon espadon » (v. 6) : l’épée est comparée à l’appendice nasal de l’espa-
don ; il s’agit d’une métonymie ;
– « Ma pointe voltige, une mouche ! » (v. 17) : l’épée est cette fois comparée à un
insecte, la mouche, par le sifflement qu’elle fait entendre durant le combat, par
sa vitesse et sa rapidité ;
– « Tiens bien la broche, Laridon ! » (v. 26) : c’est cette fois l’épée de son adver-
saire qui est évoquée par Cyrano ; elle est comparée à la broche d’un rôtisseur,
en une métaphore dévalorisante.
Remarque. On peut étudier la progression des réseaux lexicaux qui traversent le
poème. Le premier est celui du vêtement, qui correspond à la mise en scène du
combat ; le second est constitué par les termes culinaires, qui comparent l’adver-
saire de Cyrano à un cuisinier ; le dernier est celui du vocabulaire technique de
l’escrime et de la poésie, qui permet à Cyrano de décrire à la fois les diverses
phases du combat et les différentes étapes de la construction du poème.
Exercice 3✢✢
1. Les caractéristiques du sonnet :
– quatre strophes réparties en deux quatrains et deux tercets ;
– quatorze vers de même mesure (alexandrins) ;
– un schéma des rimes ABBA / ABBA / CCD / EED.
2. et 3. Le thème développé par chaque strophe :
– strophe 1 : la solitude du poète dans le silence de la nuit ;
– strophe 2 : la mélancolie d’une jeunesse enfuie ;
– strophe 3 : les rêves du poète devant sa page blanche ;
– strophe 4 : le retour à la réalité.
La chute du dernier vers suggère deux interprétations : le poète revient à la réalité
au bruit d’un fiacre, qui traverse la nuit ; on peut égalementinterpréter ce vers
220
comme la comparaison implicite du poète à un « vieux fiacre » dont le « roule-
ment impur » évoquerait les vers… Le « roulement impur » trouve en tout cas des
échos à travers l’harmonie imitative créée par l’allitération en « r » :
« Le roulement impur d’un vieux fiacre attardé. »
Le poète donne ainsi une image négative de lui-même, se dévalorise aux yeux, du
lecteur, regrettant ses maladresses stylistiques et l’époque de sa jeunesse.
D’autres vers participent à la même image : les vers 3 et 4 montrent ainsi le poète
comme un homme empli de « vieux remords », tordant son « coeur pour qu’il
s’égoutte en rimes d’or ».
L’image donnée est celle d’un homme souffrant pour écrire, image renforcée par
des termes aux connotations négatives (« attardé », « bête », « défleurie »…) Mais
le poème contrebalance cette vision en offrant au lecteur de magnifiques images
comme celle du vers 2 : « Chacun cueille sa fleur au vert jardin des rêves ».
Remarque. Il y a une mélancolie particulière dans la poésie de Jules Laforgue
(l860-1887), orphelin de mère, lui-même mort très jeune, emporté par la phtisie.
L’écrivain abandonne vite ses rêves d’une poésie philosophique inspirée par
Schopenhauer. Aux gros volumes, il préfère désormais de « menus vers », des
« petites pièces » justes de ton : en mineur.
Lecteur de l’impératrice Augusta en Allemagne, il l’accompagne dans ses villé-
giatures et s’ennuie à Berlin. L’expérience de l’ennui est déterminante, mais cor-
rigée par un humour, une pudeur, une ingénuité pleine de douceur et de malice.
Le jeune écrivain regarde à la fenêtre les pensionnats de jeunes Anglaises qui
passent, il fumotte une petite pipe de tabac, dehors la neige tombe, il pluviotte.
Comme empêtré dans les blessures de l’enfance, Laforgue se berce de la musique
d’un bal, d’un refrain, d’un chien qui aboie au loin, ou du « roulement impur
d’un vieux fiacre attardé ».
Exercice 5✢✢✢
1. La métaphore filée du poème va de la ligne 7 à la ligne 13 ; elle repose sur le
réseau lexical du cheval : « cavalerie », « sabots », « tapent », « escadrons », « trot »,
« piaffe », « rue », « bruit », « ardeur », « combat », « Victoire », « mouvement ».
Le poète compare les idées issues de son imagination à une troupe de chevaux,
dont le bruit et les mouvements, le rythme et l’ardeur lui permettraient d’oublier
pour un temps sa maladie.
2. La métaphore filée procure au poème les sonorités qui imitent le bruit des
chevaux : l’assonance en « a » (« J’écrase mon crâne et l’étale devant moi » ; « les
sabots tapent clair sur ce sol ferme et jaunâtre » ; « et ça piaffe et ça rue ») évoque
ainsi le claquement des sabots sur le sol, tandis que le son «i» qui domine le début
et la fin du poème, suggère les souffrances de « celui qui est cloué au lit ».
3. Les images sont essentielles à la poésie en prose. Elles ouvrent en effet le poème
sur un univers original car personnel et libre de toute contrainte de versification.
C’est ainsi qu’Henri Michaux, se figurant dans son poème retenu au lit par la
maladie, utilise les métaphores, et notamment une longue métaphore filée, pour
rendre compte des souffrances ressenties. Mais celles-ci, par la magie de la poésie,
prennent la forme d’une « cavalerie », d’une horde de chevaux dont les manifes-
tations « enchantent l’âme de celui qui est cloué au lit et ne peut faire un mou-
vement ». C’est en fait le travail même du poète qui est ainsi représenté, un travail
de création verbale qui ouvre au lecteur une porte sur le monde de l’imaginaire.
Poésie et peinture sont intimement liées dans l’œuvre d’Henri Michaux. « Au lit »
propose ainsi un va-et-vient de l’image au texte et du texte à l’image. On ne peut
dire avec précision si la peinture illustre le poème où si le poème est le commen-
taire de la peinture. Mais on peut rapprocher le moment fixé sur la peinture de
la proposition : « je sors ma cavalerie » (l. 7). Les êtres représentés ne ressemblent
nullement aux chevaux évoqués par le poème ; ils seraient plutôt des espèces de
fantômes à la fois silencieux (absence de bouche) et bruyants (« Les sabots tapent
l’air sur ce sol ferme et jaunâtre », l. 7 et 8). Si le poème et la peinture expriment
une même thématique, ils diffèrent donc par la représentation qu’ils en donnent.
La métaphore filée du poème ne se traduit pas par la même image sur le dessin ;
celui-ci emprunte une autre voie, recherche une autre forme d’originalité.
222
Caractériser et étudier le vers libre
Exercice 6✢✢
1. La mesure des vers qui composent le poème d’Apollinaire est très irrégulière ;
mais elle détermine le rythme du poème. C’est cette conception du rythme qui
justifie la suppression de la ponctuation : chaque vers devient une unité ryth-
mique, et leurs variations de longueur équivalent à des variations de rythme.
2. Les répétitions qui rythment le poème :
Répétitions lexicales Répétitions syntaxiques Répétitions sonores
– « les anges les anges » – « L’un est vêtu en – les assonances
(v. 1) ; officier / L’un est vêtu placées à la rime
– « ciel » (v. 1 et 5) ; en cuisinier » (v. 2-3). (« ciel » / « soleil » ;
– « cuisinier » (v. 3 et 9) ; « oies » / « bras » ;
– « d’un beau soleil » « neige » / « n’ai-je »,
(v. 7-8) ; etc.).
– « tombe » (v. 10 et 11),
etc.
3. Le vers 6 est plus long que les autres vers du poème afin de souligner la durée
de l’hiver « longtemps après Noël ». Le poète exprime ainsi la longueur de l’at-
tente qui le sépare des retrouvailles avec sa « bien-aimée » : l’hiver les sépare et il
lui faut attendre le printemps pour la retrouver.
Exercice 7✢✢✢
1. Le poème a une forme libre : les vers sont de mesure différente et commencent
par une minuscule; les rimes sont absentes, parfois remplacées par des assonances;
la ponctuation est supprimée par le poète, de manière à ce que le rythme ne repose
que sur les variations de longueur des vers et sur la répétition de sonorités iden-
tiques ; on remarque également la régularité des strophes, qui se présentent sous
la forme de trois sizains.
L’anaphore a pour fonction de rythmer le poème : elle repose sur la répétition de
« rien » (v. 2, 4, 5 et 6) dans la première strophe, et de « l’eau » (v. 7, 9, 10 et 11)
dans la deuxième.
2. Le thème dominant dans la première strophe, correspondant à la sensation de
chaleur, est celui de la lumière et du feu : « lumière », « flamme », « chaleur »,
«incendie». Il se retrouve avec «éclaire» dans la seconde strophe. L’eau s’y oppose
au feu : « eau », « larmes ». On retrouve également l’ouïe à travers le motif de la
voix : « ta voix », « chante », « chansons », et l’expression de la joie. Ce qui se rap-
porte à la peau et au toucher appelle les mots de la campagne : « sème »,
« champs », « moisson ». Les éléments naturels sont ainsi fortement présents dans
le poème, et la troisième strophe souligne la communion de l’être aimé avec l’uni-
vers tout entier : le ciel et la terre, l’espace sont invoqués, et le temps qui passe
donne à la « ressuscitée » la promesse de l’éternité.
223
3. Les images poétiques peuvent être qualifiées de surréalistes dans le sens où
elles rapprochent des réalités très éloignées l’une de l’autre ; on ne peut détermi-
ner avec précision le point commun qui justifie l’analogie :
– « cette lumière que sèment tes mains » (v. 1) ;
– « ces champs cette moisson sur ta peau » (v. 3) ;
– « cette chaleur de ta voix » (v. 4) ;
– « tu es l’eau qui rêve / et qui persévère / l’eau qui creuse et qui éclaire / l’eau
douce comme l’air / l’eau qui chante » (v. 7-11) ;
– « Solitaire que les chansons poursuivent » (v. 13).
Exercice 9✢
Il s’agit d’un poème concentré, qui joue sur sa densité pour produire un effet poé-
tique. On peut le rapprocher du haïku – même s’il possède quatre vers – car il
décrit un paysage. La brièveté du poème, mais aussi la violence du lexique
(« giflera », « craché ») créent un effet de surprise. Chaque distique est construit
à partir d’une image prenant à rebours les clichés habituels sur l’aube : celle-ci
« gifle » la ville, la « crache ». Le rythme rapide de l’hexamètre s’accorde parfai-
tement à la violence des images ainsi produites.
Exercice 10✢✢✢
1. Les mots mis en valeur par la disposition des vers sont ceux dont l’emplace-
ment inhabituel attire l’œil : vers alignés à droite (« la gare est loin ») ou centrés
(« Tout le chemin est nu »), propositions brèves (« la gare est loin »), répétitions
(« J’attends »).
2. Le thème dominant est la solitude du poète, l’angoisse de « celui qui com-
prend », causée par un univers à l’espace et au temps déréglés : « le fleuve coule
des quais en remontant » (v. 12) ; « Avec le seul mouvement déréglé de l’horloge »
(v. 15). Le poème développe ainsi un univers irrationnel et inquiétant dans lequel
la blancheur et la sécheresse dominent. On peut s’interroger sur l’objet de cette
224
attente : une rencontre ? un train ? la pluie ? Le poème se referme sur cette attente
sans imposer d’interprétation au lecteur.
EXO-BAC
(PAGE 233)
Écriture
Le poème de Charles Baudelaire se présente sous la forme d’un sonnet adressé
« À une dame créole » tandis que celui de Blaise Cendrars, bien qu’intitulé Prose
du Transsibérien, est en fait un poème en vers libre. Les deux poèmes évoquent
des souvenirs personnels, des sensations et des émotions intimes qui les inscri-
vent tous deux dans le registre lyrique. Cependant c’est là leur seul point commun.
En effet, le poème de Baudelaire est un poème dont la forme fixe, celle du sonnet,
s’est imposée au fil des siècles comme la forme poétique dominante. Le ton de
225
« À une dame créole » rappelle ainsi celui des poèmes de Ronsard : Baudelaire y
dresse le portrait d’une femme (les deux quatrains), avant de lui adresser direc-
tement une invitation en forme d’éloge (le sizain). Le poème de Cendrars prend
au contraire une forme beaucoup plus moderne, celle d’un long poème en vers
libres qui transcrit un voyage en train effectué par l’auteur à travers la Russie du
début du XXe siècle. Les deux poèmes sont donc de formes radicalement diffé-
rentes, l’un s’appuyant sur les contraintes de la versification pour exprimer l’émo-
tion, l’autre rejetant toute contrainte pour affirmer la modernité d’un monde en
profonde mutation.
Mais si les poèmes ont des formes différentes, on peut affirmer qu’ils expriment
chacun à leur manière une puissance de création et de travail sur le langage. Ainsi,
les deux écrivains jouent du rythme qu’ils impriment à leur poème. Baudelaire
évoque la « paresse » de l’île exotique, les « airs noblement maniérés » ou le
« sourire tranquille » de son hôtesse à travers le rythme majestueux de l’alexan-
drin. Cendrars, reproduit le rythme d’un itinéraire heurté, mais propice à la rêverie
à travers le rythme imprimé par des vers de longueurs différentes, dans lesquels
certains mots sont mis en valeur par des répétitions : c’est ainsi que le mot « vie »
est utilisé à quatre reprises dans les vers 10 à 15. Plus qu’un travail sur la forme,
la poésie est donc d’abord et avant tout un travail sur le langage. Ce qui importe,
c’est l’harmonie créée entre le sens et le rythme des vers, les sentiments exprimés
à travers le choix du lexique et des images, et la vision originale du monde pro-
posée par le poète.
Remarque. La « dame créole » du poème était Mme Autard de Bragard, femme
d’une grande beauté dont on peut consulter la photographie dans l’Album
Baudelaire des éditions de La Pléiade, p. 39. Le manuscrit du poème est en fait
une lettre adressée à M. Autard, son mari, le 20 octobre, 1841. En voici le texte,
tel qu’il a été publié dans La Plume du 15 août 1893 :
« Mon bon monsieur Autard,
Vous m’avez demandé quelques vers à [l’île] Maurice pour votre femme, et
je ne vous ai pas oublié. Comme il est bon, décent, et convenable que des vers
adressés à une dame par un jeune homme passent par les mains de son mari avant
d’arriver à elle, c’est à vous que je les envoie, afin que vous ne les lui montriez
que si cela vous plaît.
Depuis que je vous ai quitté, j’ai souvent pensé à vous et à vos excellents amis.
Je n’oublierai pas certes les bonnes matinées que vous m’avez données, vous,
Mme Autard, et M. B…
Si je n’aimais et si je ne regrettais pas tant Paris, je resterais le plus longtemps
possible auprès de vous et je vous forcerais à m’aimer et à me trouver un peu
moins baroque que je n’en ai l’air.
Il est peu probable que je retourne à Maurice, à moins que le navire sur lequel
je pars pour Bordeaux (l’Alcide) n’aille chercher des passagers.
Voici mon sonnet. [Suivait le poème étudié]
Donc, je vais vous attendre en France.
Mes compliments bien respectueux à Mme Autard. »
C. Baudelaire
226
Critères de réussite
• Présence de deux paragraphes structurés et argumentés (idée directrice, illus-
trations, mots de liaisons…).
• Indications précises sur la construction du sonnet et du poème en vers libres ;
sur le registre commun aux deux poèmes et sur le rôle des images poétiques.
• Citation des deux poèmes.
SUJET DU BAC
(PAGES 234-235)
I. Questions
1. C’est d’abord à sa maîtresse, à l’être aimé que s’adresse Baudelaire. Dès le titre,
dès le mot « invitation », un destinataire est visé. Il est présent au premier vers
sous la formule « Mon enfant, ma sœur », qui crée un effet immédiat de douceur
et d’intimité. La deuxième personne du singulier (« te ressemble », « tes traîtres
yeux », « Vois », « Ton moindre désir ») assure cette présence tout au long du
poème. Le lecteur est ainsi le confident de cette invitation au voyage et à l’amour.
Et il peut aussi se laisser griser par cette évocation sensuelle d’un lieu idéal ; il
peut, dans la dernière strophe, s’identifier finalement au destinataire du texte. Le
poème amoureux ne s’offre-t-il pas en partage à tous les amants ?
2. Le poème s’inscrit directement dans le registre lyrique. Lyrisme de la sensa-
tion, lyrisme de la voix qui interpelle l’autre, lyrisme de l’expression intime : la
multiplication des phrases exclamatives, le lexique de la douceur et du secret, le
jeu des personnes (« Mon enfant, ma sœur », « pour mon esprit »), l’impératif
(« songe », « vois »), l’adjectif possessif (« tes traîtres yeux », « ton moindre désir »),
fusionnent avec le mot « ensemble ». La mention « notre chambre » assure l’union
des deux êtres.
