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L'ALGÈBRE DES SIGNES

FOUNDATIONS OF SEMIOTICS

General Editor
ACHIM ESCHBACH
(University of Essen)

Advisory Editorial Board

Herbert E. Brekle (Regensburg); Geoffrey L. Bursill-Hall (Burnaby, B.C.)


Eugenio Coseriu (Tübingen); Marcelo Dascal (Tel-Aviv)
Lambertus M. de Rijk (Leiden); Max H. Fisch (Indianapolis)
Rudolf Haller (Graz); Robert E. Innis (Lowell, Mass.)
Norman Kretzmann (Ithaca, N.Y.); W. Keith Percival (Lawrence, Kansas)
Jan Sulowski (Warszawa); Jürgen Trabant (Berlin)

Volume 24

Robert Marty

L'algèbre des signes


L'ALGEBRE DES SIGNES
Essai de sémiotique scientifique
d'après Charles Sanders Peirce

ROBERT MARTY
Université de Perpignan

JOHN BENJAMINS PUBLISHING COMPANY


AMSTERDAM/PHILADELPHIA

1990
Library of Congress Cataloging-in-Publication Data

Marty, Robert.
L'algèbre des signes : essai de sémiotique scientifique d'après Charles Sanders Peirce /
Robert Marty.
p. cm. -- (Foundations of semiotics, ISSN 0168-2555; v. 24)
1. Peirce, Charles S. (Charles Sanders), 1839-1914 - Contributions in semiotics. 2. Semio­
tics. I. Title. II. Series.
P85.P38M37 1989
121'.68'092 -- dc20 89-17799
ISBN 90 272 3296 2 (alk. paper) CIP
© Copyright 1990 - John Benjamins B.V.
No part of this book may be reproduced in any form, by print, photoprint, microfilm, or any
other means, without written permission from the publisher.
Table des matières

Avant-propos ix

I. Analyse des phénomènes sémiotiques 1


1. Faire table rase 1
2. Facticité et nécessité 4
3. Les conceptions Peirciennes du signe 17
4. Description des phénomènes sémiotiques 25

. Modélisation des phénomènes sémiotiques 45


1. Description et formalisation mathématique 45
2. Structures relationnelles et configurations perceptives 50
3. Un modèle triadique pour les phénomènes sémiotiques 58
4. Correspondances conceptuelles 65
5. Interprétation vs production: la communication 73
6. Conclusion du chapitre deuxième 81

III. Modes d'être 85


Introduction au chapitre troisième 85
1. Phanéron et structures eidétiques 86
2. Les éléments indécomposables du phanéron 90
3. La réduction triadique des structures relationnelles 94
4. Les catégories phanéroscopiques 105
5. Modes d'être: Priméité, Secondéité, Tiercéité 117
6. L'unité formelle du phanéron 129
7. Conclusion du chapitre troisième 141

IV . Phanéroscopie et classifications 143


1. Phanéroscopie analytique 143
2. Phanéroscopie systématique 152
3. La classification des signes triadiques 167
4. Trichotomies et subdivisions 184
5.' Conclusion du chapitre quatrième 200
VI TABLE DES MATIÈRES

Y. Perfectionnement du modèle triadique 201


1. De la triade a l'hexade 201
2. Classification des signes hexadiques 209
3. Le treillis des signes hexadiques 221
4. La redondance de la décade 228
5. Au dela de l'hexade? 233
6. Conclusion du chapitre cinquième 235

VI. Architectonique des significations 237


1. Les limites de la connaissance scientifique des phénomènes
sémiotiques 237
2. Diagrammes sémiotiques 240
3. Formalisation de la production des signes 247
4. L'algèbre de la communication 253
5. Six études de sémiotique 260

VII. Dynamique des significations: la semiosis 287


1. La semiosis ou l'action du signe 287
2. Institution et habitude 291
3. Fibres sémiotiques et champs d'interprétants 310

VIII. Sémiotique et savoirs 317


1. Sémiotique et théâtrologie 318
2. Sémiotique et épistémologie 330
3. Sémiotique et idéologie 341
4. Sémiotique et ethnométhodologie 351
5. Quelques perspectives 360

Notes 365

Annexes 367
Annexe A 367
Annexe  385
Annexe  389
Annexe D 397
Annexe E 401
Annexe F 403

Références bibliographiques 407


All speech is but an algebra, the repea­
ted signs being the words,which have
relations by virtue of the meanings as­
sociated with them.
C.S. Peirce (3.418)
Avant-propos

Charles Sanders Peirce est "le plus profond investigateur de l'essence des
signes", telle est l'opinion de R.Jakobson sur le sémioticien américain;
René Thom qualifie sa classification des signes de "simple et profonde" et
il n'est pas d'auteur qui dans les premières pages d'une présentation géné­
rale de la sémiotique ne consacre quelques lignes au "grand précurseur".
Le dénominateur commun à l'ensemble de ces références à Peirce, c'est
cette sorte de reconnaissance implicite d'un corps de doctrine identifié sous
le nom de "sémiotique peircienne". Or un examen superficiel, même limité
aux écrits de Peirce les plus largement diffusés, comme les Collected Pa­
pers, montre qu'un tel corps de doctrine n'existe pas vraiment dans ces tex­
tes et, si on étend l'examen aux manuscrits dont l'ensemble microfilmé,
sans la correspondance, occupe trente deux rouleaux de cent mètres cha­
cun, on est littéralement choqué qu'une telle affirmation puisse être soute­
nue, à moins de réduire ce corps de doctrine à quelques lignes comprenant
une définition des signes (et déjà le choix de cette définition serait problé­
matique comme le montrent sans conteste l'annexe A de ce travail et la lec­
ture de la section 3 de son premier chapitre) et la célèbre classification des
signes en icônes, indices (ou index) et symboles, universellement reconnue,
le tout étant enveloppé dans quelques vagues références à la phanéroscopie
et aux catégories fondamentales. Finalement c'est la plupart du temps au
travers des présentations qu'en ont donné quelques exégètes, notamment
Charles Morris, que la sémiotique peircienne est pratiquement utilisée. Il
n'est pas dans mes intentions de faire l'inventaire de ces présentations et
d'en pointer les différences, les oppositions voire les incohérences. D'abord
parce que ce serait un travail considérable et de peu d'intérêt; ensuite et
surtout, parce que la confusion qui règne est tout à fait normale étant don­
né l'état de l'oeuvre de Peirce, monument inachevé, pour ainsi dire une sor­
te d'équivalent dans la pensée de la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone
en architecture. Teresa Calvet de Magalhaes dans son petit livre (1971)
consacré aux catégories met en exergue ce que Peirce pensait lui-même de
χ L'ALGEBRE DES SIGNES

son oeuvre en 1903 (Peirce est décédé en 1914 et a écrit intensément


jusqu'en 1911):
Tout ce que vous pourrez trouver d'imprimé de mes travaux de logique se­
ront de simples affleurements dispersés ici et là d'une riche veine qui reste
non publiée. La plupart, je le suppose, a été couchée par écrit; mais aucun
être humain ne pourrait en rassembler les fragments. Je ne pourrai le faire
moi-même.
C'est donc dire que toute présentation de la sémiotique peircienne
n'engage que son auteur et que la question d'un quelconque orthodoxie ne
saurait se poser. C'est pourquoi j'ai sous-titré mon travail: "Essai de sémio­
tique scientifique, d'aprés Charles Sanders Peirce" pour indiquer que si les
travaux de Peirce sont à l'origine de ma réflexion mes écrits n'engagent nul­
lement sa pensée et que d'éventuels critiques ne doivent s'en prendre qu'à
moi, même si j'ai pris un soin constant à souligner, chaque fois que cela
m'est apparu évident (mais peut être me trompai-je?) combien le dévelop­
pement de mon modèle épousait les grandes lignes directrices de la pensée
de Peirce. Qu'on ne voie pas dans ces citations une utilisation abusive de
l'argument d'autorité, mais tout simplement le désir de justifier le sous-titre
et de ne point abuser le lecteur.
Mon principal objectif est donc de produire un exposé le plus clair, le
plus rigoureux et le plus cohérent possible d'une théorie sémiotique élabo­
rée à partir de la masse des écrits de Peirce dans une perspective résolu­
ment "scientifique". Ce dernier terme est évidemment, sinon à justifier, du
moins à préciser, mais auparavant il convient de dire que nombre de tenta­
tives en ce sens ont été faites avec des réussites inégales qu'il ne m'appar­
tient pas d'évaluer.
C'est la communauté scientifique agissant comme instance unique
d'évaluation pratique qui opère les tris en promouvant les théories adéqua­
tes aux objets réels qu'elles prétendent décrire et en plongeant les autres
dans l'oubli. Cette "justice immanente" fonctionne fort heureusement avec
des procédures constantes d'appel et de recours qui font que rien n'est ja­
mais totalement rejeté ou oublié et que certaines exclusions donnent lieu
quelquefois à des réhabilitations spectaculaires, comme l'histoire des scien­
ces le montre à loisir.
Il est clair cependant que l'existence même de mon projet présuppose
qu'aucune des tentatives passées n'est satisfaisante à mes yeux.
G. Mounin (1970) souligne que "la lacune la plus sensible, au point de
vue historique et peut être théorique est l'absence d'une bonne étude sur
AVANT PROPOS xi

CS.Peirce" et Jakobson évoque "le jour où l'on se décidera à étudier sé­


rieusement la théorie des signes de Peirce" . Compte tenu de l'état dans le­
quel se présentent ses écrits cette tâche est quasiment impossible et ne peut
être menée à bien sans retravailler les concepts et leur organisation, sans y
adjoindre d'autres concepts nécessaires pour combler un manque, assurer
une transition, sans y intégrer certains des acquis récents des sciences hu­
maines, des sciences exactes et de la réflexion épistémologique. Retravail­
ler ne signifie pas nécessairement transformer ou déformer (mais même à
cet égard il n'y a évidemment pas de tabous: si l'exigence de cohérence, par
exemple impliquait une transformation notable ou un écart important on ne
voit pas ce qui pourrait interdire de le faire, l'honnêteté intellectuelle
consistant alors simplement à les signaler et à en exposer les raisons). Il
s'agira donc pour l'essentiel d'expliciter dans un modèle formalisé, de pré­
ciser, voire de prolonger les aspects de la pensée de Peirce jugés les plus in­
téressants en justifiant, autant que possible, les choix qui seront opérés.
L'exemple des quelques 76 définitions du signe relevées dans les manuscrits
est exemplaire à cet égard. Beaucoup d'auteurs se sont contentés de choisir
la définition qui convenait le mieux à leur projet ce qui équivalait à instituer
un des aspects momentanés et même fugitifs de la pensée de Peirce et à lais­
ser en définitive aux lecteurs le soin d'apporter les clarifications nécessaires.
Un projet ainsi défini s'expose évidemment à subir les critiques symétriques
des orthodoxes (bien qu'aucune orthodoxie ne soit praticable) et des laxis­
tes qui confondent métaphore et discours scientifique. C'est le risque inhé­
rent à toute entreprise de ce type. Ce risque que Peirce, d'ailleurs, nous in­
vite à courir:
Le chercheur doit s'efforcer de n'être point influencé par la tradition, l'au­
torité, les raisons qui le porteraient à supposer ce que les faits doivent être,
ou par des idées fantaisistes de quelque genre que ce soit; il doit s'en tenir
à l'observation honnête et obstinée des apparences. Le lecteur, de son
côté, doit répéter pour lui même les observations de l'auteur et décider en
se fondant sur ses propres observations si la description des apparences
que donne l'auteur est correcte ou non. (1.287)1
Si le lecteur prend le texte ci-dessus au pied de la lettre (et quel auteur
ne souhaite pas avoir de tels lecteurs!) il sera confronté suivant son état
d'information en mathématiques, avec les universaux mathématiques que
l'observation empirique des phénomènes de signification et l'analyse for­
melle des textes sémiotiques de Peirce m'ont irrésistiblement conduit à
adopter. Leur définition et leur utilisation ne requièrent aucune connais-
xii L'ALGEBRE DES SIGNES

sance mathématique autre que celles qui sont démontrées dans le cours du
texte. C'est-à-dire que je n'utilise aucun résultat et donc que le rapport en­
tre les phénomènes de signification que j'étudie et les mathématiques n'est
pas un rapport d'application mais un rapport de constitution. La difficulté
pour le lecteur pourra résulter de l'insuffisance de son expérience antérieu­
re des objets de l'algèbre, c'est-à-dire de son habitus à saisir des objets for­
mels et à les combiner. Qu'il soit persuadé que le choix de la théorie des ca­
tégories algébriques et des foncteurs ne résulte pas d'un désir de sophistica­
tion mais d'une adéquation particulièrement réussie entre la pensée de
Peirce et la pensée algébrique moderne. La théorie des catégories a autori­
sé de grandes clarifications dans les mathématiques; il est permis de penser
qu'elle peut rendre des services au moins équivalents dans les sciences hu­
maines, dans la mesure où la pensée structuraliste, en instituant la primauté
de la relation sur l'élément, a ouvert la voie aux formalismes de l'algèbre
homologique dans les sciences humaines.
Ma démarche se veut "scientifique" en un sens qui tend aujourd'hui à
se banaliser dans les sciences humaines et qui s'exprime dans la méthodolo­
gie mise en oeuvre: l'observation "abstractive" qui consiste à abstraire du
donné empirique les caractères essentiels des observables (essentiels, c'est-
à-dire des caractères sans lesquels ils ne seraient pas ce qu'ils sont) est mise
en rapport avec un ensemble organisé d'universaux mathématiques. Cette
mise en rapport est de type fonctoriel, c'est-à-dire que lorsque des caractè­
res essentiels des observables apparaissent liés dans l'observation (par
exemple lorsque deux ou plusieurs d'entre eux sont simultanément présents
ou dans une relation constante de causalité temporelle), les universaux
mathématiques choisis correspondant à chacun d'eux doivent entretenir
aussi une relation formelle explicite formulée en termes mathématiques. La
notion de catégorie algébrique qui permet de saisir les êtres mathématiques
à la fois par leur structure, et par les relations que ces structures entretien­
nent entre elles (morphismes) et la notion de foncteur qui met en corres­
pondance les structures des objets et pour chaque couple d'objets les rela­
tions que leurs structures entretiennent, apparaissent a priori comme les
notions fondamentales sur lesquelles une telle méthodologie doit trouver
ses fondements et sa justification. Elles conduisent à une conception nette­
ment holistique de l'épistémologie des sciences humaines. L'objet de
connaissance n'est pas l'élément dont les caractères essentiels déterminent
l'appartenance à la classe des observables mais l'élément en tant qu'il parti­
cipe d'un tout, en tant qu'il est le lieu de solidarités avec d'autres éléments
AVANT PROPOS xiii

ne serait-ce qu'en partageant avec eux certains de ces caractères essentiels.


La nécessité de saisir de la sorte les observables a souvent été ressentie;
mais la plupart du temps l'emploi d'universaux mathématiques de type en-
sembliste a conduit à séparer le processus de formalisation de la structure
"interne" des éléments (leur "essence") de celui de la formalisation des re­
lations qu'ils entretiennent avec d'autres éléments (leur "existence" ). Cette
méthodologie, articulée en deux moments distincts, impose une suspension
du premier moment afin d'aborder le second, ce qui a pour résultat d'auto-
nomiser l'élaboration de la structure interne des éléments de celle de la to­
talité qu'ils constituent. Elle traduit finalement une conception individua­
liste de l'épistémologie qui ouvre la voie, dans les sciences humaines, au
psychologisme et au solipsisme. Pour éviter ces écueils il faut saisir d'un
même mouvement de pensée l'élément et la totalité à laquelle il appartient,
c'est-à-dire formaliser la structure interne d'un élément dans ses relations
avec les structures des autres éléments munis de la même structure de façon
que l'élaboration de cette structure soit le résultat d'une intéraction dialec­
tique entre la partie et le tout. Les formalismes de l'algèbre homologique
sont, me semble-t-il, les instruments d'une telle épistémologie "intégrée".
Il est clair de plus qu'on ne peut étudier les phénomènes de significa­
tion comme on étudie la chute des corps ou le magnétisme. Ceux-ci ont un
caractère de réalité qui s'impose d'emblée, dans le sens où la vérification
que le phénomène ne dépend pas de l'esprit de l'observateur est quasiment
immédiate. Les phénomènes de signification impliquent l'observateur com­
me élément essentiel du phénomène c'est-à-dire comme élément nécessai­
re, sans lequel ce dernier n'adviendrait pas. Il faudra donc élaborer une
phénoménologie particulière capable de saisir la différence (je propose le
nom de phénoménologie de seconde intention) et donnant le moyen de
s'assurer de la réalité des objets manipulés et de leurs relations. Cette obli­
gation implique l'intégration dans le modèle d'une sociologie de la connais­
sance dont l'analyse institutionnelle m'a fourni les fondements. Si l'on ne
veut pas autonomiser le sujet connaissant, de la même façon qu'on s'est
gardé d'autonomiser l'objet de connaissance de ses relations avec les autres
objets, il faut le considérer lui aussi dans ses relations avec les autres sujets.
Ce sont les institutions prises dans un sens très large, qui règlent ces rela­
tions et c'est donc le concept dialectisé d'institution qui évitera du côté du
sujet l'écueil que l'on veut éviter du côté de l'objet.
Le programme implicitement défini dans les lignes qui précèdent ne
pourrait pas être seulement amorcé si la complexité des structures associées
xiv L'ALGEBRE DES SIGNES

à la perception des objets réels et à leur présence à l'esprit ne pouvait être


réduite à trois grandes catégories d'éléments dont la combinaison permet
de reconstruire à la fois les structures et les relations qu'elles entretiennent.
Cette possibilité est purement formelle: elle résulte d'un théorème qui s'ap­
plique aux universaux mathématiques choisis. Elle recoupe et fonde défini­
tivement l'intuition de Peirce. Il fut en son temps taxé de "triadomanie" et
nombreux sont ceux qui voient en lui un névrosé obsessionnel, un obsédé
du chiffre trois. Peirce n'avait pas d'autre obsession que celle de la vérité.
On a voulu aussi faire de Peirce un taxinomiste invétéré. Certes beau­
coup de résultats s'expriment sous forme de taxinomies des phénomènes.
Cependant, j'ai pu montrer, grâce précisément à l'emploi de notions déri­
vées de celles de catégorie algébrique et de foncteur qu'il s'agissait moins
de taxinomie que d'architectonique, que l'on pouvait compliquer presque à
loisir le modèle en l'affinant jusqu'au degré nécessaire pour produire une
description satisfaisante et opératoire des phénomènes sémiotiques. De
plus, ceux qui persistent ou feignent de prendre Peirce pour un taxinomiste
ignorent nécessairement son analyse de la semiosis et notamment sa théorie
des interprétants qui permet d'amorcer une description du processus d'éla­
boration des significations aussi bien dans la particularité du sujet et de
l'instant que dans l'universalité de la "communauté sémiotique" et la tem­
poralité propre d'un univers sémio-culturel.
J'ai fait observer, le plus souvent possible, que le succés universel de la
division des signes en icône, indice, symbole aurait dû attirer plus forte­
ment l'attention des chercheurs sur le système de pensée qui l'avait produi­
te et notamment sur un examen nettement plus approfondi et plus étendu,
de la part de la communauté scientifique, des trois catégories phanéroscopi-
ques fondamentales. Je suis intimement convaincu que ce sont la mauvaise
accessibilité à l'oeuvre de Peirce, l'absence de clarification convaincante et
surtout l'absurde compartimentation des disciplines en "scientifiques" et
"littéraires" (qui tend heureusement à se réduire) qui sont responsables de
cette vague incrédulité qui accueille en général cette observation. L'idée
qui semble prévaloir est plus ou moins celle d'une coïncidence fortuite,
d'une heureuse rencontre entre un système de pensée nébuleux et inachevé
et certaines généralisations empiriques. Bien au contraire je crois qu'il y a
lieu de suivre et de développer les voies indiquées par Peirce vers ce qu'on
peut appeler la "pensée triadique" dont les rapports avec la "pensée dialec­
tique" sont implicitement évoqués dans ce travail grâce à l'incorporation du
concept d'institution dans le modèle formel. Se posant la question de l'in-
AVANT PROPOS xv

terprétant logique et constatant son impuissance à le résoudre en termes


autres qu'intuitifs, Peirce écrivait en 1906:
Mon excuse de ne pas fournir une réponse scientifique à cette question est
que je suis, autant que je sache, un pionnier ou plutôt un défricheur de fo­
rêts, dans la tâche de dégager et d'ouvrir des chemins dans ce que j'appelle
la sémiotique, c'est-à-dire la doctrine de la nature essentielle et des varié­
tés fondamentales de sémiosis possibles; et je trouve que le champ est trop
vaste et le travail trop lourd pour le premier que je suis qui s'attelle à cette
tâche. Je suis par conséquent obligé de me limiter aux questions les plus
importantes. De ces questions du même type particulier que celles à la­
quelle j'ai répondu en me fondant sur une impression, et qui ont à peu près
la même importance, il y en a plus de quatre cents, et elles sont toutes dé­
licates et difficiles, chacune requérant beaucoup de recherche et beaucoup
de prudence.(5.488)
On admirera la précision du propos ("plus de quatre cents"). Rares
sont ceux qui se sont engagés dans les chemins ouverts par ce pionnier, du
moins en ce qui concerne la sémiotique, alors que ses écrits philosophiques
ont suscité une grande quantité de travaux. Faut-il poursuivre la métaphore
et dire que, laissés à l'abandon, ces chemins ont été envahis de mauvaises
herbes et de ronces? Et que la tâche est toujours aussi lourde de les retrou­
ver d'abord, de les dégager et de les prolonger dans ces directions qu'il nous
a indiquées ensuite?
Il y a une autre question qu'on ne peut éluder et que j'ai indirectement
évoquée plus haut, c'est celle de la signification du sort fait aux travaux de
Peirce, même malmenés par l'édition et par la communauté scientifique.
Car on ne peut pas affirmer qu'ils ont été oubliés, comme le sont les théo­
ries superficielles ou insignifiantes, ni réfutés comme cela est fréquent dans
le cas de théories formalisées. D'une manière ou d'une autre la pensée de
Peirce a toujours hanté la cité scientifique. Au moment ou certains présen­
tent la théorie des catastrophes comme un nouveau paradigme dans les
sciences humaines on doit s'interroger sur la sémiotique percienne, sur la
place qu'elle a occupée et qu'elle occupe vis à vis des autres paradigmes
puisque, comme l'écrit T.S. Kuhn (1982):
Les adeptes des paradigmes concurrents ne s'entendent jamais complète­
ment aucun des partis ne voulant admettre toutes les suppositions non em­
piriques dont l'autre a besoin pour rendre valable son point de vue.
Cela signifie que le paradigme peircien, toujours présent depuis un
siècle a résisté dans le champ clos ou s'affrontent les paradigmes à l'avène­
ment des théories de la signification dérivées des conceptions de Saussure
xvi L'ALGEBRE DES SIGNES

et de Hjelmslev. Car il s'agit d'une opposition, peut être moins radicale


d'ailleurs qu'il n'y parait, entre binarisme et triadicité. J'écris "moins radi­
cale qu'il n'y parait" parce que d'un point de vue triadique, on peut consi­
dérer le binarisme comme une forme dégénérée de la triadicité, ce que l'on
pourra voir tout au long de ce travail. Est-ce que le binarisme aurait partie
liée avec une certaine idéologie dominante structuraliste? Cela parait être
l'opinion de R. Barthes (1965) lorsque, s'interrogeant sur le binarisme il
écrit:
En fait, et pour conclure brièvement sur le binarisme, on peut se deman­
der s'il ne s'agit pas là d'une classification à la fois nécessaire et transitoire:
le binarisme serait lui aussi un métalangage, une taxinomie particulière
destinée à être emportée par l'histoire,dont elle aura été un moment juste.
La différence entre les approches binaire et triadique dans tout projet
de description d'une région quelconque du réel est considérable. On pourra
le constater dans quelques études rassemblées dans le dernier chapitre qui
s'efforcent de montrer quelle pourrait être une approche triadique dans des
champs aussi divers que la théâtrologie, l'épistémologie, l'idéologie,
l'ethnométhodologie.
Un champ mériterait à lui seul un ouvrage complet: c'est l'approche
triadique des phénomènes linguistiques si mal comprise et si mal jugée, no­
tamment par Benveniste. La sémiotique peircienne est une science trans­
verse. Ni discipline, ni méthode, elle occupe vis à vis des sciences humaines
la même position que la logique vis à vis des mathématiques. La sémioti­
que, dit Peirce, est un autre nom de la logique. Elle permet de poser diffé­
remment, en des termes directement opératoires les problèmes fondamen­
taux de chaque discipline des sciences humaines par sa prise en compte "de
nature" de l'implication du chercheur dans chacun de ses objets.
On peut conclure que, pour des raisons qui viennent d'être explicitées,
la sémiotique peircienne n'a pas été soumise à validation sociale par la com­
munauté scientifique, faute de se présenter dans l'état que requiert habi­
tuellement cette validation. Ce travail n'a pas la prétention de la présenter
sous sa forme canonique et le jugement du lecteur ne saurait s'appliquer à
Peirce au travers de cette présentation. Si le doute ou la contestation s'em­
parent de son esprit je ne saurais trop l'engager à voir par lui-même, dans
l'oeuvre de Peirce, des raisons de réformer son jugement. Il y trouvera cer­
tainement une pensée d'une richesse telle que ma présentation, par la force
des choses très personnelle, ne lui paraîtra, dans le meilleur des cas, que
l'image partielle et peut être déformée d'une science des significations vir-
AVANT PROPOS xvii

tuellement présente dans les écrits de Peirce et dont l'extension dépasse lar­
gement l'algèbre qui en est ici ébauchée.
CHAPITRE PREMIER

Analyse des phénomènes sémiotiques

It is difficult to define the sign. Its essential


characters are, no doubt, that it should have
an object and an interpretant, or interpreting
sign, but to convert this statement into a defi­
nition is not so easy.
 S. Peirce, MS 284 (1905)

1. Faire table rase

La définition "opératoire" du sens proposée par Hjelmslev et ses continua­


teurs nous semble cesser d'être opératoire, c'est-à-dire capable de permet­
tre "l'exercice d'un faire scientifique apparemment efficace" (Greimas et
Courtès 1980), dès que l'on sort du champ de la linguistique et de ses exten­
sions "naturelles" comme la narratologie. Cela est mis en évidence par le
peu de succés rencontré par les sémiotiques dites "syncrétiques" qui sont
relatives à des phénomènes mettant en oeuvre plusieurs "langages de mani­
festation", comme le théâtre, le cinéma, l'opéra.... Car le modèle d'analyse
ne peut fonctionner que sur des catégories linguistiques et exige un transco­
dage préalable des phénomènes non-linguistiques dans les phénomènes lin­
guistiques.
Barthes l'a bien compris qui en a pris explicitement son parti lorsque
dans "Système de la mode" (Barthes, 1971) il s'est prononcé pour l'étude
du vêtement-écrit; et il est bien conscient de se livrer à une opération de
déplacement et éventuellement de transformation de son objet, ce qui le
conduit à poser la question: "Qu'est-ce qui se passe lorsqu'un objet, réel ou
imaginaire, est converti en langage?". Cette conversion en langage qui est
de l'ordre de la nécessité méthodologique pour Barthes ou un a priori de
2 L'ALGEBRE DES SIGNES

caractère métaphysique pour Greimas (car appliquer, même indirectement,


les catégories du langage à des régions du réel non-linguistiques parait rele­
ver de la métaphysique plutôt que de la méthodologie) n'est évidemment
pas neutre. En empruntant à l'acoustique, superposant une comparaison à
une métaphore, nous dirons que cette conversion "colore" les objets et les
relations qu'ils entretiennent comme une enceinte acoustique "colore" les
sons qu'on lui demande de reproduire en mêlant aux fréquences originales
les vibrations propres de sa structure et de ses systèmes de reproduction du
son. Ce qui est mis en doute ici c'est donc moins l'efficacité de la définition
du sens et de son rapport privilégié au langage que la prétention à un "faire
scientifique" lorsqu'on a recours à un tel transcodage pour atteindre des
régions hors de portée de la conceptualisation originelle. A tout prendre
l'attitude de Barthes semble préférable parce que sans équivoque: analy­
sant le vêtement-écrit il produit un savoir sur le vêtement-écrit, et rien de
plus.
Un corollaire de l'attitude "métaphysique" consiste à ériger la langue
naturelle en modèle selon lequel "les autres sémiotiques peuvent et doivent
être conçues" (et l'intention normative est claire dans cette proposition).
Voilà un présupposé difficile à admettre car procéder de la sorte c'est orien­
ter à priori le champ théorique, c'est y introduire un "gradient" qui oriente­
ra immanquablement toute proposition qu'on pourra établir dans ce
champ. Et si l'on prescrit de surcroit que les autres sémiotiques "doivent"
être ainsi conçues on prétend, du même coup, que l'objet converti en langa­
ge est un objet de connaissance sémiotiquement équivalent à l'objet étudié.
Barthes va même jusqu'à dire que cet objet ainsi converti dispose seul de la
"pureté structurale", qu'"il ne comporte aucun bruit, c'est-à-dire rien qui
gène le sens pur qu'il transmet; il est tout entier sens: la description est une
parole sans bruit". On reconnaît là le présupposé barthien suivant lequel la
sémiotique est une partie de la linguistique qui équivaut à admettre que le
sens linguistique est l'alpha et l'omega de toute signification. Mais c'est re­
connaître aussi que son objet n'est pas "la mode" mais le "discours de
mode", c'est substituer au phénomène sémiotique un phénomène linguisti­
que, au fait lui même une parole sur ce fait. Sa méthodologie lui interdit
donc de démêler ce qui relève, dans le discours de mode, des "faits de
mode" et ce qui relève de la langue naturelle utilisée pour décrire ces faits.
Mêlant inextricablement les faits et le discours sur les faits dans les maté­
riaux qu'il se propose d'analyser il y retrouve immanquablement les structu­
res de la langue naturelle. Il construit en fait "une linguistique de mode" sur
ANALYSE DES PHENOMENES SEMIOTIQUES 3

le modèle de la linguistique structurale. Par cette sorte de tautologie


méthodologique il est fatalement conduit à attribuer à l'objet original des
caractères universels qui ne sont guère que la "retraduction en mode" des
universaux de méthode de la linguistique structurale.
Sans assumer complètement les présupposés si clairement affirmés par
Barthes, les sémiologues de l'Ecole de Paris ou de l'Ecole de Tartu n'en
mettent pas moins, en toutes circonstances la linguistique au poste de com­
mandement. Nous avons déjà souligné l'intention normative justifiée par
Greimas et Courtès par la nécessité de tenir compte que la linguistique se
trouve à l'origine de la réflexion sémiotique. Cette affirmation, par ailleurs
discutable, ne peut constituer en aucune manière une justification. Qu'elle
traduise l'importance des signes linguistiques dans les pratiques humaines
nous en conviendrons aisément, mais rien n'autorise à aller au-delà de cette
simple constatation et à en tirer un principe hiérarchique. Ce pas Greimas
et Courtès le franchissent allègrement en distinguant les macrosémiotiques
que sont les langues naturelles des "minisémiotiques" non linguistiques tan­
dis que les sémiologues russes parlent de "systèmes modélisants secondai­
res". Le concept de textualisation résume à lui seul cette attitude:
la textualisation est l'ensemble des procédures — appelées à se constituer
en syntaxe textuelle — qui visent à constituer un contenu discursif, anté­
rieurement à la manifestation du discours (souligné par nous) dans telle ou
telle sémiotique. (Greimas et Courtès, 1980)
On ne saurait mieux montrer la place assignée à la linguistique textuel­
le, matrice de toutes choses, ou grille de lecture a priori suivant laquelle lire
toute manifestation sémiotique. On ne saurait mieux refuser de considérer
les signes comme observables, ce qui est d'ailleurs explicitement admis par
l'Ecole de Paris:
Pour certaines sémiotiques, le signe est d'abord un observable; dans la
perspective de l'Ecole de Paris, c'est d'abord un objet construit. (L'Ecole
de Paris, 1982).
Cela signifie clairement qu'à l'instar de Barthes qui retrouve les struc­
tures de la langue dans le discours de mode, l'Ecole de Paris va les retrou­
ver dans tous les domaines auxquels elle va appliquer sa démarche. Le dan­
ger encouru dans l'utilisation de telles méthodologies comportant des a
priori c'est précisément de prendre l'effet de l'application (et il faut prendre
ce mot au sens de "placage" et non pas de "mise en pratique" ) de la métho­
de à un objet pour une propriété de l'objet auquel on l'applique. Car au
4 L'ALGEBRE DES SIGNES

lieu d'apercevoir que cette propriété est la simple retraduction d'une pro­
priété de la langue on peut s'imaginer tenir une qualité cachée de l'objet; et
si, par la suite, le même objet se présente en toute clarté on ne le reconnaît
plus par suite de la disparition de ce qu'on aura cru être un élément décisif
de l'intelligibilité de l'objet. La méthode aura alors créé de toutes pièces un
obstacle épistémologique. Dans "Comment rendre nos idées claires" (Peir-
ce, 1879) souligne particulièrement bien les possibilités de confusion intro­
duites par le langage (et nous ajouterons qu'elles sont démultipliées lors­
qu'on donne à la langue une place centrale dans une théorie):
Mais affirmer qu'il y a des perles au fond des mers, des fleurs dans les soli­
tudes vierges, etc..., ce sont là des propositions qui, comme ce que nous
disions d'un diamant pouvant être dur alors qu'il n'est pas serré, touchent
beaucoup plus aux formes du langage qu'au sens des idées" (CP 5.409).
C'est la raison pour laquelle nous posons a priori, comme garant de la
scientificité de notre approche ou du moins comme ne ruinant pas notre
tentative dès l'origine, que les définitions fondatrices de la sémiotique doi­
vent manifester une neutralité absolue vis à vis du champ des observables
dès lors qu'il est clairement délimité. Il se peut que des sémiotiques des
"régions du réel" , au sens bachelardien du terme, (et les faits de langue
constituent une région du réel) entretiennent des relations de dépendance,
ou que certaines structures découvertes dans l'une d'elles en surdétermi­
nent d'autres (et il est fort possible que certaines structures linguistiques se
révèlent être universelles). Une démarche scientifique bien conduite doit
mettre en évidence ces relations hiérarchiques, si elles existent, à titre de
résultats. Il n'est pas question de les ériger en a priori, à moins que l'on
considère qu'il s'agit d'un acquis, ce qui n'est guère qu'une opinion dans
l'état actuel des sciences humaines. Nous nous efforcerons donc de faire ta­
ble rase de tout a priori pour aborder l'étude scientifique des signes.

2. Facticité et nécessité

Nous formons donc le projet de définir le signe en dehors de tout a priori,


de revenir aux choses mêmes en essayant de fonder la connaissance des si­
gnes sur l'observation empirique, en supprimant toute option métaphysi­
que. Par observation empirique nous entendons "des observations faites
sans aucune idée préconçue et dans le seul but de constater le fait" (Claude
Bernard, 1865).
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 5

Notre démarche vise donc, dans un premier temps, à déterminer la


nécessité qui est impliquée dans la facticité afin de dégager ce qui est essen­
tiel à un signe. Quand nous parlons de facticité à propos des signes, nous
entendons les signes considérés comme objets d'expérience causes de per­
ceptions qui permettent de les opposer à d'autres objets d'expérience par
un certain nombre de caractères fondamentaux que nous nous efforcerons
de dégager en nous appuyant sur les analyses de Peirce, pour l'essentiel.
Les caractères fondamentaux ainsi sélectionnés constitueront alors les traits
définitoires de la catégorie de signe.
Cette distinction entre objets d'expérience est rendue nécessaire par
l'observation que chacun de nous peut faire à tout moment, à savoir que
certaines perceptions d'objets sont la cause de la présence à notre esprit
d'autres objets, réels ou non, distincts des objets directement perçus et ab­
sents du champ actuel de l'expérience. C'est ce qu'exprime Peirce dans MS
840:
Chaque objet d'expérience excite une idée de quelque sorte; mais si cette
idée n'est pas suffisamment associée et de manière convenable, avec quel­
que expérience préalable, capable de focaliser l'attention, il ne sera pas un
signe.
Il y a donc, non pas deux sortes d'objets d'expérience, car le même ob­
jet peut être signe pour un interprête et ne pas l'être pour un autre, mais
deux sortes d'expériences d'objets: celles qui sont associées par un inter­
prête à des expériences préalables et celles qui ne le sont pas. C'est cette
observation empirique qui nous permet de distinguer les signes comme faits
parmi les faits. Nous délimitons ainsi le champ de notre étude. En précisant
qu'il était constitué par des expériences d'objet nous avons souligné qu'il
relevait d'une phénoménologie, en prenant phénomène au sens husserlien
de fait conditionné à la fois par une réalité extérieure et par une activité in­
térieure. Il y a donc deux sortes de phénomènes: ceux qui sont associés à
des expériences préalables et ceux qui ne le sont pas. Nous appellerons les
premiers, ceux que nous étudions, phénomènes sémiotiques. Les associa­
tions que nous considérons sont des associations de facto ce qui exclut, a
priori, toute intention normative. Notre projet consiste donc à décrire le
fonctionnement des signes dans la vie sociale à partir de l'observation de
cette dernière afin de construire un modèle formel valable pour chacun de
ces signes. C'est exactement la démarche proposée par Peirce:
En décrivant cette doctrine comme "quasi-nécessaire ou formelle", je veux
dire que nous observons les caractères des signes que nous connaissons et
6 L'ALGEBRE DES SIGNES

que de cette observation, par un processus que je n'aurai pas d'objection à


appeler abstraction, nous sommes conduits à des énoncés, éminemment
faillibles, et par conséquent en un sens nullement nécessaires, concernant
ce que doivent être les caractères de tous les signes utilisés par une intelli­
gence "scientifique", c'est-à-dire une intelligence capable d'apprendre par
expérience" (2.227).
Et lorsque Peirce précise que ce processus d'abstraction qu'il nomme
"observation abstractive" est une faculté qui nous permet "de parvenir à
des conclusions portant sur ce qui serait vrai des signes dans tous les cas, à
condition que l'intelligence qui l'utilise fut scientifique", il exprime dans
son langage cette idée, qu'au travers de la multitude des faits singuliers on
peut déceler une nécessité dont le modèle formel sera l'expression. Mais
cette recherche ne sera jamais qu'un moment du processus de la connais­
sance. Ses* formulations sont soumises à la communauté des chercheurs ce
qui fait de la sémiotiquè
une science d'observation comme n'importe quelle science positive, bien
qu'elle diffère nettement des sciences particulières du fait qu'elle vise à
découvrir ce qui doit être et non simplement ce qui est dans le monde réel
(2.227).
Donc ce qui pour nous est constitutif de la classe des signes comme
classe de phénomènes par opposition aux phénomènes "ordinaires", c'est la
présence à l'esprit de l'interprête, en plus de l'objet d'expérience directe
lui-même, d'objets absents du champ de l'expérience, ici et maintenant.
Cependant ce serait limiter singulièrement ce champ que de ne considérer
que des expériences mettant en jeu des objets extérieurs. Toute pensée ob­
jectivée dans une autre pensée peut être un signe. Il faut donc considérer
que le champ de l'expérience inclut l'expérience des objets "internes" , ce
qui nous conduit nécessairement à considérer l'aperception interne aux cô­
tés de l'aperception externe, à élargir l'expérience préalable à celle de ces
objets et la phénoménologie à l'apparaître de ces objets externes ou inter­
nes. La notion de "présence à l'esprit" qui sera précisée dans le chapitre
suivant, présente l'avantage de pouvoir s'appliquer sans distinction aux
deux types d'objets considérés. Pour l'instant, nous nous bornerons à lui
donner le sens étymologique de: "qui est devant l'esprit" , plus précisé­
ment: "qui est appréhendé par un acte conscient de l'esprit".
C'est cet objet, présent à l'esprit hic et nunc, qui est pour nous, l'objet
d'expérience directe, qu'il soit externe ou interne.
D'ores et déjà nous devons distinguer cette notion de "présence à l'es-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 7

prit" de celle de "manifestation" . En effet, Derrida (1967) repris par Dele-


dalle (1979) soutient que:
selon la phanéroscopie ou phénoménologie de Peirce la manifestation elle
même ne révèle pas une présence, elle fait signe. La dite "chose même" est
toujours et déjà un representamen soustrait à la simplicité de l'évidence in­
tuitive.
Si l'on donne à la manifestation le statut de signe (signe d'une chose
qu'elle qu'elle soit) il devient impossible de définir le signe. En effet la ma­
nifestation, ainsi objectivée, devient elle même objet d'expérience, tandis
que ce dont elle est la manifestation, la chose manifestée, devient ce que
nous avons appelé l'autre objet. Alors l'expérience d'objet c'est l'expérien­
ce de la manifestation ainsi objectivée ce qui nous conduit logiquement à
considérer la manifestation de la manifestation qui sera un signe de la mani­
festation et ainsi de suite. On se trouve donc devant une régression à l'infini
et donc devant l'impossibilité de remonter à cet autre objet dont la chose
manifestée peut être le signe, au sens ordinaire du mot. Si tout est signe,
rien n'est signe; le signe est indéfinissable, toute sémiotique est alors exclue
au bénéfice d'une phénoménologie de la manifestation. L'idée fondamenta­
le, constitutive de la catégorie de signe, d'association de deux objets dont
l'un est directement présent et l'autre indirectement (c'est-à-dire au travers
d'une expérience préalable associée à l'aperception actuelle) disparaît, à
moins de dire que l'objet qui se manifeste en manifeste simultanément un
autre. Il faudrait alors distinguer, pour ce dernier objet, ses manifestations
médiatisées (qui rentreraient dans le champ de notre étude) de ses manifes­
tations non médiatisées qui relèveraient de la phénoménologie "ordinaire".
Mais alors on ne pourrait pas expliquer pourquoi certains objets sont des si­
gnes pour certains interprètes et pas pour d'autres, car il faudrait supposer
que ces derniers sont à certains moments privés de la faculté de percevoir
certains types de manifestations, à savoir ces manifestations non médiati­
sées, et il n'y a aucune raison de faire une hypothèse aussi restrictive et par­
ticulière. Nous ne pouvons pas dissocier la manifestation de la chose, de la
chose elle-même, même pour en faire un signe de cette chose, car la mani­
festation est la chose dans son actualité. Au même titre que Peirce écrit:
"Ainsi mon langage est la somme totale de moi même", on peut dire que la
somme totale des manifestations d'une chose à des esprits est la chose
elle-même.
En fait manifestation et présence à l'esprit sont deux notions étroite­
ment liées. Si l'on considère la relation qu'entretient une chose avec un es-
8 L'ALGEBRE DES SIGNES

prit, la manifestation désigne ce qu'est l'esprit dans cette même relation.


Autrement dit la manifestation de la chose à l'esprit est du côté de la chose,
tandis que la présence de l'esprit à la chose est du côté de l'esprit. En choi­
sissant de définir et de délimiter notre champ d'étude à l'aide de la notion
de présence à l'esprit nous renvoyons la manifestation à la chose et nous in­
troduisons la chose comme produit d'une inférence portant sur la manifes­
tation, le résultat de cette inférence étant précisément la présence à l'esprit
de la chose. On peut résumer et formaliser la combinatoire de ces concepts
par l'équation suivante:
inférence (manifestation) = présence à l'esprit
à rapprocher d'une équation du type f(x) = y, ce qui indique donc que tou­
te présence à un esprit d'une chose est le résultat d'une inférence réalisée
sur une manifestation de cette chose. C'est une façon de rendre compte
comment dans la présence à l'esprit d'une chose la chose et l'esprit sont,
pour ainsi dire, soudées: la chose y est manifestée, l'esprit y est activement
présent par une de ces spécificités, c'est-à-dire l'inférence.
Dans MS 801 (non daté) intitulé: "Logic: Regarded as a study of the
general nature of signs" , Peirce décrit le réveil d'un voyageur qui ouvre les
yeux après un long et profond sommeil. Il quitte son lit, se rend à la salle de
bains et perçoit deux choses nickelées qu'il identifie comme étant des robi­
nets. Il ne perçoit pas qu'ils sont des robinets dit Peirce mais il l'infère c'est-
à-dire qu'il les identifie comme tels au travers de signes. Ces signes sont:
leur position relativement au baquet, leur forme générale et leur éclat mé­
tallique:
L'apparence des robinets, ce à quoi ils ressemblent joints à l'insistance et
à la vivacité du fait qu'ils ont cette apparence sont un signe de la chose
réelle qui est derrière les apparences; et la réalité de leur être-là et d'être
réellement des choses métalliques dures formées comme elles le sont et
fixées où elles sont, sont des circonstances qui sont des signes qu'ils se
comporteront comme des robinets. Mais ni l'un ni l'autre de ces deux si­
gnes, ni, je pense, l'apparence ni les choses réelles ne sont par eux-mêmes
seuls les signes qu'ils sont.
L'apparence représente la chose réelle en étant causée par elle. Les
ondes de lumière réfléchies par la chose produisent des modifications chi­
miques, c'est ce qui est supposé, dans le nerf, et de quelque mystérieuse
manière ceux-ci impliquent la sensation de lumière qui doit être d'une ma­
nière ou d'une autre la vraie nature de ces changements. Toutes ces choses
coopèrent en connectant l'apparence avec l'objet.
Donc, non seulement l'apparence n'est pas un signe de la chose mais
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 9

encore on ne peut inférer la chose réelle derrière l'apparence, — laquelle


inférence fait de l'apparence l'apparence de cette chose — que grâce à des
signes et la nature de ces signes est fondamentalement relationnelle. Les ro­
binets ne sont reconnus comme robinets que pour autant qu'ils sont des
éléments de la configuration "salle de bains". Tous ces éléments, sources de
relations, sont solidaires les uns des autres et aucun d'eux pris isolément
n'est signe de la chose dont il est l'apparence. C'est dans la totalité collecti­
ve, dans la perception du "tout-ensemble", que l'apparence acquiert son
statut d'apparence et corrélativement la chose son statut de chose. Ceci
prouve que pour Peirce il y a antériorité logique de la sémiotique sur la
phénoménologie. C'est finalement ce constat qu'effectue Derrida, à la dif­
férence près que la manifestation ne peut faire signe qu'au terme d'un pro­
cessus inférentiel qui en fait la manifestation d'une chose.
Peirce, prenant l'exemple d'une chaise qu'il voit de l'autre côté de sa
table de travail (7.619) insiste bien sur la différence entre un "percept" et
une "image": "le percept (res percepta) ne fait profession d'aucune maniè­
re, n'incorpore essentiellement aucune intention d'aucun genre, ne tient
lieu de quelque chose". Par contre l'image est quelque chose qui est destiné
à représenter, qui virtuellement fait profession de représenter. La chaise
dit-il s'impose à son regard mais pas comme un député de quelque chose
d'autre, non comme autre chose: "Elle cogne simplement au portail de mon
être et reste ici dans l'entrée".
Ce percept est ensuite, après "contemplation" (7.626), l'objet d'un ju­
gement perceptuel ("ceci apparaît être une chaise jaune") et percept et ju­
gement perceptuel sont de natures radicalement différentes. Ce que nous
disons percevoir c'est en fait la juxtaposition d'un percept et d'un jugement
perceptuel, que Peirce propose d'appeler "percipuum" en 7.629. On recon­
naît là le fondement des théories illatives de la perception pour lesquelles
l'objet de toute perception n'est obtenu que par inférence. Nous verrons
plus loin comment Peirce combine cette conception avec ses catégories pha-
néroscopiques. Cependant il faut noter que l'adjonction du jugement per­
ceptuel au percept a introduit un élément nouveau qui confère au perci­
puum un certain caractère de signe, mais dans un sens qui ne menace pas
notre construction théorique. En effet remarque Peirce, le sujet du juge­
ment perceptuel, comme sujet est un signe (7.635) mais dit-il appartient à
une catégorie de signes dont les qualités comme objets n'ont pas de rapport
avec leur caractère signifiant et il conclut qu'il aurait plutôt de transcrire le
jugement perceptuel "cette chaise est jaune" plus fidèlement par " est
10 L'ALGEBRE DES SIGNES

jaune", un doigt pointé prenant la place du sujet. La manifestation, que


nous avons identifiée au percept, ne saurait être un representamen de la
chose; tout au plus lorsqu'elle est l'objet d'un jugement perceptuel peut on
considérer qu'elle fait indirectement signe en permettant l'élaboration
d'une proposition du genre: "il y a là une chose qui est prédicable des qua­
lités éprouvées dans le percept". Tout phénomène "ordinaire" toute pré­
sence à l'esprit est logiquement le résultat d'un "percipuum" et il n'est pas
nécessaire de faire la différence entre objets externes et objets internes,
bien que pour ces derniers l'attribution de qualités relève évidemment de
l'arbitraire. Il n'y a pas de différence quant aux questions qui nous occu­
pent, entre la proposition "cette chaise est jaune" et "le martien dont j'ai
rêvé était vert". L'une et l'autre sont la transcription de jugements percep-
tuels dont l'un a produit la présence à l'esprit d'une chaise jaune, l'autre
d'un martien vert. L'un et l'autre ont le même statut; simplement les quali­
tés dont nous pouvons prédiquer la chaise nous sont dictées par le percept
dont elles sont constitutives, tandis que celles dont nous pouvons prédiquer
le martien sont soumises à notre fantaisie. Les percepts, écrit Peirce, sont
des signes pour la psychologie, mais ils n'en sont pas pour la phénoménolo­
gie (8.300).
Revenant aux signes et aux phénomènes sémiotiques nous pouvons
conclure qu'un signe est un objet d'expérience qui se distingue des autres
objets par le fait que les percepts dont il est la cause donnent lieu à un per­
cipuum et à autre chose qui conduit à la présence à l'esprit d'un autre objet,
connu par ailleurs. La question est posée de savoir si la venue à l'esprit de
cette autre chose est due à une autre inférence, un autre jugement percep­
tuel portant sur le même percept ou bien s'il y a lieu de forger une autre hy­
pothèse.
Qu'un même percept puisse donner lieu à plus d'un jugement percep­
tuel est un fait bien connu que des expériences classiques en psychologie
ont largement mis en évidence. Les images dites ambivalentes et, en parti­
culier, celle de Dr. E.F. Boring (Figure 1) sont largement concluantes.
Toutes ces expériences mettent en évidence que la perception est un
processus de sélection au cours duquel sont choisis, non seulement des élé­
ments du percept, mais encore la façon dont ils sont assemblés pour former
les totalités perçues. Arrêtons-nous un instant sur cette image. Que nous
percevions la "jeune femme frivole" ou "la vieille dame morose" les excita­
tions de notre rétine sont les mêmes ce qui prouve que nous sommes capa­
bles de deux choix perceptifs. Mais il ne s'agit pas de choix de type "ensem-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 11

Figure 1.

bliste" c'est-à-dire du choix d'un sous-ensemble de sensations visuelles as­


socié à la jeune femme et d'un autre choix qui serait associé à la vieille
dame. Il s'agit du choix de deux configurations: chaque élément retenu
dans un choix est incorporé dans une configuration qui le solidarise avec les
autres et les éléments communs aux deux choix sont donc réarrangés lors­
qu'on change de perception. Ainsi l'oeil gauche de la vieille dame, par
exemple, ne peut être saisi comme tel que grâce à la place qu'il occupe dans
un réseau d'oppositions aux autres éléments: nez, cheveux, coiffe et l'on
peut dire la même chose de son nez, de ses cheveux, de sa coiffe. Dans un
autre réseau d'oppositions il est perçu comme étant l'oreille gauche de la
jeune dame et dans ce cas il est situé par rapport à son menton, son nez, ses
cils et ses cheveux. Notons la place centrale qu'occupe l'oeil/oreille dans ce
dessin. Repéré par rapport au triplet (nez, cheveux, coiffe) il est oeil, mais
rapporté au triplet (menton, nez-cil, cheveux) il devient oreille et la percep­
tion bascule de la vieille dame vers la jeune femme. Ce mouvement de bas­
cule est d'ailleurs aidé par la présence de la plume qui appartient à la confi­
guration "jeune femme" mais qui doit être oubliée, c'est-à-dire exclue du
choix perceptif dans la configuration "vieille dame". Par contre la configu­
ration "jeune femme" exige l'oubli de cette sorte de foulard aux dimensions
12 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 2.

vraiment peu usitées et d'un volume qui, même s'il est relativement minoré
par la proximité de l'imposant manteau de fourrure, est peu compatible
avec les traits graciles du visage.
Dans les diagrammes de la Figure 2 les points représentent les élé­
ments pertinents qui font l'objet des deux arrangements correspondant aux
deux choix perceptifs, chacun de ces choix étant précédé d'une sélection.
On peut observer que seuls les cheveux et le manteau ont la même destina­
tion dans les deux diagrammes. C'est pourquoi nous avons représenté un
axe passant par ces deux points pour souligner que les choix perceptifs s'ef­
fectuent par une sorte de mouvement de bascule autour de cet axe qui rem­
plit la fonction d'invariant géométrique. Il suffit de choisir la destination
d'un seul élément (et l'un des deux choix possibles nous est la plupart impo­
sé par la prégnance biologique de l'élément considéré, problèmes que nous
examinerons plus loin) distinct des cheveux et du manteau pour détermi­
ner, par le jeu des relations de proximité, tous les autres et se trouver dans
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 13

l'une ou l'autre configuration. Le rôle de la plume dans la configuration


"jeune femme" mérite d'être souligné. Sa prise en compte comme "ai­
grette" facilite la perception de cette configuration relativement à l'autre
dans laquelle elle doit être oubliée, et il serait intéressant de savoir pour­
quoi cet élément, qui n'est pas nécessaire, a été incorporé dans le dessin.
Peut-être fallait-il alléger les éléments lourds, bizarres et peu vraisembla­
bles par leur volume que sont, dans cette configuration, le foulard et le
manteau, afin d'obtenir une image véritablement ambivalente.
L'analyse de cette image ambivalente nous conduit à la conclusion
qu'un même percept peut donner lieu à plus d'un jugement perceptuel mais
aussi que chaque jugement perceptuel est un choix de configuration d'élé­
ments prégnants. L'ambivalence de cette image joue sur les proximités rela­
tives, les positions relatives de ces éléments (qui sont des données objecti­
ves, repérables par leurs coordonnées dans un système d'axes du plan de la
feuille). Elle est renforcée par l'utilisation de la perspective et de profils ar-
chétypiques voisins suivant les perspectives choisies pour représenter cha­
cun d'eux (oeil/oreille, nez/menton, e t c . ) . Chacun de ces éléments paraît
se comporter lui-même comme une unité indécomposable, un pattern. Ce­
pendant une analyse en profondeur de chacun d'eux montrerait qu'ils sont
eux-mêmes produits par des arrangements de traits et de tâches en configu­
ration spécifiques.
D'ailleurs les deux diagrammes représentés figure 2 peuvent eux-mê­
mes être assimilés à des patterns (pattern signifiant pour nous une configu­
ration qui s'établit immédiatement par la force de l'habitude, mais nous au­
rons l'occasion de revenir sur ces distinctions). On serait alors conduits à
distinguer deux niveaux successifs d'organisation du ou des percipuum, en
considérant que le niveau de l'arrangement des tâches et des traits est dé­
terminant, dans le sens ou le choix de l'oreille ou de l'oeil détermine entiè­
rement l'une ou l'autre perception de l'ensemble de l'image. En définitive
ce sont deux séries "configurées" de prégnances biologiques, au sens ou
l'entend René Thom, qui nous sont proposées et c'est selon nos sensibilités
relatives personnelles à l'une ou l'autre série, ou à l'un ou l'autre des élé­
ments déterminants de chaque série que nous portons l'un ou l'autre juge­
ment perceptuel — ce qui nous met dans l'une ou l'autre perception cau­
sant la présence à notre esprit d'une "jeune femme frivole" ou d'une "vieil­
le dame morose", les deux ayant d'ailleurs un caractère extrêmement vague
inhérent au type de représentation.
Pour René Thom, une forme extérieure est prégnante pour un sujet si
14 L'ALGEBRE DES SIGNES

la perception de cette forme suscite en lui des réactions neuro-physiologi­


ques de grande ampleur. Il distingue les prégnances biologiques, liées aux
grandes régulations de l'être vivant, de la saillance, caractère frappant d'un
stimulus sensoriel. Interprétant l'expérience classique du chien de Pavlov
(rappelons qu'il tente de décrire la constitution du langage humain à partir
de la communication animale) il conclut que la prégnance biologique tend
à contaminer par contiguïté spatio-temporelle les formes saillantes, lesquel­
les pourront induire par continuité des formes inductrices secondaires.
D'où son hypothèse générale (Thom 1984:156) que "tout système culturel
d'intelligibilité est construit à la manière d'une prégnance animale, par une
succession de contagions par continuité et de contagions par similarité" ce
qui lui permet de concevoir "la constitution du langage humain comme le
résultat d'une explosion des grandes prégnances biologiques sur une ribam­
belle de formes induites par l'apprentissage social" (1984:154). Notre pers­
pective n'étant pas a priori génétique nous ne retiendrons de sa démarche
que la distinction qu'il établit et qui nous semble particulièrement pertinen­
te entre éléments prégnants et non-prégnants. Pour nous les premiers sont
ceux qui seront retenus comme pertinents dans ces configurations percepti­
ves tandis que les autres seront purement et simplement ignorés, oubliés.
Dans le cas de la perception d'objets "externes" ces éléments seront rete­
nus dans le choix perceptif parce qu'imposés au sujet par le retentissement
qu'ils ont sur lui, comme lui seront imposées leurs proximités, que ce soit
dans l'espace ou dans le temps. Le sujet ne jouit d'aucune liberté quant au
choix de ces éléments mais peut-être sa liberté est-elle plus grande dans le
choix des configurations même si, comme nous l'avons fait observer, certai­
nes configurations (archétypes, stéréotypes,...) peuvent être dotées, elles
aussi, de la même prégnance. La liberté dont jouit le sujet vis-à-vis des ob­
jets "internes" est presque totale quant aux configurations, évidemment,
les éléments ne pouvant être que ceux-là mêmes qu'il a mémorisé dans la
perception des objets externes. La plus monstrueuse des chimères, la fic­
tion la plus échevelée est toujours construite comme une configuration
d'éléments déjà connus, hypertrofiés ou non, assemblés de manière inhabi­
tuelle, car c'est la loi du genre, mais inévitablement empruntés à l'expérien­
ce ordinaire.
Avant de revenir à la question posée sur la perception d'un signe il
nous reste à dire que nous ne limiterons pas la notion de prégnance à la
prégnance biologique. Cette dernière est, à notre sens, beaucoup trop ré­
ductrice pour être utilisée dans le cas des signes conventionnels par exem-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 15

ple, et le mécanisme de la contagion des formes induites par l'apprentissage


social trop obscur. Peut-on raisonnablement imputer à la prégnance biolo­
gique la signification qu'a pour un sujet la vision des numéros (pourtant ab­
sents) qu'il a joués dans une loterie sur la liste des résultats du tirage? Il en
est de même pour la plupart des signes conventionnels. Les conceptions vi-
talistes de René Thom ne permettent pas de rendre compte de ces situa­
tions purement conventionnelles dans lesquelles les formes les plus dégra­
dées ou morphologiquement insignifiantes peuvent avoir une prégnance
très forte pour un individu particulier.
On peut encore trouver d'autres cas où la prégnance peut être très for­
te mais ne concerne qu'un nombre limité d'individus, voire même un seul
individu, en examinant le cas des caractères biologiques réputés nonpre­
gnants, comme dans le fétichisme par exemple. L'idée de prégnance, dans
la mesure où on ne l'universalise pas sous sa forme biologique, et où on ad­
met qu'elle peut être présente dans des contextes particuliers impliquant
des individus particuliers nous paraît pertinente pour expliquer la sélection
des éléments du percept. Quelquefois les choix perceptifs peuvent être ra­
menés à la manifestation de certaines prégnances mais ce n'est pas cette hy­
pothèse qui peut permettre de rendre compte de l'ensemble des phénomè­
nes sémiotiques observés dans la vie sociale. On peut admettre que dans un
phénomène "ordinaire" le choix perceptif soit fait sur la base d'éléments
physiologiquement prégnants; on peut admettre que des éléments physiolo-
giquement prégnants dans un objet "évoquent" d'autres objets qui en sont
pourvus eux-mêmes de manière caractéristique. On pourrait ainsi fonder
une sémiotique des signes pour lesquels la "contagion" est explicitable.
Mais il est difficile d'admettre — car cela relèverait d'une pétition de princi­
pe — que, pour tout signe, il est possible de trouver une chaîne continue
qui relie les prégnances originelles aux objets évoqués. Il s'agit d'une hy­
pothèse de travail qui à notre sens bute sur le signe artificiel, totalement im­
motivé, voire aléatoire, dont il faut aussi rendre compte.
Résumons notre démarche telle qu'elle résulte des considérations que
nous venons d'exposer afin de répondre à la question relative à la venue à
l'esprit de cet autre chose que l'objet d'expérience immédiatement présent:
tout objet d'expérience produit un percept dans lequel, pour des raisons qui
tiennent aussi bien aux capacités réactionnelles biologiques du sujet qu'au
contexte — au sens le plus large — de la perception, sont sélectionnés des
éléments prégnants. Dans le cas des phénomènes "ordinaires" ces éléments
sont organisés dans une configuration qui est corrélative de la présence à
16 L'ALGEBRE DES SIGNES

l'esprit du "sujet" de l'objet d'expérience. Dans le cas des phénomènes sé-


miotiques, en plus du choix perceptif décrit ci-dessus, il y a un second choix
perceptif, une seconde configuration qu'il est possible de former et qui est
corrélative de la présence à l'esprit du "sujet" d'un autre objet, le plus sou­
vent absent du champ de l'expérience. Les réponses qui nous restent à ap­
porter concernent le comment et les conditions de la formation de ce se­
cond choix perceptif, sa liaison avec le premier choix et le rôle exact de l'in­
terprète du signe. Pour nous aider dans cette tâche nous disposons, en par­
ticulier, de l'énorme travail de réflexion sur le signe de C.S. Peirce, travail
qui s'échelonne sur plus de 40 ans mais qui se présente sous une forme telle
que ceux qui n'ont jamais feuilleté les Collected Papers dans lesquels des
textes séparés quelquefois par des dizaines d'années se font suite en télesco­
pant des points de vue différents sur un même sujet, auront du mal à imagi­
ner. L'état des manuscrits disponibles sous forme de microfilms (la corres­
pondance n'y figure pas) n'offre pas les recours espérés: brouillons, réécri­
tures multiples, départs de textes, morceaux de textes voire simples griffon­
nages, souvent non-datés y foisonnent. Le tout est aggravé par les digres­
sions et les références ou renvois absents que s'autorisait quelquefois Peir­
ce. Un examen honnête de l'ensemble amène à la conclusion que, pour ce
qui nous occupe, il n'est pas sérieux de dire que Peirce apporte une réponse
indiscutable qui nous permettrait de nous retrancher derrière son autorité
(ce qu'il n'aurait pas approuvé d'ailleurs). Par exemple il n'est pas possible
de dire que Peirce donne une définition opératoire du signe, à moins de
considérer que l'énoncé du mot signe et de ses deux corrélats, l'objet et l'in­
terprétant, sans autre précision, constitue une définition satisfaisante. C'est
un point de vue que nous ne pouvons évidemment pas admettre sinon nous
ne nous poserions pas les questions que nous nous efforçons de résoudre
présentement. Nous allons donc considérer la masse des 76 textes plus ou
moins définitoires du signe que nous avons pu relever dans l'ensemble des
documents à notre disposition comme un réservoir d'idées dans lequel nous
pourrons puiser. Il est possible que nos choix dans ce vaste ensemble ne
soient pas partagés par le lecteur. Cependant nous nous efforcerons de le
convaincre de leur cohérence par la rigueur de notre démarche et par un
souci constant d'explicitation. De plus nous ferons observer que les carac­
téristiques mêmes du relevé — certainement non exhaustif mais d'une re­
présentativité assurée quant aux diverses conceptions que forma Peirce sa
vie durant — ne permettront sûrement pas à qui que ce soit de nous oppo­
ser un quelconque argument d'autorité. En d'autres termes il n'y a pas vrai-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 17

ment de définition peircienne du signe. Il y a par contre à utiliser au mieux


les travaux de Peirce pour établir une définition opératoire du signe, une
définition qui réponde à notre propos, tel qu'il a été clairement énoncé, de
décrire de manière satisfaisante le fonctionnement des signes dans la vie so­
ciale.

3. Les conceptions Peirciennes du signe

Les 76 textes regroupés dans l'Annexe A et, pour les textes 1 à 60, classés
chronologiquement, s'échelonnent de 1865 à 1911. Une brève étude de la
dispersion dans le temps des textes datés montre que plus de 80 % des tex­
tes ont été produits après 1902 c'est-à-dire après que Peirce eut dépassé la
soixantaine. On note une pointe en 1903, année des conférences Lowell.
En outre, si l'on en juge par leur contenu, la plupart des textes non datés,
et notamment les huit définitions rassemblées dans MS 793 sont de la même
période. Notre propos n'étant pas d'étudier l'évolution de la pensée de
Peirce en général nous nous intéresserons seulement aux différentes
conceptions du signe qu'il nous propose si, toutefois, on peut parler
d'abord de leurs différences avant de souligner leur unité. Est-il besoin de
rappeler que l'unité fondamentale de ces conceptions est réalisée par l'affir­
mation sans cesse renouvelée du caractère "ternaire" du signe? Nous écri­
vons "ternaire" pour l'instant, nous réservant de qualifier ce caractère fon­
damental de "triadique" quand nous en aurons reconnu la nécessité. En
qualifiant le signe peircien de "ternaire" nous mettons simplement en évi­
dence la présence dans toute définition explicite ou implicite du signe selon
Peirce, de trois éléments constitutifs.
Sur la dénomination de ces trois éléments Peirce a varié pour des rai­
sons qu'il a quelquefois explicitées. N'oublions pas qu'il est l'auteur d'une
très rigoureuse morale terminologique (2.219 à 2.226).
Pour désigner l'objet d'expérience directe nécessairement à l'origine
de tout phénomène sémiotique Peirce utilise les mots "représentation",
"representamen" et surtout "signe". Il n'utilise le terme "representation" à
cet effet que dans les textes n°l (1865), 6(1873) et 74 (n.d.), les autres utili­
sations de ce terme désignant l'acte ou le fait de représenter, comme dans
les textes 10,19, 27, 50, 52. Dans le texte n°61, ce mot est donné comme sy­
nonyme de "signe". Il n'y a pas de raison de retenir ce terme.
Par contre on peut s'intéresser de très près aux différents emplois et
18 L'ALGEBRE DES SIGNES

aux distinctions entre signe et representamen que Peirce donne d'abord


comme synonymes (n°9,1897) avant de faire la distinction (n°19, 1903) pour
décider finalement d'abandonner "representamen" (n°31,1905) puisque dit-
il l'usage populaire du mot "signe" est très proche du sens exact de la défi­
nition scientifique. Ce faisant il décide de ne plus tenir compte de la distinc­
tion formelle nettement établie en 1903 (n°22,1903). La raison profonde de
l'abandon de cette distinction nous la trouvons dans cette constatation,
maintes fois faite par Peirce, qu'il ne lui a pas été possible d'observer un
seul representamen qui ne soit pas un signe. Nous verrons plus loin à l'occa­
sion de la définition de l'interprétant l'intérêt théorique de ces préoccupa­
tions en apparence plutôt futiles. En désaccord avec de nombreux auteurs
et notamment avec Gérard Deledalle, mais en accord semble-t-il avec Peir­
ce puisqu'après 1905 il n'utilise plus le mot representamen dans aucune dé­
finition sauf vers 1911 dans le texte n°57. Cependant, la date qui est assi­
gnée à ce texte étant une estimation il est permis de la mettre en doute, et
comme de toute façon Peirce l'utilise dans ce texte dans un sens restreint,
équivalent à légisigne, il n'y a pas lieu de conserver cet "horrible mot" et
"signe" devrait convenir. Il y aurait peut-être intérêt d'un autre côté à
conserver representamen afin de concrétiser les différences de conceptuali­
sation des phénomènes sémiotiques entre les traditions Saussuro-Hjelmsle-
vienne et Peircienne. Mais l'adoption de ce point de vue serait une sorte de
renoncement aux débats sur la nature profonde de ces phénomènes entre
ces deux traditions, l'acceptation passive du fait que l'une et l'autre tradi­
tion doivent se développer indépendamment et donc se priver des clartés
que l'ouverture de conflits peut amener dans le champ sémiotique.
Pour désigner ce que nous avons jusqu'ici appelé l'autre objet, Peirce
emploie presque toujours le mot "objet" assorti de considérations qui en
font explicitement ou implicitement l'objet de l'objet d'expérience directe,
c'est-à-dire l'objet du signe. Parfois Peirce le désigne par l'expression
"quelque chose" et même dans le texte n°23 le signe est dit représenter un
aspect du "Vrai" (the "Truth" , le vrai univers), un autre representamen
dans le texte n°21, un sujet dans le n°53. De plus l'objet est souvent quali­
fié: Réel, Naturel ou Originel en plus de la distinction entre objet immédiat
et objet dynamique que nous étudierons dans une autre section. Il n'y a
malgré ces remarques aucun problème à appeler "Objet" cet autre objet
dont la présence à l'esprit est caractéristique des phénomènes sémiotiques.
Mais jusqu'ici notre démarche ne nous a pas naturellement conduit à
faire ressortir la nécessité d'un troisième élément, ou plutôt disons qu'il ne
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 19

s'est pas imposé irrésistiblement à nous. Cependant étant donnée la façon


dont nous avons distingué les phénomènes sémiotiques des autres phéno­
mènes il est clair qu'un troisième élément est nécessaire, un élément capa­
ble de rendre compte de la liaison nécessaire des deux objets qui sont pré­
sents à l'esprit dans les phénomènes sémiotiques. Car si le signe, objet d'ex­
périence directe est distingué parce qu'il évoque un autre objet que lui-
même, parce qu'il donne lieu à un choix perceptif supplémentaire (au
moins) il réalise, par ce fait même, une association entre ces deux objets.
Que le signe soit l'un des deux objets ne change rien à l'affaire. Mais cette
association ne peut être conçue que dans l'esprit et par l'esprit auquel les
deux objets sont présents. Dans un signe in actu cette association est vérita­
blement factuelle; c'est un fait psychique que l'esprit qui porte deux juge­
ments perceptuels différents sur un même percept est dans un état spécial,
différent de celui dans lequel il est dans le cas des phénomènes ordinaires,
c'est-à-dire de la simple présentation d'un objet, du fait de cette bi-présen-
ce. Disons que cet état d'esprit donne à cet instant-là une existence réelle à
cette association, même dans les cas les plus "naturels". L'empreinte du
pied de Vendredi dans le sable ne vaut pour une présence humaine que par
l'association que fait Robinson même si sa production et donc son existence
sont totalement indépendantes de l'esprit de ce dernier. Dans tout signe in­
tervient donc une détermination d'un esprit, distincte des deux objets qui
est donc un élément nécessairement impliqué dans la facticité du signe et
sans lequel on ne peut espérer décrire valablement les phénomènes sémioti­
ques. Le sujet est donc impliqué d'une certaine façon dans notre approche.
Nous préciserons ultérieurement comment nous envisageons de prendre en
charge cette implication du sujet. Pour l'instant enregistrons simplement
l'adjonction d'un troisième élément au Signe et à l'Objet, avec Peirce don­
nons lui le nom d'Interprétant et procédons à l'examen des diverses déno­
minations par lesquelles il a lui-même saisi cette nécessité.
Notons immédiatement que la dernière phrase du texte n°6 (1873) re­
couvre exactement ce que nous venons de développer:
l'idée de représentation elle-même excite dans l'esprit une autre idée et
pour qu'elle puisse faire ceci il est nécessaire qu'advienne un principe d'as­
sociation entre les deux idées qui serait déjà établi dans cet esprit.
On retrouve encore cette idée dans le texte n°64 (n.d):
Cet esprit doit le concevoir comme étant connecté avec son objet afin qu'il
soit possible de raisonner du signe à la chose
et dans le texte n° 58 (v.1911), l'Interprétant est:
20 L'ALGEBRE DES SIGNES

un effet mental spécial sur un esprit dans lequel certaine association a été
produite.
Un inventaire systématique des termes que Peirce utilise pour donner
un contenu au concept d'interprétant montre qu'il lui assigne, suivant son
propos du moment et la maturation de sa pensée, les caractéristiques sui­
vantes:
- il est une pensée ou pensée interprétante dans les textes n°, 8,10,18, 28.
- il est un effet déterminé ou créé ou modelé par le signe sur une personne,
un esprit ou un quasi-esprit dans les textes n°9,12,14,16, 21, 32, 33, 39, 40
(b,c,d e) 46, 47, 48, 49, 51, 56, 58, 61, 70, 75.
- il est une détermination d'un esprit ou quasi-esprit ou une influence sur
une personne ou un esprit, cette détermination ou influence étant réalisée
à travers le signe, l'objet en étant la cause médiate dans les textes n°34, 37,
40 (a,b,c,e,f,) 52.
- Il est un Troisième ("Third") qui suivant les cas est un troisième correlat
d'une relation triadique ou un "Tertian", c'est-à-dire un élément déterminé
par la Tiercéité, dans les textes n°13, 15, 20 22, 36, 69 (b,c,d,e). De plus
dans le n°30 il est qualifié de "correlat passif", et dans le n°76 il est un quasi-
patient.
- il est une signification, ou cognition, ou résultat signifié dans les textes
n°35, 37, 38, 40 (a,b).
- il est un signe du même objet en 11, 12, 16, 24, 25, 26, 27, 29, 54.
On voit que ces caractéristiques (en excluant la dernière qui est de na­
ture radicalement différente), peuvent être classées en deux groupes:
- Celles qui réfèrent à un signe in actu, qui saisissent donc ce troisième
élément du phénomène sémiotique dans sa particularité et qui sont prati­
quement réductibles à un effet sur une personne ou encore à une détermi­
nation d'un esprit, dans l'ici et maintenant de la perception.
- Celles qui réfèrent à un signe abstrait qui relèvent de l'analyse logique du
phénomène et participent d'une construction formelle, dans lesquelles l'in­
terprétant est qualifié de correlat d'une relation triadique.
Peirce avait beaucoup de mal à faire admettre cette conception, banale
aujourd'hui, d'un modèle formel du signe. Dans sa lettre à Lady Welby du
23 décembre 1908 il s'en plaint, en écrivant:
J'ai ajouté 'sur une personne' comme pour jeter un gâteau à Cerbère, parce
que je désespère de faire comprendre ma propre conception qui est plus
large.
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 21

En conclusion les conceptions peirciennes du signe nous conduisent à


retenir comme universaux théoriques résultant de l'analyse logique des
phénomènes sémiotiques, trois éléments fondamentaux:
- le Signe S, un objet d'expérience directe (objet "externe" ou "interne" ).
- l'Objet O, corrélativement présent dans le phénomène.
- l'Interprétant I corrélativement présent lui aussi.
Le lecteur aura remarqué que ces groupes et sous-groupes possèdent
des éléments communs puisque les caractères qui les fondent ne sont pas
exclusifs les uns des autres. Cependant en observant les numéros d'ordre
des textes constituant les sous-groupes et en se rappelant que les numéros 1
à 60 sont classés dans l'ordre chronologique, ce regroupement fait apparaî­
tre un changement significatif, sinon de doctrine, du moins d'approche de
cette liaison du Signe à son Objet. Il suffit en effet d'observer la prééminen­
ce presqu'absolue à partir du n°29 (1905) de la caractérisation de cette liai­
son en termes de détermination de S par  pour arriver à la conclusion que
Peirce a décidé de prendre en compte, vers 1905, le caractère dissymétrique
de cette relation, ce qu'il a exprimé en écrivant que si, dans un signe,  af­
fecte S, l'inverse n'est pas nécessairement vrai. La conséquence de ce chan­
gement sera l'abandon de la position centrale accordée à la triade dans l'ap­
proche globale du signe. En effet, définir a priori le signe comme triadique
implique que les relations dyadiques entre éléments pris deux à deux qui
sont induites par la relation triadique sont symétriques. Donc si l'on veut
préserver la dissymétrie de cette relation, il faut soit abandonner l'idée de
fonder le signe sur la notion de triadicité, soit apporter des correctifs (ce qui
serait assez peu praticable) soit changer de perspective, ce qui n'implique
pas de renoncer à la triadicité mais simplement de la faire intervenir à un
autre niveau de la démarche. Nous verrons aussi plus loin qu'une troisième
approche, plus tardive, fondée sur la notion de communication, tendra à
unifier les deux perspectives précédentes.
Pour ce qui est de la liaison entre Signe et Interprétant elle est invaria­
blement conçue, du moins chaque fois qu'elle est évoquée, comme une re­
lation de détermination (lorsqu'elle est évoquée dans un modèle formel),
un effet sur un interprète ou une détermination de l'esprit d'un interprète
(lorsqu'il s'agit de la description d'un signe in actu). Dans le texte n°49
(1909) l'Interprétant est même qualifié de "créature du signe" , conception
qui n'est pas sans poser de problème si on la rapporte à la nécessité, main­
tes fois soulignée par Peirce et rappelée par nous-mêmes dans la section
précédente, qu'une association soit présente dans l'esprit comme pré-réqui-
22 L'ALGEBRE DES SIGNES

sit pour qu'un signe fonctionne comme tel, ce qui exclut évidemment la
possibilité que le signe puisse créer l'Interprétant ex-nihilo. C'est ce que
Peirce reprend dans ce texte en précisant que l'Interprétant est créé par le
Signe "dans sa capacité à supporter sa détermination par l'Objet". Dans
une de ses approches les plus formelles dans laquelle il part de la relation
triadique (2.233 et s.q.q., Division of Triadic Relations) Peirce définit le
Representamen (voir texte n°22, v.1903) comme le premier correlat d'une
relation triadique authentique, autrement dit il considère que ce premier
correlat détermine le troisième correlat. Cela veut dire qu'à cette époque,
il aborde le signe par la triadicité à laquelle il ajoute un correctif: la déter­
mination de l'interprétant par le signe, les liaisons signe-objet et objet-in-
terprétant étant induites par la relation triadique, le signe lui-même étant
un représentamen particulier, à savoir un représentamen qui détermine un
interprétant particulier qui est l'"acte de connaître" d'un esprit ("a cogni­
tion of a mind").
En prenant en compte la dissymétrie de la relation Objet- Signe il a
donc, nous l'avons vu, abandonné la triadicité comme principe fondateur et
a eu recours à une nouvelle notion, liée à la mise en évidence des détermi­
nations successives (du Signe par l'Objet et de l'Interprétant par le Signe)
dans l'analyse du signe in actu, la notion de médiation. Il s'agit en fait d'une
reprise de cette notion déjà présente en 1867 ("représentation médiatrice"
dans le texte n°8) et en 1902 ("la médiation authentique est le caractère d'un
signe" dans le texte n°13). En 1904, triadicité et médiation apparaissent
dans le même texte (n°28). Cependant on peut constater que dans la plu­
part des textes postérieurs à 1905 qui mentionnent les deux déterminations
précitées, l'un des mots "médiation" ou "médium" ou le verbe "to media­
te" est présent (textes n°: 33, 37, 39, 40 (a,b,c,e,f) 46, 47, 48, 49, 51, 52). Il
s'agit d'une nouvelle approche théorique (car le terme "triade" ne figure
dans aucun de ces textes) qui est fondée cette fois sur la détermination de
l'Interprétant par l'Objet à travers le signe. Cette conception est partielle­
ment explicitée et formalisée dans le texte n°30 (1905) dans lequel la triade
est encore présente: le Signe y est présenté comme correlat passif dans sa
relation à l'Objet, laquelle relation est incorporée dans une relation triadi­
que de telle façon que l'Interprétant est mis dans une relation dyadique
avec l'Objet, induite par cette relation triadique. Ce qui ne figure pas dans
cette définition assurément la plus formalisée de toutes (et qu'on retrouve
au n°66 dans le manuscrit non daté n°793) c'est précisément la détermina­
tion de l'Interprétant par le Signe.
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 23

C'est dans le texte n°32 que le changement apparaît pleinement avec la


notion de "medium de communication". Le texte suivant (n°33) apporte
des précisions: un signe est "un medium pour la communication ou l'exten­
sion d'une forme (ou figure)". On retrouve cette idée de forme dans les n°
53 et 54 (1910). Il semblerait que Peirce ait tenté d'expliquer le fait que la
détermination du Signe par l'Objet était telle qu'elle produisait la détermi­
nation indirecte de l'Interprétant par l'Objet en considérant qu'une certai­
ne "forme" était présente dans chacun des trois éléments du signe, du
moins une fois que le signe était établi, et que le processus d'établissement
du signe consistait à communiquer (ou convoyer) cette forme depuis l'Ob­
jet jusqu'à l'Interprète à travers le Signe. Cette démarche n'est pas exclusi­
ve de la triadicité dans la mesure où c'est précisément la présence de cette
"forme" qui permettrait de lier triadiquement les trois éléments du phéno­
mène sémiotique. Elle en serait le fondement (ground) évoqué par Peirce
en 2.228 (texte n°9, v.1897). On voit donc que les deux principales appro­
ches théoriques que nous avons dégagées dans l'ensemble des textes réunis
ne sont pas exclusives.
En conclusion nous distinguerons donc, sans les opposer, deux concep­
tions peirciennes du signe:
- une conception que, par commodité, nous appellerons "globale triadi-
que" qui découle d'une analyse des phénomènes sémiotiques qui considère
comme essentiel le fait que trois éléments y sont nécessairement liés par
une relation triadique.
- une conception que nous appellerons "analytique triadique" qui relève
d'une analyse plus fine en termes de déterminations de certains éléments
par d'autres, conduisant à l'établissement d'une relation triadique entre les
trois éléments nécessairement présents dans les phénomènes sémiotiques.
Pour mieux saisir cette seconde conception il est nécessaire d'expliciter ce
que Peirce entend par "détermination" dans le cas précis du signe ou du
moins essayer, au vu de la difficulté de la tâche, de mieux cerner cette no­
tion. Car les explications données par Peirce sur les sens dans lesquels il
prend les mots "actif" et "passif" dans les textes n°30 et 66 nous paraissent
assez peu opératoires. Pour autant que nous ayons pu saisir sa pensée, il
nous semble que Peirce considère qu'il y a détermination des caractères
d'un correlat par ceux d'un autre, le correlat  étant actif vis à vis du corre-
lat A, si tous les caractères de ce dernier qui sont en jeu dans le phénomène
sémiotique sont impliqués par des caractères de B. L'empreinte du pied de
Vendredi dans le sable illustre parfaitement cette notion puisqu'elle est ce
24 L'ALGEBRE DES SIGNES

qu'elle est, c'est-à-dire possède des caractères qui en font un signe parce
que le pied qui l'a produite les lui a communiqués sans en être affecté lui-
même et à ce titre il est un correlat purement actif. L'empreinte elle-même
est un correlat purement passif pour des raisons inverses. Cependant si
maintenant on la photographie elle va produire une image sur la pellicule
qui doit tous ses caractères à l'empreinte elle-même. Par rapport à cette
image photographique l'empreinte sera donc un correlat actif et il est clair
que, pour Peirce, l'interprétant  est un correlat purement passif déterminé
par l'empreinte, cet interprétant, de nature triadique étant tel qu'il incorpo­
re, comme relation dyadique induite, la relation dyadique établie entre le
pied de Vendredi et son empreinte. Cependant l'exemple que nous citons
est particulier, c'est un exemple d'école. Néanmoins c'est, pensons nous, en
généralisant le cas des signes de ce type (des indices) que Peirce a obtenu la
définition n°30. Dans d'autres textes il a utilisé des termes qui permettent
d'éclairer un peu mieux cette conception:
- dans les textes n°37 et 40a, le signe est dit "modelé à une sorte de confor­
mité avec son objet".
- dans 40c l'Objet est, en un certain sens, la cause du signe qui représen­
te l'influence de cet objet, laquelle influence est "indirecte et n'est pas de la
nature d'une force"(40 d).
- dans 46 et 48 le signe est dit spécialisé (que Peirce renforce en faisant ap­
pel à l'allemand "bestimmt" ) et dans 47 et 48 il écrit que la détermination
du Signe par l'Objet est telle qu'en conséquence il détermine l'Interprétant,
ce qui signifie que si le Signe est passif vis à vis de l'Objet et actif vis à vis
de l'Interprétant, il doit cette dernière possibilité à l'action de l'Objet, com­
me une boule de billard devient capable d'en mouvoir une autre après avoir
elle même été heurtée par une autre boule.
D'ailleurs dans le texte n°65, Peirce précise que lorsque la Forme ve­
nue de l'Objet est incorporée dans le Signe celui-ci devient "doté de la puis­
sance de la communiquer à un Interprétant".
- mais c'est certainement dans le texte n°40 f, que Peirce présente sans dé­
tour comme une tentative pour définir le signe, que sa conception des dé­
terminations dans les phénomènes sémiotiques est la mieux exprimée tout
en étant probablement le plus difficile à formaliser: le signe, écrit-il, est à la
fois "déterminé par l'objet relativement à l'interprétant et il détermine l'in­
terprétant en référence à l'objet, de telle façon que l'interprétant est déter­
miné par l'objet comme cause à travers la médiation de ce signe". On voit
que les déterminations des éléments deux à deux (du Signe par l'Objet, de
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 25

l'Interprétant par le Signe) se font sous la dépendance du troisième, faute


de quoi le phénomène sémiotique se réduirait à la composition de deux dé­
terminations successives indépendantes, en contradiction avec la doctrine
constante de Peirce. Nous allons maintenant en tenant compte de l'ensem­
ble des apports de Peirce dont il est inutile de souligner la richesse, la puis­
sance mais aussi la difficulté, prendre le risque (puisque nous sommes d'ac­
cord avec Peirce (cf 40 f) qu'en matière scientifique, comme dans d'autres
entreprises la maxime: "pas de risque, pas de profit est valable"; et nous
ajouterons une remarque personnelle suivant laquelle la prise de risque est
une condition nécessaire des avancées en matière scientifique, le confor­
misme universitaire et quelquefois le carriérisme ayant à coup sûr des effets
contraires) d'avancer une définition formelle du signe qui soit opératoire et
aussi mathématisable, afin d'aller aussi loin qu'il est possible vers une sé­
miotique authentiquement scientifique.