3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Pour les arguments de la lettre et les exemples d’auteurs et de textes qui consti-
tueront le recueil, voir le corrigé de la dissertation.
On pourra actualiser l’argumentation en évoquant la facilité et la multiplication
des voyages aujourd’hui (train, avion…). Le voyageur contemporain aura plaisir
à lire cette poésie du voyage qui mêle découverte du monde, émotions devant les
paysages neufs et voyage intérieur.
230
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 236-237)
Introduction
La confrontation du texte de Ionesco et des deux photographies qui évoquent
deux mises en scène permettra de poser le problème des rapports entre le texte
de théâtre et la représentation. Le texte de théâtre doit être lu en pensant qu’il est
fait pour être joué mais aucune représentation n’épuise les possibilités de jeu
offertes par le texte. Le chapitre ainsi amorcé se propose de rappeler la diversité
des types de texte pouvant être représentés. Au siècle du cinéma et de la vidéo, le
théâtre reste irremplaçable : c’est que la présence physique des acteurs et du public
permet un échange d’autant plus riche qu’il aura été préparé et suivi de nom-
breuses lectures.
Espérons que ces quelques exercices en donneront le goût aux élèves.
231
Réponses aux questions
I. Un texte écrit pour la représentation
1. Toutes les didascalies s’adressent au metteur en scène qui doit rendre cohé-
rentes et significatives les recherches de tous ceux qui participent à la représen-
tation. Ce qui évoque l’intérieur anglais, avec fauteuil et pendule, s’adresse plus
particulièrement au décorateur tandis que les pantoufles, la moustache, les lunettes
intéressent le costumier. Les didascalies qui indiquent le destinataire de chaque
réplique ou la mimique comme « gracieuse » (l. 8) s’adressent directement aux
acteurs. Mais, bien entendu, toutes les répliques orientent les efforts des uns et
des autres. Surtout, de nombreuses indications ne peuvent être savourées que par
les lecteurs : la répétition de l’adjectif « anglais » ne sera pas audible par les spec-
tateurs. Le décorateur peut certes exhiber un journal anglais, mais un « feu
anglais » ? un « silence anglais » ? Ce sera l’occasion de répéter que le texte théâ-
tral est destiné à la lecture aussi bien qu’à la représentation.
EXERCICES
(PAGES 242 à 248)
Exercice 2✢
1. Dans l’ordre des répliques : Georgette « tombant aux genoux d’Arnolphe »
(v. 6), Alain, « à part » (v. 7), Arnolphe, « à part » (v. 8), « à Georgette et à Alain »
(v. 10), « à Georgette » (v. 11), « à Alain » (v. 12), « Alain et Georgette se lèvent
et veulent encore s’enfuir » (v. 14).
233
2. L’essentiel est de faire sentir aux élèves que les remarques de Georgette et Alain
répondent à des mouvements, des mimiques ou des gestes qui ne sont pas écrits
par Molière et qu’il faut les imaginer. On imagine donc qu’Arnolphe fixe
Georgette avec un regard menaçant, qu’il la mange des yeux et qu’il doit menacer
Alain du geste, voire commencer à le battre. Les maîtres se sentaient le droit de
battre leurs domestiques et Arnolphe est hors de lui.
3. À trois reprises, les domestiques cherchent à s’échapper. Reste à imaginer dans
les trois cas une tentative différente. À petits pas pour le premier, un geste à peine
amorcé pour le second. Si Georgette est à gauche, Alain à droite, la troisième ten-
tative forcera Arnolphe par les deux bras, et voilà le maître écartelé. Il faudra
imaginer non seulement leurs gestes mais aussi la tête qu’ils font.
Exercice 5✢
1. Dans la mise en scène de Benno Besson, Don Juan porte une perruque, un
chapeau à plumes et un habit enrubanné tandis que Sganarelle se contente d’un
bonnet et d’une ample collerette, mais on cherche en vain les rubans. Dans la
mise en scène de Daniel Mesguich, l’ample pardessus en cuir habille le maître
tandis que Sganarelle porte le costume des petits lutins des publicités Kodak.
2. Le costume que porte Philippe Avron correspond à la description qu’en donne
Sganarelle : on reconnaît la perruque frisée, les plumes du chapeau, l’habit et les
rubans. Seul le maquillage semble outré et nous rappelle qu’il s’agit de théâtre et
non d’une reconstitution historique. Un tel costume fait du personnage de Molière
un jeune aristocrate à la mode, arrogant, refusant toute loi et abusant de ses pri-
vilèges pour se croire tout permis. Mais le personnage de Molière ne risque-t-il
pas d’être limité par cette seule caractérisation ?
3. Dans la mise en scène de B. Besson, le costumier s’est voulu fidèle au texte et
a placé les personnages dans une réalité sociale historiquement située. Dans la
mise en scène de D. Mesguich, le costumier a laissé parler son imagination : allure
sombre (mais le manteau de cuir ne trahit-il pas chez Don Juan une évidente
coquetterie ?) du maître et fantaisie irrésistible de Sganarelle. Le décalage entre
les deux personnages, contraste essentiel à la dramaturgie de l’œuvre puisque
c’est le rire déclenché par Sganarelle qui a fait scandale, est marqué de façon tout
à fait convaincante.
Exercice 7✢✢
1. La grande cape évoque l’Antiquité grecque et Thésée est un personnage mytho-
logique, mais le justaucorps, les hauts revers de manche, le brassard évoquent le
siècle de Racine et, à l’époque de Racine, les comédiens portaient les costumes
de leur temps sans se soucier de précision archéologique.
2. Les cuissardes, la coiffure, les genouillères de métal font de Thésée un héros
de cinéma ou de manga. En multipliant les références et les époques, le couturier
à su les fondre dans une figure pleine de feu où l’on reconnaît l’arrogance héroïque
du vainqueur du Minotaure. On sent avec quelle violence il va se prendre dans
le piège que vont lui tendre Phèdre et les dieux.
3. La formule que retiendront sans doute les élèves est celle de « sculpture d’êtres
imaginaires », reprise ensuite par « sculpture d’ensemble ». Le critique donne envie
de voir des images de cette mise en scène, mais la formule qui correspond au
dessin reproduit dans le livre fait comprendre la création du célèbre couturier : il
s’agit de rendre au personnage sa dimension mythique. Les acteurs grecs juchés
sur des cothurnes frappaient le public de stupeur. Racine définissait le climat tra-
gique par la formule : « tristesse majestueuse », où les mots « tristesse » et
« majesté » doivent prendre le sens très fort qu’ils avaient au XVIIe siècle. N’est-
ce pas cette majesté, cette grandeur souveraine qui signale l’excellence que l’on
retrouve dans les dessins de Christian Lacroix ?
4. La force du texte racinien (sa profondeur, son élégance) est telle qu’on redoute
tout ce qui relèverait du simple spectacle et qui risquerait de nous détourner de
son chant. Mais du temps même de Racine, les acteurs jouaient dans les costumes
les plus somptueux, dans les décors les plus raffinés : le luxe ne nuit pas à l’élé-
gance (à la simplicité des moyens qu’on appelle « élégance »), surtout quand cette
élégance doit être majestueuse. Pour ceux qui n’ont pu voir le spectacle de la
Comédie-Française, Michel Cournot témoigne de cet accord merveilleusement
tenu entre Christian Lacroix et Jean Racine.
236
Exercice 8✢✢
1. Agrippine se sert d’une canne pour ponctuer le non qu’elle oppose à Burrhus
puis pour lui imposer une conversation « sans feinte ». Cet accessoire sert ainsi
moins à trahir son âge qu’à témoigner d’un reste de puissance.
2. Tout se joue autour de la porte placée au cœur du dispositif scénique. D’une
part, la porte est restée ouverte : Burrhus, dans sa précipitation, a oublié de la
fermer. D’autre part, Agrippine « comme une bombe » y court pour la franchir
mais Burrhus l’arrête. Et c’est sur le coup de canne d’Agrippine que Burrhus la
ferme. La porte qui donne accès à l’empereur, la porte qui reste fermée à sa mère,
est au centre de cet affrontement.
3. Gildas Bourdet montre quelle colère anime Agrippine contre Burrhus qu’elle
avait nommé précepteur de son fils en lui faisant crier « non » au moment où il
cherche à s’échapper en la saluant. L’interruption, le cri, le coup de canne mar-
quent sa fureur. De plus, elle lui parle sans le regarder alors que lui cherche à
éviter la discussion.
4. La mise en scène règle avec beaucoup de rigueur les mouvements des acteurs
afin de mettre en lumière les rapports de force entre les personnages. Car autour
de la porte de Néron s’engage une lutte décisive. Burrhus empêche Agrippine de
passer la porte et à son tour Agrippine empêche Burrhus de quitter l’antichambre.
Les gestes d’Agrippine, vers Burrhus (question précédente), la façon dont elle lui
parle en lui tournant le dos puis celle dont elle se retourne au moment où elle
l’accuse de feindre, son ironie quand elle détache « augustes » et « une fois » la
montrent en train d’exercer sa puissance mais elle a perdu l’essentiel : la possibi-
lité de voir son fils.
Exercice 9✢✢
1. Dans la représentation du théâtre Mouffetard, la rue de Naples est évoquée
par l’esquisse d’une architecture baroque, mais c’est le redoublement par le grand
miroir qui crée un effet proprement baroque. Mais il s’agit sans doute moins
d’évoquer la ville de Naples qu’un des thèmes centraux de la pièce de Musset, la
recherche de soi à travers les images que nous nous créons ou que nous renvoient
les autres. Au théâtre des Bouffes du Nord, on retrouve les pierres noircies des
palais napolitains et les tables de fer sorties dans les rues. L’accompagnement
musical et les bruitages rappelaient aussi la ville italienne.
2. Dans la mise en scène d’Anne Saint Mor, les costumes évoquent plutôt le XVIe
ou le XVIIe siècle. On croit reconnaître Coelio à la couleur sombre de son costume,
à son chapeau tandis que dans la pose allongée du jeune homme tête nue, on
reconnaît la désinvolture d’Octave. Dans la mise en scène de Lambert Wilson,
les costumes sont contemporains. La chemise ouverte et la pose décontractée
d’Octave fumant une cigarette font contraste avec le costume sombre et la cravate
de Coelio.
3. Le décor du théâtre Mouffetard évoque le miroir. Pour Coelio, cette image
lisse que renvoie le miroir esquive les aspérités de la vie : c’est elle qui explique-
rait l’insouciance d’Octave. Coelio souffre d’être incapable de cette légèreté.
237
4. On pourrait dire que, dans la mise en scène du théâtre Mouffetard, Coelio
reste dans l’ombre alors qu’Octave est éclairé. Dans la mise en scène des Bouffes
du Nord, les deux visages sont éclairés de la même façon et se ressemblent. Dans
les deux cas, Coelio et Octave incarnent deux façons d’aimer. Ce déchirement
entre amour exigeant et amour frivole est au cœur de l’œuvre. Musset se sentait
lui-même déchiré entre ces deux aspirations opposées.
Exercice 11✢✢
1. On pourrait parler d’un registre réaliste lié au genre de la comédie. Le texte
indique l’éventualité d’un repas et probablement d’une porte. Philippe n’a pas
encore enlevé sa canadienne ni ses gants (l. 26) : il vient du dehors. On peut vrai-
semblablement se trouver dans une cuisine ou une pièce où l’on mange. Le
« regarde » de la ligne 24 invite Philippe à constater que la table est mise, le repas
prêt. Ces indices inscrivent le texte dans le registre réaliste. La simplicité fami-
lière de la langue décelable tant au niveau de la brièveté des phrases que de la
simplicité du vocabulaire rapproche encore du ton de la comédie. Mais le mot
« comédie », bien trop vague en lui-même, ne convient guère, le mot « drame »
non plus. Cette pièce peut être représentée de bien des façons : entre la repro-
duction précise d’un deux-pièces avec porte d’entrée et porte de la chambre, et
un espace où ne serait éclairée que la table où les assiettes sont mises, la marge
est grande. La mise en scène, le décor, le jeu des acteurs peuvent faire passer d’un
registre à l’autre. La difficulté de classement montre les limites de la notion de
genre.
Remarque. La pièce elle-même a été publiée avec Nina, c’est autre chose sous le
titre de Théâtre de chambre. C’est rapprocher ce théâtre, qu’un critique qualifie
de « minimal », de la musique de chambre : « Théâtre de chambre, écrit Vinaver,
parce qu’il est bon de le jouer dans une chambre, spectateurs compris. »
2. La tension entre la mère et le fils peut se lire sur un mode tragique. Le dialogue
paraît difficile entre le fils uniquement préoccupé de ses amis et la mère qui
cherche à se faire entendre. L’actrice peut faire sentir la douleur d’être méprisée,
d’abord par les amis de son fils puis, dans le mouvement même du dialogue, par
son fils lui-même. L’acteur peut montrer l’indifférence, voire l’impatience que
Philippe éprouve à l’égard de sa mère.
Quelques propositions pour une interprétation tragique :
(1) La question est posée de loin, Philippe debout dans la partie non éclairée de
la scène. Le regard dirigé vers Hélène est tendu vers la réponse.
(2) Hélène assise à table, le visage éclairé, sans regarder Philippe. Elle fait silence
avant de détacher la dernière remarque : « Ils ne me disent pas bonjour non plus. »
(3) La nouvelle question montre que la réponse ne l’a pas intéressé : il n’a pas
entendu ce que disait sa mère. Le ton est insistant, comme le regard voulant la
réponse, négligeant l’interlocutrice.
(4) La mère continue sur le même ton que plus haut. Elle refuse de répondre à la
question. Elle parle pour elle-même, sans espoir de se faire entendre.
3. La tension est nécessaire aussi à la comédie, comme l’a remarqué Pascal. Mais
cette tension ne deviendra comique que si l’on accentue ce qu’il peut y avoir de
courant, de quotidien dans la scène. L’actrice pourra faire sentir qu’elle ne croit
pas tout à fait aux reproches qu’elle adresse à son fils et pourra montrer en elle
239
les signes de la mère possessive. L’acteur jouera le fils bougon, mais prêt à céder
à l’invitation maternelle. Rien n’empêche qu’une sorte de gaieté complice sur-
gisse de leur échange.
Quelques propositions pour une interprétation comique :
(1) Les deux personnages sont occupés, Hélène à mettre la table, Philippe à décou-
vrir le courrier posé sur le buffet. La première question est posée d’un ton enjoué :
Philippe est sûr d’obtenir sa réponse.
(2) La mère toujours occupée mais lance la réplique parce qu’elle est sûre que
Philippe l’entendra, même si l’on sent que c’est un discours qui a déjà été pro-
noncé entre eux.
(3) Philippe, habitué à ce genre de discours, sourit en posant sa question, tou-
jours dépliant quelque lettre : on devine qu’il pose la question sans que la réponse
lui paraisse urgente.
(4) La mère est lancée dans son discours contre les amis de Philippe mais elle sait
que Philippe n’est pas comme eux.
EXO-BAC
(PAGE 249)
Écriture
Les élèves devront tenir compte de l’indication de la ligne 14 : Justine a été ren-
voyée pour « inconduite ». À eux d’imaginer ce qui a causé la renvoi de la ser-
vante par une maîtresse assez inconséquente pour avoir oublié qu’elle l’avait
renvoyée la veille. On imagine que Justine ne sera pas tendre avec son ancienne
maîtresse. Quant à Arsène, aura-t-il été séduit par l’élégance de Madame
Champbaudet ?
Critères d’évaluation
• Respect du genre (la comédie).
• Présence de didascalies.
• Dialogue qui révèle le caractère des personnages.
• Respect des formes du dialogue théâtral.
SUJET DU BAC
(PAGES 250 à 253)
I. Questions
1. Dans les deux scènes, les bruits – « bruits d’armes et des chuchotements » dans
Caligula, « voix de gardiens et de prisonniers » dans Roberto Zucco – viennent
des coulisses, faisant entendre des personnages qui ne sont pas en scène. Bruits
menaçants pour Caligula, bruits admiratifs pour Zucco, ils font sentir tout le
poids des autres, de tous ceux dont les personnages se sont détachés, par la folie
la plus meurtrière. Seul en scène, le personnage éponyme, fascinant, monstrueux,
est « tout seul, comme les héros ». L’accessoire essentiel dans la pièce de Camus
241
est le miroir dans lequel le tyran s’interroge sur lui-même, indice moins de nar-
cissisme que de réflexion. En le brisant d’un coup de tabouret, il fait de sa mort
un suicide : c’est Caligula qui met fin à son image, et lorsque les autres le tuent,
il peut lancer vers eux une dernière provocation, un hurlement de rire. L’accessoire
dans Roberto Zucco est plutôt un élément de décor : le toit par lequel il s’élance
ailleurs est l’instrument qui fait de son évasion non pas une fuite mais une envolée,
une ascension.
2. Pour éclairer une dernière fois le personnage de Caligula, Camus a recours au
monologue. Il souligne ainsi la solitude extrême dans laquelle s’est enfoncée le
personnage : en dehors de l’esclave Hélicon, absent, et dont l’arrivée sera vaine,
il ne lui reste plus que son image dans le miroir pour donner sens à sa vie, à sa
mort. Ce dédoublement révèle une culpabilité d’autant plus douloureuse que ce
monde est « sans juge », que le mot « innocent » n’a pas de sens, qu’il n’y a pas
de limite au mal. Le jeu avec le miroir – « se pressant contre lui », « revient vers
le miroir », « tend les mains vers le miroir en pleurant », « criant », « s’approche
en soufflant » – marque les divers mouvements qui bouleversent Caligula : la peur
de la mort, mais surtout une dévorante soif d’absolu qui l’a égaré à la recherche
d’une fausse liberté.
Les deux dernières répliques, hurlées, semblent affirmer une dérisoire victoire sur
la mort : est-ce en passant « à l’histoire » que Caligula reste « encore vivant » ?
Passant ainsi des larmes au cri puis à un hurlement qui mêle le rire et le râle, le
tyran est un être humain qui a échoué face à l’absurdité de la condition humaine.
C’est un étrange dialogue qui éclaire le personnage de Roberto Zucco : une mul-
titude de voix interroge celui qui s’est réfugié sur les toits. Le personnage appa-
raît comme l’image d’un mouvement que rien n’arrête, d’une force qui ne connaît
aucune limite, aucune loi, ni physique, ni morale, ni métaphysique.
Deuxième partie
Mais le théâtre peut donner seulement le plaisir d’un divertissement
conformiste qui n’apprend rien et qui raisonne peu.
• Le décalage entre le plaisir de la contemplation et le déplaisir pénible que nous
donne la réalité peut engager le théâtre dans le sens d’une fuite. Le détour ins-
tructif dont parle Aristote se transforme alors en divertissement aveugle : pour
donner du plaisir, le théâtre détourne du vrai et produit des images séduisantes
mais fausses d’une réalité qu’il serait trop pénible de regarder en face. Le plaisir
du théâtre se réduit vite au plaisir du travestissement. C’est le déguisement qu’on
aime parce qu’il émousse les aspérités du réel. Bossuet et les jansénistes dénon-
cent le théâtre parce qu’il rend séduisantes les passions les plus mauvaises. Bien
sûr, le théâtre de divertissement, le théâtre de boulevard donnent bien du plaisir
mais donnent-ils, par eux-mêmes, l’envie d’apprendre et de raisonner ? Surtout,
le théâtre le plus sérieux ne risque-t-il pas d’esquiver lui aussi le réel ? Les élèves
pourront de nouveau s’appuyer sur les textes du corpus : en quoi le Caligula de
Camus nous permet-il de raisonner sur le Caligula criminel que peint Suétone ?
En quoi le Zucco aérien de Koltès éclaire-t-il le Succo qui a défrayé la chronique ?
246
• Le théâtre serait limité aussi dans sa recherche de la vérité parce qu’il s’adresse
à un public et qu’il ne peut prendre à contre-pied les valeurs de ce public. Le
théâtre est alors inévitablement une école de conformisme. Le public n’est séduit
que par les vérités couramment admises, les idées reçues, les lieux communs, les
fausses audaces, les petits scandales. Il n’est pas capable de nous faire découvrir
une vérité nouvelle ou un aspect méconnu de la réalité. On reconnaît la critique
que Rousseau adresse à Molière dans la Lettre à d’Alembert : le génie du comique
est obligé, pour faire rire le public de son temps, de ridiculiser ces originaux que
sont un bourgeois qui veut s’instruire, un noble qui veut être sincère. Et les
maximes de Figaro n’étaient pas si révolutionnaires puisqu’elles faisaient rire les
nobles eux-mêmes. Le théâtre donne du plaisir en représentant l’image tronquée
du réel qui correspond aux attentes du public. Mais n’est-ce pas là méconnaître
ce que peut nous apporter l’imitation théâtrale par la lecture ou le spectacle ?
Troisième partie
Alors, à quelles conditions et de quelle manière le théâtre peut-il
nous conduire à « apprendre et raisonner » ?
• On aurait tort de demander au théâtre de nous faire apprendre et raisonner
comme le ferait un livre de logique, d’histoire ou de science. Le théâtre ne peut
nous apprendre quelque chose que par le plaisir qu’il donne. C’est un jeu mais
ce jeu, s’il est bien joué, provoque une émotion, c’est-à-dire un déplacement :
qu’on en rie ou qu’en pleure, ce qui est montré au théâtre nous remue : en dépla-
çant nos points de vue sur les êtres et les situations, l’émotion amène à réfléchir.
La vérité que Camus et Koltès cherchent à mettre à jour n’est pas la vérité d’un
psychologue ou d’un historien, c’est une vérité d’un autre ordre qui donne voix,
qui cherche à donner sens à ce qui nous échappe, le crime le plus fou ; ces figures
remettent alors en question nos certitudes, font vaciller nos préjugés et évitent
tout conformisme. Il y a plus de vérité, disait Aristote, dans l’œuvre théâtrale qui
éclaire une vérité générale que dans les recherches d’historiens qui ne portent que
sur des accidents particuliers. C’est la force de la poésie et du rêve que suscite le
théâtre qui inquiète les moralistes et les censeurs.
• Comme le jeu théâtral repose essentiellement sur le dialogue, il montre sur scène
la confrontation de points de vue qui entrent en conflit : Oreste et Clytemnestre,
Antigone et Créon, Don Juan et le Pauvre, Galilée et Andrea. C’est la mise en
place de ces conflits qui confrontent des valeurs, des attitudes sociales, morales,
religieuses, qui invite le public à apprendre et à raisonner. Molière a confronté la
figure amicale de Philinte à la sincérité brutale d’Alceste, et c’est le développe-
ment de leur dialogue qui amène à réfléchir en dehors de tout préjugé. À chaque
lecteur, à chaque spectateur de prendre conscience de ce qui est en jeu. En mettant
à jour les contradictions qui déchirent les êtres humains, le théâtre nous invite à
raisonner. Que certaines formes de théâtre se contentent d’un accord conven-
tionnel importe peu : ce qui fait la force de Corneille, de Molière, de Shakespeare,
c’est de pousser à l’extrême ces contradictions, de chauffer à blanc les person-
nages pour que le conflit soit éclairant, surtout s’il paraît insoluble. Brecht met
en place ce qu’il appelle la « distanciation », Vinaver joue sur la juxtaposition de
247
séquences qui s’éclairent l’une l’autre, Ionesco donne une présence concrète à ses
cauchemars : c’est toujours une prise de conscience que le véritable auteur de
théâtre cherche à provoquer.
Conclusion
Le théâtre n’est jamais pur divertissement : il compose une image du monde et
des hommes qui orientent nos points de vue et nos partis pris. À tous ceux qui
ne voient là qu’un divertissement facile et sans portée, qui ne sert qu’à confirmer
les préjugés courants, Aristote oppose une conception qui éclaire le fonctionne-
ment du théâtre et nous permet de mesurer et d’apprécier la qualité d’une œuvre
théâtrale. La mise à distance que permet le jeu théâtral doit provoquer une prise
de conscience qui amène à réfléchir. Que cette prise de conscience naisse du rire
que provoque la comédie ou des larmes que provoque la tragédie, elle est ce qui
justifie le théâtre qui n’imite, qui ne reproduit le réel que pour nous permettre de
mieux l’appréhender. Sur ce point essentiel, Brecht ne s’accorderait-il pas avec
cette poétique aristotélicienne dont il voulait s’éloigner ?
III. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
La remarque d’Aristote et les deux textes du corpus devraient orienter le déve-
loppement de ce dialogue qui pourra être amorcé à partir des débats perpétuel-
lement renouvelés sur l’influence des films d’action, sur les chiffres de la
délinquance. Certains se souviendront peut-être que le film consacré à Roberto
Succo a été contesté à sa sortie car il idéalisait le terrible meurtrier. Le théâtre grec
est né en magnifiant des figures monstrueuses et le théâtre a prospéré en multi-
pliant ces personnages qui échappent à toute norme et provoquent aisément la
crainte et la pitié. L’amorce de la conversation devrait donc être facilement
trouvée.
La dénonciation des dangers de l’idéalisation pourra s’appuyer sur les exemples
de Caligula et de Zucco. En faisant de ces personnages des êtres que l’on com-
prend, en justifiant leurs actes les plus insensés, en soulignant leur solitude radi-
cale, on trompe le public : on embellit la réalité et on empêche de la comprendre.
L’idéalisation provoque une fascination et une forme de complaisance à l’égard
de ces meurtriers qui transgressent toutes les lois et peuvent apparaître alors, à
tort, comme des figures libératrices qui remettent en question les murs dans les-
quels l’homme dit « normal » s’est enfermé. L’idéalisation conduit à l’oubli révol-
tant de la victime, qui n’est plus que l’instrument de la glorieuse noirceur du tyran
ou du fou.
L’idéalisation empêche le théâtre de remplir la fonction qu’Aristote attribue à
l’imitation théâtrale : apprendre et raisonner. Les plus grands auteurs masquent
ce que la réalité a de pénible par une poésie éblouissante mais aveuglante : la
mythification n’est qu’une mystification.
La nécessité de l’idéalisation s’appuiera sur les remarques d’Aristote. Ce qui est
imité par le théâtre ne doit pas être confondu avec la réalité. Koltès a insisté sur
cette indispensable distance en modifiant l’initiale du nom du criminel. Le vrai
Succo doit être analysé, éclairé par des psychologues, des sociologues, des témoi-
248
gnages divers. Le personnage de théâtre Zucco relève d’un autre ordre de réalité.
La confusion de la réalité atroce avec le jeu de l’imitation méconnaît ce qui fait
l’essentiel de la création théâtrale.
L’idéalisation du personnage monstrueux, tyran sanguinaire, meurtrier en série,
permet des images par lesquelles on s’interroge sur la tyrannie, la folie, la nais-
sance du mal. C’est parce que le dramaturge prend ses distances avec la réalité
dont il s’inspire que son œuvre peut devenir éclairante. C’est là le jeu de la créa-
tion, de la poésie, théâtrale.
Le théâtre, par le jeu qu’il introduit avec les pires horreurs, permet de regarder
autrement ces figures abominables. Il ne s’agit pas de les absoudre mais d’éclai-
rer ce qui nous semble incompréhensible dans leurs crimes. C’est en frappant
l’imagination que le théâtre mobilise la réflexion. C’est en prenant le risque de
se confronter à ces figures inquiétantes que le théâtre, en mythifiant, démystifie.
249
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
20 L’argumentation:
convaincre, persuader et délibérer
(PAGES 254 à 267)
OBSERVATION
(PAGES 254-255)
Introduction
La fable et le conte philosophique sont des récits à vocation morale et didactique,
et sont tous les deux des formes d’argumentation indirecte. Dès l’Antiquité, l’apo-
logue (apo-, verbe grec, et logos, discours) permet de renouveler l’attention en
recréant, dans le cadre d’un récit, des situations proches ou captivantes, qui per-
mettent aux orateurs de persuader l’auditoire. La Fontaine fait du genre mineur
de la fable (que l’Art poétique de Boileau ne mentionne même pas) un genre à
part entière à travers le chef-d’œuvre de ses livres de Fables. Ses modèles sont
variés : l’anthologie de Nevelet qui rapporte les textes du Grec Ésope, les Latins
Phèdre et Horace, les apologues orientaux. Il nous propose ainsi, à son tour, « une
comédie en cent actes divers ». Voltaire, de son côté, inaugure le genre du conte
philosophique avec Zadig. Suivront Babouc, Micromégas, Candide, La Princesse
de Babylone. Le récit y laisse une place au merveilleux mais s’accompagne d’une
251
réflexion, accessible à tous les lecteurs, sur les questions scientifiques ou poli-
tiques qui bouleversent le XVIIIe siècle. La fable et le conte philosophique se rejoi-
gnent ainsi par leur objectif commun : plaire tout en instruisant.
II. La fable
3. Le premier vers met en place la situation initiale du récit : « Après mille ans et
plus de guerre déclarée », immédiatement suivie d’un élément perturbateur : « Les
Loups firent la paix avecque les Brebis » (v. 2). Dès lors, les péripéties peuvent
s’enchaîner : « on donne des otages » (v. 9) ; les Louvats grandissent et deviennent
Loups à leur tour (v. 13 à 15) et obéissent à leur instinct en étranglant « la moitié
des Agneaux les plus gras » (v. 17). Les chiens donnés en otage par les bergers
sont étranglés à leur tour (v. 21). La morale tient lieu d’élément équilibrant : la
guerre doit recommencer.
4. Le pronom « nous » renvoie au fabuliste et à son lecteur ; par extension, il
renvoie au genre humain dans son ensemble.
252
EXERCICES
(PAGES 259-264)
Exercice 2✢
1. L’auteur du texte est André Comte-Sponville, le destinataire est le lecteur de
son essai. La thèse qu’il défend est celle de la supériorité de la lettre sur le télé-
phone.
2. Les arguments :
– « Le téléphone est importun, indiscret, bavard » (l. 7 et 8) ;
– « des choses ne peuvent être dites que par l’écriture » (l. 8 et 9).
Le second paragraphe développe cet argument (« Ce dont on ne peut parler, il
faut l’écrire », l. 18 et 19).
Exercice 3✢✢
1. Le thème commun aux deux textes est le thème de la guerre. Le texte A est
écrit par Albert Camus dans la revue Combat, le 8 août 1945, alors que l’arme
nucléaire est utilisée au Japon. Le texte B est une chanson de Boris Vian écrite en
pleine guerre d’Indochine, revendiquant le droit de refuser d’effectuer ses devoirs
militaires. Le destinataire est, dans les deux cas, l’opinion publique, qui est prise
à témoin.
2. Les arguments utilisés :
– texte A : une ville peut désormais être totalement rasée au moyen d’une seule
bombe (l. 6 à 10) ; une évolution profonde de la guerre (l. 10 à 16) ➞ thèse défen-
due : la civilisation est parvenue à un degré de sauvagerie ultime qui annonce sa
fin (l. 16 à 21) ;
253
– texte B : la troisième strophe apporte un premier argument : « Je ne suis pas sur
terre / Pour tuer des pauvres gens » ; la cinquième en apporte trois autres : « J’ai
vu mourir mon père / J’ai vu partir mes frères / Et pleurer mes enfants » ➞ thèse
implicitement défendue : l’émetteur affirme son droit à ne pas faire la guerre.
3. Albert Camus choisit d’utiliser le vocabulaire évaluatif : « peu de choses »,
« formidable concert », « enthousiastes », « totalement », « élégantes », « dernier
degré de sauvagerie », « suicide collectif ». Boris Vian utilise de son côté le voca-
bulaire affectif : « pauvres gens », « mourir mon père », « partir mes frères »,
« pleurer mes enfants ». Par ailleurs, il met à profit le lyrisme de la chanson pour
rendre son discours plus persuasif.
Exercice 4✢✢
1. Les auteurs abordent le phénomène de la vitesse. Texte A : « Les automobi-
listes aiment à conduire vite… ». Texte B : «… ce plaisir géométrique dans un
virage… ».
2. Le texte A défend le principe de la limitation de vitesse qui « a brutalement
fait baisser le nombre de morts ». Le texte B évoque le plaisir de la vitesse calculé
pour rester dans « l’exacte ligne au-delà de laquelle la voiture deviendrait incon-
trôlable ».
3. Les arguments des partisans de la vitesse :
– « il s’agit là d’un plaisir innocent » (l. 2) ;
– les limitations de vitesse sont « une intolérable brimade » (l. 6) ;
– elles sont également une « atteinte à la liberté individuelle » (l. 14).
Les contre-arguments apportés par l’auteur :
« l’apparition des limitations de vitesse a brutalement fait baisser le nombre de
morts » (l. 8-10) ;
« leur suppression le ferait de nouveau augmenter » (l. 10-11).
Remarque. On peut proposer aux élèves de rédiger une suite possible à l’argu-
mentation : C’est alors que les chantres du 200 kilomètres à l’heure jettent dans
la balance l’argument décisif : l’atteinte à la liberté individuelle. Comment ne
voient-ils pas que la liberté de tous dépend du respect par chacun des règles fixées?