4. Description des phénomènes sémiotiques

Il nous faut revenir sur notre propos de la fin de la section précédente


d'avancer une définition formelle du signe car cette formulation est impro­
pre, voire incorrecte et recèle de graves dangers d'origine méthodologique.
En effet puisque le mot signe désigne l'un des éléments d'un phénomène
particulier, à savoir un objet d'expérience directe, interne ou externe, dont
la perception "tricoexiste" avec la présence à l'esprit de deux autres corré-
lats, il n'est pas convenable, dans une démarche scientifique, de centrer
l'approche du phénomène sur ce seul élément. On court le risque d'attri­
buer au signe, et au signe seul, des propriétés qui en fait sont celles de situa­
tions particulières dans lesquelles un objet d'expérience ne génère plus une
expérience ordinaire, et ce sont précisément ces situations particulières
qu'il s'agit de décrire. L'erreur consiste alors à ne prendre en compte que
des signes "universels" c'est-à-dire des signes qui en toutes circonstances
"tricoexistent" avec les mêmes corrélats, ce qui limite singulièrement le
champ de la sémiotique en la réduisant à l'étude des systèmes de signes ins­
titués voire institutionnalisés, et il est même possible d'en arriver à prescri­
re les significations au lieu de les décrire. En d'autres termes les objets de
connaissance que nous nous donnons ne sont pas des objets d'expérience
mais des phénomènes impliquant de tels objets. Notre propos est moins de
donner une explication causale que de réduire l'arbitraire de leur descrip-
26 L'ALGEBRE DES SIGNES

tion. Notre idéal méthodologique est trés proche de celui qui est implicite­
ment exprimé par Peirce lorsqu'il évalue sa phanéroscopie:
Elle scrute simplement les apparences directes et essaie de combiner la
précision du détail avec la généralisation la plus large possible. (CP 1.287,
V.1904).
Dans la section 2 nous avons défini (dans le sens qu'étant donné un
phénomène quelconque nous sommes en mesure de dire s'il est un phéno­
mène sémiotique ou non) les phénomènes étudiés à l'aide de la caractéristi­
que essentielle rappelée ci-dessus et nous avons commencé à donner un
début de description en termes de choix perceptifs. Dans la section 3 nous
avons, en suivant Peirce, fait apparaître la nécessité de considérer un troi­
sième élément, la détermination d'un esprit, et examiné les différentes dé­
marches que Peirce nous propose pour aborder la description de la liaison
nécessaire des trois éléments dégagés par l'observation abstractive. Nous
allons maintenant tenter de progresser dans la réduction de l'arbitraire de
notre description en essayant de préciser les notions que nous avons utili­
sées: choix perceptifs et configurations, déterminations, relation triadique.
Auparavant nous voudrions montrer combien notre démarche est sem­
blable à celle d'un physicien qui commencerait à étudier le magnétisme, par
exemple. Disposant d'un aimant il constate qu'à une certaine distance de
l'aimant, la limaille de fer, une aiguille aimantée changent de position de
façon à se disposer à chaque fois selon la même orientation nouvelle. Sus­
pendant un petit aimant à un fil et l'abandonnant à lui-même il constate
qu'il s'oriente toujours selon la même direction. Il distinguera cet ensemble
de phénomènes des autres phénomènes en décrivant un certain protocole
(prendre tels corps, les placer de telle façon, etc..) et sa première descrip­
tion, sa première découverte sera de constater la présence nécessaire de
deux corrélats: un aimant d'une part et du fer en limaille ou un autre petit
aimant mobile ou la terre (second corrélat qui est loin d'être évident d'au­
tant plus qu'il est présent dans chaque expérience mais d'un effet négligea­
ble en général vis-à-vis des autres). Il lui reste ensuite à avancer dans la des­
cription et il aura fait un pas supplémentaire lorsqu'il aura rapproché l'ac­
tion de l'aimant sur l'aiguille aimantée, par exemple, de celle d'un courant
électrique. Il aura ainsi obtenu un autre premier corrélat impliqué dans les
phénomènes magnétiques et les progrés de la théorie atomique aidant il
pourra obtenir un état de description nettement plus avancé en caractéri­
sant les phénomènes magnétiques par l'intéraction des charges électriques
en mouvement.2 On mesure la distance parcourue depuis la co-présence de
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 27

deux aimants jusqu'à la co-présence de deux systèmes comportant des char­


ges électriques en mouvement.
Notre position actuelle devant les phénomènes sémiotiques est la sui­
vante: il y a nécessairement trois corrélats, à savoir
- un objet S d'expérience directe, externe ou interne
- un objet  présent à l'esprit d'un interprète
- une détermination de cet esprit qui associe S et  en associant des choix
perceptifs relatifs à chacun d'eux
Ces corrélats sont, d'une certaine façon et dans certaines circonstan­
ces, solidaires au point de pouvoir être présents au même esprit dans le
temps même de l'expérience, ce que nous exprimons en disant qu'ils sont
liés par une relation triadique.
Le vague de cette description montre combien le chemin à parcourir
pour parvenir à une description comparable à l'intéraction de particules en
mouvement sera long et difficile. Nous avons vu que nous pouvions bénéfi­
cier de la réflexion de Peirce qui nous propose pour l'essentiel deux appro­
ches:
- celle que nous avons appelée "globale triadique" qu'il a pratiquement
abandonnée au profit d'une approche plus analytique. C'est une approche
qui présente en effet l'inconvénient, en globalisant la relation conjointe des
trois éléments, de masquer les relations deux à deux en les surdéterminant
de façon beaucoup trop générale. Elle constitue certes un niveau de des­
cription, car en définitive tout phénomène sémiotique implique une rela­
tion triadique, mais en allant trop rapidement au but elle est insuffisante
pour une bonne intelligence du phénomène. C'est comme si l'on proposait
de décrire un phénomène magnétique au moyen d'une relation dyadique
entre deux corrélats: aimants ou fil parcouru par un courant d'une part et
aimant ou corps ferromagnétique d'autre part.
- l'approche que nous avons appelée "analytique triadique" ne peut que
procurer un niveau de description nettement plus satisfaisant dans la mesu­
re où, s'interrogeant sur les déterminations entre les divers corrélats elle
peut faire apparaître comment les deux corrélats, Objet et Interprétant,
sont liés à l'Objet d'expérience directe, comment ils sont liés entre eux et
en définitive comment s'établit la relation triadique. C'est de cette appro­
che que nous nous inspirerons en y incorporant les caractéristiques que
nous avons dégagées dans la section 2 en étudiant la facticité du signe.
Pour cela nous procèderons par retouches successives en intégrant les
éléments nouveaux de façon à réduire la part d'arbitraire dans la descrip-
28 L'ALGEBRE DES SIGNES

tion, et dans cette démarche nous essaierons d'aller aussi loin que possible.
Dans un premier temps nous allons intégrer la notion de configuration
perceptive que nous avons associée de manière biunivoque à chaque "perci-
puum", produit de la juxtaposition d'un percept et de jugements percep-
tuels. Cela nous conduit à proposer une deuxième description des phéno­
mènes sémiotiques:
Un phénomène est un phénomène sémiotique si et seulement si:
- un objet d'expérience directe S, cause d'un percept donnant lieu à des ju­
gements perceptuels produisant une configuration perceptive caractéristi­
que, est présent, de ce fait, à l'esprit d'un interprète. Si l'objet est externe
la configuration consiste en une organisation de stimuli mémorisés par l'in­
terprète.
- un second objet  est présent à l'esprit de l'interprète du fait qu'une au­
tre organisation des stimuli produit une configuration perceptive caractéris­
tique de cet objet O, la condition nécessaire étant que cette configuration
perceptive ait déjà été produite dans cet esprit dans une expérience anté­
rieure.
- une détermination I de cet esprit consistant dans l'établissement d'une
identité entre une sous-configuration de la configuration associée à S et une
sous-configuration caractéristique de la configuration associée à O, de sorte
que S et  sont dyadiquement liés (ou couplés) est produite par l'action de
S.
Une conséquence immédiate est que S,  et I sont triadiquement liés
du fait que la sous-configuration caractéristique de  est présente dans O,
dans S et dans I, bien que dans ce dernier cas la façon dont elle y est présen­
te ne soit guère explicite. Cependant nous aurons l'occasion de le préciser
par la suite en progressant dans la perspective que nous nous sommes fixée.
Convenons sans peine que notre description est encore trop vague. En gros
la conception avancée est que les configurations spécifiques de S et de 
sont pour ainsi dire "recollées" par l'esprit suivant une sous-configuration
nécessairement présente dans cet esprit de façon que les objets causes des
expériences, qu'elles aient lieu dans le présent ou qu'elles aient eu lieu dans
le passé, sont objectivement liés (le terme "objectivement" étant à prendre
avec précautions, du moins jusqu'à ce que nous ayons mieux étudié la natu­
re de cette liaison). L'esprit, qui fournit l'ingrédient nécessaire à ce recolle­
ment de S et de Ο, intervient à part entière dans le phénomène sémiotique.
Il convient maintenant de gagner en précision en nous efforçant de dé­
finir de manière rigoureuse les notions de configuration et de sous-configu-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 29

ration caractéristique ainsi que la notion adéquate d'identité de sous-confi­


guration. Observons au passage combien notre conception est proche de
celle exprimée par Peirce dans le texte n°64:
Ce qui est communiqué de l'Objet à travers le Signe à l'Interprétant est
une Forme, c'est-à-dire rien de semblable à un existant, mais un pouvoir,
le fait que quelque chose arriverait sous certaines conditions. Cette Forme
est réellement incorporée dans l'Objet...Dans le Signe elle est incorporée
seulement dans un sens représentatif...Elle peut être dans l'Interprétant
directement comme elle est dans l'Objet, ou elle peut être dans l'Interpré­
tant dynamiquement...
Il est clair que la notion de configuration perceptive joue un rôle com­
parable à celui que Peirce assigne à la Forme. Nous avons souligné que sa
présence dans l'esprit était une condition nécessaire de la production d'un
phénomène sémiotique mais la remarque de Peirce suivant laquelle elle
peut être dans l'Interprétant dynamiquement et les exemples qu'il donne à
ce sujet nous montre que la configuration peut être amenée dans l'esprit
dans le moment même de l'expérience du Signe. Il faudra chercher la raison
de ce fait dans l'intensité de l'effet du Signe sur l'Interprête ou plutôt dans
la plus ou moins grande force des éléments actifs ou la plus ou moins gran­
de réceptivité de l'interprête à ces éléments, c'est à dire dans les notions de
prégnance et de saillance déjà évoquées en section 2.
Précisons que par configuration perceptive associée à un objet externe
nous entendons:
- un choix de stimuli sélectionnés dans l'ensemble des stimuli en provenan­
ce de l'objet: ce choix est opéré sur la base des sensibilités différentielles
d'un sujet aux divers stimuli. Les stimuli choisis sont dits prégnants pour le
sujet dans les conditions de l'expérience.
- une famille de jugements perceptuels, chacun d'eux consistant en l'asser­
tion d'une proposition obtenue à l'aide d'un prédicat à η places dont les pla­
ces sont occupées par des stimuli prégnants choisis et telle que pour tout
couple de stimuli il existe au moins une chaîne allant de l'un à l'autre, une
chaîne étant une séquence de prédicats, deux prédicats consécutifs étant
liés par au moins un stimulus qui occupe une place dans chacun d'eux.
On voit que cette notion répond, grâce à la "composition" des prédi­
cats n-adiques à l'exigence de connexité de la configuration qui correspond,
et plus précisément autorise, la perception de l'objet comme entité autono­
me. Nous reprendrons plus loin l'étude formelle de cette composition des
prédicats. Quelques exemples simples permettront au lecteur de s'en faire
une idée:
30 L'ALGEBRE DES SIGNES

- la configuration perceptive associée à la perception du drapeau français


peut être schématisée comme dans la Figure 3.

Figure 3.

où r. désigne une relation d'inhérence définie par le prédicat dyadique


"— est inhérent à —" et r une relation d'adjacence définie entre deux rec­
tangles de dimensions χ x y par la possession d'un côté commun de lon­
gueur y, le prédicat étant " a un côté commun de longueur y avec —

- la configuration perceptive associée à la perception d'un cube monocolo-


re blanc (dont on ne peut voir que 3 faces) est représentée Figure 4 dans la­
quelle le triangle représente le prédicat: "— a un côté commun avec
et avec—".

Figure 4.

- si maintenant nous prenons un cube tel que sur l'une des faces visibles on
ait représenté un drapeau français, nous obtenons les configurations per­
ceptives de la Figure 5 où r désigne une relation d'inclusion d'un rectangle
χ x y dans un carré de côté y de façon qu'un côté de longueur y coïncide
avec un côté du carré ou un côté du rectangle déjà inclus.
Notre définition montre sans équivoque la distance que nous prenons
avec la Gestaltthéorie qu'il était impossible de ne pas évoquer ici. Nous ne
considérons pas la Forme comme une donnée première déposée dans l'Ob-
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 31

Figure 5.

jet mais nous ne rejetons pas la possibilité qu'il en soit ainsi. C'est une
question d'ordre métaphysique qui ne se pose pas dans notre démarche. La
conception constructiviste pour laquelle la genèse des formes est le résultat
de l'expérience emporte notre adhésion pour de multiples raisons qui appa­
raîtront par la suite. Néanmoins rien n'interdit de penser que la stabilisa­
tion et la permanence de certaines classes isomorphes de configurations
perceptives sont déterminées par une réalité extérieure, de sorte que, pour
nous, cette réalité consiste exactement dans cette stabilité et cette perma­
nence. Par contre la parenté de notre définition avec la distinction kantien­
ne entre matière et forme est évidente et notre conception de la forme est
tout à fait celle que Peirce exprime en 7.426. Dans ce texte (v.1893), Peirce
après avoir, en suivant Kant, distingué matière et forme de connaissance
décrit cette dernière comme "le squelette d'un ensemble". Il exemplifie
d'abord son propos au moyen de la connexion entre
l'image visuelle d'un oiseau et l'appel qu'il lance, qui contient l'idée-sque-
lette d'une connexion entre deux choses, dont l'idée visuelle est constituée
par deux points connectés par une ligne ou un noeud sur une corde.
Cette idée, dit-il, est faible et dans des circonstances ordinaires on peut
ne pas remarquer l'idée de connexion mais elle est potentiellement présente
et peut être appelée à l'existence si besoin est.
Il termine par un autre exemple que voici:
32 L'ALGEBRE DES SIGNES

Devant moi sur la table se trouve une boîte à peu près cubique, conte­
nant un photomètre. Comme je la vois, je vois trois faces. Non seulement
je les vois, ensemble, ce qui les associe par contiguïté; mais je les regarde
comme se joignant pour former un coin carré, et ainsi je les associe au
moyen de l'idée-squelette Δ d'un triplet.
Dans le cas d'un objet interne, en l'absence de stimuli plus ou moins
prégnants, plus ou moins compulsifs, c'est la configuration qui est choisie
en premier et les "blancs" qui sont ensuite remplis par des sensations mé­
morisées. On peut ainsi, pour reprendre l'exemple de Peirce, percevoir,
dans un rêve par exemple, un merle blanc, c'est à dire remplir les blancs
d'une idée-squelette à deux blancs par l'image visuelle d'un merle et la cou­
leur blanche. On peut aussi connecter les trois couleurs rouge, bleu et jaune
(en pensant,contre toute expérience, que le rouge et le jaune mélangés pro­
duisent du bleu) en remplissant de la même manière les blancs d'une idée-
squelette à trois blancs, ce qui permet au poète d'écrire que la terre est
bleue comme une orange! En définitive, pour ce qui nous occupe, il est in­
différent que la configuration perceptive considérée soit associée à un objet
externe ou interne.
La notion de sous-configuration ne présente guère de difficultés. Une
sous-configuration d'une configuration perceptive est définie par la donnée
d'un sous-ensemble des stimulis appartenant à cette configuration reliés de
la même façon qu'ils sont reliés dans la configuration. On remarquera im­
médiatement qu'il est possible que certains stimuli ne soient reliés à aucun
autre stimulu de la sous-configuration si celui ou ceux auxquels il est relié
dans la configuration n'appartiennent pas au sous-ensemble de stimuli
considéré. Nous exigerons donc qu'une sous-configuration soit une configu­
ration, c'est-à-dire que tout stimulus lui appartenant soit relié par une rela­
tion au moins dyadique à l'un au moins des autres stimuli du sous-ensem­
ble. En d'autres termes nous conservons la propriété de connexité de la
configuration.
Par contre, en vue de définir précisément la notion de sous-configura­
tion caractéristique d'un objet nous devons introduire la notion de stabilité
relationnelle.
Considérons un objet externe, par exemple la boîte cubique évoquée
par Peirce. Quelle que soit notre position nous ne verrons jamais que trois
faces en même temps, ces trois faces étant chaque fois associées par "l'idée-
squelette d'un triplet". Autrement dit dans toute configuration perceptive
visuelle associée à cette boîte et en toutes circonstances on trouvera la
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 33

configuration Δ, qui de ce fait est l'un des éléments permanents de l'ensem­


ble des configurations perceptives dont la boîte est la cause. En ce sens elle
est un facteur de la permanence de la boîte dans le temps. Nous appellerons
donc sous-configuration caractéristique d'une configuration perceptive don­
née une sous-configuration impliquée dans toutes les configurations percep­
tives dont l'objet est la cause.
On saisira mieux cette notion si on considère un cube dont les faces ne
sont pas toutes de la même couleur. Dans l'ensemble des configurations
perceptives produites par ce cube (Figure 6) on rencontrera (s'il y a au
moins trois couleurs) l'une au moins des trois sous-configurations suivantes,
dans lesquelles les stimuli provenant des faces sont représentées par des
points et les couleurs par les lettres A, B, C, les relations dyadiques d'inhé­
rence de la couleur à la matière par des traits, suivant que l'on perçoit une,
deux ou trois couleurs.

Figure 6.

Cependant dans chaque sous-configuration on retrouve l'idée squelette


d'un triplet, qui est donc caractéristique, tandis que les idées-squelettes des
relations d'inhérence ne le sont pas. Cette sous-configuration caractéristi­
que jouit d'une permanence spatio-temporelle mais on voit qu'elle ne suffit
pas évidemment à identifier le cube comme une chose singulière dès la pre­
mière perception (bien qu'elle soit déjà présente dans l'esprit — la condi­
tion est nécessaire — grâce à la perception antérieure d'autres objets cubi­
ques) puisque la couleur de trois faces n'est pas perçue. Ces faces peuvent
même être absentes, ce qui explique que dans les représentations du cube
en perspective on utilise les pointillés pour figurer les arêtes "non vues",
c'est-à-dire qu'on juxtapose plusieurs sous-configurations caractéristiques
(une par sommet) afin de rendre compte de sa permanence quel que soit le
34 L'ALGEBRE DES SIGNES

point de vue. Ceci montre que, même dans le cas d'un objet géométrique
aussi simple qu'un cube, une sous-configuration caractéristique permettant
d'identifier une chose singulière est d'une grande complexité, c'est-à-dire
intéresse un grand nombre de stimuli et un grand nombre de relations. Ce­
pendant ce ne sont pas tous les stimuli et toutes les relations qui sont impli­
quées comme on le voit par exemple et de façon évidente dans la caricatu­
re.
Au demeurant cette idée de la permanence d'une forme dans la per­
ception est un pont aux ânes de la phénoménologie. On la trouve notam­
ment chez Husserl, par exemple, dans le texte ci-dessous tiré de Idées direc­
trices pour une phénoménologie (trad. par Ricoeur, Husserl 1985:131-132).
Je vois continuellement cette table; j'en fais le tour et change comme tou­
jours ma position dans l'espace; j'ai sans cesse conscience de l'existence
corporelle d'une seule et même table, de la même table qui en soi demeure
inchangée. Or la perception de la table ne cesse de varier; c'est une série
continue de perceptions changeantes. Je ferme les yeux. Par mes autres
sens je n'ai pas de rapport à la table. Je n'ai plus d'elle aucune perception.
J'ouvre les yeux et la perception reparaît de nouveau. La perception?
Soyons plus exacts. En reparaissant elle n'est à aucun égard individuelle­
ment identique. Seule la table est la même: je prends conscience de son
identité dans la conscience synthétique qui rattache la nouvelle perception
au souvenir (...). Non seulement la chose perçue en général, mais toute
partie, toute phase, tout moment survenant à la chose, sont, pour des rai­
sons chaque fois identiques, nécessairement transcendantes à la percep­
tion, qu'il s'agisse de qualité première ou seconde. La couleur de la chose
vue ne peut par principe être un moment réel de la conscience de couleur;
elle apparaît; mais tandis qu'elle apparaît il est possible et nécessaire qu'au
long de l'expérience qui la légitime l'apparence ne cesse de changer. La
même couleur apparaît "dans" un divers ininterrompu d'esquisses de cou­
leur. La même analyse vaut pour chaque qualité sensible et chaque forme
spatiale. Une seule et même forme (donnée corporellement comme identi­
que) m'apparaît sans cesse à nouveau "d'une autre manière" , dans des es­
quisses de formes toujours autres. Cette situation porte la marque de la
nécessité; de plus elle a manifestement une portée plus générale. Car c'est
uniquement pour des raisons de simplicité que nous avons pris pour exem­
ple le cas d'une chose qui apparaît sans changement dans la perception. Il
est aisé d'étendre la description à toute espèce de changements.

Nous n'avons rien à ajouter à ce texte sinon que cette "seule et même
forme" est pour nous une forme de relations présente dans toute configura­
tion perceptive produite par la chose et elle est présente à l'état latent dans
l'esprit pourvu qu'un nombre suffisant d'expériences lui aient permis de la
construire. Il nous reste maintenant à décrire les processus qui conduisent à
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 35

la formation dans l'esprit, dans le flux des perceptions, de certaines liaisons


permanentes ou du moins momentanément stabilisées (puisque la perma­
nence ne peut se rapporter qu'aux expériences passées). Notre conception
nous conduit à admettre l'hypothèse qu'à chaque objet singulier est asso­
ciée une sous-configuration caractéristique incluse (dans un sens qui sera
précisé à la section suivante) dans toutes les configurations perceptives dont
il est la cause. Par analogie avec la notion de stabilité structurelle nous di­
rons que toute sous-configuration de η stimuli figurant dans toutes les confi­
gurations perceptives d'un même objet possède la propriété de stabilité re­
lationnelle.
On peut espérer trouver dans les travaux de René Thom sur la stabilité
structurelle les principes d'une description moins arbitraire que celle qui
consiste à attribuer à la force convaincante de l'observation répétée la stabi­
lisation de ces relations qui suffisent, c'est notre point de vue, à provoquer
la présence à l'esprit d'un objet en l'absence de celui-ci, donc avec un nom­
bre réduit de stimuli par rapport à ceux que l'objet présent produirait.
René Thom (1974:197) est disposé à admettre:
que les facteurs d'invariance phénoménologique qui créent chez l'observa­
teur le sentiment de la signification proviennent des propriétés réelles des
objets du monde extérieur, et manifestent la présence objective d'entités
formelles liées à ces objets, et dont on dira qu'elles sont "porteuses de si­
gnification".
Pour nous ces entités formelles sont des formes de relation et il n'est
pas exclu que, pour un espace substrat convenablement choisi, la stabilité
structurelle apparaisse comme une stabilité relationnelle pour des objets to-
pologiquement équivalents à des boules, conséquence de la seule exigence
de connexité que nous leur avons imposée.
En ce qui concerne les objets internes il est clair qu'ils ne peuvent être
conçus qu'à l'aide de relations déjà dans l'esprit et donc que leurs configu­
rations sont relationnellement stables, pour ainsi dire, par construction.
Nous pouvons maintenant avancer une troisième description des phé­
nomènes sémiotiques:
Un phénomène est un phénomène sémiotique si et seulement si:
- un objet d'expérience directe S, externe ou interne, est présent à l'esprit
d'un interprète en tant que configuration perceptive formée par cet esprit
- cette configuration perceptive contient une sous- configuration percepti­
ve caractéristique d'un autre objet 
- l'esprit de l'interprète est déterminé de façon qu'il identifie la sous-confi-
36 L'ALGEBRE DES SIGNES

guration caractéristique de O, qui a été préalablement modelée dans son


esprit par des expériences antérieures de perception de l'objet O, avec une
sous-configuration de S. Alors S est un signe de  pour l'interprète consi­
déré.
Il est clair que la description ci-dessus convient aux phénomènes sé-
miotiques dont l'objet est une chose singulière, qu'elle soit externe ou in­
terne. Il est souvent facile dans ces cas là de mettre en évidence une sous-
configuration caractéristique; nous avons noté la caricature, l'empreinte du
pied de Vendredi et nous aurions pu citer le portrait ou la photographie
d'une personne connue, ses empreintes digitales, etc.. Les exemples d'éco­
le abondent et les plus simples sont ceux dans lesquels la sous-configuration
caractéristique d'un objet est physiquement transférée à un autre objet. Les
cas de certains objets internes qui sont non-singuliers puisqu'ils ne sont pas
déterminés sous tous rapports, comme par exemple la licorne ou le centau­
re qui ne peuvent être représentés que par un dessin ou une description ver­
bale ou écrite présentent le même caractère d'évidence. Par contre il faut
peut être justifier que cette description s'applique aux phénomènes sémioti-
ques qui ont pour objet des "généraux" (le terme général étant pris par op­
position à singulier) dans la mesure ou l'on peut se demander quelle sont les
configurations perceptives caractéristiques des généraux et quelle peut être
l'expérience d'un sujet vis-à-vis de ces objets. La réponse à cette question
est que les généraux sont des objets internes et donc que leur configuration
perceptive caractéristique est celle de chacune de leurs représentations. Le
fait que certains généraux puissent de surcroît être représentés par d'autres
moyens ne doit pas faire obstacle à l'acceptabilité de cette réponse. Prenons
par exemple le général "oiseau". Le graphisme "oiseau" , ou le mot "oi­
seau" prononcé possèdent comme toute chose perçue une sous-configura­
tion caractéristique (qui fait qu'on l'identifie quelle que soit l'écriture, la
couleur de l'encre ou l'accent). C'est donc cette configuration là qui est cel­
le de l'objet. Cependant chaque oiseau singulier a sa sous-configuration ca­
ractéristique et il est possible (c'est sur quoi se fonde la taxinomie qui déter­
mine les familles) de trouver une sous-configuration présente dans chacune
d'elles qui autorise la représentation de la famille toute entière. En d'autres
termes on peut donner une représentation stylisée même rudimentaire ou
une description écrite (qui a des ailes, un bec,...) qui représente aussi la fa­
mille comme un tout. Cela n'est pas possible pour des concepts comme
"justice" ou "liberté", auxquels nous n'attribuons qu'une configuration ca­
ractéristique, celle du mot. C'est nous semble-t-il une autre façon de dire ce
que Peirce écrit en 2.301:
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 37

Nous pouvons donc admettre, si besoin est, que les "généraux" sont de
simples mots, sans aucunement dire, comme le supposait Occam, qu'ils
sont réellement individuels.
On retrouve ici l'arbitraire bien connu du signe, linguistique notam­
ment, ainsi que la question des langues qui révèle un grand nombre de re­
présentations arbitraires. Nous sommes alors conduits à préciser dans notre
caractérisation des phénomènes sémiotiques la notion d'interprétant de fa­
çon à décrire avec plus de précision comment l'interprète peut devenir por­
teur de ces sous-configurations arbitrairement choisies par des instances qui
lui sont étrangères, puisqu'elles préexistent à son entrée dans la vie sociale.
Peirce s'est peu préoccupé de ces questions, se contentant le plus souvent
d'enregistrer le fait. Ainsi en 3.360 met-il l'accent sur la soumission de l'or­
ganisme à des "règles générales". Traitant des "tokens" (symboles) liés à
leur objet en conséquence d'une association mentale qui dépend d'une ha­
bitude, il écrit:
Ces signes sont toujours abstraits et généraux parce que les habitudes sont
des règles générales auxquelles l'organisme s'est soumis. Ils sont pour la
plupart conventionnels ou arbitraires. Ils comprennent tous les mots géné­
raux, le discours en général et tout moyen de communiquer un jugement.
D'autre part, dans un brouillon de lettre à Lady Welby dont une partie
est reproduite dans le texte n°33 qui définit le signe comme "un médium
pour la communication ou l'extension d'une forme", Peirce définit deux
nouveaux interprétants en plus de l'Interprétant Efficace qui correspond à
l'Interprétant tel que nous l'avons considéré jusqu'ici:
Il y a l'Interprétant Intentionnel, qui est une détermination de l'esprit de
l'émetteur, l'Interprétant Efficace, qui est une détermination de l'esprit de
l'interprète; et l'Interprétant Communicationnel (Communicational), ou
disons le Cominterprétant, qui est une détermination de cet esprit dans le­
quel les esprits de l'émetteur et de l'interprète doivent être fusionnés pour
que la communication puisse avoir lieu. Cet esprit peut être appelé le
"commens". Il consiste dans tout ce qui est, et doit être bien compris entre
l'émetteur et l'interprète dès le début, pour que le signe en question rem­
plisse sa fonction.
Comme on peut le constater la perspective de Peirce est réduite à la
communication interindividuelle et conduit, si on la prend telle quelle, à
une position théorique difficile à tenir puisqu'il faut supposer un "com­
mens" pour chaque couple d'individus communiquant par signes. Par con­
tre si on donne à ce concept un caractère universel, c'est-à-dire si on adopte
le principe d'un "commens" unique à l'intérieur d'une "communauté de
38 L'ALGEBRE DES SIGNES

communication" (dont les limites restent à définir), on se trouve dans une


position théorique un peu plus confortable certes, mais dans un autre
champ que celui dans lequel nous avons jusqu'ici évolué; c'est le champ de
l'organisation sociale, au sens le plus large du terme. En réservant pour la
section 5 du chapitre II l'examen des problèmes de communication entre in­
dividus, nous allons avancer la thèse suivant laquelle ce qui règle les asso­
ciations des "généraux" avec leurs représentations a le caractère d'une insti­
tution sociale et que la "soumission" des individus à cette institution, condi­
tion nécessaire de la communication, se traduit par une certaine conception
de l'interprétant que nous nous efforcerons de préciser et d'intégrer dans la
caractérisation des phénomènes sémiotiques que nous avons entreprise.
D'ailleurs Peirce ressent cette nécessité lorsqu'il écrit: "il doit y avoir une
relation binaire directe du signe avec son objet, indépendamment de l'es­
prit qui utilise le signe". (3.361).
Le terme "institution" n'est pas nouveau dans le champ des conceptua­
lisations du signe. Condillac distinguait les signes accidentels, les signes na­
turels et "les signes d'institution, ou ceux que nous avons nous-mêmes choi­
sis, et qui n'ont qu'un rapport arbitraire avec nos idées". (Essai sur l'origine
des connaissances humaines, III, II, 35). Pour lui "On dit qu'une chose est
d'institution, pour dire qu'elle est l'ouvrage des hommes et pour la distin­
guer de celles que la nature a établie". C'est une conception bien trop va­
gue et trop négative. Nous devons notamment adopter une conception de
l'institution qui soit susceptible de détermination dans des individus parti­
culiers. Cela nous conduit à une conception dialectique du concept telle que
l'a développé en sociologie le courant de l'Analyse Institutionnelle animé
principalement par René Lourau (1970).
Analysé dialectiquement le concept d'institution se décompose en ses
trois moments: universalité, particularité, singularité:
- le moment de l'universalité est le moment de l'unité positive du concept,
le concept y atteint pleinement sa vérité abstraite, générale. Les signes dont
les objets sont non-singuliers considérés abstraitement, sont des normes
universelles, des faits sociaux positifs. L'institution est alors identifiable à
un "commens" universel garant de toutes les communications interindivi­
duelles.
- le moment de la particularité exprime la négation formelle du moment
précédent. René Lourau (1970:10) l'exprime ainsi:
Toute vérité générale cesse de l'être pleinement dès qu'elle s'incarne, s'ap­
plique dans des conditions particulières, circonstancielles, déterminées,
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 39

c'est-à-dire dans le groupement hétérogène et changeant des individus dif­


férents d'origine sociale, d'âge, de sexe, de statut.
Dans ce moment l'institution se présente exactement comme la déter­
mination de l'esprit d'un individu particulier, c'est l'Interprétant d'un signe
dont l'objet est un "général" qui nous fournit sa meilleure illustration, en
tant qu'on peut l'opposer abstraitement aux prescriptions d'une norme uni­
verselle.
- le moment de la singularité, moment de l'unité négative, résultante de
l'action de la négativité sur l'unité positive de la norme universelle. C'est le
moment dit de "l'unité des contraires" , celui qui en définitive autorise la
communication et qu'on peut identifier au "commens" interindividuel de
Peirce. C'est le signe émis et compris, soit qu'il conforte la norme universel­
le en l'appliquant strictement, soit qu il engage sa transformation, soit qu'il
crée de toutes pièces (c'est le cas le moins fréquent) de nouvelles associa­
tions arbitraires à vocation universelle.
Il nous semble que c'est progresser dans l'intelligibilité des phénomè­
nes sémiotiques que de concevoir l'interprétant comme moment d'une insti­
tution sociale dans une communauté humaine donnée. La notion d'arbitra-
rité s'en trouve évacuée au profit d'une conception qui prend mieux en
charge le caractère social du signe manifesté dans la communication. Cette
position théorique nous permet de considérer l'interprète uniquement du
point de vue de son implication dans le phénomène sémiotique, c'est-à-dire
en tant qu'il est porteur de normes universelles formellement niées dans
chacune de ses interprétations particulières, cette contradiction étant dé­
passée dans l'interprétation qu'en définitive il adoptera et dont nous ver­
rons qu'elle réside dans la façon dont ses habitudes seront — ou ne seront
pas — affectées.
Comment se fait-il alors qu'un individu donné appartenant à une com­
munauté donnée soit porteur de normes universelles et peut on parler de
son rapport à ces normes en termes de soumission? C'est une problémati­
que classique, qui est au coeur de la sociolinguistique notamment, et plus
récemment de la sociosémiotique, du moins en ce qui concerne les théories
sémiotiques dont les présupposés n'intègrent pas la dimension sociale du si­
gne et se trouvent contraintes de se "régionaliser" lorsqu'elles sont ques­
tionnées par l'observation des faits de communication ou plutôt des difficul­
tés de la communication.
Il n'entre pas dans notre propos d'approfondir la genèse de l'établisse­
ment de ces normes. Disons que tout individu arrivant dans une commu-
40 L'ALGEBRE DES SIGNES

nauté sémiotique, qu'il y naisse ou y vive, subit de la part de celle-ci une


pression de conformité à laquelle les nécessités de son existence personnel­
le, à tous les niveaux, le contraignent de céder. Il est donc conduit, "natu­
rellement" (ce terme indiquant qu'il n'a pas souvent lui-même conscience
de céder à une quelconque pression mais d'obéir à une sorte de loi naturel­
le, sauf s'il s'agit par exemple d'un immigré) à adopter les normes en vi­
gueur. Le concept de violence symbolique avancé par les sociologues Bour-
dieu et Passeron rend bien compte des mécanismes qui parviennent à pro­
duire cette soumission ou "imposition des significations" en les faisant ap­
paraître comme légitimes, en les "naturalisant":
Tout pouvoir de violence symbolique, c'est-à-dire tout pouvoir qui par­
vient à imposer des significations et à les imposer comme légitimes en dissi­
mulant les rapports de force qui sont au fondement de sa force, ajoute sa
force propre à ces rapports de force. (1970:18).
Toute action pédagogique (éducation diffuse, éducation familiale ou édu­
cation institutionalisée) est objectivement une violence symbolique en tant
qu'imposition, par un pouvoir arbitraire, d'un arbitraire culturel. (1970:19)
..., l'action pédagogique implique le travail pédagogique comme travail
d'inculcation qui doit durer assez pour produire une formation durable,
i.e., un habitus comme produit de l'intériorisation des principes d'un arbi­
traire culturel capable de se perpétuer après la cessation de l'action péda­
gogique et par là de perpétuer dans les pratiques les principes de l'arbitrai­
re intériorisé. (1970:47).
Bourdieu et Passeron montrent de plus que l'un des effets de la violen­
ce symbolique est d'exclure l'arbitraire culturel individuel, c'est-à-dire que
les significations telles qu'elles tendent à s'imposer à un individu du fait de
son expérience propre dans laquelle il éprouve la négativité des normes uni­
verselles (en quelque sorte sa résistance spontanée à ces normes produite
par l'expérience vécue de leur application) sont évacuées comme illégiti­
mes. Il est clair cependant que la violence symbolique ne peut guère s'exer­
cer que dans les domaines qui relèvent de l'arbitranté de la représentation
et que son effet compulsif ne peut être comparé à celui de la réalité physi­
que. Les avatars du lyssenkisme en Union Soviétique ont montré ce que
pouvait coûter la méconnaissance de la distinction entre ces deux formes
d'imposition des significations que sont l'arbitraire culturel et la réalité phy­
sique. En l'exprimant dans notre perspective nous dirions que la stabilité
relationnelle des sous-configurations d'objets singuliers est une donnée in­
contournable car c'est elle qui nous révèle le caractère de réalité de ces ob­
jets, c'est-à-dire leur autonomie vis à-vis de notre subjectivité.
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 41

Pour désigner ces normes universelles (pour une communauté sémioti-


que donnée, les deux termes étant peut-être interdéfinissables) nous propor
sons de reprendre le terme "champs d'interprétants" que Peirce utilise dans
une lettre à Lady Welby datée du 12 Octobre 1909 et reproduite en 8.335:
Il (un symbole) dépend donc soit d'une convention, d'une habitude ou
d'une disposition naturelle de son interprétant ou du champ de son inter­
prétant (celui dont l'interprétant est une détermination).
Nous intègrerons plus loin cette notion dans la notion plus vaste de
champ sémioculturel et nous les différencierons à partir des distinctions
produites par l'étude des interprétants. Pour l'heure retenons simplement,
ce qui préfigure une classification des signes de Peirce universellement
adoptée, que la liaison des configurations perceptives au moyen de sous-
configurations caractéristiques s'effectue suivant trois modes distincts:
- par l'actualisation de champs d'interprétants dont l'interprète est porteur
- par la constatation d'une relation existentielle c'est-à-dire indépendante
de l'interprète et de la communauté sémiotique à laquelle il appartient
- du fait même de l'interprète exerçant sa liberté à l'intérieur des possibli-
tés formelles offertes par les configurations associées aux objets et des con­
traintes de la communication, en rapport avec ses intentions, dans des cir­
constances particulières.
Il n'y a pas de contre-indication à désigner par le même terme "champs
d'interprétants" l'ensemble des normes universelles qu'elles soient d'origi­
ne sociale ou d'origine physique. On peut même étendre l'emploi du terme
au troisième mode indiqué, malgré son caractère vague et subjectif, en
considérant qu'une vocation à l'universalité exprimée dans l'intention, plus
ou moins consciente, de communiquer (dans l'interprétation comme dans la
production) est présente dans toute association nouvelle, car dans sa singu­
larité s'inscrit toujours le germe d'une positivité à venir. C'est pourquoi
nous rangerons sous le vocable de "champ d'interprétants" pris dans son
extension la plus large l'ensemble des habitudes en vigueur dans une com­
munauté sémiotique à un moment historiquement daté, en y incluant aussi
bien les habitus réifiés en institutions juridiques, par exemple, (institution­
nalisés) que les normes non écrites ou non dites (instituées) et les habitudes
naissantes (instituantes).
Nous sommes maintenant en mesure d'avancer une quatrième et der­
nière description des phénomènes sémiotiques qui, cela résulte de nos pro­
pos ci-dessus, est valable à l'intérieur d'une communauté sémiotique don­
née mais vaut évidemment pour toute communauté sémiotique. Cette pré-
42 L'ALGEBRE DES SIGNES

cision ouvre le problème de comparaisons possibles entre champs d'inter­


prétant de communautés sémiotiques différentes, d'autant plus qu'on est
certain de trouver un noyau commun, à savoir, l'ensemble des champs d'in­
terprétants déterminés par la force compulsive exercée par le monde physi­
que. Nous sommes bien conscients, de plus, que les conceptions que nous
avons avancées depuis que nous avons énoncé la troisième caractérisation
des phénomènes sémiotiques peuvent nous valoir l'accusation de sociolo-
gisme. Pas plus que nous ne pensons avoir sombré dans le psychologisme en
adoptant une théorie de la perception, nous ne pensons avoir privilégié au
delà de ce que l'intelligibilité du phénomène le nécessitait la dimension du
social. Certes la voie est étroite entre les deux écueils mais cette situation
n'est elle pas inhérente à la fonction essentielle des signes de permettre l'ar­
ticulation indispensable entre l'individu et la société?
Nous aboutissons donc à la description suivante:
- dans une communauté sémiotique définie à un moment historiquement
daté par la donnée de champs d'interprétants spécifiques, un phénomène
est un phénomène sémiotique si et seulement si:
- un objet d'expérience directe S, externe ou interne, est présent à l'esprit
d'un interprète (membre de la communauté) en tant que configuration per­
ceptive formée par cet esprit,
- cette configuration perceptive contient une sous-configuration perceptive
caractéristique d'un autre objet O,
- S détermine l'actualisation I d'un champ d'interprétants dont l'interprète
est porteur de façon à produire la présence de  à son esprit.
Il est enfin un caractère fondamental de l'interprétant souligné par
Peirce que nous avons provisoirement exclu, à savoir que I est un signe du
même objet O. A proprement parler ce n'est pas l'actualisation d'une rela­
tion préalablement établie qui est un nouveau signe de O. C'est en fait la
sous-configuration caractéristique de O, préformée dans l'esprit de l'inter­
prète considéré comme membre d'une communauté qui exerce sur lui la
violence symbolique et, en trouvant dans la configuration perceptive de S la
possibilité de s'appliquer, devient à son tour un signe de O. On peut dire
que cette forme puise dans les éléments du percept sa substance et qu'elle
est potentiellement présente dans la configuration perceptive de S. Nous
avons donc bien trois choses: un signe S, un objet O, une forme (sous-confi­
guration caractéristique de O) actualisée dans l'esprit de l'interprète. Cette
forme est la singularité d'une forme universelle plus ou moins institutionna­
lisée dans l'objet réel et niée dans le temps même de l'interprétation. En ce
ANALYSE DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 43

sens le terme interprétant, entendu comme participe présent s'applique


parfaitement.
Cependant en tant que forme singulière elle est aussi un objet d'expé­
rience directe interne. On peut dire que l'interprète expérimente sa propre
interprétation. Quand un phénomène sémiotique est pleinement éprouvé
comme tel, c'est-à-dire quand l'objet  absent du champ actuel de l'expé­
rience mais préalablement connu est identifié sous tous rapports par un in­
terprète, l'interprétant (final) n'est pas autre chose qu'une sous-configura­
tion caractéristique concrète de O. Dans l'objet  tel qu'il est institué ou
institutionnalisé dans la communauté sémiotique la forme est incorporée
abstraitement, comme pure forme de relations. Dans l'interprétant cette
forme de relation est concrète dans le sens où elle s'applique à certains sti­
muli prégnants qu'elle unit en donnant l'existence à cette forme dans l'es­
prit de l'interprète. Il s'agit donc là d'une situation idéale car elle présuppo­
se une connaissance totale de l'Objet, c'est-à-dire de toutes ses détermina­
tions, afin que son identification soit exempte de toute ambiguïté. Nous au­
rons donc à revenir sur ces questions et nous ne pourrons y apporter une
réponse qu'au travers de l'étude des processus sémiotiques ou sémiosis
c'est-à-dire des voies et moyens par lesquels s'établit la présence à l'esprit
d'un objet  distinct de l'objet présent S. Cela nous conduira donc à distin­
guer une statique du signe que nous achevons présentement de mettre au
point, d'une dynamique du signe à laquelle nous consacrerons un chapitre
et sans laquelle la description des phénomènes sémiotiques ne peut être
pleinement satisfaisante.
Le signe tel que nous l'avons défini à l'intérieur des phénomènes sé­
miotiques est-il "déterminé par l'objet relativement à l'interprétant" com­
me l'écrit Peirce dans le texte n° 40f déjà cité? Oui, si l'on considère que la
présence dans l'esprit de l'interprète d'une sous-configuration de l'Objet 
reconnue dans la configuration perceptive associée au signe S détermine S
à être un signe de O. Détermine-t-il l'interprétant "en référence à l'objet"?
Oui, puisque sans lui il n'y aurait pas d'interprétant et que c'est son action
sur l'interprète qui produit l'actualisation du champ d'interprétant de façon
à présenter à son esprit l'Objet  au moyen de la sous-configuration carac­
téristique de  qui est incorporée dans celle de S.
La caractérisation avancée nous paraît donc conforme à l'esprit dans
lequel Peirce a le plus souvent abordé le signe. Elle présente de plus l'avan­
tage de pouvoir être formalisée et même mathématisée, ce qui nous per­
mettra d'aborder dans les meilleures conditions les problèmes combinatoi-
44 L'ALGEBRE DES SIGNES

res sous-jacents aux significations complexes rencontrées dans la vie socia­


le. Nous allons donc, sur la base de la caractérisation des phénomènes sé-
miotiques que nous avons adoptée aborder l'élaboration du modèle formel.
CHAPITRE DEUXIÈME

Modélisation des phénomènes sémiotiques

The result of this rule will necessarily be that


the new concept of a "sign" will be defined
exclusively by the forms of its logical relation­
ships; and the utmost pains must be taken to
understant those relations in a purely formal,
or, as we may say, in a purely mathematical
way.
C.S. Peirce, MS 283 (v. 1905)
No reason why sign process, for all their im­
mediate sense of familiarity, should not be as
complex as any chemical structure or biologi­
cal functionning.
Ch. Morris, Signs, Language and Behavior"
(1946)

1. Description et formalisation mathématique

Il nous semble nécessaire, avant d'aborder la construction du modèle, d'expo­


ser notre conception des rapports entre sémiotique et mathématique et pour
cela de les situer d'abord dans le cadre des rapports qu'entretiennent les
sciences humaines dont la sémiotique fait partie avec les sciences exactes aux­
quelles appartient la mathématique. Nous évoquerons donc la question tant
débattue de la mathématisation en sciences humaines, de sa valeur cognitive
qui va de l'inutilité (la mathématique "ornementale") à la scientificité. En ef­
fet si, comme le prétend Kant, "dans toute théorie particulière de la nature il
n'y a de scientifique au sens propre du mot, que la quantité de mathématiques
qu'elle contient" et si l'on inclut l'homme dans la nature, alors la mathémati­
sation doit être l'horizon de toute démarche scientifique et les théories relati­
ves à une même région du réel seront hiérarchisées selon la "quantité" de
mathématiques qu'elles contiendront.
46 L'ALGEBRE DES SIGNES

Pour bien aborder ce débat, un premier concept qui paraît s'imposer est
celui de "doctrine informe". En Juin 1970 s'est tenu à Paris un colloque pré­
sidé par Georges Canguilhem consacré à la "mathématisation des doctrines
informes". Les intervenants ont immédiatement noté la contradiction appa­
rente entre "doctrine" et "informe" , opinion résumée ainsi par Georges Can­
guilhem: "une doctrine informe est, puisque c'est une doctrine, c'est-à-dire
une opinion donnée pour savoir communicable, un système plus ou moins
bien cohérent de concepts, relatifs à un secteur ou à un champ local de l'ex­
périence humaine". A l'évidence une part considérable des productions ac­
tuelles rangées sous les vocables "sémiotique" ou "sémiologie", paraît relever
de l'informe. Notre jugement sur ces productions n'a rien de péjoratif. Il vise
simplement à justifier quelque peu notre prétention à jeter les bases d'une
sémiotique scientifique, ce qui nous contraint à préciser notre conception de
la scientificité vis à vis des phénomènes étudiés et d'abord, nous plaçant sur le
plan de la sociologie de la recherche, à rejeter par avance les accusations
d'impérialisme portées envers la mathématique.
En tant qu'opinion une doctrine informe est marquée par la singularité
de l'expérience ou des expériences du ou de ses auteurs; elle se réfère à un
champ limité de l'expérience humaine, par exemple un texte, un tableau,
parfois même un signe. Mais d'un autre côté le savoir produit sur ce champ
restreint est très dense, très fouillé; le discours y épouse de très près les
arêtes du réel. Par contre des difficultés apparaissent au niveau de la com-
municabilité de ce savoir. Car la doctrine informe, exprimée le plus souvent
en langue courante ou à l'aide de signes ad hoc ne peut être communiquée
qu'à ceux qui possèdent une expérience collatérale de ce champ restreint.
La communication qui lui est associée est quasiment interindividuelle. C'est
la communication "horizontale" inter-spécialistes limitée à ce champ. Plus
importante est la communication "verticale" avec la communauté, ce mot
étant pris dans le sens le plus large possible qui, dans notre perspective, en­
globe tous les chercheurs qui centrent leurs travaux sur les phénomènes sé-
miotiques ou dont les travaux sont fortement tributaires de leur étude. Car
le champ de la doctrine n'est pas isolé; il participe à un recouvrement de
l'expérience humaine dont il ne retient que des aspects fragmentaires. Son
découpage est arbitraire, il participe des surdéterminations d'autres champs
et est lui-même surdéterminé par d'autres. De ce point de vue la cohérence
de la doctrine que Canguilhem évoque dans sa définition est davantage un
impératif à respecter pour assurer la communicabilité de la doctrine que
pour répondre à l'on ne sait quelles exigences de rigueur transcendentale.
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 47

En résumé, une doctrine informe, difficile à communiquer, ne peut être va­


lidée par la communauté scientifique et il arrive quelquefois que l'on cultive
l'informe pour échapper à cette validation. C'est nous semble-t-il ce qu'on
peut lire dans cette phrase de J. J. Rousseau citée par Bourdieu et Passeron
(1970) en exergue de leur livre:
On pourrait, pour élaguer un peu les tortillages et les amphigouris, obliger
tout harangueur à énoncer au commencement de son discours la proposi­
tion qu'il veut faire. (Le gouvernement de Pologne).
Plutôt que de doctrines informes on pourrait donc parler de doctrines
incommunicables et donc non soumises à validation sociale. La modélisa­
tion des doctrines aurait alors pour fonction essentielle d'assurer leur com-
municabilité afin de permettre leur mise à l'épreuve par l'ensemble d'une
communauté qui peut l'adopter, au moins provisoirement, comme l'un des
éléments de la manière dont elle conçoit collectivement la région du réel à
laquelle se rapporte chaque doctrine. Ce programme ne peut se réaliser
qu'à travers une activité formelle qui saisit la nécessité au travers du divers
empirique, autrement dit abstrait l'universel du singulier par ce processus
que nous avons nommé avec Peirce "observation abstractive". Telle est,
semble-t-il, la conception que Peirce exprime dans MS 1345 à propos de la
classification des Sciences qu'il divise en:
i. Mathématiques, l'étude des construction idéales sans référence à leur
existence réelle.
ii. Empiriques, l'étude des phénomènes dans le but d'identifier leurs for­
mes avec celles que les mathématiques ont étudiées,
iii. Pragmatiques, l'étude de comment nous pouvons nous comporter à la
lumière de la vérité des empiriques.
Nous arrivons donc à la conclusion qu'une doctrine est communicable
à proportion des mathématiques qu'elle contient, puisque la proportion des
mathématiques et celle du contenu empirique varient en sens inverse. Plus
il y a de mathématiques, plus une doctrine s'affranchit des médiations naï­
ves et des inductions hasardeuses qui portent les marques de la singularité
des expériences individuelles. Ainsi s'accroissent ses possibilités de diffu­
sion puisque ces expériences peuvent être in-formées par les mêmes cons­
tructions formelles (qui à cette occasion sont formellement niées dans la
particularité de leur application). Cette thèse qui lie mathématisation et
communicabilité des doctrines peut paraître paradoxale si l'on se réfère aux
idées reçues sur la difficulté des mathématiques et des sciences dites "du­
res", c'est-à-dire fortement mathématisées. C'est qu'il faut peut-être ren-
48 L'ALGEBRE DES SIGNES

verser la perspective et au lieu d'attribuer aux mathématiques une "dureté"


qu'elles conféreraient à toute doctrine qui les utilise, attribuer les difficultés
et les résistances bien réelles que l'on observe, non pas à un caractère sui-
generis des mathématiques, mais à la difficulté qu'ont les individus à se dé­
gager de leurs propres constructions finalement liées à une sorte de com­
portement homéostatique dans leurs visions du monde.
Nous pouvons, à la lumière de ces quelques réflexions évaluer le stade
que nous avons atteint dans notre description des phénomènes sémiotiques
à la fin de la section précédente. Par l'observation abstractive nous avons
dégagé des notions comme celles de configuration perceptive et de sous-
configuration caractéristique, de champ d'interprétants et aussi des rela­
tions entre ces notions, le tout sous la dépendance d'une hypothèse que les
configurations perceptives sont biunivoquement liées à la présence à l'esprit
des objets correspondants.
L'ensemble paraît non contradictoire et cohérent, du moins à son au­
teur. On peut considérer que cette description est faite au moyen des uni-
versaux empiriques de la théorie en cours d'élaboration et que la tâche est
maintenant d'associer à ces universaux empiriques des universaux mathé­
matiques spécifiques afin de conforter notre démarche dans le sens que
nous avons indiqué, à savoir élaborer une théorie scientifique des phéno­
mènes sémiotiques.
Cependant puisque les mathématiques pures s'intéressent aux cons­
tructions idéales pour elles-mêmes indépendamment de leur réalisation
dans des formes existantes, il n'est pas acquis a priori que les universaux
mathématiques spécifiques que nous recherchons figurent déjà dans l'arse­
nal élaboré par les mathématiques pures, même si l'on peut soutenir que
ces dernières tirent leurs schémas de l'observation des formes applicables
au monde réel. Dans "Paraboles et catastrophes" (1984) René Thom exa­
mine les rapports de la physique et des mathématiques pures. Questionné
sur le point de savoir si ce sont les mathématiques qui fournissent aux phy­
siciens leurs "instruments à penser" ou plutôt si ce sont les physiciens qui
posent aux mathématiciens les questions qu'ils doivent résoudre en les ame­
nant à forcer leurs limites conceptuelles, il constate que, historiquement les
schémas mathématiques ont toujours préexisté aux exigences de l'expérien­
ce ne voyant guère que quelques cas (théorie des séries de Fourier, fonction
& de Dirac) véritablement suggérés par la physique.
Le "Rapport sur les applications des Mathématiques aux Sciences de
l'Homme, aux Sciences de la Société et à la linguistique" publié par la revue
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 49

"Mathématiques et Sciences Humaines" (Editions de l'Ecole des Hautes


Etudes en Sciences Sociales) indique une perspective semblable de la part
des mathématiciens "appliqués", même si dans ce rapport il apparaît qu'il
n'y a pas entre mathématiques et sciences humaines, comme entre mathé­
matiques et physique, un simple rapport d'application (l'exemple le plus
célèbre étant celui des chaînes de Markov définies à partir de l'étude de la
succession des graphèmes dans un chant d'Eugène Oniguine). Dans la der­
nière partie les auteurs du rapport décrivent ainsi l'activité du chercheur en
Mathématiques Appliquées aux Sciences Humaines (p. 49).
Le problème précis, le phénomène à modéliser ne se proposent pas d'eux-
mêmes; il faut les avoir extraits d'un contexte souvent très flou, en sépa­
rant l'essentiel de l'accessoire. Cette opération préalable consomme du
temps, elle nécessite des connaissances étendues dans le domaine empiri­
que concerné, et des qualités intellectuelles qu'on ne doit pas sous-estimer.
D'autrepart, une fois dégagés, ce problème ou ce phénomène, sont à pren­
dre tels qu'ils sont, et non comme on aimerait peut-être qu'ils fussent. Ils
appellent des moyens mathématiques appropriés: pas moins mais PAS
PLUS. La pertinence et la qualité d'une modélisation ne peuvent donc pas
être jugés en prenant pour critère (encore moins comme unique critère) le
degré de sophistication de la mathématique mise en oeuvre.
Hormis sa présentation en forme de plaidoyer qui révèle le sentiment
d'infériorité des mathématiciens appliqués, sentiment induit par l'élitisme
traditionnel des mathématiciens purs, nous ne pouvons que partager les
vues exprimées ci-dessus comme nous partageons d'ailleurs les analyses sy­
métriques du rapport au sujet des relations des mathématiques avec les mi­
lieux des sciences humaines. Ces derniers deviennent en effet trés critiques
dès lors que la mathématique utilisée atteint des degrés de sophistication
qui détournent un utilisateur éventuel de son emploi, quelle qu'en soit la
pertinence.
Il y a là de vraies questions et de la réponse qu'on leur donne dépend
la possibilité du développement d'activités scientifiques en sciences humai­
nes. En ce qui nous concerne nous considérons qu'un chercheur doit être au
service de son objet et se donner les moyens, mathématiques ou autres, de
le servir honnêtement en essayant de produire des formes qui épousent au
plus près les résultats de l'observation abstractive. Si ce sont des formes
mathématiques existantes il doit se les approprier, sinon il doit les inventer.
Il est certes plus confortable de se livrer à l'étude des formes en se disant
qu'un jour leur utilité sera prouvée et qu'elles reviendront aux réalités dont
elles sont issues; il est plus confortable aussi d'amasser des opinions, de se
50 L'ALGEBRE DES SIGNES

livrer à des médiations naïves en laissant à l'avenir ou à d'autres le soin de


construire les édifices formels nécessaires. Peirce nous donne l'exemple
d'un chercheur qui répondait au plus haut degré aux exigences des objets
qu'il s'était donnés, dans tous les domaines.
En ce qui concerne notre démarche il est donc clair que le moment est
venu pour nous de scruter les mathématiques en nous demandant dans quel
domaine nous pourrions puiser les universaux spécifiques que nous recher­
chons, en prenant toutes les précautions d'usage, la plus élémentaire étant
d'éviter de plaquer tout schéma a priori (dans ce cas nous aurions choisi de
mauvais universaux). Le premier des universaux à choisir doit prendre en
charge les notions de configuration perceptive puisque toutes les autres en
dépendent. Rappelons que, en résumé, une configuration perceptive est un
ensemble de stimuli sélectionnés et une famille de jugements perceptuels
consistant en l'assertion de prédicats à η places concernant l'ensemble des
stimuli, composés de façon à constituer un "tout". La notion de structure
relationnelle telle qu'elle est présentée notamment par Jiri Adàmek (1983)
dans son ouvrage Theory of Mathematical Structures nous parait s'imposer
à tous égards comme cadre formel naturel dans lequel nous pouvons ras­
sembler les concepts et les relations entre concepts que nous a livrés l'ob­
servation abstractive.

2. Structures relationnelles et configurations perceptives

Les définitions des termes employés qui ne figurent pas dans le texte sont
regroupées dans l'annexe  à laquelle le texte renvoie.
Une structure relationnelle de type fini η (où η est un nombre entier)
est un couple (Χ, α) où X est un ensemble et a une relation n-adique, c'est-
à-dire un sous-ensemble de la nième puissance cartésienne Xn de X:
α = {(Xi)i<n: XiΕX pour tout i<n}
α est donc un ensemble de suites finies ordonnées d'éléments de X, un
sous-ensemble de Xn qui est l'ensemble de toutes ces suites finies encore
appelées n-uples.
Etant donnée une autre structure relationnelle (Y, ß) de même type n,
une application f de X dans Y est dite préserver la structure ou compatible
si
(x 0, x 1, , x n-i) ε α implique (f( x 0 ),f( x 1 ),.....,f(x n - 1 ))εß
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 51

On vérifie aisément que les structures relationnelles de type fini η


constituent les objets d'un constructum (Bl) dont les morphismes sont les
applications compatibles.
On peut généraliser cette notion à la notion de structure relationnelle
de type {n i } iεI (où les n. sont des nombres entiers positifs indexés par un en­
semble I), qui est un couple (X, {αi.}iεI) où X est un ensemble et chaque α
une relation n-adique. Etant donné une autre structure relationnelle (Y,
{ßi.}iεI) de même type, une application f de X dans Y sera compatible si,
pour chaque i
(0i,1i...,n-1,i) implique (f(x0i), f(x1i.),....,f(xn-1,i)εßi
Par exemple une structure relationnelle de type {2,3} sur un ensemble
X est définie par une relation dyadique α2 sous-ensemble de X 2 et par une
relation triadique α3 sous-ensemble de X 3 .Etant donnée une autre structure
relationnelle (Y, {ß2, ß3}) de même type une application compatible f de X
dans Y est une application qui vérifie:

(x 0, x 1 )εα 2 implique (f(x 0 )f(x 1 ))εß 2


(x 0 ,x 1 x 2 )εα 3 implique (f(x 0 ),f(x 1 ),f(x 2 ))εß 3
Il est clair que l'on définit de la sorte le constructum des structures re­
lationnelles de type fini {ni.}iεI.
Cette notion constituera donc la base de notre formalisation: à chaque
configuration perceptive nous associons l'ensemble X des stimuli sélection­
nés (la sélection étant réalisée sur la base des prégnances relatives de ces
stimuli pour un sujet donné) muni de la structure relationnelle de type fini
définie par les prédicats associés aux jugements perceptuels, étant entendu
que ces prédicats sont supposés donnés en extension, c'est-à-dire qu'ils ne
coïncident pas nécessairement avec des prédicats grammaticaux. En fait
cette famille de prédicats est équivalente à une famille de relations n-adi-
ques telle que nous venons de la définir sur l'ensemble X sélectionné. Pour
prendre en charge le caractère connexe des configurations perceptives nous
spécialisons ces structures relationnelles en définissant les structures rela­
tionnelles connexes qui vérifient la condition:
(c) quels que soient les éléments χ et x'εX, il existe un sous-ensemble fini
de la famille {αi}iεI noté {α i1 ,α i2 ,....,α i } et des éléments x 1, x 2 ,....,x k-1 ε
tels que
x et x1 figurent dans un ni1-uple de αi1
x1 et x2 figurent dans un ni2-uple de αi2
52 L'ALGEBRE DES SIGNES

x k - 2 et xk-1 figurent dans un ni,k-1-uple de αi,k-1


xk-1 et x' figurent dans un nik-uple de αik
En d'autres termes il existe entre deux éléments quelconques de X une
sorte de chaîne (ce serait une chaîne au sens de la théorie des graphes dans
le cas d'une structure relationnelle de type 2) qu'on peut appeler hyper-
chaîne par analogie avec les chaînes dans un hypergraphe (Berge, 1971).
Si maintenant nous considérons les structures relationnelles connexes
d'un constructum de structures relationnelles de type fini, il est facile de
vérifier qu'elles constituent un sous-constructum (B5) plein (B6) de ce der­
nier puisque, si (X, {αi}iεI) et (Y, {βi}iεI) sont deux structures relationnelles
connexes et f une application compatible, alors de f(x) à f(x') il existe une
hyperchaîne définie par l'ensemble des relations {βi1,ßi2,....,ßik} et les élé­
ments f(x1),f(x2),... ,f(xk-1) de Y.
Les structures relationnelles connexes de type fini sont donc les univer-
saux mathématiques spécifiques grâce auxquels nous formalisons la notion
de configuration perceptive.
Illustrons notre propos en reprenant l'exemple du drapeau français de
la section 4 du chapitre I.
L'ensemble X sélectionné est le suivant:
X = {rectangle 1, rectangle 2, rectangle 3, bleu, blanc, rouge}
La relation α qui définit la structure relatonnelle connexe de type 2 as­
sociée à la configuration perceptive que nous avons représentée par un dia­
gramme dans la section 4 est définie en extension par les couples suivants:
α = {(rectangle 1, rectangle 2); (rectangle 2, rectangle 3); (rectangle 1,
bleu); (rectangle 2, blanc); (rectangle 3, rouge)}
La configuration perceptive "drapeau français" est donc associée à la
structure relationnelle (Χ, α) de type 2 et on voit qu'elle est manifestement
connexe. Précisons que les éléments de X sont bien des stimuli, donc que le
mot "rectangle" désigne le stimulus produit par la perception d'un rectangle
c'est-à-dire un "sentiment de rectangle", et à l'avenant pour les autres ter­
mes.
Un drapeau français c'est donc trois "sentiments de rectangle" et des
"sentiments de bleu, blanc et rouge" combinés d'une certaine façon.
La notion de configuration perceptive associée à un objet singulier né­
cessite un appareillage conceptuel nettement plus complexe. L'idée de
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 53

base, retenue dans la section précédente, est qu'elle est "contenue" dans
chacune des configurations perceptives dont l'objet est la cause, c'est-à-
dire, pour employer un langage plus phénoménologique, dans chacune de
ses apparences. Cependant les seules données dont nous disposons sont
précisément ces apparences, ces configurations perceptives, maintenant
structures relationnelles connexes de type fini. Alors, si nous voulons rame­
ner un certain ensemble de ces apparences à être des apparences d'un
même objet, il est clair qu'elles doivent nous apparaître liées d'une certaine
façon sinon cette réduction, qu'on peut qualifier d'éidétique, ne serait pas
possible.
La notion de source dans un constructum (B 10) est de toute évidence
la structure formelle adéquate à mettre en rapport avec les observations
précédentes.
En effet, aux (Y., β.) correspondront les différentes configurations per­
ceptives et la structure initiale (Χ, α) (B 11) correspondra à une "forme de
relations" associée à l'objet singulier "derrière les apparences" suivant le
schéma de la Figure 7.

Figure 7.

Cette démarche est, de plus, facilitée par le fait qu'un constructum re­
lationnel de type fini est initialement complet (B 12), c'est-à-dire que toute
source dans un tel constructum a une structure initiale unique. La tentation
est grande alors de prendre ces notions telles quelles en espérant déduire de
la nature relationnelle des configurations perceptives la nécessité d'objets
générateurs de ces configurations au moyen de notions telles que le produit
cartésien (D 5) ou la limite d'un diagramme (D 7). Une telle démarche
n'est pas sans poser de sérieux problèmes qui ne sont pas seulement techni­
ques, car la définition d'un constructum relationnel suffisamment vaste
pour contenir les structures relationnelles associées à tous les objets (qui
54 L'ALGEBRE DES SIGNES

ne sont pas de même type lorsqu'elles sont associées à un même objet) sup­
pose de nombreux choix (notamment des hypothèses sur la cardinalité des
ensembles considérés) qui ne sont soutenus ni par l'observation abstractive
ni par des considérations relevant de la science expérimentale. C'est pour­
quoi, sans nous interdire d'aborder ultérieurement cette perspective, certes
séduisante, mais qui peut cacher cet instant de la "bifurcation" ou le
fonctionnement harmonieux du modèle distrait et éloigne du phénomène
étudié, nous nous bornerons à intégrer dans notre modèle ce que l'observa­
tion abstractive nous permet d'assumer.
Nous considérons donc que, pour un interprète donné, dans l'ensem­
ble des configurations perceptives formées dans le cours de son expérience
(ensemble que l'on peut considérer comme fini ce qui revient à accorder
une durée à chaque perception consciente) peut être distingué un ensemble
de sous-ensembles, chacun de ces sous-ensembles étant déterminé et carac­
térisé par la donnée d'une configuration unique présente en tant que sous-
configuration dans chacune des configurations perceptives du sous-ensem­
ble considéré.
Passant aux structures relationnelles nous aurons donc:
- des sous-ensembles (Y., {βj,i.}iεIj .) de structures relationnelles de type fini.
- pour chacun de ces sous-ensembles une structure relationnelle non trivia­
le abstraite (dans le sens que les éléments de l'ensemble sous-jacent X ne
sont déterminés sous aucun rapport, en d'autres termes que ce sont des va­
riables libres) notée (X, {αi}iεI), en abrégé (Χ, α), et une famille . d'appli­
cations injectives de X dans Y. telles que pour toute relation α sur Χ, Φ.(αi.)
est inclus dans β. ce qui présuppose que le type de la structure relationnelle
de X est "incorporable" dans chacun des types de structure des Y.. En d'au­
tres termes l'ensemble des {ni}iεI qui définissent le type de (Χ, α) est inclus
dans l'ensemble des {nj.i}iεI qui définit le type de chacune des configura­
tions relationnelles (Y., {ßj,i}iεrj) et ceci quel que soit j . Par extension nous
dirons que les Φ. sont compatibles.
Conformément à nos conclusions de la section 4 du chapitre 1 la struc­
ture relationnelle connexe (Χ, α) sera appelée forme d'un objet réel pour
l'interprète considéré, cet objet étant la cause attribuée par l'interprète à la
constitution du sous-ensemble des (Y., {βj,i}iεIj·) et aux ensembles sous-ja-
cents d'éléments prégnants. Dire que cet objet est réel c'est accorder à cet
objet l'indépendance vis à vis de l'interprète et donc admettre que si la cau­
se des configurations perceptives est la même pour tout interprète les en­
sembles de configurations perceptives peuvent être différents d'un inter-
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 55

prète à l'autre et donc que les formes des objets (au sens ci-dessus) soient
différentes d'un individu à l'autre, ce qui traduit le fait que nous n'avons
pas la même expérience des mêmes objets.
Cependant, la cause étant supposée unique, on peut admettre que ces
formes qui sont autant de structures relationnelles attribuées à cet objet
réel unique par un individu déterminé peuvent à leur tour être agrégées par
une forme unique caractéristique de l'objet. Mais le processus d'aggréga-
tion est social et caractéristique d'une communauté sémiotique. En ce qui
concerne le monde physique la communauté est évidemment l'ensemble
des êtres pensants, c'est-à-dire dotés d'une intelligence scientifique (autre­
ment dit capables d'apprendre par expérience). En ce qui concerne les ob­
jets internes (comme les concepts) le caractère social et institutionnel des
formes est dominant et explicatif, pour une part, des différences culturelles
par une diversification de fait des expériences individuelles en rapport avec
des aires déterminées. Finalement en procédant de manière analogue mais
cette fois en considérant l'ensemble des formes d'objet réel construites par
des individus d'une communauté déterminée, nous admettons l'existence
d'une forme unique (U, σ), au sens où il existe une injection de (U, σ) com­
patible avec les structures relationnelles dans chacune des formes d'objet
que chaque interprète est supposé associer à chaque ensemble de structures
relationnelles mises en correspondances avec les ensembles de configura­
tions perceptives produites par un même objet réel.
Autrement dit cette forme d'objet (U, σ) est une sorte de structure
initiale ayant pour source les formes d'objet réel attribuées par chaque
interprète à certains sous-ensembles de configurations perceptives. L'en­
semble de notre propos est résumé dans le schéma de la Figure 8.
Toutes les flèches de ce schéma représentent des applications injectives
qui conservent les structures relationnelles dans le sens précisé plus haut.
Donc la forme (U, σ) qui est incorporée par fα, fβ, fγ,...dans les formes (X,
α), (Υ, β), (Ζ, γ), ... est aussi incorporée, par compositon des applications
injectives dans les structures relationnelles correspondant aux différentes
configurations perceptives. L'ensemble du schéma est relatif à un seul objet
réel et la structure relationnelle (U, σ) est la forme universelle ou structure
éidétique de cet objet. Les ensembles sous-jacents U, X, Y, Z,...sont des
ensembles abstraits tandis que les Y.,..., Yk,---, Zj.,..., Z k ,..., Tj.,..., T k ,...
sont des éléments de constructum correspondant à des ensembles de stimuli
prégnants directement liés à l'objet réel.
56 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 8.

Quant au rapport de la structure éidétique (U, σ) avec l'objet réel,


nous dirons avec Peirce (annexe A, n°66) que la forme est incorporée dans
l'objet "entitativement", c'est-à-dire qu'elle est impliquée dans l'objet
comme la nécessité est impliquée dans la facticité. Son être est bien celui
d'un prédicat dans le sens qu'elle est pure forme de relations ayant la pos­
sibilité de se manifester par la mise en relation d'éléments d'ensembles con­
crets. Cependant elle ne doit pas être confondue avec l'objet réel: elle est
un ens rationis construit à la manière d'une structure initiale d'une source
constituée par l'ensemble des manifestations d'un objet à des esprits. Elle
est donc biunivoquement attachée à l'objet réel et le processus qui la lie à
cet objet est éminemment social et donc sujet à révision. Elle témoigne de
la réalité de l'objet sans se confondre avec lui, sauf peut-être au terme d'un
processus infini dont l'objet réel serait l'horizon. Il nous paraît très impor­
tant de noter que dès qu'une configuration perceptive ou plutôt sa structure
relationnelle correspondante contient l'image d'une structure éidétique (ce
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 57

qui est formalisé par la composition des morphismes injectifs Φ. et £ ) alors


l'objet associé peut être présent à l'esprit de l'interprète.
Il nous reste maintenant à préciser quels sont les universaux mathéma­
tiques spécifiques que nous mettons en correspondance avec la notion de
sous-configuration éidétique de cet objet. Ce choix doit être guidé par l'ob­
servation. Par exemple, dans la perception d'un état de santé d'une person­
ne, un symptôme quelconque ou un ensemble de symptômes liés par des re­
lations explicites n'est pas nécessairement la structure éidétique de la mala­
die qui peut "informer" des éléments objectifs par des relations englobant
les éléments et les relations observées hic et nunc; néanmoins l'observation
— en quelque sorte partielle — peut permettre, par la connaissance des cir­
constances antérieures et extérieures, d'identifier une maladie de manière
certaine. Autrement dit, le contexte autorise des inférences qui, à partir
d'une configuration de symptômes observée permet d'identifier la structure
éidétique avec certitude comme structure unique dont une partie seulement
est manifestée dans la configuration perceptive. Notre choix portera donc
sur une sous-structure de la structure éidétique associée à ce que, pour l'ins­
tant, nous appellerons "un contexte", notion vague qui reste à préciser mais
qui renferme la possibilité d'inférer la structure éidétique à partir d'une de
ses sous-structures.
En résumé, à un objet réel dont l'existence nous est manifestée dans
des configurations perceptives distinguées comme sous-ensembles de l'en­
semble de toutes les configurations perceptives formées à un instant donné
par un individu, nous associons d'abord un ensemble de structures relation­
nelles. A ce sous-ensemble nous associons ensuite une forme individuelle,
unique pour chaque individu, puis une forme universelle nommée structure
éidétique, unique pour une communauté sémiotique donnée. Aux sous-
configurations caractéristiques de la section 4 du chapitre 1 sont associées
des sous-structures de la structure éidétique (donc des sous-structures de
chaque forme individuelle) qui, dans des contextes particuliers, permettent
d'inférer la structure éidétique.
Dans MS 612, Peirce cite un exemple qui illustre bien nos conclusions
ci-dessus. Dans un dialogue avec un interlocuteur imaginaire il explique
comment, voguant vers la Sicile (il se rendait à Catane pour observer
l'éclipse de soleil du 22 Décembre 1870) il a identifié l'Etna:
Car c'était seulement par de tels signes comme le fait d'avoir navigué
convenablement à l'Est ou un peu au Nord de cela puisque nous avions
passé Taenarium que je savais que nous devions à ce moment être placés
58 L'ALGEBRE DES SIGNES

là où l'Etna serait visible à l'Ouest, et ainsi que ce triangle isocèle obtus


que je voyais devait être l'Etna, que sans de tels signes je n'aurai pas re­
connu. Néanmoins il demeure vrai que j'étais directement instruit de quel­
que objet, et également aussi que cet objet dont j'étais directement instruit
était l'Etna; et cela aurait été vrai si j'avais été tout à fait ignorant de géo­
graphie. En ce sens j'étais directement instruit de la l'Etna, c'est-à-dire de
ce qu'était réellement l'Etna.
Notre interprétation de ce texte est la suivante. Peirce prétend qu'il
était directement instruit de l'Etna sans l'avoir jamais vu: celà signifie pour
nous qu'il connaissait au moins partiellement la structure éidétique de
l'Etna au coeur de laquelle on trouve bien entendu le triangle isocèle obtus
qui figure dans toutes les configurations perceptives de l'Etna. Dans la si­
tuation qu'il vit, avec la mémoire du parcours du bateau qui lui permet de
situer sa perception il peut inférer que ce triangle isocèle obtus qui est dans
son esprit (dans le sens qu'il donne sa forme de relations à un sous-ensem­
ble des stimuli qu'il ressent à cet instant précis sur le pont du bateau, tourné
vers l'Ouest) est celui que ses connaissances formelles antérieures ont mis
dans son esprit à titre de caractéristique de l'Etna.
Ceci montre que la conception de Peirce est bien celle que nous soute­
nons: une connaissance d'un objet n'est pas autre chose que l'appréhension
dans des circonstances particulières de sa structure éidétique comme telle.
C'est en effet la seule façon d'expliquer qu'on puisse connaître, ou plutôt
reconnaître, un objet sans l'avoir jamais vu: on ne fait que distinguer dans
la configuration perceptive actuelle des formes déjà là dans l'esprit, mais
déjà là seulement comme pure combinatoire de formes antérieurement ac­
quises. En somme l'expérience des triangles isocèles obtus est déjà une ex­
périence directe de l'Etna!

3. Un modèle triadique pour les phénomènes sémiotiques

Nous sommes maintenant en mesure de construire un modèle qui reprenne


la description des phénomènes sémiotiques avancée à la fin de la section I.4
en utilisant les universaux mathématiques spécifiques de la section précé­
dente. En effet, à chacun des deux objets présents à l'esprit d'un interprète
dans le phénomène sémiotique observé, qu'il s'agisse de l'objet d'expérien­
ce directe ou signe S ou encore de l'autre objet ou objet  du signe, nous
pouvons associer pour chaque interprète:
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 59

- l'ensemble des structures relationnelles correspondant biunivoquement à


l'ensemble des configurations perceptives dont l'objet a été la cause
jusqu'au moment de l'expérience (y compris pour S la configuration résul­
tant de l'expérience directe actuelle). Nous noterons chacune de ces struc­
tures relationnelles par (Yis,{αis})iεI pour celles qui sont attachées à S et
par (Yj°,{αj°})jεj pour celles qui sont attachées à O. Nous appellerons cet
ensemble l'Expérience de l'interprète relativement à S (ou à O).
- une structure relationnelle incorporée (au sens défini à la section précé­
dente, à savoir qu'il existe une injection compatible avec les relations n-adi-
ques) dans chacune des structures relationnelles de l'ensemble précédent.
Nous les noterons respectivement (Xs, αs) et (Xo, a0) en convenant que αs
et a° représentent des familles de relations n-adiques sur des stimuli issus
de S et de  indexées par des sous-ensembles de I et de J (ceci afin de ne
pas alourdir les notations) et nous l'appellerons forme particulière ou indi­
viduelle de S (ou de O).
De plus nous associons encore à chaque objet mais pour tous les inter­
prètes d'une communauté sémiotique supposée bien définie (c'est-à-dire
qu'étant donné un individu il est supposé que nous avons les moyens de dé­
cider s'il appartient ou non à la communauté considérée, les multi-apparte-
nances étant par ailleurs possibles) une structure relationnelle, (Us, σs)
pour S, (U°, σ°) pour O, qui est incorporée dans chacune des formes parti­
culières attachées à chaque interprète et que nous appelons structure éidé-
tique de S (ou de O).
Remarquons qu'il n'est pas nécessaire que l'Expérience de l'interprète
soit un ensemble non vide pour que l'on puisse considérer que la forme par­
ticulière est attachée à l'objet. Il n'y a pas de contre indication formelle à
cela et de plus cette remarque est en accord avec nos observations, comme
on a pu le voir sur l'exemple de l'Etna. Autrement dit la forme particulière
associée par un interprète à un objet réel peut être obtenue par l'agrégation
des formes particulières associées à d'autres objets, indépendamment de
l'expérience de l'objet considéré mais pas indépendamment de l'expérience
de tout objet puisqu'en dernière analyse, en remontant aux formes consti­
tutives on doit trouver des formes construites à partir de l'expérience de
l'interprète.
Si maintenant nous reprenons la description arrêtée à la fin de la sec­
tion du chapitre I, nous voyons que nous sommes en mesure de prendre en
charge dans un modèle l'expérience directe de S, dans l'ici et maintenant du
phénomène sous la forme d'une structure relationnelle (Ys, {αis})iεI,ce qui
60 L'ALGEBRE DES SIGNES

n'est pas autre chose que le résultat de la section I.2. Pour ce qui est de
l'objet  nous avons à faire intervenir sa forme particulière pour prendre
en charge sa présence à l'esprit de l'interprète dans le phénomène sémioti-
que. Cependant ceci ne peut se faire que dans le cadre des données spéci­
fiées en section I.4, à savoir des champs d'interprétant et une sous-configu­
ration perceptive de  contenue dans la configuration perceptive qui est
modélisée par (Ys, {αis})iεI
Il nous reste donc à traduire en termes formels la relation qui est déjà
là au moment de l'établissement du phénomène sémiotique entre les objets
réels S et O. Cette relation ne peut être approchée et formalisée que com­
me relation entre les formes universelles associées respectivement à S et à
 et il nous faudra montrer comment cette relation peut s'actualiser dans
une relation entre la structure relationnelle (Ys, {αis}) et la forme particu­
lière (Xo, αo). Pour cela nous introduisons une nouvelle notion destinée à
formaliser la relation entre S et O: la notion de correspondance fonction­
nelle compatible entre deux structures relationnelles. Dans la définition
générale ci-dessous les notations adoptées sont indépendantes de celles qui
précèdent, cependant α et β représenteront ici aussi des familles de rela­
tions n-adiques définies sur les ensembles avec lesquels elles sont couplées.
Etant données deux structures relationnelles (Χ, α) et (Χ, β) une cor­
respondance fonctionnelle compatible entre (Χ,α) et (Y,ß) est définie
par la donnée d'un sous-ensemble Γ du produit cartésien X x Y tel que
pour tout χ appartenant à l'ensemble de départ de Γ l'ensemble des (,)ε
contient un seul élément, et vérifiant de plus la condition suivante:
(c) pour tout n-uple (x1,x2,...,xn )εα tel qu'il existe des éléments
1,2.....,n ΕY TELS que (x 1, y 1 )εΓ ' (x2,y2)εΓ.....(xn,yn)εΓ alors le n-uple
(1,2,.....n)εβ·
Nous illustrons cette définition par le schéma (dans le cas η = 3) de la
Figure 9 dans lequel les accolades indiquent que les éléments considérés
sont dans la relation mentionnée.
Remarquons que si α ne contient que la relation vide on retrouve la
notion ordinaire de correspondance entre deux ensembles.
Donc dans la formalisation des phénomènes sémiotiques nous intègre­
rons cette notion en retenant le présupposé d'une correspondance compati­
ble entre (U°, σ°) et (Us, σs), préalablement à la production du phénomène;
mais nous verrons aussi que dans certains phénomènes sémiotiques une cor­
respondance peut être établie par un interprète. Elle n'a pas le même carac­
tère d'objectivité que la précédente mais permet néanmoins de rendre
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 61

Figure 9.

compte du caractère instituant de certains phénomènes sémiotiques relati­


vement à l'universalité des correspondances instituées dans les communau­
tés sémiotiques.
Les deux propositions qui suivent sont fondamentales pour la thèse
que nous soutenons:
Proposition 1: S'il existe une correspondance compatible entre (U°, σ°) et
(Us, σs), alors il existe une correspondance compatible entre (Y°, α°) et
(Yis, {ΑIS})iεI structure relationnelle associée à la configuraton perceptive
dans le moment de la perception de S par l'interprète.
Proposition 2: Toute correspondance compatible entre (Xo, a°) et (Ys,
{ΑIS})iεI telle que au moins un n-uple appartenant à a0 soit image d'un n-
uple de (U°, σ°) et corresponde, dans cette correspondance, à un n-uple ap­
partenant à l'image de (Us,σs) définit une correspondance compatible entre
(U°, σ°) et (Us, σs).
Les preuves de ces deux propositions sont élémentaires et se suivent ai­
sément sur le diagramme de la Figure 10 dans lequel les flèches représen­
tent des applications compatibles injectives et les lignes ondulées des cor­
respondances compatibles.
En effet pour tout n-uple (1,2,...,n)εσ°vérifiant la condition (c), à
savoir qu'il existe (v1,v2,...,vn)εσ° tel que (uk,vk) pour tout  de 1 à n, on a
62 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 10.

(f(u1),f(u2),..,f(un))εα° et successivement (g(v1),g(v2),...,g(vn))€as puis

Alors si on pose
Ω = {(f(uk),hg(vk)),k de l à n}
Ω est un sous-ensemble de Xo x Ys qui définit une correspondance
compatible entre (Xo, a°) et (Ys, {αis})iεI puisque étant donné (f(u1),
f(u2),..., f(un))εα° on a (hg(v1),...,hg(vn))ε{αis}iεI ce qui établit la proposi­
tion 2.
Soit maintenant une correspondance compatible Ω entre (Xo, a0) et
(Ys, {αis})iεI telle que (u1,u2,..,un)εσ°_vérifie u1=f(v1),u2=f(v2),... un=f(vn)
avec (ν1ν2,...,νη)εσ°. Si (t 1 .,.t 2 .,t n )εα i s vérifie t1=hg(w1), t2=hg(w2),
...,tn=hg(wn) avec (w1,w2,...,wn)εσs et est tel que (u 1 hg(w 1 ))εΩ, (u2,hg
(w2))εΩ,...,(un,hg(wn))εΩ, on peut alors définir une correspondance Γ
entre (U°, σ°) et (US,σs) par:
Γ = {(v1,W1), (v2,w2),....,(vn, wn)}
et cette correspondance est compatible par construction.
La proposition 1 nous assure donc que si un interprète a formé dans son
esprit une structure relationnelle (Xo, α°), que ce soit par expérience d'un
objet  ou par une combinatoire de structures relationnelles associées à
d'autres objets, alors il peut établir une correspondance Ω entre la percep­
tion de S et cette structure relationnelle déjà là dans son esprit pourvu
qu'une correspondance Γ soit antérieurement établie entre les objets S et 
au moyen d'une correspondance compatible entre leurs structures éidéti-
ques. Cependant l'établissement de cette correspondance ne lui permettra
d'identifier l'objet  que s'il lui est possible de "remonter", grâce à des in­
férences réalisées dans le contexte de la perception de S, de la correspon­
dance Ω à la correspondance Γ. Autrement dit il est nécessaire que les élé­
ments de (Xo, a°) impliqués dans la correspondance Ω constituent une
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 63

sous-configuration caractéristique de l'objet O. En termes plus formels


nous dirons qu'une condition nécessaire et suffisante pour que le phéno­
mène sémiotique ait pleinement lieu est que la correspondance Ω entre
(Xo, α°) et (Ys, {αiS})iεI soit prolongeable à une correspondance Γ entre
(U°, σ°) et(U s ,σ S ) définie antérieurement à la perception de S et indépen­
dante de celle-ci. Cependant dès lors que la correspondance Ω est établie le
signe a un objet qui n'est pas l'objet  mais une sorte d'objet transitoire
(que nous identifierons plus loin à l'objet immédiat de Peirce) qui n'est au­
tre que cette sous-structure relationnelle de (Xo, α°) mise en correspondan­
ce par Ω avec une sous-structure de (Ys,{α i S }) iεI etqui est isomorphe à une
sous-structure de la structure éidétique (U°, σ°). Il est clair que pour des
raisons qui tiennent soit à la nature soit à la rareté des expériences du sujet
le prolongement de Ω à Γ peut ne pas aboutir, ou s'arrêter avant terme ou
même bifurquer vers un autre objet (cas d'ambiguïté). Tous les cas qui peu­
vent se présenter font évidemment partie des phénomènes sémiotiques.
Nous donnerons le nom de sémiosis (en accord nous semble-t-il avec Peir­
ce) au processus concret de prolongement de Ω à Γ: ce processus concret
s'effectue entre l'image de (U°, σ°) par f dans (Xo, a°) et l'image de (Us, σs)
par hg dans (Ys, {αiS})iεI En faisant abstraction des stimuli, c'est-à-dire des
éléments sensibles qu'il met en jeu on obtient une correspondance entre les
structures formelles (U°, σ°) et (Us, σs). La remontée vers ces structures
permet de poser le problème des rapports des phénomènes sémiotiques et
de la communication, de la production et de l'interprétation et donc aussi
de la réussite de la communication. Cet aspect sera étudié dans la section 5
de ce chapitre et repris dans le chapitre consacré à la dynamique du signe.
La proposition 2 nous permet de saisir la genèse des phénomènes sé­
miotiques: des correspondances compatibles du type de Ω sont établies par
des interprètes entre des structures relationnelles (Xo, α°) et des configura­
tions perceptives (Ys, {αiS})iεI dans des contextes particuliers et induisent
donc des correspondances compatibles entre les structures éidétiques de S
et de  qui peu à peu s'imposent ou sont imposées (respectivement insti­
tuées ou institutionnalisées) dans une communauté sémiotique et devien­
nent donc des correspondances universelles de type .
L'étude des phénomènes sémiotiques ne saurait donc se limiter à celle
des seuls phénomènes produits par des correspondances  déjà là ou en
train de s'instituer (c'est-à-dire majoritairement reconnues). Disons que le
phénomène qui commence avec Ω est déjà un phénomène sémiotique
même s'il ne concerne qu'un seul individu créateur d'une correspondance
64 L'ALGEBRE DES SIGNES

compatible inédite. C'est évidemment dans le domaine de la création, artis­


tique notamment, que ces remarques trouveront leur utilité.
Finalement nous adopterons le modèle suivant qui résume l'ensemble
des remarques de cette section:
un phénomène sémiotique est constitué par la donnée d'un objet d'expé­
rience directe S appelé signe, d'un objet  appelé objet du signe et d'une
correspondance compatible Ω établie entre la forme individuelle de  pour
l'interprète et la structure relationnelle associée à sa perception de S, cette
correspondance Ω étant prolongeable, dans le contexte du phénomène, à
une correspondance compatible Γ établie antérieurement entre les struc­
tures éidétiques de  et de S.
Pour exprimer que  est un prolongement de Ω dans le sens précisé ci-
dessus nous noterons [Ω ≤ Γ] la double barre indiquant la possibilité pour
Ω d'être un Γ, c'est-à-dire la possibilité pour Ω d'être d'emblée une corres­
pondance compatible universelle. Nous représenterons donc un phénomè­
ne sémiotique par le triplet (, S, [Ω ≤ Γ]). Par rapport au signe triadique
peircien on voit qu'à la notion d'interprétant correspond la notion de pro­
longement de correspondance compatible. Nous montrerons plus loin com­
ment on peut diviser ce prolongement en phases qui correspondent aux dis­
tinctions peirciennes entre interprétant immédiat, interprétant dynamique
et interprétant final. A chaque moment du processus de prolongement et
dès la création de Ω dans l'esprit de l'interprète les trois éléments du phé­
nomène sémiotique O, S et la détermination correspondante de l'esprit sont
triadiquement liés au moyen d'une sous-structure relationnelle présente si­
multanément dans (U°, σ°), (Us, σS) et (Ys, {αiS})iεI. Cette sous-structure,
en expansion pourrait-on dire, varie dans le temps de la sémiosis sans cesser
d'assurer la liaison triadique concrète entre les trois éléments ; nous l'iden­
tifierons sans réserves avec ce que Peirce nomme le fondement (ground) du
representamen dans le texte n°9, "cette sorte d'idée" grâce à laquelle le si­
gne tient lieu de son objet. De plus notre modélisation rend aussi compte
des relations dyadiques de détermination à l'intérieur du phénomène sé­
miotique: les correspondances compatibles entre structures relationnelles
associées à S et à O, les applications injectives compatibles des structures
relationnelles associées à chaque objet par une communauté sémiotique,
par chacun des individus qui la composent prennent en charge ces détermi­
nations. De ce double point de vue il apparaît que les approches "globale
triadique" et "analytique triadique" que nous avons relevées dans la démar­
che de Peirce sont fondues dans notre modèle.
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 65

Nous allons maintenant examiner les principales conceptualisations des


phénomènes sémiotiques telles qu'elles nous sont proposées par la tradition
afin de les situer par rapport aux conceptions peirciennes et donc au modèle
que nous proposons.