Celui qui roule à 200 kilomètres à l’heure peut certes éprouver du plaisir à mettre
sa vie en danger. Cependant, il constitue dès lors une menace pour la vie des
autres. Il appartient donc à la société d’édicter des règles – et de les faire respec-
ter – pour que la liberté de tous soit sauvegardée. Les limitations de vitesse ne
réduisent donc pas les libertés individuelles ; elles les préservent au contraire.
Exercice 5✢✢
1. Henriette et Armande, deux personnages de la pièce de Molière intitulée Les
Femmes savantes, évoquent le mariage. Henriette défend le mariage en s’appuyant
sur les valeurs de l’amour et de la tendresse. Armande, au contraire, ne voit dans
le mariage qu’un enfermement, en s’appuyant sur les valeurs d’intelligence et de
plaisir de l’esprit.
2. Henriette utilise le vocabulaire affectif (« aime », « soit aimé », tendresse »,
254
« douceurs ») et la question rhétorique. Armande utilise un vocabulaire évalua-
tif (« étage bas », « claquemurer », « idole d’époux », « marmots d’enfants », « gens
grossiers », etc.) et l’exclamation indignée (l. 6 à 11).
Exercice 7✢✢
1. Les marques de l’essai dans le texte de Montaigne :
– l’implication de l’émetteur : utilisation des pronoms de la première personne ;
– la complicité avec le lecteur à travers les images familières (« je ne m’en ronge
pas les ongles », l. 7 et 8 : « Si j’y prenais racine », l. 10) ;
– la défense d’un point de vue personnel : Montaigne donne son propre point de
vue sur la lecture qui doit être, à ses yeux, d’abord un plaisir.
2. Montaigne fait de lui-même le portrait d’un homme ordinaire. Il ne cherche
pas à apparaître comme un savant toujours plongé dans des livres complexes, mais
la lecture est pour lui d’abord un plaisir. Lire lui apparaît comme un exercice
difficile qui le décourage de manière régulière (l. 7 à 9). Le philosophe refuse de
s’y fatiguer la vue (l. 16) lorsque son esprit l’empêche de comprendre un ouvrage.
Il n’hésite pas à abandonner un livre, quitte à y revenir plus tard (l. 22 à 24).
Exercice 9✢✢
1. Les couples récit / moralité sont les suivants :
• Le Lièvre et la Tortue ➞ « Trop croire en son mérite est manquer de
cervelle… »
• Le Paon et Junon ➞ « L’un est bien fait… »
• Le Renard et les raisins ➞ « Quand d’une charmante beauté… »
• Le Loup et le Porc-Épic ➞ « Jeunes beautés, chacun vous étourdit… »
2. On peut proposer les reformulations suivantes :
• Le Lièvre et la Tortue ➞ Il ne faut ni surestimer ses capacités, ni avoir trop
confiance en son pouvoir de séduction. Ce serait faire preuve de bêtise. Il faut
donc, lorsqu’on est amoureux, ne pas croire trop vite la partie gagnée et ne pas
délaisser la personne qui nous attire.
• Le Paon et Junon ➞ Les uns se distinguent par leur beauté, les autres par leur
faculté de charmer. Tout le monde a des qualités, mais celles-ci sont partagées.
• Le Renard et les raisins ➞ Lorsqu’un jeune garçon dit d’une jolie fille qu’elle
ne lui plaît pas, il ment forcément : il dirait la vérité s’il avouait qu’elle ne le
regarde pas.
• Le Loup et le Porc-Épic ➞ On dit souvent aux jeunes filles qu’elles devraient
être plus gentilles, moins distantes, que cela les rendrait plus sympathiques et plus
jolies… Elles peuvent le croire, mais sans se faire d’illusion sur les intentions de
celui qui les flatte ainsi.
EXO-BAC
(PAGE 265)
Écriture
Faut-il jeter son téléviseur ?
Comme de toutes parts on critique la télévision et ses programmes, j’ai décidé de
faire la part de ses qualités et de ses défauts afin de voir s’il ne me serait pas pro-
fitable de me séparer à jamais de mon téléviseur.
258
SUJET DU BAC
(PAGES 266-267)
I. Question
Le corpus de textes rassemblés présente les réflexions que trois écrivains profon-
dément différents portent sur le livre et la lecture. Jean-Jacques Rousseau déve-
loppe, comme il le fait souvent, une proposition paradoxale : « Je hais les livres »,
écrit-il dans Émile, alors qu’on s’attendrait au contraire à ce que l’écrivain phi-
losophe en fasse la louange. C’est qu’il y a trop de livres selon lui. Ils nuisent à la
formation de l’esprit humain en apportant un faux savoir. Seuls comptent « les
besoins naturels de l’homme », et seul l’ouvrage qui aiderait l’enfant à prendre
conscience de ces besoins trouverait grâce à ses yeux. De son côté, le romancier
Daniel Pennac cherche à déculpabiliser ceux qui ne lisent pas. Il s’agit de ne pas
se forcer à lire, de ne pas faire de la lecture un devoir imposé par les autres (par
les parents ou par le code social). Alors on pourra recréer un véritable désir de
lire à partir d’une entière liberté. Enfin Philippe Delerm évoque une expérience
de lecteur : lire sur la plage. L’auteur s’attache à cerner une sensation particulière,
à la fois physique et intellectuelle, dont il veut restituer l’intensité et la saveur.
2. Dissertation
Éléments de réponse et proposition de plan
Nombreux sont les témoignages que les écrivains ont apportés au fil des siècles
sur leur propre conception du livre et de la lecture. De Montaigne à Voltaire, de
Rabelais à Sartre, chacun s’est exprimé, chacun a cherché à définir son rapport au
livre. C’est ainsi que Jean-Jacques Rousseau – qui rapporte dans ses Confessions
comment il fut, très jeune, un dévoreur de livres – confie dans Émile : « Je hais
les livres ; ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas. » Le pédagogue
prend ses distances avec la lecture, avec les livres dont il craint pour son jeune
élève la mauvais influence ou l’inutilité. Il est vrai que si le livre est généralement
considéré comme un instrument indispensable de connaissance, comme un ini-
tiateur privilégié dans la découverte du monde, certains ont pu critiquer l’im-
portance exagérée qu’on lui accorde. Deux points de vue s’opposent. Mais est-il
possible de s’en tenir à cette opposition, tant le rapport que chaque lecteur, que
chaque homme entretient avec le livre est singulier, différent ?
1. Le livre comme médiateur, comme initiation au monde
– Les autobiographies d’écrivains ont insisté sur leur formation par le livre : livres
260
d’aventures, poèmes, livres d’images : ils ont permis la découverte d’univers incon-
nus. Les livres de Jules Verne pour Sartre, Le Rouge et le Noir pour Julien
Gracq… On pourrait multiplier les exemples d’écrivains que la lecture d’un livre,
dans leur jeunesse, a marqués à jamais.
– Les philosophes des Lumières, de Montesquieu à Voltaire, ont insisté sur l’im-
portance de la formation intellectuelle par le livre : c’est une arme dans le combat
contre l’intolérance et les préjugés. L’Encyclopédie diffuse un savoir indispen-
sable à la formation et à la liberté de tout individu.
– Les écrivains permettent aussi de formuler « ce qu’on sait » sans pouvoir l’ex-
primer. Les poètes, particulièrement, trouvent les mots qui correspondent aux
sentiments, aux émotions éprouvés par tous. Ils aident à dire le bonheur, la souf-
france ou la mélancolie.
2. Le livre comme danger, comme refuge et refus du monde
– Dans Comme un roman, Daniel Pennac prend position contre l’insistance avec
laquelle on « force » les enfants à lire. Il dénonce la pression sociale et culturelle
qui pousse à la lecture sans véritable nécessité. On pense au dégoût, au rejet, que
cette « obligation » peut produire chez les enfants. De même, on imagine les dîners
mondains dans lesquels, pour briller, pour « parler », il faut avoir lu tel ou tel
ouvrage. Dans ses Caractères, la Bruyère se moque ainsi de celui qui prétend avoir
tout lu, s’exprime sur tous les sujets, et se trompe sans cesse. Il s’agit dès lors de
déculpabiliser les non-lecteurs, de créer un espace de liberté où chacun est libre
de lire ou non.
– Par ailleurs, André Gide, lecteur passionné, a souligné combien le livre était
pour un lui un compagnon indispensable, toujours présent à chaque moment de
son existence, refuge contre les soucis et les chagrins. La culture par le livre est à
ses yeux un élément essentiel d’épanouissement de l’individu. Et pourtant c’est le
même Gide qui s’écrie dans Les Nourritures terrestres : « Jette mon livre », pour
inviter le lecteur à s’ouvrir aux sensations du monde, pour l’engager à goûter la plé-
nitude de la vie. Dès lors, que faut-il en conclure ?
3. La multitude des rapports au livre
– Bien sûr, Montaigne et Rabelais ont dénoncé eux aussi, avant Rousseau, les
effets néfastes d’un enseignement uniquement fondé sur l’accumulation de savoirs
abstraits, coupés du réel, souvent stériles et ennuyeux qui conduisent à former des
« têtes mal faites ». L’érudition est alors pure vanité, elle est stérile.
– Mais chaque lecteur, chaque individu rencontre le livre d’une manière singu-
lière. La lecture a souvent le rôle d’une révélation, d’un moment privilégié. On ne
saurait dès lors se limiter à la définition restrictive, négative proposée par
Rousseau, qui prend tout son sens dans le contexte de son combat contre des
formes d’éducation et d’enseignement qu’il estime sclérosées.
– Dès lors, livre pour s’évader, livre pour rêver, livre pour réfléchir et s’engager,
livre pour découvrir les réalités du monde, livre de témoignages… chacun a, à sa
manière, une portée éducative. Et qu’on soit lecteur ou non, il appartient à toute
société de permettre, de favoriser, d’encourager – par les bibliothèques par
exemple ou par la modicité du prix du livre – l’accès de tous à la lecture. Chacun
pourra alors se forger sa propre opinion et dire s’il « aime » ou « hait » les livres.
261
On le voit, chaque écrivain mais aussi chaque lecteur, chacun d’entre nous a ren-
contré le livre dans son existence. Pour les uns, cette rencontre a pu être impor-
tante, s’imposer comme une source de découverte et d’épanouissement. Pour les
autres, au contraire, la révélation n’a pas eu lieu, et le livre n’est pas devenu le
compagnon nécessaire et familier. Pour ma part…
262
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
OBSERVATION
(PAGES 268-269)
Introduction
L’invention de l’imprimerie provoque une mutation culturelle décisive en Occident.
La naissance du monde moderne coïncide avec celle du livre. Depuis la Bible
imprimée par Gutenberg en 1455, l’essor de l’humanisme est lié à la présence de
plus en plus familière du livre. Il permet l’individualisme, la réflexion individuelle
devant les textes, à l’époque où se multiplient les grands voyages (Colomb,
Magellan…) et les grandes découvertes (Copernic et Tycho Brahé ne sont que
deux exemples parmi beaucoup d’autres d’une véritable « révolution » de l’image
de l’homme et du monde, à travers les recherches en astronomie, en médecine,
en géométrie…). La peinture se renouvelle avec l’invention de la perspective et le
génie de grands créateurs, comme Vinci ou Michel-Ange. Plus généralement, tous
les arts connaissent un nouvel essor (cf. la construction du Louvre en architec-
ture, le renouveau de la poésie française avec Ronsard et la Pléiade). De grandes
figures – Érasme, Machiavel, More, Budé – dominent la pensée européenne, qui
263
interroge les valeurs et l’organisation du monde social, ainsi que les formes du
pouvoir politique. Après le règne flamboyant de François Ier, qui retire des guerres
d’Italie la découverte d’un monde élégant et raffiné, les guerres de religion for-
meront la part sombre et angoissante d’une époque par ailleurs si intense et si
riche. Ainsi l’étude des lettres, l’échange de savoirs, de voyages et de recherches,
d’arts et de techniques, qui placent l’homme au centre du monde, permet de voir
dans l’humanisme un formidable mouvement culturel.
EXO-BAC
(PAGE 275)
Lecture
1. Malherbe loue dans ce poème un certain nombre de qualités esthétiques du
domaine de Fontainebleau, qualités qui sont caractéristiques du classicisme : la
beauté (« Beaux parcs et beaux jardins »), la grandeur (« Beaux et grands bâti-
ments »), la solidité (« éternelle structure »), la diversité (« d’ouvrages divers »),
ou encore le caractère éternel (« en effacer jamais l’agréable peinture »). La forme
269
du sonnet est bien adaptée à cet éloge : grâce à ses règles de construction claires
et rigoureuses, il permet au poète d’atteindre l’idéal d’équilibre et d’honnêteté du
classicisme.
Remarque. C’est à tort qu’on associe « classicisme » et « règles ». Plutôt que des
contraintes, le classicisme revendique la clarté, la rigueur et l’universalité. Ce
passage de la préface au Recueil de poésies chrétiennes et diverses (Port-Royal,
1670) en témoigne :
« Il faut donc s’élever au-dessus des règles qui ont toujours quelque chose de
sombre et de mort. Il faut ne concevoir pas seulement par des raisonnements abs-
traits et métaphysiques en quoi consiste la beauté des vers ; il la faut sentir et com-
prendre tout d’un coup, et en avoir une idée si vive et si forte qu’elle nous fasse
rejeter sans hésiter tout ce qui n’y répond pas.
Cette idée et cette impression vive, qui s’appelle sentiment ou goût, est tout autre-
ment subtile que toutes les règles du monde ; elle fait apercevoir des défauts et
des beautés qui ne sont point marqués dans les livres. C’est ce qui nous élève au-
dessus des règles, qui fait qu’on n’y est point asservi, qu’on en juge, qu’on n’en
abuse point, et qu’on ne les suit pas en ce qu’elles ont de défectueux et de faux.
Enfin, c’est cette idée vive qui s’exprime et se représente dans ce qu’on écrit ; au
lieu que les préceptes demeurent toujours stériles, tant qu’on ne les connaît que
par spéculation et par raisonnement, et que l’esprit n’en est pas pénétré par cette
autre sorte de connaissance. »
2. Les caractéristiques du texte, les valeurs et les règles esthétiques qu’il défend
sont les suivantes :
– « Enfin Malherbe vint… devoir. » (vers 1 à 4) ➞ Boileau rend hommage à son
prédécesseur en qui il voit l’inventeur des règles de la versification classique : la
« juste cadence », nécessaire, le choix méticuleux de la rime (vers 3), et le refus
d’une inspiration toute puissante (« réduisit la Muse aux règles du devoir »).
– « Par ce sage écrivain… enjamber. » (vers 5 à 8) ➞ Boileau évoque l’architec-
ture sonore du poème, la construction des strophes et la nécessaire coïncidence
de la phrase et du vers (« Et le vers sur le vers n’osa plus enjamber »).
– « Tout reconnut ses lois… imitez la clarté » (vers 9 à 12) ➞ Boileau voit en
Malherbe le chef de file du classicisme, son «guide fidèle» et le «modèle» à suivre.
Il évoque les valeurs essentielles du mouvement, la « pureté » et la « clarté ».
Remarque. On peut citer les Mémoires sur la vie de Malherbe de Racan pour
illustrer le souci de pureté et de clarté qui caractérise Malherbe : « On dit qu’une
heure avant de mourir, après avoir été deux heures à l’agonie, il se réveilla comme
en sursaut pour reprendre son hôtesse qui lui servait de garde, d’un mot qui n’était
pas bien français à son gré. Et comme son confesseur lui en fit réprimande, il lui
dit qu’il ne pouvait s’en empêcher et qu’il voulait jusqu’à la mort maintenir la
pureté de la langue française » (Racan, Mémoires sur la vie de Malherbe, 1651).
3. Le château de Versailles manifeste la gloire de Louis XIV, qui – bien plus
qu’Henri IV embellissant Fontainebleau – reprend et reconstruit complètement
l’ancienne propriété de Louis XIII, comme un témoignage de sa puissance. Le
tableau de Pierre-Denis Martin montre bien le principe d’ordre qui a guidé l’es-
prit des architectes : la construction du château et de ses dépendances, comme
270
celle du jardin et de ses allées, est rigoureuse et parfaitement ordonnée. Le clas-
sicisme est cette volonté de mise en ordre, à travers un art qui impose ses lois dans
la clarté et la rigueur.
Écriture
On peut renvoyer les élèves, pour répondre à cette question, aux pages 466-467
du manuel :
En réaction contre l’exubérance du baroque, le classicisme cherche à créer des
modèles, en fondant chaque genre littéraire, et notamment la poésie, sur des règles
de construction claires et rigoureuses. Dans son sonnet consacré à Fontainebleau,
Malherbe annonce ainsi les qualités esthétiques qui fonderont le classicisme :
« Beaux et grands bâtiments… » La beauté, la grandeur et la rigueur se retrou-
vent dans l’œuvre de Boileau, qui, fait l’éloge de Malherbe en qui il voit le chef
de file du mouvement : « Enfin Malherbe vint ».
Ce passage de l’Art poétique met en évidence une volonté affirmée de respecter
des règles strictes de versification plutôt que de laisser libre cours à l’inspiration :
il s’agit de « réduire la Muse aux règles du devoir » si l’on veut atteindre cet idéal
de « pureté » et de « clarté » qui sont les valeurs revendiquées du classicisme. C’est
cet idéal qu’on retrouve dans le tableau de Pierre-Denis Martin : l’équilibre de la
construction, l’harmonie des formes, les effets de parallélisme et de symétrie sont
en effet les procédés qui font du classicisme, plus qu’un mouvement littéraire, un
mouvement culturel qui influence l’ensemble des arts et de la société.
Critères de réussite
• Indications précises sur le classicisme ;
• Citations des textes du corpus et références au tableau ;
• Construction argumentée du paragraphe ;
• Correction de la langue écrite.
SUJET DU BAC
(PAGES 276-277)
I. Questions de lecture
1. et 2. L’Encyclopédie – qui a subi les assauts de la censure – cherche à répandre
des valeurs nouvelles. Elle oppose ainsi aux hiérarchies sociales issues du monde
féodal la notion d’égalité naturelle, associée à celle de liberté. Le chevalier
de Jaucourt part d’une définition première pour développer une argumentation
(cf. les termes d’articulation logique : « donc », « puisque », « c’est-à-dire ») qui
s’achève sur un impératif moral : « chacun doit estimer et traiter les autres… ». Les
termes soulignant l’égalité se multiplient dans l’article : « entre tous les hommes »,
« commune à tous les hommes », « de la même manière », « la même », « naturelle-
ment égaux »… C’est sur l’idée de nature que reposent l’ensemble des arguments.
Diderot et D’Alembert font de l’Encyclopédie une arme au service des Lumières,
271
invitant les hommes à remettre en cause les cadres de pensée de la société monar-
chique, dominée par le pouvoir de la noblesse et l’autorité de l’Église. Exercice de
la raison critique, combat contre les préjugés et les privilèges : on trouve dans l’ex-
trait de l’article deux des notions fondamentales de la Révolution: liberté et égalité.
Le tableau de Charles Lacroix représente une ordonnance du roi qui symbolise
ici sa toute-puissance dans le contexte de la monarchie absolue. L’effet de trompe-
l’œil met en évidence le « crime de lèse-majesté » qui consiste à déchirer l’ordon-
nance placardée. Défi, refus d’obéissance à celui qui « enjoint » à ses sujets d’obéir
à ses ordres, pour son bon plaisir… On se trouve bien devant un geste d’insur-
rection solidaire des Lumières.
Le texte de Marat dénonce la manipulation de l’opinion publique au service du
despotisme : tous les mots-clés du texte – « ignorance », « usurpations de l’injuste
puissance », « artifices des princes contre la liberté », « soumission aux tyrans »,
etc. – s’inscrivent directement dans l’idéologie générale des Lumières qui cherche
à libérer les hommes des préjugés et à leur transmettre les connaissances propres
à les éclairer. Le dernier paragraphe du texte fait explicitement référence à toutes
les mesures prises par les princes (c’est-à-dire les despotes et leurs représentants)
pour empêcher les progrès des Lumières.
3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Arguments possibles :
– le rappel des idéaux des Lumières : cf. la réponse à la dissertation ci-dessus ;
– l’insistance sur l’actualité des Lumières : « Voltaire, au secours ! », « Voltaire,
reviens ! » lus sur les murs des grandes villes françaises ces dernières années : retour
274
de l’intolérance et du fanatisme religieux partout dans le monde… Formes nou-
velles d’aveuglement, absence d’esprit critique, adhésion à des opinions fondées
sur des préjugées… Manipulation de l’opinion publique sous toutes ses formes…
Inégalité politique, sociale, économique partout dans le monde… Les exemples
ne manquent pas qui rendent urgent un retour à l’idéal des Lumières, c’est-à-dire
la volonté de repenser sans préjugé les conditions pour l’épanouissement des indi-
vidus et pour le progrès de la civilisation.
275
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
22 L’autobiographie
(PAGES 278 à 291)
OBSERVATIONS
(PAGES 278-279)
Introduction
Les Confessions ne cessent de nous montrer un sujet conscient de lui-même, de sa
propre valeur, capable de trouver en lui des principes moraux plus authentiques
que toutes les conventions sociales. C’est la société qui est dans l’erreur, dès lors
qu’elle se montre incapable de reconnaître la richesse réelle des individus. La « sen-
sibilité » de Jean-Jacques, thème constant, fil conducteur des Confessions, se dresse
devant le monde comme un défi. Toute la puissance des Confessions est de lier
ainsi l’éveil d’une conscience (à travers ses tribulations, expériences sociales,
sexuelles, amoureuses) aux fondements d’une philosophie.
277
L’ambition d’Amélie Nothomb est différente : elle se définit elle-même comme une
« graphomane » qui ne peut se passer d’inventer des histoires, souvent inspirées
de sa propre expérience. Comme avec Métaphysique des tubes, elle comble ses lec-
teurs en leur livrant des autofictions – qui brisent les frontières entre le récit de vie
et la fiction –, la mettant en scène avec un humour attachant.
Exercice 2✢✢
1. George Sand respecte l’engagement de sincérité du pacte autobiographique,
dans la lignée des Confessions de Rousseau : « écrire l’histoire de sa propre vie »
(l. 2), mais en choisissant « dans les souvenirs que cette vie a laissés en nous, ceux
qui nous paraissent valoir la peine d’être conservés » (l. 3 à 5). C’est pour elle une
« étude sincère de [sa] propre nature » et « de [sa] propre existence » (l. 17 et 18).
2. Pour George Sand, écrire sa propre autobiographie est un « devoir » (l. 6 et
13) qui lui permet de « se définir et de se résumer en personne » (l. 8).
Exercice 5✢✢
1. Les caractéristiques de l’autobiographie :
– identité de l’auteur et du narrateur (les pronoms de la première personne) ;
– récit rétrospectif en prose (l’alternance du présent et des temps du passé) ;
– forte présence de l’entourage familial (les parents, le frère).
2. L’auteur évoque dans ce passage sa jeunesse au Maroc. Le milieu dans lequel
il a grandi est associé au début de l’extrait à une « carapace d’ignorance, d’idées
reçues et de fausses valeurs » (l. 1 à 3) qui font de sa mère un « mollusque » replié
sur lui-même. Il dénonce également l’attitude de son père, hostile au fait que sa
femme apprenne à lire (l. 19 à 27), qui profite d’un bonheur égoïste.
280
Exercice 6✢✢
1. Le « je » du narrateur se confond avec celui de l’auteur ; le « nous » renvoie au
groupe formé par la famille de Colette. On remarque également l’alternance du
présent, qui renvoie au moment de la narration, et des temps du passé, qui ren-
voient à la jeunesse de l’auteur.
2. C’est à l’univers familial que Colette renvoie dans chacun de ses romans auto-
biographiques. Le père et la mère de l’écrivain, mais aussi son frère médecin,
constituent les personnages familiers dont elle aime à retracer l’image, à faire
revivre le souvenir. La maison familiale, le jardin, la cuisine où s’active Sido, la
mère chérie, la bibliothèque où le père aimait à se retirer sont les lieux magiques
qui brillent dans la mémoire de Colette. On les retrouve ainsi dans ce passage,
dernière page du roman, à l’occasion d’une révélation capitale.
3. Colette part d’un échec, celui de son père, pour rendre compte de l’obligation
qui a été ainsi créée de prendre le relais, de réaliser un rêve qui avait échoué.
« L’héritage immatériel » est la trace dans le cœur et dans la mémoire de ce pacte
scellé entre le père et la fille qui, en osant écrire sur les pages blanches du père,
réalise ce qui était en attente, répondant à l’appel d’une vocation. Tout le passage
montre une passion de Colette pour tout ce qui touche à l’univers du livre, et
surtout du papier, qui sollicite chacun de ses sens et explique son plaisir quasi
matériel à écrire.
Étudier l’autoportrait
Exercice 7✢✢
Le Triple autoportrait de Norman Rockwell, qui repose sur le procédé de la mise
en abyme, illustre bien les difficultés du genre : le peintre apparaît de dos, assis
devant son chevalet, sur lequel sont attachées les tentatives diverses d’illustres
prédécesseurs pour exécuter le même travail. Derrière la toile en cours de réali-
sation, un miroir dans lequel le peintre s’examine avec attention : le regard qui
s’y reflète est blanc, comme aveugle. Et en effet, l’autoportrait du peintre appa-
raît comme différent de son modèle : la pipe est fièrement dressée, les lunettes ont
disparu, tandis que le regard du personnage fixe le spectateur d’un air interro-
gatif. La signature, apposée au bas de l’autoportrait, semble souligner les doutes
et les certitudes de l’artiste qui veut se représenter. Le spectateur du tableau a ainsi
droit à trois autoportraits différents dont aucun n’apparaît cependant réellement
satisfaisant.
282
Analyser les mémoires ou le journal d’un écrivain
Exercice 10✢✢
1. Le temps verbal utilisé dans le premier paragraphe est le présent. Il s’agit d’un
présent de narration qui actualise l’événement rapporté afin de le rendre plus
proche du lecteur.
2. La dernière phrase du passage ajoute un commentaire au récit des événements.
Cette intervention correspond au genre des mémoires car elle souligne que l’écri-
vain est un spectateur mais aussi un acteur de l’histoire qu’il raconte (voir la
remarque ci-dessous).
Remarque. Les mémoires permettent à celui qui a été témoin de l’Histoire de faire
la chronique d’une époque tout en y inscrivant son propre destin. Présent à la
prise de la Bastille, Chateaubriand souligne qu’il y assiste comme « spectateur ».
Il donne ainsi un prix inestimable aux Mémoires d’outre-tombe, en étant à la fois
témoin privilégié mais aussi narrateur exceptionnel, capable de recréer à travers
la vivacité de son récit l’intensité épique de l’événement. Le jugement qu’il formule
est celui d’un homme averti dont la situation personnelle (un aristocrate devant
la Révolution) se trouvera bouleversée par les événements auxquels il assiste. Il
ne s’agit plus d’un regard subjectif sur le monde (à la manière de Jean-Jacques
Rousseau), mais, au moins dans ce passage, d’un souci d’objectivité qui donne
au livre toute sa valeur. Il reste à Chateaubriand à rapporter ensuite comment de
spectateur il est devenu également acteur de l’Histoire.
Exercice 11✢✢
1. Le texte est extrait du journal intime d’un écrivain, Pierre Louÿs, adolescent
au moment où il l’écrit. On y retrouve les caractéristiques du journal intime :
l’identité de l’auteur, le « je », renvoie à Pierre Louÿs, le récit rétrospectif auquel
se mêlent les réflexions de l’écrivain : « J’en suis sûr, sans le savoir », la sincérité :
« enfin la paresse, je l’avoue ».
2. L’adolescent apparaît comme un être tourmenté (« Les pensées me brûlent la
plume », l. 2 et 3) par une vocation littéraire qu’il ne parvient pas à réellement
assumer (« des scrupules qui me font délaisser les vers pour les études du bachot »,
l. 11 à 13). Il semble n’avoir qu’un but : « Oh ! je voudrais écrire, écrire… »
(l. 2), mais se rend compte de la difficulté qu’il y a pour lui à l’atteindre.
Exercice 12✢✢
1. Les marques du journal :
– la mention de la date (l. 1) ;
– l’emploi des pronoms de la première personne ;
– l’utilisation des temps du discours, notamment du présent.
2. Edmond et Jules de Goncourt sous-titrent leur journal Mémoires de la vie lit-
téraire. Ce journal constitue à la fois des mémoires – Edmond n’hésite pas à faire
le récit des événements les plus marquants de son temps – mais surtout un témoi-
283
gnage sur cinquante années de vie littéraire. Les deux frères rencontrent en effet
dans leur grenier d’Auteuil tous les écrivains de leur temps, les portraiturant et
recueillant leurs confidences au jour le jour, souvent sans concession. Dans cet
extrait, Émile Zola, Gustave Flaubert, Yvan Tourgueniev et Alphonse Daudet
sont successivement évoqués. Le Journal des Goncourt constitue ainsi un témoi-
gnage précieux sur les écrivains de la seconde moitié du XIXe siècle.
Remarque. Alliant l’exploration du «document humain» et de «l’écriture artiste»,
les frères Goncourt créent une œuvre originale qui inspirera beaucoup Zola dans
son invention du naturalisme. Les deux frères écrivent, jusqu’à la mort de Jules,
à quatre mains. Amis de Gustave Flaubert, d’Alphonse Daudet ou de l’écrivain
russe Ivan Tourgueniev, qu’ils reçoivent dans le « grenier » de leur maison
d’Auteuil, ils tentent de faire la synthèse du réalisme et du style. Esprits curieux,
observateurs passionnés de leur temps (leur Journal de la vie littéraire couvre une
période de près de cinquante ans), Jules et Edmond de Goncourt sont également
passionnés d’art et d’histoire. Les œuvres qu’ils collectionnent – peintures,
meubles, gravures, « japonaiseries » – durant leur existence leur assurent une
fortune considérable qu’Edmond léguera par testament à la future académie qui
porterait leur nom. Hommage à Jules, pied-de-nez à l’Académie française égale-
ment, qui a refusé d’ouvrir ses portes à leurs amis et à eux-mêmes… L’académie
Goncourt voit ainsi le jour, après un long et retentissant procès, en 1903.
EXO-BAC
(PAGE 287)
Lecture
1. Qu’il prenne la forme d’un roman ou d’une autobiographie, le récit auto-
biographique permet à l’auteur de raconter des scènes fondamentales de son
existence. Il met ainsi en jeu sa mémoire, et expose souvent directement, ces méca-
nismes du souvenir dans le texte. Ici, chez Proust comme chez Perec, dans le
roman autobiographique comme dans l’autobiographie, la scène familiale est très
présente: c’est sur les lieux et les personnes de l’enfance (Combray, la tante Léonie,
les rituels du dimanche, d’un côté ; Villars-de-Lans, tante et oncle de l’autre) que
revient le narrateur, à la première personne. Dans les deux textes, le mot « sou-
venir » est très présent, plusieurs fois répété pour bien marquer l’enjeu de toute
entreprise autobiographique.
2. Il y a bien sûr un paradoxe à commencer une autobiographie en indiquant que
l’on n’a pas de souvenir d’enfance, comme le fait Perec dans W ou le Souvenir
d’enfance. Depuis Rousseau, en effet, l’importance de l’enfance est fondamen-
tale dans toute autobiographie. Et puis, tout le monde garde des souvenirs de son
enfance. Mais l’enfance de Perec est marquée par le deuil : sa famille est morte
dans les camps de concentration nazis pendant la Seconde Guerre mondiale. En
se limitant à quelques indications sèches et informatives, Perec se réfugie dans
l’absence de souvenirs. Il se « protège », explique-t-il, dans une sorte de défi. Il ne
284
veut pas revenir sur les souvenirs qui raviveraient, comme des blessures, des émo-
tions d’une enfance aussi vite, aussi profondément bouleversée par les violences
de l’Histoire.
3. Le jeu de mots sur la hache (l’outil du bûcheron) et la lettre « h » écrite en
majuscule (dans le mot Histoire) met en évidence les désordres, les cruautés, toutes
les douleurs qu’engendrent les grands événements historiques (guerres, révolu-
tions…) qui emportent les individus dans une tourmente qui les dépasse. Il nous
rappelle l’image de la Mort avec sa grande faux, qui revient devant les carnages
de la guerre. On comprend ainsi que Perec applique l’expression aux crimes et aux
atrocités de la Seconde Guerre mondiale.
4. Tout oppose les deux textes dans le traitement de l’autobiographie. Déclenchée
par la saveur (il vient de retrouver par hasard le goût des madeleines mangées
pendant son enfance), la mémoire de Proust s’active. Et l’écrivain s’émerveille
devant ce travail du souvenir qui remonte à la conscience. Il commente ce sur-
gissement de l’enfance de manière précise, méthodique et comme hallucinée.
Il témoigne d’un vrai bonheur. Au contraire, Perec s’interroge sur l’absence de
souvenirs. Il en cherche la raison et revient sur la mort de sa famille, exterminée
pendant la guerre. L’écriture de son autobiographie le conduira ainsi à la recherche
de ces souvenirs perdus.