4. Correspondances conceptuelles

On s'accorde généralement à reconnaître aujourd'hui deux grandes famil­


les de pensée quant à la conceptualisation des phénomènes sémiotiques. Ce
sont, d'une part, le courant qualifié de saussuro-hjelmslévien représenté
pour l'essentiel par A. J. Greimas et l'Ecole de Paris qui se distingue par son
souci de rigueur et d'explicitation formelle d'une masse chaotique, très hé­
térogène qui met à toutes les sauces le couple signifiant-signifié et, d'autre
part, un courant qualifié de logico-pragmatique qui trouve sa source dans
les travaux de C.S. Peirce mais qui est loin d'avoir gagné son unité, divisé
qu'il est par la diversité des emprunts faits à Peirce et la diversité de leurs
interprétations, quelquefois très libres. L'ensemble des textes de l'annexe
A analysés en section I.3 montre que l'oeuvre de Peirce se prêtait hélas fort
bien à de tels avatars et bien des jugements péremptoires portés quelque­
fois à partir d'une connaissance de seconde main ont conduit à des erre­
ments ou à un habillage de la pensée de Peirce devant lesquels "la torche de
la vérité" n'est pas brandie.
Bien entendu la situation réelle n'est pas tranchée comme cette divi­
sion en deux courants le laisse supposer. Ce qu'on a pu appeler la sémioti-
que "italienne" dont le chef de file est Umberto Eco qui emprunte aux deux
courants principaux sans rechercher explicitement leur synthèse, la sémio­
logie de Barthes qui n'est certainement pas disparue avec lui, la sémiotique
"dynamique" animée par le Cercle de Toronto dont Thomas Sebeok est un
des représentants les plus caractéristiques, plus ou moins renforcée par les
propositions de René Thom, sont des courants qui se manifestent avec plus
ou moins de vigueur.
Cette énumération n'est pas exhaustive et on pourra se reporter à l'ar­
ticle de F. Rastier (à paraître) pour un inventaire des principales concep­
tions qui rivalisent dans le champ de la sémiotique. Cependant notre pro­
pos n'est pas de faire ici la sociopolitique de ce champ (qui est ébauchée
dans Marty, 1985), mais d'examiner les fondements empiriques et théori-
66 L'ALGEBRE DES SIGNES

ques des principales orientations en essayant de mettre en évidence les dif­


férences d'approche méthodologique et les différents découpages des phé­
nomènes sémiotiques qu'opèrent les uns et les autres. Nous nous en tien­
drons donc à une étude comparée des thèses principales des pères fonda­
teurs que sont Ferdinand de Saussure, Louis Hjelmslev et Charles S. Peirce
en considérant qu'elles constituent les trois axes par rapport auxquels toute
autre conception ayant acquis quelque importance pourra être repérée.
Avant toute chose notons cependant que Hjelmslev aussi bien que Peirce
sont explicitement d'accord pour reconnaître, qu'en dernière analyse, c'est
l'adéquation de la théorie à son objet, constatée dans des procédures de
vérification propres au domaine, qui est juge de la pertinence de la concep­
tualisation des phénomènes:
L'issue du choix dépend de la vérification éventuelle de l'hypothèse qui
vient d'être énoncée, celle de l'existence d'un système qui sous-tend tout
procés. (Hjelmslev 1968:19)
Le lecteur, de son côté, doit répéter pour lui-même les observations de
l'auteur et décider en se fondant sur ses propres observations si la descrip­
tion des apparences que donne l'auteur est correcte ou non. (Peirce 1.287).
Dans un premier temps nous allons comparer les conceptualisations de
Saussure et de Peirce, puis nous examinerons si les apports des continua­
teurs de Saussure, au premier rang desquels on trouve évidemment Hjel­
mslev, modifient et de quelle manière, les appréciations auxquelles nous
aura conduit cette première étude. De toute façon on peut a priori penser
que ces analyses comparées sont non seulement nécessaires mais encore
qu'elles doivent être possibles. Il serait étonnant que des esprits aussi pé­
nétrants n'aient pas saisi, peut être sous des vocables différents, les traits
essentiels du signe et celà même s'ils se limitaient le plus souvent aux signes
linguistiques comme Saussure et Hjelmslev. S'il n'en était pas ainsi on
pourrait alors douter que dans la facticité des phénomènes sémiotiques
s'exprime quelque nécessité, ce qui reviendrait à nier toute possibilité d'ap­
proche véritablement scientifique.
La définition du signe saussurien est bien connue; c'est:
une entité psychique à deux faces, l'image acoustique et le concept, deux
éléments intimement unis qui s'appellent l'un l'autre. L'image acoustique
n'est pas le son matériel, chose purement physique, mais l'empreinte psy­
chique de ce son, la représentation que nous en donne le témoignage de
nos sens. (Saussure 1974:98-99)
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 67

L'image acoustique prendra le nom de signifiant et le concept celui de


signifié. Ce dernier apparaît à Saussure d'un côté comme:
la contrepartie de l'image auditive dans l'intérieur du signe, et, de l'autre,
ce signe lui-même, c'est-à-dire le rapport qui relie ses deux éléments, est
aussi, et tout autant la contrepartie des autres signes de la langue. (Saussu­
re 1974:159)
On peut faire un rapprochement immédiat avec la définition du texte
n°30 dont nous avons vu qu'elle était l'une des plus précises et des plus for­
malisées qu'ait donné Peirce. Le signe y est défini comme corrélat actif-pas­
sif déterminé par un objet actif vis à vis de lui tandis qu'il est lui-même pas­
sif dans sa relation à cet objet, déterminant un interprétant passif tout en
étant actif dans cette relation à l'interprétant, lequel détermine à son tour
un autre interprétant vis à vis duquel il est actif et ainsi de suite, ad infini­
tum (cette dernière caractéristique étant rajoutée par nous à la définition
n°30 en conformité avec les vues de Peirce sur la semiosis exposées par ail­
leurs). Dans le cas précis du signe linguistique saussurien qui se place dans
le cas d'un mot émis par un locuteur (comme /arbre/) il est clair qu'on peut
identifier sans réserves l'empreinte psychique de Saussure avec la "partie"
passive de l'interprétant de Peirce, le terme "empreinte" se prêtant d'ail­
leurs à merveille à cette identification. Nous écrivons "partie" entre guille­
mets car ce terme est assez impropre à désigner ce qui est l'être de l'inter­
prétant dans sa relation au signe et qui donc n'a aucun caractère substantiel
mais révèle la capacité de l'esprit à subir des déterminations sous l'action du
signe tout comme l'empreinte psychique de Saussure révèle la plasticité du
psychisme du sujet récepteur. Dans l'un et l'autre cas il s'agit de la capacité
passive à entretenir une certaine relation avec une chose matérielle, rela­
tion qui consiste à subir l'action de cette chose. En somme, ce qui est rete­
nu par l'un et l'autre auteur c'est ce caractère de l'esprit humain qui organi­
se les sensations provoqués par des stimuli et transmises par les sens suivant
des formes préexistantes, des formes déjà là, dans la langue notamment.
Nous retrouvons là notre point de départ, ce qui nous permettra en conclu­
sion de cette section de situer le modèle triadique que nous proposons par
rapport à nos auteurs. On y retrouve le fait que dans sa perception d'un si­
gne linguistique l'esprit humain se voit en quelque sorte contraint d'organi­
ser les sensations dans des configurations formelles imposées par la culture
(les patterns des psychologues), des déjà-là surdéterminants dans lesquels
est plongée toute relation de l'esprit aux choses. Chacune de ces configura­
tions formelles — que nous avons mathématisées sous le nom de structures
68 L'ALGEBRE DES SIGNES

relationnelles dans la section II.2 — est appelée empreinte psychique ou si­


gnifiant par Saussure, interprétant par Peirce, mais interprétant en tant que
membre de la dyade (signe, esprit), dyade constituée, fondée par la trans­
mission d'une certaine forme de l'objet à l'esprit à travers le signe, trans­
mission qui se poursuit à travers les interprétants successifs jusqu'à l'inter­
prétant final. Au cours de cette transmission la configuration originelle
s'enrichit des expériences antérieures du sujet jusqu'à se fixer définitive­
ment. Cette suite d'interprétants successifs, privée de la partie passive du
premier de la série constitue l'autre "partie" de l'interprétant peircien.
Nous la mettrons en rapport, dans le cas particulier du signe linguistique,
avec la contrepartie des autres signes de la langue dont parle Saussure. En
effet puisque l'interprétant d'abord passif est ensuite actif vis à vis de l'in­
terprètant suivant qu'il détermine, il est donc considéré lui aussi dans sa re­
lation à un autre signe. Il produit donc, en suivant le schéma de Saussure,
une nouvelle empreinte psychique intimement liée à une autre face et ainsi
de suite. Rien ne s'oppose à l'identification de la suite des interprétants suc­
cessifs de Peirce avec la présence simultanée des autres signes qui, selon la
conception de Saussure, est constitutive de la valeur du signe. Il la repré­
sente par le schéma de la Figure 11 (Saussure 1974:159).

Figure 11.

La correspondance consiste précisément à identifier la "partie" passive


d'un interprétant de la série avec le signifiant et la "partie" active avec le si­
gnifié. De manière plus précise cela revient à mettre en correspondance
l'interprétant peircien comme source d'une semiosis infinie avec le signe
saussurien considéré comme "centre d'une constellation, le point où
convergent d'autres termes coordonnés dont la somme est indéfinie" (Saus­
sure 1974:174). Pour que l'identification soit complète il suffira de décrire
de manière plus précise la semiosis comme un processus dynamique d'ex­
ploration et de sommation de la constellation, processus qui consisterait en
inférences successives dans un contexte déterminé et guidé par l'habitus
collectif, ce que nous entreprendrons plus loin. Si nous représentons les
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 69

deux "parties" de chaque interprétant I par I pour la partie passive, Ia pour


la partie active on obtient le diagramme de la Figure 12 (à mettre en rap­
port avec celui de la Figure 11) dans lequel la double barre représente
l'identité et où les relations diadiques ne sont pas représentées.

Figure 12.

Alors le signifiant saussurien est exactement I et le signifié la série in­


finie .On voit donc que le couple signifiant/signi­
fié de Saussure saisit la partie de la semiosis qui se déroule dans l'esprit en
regroupant en une seule notion toute la chaîne des interprétants telle que la
conçoit Peirce. Comme il y a, à chaque pas, transmission d'une forme, la
langue telle que la conçoit Saussure apparaît donc comme la fraction des
institutions sociales restreinte aux signes linguistiques dont elle règle la
transmission des formes.
Les identifications auxquelles nous venons de procéder permettent de
mieux différencier les approches de Saussure et de Peirce et de comprendre
pourquoi l'une est dyadique et l'autre triadique. Saussure exclut de la lin­
guistique le son matériel, la chose purement physique pour n'en retenir que
"la représentation que nous en donne le témoignage de nos sens", c'est-à-
dire l'image acoustique ou signifiant. Ce dernier est donc déjà une repré­
sentation; la chose matérielle n'est impliquée dans le signifiant que comme
image de ce que Peirce nomme le signe (ou representamen avant 1905).
Cette remarque permet de conclure que le signe saussurien saisit seulement
une partie de la "triplicité" du phénomène sémiotique tel qu'il est concep­
tualisé dans le signe peircien. L'objet du signe, représenté par le correlat
actif O, le signe S lui même comme correlat passif sont laissés volontaire­
ment hors du champ théorique pour des raisaons qui tiennent au découpage
du champ de la linguistique institué par Saussure. Le signe (celui de Peirce,
la chose concrète qui représente) y est pris en compte uniquement par son
effet sur l'esprit (empreinte psychique) qu'il moule donc seulement comme
correlat actif. Mais en tant que correlat il est tenu hors du champ, cette re-
70 L'ALGEBRE DES SIGNES

lation réelle étant volontairement ignorée. Saussure réintègre d'une certai­


ne manière les relations réelles entre objet et signe, entre signe et esprit au
moyen de la notion de force sociale agissant sur la langue. Cette suspension
toute théorique des effets de cette force le contraint à la faire intervenir de
l'extérieur du signe, après coup pourrait-on dire, alors que le signe peir-
cien, en intégrant dans sa conceptualisation le rapport au monde du sujet
sémiotique intègre du même coup la dimension sociale du phénomène.
Le point de vue de Hjelmslev, tout aussi linguistique, est nettement
plus élaboré mais tout à fait semblable dans son principe. Hjelmslev consta­
te l'existence d'une fonction sémiotique posée entre deux grandeurs: une
expression et un contenu, termes dont il fait un usage purement formel et
opérationnel; ce sont "des fonctifs qui contractent la fonction sémiotique"
(1968:72).. Fonctifs et fonction sémiotique sont solidaires et la fonction sé­
miotique est en elle-même une solidarité: "il est impossible qu'il existe une
expression sans contenu et un contenu sans expression" (1968:73), ce qui
selon lui résulte d'une consubstantialité de la pensée et du langage. Repre­
nant Saussure il précise que substance du contenu (pensée) et substance de
l'expression (chaîne phonique) dépendent exclusivement de la forme et
n'ont pas d'existence indépendante et il conclut que la fonction sémiotique
institue une forme dans l'un de ses fonctifs (le contenu), la forme du conte­
nu et fait la même remarque à propos de l'expression. Chacune de ces deux
formes détermine la substance correspondante. Forme du contenu et forme
de l'expression qui existent en vertu de la fonction sémiotique prennent,
suivant l'image de Hjelmslev, la substance dans leur filet. Comme le signe
saussurien, le signe hjelmslevien est une grandeur à deux faces: une unité
constituée par la forme du contenu et la forme de l'expression et établie par
la solidarité qui est appelée fonction sémiotique.
Pour le comparer au signe peircien il est préférable de se reporter aux
textes n°64, 66, 67 de MS 793 que nous avons déjà évoqués et qui définis­
sent en gros le signe comme médium pour la communication d'une forme
dont Peirce dit qu'elle est réellement incorporée dans l'objet dans lequel
elle ne cesse pas d'être, même lorsqu'elle est communiquée, car son être est
l'être d'un prédicat. Nous avons interprété ces textes en considérant que
cette forme (sous-structure relationnelle caractéristique) fondait la relation
triadique entre Objet, Signe et Interprétant; portée par le signe elle s'impri­
me, pour ainsi dire dans l'esprit (interprétant passif) tout en réactivant les
expériences antérieures du sujet (interprétant actif). On peut dire que Hjel­
mslev, à l'instar de Saussure, saisit un moment de la semiosis peircienne
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 71

mais le saisit comme moment de la transmission d'une forme abstraite,


l'instrument formel de cette saisie étant la fonction sémiotique. Les subs­
tances de Hjelmslev sont ce sur quoi la forme transite. C'est ainsi que l'on
peut lire (1968:82) l'explication qu'il donne du mot [bwa]. Se guidant sur
Saussure il approfondit la dimension formelle de la relation signifiant/signi­
fié et en distinguant la fonction sémiotique il ne fait que constater qu'une
forme est passée et a instauré la communication. Pour Peirce la semiosis
consiste aussi dans la circulation d'une forme (avec des gains néguentropi-
ques d'information produits par des inférences) qui dans la conception de
Hjelmslev "découpe" des substances dans  puis dans S et ensuite dans
tous les interprétants successifs. Hjelmslev saisit formellement le passage
de cette forme du monde extérieur dans le monde intérieur du sujet sémio­
tique.
Ces considérations mettent en évidence une certaine parenté entre les
conceptions mais l'écart constaté entre Peirce et Saussure subsiste toujours
entre Peirce et Hjelmslev. Le monde extérieur n'est intégré au signe ni chez
Saussure ni chez Hjelmslev autrement qu'au travers de conditions ou de cir­
constances intervenant de l'extérieur mais en aucun cas constitutives du
modèle. Celui-ci n'est plus alors qu'un moyen de saisir les significations qui
ne peut intégrer, par construction pourrait-on dire, à la compréhension du
monde la représentation qui permet de le saisir en le produisant. C'est la
conception de Peirce, clairement exprimée dans son explication du dicisi-
gne (toutes les propositions sont des dicisignes), le principal genre de signe
selon lui. Dans le dicisigne, écrit-il, "une partie représente l'objet et une
autre partie représente comment le signe représente l'objet". Le signe peir-
cien saisit donc le monde comme représenté dans le signe et le signe comme
élément du monde représentant le monde; le signe saussurien ne peut saisir
que sa représentation dans le signifiant, le signe hjelmslévien la fonction re­
présentative au moment ou elle opère du monde vers le sujet. Ces choix
théoriques peuvent finalement être rapportés à des attitudes philosophi­
ques différentes. Celle de Peirce consiste à tirer toutes les conséquences du
caractère nécessairement inférentiel de toute réalité (en ce sens qu'elle est
inférée depuis un constat d'invariance de certains caractères ou configura­
tions de caractères dans la représentation du monde). Celles de Saussure et
de Hjelmslev saisissant le reflet du monde dans la pensée conduisent à pen­
ser le monde indépendamment de sa représentation dans le signe. Si la pre­
mière est triadique c'est parce qu'elle incorpore dialectiquement dans les si­
gnifications les relations entre objets indépendantes du sujet (des réalités
72 L'ALGEBRE DES SIGNES

objectives) et des relations entre les objets et l'esprit, les unes étant la par­
ticularité des autres. Si les secondes sont dyadiques c'est parce qu'elles au-
tonomisent un moment de cette dialectique en laissant en dehors du champ
théorique qu'elles délimitent a priori "le monde réel avec ses relations réel­
les". Ces différences apparaîtront peut être mieux si nous les exprimons
dans notre modèle de la section précédente; auparavant nous allons rappe­
ler la place des signes linguistiques dans ce modèle.
Dans la configuration perceptive correspondant à un signe linguistique
isolé, comme un substantif, quelle soit causée par un graphisme ou un en­
semble de sons, l'objet du signe linguistique est incorporé comme forme
imposée par la culture au moyen de la violence symbolique (voir la section
I.4). Si nous l'exprimons dans le modèle triadique de la section II.2 cela re­
vient à dire que l'objet  se confond avec sa structure éidétique (U°, σ°) et
donc que toute expression d'un tel signe linguistique n'est pas autre chose
que l'incorporation de cette structure éidétique ou forme dans un matériau
graphique ou phonique (à la production du signe) ou à une identification de
cette structure avec une structure déjà là dans l'esprit de l'interprète (grâce
à son inculcation par la "société institutrice" selon l'expression de R. Lou-
rau) à l'interprétation du signe. Certains éléments, à savoir ceux qui sont
nécessaires à la construction ou à l'interprétation de cette structure, sont es­
sentiels: ce sont ceux qui sont retenus, par exemple, dans la reconnaissance
des formes et notamment dans la lecture automatique ou la commande vo­
cale par ordinateur. D'autres sont inessentiels: type d'écriture, couleur de
l'encre, taille des lettres, ton de la voix, accent, etc.. Le signe S est bien un
objet physique comme dans le schéma mais l'objet  est une configuration
abstraite, une structure relationnelle selon notre formalisation. L'emprein­
te psychique ou signifiant de Saussure correspond alors aux éléments de Y
appartenant à la configuration perceptive du signe S mobilisés par la corres­
pondance Ω et le signifié à ceux de (U°, σ°) injectés dans (Xo, a°) qui lui est
pratiquement isomorphe lorsque l'interprète "connaît bien sa langue".
Quant à la fonction sémiotique de Hjelmslev on peut sans problème l'iden­
tifier à une correspondance analogue à Ω en ce sens qu'elle a lieu entre une
forme incarnée dans S (c'est-à-dire la sous-configuration perceptive carac­
téristique qui unit des éléments concrets sources de stimuli sélectionnés) et
la structure relationnelle abstraite de l'objet du signe. Le matériau phoni­
que ou graphique apparaît alors comme substance sémiotiquement formée
de l'expression et la structure relationnelle se trouve dotée d'une substance
hypothétique — la pensée — qu'elle informe de la même façon. Les deux
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 73

faces du signe hjelmslévien apparaissent alors comme deux façons de regar­


der la forme incorporée dans le signe linguistique: d'abord comme forme
réalisée dans un matériau physique — c'est la forme de l'expression — puis
comme forme pure ayant une existence séparée de ces réalisations — et
c'est la forme du contenu-. Si ces identifications sont valides on peut expli­
quer le caractère universel de toute linguistique fondée sur de telles prémis­
ses, ce qui peut la faire apparaître comme une linguistique universelle posi­
tive dans le négatif de laquelle on peut inscrire la sociolinguistique qui au­
rait la charge de réintroduire dans le champ théorique la particularité ainsi
évacuée, à savoir celle qui travaille les normes universelles dans chacune de
leurs incarnations dans des rapports sociaux de communication. On retrou­
verait alors là ce mécanisme d'exclusion du social puis son retour (le retour
du refoulé?) sous forme de correctif, dichotomie du champ théorique qui
appelle une unification conceptuelle que la méthodologie impliquée par la
démarche peircienne parait en mesure de réaliser. Elle présente en outre
un avantage supplémentaire à cause de sa plasticité car le modèle peut être
compliqué en faisant ressortir des caractéristiques qui correspondent aux
phases transitoires de l'interprétation, phases logiquement nécessaires pour
remonter de la particularité de l'expérience réalisée dans la perception du
signe jusqu'à l'universalité du signe social.

5. Intérprétation vs production: la communication

Les éléments essentiels du signe peircien sont, nous l'avons vu, le Signe,
l'Objet et l'Interprétant. Cela suffit à montrer combien la conception peir­
cienne du signe est tournée vers l'interprétation. Le problème de la prise en
charge théorique de la production des signes dans la perspective peircienne
est donc à tout moment posé comme en écho à celui de l'interprétation.
Une certaine mise au point théorique est donc absolument nécessaire si l'on
souhaite situer les phénomènes sémiotiques dans la perspective de la com­
munication, qu'il s'agisse de communication inter-individuelle ou de com­
munication de masse.
La première question à laquelle il est indispensable de répondre est la
suivante: si la plupart des auteurs se sont intéressés presqu'exclusivement
au problème de l'interprétation des signes n'est ce pas parce qu'ils considè­
rent que leur production serait du même coup décrite par simple réversibili­
té? Interprétation et production étant considérés comme des processus to-
74 L'ALGEBRE DES SIGNES

talement réversibles, il suffit évidemment de décrire l'un pour décrire l'au­


tre. C'est l'opinion, par exemple, de Umberto ECO (1980:21) pour lequel:
les processus du signe sont tels pour autant qu'ils sont réversibles, comme
tous les processus intellectuels (Piaget 1968); on peut passer du signe à son
référent quand on est capable d'effectuer pareillement le chemin inverse;
c'est-à-dire, quand on sait non seulement que là où il y a de la fumée quel­
que chose brûle, mais encore que quand quelque chose brûle il se produit
de la fumée.
Notre thèse sera sensiblement différente et plutôt que de "réversibili­
té" nous parlerons de "dualité" en un sens que les formalismes algébriques
que nous avons adoptés pour formaliser les phénomènes sémiotiques nous
permettront de fixer très précisément.
Mais auparavant, et puisque notre propos se situe dans la perspective
peircienne, essayons de voir ce que Peirce lui-même dit de la production
des signes ou plutôt, pour utiliser son vocabulaire, de leur émission. Bien
qu'il s'y intéresse très rarement et bien qu'il soit très difficile de se livrer à
une recherche exhaustive sur l'ensemble de ses écrits, les quelques citations
ci-dessous doivent suffire à donner une idée de ses conceptions en la matiè­
re.
La première est tirée de "Apology for pragmaticism" qui parut dans
The Monist en 1906 et est reproduite en 4.551:
En outre, les signes requièrent au moint deux quasi-esprits; un quasi-émet­
teur et un quasi-interprète; et bien que ces deux soient en un (c'est-à-dire
soient un esprit) dans le signe lui-même, ils doivent néanmoins être distin­
gués. Dans le signe, ils sont, pour ainsi dire, soudés.
Dans le même article on lit une note de 4.552, au sujet du Phème qui
est un type de signe intervenant dans les graphes existentiels, que ces signes
sont produits par la collaboration de deux parties au sujet desquelles il pré­
cise: "Ce sont deux corps de personnes, deux personnes, ou deux attitudes
mentales ou états d'une personne". Dans le même paragraphe il précise en­
core que
les deux parties collaborant [dans le signe] seront appelées le Graphiste et
l'Interprète. Le Graphiste aura la responsabilité d'écrire chaque graphe
originel et chacune des additions à ce graphe. [...] L'interprète aura a faire
les effacements et les insertions au graphe que lui livre le Graphiste en ac­
cord avec les "Permissions générales" déductibles des Conventions et ses
propres buts.
Il n'est pas inutile de reproduire à nouveau une partie du texte déjà re-
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 75

produite en section I.4 (suite immédiate du texte n°33):


Il y a l'Interprétant Intentionnel, qui est une détermination de l'esprit de
l'émetteur; l'interprétant Efficace, qui est une détermination de l'esprit de
l'interprète; et l'Interprétant Communicationnel, ou disons le Cominter-
prétant, qui est une détermination de cet esprit dans lequel les esprits de
l'émetteur et de l'interprète doivent être fondus pour qu'une communica­
tion puisse avoir lieu.
Enfin dans MS 793 (texte n°67), Peirce précise, après avoir défini le si­
gne comme "médium pour la communication d'une forme":
Mais il est nécessaire qu'il y ait deux, sinon trois, quasi- esprits, c'est-à-dire
des choses capables de déterminations variées en ce qui concerne les for­
mes du genre communiqué.
Cet ensemble de textes nous éclaire parfaitement sur les conceptions
de Peirce en matière de communication: tout signe est communication; en
lui émetteur et interprète fusionnent. La note de 4.552 est particulièrement
significative à cet égard car elle montre bien que cette conception englobe
aussi bien la communication interindividuelle au sens de Jakobson que la
pensée dialogique. Autrement dit, et l'analyse de la notion de quasi-esprit
nous le montrera de manière plus précise, l'interprète peut non seulement
interpréter des signes extérieurs et communiquer avec le monde extérieur,
mais encore il peut interpréter les signes qu'il produit lui même ou que les
signes extérieurs produisent en lui, ce qui rend la semiosis possible. Quant
au Cominterpretant nous lui avons donné en section I.4 la signification
d'une institution sociale dans son moment de l'universalité et l'Interprétant
Intentionnel, détermination de l'esprit de l'émetteur aussi bien que l'Inter­
prétant Efficace, détermination de l'esprit de l'interprète, sont deux parti­
cularités distinctes de cet universel. C'est en ce sens que nous pouvons com­
prendre que l'émetteur et l'interprète sont des "dépositaires de la pensée'"
comme l'écrit Peirce dans le texte n° 40e, mais de la pensée dans son ac­
ception universelle. Il nous reste à voir quel usage nous pourrions faire de
la notion de quasi-esprit.
Un quasi-esprit est, pour Peirce, quelque chose capable de détermina­
tions variées du type de celles qui sont communiquées dans un signe. La
meilleure façon de concevoir ce quasi-esprit pourrait être de le considérer
comme une sorte d'automate. En cela nous rejoignons Umberto Eco
(1980:167) qui propose une ébauche de théorie unifiée du signe faisant ap­
pel à "un automate capable de comportements sémiotiques". Les détermi-
76 L'ALGEBRE DES SIGNES

nations dont parle Peirce seraient alors les états de cet automate qui se­
raient de deux types correspondant, l'un à l'émission, l'autre à l'interpréta­
tion. Cependant, et pour être en accord avec la note de 4.552, ces états
s'exclueraient l'un l'autre. C'est ainsi qu'un signe émis par une personne
peut être interprété par cette même personne et conduire à un objet diffé­
rent de celui qu'il était censé représenter, ce que nous faisons par exemple
quand nous interprétons nos propres énoncés. Dans cette hypothèse le Co-
minterprétant serait alors l'ensemble des règles de fonctionnement commu­
nes à tous les automates, étant entendu que ces règles sont suffisamment
floues pour expliquer les dysfonctionnements de la communication que
nous observons quotidiennement. En effet si nous concevions un automate
qui établirait des règles de correspondance biunivoques entre les signes et
leurs objets nous ne pourrions rendre compte que de communications réus­
sies et la sémiotique se réduirait alors à un décryptage de langages formels
explicites. Il y a, à l'évidence, des possibilités multiples d'association d'un
signe à des objets et d'un objet à des signes dont tout modèle doit tenir
compte.
Nous reviendrons sur cet aspect de la théorie quand nous traiterons des
champs d'interprétants mais nous noterons au passage que cette approche
peut nous permettre d'aborder dans une démarche originale certains des
problèmes de l'intelligence artificielle, la conception triadique du signe
pouvant s'y révéler d'un grand intérêt heuristique.
Examinons maintenant la question de la production des signes du
même point de vue qui a été le notre dans la section I.4, c'est-à-dire en ter­
mes de configurations perceptives. Dans l'interprétation il s'agit en quelque
sorte de retrouver dans une forme perçue une relation avec une forme déjà
dans l'esprit (au moyen de la correspondance). La relation à retrouver (ap­
pelée Γ) est un institué (par la nature ou la culture) ou quelquefois un insti­
tuant. Dans la production le mécanisme est inverse: il s'agit de choisir un
objet d'expérience directe cause de configurations perceptives qui doivent
contenir une forme de relations à transmettre. Cette forme est dans l'esprit
de l'émetteur du signe et doit être transmise de façon à être reconnue par
un éventuel interprète. Ce choix peut, suivant les besoins et les buts de
l'émetteur, se faire dans l'institué ou l'instituant tels que nous les avons dé­
crits; l'ambiguïté même peut être recherchée (mais ces cas peuvent être
écartés au début de l'étude et sont sans conséquences sur l'élaboration
théorique). Il y a donc dans la production des signes, autrement dit dans la
genèse des phénomènes sémiotiques, une sorte d'anticipation de l'inter-
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 77

prétation qui est proche de l'intentionnalité mais la dépasse très largement


dans la mesure ou le producteur est presque toujours incapable de maîtriser
cette interprétation car il faudrait pour cela qu'il ait une connaissance par­
faite (donc impossible) de tous les champs d'interprétants en vigueur dans
la société. C'est ce qu'exprime trés bien nous semble-t-il Jean Paul Sartre
(1979:25 et passim) en répondant à une question de Michel Sicard relative
à la pluralité du sens et à la place qu'il accorde au public dans la production
de l'écriture:
Je modifie les mots en fonction de l'idée que j'ai de lui [le public], c'est-à-
dire de moi recevant ce que je veux écrire. Mais en même temps c'est
quelqu'un de beaucoup plus large, de beaucoup plus indéfini que moi. [...]
Il y a là évidemment une première notion du public qui est à l'intérieur
quasiment de l'oeuvre. C'est la première version: j'écris un article pour
mon public que je détermine à peu près d'après des milieux sociaux, avec
les interdits et les possibles actuels. [...]. Bref il y a une première action du
public sur l'oeuvre qui est en accord avec moi: il lit les mots, il les retient"
ensemble comme je veux qu'il le fasse et il donne aux mots le sens qui res­
sort des autres mots comme je désire qu'il le fasse. Ça c'est un premier de­
gré. Il y en a un second qui est le sens, c'est-à-dire quelque chose qu'il met
dans la phrase, dans la page, dans l'oeuvre entière, qui n'est pas dite, par­
ce qu'elle ne peut pas se dire.
Puis analysant l'exemple de l'écriture de "une belle journée d'au­
tomne" il conclut:
"Une belle journée d'automne" , c'est à la fois ma journée et la journée
extérieure objective. Et le ciel est donné comme un mélange de ma jour­
née et de la journée objective: c'est un de ces concepts subjectivo-objectifs
qui sont une des caractéristique du style, le subjectif d'ailleurs étant une
certaine forme de la pensée exprimée qui peut aussi bien être objectif,
c'est-à-dire que le subjectif est repris par l'objectif.
Enfin répondant à la question suivante sur les risques de "déportation
du sens":
quand j'écris une phrase, je ne pense pas que son sens soit accessible au
premier coup à tous les lecteurs. Il me suffit qu'il soit accessible, c'est-à-
dire qu'après un certain travail, on puisse y voir que je ne l'ai pas caché,
que je l'ai expliqué à ma façon. C'est essentiel, ce sens total qui est mien
et que le lecteur doit pouvoir saisir. Mais il y a plus: les sens qui envelop­
pent ce premier sens, purement objectifs, ou d'une subjectivité qui est re­
construite par l'objectivité et à travers elle... De sorte que la phrase a des
sens que je n'ai pas donnés, que je ne connais pas et je sais quand j'écris
que ces sens existent: je ne fais rien pour les avoir, je sais qu'ils m'échap­
pent mais je sais qu'ils sont là.
78 L'ALGEBRE DES SIGNES

On relèvera dans ces lignes outre un grand nombre de considérations


qui recouvrent parfaitement des concepts que nous avons évoqués précé­
demment comme ce travail de reconstruction par le lecteur qui n'est autre
que la sémiosis que nous avons décrite comme complétion d'une forme à
une forme originelle, ainsi que cette première assimilation que fait Sartre
entre le public et lui-même recevant ce qu'il veut écrire dans le moment
même de la conception de l'écriture. Nous interprétons ceci comme une
référence au Cominterprétant ou '"commens": Sartre se sait dépositaire du
"commens" et il sait aussi que ce "commens" est déposé en lui comme par­
ticularité d'un universel, comme il sait qu'il en est de même pour son lec­
teur. C'est pourquoi en tant que dépositaire de cet universel (un universel
qui est donc concret dans le moment de l'écriture) il est aussi son propre
lecteur et donc l'activité de production est aussi une interprétation tandis
que du côté du public, c'est au mécanisme inverse que l'on assiste. Auteur
et lecteur sont finalement littéralement fondus dans le "commens" tout en
gardant des particularités qui sont aussi celles du commens qu'ils contri­
buent à transformer. La maîtrise des sens n'est donc pas autre chose que la
connaissance du "commens"; mais cette connaissance est pratiquement et
logiquement impossible. Pratiquement,à cause de son étendue et de sa
complexité; logiquement, au sens de la logique dialectique, parce que cha­
que acte de production ou d'interprétation contribue à sa transformation ce
qui le place toujours à l'horizon de la connaissance.
A la lumière de ces considérations nous pouvons avancer une descrip­
tion de la production des signes. Auparavant nous ferons une remarque
d'ordre terminologique. Nous opposons production de signes et phénomè­
nes sémiotiques sur la base suivante: dans la production de signes il y a une
opération concrète d'incorporation d'une forme dans une autre, cette incor­
poration pouvant se faire en opérant uniquement dans le contexte de la
production (comme par exemple lorsqu'on choisit un signe par ressemblan­
ce, parce que la forme à transmettre est potentiellement incorporée dans le
signe). Cette opération suppose une certaine forme d'intentionnalité qui
n'est pas nécessairement présente dans le phénomène sémiotique. En effet
le cas bien connu des signes dits naturels qui n'ont pas d'émetteur montre
bien qu'il y a une certaine dissymétrie: ils génèrent des phénomènes sémio­
tiques mais on ne peut leur faire correspondre une production, du moins au
sens ou nous l'entendons qui présuppose une participation humaine. C'est
pourquoi nous avons choisi de rendre compte de cette dissymétrie par une
dissymétrie dans la terminologie. Pour reprendre l'exemple de Umberto
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 79

Eco, disons que si la fumée n'a pas été produite intentionnellement comme
signal par une personne, elle donne naissance certes à un phénomène sé-
miotique et elle est un signe du feu mais puisqu'elle n'a pas de producteur
ce signe ne rentre pas dans le champ des phénonènes de production que
nous étudions actuellement.
Nous dirons donc que, dans une communauté sémiotique définie, à un
moment historiquement daté, par la donnée de champs d'interprétants
spécifiques il y a production d'un signe si et seulement si il y a une détermi­
nation de l'esprit d'un producteur consistant dans l'établissement d'une
identité entre, d'une part:
- une sous-configuration associée à un objet  présent à l'esprit du produc­
teur et préalablement modelée dans son esprit par des expériences anté­
rieures de perception de l'objet  et, d'autre part
- une sous-configuration d'une configuration perceptive d'un second objet
choisi ou créé par lui.
On dit alors que S est produit comme signe de  par le producteur
considéré.
Cependant la description ci-dessus appelle des précisions analogues à
celles que nous avons faites au sujet de la description des phénomènes sé-
miotiques. En effet si cette description semble convenir aux objets singu­
liers nous devons aussi montrer qu'elle s'applique aux "objets généraux".
La réponse est identique: la configuration caractéristique associée à chaque
objet général est conventionnellement celle de leurs représentations; leur
être est d'être représenté. C'est le cas par exemple des mots d'une langue
qui ont deux configurations perceptives associées (écrite ou orale) présen­
tes dans chacune de leurs occurrences (graphique ou phonique).
De la description nous passons à la formalisation mathématique com­
me nous l'avons fait en section I.3, ce qui nous conduit à la définition sui­
vante:
la production d'un signe est constituée par la donnée d'un objet  appelé
objet du signe, d'un objet S appelé signe et d'une correspondance compati­
ble entre la forme individuelle de  pour le producteur et la structure
relationnelle associée à ses perceptions de S, cette correspondance étant la
restriction aux images des structures éidétiques de  et de S respectivement
dans la forme individuelle de  et dans la structure relationnelle associée à
S, d'une correspondance compatible  établie antérieurement entre les
structures éidétiques de  et de S.
Le schéma illustrant cette formalisation est représenté Figure 13 dans
laquelle on a conservé les mêmes notations qu'en section I.3.
80 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 13.

La différence avec la formalisation des phénomènes sémiotiques réside


uniquement dans le fait que, dans la production, la correspondance compa­
tible est une restriction de Γ dans le contexte de l'interprétation par une sui­
te d'inférences tandis que dans l'interprétation il y a prolongement jusqu'à
Γ. La dualité production/interprétation se trouve donc reportée (pour les si­
gnes qui ont un producteur) dans une dualité restriction/prolongement de
correspondances compatibles Ω * et Ω à une même correspondance com­
patible Γ déjà-là. Quant aux processus concrets au moyen desquels s'effec­
tuent cette restriction et ce prolongement nous avons vu qu'il s'agit, en ce
qui concerne le prolongement de Ω à Γ, d'une suite d'inférences dans le
contexte de l'interprétation (sémiosis). Pour ce qui est de la restriction de Γ
à Ω, dont on peut dire qu'elle est rendue nécessaire par l'économie de la
communication et les possibilités objectives qu'offre un objet pour en rep­
résenter un autre, elle s'effectue au moyen de restrictions successives con­
trôlées par des inférences qui anticipent sur une éventuelle interprétation
dans un contexte plus ou moins prévisible. Ce processus (qui s'apparente à
une succession de chaînages avant et de chaînages arrière des moteurs d'in­
férences des logiciels d'intelligence artificielle) ne s'arrête qu'après avoir
atteint une sorte d'optimum, à la discrétion du producteur du signe, et en ce
sens on peut le mettre en dualité avec la sémiosis. Pour cette raison nous
l'appellerons co-sémiosis. Toute production de signe est donc caractérisée
par une co-sémiosis. Il peut donc y avoir des sémiosis sans co-sémiosis pré­
alables (signes sans producteur) et des co-sémiosis sans sémiosis qui s'en­
suive (signes sans interprète). C'est pourquoi nous définirons une com­
munication comme un couple ordonné constitué par une co-sémiosis suivie
d'une sémiosis suivant le schéma de la Figure 14 obtenu par la concaténa­
tion des schémas des Figures 10 et 13.
Grâce à ce schéma on peut inventorier tous les types possibles de dys­
fonctionnement de la communication intentionnelle qu'il s'agisse de com­
munication interindividuelle ou de communication de masse, la communi-
MODÉLISATION DES PHÉNOMÉNES SÉMIOTIQUES 81

Figure 14.

cation réussie étant évidemment celle qui produit la présence à l'esprit de


l'interprète  du même objet qui était présent à l'esprit du producteur A.
D'ailleurs, nous l'avons évoqué, A et  peuvent être la même personne
(c'est la pensée dialogique) ce qui advient par exemple lorsqu'une personne
produit un signe que son interprète ne comprend pas et qu'il dit: "je me
comprends". On peut aussi reprendre le texte de Sartre cité plus haut et
l'analyser à l'aide de ce schéma bien qu'il soit insuffisant pour l'expliquer
totalement. En effet il nous faut encore prendre en charge la combinatoire
des signes qui intervient évidemment dans toute communication et qui est
elle aussi génératrice de dysfonctionnement. Nous reprendrons la question
de la communication plus loin, quand nous aurons les moyens de traiter
globalement le problème. Cependant, pour revenir sur la question de la ré­
versibilité des processus sémiotiques nous pensons y avoir répondu en subs­
tituant à cette notion la notion de dualité entre sémiosis et co-sémiosis for­
malisée en une dualité restriction/prolongement de correspondances com­
patibles. Ce résultat nous dispensera, la plupart du temps, d'étudier sépa­
rément la production des signes. Il nous suffira en effet de "dualiser" les
concepts et les résultats obtenus dans l'étude de l'interprétation. Pour ex­
primer cette dualité dans les notations, à savoir que Ω* est une restriction
de , nous noterons [ ≥ Ω*] cette restriction, la double barre impliquant
la possibilité que Ω soit d'emblée l'image d'une correspondance compatible
universelle. La production d'un signe sera donc formalisée par le triplet
(0,S, [ ≥ Ω*]

6. Conclusion du chapitre deuxième

Toute notre étude n'a jusqu'ici concerné que des phénomènes sémiotiques
ne mettant en jeu qu'un seul objet, un seul signe, une seule série d'inter­
prétants (qui d'ailleurs reste encore à étudier, notamment du point de vue
82 L'ALGEBRE DES SIGNES

dynamique). Même si les objets dont il s'agit sont des objets complexes
quant aux structures relationnelles qui leur sont associées et même s'il s'agit
d'objets généraux ou d'objets multiples (c'est-à-dire des collections d'ob­
jets) nous les avons toujours considérés comme des totalités. Par exemple
notre modélisation s'applique à un énoncé du type "Pierre bat Paul" dont
l'objet est le couple (Pierre, Paul) constitué d'une certaine façon par l'objet
général associé au verbe "battre" au présent et qui, en tant que couple ainsi
constitué, a sa propre structure relationnelle. Cependant Pierre et Paul ont
chacun aussi leur propre structure relationnelle tout comme le verbe battre
au présent et il est clair que la structure relationnelle du couple (Pierre,
Paul) n'est pas sans rapport avec celle de ses constituants. L'énoncé "Pierre
bat Paul" peut donc être regardé comme agrégeant d'une certaine manière
des phénomènes sémiotiques impliquant un certain individu, Pierre, un au­
tre individu, Paul, et l'idée de "battre", un troisième objet général. L'énon­
cé en question peut donc être regardé comme combinant trois autres phé­
nomènes sémiotiques de moindre complexité. Ce sont des distinctions de ce
type qui n'ont pas été faites jusqu'ici et on conviendra aisément qu'une étu­
de des phénomènes sémiotiques ne serait pas complète s'il n'était pas tenu
compte de ces considérations qui mettent en lumière la nécessité de déve­
lopper une théorie combinatoire des phénomènes sémiotiques, ce qui est au
demeurant classique dans une démarche scientifique qui cherche à décrire
le complexe à partir du moins complexe. La complexité qui est ici en cause
est la plus ou moins grande richesse des structures relationnelles mises en
jeu, car on peut tenir pour acquis qu'une totalité est plus complexe que cha­
cune des parties qu'on peut y distinguer.
Si notre démarche a pu jusqu'ici ignorer ces distinctions c'est précisé­
ment parce que nous avons considéré objet, signe, interprétant chacun ex­
clusivement comme une totalité collective présente à l'esprit comme telle.
C'est ce que Peirce appelle un phanéron. Progresser dans l'intelligibilité des
phénomènes sémiotiques implique donc de se préoccuper de l'analyse de
ces phanérons et aussi de leur combinatoire. Ce fut une des grandes préoc­
cupations de Peirce. Il appelait phanéroscopie ou quelquefois idéoscopie
l'étude des phanérons et ses catégories phanéroscopiques constituent cer­
tainement un de ces aboutissements de la pensée philosophique que l'on
n'accorde qu'aux "maîtres-penseurs". Ce sera l'objet des chapitres suivants
d'essayer de coordonner dans la perspective que nous avons engagée, une
analyse des phanérons avec la description et la formalisation des phénomè­
nes sémiotiques de façon à rentrer plus profondément dans l'essence des
MODÉLISATION DES PHÉNOMÈNES SÉMIOTIQUES 83

phénomènes. Auparavant nous voudrions souligner encore un peu mieux


combien notre formalisation nous parait en accord avec les conceptions de
Peirce telles qu'elles s'expriment dans les textes cités en annexe et nous en­
gageons le lecteur à les relire en l'ayant présente à l'esprit. Certes il y aura
probablement quelques dissonances mais certains textes, comme le suivant
(n°59), nous paraissent justifier pleinement notre affirmation:
L'objet "chien" nous conduit à penser qu'il est un chien tel que la person­
ne à laquelle on s'adresse en a une quelconque notion. Mais l'Objet Réel
inclut alternativement d'autres chiens qui ne sont pas connus encore de la
personne à laquelle on s'adresse mais qu'elle peut très bien être amenée à
connaître un jour.
En ce qui concerne les caractères nous savons qu'il a quatre pattes, est
un animal carnivore, etc... et ici nous devons distinguer entre:
- premièrement, les caractères essentiels que le mot implique, l'interpré­
tant essentiel
- deuxièmement l'idée qu'il excite effectivement chez l'interprète particu­
lier
- troisièmement les caractères qu'il était destiné spécialement à exciter
- peut être seulement une partie des caractères essentiels, peut être d'au­
tres non-essentiels et que le mot excite maintenant bien que de telles cho­
ses n'aient pas été connues jusqu'ici.
En effet, "les caractères essentiels que le mot implique" peuvent être mis
en correspondance avec la structure éidétique (ces caractères n'étant pas
réduits à une liste mais étant une configuration de caractères en relation)
grâce à l'interprétant "essentiel" , l'idée qu'il excite chez l'interprète parti­
culier c'est la particularité de la correspondance entre l'Objet et le Signe et
ce mélange de caractères essentiels et non essentiels c'est ce que l'on trouve
précisément dans la configuration perceptive associée à l'expérience directe
du signe.
Ce qui va finalement dominer nos préoccupations dans les chapitres
qui suivent c'est le problème de l'unité multiple, celui des rapports entre
une totalité et des parties regardées comme constitutives. En d'autres ter­
mes c'est d'analyse et de synthèse des phénomènes sémiotiques que nous
allons traiter sans cesser de nous appuyer sur la réflexion de Peirce à laquel­
le nous pourrons adjoindre les possibilités combinatoires apportées par la
formalisation mathématique que nous avons proposée dans ce deuxième
chapitre.
CHAPITRE TROISIÈME

Modes d'être

On the other hand, I found Logic largely on a


study which I call Phaneroscopy, which his
the keen observation and generalization from
the direct Perception of what we are imme­
diately aware of.
C S . Peirce (EM III/2:869)
Lettre à W. James du 25 Décembre 1909

Introduction au chapitre troisième

Dans le Chapitre I nous avons fait l'hypothèse qu'un objet quelconque était
présent à un esprit dès lors que sa structure eidétique était formée dans cet
esprit. Nous avons souligné, de plus, que cette structure pouvait être for­
mée soit par organisation de stimuli sous forme de configuration perceptive
(ce qui nous a donné la possibilité qu'un même ensemble de stimuli puisse
être à l'origine de la présence à l'esprit de plus d'un objet, d'où notre défi­
nition du signe), soit par l'activité propre de l'esprit qui lui donne une
"substance" grâce à la mémorisation des sentiments.
En fait, la notion de présence à l'esprit est extrêmement vague. Cette
caractéristique est pleinement revendiquée par Peirce dans ses définitions
du Phanéron au point qu'il répond par avance aux objections qui peuvent
lui être faites à ce sujet. On peut le constater, par exemple, en MS 336 et en
MS 908, deux des textes que nous avons reproduits en annexe C. Cette an­
nexe regroupe quelques textes parmi les plus significatifs, tous relatifs au
Phanéron, à ses éléments indécomposables et aux catégories phanéroscopi-
ques. Une étude à prétention exhaustive comparable à celle que nous avons
faite pour la notion peircienne de signe ne s'est pas révélée nécessaire, Peir-
86 L'ALGEBRE DES SIGNES

ce n'ayant jamais varié sur ce point, pour autant que notre examen de ses
écrits à notre disposition permette de l'affirmer. Par contre, pour ce qui est
des justifications relatives à la décomposition en éléments indécomposables
en liaison avec la définition des catégories phanéroscopiques nous constate­
rons, non pas une évolution de ses conceptions, mais plutôt une évolution
et un accroissement des justifications qu'il avance. C'est ce que nous nous
sommes efforcés de mettre en évidence dans le choix de nos textes.
Dans la première section nous voudrions montrer que notre thèse per­
met de préciser, en lui donnant une expression mathématisée, cette vague
notion de présence à l'esprit sans en diminuer l'extension. C'est une voie
qui est recommandée par Peirce, bien que d'une manière très vague enco­
re, lorsqu'il écrit:
Une phénoménologie qui ne compte pas avec les mathématiques pures,
une science à peine venue à l'âge de raison quand Hegel écrivit, sera la
même pitoyable affaire boiteuse qu'Hegel à produite. (5.40)
Notre thèse corrélant présence à l'esprit d'un objet et création par l'es­
prit d'une structure consistant en une "forme de relations" débouche inévi­
tablement sur une algébrisation de la phénoménologie.

1. Phanéron et structures eidétiques

Peirce définit le Phanéron comme "tout ce qui est présent à l'esprit ou peut
se présenter à l'esprit en quelque sens que ce soit". Il n'a jamais varié sur
cette définition et les exemples qu'il en donne ne laissent aucun doute sur sa
volonté de préserver l'extrême généralité de cette notion. Deledalle (1978)
note que ce terme est équivalent, pour Peirce, à "phénomène" et qu'il les
utilise indistinctement. Peirce forge néanmoins ce mot nouveau pour se
prémunir des "associations par contiguïté" et surtout de l'écueil du psycho-
logisme qu'il décèle même chez Husserl qui pourtant s'en défend (4.7).
C'est aussi pour lui "le contenu total d'une conscience quelconque", ce qui
montre que le Phaneron n'est ni un fait extérieur existant en soi, ni un fait
intérieur (ou fait de conscience) n'existant que dans la conscience mais un
fait qui implique à la fois la conscience et quelque chose d'autre qui sera re­
connu ultérieurement, par inférences, comme étant conditionné par une
réalité extérieure.
Notre hypothèse suivant laquelle la présence à l'esprit d'un objet est
corrélative de la formation par cet esprit de la structure éidétique caracté-
MODES D'ETRE 87

ristique de cet objet peut être étendue au Phanéron tout entier. En effet le
Phanéron, en tant que totalité collective, en tant que contenu total de la
conscience d'un sujet peut être aussi regardé comme une totalité distributi­
ve c'est-à-dire comme un ensemble d'objets présents à l'esprit, ce qui per­
met de le mettre en correspondance avec la formation par l'esprit d'autant
de structures éidétiques qu'il y a d'objets dans cette totalité. Or toutes ces
structures éidétiques sont nécessairement incluses dans une structure rela­
tionnelle associée à une configuration perceptive qui peut résulter soit
d'une perception actuelle soit de la mémorisation de perceptions antérieu­
res. Cette configuration perceptive résulte, nous l'avons vu, de l'organisa­
tion formelle d'une masse de stimuli en provenance de l'extérieur, en der­
nière analyse. Elle participe donc du monde extérieur puisqu'elle y puise sa
"substance" (les stimulis actuels ou passés) et du monde intérieur qui lui
donne Sa forme, à savoir une forme de relations. Notre hypothèse implique
donc, puisqu'aucune structure eidétique ne peut exister sans "substance",
que le Phanéron coexiste nécessairement avec une configuration perceptive
dans laquelle la structure éidétique de chacun des objets que contient le
phaneron peut être incorporée. Cela revient donc à considérer l'esprit com­
me un producteur de jugements perceptuels formalisables en structures re­
lationnelles et ce qui est présent ou possiblement présent à un instant donné
à un esprit, c'est donc tout objet dont la structure éidétique est formelle­
ment incorporable dans la structure relationnelle. Par exemple si nous
étions à cet instant seuls au monde devant un cube dont toutes les faces se­
raient blanches sauf une, visible, comportant un drapeau français nous au­
rions dans notre esprit la forme de relations précisée dans le chapitre I en
tant que forme organisatrice des divers stimuli provenant du cube, et cube
et drapeau français seraient deux objets parmi d'autres possibles. Nous ob­
tiendrions le même résultat et même plus sûrement en pensant à un tel
cube.
Afin d'achever l'établissement de la correspondance entre Phanéron et
structures éidétiques dont nous venons de voir qu'elle nécessite la prise en
considération d'une configuration perceptive, examinons de plus près la
conception peircienne du Phanéron telle qu'elle est détaillée dans le MS
908, assurément l'un des textes les plus importants que Peirce ait écrits sur
ce sujet. Le Phaneron, écrit-il "est entièrement constitué de qualités de sen­
timents aussi vrai que l'espace est entièrement fait de points" et, plus loin,
poursuivant cette comparaison avec l'espace, il avance l'idée que ces quali­
tés de sentiments sont organisées par des relations qui résultent toutes de la
88 L'ALGEBRE DES SIGNES

"complication" de deux éléments c'est-à-dire de la combinaison de deux ty­


pes de relations. L'un de ces types est dyadique; c'est la relation d'un tout
distributif et d'un tout collectif, l'autre est triadique; c'est la médiation. Ce­
pendant nous n'avons pour l'instant nul besoin de cette réduction à une
combinaison de relations génératrices. Nous examinerons cette question
dans les sections suivantes. Nous pouvons plus généralement considérer
que le Phaneron est constitué de qualités de sentiments liées en un tout par
une famille de relations n-adiques (avec une condition de connexité) de la
même façon que nous avons considéré les configurations perceptives com­
me étant constituées par un choix de stimuli liés de la même façon. Une
correspondance s'impose alors à nous de manière éclairante: il suffit de
prendre en considération le lien causal qui existe entre un stimulus et une
qualité de sentiment. Un stimulus de jaune par exemple est responsable
d'un sentiment de jaune et de la qualité de ce sentiment, c'est-à-dire ce
qu'est ce sentiment considéré dans son être propre, sans le rapprocher au­
cunement de toute autre chose et notamment des autres sentiments pro­
duits dans le même temps de la perception par d'autres stimuli. Le juge­
ment perceptuel qui produit la configuration perceptive, en organisant les
stimuli organise en fait les qualités de sentiments en originant chacune d'el­
les dans un stimulus particulier considéré comme sa cause extérieure. De là
sa nature de prédicat et sa représentation évoquée au chapitre I par: "
est jaune", l'index pointé indiquant, la source du sentiment de jaune, en
l'occurence la chaise. Le choix de l'origine de ce sentiment de jaune résulte
dans tous les cas d'une ou de plusieurs inférences successives.
Il y a donc une correspondance terme à terme entre l'ensemble des sti­
muli et un sous-ensemble des qualités de sentiment constitutives du phan­­
ron, étant entendu que chacune de ces qualités de sentiment est causée par
un stimulus actuel ou mémorisé. De plus la famille de relations qui organise
la configuration perceptive (la structure relationnelle) organise aussi les
qualités de sentiments correspondantes. Dans cette structure relationnelle
sont incorporées (ou incorporables) les structures éidétiques caractéristi­
ques des objets présents à l'esprit (ou possiblement présents à l'esprit). La
configuration perceptive apparaît donc comme un ensemble de "contact"
entre monde extérieur et monde intérieur. A l'extérieur des objets qui sont
dotés de structure eidétiques caractéristiques grâce aux expériences anté­
rieures du sujet et sont causes de stimuli; à l'intérieur, des jugements per-
ceptuels organisent les qualités de sentiment en les structurant à l'aide
d'une famille de relations qui inclut notamment les structures éidétiques des
MODES D'ÊTRES 89

objets extérieurs présents à l'esprit. Il est clair que les qualités de senti­
ments causées par les stimuli n'épuisent pas le contenu du phanéron; il doit
y avoir dans le phaneron des éléments qui correspondent d'une certaine
manière aux jugements perceptuels, des éléments qui sont la "substance"
de la famille des relations. Tout jugement perceptuel concerne un certain
nombre de stimuli. Il est l'équivalent d'un prédicat à autant de places qu'il
y a de stimuli impliqués. Il y a donc dans le phanéron des éléments qui cor­
respondent biunivoquement aux différents jugements perceptuels; ces élé­
ments sont des idées ou sentiments de relation; il y en a autant que de sous-
ensembles de l'ensemble des stimuli qui sont reliés par un jugement percep­
tuel. C'est ce que l'on peut lire jusqu'à un certain point dans ce texte de
Peirce:
Mais nous semblons être capables de distinguer grossièrement entre une
matière de cognition, comme Kant l'appelait, exercée sur nous par le mys­
térieux pouvoir extérieur et intérieur, et le squelette d'un ensemble, dans
la production duquel nous ressentons comme si nous avions eu une liberté
comparative, lequel squelette est à peu près ce que Kant appelait la forme
de la cognition. (7.426)
et d'une autre façon dans celui-ci:
Un concept est l'influence vivante sur nous d'un diagramme, ou icône,
avec diverses parties duquel sont connectés dans la pensée un nombre égal
de sentiments ou d'idées. La loi de l'esprit est que le sentiment et les idées
s'unissent dans la pensée de façon à former un système. (7.467)
Ou encore dans cette "Introduction à un traité de logique" écrite direc­
tement en français le 4 Octobre 1898:
Chaque qualité à chaque présentation a son degré d'intensité. Aussi ces
qualités se présentent en assemblages, en faisceaux qui se distinguent par
leurs différents lieux à chaque instant. Un tel faisceau est ce que nous ap­
pelons un objet aperçu ou un percept.
Enfin il est peut être permis de penser, mais cela ne peut être qu'une
conjecture très probablement invérifiable dans l'état actuel des connaissan­
ces, que ces idées de relation sont réalisées dans le cerveau humain en tant
que constellations neuroniques mises en état d'excitation par des sensations
véhiculées par le système nerveux, les noeuds correspondant aux qualités
de sentiment et les connexions des noeuds entre eux à leurs relations, une
relation n-adique reliant conjointement η noeuds excités. L'expérience du
sujet aurait pour effet de stabiliser les constellations correspondant aux
structures éidétiques (habitus perceptif) associées aux objets à la façon des
90 L'ALGEBRE DES SIGNES

attracteurs structurellement stables du modèle que Zeeman (1965) propose


pour les processus neurophysiologiques.

2. Les éléments indécomposables du phanéron

C'est une gageure que de suivre dans la masse des écrits de Peirce les che­
minements de sa pensée vers la mise en évidence d'éléments indécomposa­
bles du phanéron et les catégories phanéroscopiques. Car sans se déjuger il
les a mis en évidence par des considérations relevant aussi bien de la méta­
physique que de la logique formelle ou encore en les tirant par induction de
l'observation du Phanéron. Ce n'est pas notre projet, que de nombreux au­
teurs ont d'ailleurs a peu près réalisé avec des fortunes diverses, mais en
tous cas mieux que nous ne saurions le faire. Cependant il n'est pas inutile
de distinguer les démarches apparemment différentes mais convergentes
qui l'ont conduit à cette "triadomanie" dont le taxaient, écrira-t-il, des gens
qui appartenaient "à cette famille d'esprits auxquels les mathématiques,
même les plus simples, semblent un livre fermé" (1.568, 1910). Le 12 Oc­
tobre 1904 il écrivait à Lady Welby: " Aussi déplaisant qu'il soit d'attribuer
des significations à des nombres et à une triade surtout, c'est aussi vrai que
déplaisant". (8.328)
Il est certain qu'à l'origine il y a une réflexion extrêmement approfon­
die sur les catégories de Kant, ces concepts purs de l'entendement qui s'ap­
pliquent aux objets de l'intuition en général: "J'ai cru, écrit-il, plus implici­
tement dans les deux tables des fonctions du Jugement et les Catégories que
si elles avaient été descendues du Sinaï" (4.2). Ce n'est que peu à peu qu'il
s'est éloigné de cette croyance quasi-religieuse après avoir reconnu qu'il y
avait quelque chose d'erroné dans la logique formelle de Kant, et notam­
ment dans sa liste des catégories déduite des formes logiques du jugement
(voir 4.2). Cependant c'est grâce à ses travaux sur la logique des "relatifs"
qu'il lui fut possible d'avancer d'autres justifications basées sur la possibilité
formelle de réduire les prédicats polyadiques à des combinaisons de prédi­
cats au plus triadiques (nous aborderons cette étude dans la section suivan­
te). Mais comme on peut le voir dans le MS 908 de l'annexe C, il est possi­
ble de procéder par analogie à la décomposition du phaneron en éléments
indécomposables de trois espèces en utilisant comme support le modèle des
valences des éléments chimiques.
Résumons en mettant en évidence les différentes étapes du raisonne­
ment de Peirce l'argumentation du MS 908:
MODES D'ÊTRE 91

1. Peirce se demande tout d'abord qu'elles formes indécomposables il est


possible de trouver a priori et, après avoir précisé qu'elles devaient être in­
décomposables par l'analyse logique, conclut qu'il faut opérer des distinc­
tions d'après la forme et non d'après la matière.
2. interprétant les valences des éléments chimiques comme des caractéris­
tiques de forme externe il conclut à la possibilité de trouver des éléments du
type cherché. Après s'être défendu de l'accusation de transposer par analo­
gie un raisonnement emprunté à la chimie, il légitime son hypothèse par les
succés de la science en tant qu'ils valident le postulat d'une ressemblance
entre les lois de la nature et la pensée "naturelle" de l'homme.
3. mais ce sont des spéculations étrangères à tout ceci qui vont garantir
l'existence des éléments indécomposables. En effet il est une idée qui est a
priori présente dans le phanéron puisque nous avons pu avoir l'idée d'un
phanéron, c'est celle de combinaison, idée minimale qui unit les deux par­
ties d'un tout et cette idée est une triade; de plus, elle est indécomposable
sinon elle serait une partie analytique d'elle-même.
4. il montre ensuite que toutes les formes externes (polyades d'ordre η, η
≥0) peuvent être obtenues par combinaison de triades.
5. mais cette possibilité subjective (formelle) est une absurdité car on peut
lui opposer le principe a priori que "tout ce qui est logiquement compris
dans un ingrédient du phanéron est lui même un ingrédient du phanéron".
Peirce montre alors que dans toute triade d'un phanéron connectant trois
objets A,B,C il doit y avoir une dyade connectant deux d'entre eux qui im­
plique un élément "Secondan" et de même ce dernier implique un élément
"Priman" dans le Phanéron. Nous remarquons à ce propos que Peirce
considère comme acquis, dans ce texte, qu'une condition nécessaire pour
qu'une triade connecte trois objets est que l'un d'entre eux établisse une re­
lation entre les deux autres. Il reprend d'ailleurs cette idée en précisant plus
loin que l'être d'un "Tertian" consiste dans le fait qu'il connecte les mem­
bres d'un triplet "afin que deux d'entre eux soient unis dans le troisième".
Ceci montre une fois de plus que les éléments du phanéron ne sauraient
être des parties du phanéron et que ces divisions concernent exclusivement
la forme. Ce n'est que dans des circonstances particulières comme dans le
cas de la vache "regardée avec inattention" qu'il peut y avoir, éventuelle­
ment, identification: "L'analyse logique n'est pas une analyse en éléments
existants" (1.294).
6. Appliquant le même principe à un constituant tétradique du Phanéron
Peirce montre, qu'à l'instar de la triade, elle implique au moins une dyade
et donc un troisième objet, à savoir la paire que la dyade constitue. Mais
92 L'ALGEBRE DES SIGNES

alors la tétrade implique aussi une nouvelle dyade dont l'un des membres
est cette paire et l'autre l'un des deux autres objets impliquant ainsi une
triade et cette dernière paire est unie au dernier élément formant ainsi une
nouvelle triade. La tétrade est ainsi logiquement analysée en une "série" de
triades et la même méthode est applicable sans difficulté à des polyades
d'ordre supérieur qui seraient des constituants du Phanéron. Nous étudie­
rons de manière plus approfondie dans la section 3 cette question de la ré­
duction triadique des polyades d'ordre supérieur à 3; cependant nous obser­
verons dans l'immédiat que Peirce considère dans ce manuscrit que ce sont
certains objets du phanéron qui assument l'établissement des relations n-
adiques dans le phanéron. En d'autres termes, par exemple, dans une rela­
tion triadique effective entre trois objets la relation formelle n'est pas exté­
rieure au triplet formé par ces trois objets mais est apportée par l'un d'entre
eux mettant en relation les deux autres. Pour ce qui est de la tétrade , Peir­
ce n'a donc qu'à itérer son raisonnement après avoir donné à la paire le sta­
tut d'élément pour obtenir le résultat annoncé.
7. Peirce s'interroge alors sur la force de conviction de tels arguments. Il
a l'habitude d'être incompris. Il a souvent couvert de sarcasmes les "soi-di­
sant penseurs". Le lecteur lira avec amusement le début de sa lettre à Wil­
liam James datée du 3 Octobre 1904 (8.286 et 8.287), dans laquelle Peirce
se déclare vexé que James (qu'il ne rangeait pas dans cette catégorie) "ne
comprenne pas un mot" de ce qu'il lui écrit et se déclare victime d'une sorte
d'a priori d'incompréhension de la part de son ami. Alors comme il l'a sou­
vent fait, étant assuré de la vérité de ses conclusions (puisqu'elles sont "a
priori" ) il ne doute pas que les lecteurs qui, pour des raisons diverses, ne
peuvent être convaincus par ce qui précède, le seront simplement par l'ob­
servation directe des phanérons. Souvent, d'ailleurs,il s'est limité à faire ap­
pel à l'observation, renonçant à la preuve a priori (par exemple en 1.23,
1.284, 1.286, 1.290, 1.417,..) En 5.469, il écrit:
Puisque la démonstration de cette proposition [les trois degrés de valence
des concepts indécomposables] est trop dure pour la logique infantile de
notre temps (laquelle, cependant, éveille rapidement l'esprit) j'ai préféré
l'asserter de manière problématique, comme une conjecture devant être
vérifiée par observation.
8. Après avoir donné une réponse évidemment négative à la question se­
lon laquelle une triade pourrait être construite à l'aide de dyades, il passe à
l'examen effectif des contenus du phaneron et montre qu'il y a dans le pha-
MODES D'ÊTRES 93

néron des éléments logiquement indécomposables qui sont comme ils sont
tels qu'ils sont, sans considérer quoi que ce soit d'autre et il cite en exemple
la couleur de la cire à cacheter posée devant lui, sur son bureau, qui est
donc un Priman. Il conclut par ailleurs que le contenu entier de la conscien­
ce immédiate est fait de tels éléments par cette formule: "être conscient
n'est rien d'autre que ressentir".
9. Le phanéron étant ainsi constitué est comparable à l'espace qui est
constitué de points, d'un certain point de vue. Mais tout comme cette
conception de l'espace est impuissante à rendre compte des propriétés
connues de l'espace, la conception du phanéron correspondante ne peut
rendre compte des contenus observés dans le phanéron, car il y a dans le
phanéron des Secondans authentiques; par exemple, la connexion de senti­
ments d'effort et de résistance qui sont sommés dans la conscience.
10. après quelques considérations d'ordre psychologique relatives à la fa­
çon dont s'exerce l'effet compulsif du monde extérieur sur le monde inté­
rieur, le manuscrit s'achève avant que ne soient exhibés des exemples de
Tertians, mais ces exemples sont tellement abondants par ailleurs qu'il est
inutile de les citer.
Ainsi, Peirce distingue dans le Phanéron trois types d'éléments indé­
composables et seulement trois. Ces distinctions concernent la forme exter­
ne du phanéron et ne sont pas des éléments existants. Ce sont:
- les Tertians qui connectent trois éléments (existants) de façon que deux
d'entre eux soient unis dans le troisième.
- les Secondans qui connectent deux éléments (existants) et qui sont logi­
quement nécessaires dès lors que des Tertians ont été distingués.
- les Primans qui sont attachés à chaque élément existant sans se confondre
avec aucun d'entre eux, sauf abus de langage consistant à identifier une
chose avec la qualité de sentiment qu'elle produit en tant que totalité col­
lective.
Cependant, puisque les structures relationnelles sont les universaux
mathématiques associés aux configurations perceptives et puisque ces der­
nières ont avec le phanéron les rapports étroits que nous venons d'étudier,
il doit être possible de retrouver de manière purement formelle des élé­
ments indécomposables dans les structures relationnelles. Nous allons donc
examiner et interpréter les conditions formelles pour qu'une structure rela­
tionnelle soit réductible en éléments formels correspondant aux éléments
indécomposables du phanéron.
94 L'ALGEBRE DES SIGNES

3. La réductiontriadiquedes structures relationnelles

Dans cette section nous suivrons de très près l'excellent travail de Hans G.
Herzberger "Peirce's Remarkable Theorem" (1981) en l'adaptant à notre
choix des structures relationnelles comme universaux mathématiques spéci­
fiques.
Nous conduirons l'étude en considérant une structure relationnelle de
type fini η telle que nous l'avons définie au début de la section 2 du chapitre
II, à savoir un couple (Χ,α) ou X est un ensemble et α une relation n-adi-
que, c'est-à-dire un sous-ensemble de la nième puissance cartésienne de X.
Les résultats s'étendront sans difficulté à des structures relationnelles de
type {ni}iεI.
Nous introduisons la notion de produit relatif de structures relationnel­
les.
Soient (Χ, α) une structure relationnelle de type η sur X et (Χ, β) une
structure relationnelle de type m sur le même ensemble X. On appelle pro­
duit relatif de (Χ, α) par (Χ, β) et on note (Χ, α * β) la structure relation­
nelle de type η + m — 2 définie par la relation définie en extension par le
sous-ensemble de la (n + m - 2)ième puissance cartésienne de X formé par
les séquences finies:
(x1,x2,..,xn-l,y2,y3,...,ym) ε α* β si et seulement si il existe uεX tel que
(x1,.x2,...,.xn-1.u)ε aαet (u,y2,y3,..,ym) ε β
On dira qu'une structure relationnelle (Χ,τ) est relaivement décompo­
sable sur un ensemble  = {(X, ti)}iεIde structures relationnelles si et seu­
lement si (Χ, τ) est le produit relatif d'un ensemble de structures relation­
nelles de K.
On dira qu'une structure relationnelle (Χ,τ) est relativement décompo­
sable sur un ensemble  = {(X, ti)}iεIde structures relationnelles si et seu-
composable sur un ensemble  de structures relationnelles sur D de type
inférieur à n.
Le Tableau 1 indique le type de structure relationnelle obtenu par pro­
duit relatif de structures relationnelles de type r e t s ( l ≤ r ≤ 3 , l ≤ s ≤ 3 ) ,
qui est une structure relationnelle de type (r—l)+(s—l)=r+s—2 et montre
qu'en faisant le produit relatif de structures relationnelles de type 1 ou 2 on
ne peut obtenir de structure relationnelle de type supérieur à 2 ce qu'on
peut exprimer ainsi:
Toute structure relationnelle de type inférieur ou égal à 3 est absolu­
ment relativement irréductible.
MODES D'ÊTRE 95

Tableau 1.

 s r + s-2

1 1 0

2 1 1

2 2 2

3 2 3

3 3 4

Ceci signifie qu'aucune structure relationnelle de type 3,2 ou 1 n'est re­


lativement réductible dans aucun domaine. Par contre la table indique
qu'une structure relationnelle de type 4 peut être réductible dans un domai­
ne convenablement choisi. Herzberger montre par un contre exemple que
toutes les structures relationnelles de type 4 ne sont pas relativement réduc­
tibles dans leur propre domaine. Pour cela il considère le domaine à trois
éléments X = {a,b,c} et la relation tétradique α = {(a,b,b,a), (b,a,a,b)
(c,b,c,b), (b,c,b,c)}. Il montre que α ne peut être le produit relatif (au sens
des relations) de deux relations triadiques sur X, quelles qu'elles soient.
Cependant si on adjoint à X un quatrième élément d alors α est le produit
relatif de deux triades. Ce contre exemple montre que la cardinalité du do­
maine X a une grande importance quant à la possibilité de réduire les struc­
tures relationnelles. Par contre cette réduction est toujours possible sur un
domaine X dont la cardinalité est au moins égale à celle de la relation n-adi-
que α qui définit la structure relationnelle. Nous allons examiner en détail
la preuve de cette assertion car elle a une grande importance au niveau de
l'interprétation. Comme nous l'avons fait nous même (Marty, 1980),
Herzberger s'inspire d'un exemple traité par Peirce en 1.363:
Prenez le fait quadruple que A vend  à  pour le prix de D. il est compo­
sé de deux faits: le premier que A fait avec  une certaine transaction que
nous pouvons appeler Ε; et le second, que cette transaction Ε est la vente
de  pour le prix de D. Chacun de ces deux faits est un fait triple et leur
combinaison forme un fait quadruple aussi authentique qu'il est possible
d'en trouver un.
Soit alors (Χ,α) une structure relationnelle de type 4 définie sur un do­
maine
96 L'ALGEBRE DES SIGNES

1. Si la cardinalité de α est au plus égale à celle de X alors il existe une in­


jection Φ de α dans X.
Posons Φ(x 1 x 2 ,x 3 ,x 4 ) = x*; on définit alors deux applications Φ 1 et Φ 2
de α dans X 3 par:
Φ[(x 1 x 2 ,x 3 ,x 4 )] = (x1x2,x*)
2[(*,2,3,4)] = (x*,x3,x4)
et l'on peut alors définir deux structures relationnelles de type 3 sur X par:
α1 = { (x r x 2 ,x*) tels que (x 1 x 2 ,x 3 ,x 4 ) ε α }
α 2 = { (x*,x3,x4) tels que (x1,x2,x3,x4) ε α }
Faisons le produit relatif (Χ, α1 * α2) de ces deux structures relation­
nelles et montrons qu'il est égal à (Χ, α).
Soit (y 1 y 2 ,y 3 ,y 4 ) ε α1* α2; il existe donc u ε X tel que (y 1, y 2 ,u) e α et
(u,y3,y4) ε α2. Donc
(y r y 2 , u) =  1 [(y 1 y 2, z 3, z 4 )] avec (y1y2,z3,z4)) ε α et
(u,y3,y4) = 2[(z1,z2,3,4)] avec ( Zl ,z 2 ,y 3 ,y 4 ) ε α

Il s'ensuit que, nécessairement


(y1,y2,z3,z4) = u et (z1,z2,3,4) = u
et comme Φ est une injection:

(y1,y2,z3,z4) = ( Zl ,z 2 ,y 3 ,y 4 ) = (y1,y2,y3,y4) ε α
Donc on a montré que α1 * α2 est inclus dans a.
Inversement si (x1,x2,x3,x4) ε α , alors (x1,x2,x*) ε α1 et (x*,x3,x4) ε α2
donc (x 1 x 2 ,x 3 ,x 4 ) ε α1* α2 et α est inclus dans α1 * a2
On a donc bien α1 * α2 = α et (Χ, α1 * α2) = (Χ, α) ce qui exprime que
α est relativement réductible sur X.
2. Si la cardinalité de α est supérieure à celle de X on peut adjoindre à X
suffisamment d'éléments ou, autrement dit, on peut plonger X dans un en­
semble Xo de façon à avoir card α = card X o . On peut alors par une dé­
monstration identique montrer que α est relativement réductible sur X. On
notera par la suite que si on adjoint à X juste assez d'éléments pour que
card α = card Xo alors les éléments de X sont aussi des images d'éléments
de α par Φ et cette propriété subsiste nécessairement pour certains d'entre
eux tant que le cardinal du complémentaire X dans X o (soit X o — X) n'ex­
cède par le cardinal de a. Ce résultat s'étend sans difficulté à la réductibilité
des structures relationnelles de type η > 4 soit par itération de la construc­
tion précédente en décomposant la relation de type η en produit relatif de
MODES D'ÊTRES 97

η.2 triades sur le même domaine, soit en procédant par récurrence sur n.
Cependant la condition est toujours la même: pour que cette preuve soit
valable il est nécessaire que le domaine X soit suffisamment "grand" pour
qu'il soit possible de définir une injection de α dans X ou que, dans le cas
contraire, il soit plongé dans un domaine plus grand offrant cette possibilité,
mais alors la réduction s'opère sur ce dernier ensemble.
Herzberger montre ensuite que le théorème de réduction subsiste lors­
qu'on procède à une première généralisation qui consiste à s'affranchir de
l'arrangement linéaire des corrélats qui impose dans le produit relatif de
concaténer deux relations au moyen du dernier argument de l'une "indéfi­
niment identifié" avec le premier de l'autre. En particulier il s'agit de pro­
céder à la même identification mais entre le ième argument de l'une et le j l è "
me
, de l'autre, ce qui résulte d'une combinaison de certaines opérations (que
nous allons définir) et d'un produit relatif. Il définit donc une "algèbre de
chaînes" (bonding algebra) au moyen de cinq opérations sur les relations
ainsi définies.
Si x= (x 1 x 2 ...,x n ) ε α on lui associe les relations suivantes:
m(α) = {( 2 ,x 3 .,..x n ,x 1 ): (x 1 ,x 2 ,...,x n ) ε α}
n(α) = {(x 2 ,x 1 ,.....,x n ,): (x 1 ,x 2 ,...,x n ) ε α}
g(α) = {(x 1 ,x 2 ,...,x n-2 ): (x 1 ,x 2 ,...,x n ,x n ) ε α}
c(α) = {(y 1 ,y 2 ,...,y n ): (y 1 ,y 2 ,...,y n ) ε α}
et toujours, bien entendu, le produit relatif.
Alors par exemple la combinaison de deux relations au moyen du ième
argument de la première (α 1 ) avec le j è m e de la seconde (α 2 ) (combinaison
notée *ij.. ) s'écrit comme un produit relatif:
mi(α1) * mj-1(α2) = α1 *ij.. α2
Ces cinq opérations de base constituent un système qui suffit à engen­
drer pratiquement toutes les remarques de Peirce sur la définition et la
composition des concepts. Elles donnent lieu à une nouvelle notion de dé­
composition: une relation α de type η est algébriquement décomposable en
chaînes (bonding-algebrically definable) sur un ensemble  de relations si
et seulement si α peut être engendrée par application répétée des cinq opé­
rations de base (*,m,n,g,c) de l'algèbre des chaînes.
Et aussi à une nouvelle notion de réductibilité: une relation α de type
η est algébriquement réductible en chaînes dans un domaine X si et seule­
ment si elle est algébriquement décomposable en chaînes sur un ensemble
 de relations, chacune étant de type inférieur à n.
98 L'ALGEBRE DES SIGNES

Il est clair que puisque le produit relatif est l'une des opérations et
qu'aucune des autres n'augmente le type de la relation à laquelle on l'appli­
que, le théorème de réduction est encore valable avec les mêmes conditions
que dans le cas précédent.
Une autre généralisation consiste, sur le modèle de la chimie, à combi­
ner les polyades simultanément par plusieurs de leurs arguments. On ob­
tient alors la "règle de valence" suivante: la combinaison d'une n-ade avec
une m-ade donne une [n+m—2μ]-ade, où μ est le nombre d'arguments
communs.
Il est clair que le produit relatif satisfait à la règle de valence. Cette
généralisation conduit au résultat suivant: le théorème de réduction est va­
lable pour tout processus définitionnel qui respecte la règle de valence et
est assez riche pour permettre la formation de produits relatifs.
Herzberger examine ensuite le problème de la triple jonction qui com­
bine les relations de la façon suivante: si α, β, γ sont trois relations respecti­
vement de types n, m, ρ on pose:
t(α, β, γ) = {(x1,x2,...,xn+m+p_3) tels qu'il existe u vérifiant
(X1'X2,............,xn-1,u) ε α ; (xn,xn+1=,, X
n+m-2,u) εß et
γ v γ
(xn+m, ,X t i1?...,X , 0 ,U) ε u)ε n+nr n+m+1' 'x n + m + p - 3 ',u)ε et

Il s'agit d'une opération qui n'est pas dérivable de celles définies dans
l'algèbre des chaînes et qui n'est pas conforme à la règle de valence. Appli­
quée à trois dyades elle donne le diagramme de la Figure 15

Figure 15.

et donc permet de construire une triade. On peut alors montrer, à l'aide de


la même technique que dans le cas du produit relatif, qu'en utilisant la tri­
ple jonction toutes les triades sont réductibles sur un domaine de cardinali-
té au moins égale à celle de la relation triadique α considérée. Les éléments
qui jouent le rôle de u et permettent de construire la triple jonction de dya­
des qui coincide avec la triade sont encore les images des éléments de α
dans le domaine X éventuellement agrandi à Xo. Le même résultat subsiste
en théorie de la quantification. Herzberger signale par ailleurs que Arthur
MODES D'ÊTRE 99

Skidmore trouve dans ce fait une réfutation de la thèse de Peirce. Il cite


l'argument de Skidmore qui affirme que "Peirce n'a pas donné de raisons
d'écarter la combinaison de plusieurs prédicats dyadiques qui n'écarterait
pas également la combinaison de plusieurs prédicats triadiques". Cette af­
firmation est fausse. Sa négation est implicitement contenue dans la phrase
même de Skidmore car l'idée de combinaison étant une idée triadique, il est
clair que les plus grandes précautions doivent être prises lorsqu'on utilise ce
terme dans une démarche qui vise à la réduction des relations par combinai­
son. Combiner quoi que ce soit en quantités inférieures à 3 rajoute une idée
qui est sans effet quant au genre de problème traité et n'en affecte donc pas
la solution. Par contre lorsqu'on combine par quantités supérieures à 2 on
se trouve devant une contradiction. C'est ce que souligne Peirce dans sa let­
tre à W. James d'Août 1905:
Je ne peux parler d'une "combinaison d'éléments dyadiques seuls" puisque
le mot "combinaison" signifie précisément quelque chose impliquant une
relation triadique. (NEM III/2: 830)
L'examen de la définition de la triple jonction donnée par Herzberger
illustre on ne peut mieux cet écueil. Il y a possibilité de triple jonction lors­
qu'un même élément u termine des n-uples appartenant à chacune des trois
relations dont on réalise la triple jonction. Mais précisément l'identification
de chacune des instances de la représentation de cet élément unique dans
chacun des n-uples est une relation triadique que l'on peut représenter par
le prédicat " est identique à et à ". C'est exactement ce
qu'écrit Peirce en 1903:
Il sera remarqué que puisque nous avons déjà vu que répéter le nom d'un
individu c'est introduire le rhème " est identique à "il s'ensuit
qu'il est impossible de représenter que A, ,  sont tous identiques sans le
rhème triadique " est identique à et à " qui est un rhème
simple. (MS 492, Logical Tracts II:39, "Triads")
et aussi en 1905:
Une relation triadique ne peut être réduite à des relations dyadiques, car si
cela était, elle serait un composé de telles relations. Or la relation d'un
composé à ses composants est elle même une relation triadique. Par
conséquent même si une relation triadique est un composé de relations
dyadiques, elle ne consiste pas de ce fait de relations dyadiques seulement.
♦ (MS 939).
La définition de la triple jonction introduit donc une relation triadique
qu'il n'est pas étonnant de retrouver par la suite. D'ailleurs lorsque
100 L'ALGEBRE DES SIGNES

Herzberger écrit la définition de la triple jonction dans le cadre de la théo­


rie de la quantification il écrit littéralement cette relation triadique lorsqu'il
définit t(Q,R,S) par: il existe u tel que (Qxu et Ryu et Szu ), Q, R, S étant
des relations dyadiques. C'est un cas flagrant de "petitio principii". Par
contre dans la preuve du théorème de réduction à l'aide du produit relatif
et dans la réduction en chaînes il n'y a jamais qu'identification de deux ins­
tances de représentation de l'élément commun u ce qui introduit une rela­
tion dyadique d'identification sans effet sur la conclusion que l'on veut ob­
tenir. La triple jonction de trois dyâdes ne saurait donc invalider d'aucune
manière le théorème de réduction.
Cela nous conduit cependant à nous interroger sur la conception peir-
cienne de la triade et plus généralement de la polyade, sur la validité de
leur représentation en extension adoptée par Herzberger et donc sur les
conditions de validité du théorème de réduction.
Peirce l'écrit maintes fois: trois objets sont dans une relation triadique
authentique lorsque l'un des trois établit une relation (dyadique) entre les
deux autres (MS 908, annexe C). Il considère comme évident que "une
fonction de deux variables ou une relation triadique combinent les effets de
variables différentes", qu'une fonction de deux variables est trivalente
(dans le sens qu'elle relie les deux variables et la valeur de la fonction ce qui
revient à considérer que toute fonction de deux variables comporte trois
marques-place : f(—,—) = —. Mais, écrit-il, à la fin de sa lettre à James
déjà citée (NEM III/2:834):
on peut considérer qu'un élément univalent est non-valent, qu'un bivalent
est univalent, et qu'un trivalent est bivalent" si l'on pense à la relation d'un
des correlats aux autres (souligné par nous) mais que cela est seulement
une différence de points de vue. Pensant au fait, univalent, bivalent et tri­
valent est meilleur.
Nous voyons là une des sources majeures de confusions possibles et
d'incompréhensions de la pensée de Peirce et c'est peut être pour celà, joint
à sa conception de la triadicité que Herzberger peut conclure:
En bref, l'explication à proposer est que la logique que Peirce a inventée
est moins différente qu'il n'y paraît à première vue et pourtant bien plus
proche qu'on ne saurait penser de la logique que nous connaissons au­
jourd'hui.
La clé qui, nous semble-t-il peut permettre d'ouvrir la logique de Peir­
ce (la sémiotique, écrivait-il, est un autre nom de la logique) réside dans la
conception de la polyade comme fait concernant un certain nombre d'ob-
MODES D'ETRES 101

jets, c'est-à-dire comme un tout collectif et non comme une suite d'élé­
ments qui est un tout distributif. Peirce était d'ailleurs conscient de l'écart
qui s'établissait entre sa logique et celle des autres logiciens de son temps
lorsqu'il prit connaissance des travaux de Kempe (mémoire intitulé "Theo­
ry of Mathematical Forms") et y découvrit "une formidable objection à ses
vues" (3.423) qui le conduisit à "modifier quelque peu sa position, mais pas
à l'abandonner". Et il analyse que la différence entre les conceptions de
Kempe et les siennes provient du fait que les diagrammes de Kempe ne ren­
voient qu'à eux-mêmes (self contained relations), l'idée qu'ils représentent
quelque chose étant écartée, tandis que ses propres diagrammes dépendent
de leur connexion avec la nature. Il s'ensuit que l'idée de Tiercéité ou mé­
diation n'est presque jamais discernable chez Kempe et Peirce montre bien
comment on peut la retrouver et comment on peut retrouver les idées de
Priméité, Secondéité et Tiercéité dans les diagrammes de Kempe. Il montre
(3.424) alors que la relation triadique "A donne  à C" peut s'exprimer à
l'aide de l'adjonction d'un élément (l'abstraction "cette action") à l'univers
des choses concrètes. C'est exactement la définition de la triple-jonction et
le mécanisme de la décomposition proposée par Herzberger qui fait appel à
un élément (qu'il note r* et que nous avons noté u) image du triplet (r1,r2,r3)
par une injection dans le domaine de la relation supposé assez grand (mais
auquel des éléments ad-hoc peuvent être adjoints). L'élément considéré
par Peirce ("cette action") joue exactement le rôle de r*. Cependant la re­
marque qui suit prend toute son importance pour apprécier l'écart des
conceptions de Peirce avec celles qui dominent dans la logique d'au­
jourd'hui: " Mais je remarque que le diagramme ne peut fournir une re­
présentation formelle de la manière dont cette idée abstraite est dérivée des
idées concrètes." C'est précisément la difficulté que les conceptions de Peir­
ce peuvent résoudre. Il s'agit de rien de moins dit Peirce que de saisir au vol
certains éléments de pensée et pour faire cela il faut procéder à une trans­
mutation de l'algèbre de la logique.
Si nous regardons de plus près comment Herzberger procède pour dé­
montrer le théorème de réduction dans le cas du produit relatif (T3) nous
voyons qu'il suppose vérifiée une condition, à savoir que le domaine de la
relation est suffisamment grand, ce qui revient à adjoindre à tout n-uple un
élément qui est en fait la valeur d'une application définie sur les n-uples et
à valeurs dans un ensemble ad-hoc. Cette application peut finalement être
représentée dans le cas de la tétrade par le symbole (—,—,—,—) où les
traits sont les marque-place de la notation habituelle des n-uples; c'est une
102 L'ALGEBRE DES SIGNES

"relationship" au sens de Peirce. Ainsi il se ramène pour démontrer la vali­


dité du théorème de réduction d'une relation tétradique définie en exten­
sion comme ensemble de 4-uples à une relation pentadique sur un ensemble
X5 mais avec la condition que le dernier élément est l'image des quatre pre­
miers par une application. Le passage des 4-uples à ces 5-uples particuliers
n'est pas autre chose que le changement de point de vue évoqué par Peirce.
Mais la conception constante de Peirce consiste à se placer toujours dans ce
dernier cas, à savoir que lorsqu'il considère une polyade l'un des éléments
est toujours l'image des autres par une application.
Revenons aux structures relationnelles afin de mener à son terme notre
projet d'exprimer dans les universaux mathématiques que nous avons choi­
sis les rapports entre configurations perceptives et phaneron.
Auparavant rappelons qu'on définit une projection πi. de la nlème puis­
sance cartésienne sur sa ième composante par:
πi.(x1,x2...,xi.,..,xn) = x. pour tout ((x1,x2...,xi.,..,xn )ε Xn
On dira alors qu'une structure relationnelle (Χ, α) est une structure de
Peirce s'il existe un indice i pour lequel la restriction de π. à α est une appli­
cation injective.
Cette définition implique que le cardinal de α est inférieur ou égal à ce­
lui de X ce qui incorpore a priori la notion de "domaine suffisamment éten­
du" posée par Herzberger.
Soit maintenant une structure relationnelle (X, ß) de type (n-1) telle
que le cardinal de β soit inférieur ou égal à celui de X. Il existe donc au
moins une injection Φ de β dans X. On définit alors pour tout i, une appli­
cation μ. de β dans Xn par la formule:
μi(x1,x2...,xi.,..,xn-1)=(x1,x2...,xi-1.,Φ(x1,x2.....,xn-1),xi,....,xn-1)
pour tout (x1,x2...,xi.,..,xn-1) ε β.
On voit que μ. a pour effet d'intercaler Φ(x1,x2.....,xn-1) entre le (i-l)ème
et le ième élément de tout (n-l)-uple de β.De plus on vérifie que μ. est bien
définie puisque Φ(x1,x2.....,xn-1) est univoquement associé à (x1,x2.....,xn-1).
Soit maintenant β. l'ensemble des n-uples:
ßi = {μi(x1,x2.....,xn-1 )tels que(x1,x2.....,xn-1) ε ß}
On vérifie que la structure relationnelle (X, ßi.) est une structure de
Peirce. Pour cela il suffit de montrer que la restriction de πi. à ßi. est une in­
jection:
π i .(x 1 ,x 2 .....,x i-1, Φ(x 1 , 2 .....,x n-1 ),x i .,..,x n _ 1 )=Φ(x 1 ,x 2 .....,x n-1 )
MODES D'ÊTRE 103

Supposons alors qu'il existe (y 1 ,y 2 ,..,y i ,..,y n ) ε βi. tel que:


πi.(y1,y2...,yi.,..,yn) = Φ(x1,x2.....,xn-1)
Puisque (y1,y2,..,yi,..,yn) ε βi. on a:
yi = Φ(y 1 ,y 2 .,..,y i - 1 ,..,y n ..) et πi.(y1,y2,..,yi.,..,yn) = yi.
par définition de π.. Donc
Φ(y1,y2.,..,yi-1,yn+1..,yn..) = Φ(x1,x2.....,xn-1)
Comme Φ est une injection on en déduit
=
(y1,y2.,..,yi-1,yn+1..,yn.) (x1,x2.....,xn-1)
d'où les égalités
y1 = x1; y2 = x 2 ; ;yi-1 = xi-1; yi+1 = x i ;..; yn = xn-1
et comme de plus y. = Φ(x1,x2.....,xn-1) on a bien
(y1,y2.,..,yi..,yn)=x1,x2.....,xi-1 ,Φ(x1,x2.....,xn-1) ,Xi,....,Xn-1)

On voit donc que l'application μ. plonge la structure relationnelle


(Χ, β) dans une structure de Peirce et on peut donc énoncer la proposition:
toute structure relationnelle (Χ, β) de type (n—1) telle que le cardinal de β
soit inférieur ou égal a celui de X peut être plongé dans une structure de
Peirce de type n.
Ce plongement nous fournit le cadre "naturel" pour exprimer le théo­
rème de réduction et il ne fait que formaliser en des termes qui s'insèrent
dans notre démarche les techniques développées par Herzberger. Par
exemple si nous reprenons la preuve de la réduction de la tétrade à un pro­
duit relatif de deux triades nous obtenons:
soit une structure relationnelle (Χ,α) de type 4 définie par une relation tét-
radique α telle que card(a) ≤ card(X). Soit Φ une injection de α dans X.
Alors (Χ, α) peut être plongée dans la structure de Peirce (Χ, α3) de type 5
au moyen de la formule
μ3(x1,x2,x3,x4) = (x1,x2,Φ(x1,x2,x3,x4),x3,x4) pour tout
(x 1 x 2 ,x 3 ,x 4 ) ε α.
On définit grâce à ce plongement deux relations triadiques α1 et a2 sur
X par:

α1= {(x1,x2,Φ(x1,x2,x3,x4))tels que (x1,x2,x3,x4) ε α}


α 2 = {(Φ(x 1 ,x 2 ,x 3 ,x 4 )x 3 ,x 4 ) tels que (x1,x2,x3,x4) ε α}
et on vérifie immédiatement que α est égal au produit relatif de α et
104 L'ALGEBRE DES SIGNES

de α2 et donc que (Χ, α) = (X,α 1 *α 2 ).