Écriture
Proust est soucieux de précision dans la description des lieux ou dans
l’expression des sentiments et des émotions. Il privilégie souvent la phrase longue.
Cherchant à mettre en valeur le travail de la mémoire – « l’édifice immense du
souvenir » –, il repousse l’expression à la fin de cette longue période. Déjà la
conjonction « mais » ouvre la phrase en marquant une rupture. Après la subor-
donnée temporelle (« quand… ne subsiste ») et les deux compléments de temps,
c’est l'adjectif « seules » qui est mis en évidence, suivi par cinq adjectifs compa-
ratifs. Tous se rapportent au groupe sujet (« l’odeur et la saveur »). Le noyau de
la proposition principale « l’odeur et la saveur restent encore longtemps » est au
centre de la phrase. À tous les termes négatifs du début (« rien ne subsiste », « la
mort… », « la destruction… ») s’oppose le pouvoir de résistance au temps qui
passe. Quatre verbes à l’infinitif (compléments du verbe « rester à »), ponctués
par une comparaison (« comme des âmes ») et une métaphore (« sur leur goutte-
lette… »), expriment cette puissance du souvenir. Une dernière opposition la sou-
ligne : d’un côté « la ruine de tout le reste », de l’autre « l’édifice immense » qui
demeure. C’est ainsi que le souvenir, sur lequel est fondée toute autobiographie,
est clairement mis en évidence.
Critères de réussite
• Présence d’un paragraphe structuré et argumenté : idée directrice, arguments,
illustrations, phrase conclusive.
• Analyse syntaxique précise et utilisation de termes grammaticaux.
• Correction de la syntaxe et précision du vocabulaire.
285
SUJET DU BAC
(PAGES 288-291)
I. Question
L’autobiographie est le récit rétrospectif d’une vie, dans lequel l’écrivain, le nar-
rateur et le héros ne font qu’un. Il s’agit donc, avant tout, de revenir sur les années
passées, en soulignant les moments importants qui ont marqué une existence ou
en s’attachant au plaisir de ressusciter par l’écriture une époque et des êtres dis-
parus. C’est le cas chez Chateaubriand qui évoque les temps heureux passés avec
sa grand-mère, de même que chez George Sand qui, en parlant de ses parents,
dresse le portrait de l’enfant qu’elle était.
Les récits d’Albert Cohen et d’Olivier Adam s’arrêtent plus particulièrement au
souvenir d’un personnage capital, la mère de l’écrivain. Le récit est alors
hommage, évocation éblouie et mélancolique de l’être passionnément aimé et
trop tôt disparu.
La mère est ainsi à l’origine de l’existence et à l’origine du récit de vie. Le Portrait
de l’artiste avec sa mère de Giorgio de Chirico manifeste cet attachement fonda-
mental. L’autoportrait se développe et prend tout son sens à travers le couple
formé – comme en miroir – entre l’artiste et sa mère.
3. Invention
Pistes pour le plan du texte d’invention
Les étapes possibles dans le développement de la lettre :
• La manifestation d’admiration pour l’œuvre romanesque du destinataire…
• Le caractère particulier de cette œuvre dans sa dimension confidentielle,
humaine, authentique…
288
• Les intérêts d’entreprendre une autobiographie :
– l’âge, la maturité et la notoriété acquises : le bon moment pour se souvenir,
– l’explication par l’enfance et la scène familiale des décisions prises, des enga-
gements, des choix d’une vie,
– l’analyse par l’autobiographie de certains fantasmes, obsessions ou scènes récur-
rentes dans l’œuvre romanesque,
– le témoignage d’une époque passée, de rencontres importantes (d’autres écri-
vains ou personnalités),
– le défi littéraire : comment écrire une autobiographie originale aujourd’hui… ;
• La conclusion : succès garanti, intérêt certain des lecteurs…
289
LES OBJETS D’ÉTUDE AU BAC
CHAPITRE
23 Les réécritures
(PAGES 292 à 302)
Tous les travaux effectués depuis longtemps sur l’intertextualité ont montré
la solidarité des textes entre eux. L’intertexte souligne les sources anciennes
et le dialogue que tout texte entretient avec les œuvres contemporaines.
La théorie de l’imitation a conduit les écrivains de l’âge classique à s’ins-
pirer des œuvres de l’Antiquité et à les prendre directement pour modèles,
pour rivaliser avec elles. Mais c’est partout, dans la littérature, que l’on
peut trouver des effets d’allusion, de reprise et d’écho d’un texte antérieur,
de variations autour d’un même thème, d’une même situation. D’une cer-
taine manière, le renversement parodique met en évidence ce lien entre les
textes en assumant pleinement la volonté de reprendre un modèle – pour
s’en moquer. C’est l’imitation elle-même qui est ainsi tournée en dérision.
Dès l’Antiquité grecque, les auteurs de parodies reprennent les épopées
d’Homère pour les traiter dans un style comique et familier. Au Moyen
Âge, la parodie s’exerce pendant les fêtes de carnaval sur les textes sacrés.
Et l’on retrouve la volonté parodique dans l’œuvre de Rabelais, comme
dans tous les romans comiques et les œuvres classiques travesties
(Théophile de Viau, Scarron, Sorel, Fougeret de Monbron, Voltaire…).
Cami, Allais, Queneau, Vian, Perec ont poursuivi au XXe siècle cette veine
satirique de la littérature.
OBSERVATION
(PAGES 292-293)
Introduction
Plus qu’aucun autre genre littéraire, la fable se prête immédiatement à la réécri-
ture : non seulement La Fontaine est dans toutes les mémoires, mais les principes
de la fable sont immédiatement identifiables, qu’il s’agisse de la mise en cause
des humains à travers la représentation des animaux, de l’articulation du récit à
la moralité, ou de la forme générale du texte, souvent très court, faisant alterner
rapidement tableau, action et dialogue. Nombreux sont ainsi les recueils de fables
qui prennent au XVIIIe siècle La Fontaine (qui lui-même s’inspirait d’auteurs
anciens) pour modèle. Le genre s’est imposé et s’expose au pastiche ou à la
291
parodie. Né en Bretagne, auteur maudit selon Verlaine, Édouard Joachim Corbière
(1845-1875) est l’un des poètes les plus originaux de la seconde moitié du XIXe
siècle. Ses Amours jaunes (publiées à compte d’auteur en 1873) ne connaissent
aucun succès. Corbière meurt à trente ans, fils d’un capitaine au long cours célèbre
pour ses romans d’aventures. Lui-même n’aura jamais su se fixer, appelant la
mort à travers la mélancolie de ses poèmes ou le choix de son pseudonyme,
Tristan, comme le jeu sur son nom : Corbière, corps destiné au tombeau. Ses
Amours jaunes approchent ainsi la vérité du sentiment à travers la dérision ou
l’émotion décalée, dans l’humour, dans la rature, dans la parodie, comme ici.
Hermippe Alex-le-gadget
– « Imaginez, s’il est possible, – « met un point d’honneur à acquérir
quelques outils qu’il n’ait pas, et les ce qui existe de plus perfectionné »
meilleurs et plus commodes à son gré (l. 1 à 3) ;
que ceux mêmes dont les ouvriers – « La cafetière parlante donne des
se servent » (l. 1 à 4) ; nouvelles du monde en trois idiomes
– « Nul ne peut se comparer à lui pour différents » (l. 17 et 18).
faire en peu de temps et sans peine
un travail fort inutile » (l. 7 à 9).
Exercice 7✢
1. Le slogan de cette publicité pour l’eau Perrier est un jeu de mots : la lettre « o »
du nom de l’artiste Pablo Picasso est remplacé par le nom « eau » qui a la même
sonorité. L’eau de la source Perrier est identifiée à l’artiste : il s’agit donc d’une
eau exceptionnelle. Le plan moyen de la bouteille et du verre imite la manière de
peindre de Picasso dans sa période cubiste : tous les volumes sont éclatés, mis à
plat et disséqués en formes anguleuses et géométriques. Cette publicité a une
dimension ludique : elle crée une complicité avec le spectateur qui reconnaît immé-
diatement la manière de Picasso et sourit du détournement.
2. Cette image est un pastiche puisque le style de Picasso est imité de manière
plaisante, amplifié comme si toute la réalité se pliait à la perception singulière du
peintre. Cet exercice de style publicitaire rend hommage à l’immense talent de
Picasso dont la manière est immédiatement identifiable.
Exercice 8✢
Le texte B reprend dans ses deux premiers vers les mots et la structure du poème
source : « Le soleil prolongeait sur la cime des tentes » devient « Le soleil prolon-
geait sur les Champs-Elysées » puis « Ces obliques rayons, ces flammes éclatantes »
se transforment en « Ces obliques rayons, ces flèches aiguisées ». Cette fidélité
permet au lecteur de comprendre que l’intention est de détourner le poème de
Vigny. Masson peut ensuite s’éloigner un peu plus du texte source dont il garde
la structure, les thématiques (présentation du décor, apparition d’un personnage)
et quelques expressions : « il se couche » (vers 4), « sur … un long coup d’œil »
(vers 8). Le texte de Masson est une parodie puisqu’il reprend un poème célèbre
en en changeant le registre. Le texte de Vigny s’inscrit dans un registre sérieux
(lexique soutenu pour évoquer la majesté du soleil, nom de personnages bibliques)
tandis que Masson adopte un registre plaisant en évoquant la scène triviale d’un
candidat passant le permis de conduire à Paris. Il cherche à faire sourire aux
dépens d’un poème clairement identifiable.
EXO-BAC
(PAGE 299)
Écriture
Les trois poèmes proposés reposent sur un procédé commun : le calligramme. Le
poème reproduit la forme de l’objet auquel il est consacré. Bien qu’ils appar-
tiennent à des époques différentes (XVIe, XVIIIe et XXe siècles), ils font également,
tous les trois, l’éloge du vin, de ses vertus, des effets qu’il provoque. Cependant,
le texte que je préfère est celui de Panard.
L’extrait de Pantagruel me semble, en effet, trop inséré dans la trame du roman,
et la langue de Rabelais (habitée par de nombreuses références à l’Antiquité et à
la Bible) a vieilli. Amusant, le calligramme d’Apollinaire est malheureusement
trop court. En revanche, le poème de Panard restitue de manière très réussie la
forme d’un verre. On passe ainsi progressivement du vers le plus long (un déca-
syllabe) au plus cours (un monosyllabe). Les énumérations de verbes (v. 7 et 8)
ou d’adjectifs (v. 10 et 11) valorisent le vin de manière légère et gaie ; l’effet de
refrain à travers la répétition de « Tôt, Tôt, Tôt, Qu’on m’en donne » donne un
caractère très entraînant au texte. On l’imagine facilement repris en chœur comme
une chanson, dans un banquet ou une fête entre amis. C’est pourquoi à l’œil
comme à l’oreille, pour ainsi dire, ce texte me plaît beaucoup.
Critères de réussite
• Les marques de la première personne ;
• La confrontation argumentée des trois textes ;
• L’expression d’un jugement de valeur.
298
SUJET DU BAC
(PAGES 300-302)
I. Question
Michel Tournier ne se laisse pas simplement « inspirer » par Le Grand Meaulnes
d’Alain-Fournier ; on peut dire qu’il réécrit complètement une des scènes célèbres
du roman : la bataille des élèves dans la cour de récréation.
Il s’agit exactement du même jeu, décrit de manière identique, en soulignant l’in-
tensité des affrontements pour mettre en valeur le couple formé par le narrateur
et son ami. La composition générale du passage est la même : description des
groupes d’enfants d’abord, avec l’expression du « choc » (texte A, l. 7, 9), de la
« lutte » (texte A, l. 12, 18, etc. ; texte B, l. 12) et le champ lexical du combat,
avec l’image du cavalier et de sa monture présente dans les deux extraits (cf., par
exemple, le terme « désarçonner ») ; ensuite, représentation de l’ami du narrateur
qui, ici, « regardait d’abord » et, là, « avait embrassé toute la cour du regard »,
qui d’une part parle « entre ses dents », tandis que de l’autre « prononce quelques
mots qui ne s’adressaient à personne » ; puis formation du groupe des deux amis
qui, à travers la violence de la mêlée, remporte la victoire ; enfin, la scène s’achève
avec la gloire du héros, couronné par sa victoire.
Au-delà de la composition générale de l’épisode, c’est donc en utilisant les mêmes
termes et les mêmes images, en évoquant les mêmes sentiments parmi les prota-
gonistes, en reprenant les mêmes détails que M. Tournier reprend Alain-Fournier.
Pour ne citer qu’un seul de ces détails, dans Le Grand Meaulnes « le jeune garçon
debout » regarde le vainqueur avec « admiration » et dans Le Roi des Aulnes, les
deux héros sont entourés d’« un cercle d’admirateurs » dont se détache « un petit »
qui ramasse les lunettes tombées.
2. Dissertation
Éléments de réponse
Depuis la redécouverte des écrivains de l’Antiquité au Moyen Âge (et dans
l’Antiquité elle-même), les œuvres littéraires ne cessent de se faire écho l’une à
l’autre. Longtemps on a considéré comme nécessaire le fait pour un auteur de
300
s’inspirer d’une source antique. L’écrivain n’était pas alors « une pie voleuse »,
comme l’écrit Michel Tournier définissant sa propre pratique, puisque le retour
à un texte ancien était une obligation, puisque c’était là, précisément, la condi-
tion pour innover. Il est vrai que les formes de la réécriture sont elles-mêmes si
diverses ! Certaines aboutissent à l’apparition d’un nouveau chef- d’œuvre ;
d’autres, malgré toutes leurs qualités, semblent se limiter à n’être qu’une sorte de
jeu littéraire. On pourra ainsi distinguer dans un premier temps l’importance de
« l’imitation » dans la création d’un nouveau chef-d’œuvre ; puis étudier le cas
particulier du pastiche et de la parodie ; avant de s’interroger enfin sur la singu-
larité de Michel Tournier dont les œuvres romanesques entretiennent systémati-
quement un rapport étrange avec un « texte source ».
1. La création fondée sur l’imitation
À l’âge classique, l’admiration pour les Anciens et le principe de l’imitation enga-
gent à prendre pour modèles les grandes œuvres de l’Antiquité : Corneille et
Racine reprennent les situations et respectent le niveau de langage et le registre
des pièces de Sophocle ou d’Eschyle. De la même manière La Fontaine reprend
les fables des Anciens pour devenir « l’Ésope et le Phèdre français ». Mais il y a
chaque fois transformation, renouvellement profond, véritable création littéraire.
De la même manière, quand les dramaturges du XXe siècle, Giraudoux et Anouilh
par exemple, s’inspirent des auteurs classiques dans La guerre de Troie n’aura
pas lieu ou dans Antigone, ils aboutissent à des œuvres absolument originales où
se mêlent le respect du texte source et l’invention de situations dramatiques répon-
dant aux préoccupations du spectateur contemporain, portées par une langue
originale.
Enfin, nombreux sont les écrivains qui partagent l’exploitation d’un même thème
(la fuite du temps, la mélancolie amoureuse…) ou d’un personnage mythique qui
appartient à la mémoire collective. Combien d’auteurs, après les écrivains espa-
gnols, après Molière, ont consacré une œuvre au personnage de Don Juan ! Mais
c’est, chaque fois, pour prendre la plus grande liberté avec les œuvres auxquelles
ils font écho.
2. L’importance du pastiche et de la parodie
Dès l’Antiquité, des parodies reprennent les genres nobles commel’épopée ou la
tragédie pour les traiter dans le style comique. Cette tradition ne cessera jamais :
parodie des textes sacrés au Moyen Âge, parodie burlesque de la poésie amou-
reuse au début du XVIIe siècle chez Théophile de Viau ou Régnier, parodies sys-
tématiques des œuvres de la Comédie-Française ou de l’Opéra au théâtre de la
Foire, vaudevilles et opérettes d’Offenbach parodiant les thèmes antiques, parodie
de Madame Bovary par Raymond Queneau. C’est ainsi que Scarron a écrit un
Virgile travesti, Marivaux L’Homère travesti ou l’Iliade en vers burlesques. La
parodie est une tradition littéraire, de même que le pastiche qui conduit Marcel
Proust à rendre hommage aux écrivains qu’il admire à travers une série de pas-
tiches éblouissants. Peut-on vraiment parler de création ?
Généralement pastiches et parodies gardent aux yeux du lecteur d’aujourd’hui
un caractère secondaire. On les lit avec plaisir, sans mettre sur le même plan les
œuvres originales et les textes qui les imitent, sans mettre sur le même plan chez
301
un auteur ses œuvres « parodiques » et ses œuvres « sérieuses ». Cependant l’in-
tention parodique peut aboutir à de véritables chefs-d’œuvre, comme par exemple
Le Roman comique de Scarron, écrit en contrepoint des romans précieux et
« romanesques », ou Les Amours jaunes de Tristan Corbière qui, à travers la
reprise parodique, laissent entendre une voix intime et personnelle.
On assiste ainsi à des renversements étranges : pour écrire « L’albatros », Charles
Baudelaire reprend un poème de Polydore Bounin. Mais celui qui lit les deux
textes aujourd’hui a l’impression que c’est Bounin qui parodie Baudelaire !
3. Le cas particulier de Michel Tournier
Michel Tournier montre dans l’écriture de ses romans une stratégie particulière :
il part systématiquement d’une œuvre ancienne. C’est ainsi que Vendredi ou les
Limbes du Pacifique reprend Robinson Crusoé de Daniel Defoe, que Le Roi des
Aulnes s’appuie sur Le Grand Meaulnes, qu’on retrouve dans son œuvre les rois
mages ou encore le personnage de Pierrot, issu de la commedia dell’arte.
Mais c’est chaque fois un rapport particulier entretenu entre les deux textes, qui
conduit jusqu’à un complet renversement : dans Vendredi, c’est la vie sauvage qui
triomphe contre les certitudes du naufragé britannique qui impose son ordre.
Bien sûr, Le Roi des Aulnes rime, si on peut dire, avec Le Grand Meaulnes, de
même que Michel Tournier rime avec Alain-Fournier, mais les deux romans diver-
gent absolument à travers les thèmes et les situations, même quand le point de
départ peut paraître identique ! Michel Tournier se présente comme « une pie
voleuse » ou un « vampire », mais la puissance créatrice du romancier est telle
qu’elle fait absolument oublier ses sources pour imposer de nouveaux chefs-
d’œuvre.
On le voit, les rapports d’un « texte second » par rapport à un « texte source »
peuvent être multiples. La réécriture peut aboutir à des textes secondaires, pour
ainsi dire, mais également à de véritables chefs-d’œuvre, quiapparaissent supé-
rieurs à leur modèle. Il faut alors faire l’éloge de la « pie voleuse », de l’écrivain
qui « ramasse à droite et à gauche » pour construire son œuvre propre, de celui
qui se laisse influencer pour créer finalement une œuvre singulière où se recon-
naît magistralement sa signature.
3. Écrit d’invention
Éléments de réponse
Givenchy,
le 10 mai
Cher monsieur,
C’est avec une grande émotion que je me permets de vous écrire pour vous faire
part de ma profonde admiration à la lecture du Roi des Aulnes… Déjà j’avais lu
passionnément vos autres romans, vos contes, vos essais. En particulier Vendredi
ou les Limbes du pacifique – de même que sa réécriture pour enfants, Vendredi
ou la Vie sauvage – a été pour moi une révélation, où se mêlait le plaisir de lire
avec la réflexion sur la reconnaissance des valeurs de « l’Autre » que défend le
roman…
302
Cependant, puis-je vous l’avouer ? j’ai été d’abord très gêné de retrouver dans
l’une des plus belles pages du Roi des Aulnes la reprise presque terme à terme
d’un épisode du Grand Meaulnes d’Alain-Fournier. Même situation, mêmes
termes, mêmes images… J’ai été tout à fait indigné ! Il me semblait que vous aviez
commis un plagiat qui devait être dénoncé, qu’il n’était pas digne d’un écrivain
aussi prestigieux que vous d’aller puiser son butin chez un autre, que c’était mépri-
ser votre lecteur de penser qu’il ne s’apercevraitde rien…
Heureusement cette première impression s’est rapidement dissipée. J’ai pris le
temps de réfléchir et je me suis aperçu que la reprise d’un texte ancien était chez
vous systématique, qu’elle n’empêchait en rien la création d’une œuvre absolu-
ment originale, que celle-ci divergeait très vite de sa source pour aboutir à un
complet renversement de situation et de sens… de sorte que c’est harmonieuse-
ment, si je puis dire, que Le Grand Meaulnes et Le Roi des Aulnes se retrouvent
côte à côte dans ma bibliothèque et que riment en moi les noms de deux roman-
ciers majeurs de la littérature française.
Je vous prie de croire, cher Michel Tournier, à…
303
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE
305
EXERCICES
(PAGES 310 à 322)
Exercice 2✢✢
1. Le thème commun aux trois documents du corpus est constitué par l’épopée
napoléonienne, et plus précisément à la retraite de Russie (1812), évoquée à
travers un poème de Victor Hugo, un tableau de Weiberzahl et les mémoires de
Chateaubriand. Les réseaux lexicaux du froid et de la souffrance dominent ainsi
dans les deux textes et trouvent de larges échos dans le document iconographique.
2. On peut proposer aux élèves d’analyser le corpus au moyen d’un tableau, dont
la première entrée serait constituée par les références des différents documents :
Exercice 4✢
1. Le corpus est constitué de deux fables (documents A et C) et de l’extrait d’un
conte philosophique : c’est donc l’apologue qui est étudié à travers ces trois textes.
2. Le paratexte fournit un certain nombre d’informations qui peuvent aider à la
contextualisation, à la compréhension et à l’analyse des textes : la liste des textes
du corpus, comme sur les sujets d’examen, indique clairement le nom des auteurs,
leurs dates de naissance et de décès, le titre des œuvres, ainsi que leur date de
publication ; chaque introduction évoque le contexte historique, biographique
ou littéraire de la publication de l’œuvre ; les notes apportent des indications sur
le sens de certains des termes ou des expressions, rares ou vieillis, contenus par
les textes.
307
3. Chacun des apologues présente un court récit accompagné d’une leçon.
– La moralité proposée par le texte A est contenue dans les quatre derniers vers
de la fable : la grenouille sert de comparant à une humanité vaine et ambitieuse ;
la grenouille et le bœuf sont les « comparants » des bourgeois, des petits princes
et des marquis, qui veulent imiter les rois.
– À travers son conte philosophique, Voltaire veut à la fois séduire le lecteur par
la vivacité du récit, tandis que la situation du personnage est l’occasion d’une
réflexion philosophique, d’un enseignement : Candide et ses amis découvrent le
monde, le « bon vieillard » leur donne une leçon de sagesse, loin des tumultes du
monde (lignes 12 à 20). Son mode de vie est, par lui-même, une réponse à toutes
les violences du pouvoir : il annonce la morale finale de Candide (« Cultivons
notre jardin »).
– Dans la fable de Florian, le crocodile symbolise la méchanceté, tandis que l’es-
turgeon est le symbole de la bonté ; la morale délivrée par cette allégorie débouche
sur un constat pessimiste et désabusé. Florian constate que le méchant est sans
scrupules ni remords : le discours moralisateur de l’esturgeon est vain car il ne
parvient pas à changer le cours naturel des choses.
Exercice 5✢
• Le corpus 1 porte d’abord sur l’objet d’étude : Le théâtre : texte et représenta-
tion. Cependant, à travers le choix de textes argumentatifs (deux dialogues et un
essai), il s’inscrit également dans l’objet d’étude : Convaincre, persuader et déli-
bérer : les formes et les fonctions de l’essai, du dialogue et de l’apologue.
• Le corpus 2 comporte trois fables. Il s’inscrit donc dans l’objet d’étude :
Convaincre, persuader et délibérer : les formes et les fonctions de l’essai, du dia-
logue et de l’apologue. La nature des textes permet cependant d’envisager des
questions sur un second objet d’étude : La poésie.
Exercice 6✢✢✢
1. Les marques du roman présentes dans chacun des textes du corpus :
– le texte A est extrait d’un roman de Romain Gary, qui obtint le prix Goncourt
sous le pseudonyme d’Émile Ajar en 1975, La Vie devant soi. Il s’agit d’un roman
écrit à la première personne, qui prend l’apparence d’un récit autobiographique.
Le narrateur évoque dans ce passage son enfance à Belleville ;
– le texte B est extrait du roman d’Albert Camus, La Peste, publié en 1947. Il
s’agit d’un roman écrit à la première personne par un narrateur anonyme. On ne
découvre son identité qu’à la fin du roman : il en est le personnage principal, le
docteur Bernard Rieux. L’extrait évoque le moment où, à Oran, les habitants se
retrouvent peu à peu isolés du reste du monde par la peste ;
– le texte C est extrait du dernier roman de Flaubert, inachevé, Bouvard et
Pécuchet. La lettre fictive qu’il contient se caractérise par une mise en page par-
ticulière ; l’en-tête (« Étude de maître Tardivel, Notaire »), le lieu et la date
(« Savigny-en-Septaine, 14 janvier 1939 »), la formule d’appel (« Monsieur »), la
formule de politesse et la signature donnent au lecteur l’illusion qu’il s’agit d’un
courrier officiel, d’une lettre bien réelle.
308
2. et 3. L’extrait A met en scène un petit garçon, et c’est le regard de cet enfant
que le narrateur adopte pour raconter son histoire. Il ne comprend donc les évé-
nements que de manière limitée.
L’extrait B adopte le point de vue d’un narrateur qui fait la chronique des évé-
nements qu’il a vécus, entraînant ainsi derrière lui le lecteur qui découvre les
progrès de l’épidémie et ses conséquences sur les habitants d’Oran.
L’extrait C adopte le point de vue d’un narrateur totalement neutre, extérieur à
l’histoire racontée : il se contente d’observer les deux personnages, Bouvard et
Pécuchet. C’est ainsi que le lecteur, comme les personnages, peut lire la lettre reçue
du notaire, puis découvrir dans la suite du roman les heurts et malheurs succes-
sifs qu’elle entraînera.
Exercice 8✢✢✢
1. Le corpus de textes porte sur l’objet d’étude : La poésie. Il permet de vérifier
la richesse et la diversité des formes que prend le texte poétique. On peut carac-
tériser celles-ci au moyen d’un tableau comparatif qui montre que la poésie ne
cesse d’évoluer, en cherchant un langage qui lui soit propre :
Texte A : le poème
Texte B : le poème Texte C : le poème
de forme fixe :
de forme libre en vers libres
le pantoum
D’origine orientale, il Les rimes sont Le poème est plus ouvert
repose sur la répétition irrégulières ; le poème est encore : variété de mesures,
du 2e et du 4e alexandrin cependant composé fausses rimes (en « é », en
de chaque quatrain, de deux strophes « ire », en « er »), à
repris en position de 1er d’octosylabes, comme l’exception du dernier vers ;
de 3e vers du quatrain dans les anciennes la mise en espace du texte
suivant. formes médiévales. (centré) est elle aussi
originale.
Exercice 11✢✢
1. Le poème de Lamartine s’ouvre sur le retour du poète au lieu d’une intimité
heureuse et partagée. Les trois premières strophes évoquent les circonstances d’un
rendez-vous où la femme attendue est désormais absente. Le poète rapporte alors
le souvenir particulier d’une soirée passée sur le lac et des paroles de Julie Charles.
On peut ainsi distinguer le récit effectué par le poète (strophes 1 à 4) des mots
chéris prononcés par sa maîtresse (strophe 5), qu’il recueille pieusement. Les
marques du récit se retrouvent donc dans les premières strophes (parti-culière-
ment à travers les temps du passé), tandis que les marques du discours caracté-
risent la dernière. De même, la construction de la strophe est différente : dans la
première partie, un hexamètre succède à trois alexandrins; dans la seconde, l’hexa-
mètre alterne avec l’alexandrin de manière continue.
2. Dans les quatre premières strophes, le destinataire est le lac auquel s’adresse
le poète romantique, comme le révèlent le premier vers (« Ô lac ! ») et les pronoms
utilisés (« tu », v. 4, 6 ; « tes ondes », v. 7 ; « Tes flots », vers 12). Dans la dernière
312
strophe, c’est la femme aimée, Julie Charles, « la voix qui m’est chère », qui prend
la parole.
3. Il s’agit pour le poète d’évoquer le souvenir des paroles prononcées par celle
qu’il aimait, ce qu’elle a dit lorsqu’ils étaient ensemble au bord de ce même lac :
la prise directe de la parole ressuscite la présence de la femme aimée et l’adresse
au lac rend plus présent le cadre de ce souvenir intense.
Exercice 14✢
1. Les temps et modes verbaux utilisés :
– l’impératif : « Pardonnez » (l. 1), « N’exigez » (l. 26) ;
– le présent de l’indicatif : « achève » (l. 1), « raconte » (l. 2), etc. ;
– le présent du subjonctif : « porte » (l. 4), « décrive » (l. 26) ;
– le plus-que-parfait : « Nous avions passé » (l. 8) ;
– l’imparfait de l’indicatif : « croyais » (l. 9), « osais » (l. 10), etc. ;
– le passé simple : « aperçus » (l. 12), « sentit » (l. 15), etc.
2. et 3. On distingue dans ce passage l’alternance du discours et du récit, carac-
téristique du roman à la première personne. Le narrateur utilise les temps verbaux
du discours (présent/passé composé) pour s’adresser à son destinataire
(« Pardonnez, si j’achève en peu de mots un récit qui me tue », lignes 1 à 6, puis
lignes 26 à 31). Il utilise au contraire les temps verbaux du récit (imparfait/passé
simple) pour évoquer son histoire d’amour avec Manon (« Nous avions passé… »,
lignes 8 à 25).
Exercice 16✢✢
1. Thème commun : la fête.
2. Registre commun : le registre lyrique.
Exercice 17✢✢✢
1. La France est personnifiée par Zola dès le début de sa lettre ouverte. Il s’agit
de prendre la mesure des circonstances dramatiques, exceptionnelles, où la
315
conscience publique est en danger. Au-delà de chaque citoyen, c’est à la nation
que s’adresse Zola. Le ton est solennel : c’est l’écrivain soucieux de vérité qui
parle, l’homme de cœur et de raison. Cette personnification – qui prend le risque
de l’enflure rhétorique – doit interpeller le lecteur, dans un sursaut d’indignation
contre ceux qui, par leurs mensonges, menacent l’intégrité de la patrie.
2. Le premier paragraphe s’achève sur une apostrophe directe, une interpellation
de la France, sous forme d’exclamation, de même à la fin du troisième paragraphe
et au début du quatrième. La fausse question est au milieu du troisième para-
graphe. L’orateur s’interroge et prend la France à témoin de la dérive de son
peuple. Le texte de Zola reprend ainsi les principaux procédés de l’éloquence
antique : phrases longues qui sont de véritables périodes, lexique soutenu opposé
à des termes dévalorisants, emphase dans l’énumération, répétitions, oppositions,
parallélismes, métaphore filée.
3. Le dernier paragraphe pourrait être étudié, tout entier, comme un exemple
d’éloquence. L’orateur se met lui-même en scène dans une position dominante
(« je me penche ») et développe une première métaphore : celle du peuple comparé
à la mer dans la tempête (« mer trouble et démontée », « la tempête qui menace
d’emporter »), à laquelle succède celle de la maladie : « mortelle gravité », « inquié-
tants symptômes ». C’est bien un médecin qui « se penchait » sur le corps malade
de la nation, et qui établit à présent le diagnostic du pays.
Exercice 19✢✢
Chez Verlaine, le paysage est immédiatement lié à l’état d’âme. Les deux termes
qui composent le titre invitent le lecteur à faire le lien entre la promenade et les
sentiments ressentis et exprimés par le poète. On retrouve donc les réseaux lexi-
caux du paysage et des sentiments dans l’ensemble du poème, tous deux chargés
de connotations négatives. C’est la mélancolie qui l’emporte, favorisée par le cou-
chant et le thème de la solitude (« j’errais tout seul »).
316
Répondre à une question
sur les idées dominantes d’un texte
Exercice 20✢✢
1. La thèse est développée dans le premier paragraphe : les progrès techniques ne
sont pas une fin en soi, mais constituent des « outils » qui peuvent permettre à
l’homme d’atteindre le bonheur.
Les arguments et les exemples apparaissent dans le deuxième paragraphe : c’est la
rapidité des progrès techniques sur un court laps de temps qui nous les fait envi-
sager comme néfastes, dangereux. Quand notre psychologie les aura assimilés,
nous n’aurons plus de craintes à leur sujet. Les progrès techniques ont révolutionné
nos modes de vie (« rapports humains », « conditions de travail », « coutumes »,
l. 19 et 20) et l’homme redoute l’apparition des nouvelles techniques car elles bou-
leversent l’ordre établi auquel nous sommes depuis longtemps habitué.
La conclusion (dernier paragraphe) envisage l’avenir de l’homme qui se crée un
ailleurs, une « nouvelle patrie », conquise par la connaissance scientifique.