Avant d'aborder les questions de formalisation mathématique nous
pouvons énoncer quelques propositions qui pourront s'avérer utiles par la
suite mais qui ont aussi un certain intérêt en elles-mêmes.
Des cinq opérations de base retenues par Herzberger nous pouvons
constater que certaines transforment une structure de Peirce en une autre
structure de Peirce. Ce sont:
- l'opération m (permutation majeure) qui ou bien n'affecte pas les ièmes ar­
guments des n-uples de la relation ou bien les permute tous avec le premier
lorsque i = n.
- l'opération η (permutation mineure) qui ou bien n'affecte pas les ièmes ar­
guments des n-uples de la relation ou bien les permute tous avec le premier
lorsque i = 2.
- l'opération g qui transforme une structure de Peirce de type η sur X en
une structure de Peirce de type (n—2) sur X pourvu que l'indice i de la pro­
jection π. qui définit la structure de Peirce transformée soit différent de n et
'de (n-1).
En ce qui concerne le produit relatif, si nous considérons une structure
de Peirce (X, α1) de type n définie à l'aide de la projection πi.(l≤i≤n) et
une structure de Peirce (Χ, α2) de type m définie à l'aide de la projection π.
(l≤j≤m), il est clair que si l'on fait le produit relatif noté * on a les résul­
tats suivants:
- si les ensembles {k,l} et {i,j} n'ont aucun élément commun le produit re­
latif des deux structures est une structure de Peirce (et même une bi-struc-
ture puisque les projections π. et π η+j-2 définissent chacune une structure
de Peirce)
- si {k,l} et {i,j} ont un élément commun le produit est encore une structu­
re de Peirce (une monostructure si (Χ, α1) et (Χ, α2) sont des monostructu­
res)
- si {k,l} = {i,j} et si (Χ, α1) et (Χ, α2) sont des monostructures leur pro­
duit relatif *ij n'est pas en général une structure de Peirce.
Par contre il n'y a aucune raison pour que l'opération  transforme une
structure de Peirce en une autre.
Du point de vue de la réduction triadique des structures relationnelles
nous pouvons conclure que toute structure relationnelle (Χ, α) de type n
pouvant être plongée dans une structure de Peirce (en adjoignant au besoin
les éléments nécessaires à l'ensemble X de base pour que son cardinal soit
supérieur à celui de la relation considérée) est relativement décomposable
MODES D'ÊTRES 105

sur un ensemble de structures relationnelles de type 1, 2 ou 3. Autrement


dit:
(Χ, α) = (X, *.iαi) où le type de a. ε {1,2,3} et iεI.
en identifiant pour le type 1 les éléments de α avec des 1-uples et en consid­
érant pour fixer les idées que les produits relatifs s'effectuent en combinant
le dernier argument d'une relation avec le premier de la relation suivante,
ce qui est autorisé par la possibilité de travailler modulo les opérations m et
η qui préservent la structure de Peirce.

4. Les catégories phanéroscopiques

Dans la section 1 du chapitre II nous avons mis toute configuration percep­


tive en correspondance avec une structure relationnelle (sa "forme de rela­
tions") et nous avons considéré que les structures éidétiques, structures re­
lationnelles caractéristiques des objets du monde causes de stimuli étaient
incorporées ou incorporables dans la structure relationnelle associée à la
configuration perceptive qui les rend présents à l'esprit, cette présence à
l'esprit étant précisément le résultat de cette incorporation. Laissant provi­
soirement de côté le phaneron dans sa globalité et les phénomènes sémioti-
ques nous allons auparavant nous intéresser à la présence à l'esprit d'un ob­
jet identifié comme totalité collective grâce à sa structure éidétique pour un
sujet et donc présent à son esprit. Nous avons donc:
- un objet  externe ou interne,
- sa structure éidétique (U, σ) où U est un ensemble correspondant
biunivoquement aux stimuli sélectionnés dans la perception de  et σ une
famille de relations n.-adiques (iεI) sur U. (U, σ) est une forme de relations
de certains stimuli originés dans l'objet par le sujet; les relations n.-adiques
qui constituent σ sont établies par des jugements perceptuels.
- chacun des stimulus étant la cause d'une qualité de sentiment et chaque
jugement perceptuel d'une idée ou sentiment de relation, la contribution de
l'objet à tout phaneron auquel il participe s'établit donc sur la base des cor­
respondances suivantes:
stimulus sélectionné qualité de sentiment
jugement perceptuel idée ou sentiment de relation.
On voit que le phaneron "contient" une qualité de sentiment par sti-
106 L'ALGEBRE DES SIGNES

mulus sélectionné et, de plus, une idée ou sentiment de relation par juge­
ment perceptuel portant sur ces stimulus.
Si l'on examine dans une structure relationnelle correspondant à une
configuration perceptive d'un objet la sous-structure (U, σ) qui y est incor­
porée (en somme on ne considère que ce qul est essentiel), on voit qu'à
chaque (n-l)-uple de l'une des relations constitutive de σ sont associées (n-
1) qualités de sentiments correspondant chacune à un stimulus de ce (n-1)-
uple et une idée ou sentiment de relation supplémentaire unique pour cha­
que (n-l)-uple. Autrement dit, en prenant en compte les résultats de la sec­
tion précédente, la structure éidétique (U, σ) est plongée dans une structu­
re de Peirce (U°, σ°) où U° est un ensemble de même cardinalité que la
somme des cardinaux de U et de σ et σ° la famille des relations formée à
partir de σ de la manière suivante:

On a mis, compte tenu des observations de la fin de la section précé­


dente, les Φ(x1,x2,...,xn-1 ) en dernière position, leur place n'ayant pas d'in­
cidence sur l'énoncé de la proposition. La projection à considérer vis à vis
de la définition de la structure de Peirce est donc, pour une relation de type
(n—1) de la structure éidétique, la projection π dans la structure de Peirce
associée. Il est clair qu'on a aussi implicitement généralisé la notion de
structure de Peirce de type η à une structure de Peirce de type {ni}iεIqui est
définie à l'aide d'une famille de projections, une pour chaque n. et vérifiant
la condition imposée dans la définition de la structure de Peirce de type n.
Φ(x1,x2,...,xn-1 ) correspond à une qualité de sentiment: idée ou sentiment
de relation des (n-1) éléments que cette application relie.
En fait, si nous examinons le point de vue génétique et que nous es­
sayons de résoudre le problème de la genèse des structures éidétiques il est
clair qu'elles ne peuvent être construites qu'à partir des structures de Peirce
dans lesquelles elles sont plongées puisqu'elles ne sont jamais appréhen­
dées que dans ces conditions. Comme nous l'avons vu de manière certaine­
ment plus vague dans le chapitre I elles sont construites par inférences à
partir de (U°, σ°) qui est la seule structure "vécue". La structure éidétique
(U, σ) est construite, en quelque sorte, comme "cause", de la structure
"vécue" (U°, σ°) qui est une structure de Peirce.
Le théorème de réduction triadique est applicable dans ces conditions
et il nous assure que les structures éidétiques dont nous inférons l'existence
dans le monde extérieur parce qu'en dernière analyse elles sont explicatives
MODES D'ÊTRE 107

de l'activité de notre esprit dans ses relations avec le monde extérieur sont
descriptibles en termes de produit relatif de structures relationnelles de
type 1,2 et 3.
Cependant la décomposition effective s'effectue dans (U°, σ°) grâce
aux éléments du type de Φ(x1,x2,...,xn-1 ) qui représentent des éléments
mentaux correspondant aux jugements perceptuels. Les structures éidéti-
ques qui sont ainsi algébriquement décomposées peuvent être considérées
d'un double point de vue:
- en tant que réalités autonomes (même si ce sont des réalités construites)
c'est-à-dire indépendantes de tout élément mental subjectif qui a servi de
support ("d'échafaudage") à leur construction et qui est utilisé dans la ré­
duction triadique comme une sorte d'artefact ou d'auxiliaire pour obtenir la
décomposition formelle des structures éidétiques. Cette démarche est évi­
demment justifiée par le fait que la décomposition en formes de relations
est totalement indépendante des éléments existentiels dans lesquels ces for­
mes sont incorporées, que ce soient des stimuli, des mémorisations d'expé­
riences ou des déterminations d'un esprit. Une fois que la décomposition
est effective ces éléments peuvent être effacés.
- en tant que réalités présentes à l'esprit ici et maintenant et incorporant
un élément mental qui est le support existentiel de la structure formelle. A
chaque "élément structurel" ou forme de relations de la structure éidétique
vient s'ajouter un élément mental qui l'incorpore dans une autre structure
formelle qui autorise la décomposition triadique. Si nous regardons com­
ment sont ainsi incorporés les éléments de la décomposition (éléments in­
décomposables) qui sont des structures relationnelles de type 1,2 ou 3 nous
voyons évidemment que les structures de type 1 monadiques sont incorpo­
rées dans des structures de type 2 dyadiques, les éléments de type 2 dyadi-
ques sont incorporés dans des structures de type 3 triadiques et les éléments
de type 3 triadiques dans des structures de type 4 tétradiques.
Par exemple la structure éidétique du drapeau français du chapitre I
reproduite Figure 16

Figure 16.
108 L'ALGEBRE DES SIGNES

qui est formée de relations dyadiques et monadiques est plongée dans la


structure de la Figure 17 où I représente un sentiment

Figure 17.

d'inhérence, A un sentiment d'adjacence, chaque schéma à trois branches


une relation triadique, les flèches des relations d'identité des sentiments de
bleu, blanc, rouge et de "rectangle" avec la somme des sentiments sembla­
bles éprouvés dans des expériences antérieures ou plus précisément leur in­
corporation dans la série totalisée de ces expériences (l'identité de deux
éléments est une relation dyadique).
Le cas des éléments non-valents que Peirce appelle "medads" est à
part et peut être négligé. Ce sont en effet dit-il "des idées indécomposables
tout à fait séparées logiquement de toute autre", "un flash mental éclair ab­
solument instantané, sans tonnerre, non remémoré, et entièrement sans ef­
fet" (1.292). N'étant en relation avec rien donc même pas avec un esprit ils
restent purement hypothétiques car ils ne peuvent pas, par nature, être ex­
périenciés.
La structure éidétique d'un objet externe, pour être saisie comme telle,
doit donc être abstraite des structures "vécues" qui sont des structures rela­
tionnelles correspondant aux différentes configurations perceptives de l'ob­
jet dans lesquelles la structure éidétique est incorporée. On peut dire, en
quelque sorte, que le "vécu" de la structure éidétique se déroule dans des
configurations perceptives de l'objet ou plutôt dans des formes de relations.
Or, toutes ces structures sont des structures relationnelles et elles sont dé-
composables comme nous l'avons vu. Donc les éléments formels des struc­
tures éidétiques sont empiriquement donnés parmi les éléments formels de
la décomposition des structures relationnelles correspondant aux différen­
tes configurations perceptives de l'objet. Pour les découvrir il est nécessaire
d'évacuer tout ce qui est accidentel ou contingent, ce qui n'est pas sans rap-
MODES D'ÊTRES 109

peler le procédé de variation éidétique de Husserl. Il y a lieu de penser que


la genèse de la structure éidétique d'un objet se réalise dans le courant de
l'expérience de cet objet par le repérage d'éléments indécomposables de la
structure éidétique qui sont stables dans la diversité des perceptions, puis
par construction progressive grâce aux propriétés combinatoires de ces élé­
ments avec un contrôle individuel par essais et erreurs notamment au
moyen de la communication sociale (pour ce qui est de la vérification du ca­
ractère institutionnel de la structure éidétique pour une communauté sé-
miotique donnée). Cependant du point de vue où nous nous plaçons, l'ob­
jet est supposé présent à un esprit; donc sa structure éidétique est formée
par cet esprit, elle est décomposable en produit relatif d'éléments formels
de type 1, 2 et 3 qui peuvent être observés dans la décomposition formelle
de chaque configuration perceptive de l'objet.
Le cas des objets internes est beaucoup plus simple puisque leur pré­
sence à l'esprit est produite par la formation par cet esprit de sa structure
éidétique indépendamment de toute perception actuelle, la structure étant
"habillée" de qualités de sentiments enregistrés dans la mémoire au cours
d'expériences antérieures. Ces structures éidétiques n'ont donc pas à être
extraites d'un donné accidentel hétéroclite; l'esprit capitalise dans leur for­
mation les résultats de son activité antérieure sur les structures "vécues"
dans le donné perceptif.
Cette égalité de statut théorique des objets externes et internes vis à vis
du phaneron, c'est-à-dire de leur présence à un esprit n'est pas sans brouil­
ler quelque peu la distinction qui est habituellement faite entre eux. Cette
remise en cause est le domaine d'élection du fantastique (en littérature,
peinture, cinéma, etc..) ou plutôt, pourrions nous dire, du regard fantasti­
que sur le monde qui consiste, du point de vue phanéroscopique, à "recol­
ler" des sous-structures d'objets construites dans une perception actuelle
avec des sous-structures d'objets internes. Ceci est à distinguer de l'imagi­
naire "pur" qui consiste à recoller des objets internes seulement, donc à
produire de nouvelles structures éidétiques par une combinatoire de struc­
tures éidétiques acquises dans l'expérience. Comme exemple de ce dernier
cas citons le centaure qui recolle homme et cheval ou la sirène qui recolle
femme et poisson; comme exemple du premier cas nous devons en appeler
à ces "transfigurations" que les enfants pratiquent couramment qui consis­
tent par exemple à "vivre" dans des maisons dont la disposition des pièces
est indiquée sur le sol par des alignements de cailloux; les exemples abon-
no L'ALGEBRE DES SIGNES

dent et il n'est pas besoin d'être enfant pour les évoquer; beaucoup d'adul­
tes aujourd'hui qui se livrent à certaines pratiques ésotériques (dont la vo­
gue est certainement redue au fossé qui ne cesse de se creuser entre la
science et le sens commun) recollent objets internes et objets externes dans
des cosmologies plus ou moins cohérentes qui restent sans danger tant
qu'elles limitent leurs ambitions à transformer les mondes internes des au­
tres par le militantisme de la "bonne" parole.
Cependant notre propos n'est pas de nous interroger, et encore moins
de porter un jugement, sur la validité de ces constructions. L'étude du pha-
neron, dans le cas restreint qui nous occupe actuellement, à savoir la pré­
sence à l'esprit d'un objet, n'est pas concernée par ces problèmes ni même
par les distinctions du type objet externe/objet interne ou objet "mixte"
même si la source de toute expérience et donc la genèse des structures éi-
détiques est rapportée à un monde extérieur donné dans des percepts. Des
objets sont présents à un esprit dès lors que cet esprit a formé leur structure
éidétique. Ces structures sont décomposables en produits relatifs de struc­
tures relationnelles de type 1,2 ou 3; ce que nous devons maintenant étu­
dier en détail ce sont la nature et les modes de décomposition/recomposi­
tion des éléments indécomposables à la lumière des résultats de la section
précédente.
Pour cela nous allons examiner systématiquement les résultats de la
décomposition des polyades jusqu'à un type n-adique suffisant pour que
tous les types d'éléments indécomposables apparaissent. Nous présentons
les résultats dans le Tableau 2 qui fait apparaître dans la première colonne
les éléments possibles de la structure éidétique (U, σ) dans laquelle les qua­
lités de sentiment sont représentées par des disques pleins, dans la deuxiè­
me colonne les éléments correpondants de (U°, σ°) parmi lesquels le senti­
ment de relation n-adique est représenté par un cercle indexé par le type de
la relation. Une relation n-adique sera représentée par un "peigne" com­
portant autant de dents que le type de la relation. Dans la troisième colon­
ne figurent les décompositions formelles sur U°, dans la quatrième les types
d'éléments obtenus dans la décomposition et dans la dernière leur recom­
position, étant entendu que les cercles communs doivent être "oubliés", à
la manière des traits de construction d'une figure géométrique effectuée à
la règle et au compas.
MODES D'ÊTRE 111

Tableau 2.

Pour η = 6 on obtient de la même manière les éléments de la Figure 18

Figure 18.

dont la recomposition est réalisée Figure 19.


11 est intéressant de constater combien le formalisme présenté est pro­
che de l'intuition de Peirce. Dans MS 717 qui est reproduit dans NEM
IV:307, intitulé "The categories", Peirce écrit:
112 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 19.

Les systèmes de plus de trois objets peuvent être analysés en agglomérats


(congeries) de triades. Ainsi si une ligne se subdivise à partir de  en cinq
voies, de façon à aboutir séparément à A , B , C , D , E , ce résultat peut être
atteint en supposant qu'en Ρ il y a un noeud de trois voies, dont deux abou­
tissent à A et , tandis que la troisième, infiniment courte, aboutit à Q
(voir la figure 21 qui accompagne ce texte). En Q il y a un noeud de trois
voies dont l'une aboutit à C, tandis que l'autre, infiniment courte, aboutit
à Ρ et R. En R il y a un noeud à trois voies dont deux aboutissent à D et
E, tandis que la troisième, infiniment courte aboutit à Q. Ainsi quand
l'idée de ramification en trois voies est acquise, nous avons tout ce qui est
nécessaire pour produire tous les ordres plus élevés de ramifications.
Si nous regardons la ligne du tableau 2 correspondant à la pentade
(n=5) nous pouvons constater la correspondance parfaite des deux décom­
positions à condition de considérer que dans la Figure 20,  représente le
sentiment de relation pentadique noté o5 dans le tableau 2 et que, de
même, P,Q et R représentent des sentiments de relation triadiques. Com­
me il n'existe qu'un seul type abstrait de relation triadique (par contre, les
relations triadiques factuelles unissant trois qualités de sentiment singuliè­
res sont des faits uniques tous différents), on conçoit comment P, Q et R
peuvent être confondus pour "reconstituer"  et du même coup recompo­
ser la pentade.

Figure 20.
MODES D'ÊTRES 113

Si maintenant nous regardons les éléments de la décomposition du ta­


bleau on voit qu'ils sont de deux types, soit qu'ils contiennent une qualité
de sentiment (distincte de O) soit qu'ils en contiennent deux (distinctes de
O) les deux autres ou l'autre étant des sentiments de relation qui complè­
tent les triades et il en est de même pour la décomposition "géométrique"
(Figure 20) de Peirce. La correspondance apparaît mieux si nous représen­
tons la recomposition comme indiqué Figure 21 avec des notations éviden­
tes.

Figure 21.

Cet exemple illustre bien la dualité constante des points de vue qu'il
faut impérativement respecter et il montre du même coup la pertinence de
la formalisation adoptée pour en assurer la gestion théorique. En effet, P,
Q, R représentent à la fois des existants (des déterminations d'un esprit qui
unit deux qualités de sentiment) et, à ce titre ils sont des points d'aboutisse­
ment des lignes et aussi en tant que noeuds d'où sortent des ramifications à
trois branches (des "trifurcations") ils représentent des idées ou sentiments
de relation entre des existants qui sont représentés aux extrémités de chacu­
ne des branches.
Si nous examinons les types des éléments obtenus dans la décomposi­
tion de (U°, σ°) dans la quatrième colonne, nous constatons qu'ils sont de
type 2 ou 3, qu'ils comportent tous une ou deux idées ou sentiments de rela­
tion (considérés comme détermination d'un esprit) et une ou deux qualités
de sentiments produits par des stimulis originés dans l'objet. Les éléments
de la décomposition de (U°, σ°), la structure "vécue", sont donc de même
nature que la structure elle même à savoir que chacun d'eux contient un
élément mental. On retrouve ici cette idée déja énoncée en section 2 du
chapitre I selon laquelle les phénomènes sont conditionnés à la fois par une
réalité extérieure et par une activité intérieure et ceci jusque dans leur dé­
composition en éléments indécomposables.
114 L'ALGEBRE DES SIGNES

De cette façon le modèle prend en charge le fait que dans le phénomè­


ne la conscience est "tissée" avec le monde. La "mixité" des types d'élé­
ments obtenus dans la décomposition en témoigne.
Dans la cinquième colonne ces mêmes sentiments de relation sont
considérés comme des connecteurs entre qualités de sentiments originés
dans un objet (qu'il s'agisse de perception actuelle ou mémorisée).
Analysons maintenant les lignes du tableau. Pour n = l , il faut se rappe­
ler que l'élément monadique de (U,σ)est inféré comme "cause" d'une qua­
lité de sentiment éprouvée dans un percept et que cette disjonction crée la
dyade (cause, effet) formellement représentée dans la deuxième colonne et
qui est un secondan. Dans la dernière colonne nous avons combiné cette
dyade avec elle même, opération formelle qui correspond à l'identification
de la qualité de sentiment avec une au moins des qualités de sentiment
éprouvées dans des expériences antérieures. Cette recomposition constitue
un élément priman du phaneron: c'est la traduction phénoménologique
d'un élément monadique de la structure de l'objet dont la réalité est postu­
lée indépendamment de la perception de l'objet. Cet élément priman n'est
pas dans la structure vécue: il est pure possibilité. On voit aussi que la dis­
jonction entre un ego actuel "apercevant" et un non-ego "source de stimu­
li" crée aussi la possibilité de la dyade externe par objectivation de cette
dyade "vécue" dans la mesure où une fois produite elle devient un élément
du non-ego actuel. Autrement dit la possibilité des qualités de sentiment de
relation dyadique associées à des objets internes (donc aussi externes puis­
que objets internes et externes ont le même statut dans le phaneron) est
déjà exprimée dans la première ligne.
La possibilité de qualités de sentiment de relation dyadique étant assu­
rée on peut alors considérer que les éléments de la deuxième ligne recou­
vrent une réalité, autrement dit que des relations dyadiques de la structure
(U, σ) peuvent être effectivement perçues. Elles le seront mais dans une re­
lation triadique de (U°, σ°) dont nous savons qu'elle est indécomposable au
sens de la section 2 de ce chapitre qui suppose réalisées les conditions de
cardinalité sur les domaines respectifs de U° et de σ°. L'élément noté o2 est,
nous l'avons vu, à la fois une qualité de sentiment singulière et l'union des
deux autres; la dyade externe est alors descriptible comme produit relatif
de deux dyades constituées chacune par l'une des deux autres qualités de
sentiment et la qualité de sentiment o2 (bien entendu dans l'esprit du lec­
teur ces dyades sont incorporées dans une triade et le troisième élément est
représenté par le peigne à deux dents qui les joint, mais la convention qui
MODES D'ÊTRE 115

régit implicitement notre tableau est que les qualités de sentiment qui ne
sont pas représentées par des disques ou des cercles doivent être négligées.
Cette difficulté, inhérente au projet phénoménologique est résolue ici par
l'incorporation de (U, σ) dans (U°, σ°) qui permet d'objectiver le champ
phénoménologique). Il y a donc possibilité formelle de séparer les deux
dyades et en les composant chacune avec elles mêmes comme à la ligne au-
dessus, apparaît la possibilité de distinguer ces deux qualités de sentiment
impliquées dans la dyade. C'est pourquoi la recomposition des éléments
formels donne dans la dernière colonne trois éléments possibles: deux qui
renvoient aux deux qualités de l'objet externe et une troisième à leur union
par une dyade qui est un élément secondan du phaneron, obtenu par le pro­
duit relatif de deux éléments dyadiques (définis sur U) par "effacement" de
l'élément mental commun.
Le passage de la deuxième à la troisième ligne s'effectue d'une manière
analogue. La possibilité formelle d'une triade externe créée par le vécu de
la dyade interne permet de catégoriser les qualités de sentiment qui leur
sont possiblement relatives. Toute triade externe (à l'ego-actuel) est donc
ce qui est effectivement perçu dans une tétrade interne unissant trois quali­
tés de sentiment et une qualité de sentiment de triade notée o3. Sa décom­
position formelle conduit dans tous les cas possibles à seulement deux types
de relations: un type triadique (avec trois réalisations possibles) et un type
dyadique (avec aussi trois réalisations possibles); leur recomposition
conduit à une triade qui recompose la triade externe (élément tertian du
phaneron) par produit relatif d'une triade et d'une dyade "internes" réalisé
de façon à obtenir les trois qualités de sentiment originelles mais aussi à
trois dyades unissant deux de ces qualités et trois monades correspondant à
chacune de ces qualités.
La triade interne permet à son tour de catégoriser les qualités de senti­
ment de tétrade externe notées o4 dans la quatrième ligne. Toute tétrade
externe est donc ce qui est effectivement perçu dans une pentade. Sa dé­
composition formelle fournit en particulier six couples de relations triadi-
ques (comportant chacun o4) qui par produit relatif permettent de recom­
poser la tétrade avec o4 comme connecteur. On peut remarquer que l'on
peut aussi obtenir par produit relatif et toujours avec o4 comme connecteur
toutes les triades unissant les quatre combinaisons de trois qualités de senti­
ment prises dans les quatre, les six dyades obtenues en les prenant deux à
deux et les quatre monades correspondant à chacune d'elles.
116 L'ALGEBRE DES SIGNES

Il en va de même pour les polyades d'ordre supérieur à η qui se décom­


posent sans difficulté en produit relatif de n—2 triades comme indiqué pour
la pentade et l'hexade.
Les éléments indécomposables du phaneron peuvent donc être rame­
nés à trois types qui sont des types de formes de relation:
- les primans ou types monadiques qui sont capables d'informer (de don­
ner forme à) une qualité de sentiment. On peut représenter de deux façons
(Figure 22) leur forme abstraite ou fonctionnelle (relationship).

Figure 22.

- les secondans ou type dyadiques qui sont capables d'informer l'union de


deux qualités de sentiments et que l'on peut représenter aussi de deux fa­
çons (Figure 23).

Figure 23.

- les tertians ou types triadiques qui sont capables d'informer l'union de


trois qualités de sentiments et que l'on peut représenter encore de deux fa­
çons (Figure 24).

Figure 24.

Toute structure éidétique est un produit relatif d'éléments de ces trois


types. Lorsqu'elle est incorporée dans une perception de l'objet( un perci-
puum), les places (une dans la monade, deux dans la dyade et trois dans la
triade) sont occupées par les qualités de sentiments éprouvées dans la per­
ception.
MODES D'ÊTRES 117

Nous avons vu par ailleurs que l'existence (au sens de présence dans
une structure vécue) d'un priman créait un secondan "abstrait" et que
l'existence de ce dernier créait un tertian de sorte que l'on peut affirmer
que s'il y a un tertian alors il y a au moins un secondan et s'il y a un secon­
dan alors il y a au moins un priman. Il y a donc trois catégories d'éléments
du phaneron qu'avec Peirce nous appellerons la Primanité, la Secondanité
et la Tertianité qui entretiennent des rapports de présupposition suivant le
diagramme de la Figure 25 dans lequel 3 représente la catégorie de la Ter­
tianité, 2 la catégorie de la Secondanité, 1 celle de la Primanité, et β et α
des relations de présupposition non réciproque.

Figure 25.

Ce diagramme peut être considéré comme graphe d'une relation sur


l'ensemble des trois catégories, comme un treillis ou comme une catégorie
algébrique.
Nous étudierons plus tard la question de la présence simultanée de plu­
sieurs objets à l'esprit dans un phaneron. Ce qu'il importe maintenant
d'examiner, après la présence à l'esprit d'un objet et dans la perspective de
l'étude des phénomènes sémiotiques, ce sont les conséquences que nous
pouvons tirer de la décomposition en produit relatif d'éléments indécompo­
sables de leurs structures éidétiques respectives sur les relations entre les
objets. Nous nous doterons ainsi de tous les instruments nécessaires pour
catégoriser à la fois les relations entre le signe et l'esprit, ce qui vient d'être
fait, mais aussi entre le signe et son objet, ce que nous allons nous efforcer
de faire.

5. Modes d'être: Priméité, Secondéité, Tiercéité

Une conséquence directe de notre thèse fondamentale suivant laquelle


présence à l'esprit d'un objet est coextensif de la formation par cet esprit de
sa structure éidétique est que le mode de présence à l'esprit des relations
entre objets est entièrement déterminé par les relations formelles que peu­
vent entretenir leurs structures éidétiques respectives. Nous avons déjà
considéré de telles relations dans le modèle que nous avons adopté pour la
118 L'ALGEBRE DES SIGNES

caractérisation des phénomènes sémiotiques dans la section 3 du chapitre


II: ce sont précisément les correspondances compatibles que nous avons
défini au début de cette même section. Mais nous venons de montrer que
les structures éidétiques pouvaient être décrites, dans les conditions qui
viennent d'être précisées dans la section précédente, à l'aide de produits re­
latifs d'éléments de trois types, autrement dit (puisque nous avons utilisé le
terme produit relatif aussi bien pour désigner les produits relatifs de rela­
tions n-adiques définies sur un certain ensemble que les produits relatifs des
structures relationnelles correspondantes) comme produits relatifs de trois
types de structures relationnelles que nous pouvons appeler type monadi-
que, type dyadique et type triadique. Dans cette section nous allons mon­
trer que cette décomposition/recomposition des structures éidétiques per­
met de décrire les correspondances compatibles comme produit (dans un
sens que nous allons préciser) de correspondances compatibles entre des
structures relationnelles de type monadique, dyadique et triadique. Ensuite
nous montrerons comment ces résultats modélisent les conceptions de Peir-
ce concernant les modes d'être et leurs formes dégénérées.
Auparavant notons l'importance que Peirce attachait à ces considéra­
tions dans l'élaboration de sa phénoménologie, puisqu'il écrivait:
Et cette notion, celle d'être tels que les autres choses nous font, est une
partie tellement importante de notre vie que nous concevons aussi les au­
tres choses comme existant en vertu de leurs réactions les unes contre les
autres (1.324).
Les considérations que nous allons développer maintenant vont donc,
pour parler le langage de Peirce, formaliser les réactions des choses les unes
contre les autres à partir de ce que chacune d'elles est pour notre esprit, le­
quel est tel qu'il est en vertu des réactions qu'il a lui même eu contre les
choses et que les choses ont eues contre lui.
Il convient donc de commencer par la définition du produit de deux
correspondances compatibles entre structures relationnelles de même type.
Soit donc Γ1 une correspondance compatible (voir II.3) entre deux
structures relationnelles (Χ, α1) et (Y, β1) et Γ2 une correspondance compa­
tible entre les structures relationnelles (Χ, α2) et (Y, β2). On forme les pro­
duits relatifs (Χ, α1 * α2)et (Y, β1 * β2)
Supposons que (Χ, α1) est de type  et (Χ, α2) de type q et considérons
les (k+q—2)-uples de α1 * α2
( X 1',...... X k-l' X
k+2'"'Xk+q)
MODES D'ÊTRE 119

vérifiant la condition suivante: Si u est l'élément de X (dont on sait qu'il


existe) tel que
(X1 ....,xk-1',u) ε α1 e t (u,xk+2·,...,'xk+q)ε α2
et s'il existe (y1,y2.,..,yk-1,v)ε β1 et (v,yk+2,...,yk+q) ε β2 tels que
(11) ε Γ1 (x2,y2) ε Γ1..., (x k-1 ,y k-1 ) ε Γ1 et (u,v) ε Γ1et
(u,v) ε Γ2, (xk+2,yk+2) ε Γ2 ..., (xk+q,yk+q) ε Γ2
alors la correspondance notée Γ1 * Γ2 est appelée produit relatif des corres­
pondances Γ1 et Γ2 définie par la réunion de tous les ensembles de couples
tels que
(x1,y1); (x2,2)'···'(x k-1 ,y k-1 );(x k+2 ,y k+2 )'"·'(x k+q ,y k+q )
(un ensemble tel que celui-ci pour chaque (k+1-2)-uple de α1*α2 vérifiant
la condition ci-dessus) est une correspondance compatible entre (Χ, α1 * α2)
et (x,β1,β2).
Cette assertion se vérifie en effet en s'assurant que
(12•,••-1'+2>,........+q) est un (k+q-2)-uple de β1 * β2, ce qui est une
conséquence directe de l'existence de ν e Y tel que (y1,y2,..,yk_1?v) ε β1 et
(v,k+2"..,'+q)ε β2
Le produit relatif des correspondances compatibles ainsi défini est as­
sociatif et cette propriété est la seule que nous noterons en vue de son utili­
sation ultérieure.
Cependant il est clair qu'étant donné une correspondance compatible
Γ entre deux structures relationnelles (Χ, α) et (Χ, β) il existe d'autres cor­
respondances compatibles Γ' qui mettent en correspondance les mêmes n-
uples de α avec les mêmes n-uples de β mais qui diffèrent par ailleurs de Γ.
On peut construire de telles correspondances en adjoignant (ou en suppri­
mant) à α des couples (x.,y.) qui ne sont pas concernés par la mise en rela­
tion des n-uples. Il sera donc utile de distinguer des classes de correspon­
dances compatibles relativement à un sous-ensemble a' de a. Si nous sup­
posons que (X, a) est de type n, ce sous-ensemble sera constitué des n-
uples de α qui sont effectivement mis en relation par Γ avec des n-uples de
β. D'où la définition:
deux correspondances compatibles Γ et Γ' entre deux strucures relationnel­
les (X, α) et (Χ, β) de type η sont équivalentes relativement à un sous-
ensemble a' de a si pour tout n-uple (x1x2,...,xn) ε α', {(x1,y1);(x2,y2),...,
(xn,yn)} est un sous-ensemble de Γ si et seulement si c'est un sous-ensemble
deV.
120 L'ALGEBRE DES SIGNES

La relation ainsi établie entre les correspondances compatibles par la


donnée de α' est évidemment une relation d'équivalence et chaque classe
peut être représentée par la correspondance compatible la plus fine relati­
vement à a', à savoir celle qui est définie par les couples (Xi,yi) où xi. par­
court les n-uples de a'.
Nous allons maintenant montrer que toute correspondance compatible
entre deux structures relationnelles de même type n>3 est équivalente à un
produit relatif de correspondances compatibles entre structures relationnel­
les de type 3.
Soit donc Γ une correspondance compatible entre (Χ, α) et (Χ, β) tou­
tes deux de type n. On sait que (X, α) = (X, *.α) et (Y, β) = (Y, *.iβi.) où
a. et β. sont des relations triadiques sur Xo et sur Y°, respectivement, ces en­
sembles Xo et Y° étant obtenus par adjonction éventuelle à X et Y d'élé­
ments permettant la définition de structures de Peirce (Xo, a°) et (Y°, β°)
comme il a été indiqué à la section 3 de ce chapitre. On peut supposer que
X contient dès le départ "assez d'éléments", ou identifier X avec un sous-
ensemble de Xo sans altérer la généralité de notre propos. Rappelons que si
Φ (respectivement Φ') est une injection de α dans Xo (respectivement de β
dans Y°), on a:
(x 1 x 2 ,..,x n )Ε α si et seulement si (x1x2,..,xn ,Φ(x1x2,..,xn )) ε α°
(y 1 ,y 2 .,y n ) ε ß si et seulement si (y1,y2,..,yn,Φ'(y1,y2,..,yn) ε ß°.
On pose Φ(x 1 x 2 ,..,x n ) = x* et '(1,2,..,n) = y*; α est alors le produit re­
latif des n—2 relations triadiques ainsi définies sur Xo:
α1 = {(x1,x2,x*) tels que (x1,x2,...,xn) Ε α}
α2 = {(x*,x3,x*) tels que (x1,x2,...,xn) Ε α}

αn-2 = {(x*,xn-1,xn)tels que (x1,x2,...,xn) Ε α}


et de même β est le produit relatif des n - 2 relations triadiques définies sur
Y°:
β1 = {(1,2,*)tels que ( y 1 y 2 - - y n ) Ε ß}
ß2 = {(*,3,*) tels que (1,2,"-.....,n) Ε β}

ßn_2 = {(*,n-1,n) tels que (y1,y2,...,yn) Ε β}


Considérons maintenant (x1,x2,...,xn) Ε α tel que (x1,y1) Ε Γ, (x2,y2) Ε Γ ...
MODES D'ÊTRES 121

(xn,yn) ε Γ. On sait que (y1,y2,...,yn) ε β puisque Γ est compatible. Nous


pouvons définir les correspondances suivantes:
Γ1 = Uα,{(x1,y1);(*x2,2)(x*,y*)} entre (Xo, α1) et (Y°, β,)
Γ2 = Uα,{(*,*);(3,);(*,*)} entre (Xo, α2) et (Y0, β2)

Γn-2 =Uα,{(x*,y*);(xn_1,yn_1);(xn,yn)} entre (Xo, αn-1) et


(Y° ,ßn-2)
la notation Uα, indiquant que ces correspondances sont obtenues par la
réunion des triplets de couples tels que (xi,yi) (1≤i≤n) et (x*,y*) formés à
partir des n-uples de α qui sont mis en correspondance par  avec des n-
uples de β.
Il est clair que les correspondances  (1≤≤n—2) sont toutes compa­
tibles par construction. Formons le produit relatif
Γ Γ Γ
1* 2*-* n-2
qui d'après ce qui précède est une correspondance compatible entre (Xo,
*.iαi.) et (Y°, *.iβi.) obtenue de proche en proche par:

1 *  2 = Uα,{(1,1);(2'2)'(3')'(*'*)}

1 * 2 * 3 = Uα,{(1'1)(2'2)'(3')'(4'4)'(*'*)}
et ainsi de suite jusqu'à:
Γ
1 * Γ 2 *...* Γ
n-2 = Uα,{(1'1);(2'2)'.....(xn-1,'n-1)'(xn'n)}
en conservant à la notation Uα, la signification précédente mais sur des en­
sembles de 4,...,n couples tels que (x.,y).
Si on appelle a' l'ensemble des n-uples de a que Γ met en correspon­
dance avec des n-uples de β on voit que Γ et Γ1 * Γ2 *...* Γn sont équivalen­
tes relativement à a' car Γ1 * Γ2*...* Γn est la correspondance compatible la
plus fine relativement à a'. D'où le résultat:
Si n>3, la correspondance compatible Γ entre (Χ, α) et (Y, ß) est équi­
valente relativement à un sous-ensemble a' de a au produit relatif de
n—2 correspondances compatibles entre structures relationnelles triadi-
ques. Ce résultat s'étend sans difficulté à des structures relationnelles de
type {ni}.iεI avec ni.>3 en étendant de façon naturelle la notion d'équivalen­
ce de correspondances compatibles entre structures relationnelles de type η
à celle des structures relationnelles de type {ni.}iεI (il suffit de poser que la
définition est vérifiée quel que soit ni.,iεI).
122 L'ALGEBRE DES SIGNES

En conclusion toutes les correspondances compatibles entre structures


relationnelles peuvent être décrites à l'aide d'un produit relatif de corres­
pondances compatibles entre structures relationnelles de type 1, 2 ou 3,
puisque cette assertion est encore vraie pour les valeurs de η inférieures à 3.
En effet pour n=3 on obtient un produit relatif d'une structure relationnel­
le triadique et d'une structure dyadique et pour n=2 de deux structures re­
lationnelles dyadiques comme on l'a vu dans la section précédente. Quant
au cas n = l il conduit par plongement dans une structure de Peirce à une
structure relationnelle dyadique comme on l'a vu aussi dans la section pré­
cédente. Si l'on examine le mécanisme de la décomposition on voit que le
mode de présence à l'esprit des relations entre objets est obtenu comme
"cause" de relations "vécues" définies à l'aide des qualités de sentiment
correspondant aux stimuli originés dans chacun des deux objets, des quali­
tés de sentiment de relation caractéristiques de chacun d'eux et des corres­
pondances compatibles instituées entre les structures de Peirce associées.
Le fait que la décomposition de chacune des structures éidétiques des ob­
jets considérés se prolonge en une décomposition (à une équivalence prés)
de leurs correspondances compatibles nous conduit à la conclusion qu'il suf­
fira de décrire les correspondances compatibles entre structures de type 1,
2 ou 3 pour pouvoir décrire toutes les correspondances compatibles entre
structures relationnelles de tous types. Ce résultat nous permettra donc de
formaliser la phénoménologie des relations des objets externes ou internes
à l'aide d'une typologie de ces relations rendue possible par les réductions
opérées.
Car, si nous définissons le mode d'être d'un objet par sa capacité à en­
tretenir des relations avec d'autres objets et compte-tenu de notre hy­
pothèse suivant laquelle la présence à l'esprit de tout objet est coextensive
de la formation par cet esprit de sa structure éidétique, cette capacité, lors­
qu'elle sera actualisée, nous apparaîtra donc sous forme de correspondan­
ces compatibles entre structures relationnelles de type 1, 2 et 3 et nous ob­
tiendrons tous les modes d'être possibles comme combinaison des modes
d'êtres fondamentaux qui sont formalisés par ces types de correspondances
compatibles.
Considérons donc maintenant deux structures relationnelles (Χ, α) et
(Y, ß) et examinons les différentes possibilités de correspondances compa­
tibles lorsque α et β sont des relations monadiques, dyadiques ou triadi-
ques. Nous pouvons conclure a priori qu'il y aura trois types fondamentaux
pour lesquels α et β sont toutes deux respectivement monadiques,dyadi­
ques et triadiques. Examinons ces trois types:
MODES D'ÊTRE 123

Pour n = l , les structures relationnelles sont définies par des sous-en­


sembles α et β de X et de Y, respectivement, et une correspondance Γ est
compatible dès lors qu'un couple (x,y) avec x ε α et y ε β appartient à .
Il n'y a pas de correspondance compatible possible entre une structure
relationnelle (Χ, α) de type 1 et une structure relationnelle (Y, ß) de type
2 ou 3 puisque nous avons supposé une fois pour toutes que les correspon­
dances considérées étaient fonctionnelles.
Pour n—2, a et β sont respectivement des sous-ensembles de X2 et de
2
Y et une correspondance fonctionnelle est compatible dès lors qu'elle asso­
cie aux éléments d'un couple (x1,x2) de α des éléments (y1,y2) de β et il n'y
a pas de correspondance compatible possible entre (Χ, α) de type de 2 et
une structure relationnelle (Y, ß) de type 3. Par contre remarquons que
pour (Χ, α) de type 2 toute correspondance fonctionnelle Γ qui est définie
sur au moins deux éléments x1 et x2 tels que (xr,x2) ε α permet de définir un
sous-ensemble
ß# = {(y1,y2) tels que (x1,x2) ε Γ et (x2,y2) ε Γ}
et la correspondance Γ entre (Χ, α) et (Y, ß) est compatible par construc­
tion.
Enfin pour n=3, α et β sont respectivement des sous-ensembles de X3
et Y3 et une correspondance fonctionnelle est compatible dès lors qu'elle
associe aux éléments d'un triplet (x1,x2,x3) de X3, les éléments d'un triplet
(y1,y2,y3) de β. Remarquons de plus que si (Χ, α) est de type 3, si (Y, ß) est
de type {1,2} et si l'on pose β1 = β ∩Y et β2 = β ∩Υ2, alors toute corres­
pondance fonctionnelle Γ qui est définie sur au moins un triplet (x1,x2,x3) de
α permet de définir un sous-ensemble ß # 1 de X3 par:
ß#1 = {(12,3)tels que (1,1) ε  
2>2) ε r '
(x3,y3) ε  et (y1y2) e ß2, y3 e β1 }
De même si (Χ, α) est de type 3 toute correspondance fonctionnelle Γ
qui est définie sur au moins trois éléments x1,x2,x3 tels que (x1,x2,x3) e a
permet de définir un sous-ensemble de X3 par:
ß # 2 = {(y 1 ,y 2, y 3 )tels que(x1,y1)ε  (x2>y2)ε  (x3,y3)ε}
et la correspondance  entre (Χ,α ) et (Y, ß) est compatible par construc­
tion.
Nous allons maintenant nous attacher à montrer que les trois types
fondamentaux de correspondances compatibles sont caracéristiques des ca­
tégories peirciennes de Priméité, Secondéité et Tiercéité et que les remar-
124 L'ALGEBRE DES SIGNES

ques que nous avons faites à propos des cas n=2 et n=3 sont caractéristi­
ques de formes dégénérées de ces catégories, à savoir Secondéité dégéné­
rée, Tiercéité dégénérée au premier degré et au second degré. Peirce défi­
nit ainsi ses catégories:
En donnant à "être" le sens le plus large possible pour y inclure des idées
aussi bien que des choses, des idées que nous imaginons avoir tout autant
que des idées que nous avons réellement, je définirai la Priméité, la Secon­
déité et la Tiercéité comme suit:
La Priméité est le mode d'être de ce qui tel qu'il est, positivement et
sans référence à quoi que ce soit d'autre.
La Secondéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il par rapport à
un second, mais sans considération d'un troisième quel qu'il soit.
La Tiercéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est, en mettant en
relation réciproque un second et un troisième. J'appelle ces trois idées ca­
tégories cénopythagoriciennes. (8.328)
Il soutient d'autre part que ces catégories peuvent être observées direc­
tement dans les phanérons, comme nous l'avons déjà noté dans la section
précédente.
Mon opinion est qu'il y a trois modes d'être. Je soutiens nous pouvons les
observer directement dans les éléments de tout ce qui est à n'importe quel
moment présent à l'esprit d'une façon ou d'une autre. Ce sont l'être de la
possibilité qualitative positive, l'être du fait actuel, et l'être de la loi qui
gouvernera les faits dans le futur. (1.23)
Rappelons à ce propos que les éléments du phaneron proviennent de
distinctions suivant la forme et ne sont pas des éléments existants et donc
qu'il en sera évidemment de même pour toutes les relations qu'on peut éta­
blir entre ces éléments.
Avant de procéder aux caractérisations annoncées il convient encore
de rappeler que Peirce a de l'être une conception fondamentalement rela­
tionnelle:
Car aussi longtemps que les choses n'agissent pas les unes sur les autres,
cela ne signifie rien de dire qu'elles ont de l'être, à moins que cela signifie
qu'elles sont telles en elles mêmes qu'elles peuvent peut être entrer en re­
lation avec d'autres choses. (1.25)
Donc puisque pour Peirce l'être réside dans la capacité relationnelle
des choses (incluant les déterminations des esprits humains) les modes
d'être résulteront d'une différenciation des capacités relationnelles des cho­
ses et seront donc des modes relationnels des choses. C'est précisément ce
qui est pris en compte sur le plan phénoménologique par la notion de cor-
MODES D'ÊTRES 125

respondance compatible dès lors que l'on admet que les choses sont chacu-
nes présentes à l'esprit parce que l'esprit a formé leurs structures éidétiques
respectives. Aux différents modes d'être correspondent donc les différentes
classes de correspondances compatibles telles que nous venons de les distin­
guer et que nous allons maintenant examiner une par une.
Considérons les correspondances compatibles de type 1. Formellement
elles mettent en correspondance des éléments monadiques des structures
relationnelles. Ce sont les formes de l'identification de qualités de senti­
ment présents dans des configurations perceptives distinctes ou dans la
même configuration perceptive. Pour que cette correspondance ait une réa­
lité, pour qu'il ait été possible d'en avoir la conception (dans le sens que des
esprits ont pu réellement identifier des qualités de sentiment) il est néces­
saire de présupposer une forme a priori ou catégorie universelle dont la for­
me des éléments monadiques de chaque phanéron est une particularité.
Cette forme a priori est en quelque sorte le fondement de la monade, le
fondement de la capacité d'identifier des qualités de sentiment ce qui re­
vient à conférer à chacune d'elles, en tant qu'elles sont réellement présen­
tes dans les phénomènes, une capacité relationnelle réflexive (actualisée ou
non) qui coïncide avec la Priméité de Peirce. C'est la possibilité qualitative
positive qui est à l'origine de la généralité de la notion de qualité de senti­
ment en ce sens qu'elle la rend possible comme notion. C'est la facticité du
sentiment jointe à la facticité du sentiment d'identité qui fonde la Priméité
comme nécessité impliquée dans ces facticités. On retrouve ici l'analyse fai­
te dans la section précédente: la Priméité est une catégorie du monde exté­
rieur pour autant qu'elle est fondée sur la facticité des sentiments mais elle
est aussi une catégorie de l'esprit pour autant que celui-ci relie des facticités
en identifiant des qualités de sentiment au moyen de qualités de sentiment
de relation. C'est parce que l'activité de l'esprit est relationnelle qu'il peut
concevoir la Priméité comme catégorie universelle. Elle se présente à lui
comme capacité des objets:
Nous attribuons naturellement la Priméité à des objets extérieurs c'est-à-
dire que nous supposons qu'ils ont en eux mêmes des capacités qui peuvent
ou non être déjà actualisées, qui peuvent ou non être un jour actualisées,
bien que nous ne puissions rien dire de ces possibilités si elles ne sont pas
actualisées. (1.25)
Et il découvre cette capacité dans des phanérons dont l'élément mona-
dique est la qualité: "La qualité est ce qui se présente sous l'aspect monadi-
que" (1-424).
126 L'ALGEBRE DES SIGNES

C'est donc la classe des correspondances compatibles de type 1 (ou


monadiques) entre structures éidétiques associées aux objets qui est l'équi­
valent formel de la Priméité telle qu'elle peut être directement observée
dans les phanérons en tant que forme de la qualité de sentiments réels.
Passons maintenant aux correspondances compatibles de type 2 qui
mettent en correspondance des éléments dyadiques des structures relation­
nelles. Ce sont les formes de l'identification entre qualités de sentiments de
relation entre deux qualités de sentiment présentes dans des configurations
perceptives distinctes ou dans la même configuration. Comme pour le cas
précédent, pour que cette correspondance ait une réalité et qu'il est été
possible d'en avoir la conception, il est nécessaire de présupposer une for­
me a priori ou catégorie universelle dont la forme des éléments dyadiques
de chaque phaneron est une particularité. A l'instar de la Priméité, identi­
fiée comme fondement de la monade, nous identifierons cette formé au
fondement de la dyade: elle se traduit dans la capacité d'identifier des qua­
lités de sentiments de relations dyadiques, c'est-à-dire la capacité de catégo­
riser dans les éléments des phanerons ceux qui sont tels qu'ils sont par rap­
port à un autre. Cette catégorie est la Secondéité authentique définie par
Peirce; nous la reconnaissons dans le sentiment d'altérité et d'abord dans
l'évidence du non-ego en tant qu'il s'oppose à l'égo:
Le trait suivant le plus simple qui soit commun à tout ce qui présente à l'es­
prit est l'élément de lutte.
Ce dernier est présent même dans un fragment rudimentaire de l'ex­
périence comme un simple sentiment. Car un sentiment de cet ordre a tou­
jours un degré de vivacité, haut ou bas; et cette vivacité est un sentiment
d'ébranlement, une action- réaction, entre notre âme et le stimulus. (1.322
souligné par nous)
C'est l'altérité du sujet et des objets extérieurs causes de stimuli qui
rend possible l'attribution de l'altérité aux objets extérieurs; ou encore,
c'est la dyade "subjective" qui fonde la dyade objective comme catégorie
universelle des phanérons. Mais à la différence de la Priméité qui est fon­
dée comme pure possibilité elle la fonde comme existence ou factualité du
monde extérieur donné dans l'expérience.
On peut remarquer que cette capacité d'identification des qualités de
sentiment de relation ou capacité de saisir des couples de qualités de senti­
ment dans l'unité de la perception présuppose celle d'identifier des qualités
de sentiment, donc-la Secondéité authentique présuppose la Priméité.
Nous procédons de manière analogue pour les correspondances com-
MODES D'ÊTRE 127

patibles de type 3 qui mettent en relation des éléments triadiques des struc­
tures relationnelles. Ce sont les formes de l'identification entre qualités de
sentiments de relation entre trois qualités de sentiment présents dans des
configurations perceptives distinctes ou dans la même configuration percep­
tive. Là aussi il est nécessaire de présupposer une catégorie universelle dont
la forme des éléments triadiques de chaque phanéron est une particularité.
Elle est fondée dans la capacité de l'esprit à conférer l'altérité à des objets
extérieurs, capacité observable dans son activité médiatrice et que la pensée
seule peut réaliser de manière authentique. On voit que cette catégorie que
nous identifions sans réserve avec la Tiercéité authentique de Peirce pré­
suppose la Secondéité authentique. La relation de présupposition non réci­
proque que nous avions observée entre les catégories phanéroscopiques
s'étend donc à une relation de présupposition non réciproque entre les ca­
tégories cénophythagoriciennes à travers la notion de correspondance com­
patible et le diagramme de la figure 25 est encore valable lorsque 3, 2, 1 re­
présentent respectivement la Tiercéité authentique, la Secondéité authenti­
que et la Priméité.
Si nous comparons les catégories phanéroscopiques et les catégories
cénopythagoriciennes nous voyons que les premières sont les catégories des
éléments des phanérons telles qu'on peut les concevoir "si l'on pense à la
relation d'un des corrélats aux autres"(texte déjà cité en section 3) tandis
que les secondes sont les mêmes mais considérées de l'extérieur c'est-à-dire
objectivant la relation des corrélats entre eux ("l'intelligibilité ou la raison
objectivée est ce qui fait que la tiercéité est authentique" (1.366)). En ac­
cord avec Peirce nous adopterons le second point de vue et en accord avec
les usages maintenant établis nous appellerons catégories phanéroscopiques
les trois catégories de Priméité, Secondéité et Tiercéité, ce qui est justifié,
puisqu'en dernière analyse elles sont connues à partir de la décomposition
du phaneron.
La Secondéité dégénérée est une Secondéité que l'on peut observer
lorsque l'esprit unit "de l'extérieur" deux qualités de sentiment en les incor­
porant dans une relation dyadique. C'est ce que Peirce exprime dans MS
307:
La catégorie de Second a une forme dégénérée qui se produit quand la Se­
condéité est une simple formalité, un simple aspect imposé sur un objet,
lequel, tel qu'il est dans sa propre totalité n'a pas de dualité, ou en tout cas
pas cette dualité là.
Cette forme de secondéité "n'existe pas en tant que telle" (1.365) dans
128 L'ALGEBRE DES SIGNES

la mesure précisément où elle apparaît dans le temps même de la création


du couple par l'esprit alors que dans la Secondéité authentique ce couple lui
est donné. Cependant dès qu'il est établi par l'esprit ce couple devient une
réalité qui n'a pas la force compulsive de l'existence et qui nécessite à cha­
que fois un acte d'incorporation dans la dyade qui le constitue. C'est pour­
quoi Peirce, nous semble-t-il écrit:
On peut pour plus de commodité appeler tous les seconds dégénérés "in­
ternes" par opposition aux seconds "externes" qui sont constitués par un
fait externe et sont de vraies actions d'une chose sur une autre. (1.365)
La Secondéité dégénérée est une Secondéité qui implique donc pour sa
constitution l'intervention d'un esprit, mais une intervention aussitôt "ou­
bliée", comme on peut oublier un auxiliaire, par exemple lorsqu'on efface
les traits de construction d'une figure géométrique effectuée avec la règle et
le compas. Le mode de construction de la Secondéité dégénérée est formel­
lement décrit par la définition du sous-ensemble ß # de Y2 qui a été donnée
plus haut.
La Tiercéité dégénérée au premier degré se distingue de la Tiercéité
authentique en ce sens qu'elle incorpore une qualité de sentiments de rela­
tion et une simple qualité de sentiment dans l'unité d'une conception, tan­
dis que la Tiercéité authentique consiste en l'union de deux qualités de sen­
timent dans une troisième en tant qu'elle est donnée comme un fait impli­
quant chacune de ces qualités dans une totalité collective. La Tiercéité dé­
générée au deuxième degré, par contre, incorpore de l'extérieur trois quali­
tés de sentiment dans une conception et présuppose donc comme la Secon­
déité dégénérée, et aussi la Tiercéité dégénérée au premier degré, l'inter­
vention d'un auxiliaire à savoir la détermination de l'esprit qui établit la re­
lation, opération réalisée chaque fois qu'on distingue un ensemble de trois
éléments aussi hétéroclites soient-ils. Peirce écrit en 1.366:
Dans les troisièmes, il y a deux degré de dégénérescence. Le premier,
quand il n'y a dans le fait lui même aucune tiercéité ou médiation, mais
quand il y a une vraie dualité; le second quand il n'y a même pas de vraie
secondéité dans le fait lui-même.
Citons quelques exemples de chaque type:
- pour la Tiercéité authentique prenons l'exemple déjà évoqué du drapeau
français qui unit dans un phénomène sémiotique le drapeau réel présent à
nos sens et/ou à notre esprit, la France comme entité politique, géographi­
que, historique, culturelle, etc.... et une qualité de sentiment, la "francité"
qui unit les deux. Tout symbole, nous le verrons en est aussi un exemple.
MODES D'ETRES 129

- pour la Tiercéité dégénérée au premier degré citons par exemple l'union


dans la couleur orange des couleurs rouge et jaune: un sentiment de rela­
tion dyadique de mélange (réel ou fictif) de rouge et de jaune est uni à une
qualité de sentiment d'orange. Tout indice en est aussi un exemple.
- pour la Tiercéité dégénérée au deuxième degré citons la relation triadi-
que qu'on peut établir entre le Moyen Age, la Renaissance et les Temps
Modernes en considérant la Renaissance comme une période de transition
entre deux autres périodes. Citons aussi les exemples de Peirce concernant
les types intermédiaires:
Le dramaturge Marlow avait quelque chose de cette puissance d'expres­
sion qui se trouve également chez Shakespeare et Bacon (1.367).
Un centaure est un composé d'homme et de cheval (1.367).
Philadelphie se trouve entre New-York et Washington (1.367).
Toute icône est un exemple de Tiercéité dégénérée comme nous le ver­
rons plus loin.
Les deux types de Tiercéité dégénérée sont formellement décrits par
les définitions des sous-ensembles ß # 1 et ß#2 qui ont été données précédem­
ment.
Peirce pense que la première "peut être conçue comme une simple
complication de secondéités" (MS 307) ou une "secondéité seconde" (5.70)
et la seconde comme "une simple manière de considérer une qualité de sen­
timent" (MS 307). Pour notre part nous y avons décelé l'union par la pen­
sée de trois qualités de sentiment ce qui est une façon de fondre deux d'en­
tre elles dans la troisième.
En conclusion de cette section retenons qu'il y a seulement trois modes
d'être ou trois types de relations possibles entre les objets, ces trois types
étant présents à l'esprit sous forme de correspondances compatibles entre
les décompositions formelles des structures éidétiques de ces objets en pro­
duit relatif de structures de type monadique, dyadique et triadique. Ces
trois modes d'être Priméité, Secondéité et Tiercéité sont des catégories uni­
verselles nécessaires et suffisantes pour décrire tout ce qui est présent à l'es­
prit. La Secondéité admet une forme dégénérée et la Tiercéité deux.

6. L'unité formelle du phanéron

Dans la section 4 de ce chapitre nous avons en quelque sorte décomposé la


présence à l'esprit d'un objet en produit relatif d'éléments indécomposa-
130 L'ALGEBRE DES SIGNES

bles. Dans la section 5 nous avons montré qu'on pouvait en déduire une
décomposition des modes d'être des objets dans leurs interrelations en pro­
duit relatif de modes d'être fondamentaux, au nombre de trois. Nous pou­
vons maintenant aborder l'ultime étape de l'algébrisation de la phénoméno­
logie qui consiste à tirer les conséquences des résultats des deux sections
précédentes pour la description du phaneron. Cela revient à préciser l'orga­
nisation formelle que l'activité de l'esprit produit sur une masse de stimuli
en provenance du monde extérieur (objets externes) ou qu'il peut reprodui­
re de manière autonome (objets internes). D'une manière très générale
nous avons identifié cette organisation formelle à une structure relationnel­
le et la présence à l'esprit des différents objets qui composent le phaneron
à des sous-structures connexes de cette structure. Ces structures éidétiques
incorporées entretiennent éventuellement des relations auxquelles nous
avons donné la forme de correspondances compatibles, en accord avec la
transcription algébrique des structures, c'est-à-dire avec les universaux
mathématiques choisis. Ces correspondances compatibles qui, une fois ré­
duites, définissent les modes d'être spécifiques fondamentaux des objets
peuvent être établies aussi bien entre structures éidétiques d'objets diffé­
rents d'un même phaneron qu'entre structures éidétiques d'objets apparte­
nant à des phanerons différents (ce qui recouvre le phénomène couram­
ment appelé "association d'idées"). Dans cette section nous allons nous
préoccuper essentiellement de l'unité du phaneron c'est-à-dire du phaneron
comme "totalité collective" (1.284) après avoir fait remarquer que nous
avons déjà largement traité des relations entre objets appartenant à des
phanerons différents dans l'analyse et dans la modélisation des phénomènes
sémiotiques. Dans le chapitre IV nous reprendrons cette étude en y inté­
grant les résultats du présent chapitre.
Dans l'état actuel du développement de nos formalismes nous avons
donc pour chaque phaneron une structure relationnelle organisant l'ensem­
ble des stimuli sélectionnés, incluant des sous-structures connexes corres­
pondant chacune à un objet et, possiblement des correspondances compati­
bles entre ces structures. Il est clair que la prise en charge formelle de l'uni­
té du phaneron devra intégrer ces correspondances éventuelles entre objets
qui solidarisent des sous-ensembles d'objets présents dans le phaneron et
qu'en même temps les propositions avancées doivent subsister en l'absence
de toute correspondance (ce qui correspond à une conscience "unitaire"
d'ensembles "hétéroclites").
Il faudra donc faire appel à de nouvelles considérations formelles si
l'on veut prendre en charge l'unité du phanéron, sa totalité collective. En
MODES D'ÊTRE 131

fait nous sommes confrontés avec la vieille question philosophique des rap­
ports d'un tout avec ses parties. Cependant elle se pose à nous d'une façon
particulière et certainement nouvelle dans la mesure ou aussi bien le tout
que les parties sont algébrisés sous forme de structures relationnelles. Le
problème perd alors son caractère excessivement vague et général pour de­
venir un pur problème de combinatoire de structures algébriques ce qui
permettra de lui apporter une solution appropriée à notre projet.
La plupart des auteurs qui se sont intéressés à la question du tout et
des parties ont fait appel à la notion de "somme" dont ils font un usage mé­
taphorique en transposant sa signification arithmétique plus ou moins éla­
borée suivant qu'on la rapporte à une opération (loi de composition inter­
ne) sur des êtres mathématiques abstraits ou à l'idée d'adjonction si présen­
te dans la vie de tous les jours. La notion de somme est alors chargée de re­
couvrir conceptuellement cette mystérieuse transmutation des parties en
tout. C'est ainsi que chez Kant c'est à travers l'acte de synthèse, fonction
"aveugle mais indispensable", qu'elle s'exerce:
j'entends donc par synthèse dans le sens le plus général de ce mot l'acte qui
consiste à ajouter (souligné par nous) diverses représentations les unes aux
autres et à en réunir la diversité dans une connaissance. (1976: 135)
Un essayiste contemporain comme Edgar Morin écrit à quelques pages
d'intervalle: "le tout est plus que la somme des parties" et "le tout est moins
que la somme des parties" sans que l'on sache trop comment s'effectue
cette "somme" ni en quoi il peut y avoir un "plus" ou un "moins". Sans
nous attarder pour l'instant sur l'apparente contradiction entre ces deux as­
sertions nous retiendrons simplement l'emploi du mot "somme" par Edgar
Morin tout comme nous avons souligné l'emploi du mot "ajouter" dans la
définition de Kant. Cependant Edgar Morin tente de se démarquer des
métaphores usuelles en proposant un schéma qu'il qualifie de "circuit" re­
présenté Figure 26

Figure 26.

et qui est caractérisé par le fait


132 L'ALGEBRE DES SIGNES

qu'aucun des deux termes n'y est réductible à l'autre, les parties doivent
être conçues en fonction du tout et elles doivent être conçues aussi en iso­
lation. (Morin 1977:125)
Il enrichit ce schéma en introduisant les notions d'interrelation et d'or­
ganisation suivant un nouveau "circuit" (Figure 27)

Figure 27.

Il met ainsi ainsi en évidence et tente de prendre en charge le caractère


polyrelationnel des rapports entre parties et tout en progressant ainsi vers
une meilleure appréhension de la complexité:
les éléments doivent donc être définis à la fois dans et par leurs caractères
originaux, dans et avec les interrelations auxquelles ils participent, dans et
avec la perspective de l'organisation où ils s'agencent, dans et avec la pers­
pective du tout où ils s'intègrent. Inversement l'organisation doit se définir
par rapport aux éléments, aux interrelations, au tout et ainsi de suite. (Mo­
rin 1977:125).
Cette description est encore très vague quoique plus précise que les no­
tions de "somme" ou d'"agrégat" puisque l'organisation interne est évo­
quée en tant qu'elle assure la solidarité de certains sous-ensembles. Mais on
peut à bon droit s'interroger sur la signification que peuvent avoir les flè­
ches du circuit ainsi que sur la possibilité de définir ou d'interdéfinir rigou­
reusement chacun des termes (élément, interrelations, organisation, tout )
dans leurs rapports avec les autres termes. Cependant on peut aussi remar­
quer qu'ils sont implicitement liés, sans que l'auteur y prête attention d'ail­
leurs, par une relation tétradique qui est ici pensée en termes de "circuit",
en référence probablement à la cybernétique. C'est une intuition qui rejoint
notre démarche laquelle est grandement facilitée, comme nous l'avons déjà
remarqué, par l'algébrisation partielle de la phénoménologie à laquelle
nous avons procédé jusqu'ici. Elle nous permettra de surcroît d'arriver au
terme de notre tentative. Il s'agit en effet maintenant de "sommer" ou de
"combiner" des structures relationnelles bien définies en lieu et place
d'"éléments" ou de "représentations" vagues et indéterminées.
Cependant avant de nous pencher sur l'unité du phaneron remarquons
MODES D'ÊTRES 133

que la question du tout et des parties se pose déjà pour un objet du phane-
ron. En effet on constate empiriquement que la plupart des objets présents
à l'esprit ont des parties. Puisque ces parties ont une présence à l'esprit en
tous points identique quant à sa nature à celle de l'objet lui même, il est na­
turel de leur associer une structure éidétique. Néanmoins cette structure est
incluse dans celle de l'objet, c'est pourquoi nous l'appellerons sous-structu­
re éidétique. Ces sous-structures sont à la fois autonomes et dépendantes;
autonomes parce qu'elles peuvent être isolées comme une tête de cerf peut
être séparée du corps de l'animal et devenir un trophée de chasse (donc ac­
quérir un autre statut sémiotique que celui qu'elle a comme sous-structure
de celle du cerf); dépendantes puisqu'elles sont le plus souvent présentes à
l'esprit simultanément ce qui donne à l'inclusion de l'une dans l'autre une
valeur d'institution constamment confirmée par les expériences des acteurs
sociaux. Il convient aussi de noter que toute sous-structure de la structure
éidétique n'est pas nécessairement la structure éidétique d'une partie de
l'objet ce qui est cohérent avec la qualification d'"éidétique" que.nous
avons accolée aux sous-structures des parties. Par exemple les pointillés que
l'on voit chez le boucher et qui indiquent les différentes parties d'un boeuf
telles qu'on peut les déterminer dans le champ de l'alimentation soulignent
des parties du boeuf qui ont une identité pour toute personne participant
d'une certaine culture "alimentaire" occidentale, mais il est clair que tout
découpage aléatoire réalisé sur le dessin ou même réalisé physiquement sur
l'animal n'a aucune existence sémiotique. Et il est clair aussi que le décou­
page institué varie non seulement avec les grandes divisions culturelles mais
aussi avec les pays: il y a différentes façons "de couper la viande" qui cor­
respondent à l'institution de partitions différentes de la structure éidétique
de l'animal en sous-structures éidétiques.
Pour prendre formellement en charge ces observations nous allons fai­
re appel à une nouvelle notion adaptée à la fois au type des structures en
présence et au type de problème à résoudre qui est une sorte de "recolle­
ment" de ces parties pour faire un tout. C'est la notion de somme de dia­
gramme dans une catégorie et en l'occurrence dans la catégorie (ou le cons-
tructum) des structures relationnelles qui est particulièrement désignée
pour conduire à une solution satisfaisante de ce problème. Avant d'en ex­
poser les raisons il convient d'analyser un peu mieux la notion courante de
somme ou d'adjonction afin de voir le progrès réalisé et donc de mieux per­
suader le lecteur de la nécessité d'adopter la notion pour faire des progrès
décisifs dans l'intelligibilité des phénomènes.
134 L'ALGEBRE DES SIGNES

L'emploi métaphorique du mot somme pour la constitution de l'unité


de certains ensembles reste toujours tributaire de son origine arithmétique
d'addition d'unités indépendantes augmentée, grâce à la diffusion de la
théorie des ensembles par les systèmes d'enseignement, de la notion de réu­
nion ensembliste (sans que l'on puisse déterminer le plus souvent s'il s'agit
de la réunion inclusive ou exclusive). Cet emploi laisse dans le vague la pri­
se en compte des relations que peuvent entretenir les différentes parties
"sommées". Cependant il y a des cas ou la constitution d'un objet est obte­
nue par adjonction d'objets sans interrelations comme par exemple l'auto­
mitrailleuse ou le bâteau-pompe qui se distinguent des autres cas, les plus
fréquents dans la langue, comme la porte-fenêtre, le tiroir-caisse, etc..
Formellement la seule différence que l'on peut relever dans la constitution
de ces objets est dans la présence ou l'absence d'interrelations entre les
constituants,ce que l'on peut, par exemple, représenter comme sur la Figu­
re 28, la relation entre porte et fenêtre étant concevable, de notre point de
vue comme une correspondance compatible entre les structures éidétiques
respectives des classes désignées par "porte" et par "fenêtre", qui met en
rapport des caractères comme la rectangularité, l'existence dans chacune
d'un axe de rotation, etc.. La sommation des diagrammes dans une catégo­
rie unifie les deux cas en faisant apparaître le premier comme un cas parti­
culier correspondant à la relation vide entre les deux objets (qui s'appellera
somme directe) du second, le cas général, qui consiste à "sommer" des col­
lections d'objets partiellement ou totalement organisées ou solidarisées par
des interrelations. Nous donnons en annexe D les définitions formelles ri­
goureuses de somme et produit direct d'une famille d'objets d'une catégorie
C, de somme et produit d'un diagramme. Avant de les utiliser nous allons
justifier le recours à ces formalisations c'est-à-dire montrer comment ces
notions informent au mieux les constatations empiriques que nous pouvons
faire relativement à l'unité de la conscience des objets.

Figure 28.
MODES D'ÊTRE 135

Examinons tout d'abord le cas du phaneron dans son ensemble. Il


comprend des objets, présents à l'esprit, dont certains sont liés par des cor­
respondances compatibles entre leurs structures éidétiques. Nous considé­
rons donc la classe  des objets ou, ce qui revient au même, la classe des
structures éidétiques qui sont effectivement formées dans une communauté
sémiotique donnée (ce faisant nous reprenons l'hypothèse faite à la section
2 du chapitre II). Etant donnés deux objets A et  nous appelons
hom(A,B) l'ensemble des correspondances compatibles effectivement éta­
blies par au moins l'un des membres de la communauté (au moment où
nous nous plaçons) entre les structures éidétiques respectives de A et de .
La classe  des objets ainsi munie de morphismes est une catégorie algébri­
que (voir Annexe D). En effet le composé des deux correspondances com­
patibles est une correspondance compatible et de plus la composition des
correspondances est associative: si  ε hom(A,B),  ε hom(B,C), " e
hom(C,D) et si (Χ, α), (Υ, β), (Ζ, γ), (Τ, δ) sont les structures éidétiques
respectives des objets A, ,  et D, alors
'  = {(x,z) ε A x  tel qu'il existe y tel que
(x,y) ε  et (y,z) e '}
et il est facile de vérifier que si (x,x') e α et que si ζ et z' correspondent res­
pectivement à χ et x' par la correspondance '  alors (z,z') e γ.
On vérifie aussi facilement que
Γ ' o ( Γ o Γ ) = (Γ" ο Γ') ο Γ
ainsi que tous les axiomes nécessaires pour satisfaire à la définition de l'an­
nexe D.
Cette catégorie est donc la catégorie de référence pour tous les mem­
bres d'une même communauté sémiotique. Pour des raisons évidentes nous
l'appellerons "catégorie éidétique" et nous la désignerons par la lettre E.
Nous sommes maintenant en mesure de donner un équivalent formel
des données a priori du phaneron, à savoir qu'il présuppose un ensemble
d'objets présents à l'esprit et des relations entre ces objets. A l'ensemble
d'objets nous associons naturellement une famille de structures éidétiques
indexée par un ensemble d'indices I. Quant aux relations entre les structu­
res éidétiques de deux objets A. et A. elles permettent de définir chacune,
lorsqu'elles existent, un couple (i,j)εl et l'ensemble de ces couples consti­
tue un sous ensemble α de I2 de sorte que (Ι,α) est de type 2. On voit que
toutes ces données à priori ainsi formalisées permettent point par point de
définir un phaneron par la donnée d'un diagramme dans la catégorie éidé-
136 L'ALGEBRE DES SIGNES

tique E puisque dire ceci recouvre exactement notre conception du phane-


ron telle qu'elle résulte de notre hypothèse fondamentale. Dans le chapitre
suivant nous pourrons avancer une définition équivalente mais encore plus
synthétique en faisant intervenir la notion de foncteur.
Remarquons de plus qu'il est possible que dans l'ensemble α on puisse
isoler des sous-ensembles connexes (qui correspondent à des sortes d'agré­
gats de qualités de sentiment) dont aucun n'a de relation avec les autres ob­
jets du phaneron. C'est ce qui se produit par exemple lorsque quelqu'un
constate que plusieurs objets d'une collection d'objets ont la même couleur
ou la même forme: cela revient à solidariser une sous-collection par des cor­
respondances monadiques. Un autre exemple faisant intervenir des corres­
pondances compatibles de type 2 est donné par la constatation que deux ob­
jets (deux véhicules qui se sont heurtés par exemple) possèdent des couples
de caractères que l'esprit met en correspondance (dans le cas présent des
déformations qui se retrouvent en saillie sur l'un et les déformations corres­
pondantes qui se retrouvent en creux sur l'autre). Enfin un exemple faisant
intervenir des correspondances compatibles de type 3 est donné par la rela­
tion que l'on peut faire entre les concepts de "liberté" et de "licence" lors­
qu'on pense que "liberté n'est pas licence".
L'unité formelle du phaneron, le phaneron comme totalité collective
par opposition à l'ensemble des objets considéré indépendamment de leurs
relations (qui est une totalité distributive) sera formellement pris en charge
par la somme (ou colimite) du diagramme telle qu'elle est définie dans l'an­
nexe D.
En effet si nous regardons cette définition de manière précise nous
voyons que la somme d'un diagramme dans la catégorie éidétique est cons­
tituée par la donnée d'un objet A de la catégorie (ici une structure relation­
nelle) et d'une famille de morphismes {μi}ieI (ici des correspondances com­
patibles) qui relient chacun des objets du diagramme à l'objet-somme et qui
vérifient certaines conditions que nous allons maintenant examiner.
La première de ces conditions est que la famille soit cocompatible
(Adàmek 1983:167) c'est-à-dire que si μ. de A. dans A et μ. de A. dans A
sont deux morphismes de cette famille et si (i,j) e a (c'est-à-dire s'il existe
une correspondance compatible .. entre A et A.) on a le diagramme com-
mutatif de la Figure 29, autrement dit que μ. = μ. ο Γ...
Cela signifie que si un élement a. de A. (une qualité de sentiment) est
mis en correspondance avec un élément a. de A. par .. alors μ. et μ. mettent
respectivement a. et a. en correspondance avec le même élément a de A. La
MODES D'ÊTRES 137

Figure 29.

même chose vaut pour chacun des éléments de chacun des n-uples que la
correspondance T.. met en relation (donc pour les qualités de sentiment de
relation) que μ. et μ. mettent respectivement en correspondance avec le
même n-uple de la structure relationnelle A. Tout ceci a lieu pour tous les
couples (i,j) Ε α de sorte que tous les objets A. se trouvent d'une certaine
manière plongés dans l'objet A qui les intègre tous avec leurs relations T..
dans le sens ou tous les n-uples qui sont reliés par ces relations s'y trouvent
en quelque sorte identifiés en un seul n-uple. On peut littéralement dire
que dans l'objet A les objets A sont "recollés" suivant des indications don­
né par les relations qu'ils entretiennent. D'ailleurs avant que n'apparaisse la
notion formalisée de somme d'un diagramme les mathématiciens utilisaient
le mot "recollement" pour désigner un procédé de construction de nou­
veaux objets mathématiques du même type. Si α est vide, c'est-à-dire s'il
n'y a pas de Γ.. (ce qui est le cas de la somme directe) on retrouve la notion
classique d'adjonction, l'absence de relations conduisant à construire un
objet "somme" en mettant "à côté les uns des autres" les différents objets
A.
1

Il est clair que si un élément du diagramme est isolé c'est-à dire s'il n'a
aucune relation avec aucun autre élément il aura dans l'objet-somme un
"statut" analogue à celui d'un objet figurant dans une somme directe tandis
que tous les objets d'un sous-diagramme connexe seront "résumés" en un
seul objet-somme. Dans les exemples cités plus haut on voit que l'automi­
trailleuse ou le bâteau-pompe sont des sommes directes de structures éidé-
tiques tandis que la porte-fenêtre somme la porte et la fenêtre en recollant
leurs caractères commun (rectangularité, rotation autour d'un côté).
La deuxième condition recouvre ce que l'on appelle une propriété uni­
verselle relative à l'objet A et à la famille des morphismes {μi}ieI· Elle signi­
fie que tout autre objet Β et toute autre famille {μ'i|}iεI qui auraient les mê­
mes propriétés vis a vis du diagramme que l'objet A et la famille {μ i } ieI
(c'est-à-dire toute autre famille cocompatible) seraient en quelque sorte
138 L'ALGEBRE DES SIGNES

subsumés par A et la famille {μi}iεI· En effet le morphisme unique de A


dans  qui figure dans la définition nous assure que tout objet  vérifiant
les conditions ci-dessus contient une certaine image de A transférée par
cette correspondance compatible. En ce sens l'unique objet qui jouit de
cette propriété universelle est minimal car il est pratiquement contenu (ou
sous-jacent) dans tous les objets analogues à B.
On voit bien ainsi comment la notion de somme de diagramme permet
de prendre formellement en charge le phaneron comme totalité et par là est
un équivalent formel de l'unité de la conscience. Le progrès sur les vagues
notions de somme ou d'adjonction empruntés à l'arithmétique, à la théorie
naïve des ensembles, à la cybernétique ou à la théorie naïve des systèmes
nous semble évident d'autant plus que la même notion peut s'appliquer à
un objet possédant des parties identifiées.
En effet tout sous-diagramme d'un diagramme, et en particulier un
sous-diagramme connexe, peut faire l'objet d'une sommation du même
type et on peut considérer qu'il peut être remplacé par sa somme dans le
diagramme complet. C'est ainsi que la vache "regardée avec inattention"
dont parlait Peirce peut être considérée comme une totalité et non pas com­
me un agrégat d'une tête de vache, d'un corps de vache, de pattes de va­
ches, d'une queue de vache etc.. C'est ainsi aussi, en revenant à l'exemple
de l'image ambivalente étudiée au chapitre I, que deux diagrammes distincts
peuvent emprunter presque les mêmes éléments et être sommés en deux
totalités collectives différentes: la jeune femme frivole et la vieille dame
morose, les deux totalités étant intégrées dans le phaneron qui totalise la
page sur laquelle l'image est reproduite, le texte voisin et au delà le cadre
dans lequel le lecteur a placé son livre. Chacune des parties elle-même peut
s'interpréter comme sommation de."paquets" de qualités de sentiments liés
par des qualités de sentiment de relation et si l'on en revient aux causes de
ces qualités de sentiments, à savoir les stimuli, ils apparaissent pour ainsi
dire comme liés en faisceaux par les qualités de sentiments de relation pour
former des unités culturelles signifiantes elles mêmes constituées en fais­
ceaux de faisceaux pour former les objets présents à l'esprit, eux mêmes to­
talisés dans l'unité formelle de la conscience dans un phaneron. C'est donc
l'algèbre de ces formes qui constitue la catégorie éidétique comme fonde­
ment de toute phénoménologie qui admettrait notre hypothèse fondamen­
tale de départ.
Nous avons évoqué dans le chapitre I le modèle de Zeeman, concer­
nant la topologie du cerveau. La formalisation de l'unité formelle du pha-
MODES D'ÊTRE 139

neron que nous venons d'évoquer nous permet de soutenir notre hypothèse
par des considérations nettement plus précises que celles qui proviennent
d'un modèle puisqu'elles proviennent de l'expérience et ont trait à la phy­
siologie du cerveau. Avant de les exposer il convient de préciser l'usage que
nous entendons en faire: il ne s'agit que de soutenir une hypothèse en mon­
trant qu'il est possible (et seulement possible) que la description formelle
donnée s'incarne dans le fonctionnement réel du cerveau humain, ni plus ni
moins. Ces considérations ne prouveront ni n'infirmeront rien. Elles res-
sortissent uniquement de l'acte qui consiste à accepter plus ou moins facile­
ment une hypothèse, un acte qui est nécessairement au début de toute dé­
marche scientifique.
Décrivant la physiologie du neurone le Docteur Paul Chauchard
(1980:37) écrit:
Un neurone est normalement soumis à de multiples influences, soit celles
des qualités chimiques ou physiques du milieu, soit celles de son chimisme
propre, soit celles des multiples influx qui lui parviennent par les nombreu­
ses synapses qui parsèment son corps et ses dendrites; il en fait la somme
algébrique pour en tirer le niveau de sa polarisation, (souligné par nous).
L'image du neurone sommant les diverses influences qui s'exercent sur
lui est exactement l'image d'une somme de diagramme, les dendrites cor­
respondant aux flèches du diagramme (c'est-à-dire aux μ.) et l'objet A ad­
mettant le corps du neurone comme ensemble sous-jacent, sa structuration
étant produite à tout moment comme résultat de la sommation de ces diver­
ses influences. De ce point de vue le neurone apparaît donc comme un ins­
trument réel de sommation des influx à condition d'associer biunivoque-
ment ces derniers aux qualités de sentiment produites par des stimuli.
Traitant ensuite des schémas spatio-temporels innés ou acquis, le Doc­
teur Chauchard (1980:48) écrit encore:
Ceux-ci [les neurones de l'écorce cérébrale], de façon innée, en raison des
structurations automatiques des zones sensorielles de l'écorce enregistrent
sous forme de schémas spatio-temporels fluctuants l'image cérébrale de ce
qui a impressionné l'organe des sens: il existe un équivalent physiologique
de la sensation dans cette structuration produite par les messages.
et plus loin (1980:53)
... tel objet n'est plus seulement extérieur, il est en nous sous forme du
schéma cérébral qui le représente et le fonctionnement cérébral va travail­
ler sur ce schéma qui est une pensée dont la présence pourra être évoquée
par imagination, rappel mnémonique, en dehors de toute présence exté­
rieure.
140 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tout commentaire est superflu, l'analogie entre schéma cérébral et


diagramme s'imposant d'elle-même; les connexions multipolaires de cha­
que neurone correspondent à autant de possibilités de création de qualités
de sentiment, les connexions des neurones entre eux — du moins celles qui
sont activées au moment de la présence à l'esprit d'un objet — correspon­
dent au diagramme caractéristique des parties d'un objet connectées entre
elles et sommées dans un autre neurone, etc..
Nous pourrions multiplier les citations de ce type mais cela serait inuti­
le puisque nous ne voulons rien prouver. Qu'on nous accorde seulement le
bien fondé de l'analogie et aussi peut-être la possibilité que le fonctionne­
ment du système neuronique produise la sommation des influx par une sor­
te de processus de "minimisation" du schéma des objets qui s'effectuerait
sur les expériences antérieures telles qu'elles ont été mémorisées par le su­
jet.
La notion de produit (ou limite de diagramme) duale de la notion de
somme présente un intérêt qui n'est pas moins grand. En effet le produit
d'un diagramme dans la catégorie éidétique est constitué par la donnée
d'un objet A' de la catégorie (ici une structure relationnelle) et d'une famil­
le de morphismes {σi.}iεI (ici des correspondances compatibles) qui relient
l'objet produit à chacun des objets du diagramme et qui vérifient certaines
conditions que nous allons examiner comme nous l'avons fait dans le cas de
la somme, mais plus rapidement, la dualité soutenant notre propos.
La première des conditions — la compatibilité de la famille signifie que
dans chacun des objets A. du diagramme certains éléments que les .. met­
tent en relation constituent une structure relationnelle que l'on peut en
quelque sorte retrouver dans chacun des A. compte tenu des relations que
les A. entretiennent et que le diagramme représente. Les n-uples qui consti­
tuent la structure produit se retrouvent dans chacun des objets A. et les
morphismes du diagramme les mettent en correspondance. Par rapport à
l'ensemble des objets Α., considérés indépendamment de leurs relations,
l'objet-produit introduit un être qui représente d'une certaine manière la
modification qualitative qu'a subi le diagramme par la prise en compte des
morphismes entre objets. C'est pour quoi nous lui donnerons le nom de
"talité" du phaneron représenté par le diagramme et le sens de qualité sui-
généris, en relation avec ce que Peirce désigne sous le nom de "suchness".
La deuxième condition est aussi une propriété universelle et elle signi­
fie que l'objet produit A' et la famille de morphismes possèdent une sorte
de maximalité vis-à-vis de tous les objets et famille de morphismes qui vé-
MODES D'ÊTRES 141

rifient la première condition. L'unicité du produit qui en résulte nous assu­


re que la talité du diagramme est vraiment sui-généris et donc que la qualité
qui lui correspond est une qualité spécifique de la configuration des objets
présents dans le phaneron.
On peut aussi de la même manière que pour la totalité, attacher une ta­
lité à tout sous-diagramme et notamment aux sous-diagrammes connexes.
L'unité de la conscience constitue le phaneron comme totalité et lui confère
du même coup une talité:
Toute opération de l'esprit, aussi complexe qu'elle soit, a son sentiment
absolument simple, l'émotion du tout ensemble (1.311).
Cette pure qualité ou talité n'est pas en elle même une occurrence, comme
voir un objet rouge; c'est un pur peut être. Son seul être consiste dans le
fait qu'il pourrait y avoir une telle talité particulière, positive dans un pha­
neron (1.304).
Ces citations montrent que pour Peirce les talités sont de pures possibi­
lités et donc que ce sont des éléments primans du phaneron tandis que les
totalités sont des éléments tertians et les éléments du phaneron qui entre­
tiennent des relations dyadiques sous forme de correspondances compati­
bles sont des éléments secondans. En formalisant l'unité du phaneron nous
avons donc mis en évidence que les sommes et produits des diagrammes de
structures eidetiques correspondaient respectivement aux éléments tertians
et primans du phaneron. L'équivalent formel du phanéron est donc pour
nous un diagramme dans la catégorie éidétique avec sa somme et son pro­
duit et chaque sous-diagramme connexe correspondant à un objet du pha­
neron y est aussi présent avec sa somme (comme totalité) et son produit
(comme talité, qualité sui-généris de l'objet).
On peut de plus évoquer à nouveau et avec les mêmes ambitions limi­
tées la physiologie du cerveau humain en attribuant au cerveau noétique
(intelligence et langage) la formation des sommes de diagrammes et au rhi­
nencéphale (cerveau instinctif et affectif) la formation des produits, des tali­
tés.

7. Conclusion du chapitre troisième

Nous avions entamé ce chapitre avec le désir de nous dégager du vague des
notions relatives au phanéron et, de manière plus générale à la phénoméno­
logie, en leur donnant une expression mathématique. Ce n'est pas à nous
142 L'ALGEBRE DES SIGNES

de dire si nous avons réussi à réduire vraiment le vague de ces notions, mais
on nous accordera qu'elles ont pris une expression mathématique à un
point tel que, pour nous, un phanéron est équivalent à un diagramme avec
sa somme et son produit dans la catégorie éidétique. La question est posée
de savoir si ce formalisme est cohérent avec les conceptions de Peirce, ce
qui dans la négative n'aurait rien de dramatique et pourrait même figurer
au titre des recommandations que l'on peut tirer de certains de ses propos
que nous avons déjà évoqués. Cependant, et principalement, tout en
conservant cette optique de cohérence avec Peirce, nous allons mettre ce
formalisme à l'épreuve en reprenant notre projet initial de réduction de
l'arbitraire de la description des phénomènes sémiotiques armés de cette
phénoménologie algébrisée qui est maintenant à notre disposition. Les taxi­
nomies des différents modes d'être que nous avons obtenues vont se réper­
cuter en taxinomies de phénomènes sémiotiques. Ce sera l'objet du chapi­
tre suivant de combiner la modélisation des phénomènes sémiotiques du
chapitre II avec les caractérisations des différents modes d'être du chapitre
III pour déboucher sur une classification des phénomènes sémiotiques
conforme à leur essence et par là même opératoire.
CHAPITRE QUATRIÈME

Phanéroscopie et classifications

Si les classifications ont joué un rôle prépon­


dérant dans l'histoire des Sciences, c'est qu'el­
les sont adaptées à la mémoire et aux opéra­
tions du cerveau humain.
J.P.Benzécri - La Taxinomie p. 16.

1. Phanéroscopie analytique

Le terme "phanéroscopie" que Peirce définit comme "la description du


phaneron" est équivalent, pour la plupart des commentateurs, à la "phéno­
ménologie de Peirce". Dans ce qui suit nous allons lui donner un sens un
peu différent, qu'on ne saurait opposer à cette acception mais qui souligne
volontairement l'aspect méthodique qui nous paraît caractériser cette phé­
noménologie. Pour cela, il nous suffira de donner au radical "scopie" la
même valeur qu'il a dans le terme "radioscopie" en médecine. La radiosco­
pie, examen sur un écran du corps humain ou d'une partie du corps humain
traversé par des rayons X, révèle par exemple le squelette qui le charpente.
La phanéroscopie sera pour nous l'examen du phaneron à l'aide des catégo­
ries phanéroscopiques qui dans cette perspective prendront une valeur ins­
trumentale. Les formalisations effectuées dans les chapitres précédents
nous permettront même de lui donner un caractère systématique, comme
peut l'être un dépistage effectué par des radioscopies auxquelles peuvent
être soumis tous les individus d'une population concernée. Nous allons
donc nous attacher à montrer de prime abord que la détermination des élé­
ments indécomposables d'un phaneron peut être formellement prise en
charge par une opération algébrique mettant en jeu ce phaneron et les ca-
144 L'ALGEBRE DES SIGNES

tégories phanéroscopiques prises dans leur ensemble, c'est-à-dire hiérarchi­


sées par des relations de présupposition non réciproque et constituées par
elles en treillis ou en catégorie algébrique, suivant les besoins de l'analyse.
Examinons tout d'abord la phanéroscopie d'un objet présent à l'esprit;
nous passerons ensuite au phaneron proprement dit.
Cette phanéroscopie consiste alors à opérer la décomposition de cet
objet considéré comme totalité collective (c'est-à-dire comme un phaneron
contenant un seul objet) en ses éléments indécomposables à savoir Pri-
mans, Secondans et Tertians. On peut valablement comparer cette décom­
position à la décomposition de la lumière par un prisme de verre et cela jus­
que dans le fait que les couleurs des éléments de la décomposition ne peu­
vent être directement distinguées dans la lumière solaire pas plus que les
éléments logiquement indécomposables du phaneron ne sont directement
présents à l'esprit. Autrement dit, seul le "prisme des catégories" peut les
faire apparaître.
Nous représenterons cette décomposition par le diagramme de la Figu­
re 30, en notant d'ores et déjà que nous reprendrons plus loin ce même dia­
gramme mais en lui donnant une signification algébrique très précise qui
nous permettra de généraliser la notion de phanéroscopie (au sens précisé
ci-dessus) aux phénomènes sémiotiques.

Figure 30.

Dans ce diagramme  représente la structure éidétique de l'objet étu­


dié, les nombres 3,2 et 1 les catégories phanéroscopiques munies de leurs
relations de présupposition non réciproque. Les trois flèches issues de  in­
diquent que  est en quelque sorte appliqué aux trois catégories prises avec
leurs relations.
Les notations 0.3, 0.2 et O.l représentent respectivement les éléments
Tertians, Secundans et Primans obtenus dans la décomposition et les flè­
ches en pointillé les rattachent à la catégorie correspondante.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 145

Illustrons cette décomposition en reprenant l'exemple du drapeau


français présent à l'esprit, phaneron noté F, dont la phanéroscopie produit:
- l'ensemble F.l des éléments primans: bleuité, blanchéité, rougéité, rec­
tangularité χ x y (x et y sont les dimensions du rectangle).
- l'ensemble F.2 des éléments secondans: inhérence de la bleuité, la blan­
chéité, la rougéité à la rectangularité x x y, adjacence de la rectangularité
x x y avec elle même
- l'ensemble F.3 des éléments tertians: l'intercalation de la blanchéité en­
tre la bleuité et la rougéité.
Nous omettons volontairement la talité du drapeau français de F.l ain­
si que l'élément tertian qui assure la totalisation de toutes les parties de F.3,
pour la simple raison qu'ils sont présents dans tout phaneron, comme nous
l'avons vu en fin de chapitre III et que ce sont précisément ces éléments
dont il s'agit d'expliciter la formation. Il faut en outre préciser que inhéren­
ce, adjacence et intercalation sont dans le phaneron des qualités de senti­
ment d'inhérence, des qualités de sentiment d'adjacence, une qualité de
sentiment d'intercalation. Ils correspondent à ce que nous avons désigné
par qualités de sentiment de relation,dyadique et triadique. On peut aussi
remarquer que la donnée des éléments permet de reconstituer le drapeau
français sans autre règle que celle d'utiliser les éléments pour ce qu'ils sont:
prenez les couleurs bleues, blanche et rouge et trois rectangles x x y; prenez
trois relations d'inhérence et appliquez-les aux trois couples formés d'une
des couleurs et d'un rectangle; prenez deux relations d'adjacence et appli­
quez-les aux rectangles ainsi obtenus de façon que le rectangle blanc unisse
les deux autres et vous obtenez un drapeau français. Pour être précis, car il
est clair que tout ce que nous avons dit du drapeau français pourrait être dit
du drapeau néerlandais il conviendrait de rajouter un élément secondan qui
relierait le rectangle bleu et la hampe. Mais il est clair aussi que notre pro­
pos n'est pas affecté par des inexactitudes de ce type. On voit, à propos de
la reconstruction qui vient d'être opérée que les trois types d'éléments se
combinent vraiment comme des molécules chimiques et l'on retrouve ici
l'analogie maintes fois soulignée par Peirce.
Procédons maintenant à la phanéroscopie d'un phaneron qui serait for­
mé par la présence à l'esprit de deux objets liés par une certaine relation.
Appelons A et  les structures éidétiques liées à chacun des objets et  la
correspondance compatible entre  et A, de  vers A, qui correspond à
leur relation. Après avoir procédé à la phanéroscopie de chacun des objets
en A.l, A.2, A.3, et B.l, B.2, B.3 on peut procéder à la décomposition de
146 L'ALGEBRE DES SIGNES

Γ en produit relatif de correspondances compatibles de type 1,2,3, comme


nous l'avons montré dans la section 5 du chapitre précédent On pose
 = 1*2*3
où . est de type i (1 ≤ i ≤ 3) et, dans un premier temps, on ne distinguera
pas les types dégénérés. Pour cela on considèrera que les éléments de la
décomposition de A (c'est-à-dire des Primans et des Secondans) qui sont
mis en relation par  avec des éléments de  appartenant à une catégorie
"supérieure" du fait de la relation — comme il a été précisé dans la défini­
tion des types dégénérés — appartiennent à cette dernière catégorie (d'une
certaine manière la relation  les promeut à une catégorie "supérieure").
C'est au cours d'une analyse ultérieure que sera faite la distinction des dif­
férents modes d'être mobilisés par la relation . On obtient alors la décom­
position suivante:
: B.l A.l
2: B.2 A.2
3: B.3 A.3
et si l'on fait le produit relatif Γ1 * Γ2 * 3 alors, du même coup, on recom­
pose , son domaine de départ  et son domaine d'arrivée A.
Nous pouvons maintenant passer sans difficulté à la phanéroscopie
d'un phanéron quelconque. Il suffit pour cela de procéder à la phanérosco­
pie de tous les objets qu'il contient et de toutes les correspondances compa­
tibles qui, éventuellement, les solidarisent. On obtiendra, en reprenant no­
tre conclusion du chapitre III suivant laquelle l'équivalent formel d'un pha­
neron est un diagramme dans la catégorie éidétique, trois diagrammes dis­
tincts (en conservant notre convention pour les dégénérés):
- le diagramme des Primans et des Priméités dont les éléments sont les
éléments Primans des objets du phaneron et les morphismes les correspon­
dances compatibles de type 1 obtenus dans la décomposition des diverses
correspondances compatibles.
- le diagramme des Secondans et des Secondéités
- le diagramme des Tertians et des Tiercéités obtenus de manière analo­
gue.
Ces trois diagrammes sont tels que, si on fait le produit relatif des cor­
respondances compatibles de type 1,2 et 3 relatives à la même correspon­
dance compatible , alors du même coup les différents objets sont recom­
posés et l'on retrouve le phaneron original. On peut comparer la phanéros­
copie ainsi conçue à l'opération qui s'effectue dans l'imprimerie pour la re-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 147

production des photographies en couleurs. Celles-ci sont soumises à un la­


boratoire qui à partir d'une photographie fournit des plaques qui ne portent
chacune qu'une des couleurs fondamentales présentes dans l'original. La su­
perposition par passages successifs sur des presses munies des encres corres­
pondant à chaque couleur permet de reproduire à volonté la photographie
de départ. L'analogie s'arrête à cette idée de recomposition après analyse
car les différentes plaques monocolores ne peuvent être mises en corres­
pondance avec aucun des diagrammes obtenus dans la phanéroscopie puis­
que chacune d'elles comporte un élément priman (la couleur) et des élé­
ments secondans et tertians.
Une étude approfondie de la décomposition opérée par ce procédé du
point de vue phénoménologique sort du cadre de cet essai mais ne manque
certainement pas d'intérêt.
En tenant compte des catégories dégénérées on voit que la décomposi­
tion formelle d'un phaneron consistant en la présence à l'esprit de deux ob­
jets en relation produit six types d'éléments qui sont:
* b.l a.l appelés Priméités
2: b.2 a.2 appelés Secondéites
'2: b.2 (a.l,a'.l) appelés Secondéites dégénérées
3: b.3 a.3 appelés Tiercéités authentiques
'3: b.3 (a.2,a'.l) appelés Tiercéités dégénérées au pre­
mier degré.
"3: b.3 (a.l,a'.l,a".l) appelés Tiercéités dégénérées au
deuxième degré.
où les notations b.l, b.2, b.3 représentent des éléments respectivement Pri-
mans, Secondans et Tertians de  et a.l, a'. 1, a". 1 des éléments primans de
A, a.2 et a.3 des éléments de A respectivement Secondan et Tertian. Préci­
sons que chacun des éléments formels ci-dessus comprend la correspondan­
ce . et les éléments de  et de A qu'elle met en relation.
Les résultats que nous venons d'obtenir sont exactement ceux que
Peirce établit dans sa lettre à Lady Welby du 24 Décembre 1908. En 8.346,
il considère un signe dont il dit qu'il est nécessairement présent à l'esprit de
son interprète et qu'à ce titre, puisqu'il y a "trois façons entièrement diffé­
rentes pour des objets d'être présents à des esprits", on peut procéder à une
première trichotomie suivant les "modes de présentations possibles" de cet
objet qu'est le signe. D'où une division en Potisignes, Actisignes et Famisi-
gnes qui correspond si nous appelons  cet objet à considérer respective-
148 L'ALGEBRE DES SIGNES

ment des éléments de B . l , B.2 et B.3. Ensuite (8.349) Peirce procède à une
trichotomie des modes de présentation par un signe de l'objet d'un signe et
obtient ainsi les signes descriptifs (qui déterminent leurs objets en ayant des
caractères identiques) les signes désignatifs (qui imposent brutalement l'at­
tention sur l'objet) et les copulants (qui expriment les relations logiques de
l'objet à quelque chose connu par ailleurs), ce que nous interprétons en
considérant respectivement qu'il y a dans le signe un priman ou un secon-
dan ou un tertian qui sont aussi dans l'objet. Si A est l'objet du signe cette
trichotomie revient à considérer des éléments de A . l , A.2 et A.3 qui sont
liés dans le phénomène sémiotique aux éléments correspondants de B.l,
B.2, B.3. C'est alors (8.353) qu'avant de procéder à la trichotomie suivante
Peirce se pose la question de la compatibilité de ces divisions entre elles, ce
qui recoupe exactement la question que nous avons posée puisqu'il se de­
mande "si les trois membres de la première trichotomie" (qu'il note 11, 12,
13) "sont ou ne sont pas indépendants des trois membres de la seconde"
(qu'il note 21, 22, 23). Pour cela il forme les neuf couples que l'on peut for­
mer, en donnant au point qui en sépare les éléments la signification de "qui
est":
11.21 11.22 11.23
12.21 12.22 12.23
13.21 13.22 13.23
Il précise bien en 8.354 que les deux trichotomies dépendent des trois
modes de présence à l'esprit et que la différence entre elles est que l'une
"réfère à la présence à l'esprit du signe et l'autre à celle de l'Objet Immé­
diat" (nous pouvons ignorer pour notre propos actuel l'introduction de l'ob­
jet immédiat).
Ensuite, de 8-355 à 8-361, il examine les couples qui sont "possibles"
au sens où ils peuvent figurer dans un signe et il trouve, en faisant appel à
des considérations portant sur les caractéristiques attribuées à chacune des
trichotomies, qu'il y a six couples possibles, les couples à éliminer étant
12.21, 13.21 et 13.22. Si nous les transcrivons dans nos notations les couples
qu'il retient sont:
(B.l, A.l) (B.2, A.l) (B.3, A . l )
(B.2, A.2) (B.3, A.2)
(B.3, A.3)
qui correspondent (avec des différences de peu d'importance) aux six types
d'éléments que nous venons de mettre en évidence.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 149

Dans le chapitre suivant nous systématiserons cette étude et nous mon­


trerons que ces éléments entretiennent des relations formelles nécessaires
que nous expliciterons.
Auparavant nous procédons, dans le même esprit, à la phanéroscopie
des phénomènes sémiotiques.
Dans la section 3 du chapitre II nous avons retenu une modélisation
des phénomènes sémiotiques que nous avons résumée dans le diagramme
de la figure 10 dans lequel Γ et Ω sont des correspondances compatibles, f,
g et h des applications compatibles injectives.
Or nous venons de procéder à la phanéroscopie des phanerons consti­
tués par deux objets en relation en passant par leurs structures éidétiques et
la correspondance compatible. Donc tout ce qui précède s'applique à Γ et à
Ω ce qui signifie que nous obtiendrons une décomposition des phénomènes
sémiotiques en éléments formels à partir des phanéroscopies de Γ et de Ω en
tenant compte des incompatibilités imposées par la nature du phénomène.
Globalement cela signifie que Ton identifie (U°, σ°) et (Us, σs) avec
leurs images par les applications compatibles injectives f et hog, Ω est une
sorte de sous-correspondance de la correspondance Γ et donc que tous les
éléments de la décomposition de Ω sont nécessairement des éléments de la
décomposition de Ω éventuellement dégénérés.
On obtiendra donc tous les éléments formels possibles d'un phénomè­
ne sémiotique en adjoignant à chaque élément formel de la décomposition
de Γ un élément formel possible de la décomposition de Ω. Nous épuiserons
toutes les possibilités en procédant de la manière suivante: désignons par
o.l, 0.2, 0.3 des éléments indécomposables primans, secondans et tertians
de (U°, σ°), par u.l, v.l, w.l, u.2, u.3 ceux de (Xo, a°), par s.l, r.l, t.l, s.2,
S.3 ceux de (Us, σs) et enfin par s'.l, r'.l, t'.l, s'.2, s'.3 ceux de (Ys,{αs.}}iεI.
Soit alors o.l un priman de (U°, σ°); il peut figurer dans un seul phéno­
mène sémiotique qui correspond au diagramme (I) de la Figure 31. Soit o.2

Figure 31.
150 L'ALGEBRE DES SIGNES

un secondan de (U°, σ°); il peut figurer dans les phénomènes sémiotiques


qui correspondent aux diagrammes (II), (III), (IV), (V), (VI) de la Figure
32 et soit enfin o.3 un tertian de (U°, σ°), il peut figurer dans les phénomè­
nes sémiotiques qui correspondent aux diagrammes (VII) à (XX) de la Fi­
gure 33.

Figure 32.

Il y a donc exactement vingt phénomènes sémiotiques élémentaires


possibles. On peut remarquer qu'ils sont constitués par certains couples de
modes d'être authentiques ou dégénérés dont l'un (celui de gauche) concer­
ne deux objets externes ou plutôt leurs structures éidétiques (c'est le mode
d'être qui figure à la gauche de chaque carré) et l'autre concerne deux ob­
jets "internes", à savoir la structure relationnelle associée à l'objet  par
l'interprète et celle que lui fournit sa perception du signe dans laquelle les
deux autres sont d'une certaine manière incorporées (ce ou ces modes
d'être figurent à la droite de chaque carré). L'un et l'autre sont respective­
ment des éléments possibles de la décomposition de  et de Ω en produits
relatifs de correspondances compatibles de type 1,2 ou 3 (les modes dégéné­
rés étant ramenés formellement à des modes authentiques). Comme nous le
verrons plus loin, les modes d'être liés à la décomposition de Ω sont néces-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 151
152 L'ALGEBRE DES SIGNES

sairement impliqués dans ceux liés à la décomposition de Γ ce qui fait appa­


raître Ω comme un "germe phanéroscopique de Γ", c'est-à-dire à la fois une
sous-correspondance compatible de Γ et un universel concret d'un universel
abstrait.
Cette décomposition des phénomènes sémiotiques en leurs éléments
formels possibles marque un aboutissement pour notre façon de procéder
qui consiste à tirer un parti maximum de la décomposition en éléments in­
décomposables d'un phaneron "ordinaire". Nous l'avons dans un premier
temps étendu à la décomposition en éléments formels des relations entre
objets à l'intérieur d'un même phaneron ou appartenant à deux phanérons
différents et nous venons maintenant de procéder à la décomposition for­
melle de ce que nous avons appelé des "phénomènes de seconde inten­
tion". Cette phénoménologie particulière s'érige en effet sur une phéno­
ménologie de "première intention" qui concerne l'apparaître des objets et
en duplicant d'une certaine manière les catégories grâce auxquelles on saisit
la phénoménologie "ordinaire", elle permet de saisir le phénomène dans le
phénomène, l'apparaître dans l'apparaître qui est la caractéristique fonda­
mentale d'un phénomène sémiotique.
Cependant les formalismes que nous avons adopté nous autorisent à al­
ler encore au-delà vers une méthodologie, encore plus systématique, enco­
re plus intégrée, qui va nous permettre de mettre en évidence l'unité pro­
fonde de la démarche formelle choisie, quel que soit le type de phénomène
qu'elle se donne pour objet d'étude.

2. Phanéroscopie systématique

Nous avons déjà signalé que l'ensemble des trois catégories phanéroscopi-
ques munies de leurs relations de présupposition non réciproque pouvait
être considéré, suivant les besoins, comme le graphe d'une relation, un
treillis ou une catégorie algébrique (cf. Annexe D). Dans cette section nous
le considérons comme une catégorie algébrique que nous désignerons par la
lettre S et qui est constituée par:
- trois objets notés 3, 2 et 1,
- pour chaque paire d'objets les ensembles disjoints requis par la définition
qui sont les suivants:
hom(3,3) = {id3}, hom(2,2) ={id2}, hom(l,l) ={id1}, les identités de
chaque catégorie avec elle même,
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 153

et hom(3,2) = {a} relation de présupposition entre Tiercéité et Secon-


déité,
hom(2,l) = {β} relation de présupposition entre Secondéité et Priméi-
té,
hom(3,l) = {βα} relation de présupposition entre Tiercéité et Priméité
qui résulte de la composition des deux autres,
et enfin hom(2,3) = {0}, hom(l,2) = {0}, hom(l,3) = {0}.
On peut alors représenter cette catégorie algébrique des catégories
phanéroscopiques par le diagramme (S) de la Figure 34 dans lequel on a vo­
lontairement omis les morphismes d'identité.

Figure 34.

On peut de la même façon associer à un objet A présent à l'esprit une


catégorie algébrique constituée par cet objet et son morphisme d'identité
hom(A,A) = {idA}. A deux objets A et  en relation présents à l'esprit on
associera une catégorie algébrique à deux éléments notés A et  et munie
des morphismes hom(A,A) = {idA}, hom(B,B) = {idB}, hom(B,A) = {},
hom(A,B) = {0}.
Enfin à un phénomène sémiotique on associera une catégorie algébri­
que à quatre éléments notés 0,S,0',S' munie de morphismes hom(0,S) =
{}, hom(0',S') = {Ω}, hom(0,0') = {f}, hom(S,S') = {hog}, hom(S,0)
= hom(S',0') = hom(0',0) = hom(S',S) = {0} et les identités. Les mor­
phismes vérifient donc à priori la relation (h  g)   = Ω o f.
Ces trois catégories peuvent être représentées par les diagrammes de la
Figure 35.

Figure 35.
154 L'ALGEBRE DES SIGNES

Il convient d'insister sur le fait que les notations utilisées ne représen­


tent pas, soit des structures relationnelles en ce qui concerne A, , , S,
O', S', soit des correspondances ou applications compatibles en ce qui
concerne Γ, Ω, f, hog. Ces notations sont seulement des noms des éléments
et des morphismes de ces catégories. Bien entendu ces notations ont été
choisies parce que si on les considère comme tels ils vérifient les mêmes re­
lations exigées pour les morphismes de la catégorie et donc que les résultats
que nous obtiendrons pour les catégories algébriques sont justiciables d'une
interprétation dans le constructum des structures relationnelles muni des
correspondances compatibles.
Pour mener à bien ce que nous appellerons une "phanéroscopie systé­
matique" nous faisons appel à une nouvelle notion d'algèbre homologique
qui est la notion de foncteur d'une catégorie dans une autre catégorie. La
définition précise en est donnée en annexe E qui comporte aussi celle de
transformation naturelle de foncteur qui nous permettra d'obtenir ultérieu­
rement des résultats nouveaux ouvrant sur des perspectives très producti­
ves. C'est un des mérites de l'algébrisation des théories que de permettre
des ouvertures dans le champ théorique. Peirce l'avait déjà noté:
Soit un signe général d'un objet conventionnel ou autre; pour déduire une
vérité autre que celle qu'il signifie explicitement, il est nécessaire, dans
tous les cas, de remplacer ce signe par une icône. Cette capacité de révéler
une vérité inattendue est précisément ce en quoi consiste l'utilité des for­
mules algébriques; c'est pourquoi le caractère iconique est leur caractère
dominant (2.279).
Auparavant nous allons justifier le recours à cette notion de foncteur
pour donner un caractère systématique à la décomposition des systèmes de
relations entre objets induite par la décomposition des objets de ces systè­
mes en éléments indécomposables.
Une catégorie algébrique est une notion formelle qui permet de saisir
abstraitement et universellement la structure de classes d'objets en relation,
ces relations étant représentées par les morphismes. De plus les morphis­
mes retenus sont uniquement ceux qui sont compatibles avec la structure
interne des objets lorsque la catégorie est "interprétée" dans un construc­
tum, pour nous le constructum des structures relationnelles. Un foncteur
d'une catégorie dans une autre catégorie est l'instrument conceptuel qui
permet de saisir les relations entre deux classes d'objets en relations. En ef­
fet, tout foncteur F fait correspondre à un couple d'objets (A,A') d'une ca­
tégorie  liés par un morphisme f un couple d'objets (F(A),F(A')) liés par
un morphisme F(f) dans la catégorie D. On voit bien que cette notion (ou
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 155

une notion affaiblie) va permettre, entre autres, de rendre compte de


l"homologie" des structures ou de procéder au transport de structures
d'une catégorie dans un ensemble non structuré. Ce n'est pas pour l'heure
l'utilisation que nous allons en faire. Nous allons d'abord utiliser la notion
de foncteur pour systématiser la phanéroscopie des structures relationnelles
et la notion de transformation naturelle pour montrer que les éléments for­
mels obtenus dans la décomposition des phanerons sont liés par des rela­
tions de présupposition "élargies" telles que la présence de l'un d'eux dans
une décomposition implique la présence d'un certain nombre d'autres élé­
ments formels.
Considérons tout d'abord le cas trivial d'une catégorie à un objet  et
un morphisme idQ et cherchons tous les foncteurs de cette catégorie dans la
catégorie (S). Il est facile de voir qu'il y a exactement trois foncteurs qui
sont:
- le foncteur qui à l'objet  fait correspondre l'objet 3 de (S) et à idQ fait
correspondre id3; nous le noterons F3.
- le foncteur qui à  fait correspondre 2 et à idQ, id r Nous le noterons F2.
- le foncteur qui à  fait correspondre 1 et à id 0 , id r Nous le noterons F1
Nous avons donc F 3 (0) = 3 et F3(idQ) = id3, F 2 (0) = 2 et F2(idQ) = id2
et F1(O) = 1 et F1(ido) = id1r En accord avec la section précédente l'inter­
prétation, dans le cas ou  est remplacé par la structure éidétique d'un ob­
jet  présent à l'esprit, est évidente: F3 représentera l'ensemble des élé­
ments tertians 0.3 de ce phaneron, F2 l'ensemble 0.2 des secondans et F1
l'ensemble O.l des primans.
Considérons maintenant les transformations naturelles définies entre
ces trois foncteurs. Elles sont au nombre de trois (en plus des trois transfor­
mations identiques) et l'une d'entre elles est la composée des deux autres.
En effet seules peuvent être définies les transformations suivantes:
- 32: F3 F2 qui fait correspondre à l'unique objet  le morphisme α
de la catégorie (S) et qui vérifie trivialement pour l'unique morphisme idQ
la commutativité du diagramme de la Figure 36

Figure 36.
156 L'ALGEBRE DES SIGNES

- Φ21: F2 F1 qui fait correspondre à l'unique objet  le morphisme β de


la catégorie (S),
- Φ31: F 3 F1 qui fait correspondre à l'unique objet  le morphisme β α
de la catégorie (S) et vérifie  3 1 =  3 2 . 2 1
L'interprétation même dans ce cas très simple présente déjà un intérêt
certain. En effet la catégorie que nous obtenons, représentée Figure 37, est

Figure 37. Figure 38.

interprétée dans le constructum de la Figure 38 où 0.3, 0.2 et O.l repré­


sentent respectivement les éléments tertians, secondans et primans de la
décomposition de  et où α et β représentent maintenant des applications
multivoques. En effet α fait correspondre à tout tertian de la décomposition
de  les secondans qui y sont impliqués et β fait correspondre à tout secon-
dan de 0.2 les primans qui y sont impliqués. Appliqué à la phanéroscopie
du drapeau français, le tertian correspondant au "sentiment d'intercala-
tion" implique les deux secondans"sentiments d'adjacence" lesquels impli­
quent chacun deux "sentiments de rectangle". Sur cet exemple on voit que
les "sentiments d'inhérence" sont des secondans qui ne sont pas impliqués
dans un tertian tandis que les sentiments de couleur sont impliqués par les
"sentiments d'inhérence". Il y a donc des secondans de 0.2 et éventuelle­
ment des primans de O.l qui ne sont pas des images de tertians de 0.3 par
α ou des secondans de 0.2 par β. Autrement dit on a les inclusions suivan­
tes: (.) est inclus dans 0.2 et ß(0.2) est inclus dans O.l.
Cette remarque introduit donc des distinctions, qui auront leur impor­
tance par la suite, à savoir qu'il y a en général dans un phaneron deux types
de secondans (ceux qui sont impliqués dans des tertians d'un phanéron et
ceux qui ne le sont pas) et 3 types de primans (ceux qui sont impliqués dans
des secondans déjà impliqués dans des tertians, ceux qui sont impliqués par
des secondans, et ceux qui ne sont impliqués ni par les uns, ni par les au­
tres).
Passons maintenant au cas de la catégorie à deux objets et cherchons
tous les foncteurs de cette catégorie dans la catégorie (S). Le diagramme de
la Figure 39 représente l'un de ces foncteurs, celui qui fait correspondre à A
l'objet 3 de (S) et à  l'objet 2 (tous les foncteurs s'obtiennent de la même
façon en épuisant systématiquement toutes les possibilités).
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 157

(S)

Figure 39.

Sur cet exemple on peut vérifier que ce foncteur fait correspondre au


morphisme Γ le morphisme α de (S). La liste des six foncteurs est donnée
par le Tableau 3 dans lequel les colonnes correspondent aux objets de la ca­
tégorie à deux objets et à l'unique morphisme de hom(A.B) et les lignes
aux transformés de ces objets et de leurs morphismes (les identités ne sont
pas représentées, ce qui est sans conséquence) par les foncteurs possibles.

Tableau 3.

A  

 3 3 id3

r'3 3 2 α

" 3 1 βα

2 2 id2
r1 2 1 ß
r'2
 1
1 1 id
l

Ces foncteurs sont au nombre de 6 et nous les avons notés Γ3, Γ'3, " ,
Γ2, Γ'2, Τ1 pour des raisons qui vont apparaître au niveau de l'interpréta­
tion. Le foncteur représenté dans l'exemple précédent est le foncteur ' .
Auparavant achevons l'étude formelle en déterminant toutes les trans­
formations naturelles de ces foncteurs. Il est facile de voir qu'elles peuvent
être décrites comme des composées de seulement six d'entre elles qui sont
les suivantes:
158 L'ALGEBRE DES SIGNES

Φ1: Γ3 —' 3 définie par 1() = id3, Φ1(Β) = α


Φ2: Γ'3—Γ2 définie par 2() = α, Φ2(Β) = id2
3: '3—"3 définie par 3() = id3, 3() = β
4: 2 —  2 définie par 4() = id2, 4() = β
5: "3—2 définie par 5() = α, 5() = id1
6: '2-1 définie par 6() = β, 6() = id1
Nous obtenons donc une nouvelle catégorie notée (Ph) que l'on peut
représenter par le diagramme de la Figure 40 dans lequel nous n'avons fait
figurer que les six transformations naturelles ci-dessus.

Figure 40.

Ce diagramme met alors en évidence que la catégorie (Ph) peut être


regardée comme un treillis c'est-à-dire un ensemble ordonné (par les trans­
formations naturelles) dans lequel tout couple d'élément possède une borne
inférieure et une borne supérieure. Nous interprèterons ces résultats dans
le même esprit que pour le cas précédent. Examinons chacun des foncteurs
successivement en commençant par 3 représenté Figure 41.

Figure 4L
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 159

Γ3 dans la mesure ou il applique A sur 3 et  sur 3 sera interprété com­


me identifiant par la Tiercéité les éléments Tertians de A et de  que  met
en relation. Autrement dit  "fusionne" les éléments tertians correspon­
dants de A et de  dans la même catégorie universelle: c'est précisément la
définition d'une correspondance compatible de type 3 résultant de la dé­
composition de  en produit relatif de correspondances compatibles tel
qu'il a été défini au chapitre III qui est pris en compte par ce formalisme.
Le foncteur 3 nous donne donc de manière systématique ce qui relève de
la tiercéité authentique lorsque deux objets sont en relation.
Nous aboutissons à des conclusions en tous points semblables pour 2
et1comme on le voit sur la Figure 42.

Figure 42.

Passons maintenant aux foncteurs '3, "3 et '2 représentés Figure 43


dans cet ordre. ' sera interprété comme identifiant par la Tiercéité dégé­
nérée au premier degré des tertians de A dont un élément est "oublié" avec
des secondans de  de façon que si (x1,x2,x3) est un triplet de la définition
de A.3 alors ((1),(2)) ou l'un des deux autres couples possibles est un
couple définissant un secondan de B.2.
De même "3 sera interprété comme identifiant par la Tiercéité dégé­
nérée au deuxième degré des tertians de A.3 avec des primans de B.l et '2
comme identifiant par la secondéité dégénérée des secondans de A.2 avec
des primans de B.l.
En définitive les six foncteurs considérés correspondent aux trois mo­
des d'être authentiques et aux trois modes d'êtres dégénérés possibles

Figure 43.
160 L'ALGEBRE DES SIGNES

qu'un objet A peut manifester dans sa relation avec un objet B, les deux
objets étant présents à un esprit qui forme leur structure éidétique. Ils cons­
tituent les six éléments formels possibles de la phanéroscopie systématique
de deux objets en relation.
L'interprétation des transformations naturelles nous conduit naturelle­
ment à mettre sur ces catégories universelles et leurs dégénérées la relation
d'ordre de la catégorie-treillis (Ph). Examinons par exemple l'interpréta­
tion qu'il convient de donner à Φ2 compte tenu de celles qui viennent d'être
données pour Γ'3 et Γ'2 On sait qu'on a le diagramme commutatif de la Fi­
gure 44.

Figure 44.

Son étude montre que les tertians de A.3 qui sont identifiés au moyen
de la Tiercéité dégénérée avec des secondans de B.2 sont précisément ceux
qui sont obtenus par identification au moyen de la Secondéité authentique
des secondans de A.2 obtenus par l'application α définie précédemment
avec les secondans de A.2 qui leur correspondent par Γ. Il y a donc une re­
lation de présupposition non réciproque (celle qui existe entre la tiercéité et
la secondéité authentiques et qui est "transportée" par le couple (a, id2) en­
tre Γ'3 et 2. Autrement dit la tiercéité dégénérée au premier degré présup­
pose la secondéité authentique.
On peut donner la même interprétation de tous les morphismes de la
catégorie-treillis (Ph). Les catégories phanéroscopiques et leurs dégénérées
sont donc maintenant munies de la relation d'ordre qui les constitue en
treillis. C'est pourquoi nous appellerons dorénavant (Ph) le treillis des ca­
tégories phanéroscopiques. Sa signification est claire : si l'un des modes
d'être est présent dans la relation entre deux objets A et  alors tous les
modes d'être qui se trouvent "en dessous" sont aussi présents et s'appli­
quent aux éléments concernés par le mode d'être considéré au départ. Ain-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 161

si la Tiercéité dégénérée au premier degré Γ'3 présuppose 2 lequel présup­


pose ' , lequel présuppose T1 Mais il ne faut pas en déduire que  se ré­
duit à '3 et aux modes d'être présupposés par '3 car il peut y avoir dans la
décomposition de  une secondéité authentique qui identifie des secondans
de A et des secondans de B, les secondans de A n'étant pas images par α de
tertians de A, ceci conformément à la remarque faite dans la phanéroscopie
systématique d'un objet. Cependant si une telle secondéité authentique est
présente alors les catégories du treillis "au-dessous" de Γ2 seront présentes
mais n'intéresseront que les éléments concernés par cette secondéité
authentique.
Nous étudions enfin le cas de la catégorie à 4 objets en cherchant
d'abord à déterminer tous les foncteurs de cette catégorie dans la catégorie
(S). Nous remarquons auparavant que les morphismes de cette catégorie
sont du même type que le morphisme  de l'étude précédente (f et hog
étant plus que de simples correspondances, puisque ce sont des applica­
tions) et donc que les résultats obtenus précédemment pourront être utilisés
et de toute manière devront être intégrés au moment de l'interprétation.
Nous présentons les résultats dans le Tableau 4 dans lequel les quatre pre­
mières colonnes contiennent les transformés des objets de la catégorie et les
quatre suivantes les transformés des morphismes. Les foncteurs sont dési­
gnés par la lettre F et indexés d'une manière dont la rationalité apparaîtra
par la suite. Cependant d'ores et déjà il faut oublier l'ordre des entiers na­
turels sur les nombres de 1 à 10 qui sont utilisés car il n'a aucune significa­
tion et peut même produire des confusions. On a représenté Figure 45 à ti­
tre d'exemple l'obtention du foncteur F' 5 .

Figure 45.
162 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tableau 4.

0 S 0' s·  Ω f hog

F1 3 3 3 3 id3 id3 id3 id3

F 3 3 3 2 id3 α id3 α
2

F' 3 3 2 2 id ld α α
2 3 2

F' 3 3 3 1 id3 βα id3 βα


3

F' 3 3 2 1 id3 β α βα
3

F" 3 3 1 1 id βα βα
3 3 id
i
F 3 2 3 2 α α id id.
4 3
F
4 3 2 2 2 α id2 α id.

F
5 3 2 3 1 α βα id3 ß
F
5 3 2 2 1 α β α β

F
5 3 2 1 1 α id βα β
l

F
6 3 1 3 1 βα βα id3 id
l
F
6 3 1 2 1 βα β α id
l
F
ï 3 1 1 1 βα id
l βα id
i

F_ 2 2 2 2 id2 id. id2 id2


/

F
8 2 2 2 1 id2 β id. β

F6 2 2 1 1 id2 id
l β β

F
9 2 1 2 1 ß β id. id
i
F
9 2 1 l 1 ß id β id
i l

F
10 1 1 1 1 id id id id
l l l i
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 163

On voit qu'il y a exactement 20 foncteurs dont nous allons maintenant


déterminer toutes les transformations naturelles qui sont certains quadru­
plets de morphismes de (S) donc des quadruplets d'éléments pris dans l'en­
semble {a, ß, ßα,id3, id2, id 1 . On peut remarquer, ce qui sera très utile,
que toutes les transformations naturelles sont engendrées, par composition,
par celles d'entre elles qui contiennent trois morphismes identités et l'un
des morphismes α ou β, que nous appellerons transformations naturelles
élémentaires.
Nous allons vérifier ce fait dont la démonstration rigoureuse est ai­
sée,mais sans intérêt, sur un exemple.
Soit Φ la transformation naturelle de F3 à F6. Elle est définie par les
quatre égalités: Φ(Ο) = id3, Φ(S) = βα, Φ(Ο') = α, Φ(S') = id1 Pour plus
de commodité nous allons adopter les conventions de représentation sui­
vantes:
- les foncteurs seront représentés par un tableau carré (matrice) de quatre
nombres pris dans {1,2,3} chaque nombre occupant la place de l'objet de la
catégorie dont il est l'image. Ainsi F3 et F6 seront représentés respective­
ment par les matrices de la Figure 46.

et

Figure 46.

- les transformations naturelles seront représentées aussi par des tableaux


carrés mais de morphismes de (S). Par exemple Φ sera représentée par la
matrice de la Figure 47.

Figure 47.
164 L'ALGEBRE DES SIGNES

La vérification que Φ est une transformation naturelle entre F 3 et F' 6


est retraduite dans la convention d'écriture qui consiste à transformer l'ob­
jet de (S) d'un tableau correspondant à un foncteur par le morphisme occu­
pant la même place dans le tableau correspondant à la transformation natu­
relle (formalisme analogue à la somme des matrices).
On a ainsi la notation fonctionnelle Φ(F3) = F' 6 pour Φ: F3—F'6 ce qui
est représenté en notation développée par la Figure 48.

Figure 48.

La composition des transformations naturelles retraduite dans cette


convention d'écriture nous donne les deux égalités de la Figure 49 relatives
à la même transformation naturelle, ce qui montre que la décomposition
d'une transformation naturelle en transformations naturelles élémentaires
n'est pas unique.

Figure 49.

Comme dans le cas précédent on peut montrer que l'ensemble des 20


foncteurs de la catégorie à 4 objets dans la catégorie (S) est représentée par
un diagramme dans lequel ne figurent que les transformations naturelles
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 165

élémentaires. C'est une catégorie qui peut donc aussi être regardée comme
un treillis que nous appellerons le treillis (Sem) des phénomènes sémioti-
ques (Figure 50).

Figure 50.

L'interprétation de tous ces résultats sera facilitée par la remarque sui­


vante: le treillis (Sem) des phénomènes sémiotiques est isomorphe au treil­
lis dont les éléments sont les couples (X,Y) tel que X ε (Ph), Y G (Ph) avec
X ≤ Y ordonnés par la relation:
(X,Y) ≤ (Χ',Υ') si et seulement si X ≤ X' et Y ≤Y'
On voit en effet facilement que les éléments d'un tel ensemble sont au
nombre de 20, à savoir:
166 L'ALGEBRE DES SIGNES

et on établit une correspondance terme à terme entre ces couples et les élé­
ments du treillis (Sem) en considérant comme une sous-correspondance
compatible de Γ après avoir identifié  et S à leurs images par f et hog. La
relation d'ordre définie plus haut est alors équivalente à l'existence d'une
transformation naturelle entre les foncteurs de (Sem) associés à chaque
couple (X,Y).
Sous cet éclairage un phénomène sémiotique apparaît comme un cou­
ple (Γ, Ω) de correspondances compatibles entre deux mêmes structures éi-
détiques tel que le premier occupe dans la hiérarchie des catégories phané-
roscopiques universelles et dégénérées une position qui soit inférieure ou
égale. Ceci formalise le fait que la particularité de l'interprétation peut au
plus retrouver l'universalité de la relation qui lie un signe et son objet et
que la marche vers l'universalité est catégorielle dans le sens qu'elle exige
une connaissance des présuppositions possibles relatives aux éléments in­
décomposables trouvés dans l'interprétation.
Autrement dit puisque  est de toute manière un donné (au moment
de l'interprétation, nous avons vu que l'interprétation elle même peut le
modifier) ne peut être que l'un des éléments présupposés par la décomposi­
tion de  en produit relatif de correspondances compatibles,  pouvant être
l'un de ces éléments. Ceci est vrai à tout moment de la sémiosis (identifiée
à un prolongement de Ω à ) qui concerne aussi bien l'extension des domai­
nes de définition respectifs de ces deux correspondances que la "remontée"
catégorielle vers les relations qui définissent la structure éidétique caracté­
ristique de O. On voit aussi que les obstacles peuvent être multiples depuis
l'exclusion, dans la perception,d'éléments nécessaires jusqu'à une impossi­
bilité catégorielle qui proviendrait du fait que la conception (O') de l'inter­
prète renferme des éléments dégénérés qui interdisent, sauf saut catégoriel
indispensable à toute démarche cognitive, de retrouver l'objet O. Nous dé­
velopperons un peu plus ces réflexions dans le chapitre consacré aux appli­
cations en examinant les conséquences de ces résultats dans le champ de
l'épistémologie. Pour l'instant nous retiendrons que le treillis des phéno­
mènes sémiotiques nous indique que pour un couple (Γ, Ω) donné on peut
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 167

dresser la liste des couples qu'il présuppose à savoir tous ceux qui dans le
treillis sont au-dessous puisqu'une transformation naturelle est un faisceau
de présuppositions catégorielles. On voit que le caractère systématique an­
noncé de cette phanéroscopie ainsi formalisée s'étend à des structures plus
complexes en conservant toujours cette idée que la décomposition des ob­
jets en éléments indécomposables produit des décompositions corrélatives
de la structure ainsi analysée dont la recomposition permet de reconstruire
la structure originelle.

3. La classification des signes triadiques

Des classifications des signes produites par Peirce la tradition, et notam­


ment la tradition européenne n'a retenu que leur division en icônes, indices
(ou index) et symboles, division maintenant universellement admise. C'est
un phénomène assez curieux d'emprunt qui réussit à ignorer les principes
fondamentaux de cette division (une trichotomie systématique), à introdui­
re l'à peu prés et le flou là où il y a rigueur et exactitude de la pensée pour
aboutir, d'usage métaphorique en analogies douteuses, à dénaturer com­
plètement les définitions originelles qui, à terme, n'ont plus qu'un très va­
gue rapport avec celles qui sont implicitement admises aujourd'hui et dont
on peut se demander si elles résisteraient à une formulation explicite. On
peut penser que le succés de cette division aurait dû attirer l'attention des
chercheurs sur les principes qui l'avaient produite. Mais ce serait ignorer
que les nécessités de la production universitaire ne sont pas toujours celles
de la production scientifique et que les séparations entre les sciences dites
exactes et les autres ont des effets réels qui peuvent être appréciés en la cir­
constance. Tout ceci explique que dans la littérature icône, indice et symbo­
le soient mis à toutes les sauces dans des contextes et des combinatoires
quelquefois ahurissants, logiquement contradictoires même pour qui garde
présent à l'esprit les principes qui ont présidé à leur distinction. Il y a dans
ces pratiques laxistes un péril mortel pour la sémiotique menacée de se di­
luer dans un vaste, vague et incertain discours sur la signification, une sorte
de " babélisation" inévitable dès que l'on renonce à préciser ce que les ter­
mes employés veulent réellement dire, à s'imposer un minimum de morale
terminologique (voir 2.219 à 2.226).
Dès le début de cet ouvrage nous avons clairement désigné les phéno­
mènes sémiotiques comme objet de notre étude car il nous semblait qu'étu-
168 L'ALGEBRE DES SIGNES

dier les signes c'était en fait ne considérer des objets que pour autant qu'ils
participaient d'un phénomène sémiotique et donc qu'il fallait éviter de dire
que telle ou telle chose était ou n'était pas un signe, car "être un signe"
n'est pas une propriété attachée à une chose mais fait intervenir tous les
contextes dans lesquels cette chose est impliquée. Puisqu'un signe ne peut
exister sans correlats alors le véritable objet de la sémiotique doit être cette
corrélation qui le fonde et que sa facticité implique comme une nécessité.
C'est le point de vue finalement adopté par Peirce dans sa classification de
1903 (2.254 à 2.264) que nous étudierons en détail plus loin. Dans cette
classification il énonce que les trois trichotomies des signes (qui sont en fait
la trichotomie du signe proprement dit, la trichotomie de la relation du si­
gne à son objet et celle de la relation à son interprétant) " aboutissent à di­
viser les signes en dix classes et en de nombreuses subdivisions". Si la com-
binatoire des trichotomies était libre on devrait avoir 3 3 = 27 classes de si­
gnes; elles se réduisent à dix dès lors qu'on respecte la "hiérarchie des caté­
gories" comme on dit habituellement. En fait nous avons montré que cette
réduction à dix n'en est pas vraiment une, car la détermination de classes de
signes procède aussi d'une phanéroscopie systématique (Marty, 1979) et les
dix classes peuvent donc s'obtenir directement. Cependant dans la nouvelle
perspective offerte par le recours aux structures relationnelles comme uni-
versaux mathématiques spécifiques, nous pouvons déduire les caractérisa-
tions des dix classes de signes des résultats précédents. De ce fait nos tra­
vaux précédents se trouvent justifiés par un ancrage formel dans une théo­
rie de la perception et une phénoménologie en accord avec cette dernière.
Pour classer les signes Peirce procède constamment de la manière sui­
vante: il considère d'abord ce que peut être le signe en lui même, puis ce
que peut être le signe dans sa relation à son objet et enfin ce qu'il peut être
pour son interprétant (ou comment son interprétant le représente). On
trouvera notamment cette démarche clairement exposée en 2.243 et sqq.
En y regardant de près et conformément aux définitions que nous avons
précédemment retenues on voit qu'il procède ainsi:
- déterminer quel est l'élément indécomposable du phaneron causé par la
perception du signe qui est efficient dans le phénomène sémiotique: c'est le
sens de la première trichotomie pour laquelle ces éléments peuvent être pri-
mans, secondans ou tertians.
- puis l'un des éléments étant choisi, déterminer quel peut être le mode
d'être d'un objet qui peut être mis en correspondance avec cet élément,
- et enfin déterminer les possibilités pour que le mode d'être de l'objet
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 169

dans cette relation avec le signe soit reconnu comme tel ou éventuellement
sous une de ses formes dégénérées, puisque l'objet n'étant pas présent seu­
le la structure relationnelle que lui associe l'interprète (structure qui dé­
pend étroitement de ses expériences antérieures) peut permettre d'établir
une relation (une correspondance compatible).
Montrons qu'en procédant de la sorte nous générons les dix classes de
signes. Soit S un signe, s.l, r.l, t.l,... des éléments primans de S.l; s.2,
s.3... des éléments secondans et tertians de S.2 et de S.3.
Si un élément priman de S.l, soit s.l, est efficient alors nécessairement
la correspondance compatible avec  (le mode d'être de  révélé par sa re­
lation instituée par S) ne peut être que de la priméité, soit Γ1, qui n'a pas de
forme dégénérée. Le phénomène sémiotique correspondant est donc le
phénomène sémiotique élémentaire repéré dans la section 1 (Figure 31)
sous le numéro (I). Dans la terminologie peircienne l'objet réel qui est in­
corporé de la sorte dans un phénomène sémiotique s'appelle un qualisigne
(iconique rhématique).
Si deux éléments primans de S.l, soient s.l et r.l sont efficients alors
le mode d'être de  ne peut être que Γ1 (deux phénomènes sémiotiques du
type précédent) ou la secondéité dégénérée '2 Les phénomènes sémioti­
ques correspondants sont repérés par les numéros (II) et (III) (figure 32) et
dans la terminologie peircienne l'objet réel incorporé de la sorte dans un
phénomène sémiotique (c'est-à-dire comme dans II ou III) s'appelle un sin-
signe iconique (rhématique).
Si trois éléments primans de S.l sont efficients alors le mode d'être de
 ne peut être queΓou '2 et Γ1 ou la tiercéité dégénérée au deuxième de-
gré Γ" 3.
Les phénomènes sémiotiques correspondants sont repérés par les nom­
bres VII, VIII, IX, et sont regroupés dans la terminologie de Peirce sous le
nom de légisigne iconique (rhématique).
Si c'est un élément secondan de S.2 qui est efficient le mode d'être de
 peut être 2 auquel correspondent les phénomènes sémiotiques repérés
par IV, V, VI et '3 auxquels correspondent ceux qui sont repérés par X,
XI, XII et par XIII et XIV. Les trois premières correspondent au sinsigne
indiciaire rhématique, les trois suivants au légisigne indiciaire rhématique
et les deux derniers au légisigne indiciaire dicent.
Enfin si c'est un élément tertian de S.3 qui est efficient le mode d'être
de  ne peut être que 3 auquel correspondent les phénomènes sémioti­
ques repérés par XV, XVI, XVII, par XVIII et XIX et enfin par XX qui
170 L'ALGEBRE DES SIGNES

correspondent pour les trois premiers au symbole Thématique, pour les


deux suivants au symbole dicent et à l'argument pour le dernier.
On voit que la partition des phénomènes sémiotiques que nous avons
réalisée pour retrouver les classes de signes de Peirce l'a été sur la base des
correspondances entre  et S d'une part et entre S et S' d'autre part, ce qui
revient à identifier formellement  et O' c'est-à-dire à supposer que la
structure relationnelle (Xo, α°) est identique à la structure éidétique (U°,
σ°) pour l'interprète considéré. Cela revient en quelque sorte à diminuer la
particularité de la correspondance en supposant que la diversité des expé­
riences des individus les conduit tous à la même structure, quel que soit
l'objet. C'était peut être un présupposé de Peirce qui est à la recherche,
nous l'avons déjà cité, "de ce que doivent être les caractères de tous les si­
gnes utilisés par une intelligence scientifique', c'est-à-dire intelligence capa­
ble d'apprendre par expérience" (2.227). L'intelligence "scientifique" serait
alors celle qui est capable d'atteindre la pleine universalité de la structure
éidétique des objets en toutes circonstances au moyen d'un processus infé-
rèntiel sans faille. Mais peut être le terme de ce processus est-il indéfini­
ment repoussé: nous débattrons plus loin de ces questions.
Il suffit d'ailleurs de modifier la catégorie qui nous a permis d'obtenir
le treillis (Sem) en remplaçant O' par  et f par l'identité pour obtenir les
dix classes de signe de Peirce directement par phanéroscopie systématique
de la catégorie représentée par l'un des diagrammes de la Figure 51.

ou par

Figure 51.

On obtient alors le treillis (CS) des classes de signes de la Figure 52


dans lequel nous avons représenté une classe par un triplet comprenant suc­
cessivement le type d'élément indécomposable de S efficient dans le phéno­
mène, l'un des modes d'être possibles de l'objet  en relation avec S (l'ob­
jet qui détermine S selon Peirce) et l'un des modes d'être possibles de l'ob­
jet  dans sa relation avec l'esprit, médiatisée par S. Ce treillis indique
quels sont, pour un objet donné S présent à un esprit, les modes de partici­
pation possibles de cet objet à un phénomène sémiotique et il est clair qu'un
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 171

Figure 52.

même objet S peut être impliqué dans des classes de signes distinctes bien
qu'il arrive fréquemment que des objets soient spécialisés de telle sorte
qu'ils sont impliqués dans une seule classe. Il indique aussi quelles classes
sont nécessairement impliquées dans une classe donnée par le jeu des pré­
suppositions. C'est ce qu'indiquent les morphismes du treillis qui représen­
tent les changements des modes d'être lorsqu'on passe d'une classe de si­
gnes à une autre, les tirets indiquant l'absence de changement au rang
considéré. Par exemple le morphisme
172 L'ALGEBRE DES SIGNES

(α,Φ 1 — ) : (s.3, ) >(s.3, )


signifie qu'on passe du symbole dicent au légisigne indiciaire dicent en rem­
plaçant une relation de tiercéité authentique entre un signe impliqué dans
un phénomène sémiotique par un élément tertian de la décomposition de sa
structure éidétique par une relation de tiercéité dégénérée au premier de­
gré, ce qui conduit à un signe impliqué par un secondan et un priman pré­
supposés par le tertian. Par ailleurs, la relation établie par le signe entre
l'objet et l'esprit reste de la tiercéité dégénérée au premier degré, c'est-à-
dire que l'esprit forme un secondan et un priman qu'il attribue à l'objet
dans chacun des deux cas. Il indique du même coup qu'un symbole dicent
présuppose (ou "contient") un légisigne indiciaire dicent obtenu en rempla­
çant le tertian s.3 par un couple formé d'un secondan s.2 et d'un priman s.l
qu'il présuppose. De même le morphisme:
( - , Φ 2 , Φ 2 ) : ((s.2,s.l), ) >(s.2, )
indique qu'on passe du légisigne indiciaire dicent au sinsigne indiciaire di­
cent en remplaçant une relation de tiercéité dégénérée au premier degré
entre un signe impliqué dans un phénomène sémiotique par un élément se­
condan et un élément priman par une relation de secondéité authentique et
donc un signe impliqué seulement par un secondan. Dans le premier cas
l'esprit attribue à la structure éidétique de l'objet un secondan et un priman
présent dans la structure éidétique du signe, dans le second cas un secondan
seulement. Cette notation indique du même coup qu'un légisigne indiciaire
dicent présuppose un sinsigne indiciaire dicent à savoir celui qui est obtenu
en "oubliant" le priman s.l et en prenant en considération la correspondan­
ce compatible de type 2 qui est induite sur ce secondan. Dans la terminolo­
gie peircienne un tel sinsigne, impliqué de la sorte dans un légisigne s'appel­
le une réplique de ce dernier et cette définition s'applique aux trois types de
sinsignes et aux trois types de légisignes correspondants. Ils sont caractérisés
par "l'oubli" d'un priman et le passage concomitant de relations de tiercéi-
tés dégénérées dans le phénomène sémiotique à des relations de secondéi­
té, authentique ou dégénérée. Nous allons maintenant mettre en regard les
résultats que nous venons d'obtenir et qui sont tous consignés dans le treillis
(CS) des classes de signes avec les caractérisations et les commentaires de
Peirce sur chacune des classes de signes, sur celles qui y sont impliquées et
sur ce qu'il appelle leurs "affinités". Ces textes s'échelonnent de 2.254 à
2.264. A chaque texte relatif à chaque classe de signes nous associons une
figure représentant la partie du treillis concernée par le commentaire de
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 173

Peirce et permettant de le suivre presque pas à pas. Notre propre commen­


taire est la traduction dans notre modèle de celui de Peirce et montre à quel
point les structures algébriques que nous avons mises en évidence sont
adéquates à formaliser sa pensée. Les traductions sont de G. Deledalle.
Première classe (Figure 53): Un qualisigne [par exemple, un sentiment de
rouge] est toute qualité dans la mesure où elle est un signe. Puisqu'une
qualité est tout ce qu'elle est positivement en elle même, une qualité ne
peut dénoter un objet qu'en vertu de quelque élément commun ou qualité;
de sorte qu'un qualisigne est nécessairement une icône. De plus,
puisqu'une qualité est une simple possibilité logique, elle ne peut être in­
terprétée que comme un signe d'essence, c'est- à-dire comme un rhème.
(2.254)

Figure 53.

Il revient au même de dire qu'un priman (une qualité du signe), élé­


ment de la décomposition de la structure éidétique du signe S est aussi un
élément de la décomposition de celle de l'objet  et de constater que la ca­
tégorie de Priméité le met de fait en correspondance avec cet objet et aussi
avec l'esprit qui interprète le signe. En effet une icône est pour Peirce "le
premier corrélat d'une relation triadique dont la qualité représentative est
la priméité du representamen" (2.276). On voit aussi que la correspondance
est possible avec tout objet possédant cette qualité.
Deuxième classe (Figure 54): Un sinsigne iconique par exemple, un dia­
gramme individuel] est tout objet d'expérience dans la mesure où une qua­
lité qu'il possède lui fait déterminer l'idée d'un objet. Etant une icône — et
donc purement un signe par ressemblance — de tout ce à quoi il peut res­
sembler, il ne peut être interprété que comme un signe d'essence ou rhè­
me. Il matérialisera un qualisigne. (2.255)

Figure 54.
174 L'ALGEBRE DES SIGNES

Les résultats auxquels nous sommes parvenus nous poussent à rectifier


le commentaire de Peirce dans le sens où le signe S doit être un objet d'ex­
périence dont deux qualités (donc pas seulement une) lui font déterminer
l'idée d'un objet qui les possède aussi, unies dans un secondan. D'ailleurs
ceci est requis par la notion de diagramme individuel qu'il donne en exem­
ple et qui présuppose au moins deux qualités liées par une relation de se-
condéité dégénérée. Deux qualisignes sont présupposés de manière éviden­
te.
Troisième classe (Figure 55): Un sinsigne indiciaire Thématique [par exem­
ple, un cri spontané] est tout objet d'expérience directe dans la mesure où
il dirige l'attention sur un objet qui est la cause de sa présence. Il implique
nécessairement un sinsigne iconique d'une sorte particulière mais il en dif­
fère tout à fait puisqu'il attire l'attention de l'interprète sur l'objet même
qui est dénoté. (2.256)

Figure 55.

Dans ce cas, un secondan de la décomposition de S est impliqué dans


une relation de secondéité authentique avec un secondan de la décomposi­
tion de l'objet  et il est dans S parce qu'il est dans O, ce qui a pour effet
de diriger de manière aveugle l'attention sur O. Cependant seules sont
communiquées à l'esprit les deux qualités qui sont fondues dans ce secondan.
La qualité de sentiment de relation qui se rapporte à la structure de l'objet
n'est pas communiquée. Ce signe implique un sinsigne iconique d'une sorte
particulière, à savoir celui qui est obtenu en "oubliant" précisément la rela­
tion dyadique et en ne retenant que les deux qualités de sentiment. Il est
"d'une sorte particulière" car sa particularité est héritée de la particularité
(ou plutôt de la singularité) de son objet qui le détermine, ce qui le distin­
gue des sinsignes iconiques en général.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 175

Quatrième classe (Figure 56): Un sinsigne dicent [par exemple, une gi­
rouette] est tout objet d'expérience directe, dans la mesure où il est un si­
gne et communique en tant que tel des informations concernant son objet.
Ce qu'il ne peut faire qu'en étant réellement affecté par son objet; de sorte
qu'il est réellement un indice. La seule information qu'il peut fournir
concerne un fait réel. Un tel signe doit impliquer un sinsigne iconique pour
matérialiser l'information et un sinsigne indiciaire rhématique pour indi­
quer l'objet auquel l'information renvoie. Mais le mode de combinaison,
ou syntaxe, de l'un et de l'autre doit également être significatif. (2.257).

Figure 56.

La différence avec la classe précédente réside uniquement dans le fait


que l'esprit forme effectivement un secondan qui est médiatement détermi­
né par le signe et qui se trouve donc être dans l'esprit parce qu'il est dans
l'objet. De ce fait l'esprit est littéralement "informé" puisqu'il forme la
même dyade qui est dans la structure éidétique de l'objet. Ce signe impli­
que de manière évidente un sinsigne indiciaire rhématique qui remplit les
mêmes fonctions que dans le cas précédent lequel implique à son tour un
sinsigne iconique et ce sont ces implications successives qui, nous semble-t­
il, constituent ce que Peirce appelle leur syntaxe.
Cinquième classe (Figure 57): Un légisigne iconique [par exemple, un dia­
gramme indépendamment de son individualité factuelle] est toute loi gé­
nérale ou type, dans la mesure où il requiert chacune de ses instances pour
matérialiser une qualité déterminée qui le rend apte à susciter dans l'esprit
l'idée d'un objet semblable.Etant une icône, il doit être un rhème. Etant
un légisigne son mode d'être consiste à gouverner des répliques singulières
dont chacune sera un sinsigne iconique d'une sorte particulière. (2.258).
176 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 57.

Trois qualités de sentiment de la décomposition de la structure éidéti-


que de S sont ici mises en correspondance avec celles qui constituent un ter­
tian de O. Donc l'une d'elles est l'union des deux autres et, à ce titre, est un
élément de pensée qui n'est supporté par aucun existant externe. C'est
pourquoi un objet singulier ne peut représenter les deux qualités unies par
la loi générale que dans une troisième qualité qui sera conventionnellement
l'union des deux autres. Ceci implique donc un sinsigne iconique constitué
par ces deux qualités, mais particulier car il est déterminé par les fonctions
qu'elles remplissent.
Sixième classe (Figure 58): Un légisigne indiciaire Thématique [par exem­
ple, un pronom démonstratif] est tout type ou loi générale, quelle que soit
la manière dont il a été établi, qui requiert que chacune de ses instances
soit réellement affectée par son objet, simplement de manière à attirer l'at­
tention sur cet objet. Chacune de ses répliques sera un sinsigne indiciaire
Thématique d'un genre particulier. L'interprétant d'un légisigne indiciaire
Thématique le représente comme un légisigne iconique; et aussi l'est-il
dans une certaine mesure — mais dans une trés petite mesure.

Figure 58.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 177

Un secondan et un priman de la décomposition de la structure éidéti-


que de S sont ici mis en correspondance avec un tertian de  ou plutôt avec
un secondan et un priman impliqués dans ce tertian. Autrement dit le pri­
man est la qualité de sentiment de relation des deux autres qualités liées
dans le secondan. Ce secondan est donc effectivement présent dans S et ef­
fectivement présent dans toutes les instances de la loi. Disons que la qualité
de sentiment de relation dyadique produite par S est la même que celle que
produirait  si l'interprète était mis en relation avec  en ce qui concerne
cette partie de la structure de O. Ce signe présuppose donc comme le pré­
cédent un sinsigne indiciaire Thématique obtenu en "oubliant" s.l et un lé-
gisigne iconique obtenu en "oubliant" la relation dyadique qui lie les deux
autres qualités de sentiment. Remarquons qu'il faut entendre la dernière
phrase de 2.259 de la façon suivante: l'interprétant d'un légisigne indiciaire
Thématique le représente de la même façon qu'il représente un légisigne
iconique", ce qui selon nous renvoie au fait que les deux classes de signes
sont toutes deux constituées de façon que "3  figure en troisième position
dans chaque triplet.
Septième classe (Figure 59): Un légisigne indiciaire dicent [par exemple, un
cri de la rue] est tout type ou loi générale, quelle que soit la manière dont
il a été établi, qui requiert que chacune de ses instances soit réellement af­
fectée par son objet, de manière à fournir des informations déterminées
concernant cet objet. Il doit comprendre un légisigne iconique pour signi­
fier l'information et un légisigne indiciaire rhématique pour dénoter le su­
jet de cette information. Chacune de ses répliques sera un sinsigne dicent
d'un genre particulier. (2.260).

Figure 59.
178 L'ALGEBRE DES SIGNES

A la différence de la classe précédente le secondan de S qui est en cor­


respondance avec le secondan de  impliqué dans un tertian de  est effec­
tivement transmis à l'esprit, car dans ce cas le mode d'être du signe dans sa
relation avec l'esprit est aussi la tiercéité dégénérée au premier degré '3.
C'est pourquoi ce signe apporte des informations sur la structure de l'objet,
à savoir la présence de ce secondan dans la structure de O. On vérifie qu'il
implique bien un légisigne indiciaire Thématique et un légisigne iconique
qui remplissent les fonctions que leur nature leur permet de remplir. De
plus, il gouverne des répliques qui sont des sinsignes dicents d'un genre par­
ticulier et leur particularité réside précisément dans ce fait.
Huitième classe (Figure 60): Un symbole Thématique ou rhème symbolique
[par exemple, un nom commun] est un signe lié à son objet par une asso­
ciation d'idées générales de telle façon que ses répliques suscitent une ima­
ge dans l'esprit, laquelle image, suivant certaines habitudes ou dispositions
de cet esprit, tend à produire un concept général; et la réplique est inter­
prétée comme étant le signe d'un objet qui est une instance de ce concept.
Ainsi, le symbole Thématique est, ou ressemble fort, à ce que les logiciens
appellent un terme général. Le symbole Thématique, comme tout symbole,
a nécessairement lui même la nature d'un type général; il est donc un légi­
signe. Sa réplique cependant est un sinsigne indiciaire Thématique d'un
genre particulier, en ce que l'image qu'il suggère à l'esprit agit sur un sym­
bole déjà dans cet esprit, pour donner naissance à un concept général. En
ceci, il diffère des autres sinsignes indiciaires Thématiques, y compris ceux
qui sont des répliques des légisignes indiciaires Thématiques. Ainsi le pro­
nom démonstratif "cela" est un légisigne puisqu'il est un type général; mais
il n'est pas un symbole puisqu'il ne signifie pas un concept général. Sa ré­
plique attire l'attention sur un objet singulier; elle est un sinsigne indiciaire
Thématique. Une réplique du mot "chameau" est également un sinsigne in­
diciaire Thématique, puisqu'elle est réellement affectée par le moyen de la
connaissance des chameaux qu'ont en commun le locuteur et l'auditeur par
le chameau réel qu'elle dénote, même si celui-ci n'est pas connu indivi­
duellement par l'auditeur; et c'est par le moyen de ce lien réel que le mot
chameau suscite l'idée d'un chameau.
La même chose est vraie du mot phénix. Car bien qu'aucun phénix
n'existe réellement, des descriptions réelles du phénix sont bien connues
du locuteur et de l'auditeur; et ainsi le mot est réellement affecté par l'ob­
jet dénoté. Mais non seulement les répliques des symboles Thématiques
sont trés différentes des sinsignes indiciaires Thématiques ordinaires, mais
le sont également les répliques des légisignes indiciaires Thématiques. Car
la chose dénotée par "cela" n'a pas affecté la réplique du mot d'une ma­
nière ausi directe et aussi simple que celle dont par exemple la sonnerie
d'un téléphone est affectée par la personne à l'autre bout du fil qui veut
avoir une communication. L'interprétant du symbole Thématique le repré-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 179

sente souvent comme un légisigne indiciaire Thématique; d'autres fois com­


me un légisigne iconique; et il tient dans une petite mesure de la nature des
deux. (2.261).

Figure 60.

Ce texte, bien qu'un peu long, méritait d'être intégralement retranscrit


car il contient des informations précieuses sur les conceptions de Peirce et
nous permet de bien mettre en évidence comment elles sont'reprises et
étendues dans les formes algébriques du treillis (CS).
Le symbole Thématique est un objet existant qui est incorporé d'une
certaine façon dans un tertian de l'objet qu'il represente. Il ne peut donc
être incorporé que par convention, par "institution". Autrement dit, l'es­
prit est porteur de certaines règles ou habitudes que la perception du signe
réactive, qui ont été acquises dans des expériences antérieures et qui sont
résumées dans le concept d'institution comme nous l'avons vu au chapitre I.
De ce fait il apparaît comme une réplique de légisigne, c'est-à-dire qu'un
secondan de sa structure est incorporé dans un tertian de la structure de
l'objet comme secondan présupposé par ce tertian. C'est ce qui fait sa parti­
cularité et le distingue (comme Peirce l'explique et le montre parfaitement
bien à l'aide des exemples "cela", "chameau", "phénix", "sonnerie du télé­
phone") parmi les sinsignes indiciaires rhématiques ordinaires des répliques
de légisignes indiciaires rhématiques. En fait le treillis nous permet d'ap­
porter une précision en tirant les conséquences du jeu des présuppositions
180 L'ALGEBRE DES SIGNES

sur l'ensemble des sinsignes indiciaires Thématiques qui contient les répli­
ques des légisignes indiciaires Thématiques (par le morphisme (-, Φ2, Φ5) le­
quel contient nécessairement les répliques des symboles Thématiques (in­
clus par le morphisme produit (α, Φ2 ο Φ2 Φ5)). Que l'interprétant du sym­
bole Thématique puisse le représenter comme un légisigne indiciaire Théma­
tique ou comme un légisigne iconique résulte évidemment du fait que l'un
et l'autre sont successivement contenus (au sens de "présupposés") dans le
légisigne indiciaire Thématique.
Neuvième classe (Figure 61): Un symbole dicent (ou proposition ordinaire)
est un signe lié à son objet par une association d'idées générales et agissant
comme un symbole Thématique, sauf que son interprétant visé représente
le symbole dicent comme étant, par rappport à ce qu'il signifie, réellement
affecté par son objet de sorte que l'existence ou la loi qu'il suscite dans
l'esprit doit être réellement liée à l'objet indiqué. Ainsi l'interprétant visé
considère le symbole dicent comme un légisigne indiciaire dicent; et si cela
est vrai il a vraiment cette nature, bien que cela ne représente pas toute sa
nature. Comme le symbole Thématique il est nécessairement un légisigne.
Comme le sinsigne dicent, il est composite, attendu qu'il requiert nécessai­
rement un symbole Thématique (il est donc pour son interprétant un légisi­
gne iconique) pour exprimer son information, et un légisigne indiciaire
Thématique pour exprimer le sujet de cete information. Mais sa syntaxe est
significative. La réplique d'un symbole dicent est un sinsigne d'un genre
particulier. On voit facilement que cela est vrai quand l'information que le
symbole dicent communique porte sur un fait réel. Quand cette informa­
tion porte sur une loi réelle, ce n'est pas aussi complétement vrai. Car un
sinsigne dicent ne peut communiquer d'information sur une loi. Cela n'est
donc vrai de la répliquqe d'un symbole dicent que dans la mesure où la loi
se matérialise dans des instances ou cas particulier.

Cette classe de signes doit s'apprécier comme la précédente, à la diffé­


rence prés que ce qui communiqué à l'esprit ne l'est pas à l'aide de trois pri-
mans de la structure éidétique du signe qui sont liés par un tertian (lequel y
est incorporé, par institution, depuis l'objet du signe, en l'occurrence un
concept), mais un secondan et un priman. C'est pourquoi on retrouve né­
cessairement dans le texte de Peirce les quatre classes de signes qui figurent
dans le texte précédent auxquelles s'ajoutent maintenant les trois classes
qui les "coiffent" dans le treillis aprés ce changement. Là aussi, une partie
de la structure de l'objet, à savoir un secondan et un priman, est communi­
quée. Elle est dans le sinsigne dicent mais elle y est comme secondan, ou
fait, gouverné par un tertian, ou loi. Ce sinsigne dicent particulier est donc
institué comme instance d'une loi déjà dans l'esprit.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 181

Figure 61.

Dixième classe (Figure 62): Un argument est un signe dont l'interprétant


représente son objet comme étant un signe ultérieur par le moyen d'une
loi, à savoir que le passage de toutes ces prémisses à ces conclusions tend
vers la vérité. Il est donc manifeste que son objet doit être général; autre­
ment dit l'argument doit être un symbole. En tant que symbole, il doit en
outre être un légisigne. Sa réplique est un sinsigne dicent.

Figure 62.

Dans le cas de l'argument, un tertian, qui est dans le signe, est institu-
tionnellement lié à un tertian, qui est dans l'objet (dont la structure se ré­
duit le plus souvent à ce seul tertian) et est aussi dans l'esprit, comme tel.
Autrement dit, dans ce signe, le particulier se trouve pleinement investi par
182 L'ALGEBRE DES SIGNES

l'universel et ceci de manière concrète, c'est-à-dire avec toutes ses détermi­


nations. L'interprète s'y identifie complètement avec l'institution qui de­
vient évidence. C'est clairement le cas du syllogisme vrai évoqué par Peir-
ce, et aussi de toutes les formes de raisonnement tenues pour valides par un
interprète (donc, en particulier, toutes les formules valides de la logique se­
ront des signes de ce type). Que sa réplique soit un sinsigne dicent (ou plu­
tôt un ensemble de sinsignes dicents) résulte de la composition des mor-
phismes du treillis. En fait on voit qu'en procédant de manière récurrente,
cette classe présuppose toutes les autres.
Enfin, en 2.264, Peirce s'exprime sur ce qu'il appelle les "affinités" de
ces classes de signes en commentant un tableau que nous reproduisons tel
quel (figure 63).

Figure 63.

Les affinités de ces dix classes apparaissent si on ordonne leurs appella­


tions dans le tableau triangulaire de la page suivante, où des traits gras sé­
parent les carrés adjacents qui sont attribués à des classes semblables à un
seul point de vue. Tous les autres carrés adjacents se rapportent à des clas-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 183

ses semblables à deux points de vue. Les carrés non adjacents se rappor­
tent à des classes semblables à un seul point de vue, sauf que chacun des
trois carrés des angles du triangle se rapporte à une classe différent à trois
points de vue des classes auxquelles sont attribués les carrés le long des
côtés opposés du triangle.
Cette description assez laborieuse des "affinités" s'éclaire si on inter­
prète ces affinités comme des morphismes et les différences de "points de
vue" comme étant déterminées par le type de la forme communiquée (pri­
man, secondan ou tertian) depuis la structure de l'objet à l'origine, puis
dans le signe et enfin dans l'esprit. E. Walther (1979) a montré qu'on obte­
nait facilement le treillis (CS) en faisant subir au tableau de Peirce quelques
transformations géométriques très simples.
On voit donc que, même s'il ne possédait pas les instruments formels
adéquats pour traduire la hiérarchie des éléments formels des phénomènes
sémiotiques qui est induite par la phanéroscopie des structures des objets,
Peirce en avait une intuition suffisante pour les énoncer de manière trés
exacte. D'avoir mis évidence le rôle que jouaient implicitement dans sa
pensée les notions de foncteur et de transformation naturelle nous invite à
les utiliser systématiquement dans tous les domaines dans lesquels il a opé­
ré des "trichotomies" et notamment dans les subdivisions des signes triadi-
ques et dans les autres classifications des signes qu'il a proposées ou ébau­
chées afin d'y faire valoir la productivité que l'on peut a priori en attendre.
De cette section on retiendra notamment que la classification des si­
gnes de Peirce ne classe pas véritablement des objets mais des phénomènes
sémiotiques qui impliquent un élément de leur décomposition en éléments
indécomposables. Pratiquement les objets "signifiants" seront le plus sou­
vent impliqués à divers niveaux, c'est-à-dire au moyen d'éléments distincts
de leur décomposition. Cette distinction — rarement faite — a conduit plu­
sieurs auteurs à créer des classes de signes hybrides sans justication théori­
que, comme les icônes symboliques et autres combinaisons plus ou moins
heureuses et rarement viables. D'autre part, certains objets construits com­
binent plusieurs classes de signes mais sont classés suivant un caractère ar­
bitrairement qualifié de dominant. C'est le cas, par exemple, du diagramme
de la Figure 64 figurant une route entre des villes représentées par des

Figure 64.
184 L'ALGEBRE DES SIGNES

points qui comportent des légisignes symboliques Thématiques (points re­


présentant les villes), des légisignes indiciaires Thématiques (les noms des
villes) et des sinsignes iconiques (trait reliant les villes). Il conviendra donc
de montrer comment les phénomènes sémiotiques élémentaires que nous
venons de classer peuvent coopérer dans la production de significations
complexes. Nous aborderons cette question au chapitre VI.