2. Giono, au contraire de Saint-Exupéry, voit dans les progrès techniques une
menace pour l’homme et pour la nature. Ils nous coupent de notre milieu et nous
font vivre d’une manière « antinaturelle » (l. 3).
Exercice 22✢✢✢
1. Le titre donné par Jean-Jacques Rousseau à son autobiographie Les
Confessions répond à un désir de vérité sur soi, qui met en jeu un sentiment com-
plexe de culpabilité, de désir de se justifier, d’expliquer ou de légitimer telle ou
telle action, tout en exposant regrets et remords. En ce sens, il mène une entre-
prise purement personnelle, de justification vis-à-vis de ses contemporains et de
ses lecteurs futurs.
2. Gide écrit ses confessions « pour des raisons exactement contraires » à celles
de Rousseau. L’expression, éclairée par la dernière phrase de l’extrait, signifie que
l’écrivain désire que le lecteur se retrouve dans le récit autobiographique qu’il
entreprend : « je sais que grand est le nombre de ceux qui s’y reconnaîtront »
(l. 11 et 12).
3. L’avis au lecteur de Montaigne exprime le point de vue de « l’honnêteté ». Les
Essais avancent « au naturel », sans contrainte. Le texte se fait, les idées naissent,
l’image de soi se dessine au jour le jour. L’autoportrait de Montaigne est celui
d’un homme de la Renaissance, plein de foi dans l’homme et dans la nature, pour
qui est possible « une façon simple, naturelle et ordinaire » de vivre et de
s’exprimer.
318
EXO-BAC
(PAGE 323)
Préparation
Le corpus se compose de deux poèmes :
– le premier est extrait des Fleurs du mal de Charles Baudelaire, recueil publié en
1857, condamné la même année pour « délit d’outrage à la morale publique et
aux bonnes mœurs ». « Chant d’automne » fait partie des trente et un poèmes
nouveaux ajoutés à l’édition de 1861, amputée de six pièces condamnées. Comme
le montre l’exercice 18 de la page 336, le recueil développe deux thèmes essen-
tiels, celui du « Spleen » et celui de « l’Idéal » ;
– le second poème est extrait du Poème des décadences de Milosz, publié en 1899.
Cet écrivain français est né en 1877 en Lituanie, où il grandit avant de rejoindre
la France en 1889. Son premier recueil, Le Poème des décadences, exprime la
vision pessimiste d’un monde où « Dieu est mort », où tout est mensonge et las-
situde. L’objet d’étude illustré par les textes du corpus est ainsi la poésie, une
poésie moderne et sombre, caractéristique d’une évolution qui va du symbolisme
discret des Fleurs du mal jusqu’au nihilisme exacerbé des poètes décadents.
Rédaction
1. « Chant d’automne » apparaît comme un poème de facture classique : quatre
quatrains composés d’alexandrins aux rimes croisées, chaque strophe se carac-
térisant par une unité thématique et syntaxique menant à la chute du dernier vers.
« Chanson d’automne » explore les voix nouvelles du vers libre dont Apollinaire
et Cendrars se feront les chantres quelques années plus tard. Les deux poèmes
du corpus ont en commun un même registre, celui du lyrisme mélancolique, qui
apparaît à travers le jeu des pronoms, les réseaux lexicaux de la tristesse et de la
mort, et le jeu des oppositions entre le présent et le passé.
2. Dans le texte A, le poète implique le lecteur dès la première strophe au moyen
de la première personne du pluriel : « nous » (vers 1), « nos » (vers 2). Les strophes
suivantes évoquent, à travers l’emploi de la première personne du singulier, une
expérience et des états d’âme personnels : « mon être » (vers 5), « Mon cœur »
(vers 8), « Mon esprit » (vers 11). Choisir la première personne du singulier pour
commencer permet de placer immédiatement l’expérience personnelle sous le
signe de l’expérience universelle partagée par tous les êtres humains. C’est ce qui
fait la force de ce lyrisme.
Dans la première strophe du texte B, l’émetteur n’est pas mentionné dans l’énoncé,
comme si la voix se voulait universelle ; et de même, le destinataire n’est pas iden-
tifié, comme si tout lecteur pouvait se sentir concerné. Il faut signaler, à ce propos,
que le lyrisme se doit d’évoquer des sentiments qui peuvent être universellement
partagés. Le poète a recours à la deuxième personne du pluriel à travers le verbe
« Écoutez » (vers 1 et 4). Mais la seconde strophe apprend au lecteur que Milosz
s’adresse en fait à une interlocutrice anonyme : « Toutes vos tristesses, ô ma
Dolente, sont vaines » (vers 8). Dès lors, l’échange se fait intimiste, menant pro-
319
gressivement du « vous » au « nous », qui réunit les deux interlocuteurs dans le
dernier vers : « Écoutons la voix du vent. »
3. Avec l’expression « chocs funèbres » (vers 3), Baudelaire indique une relation
entre le bruit et la mort. L’image est relayée par celle de l’échafaud (vers 10) :
« L’échafaud qu’on bâtit n’a pas d’écho plus sourd. » L’image du bélier est elle
aussi porteuse de mort, puisque c’est la guerre et que la tour « succombe » (vers
11). On peut donc évoquer une « image auditive », plus frappante qu’une des-
cription visuelle de la réalité, entretenant une métaphore filée qui traverse l’en-
semble du poème, à travers les réseaux lexicaux du bruit et de la mort.
4. Pour Baudelaire, l’automne est la saison du Spleen, qui accable le poète. Il
éprouve alors l’oppression épouvantable de l’ennui, du sentiment du désespoir
et de l’angoisse devant la mort. En donnant pour titre à son poème l’expression
« Chant d’automne », il inscrit d’emblée ses vers dans le registre lyrique, le mot
« chant » renvoyant aux origines de la poésie. Mais il s’agit ici d’un chant funèbre,
d’un requiem dont le dernier vers donne la clé. C’est la mort en effet qui appelle,
symbolisée par l’hiver. Le titre du poème de Milosz fait écho à celui de Baudelaire.
L’aspect de « chanson » est immédiatement visible par le jeu des répétitions qui
rythme chaque strophe et les réunit les unes aux autres. De même, la coupe régu-
lière de chaque vers en son milieu crée un rythme régulier, ce qui donne d’ailleurs
à la dernière strophe un statut particulier où se détruit cette régularité harmo-
nieuse. Le terme de « chanson » est lui-même constamment rappelé par des échos
sonores en « en » (rimes, assonances) qui parcourent tout le poème. La « Chanson
d’automne » est aussi celle de la mort, soufflée par « la voix du vent dans la nuit ».
Comme l’indique le vers 18, la sonatine « a vécu ».
SUJET DU BAC
(PAGES 324 à 326)
I. Questions
1. C’est la Pléiade qui impose en France l’usage du sonnet, importé d’Italie.
Le texte poétique est alors strictement codifié : deux quatrains et deux tercets qui
s’enchaînent, formés d’alexandrins (ou de décasyllabes), faisant alterner rime
féminine et rime masculine, sans enjambement à la rime ou à l’hémistiche, le
dernier vers constituant une chute pour le sens. Ronsard respecte ici ces règles.
Mais la poésie évolue. Après le poème en prose, introduit par Aloysius Bertrand
et suivi par Baudelaire, Rimbaud donne ses Illuminations, textes en prose où
dominent les images poétiques concentrées dans quelques lignes fulgurantes. Le
poème de Benjamin Péret reprend la mise en espace du vers, mais il s’agit de vers
libres : libérés de la contrainte de la mesure et de la rime, sans majuscule au
premier mot, sans ponctuation, procédant par accumulation d’images énigma-
tiques. On le voit, la poésie ne cesse de se métamorphoser de siècle en siècle, pour-
suivant son travail de création.
320
2. Commentaire des images du texte C
Sous le titre d’« Enfance », Rimbaud a réuni cinq petits poèmes, qui correspondent
à l’enjeu esthétique des Illuminations. Des images fulgurantes se juxtaposent selon
une logique nouvelle. Le poème en prose est constitué de notations éclatées, d’une
suite d’affirmations que rythme ici (dans le quatrième poème) l’anaphore « Je
suis ». Il ne s’agit pas de retrouver des souvenirs précis de l’enfance de Rimbaud,
mais de se laisser gagner par la magie des évocations successives, qui sont autant
de métaphores du « je » du poète.
Dans les deux premières lignes, c’est l’image d’un saint, qui développe une impres-
sion de solitude et de spiritualité en se référant à l’univers des Évangiles : « le
saint », « en prière sur la terrasse ». L’image est amplifiée par une comparaison
avec les « bêtes pacifiques » qui souligne la sérénité de l’homme en prière.
C’est ensuite, à travers quelques éléments (« fauteuil sombre », « bibliothèque »),
l’image du savant qui est brièvement développée dans une atmosphère d’orage,
qui contraste avec l’univers chaud et coloré de la Palestine.
Nouveau décor : c’est cette fois celui du marcheur dans le paysage de grandes
routes cher à Rimbaud. La métaphore de la « lessive d’or » du soleil couchant
(l. 7) mêle une impression de beauté et de saisissement avec un mot et une situa-
tion familière (celle de la lessive).
De la ligne 8 à 10, on retrouve l’enfant annoncé dans le titre, dans un double
mouvement qui annonce le surréalisme : image de la « jetée partie à la haute mer »
(qui contraste avec l’univers de la marche sur la terre ferme) ; image de « l’allée
dont le front touche le ciel », qui fait fusionner les 3 éléments : la terre (l’allée),
l’homme (le front), le ciel. Les quatre dernières lignes du poème reviennent à un
univers plus familier : celui de la marche dans les collines, avec cependant une
impression de vide et d’attente qui caractérise tous les poèmes d’« Enfance ».
Commentaires des images du texte D
Poète surréaliste, Péret procède à une série de collages, constitués par des images
toujours plus énigmatiques, qui se succèdent au long du texte. On retrouve ici
cet appel aux images arbitraires qu’avait lancé André Breton dans son Manifeste
du surréalisme. « Rues molles comme des gants », « tentacules » du sable, « poutres
des mers » : autant de comparaisons et de métaphores qui plongent le lecteur dans
un univers onirique et déroutant. Le paysage se trouve ainsi personnifié et se met
en marche : le sable « projette au loin ses tentacules de cristal » (vers 7), « le ciel
s’ouvre comme une huître » (vers 10). Toute logique a disparu de cet univers
nouveau qui reproduit à travers les images surréalistes le travail de l’inconscient.
Critères de réussite
• Construction du commentaire selon un plan rigoureux.
• Utilisation du vocabulaire de l’analyse littéraire.
• Originalité de l’interprétation proposée.
2. Dissertation
À chaque époque, les écrivains ou la critique cherchent à dire le rôle et la fonc-
tion de la poésie. À quoi répond la nécessité, chez le poète, d’écrire des vers ?
Qu’attend le lecteur de ce genre littéraire si particulier, si étranger à sa propre
pratique du langage ? Depuis la fin du XIXe siècle, la poésie traverse une crise, sur
le plan des « formes » comme sur le plan de sa réception dans la société contem-
poraine. C’est ainsi qu’Aragon propose de définir la poésie comme « un miroir
brouillé de notre société, et chaque poète souffle sur ce miroir ». S’agit-il de recon-
naître à la poésie la vocation de représenter le monde social, de fixer une image
de la société à un moment de son histoire ? Mais n’y a-t-il pas aussi d’autres
enjeux, plus intimes, plus personnels, dans l’écriture poétique ?
Nombreux sont, dans l’histoire de la poésie, les œuvres qui offrent au lecteur un
miroir de la société. On pense, par exemple, aux Fleurs du mal de Baudelaire, qui
expriment les mutations de la société industrielle – le vieux Paris, pittoresque et
plein de charme, dans une capitale énorme, bruyante, habitée par une foule indif-
férente. Confronté à cette violence d’un monde brutal et anonyme, le poète
exprime sa mélancolie. Son spleen est l’expression – « brouillée » – d’un déraci-
nement. De même, la poésie surréaliste, en réclamant les puissances du rêve et du
hasard, conteste la société bourgeoise qui n’a pas su éviter les massacres de la
guerre de 1914-1918. Mais certains poètes choisissent aussi de s’engager direc-
tement dans l’Histoire : La Franciade de Ronsard et Les Tragiques d’Agrippa
d’Aubigné, Les Châtiments de Victor Hugo ou les poèmes de la Résistance,
322
pendant la Seconde Guerre mondiale, renvoient directement à une situation de
crise : guerre, coup d’État, occu-pation. Toute la société est alors concernée et
menacée dans ses valeurs. La fonction du poème est de les garder intactes, et de
les rappeler dans l’épreuve.
Cependant, la poésie a semblé souvent destinée à l’expression de sentiments
intimes. Le poème recueille un souvenir, exprime un sentiment amoureux, un
chagrin ou un regret, il s’émerveille devant le monde. C’est un rapport nouveau
qu’il crée ainsi avec son lecteur, à travers le lyrisme d’une voix personnelle. Les
sonnets de Ronsard, pour Marie ou pour Hélène, témoignent ainsi des amours
du poète. « Le coucher de soleil » de Gérard de Nerval ou les « Fleurs » de
Rimbaud dans ses Illuminations paraissent complètement éloignés du souci de
représenter la société : ils manifestent un enthousiasme esthétique, une exaltation
qui ouvre au texte les puissances de l’imagination. De même, la poésie surréaliste
renouvelle notre perception des choses à travers des images déroutantes : « Les
rues molles comme des gants », écrit Benjamin Péret. Le poème transforme le
monde, plus qu’il n’en est « le miroir ».
Ces différentes fonctions de la poésie, pourtant, ne sont pas contradictoires. Le
poète est toujours au centre de sa création, avec la société dans laquelle il est née,
dans laquelle il écrit. Il ne doit pas se soumettre à une idée préconçue de la poésie,
mais ouvrir le texte poétique à sa puissance d’enchantement et de renouvellement
du langage. Il doit rester un « voleur de feu ».
Critères de réussite
• Construction du plan de la dissertation.
• Appui sur des exemples tirés du corpus.
• Originalité des idées développées.
3. Écrit d’invention
Mardi 9 septembre
Voici deux jours que la pluie a cessé. Je peux maintenant reprendre mes chères
promenades dans Paris. J’ai été aujourd’hui me promener le long des quais. Je
me suis arrêté à tous les bouquinistes. Je cherchais un roman, que je n’ai pas
trouvé. J’aurais aimé aussi dénicher une vieille gravure. Tant pis. J’ai pris ensuite
un verre à la terrasse d’un café. Il y avait une foule immense. Chacun se précipi-
tait pour profiter du soleil. J’ai pensé à F. J’aurais bien voulu qu’elle soit là, avec
moi…
Jeudi 11 septembre
Assommé par mille choses à faire : j’ai travaillé toute la journée, je n’ai pas pu
sortir un seul instant. Le soleil semblait me narguer à travers la fenêtre du bureau.
Rayonnant, resplendissant, magnifique. Et moi, comme un forçat, attelé à ma
tâche ! Vivement demain.
323
Vendredi 12 septembre
Quelle belle journée ! D’abord j’ai reçu une lettre de F. qui m’annonce son retour
à Paris dans deux jours. Et puis, et puis j’ai pu sortir ! J’ai passé toute l’après-
midi dans le jardin des Tuileries. Il n’y avait par chance pas beaucoup de monde.
J’avais pris un livre, que j’ai oublié sur un banc. Je suis resté longtemps à me pro-
mener le long de la Grande Allée, avec ses deux pièces d’eau qui rafraîchissaient
l’air. On ne sentait plus la lourde chaleur du jour. La nuit venait et plongeait dou-
cement les choses dans le noir. Le soleil couchant répandait partout une couleur
superbe. C’est alors que j’ai vu tout à coup, au détour d’une allée, le soleil qui
s’encadrait au loin dans l’Arc de triomphe. C’était éblouissant. Et je suis resté
longtemps sans bouger, muet d’admiration.
Critères de réussite
• Respect de la forme du journal intime (présentation, énonciation).
• Appui sur le texte modèle (cadre spatio-temporel, situation du narrateur).
• Maîtrise de la syntaxe et emploi de procédés d’écriture originaux et variés
(images, descriptions, figures de style).
324
LES ÉPREUVES DU BAC
CHAPITRE
25 Le commentaire
(PAGES 327 à 346)
325
EXERCICES
(PAGES 336 à 342)
Exercice 4✢✢
1. Les caractéristiques générales du texte :
Objet d’étude les formes et les fonctions de l’essai
Genre essai
Registre lyrique
Contexte romantisme
Thème dominant poésie de la nature en Amérique, religion