4. Trichotomies et subdivisions

Nous avons pu montrer dans les sections qui précèdent que la seule mise en
pratique de ce que nous avons appelé la phanéroscopie systématique nous
permettait d'obtenir plus ou moins directement les principales distinctions
opérées par Peirce quant à l'architecture logique des signes. La distinction
entre catégories authentiques et dégénérées notamment nous apparaît
maintenant comme résultant de la phanéroscopie de deux objets en relation
et les classes de signes comme des éléments formels élémentaires constitu­
tifs de tout phénomène sémiotique considéré dans son universalité. Nous
avons obtenu de surcroit des relations de présupposition entre catégories
authentiques et dégénérées et entre classes de signes susceptibles, nous le
verrons plus loin, d'ouvrir de nouvelles perspectives pour mener à bien no­
tre projet de réduction de l'arbitraire dans la description des phénomènes
sémiotiques. Cependant, on trouve dans les écrits de Peirce un nombre
considérable de divisions et de subdivisions dans presque tous les domaines
qu'il a abordés, et on sait combien ils sont nombreux. Peirce procède la plu­
part du temps par trichotomies, quelquefois par dichotomies et la question
est presque toujours posée du principe directeur de la division ou de la sub­
division en cause: s'agit-il d'une phanéroscopie qui sépare les éléments for­
mels suivant leurs modes d'être fondamentaux ou bien de subdivisions qui
proviennent de la distinction entre les catégories authentiques et leurs for­
mes dégénérées ou d'autres encore? Et quelle place faut-il accorder, dans
cette même perspective à la notion de catégorie relativement dégénérée qui
recoupe et prolonge celle de catégorie dégénérée, que l'on rencontre no­
tamment dans les conférences Lowell de 1903? Nous allons tenter dans
cette section d'apporter des réponses les plus claires possibles à ces ques­
tions en poursuivant un double but: tirer profit des avancées que ne peu­
vent manquer de produire les réflexions provoquées par ces problématiques
et, en dissipant les confusions commises par beaucoup d'auteurs qui se sont
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 185

réclamés de Peirce (et l'auteur de ces lignes n'hésite pas à plaider coupable
pour certains de ses écrits) contribuer à mieux faire admettre l'ensemble de
la théorie par la communauté scientifique ou tout au moins empêcher que
les errements de certains ne constituent un obstacle à la prise en considéra­
tion qu'elle mérite.
Nous nous interrogerons au premier chef sur la fameuse division des si­
gnes en icônes, indices et symboles. On peut trouver dans les écrits de Peir­
ce autant de textes qui désignent plus ou moins explicitement l'application
des catégories phanéroscopiques non dégénérées comme étant à l'origine
de cette division ou bien qui illustrent avec cette même division les formes
authentiques et dégénérées de la Tiercéité. Nous avons relevé quelques uns
des textes les plus caractéristiques de chaque cas:
On peut remarquer une progression régulière de un, deux, trois dans les
trois ordres de signes, icône, indice, symbole. L'icône n'a pas de lien dyna­
mique avec l'objet qu'elle représente; il se trouve simplement que ses qua­
lités ressemblent à celles de cet objet, et provoquent des sensations analo­
gues dans l'esprit pour lequel elle est une ressemblance. Mais elle n'a réel­
lement aucun lien avec elles. L'indice est lié physiquement à son objet; ils
forment une paire organique, mais l'esprit qui interprète n'a rien à faire
avec ce lien, sauf à le remarquer après qu'il est établi. Le symbole est lié à
son objet en vertu de l'idée de l'esprit qui utilise des symboles, idée sans
laquelle un lien de ce genre n'existerait pas. (2.299).
Dans une lettre à P.E.B.Jourdain du 5 Décembre 1908, après avoir
présenté les valences des termes logiques comme "d'importantes catégo­
ries", Peirce écrit:
Je divise les signes par dix trichotomies gouvernées par les trois catégo­
ries de valence...
et la quatrième de ces trichotomies, qui concerné la relation du signe à son
Objet Dynamique est précisément celle qui nous intéresse.
Dans le MS 339 un texte daté du 7 Juillet 1905 indique: Dans sa rela­
tion à son Objet Dynamique:
- il [le Signe] est une icône s'il réfère à cet Objet en vertu de sa propre Pri-
manité
- il est un indice s'il réfère à cet Objet en vertu de sa propre Secondanité à
l'Objet.
- il est un symbole s'il réfère à cet Objet en vertu de sa propre Tertianité à
l'Interprétant.
Dans le même manuscrit un texte du 8 Octobre 1905 présente cette di­
vision comme celle d'un "mode of representing Objet" et un autre du 12
186 L'ALGEBRE DES SIGNES

Octobre 1905 comme provenant de "la manière par laquelle le signe est dé­
terminé à représenter l'objet dynamique".
Enfin dans MS 284, après avoir évoqué l'Objet Dynamique "auquel le
signe est supposé se conformer", Peirce présente cette division comme une
classification "des différents moyens par lesquels cette conformité est sup­
posée être efficiente".
Pour ce qui est de la référence aux catégories dégénérées les textes les
plus explicites sont manifestement ceux de la troisième "Conférence Lo­
well". En 5.72 la Tiercéité est divisée par trichotomie en tiercéité relative­
ment authentique, tiercéité relativement réactionnelle ou du moindre degré
de dégénérescence, tiercéité relativement qualitative ou tiercéité au plus
bas degré de dégénérescence. Cette division est aussitôt exemplifiée en 5-73
par la division du representamen par trichotomie:
De ces trois genres de representamens, l'icône est le genre qualitativement
dégénéré, l'Indice le genre réactionnellement dégénéré tandis que le sym­
bole est le genre relativement authentique.
En 2.92 on peut lire:
Un Signe dégénéré au premier degré, est un signe Obsistant (3) ou indice
qui est un signe dont la signification vis à vis de son objet est due au fait
qu'il a une Relation authentique à cet objet, indépendante de l'interpré­
tant. [ ...] Un signe dégénéré au deuxième degré est un signe Originalien
(4), ou icône qui est un Signe dont la vertu signifiante est due simplement
à ses Qualités. [...] Un Signe Authentique est un signe Transuasionnel (5)
(ou Symbole) qui est un signe qui doit sa vertu signifiante à un caractère
qui peut seulement être réalisé à l'aide de son Interprétant.
On trouve déjà dans ce dernier texte les éléments pour comprendre
que les deux présentations ne sont pas contradictoires et relèvent probable­
ment de points de vue différents. On le ressent encore mieux dans les textes
suivants:
Un signe est dans une relation conjointe avec la chose dénotée et avec l'es­
prit. Si cette triple relation n'est pas d'une espèce dégénérée, le signe n'est
lié à son objet qu'en conséquence d'une association mentale et dépend
d'une habitude. [...] Pour être bref je les appellerai emblêmes (6). (3.360)
Mais si la triple relation entre le signe, son objet et l'esprit est dégénérée,
alors des trois paires
signe objet
signe esprit
objet esprit
deux au moins sont dans des relations duelles qui constituent la triple rela-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 187

tion. Une des paires en connexion doit comprendre le signe et son objet,
car si le signe n'était en relation avec son objet que par l'esprit qui les pen­
serait séparément, il n'accomplirait pas du tout sa fonction de signe. Sup­
posant donc que la relation du signe avec son objet ne réside pas dans une
relation mentale, il doit y avoir une relation duelle directe du signe avec
son objet indépendamment de l'esprit qui utilise le signe. Dans le second
des trois cas dont on vient de parler, cette relation duelle n'est pas dégé­
nérée, et le signe signifie son objet seulement en vertu du fait qu'il est réel­
lement en connexion avec lui. [...] J'appelle ce signe un indice... (3.361)
Le troisième cas est quand la relation duelle entre le signe et son objet est
dégénérée et consiste en une simple ressemblance. J'appelle un signe qui
est mis pour quelque chose simplement parce qu'il lui ressemble, une icô­
ne. (3.362)
Considérons maintenant le treillis (CS) des classes de signes. Les signes
symboliques sont caractérisés de manière évidente par le fait qu'ils présen­
tent les éléments s.3, Γ3 aux deux premières places du triplet, les signes in-
diciaires par le fait qu'ils présentent (s.2,s.l), Γ3 ou s.2,Γ2à ces mêmes pla­
ces et les signes iconiques (s.l,r.l,t.l), Γ"2 ou (s.l,r.2), Γ'2 ou s.l, Γ1 Ceci
montre que la division des signes en icônes, indices et symboles s'effectue
uniquement à partir de la catégorie d'appartenance des éléments signifiants
du signe S, c'est-à-dire ceux qui sont impliqués dans la correspondance
compatible avec O. Les modes d'être dans lequel ils sont impliqués sont va­
riés et indiqués par le deuxième élément du triplet. Ils recouvrent le mode
de présentation de l'objet par le signe: un tertian peut présenter un autre
tertian (cas du symbole), un secondan peut présenter un autre secondan ou
un tertian sous une forme dégénérée au 1er degré (puisque le treillis (Ph)
des catégories phanéroscopiques montre que la tiercéité dégénérée au 1er
degré présuppose la secondéité authentique: c'est la raison pour laquelle il
y a connexion réelle dans tous les cas) et un, deux ou trois primans peuvent
présenter un priman, un secondan sous une forme dégénérée ou un tertian
sous une forme dégénérée au deuxième degré. Si l'on se place du point de
vue du signe S ce sont les divisions par les catégories phanéroscopiques qui
apparaissent opératoires; si l'on se place d'un point de vue qui englobe le si­
gne et son objet ce sont les modes d'être de l'objet et les modes d'être qu'ils
présupposent logiquement qui créent les distinctions comme dans 5.73 cité
ci-dessus.
Nous n'insisterons pas davantage sur ces questions de dégénérescence
des catégories sinon pour remarquer que notre formalisation permet de
comprendre comment la Tiercéité dégénérée au premier degré ou Tiercéité
relativement réactionnelle peut se subdiviser à la manière de la Secondéité
188 L'ALGEBRE DES SIGNES

pour former une chaîne comme Peirce le précise en 5.72. Il suffit en effet
de substituer à la Secondéité authentique qu'elle présuppose (conférer le
treillis (Ph)) une secondéité dégénérée, autrement dit remplacer le secon-
dan impliqué s.2 par un couple (s.l, r.l). Ajoutons que la trichotomie du
symbole exposée en 5.76:
"le Symbole, ou forme de Representamen relativement authentique, se divi­
se par trichotomie en Terme, Proposition et Argument"
s'explique très bien en considérant, dans le treillis (CS) des classes de si­
gnes, que l'ensemble des symboles caractérisés par s.3,Γ3aux deux premiè­
res places du triplet peut être subdivisé suivant le troisième élément qui est
Γ3,Γ'3 ou "3. Il s'agit donc bien là d'une subdivision suivant les catégories
dégénérées de la tiercéité. Cela veut dire que, puisque 3, le deuxième élé­
ment, caractérise la relation entre l'objet et le signe indépendante de l'in­
terprète, cette relation peut être logiquement perçue, suivant le sujet, soit
telle qu'elle est, soit comme une secondéité accolée à une qualité de senti­
ment soit comme trois qualités de sentiments (fondues par une relation tria-
dique dans l'objet).
Il y a d'autres subdivisions qui présentent au moins autant d'intérêt
que celles que nous venons de voir, lesquelles concernaient pour l'essentiel
la classification des signes, et qui, nous semble-t-il, sont correctement prises
en charge par tout l'appareillage théorique qui sous-tend le treillis des clas­
ses de signes. Parmi celles-ci nous en relèverons deux: la première pour son
intérêt théorique, la seconde pour son intérêt pratique et les possibilités de
généralisation qu'elle offre.
Dans la IIIème conférence Lowell, Peirce aborde un chapitre intitulé:
Priméité de la Priméité, de la Secondéité et de la Tiercéité (1.530 à 1.537)
et les questions que nous pouvons immédiatement poser au vu de ce titre
auront inévitablement trait à la comparaison de ces notions avec les catégo­
ries dégénérées afin de voir quels sont leurs rapports avec ce qu'on peut ob­
tenir en procédant à la phanéroscopie des catégories phanéroscopiques el­
les-mêmes.
Du fait que la Secondéité est une partie essentielle de la Tiercéité et la
Priméité est un élément essentiel de la Secondéité et de la Tiercéité, Peirce
déduit qu'il existe "des choses comme la Priméité de la Secondéité, la Pri­
méité de la Tiercéité, la Secondéité de la Tiercéité", et il exclut comme logi­
quement impossibles, la Secondéité de la Priméité et la Tiercéité de la Pri­
méité et de la Secondéité (1.530). Nous pouvons immédiatement observer
que si nous procédons à la phanéroscopie de chacune des catégories pha-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 189

néroscopiques, c'est-à-dire si nous cherchons tous les foncteurs de chacune


des trois catégories à un objet, soit {3}, {2}, {1} dans la catégorie (S) nous
obtenons:
- pour {3}, trois foncteurs notés 3.3, 3.2, 3.1
- pour {2}, deux foncteurs notés 2.2, 2.1
- pour {1}, un foncteur noté 1.1
dont l'interprétation "naturelle" est la suivante: 3.3, 2.2 et 1.1 identi­
fient des tertians, des secondans et des primans comme tels; nous pouvons
les appeler respectivement Tiercéité pure, Secondéité pure, Priméité pure.
3.2 fait correspondre à tout tertian les secondans qu'il contient. L'être
d'un secondan ainsi obtenu c'est l'être d'un secondan impliqué dans un ter­
tian; c'est la Secondéité de la Tiercéité qui est donc une Secondéité particu­
lière.
3.1 fait correspondre à tout tertian les primans qu'il contient. L'être
d'un priman ainsi obtenu c'est l'être d'un priman impliqué dans un tertian;
c'est la Priméité de la Tiercéité qui est donc une priméité particulière.
2.1 fait correspondre à tout secondan les primans qu'il contient. L'être
d'un priman ainsi obtenu c'est l'être d'un priman impliqué dans un secon­
dan; c'est la Priméité de la Secondéité qui est donc encore une Priméité
particulière, différente de la précédente.
3.2 n'est pas la Tiercéité dégénérée au premier degré, puisque c'est
une Secondéité, mais elle n'est pas sans rapport avec elle. Elle est exacte­
ment la Secondéité particulière que présuppose la Tiercéité dégénérée au
premier degré, à distinguer de la Secondéité en général que présuppose la
Tiercéité authentique. De même 3.1 n'est pas la Tiercéité dégénérée au
deuxième degré mais la Priméité que celle-ci présuppose à distinguer de
celle, plus large, que présuppose la Tiercéité authentique. Enfin 2.1 n'est
pas la Secondéité dégénérée puisque c'est une Priméité particulière, celle
que présuppose la Secondéité dégénérée précisément, à distinguer aussi de
celle que présuppose la Secondéité authentique.
Nous obtenons la confirmation de notre interprétation quelques para­
graphes plus loin:
On peut dire sans trop s'éloigner de l'exactitude que la priméité de toute
vraie secondéité est l'existence [...] La secondéité, à parler strictement, est
simplement quand et où elle se produit et n'a pas d'autre être; et par
conséquent différentes secondéités n'ont pas, à parler strictement de quali­
té commune. Par suite, l'existence ou la priméité universelle de toute se­
condéité n'est pas du tout réellement une qualité". (1.532)
190 L'ALGEBRE DES SIGNES

Pour exprimer la priméité de la tiercéité, le ton ou la nuance particulière


de la médiation, nous n'avons pas de mot réellement bon: mentalité est
peut être aussi bon qu'un autre, aussi pauvre et inadéquat qu'il soit.Voici
donc les trois sortes de priméité, la possibilité qualitative, l'existence et la
mentalité, que l'on obtient si l'on applique la priméité aux trois catégories.
(1.533)
On voit bien que 3.1, 2.1 et bien sûr 1.1 sont bien des priméités et que
les confondre avec les catégories dégénérées relève de la confusion la plus
flagrante. Cependant il convient de remarquer qu'elles constituent une vé­
ritable trichotomie de la priméité puisque tout priman peut être classé. Ce
sont trois genres particuliers de la Priméité qu'on peut appeler des sous-ca­
tégories. La Secondéité de la Tiercéité 3.2 est aussi une sous-catégorie de la
Secondéité et constitue avec 2.2, Secondéité de la Secondéité, ou Secondéi­
té pure une dichotomie de la Secondéité.
On peut dire en gros que les catégories dégénérées proviennent d'une
vision "active" du mode d'être d'un objet, qu'elles sont relatives à la source
de la relation tandis que les catégories de catégories proviennent d'une vi­
sion "passive" de ce même mode d'être et qu'elles sont relatives au but de
la relation.
En 1.534, Peirce signale trois autres genres de Priméité:
qui apparaissent d'une manière plus ou moins identique, à savoir l'idée
d'une simple qualité originale, l'idée d'une qualité essentiellement relative
comme celle d'être long d'un inch', et l'idée d'une qualité qui consiste dans
la façon dont on pense ou se représente quelque chose, telle que la qualité
d'être manifeste.
Ces trois genres paraissent découler de la prise en compte des catégo­
ries phanéroscopiques a un certain niveau. Nous en donnerons l'interpréta­
tion suivante qui s'appuie sur la notion généralisée de somme de diagram­
me, en identifiant successivement chacun des trois genres à la talité de trois
diagrammes abstraits constitués par un priman, deux primans dans une re­
lation dyadique et trois primans dans une relation triadique selon le dia­
gramme de la Figure 65.

Figure 65.
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 191

Il ne nous semble pas utile, pour l'instant, d'essayer de faire plus de


clarté sur ce genre de distinction. Par contre la subdivision des "hypoicô-
nes" en image, diagramme et métaphore nous semble extrêmement intéres­
sante et pour tout dire nous paraît régler de manière définitive beaucoup de
questions qui ont fait couler des fleuves J'encre et rempli des bibliothèques
entières.
Une hypoicône est définié en 2.276 comme un representamen iconique
c'est-à-dire un signe qui représente son objet "principalement par sa simila­
rité, quel que soit son mode d'être" (il s'agit du mode d'être de l'objet).
"Une qualité qu'il a, en tant que chose, le rend apte à être un représenta­
men'. Peirce cite en exemple toute image matérielle, comme un tableau,
sans légende ni étiquette. Nous identifierons sans réserve hypoicône et icô­
ne, sans nous interroger sur les raisons qui ont motivé l'adjonction du pré­
fixe '"hypo" (elles nous paraissent relever de la distinction entre signe et re­
presentamen que Peirce faisait à cette époque — en 1902 — comme on peut
le voir en 2.274 qui appartient aussi au Syllabus de 1902). Peirce divise ainsi
les "hypoicônes":
On peut en gros diviser les hypoicônes suivant le mode de Priméité auquel
elles prennent part. Celles qui prennent part à de simples qualités, ou Pre­
mières Priméités, sont des images; celles qui représentent les relations,
principalement dyadiques, ou considérées comme telles, des parties d'une
chose par des relations analogues dans leurs propres parties, sont des dia­
grammes; celles qui représentent le caractère représentatif d'un represen­
tamen en représentant un parallélisme dans quelque chose d'autre, sont
des métaphores. (2.277).
Qu'entend donc Peirce par "modes de Priméité" et par "premières pri­
méités" (First Firstnesses)? D'après une de nos remarques antérieures nous
avons caractérisé les icônes par le fait qu'elles présentaient, dans le treillis,
un, deux ou trois primans à la première place des triplets. Ces primans sont:
soit des primans impliqués dans une tiercéité (s.l, r.l, t.l), soit des primans
impliqués dans une secondéité (s.l, r.l) soit de "purs" primans (s.l). Au­
trement dit ils sont déterminés par ce que nous avons identifié comme des
sous-catégories de la priméité à savoir, respectivement, Priméité de la Tier­
céité, Priméité de Secondéité et Priméité de la Tiercéité. Nous pensons que
c'est ce que Peirce entend par "modes de Priméité" dans ce texte. De plus,
lorsqu'il précise: "auquel elles prennent part", il signifie bien que des élé­
ments du signe (donc des primans puisqu'il s'agit d'icônes) sont impliqués
dans ce mode d'être, c'est-à-dire sont mobilisés dans la correspondance
avec l'objet. En d'autres termes, un qualisigne est défini par une correspon-
192 L'ALGEBRE DES SIGNES

dance compatible élémentaire qui fait correspondre signe et objet au


moyen d'une qualité qu'ils ont en commun et c'est une image; un sinsigne
iconique les fait correspondre au moyen de deux qualités mises en corres­
pondance, liées entre elles par un secondan dans l'objet, ce qui définit par
Γ2 un secondan dans le signe, de telle façon qu'on peut dire que la corres­
pondance entre signe et objet est assurée par une qualité de sentiment de
relation dyadique et c'est un diagramme (un diagramme individuel, voir
2.255); enfin un légisigne iconique les fait correspondre au moyen de trois
qualités mises en correspondance, liées entre elles par un tertian dans l'ob­
jet, ce qui définit par "3 un tertian dans le signe de façon qu'on peut dire
que la correspondance entre signe et objet est assurée par une qualité de
sentiment de relation triadique et c'est une métaphore. Ces trois types
d'icônes sont représentés par la Figure 66.

Figure 66.

Le troisième cas nécessite une étude plus approfondie ne serait-ce que


pour justifier l'emploi du terme métaphore pour le désigner. Etant donné
ce qu'est un tertian, l'icône-métaphore doit représenter l'union de a et b
par  au moyen de l'union de a' et b' par c'. Mais un tertian ne peut que
gouverner des répliques singulières, autrement dit les éléments signifiants
de S formeront un sinsigne iconique "d'une sorte particulière", c'est-à-dire
un diagramme particulier. En effet ce diagramme devra représenter un ter-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 193

tian à l'aide d'un secondan et le seul moyen pour le faire est que le tertian
soit précisément celui qui lui correspond dans la structure de Peirce asso­
ciée, comme nous l'avons vu au chapitre III. Ce diagramme particulier doit
donc comporter des éléments pour représenter des qualités de sentiment en
relation, que ce soit des primans ou des secondans, c'est-à-dire des simples
qualités de sentiment ou des qualités de sentiment de relation. Il devra
donc représenter la représentation par une image et la représentation par
un diagramme. Pour la représentation par une image, c'est déjà fait dans le
diagramme (il suffit de regarder le schéma associé à la définition de l'image
dans la Figure 66 comme un diagramme). Pour la représentation par un dia­
gramme le problème est donc posé de représenter en quelque sorte le sché­
ma du diagramme de la Figure 66 par un autre diagramme: c'est selon nous
le sens qu'il faut accorder à la dernière partie de 2.277 qui définit la méta­
phore selon Peirce. Les solutions sont multiples, mais imparfaites a priori,
ce qui explique qu'on présente souvent la métaphore comme une comparai­
son sous-entendue ou abrégée.
En effet le diagramme ou sinsigne iconique "d'une sorte particulière"
devra contenir des éléments de l'un et de l'autre diagramme en correspon­
dance suivant un diagramme du type représenté Figure 67, dans lequel la

Figure 67.

métaphore contient une simple qualité de sentiment a de l'objet O, une


simple qualité de sentiment b' de l'objet O' et une qualité de sentiment de
relation dyadique de l'objet O'. On pourra donc concevoir des diagrammes
correspondant, pour ce cas là, au moins à six types différents puisqu'il y a
194 L'ALGEBRE DES SIGNES

au moins deux possibilités pour chacun des trois éléments de la métaphore.


Nous allons examiner quelques exemples:
La métaphore bien connue, et toutes celles construites sur le même
modèle, "cet homme est un lion" est le diagramme d'une image à savoir cel­
le qui représente la représentation d'un homme par un lion.
Elle exemplifie le premier cas, les qualités de sentiment mises en cor­
respondance étant l'humanité (a) et la "léonité" (a') selon le schéma de la
Figure 68.

Figure 68.

Considérons maintenant la métaphore: "la foule s'écoule dans la rue".


Elle représente la représentation du mouvement d'une foule dans une rue
dans le mouvement d'un liquide dans un conduit suivant le diagramme de la
Figure 69.

Figure 69.

La construction de cette métaphore s'est faite en "empruntant" le nom


de la relation entre l'eau et le conduit pour désigner celle qui est établie par
le fait décrit par la métaphore. La correspondance entre l'eau et la foule
réside dans leur fluidité, conséquence de leur caractère moléculaire et de la
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 195

faiblesse des forces de cohésion entre les molécules (un individu étant alors
considéré comme une "molécule de foule") et la correspondance entre la
rue et le conduit est effectuée au moyen de caractères géométriques (cylin­
dres à section en U ou semi-circulaire; que l'on songe à une autre métapho­
re d'un autre type qui consiste à substituer l'artère à la rue).
Examinons maintenant un exemple non linguistique. Une publicité
d'un fabricant de disques selon un procédé, nouveau en son temps, appelé
PCM représente six verres à pied disposés à l'intérieur d'un cercle. Un dia­
mètre vertical divise le cercle en deux demi-cercles. Le demi-cercle de gau­
che est entièrement et uniformément grisé, celui de droite est blanc.
Il s'agit d'une métaphore visuelle qui est conçue suivant le schéma de
la Figure 70.

Figure 70.

Elle utilise au maximum les métaphores "instituées" qui retraduisent


les qualités des sons en qualités visuelles (son "cristallin", "plus clair que",
etc..)
Enfin un exemple d'un autre type nous est fourni par la métaphore "il
était au soir de sa vie" conçue selon le schéma de la Figure 71.
Bien entendu les métaphores dont nous parlons sont supposées correc­
tement interprétées. Ceci tient à la nature même de la métaphore qui impli­
que des inférences qui peuvent être guidées par le contexte ou le degré plus
ou moins élevé d'institutionnalisation de la correspondance entre les deux
objets qu'il s'agit de représenter. C'est pourquoi nous reviendrons sur la
métaphore lorsque nous étudierons la sémiosis mais pour l'heure nous pou­
vons risquer une conjecture selon laquelle il n'est pas de métaphore vraie
qui ne soit justiciable de cette description formelle.
196 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 71.

Nous pouvons, en systématisant ce que nous venons de faire pour les


icônes, obtenir une dichotomie des indices. En divisant les quatre classes
d'indices suivant le deuxième élément du triplet on obtient deux classes:
l'une constituée de légisignes indiciaires est caractérisée par le couple ((s.2,
s.l),Γ'3), l'autre, constituée de sinsignes indiciaires est caractérisée par le
couple (s.2, Γ2). Cette distinction correspond nous semble-t-il à celle que
fait Peirce, toujours dans le Syllabus de 1902, entre indice dégénéré, qui
correspond au premier des deux cas ci-dessus, et indice authentique, qui
correspond à l'autre cas:
Un indice ou sème est un representamen dont le caractère représentatif
consiste en ce qu'il est un second individuel. Si la secondéité est une rela­
tion existentielle, l'indice est authentique, si la secondéité est une référen­
ce, l'indice est dégénéré. (2.283).
Notre affirmation repose sur l'interprétation de la dernière proposition
du texte ci-dessus; par " référence" nous entendrons que le secondan du si­
gne impliqué dans sa relation avec l'objet y est impliqué comme un secon­
dan peut être impliqué dans une relation avec un tertian ce qui est précisé­
ment notre définition de Γ'3.
Nous trouverons donc, dans le cas de l'indice authentique un secondan
dans le signe et un secondan dans l'objet qui sont identifiables de facto,
c'est-à-dire par Γ2. Il y a dans ce cas la manifestation la plus complète possi­
ble de l'existence de l'objet qui s'approprie, ou même impose un élément
de la structure éidétique du signe au moyen de son mode d'être Γ2 Formel­
lement, nous aurons le même diagramme que pour l'icône-diagramme avec
une différence essentielle: la relation entre a' et b' n'est pas créée par la re­
lation entre a et b mais est une relation déjà là, indépendante de l'interprè-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 197

te, donc de toute opération de son esprit. Autrement dit, la correspondance


compatible entre l'Objet et le signe est une correspondance réelle qui ne
peut qu'être constatée. Citons quelques exemples: l'empreinte d'un pied
dans un sol meuble par sa longueur (notée a') d'une part et sa profondeur
(notée b') d'autre part, sont en correspondance réelle, existentielle même,
avec la taille (notée a) et le poids (noté b) d'un individu singulier, de sorte
que la relation "morphologique" entre a et b se retrouve d'une certaine ma­
nière entre a' et b', au point qu'elle peut permettre, sinon d'identifier l'indi­
vidu,du moins de déterminer le ou les groupes morphologiques auxquels il
est susceptible d'appartenir. La littérature policière a toujours fait une
grande consommation de tels signes car ils constituent une base crédible
pour les déductions. Les empreintes digitales, les traces laissées par le pas­
sage d'un animal dans un bois par exemple, la hauteur et le diamètre des
branches cassées étant en relation "morphologique" avec la taille et le poids
d'un animal sont d'autres exemples du même type, on peut aussi citer cer­
tains indices d'objets "internes", comme les empreintes de bêtes mythi­
ques, les empreintes du pied fourchu du diable que sont censés porter beau­
coup de monuments anciens, des couples de symptômes liés dans une mala­
die et tels que cette liaison soit précisément caractéristique de la maladie,
des propriétés couplées attribuées aux extra-terrestres ou aux OVNI, etc..
Nous pourrions appeler de tels indices: des empreintes, du nom du plus
typé d'entre eux.
Dans le cas de l'indice dégénéré, nous trouverons un secondan dans le
signe et un tertian dans l'objet de sorte que le secondan soit identifiable,
"de jure" pourrait-on dire par opposition à "de facto", avec un secondan
impliqué dans le tertian, c'est-à-dire par Γ' . Nous nous trouvons alors de­
vant le même problème que pour la métaphore, à savoir la représentation
d'un tertian par un secondan et donc devant le même type de structure for­
melle pour y répondre avec la même différence essentielle que pour le cas
précédent: l'indépendance vis à vis de l'interprète des relations représen­
tées. Analysons un exemple: un signe consistant en deux lectures successi­
ves d'un thermomètre d'appartement. La première lecture indique 18°C, la
deuxième 20°C. Pour quiconque, la différence observée indique une éléva­
tion de la température de la pièce, mais nous allons voir qu'il y a dans cette
attribution des éléments qui jouent le rôle des éléments sous-entendus de la
métaphore et qui ici sont le plus souvent méconnus des interprètes de tels
signes. En effet, ce qui est lu, ce n'est pas la température de la pièce mais
la longueur de la colonne de mercure ou d'alcool coloré qui est contenue
198 L'ALGEBRE DES SIGNES

dans un réservoir surmonté d'un tube de verre à faible diamètre intérieur


destiné à bien mettre en évidence les variations apparentes du volume du li­
quide en fonction de la température. La variation de température est donc
représentée par la variation de volume apparent du liquide (volume appa­
rent, car la dilatation du verre intervient en sens inverse de celle du liquide
mais elle est nettement plus faible) et la différence de longueur des colon­
nes de liquide représente cette représentation, mais dans ce cas de manière
totalement indépendante de l'interprète. Le diagramme du signe obtenu re­
lie les deux longueurs de colonne lues et les deux volumes apparents "sous-
entendus" par la même relation qui lie les deux états thermiques de la piè­
ce, lesquels sont déterminés par l'état d'agitation des molécules d'air. Nous
pourrions appeler un indice dégénéré de ce type une "indication".
On peut encore distinguer une troisième classe d'indices en substituant
à la secondéité qu'ils impliquent (que ce soit une secondéité de la secondéi-
té comme dans le cas de l'indice authentique, ou une secondéité de la tier-
céité comme dans le cas de l'indice dégénéré) une secondéité dégénérée
Γ'2. Les éléments signifiants de l'indice sont alors des primans, mais des pri-
mans incorporés dans des secondans ou des tertians de façon absolument
indépendante de l'interprète. C'est le cas dé toutes les traces (une, deux ou
trois qualités de sentiment) sans lien a priori entre elles (c'est-à-dire sans
qu'il soit possible de les connecter réellement) comme des traces de peintu­
re qu'une voiture a pu laisser sur une autre, le nom de famille d'un individu
qui est la trace de sa lignée, son adresse qui est la trace de la localisation
spatiale de l'appartement qu'il habite, la trace de "l'abominable homme des
neiges", des vestiges purement qualitatifs de civilisations disparues, etc..
Nous pourrions appeler "traces" de tels indices relativement dégénérés, de
façon à aboutir à une trichotomie de l'indice correspondant à trois structu­
res formelles (identiques à celles de la trichotomie de l'icône) en trace, em­
preinte et indication.
Nous avons déjà vu que la classe des symboles ne peut se diviser sui­
vant les deux premiers éléments du triplet qui les définit puisqu'ils sont tous
identiques à (s.3, 3) mais que, par contre les troisièmes éléments de cha­
que triplet sont tous différents: 3,'3, "3, et cette remarque nous a permis
de faire la relation entre nos conceptions et celles que Peirce a exprimées en
5-76. Nous retrouvons donc ici la trichotomie du symbole en argument,
proposition et terme. Mais dans notre perspective de trichotomie systémati­
que nous pouvons, après avoir noté que les mêmes structures formelles se
retrouvent encore, et dans le but de nous démarquer de l'origine linguisti-
PHANÉROSCOPIE ET CLASSIFICATIONS 199

que des dénominations utilisées par Peirce, renommer ces classes et les dé­
crire avec le même appareillage formel. Nous aurons donc:
- l'emblème (ou terme ou rhème) qui est un priman qui représente un ter­
tian c'est-à-dire un objet général, une classe d'objets ou de faits, un
concept. Tous les noms communs, toutes les qualités de sentiment conven-
tionnellement choisies (la rougéité pour le socialisme ou la passion, le noir
pour le deuil ou l'anarchie, etc..)
- l'allégorie (ou proposition ou dicent) qui est un secondan qui représente
un tertian, c'est-à-dire que le secondan est conventionnellement impliqué
dans un tertian par Γ'3: par exemple, sur le drapeau soviétique, l'entrelace­
ment de la faucille et du marteau représente l'union des paysans et des ou­
vriers.
- l'ecthèse (ou argument), qui représente la représentation d'un tertian par
un autre. C'est le cas de la conclusion d'un syllogisme qui représente la qua­
lité de "mortel" attribuée à tout homme dans la relation d'inclusion de So-
crate dans la classe des hommes parla proposition: "Socrate est mortel", la­
quelle, à l'instar de la métaphore reprend un terme de la majeure et un ter­
me de la mineure en les liant par la même copule, les autres termes étant là
aussi sous-entendus.
En définitive, bien que les trois trichotomies opèrent à différents ni­
veaux des phénomènes sémiotiques, elles relèvent cependant de la même
structure formelle. C'est par ce biais que nous les avions abordées dans un
article (Marty: 1979), intitulé "Trichotomies de l'icône, de l'indice et du
symbole", dont la majeure partie de la substance est reprise et explicitée ici
dans une perspective d'abord phénoménologique et ensuite formelle, alors
que dans l'article cité nous n'avions que la perspective formelle à notre dis­
position. Ces trichotomies peuvent, à notre sens, se révéler d'un grand in­
térêt: on en trouvera quelques applications à l'étude du pidgin réalisée par
J. Réthoré (1979) et à l'iconisme linguistique par A. Jappy (1986) tandis que
nou même avons tenté de montrer leur pertinence pour l'étude du théâtre
dans un article intitulé: "Des trois icônes aux trois symboles" (Marty: 1982).
Comme nous l'avons déjà noté, ces trichotomies sont loin d'épuiser les
trichotomies produites par Peirce. Cependant il sera toujours intéressant, à
propos de chaque trichotomie rencontrée, de se poser le problème des prin­
cipes opérant dans chaque trichotomie ou du moins des rapports qu'ils en­
tretiennent avec les catégories phanéroscopiques qui sont de toute manière,
mais plus ou moins directement à l'origine de toute distinction.
Ce sera le cas notamment de la trichotomie des modes d'inférence en
abduction, déduction et induction.
200 L'ALGEBRE DES SIGNES

5. Conclusion du chapitre quatrième

Les catégories authentiques, qu'on s'en tienne à elles seules ou qu'on y ad­
joigne leurs formes dégénérées nous ont fourni matière à distinction et à
classification dans les phénomènes sémiotiques donc aussi dans les signes.
Ces distinctions et classifications sont nécessairement opératoires car
elles s'effectuent à partir de l'essence des phénomènes, c'est à dire qu'elles
opèrent des divisions sur leur forme et non sur leur substance. Beaucoup
d'auteurs ont malencontreusement mêlé les deux types de distinction. C'est
un peu comme si des chimistes faisaient intervenir dans leurs classifications
relatives à l'activité chimique des corps leur couleur ou leur consistance.
Opérer par trichotomie, c'est découper en quelque sorte les phanerons sui­
vant des lignes qui ont nécessairement présidé à leur construction comme
tel, comme un costume que l'on démonterait pour le mettre à plat en sui­
vant les coutures.
Avec le treillis des classes de phénomènes sémiotiques et le treillis des
classes de signes qui en découle nous avons mené aussi loin que nous avons
pu la recherche des éléments formels opératoires dans l'analyse des phéno­
mènes sémiotiques ou des signes élémentaires, ainsi que leurs relations né­
cessaires qui doivent permettre de reconstruire, donc de mieux compren­
dre, le fonctionnement dans la vie sociale de tout phénomène sémiotique et
de tout signe, pourvu que nous puissions maîtriser la combinatoire de ces
éléments formels. Cependant avant d'en venir là, il convient d'examiner et
d'intégrer éventuellement d'autres distinctions faites par Peirce qui concer­
nent toujours l'essence même des signes dans lesquels nous n'avons distin­
gué jusqu'ici que trois éléments fondamentaux: le signe, l'objet et l'inter­
prétant. Peirce a en effet dégagé d'autres éléments pertinents (il en annon­
cé jusqu'à dix) qui selon lui ont une importance fondamentale. Qu'en est-il
de ces éléments, quel est le gain d'intelligibilité qu'ils procurent, peut on
leur appliquer les principes de phanéroscopie systématique que nous avons
dégagés? Ce sont les questions que nous allons traiter avant d'en venir à la
recomposition des phénomènes et des signes. Elles semblent pertinentes,
puisque, somme toute, les procédés qui sont valides pour les phénomènes
triadiques ont de fortes chances d'être encore valides si de nouvelles dis­
tinctions sont faites à l'aide des mêmes principes.
CHAPITRE CINQUIÈME

Perfectionnement du modèle triadique

In particular, the relations I assumed between


the different classes were the wildest guesses,
and cannot be altogether right I think.
C.S. Peirce (8.365), 24 Décembre 1908

1. De la triade a l'hexade

Pour perfectionner notre modèle d'analyse, il convient de revenir sur la


description et la formalisation que nous avons mises au point jusqu'ici afin
de choisir des caractéristiques supplémentaires susceptibles d'être catégori­
sées par les mêmes instruments que nous avons utilisés et d'apporter un
gain d'intelligibilité quant aux phénomènes sémiotiques. Ce gain sera mesu­
ré, en quelque sorte, par la complication logiquement contrôlée des nouvel­
les classifications obtenues. Nous serons donc confrontés à un problème de
choix, à savoir qu'il vient toujours un moment où, comme dit le bon sens
populaire, "le mieux est l'ennemi du bien", autrement dit un moment où la
complication du modèle formel est telle que sa mise en oeuvre rebute d'em­
blée ceux-là mêmes dont on pense qu'ils pourraient l'utiliser avec profit. Il
y a là un problème d'économie de l'investissement intellectuel, problème
pratique s'il en est. Nous verrons dans ce chapitre que c'est un des mérites
de la démarche générale suivie par Peirce que de pouvoir fournir des degrés
ou "états" théoriques qui peuvent être mis en oeuvre suivant la nature des
phénomènes sémiotiques étudiés et le degré de précision requis pour leur
étude, en rapport avec le but poursuivi. Nous devrons donc, aprés avoir in­
corporé dans notre modèle les distinctions faites par Peirce dans son analy­
se plus poussée des signes, évaluer si l'état du modèle a atteint ou dépassé
ce seuil empiriquement défini ou, tout au moins, essayer de cerner les
champs dans lesquels chaque état du modèle est d'une efficacité optimale.
202 L'ALGEBRE DES SIGNES

Dans plusieurs des textes de l'annexe A (29, 33, 40f, 59, 69b, 69c, 69d)
Peirce distingue deux objets et trois interprétants pour un même signe. Il
les distingue par des adjectifs qui varient souvent d'un texte à l'autre (sur­
tout pour les interprétants) et un débat est ouvert sur la dépendance ou l'in­
dépendance des distinctions portant des dénominations différentes. Nous
n'entrerons pas, pour l'instant, dans ce débat, nous réservant de le faire
aprés avoir tiré nos propres conclusions dans le droit fil de notre démarche.
Cependant, pour compliquer notre modèle dans le sens évoqué ci-dessus,
nous allons indiquer, parmi les distinctions qui reviennent le plus souvent
sous la plume de Peirce, notamment dans sa correspondance avec James
par exemple (8.314, 8.315) et Lady Welby (8.333 à 8.339, 8.343) et aussi
dans un grand nombre de manuscrits (MS 284, 318, 339, 914; liste non ex­
haustive), celle qui nous paraît en général la mieux acceptée:
Mais il reste à faire remarquer qu'il y a d'ordinaire deux objets et plus de
deux interprétants. Nous avons à distinguer l'Objet Immédiat, qui est
l'Objet comme le signe lui même le représente, et dont l'être par suite dé­
pend de sa représentation dans le signe, de l'Objet Dynamique qui est la
réalité qui par un moyen ou un autre parvient à déterminer le signe à sa re­
présentation. Eu égard à l'Interprétant, nous avons également à distin­
guer, en premier lieu, l'Interprétant Immédiat qui est l'Interprétant tel
qu'il est révélé dans la compréhension correcte du signe lui-même, et est
ordinairement appelé la signification du signe, alors qu'en second lieu nous
avons à noter l'Interprétant Dynamique qui est l'effet réel que le signe, en
tant que signe, détermine réellement. Enfin il y a ce que j'appelle provisoi­
rement l'Interprétant Final qui renvoie à la manière dont le signe tend à se
représenter lui-même comme étant en relation avec son objet. J'avoue que
ma propre conception de ce troisième interprétant est encore quelque peu
nébuleuse. (4.536).

Avant toute chose nous donnons l'idée générale qui va nous permettre
de faire intervenir ces distinctions dans notre analyse du chapitre I suivant
laquelle un phénomène sémiotique consiste en l'actualisation, dans l'esprit
d'un interprète, d'une "forme" (une sous-configuratoin perceptive caracté­
ristique d'un objet) incorporée de manière "institutionnelle" dans toutes les
configuratons perceptives d'un signe donné. Ensuite nous aurons à traduire
ces distinctions dans les universaux mathématiques déjà choisis au chapitre
II et traiter le résultat obtenu avec les méthodes systématiques mises au
point au chapitre IV.
Nous l'avons déjà signalé, ce qui nous paraît sans aucune restriction
correspondre à l'Objet Immédiat, c'est la sous-configuration perceptive de
l'Objet  qui est la partie de la structure éidétique de l'Objet Dynamique
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 203

mise en correspondance avec la structure éidétique du signe dans laquelle


elle est donc "incorporée". C'est l'Objet "tel que le signe le représente"
(4.536, 8.333, MS 318, MS 339) ou "cet objet que le signe crée en le repré­
sentant" (MS 284, MS 339) ou encore "la détermination immédiate du si­
gne considérée comme équivalente à l'objet dans sa déterminaton du signe"
(MS 292) tandis que l'Objet Dynamique est "l'objet dans son mode d'être
commme un agent indépendant déterminant le signe" (MS 292). Autre­
ment dit, l'Objet Immédiat est la "partie" du signe qui est concernée par la
correspondance instituée entre l'objet du signe tel que nous l'avons conçu
jusqu'ici et le signe. En termes formels l'Objet Immédiat est donc le domai­
ne de définition (ou la source) de la correspondance compatible entre les
structures éidétiques de l'objet et du signe.
Une telle distinction est-elle nécessaire du point de vue de la descrip­
tion des phénomènes sémiotiques? Elle peut sembler redondante dans la
mesure où notre formalisation du chapitre II, en retenant comme donnée a
priori la correspondance objet-signe, présupposait que, cette correspondan­
ce étant définie, son domaine de définition ou source l'était également.
Ceci est bien exact mais il faut remarquer que ce résultat est postérieur à
l'introduction des universaux mathématiques. D'ailleurs, la description des
phénomènes sémiotiques que nous avons donnée à la fin du chapitre I, en
distinguant configuration perceptive d'un objet et sous-configuration per­
ceptive caractéristique de ce même objet, contenait déjà en puissance la
distinction des deux objets. Mais la question est de savoir s'il faut retenir
l'Objet Immédiat parmi les traits distinctifs d'un phénomène sémiotique
pour aller plus avant dans son intelligibilité. La réponse sera affirmative si
l'on montre qu'un même objet peut être l'objet d'un phénomène sémioti­
que dans lequel est impliqué le même signe S au moyen de plus d'une sous-
configuration perceptive incorporée dans les configurations perceptives de
S et ceci de manière indépendante. Or, c'est un fait d'observation courante
que des objets possèdent plusieurs sous-configurations perceptives caracté­
ristiques qui peuvent être incorporées indépendamment dans une même
configuration perceptive. Par exemple les débris d'un bâteau qui a fait nau­
frage peuvent identifier ce bâteau de plusieurs manières indépendantes:
bouée de sauvetage portant le nom du bateau et tout élément matériel de
structure, quelle que soit sa taille, s'il a été conçu spécialement pour ce b­­
teau et n'a pas été reproduit pour être monté sur un autre bateau. De
même un cadavre peut aussi bien être identifié par ses empreintes digitales
que par les traitements dentaires subis antérieurement par le défunt ou par
204 L'ALGEBRE DES SIGNES

d'autres particularités encore. La distinction de l'Objet Immédiat, dans la


mesure où elle recouvre le fait qu'un même objet peut posséder des traits
ou groupements de traits caractéristiques indépendants, et donc qu'un ob­
jet peut être relié au signe de plusieurs façons, est donc pertinente car elle
permet d'opérer des discriminations entre phénomènes sémiotiques d'es­
sences différentes. Formellement nous dirons que la correspondance com­
patible entre  et S n'est pas nécessairement unique et nous distinguerons
deux correspondances de ce type au moyen de leur domaine de définition
ou source. Le nouveau modèle des phénomènes sémiotiques comportera
donc deux objets dont l'un, l'Objet Immédiat, est inclus dans l'autre. Peirce
appelle quelquefois l'Objet dynamique "Objet médiat hors du signe" tandis
que l'Objet Immédiat est "dans le signe"; il indique l'Objet Médiat "par
suggestion et cette suggestion, ou sa substance" se confond précisément
avec l'Objet Immédiat" (lettre à Lady Welby du 23 Décembre 1908). Cette
conception s'accorde parfaitement avec notre formalisation: ce qui vient de
l'Objet Dynamique et qui est dans le signe y vient au moyen d'au moins une
correspondance compatible qui met en relation des éléments (primans, se-
condans, tertians) de la décomposition phanéroscopique de l'Objet Dyna­
mique avec des éléments de la décomposition phanéroscopique du signe, ce
qui peut être regardé comme une manière d'incorporer une partie caracté­
ristique de la structure de l'Objet Dynamique dans une configuration per­
ceptive du signe. Ce dernier doit avoir évidemment la capacité de supporter
cette incorporation, c'est-à-dire que sa propre décomposition en éléments
indécomposables doit être telle qu'elle peut constituer le "but" d'une cor­
respondance dont la source est dans l'Objet Dynamique.
Venons en maintenant à l'interprétant. Il s'agit de montrer, comme
dans le cas de l'objet, que l'on gagne en intelligibilité en remplaçant, dans
notre conception, ce qui correspond à l'interprétant de Peirce par trois nou­
velles notions liées de façon convenable et capables de produire des discri­
minations épistémologiques. Notre fil directeur sera toujours le chemine­
ment et les transformations de la "forme", incorporée dans l'Objet Immé­
diat, depuis l'Objet Dynamique jusque dans l'esprit. Ce cheminement a
déjà été invoqué, implicitement, dans le modèle arrêté à la fin de la section
3 du chapitre II dans lequel il est question d'un prolongement de la corres­
pondance Ω à la correspondance Γ (ce prolongement consistant à "agrandir"
à la fois la source et le but de Ω jusqu'à reconstituer Γ sur les images de sa
source et de son but par les applications compatibles f et hog) et explicite­
ment dans la section suivante lorsque nous avons sommairement décrit la
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 205

suite des interprétants successifs de la sémiosis peircienne depuis le premier


interprétant "passif de la série (identifié au signifiant ou empreinte psychi­
que de Saussure) jusqu'à l'interprétant final dont nous avons renvoyé l'étu­
de à plus tard essentiellement pour des raisons de méthode. Le passage
d'un seul interprétant à trois se fera donc sous la forme d'étapes formelles
dans le cheminement de la forme considérée. Cependant nous pouvons re­
marquer que nous en avons déjà distingué deux: la première correspond à
l'établissement de Ω dont le but (l'image de l'Objet Immédiat) est une forme
de relations communiquée à l'esprit par l'action du signe tandis que la se­
conde correspond à la forme de relations obtenue aprés prolongement vers
Γ (ce prolongement pouvant atteindre Γ ou seulement une de ses formes
dégénérées comme on peut le voir dans le treillis (CS) des classes de signes:
pour chaque triplet le second terme correspond à Γ, le troisième à la rela­
tion finalement établie entre l'objet du signe et l'esprit). En faisant tout na­
turellement correspondre au but de l'interprétant immédiat et au but du
prolongement obtenu en fin d'interprétation, l'interprétant final, il ne nous
reste plus qu'à placer l'interprétant dynamique. Un texte de Peirce nous y
aidera:

L'Interprétant Dynamique est toute interprétation qu'un esprit fait effecti­


vement d'un signe. Cet Interprétant dérive ces caractères de la catégorie
dyadique, la catégorie de l'action. Celle-ci a deux aspects, l'Actif et le Pas­
sif, qui ne sont pas simplement des aspects opposés mais produisent des
contrastes relatifs entre différentes influences de cette catégorie comme
Plus Active et Plus Passive. En psychologie cette catégorie marque la Mo-
lition (8) dans son aspect actif en tant que force et son aspect passif comme
une résistance. [...]. Ainsi chaque interprétation réelle est dyadique com­
me le dit le pragmaticisme [...] que la signification d'un signe pour quicon­
que consiste dans la manière dont il réagit au signe. Dans ses formes {Ac­
tives,Passives} (9) l'Interprétant Dynamique approche indéfiniment le ca­
ractère de l'Interprétant {Final, Immédiat} (9); et pourtant la distinction
est absolue. [...]. L'Interprétant Immédiat consiste dans la qualité de l'Im­
pression qu'un signe est propre a produire, non dans une réaction réelle.
(8.315, lettre à James du Premier Avril 1909)
Ce texte montre sans ambiguïté que la distinction entre les trois inter­
prétants relève d'une trichotomie en rapport avec les catégories phanéros-
copiques. Mais il ne s'agit pas ici de la trichotomie d'un objet statique mais
de la trichotomie d'un processus. Nous reviendrons sur cette question aprés
avoir mené à bien la modélisation des phénomènes sémiotiques en six élé­
ments.
206 L'ALGEBRE DES SIGNES

Revenant à notre modèle à trois éléments, nous ferons correspondre à


l'interprétant dynamique la partie du processus comprise entre la "face acti­
ve" de la forme qui constitue le but de et la "face passive" de la forme qui
constitue le but de la correspondance finalement établie entre l'objet et
l'esprit, nous réservant d'étudier plus loin de manière plus précise le dérou­
lement du processus. Quant à l'Interprétant Final, nous devons insister sur
le fait qu'il ne peut être associé qu'à Γ lui-même car il correspond "à ce qui
serait finalement décidé être la vraie interprétation si l'examen de la chose
était poussé si loin qu'une opinion ultime était atteinte" (8.184). Du point
de vue phénoménologique, tout ce qui peut advenir c'est que l'interpréta­
tion atteigne seulement une forme dégénérée de la forme de l'Objet Dyna­
mique. Mais c'est en déterminant tous les signes élémentaires à six élé­
ments que nous pourrons le mieux illustrer et étayer nos dires, puisque tout
autre signe à six éléments pourra être décrit en combinant ces signes élé­
mentaires à six éléments. En d'autres termes, c'est la réduction phanérosco-
pique portant aussi bien sur les éléments que sur les correspondances entre
eux qui va une fois de plus réduire le problème. Cependant il n'est pas inu­
tile d'avancer une définition formelle de ce que nous appellerons assez im­
proprement "signe hexadique" (improprement car le signe ne cesse pas
d'être triadique, mais l'hexade n'exclut pas la triade!).
Un signe hexadique est constitué par la donnée d'un objet d'expérien­
ce directe S appelé signe, d'un objet Od appelé Objet dynamique du signe,
et d'une sous-structure de sa structure eidétique appelée Objet Immédiat
O., d'une application compatible Γ établie, dans une communauté sémioti-
que donnée, entre l'objet immédiat et la structure eidétique de S et de trois
applications compatibles Ω", Ω', Ω vérifiant Ω "≤ Ω' ≤ Ω ≤ Γ où le signe
" ≤ " signifie "est prolongeable à" et qui sont ainsi définies:
- Ω" est établie par la composition des applications Γ et hog définie au cha­
pitre II.
- Ω' est établie entre l'objet immédiat et la structure formée par l'esprit en
réaction à la perception du signe.
- Ω est établie entre l'objet immédiat et la structure formée par l'esprit
après une série d'inférences dans le contexte de l'interprétation, cette série
étant supposée stabilisée, c'est-à-dire se reproduisant identique à elle-même
à partir d'un certain rang.
Le schéma de la Figure 72 dans lequel les structures relationnelles sont
représentées par des rectangles, les applications compatibles par des poin­
tillés et dans lequel on a répété autant de fois que nécessaire l'objet Od pour
en améliorer la présentation illustre cette définition.
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 207

Figure 72.

On y a de plus fait figurer les éléments suivants:


G = fondement (ground) du signe
I. = interprétant immédiat
Id = interprétant dynamique
If = interprétant final
Il est clair que si l'interprétant final est isomorphe à l'Objet Immédiat,
c'est-à-dire si Ω est un isomorphisme de structure, alors c'est toute la struc­
ture eidétique de Od qui est formée par l'esprit et du même coup Od est pré­
sent à l'esprit: c'est ce que veut dire "Oi. sous-structure caractéristique" et
"Γ institution sociale d'une communauté sémiotique". Si l'interprétant final
n'atteint pas Oi., c'est-à-dire s'il est une sous-structure de Oi., il ne peut
l'être, la suite nous le confirmera, que sous une forme dégénérée, c'est-à-
dire qu'il comportera bien toutes les qualités de sentiments (puisqu'elles fi­
gurent au moins potentiellement dans le jugement perceptuel et bien que
celui-ci puisse écarter certaines d'entre elles, elles sont toujours potentielle­
ment incorporables puisqu'elles sont nécessairement présentes dans le per­
cept) mais certaines d'entre elles peuvent ne pas être liées entre elles alors
qu'elles le sont dans Oi., ou bien elles peuvent être liées par un complexe de
relation dyadiques alors que dans Oi. elles sont liées par des relations triadi-
ques. Dans ce cas ce n'est pas l'objet O d , quel qu'il soit — objet singulier ou
objet général — qui sera présent à l'esprit de l'interprète mais une classe
d'objets contenant Od (un sur-objet de Od) qui sera d'autant plus étendue
que If sera éloigné de Oi.. Il y a en effet une correspondance terme à terme
entre les sous-structures de Oi. contenant I. (au sens ou il existe un mor-
phisme injectif de I. dans chaque sous-structure) et les "sur-structures" ei-
détiques de Od (c'est-à-dire les structures relationnelles pour lesquelles il
existe un morphisme injectif et qui sont des sous-structures de l'Objet pré­
sent à l'esprit lorsque celui-ci forme la structure I ).
208 L'ALGEBRE DES SIGNES

Le passage du signe à l'esprit dans le temps de la perception peut aussi


être analysé en termes d'information, la quantité d'information transmise
étant figurée par la sous-structure I. réellement retenue par l'esprit et de­
vant être rapportée à l'information maximale qui est figurée par la structure
Oi. incorporée dans le signe S sous la forme de l'image G deOi.par la corres­
pondance Γ. Bien entendu nous prenons le mot "information" dans son
sens originel de "donner forme"; l'esprit est "informé"' par le signe de la
forme caractéristique Oi. de l'objet, avec un principe d'économie relatif au
contexte de la communication. L'esprit retient de la forme ainsi communi­
quée ce qu'il peut retenir suivant sa propre conformation au moment de la
perception, laquelle dépend de ses expériences antérieures (l'expérience
collatérale de l'Objet Dynamique). Il y a donc possiblement une perte d'in­
formation lors du passage de la forme Oi. depuis Od jusqu'à l'esprit qui va se
traduire par la disparition de qualités de sentiments de relation ou par la
dégénérescence de tertian en secondan et priman et de secondan en pri­
man. C'est donc suivant que l'expérience de l'interprète est suffisante ou
pas, suivant qu'il est ou n'est pas pleinement "informé" en tant que mem­
bre de sa communauté sémiotique, que l'interprétant I sera plus ou moins
chargé d'information, c'est-à-dire que sa structure sera plus ou moins pro­
che de celle de Oi donc plus ou moins facile à compléter. Le cheminement
de la forme depuis la structure eidétiqueOi.de l'objet jusqu'à l'interprétant
immédiat I. est donc caractérisé du point de vue de l'information par un
gain d'entropie.
Par contre, de ce même point de vue, les étapes suivantes peuvent être
caractérisées par une perte d'entropie, ou néguentropie visant à reconstrui­
re la partie "perdue" de la structure Oi L'interprétant dynamique, structu­
re formée par l'interprète en réaction à la perception, c'est-à-dire à la struc­
ture reçue, doit être regardé comme une étape entièrement nouvelle vis à
vis de l'expérience antérieure de l'interprète qui est, en quelque sorte, capi­
talisée dans la structure I , du moins en ce qui concerne l'expérience de Od
au sens large, c'est-à-dire incluant l'expérience d'objets dont la structure ei­
détique est proche de celle de Od (rappelons nous l'expérience que Peirce
avait de l'Etna). L'interprétant dynamique correspond en effet à une expé­
rience nouvelle qui vient s'ajouter aux expériences antérieures et accroître
les possibilités de l'interprète quant à sa performance dans la complétion de
la structure. Dans ce nouveau contexte,des inferences, jamais faites aupa­
ravant, peuvent être réalisées tout simplement parce que des obstacles an­
térieurs ont été levés (il ne faut pas oublier queOi.est incorporé par Γ dans
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 209

la structure relationnelle liée à la configuration perceptive de S et que tous


les éléments de la structure de S qui n'appartiennent pas à l'image G de Oi.
jouent le rôle qui est dévolu au bruit dans la théorie de l'information) ou
que dans d'autres expériences, portant aussi bien sur des objets externes
qu'internes, l'interprète aura accru ce qu'on peut appeler sa "capacité infé-
rentielle", ce qui est le propre d'une intelligence scientifique. Nous revien­
drons sur le déroulement de ce processus inférentiel en étudiant la sémiosis.
L'interprétant dynamique, nous l'avons vu, recouvre l'essentiel de ce pro­
cessus de manière indifférenciée et l'interprétant final, correspondant à une
forme dégénérée ou non de Γ, est son point d'aboutissement. Comme tous
les autres éléments du signe, les trois interprétants peuvent être caractérisés
de façon catégorielle et les signes hexadiques vont donc donner lieu à une
classification nécessairement plus fine que celle obtenue dans le cas du si­
gne triadique.

2. Classification des signes hexadiques

Peirce a donné apparemment deux façons de classer les signes hexadiques,


toutes deux dans des lettres addressées à Lady Welby. La première, datée
du 12 Octobre 1908 (8.327 à 8. 341), propose de diviser les signes "selon
leur propre nature matérielle, selon les relations qu'ils entretiennent avec
leurs objets et selon leurs relations avec leurs interprétants" (8.333), ce qui
le conduit à prendre en compte les six trichotomies successives suivantes:
- du signe "en soi" (8.334)
- de la relation avec l'objet dynamique (8.335)
- de l'objet immédiat (8.336)
- de la relation avec l'interprétant signifié (8.337)
- de la façon dont il fait appel à son interprétant dynamique (8.338)
- de la relation avec son interprétant immédiat (8.339).
La seconde, datée du 23 Décembre 1908, prend en compte six trichoto­
mies d'éléments auxquelles sont adjointes quatre trichotomies de relations:
Il est évident qu'un Possible ne peut rien déterminer d'autre qu'un Possi­
ble, et de même un Nécessitant ne peut être déterminé par rien d'autre
qu'un Nécessitant. Il suit donc de la Définition d'un signe que, puisque
l'Objet Dynamoïde détermine l'Objet Immédiat,
qui détermine le Signe lui même
qui détermine l'Interprétant Destiné
210 L'ALGEBRE DES SIGNES

qui détermine l'Interprétant Effectif


qui détermine l'Interprétant Explicite
les six trichotomies, au lieu de déterminer 729 classes de signes, comme el­
les le feraient si elles étaient indépendantes, ne donnent que 28 classes; et
si, comme je le pense fort (pour ne pas dire trouve) il y a quatre autres tri­
chotomies du signe du même ordre d'importance, au lieu de faire 59049
classes, celles-ci ne s'éléveraient qu'à 66.
On a retrouvé dans les papiers de Peirce trois brouillons de lettres da­
tées des 24, 25 et 28 Décembre 1908 que nous évoquerons plus loin car elles
se rapportent aux dix trichotomies. Ils sont reproduits dans les Collected
Papers de 8.342 à 8.379. D'une vue d'ensemble de ces textes on retiendra
tout d'abord la nécessité de clarifier la terminologie, notamment vis-à-vis
de celle que nous avons retenue dans la section précédente. Il n'y a aucun
problème pour l'Objet Immédiat et le changement d'Objet Dynamique en
Objet Dynamoïde ne fait pas question. Par contre les dénominations des
trois interprétants nécessitent une mise au point. Comme il nous semble
qu'un contresens a été commis dans les correspondances entre la trichoto-
mie (immédiat, dynamique, final) et les autres trichotomies, notamment
par Burks et Weiss (1945), Deledalle (1978: 31, 244), nous même (Marty,
1981) et Jappy (1983), nous reproduisons ci-dessous d'autres parties de tex­
tes manuscrits dans lesquels Peirce traite des divisions de l'interprétant.
Il y aussi trois interprétants, à savoir:
l%L'Interprétant considéré comme signe indépendant de l'objet,
2%L'Interprétant comme il est en tant que fait déterminé à être ce qu'il est
par le Signe, et,
3%L'Interpétant comme il est destiné à être par le Signe, ou est représenté
dans le Signe... (Annexe A: n°29, MS 939,1905).
Dans le texte n°59 (MS 854, 1911), Peirce distingue, à propos du mot
"chien", l'interprétant essentiel ("les caractères essentiels que le mot impli­
que"), puis "l'idée qu'il excite effectivement" et les caractères qu'il était
destiné spécialement à exciter, peut être seulement une partie des caractè­
res essentiels, peut être d'autres non essentiels et que le mot excite mainte­
nant bien que de telles choses n'aient pas été connues jusqu'ici.
Dans une lettre à Lady Welby datée du 14 Mars 1909, Peirce écrit:
... et l'Interprétant Final est le résultat interprétatif auquel chaque inter­
prète est destiné à arriver si le Signe est suffisamment considéré, (souligné
par nous)
Le contresens commis résulte probablement de la substitution de dé­
terminations d'ordre chronologiques aux déterminations d'ordre catégoriel-
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 211

les. La première partie de la lettre du 23 Décembre 1908 ne laisse aucun


doute sur le fait que les déterminations dont Peirce fait état sont catégoriel­
les, autrement dit que chacun des six éléments hormis le dernier détermine
le mode d'être ou la catégorie phanéroscopique du suivant. L'analyse du
phénomène sémiotique qui est ainsi faite est une analyse logique au sens où
l'entend Peirce. Donc l'Interprétant Destiné est l'Interprétant Final, l'In­
terprétant Effectif est l'Interprétant Dynamique et l'Interprétant Dynami­
que est l'Interprétant Immédiat. C'est aussi l'opinion de T.L. Short (1979)
qui inclut "intended" au nombre des équivalents de "final" dans son énu­
mération des neufs dénominations différentes qu'il a relevées dans les écrits
de Peirce. D'ailleurs, en 8.333 on lit:
Il (le signe) a aussi trois interprétants, son interprétant en tant que repré­
senté ou destiné à être compris (meant to be understood), son interprétant
en tant que produit et son interprétant en lui même
dans MS 914:
...et cet interprétant peut être considéré comme le signe le représente,
comme il est dans sa pure secondéité à l'objet, et comme il est dans sa pure
priméité.
dans MS 318 (Prag: 12)
De la même manière il y a trois interprétants ou "significations"; la signifi­
cation comme elle est explicitement mise en avant dans le signe; l'effet en
acte, réel, projeté, et les conséquences logiques ultimes...
et enfin dans 4.572:
...l'Interprétant final (ou quasi-destiné) d'un Argument...(souligné par
nous)
Tous ces textes tendent à prouver l'équivalence pour Peirce des termes
"destiné" et "final". Cette équivalence est d'ailleurs cohérente avec l'inter­
prétation des déterminations dont il fait état en tant que déterminations ca­
tégorielles. En effet dire que le signe détermine, dans un ordre logique, en
premier lieu, l'interprétant final c'est dire qu'il existe une borne supérieure
(du point de vue de la hiérarchie des catégories) aux deux autres interpré­
tants, ce qui revient à dire que l'information "catégorielle" obtenue sur
l'objet (c'est-à-dire l'information sur le mode d'être de l'objet) ne peut ex
céder celle qui est convoyée par le signe. Alors, logiquement, l'interprétant
dynamique et a fortiori l'interprétant immédiat correspondent à des états
d'information "catégorielle" inférieurs ou égaux. En tout état de cause nous
procèderons à la classification des signes hexadiques en adoptant ce point
212 L'ALGEBRE DES SIGNES

de vue qui se trouve, de plus, être cohérent avec la formalisation des chapi­
tres précédents.
Cependant Peirce nous propose deux façons de classer les signes hexa-
diques. Jappy (1983) a qualifié celle de 1904 de "relationnelle" (hexade A)
et celle de 1908 de "correlate" (hexade B) en faisant observer que la pre­
mière différencie les signes suivant les modes d'êtres du signe et de l'objet
immédiat et des quatre relations qu'entretient le signe avec l'objet dynami­
que et les trois interprétants tandis que la seconde les différencie suivant les
modes d'être des six éléments (ou correlats) du signe hexadique. Il y a ce­
pendant quelques questions qui doivent être évoquées: l'ordre des éléments
de l'hexade A doit-il être considéré comme un ordre logique au même titre
que celui de l'hexade B? Si l'on admet l'ordre de l'hexade  est-il cohérent
avec l'ordre qu'il induit sur les éléments de l'hexade A? Les deux classifica­
tions, qui toutes deux donnent 28 classes de signes, sont elles différentes ou
correspondent-elles à deux façons de décrire ces 28 classes?
Pour faciliter la réponse à ces questions, tout en nous replaçant dans
notre perspective de "cheminement" d'une forme, nous allons modifier lé­
gérement l'hexade A en une hexade A' équivalente dans le sens où il y a
correspondance terme à terme entre les signes hexadiques décrits par
l'hexade A et ceux décrits par l'hexade A'. En effet, nous choisissons les
éléments suivants pour définir l'hexade A':
- le signe S
- sa relation avec l'objet dynamique (notée )
- l'objet immédiat Oi.
- la relation de l'Objet Dynamique avec l'interprétant final établie à tra­
vers le signe (c'est-à-dire la relation Od > If qui est la composée des rela­
tions Od > S déjà fixée ci-dessus et S > If) notée Ω.
- la relation de l'Objet Dynamique avec l'interprétant Dynamique notée
Ω'.
- la relation de l'Objet Dynamique avec l'interprétant Immédiat notée Ω".
On voit que, par rapport à l'hexade A, les trois premiers éléments sont
inchangés tandis que les trois autres ont été simplement composés avec la
relation de l'Objet Dynamique au signe, déjà fixée. Les deux hexades sont
bien équivalentes. Nous allons maintenant montrer qu'il y a une correspon­
dance terme à terme entre les classes de phénomènes sémiotiques élémen­
taires décrits respectivement par l'hexade A' et par l'hexade A, étant en­
tendu qu'un objet est un signe dès lors que l'un des éléments de sa décom­
position phanéroscopique est impliqué dans un phénomène sémiotique
élémentaire. Autrement dit, il nous suffira de déterminer les cheminements
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 213

possibles de toutes les "formes" (respectivement un tertian, un secondan,


un priman) provenant d'un objet  jusqu'à l'interprétant final (chemine­
ment chronologique) mais en considérant que chacun d'eux est gouverné
par un cheminement logique qui est celui des déterminations catégorielles,
comme nous l'avons vu. Avant de dresser le tableau des correspondances
nous allons montrer sur un exemple la façon dont nous procèderons pour
établir ce tableau.
Soit la classe de signes hexadiques, obtenue avec l'hexade B, caractéri­
sée par le sextuplet suivant:
(od.3, oi..3, s.3, i f .3,i d .2, L 1)
ou, avec des notations plus laconiques: (3, 3, 3, 3, 2,1). Cette classe est cel­
le d'un signe dont l'objet dynamique est un tertian (par exemple le concept
de justice: un universel abstrait), l'objet immédiat un tertian (par exemple
la notion d'équilibre), le signe un tertian (l'équilibre d'une balance), l'inter­
prétant final un tertian (la justice telle que la conçoit l'interprète, la particu­
larité du concept pour cet interprète dans les circonstances particulières de
l'interprétation: un universel concret) l'interprétant dynamique un secon­
dan (l'effet produit sur l'interprète par la perception du signe, effet consis­
tant dans l'association de l'équilibre d'une balance avec l'équité de la justi­
ce, ce qui présuppose une expérience collatérale de l'interprète ayant pro­
duit l'intériorisation de cette association au cours "d'actes" de justice, réels
ou imaginaires, dont il a été le témoin ou l'acteur) et enfin l'interprétant im­
médiat un priman (un sentiment "d'équilibre de la balance").
A cette classe nous faisons correspondre le signe hexadique obtenu
avec l'hexade A' de la manière suivante:
Le signe est un tertian (l'équilibre d'une balance) lié à son objet dyna­
mique par une relation  de type 3, tiercéité authentique, et donc l'objet
immédiat est un tertian (la notion d'équilibre). L'objet dynamique est lié à
l'interprétant final par une relation Ω de type Γ3, à l'interprétant dynamique
par une relation Ω' de type '3, tiercéité dégénérée au premier degré, et à
l'interprétant immédiat par une relation Ω" de type "3, tiercéité dégénérée
au deuxième degré. Ce signe sera représenté par le sextuplet:
(s.3, 3, i..,3,  3 , "3) en abrégé (3, 3, 3, 3, 3 "3)
La correspondance n'est pas immédiate avec l'hexade  car il faut dé­
duire — ce qui est évident — que Od est un tertian du fait que Oi. est un ter­
tian; mais pour ce qui est des interprétants de l'hexade  ils sont immédia­
tement déduits du fait que l'objet immédiat est un tertian, source successi-
214 L'ALGEBRE DES SIGNES

vement de Γ3 (ce qui implique que l'interprétant final est un tertian), de '3
(ce qui implique que l'interprétant dynamique est un secondan), et de "3,
ce qui implique que l'interprétant immédiat est un priman.
On établira le tableau des correspondances après avoir remarqué, ce
qui établit la biunivocité de la correspondance, que dans le diagramme de la
Figure 73 (où Φ est l'inclusion de Oi. dans Od) les modes d'êtres de tous les
éléments mentionnés sont déterminés dès lors que l'on connaît soit ceux de
(Od, Oi., S, If, Id, I.), soient ceux de (S, Γ, Ο., Ω, Ω', Ω").

Figure 73.

Dans ce schéma Φ représente l'inclusion de l'Objet Immédiat dans


l'Objet Dynamique. Nous pouvons maintenant dresser le Tableau 5 qui ras­
semble toutes les classes de signes hexadiques possibles.
Nous en concluons qu'il y a exactement 28 classes de signes hexadiques
qui peuvent être décrites de deux façons différentes ce qui montre que
l'hexade  et l'hexade A' (ou l'hexade A) sont équivalentes puisqu'elles
conduisent à la même division des signes hexadiques. Comme Jappy le sug­
gère, une description (hexade A ou A') met l'accent sur les relations entre
éléments, l'autre (hexade B) sur la décomposition des éléments suivant les
catégories phanéroscopiques. Comme on pouvait s'y attendre, hexade A et
hexade  sont deux modélisations équivalentes des phénomènes sémioti-
ques analysés en six éléments.
Peirce a donné un nombre considérable de dénominations pour les tri­
chotomies de chacun des éléments ou de chacune des relations choisis dans
les deux hexades. Dans le Tableau 6 nous en avons regroupé un certain
nombre (relatives à l'hexade B) et il est quasiment certain que ía liste n'est
pas exhaustive. Nous avons souligné dans chaque case la dénomination qui
nous parait la meilleure, soit qu'elle manifeste une préférence marquée de
Peirce, soit qu'elle se soit imposée par la suite, soit qu'elle nous paraisse la
mieux indiquée.
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 215

Tableau 5.

HEXADE  HEXADE 

°d °i S
*f Jdl h\ s  °i ΩJ Ω* Ω" J
1 3 3 3 3 3 3 
■ 3

 3
"M
2 3 3 3 3 3 2 3  3 
 
  }
3 3 3 3 3 3 1 3  3   
   
4 3 
3 3 3 2 2 3 
 3
 1
 


5 3 3 3 3 2 3 
 3 
 3 
6 3 3 3 3 3   
1
 3
 !  
7 3 3 3 2 2 2 1 3   
 3
  
8 3 3 3 2 2 1 1 3  3 
  


9 3 3 3 2 1 3 
 3 
   1»·
·
10 3 3 3 1 1 3 
 3 
 
11 3 3 2 2 2  
2
 3
  '
3
12 3 3 2 2 2 2 
 3 
 3
1
»
;
13 3 3 2 2 1 2 
 3 
  

14 3 3 2 1 1 2  3  "
  3 3
15 3 3 1 1 1 1  3  
  3 
16 3 2 2 2 2 2  2  
  3 
17 3 2 2 2 2 2  2 ' 
 
3 
'
18
19
3
3
2
2
2
2
2
1
1
1
2 
 2
 
3


··
ι 2 ' 2
¡?· 
3
'
20 3 2 1 1 1 l · 2 i ' » 

3
21 3 1 1 1 1 1 · 1   ··
 
22 2 2 2 2 2 2 2 2
23 2 2 2 2 2 2


2
2
 


2 

·2
2
2 2 2
24 2 2 2
25 2 2 2'
2 1 2 
2 2 
2 4 '
2
1 1 2 
2 2 '  '
2 2 2
r
26 2 2 1 1 1 1  2  
î
27

I 28
2
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1
1


2
2
^
1
1

| 
2

1
|2

2

!


2
1
Tableau 6.

216
Elément od °i s If Id Ii

Tertian Collectif Copulant Legisigné Pragma11st ique Usuel Relatif


Complexif Général Type Pour produire Logosème Significatif

Distributif Famisigne 1'autocontrôle Pensée Représentatif


Copulatif Signe combinant
Disposition
signifiante

Secondan Concrétif Désignâtif Sinsigné Pratique Percussif Catégorique

Expérience Dénotatif Token Pour produire Choquant Impératif


Indicatif Actisigne 1'action Ergoséme
Dénominatif Existant Conduite

Singulier Occurence
signifiante
L'ALGEBRE DES SIGNES

Priman Abstractif Descriptif Qualisiene Gratifique Sympathique Hypothétique |


Hypostatique Indéterminé Potisigne Congruent Ejaculatif
Idée Indéfini Abstraction Pathosème
Vague Tone Feeling
Mark

Idée signi­
fiante
[
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 217

Hormis pour la colonne "signe" toutes les dénominations se rapportent


au signe et doivent donc se lire de la manière suivante (exemples):
- un signe dont l'Objet Immédiat est un Tertian, est un copulant.
- un signe dont l'Interprétant final est un Secondan est un signe pratique.
- un signe dont l'Interprétant Immédiat est un Priman est un signe hy­
pothétique.
Afin de montrer comment on peut utiliser le tableau nous allons clas­
ser comme le fait Jappy, le cri de la rue "rags and bones", le cri du chiffon­
nier anglo-saxon. Jappy le classe en: Collectif, Copulant, Légisigne, Prati­
que, Percussif, Catégorique.
C'est un Collectif car le mot désigne une classe d'individus liée à une
classe d'objets (chiffons et chiffonniers sont interdéfinis).
C'est un Copulant puisque le cri désigne son auteur comme représen­
tant de cette classe, c'est-à-dire qu'il en a la généralité (peu importe dans ce
phénomène sémiotique la singularité de l'individu).
Pour Jappy c'est un légisigne en tant que signe de la langue, mais nous
pensons que c'est l'élément secondan impliqué dans le tertian linguistique,
à savoir l'émission de sons qu'implique la phonation des mots, qui participe
du phénomène sémiotique. S est donc un sinsigne.
- Il est Pratique car il vise à produire une action, à savoir que ceux qui l'en­
tendent donnent leurs chiffons à l'auteur du cri.
- Il est Percussif car il produit de manière réflexe l'idée des chiffons et
d'une conduite de recherche de ces derniers (tout auditeur pense qu'il a —
ou n'a pas — des chiffons à donner).
- Enfin il est évidemment Catégorique ou Impératif.
Nous le classons donc en: Collectif, Copulant, Sinsigne, Pratique, Per­
cussif, Catégorique.
"Rags and bones" se trouve donc classé à la onzième ligne du tableau
et il lui correspond donc le sextuplet (3, 3, 2, 2, 2, 2) selon l'hexade  et le
sextuplet (2, '3, 3, '3, '3, '3) selon l'hexade A'.
Les dénominations correspondant à la description du signe hexadique
selon l'hexade A' sont rassemblées dans le Tableau 7. Ces dénominations
sont, pour la plupart, relatives au signe. C'est pourquoi nous proposons,
avec toutes les réserves d'usage découlant de la polysémie des termes pro­
posés, des dénominations pour les correspondances compatibles dans la
dernière ligne de chaque case. Les dénominations de Peirce correspondent
donc en fait au type de l'élément de S qui est l'image de Oi. par les différen­
tes correspondances.
Tableau 7.
218

Elément
ou S  . Ω Ω' Ω"
*
Mode d'être

Tertian Legisigné Symbole | Loi Argument "soumis" "interprétable

Delome Raison dans des pen­

sées"

 J
Symbolisation Argumentation Compréhension Intellection
ι 1 "imposé" "interprétable
Secondan Sinsigné Indice Existant Dicisigne
Phème Compulsion dans des expé­

Proposition riences"
L'ALGEBRE DES SIGNES

Indexation Proposition Imposition Experientacion


 OU 
3 2

Priman Quaiisigné Icône Qualité Rhème "proposé à la "interprétable

Sème contemplation" dans des qua­

Terme j Sympathique lités de sen­

Suralsigné timent"

" ou  ou  Iconisation Qualification Impression Sensation


1 3 2 l|
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 219

reprenons en l'explicitant, le classement de "Rags and bones" dans ce


dernier tableau. Il lui correspond l'hexade (2, Γ'3, 3, '3, '3, '3) ce qui si­
gnifie que ce cri est un signe de loi, à savoir la loi selon laquelle il existe des
personnes qui ramassent des chiffons et qui se manifestent ainsi, autrement
dit qu'il y a identité entre la classe des chiffonniers et la classe des person­
nes qui lancent ce cri. L'interprète parvient à ce résultat qui est un universel
abstrait (car l'Objet Dynamique est un tertian) par Expérienciation (il fait
l'expérience du cri dans le fait) puis Imposition (une sorte d'association au­
tomatique impose la présence à son esprit de la notion de ramassage des
chiffons tel qu'il était institué dans la société du temps de Peirce) et enfin
sous forme d'assertion, un universel concret de l'universel abstrait, asser­
tion équivalente à: "il y a, là, dans la rue, un représentant de la classe des
chiffonniers" et donc un sentiment d'actualisation de la loi. Par rapport au
signe triadique étudié au chapitre IV qui nous a permis de classer le cri de
la rue comme Légisigne Indiciaire Dicent, il y a un écart (Légisigne/sinsi-
gne) qui provient du fait que la triade n'est pas suffisamment discriminante
quant à l'analyse du phénomène (ce qui nécessite le recours à la notion de
réplique), tandis que la distinction entre Objet Immédiat et Objet Dynami­
que produit mécaniquement la discrimination entre les Sinsignes qui peu­
vent être: Collectifs, Copulants ou Collectifs, Désignatifs ou Concrétifs,
Désignatifs. Ceci met en évidence un avantage certain du signe hexadique
sur le signe triadique.
Un autre exemple, analysé longuement par Jappy, mérite d'être étu­
dié. C'est le cas du mot "Beauté", que Peirce cite en exemple dans sa lettre
du 23 décembre 1908. Dans le modèle triadique ce mot est un symbole Thé­
matique comme tout nom commun. Cependant, fait observer Jappy, Peirce
en fait un Abstractif dans la classification produite par l'hexade B, ce qui
implique qu'il est un qualisigne car il appartient alors nécessairement à la
vingt huitième classe:
Par suite, l'Objet Dynamoïde peut être un Possible; quand j'appelle le Si­
gne un Abstractif; tel que le mot "Beauté" et il n'en sera pas moins un
Abstractif si je parle du "Beau" puisque c'est la référence ultime, et non la
forme grammaticale, qui fait du signe un Abstractif. (souligné par nous).
Jappy voit dans ce classement de Peirce, qui semble violer le principe
de la hiérarchie des catégories, une éventuelle incompatibilité entre les
deux taxinomies, hexadique et triadique. La solution qu'il propose ne nous
paraît pas satisfaisante. Le recours à la "mentalité" de l'interprétant, qui
n'est pas un Tertian mais une Priméité de la Tiercéité (conférer 1.533 et
220 L'ALGEBRE DES SIGNES

section 4 du chapitre IV) et à une conception chronologique du signe hexa-


dique débouchant sur une séparation radicale des deux taxinomies n'est pas
cohérent avec la continuité de la démarche peircienne. L'explication nous
paraît plutôt résider dans le membre de phrase que nous avons souligné ci-
dessus. Ce n'est pas la forme grammaticale du mot "beauté", c'est-à-dire le
fait que c'est un nom commun, qui fait du signe un Abstractif. Autrement
dit, le mot "beauté" n'est pas considéré comme un symbole rhématique.
Mais alors quel est l'élément qui le fait participer au phénomène sémioti-
que? Une seule réponse est possible: c'est un élément priman de sa décom­
position phanéroscopique, à savoir sa talité propre (suchness) qui fait du
mot "beauté", un Abstractif, alors que sa forme grammaticale qui est un
Tertian en fait un Collectif. Notre concepton suivant laquelle un objet (ici
le mot "beauté") devient un signe lorsqu'il participe à un phénomène sé-
miotique, jointe à la description des phénomènes sémiotiques sous forme
de combinaisons de phénomènes sémiotiques élémentaires, nous permet
donc de distinguer plusieurs phénomènes sémiotiques dans lesquels un ob­
jet peut être impliqué. Dans cet exemple, le mot "beauté", comme mot de
la langue, est impliqué par un tertian de sa décomposition phanéroscopique
(lorsqu'il est présent à un esprit) et c'est un Collectif; par sa talité propre il
est impliqué par un priman dans un autre phénomène sémiotique et il peut
être un Abstractif. Cependant ces implications ne sont pas sans relation:
comme Collectif il s'applique à la classe des choses qui possèdent la qualité
d'être "belles", c'est-à-dire que la collection des objets et leur caractère
commun, la beauté, sont interdéfinis. De plus, le mot "beauté" peut être
impliqué par un secondan de sa décomposition phanéroscopique comme
dans le cas d'un appel ("Hé! Beauté!") et dans ce cas il peut être Concrètif.
Nous concluons donc que le passage du signe triadique au signe hexa-
dique constitue certainement un gain d'intelligibilité des phénomènes sé­
miotiques et qu'il engendre une unique partition de ces phénomènes en 28
classes distinctes, chaque classe pouvant être caractérisée de deux façons,
l'une mettant l'accent sur le cheminement des "formes", l'autre sur les rela­
tions entre les différentes étapes de ce cheminement. Le gain d'intelligibili­
té peut être mesuré, d'ailleurs, dans le passage de 10 classes à 28 classes, ce
qu'on peut exprimer en disant qu'une partition plus fine d'une classe de
phénomènes étudiés traduit une meilleure intelligibilité de ces phénomè­
nes. La condition n'est évidemment pas suffisante: encore faut-il que les
éléments ou les caractères à partir desquels s'effectue la partition soient
vraiment essentiels. Mais nous pensons qu'en ce qui concerne le signe hexa-
dique il en est vraiment ainsi.
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 221

Nous allons maintenant traiter le signe hexadique, comme nous avons


traité le signe triadique, en procédant à sa phanéroscopie systématique.

3. Le treillis des signes hexadiques

Rappelons que la phanéroscopie systématique définie dans la section 2 du


chapitre IV consiste à associer aux phénomènes étudiés une catégorie algé­
brique et à considérer d'abord tous les foncteurs de cette catégorie dans la
catégorie algébrique (S) des catégories phanéroscopiques puis, le cas
échéant, à ordonner l'ensemble des foncteurs ainsi obtenus par les transfor­
mations naturelles de foncteurs.
Nous choisirons, pour des raisons de plus grande commodité, le signe
hexadique tel qu'il est décrit par l'hexade B. Nous lui associons la catégorie
algébrique (H) représentée Figure 74.

(H)

Figure 74.

C'est une catégorie à six objets dont tous les morphismes, hormis les
identités, peuvent être obtenus par composition des cinq morphismes notés
σ1 σ2,σ3,σ4',σ5 La catégorie (H) devient alors l'un des universaux mathé­
matiques de notre formalisation.
Considérons maintenant la catégorie (S) de la Figure 75 telle qu'elle

(s)

Figure 75.

est définie au début de la section 2 du chapitre IV. En appliquant les défini­


tions de l'annexe Ε nous allons d'abord donner deux exemples de foncteurs
choisis de façon qu'il existe entre eux une transformation naturelle puisque
ce n'est pas toujours le cas.
Le premier exemple est représenté par le diagramme de la Figure 76 et
les Tableaux 8 et 9 indiquent les objets et les morphismes que le foncteur
considéré met en correspondance.
222 L'ALGEBRE DES SIGNES

(H)

Figure 76.

Tableau 8.

Objets de (H)
od oi S
If Id Ii
Objets de ( S ) 3 2 2 2 1 1

Tableau 9.

Morphismes de (H) σ1 σ2 σ3 σ4 σ6
id
forphismes de (S) α id2 id2 β
1
En adoptant les mêmes conventions d'écriture qu'au chapitre IV nous
désignerons ce foncteur par le sextuplet (O d .3, oi..2, S.2, If.2, I d .l, I..1), en
abrégé (3, 2, 2, 2, 1,1). On voit qu'il correspond à la ligne n° 18 du tableau
5 de la section précédente qui est donc l'élément correspondant du cons-
tructum des signes hexadiques dont la catégorie des foncteurs de (H) dans
(S) est la catégorie algébrique "abstraite".
Le deuxième exemple est représenté par le diagramme de la Figure 77,
en notation abrégée (3, 3, 3, 2, 2, 1), correspondant à la ligne n° 8 du Ta­
bleau 5.

(H)

Figure 77.
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 223

Pour déterminer s'il existe une transformation naturelle entre ces deux
foncteurs que nous noterons Fa et F b , il convient de transformer successive­
ment chacun des objets par les deux foncteurs, puis de vérifier s'il existe
pour chaque couple d'objets de S ainsi obtenus un morphisme de S qui les
met en correspondance.
Fb(Od) = 3 et Fa(Od) = 3 sont reliés par id3.
Fb(oi.) = 3 et Fa(oi.) = 2 sont reliés par a.
Fb(S) = 3 et Fa(S) = 2 sont reliés par a.
Fb(If) = 2 et Fa(If) = 2 sont reliés par id r
Fb(Id) = 2 et Faa(Id) = 1 sont reliés par β.
Fb(I.) = 1 et Fa(I.) = 1 sont reliés par id r
Donc le sextuplet (id3, a, a, id2, ß, idx), en abrégé (-, a, a, -, β, -) r
les identités peuvent être toutes représentées par le même trait puisqu'il n'y
a pas d'ambiguïté possible, définit une transformation naturelle τ de F b
dans Fa: t(Fb) = F . On voit facilement qu'une règle permettant de détermi­
ner s'il existe une transformation naturelle entre deux foncteurs est que
chaque chiffre de l'un des sextuplets caractérisant l'un des foncteurs soit su­
périeur ou égal à chaque chiffre de l'autre sextuplet situé à la même place,
et l'on peut du même coup écrire le sextuplet de morphismes qui définit la
transformation naturelle. Par exemple entre (3, 3, 2, 2,1,1) et (3,3, 3,1,1,
1) il n'y a pas de transformation naturelle et entre (3, 3, 3, 3, 2, 1) et (3, 3,
2,1,1,1) il y a une transformation naturelle définie par (-, -,, α, βα, β, -).
On peut montrer facilement que toutes les transformations naturelles
possibles entre les 28 foncteurs de (H) dans (S) sont des composés des
transformations naturelles élémentaires, ces dernières étant des transfor­
mations naturelles qui comportent un seul morphisme (a ou β) différent
d'une identité. Nous les désignerons par la lettre α ou β indexée par un chif­
fre (entre 1 et 6) indiquant la place du morphisme qui est différent de l'iden­
tité dans le sextuplet. Ainsi on a: α2 = (-,α,-,-,-,-); α3 = (-,-,α,-,-,-); β5 = (-
,-,-,-,β,-); et on peut vérifier que la transformation naturelle τ entre F b et Fa
est égale à l'un quelconque des trois produits α2α3β5, α2β5α3, β5α2α3· Comp­
te tenu de ces conventions d'écriture il est facile de vérifier que l'ensemble
des 28 foncteurs de (H) dans (S) muni des transformations naturelles élé­
mentaires possède une structure de treillis représenté Figure 78 et nommé:
treillis (SH) des classes de signes hexadiques. Sur ce treillis,les foncteurs Fa
et F b ont été marqués d'un astérisque.
En remplaçant chacune des classes décrites selon l'hexade  par la
classe correspondante décrite selon l'hexade A', on obtient une autre ver-
224 L'ALGEBRE DES SIGNES

(SH)

Figure 78.
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 225

sion du treillis, dite version relationnelle (Figure 79), dans lequel les mor-
phismes élémentaires sont des sextuplets de morphismes du treillis (Ph) des
catégories phanéroscopiques ou des morphismes α et β. Lorsqu'un seul
morphisme est différent de l'identité sa place est indiquée par le chiffre qui
suit ce dernier. Dans les autres cas le sextuplet est développé.
Selon le type d'analyse menée, c'est-à-dire selon les caractères d'un
phénomène sémiotique auquel on porte plus particulièrement attention, on
utilisera l'un ou l'autre treillis.
Le signe hexadique n'est finalement qu'une complication du signe tria-
dique dans le sens qu'une classe de signes triadiques donnée se trouve sub­
divisée en autant de signes hexadiques qu'il y a de façons d'arriver à l'inter­
prétant final en trois "pas" effectués dans le treillis (Ph) des catégories pha­
néroscopiques. Il suffit, afin de déterminer ces subdivisions pour chacun
des signes triadiques, de relever dans les colonnes S, Γ et Ω du tableau des
correspondances les triplets identiques à ceux qui caractérisent les signes
triadiques. On obtient le Tableau 10 dans lequel les trois dernières colonnes
proviennent du Tableau 5, hexade B, colonnes Od, S et If tandis que la troi­
sième contient les classes de signes hexadiques qui peuvent être considérées
comme autant de subdivisions du signe triadique correspondant. Ceci met
en outre en évidence que le treillis (CS) peut être obtenu d'une manière
analogue au treillis (SH) dans sa version correspondant à l'hexade B, c'est-
à-dire par la phanéroscopie des corrélats. En effet, en considérant la caté­
gorie algébrique Od >S >If, et en procédant à sa phanéroscopie sys­
tématique, nous obtenons exactement dix foncteurs caractérisés par les tri­
plets d e chiffres des trois dernières colonnes d u Tableau 10.
Ces trois chiffres décrivent, en quelque sorte, le cheminement de la
forme élémentaire en "oubliant" trois des étapes q u e le signe hexadique
prend en compte.
D e plus, le treillis (CS) peut être déduit du treillis (SH) en procédant
au regroupement des classes de signes hexadiques suivant les indications du
Tableau 10, comme l'indique la Figure 80.
Ceci montre, p a r exemple, qu'on peut distinguer, suivant la manière
dont on est arrivé à la conclusion d'une interprétation, six types d'argu­
ments, trois types de symboles dicents, e t c . , ce qui recoupe de nombreu­
ses distinctions faites ici où là par Peirce.
226 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 79. '


PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 227

Tableau 10.

Signe triadique Nom Signes hexadiques


°d S
4
s.3, Γ- , Γ3- Argument 1,2,3,4,5,6 3 3 3

Symbole
s.3, Γ ] . Γ^ 7,8,9 3 3 2
Dicent

Symbole
s.3, Γ 3 , Γ£ Rhématique 10 3 3 1

Légisigne
(s.2,s.l),r^,r^ Indiciaire 11,12,13,16,17,18 3 2 2
Dicent

Légisigne
(s.2,s.l), Γ^,Γ^ Indiciaire 14,19 3 2 1
Rhématique

Légisigne
(s.l.r.l.t.l) Γ5 £ 15,20,21 3 1 1
Iconique

Sinsigné
s.2, ^ > ^ Indiciaire 22,23,24 2 2 2
Dicent

Sinsigné
S.2,  2 . · Indiciaire 25 2 2 1
Rhématique

(s.l.r.l) £,£ Sinsigné


Iconique
26,27 2 1 1

| . . ι . Γ ι .  Quaiisigné 28 1 1 1
228 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 80.

4. La redondance de la decade

Dans ses lettres et brouillons de lettres de Décembre 1908, Peirce expose à


Lady Welby sa conviction qu'il y a, en plus de six divisions de l'hexade B,
quatre autres divisions "du même ordre d'importance", ce qui le conduit
donc à un total de dix critères selon lesquels on pourrait diviser les signes.
Ces dix critères sont rassemblés dans 8.344 reproduit ci-dessous. Pour cha­
cun des critères nous avons indiqué entre parenthèses dans laquelle ou les­
quelles des trois hexades A, A',  on pouvait le retrouver:
Les dix critères selon lesquels les principales divisions des signes sont dé­
terminées sont les suivants:
1. selon le Mode d'Appréhension du Signe lui-même (Α,Α',Β)
2. selon le Mode de Présentation de l'Objet Immédiat (Α,Α',Β)
3. selon le Mode d'Etre de l'objet Dynamique (B)
Tableau 11

Cat s s-od I. s S, 0, I
°i °d h -h *f S-I
1

Pragmatis-
3 Famisigne Copulant Collectif Symbole Relatif Usuel Indicatif Argument Formel
tique

2 Actisigne Désignâtif Concretif Indice Catégorique Percussif Impératif Pratique Dicisigne Expérencielj

Hypothéti­ Sympathi­
1 Potisigné Descriptif Abstractif Icône Suggestif Graphique Rhème Instinctif
que que
1
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE
229
230 L'ALGEBRE DES SIGNES

4. selon la Relation du Signe avec son Objet Dynamique (A)


5. selon le Mode de Présentation de l'Interprétant Immédiat (B)
6. selon le Mode d'Etre de l'Interprétant Dynamique (B)
7. selon la Relation du Signe avec l'Interprétant Dynamique (A)
8. selon la nature de l'Interprétant normal (B)
9. selon la Relation du Signe avec l'Interprétant Normal (A)
10. selon la Relation Triadique du Signe avec son Objet Dynamique et
son Interprétant Normal (A').(8.344)
Cette énumération et les attributions que nous avons faites aux diffé­
rentes hexades appellent quelques remarques et justifications:
- on ne retrouve pas l'un des critères de l'hexade A, à savoir la relation du
signe avec son interprétant immédiat, mais par contre on retrouve les six
critères de l'hexade B. A strictement parler, on ne peut donc pas dire que
la décade est obtenue par fusion de l'hexade A et de l'hexade B.
- nous avons interprété le dixième critère comme concernant la relation de
l'Objet Dynamique avec l'interprétant normal (ou final) à travers le signe.
- nous interprétons les termes "Mode d'Appréhension", "Mode de Présen­
tation", "Mode d'Etre", et "Nature" comme renvoyant aux caractéristiques
phénoménologiques des éléments du signe auxquels ils se rapportent. Ceci
est justifié par le fait que chacun va donner lieu à trichotomie, en référence
donc aux catégories phanéroscopiques.
Ces trichotomies sont regroupées dans le Tableau 11, dans l'ordre indi­
qué par Peirce tel qu'il a été retranscrit par Jappy à partir des lettres de
1908. Cet ordre est le même que celui qui a été retenu par Burks et Weiss
(1945).
Dans le Tableau 12 nous donnons un relevé systématique des ordres
des trichotomies tels qu'ils sont présentés par Peirce, d'abord dans le signe
triadique, puis dans l'hexade A de 1904, dans l'hexade  de 1908 et enfin
dans la "décade" de 1908, successivement dans la même lettre que l'hexade
B, puis dans 8.344 qui figure dans un brouillon de lettre écrit postérieure­
ment. Les dernières lignes indiquent l'ordre retenu par Lieb (Hardwick:
1977) et par Kawama (1976). Cependant une remarque a priori doit être
faite concernant ce tableau: le seul ordre correspondant à une indication
explicite de Peirce quant à la détermination des éléments est celui de
l'hexade  (Lieb conserve cet ordre en identifiant, comme Burks et Weiss,
Interprétant destiné et Interprétant immédiat, à l'intérieur de l'ordre dans
lequel Peirce présente les dix trichotomies).
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 231

Tableau 12.

S °i °d s-°d h 
1 h Μ
<1 X
f S-If S,0,1

Triade 1 2 3

Hexade A 1904 1 3 2 6 5 4

Hexade  1908 3 2 1 6 5 4

Peirce 23/12/08 3 2 1 7 6 5 8 4 10 9

Peirce 8-344 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10

Lieb 3 2 1 4 5 6 7 8 9 10

Kawama 3 2 1 7 4 5 8 6 9 10

Par ailleurs Jappy propose un ordre non linéaire afin de lever les con­
tradictions qu'il relève en étudiant des exemples. Il s'appuie sur le fait que,
selon Peirce, la relation S  du signe triadique détermine la relation
S If, ce qui l'autorise à supposer qu'il en est de même pour la relation
S Id. Cependant nous allons voir que notre formalisation nous conduit
à rejeter la notion de décade car nous montrerons que les trichotomies sup­
plémentaires par rapport à l'hexade  n'introduisent aucune distinction
nouvelle et sont de ce fait redondantes. En indiquant que les dix trichoto­
mies conduisent à 66 classes de signes Peirce supposait, bien qu'il ne l'ait ja­
mais indiqué, que ces dix trichotomies pouvaient être munies d'un ordre li­
néaire (c'est-à-dire qu'il existait une application croissante de l'ensemble
ordonné des dix premiers entiers dans l'ensemble des dix trichotomies). En
effet une telle supposition conduit comme l'ont vérifié Burks et Weiss, Lieb
et Kawama à 66 classes valides, compte tenu de la hiérarchie des catégories.
Il est équivalent de constater, dans notre perspective de phanéroscopie sys­
tématique que les foncteurs d'une catégorie isomorphe à l'ensemble ordon­
né des dix premiers entiers dans la catégorie (S) sont exactement au nom­
bre de 66. Les difficultés que Peirce a lui-même soulignées, le caractère dis­
parate des ordres révélé par le tableau précédent donnent à penser a priori
232 L'ALGEBRE DES SIGNES

qu'il n'y a pas une erreur dans le choix de l'ordre des trichotomies, mais
que le caractère redondant des nouvelles trichotomies, masqué par l'im­
précision du vocabulaire et l'absence de définition formelles rigoureuses,
n'est pas apparu en pleine lumière. Ce qui était déjà déterminé dans l'hexa-
de (l'une ou l'autre puisque nous avons déjà noté qu'elles étaient équiva­
lentes, ce qui préfigurait déjà l'argumentation que nous soutenons actuelle­
ment) n'est pas apparu comme tel, ce qui a motivé l'introduction de nouvel­
les trichotomies. Cependant, et pour cause, il n'a pas été possible de déci­
der par quoi elles étaient déterminées ce qui expliquerait l'absence de toute
référence sur ce point.
Notre formalisation nous permet en effet d'affirmer, en partant de
l'hexade B, que si une "forme" Oi. (c'est-à-dire un produit relatif de pri-
mans, secondans et tertians) est transmise depuis Od jusqu'à S, alors la rela­
tion S Od est déterminée en ce sens qu'elle est un produit relatif de cor­
respondances 1 ,2, 3 et/ou de leurs formes dégénérées. Autrement dit, la
donnée de Oi. et de S détermine S Od (il serait plus correct d'écrire Od—
—S mais nous conservons pour cette discussion les notations de cette sec­
tion). Oi. elle même est déterminée comme "sous-forme" de la structure ei-
détique de O d , ce qui explique que Peirce désigne quelquefois l'Objet Im­
médiat comme un Objet "dégénéré". Ensuite, cette forme étant incorporée
dans les configurations perceptives de S elle détermine tout le processus lo­
gique dont l'esprit est le siège, à savoir qu'elle est un horizon indépassable
dans le temps de l'interprétation, ce qui détermine S If, S Id et S—
—Ii. puisque If, Id et I. sont eux mêmes déterminés. Ceci montre d'ailleurs
l'intérêt qu'il y a à faire l'analyse du signe hexadique comme nous l'avons
menée, avec l'hexade A', car cela nous permet de juger du "cheminement"'
de la forme par comparaison, grâce aux différentes correspondances, avec
la forme initiale. C'est finalement ce que Peirce ébauchait dans sa dixième
trichotomie qui fait, en quelque sorte, le bilan de ce cheminement en met­
tant en correspondance la forme "du départ" avec celle "de l'arrivée". Mais
là aussi, nous l'avons vu, cette correspondance est déterminée par sa source
et son but et la trichotomie n'aboutit à subdiviser aucune des classes hexadi-
ques.
Par contre ce qui peut certainement être fait c'est d'utiliser ces tricho­
tomies redondantes pour élaborer d'autres caractérisations des signes hexa-
diques, toujours équivalentes à l'hexade B, comme nous l'avons fait pour
l'hexade A'. Ceci peut être utile suivant le type de problème analysé en sui­
vant le but poursuivi par l'analyse sémiotique afin de mieux saisir les carac-
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 233

tères les plus apparents d'un phénomène sémiotique. La seule contrainte à


laquelle devra se plier toute nouvelle description c'est que l'ensemble des
éléments choisis conduise par le jeu des trichotomies et de leurs détermina­
tions aux mêmes classes de signes hexadiques.
Cependant on peut encore se poser la question: peut-on faire d'autres
distinctions essentielles qui permettraient, sans redondance, d'affiner le
modèle d'analyse? Ce n'est certainement pas du côté de l'objet ou du signe
qu'on peut espérer réaliser ce programme. Par contre, étant donné que
dans l'interprétant dynamique nous avons englobé tout un processus de dé­
terminations successives ayant pour limites l'interprétant immédiat d'un
côté et l'interprétant final de l'autre, c'est à ce niveau là qu'une investiga­
tion peut se révéler heuristique, d'autant plus que Peirce ne nous a pas mé­
nagé les distinctions et les dénominations. Nous allons donc examiner main­
tenant cette question, ce qui nous permettra de conclure en procédant à
l'évaluation annoncée sur le degré optimal de formalisation qu'il est souhai­
table d'atteindre.

5. Au dela de l'hexade?

Les subdivisions multiples et les dénominations variées des différents gen­


res d'interprétants ont donné lieu à une abondante littérature qui, en l'ab­
sence de définitions formelles acceptées par tous, ne pouvait que donner
l'impression de débats théologiques n'intéressant que des spécialistes, sans
compter l'inflation de formalismes "locaux" tenant souvent du bricolage in­
tellectuel sans aucun principe directeur acceptable ou avouable. De cette
littérature émerge le travail de T.L. Short (1979), "Peirce's division of inter­
pretants", pour le sérieux de sa documentation et l'apparente rigueur de son
exposition. Pour ces raisons, et aussi parce qu'à l'occasion cela nous per­
mettra d'expliquer dans une large mesure les difficultés que peut rencontrer
dans son développement la sémiotique d'inspiration peircienne, nous allons
en débattre. Car la conclusion de Short est qu'il n'y a rien moins que douze
types d'interprétants ce qui nous semble de nature à dissuader les cher­
cheurs non avertis qui se tourneraient vers la sémiotique peircienne pour
informer leurs problématiques. Bien qu'il n'y ait évidemment aucun a priori
sur le nombre des caractères essentiels qui font qu'un phénomène sémioti­
que est ce qu'il est, le saut de trois à douze est d'une telle amplitude qu'on
peut craindre d'être en présence d'un processus inflationniste engendré par
234 L'ALGEBRE DES SIGNES

un formalisme aveugle. C'est ce que nous allons nous efforcer de montrer.


La thèse de Short consiste d'abord à repérer deux trichotomies de l'in­
terprétant dans les écrits de Peirce:
- la première en émotionnel-énergétique-logique (5.475,476)
- la deuxième, la plus souvent mentionnée dans les écrits de Peirce, celle
que nous avons retenue prioritairement, en immédiat, dynamique et final.
Nous partageons sans peine l'essentiel des conceptions de Short
concernant la deuxième trichotomie mais nous contesterons le fait que la
première soit une trichotomie de l'interprétant "en général", au même titre
que la seconde, et donc que l'on soit fondé à croiser les deux trichotomies
pour générer neuf types. Certes il y a neuf possibilités si l'on considère glo­
balement l'ensemble des interprétants de manière indifférenciée. La même
conception conduirait à dire qu'il y a neuf types d'éléments dans un signe en
croisant S, O, I avec les trois modes d'être. C'est évidemment un point de
vue qui ne tient pas compte des déterminations et du caractère triadique du
signe qui exige de ne retenir que les combinaisons valides eu égard aux dé­
terminations catégorielles. Autrement dit les distinctions de Short ne sont
pas des distinctions pertinentes du point de vue de l'analyse des phénomè­
nes sémiotiques. Il leur manque de préciser quels sont les triplets d'inter­
prétants valides qu'on peut discerner dans un phénomène sémiotique réel,
ce qu'il fait presque lorsqu'il conclut que chaque signe a exactement un in­
terprétant immédiat, exactement un interprétant final, et un nombre fini
d'interprétants dynamiques, commençant avec zéro.
Les triplets d'interprétants valides sont évidemment pour nous ceux
qui figurent dans l'ensemble des signes hexadiques décrits par l'hexade B.
On peut soit les relever dans le tableau des correspondances entre l'hexade
 et l'hexade A'dans les colonnes If, Id ,Ii, et constater qu'il y a exactement
dix triplets distincts admissibles, soit procéder à la phanéroscopie systémati­
que de la catégorie If Id Ii.
Nous ne rentrerons pas pour l'instant dans la discussion sur les inter­
prétants logique, ultime et verbal, nous réservant d'en donner une explica­
tion possible dans le chapitre VII consacré à l'étude de la sémiosis. Les in­
terprétations deviennent en effet périlleuses: par exemple Short prétend
décider que dans 5.491 Peirce utilise "final" dans le sens "d'ultime" et que
dans 8.314 il utilise "ultime" dans le sens de "final"! De même Short, dans
une note, admet que certains écrits de Peirce semblent confondre les deux
trichotomies dont il a été question ci-dessus mais déclare faire confiance
aux écrits de 1909 contre ceux de 1906-1907. Il y a là l'indice d'un glisse-
PERFECTIONNEMENT DU MODÈLE TRIADIQUE 235

ment vers des débats auxquels les marxistes nous ont habitués et dont il
vaut mieux se préserver car ils sont véritablement sans avenir.
Quoiqu'il en soit la distinction entre des interprétants ultimes et non
ultimes ne saurait relever d'un phénomène sémiotique stricto sensu tel que
nous l'avons défini. Nous verrons que cette distinction peut éventuellement
s'établir dans le cadre d'une analyse du processus d'institution des significa­
tions et qu'il se rapporte donc à un niveau d'analyse qui intègre les phéno­
mènes sémiotiques dans des phénomènes sociaux d'une plus grande am­
pleur.
Pour l'heure il nous semble qu'aucune distinction nouvelle relevant de
la nécessité formelle ne s'impose, d'autant plus que l'économie de la dé­
marche scientifique nous incite, plutôt que de songer à perfectionner le mo­
dèle hexadique, à en chercher les limites dans son application à la descrip­
tion des phénomènes, afin de voir s'il en facilite réellement l'intelligibilité.
C'est seulement ainsi que peuvent apparaître de nouvelles nécessités sus­
ceptibles d'orienter la recherche vers une complication du modèle qui soit
toujours en accord avec les faits.

6. Conclusion du chapitre cinquième

Il n'y a donc pas pour l'instant de nécessité formelle autre que celle d'avoir
à rendre compte de la combinatoire grâce à laquelle les phénomènes sémio­
tiques élémentaires s'aggrégent pour produire la présence à l'esprit d'objets
d'une grande complexité et d'une grande hétérogénéité puisque, faut-il le
rappeler, un livre entier aussi bien qu'un paysage urbain, l'expression d'un
visage, l'exécution d'une symphonie, l'oeuvre entière d'un peintre ou le
comportement d'un individu sont des signes, dans la mesure évidemment
ou leur perception produit la présence à l'esprit d'objets autres qu'eux mê­
mes. Nous en resterons donc au signe hexadique avec le sentiment que nous
sommes encore loin d'en trouver les limites. Si l'on en croit Peirce, qui
pourtant commentait le signe triadique:
C'est un problème qui exige beaucoup de minutie que de dire à quelle
classe un signe donné appartient, puisque toutes les circonstances du cas
doivent être prises en considération. (2.260).
Mais fort heureusement Peirce continue ainsi:
Mais il est rarement requis d'être très précis, car si l'on ne localise pas le si-
236 L'ALGEBRE DES SIGNES

gne avec précision, il sera facile d'arriver suffisamment prés de son carac­
tère pour les besoins ordinaires de la logique.
On conçoit d'ores et déjà que les difficultés proviendront de l'élément
que nous avons écarté dans la modélisation hexadique, c'est-à-dire de la
forme individuelle pour l'interprète du ou des objets d'un signe, dont nous
avons supposé qu'elle contenait la structure eidétique de l'objet, la référen­
ce universelle pour une communauté. Toute analyse d'un phénomene sé-
miotique réel sera donc par nature, polémique. Mais la méthode d'analyse,
dans la mesure où elle mérite le qualificatif de "scientifique" est au delà de
ces polèmiques que seule la particularité qui accompagne son application
introduit. L'erreur consisterait à vouloir retrouver la paix et le consensus
par la normalisation qui consiste à ériger en structure universelle une struc­
ture dominante et/ou majoritairement reconnue. C'est la tentation positi­
viste, toujours présente et cultivée, symétrique de la tentation négativiste
qui prend prétexte du terrorisme de la norme pour nier toute vérité univer­
selle, ou de l'attitude relativiste qui lui est équivalente et qui ne cesse d'af­
firmer que chacun détient une parcelle de la vérité et donc que tous les sa­
voirs ont la même valeur scientifique.
CHAPITRE SIXIÈME

Architectonique des significations

J'entends par architectonique l'art des systè­


mes. Comme l'unité systématique est ce qui
convertit la connaissance vulgaire en science,
c'est-à-dire ce qui d'un simple agrégat de
connaissances fait un système, Γ architectoni­
que est donc la théorie de ce qu'il y a de scien­
tifique dans notre connaissance en général, et
ainsi elle appartient nécessairement à la
méthodologie.
E. Kant — Critique de la raison pure
Méthodologie transcendantale,
chapitre III.

1. Les limites de la connaissance scientifique des phénomènes sémioti-


ques

Dans la section 6 du chapitre III nous avons montré qu'on pouvait prendre
en charge formellement l'unité du phaneron par le biais des structures rela­
tionnelles et des correspondances compatibles entre ces structures. C'est la
notion de somme (ou colimite) d'un diagramme telle qu'elle est définie en
annexe D qui nous a permis cette formalisation. La notion duale de produit
(ou limite d'un diagramme) permet de rendre compte de la qualité sui g­­
néris (ou talité, "suchness") de chaque phaneron.
La question que nous allons maintenant aborder est un peu plus com­
plexe mais n'est pas sans relation avec ce qui vient d'être évoqué. Il s'agit
en effet maintenant de rendre compte de l'unité des phénomènes sémioti-
ques qui, selon nous relèvent d'une phénoménologie "de seconde inten­
tion". La formalisation à effectuer sera donc aux phénomènes sémiotiques
238 L'ALGEBRE DES SIGNES

ce que la formalisation réalisée au chapitre III est aux phénomènes "ordi­


naires" ou "de première intention". C'est-à-dire qu'elle devra à la fois pren­
dre en charge,avec leurs interrelations, l'unité formelle du signe, l'unité for­
melle de l'objet et l'unité formelle de la conscience interprétante qui fond
en une unité d'ordre supérieur le signe, l'objet et la détermination de l'es­
prit par l'objet à travers le signe.
Jusqu'ici notre démarche a essentiellement consisté à inventorier et à
classer des phénomènes sémiotiques et nous avons fait ceci à deux degrés
successifs de complexité, la triade et l'hexade. En termes pratiques nous
avons maintenant à faire face au problème suivant:
- un objet ou un ensemble d'objets (un signe) appartenant au champ de
l'expérience (actuelle et/ou passée) est présent à un esprit, ce qui selon no­
tre hypothèse fondamentale est équivalent au fait que sa ou ses structures
eidétiques sont formées par cet esprit et que leur diagramme dans la catégo­
rie eidétique est totalisé et cototalisé par cet esprit.
- certaines sous-structures des structures relationnelles associées à la per­
ception de ces objets qui constituent le signe sont des images par des corres­
pondances compatibles de sous-structures caractéristiques d'autres objets
absents du champ de l'expérience et qui de ce fait sont présents au même
esprit.
- cette présence à l'esprit d'autres objets que ceux présents dans le champ
de l'expérience (au sens large) est rendue possible par le fait que l'esprit
établit des correspondances entre ce que nous avons appelé les structures
vécues (celles des objets du signe et celle des objets de l'objet du signe) qui
sont les particularités des correspondances établies entre objets ou ensem­
bles d'objets dans une communauté sémiotique donnée. Nous avons traité
le problème ci-dessus pour les éléments des structures relationnelles obte­
nus par la réduction triadique (chapitre III, section 3). Il reste donc mainte­
nant à décrire comment, à partir de cet acquis, on peut rendre compte de la
présence à l'esprit d'objets qui ont un degré de complexité aussi élevé que
l'on veut. Autrement dit,nous devons, à partir de l'unité formelle du pha-
neron correspondant à la perception du signe, construire l'unité formelle du
phaneron correspondant à l'objet du signe. Au demeurant, c'est une dé­
marche très classique en matière scientifique et ce fut celle de Peirce com­
me il l'explicite quelquefois, par exemple en 2.230:
Mais l'ensemble des objets [d'un signe] peut être regardé comme formant
un objet complexe. Dans ce qui suit et souvent ailleurs, nous ferons com­
me si les signes n'avaient chacun qu'un seul objet dans le but de sérier les
difficultés.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 239

Nous pouvons, d'ores et déjà, reconnaître les limites de notre projet:


nous ne pourrons opérer que sur des classes de phénomènes sémiotiques
produits à partir d'une combinaison des classes de phénomènes sémiotiques
élémentaires. En effet, quand nous saisissons un élément priman, secondan
ou tertian de la structure relationnelle associée à la configuration perceptive
du signe, nous le saisissons comme priman, secondan ou tertian, c'est-à-dire
par la catégorie phanéroscopique à laquelle il appartient et toutes les rela­
tions qu'il peut entretenir avec d'autres éléments appartenant à d'autres ob­
jets sont saisis par notre modèle comme relations intercatégorielles et non
comme relations entre les éléments qui résulteraient d'une décomposition
réelle, lesquels éléments sont faits de qualités de sentiments (de monade,
de dyade, de triade) réellement éprouvées par un individu existant. Il est
clair que nous venons de souligner par là la distance qui existe entre notre
modèle et la réalité qu'il prétend décrire en la saisissant à travers des caté­
gories et donc, au mieux, nous pourrons désigner à l'avance la classe de
phénomènes sémiotiques à laquelle appartient un phénomène sémiotique
obtenu par combinaison d'autres phénomènes sémiotiques avec au premier
chef, les phénomènes sémiotiques élémentaires. Il y a là une limitation in­
hérente au principe même de la modélisation qui constitue d'ailleurs une
bonne illustration, à travers les modèles successifs triadique et hexadique
d'un "emboîtement" d'un modèle dans un modèle plus complexe en vue de
mieux épouser les contours de l'objet d'une science. Une comparaison em­
pruntée à la géométrie élémentaire illustrera parfaitement notre propos:
nous sommes dans la situation d'un géomètre qui pour mesurer la longueur
d'une circonférence disposerait de deux instruments: l'un, le plus simple,
lui permettrait de calculer le périmètre d'un triangle dont les sommets sont
sur la circonférence; l'autre, plus élaboré, lui donnerait la même possibilité
mais avec un hexagone. On voit que l'évaluation serait nettement plus pré­
cise, mais aussi qu'il serait loin du compte et que de toute manière la lon­
gueur de la circonférence ne peut être pour lui que l'horizon de sa recher­
che. Cependant nous verrons que cette limitation a priori que nous souli­
gnons est moins drastique que ce que nous pourrions penser.
Ces considérations nous conduisent à\fairele point de ce que nous pou­
vons présentement faire lorsque nous abordons un phénomène sémiotique
complexe:
- nous pouvons repérer et inventorier les éléments de la configuration per­
ceptive du signe qui sont impliqués dans un phénomène sémiotique.
- nous pouvons ensuite inventorier les modes d'être manifestés dans les re-
240 L'ALGEBRE DES SIGNES

lations du signe et de l'objet, du signe et de l'interprétant (dans le modèle


triadique) ou faire la même chose dans le modèle hexadique. Le résultat de
cet inventaire sera un ensemble de phénomènes sémiotiques élémentaires
(triadiques ou hexadiques) qui contiendra, d'une certaine manière, toute la
"substance" sémiotique "catégorisable" du phénomène. En d'autres termes
à ce stade, on aura distingué et répertorié tout ce qui dans le phénomène
relève de notre phénoménologie de seconde intention.
La suite est alors pure combinatoire: les classes de phénomènes rele­
vées entretiennent des relations qui sont prescrites par les deux treillis de
classes de signes. Cette prescription est impérative puisqu'elle résulte de la
nature des catégories qui ont permis de classer les phénomènes. Ces rela­
tions impliquent alors une organisation de l'ensemble des classes qui ont été
relevées, en diagrammes que nous appellerons diagrammes sémiotiques.
Les diagrammes sont des diagrammes dans une catégorie algébrique; ils
possèdent tous, dans le cas qui nous occupe, une somme et un produit: nous
pourrons ainsi apporter une réponse, dans la continuité des formalismes
utilisés jusqu'ici, à la question que nous avons énoncée. Cependant ces dia­
grammes fixent la limite de ce qu'il y a de scientifique dans la connaissance
des signes que prétend produire notre essai. Ils en constituent l'architecto-
nique. Mais cette algébrisation n'est pas une simple transcription sans va­
leur heuristique; Peirce l'avait souligné:
Quant à l'algèbre, l'idée même de cet art est qu'elle présente des formules
que l'on peut manipuler et que par observation des effets de cette manipu­
lation on découvre des propriétés que l'on n'aurait pas discernées autre­
ment. (3.363).
Notre formalisation ne comporte pas, à proprement parler, de formu­
les mais la remarque de Peirce garde toute sa validité quant aux résultats
qu'on peut en attendre.

2. Diagrammes sémiotiques

Nous l'avons fait remarquer à plusieurs reprises, un treillis peut être consi­
déré comme une catégorie algébrique. Il suffit pour cela d'interpréter une
relation entre deux éléments comme un morphisme d'une catégorie dont les
objets sont les éléments de l'ensemble sous-jacent du treillis. Nous pouvons
donc considérer les treillis (Sem) de la section 2 du chapitre IV, (CS) de la
section 3 du chapitre IV et (SH) de la section 3 du chapitre V comme autant
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 241

de catégories algébriques. Dans cette section nous allons établir que ces ca­
tégories sont toutes trois à la fois complètes et cocomplètes, autrement dit
que tout diagramme dans l'une des trois catégories a une somme et un pro­
duit. On peut aussi utiliser le langage des graphes pour chacun des trois
treillis, car, dans certaines circonstances et pour certains énoncés, il peut se
révéler plus commode. En effet un graphe peut être défini par la donnée
d'un ensemble X non vide de sommets et d'une relation binaire R sur X
(c'est donc une structure relationnelle de type 2 sur X) à laquelle on associe
l'ensemble des couples (x,y) e X x Y tels que χ R y (qui sont les arcs du gra­
phe). Un graphe peut être représenté par sa matrice boléenne qui est la ma­
trice carrée dont les lignes et les colonnes sont chacunes associées aux élé­
ments de l'ensemble X et dont les éléments, associés aux couples (x,y), va­
lent 1 si χ R y et 0 dans le cas contraire. Par exemple, la matrice boléenne
associée au treillis (CS) considéré comme un graphe est représentée Figure
81, avec les notations suivantes:
ø = S.3, Γ 3 , Γ 3 ; a = s.3, 3, '3; b = (s.2,s.l), '3, '3
 = s.3, 3, "3; d = S.2, 2, 2; e = (s.2,s.l), '3, "3
f = s.2, 2,  2 ; g = (s.l,r.l,t.l), "3, "3;
h = s.2, 2 ',' 2 ;q = s.l, 1 , 1 .

ø a b  d e f g h q

0 1 1 1 1 1 1 1

 0 1 1 1 1 1 1

b 0 0 1 0 1 1 1

 0 0 0 1 0 1 1

d 0 0 0 0 1 0 0

e 0 0 0 0 0 1 1

f 0 0 0 0 0 0 0

g 0 0 0 0 0 0 0 1

h 0 0 0 0 0 0 0 0

q 0 0 0 0 0 0 0 0 0

Figure 81.
242 L'ALGEBRE DES SIGNES

Or nous avons vu qu'un diagramme dans une catégorie  (conférer an­


nexe D) est une famille d'objets A. avec i e I et (Ι,α) structure relationnelle
de type 2, telle que pour tout couple (i,j) e α il existe un morphisme S x
Φ..: A. Α.. Il s'ensuit que (GS) est de manière évidente un diagramme
si I = {0,a,b,c,d,e,f,g,h,q) et
α = {(x,y) tels que χ ε I, y e I, (x,y) = 1}.
Maintenant tout autre diagramme sera donc défini par la donnée d'un
sous-ensemble J de I et la relation β induite sur J par a. C'est-à-dire que les
notions de diagramme et de sous-graphe coïncident sur le treillis (Sem)
puisqu'un sous-graphe s'obtient en supprimant un certain nombre de som­
mets et en ne conservant que les arcs qui joignent les sommets restants. Il
revient donc au même par exemple de considérer le diagramme de la Figure
82 comme un diagramme dans la catégorie ou comme un sous-graphe du

 d g h

 1 0 1 1

d 0 1 0 1

8 0 0 1 1

h 0 0 0 1

Figure 82.

graphe dont la matrice boléenne est une matrice extraite de la précédente


dans le sens où elle est obtenue en reproduisant uniquement les éléments
de cette matrice appartenant aux lignes et aux colonnes de c,d,g et h. Il y
aura donc autant de diagrammes dans (CS) que de sous-graphes dans le
graphe et donc que de sous-ensembles de I. Comme I possède dix éléments,
il y aura donc exactement 210 = 1024 diagrammes sémiotiques possibles
dans (CS) qui correspondent bijectivement à 1024 sous-graphes de (CS)
considéré comme graphe. On montrerait de la même façon qu'il y a exacte­
ment 220 = 1048576 diagrammes sémiotiques possibles dans (Sem) et 228 =
268435456 diagrammes sémiotiques possibles dans (SH).
Il est facile de vérifier que dans chacune de ces catégories chacun des
diagrammes possède une somme et un produit. En effet la borne supérieure
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 243

(pour la relation d'ordre du treillis) des éléments d'un diagramme est dans
chacune des trois catégories la somme de ce diagramme et la borne infé­
rieure est son produit, puisqu'il est équivalent de dire qu'un objet  vérifie
la condition (ii) de la définition de la somme d'un diagramme ou qu'il est un
majorant des éléments du diagramme. L'existence requise du morphisme
unique résulte alors de la définition de la borne supérieure, à savoir: le plus
petit des majorants. On peut faire une vérification duale pour le produit.
Les trois treillis peuvent donc être regardés comme des catégories complè­
tes et cocomplètes puisque les éléments universels des treillis (le plus "pe­
tit" et le plus "grand") nous assurent que tout diagramme possède au moins
un majorant. On peut remarquer par ailleurs que la somme ou le produit
d'un diagramme peuvent être des éléments de ce diagramme. Dans les
exemples représentés Figures 83, 84 et 85, pris dans les trois catégories,la
somme et le produit de chaque diagramme sont signalés par les lettres S et
Ρ associés à la classe correspondante, les morphismes du diagramme étant
représentés en traits pleins et ceux qui sont relatifs à la construction de la
somme ou du produit en traits pointillés.

Figure 83.
244 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 84.

Figure 85.

Donc étant donné un objet quelconque ou un ensemble d'objets appar­


tenant au champ de l'expérience d'un individu donné on pourra lui associer
le diagramme construit à partir de l'ensemble des éléments indécomposa­
bles de sa décomposition phanéroscopique qui sont impliqués dans des
phénomènes sémiotiques, depuis le diagramme "vide" qui ne contient au­
cune classe de signes, jusqu'au diagramme "plein" qui les contient toutes.
Cependant il n'est pas nécessaire (et peu intéressant) de procéder de ma­
nière trop globale. Puisque les objets de l'expérience sont individualisés et
différenciés, il vaut mieux, puisque c'est possible, associer un diagramme
sémiotique à chacun d'eux, ce qui préservera leur individualité dans notre
analyse. De plus il est clair que, dans le cas où certaines classes de signes fi­
gurent dans des diagrammes associés à des objets distincts, on peut alors
définir une correspondance sémiotique entre ces diagrammes et cette cor-
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 245

respondance est toujours compatible, par construction. Elle introduit une


solidarité sémiotique entre les objets qui participent des mêmes modes
d'être dans leur contribution au phénomène sémiotique global. On peut
alors considérer les catégories de diagrammes sémiotiques construites à
partir de chacun des trois treillis. Ce sont des catégories dont les éléments
sont des diagrammes sémiotiques (et nous en avons évalué le nombre pour
chacune d'elles) et les morphismes sont des correspondances sémiotiques
qui sont définies par les classes ou groupe de classes que chaque couple de
diagrammes possède en commun. Ainsi comme nous avons pu considérer
que l'équivalent formel du phanéron était un diagramme dans la catégorie
eidétique avec sa somme et son produit, nous pouvons considérer que
l'équivalent formel d'un phénomène sémiotique est un diagramme dans la
catégorie des diagrammes sémiotiques. C'est à ce niveau que la notion de
phénoménologie de seconde intention prend toute sa signification.
Il nous reste à préciser le statut de la somme et du produit des diagram­
mes sémiotiques. Dans le cas du phanéron nous avons vu que somme et
produit, dans la catégorie eidétique, prenaient en charge respectivement
l'unité formelle du phanéron ou totalité et sa talité. On voit que, à une in­
version prés due au fait que les morphismes des catégories considérées sont
des n-uples de présuppositions non réciproques on peut accorder au produit
(ou limite) d'un diagramme sémiotique la fonction de totalisation du phé­
nomène sémiotique et cela pour être en conformité avec l'idée que les phé­
nomènes "supérieurs" sont ceux qui font le plus intervenir d'éléments ter­
tians. C'est pourquoi nous appellerons le produit d'un diagramme sémioti­
que correspondant à un objet individuel l'architotalité de cet objet et nous
appellerons sa somme son architalité. Ces appellations sont justifiées par le
fait que le produit d'un diagramme est une classe de signes qui présuppose
toutes celles que contient le diagramme et que, vis à vis de cette propriété,
elle est minimale, c'est-à-dire que toute autre classe de signes qui vérifie
cette propriété contient nécessairement le produit du diagramme. Duale-
ment, la somme du diagramme est une classe de signes présupposée par
chacune des classes du diagramme et est maximale vis à vis de cette pro­
priété, c'est-à-dire qu'elle contient nécessairement toute autre classe qui
possède cette propriété. L'architotalité d'un objet traduit l'existence sémio­
tique de l'objet en tant que totalité résultant de la solidarité nécessaire en­
tre les classes de signes auxquelles appartiennent chacun de ses éléments in­
décomposables impliqués dans un phénomène sémiotique. L'architalité
d'un objet, en tant qu'elle est contenue dans chacune des classes de signes
246 L'ALGEBRE DES SIGNES

de son diagramme et ceci dans le respect de leurs solidarités, correspond à


la "qualité sémiotique" de cet objet considéré comme un tout indissociable.
De plus lorsqu'un phénomène sémiotique implique plusieurs objets, chacun
peut être crédité de son architotalité et leur ensemble est organisé en un
nouveau diagramme dont l'architotalité est celle de l'ensemble des objets
considérés collectivement comme un signe global. On a le même résultat
pour leurs architalités. Nous ne développerons pas plus avant ces formalis­
mes très généraux pensant avoir dépassé en la circonstance la limite à partir
de laquelle il est plus rentable de refaire une étude dans chaque cas particu­
lier que de mettre au point une théorie générale qu'il suffirait de lui appli­
quer. C'est donc au niveau des exemples et des applications que nous pro­
cèderons à cette agrégation des "comportements sémiotiques" des diffé­
rents objets impliqués dans un phénomène sémiotique complexe.
La notion de diagramme sémiotique associé à un objet nous permet
donc de saisir dans l'implication de cet objet dans un phénomène sémioti­
que ce que notre formalisation de ces phénomènes autorise comme connais­
sance scientifique de ces mêmes phénomènes et elle en assigne les limites,
tout en montrant les différents niveaux auxquels on peut incorporer les ins­
truments de la connaissance dans le phénomène étudié. On constate en
même temps que ces modélisations ne sont pas réductrices dans le sens où
elles n'excluent aucun aspect, aucune caractéristique des phénomènes; sim­
plement elles les saisissent au moyen de catégories adaptées à leur nature,
car ces catégories proviennent d'une complication de catégories universel­
les pour les phénomènes ordinaires mais recombinées pour saisir ces phéno­
mènes dans les phénomènes que sont les phénomènes sémiotiques. Ce fai­
sant, les phénomènes singuliers, uniques, hic et nunc, sont pris comme re­
présentants d'une classe et doivent obéir à la logique de ces classes consi­
gnée dans les prescriptions impératives des différents treillis qui permettent
d'en révéler l'architectonique. Mais cette dernière est relative au degré de
complication des modèles et il faudrait donc parler des architectoniques
successives, étant entendu que celle qui résulte du modèle hexadique
"contient" celle qui résulte du modèle triadique. Donc, tout progrès dans la
connaissance scientifique des phénomènes sémiotiques est lié à un raffine­
ment du modèle hexadique, donc à la découverte de nouveaux caractères
essentiels des phénomènes sémiotiques capables de produire une partition
de chaque classe de signes hexadiques. C'est en ce sens que l'on peut dire
que l'architectonique comprise comme élaboration de modèles formalisés
est un art, l'art des systèmes auquel se réfère Kant.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 247

3. Formalisation de la production des signes

Dans la section 5 du chapitre II consacré à l'analyse de la production des


phénomènes sémiotiques nous avons montré que, sous nos hypothèses fon­
damentales et notre choix d'universaux mathématiques spécifiques, la pro­
duction des phénomènes sémiotiques pouvait être formalisée, par dualisa-
tion algébrique, à partir de la formalisation des phénomènes eux-mêmes.
Nous avions représenté ce résultat dans le diagramme, reproduit Figure 86,
diagramme dual de celui de l'interprétation établi en section 3 de ce même
chapitre.

Figure 86.

A cette occasion nous avions défini la production d'un phénomène sé-


miotique comme l'acte d'incorporation dans une configuration perceptive
d'un objet S, d'une sous-structure de la structure eidétique d'un objet  au
moyen d'une correspondance compatible Ω* qui, d'un point de vue algébri­
que, est une restriction d'une correspondance  instituée (ou supposée tel­
le) entre les structures eidétiques de S et de  et qui d'un point de vue dia­
lectique correspond à l'universalité concrète de cette correspondance ,
c'est-à-dire la saisit en tant qu'elle est impliquée dans les déterminations
particulières qui sont celles de la détermination de l'esprit d'un interprète
singulier dans les conditions singulières de la perception du signe. Dans ce
cas aussi on peut identifier (U°,σ°) à (Χ°,σ°) qui est la forme particulière de
l'objet pour l'interprète ce qui revient à considérer un modèle simplifié
dans lequel (U°,σ°) est une référence universelle pour les membres d'une
communauté. On parlera alors de production de signes.
Cette mise en dualité de l'interprétation et de la production nous per­
met de bénéficier du travail de formalisation accompli sur l'interprétation,
car il suffit maintenant de dualiser l'ensemble de ces résultats pour obtenir
sur la réduction des phénomènes sémiotiques ou des signes le même degré
de connaissance scientifique que sur leur interprétation.
248 L'ALGEBRE DES SIGNES

Analysons les conditions de la production d'un phénomène sémiotique


élémentaire et prenons l'exemple de l'incorporation d'un tertian provenant
de la décomposition phanéroscopique d'un objet. Il doit donc être incorpo­
ré dans des configurations perceptives d'un autre objet. Une condition né­
cessaire de cette incorporation est qu'il existe, préalablement à la produc­
tion du phénomène ou du signe, une correspondance compatible institu­
tionnalisée, instituée ou simplement possible entre l'objet à représenter et
le signe qui va supporter sa représentation. Puisqu'il s'agit, dans cet exem­
ple, d'un tertian, la correspondance en question pourra seulement être de
type 3, ' ou "3 et la correspondance Ω* sera d'un type "inférieur" dans
le treillis (Ph) des catégories phanéroscopiques, mais sera néanmoins une
tiercéité. En effet l'image d'un tertian par une correspondance compatible
implique nécessairement l'incorporation de trois qualités de sentiment dans
la configuration perceptive; cette incorporation peut se faire sous forme
authentique et dans ce cas l'une des qualités de sentiment sera l'union des
deux autres, ou sous l'une des deux formes dégénérées et l'on aura soit un
couple (secondan, priman) soit un triplet de primans.
Du point de vue de l'analyse il n'y a donc pratiquement pas de diffé­
rence entre la production et l'interprétation des phénomènes sémiotiques
autre que dans la façon de décrire le même formalisme dans deux perspecti­
ves différentes. Dans chaque cas il y a un déjà-là: le signe S, l'objet O, leurs
formes singulières S' et O' pour un individu (elles peuvent bien entendu
être différentes pour un producteur et un interprète mais ceci n'a aucune in­
cidence théorique) et la correspondance compatible  établie entre S et O.
Dans chaque cas aussi on considère une correspondance compatible sous-
jacente à Γ (Ω à l'interprétation, Ω* à la production). Dans le cas de la pro­
duction on produit Ω* comme devant permettre de retrouver Γ; dans le cas
de l'interprétation on "constate" Ω et on retrouve la correspondance Γ dont
on présume qu'elle est la correspondance instituée qui a déterminé Ω*, que
l'on confond à ce moment avec Ω. Le diagramme de la production est iden­
tique à celui de l'interprétation, la seule différence provenant de la trans­
formation de Ω en Ω *. Le treillis (Sem) peut donc être regardé aussi bien
comme gouvernant les phénomènes sémiotiques élémentaires d'interpréta­
tion que de production. Finalement cette presque identité de la production
et de l'interprétation provient du fait que, aussi bien Ω que Ω* sont des uni-
versaux concrets de l'universel abstrait Γ. On peut donc dire, qu'à ce niveau
de description, l'interprétation est autoduale et donc qu'une interprétation
est une production, et on peut dire aussi l'inverse.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 249

(CoS)

Figure 87.

Par contre il est un point de vue qui mérite d'être développé, en vue
d'étudier, notamment, la communication, et qui consiste à prendre en char­
ge, par un artifice de présentation, la différence que nous avons notée.
Nous limitant aux signes afin de ne pas alourdir l'exposé, nous appellerons
co-signe tout signe émis. Un co-signe est donc un signe, mais tout signe
n'est pas un co-signe comme le montre le cas des signes dits "naturels".
Pour décrire un co-signe élémentaire nous préciserons d'abord la catégorie
250 L'ALGEBRE DES SIGNES

phanéroscopique de l'élément indécomposable de l'objet, puis le mode


d'être de l'objet dans sa relation au signe tel qu'il est institué dans la com­
munauté sémiotique et enfin le mode d'être de l'objet dans sa relation au si­
gne tel qu'il est révélé par l'incorporation de la forme choisie dans la struc­
ture éidétique de l'objet dans la configuration perceptive du signe qui est
réellement faite par le producteur. Dans le cas d'un signe interprété nous
avons choisi de nommer successivement la catégorie phanéroscopique de
l'élément signifiant de S, puis le mode d'être de la relation entre  et S et
enfin le mode d'être de l'objet tel qu'il est révélé par la réactivation chez
l'interprête de la relation instituée . Les correspondances Ω et Ω* recou­
vrent bien deux opérations de l'esprit fondamentalement différentes; mais
elles conduisent toutes deux au même modèle d'intelligibilité et donc au
même treillis. Le treillis des cosignes élémentaires, décrit comme nous ve­
nons de l'indiquer, est donc celui de la Figure 87.
Il existe donc un isomorphisme naturel entre les treillis (CoS) et (CS)
qui consiste en une réécriture des éléments de chaque treillis. Nous appelle­
rons θ cet isomorphisme.
Au plan des dénominations, on peut conserver celles du treillis (CS) en
les faisant précéder du préfixe "".
Il convient de noter que l'isomorphisme θ est une correspondance pu­
rement formelle sans rapport direct avec celle qui résulterait de l'interpré­
tation d'un co-signe dans un signe. Prenons par exemple le co-symbole di-
cent (., 3, 3) qu'on peut représenter par le diagramme de la Figure 88.

Figure 88.

Ce co-signe représente un tertian au moyen d'un secondan et d'un pri­


man qu'il implique; autrement dit c'est ce secondan et ce priman qui sont
incorporés dans la structure relationnelle associée à la configuration per­
ceptive du signe. Lorsque ce signe est interprété, il peut figurer, par exem­
ple, dans toute classe de signe qui comporte 3 en troisième position dans
le triplet qui la définit, à savoir un légisigne indiciaire dicent ((s.2,s.l), '3,
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 251

Γ'3) ou un symbole dicent (s.3, 3, '3). Donc un co-symbole dicent peut
être interprété comme un légisigne indiciaire dicent si l'expérience collaté­
rale de l'interprète (incluant la violence symbolique dont il a pu être l'ob­
jet) n'a pas produit l'intériorisation de la norme en vigueur dans sa commu­
nauté et comme un symbole dicent dans le cas contraire. Il y a encore d'au­
tres possibilités au niveau de l'interprétation que nous inventorierons dans
la section suivante consacrée à l'algèbre de la communication.
De la même façon que nous avons perfectionné le signe triadique nous
pouvons perfectionner le co-signe triadique en prenant en compte des ca­
ractéristiques supplémentaires duales de celles qui ont été choisies dans le
chapitre précédent. Nous obtenons alors une définition du co-signe hexadi-
que qui réalise une partition des classes de co-signes triadiques suivant les
étapes (catégorielles) qui ont conduit à l'incorporation réelle d'une sous-
structure de l'objet dynamique dans la structure relationnelle du signe.
Cette définition est la suivante:
Un co-signe hexadique est constitué par la donnée d'un objet Od appe­
lé objet dynamique du co-signe, d'une sous-structure caractéristique de sa
structure eidétique appelée Objet immédiat Oi. et d'un objet S choisi dans
une famille d'objets (S.)jεj tels qu'il existe une application compatible . de
Oi. dans au moins une structure relationnelle associée à une configuration
perceptive de S. et de trois applications compatibles Ω"*, Ω'*, Ω* vérifiant
Ω* ≥ Ω'* ≥ Ω"* ≥ , où le signe ≥ signifie "est une restriction de", et dé­
finies comme suit:
- Ω"* est la particularité de la correspondance instituée  pour le produc­
teur du signe; l'image de Oi. par Ω"* s'appellera le co-interprétant immédiat
et sera noté I.co.
1

- Ω'* est une restriction de Ω"* obtenue par suppression d'éléments et de


relations dans I.co, lesquels sont jugés redondants dans le contexte hic et
nunc de la production par le producteur du signe (plus précisément le pro­
ducteur anticipe sur l'effet du signe et conjecture donc que l'interprétant
dynamique de l'interprète éventuel devrait réintroduire les éléments et re­
lations supprimées). L'image de Oi. par Ω'* s'appellera le co-interprétant
dynamique et il sera noté Idco.
- Ω* est une restriction de Ω'* obtenue par suppression d'éléments et de
relations dans Idco lesquels sont jugés redondants compte tenu des possibili­
tés inférentielles prêtées à l'interprète éventuel du signe. L'image de Oi. par
Ω* s'appellera le co-interprétant final et sera noté Ifco.
252 L'ALGEBRE DES SIGNES

Le schéma de la Figure 89 dans laquelle les structures relationnelles


sont représentées par des rectangles, les applications compatibles par des
pointillés illustre cette définition.

Figure 89.

En comparant ce schéma avec celui de la section 2 du chapitre V qui il­


lustre le signe hexadique on peut voir en quoi consiste la dualité signe/co-si-
gne. Dans le cas du signe il y a expansion des éléments signifiants du signe
jusqu'à retrouver le fondement institutionnel G de la représentation de Od
par le signe S, tandis que dans le cas du co-signe il y a restriction de ce
même fondement jusqu'à une forme qui dépend du contexte (au sens large
incluant les interprètes éventuels). Cette forme doit permettre de retrouver
le fondement G, du moins c'est ce qui est attendu par le producteur.
Nous pourrons donc représenter un co-signe hexadique par un sextuplet
(0,Γ,S,Ω"*,Ω'*,Ω*), ou encore, en dualisant le contenu de la section 3 du
chapitre V procéder à la phanéroscopie systématique de la catégorie algé­
brique de la Figure 90 et obtenir ainsi le treillis des co-signes hexadiques qui

Figure 90.

est isomorphe au treillis (SH) mais au sujet duquel nous pouvons faire les
mêmes remarques que celles que nous avons faites sur les rapports entre les
treillis (CS) et (CoS). D'ailleurs, dans le cas présent, il n'est pas nécessaire
de recourir à un artifice de présentation puisque les trichotomies des inter­
prétants et des co-interprétants font apparaître avec suffisamment de clarté
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 253

la dualité entre signes et co-signes. Pour travailler avec le treillis des cosi­
gnes hexadiques il suffira de reprendre le treillis (SH) et de l'interpréter en
termes de co-signes.
Il est alors clair qu'on peut définir dans les treillis de consignes consi­
dérés comme catégories algébriques, de nouveaux diagrammes sémiotiques
qui correspondront biunivoquement à ceux que nous avons définis dans la
section précédente et qui seront en fait les mêmes, mais formalisés dans une
optique de production. Nous obtenons donc un diagramme sémiotique as­
socié à la production d'un objet comme co-signe. Mais, bien que les dia­
grammes puissent être mis en correspondance bijective, comme nous ve­
nons de le voir, il n'est nullement nécessaire, a priori, que le diagramme du
co-signe dans lequel est impliqué un objet soit le diagramme qui lui corres­
pond dans cette correspondance quand on considère cet objet du point de
vue de son implication dans un signe. Ceci nous conduit naturellement à
examiner les phénomènes de production et d'interprétation dans le champ
de la communication dont ils sont les éléments constitutifs.

4. L'algèbre de la communication

Ayant formalisé la production et l'interprétation des signes qui nous appa­


raissent maintenant toutes deux comme une combinatoire de co-signes élé­
mentaires ou de signes élémentaires réalisée suivant des règles impératives
consignées dans des structures algébriques et dans des techniques algébri­
ques de sommes et de produits, nous sommes maintenant en mesure de
proposer des fondements algébriques pour la phénoménologie de la com­
munication. Il nous suffira pour cela de déterminer exactement les condi­
tions sous lesquelles production et interprétation peuvent être associées
pour déboucher sur une théorie scientifique de la communication. Nous
avons effleuré cette question à la fin du chapitre II en proposant un schéma
de concaténation d'une co-sémiosis et d'une sémiosis. Maintenant nous
avons à notre disposition une algèbre de la production et une algèbre de
l'interprétation: nous pouvons donc élaborer, en les combinant, une algè­
bre de la communication. Nous nous limiterons dans un premier temps à
réaliser ce programme à l'aide de la modélisation triadique, car nous pour­
rions procéder de façon analogue avec la modélisation hexadique et, de
plus, il convient là aussi d'atteindre les limites du modèle triadique avant
d'expérimenter un modèle plus compliqué.
254 L'ALGEBRE DES SIGNES

Il nous faut, avant toute chose, donner un contenu plus précis à la no­
tion de concaténation d'un co-signe et d'un signe. Pour celà reprenons le
schéma simplifié (c'est-à-dire ne tenant pas compte des formes individuelles
de l'objet  et du signe S pour le producteur et pour l'interprète) de la fin
du chapitre II reproduit Figure 91.

Figure 91.

Pour qu'on puisse parler de communication, il convient d'exiger


qu'une partie au moins de la forme de  (sous-structure caractéristique
"universelle" de O) soit effectivement concernée par la correspondance
compatible. Cette exigence minimale, car nécessaire, présuppose une
conception très large, la plus large possible même, de la communication
c'est-à-dire qui considère la communication "réussie" (à savoir le cas où la
structure relationnelle formée par l'esprit de l'interprète est exactement la
structure eidétique de l'objet communiqué) est un cas parmi d'autres. Pour
qu'il y ait communication, il suffit donc qu'une forme soit communiquée,
qu'elle soit caractéristique ou non de l'objet dont une sous-structure est la
source de la correspondance compatible Ω*. En somme, quelque chose est
communiqué de l'objet. C'est donc au niveau des images de la structure ei­
détique de l'objet par Ω* et par Ω respectivement que nous pourrons énon­
cer les conditions de la communication et faire toutes les distinctions qui
résultent des différentes "positions" relatives possibles des deux images
dans (Ys,{αis}iεI). Les définitions qui suivent correspondent à ce genre de
distinctions.
Une communication est un couple ordonné constitué d'un co-signe et
d'un signe, pris dans cet ordre, vérifiant la condition:
(c) l'intersection de l'image par Ω* de la sous-structure caractéristique de
l'objet  dans au moins une structure relationnelle associée à une configu­
ration perceptive de S avec l'image par Ω de cette même sous-structure est
non vide.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 255

Une communication est réussie si la structure relationnelle formée par


l'esprit de l'interprète est exactement la structure éidétique de l'objet du
co-signe du producteur.
Une confusion est un couple ordonné constitué d'un co-signe et d'un
signe, pris dans cet ordre, tel que l'intersection de l'image par Ω * de la sous-
structure caractéristique de l'objet  dans toutes les structures relationnel­
les associées aux configurations perceptives de S avec l'image par Ω de
cette même sous-structure est vide.
Une communication est complète si l'image par Ω * de la sous-structure
caractéristique de l'objet  est contenue dans l'image par Ω de cette même
sous-structure.
Une communication est incomplète si elle n'est pas complète.
Cependant notre propos n'est pas de fonder une typologie des commu­
nications sur des critères de réussite ou de complétude et encore le vou­
drions nous que nous ne le pourrions pas. En effet nos modèles n'étant en
mesure de saisir que des classes (de co-signes ou de signes) ils ne pourront
saisir, une fois les deux modèles combinés, que des couples de classes
concaténés d'une certaine façon. On ne saurait donc, en aucun cas, énoncer
des critères positifs sur la réussite de la communication puisqu'à l'intérieur
d'une classe un nombre indéterminé de structures effectivement conçues
par quelque esprit sont possibles. Par contre, il est possible d'énoncer des
critères négatifs qui permettront de conclure sûrement à l'échec de la com­
munication. Ces critères apparaîtront en fait comme des corollaires des l'al­
gèbre des communications élémentaires que nous pouvons construire.
Le principe de cette construction est le suivant: formellement, à la pro­
duction, toute incorporation d'une forme (structure eidétique) dans une
structure relationnelle peut se décrire comme produit relatif de co-signes
élémentaires qui correspondent à l'incorporation de ces formes élémentai­
res que sont les tertians, les secondans et les primans et prenant en charge
tous les avatars que peuvent subir ces formes (formes dégénérées). De
même toute expansion d'une forme incorporée, interprétée dans un phéno­
mène sémiotique d'interprétation peut se décrire comme produit relatif de
signes élémentaires. L'algèbre de ces phénomènes élémentaires de produc­
tion et d'interprétation est résumée dans les treillis (CoS) et (CS). Il suffira
donc dans un premier temps de former les couples constitués d'un co-signe
élémentaire et d'un signe élémentaire pris respectivement dans (CoS) et
dans (CS) qui vérifient la condition posée pour la communication du point
de vue catégoriel et dans un deuxième temps de caractériser la structure al-
256 L'ALGEBRE DES SIGNES

gébrique induite naturellement par les structures algébriques des deux treil­
lis sur l'ensemble des couples retenus. D'où la définition:
une communication élémentaire est une communication dans laquelle la
sous-structure caractéristique associée à un objet  est un tertian, un se-
condan ou un priman.
Il s'ensuit en effet qu'une telle communication est constitutive d'un co­
signe élémentaire et d'un signe élémentaire vérifiant la condition (c) puis­
que l'image d'un tertian par une correspondance compatible est de l'un des
types S.3 ou (s.2,s.l) ou (s.l,r.l,t.l), l'image d'un secondan est de l'un des
types s.2 ou (s.l,r.l) et l'image d'un priman s.l.
On établit alors le résultat suivant:
il existe une partition de l'ensemble des communications élémentaires en
classes déterminées par un couple formé d'une classe de co-signes et d'une
classe de signes image par l'isomorphisme θ d'une classe de co-signes que
cette classe présuppose; en d'autres termes si Σ est une classe de co-signes
et si Σ' ≥:Σ (c'est-à-dire que Σ' est au dessous de Σ dans CoS) toute com­
munication élémentaire appartient à une classe déterminée par un couple
(Σ,θ(Σ')).
En effet tout élément indécomposable est transformé par Ω * en un en­
semble d'éléments indécomposables de l'un des six types rappelés ci-dessus
et tout signe correspondant à une interprétation de ce co-signe élémentaire
est nécessairement déterminé par une correspondance dont le mode d'être
est supérieur (c'est-à-dire situé en dessous dans le treillis (Ph)) au mode
d'être de Ω * et une correspondance Γ (qui est présumée être la cor­
respondance existant entre l'objet du co-signe et le signe S) dont le mode
d'être est aussi nécessairement supérieur à celui de la correspondance insti­
tuée entre objet et signe qui est constitutive du co-signe. C'est à dire que le
couple des correspondances figurant dans le co-signe est toujours tel que
leurs modes d'êtres respectifs sont toujours inférieurs aux modes d'être res­
pectifs des correspondances figurant dans le signe ce qui, nous l'avons vu,
définit précisément la relation d'ordre de l'un ou l'autre des treillis (CoS) et
(CS). En somme, puisqu'un co-signe présuppose tous les co-signes qui lui
sont supérieurs dans (CoS) toute interprétation possible de ce co-signe re­
vient à saisir l'un de ces co-signes (et donc aussi tous ceux qu'il présuppose)
et à le regarder comme un signe, (ainsi que tous les co-signes qu'il présup­
pose).
On en déduit que l'ensemble des classes de communications élémentai­
res est un ensemble de 10 + 9 + 7 + 6 + 5 + 4 + 3 + 3 + 2 + 1 = 50 élé­
ments, ce dénombrement résultant de l'addition du nombre de classes su-
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 257

périeures à chacune des classes du treillis (CoS) en commençant par le co-


argument. Cet ensemble est naturellement ordonné par la relation d'ordre
suivante:
(Σ1, θ(Σ1)) ≤ (Σ2, θ(E>2))avec Σ1 ≤ Σ'1 et Σ2 ≤ Σ' 2
si et seulement si:
Σ1, ≤ Σ2 et θ(Σ'1) ≤ θ(Σ'2)
ce qui est équivalent à:
Σ1 ≤ Σ2 et Σ'1 ≤ Σ' 2
ou encore à la condition: le carré de la Figure 92 est commutatif.

Figure 92.

Ainsi ordonné l'ensemble des classes de communications élémentaires


est muni d'une structure de treillis ayant deux éléments universels. Pour al­
léger les notations nous adopterons le Tableau de correspondance n°13 au
sujet duquel il conviendra évidemment d'oublier l'ordre lexicographique
sur les lettres de l'alphabet utilisées. Les classes de co-signes et de signes si­
tuées sur la même ligne sont celles que l'isomorphisme θ met en correspon­
dance. Les lettres i et j ont été évitées à cause de leur emploi fréquent par
ailleurs en vue de l'indexation d'ensembles.
Dans les deux dernières colonnes de ce tableau, nous avons fait figurer
les éléments qui permettent de reconstituer le cheminement de la forme
élémentaire (tertian, secondan ou priman de la première colonne). La pre­
mière de ces deux colonnes correspond à la transformation qu'elle subit lors
de son incorporation dans la structure eidétique du signe, et ceci est une
donné a priori de la production et de l'interprétation. La seconde indique
les transformations possibles de cette forme ainsi incorporée en une forme,
éventuellement dégénérée, dans le moment de la production du signe. L'in­
terprétation d'un co-signe élémentaire consiste alors en un choix d'une
"sous-forme" possible dans celles de la dernière colonne du tableau et
258 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tableau 13.

classes de nota­ nota­ forme incorpo­ forme retenue


classes de signes rée dans la à la
structure eidé-
-signes tion tion tique du signe production
1 m

0.3, r 3 , r3 s . 3 ,  3 , 3 a s.3 s.3

0.3, 3, ' b S.3,  3 , ^ b (s.2,s.l) (s.2,s.l)


0,3, ^ ^  U . 2 , s . l ) , £, '3  (s.2,s.l) (s.2,s.l)
0 . 3 , 3, £ d s . 3 , ,, ' d s.3 (s.l,r.l,t.l)
0.3, Γ ^ , Γ ^ e (s.2,s.l), r j , £ e (s.2,s.l) (s.l,r.l,t.l)
., r j , r^ f (s.l,r.l.t.l),r^r^ f (s.l,r.l,t.l) (s.l,r.l,t.l)
0.2, Γ 2 , Γ 2 g s.2,  2 , 2 g s.2 s.2
0.2, Γ2, Γ· h s.2, 2, £ h s.2 (s.l,r.l)
¡0.2, r¿, r¿  (e.l,r.l),rj,rj  (s.l,r.l) (s.l,r.l)
o.i, r 1 , r 1 I s.l, 1,1 1 s.l s.l

conduit donc à l'établissement d'une correspondance entre la forme initia­


lement transmise (première colonne) et la "sous-forme" sélectionnée. Une
communication élémentaire est ainsi établie grâce à la concaténation d'un
co-signe élémentaire et d'un signe élémentaire au moyen de cette "sous-for­
me". On obtient ainsi le treillis (Com) des 50 classes de communications
élémentaires de la Figure 93.
On reconnaît dans ce treillis deux sous-treillis isomorphes l'un à (CoS)
et l'autre à (CS). Ce sont pour le premier le sous-treillis formé des couples
dont le premier terme est un a surligné et pour le second le sous-treillis for­
mé des couples dont le deuxième terme est la lettre 1.
Disposant de ce treillis nous pouvons, au même titre que nous avons
pu décrire les phénomènes sémiotiques comme produit relatif de phéno­
mènes sémiotiques élémentaires, décrire toute communication comme un
produit relatif de communications élémentaires, la méthodologie consistant
à combiner les méthodologies déjà développées dans les cas de l'interpréta­
tion et de la production. En particulier on pourra associer à tout objet indi­
viduel complexe impliqué dans une communication (un discours, un ta­
bleau, une expression, un livre etc..) un diagramme communicationnel
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 259

(Com)

Figure 93.
260 L'ALGEBRE DES SIGNES

avec son architotalité (c'est-à-dire son produit) et son architalité. Le pre­


mier résume globalement la communication dont elle intègre tous les aspec­
ts; la seconde traduit la qualité de la communication, c'est-à-dire ce qui est
inclus dans chaque communication élémentaire qui la constitue.
On pourrait de même construire le treillis des communications hexadi-
ques en combinant co-signes et signes hexadiques. C'est un treillis à 336
éléments dont on pourra éventuellement confier la diagrammatisation à un
ordinateur si jamais son utilité se fait sentir. Ainsi grâce à ces deux treillis
on pourra saisir dans une démarche scientifique et à deux niveaux successifs
les éléments essentiels de la communication et leur combinatoire. Nous
sommes assurés d'ores et déjà que, outre la réduction de l'arbitraire dans la
description des phénomènes de communication qui résulte de leur saisie au
moyen de ces modèles, nous pourrons énoncer des critères impératifs quant
à la réussite de la communication, au sens où nous l'avons définie précé­
demment. On conçoit tous les avantages qu'on peut en tirer quant à la
conception des communications et à leur efficacité sociale.

5. Six études de sémiotique

Il convient maintenant de mettre au point une méthodologie précise pou­


vant être mise en oeuvre à propos de tout objet individuel, aussi complexe
soit-il, impliqué dans un phénomène sémiotique ou un phénomène de com­
munication, puis de l'appliquer à quelques cas avec toutes les limitations
qui sont inhérentes à ce genre d'exercice.
Cette méthodologie est simple et elle est la même quel que soit le mo­
dèle utilisé, triadique ou hexadique. Nous en avions déjà donné un aperçu
et quelques illustrations dans plusieurs articles antérieurs (Marty 1977,
1979, 1980).
Etant donné un objet réel impliqué dans un phénomène sémiotique
(nous l'appellerons, par commodité, hypersigne, pour le différencier des si­
gnes élémentaires tout en référant à une grande complexité possible) nous
procèderons en quatre temps:
1. l'analyse de l' hypersigne: cette analyse consistera à faire l'inventaire de
tous les sous-objets de l'hypersigne qui sont impliqués par au moins un élé­
ment indécomposable dans le phénomène sémiotique étudié, et à réperto­
rier ces éléments en identifiant, pour chacun d'eux, la classe de signes élé­
mentaires à laquelle il appartient. On obtiendra donc, à l'issue de cette pre-
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 261

mière étape, une liste de signes avec chacun leur objet, et leur interprétant
si on utilise le modèle triadique, leurs deux objets et leurs trois interpré­
tants si on utilise le modèle hexadique. Ces signes seront rangés ensuite
dans l'une des dix ou des vingt-huit classes suivant le cas.
2. Construction du diagramme sémiotique de l'hypersigne: (conférer section
2) pour construire ce diagramme il suffira de noter, dans le treillis (CS) ou
dans les treillis (SH) ou (Sem), les classes de signes trouvées dans l'analyse
précédente et de relever les morphismes du treillis qui les mettent en rela­
tion.
3. Détermination de la somme et du produit du diagramme: ces opérations
nous donnent ce que nous avons appelé l'architotalité et l'architalité de
l'hypersigne. Nous avons vu qu'elles consistent à prendre respectivement
les bornes inférieure et supérieure du diagramme dans les treillis correspon­
dants.
4. Détermination de la totalité et de la talité de l'hypersigne: il s'agit mainte­
nant de trouver un objet (ou deux), un interprétant (ou trois) de l'hypersi­
gne de façon à constituer un signe qui implique tous les signes relevés au lo
(pour la totalité) et un objet (ou deux), un interprétant (ou trois) de l'hy­
persigne de façon à constituer un signe qui soit impliqué par tous les signes
relevés au lo (pour la talité).
Ce travail sera simplifié, notamment dans le cas d'hypersignes très
complexes formés d'une multitude de signes élémentaires, par la possibilité
technique dont nous disposons de remplacer des sous-diagrammes (dia­
grammes de sous-objets, diagrammes formés avec des sommes et des pro­
duits de sous-diagrammes) par leur somme et leur produit. Cela renvoie à
une sorte d'associativité des significations qu'il est possible de regrouper —
à bon escient — dans des diagrammes d'ordre supérieur, sans limitation. La
technique offre donc la possibilité de procéder pas à pas vers la signification
globale. Par exemple dans l'analyse du portrait de la Joconde il sera possi­
ble de sommer les éléments du paysage dans un signe "campagne" éven­
tuellement accompagné d'un ou de plusieurs adjectifs qui "sommera" tous
les éléments constitutifs du paysage (arbre, chemin, ciel, brume, e t c . ) et
on pourra aussi intégrer dans la talité de ce sous-diagramme le célèbre "sfu-
mato". De même un drapeau français contenu dans un hypersigne pourra
être sommé dans un signe ayant pour objet la "francité", sans détailler le
diagramme des couleurs, des formes et leurs positions respectives.
Le résultat final sera donc un diagramme qui montrera comment les
différentes parties effectivement signifiantes de l'hypersigne sont organisées
262 L'ALGEBRE DES SIGNES

par des relations d'ordre sémiotique issues de l'un des treillis pour produire
à la fois un signe global, celui qui est coextensif de l'unité de la conscience
de l'interprète et une qualité de sentiment particulière inhérente à ce même
hypersigne. Ce diagramme traduit, en quelque sorte, l'algèbre (au sens de
structure "solide", immanente) de cet hypersigne. Cette algèbre est cons­
truite au niveau auquel l'un ou l'autre modèle peuvent le saisir. Des modè­
les plus raffinés fourniraient évidemment une algèbre plus fine de chaque
hypersigne et l'on voit, à cette occasion, se profiler le processus ad infini­
tum dont l'horizon et l'objectif est l'hypersigne lui même pris dans toutes
ses déterminations particulières.
Avant de passer à l'étude de quelques exemples, il convient d'insister
sur le fait que nous analysons des phénomènes sémiotiques. Cette précision
peut paraître superflue, au point où nous en sommes, mais nous devons im­
pérativement nous démarquer de la conception suivant laquelle des objets
sont des signes indépendamment de toute interprétation réelle, c'est-à-dire
de toute détermination concrète. C'est, en gros, la conception dyadique qui
étudie seulement la relation des signes institués à leurs objets en considé­
rant ces relations comme des universaux abstraits. C'est une conception qui
conduit souvent à prescrire les significations plutôt qu'à les décrire, à édic-
ter des normes et des règles présentées comme "naturelles", à donner à des
soi-disant "systèmes de signes" une existence sociale sans historicité. Par
rapport à cette conception normative des signes notre démarche peut se
définir comme l'étude scientifique des signes interprétés (ou produits) et
des communications réelles. Par exemple, quand nous traitons de signes lin­
guistiques, nous situons notre propos au niveau de la parole et nous tentons
de saisir d'un même mouvement de pensée (la pensée "triadique") le rap­
port langue-parole conçu comme rapport social d'une institution abstraite
aux individus concrets impliqués dans la formation sociale dont elle émane.

Etude n°1: "Nègre saluant le drapeau français"

Dans Mythologies, R.Barthes (1957) analyse la page de couverture d'un


hebdomadaire français. La principale partie de cette analyse est reproduite
en annexe F. Cette analyse est notre objet: c'est le phénomène sémiotique
que l'auteur a éprouvé et qu'il a consigné dans son texte, au degré de déve­
loppement qu'il avait atteint à cet instant là. Nous nous proposons donc de
décrire ce phénomène sémiotique à l'aide du modèle triadique à notre dis-
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 263

position, tel qu'il est, en quelque sorte, résumé dans le treillis (CS) des clas­
ses de signes, ce qui revient à accorder à Barthes, mais qui ne le lui accorde­
rait, une connaissance critique parfaite des normes institués de la significa­
tion en vigueur à cette époque, ce qui est le propre du "mythologue". Il est
clair que, pour conduire cette analyse, nous devons écarter nos propres in­
terprétations de la situation décrite et nous en tenir rigoureusement à l'ob­
jectivité du texte.
Les données de l'analyse sont donc, outre le texte, l'ensemble des nor­
mes de la signification instituées au sein de la communauté sémiotique
d'appartenance de Barthes (c'est-à-dire, grosso modo, la "culture françai­
se" des années 50) et la particularité de ces normes telle qu'elle peut se ma­
nifester au moment de leur intériorisation critique par un Barthes.
L'hypersigne interprété par Barthes est donc la couverture de l'hebdo­
madaire Paris-Match telle qu'elle lui est apparue un jour qu'il patientait
chez son coiffeur. Nous n'avons pas à essayer de savoir, par exemple en
consultant les archives de cet hebdomadaire, si la description qu'il en fait
est juste ou pas, s'il a omis des détails; par exemple: sur quel fond était pri­
se la photographie, quelle était sa mise en page, l'expression du soldat,
etc.. Nous n'avons qu'à constater les éléments signifiants pour lui, c'est-à-
dire renvoyant à autre chose qu'à eux mêmes, et que, pour cette raison il a
retenus, autrement dit ceux qui ont été impliqués dans le phénomène sé­
miotique, sélectionnés et interprétés par Barthes, ce jour là, en ce lieu.
Barthes sélectionne deux sous objets: le nègre, considéré dans sa pos­
ture et son habillement, et le drapeau français. Dans le premier il sélection­
ne les éléments suivants que nous classons, en primans, secondans et ter­
tians éventuellement dégénérés:
1. Priman:
- La couleur de la peau du nègre.
2. Secondans:
- La posture du nègre qui est un fait ou secondan authentique car
la personne et le salut sont constitutifs du fait. En d'autres termes ce secon­
dan unit dans un seule qualité de sentiment une qualité de sentiment de
"personne" et une qualité de sentiment de "salut militaire". Supprimons la
personne, il n'y a plus de salut, et réciproquement
- l'habillement du nègre qui est un secondan dégénéré constitué par l'asso­
ciation du nègre et de l'uniforme, association nommée par le verbe "vêtir".
Ce secondan est dégénéré car on peut supprimer l'une des qualités du senti­
ment que chacun produit sans supprimer l'autre.
264 L'ALGEBRE DES SIGNES

3. Tertians:
- L'uniforme français, qui est un existant pris comme tel et consi­
déré comme une instance de la loi qui prescrit ses caractéristiques. C'est
donc un tertian dégénéré au premier degré qui associe un existant avec une
qualité de sentiment de loi gouvernant cet existant. Notons que cet unifor­
me est pris comme totalité c'est-à-dire que tous les signes élémentaires qui
le constituent sont considérés comme sommés.
- Le salut militaire français qui est un fait considéré lui aussi com­
me une instance de la loi qui le prescrit.
Le second sous-objet est drapeau français considéré comme totalité,
tel que nous l'avons analysé et totalisé dans nos études précédentes avec ses
qualités de sentiment de couleur ("tricolore") de rectangle, d'inhérence et
d'intercalation. Barthes le considère comme un tertian authentique.
Enfin ces deux sous-objets sont liés par un tertian dégénéré au premier
degré qui associe le regard du nègre au drapeau tricolore considéré dans sa
talité; ce tertian incorpore le secondan du premier sous-objet qui n'a pas
été retenu en tant que tel mais dans la relation au drapeau qu'il établit,
puisque le regard est interprété comme un "zèle à servir". Cette liaison en­
tre les deux sous-objets assure l'unité de la forme relevée par Barthes dans
cette couverture d'hebdomadaire.
Chacun de ces éléments est impliqué dans un signe triadique, d'où la
liste de signes obtenue à l'issue du premier temps de l'analyse que nous
consignons dans le Tableau 14.
Nous passons maintenant à la construction du diagramme de l'hypersi-
gne analysé par Barthes représenté Figure 94.
La totalité et la talité de ce diagramme s'obtiennent immédiatement.
La totalité est un signe classé (s.3, 3, '3), c'est-à-dire un légisigne symbo­
lique dicent. C'est la signification globale que Barthes accorde dans ce texte
à la couverture de Paris-Match; il l'exprime un peu plus loin dans son texte
en l'appelant "impérialité française". C'est cet ensemble de déterminations
socio-politiques qui déterminent un jeune noir à revêtir l'uniforme français
et à faire allégeance à la nation française en saluant son drapeau. Ces déter­
minations sont représentées dans le diagramme et résultent de ce qu'on
peut appeler les "degrés de sémioticité" de chaque classe de signes. On voit
que militarité et francité sont littéralement projetés sur tous les existants
(les secondans) de la couverture de l'hebdomadaire. Le diagramme est en
quelque sorte la "formule chimique" suivant laquelle les ingrédients relevés
par Barthes ("négrité", francité, militarité) se combinent pour produire
l'impérialité française.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 265

Tableau 14.

Objet et type classe de


élément de type de
des signes Γ(donné) Ω(Barthés) signes
i'hypersigné l'élément
élémentaires élémentaires

couleur de la "négrité"
s.l r r β.1,Γ χ ,Γ
peau
i i
0.1 qualisigne

posture de la salut militaire s.2,r2,E,


s.2 Γ Γ sinsigné,
personne par la personne
2 2
indiciaire,
0.2
dicent.

port d'un uni­ (s.l.r.l),


habillement
forme français Γ
(s.l.r.l) Γ Γ ι ·
2 , Γ'
ι2
de la personne par la personne
2 2
sinsigne
0.2 iconique

militarité (s.2,s.ljf
Uniforme
(s.2,s.l) française Γ
ι '
Γ
3 r
3 3 , Γ'
ι3
Français
0.3 . légisigne
II It «1 indiciaire
Salut militaire
rhématique

8
Drapeau francité ·3·Γ3·Γ3
S.3 r
3
n; symbole
Français 0.3
rhématique

(s,2,s.l)
Regard de la allégeance

r Γ * Γ"
i 3» j
3
personne (s.2,s.l) 0.3
à r
3 légisigne
indiciaire

rhématique

Quant à la talité elle est évidemment classée en s.l, Tv Τχ et corres­


pond à la qualité de sentiment sui-généris produite par la perception de la
couverture: une qualité de sentiment d'impérialité française.
Notons enfin que l'étude que nous venons de faire ne concerne que
l'objet immédiat, c'est-à-dire la couverture considérée hors de tout contex­
te; l'analyse de l'objet dynamique, qui inclurait l'intention du producteur
du signe, nous conduirait à une étude beaucoup plus fouillée faisant appel
aux conditions historiques et sociales du moment qui dépasse le cadre de
l'exemple d'école que nous nous sommes fixés.
266 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 94.

Etude n°2: Deux vers de Verlaine

Considérons les deux premiers vers de la IIIe des "Ariettes oubliées"


des "Romances sans paroles" de Verlaine:
"Il pleure dans mon coeur
Comme il pleut sur la ville."
Nous analysons l'interprétation de ces deux vers lorsqu'ils sont dits
(diction standart) à un interprète doté d'une culture standart, c'est-à-dire,
grosso modo, celle qu'on peut acquérir au cours d'études secondaires. Ces
deux vers étant constitués de mots de la langue, ils constituent un ensemble
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 267

de secondans (les mots "dits") dont chaque élément est impliqué dans un
tertian, c'est-à-dire est un sinsigne réplique d'un légisigne. L'objet immé­
diat de l'ensemble formé par ces deux vers (l'hypersigne) nous est donné
sans ambiguïté aucune par la norme linguistique, partie institutionnalisée
de la langue: il s'agit de la représentation de la représentation d'un fait du
monde interne du poète (tristesse) dans un fait du monde externe (pluie)
comportant l'indication d'une localisation dans chaque monde (coeur, vil­
le). Le premier vers présente le couple pleur/coeur, le second le couple
pluie/ville et l'ensemble des deux vers représente un parallélisme du pre­
mier couple dans le second.
Ce parallélisme est renforcé par l'emploi de la tournure impersonnelle
pour le verbe pleurer. Le schéma formel de la représentation est celui de la
métaphore telle que nous l'avons formalisée dans le chapitre IV. Ce qui fait
l'intérêt de cet exemple, et qui souligne de plus une caractéristique de l'ex­
pression poétique, c'est que ce parallélisme est redoublé par un parallé­
lisme entre les secondans constitutifs de chaque vers, lorsqu'ils sont dits.
En effet on peut associer à chacun des deux vers notés s1 et s2 les dia­
grammes de la Figure 95.

Figure 95.

Ces diagrammes traduisent formellement l'existence d'une rime inter­


ne à chaque vers qui a pour effet, selon notre formalisation, de "recoller"
les objets "sémantiques" de l'analyse précédente suivant des qualités de
sentiment sonores. Autrement dit, les secondans impliqués par les tertians
dans chaque vers sont recollés dans un qualisigne et ce recollement devient
alors le support de la relation sémantique entre les objets de chaque vers.
La transcription phonétique de chaque vers met en évidence que la rime in­
terne /oer/ recolle les deux objets du premier vers tandis que les assonances
/1/ remplissent cette fonction dans le second.
De plus les deux vers sont recollés par le secondan /il pl/ présent dans
chacun d'eux et par les structures formelles (/oer/, /oer/) d'une part et (/1/,/1/
) d'autre part. L'homologie "sémantique" entre les objets abstraits désignés
268 L'ALGEBRE DES SIGNES

par les mots de la langue est redoublée par une homologie "phonétique"
entre les sons qui les expriment. On retrouve ici cette caractéristique de la
poésie romantique qui prenant acte de correspondances entre les états
d'âme et les états des choses s'efforce de représenter cette correspondance
avec une volonté impressionniste très marquée.
Quant aux classes de signes mises en jeu ce sont des symboles Thémati­
ques ou dicents configurés de façon à produire un légisigne iconique. En ef­
fet chacun des objets est représenté par le substantif qui le désigne dans la
langue (symbole rhématique); ces symboles sont enchassés dans deux pro­
positions (symboles dicents) dont le parallélisme conduit au légisigne iconi­
que, à savoir la représentation de la représentation de l'état d'âme du poète
dans un état des choses. Cet exemple nous montre par ailleurs que, lorsqu'il
s'agit de signes linguistiques, la méthodologie décrite ne suffit pas à donner
une description satisfaisante de l'architectonique d'un texte, sauf à prendre
en compte des catégories spécifiquement linguistiques. Nous les aborderons
au chapitre VIII. Auparavant nous allons étudier un autre texte poétique
pour lequel la méthodologie conduit à des résultats plus originaux.

Etude n°3: "Mathématiques" de Jules Supervielle

Les deux vers de l'étude précédente illustrent moins la méthode décrite au


début de cette section que l'universalité de ses principes. Notamment en ce
qui concerne l'algébrisation des représentations. La méthode, strictement
utilisée sur un poème entier, va nous permettre d'en dégager l'architectoni­
que et donc d'illustrer ce que nous pouvons réaliser sur une totalité textuel­
le en utilisant le modèle triadique:
Mathématiques
Quarante enfants dans une salle
Un tableau noir et son triangle
Un grand cercle hésitant et sourd
Son centre bat comme un tambour.
Des lettres sans mots ni patrie
Dans une attente endolorie.
Le parapet dur d'un trapèze
Une voix s'élève et s'apaise
Et le problème furieux
Se tortille et se mord la queue.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 269

La mâchoire d'un angle s'ouvre


Est-ce une chienne? Est-ce une louve? .
Et tous les chiffres de la terre
Tous ces insectes qui défont
Et qui refont leur fourmilière
Sous les yeux fixes des garçons.
Jules Supervielle (Gravitations)
Le titre de ce poème annonce sans ambiguïté une représentation des
mathématiques par son auteur. Jules Supervielle va donc nous les donner à
voir au moyen de la production d'un signe complexe. Notre interprétation
va donc consister à construire sur ce donné, à l'aide de notre expérience
collatérale des différents objets dénotés dans le texte, une vision des
mathématiques très largement influencée par celle de l'auteur. Dans quelle
mesure nous pourrons l'identifier à cette dernière est une question que
nous aborderons après notre étude.
Cependant nous savons déjà que l'auteur n'ignore pas, au moment de
la production du poème, le fonctionnement des institutions qui régissent,
en son temps, la signification accordée aux différents signes élémentaires
qui le composent (en gros la norme linguistique considérée comme une ma­
cro-institution dans son moment de l'universalité). D'autre part comme
nous l'avons vu à la section 5 du chapitre II, il y a, au moment de la produc­
tion, une anticipation sur les éventuelles interprétations à venir qui donne
certaines assurances sur la qualité de la communication, c'est-à-dire sur la
formation dans l'esprit de l'interprète d'une forme de relations très proche
de celle qui est dans l'esprit du producteur et qui produira donc la présence
à son esprit du même objet, ou presque, que celui qui est dans l'esprit du
producteur. Mais pour cela il ne suffit évidemment pas de connaître le fonc­
tionnement de chaque institution (ou plus précisément micro-institution)
attachée à chacun des signes constitutifs du poème; encore faut-il en maîtri­
ser la combinatoire. Non que le producteur ait la possibilité quelconque de
contraindre l'interprète à combiner les signes de telle ou telle façon mais
plutôt par une connaissance pratique approfondie des règles de combinai­
son. C'est donc l'aspect architectonique, que nous développerons dans le
chapitre suivant, qui est fondamental, nous semble-t-il, dans la communica­
tion des formes et notre thèse, rapportée à la langue, nous conduit à affir­
mer d'ores et déjà que ce qui distingue un poète authentique d'un quelcon­
que rimailleur ou faiseur de vers de mirliton c'est la maîtrise de l'architecto-
270 L'ALGEBRE DES SIGNES

nique des significations car elle lui permet de convoyer avec succès des for­
mes de relations originales depuis son esprit jusque dans celui de tout inter­
prète. En d'autres termes, le poète est passé maître dans l'alchimie des
mots, en prenant alchimie dans le sens peircien, à peine métaphorique, de
combinatoire par produit relatif; il invente, en quelque sorte, de nouvelles
molécules de langage et le diagramme que nous allons maintenant dégager
en sera, d'une certaine manière, la formule développée.
Pour éviter des longueurs inutiles nous procèderons à des sommations
partielles, pour la plupart des sommes directes, qui simplifieront le dia­
gramme sans perte d'information. Nous retiendrons donc comme signes
constitutifs dans l'ordre de leur apparition au cours de la lecture du poème:
S1: formé par les deux premiers vers, est un légisigne iconique (s.l,r.l,t.l),
"3, "3 dont l'objet est le tertian "une salle de classe archétype" représen­
tée par l'énumération de quelques uns de ses éléments fondamentaux et in­
terprétés comme tels par le champ d'interprétants formé au cours de l'ex­
périence scolaire de chaque interprète. C'est la structure éidétique d'une
salle de classe abstraite de toutes les salles de classes que tout interprète po­
tentiel a pu fréquenter qui est communiquée à travers la juxtaposition de
quelques qualités de sentiments (quarante enfants, salle, tableau noir,
triangle).
S2: formé par les troisième et quatrième vers est un légisigne indiciaire di-
cent (s.2, s.l), '3, '3 dont l'objet est un cercle doué de vie (dans l'esprit du
poète) au point qu'on peut lui attribuer des qualités proprement humaines
car il porte la marque de la difficulté éprouvée par la main qui l'a tracé. Son
mouvement est comparable à celui de la peau d'un tambour. Il est repré­
senté par un secondan qui le dénote (l'instance du mot cercle) accolé à des
symboles Thématiques qui représentent des primans (hésitant, sourd). C'est
la juxtaposition réelle des mots qui représentent le cercle et les qualités que
le poète lui prète qui contraint les interprètes à construire un tertian dont
l'image par une correspondance '3 est précisément cette représentation
que l'auteur a construite.
S3: formé par les deux lignes de la deuxième strophe est un légisigne indi­
ciaire Thématique (s.2, s.l), '3, "3 dont l'objet est un ensemble indétermi­
né de lettres (probablement ces lettres au moyen desquelles on désigne les
points dans les figures géométriques) dont la situation contextuelle est dé­
crite comme une condition humaine. Ce signe se distingue du précédent par
le fait qu'aucune qualité intrinsèque n'est attribuée à l'objet sauf peut être
celles qui leur seraient nécessaire pour pouvoir ressentir douloureusement
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 271

une attente (l'attente d'être nommées, peut-être) car l'attente pourrait être
celle des quarante enfants et donc appartenir au contexte.
S4: formé par le premier vers de la troisième strophe est un légisigne indi-
ciaire dicent (s.2, s.l), '3, '3 dont l'objet est un tertian, un trapèze maté­
rialisé en parapet dont il possèderait la dureté. Ce signe est construit com­
me S2 sauf que les qualités attribuées au trapèze sont celles d'une chose ma­
térielle inerte.
S5: formé par le deuxième vers de la troisième strophe est un légisigne indi-
ciaire dicent dont l'objet est un tertian, une voix indéterminée (probable­
ment celle du professeur) sur laquelle le poète donne quelques informa­
tions.
S6: formé par les deux derniers vers de la strophe est aussi un légisigne indi-
ciaire dicent. Son objet est un tertian, le concept de problème représenté
dans l'attitude et avec une qualité qui sont celles d'un animal.
S7: formé par les deux vers de la quatrième strophe est un légisigne indiciai-
re rhématique (s.2, s.l), '3, "3 dont l'objet est un tertian, un angle indé­
terminé représenté au moyen de la mâchoire d'un animal avec une préci­
sion telle qu'il est valide de se poser la question de savoir si cette mâchoire
appartient à deux animaux aussi physiquement proches qu'une chienne et
une louve. Remarquons que ce signe implique parmi d'autres un légisigne
iconique particulier constitué par la métaphore: "la mâchoire d'un angle"
(conférer chapitre IV, section 4).
S8: formé par les trois premiers vers de la dernière strophe est un légisigne
iconique, une métaphore, qui représente la représentation d'un ensemble
de chiffres indéterminé dans un ensemble de fourmis.
S9: formé par le dernier vers est un légisigne indiciaire dicent dont l'objet
est un ensemble de garçons dont il est précisé qu'ils ont les yeux fixes, ce
qui les réintègre dans le même champ de l'animalité que le cercle, le pro­
blème, l'angle et les chiffres (la fixité de l'oeil est une caractéristique bien
connue de certains animaux marins comme le poulpe).
En disposant ces classes de signes suivant les relations qu'elles entre­
tiennent dans le treillis (CS) nous obtenons le diagramme de la Figure 96
constitué par les classes de signes encadrées par un trait continu.
La somme et le produit de ce diagramme s'obtiennent immédiatement.
Ce sont les classes de signes encadrées par un trait discontinu, respective­
ment un symbole dicent s.3, 3, '3 et un légisigne iconique (s.l,r.l,s.l),
3, '3
272 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 96.

Il reste maintenant à déterminer dans chacune des classes somme et


produit les signes qui correspondent respectivement à la totalité et à la tali­
té du poème. La création d'un tel signe, c'est-à-dire la définition d'un objet
global du poème qui corresponde à la qualité du sentiment sui-généris
qu'on ressent à la lecture ne ressortit pas à la méthode qui ne peut indiquer
que la classe dans laquelle on doit inclure le signe créé. Nous proposons
d'attribuer à ce poème un objet qui nous parait impliquer les neufs signes
décrits ainsi que le titre du poème et que, faute de mieux, nous appellerons:
la "térato-mathématique".
Il faut remarquer que cette étude ne prend pas en compte la genèse de
cet objet au cours de la lecture du poème qu'elle met à plat en abolissant la
temporalité. L'analyse de la dynamique des significations dans le chapitre
suivant nous permettrait de compléter cette étude par une explicitation de
la construction du diagramme au moyen de la sollicitation, recherchée par
l'auteur, de champs d'interprétants spécifiques qui concourent à l'émergen­
ce de l'objet.

Etude n°4: "La nouvelle Citroën" de R.Barthes (texte n°2, annexe F).

Cette étude sera conduite avec les mêmes principes que l'étude n°l. Elle vi­
sera donc à mettre en évidence l'architectonique de l'analyse que Barthes
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 273

fait de la nouvelle Citroën lors de sa sortie en 1955. Elle nous permet de


souligner la différence qui existe entre les phénomènes sémiotiques analy­
sés dans les deuxième et troisième études dans lesquels nous sommes pris
en compte en tant que porteurs d'une culture largement partagée (et donc
les signes proposés supposent l'accord tacite du lecteur) et l'analyse, en un
sens plus objective, qui consiste à "mettre en forme" les analyses achevées
de Barthes, par exemple. Dans un cas nous sommes à la fois lieu de phéno­
mène et lieu de l'analyse et nous avons à objectiver nos propres interpréta­
tions pour autant que nous les croyons universelles (ce qui est largement
polémique). Dans l'autre cas le phénomène sémiotique, c'est-à-dire l'en­
semble des interprétations effectivement faites par Barthes lorsqu'il avait la
DS 19 sous les yeux un jour de 1955, est objectivé dans son texte qui pour
nous devient donc une sorte de compte-rendu d'expérience à informer avec
nos propres concepts à l'aide de la méthodologie que nous avons élaborée.
Bien entendu le procédé peut être itéré sur notre propre texte ce qui donne
une idée du processus ad-infinitum qu'est la sémiosis que nous étudierons
dans le chapitre suivant.
Nous allons donc procéder comme pour le texte n°l c'est-à-dire que
nous allons relever dans le texte n°2 les caractères retenus par Barthes (si­
gnes élémentaires), les objets qu'il leur associe et tenter d'identifier et de
qualifier les interprétants qui réalisent cette association. Nous consignons
l'ensemble de notre étude dans le Tableau 15 dont la première colonne ren­
voie au numéro du paragraphe dans lequel nous avons choisi un signe, les
autres colonnes étant identiques à celles du tableau de l'étude n°l. Nous
avons cependant scindé le tableau en deux parties: la première est relative
aux paragraphes 2 à 5 inclus qui traitent de la nouvelle Citroën, la seconde
au paragraphe 6 qui traite des rapports du public avec la nouvelle Citroën.
Quant au premier paragraphe il consiste en un certain nombre d'idées gé­
nérales sur l'automobile qui coiffe le texte et que nous retrouverons à l'is­
sue de l'étude.
La confection du tableau appelle une remarque qui concerne les signes
"D.S", "tableau de bord" et "rapports publics D.S" dont l'objet se trouve
repris comme signe à la ligne au dessous. En fait il s'agit d'une amorce de
semiosis, effectuée dans le cours du texte et ce n'est pas réellement l'objet
qui est repris comme signe mais l'objet tel qu'il est présent dans l'esprit de
Barthes après une première interprétation et qui devient à son tour signe:
c'est donc l'interprétant du premier signe qui est signe à son tour, et c'est
par pur abus de langage que nous l'avons désigné par le mot "objet" qui
274 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tableau 15.

élément de Type de Objet du signe et Γ Ω Classe de signes

l'hvpersigne 1'élément type de l'objet adonné) (R.B) élémentaires

2 La nouvelle (s.2,s.l) divinité incarnée 


 » <β.2,β.1),Γ},Γ £

Citroen 0.3 légisigne indiciaire


rhématique


2 n
Sigle D.S" (s.2,s.l) mot "déesse"
0.3
4  (i.2,s.l),TJ,r5

S.3   s.3.r3,r^
mot "déesse" divinité
  symbole rhématique 1
0.3

3 le lisse de s.l perfection


4 
" (s.l,s.l,s.l),r^,r^
la carrosserie 0.3 légisigne iconique

4   (s.2,s.l),r^r^
matière de s.3 goût de la
 
la D.S. 19 légèreté symbole rhématique
0.3

4 aérodynamisme , (s.2,s.l) vitesse Γ '


 (s.2,s.l),r^r^ I
0.3 ' légisigne indiciaire
dicent 1

4   (s.2,s.l), I* ,rj 1
surfaces (s.2,s.l) spiritualité
 
vitrées 0.3

4 mouvement  
insigne (s.2,s.l)
  (s.2,s.l), Γ^, Γ ^
ailé 0.3

5 volant (s.2,s.l) néomanie   Cs.l.s.l). Γ^,Γ^


 
vide

5 tableau de (s.l,r.l, établi d'une 


 · (s.l,r.l,t.l),r^,r^
bord : volets, t.i) cuisine légisigne iconique
voyants, moderne
nickèlerie 0.3

cuisine s.3 ustensilité 


 ^ s 3 Γ Γ"
moderne contrôle symbole rhématique
0.3
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 275

renvoie à l'objet réel séparé des effets qu'il produit et en particulier de sa


présence à l'esprit de Barthes.
Nous pouvons maintenant construire le diagramme de la nouvelle Ci­
troën selon Barthes. Il se trouve qu'il est identique à celui de la Figure 96,
ce qui est un pur hasard, et montre par ailleurs que les diagrammes sémioti-
ques ne sont pas caractéristiques des objets auxquels ils sont associés.
La totalité de ce diagramme est un symbole dicent s.3, 3, '3; nous de­
vons donc trouver un signe qui implique tous les autres signes relevés dans
la première partie du tableau. Son objet doit rendre compte à la fois des ca­
ractères attribués à une divinité (perfection, spiritualité), de ceux qui sont
attribués à un oiseau (légèreté, aérodynamisme, mouvement) ainsi que
d'une certaine ustensilité proche de la néomanie. C'est pourquoi nous pro­
posons: "divinité ornithoïde mécanique", c'est-à-dire une divinité ayant
l'apparence d'un oiseau mécanique. C'est un tertian qui détermine nous
semble-t-il, aux yeux de Barthes la valeur signe de la nouvelle Citroën.
C'est une sorte de version mécanisée de l'oiseau d'Hermès des alchimistes,
ce qui rappelle le côté magique de cette construction mentale. La fonction
de ce tertian est de rassembler les attributs d'une divinité, d'un oiseau et de
la modernité (représentée par une cuisine) qui sont éclatés dans l'objet-si­
gne soumis à l'analyse.
La talité de ce diagramme est un légisigne iconique (s.l, r.l, t.l), "3,
"3 et la voiture en est une réplique c'est-à-dire un sinsigne iconique d'un
genre particulier. Cela signifie que la formation par l'esprit du tertian "glo­
balisant" est accompagnée d'une qualité de sentiment de loi qui s'incarne
dans l'objet. La démarche analytique de Barthes commence d'ailleurs par
l'expression de cette qualité de sentiment (voir paragraphe 2) et le reste de
l'analyse est une explicitation sémiotique des raisons nécessaires qui ont
produit ce sentiment. On vérifie ici que la dualité somme, produit de dia­
gramme s'accompagne d'une dualité rationnel/irrationnel ou encore intel­
lection/sentiment qui s'expliquent mutuellement.
Le diagramme relatif au paragraphe 6 (Figure 97) se construit trés sim­
plement d'aprés le Tableau 16.
Les notions de somme et produit de diagramme y deviennent triviales
donc inutiles. Rappelons que le signe explicité est: "les rapports public
"D.S." auquel Barthes assigne deux objets successifs: un exorcisme "appro-
priatif', puis la "promotion petite-bourgeoise". Ce dernier objet s'obtient
276 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tableau 16.

6 rapports S.3 exorcisme 


 
 s.3,r3r3" 1
public/D.S appropriatif symbole rhématique
0.3

exorcisme S.3 promotion 


 
 s.3,r 3 ,r 3 1
appropriatif petite-bourgeoise argument
s.3

Figure 97.

par une inférence: Si "exorcisme appropriatif" alors "promotion petite-


bourgeoise". C'est un argument qui implique un champ d'interprétants re­
levant de la vulgate marxiste. Cet argument, coiffant sémiotiquement les
rapports public/DS institue ces derniers en pur exemple, en détermination
de ce champ d'interprétants.
Du point de vue sémiotique l'argument de la deuxième partie du ta­
bleau est "supérieur" (dans le treillis (CS)) au symbole dicent qui résume la
première partie. De ce fait l'unité du texte est réalisée par la reprise du
symbole dicent sous la dépendance de l' argument,ce qui revient à dire que
tout ce qui conduit à considérer la nouvelle Citroën comme une "divinité
ornithoide mécanique" relève purement et simplement de l'idéologie peti­
te-bourgeoise. Ce résultat illustre d'ailleurs le projet de Barthes clairement
explicité dans la préface de "Mythologies":
Cependant, ce qui demeure, outre l'ennemi capital (la norme bourgeoise),
c'est la conjonction nécessaire de ces deux gestes: pas de dénonciation sans
son instrument d'analyse fine, pas de sémiologie qui finalement ne s'assu­
me comme une sémioclastie.
Les deux diagrammes correspondent exactement aux deux étapes de
cette démarche: d'abord analyser, démonter la construction des significa­
tions par les acteurs sociaux puis lui appliquer un argument pour y montrer
l'idéologie à l'oeuvre afin de la dénoncer.
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 277

Etude n°5: Le drapeau soviétique

Nous choisissons le drapeau soviétique pour illustrer l'utilisation du modèle


hexadique parce qu'il peut être considéré, à maints égards comme un exem­
ple d'école. En effet nous ne disposons pas ici d'un signe interprété comme
dans l'étude précédente. Donc pour que notre exemple ait quelque valeur
il convient de réduire au maximum les polémiques possibles sur son inter­
prétation et exhiber des objets consensuels. Autrement dit, il faut carré­
ment choisir le signe de façon que les correspondances des différents élé­
ments signifiants avec les objets attribués soient indiscutables, donc prati­
quement univoques. C'est souvent ce qui se produit lorsque les institutions
qui règlent cette correspondance sont réifiées dans leur moment de l'uni­
versalité (signes institutionnalisés) et rien n'est plus institutionnalisé qu'un
drapeau. Il y a là une explication du fait que certains sémiologues, comme
Georges Mounin (1970) ou Louis Prieto (1966) limitent le champ de la sé­
miologie à l'étude des systèmes de signes institutionnalisés comme les codes
(de la route, de la navigation, de l'entretien..., les drapeaux, les blasons,
etc..) afin d'éviter les polémiques qui ne manquent pas de surgir étant don­
nées les conditions objectives de l'élaboration des significations (conférer
chapitre VIII, "Sémiotique et idéologie").
Le drapeau soviétique est un rectangle de couleur rouge comportant
dans sa partie supérieure gauche une faucille et un marteau entrelacés sur­
montés d'une étoile, tous trois de couleur jaune. Nous relevons les signes
élémentaires suivants: la couleur rouge, le dessin de la faucille, le dessin du
marteau, l'étoile, la position relative de la faucille et du marteau, la posi­
tion relative de l'étoile et du groupe formé par la faucille et le marteau. Ce
sont ces signes et ceux là seuls qui nous paraissent impliqués dans tous les
phénomènes sémiotiques engendrés par la perception du drapeau soviéti­
que par un interprète qui participe d'une culture "moyenne universelle".
Tous ces signes sont, sous cette dernière condition, des légisignes. Pour leur
attribuer des objets, nous aurons principalement recours au dictionnaire
des Symboles (Chevalier, Gheerbrant:1982). Selon ces auteurs:
le rouge vif, diurne, solaire, centrifuge incite, lui, à l'action; il est image
d'ardeur et de beauté, de force impulsive et généreuse, de jeunesse, de
santé, de richesse, d'Eros libre et triomphant, [...].
Mais incarnant la fougue et l'ardeur de la jeunesse, le rouge est aussi et par
excellence, dans les traditions irlandaises, la couleur guerrière[...].
Il n'est pas de peuple qui n'ait exprimé — chacun à sa manière — cette am-
278 L'ALGEBRE DES SIGNES

bivalence d'où provient tout le pouvoir de fascination de la couleur rouge


qui porte en elle intimement liées les deux plus profondes pulsions humai­
nes: action et passion, libération et oppression; tant de drapeaux rouges,
flottant au vent de notre temps le prouvent.
A cette couleur est associé le sang qui "symbolise toutes les valeurs so­
lidaires du feu, de la chaleur et de la vie qui s'apparentent au soleil. A ces
valeurs s'associe tout ce qui est beau, noble, généreux, élevé". Rappelons
enfin que dans la mythologie ouvrière et révolutionnaire le rouge du dra­
peau est "rouge du sang des ouvriers" (paroles du chant révolutionnaire:
"Le drapeau rouge"). Pour toutes ces raisons nous lui associerons le
concept (tertian) "d'action libératrice".
En ce qui concerne la faucille, "attribut de plusieurs divinités agrico­
les", elle est "en rapport avec le symbolisme lunaire et avec celui de la fé­
condité: signe de féminité". Elle est aussi:
le symbole de la décision tranchante, de la différenciation résolue sur la
voie de l'évolution individuelle ou collective. C'est le signe de la progres­
sion temporelle, la nécessité évolutive elle-même à partir de la semence
originelle.
Nous lui associerons le concept de "paysannerie" auquel il faudrait ad­
joindre un adjectif qui traduirait une acception de ce concept rendant
compte du caractère positif de l'évolution évoquée: "fécondante", "évoluti­
ve", "progressiste", sans être tout à fait satisfaisants pourraient convenir.
Le marteau, bien qu'aucune entrée ne lui soit réservée dans le diction­
naire des symboles, est manifestement un signe de masculinité que sa fonc­
tion d'outil permet d'associer sans ambiguïté au prolétariat industriel consi­
déré dans sa force productive, sa capacité d'impulser le progrès matériel.
Attribut du forgeron auquel la mythologie reconnaît un pouvoir surhumain,
il représente, en quelque sorte, dans la fantasmagorie marxiste, le proléta­
riat dans son rôle de forgeron de l'histoire.
L'étoile à cinq branches comme toute étoile, source de lumière est un
symbole "de l'esprit et, en particulier, du conflit entre les forces spirituel­
les, ou de lumière, et les forces matérielles, ou des ténèbres"; elle est en ou­
tre un "symbole du microcosme humain". Nous lui associerons le concept
"d'humanité militante" pour rendre compte de son implication dans le con­
flit de l'esprit et de la matière.
La disposition croisée de la famille et du marteau se rapporte de toute
évidence à l'union des objets que chacun d'eux représente, à laquelle le
symbolisme de la croix ajoute l'idée d'un tourbillon créationnel par analo-
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 279

gie avec le svastika, idée soutenue par la juxtaposition d'un signe féminin
(la faucille) et d'un signe masculin (le marteau). C'est donc l'union de la
"paysannerie fécondante" et du "prolétariat productif', si présente dans
l'exaltation du tracteur agricole dans la filmologie soviétique, qui est repré­
sentée par cette disposition croisée. En soi, c'est un signe d'union.
Enfin la position de l'étoile au dessus (pour le sens de lecture habituel
des drapeaux) de la faucille et du marteau croisés est un signe qui en met­
tant cette "union des forces de progrès" sous la dépendance (rapport du
haut et du bas) d'une humanité impliquée dans un conflit d'importance vi­
tale, renvoie à la classique division marxiste entre infrastructure et super­
structure. L'objet de ce signe sera donc la maîtrise de l'esprit humain sur
l'évolution matérielle.
Nous affectons maintenant chaque signe à une classe de signes hexadi-
ques. Tous les objets dynamiques sont des tertians. Nous indiquons les clas­
ses hexadiques sous leur deux formes (conférer chapitre V). Nous propo­
sons dans l'ordre:
- couleur rouge: (3,3,3,3„2,1) ou (3,Γ3,3,Γ3,Γ'3,Γ"3)
- faucille: (3,3,3,3,2,2) ou (3,3,3,3,'3,'3)
- marteau: (3,3,3,3,2,2) ou (3,3,3,3,'3,'3)
- étoile: (3,3,3,3,3,1) ou (3,3,3,3,'3,"3)
- disposition croisée: (3,3,3,3,3,2) ou (3,3,3,3,3,'3)
- configuration: (3,3,3,3,3,2) ou (3,3,3,3,3,'3)
Rappelons que si l'on veut suivre dans chaque cas la forme transmise il
convient de considérer les trois derniers éléments de chaque sextuplet dans
l'ordre inverse. Ainsi la couleur rouge qui est, dans ce cas, un signe tertian
(dégénéré au second degré: le tertian "action libératrice" est incorporé par
triplement du priman qu'est la qualité "rougéité" du fond du drapeau) pro­
duit un interprétant immédiat priman (sentiment de rouge), lequel produit
un interprétant dynamique secondan (vivacité du rouge) et l'interprétant fi­
nal est le tertian "action libératrice" qui incorpore la vivacité dans le
concept d'action.
En se reportant au treillis (SH) (chap. V) on peut dresser le diagramme
du drapeau soviétique de la Figure 98.
L'architotalité de ce diagramme est évidemment un signe hexadique de
la classe (3,3,3,3,3,2). Il intègre le tourbillon créationnel engendré par la
disposition croisée de la faucille et du marteau dans une sorte de marche
triomphale de l'humanité (représentée par l'étoile à cinq branches) sur un
fond (rouge) d'action libératrice qui supporte la talité de ce progrès ininter-
280 L ' A L G E B R E D E S SIGNES

Figure 98.

rompu parce que promis indéfiniment. On retrouve là l'aspect messianique


du marxisme, cette marche inéluctable vers un monde meilleur qui serait la
fin dernière de l'histoire forgée par les hommes. De plus la configuration
des trois signes placée dans le coin supérieur droit (signe de position que
nous aurions pu aussi prendre en compte dans l'analyse) renforce l'idée
d'un mouvement ascendant de l'ensemble. L'objet du drapeau soviétique
peut donc se définir ainsi: "marche ascendante et libératrice de l'humanité
vers un monde idéal dont le moteur est l'union des ouvriers et des paysans".

Etude n°6: "Quelle sorte de journée est-ce? C'est une journée orageuse"

Dans une lettre à W.James datée du 14 Mars 1909, Peirce analyse, en tant
que signes hexadiques, les termes d'un dialogue réel ou imaginaire, entre
lui-même et sa femme (texte n°3, annexe F). Nous allons procéder à la
même analyse dans le modèle hexadique que nous proposons en essayant
de donner les précisions que notre méthodologie peut apporter et en éva­
luant les éventuels écarts avec l'analyse de Peirce. Il s'agit moins d'une
comparaison ou d'une recherche de ratification de notre modèle par le fan­
tôme du savant que d'un prétexte destiné à montrer que le modèle est utili­
sable en toutes circonstances. De plus cet exemple constitue aussi une com­
munication que nous étudierons comme telle à l'aide du treillis (Com).
Pour faciliter notre analyse nous ferons quelques considérations a prio­
ri qui sont de manière évidente des présupposés du texte de Peirce à savoir:
- que l'ensemble des conditions météorologiques assignables à une journée
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 281

quelconque peut être divisé en classes d'équivalence, la relation qui définit


ces classes étant l'identité des impressions que les conditions météorologi­
ques produisent sur toute personne. Chaque classe d'impressions définit
donc un "type de temps".
- que ces impressions sont des effets de certains caractères identifiables des
conditions météorologiques objectives du moment et donc que ces causes
objectives rendent possibles un accord général sur la partition évoquée ci-
dessus.
En termes plus formels nous dirons que le texte de Peirce présuppose
la définition d'une relation d'équivalence sur l'ensemble des conditions
météorologiques qui est la suivante: les journées A et  sont équivalentes
si et seulement si elles produisent la même impression sur toute personne.
La question posée par Madame Peirce à son mari se retraduit alors ain­
si: "A quelle classe appartient l'impression que vous avez ressentie en je­
tant un coup d'oeil à travers les rideaux?"
Il convient maintenant de bien préciser les conditions de l'analyse en
prenant garde que Peirce est à la fois acteur et narrateur. L'Interprétant
Immédiat dit-il tout d'abord est "la qualité du temps" puis, dans la phrase
suivante, "tout ce que la question exprime". Il y a là une ambiguïté de tail­
le: l'action du signe est produite par la question de Mme Peirce, pas par le
temps qu'il fait. Mais l'action du temps qu'il fait, l'impression que Peirce en
retire est une donnée de fait de la situation, une détermination actuelle de
l'esprit de Peirce au moment où il entend la question. Nous lèverons cette
ambiguïté apparente en considérant que l'interprétant immédiat consiste
précisément dans la mise en rapport de la détermination de l'esprit de Peir­
ce par le temps avec la nouvelle détermination de son esprit créée par la
question de sa femme. A ce titre l'interprétant immédiat sera donc pour
nous un secondan: l'union dans une dyade de l'effet de la question et de
l'effet du temps présent sur l'esprit de Peirce.
Quant à l'Objet Immédiat, Peirce écrit que c'est le "temps à ce mo­
ment". Mais cela ne peut être, dans notre modèle, que le temps à ce mo­
ment tel qu'il peut être présent à l'esprit de sa femme et qui est incorporé
dans la question plus précisément dans le fin de la question:" ... journée
est-ce?", ce qui présuppose un mode d'être de la journée, celui qui produit
des impressions, en quelque sorte, étalonnées. L'Objet Immédiat com­
prend donc un secondan, le temps en ce moment, qui est un fait même s'il
n'est présent à l'esprit de Madame Peirce qu'au titre de possibilité abstrai­
te, et une qualité de sentiment qui serait une qualité de sentiment "de
282 L'ALGEBRE DES SIGNES

temps présent", déterminée par les conditions objectives, les paramètres


actuels (température, hygrométrie) de la chambre pour autant qu'ils sont
réellement affectés par les conditions météorologiques extérieures, etc..
En bref l'objet immédiat est un couple formé d'un secondan et d'un priman
tous deux incorporés dans l'Objet Dynamique.
L'Interprétant Dynamique, écrit Peirce, est "ma réponse à sa ques­
tion", "l'effet réel qu'elle a sur moi, son interprète". Il faut rappeler à ce
sujet la précision que Peirce apporte à son analyse du commandement "Re­
posez, arme!" dans une autre lettre à James du Premier Avril 1909 (donc
postérieure à celle-ci, 8.15), dans laquelle il reconnaît que l'interprétant dy­
namique n'est pas le choc des fusils sur le sol mais plutôt "l'acte de l'esprit
des soldats". Il en est de même ici; l'Interprétant dynamique est l'acte de
l'esprit de Peirce qui s'inscrira dans sa réponse ultérieure ou qui se produit
dans le temps même de sa réponse. Quel est donc cet effet réel de la ques­
tion sur Peirce qui est transcrit dans sa réponse? C'est sûrement l'attribu­
tion de l'impression actuelle à une classe d'impressions prédéterminée,
c'est-à-dire formée par ses expériences antérieures, autrement dit l'actuali­
sation dans son esprit du concept de temps orageux. C'est donc un secon­
dan impliqué dans un tertian.
Quant à l'objet dynamique il est "l'impression que j'ai probablement
éprouvée...". Rappelons que l'Objet Dynamique est "l'objet dans son
mode d'être comme un agent indépendant déterminant le signe" (MS 292).
Peirce veut donc dire que c'est l'impression qu'il a lui-même éprouvée qui
a déterminé sa femme à lui poser la question, car celle-ci sait qu'il a jeté un
coup d'oeil entre les rideaux. Dans notre modélisation l'Objet dynamique
est bien cette impression mais cette impression présente à l'esprit de sa fem­
me. Maintenant comment peut-elle être présente à l'esprit de sa femme, la­
quelle n'a aucun rapport direct ni avec le temps qu'il fait, ni avec l'impres­
sion ressentie par Peirce? La réponse est que l'Objet Dynamique ne peut
être qu'un tertian, à savoir la notion de l'impression que peut produire le
temps qu'il fait sur un individu, notion que Madame Peirce a évidemment
formée dans ses expériences antérieures et qu'elle est fondée à attribuer à
son mari qui a largement partagé ses.expériences.
Avant d'aborder l'interprétant final (que dans ce texte Peirce confond
avec l'interprétant ultime) il convient de faire le point en prenant en comp­
te la remarque que nous avons faite au début de cette analyse. Peirce est ac­
teur (supposé) et narrateur: les objets du signe sont ceux qu'il lui attribue­
rait s'il était dans la situation décrite. Autrement dit, les objets du signe que
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 283

nous avons décrits, immédiat et dynamique, sont présents à l'esprit de Peir-


ce comme étant possiblement présents à l'esprit de sa femme, et le tout est
présent à l'esprit de Peirce en tant que créateur et narrateur de l'exemple.
Cette situation complexe est, nous semble-t-il, convenablement prise en
charge par la notion de "structure de Peirce" (chapitre III) qui consiste en
fait à "rajouter" à une chose la détermination de l'esprit qu'elle produit. Et
dans ce cas précis la structure de Peirce est dans l'esprit du dit Peirce. Pour
conclure provisoirement: supposons que la scène ait effectivement eu lieu;
alors le phénomène sémiotique qui se serait réellement produit appartien­
drait à la classe des signes hexadiques (3,2,2,-,2,2) ou (2,Γ'3,2,-,Γ'3,Γ'3), la
quatrième place restant à compléter. Compte-tenu des impératifs catégo­
riels, on sait que l'interprétant final ne peut être qu'un secondan, ce que
nous allons nous efforcer de justifier.
On voit immédiatement que l'interprétant final indiqué par Peirce
("son but en posant la question,...) déborde trés largement le cadre dans le­
quel l'analyse s'est jusqu'ici déroulée et révèle par là au moins, une certaine
imprécision. Car, à proprement parler, rien dans le signe étudié "Quelle
sorte de journee est-ce?" ne réfère à un quelconque but sinon par inférence
portant sur le fait même de poser la question. Les idées de but, de "plans
pour la journée" introduites par Peirce sont relatives à des réalités à venir
et à ce titre elles ne peuvent participer de l'Objet Réel, leur être étant dans
le futur, elles ne peuvent rien déterminer dans le présent qui soit indépen­
dant de l'esprit qui les conçoit. Nous laisserons pour l'instant ce problème
car il nécessite une analyse serrée de la dynamique des significations qui
sera l'objet du chapitre suivant. Cependant, dans la logique de notre forma­
lisation nous pouvons considérer, en restant dans la temporalité du phéno­
mène sémiotique, que l'interprétant final est un secondan impliqué dans un
tertian (et c'est dans cette implication que réside, nous semble-t-il, tout le
problème). Le tertian c'est cette notion générale de l'impression que peut
produire le temps qu'il fait sur un individu, des classes d'équivalences de ty­
pes de temps qu'elle détermine habituellement qui sont probablement pré­
sentes a priori dans l'esprit de Madame Peirce; le secondan est l'actualisa­
tion de cette notion dans l'affectation que Peirce fait, sous l'action du signe,
de l'impression qu'il a ressentie en regardant à l'extérieur à l'une des classes
prédéterminées d'impressions. C'est en quelque sorte cette impression
considérée comme représentant une classe d'impressions. Nous distingue­
rons donc l'interprétant final d'un interprétant ultime à définir ultérieure­
ment.
284 L'ALGEBRE DES SIGNES

En définitive nous affectons ce signe à la classe (3,2,2,2,2,2) ou


(2,Γ'3,2,Γ'3,Γ'3,Γ'3) qui, selon les dénominations de l'hexade  est une ins­
tance de légisigne Collectif, Désignatif, Pratique, Percussif et Catégorique
(car les interrogatifs comprennent les impératifs).
Analysons maintenant plus rapidement la réponse de Peirce: "C'est
une journée orageuse". Les interprétants que décrit Peirce sont ceux qu'ils
prêterait à sa femme si le cas s'était produit. En fait ce sont les siens —
comment pourrait-il en être autrement? — mais cette remarque ne change
rien à la signification de cet exemple d'école. Son Objet dynamique est un
tertian, car "l'identité des conditions météorologiques" s'entend comme la
description d'une classe d'équivalence d'impressions et réfère donc à une
partition d'une totalité par une relation d'équivalence. L'Objet Immédiat
est encore un tertian, "la notion du temps présent" en tant que cette notion
est déterminée par les conditions météorologiques actuelles mais prises
dans leur identité avec d'autres conditions météorologiques antérieures et
extérieures au moment présent, c'est-à-dire dans leur généralité. Le signe
est lui-même un secondan; la proposition "une journée est orageuse", ac­
compagné d'un priman qui est la qualité de sentiment d'actualité représen­
tée par le déictique "ce". L'Interprétant Immédiat, "le schéma dans son
imagination" est un secondan constitué par une relation dyadique d'inhé­
rence entre une qualité de sentiment de "journée" et une qualité de senti­
ment "d'orage". L'Interprétant Dynamique, "l'effet actuel" de ce schéma
est un secondan constitué par un changement d'état de conscience et la tali-
té de ce secondan peut être, par exemple, le désappointement. Les qualités
de sentiment mises en jeu sont, d'une part, celle d'une "journée sans ora­
ges" qui correspondrait à l'état de conscience de Madame Peirce avant la
réponse de son mari, d'autre part, celle d'une "journée orageuse". Pour
l'Interprétant Final nous retrouvons le problème évoqué dans l'étude de la
question. On constate là aussi que celui qui est indiqué par Peirce déborde
largement l'Objet Dynamique en dépassant la simple communication d'une
information sur l'état du ciel, puisqu'il concerne "la somme des leçons de la
réponse". Là aussi nous distinguerons un interprétant final, dans le temps
du phénomène sémiotique stricto-sensu tel que nous l'avons connu
jusqu'ici, qui est encore un secondan impliqué dans un tertian, à savoir l'ef­
fet que peut avoir cette communication particulière concernant l'état du ciel
sur les actes pratiques envisagés pour la journée par Madame Peirce, effets
qui sont d'une certaine manière inclus dans la notion de journée orageuse
par inférence déductive. Le tertian correspondant est une sorte de notion
ARCHITECTONIQUE DES SIGNIFICATIONS 285

incorporée dans une réflexion philosophique sur la dépendance de l'homme


par rapport à la nature, etc.. Nous classons la réponse de Peirce en
(3,3,2,2,2,2) ou (2,Γ'3,3,Γ'3,Γ'3,Γ'3) qui est une instance de légisigne Collec­
tif, Copulant, Pratique, Percussif, Catégorique. Si nous examinons la posi­
tion relative des deux classes de signes hexadiques correspondant aux deux
signes étudiés dans le treillis (SH) nous voyons que la première présuppose
la seconde, ce qui est cohérent avec le fait que la réponse n'est que l'une
des réponses a priori possibles; autrement dit, dire qu'il fait une journée
orageuse présuppose que les "journées sont catégorisées en types définis".
Nous pouvons aussi utiliser ce dialogue comme exemple de communi­
cation pour illustrer la section 4. Dans le modèle triadique le premier signe
comme le second sont des légisignes indiciaires dicents comme le montre le
tableau des correspondances entre signes triadiques et signes hexadiques
établi au chapitre V dans lequel on peut constater que les classes des signes
hexadiques n°ll et 16 sont incluses dans la classe du légisigne indiciaire di-
cent. La communication décrite par Peirce est donc une communication
élémentaire du type (c barré, c).
CHAPITRE SEPTIÈME

Dynamique des significations: la semiosis

Car non seulement nous recevons des images


ou traces dans le cerveau, mais nous en for­
mons encore des nouvelles, quand nous envi­
sageons des idées complexes. Ainsi il faut que
la toile qui représente notre cerveau soit acti­
ve et élastique.
Leibniz, "Nouveaux essais sur l'entendement
humain"

1. La semiosis ou l'action du signe

C'est dans "A survey of pragmaticism" (1906) que Peirce expose sa concep­
tion de la sémiosis en liaison avec la notion d'interprétant logique et les
principes fondamentaux du pragmaticisme. Nous avons effleuré la question
de la sémiosis dans le chapitre V au cours de la discussion sur les rapports
que peuvent entretenir les trichotomies de l'interprétant en immédiat, dy­
namique et final d'une part, affectif, énergétique et logique d'autre part. La
conception de Peirce peut se résumer ainsi:
- il y a sémiosis ou action d'un signe quand il y a création d'une relation
triadique entre trois choses dont l'une est une détermination d'un esprit.
Cette action est à distinguer d'une relation triadique qui peut s'établir en
dehors de tout esprit (mais pas sans rapport) comme dans le cas d'une régu­
lation automatique ou d'un système cybernétique. A cette relation on asso­
ciera le nom de "quasi-signe" qui est donc un concept plus vaste, puisque
tout signe est un quasi-signe alors que l'inverse n'est pas vrai (conférer
5.473).
- la sémiosis peut être décomposée chronologiquement en trois étapes suc­
cessives: la première est la création, par l'action du signe, de l'interprétant
288 L'ALGEBRE DES SIGNES

affectif qui est "un sentiment que le signe produit", lequel peut produire
dans le monde intérieur une réaction ou effort mental qui est l'interprétant
énergétique qui constitue la seconde étape: "Si un signe produit un autre ef­
fet signifié propre, il le produira par le moyen de l'interprétant affectif, et
ce nouvel effet impliquera toujours un effort" (5.475). Il peut y avoir enfin
un autre genre d'effet appelé l'interprétant logique.
- tous les signes n'ont pas d'interprétant logique: "on peut ajouter a ceci la
considération que ce n'est pas tous les signes qui ont des interprétants logi­
ques, mais seulement les concepts et autres choses du même genre"
(5.482).
- lorsqu'un signe a un interprétant logique on peut en fait le décomposer,
toujours diachroniquement, en une suite d'interprétants logiques "conjec­
turaux" (5.480) qui sont soumis à des modifications à la suite "d'actions vo­
lontaires diverses dans notre monde intérieur" (5.481), mais il s'agit tou­
jours de signes "qui ont eux mêmes un interprétant logique" et donc aucun
ne peut être "l'interprétant logique ultime du concept" (5.476).
- cet interprétant logique ultime qui n'est pas un signe fut longtemps une
énigme pour Peirce (5.483) car il devait être, dans tous les cas, un futur
conditionnel. La solution de l'énigme apparut à Peirce dans le changement
d'habitude, c'est-à-dire:
une modification des tendances à l'action d'une personne, résultant d'ex­
périences antérieures ou d'efforts antérieurs de sa volonté ou de ses ac­
tions, ou d'un complexe des deux genres de cause (5.476).
Ce changement d'habitude peut d'ailleurs consister en un accroisse­
ment ou une réduction de la force de l'habitude (5. 477).
- on peut distinguer trois classes d'événements qui sont des causes de chan­
gements d'habitude: des expériences dans lesquelles l'esprit est contraint
(5.478), les efforts de l'imagination qui accompagnent certaines actions
musculaires répétées (5.479), les réitérations d'idées du monde interne
(5.487).
- donc c'est
l'habitude formée délibérément par analyse d'elle même — parce que for­
mée à l'aide des exercices qui la nourrissent — qui est la définition vivante,
l'interprétant logique véritable et final. Par suite, pour exprimer le plus
parfaitement possible un concept que les mots peuvent communiquer, il
suffira de décrire l'habitude que ce concept est calculé à produire. Mais
comment une habitude pourrait-elle être décrite sinon en décrivant le gen­
re d'action auquel elle donnera naissance, en précisant bien les conditions
et le mobile? (5.491)
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 289

enfin cette habitude "n'est pas du tout exclusivement un fait mental


[....]. Le cours d'eau qui se creuse un lit prend une habitude" (5.492). L'ha­
bitude est le moyen privilégié par lequel monde extérieur et monde inté­
rieur entrent en interaction:
l'interaction de ces deux mondes consistant principalement en action direc­
te du monde extérieur sur le monde intérieur et en action indirecte du
monde intérieur sur le monde extérieur par l'opération des habitudes.
(5.493)
Les habitudes appartiennent donc au monde extérieur "parce qu'elles
ne sont pas de simples fantaisies mais des opérations réelles" (5.493).
Ce résumé très imparfait est quand même suffisant pour nous permet­
tre de montrer combien cette conception de Peirce s'accorde avec notre for­
malisation. On trouvera dans l'ouvrage de E. Carontini (1984) une inter­
prétation de l'interprétant logique en termes de "compétence communica-
tionnelle" qui nous parait restrictive car ce concept exclut les détermina­
tions sociales de la communication que notre modèle prend en charge au
moyen du concept d'institution considéré dans ses trois moments.
Nous l'avons déjà indiqué dans la section 5 du chapitre V, on ne peut
comprendre l'articulation des deux trichotomies de l'interprétant qu'au
moyen d'une phanéroscopie systématique d'une catégorie qui fournit les
triplets d'interprétants valides du point de vue de l'analyse phénoménologi­
que des phénomènes sémiotiques. Ce point de vue transcende nécessaire­
ment la chronologie qui se déroule dans la succession affectif/énergétique/
logique, cette succession devant donc se produire dans le cadre préfixé des
présuppositions logiques qui régissent les rapports des interprétants immé­
diat, dynamique et final et qui sont intégrées dans la catégorie considérée.
Le Tableau 17 rassemble ces considérations. Il indique d'abord tous les tri­
plets valides qu'on peut rencontrer dans l'interprétation d'un signe décrit
suivant le modèle hexadique, puis dans l'avant dernière colonne, le numéro
d'ordre des classes de signes hexadiques (section 2, chapitre V) qui relèvent
de ce type d'interprétation et enfin dans la dernière la qualification dans la
trichotomie affectif/ énergétique/logique que, selon nous, Peirce associe à
chacun de ces signes.
Ce tableau met en évidence que la trichotomie affectif/énergétique/lo­
gique est en fait une tripartition de l'ensemble suivant la nature de l'inter­
prétant final. C'est donc une typologie des interprétants finals. Cette asser­
tion est justifiée par un faisceau d'arguments qui, nous semble-t-il sont par­
ticulièrement convaincants:
290 L'ALGEBRE DES SIGNES

Tableau 17.

n° Id I1. classes de signes hexadiques type


If 1

1 3 3 3 n° 1 logique 1
Il I
2 3 3 2 n° 2
•1 I
3 3 3 1 n° 3
Il I
4 3 2 2 n° 4
Il I
5 3 2 1 n° 5
6 3  1 n° 6 Il I

7 2 2 2 n ° s 7,11,16,22 énergétique
os
8 2 2 l n 8,12,17,23
9 2 1 1 n o s 9,13,18,24

10 1 1 1 n ° s 10,14,15,19,20,21, affectif
25,26,27,28.

- Peirce est conduit à poser la notion d'interprétant logique en 5.476 dans


la perspective de résoudre" le problème de ce qu'est la signification d'un
concept intellectuel" (5.475). Nous traduisons qu'il se propose d'étudier la
sémiosis produite par l'incorporation d'un tertian dans un signe, ou encore
que son objet d'étude est le processus consécutif à l'action d'un signe dont
l'objet est un tertian, comme l'est un concept intellectuel.
- Suivant notre modèle, si l'objet est un tertian l'interprétant final peut
être un tertian, un secondan ou un priman. Mais Peirce s'intéressant à la si­
gnification des concepts ne retient que les sémiosis qui correspondent à l'in­
terprétation d'un tertian comme tel. Comme on peut le voir dans les lignes
7, 8 et 9 du tableau, il n'y a pas de différence du point de vue de la sémiosis,
c'est-à-dire du point de vue de ce qui se passe réellement dans l'esprit soumis
à l'action d'un signe, entre, par exemple, les classes 7, 11, 16, 22 dont les
objets sont un tertian pour la première et un secondan pour les trois autres.
Ceci provient évidemment du fait que dans la classe n° 7 le passage de la
forme du signe à l'esprit se fait avec perte d'information et que ce n'est
qu'un secondan impliqué par le tertian qui déclenche la sémiosis, comme
pour les trois autres cas.
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 291

- Ceci nous permet de comprendre pourquoi "ce n'est pas tous les signes
qui ont des interprétants logiques" (5.482). La condition pour qu'un signe
ait un interprétant logique est que son interprétant final soit un tertian, ce
qui présuppose que son objet soit un tertian, ce qui pose en termes sémioti-
ques le problème de Peirce, à savoir la recherche de la signification d'un
concept.
- On peut aussi expliquer de manière satisfaisante le passage suivant, im­
portant pour bien saisir le lien entre pragmatisme et sémiotique:
Car le succès obtenu en traitant sur ce modèle un grand nombre de
concepts intellectuels, dont quelques uns seulement sont mathématiques,
fut si éclatant que je fus pleinement convaincu que prédiquer n'importe le­
quel de ces concepts à un objet réel ou imaginaire équivaut à déclarer
qu'une certaine opération correspondant à ce concept, appliqué à cet objet
aurait (certainement ou probablement ou possiblement, selon le mode de
prédication) un résultat déterminé descriptible en termes généraux.
(5.483)
En effet, les trois modes de prédication dont il est question peuvent
être associés pour le premier (mode certain) à l'interprétant final logique
qui correspond au tertian interprété comme tel, pour le deuxième (mode
probable) à l'interprétant énergétique considéré comme un tertian dégéné­
ré au premier degré (un secondan impliqué dans un tertian "probable") et
pour le troisième à l'interprétant affectif considéré comme un tertian dégé­
néré au deuxième degré (un priman impliqué dans un tertian "possible").
Il nous reste maintenant à examiner quel statut il convient de donner
dans notre modèle à l'habitude comme interprétant logique ultime. On voit
immédiatement la difficulté: notre modèle est relatif à des phénomènes sé-
miotiques considérés dans le moment de leur production, ici et maintenant.
Il ne saurait donc incorporer, tel quel, l'habitude, telle que la conçoit Peir­
ce, qui est un futur conditionnel. Cependant nous avons accordé à la rela­
tion d'un signe à son objet le statut d'institution sociale que nous avons lié
à la notion d'interprétant en concevant l'institution dans la dialectique de
ses moments constitutifs. Nous sommes donc conduit à élucider les rapports
entre les concepts d'institution et d'habitude pour parachever notre modé­
lisation afin qu'elle prenne aussi en charge la dynamique des significations.

2. Institution et habitude

La mise en regard de ces deux concepts à laquelle nous conduit l'étude de


292 L'ALGEBRE DES SIGNES

la sémiosis nous plonge irrémédiablement dans un débat que le développe­


ment de notre modèle formel a suspendu, qui est celui des rapports du so­
cial et du psychologique et donc pose la délicate question de leur objectiva-
tion dans un modèle. Avant de faire les mises au point indispensables sur
l'un et l'autre concept, il nous parait utile de reformuler la question dans les
termes exacts dans lesquels elle nous est apparue, car nous n'avons pas le
dessein ni la prétention d'apporter des réponses d'ordre général aux pro­
blèmes posés par l'articulation du social et du psychologique, notre ambi­
tion étant seulement de la saisir telle qu'elle semble se manifester dans les
phénomènes sémiotiques.
Nous avons considéré la relation établie entre un signe et son objet
comme une institution sociale parce qu'elle en présente tous les caractères:
elle est relative à une communauté et remplit pour cette communauté un
certain nombre de fonctions sociales (fonctionnalité de l'institution), no­
tamment la communication sociale qu'il s'agisse de communication de
masse ou de communication interindividuelle; elle présente comme toute
institution un aspect contingent et un aspect de permanence et de stabilité.
Etant donné l'acception habituelle du terme nous pourrions qualifier chacu­
ne de ces relations de "micro-institution", étant entendu que ces micro-ins­
titutions sont d'une certaine manière fédérées dans des institutions propre­
ment dites comme, par exemple, la langue. Nous étudierons cette question
dans les sections suivantes. Pour l'instant nous ne considèrerons qu'une
seule de ces micro-institutions qui sera donc pour nous essentiellement por­
teuse de l'aspect social des phénomènes sémiotiques. Cependant, au moyen
de l'action du signe telle qu'elle se produit dans une perception, s'établit
une relation entre cette micro-institution et l'esprit d'un quelconque mem­
bre de la communauté pourvu que l'expérience collatérale de ce dernier,
c'est-à-dire la "somme effectuée" des actes qu'il a accomplis (y compris les
actes de résistance passive) ait créé dans son esprit une habitude (interpré­
tant logique ultime) qui associe invariablement à la perception du signe la
présence à l'esprit de l'objet. Il est clair que cette habitude, lorsqu'on regar­
de l'interprète non pas en soi mais comme membre de sa communauté, est
d'une certaine manière constitutive de l'institution et qu'elle la renforce en
même temps qu'elle se renforce, chaque fois qu'elle l'actualise. C'est donc
en prenant en compte la dialectique de l'institution et la semiosis qui consti­
tue (au sens où elle crée ou recrée le rapport du signe et l'objet) l'interpré­
tant logique ultime, que nous pouvons espérer découvrir des caractères es­
sentiels qui fondent l'institution dans la socialité des phénomènes sémioti-
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 293

ques. En somme nous devons saisir d'un même mouvement de pensée l'ins­
titution des phénomènes sémiotiques dans l'ordre social et leur constitution
dans l'ordre psychologique.
Nous nous sommes assez longuement exprimé sur ce sujet dans la des­
cription des phénomènes sémiotiques (section 4 du chapitre I) en exposant
l'analyse dialectique du concept d'institution mise en avant par le courant
sociologique de l'analyse institutionnelle. Nous pouvons maintenant, dispo­
sant de modèles formels élaborés des phénomènes sémiotiques, aller plus
au fond dans l'analyse.
Reprenons l'analyse des trois moments du concept d'institution en y in­
tégrant les éléments formels dégagés par notre étude, dans le cadre de la
micro-institution que constitue la relation d'un signe à son objet et en rela­
tion avec un esprit par l'action du signe.
Le moment de l'universalité, moment de l'unité positive du concept,
est l'institué de la relation signe-objet. C'est cette relation considérée com­
me un en-dehors de l'esprit, un déjà là indépendant de l'esprit, une réalité
sociale objectivée. On peut à ce niveau faire une remarque qui montre bien
comment il possible que toutes les significations puissent, si on isole ce mo­
ment, apparaître comme "naturelles". En 3.360, Peirce définit l'emblème
(symbole) comme un signe qui n'est lié à son objet qu'en conséquence
d'une association mentale et dépendant d'une habitude. En 3. 361, il définit
l'indice au moyen d'une relation binaire directe du signe avec son objet "in­
dépendante de l'esprit qui utilise le signe". En 3.362, il écrit qu'au cours de
nos raisonnements sur un diagramme, ce dernier "est pour nous la chose
même" et que "en contemplant un tableau, il y a un moment où nous per­
dons conscience qu'il n'est pas la chose, la distinction entre le réel et la co­
pie disparaissant"... On voit que la première et la troisième citations peu­
vent être ramenées à la seconde dès lors qu'on peut valablement soutenir
que la relation établie entre signe et objet est indépendante de l'esprit qui
utilise le signe. C'est exactement ce qui se produit dans le moment de l'uni­
versalité, car cette relation, coupée de ses déterminations est ainsi rendue
indépendante de tout esprit (dans les limites de la communauté considérée)
dans lequel elle s'actualise et devient à ce titre, quelque chose de positif,
d'une positivité qui égale celle de la connexion physique qui caractérise la
définition de l'indice. Isoler ce moment comme le font la sémiotique et la
linguistique idéalistes, notamment à travers le dogme de l'arbitrarité du si­
gne, c'est en rester à une conception positive et transcendante de l'inscrip­
tion des rapports sociaux dans les phénomènes sémiotiques. Le moment de
294 L'ALGEBRE DES SIGNES

l'universalité est donc réductible, pour nous, à une correspondance pure­


ment formelle entre la structure eidétique d'un objet et la structure éidéti-
que du signe plongée dans une structure relationnelle associée à une confi­
guration perceptive de ce signe, une correspondance détachée de toute dé­
termination dans l'espace et dans le temps, sans historicité et sans matéria­
lité; en bref, un morphisme de la catégorie des structures relationnelles.
Dans le moment de la particularité le contenu du concept d'institution
est fait de qualités de sentiment réellement éprouvées par un sujet existant,
ces qualités de sentiment étant effectivement liées par une correspondance
dont nous avons vu qu'il n'est pas impossible qu'elle soit matérialisée par
l'activation de certaines connexions cérébrales. Cette correspondance est
réalisée au moyen d'une sélection de qualités de sentiment parmi celles qui
sont éprouvées dans la perception du signe, de façon qu'une famille de ju­
gements perceptuels produits par l'esprit crée une certaine sous-configura­
tion dont la mise en rapport avec une sous-configuration caractéristique
d'un autre objet, mémorisée grâce à des expériences antérieures produit la
présence à l'esprit de cet objet. Il s'agit là d'opérations réelles effectuées
sur des qualités de sentiments réellement éprouvées et cet ensemble consti­
tue la détermination de l'esprit du sujet existant, dans le sens où cet esprit
est dans un état unique entièrement déterminé dans tous ses caractères par
l'action du signe, ce dernier étant considéré comme le but de la correspon­
dance qui le lie à un objet-source avec lequel le sujet a entretenu des rap­
ports réels et mémorisés. Dans ce moment l'universalité du premier mo­
ment est niée formellement dans la mesure où les qualités de sentiment, les
jugements perceptuels qui constituent la perception du signe sont absolu­
ment uniques, ne se sont jamais produits auparavant et ne se reproduiront
jamais plus de manière absolument identique, ne serait-ce que parce que le
sujet aura changé, le contexte aura changé, etc..L'unique possède des ca­
ractères que nul autre ne possède. Ni cet esprit, ni jamais aucun autre esprit
n'ont été et ne seront déterminés de la même façon. La correspondance qui
est ainsi créée entre des configurations déterminées de qualités de senti­
ment est donc elle-même unique et possède en conséquence des caractères
que nulle autre n'a possédé, ne possède ou ne possèdera. Isoler ce moment
de la particularité c'est s'abandonner au psychologisme, au phénoménolo-
gisme et donc en rester à une conception subjectiviste de l'intériorisation
comme base destinée à prendre en charge la dimension sociale des phéno­
mènes sémiotiques.
Le moment de la singularité, moment de l'unité négative, est le mo-
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 295

ment de l'incorporation de la correspondance purement formelle du mo­


ment de l'universalité dans la correspondance "vécue" du moment de la
particularité. Les configurations de qualités de sentiment éprouvées dans la
perception du signe y sont informées explicitement par la correspondance
compatible (avec sa source et son but). On peut distinguer dans la dynami­
que du phénomène sémiotique plusieurs moments de ce type car si on peut
considérer que, dans le temps de la perception du signe, l'universel (corres­
pondance compatible formelle instituée) et le particulier (configuration
perceptive instituante) sont des données a priori, il y a un problème d'ajus­
tement qui tient essentiellement à deux facteurs:
- le premier est que la sous-structure caractéristique de la structure eidéti-
que de l'objet est littéralement "noyée" dans la configuration perceptive du
signe, ce qui est une source d'ambiguïté, d'erreurs par méprise ou omission
et entâche la sélection des qualités de sentiments relatives à l'objet et des
relations entre ces qualités de sentiment d'une importante probabilité d'er­
reur qui est, de plus, impossible à évaluer avec précision. La pertinence de
ce facteur est soulignée par le développement des discours herméneutiques
et ésotériques sur le signe qui en exagèrent souvent l'importance. Barthes
notamment dans son étude du mythe (1957) a particulièrement mis en va­
leur la précarité et l'incertitude qui règnent tout au long du processus d'in­
terprétation des signes qu'il décrit comme "une parole volée puis rendue".
- le second est que l'expérience collatérale de l'interprète (c'est-à-dire l'en­
semble de ses facultés actuelles de percevoir une forme absente dans une
forme présente) peut être partielle, ce qui lui interdit a priori d'incorporer
dans la forme "vécue" certaines caractéristiques de la structure eidétique de
l'objet, bien que cette interdiction n'ait aucun caractère rédhibitoire car,
comme nous le verrons, toute semiosis peut être l'occasion pour l'interprète
de concrétiser son expérience en améliorant ou complétant sa conception
personnelle de la forme de l'objet du signe.
L'existence de ces deux facteurs, au moins, implique alors un processus
d'ajustement qui se décompose en moments successifs au cours desquels la
singularité de l'institution telle qu'elle apparaît dès la première incorpora­
tion de la forme de l'objet dans la configuration perceptive du signe est mo­
difiée pour être ajustée à l'ensemble des conditions de toute nature que dé­
termine le contexte de l'interprétation (situation de communication par
exemple, cohérence d'un message, continuité d'un discours, e t c . ) . Dans
l'analyse de la sémiosis du signe nous aurons donc à étudier ces transforma­
tions successives qui en tout état de cause constituent un ensemble discret,
296 L'ALGEBRE DES SIGNES

du moins dans la modélisation algébrique des phénomènes sémiotiques que


nous avons développée.
Ces précisions sur la dialectique de la micro-institution dans les phéno­
mènes sémiotiques étant données nous pouvons maintenant procéder à la
mise en rapport de ses différents moments avec la modélisation hexadique
des phénomènes sémiotiques.
Reprenons la chronologie de l'interprétation d'un signe. Avant toute
interprétation il y a un déjà-là, à savoir une micro-institution sociale qui est
une correspondance compatible entre deux structures eidétiques dans son
moment de l'universalité. Dans son moment de la singularité elle corres­
pond à ce que Peirce nomme (nous l'avons signalé dans la section 4 du cha­
pitre I) le "commens" ou "cominterprétant" ou encore "interprétant com-
municationnel" qu'il définit comme une détermination d'un certain esprit
dans lequel les esprits de l'émetteur et de l'interprète doivent fusionner
pour que la communication puisse avoir lieu. Quel peut être le support de
cette fiction sinon ia communauté sémiotique à laquelle interprète et émet­
teur appartiennent?
Avant l'interprétation encore, il y a eu la production du signe. Cette
production dont le mécanisme, nous l'avons vu, peut être décrit par dualité
à partir de la description de l'interprétation, consiste déjà à présenter la mi­
cro-institution dans son moment de la singularité au moyen de l'incorpora­
tion du but de la correspondance compatible (qui est lui-même inclus dans
la structure eidétique du signe) dans une configuration perceptive du signe.
Ceci vaut même pour les cas où la correspondance compatible est produite
par une connexion physique entre un signe et son objet: il s'agit alors d'une
micro-institution du savoir scientifique. Par exemple la correspondance en­
tre la longueur d'une tige de mercure et l'état thermique de l'air d'une pièce
est assurée par la micro-institution scientifique qui régit (comme étant une
régularité d'un futur indéfini) les relations entre l'état d'agitation d'un en­
semble de molécules gazeuses et le volume apparent d'une certaine quanti­
té de mercure enfermée dans un récipient en verre de forme convenable­
ment choisie. Par l'action du signe, le passage de la forme incorporée dans
le signe à l'esprit sous forme d'interprétant immédiat joint à la possibilité
pour cet esprit de former d'un même mouvement une sous-structure pas
nécessairement caractéristique de l'objet et une application compatible de
cette sous-structure dans cette forme (ce qui présuppose une expérience
collatérale suffisante de l'interprète) se construit une nouvelle correspon­
dance compatible entre les structures eidétiques du signe et de l'objet, la
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 297

nouveauté pouvant provenir de diverses altérations dans la sélection des


qualités de sentiment ou des relations qui les unissent (dégénérescence ca­
tégorielle). Or c'est une des caractéristiques de l'esprit humain de pouvoir
réagir a ses propres états, autrement dit, la forme telle qu'elle a été incor­
porée dans l'esprit, à savoir, l'interprétant immédiat qui participe à une sin­
gularité de la micro-institution au même titre que le signe lui même, a sur
l'esprit une action analogue à celle du signe à la différence prés que la for­
me qui été sélectionnée n'est plus noyée dans la configuration perceptive du
signe. Nous rejoignons ainsi la conception de Peirce exprimée notamment
dans les textes n° 11, 12, 13, 15, 16, 21, 23, 24, 28, 29, 30, 55, 61, 69c de
l'Annexe A. La correspondance compatible nouvellement établie est donc
bien un signe du même objet mais à condition qu'elle soit elle-même une
micro-institution ce qui n'est pas pensable dans le temps de la perception
puisque la communauté sémiotique, si elle a quelque importance, est exclue
de cette perception et donc qu'aucun acte social de fondation d'une institu­
tion n'est concevable dans ces conditions. Il est donc nécessaire, si la cor­
respondance établie d'emblée n'est pas reconnue comme une singularité
d'une micro-institution, de la rattacher d'une certaine façon à une micro­
institution puisqu'il a été admis comme pré-requis que l'incorporation de la
forme est la singularité d'une micro-institution.
L'action du signe déclenche donc un processus de complétion qui ne
peut qu'être inférentiel puisque partant d'une famille de jugements percep-
tuels portant sur un ensemble sélectionné de qualités de sentiments il abou­
tit à une structure du même type contenant éventuellement la précédente.
La structure de départ qui constitue l'interprétant immédiat est équivalente
à une sorte d'inférence immédiate qui attribue à l'interprétant immédiat
l'objet immédiat présumé. Si ce dernier n'est pas une sous-structure carac­
téristique de la structure eidétique d'un objet, des qualités de sentiments
primitivement écartées et des jugements perceptuels qui les impliquent et
les rattachent à l'interprétant immédiat, seront pris en considération et éva­
lués, dans le contexte de l'interprétation, de telle façon qu'une sous-structu­
re caractéristique de la structure eidétique de l'objet, présente dans l'esprit
de l'interprète comme une sorte de résumé de certaines de ces expériences
antérieures (celles qui ont précisément concerné cet objet) puisse être mise
en correspondance avec l'une des modifications de l'interprétant immédiat
(c'est-à-dire de la forme telle qu'elle a été communiquée à l'esprit), ce qui
a pour effet, suivant notre hypothèse fondamentale de provoquer la présen­
ce à l'esprit de l'objet en même temps qu'une nouvelle singularité de la mi-
298 L'ALGEBRE DES SIGNES

cro-institution. Ce processus est nécessairement inférentiel car pour chaque


qualité de sentiment et chaque jugement perceptuel exclu par l'interprétant
immédiat la raison de son rattachement ne peut être trouvée que dans la
comparaison de la correspondance compatible qu'il permet de construire
avec la singularité d'une micro-institution. En fait il doit s'agir plutôt de fa­
milles d'inférences simultanées qui complètent l'interprétant immédiat "par
morceaux de structure" et non pas d'un processus retenant ou éliminant, un
par un, des qualités de sentiment ou des jugements perceptuels. Chacune
des étapes de cette modification, qui est donc un processus discret, est une
particularité de la micro-institution car elle en est la négation par les diffé­
rences qu'elle présente avec cette dernière,différences qui précisément ren­
dent nécessaire sa complétion. L'horizon du processus, c'est-à-dire la re­
composition de la correspondance compatible définissant la micro-institu­
tion dans les données de la perception du signe est l'interprétant final; ses
étapes sont autant d'interprétants dynamiques. Au cours de leur construc­
tion la structure s'est nécessairement enrichie, même si le processus n'a
servi qu'à confirmer l'interprétant immédiat (il acquiert alors le statut d'in­
terprétant dynamique) et c'est pourquoi on peut parler de processus né-
guentropique, la destruction de l'entropie étant le résultat de l'intervention
des familles d'inférences successives.
Le problème qui est maintenant posé est celui de l'interprétant final
puisque, a priori, le processus inférentiel, dépendant du contexte, est infini.
Car il ne s'agit pas ici du contexte réduit aux conditions spatio-temporelles
de la perception du signe mais du contexte au plus large sens incluant, par
exemple, les conditions historiques et sociales. Cependant, il est clair qu'il
nous suffit de traiter ce problème au niveau des signes élémentaires puisque
nous pouvons recomposer les correspondances compatibles en faisant leur
produit relatif (section 1, chapitre IV). En somme nous pouvons nous limi­
ter à traiter le problème de l'interprétant final dans le cas de micro-institu­
tions élémentaires de type Γ1, Γ2, Γ3 et de leurs formes dégénérées.
Dans le cas de Γ1 qui correspond à la communication d'un priman, il
est clair que l'interprétant final est une qualité de sentiment et que le pro­
cessus d'interprétation consiste à identifier cette qualité de sentiment avec
des qualités de sentiment éprouvées antérieurement. La singularité de la
micro-institution réside dans l'adjonction à la classe des qualités de senti­
ment mémorisées, reconnues et agrégées dans le passé, de la qualité de sen­
timent transmise par l'action du signe. Le processus inférentiel se réduit à la
vérification de l'hypothèse suivant laquelle la sélection de cette qualité de
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 299

sentiment est pertinente dans le contexte de l'interprétation. L'interprétant


final est du type affectif et le signe appartient à la classe hexadique n° 28.
Le cas de Γ2 correspond à la communication d'un secondan que 2 ap­
plique sur deux qualités de sentiment liées par un jugement perceptuel dans
le signe. Le processus inférentiel est analogue au précédent et se réduit à
l'incorporation de cette relation dyadique dans une classe de relations sem­
blables caractérisée par les mêmes qualités de sentiment unies par une dya-
de, dans l'expérience de l'interprète. Il présuppose donc l'identification des
qualités de sentiment comme dans le cas précédent. Il s'ensuit que l'inter­
prétant final est du type énergétique (c'est un effort mental ou musculaire)
et que des interprétants de type affectif sont formés au cours du processus
et correspondent biunivoquement aux classes de signes impliquées par le si­
gne. Ce dernier appartient donc à l'une des classes n° 22, 23 ou 24.
Pour ce qui est de '2, forme dégénérée de 2, la singularité de la mi­
cro-institution consiste d'abord en la reconnaissance d'un couple de qualités
de sentiment éprouvées dans la perception et non liées par un jugement
perceptuel, comme étant investi par un secondan au moyen d'une corres­
pondance universelle qui correspond à l'universalité de la micro-institution.
L'interprétant final est une qualité de sentiment de relation dyadique appli­
quée aux deux qualités de sentiment. Il est du type affectif et implique aussi
deux interprétants affectifs correspondant à chaque qualité de sentiment.
Le signe appartient à l'une des classes n° 25, 26.
Le cas de 3 et de ces formes dégénérées est nettement plus complexe
et cette complexité se retrouve dans le fait que ce sont les 21 classes de si­
gnes hexadiques restantes qui sont concernées. Pour 15 d'entre elles (n°7 à
n° 21) l'interprétant final est énergétique (ce qui implique les interprétants
affectifs des classes de signes que la classe de signes obtenue implique elle
même ainsi que, pour la même raison, d'autres interprétants énergétiques)
ou affectif. Dans tous ces cas la correspondance compatible établie entre
l'objet du signe et l'interprétant final est une tiercéité dégénérée.
Avant d'aborder le cas des 6 signes restants — ceux qui ont un inter­
prétant logique — notons que pour tous les signes que nous venons de voir
le processus inférentiel est relativement simple puisqu'il s'achève soit dans
de simples qualités de sentiment ou de qualités de sentiment de dyade ou de
triade ou un effort musculaire ou mental accompagné ou non d'une qualité
de sentiment de triade. Tous ces interprétants finals sont des existants
(émotions singulières ou actes singuliers du corps ou de l'esprit) qui clôtu­
rent la sémiosis qui se résume en fait à un ensemble de procédures de sélec-
300 L'ALGEBRE DES SIGNES

tion devenant plus ou moins rapidement stationnaire, c'est-à-dire qu'au


bout d'un certain nombre d'inférences successives ayant parcouru l'ensem­
ble des qualités de sentiment et des jugements perceptuels il se reproduit
identique à lui-même (d'une manière comparable à la période d'un nombre
décimal). Sans cesser d'être formellement infini le processus est pratique­
ment fini moyennant l'intervention d'une habitude d'un type particulier
dont nous étudierons la nature aprés avoir étudié l'interprétant logique. Les
15 signes dont l'objet est un tertian sont des signes qui peuvent avoir un un-
terprétant logique. Cependant aucun de ces tertians n'est exactement re­
composé dans les 15 types de sémiosis correspondantes. C'est, selon nous,
ce que Peirce expose au début de 5.489 où il examine les conditions de pro­
duction de l'interprétant logique:
Il n'y a pas lieu de supposer qu'à chaque présentation d'un signe capable
de produire un interprétant logique, un tel interprétant est effectivement
produit. La circonstance peut advenir trop tôt ou trop tard. Si c'est trop
tôt, la sémiosis ne sera pas poussée assez loin, les autres interprétants suffi­
sent pour les emplois approximatifs dans lesquels le signe est utilisé. D'au­
tre part, la circonstance adviendra trop tard si l'interprète est déjà familier
avec l'interprétant logique, puisqu'alors il sera rappelé à son esprit par un
processus qui ne fournit pas d'indication sur l'origine de sa production.
Nous identifions sans réserve les "autres interprétants" dont Peirce fait
état avec les interprétants qui seraient impliqués dans l'interprétant logique
si la sémiosis était poussée à son terme, c'est-à-dire si l'esprit formait le
même tertian qui a présidé à la production du signe.
Passons maintenant aux signes qui ont un interprétant logique. Pour
bien saisir la difficulté qui se présente il convient de revenir aux caractéristi­
ques d'un tertian "externe" telles que nous les avons dégagées dans nos
commentaires du tableau des éléments indécomposables et de leur recom­
position dans la section 4 du chapitre III.
En effet, nous avions déjà remarqué au niveau du secondan que la
condition de possibilité de la secondanité, c'est-à-dire la possibilité de
concevoir une dyade "externe", est fondée sur la dichotomie ego/non ego
éprouvée dans la sensation brute (vivacité de la qualité de sentiment). Nous
avions aussi souligné l'accord de cette remarque avec l'assertion de Peirce
suivant laquelle nous ne pouvons concevoir la secondéité dans les relations
qu'entretiennent des existants du monde extérieur que parce que nous som­
mes nous-mêmes en relation de secondéité avec eux (cf. 1.324). La secon­
déité est donc attribuée au monde extérieur par une extériorisation de la
dyade cause/effet constituée dans la perception comme événement modi-
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 301

fiant un état de conscience. Formellement, cela revient à dire que la pre­


mière ligne du tableau 2 contient la condition de possibilité de la seconde et
la recomposition du secondan correspond à la reconstruction formelle du
fait ou de l'existant externes comme tels. Cett reconstruction est effective
dans et par le jugement perceptuel et est réalisée indépendamment de toute
activité consciente de l'esprit par les organes des sens et l'intégration de
leurs messages par le système nerveux. Son trait dominant est l'actualité.
De la même manière, la dyade externe, fondement du secondan crée la
condition de possibilité du tertian: nous ne pouvons attribuer la Tertianité
au monde extérieur que parce que nous sommes nous mêmes impliqués,
par la conscience que nous avons de nos propres jugements perceptuels de
secondanité dans des triades concrètes qui unissent deux qualités de senti­
ment (ayant donc des cause externes) et la qualité de sentiment de la rela­
tion qui les unit dans un secondan. C'est donc là aussi l'extériorisation de
cette triade qui nous permet d'attribuer la tertianité au monde extérieur.
Revenant à la question de l'interprétant logique nous voyons la diffi­
culté: comment se fait-il qu'un tertian qui est une triade extériorisée, for­
mée de trois qualités de sentiment dont l'une est l'union des deux autres,
puisse être incorporé dans cet objet existant qu'est le signe? Un existant re­
levant exclusivement de la secondanité externe on voit tout de suite qu'il ne
pourra jamais y être incorporé de facto, à moins qu'il ne soit présent à un
esprit, car seul l'esprit peut réaliser l'union de deux qualités de sentiment
dans une troisième. Comme nous l'avons vu dans la section 6 du chapitre
III, nous avons un phaneron, et donc la somme du diagramme formé par les
qualités de sentiment et les jugements perceptuels qui les organisent unit
chaque couple de qualités de sentiment du phaneron dans la somme du dia­
gramme qui correspond à une qualité de sentiment d'objet comme totalité,
ce qui constitue autant de tertians qu'il y a de couples. Alors il est clair
qu'on peut effectivement construire une correspondance compatible entre
un tertian et un signe pourvu que l'élément qui unit les deux autres dans le
tertian corresponde à cette qualité de sentiment de totalité qui unit toutes
celles que produit le signe et donc, en particulier, les deux qualités de senti­
ment qui seront mises en correspondance avec les deux autres éléments du
tertian. Ce problème ne s'est pas posé dans les cas étudiés précédemment
puisqu'aucun tertian ne figurait dans le but des correspondances. C'est
précisément ce qui distingue l'interprétant logique des autres interprétants.
Toutes les remarques qui précédent nous permettent de comprendre
comment un tertian extériorisé par le producteur du signe peut être com-
302 L'ALGEBRE DES SIGNES

muniqué à l'esprit par l'action du signe.


Elles nous montrent en même temps le caractère éminemment précaire
de la micro-institution qui doit être, pour ainsi dire, réinventée à chaque
perception du signe car elle n'est pas définie sur la structure relationnelle
"objective" du signe (la structure (U, σ) du chapitre III) mais sur la structu­
re vécue (U°, σ°). Cependant rien n'empêche que l'interprétant immédiat
soit un priman, c'est-à-dire l'une des qualités de sentiment transmises (com­
me dans les classes de signes n° 3, 5 et 6), ou un secondan (classes n° 2 et 4)
ou d'emblée un tertian (classe n° 1). La même remarque vaut pour les inter­
prétants dynamiques sauf qu'ici l'interprétant final est dans tous les cas un
tertian. Alors se pose le problème de la clôture de la sémiosis. Ce problème
se posait avec moins d'acuité, nous l'avons vu, dans les autres cas (affectif
et énergétique) dans la mesure où la sémiosis se stabilise dans un secondan
ou un priman extériorisés (un acte physique ou mental ou une émotion). Ici
se pose le problème de l'identification du tertian intériorisé par l'interprète
avec le tertian extériorisé par le producteur. Peirce a consacré beaucoup de
soin à l'étude de ce problème qui à notre sens est équivalent à celui de la re­
cherche "de la signification d'un concept intellectuel", et c'est cette recher­
che qui l'a conduit selon nous à énoncer le maxime du pragmatisme. En
5.476 il écrit:
Avant de nous demander quelle est la nature de cet autre effet, peut être
conviendrait-il de lui donner un nom. Je l'appellerai l'interprétant logique,
sans pour autant décider si ce terme s'étendra ou non à autre chose qu'à la
signification d'un concept général, bien que certainement en relation étroi­
te avec elle. Dirons nous que cet effet peut être une pensée, c'est-à-dire un
signe mental? Il peut l'être, sans doute; seulement si ce signe est d'un gen­
re intellectuel — et il doit l'être obligatoirement — il doit avoir lui-même
un interprétant logique; si bien qu'il ne peut être l'interprétant logique ul­
time du concept.
La dernière phrase de cette citation attire notre attention sur la diffé­
rence essentielle entre l'interprétant logique et les deux autres classes d'in­
terprétants pour lesquelles nous avons pu considérer que la sémiosis finis­
sait par se stabiliser aprés avoir parcouru l'ensemble de toutes les formes in­
cluant l'interprétant immédiat et susceptibles d'avoir été incorporées dans
la configuration perceptive du signe, compte tenu du contexte de l'inter­
prétation. En effet dans ces deux cas les interprétants dynamiques sont des
émotions ou des faits dont la reconnaissance comme tels dépend de la seule
relation au monde extérieur du seul interprète. Leurs causes ont une force
compulsive qui conduit très rapidement à des habitudes équivalentes à un
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 303

réflexe conditionné. Un enfant apprend très rapidement qu'un objet incan­


descent est brûlant et donc dangereux; il apprend moins rapidement à
s'abstenir de traverser la chaussée lorsque le signal pour les piétons est
passé au rouge car le signal, par lui même ne peut lui causer aucun domma­
ge physique.
Un exemple fréquemment cité par Peirce est celui de l'interprétation
du commandement "Reposez, arme!":
Quand le capitaine d'infanterie donne l'ordre "Reposez arme !" l'inter­
prétant dynamique est le choc des fusils sur le sol, ou plutôt il est l'acte de
leurs [les soldats] esprits (8.315, Avril 1909) (souligné par nous).
L'Objet dynamique étant dans ce cas la volonté de l'officier de voir les
fusils frapper le sol (il est donc un tertian) cet exemple montre bien que l'in­
terprétation effective de ce tertian est un acte; non pas l'acte physique
(comme Peirce l'a souvent écrit avant 1909), mais l'acte de l'esprit des sol­
dats qui est extériorisé au moyen de l'acte physique. Dans ce cas la sémiosis
est assez facile à décrire: l'interprétant immédiat qui est la qualité de l'im­
pact non analysé du commandement est une qualité de sentiment qui est in­
corporée par l'esprit dans une dyade d'identification avec des qualités de
sentiment éprouvées dans des expériences antérieures qui ont constitué
d'ailleurs l'essentiel de la formation des soldats au maniement d'armes.
Cette identification consiste en une détermination de l'esprit des soldats qui
a pour effet, grâce précisément à ces expérience répétées de créer dans leur
esprit une nouvelle détermination qui consiste en la création d'une dyade
qui unit une qualité de sentiment "d'arme sur l'épaule" (par exemple, si
c'est sa position avant l'émission de l'ordre) et d'une qualité de sentiment
"d'arme au pied" qui sont les qualités de sentiment que chacun ressent ef­
fectivement lorsqu'il est dans ces attitudes physiques. Le choc des fusils sur
le sol n'est alors qu'une extériorisation de cette dyade interne: des influx
nerveux sont partis des centres concernés et ont excité des muscles de façon
que soit produit dans le monde extérieur un secondan impliqué dans le ter­
tian qui est dans l'esprit de l'officier et qui a été "supporté" par l'ordre
d'une certaine façon que nous pourrons mieux préciser dans un autre exem­
ple dérivé de celui ci. L'interprétation de l'ordre par un soldat peut être re­
présentée comme sur la Figure 99, en reprenant les notations de la section
4 du chapitre III.
Dans ce schéma chronologique de la sémiosis les trois qualités de senti­
ment unies par un tertian dans l'esprit de l'officier sont dans l'ordre: une
qualité de sentiment "d'arme sur l'épaule (si les soldats sont dans cette posi-
304 L'ALGEBRE DES SIGNES

Figure 99.

tion), une qualité de sentiment d'arme au pied, et une qualité de sentiment


ressentie par l'officier lorsqu'il exprime sa volonté de voir les soldats passer
d'une position à l'autre, c'est-à-dire une volition particulière. Le signe est
décomposé en un secondan qui est réductible à une certaine action/réaction
des muscles de la phonation de l'officier sur l'air et un priman qui est la to­
talité de ce fait à savoir le ton propre du commandement, inséparable de
l'impératif. Le fondement du signe est l'ensemble (s.2, s.l). C'est un colé-
gisigne indiciaire dicent dans la classification des cosignes triadiques et il
appartient à la classe n°12 des signes hexadiques représentée par le sextu-
plet (3,3,2,2,2,1).
Plaçons nous maintenant dans la situation d'un observateur de la scè­
ne précédente, étranger à la chose militaire. Nous entendons distinctement
l'ordre de l'officier puis le choc des fusils sur le sol. Nous pouvons représen­
ter la sémiosis par le schéma de la Figure 100.
Examinons le processus dans l'esprit de l'observateur: à la perception
de l'ordre il est déterminé par l'ordre lui-même indépendamment du ton (il
comprend l'ordre) d'où une triade qui incorpore cet ordre dans la structure
de Peirce correspondante (cf. chapitre III) et aussi par le ton, d'où une dya-
de "réactionnelle" au ton. Cependant cette décomposition est formelle,
bien que la dissociation puisse être réalisée par l'esprit, et comme ton et or-
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 305

monde extérieur de l'observateur esprit de l'observateur

esprit de l'officier monde physique

Figure 100.

dre sont donnés dans le fait la dyade et la triade peuvent être combinées
(produit relatif) pour produire dans l'esprit de l'observateur un tertian cor­
respondant terme à terme au tertian qui était dans l'esprit de l'officier au
moment de l'émission de l'ordre. La combinaison ainsi réalisée peut être
assimilée à une inférence immédiate qui associe dans l'esprit de l'observa­
teur les trois qualités de sentiment éprouvées dans la perception de l'ordre
(dont deux sont liées par une dyade) comme sont associées les trois qualités
de sentiment dans l'esprit de l'officier. C'est ainsi qu'une forme de relations
élémentaire (un tertian) est passé de l'esprit de l'officier dans l'esprit de
l'observateur en transitant par le monde physique. La correspondance en­
tre les qualités de sentiment de chaque forme est réglée par une micro-insti­
tution de la langue que nous analyserons en détail dans le chapitre VIII.
Quant au secondan sol/fusil il est incorporé dans un tertian dans l'esprit de
l'observateur. Alors si l'observateur a une expérience, fut-elle rudimentai­
re, de l'institution militaire en général, cette expérience cumulée a un mode
d'être qui consiste précisément dans le fait qu'il met en relation (par une
correspondance compatible Γ) les deux tertians formés dans son esprit; ce
n'est que de cette façon que le choc des fusils sur le sol peut lui apparaître
comme un effet de la volonté de l'officier, puisque les deux sont simultané­
ment présents à son esprit.
306 L'ALGEBRE DES SIGNES

Maintenant cette étude illustre bien ce que nous voulons dire quand
nous disons que l'interprétant logique pose un problème bien particulier.
Car si nous considérons que le choc des fusils sur le sol est un signe de la vo­
lonté de l'officier de voir les soldats mettre l'arme au pied (dans une situa­
tion ou l'ordre ne serait pas perçu, par exemple) nous voyons de quelle fa­
çon une chose existante ou un fait non linguistique peut participer à un
phénomène sémiotique et donc ce qu'est un signe dont l'objet est un ter­
tian. Ce n'est pas la chose ou le fait qui peuvent supporter l'incorporation
puisqu'il y a une impossibilité logique à cela: on ne peut pas incorporer une
triade dans une dyade. C'est la chose présente à un esprit, c'est-à-dire la
chose jointe à une détermination d'un esprit et incorporée de ce fait dans
un tertian qui peut seul être mis en correspondance avec le tertian objet du
signe. En outre cet exemple met explicitement en évidence, grâce à l'im­
possibilité logique que nous venons de souligner, combien notre choix de
prendre en charge dans la construction du modèle le caractère social des
phénomènes sémiotiques exclut irrémédiablement le dogme de l'immanen­
ce du sens. On voit aussi en quoi peut consister la particularité d'une micro­
institution, à savoir dans ce cas précis l'une des micro-institutions qui rè­
glent la discipline militaire dans le sens où elle prescrit l'un des rapports en­
tre un officier et les soldats. Son universalité peut être dégagée du code ins­
titutionnalisé et équivaut à la prescription: lorsqu'un officier prononce "Re­
posez arme!" les soldats doivent immédiatement reposer leur fusil sur le sol
suivant une procédure dont le détail leur est préalablement inculqué. Sa
particularité apparaît chaque fois qu'en situation de maniement d'armes la
liaison notée Γ3 sur le schéma de la figure 100 est effectivement réalisée
dans l'esprit de l'observateur. Quant à sa singularité elle consiste dans la
correspondance qui s'établit de fait entre le tertian formé par l'esprit de
l'officier et le tertian formé par celui de l'observateur lorsqu'il perçoit le
choc des fusils sur le sol; c'est cette correspondance singulière qui rend
présente à son esprit la volonté de l'officier unie triadiquement aux deux
qualités de sentiments comme singularité de la micro-institution militaire
destinée à déterminer ce choc. L'impossibilité logique que nous avons no­
tée est donc levée grâce à l'incorporation du secondan dans un tertian unis­
sant aux deux qualités de sentiment d'action et de réaction (une conscience
à deux faces) la détermination de l'esprit de l'observateur par ce choc. Ce­
pendant on dit que le choc est un signe de la volonté de l'officier: ceci impli­
que une forme dégénérée de cette correspondance singulière qui détache ce
secondan, le rendant en quelque sorte au monde extérieur, en le séparant
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 307

de la détermination de l'esprit de l'observateur. C. Le Boeuf (1977) dans


son étude consacrée à l'application de la sémiotique au marketing a imaginé
d'appeler "intangibles" ces éléments immatériels qui semblent incorporés
aux biens de consommation. Cela lui a permis de surmonter le handicap de
l'utilisation du modèle dyadique saussurien, le seul à sa connaissance à
cette époque, dans un domaine où l'interpénétration des caractères physi­
ques objectifs et des propriétés accordées subjectivement aux objets est
cruciale. Sa démarche intellectuelle illustre bien comment les nécessités de
la connaissance scientifique peuvent conduire à l'éclatement d'un modèle
institué sous les yeux de son utilisateur et rejoindre d'autres perspectives et
d'autres modélisations.
Il ne nous reste plus qu'un point à éclaircir: c'est le rapport de l'expé­
rience présente (l'interprétation du signe) avec l'expérience passée. Autre­
ment dit, il nous reste à décrire comment une micro-institution peut s'insti­
tuer dans une communauté sémiotique, perdurer et éventuellement se
transformer. Ce n'est que par un examen approfondi de cette question que
nous pouvons espérer apporter une réponse au problème de l'interprétant
ultime dont nous avons maintes fois souligné qu'il ne pouvait se résoudre
que dans la dynamique de la signification.
Examinons tout d'abord le genèse d'un concept qui pour nous est un
tertian construit par une communauté sémiotique (donc faisant l'objet d'un
consensus social) de telle sorte qu'il implique une classe d'existants ou de
faits (des secondans). Avant toute chose notons que la base sur laquelle
peut se construire un tertian qui a un tel caractère d'universalité réside dans
le fait que chaque perception d'un existant ou d'un fait est la cause d'une
détermination de chacun des esprits qui forme un jugement perceptuel à
son propos. C'est donc une base psychologique qu'il convient maintenant
d'articuler avec la nature sociale de la micro-institution. Les notions clés
pour assurer cette articulation sont, nous semble-t-il, celles de conjecture et
d'habitude, ou, plus précisément la notion d'habitus telle qu'elle a été pré­
cisée par Bourdieu et Passeron (1970). Peirce ne se préoccupe pas explicite­
ment de ce passage du psychologique au social ou à l'institutionnel. Il se
contente en général de se référer à un "homme" générique:
Tous les concepts apparaissent sans doute d'abord quand sur un puissant,
mais plus ou moins vague sentiment de besoin, se superpose une expérien­
ce involontaire de nature suggestive, de cette suggestivité qui a une certai­
ne relation occulte avec la formation de l'esprit [...] chez l'homme, ces pre­
miers concepts (premiers dans l'ordre de développement, mais émergeant
308 L'ALGEBRE DES SIGNES

à tous les stades de la vie mentale) prennent la forme de conjectures, bien


qu'elles ne soient nullement toujours reconnues comme telles [...]. Entre
temps, il ne faut pas oublier que toute conjecture est l'équivalent ou l'ex­
pression d'une habitude qui permettrait de réaliser un certain désir si on
pouvait accomplir un certain acte [...] (5.480).
Cependant selon notre conception c'est dans et par le phénomène sé-
miotique que s'effectue le passage nécessaire du psychologique au social.
En effet le phénomène sémiotique incorpore à la fois la micro-institution
qui appartient au monde extérieur des interprètes, bien qu'ils en soient les
créateurs (c'est la relation du signe à son objet) et les déterminations réelles
des esprits dans lesquels se produit sa particularité. Universalité et particu­
larité de la micro-institution s'unissent dans la singularité du signe c'est-à-
dire dans un existant ou un fait. Ceci prouve que la dynamique de la signifi­
cation ne peut logiquement trouver son aboutissement que dans un existant
ou un fait, car tout acte de signification vraie est quelque chose de singulier:
c'est un existant ou un fait passé, présent ou à venir qui peut seul clore la
sémiosis.
Maintenant comment le passé et le futur peuvent-ils être constitutifs de
l'ici est maintenant d'un phénomène sémiotique singulier? La réponse est:
par le moyen de l'habitude qui opère sur le présent comme une sorte de
mécanisme de rappel de l'expérience présente vers l'expérience passée, une
nécessité qui aurait pour fonction de totaliser en permanence l'expérience
du sujet par une recherche systématique de l'identification des expériences
liées à la conservation de l'intégrité du sujet, un processus homéostatique
réflexe étendu à l'ensemble totalisé de ses expériences. A la frontière des
mondes externe et interne l'habitude a deux faces; l'une, tournée vers le
monde interne est l'être au monde du sujet pour le sujet, dans sa perma­
nence; l'autre, tournée vers le monde extérieur est l'être au monde du sujet
pour le monde, ce par quoi le sujet se donne au monde. L'habitude est une
sorte d'interface psycho-sociale qui accole les deux mondes. C'est pourquoi
il nous paraît pertinent d'appeler habitude, une habitude en quelque sorte
vue de l'intérieur et de désigner par habitus sa face vue de l'extérieur sous
forme d'actes singuliers produits dans le monde et le produisant sociale­
ment. Cette conception nous paraît en accord, à condition de prendre "ac­
tion pédagogique" dans un sens très large, avec celle qu'expriment P. Bour-
dieu et J.C. Passeron lorsqu'ils caractérisent l'habitude:
comme produit de l'intériorisation des principes d'un arbitraire culturel ca­
pable de se perpétuer aprés la cessation de l'action pédagogique et par là
de perpétuer dans les pratiques les principes de l'arbitraire intériorisé.
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 309

Car l'action pédagogique de la "société", en organisant les expériences


des individus, rend pratiquement inéluctable la formation de familles de
concepts sur lesquels l'accord de la communauté n'a aucune peine à se réa­
liser, et pour cause. Ce sont ces concepts qui, investis dans des pratiques in­
dividuelles, apparaissent comme autant d'habitus quand on les regarde de
l'extérieur, d'habitudes quand on les regarde de l'intérieur. Cependant,
puisqu'un concept peut se définir en extension comme une classe d'équiva­
lence d'existants ou de faits, sa signification ne peut apparaître que dans un
jugement qui agrégera à cette classe un existant ou un fait investi par le
concept pris en compréhension. Cela implique que la signification du
concept est remise en cause à chacune de ses utilisations, c'est-à-dire à cha­
que fois qu'il participe d'un phénomène sémiotique puisqu'il y a lieu dans
chacun de ces cas de modifier l'extension du concept ou de la confirmer.
Pour lui conserver son caractère d'universalité, il est donc nécessaire de le
considérer dans son extension future, incorporant tous les existants et les
faits à venir que sa compréhension investit potentiellement. Autrement dit
la signification d'un concept conserve toujours une part conjecturale inscri­
te dans l'habitude qui équivaut à une sorte d'attente que certains existants
et faits adviendront de façon à se ranger dans la compréhension du concept.
C'est à notre sens ce qu'exprime cette sorte de critère pragmatique énoncé
par Peirce au sujet de la signification d'un concept intellectuel:
...prédiquer n'importe lequel de ces concepts à un objet réel ou imaginaire
équivaut à déclarer qu'une certaine opération correspondant à ce concept,
appliquée à cet objet, aurait (certainement ou probablement ou possible­
ment, selon le mode de prédication) un résultat déterminé descriptible en
termes généraux (5.483).
La micro-institution qui unit un signe et son objet nous apparaît donc
maintenant comme une règle formelle de correspondance entre l'expérien­
ce passée résumée dans un concept (c'est-à-dire une classe de secondans
décrite en compréhension par un tertian) et l'expérience présente de la per­
ception du signe. A chaque occasion, c'est-à-dire dans chaque phénomène
sémiotique, la règle est en quelque sorte éprouvée dans sa validité du point
de vue logique et donc pratique. Chaque phénomène sémiotique donne
donc lieu à une évaluation de cette validité qui peut être renforcée ou trans­
formée. Le mode d'existence de la micro-institution est donc l'habitus qui
peut être lui aussi renforcé ou changé et c'est en cela que consiste la "vie"
de l'institution. L'habitude est donc la forme phénoménale de l'institution.
Revenant au problème des interprétants et des sémiosis qui peuvent
maintenant être considérés comme autant d'avatars de la micro-institu-
310 L'ALGEBRE DES SIGNES

tion,nous pouvons opérer une distinction entre l'interprétant final et l'inter­


prétant ultime dans le cas où l'interprétant final est aussi un interprétant lo­
gique. On peut appeler interprétant final celui qui est effectivement atteint
dans le phénomène sémiotique, ici et maintenant, c'est-à-dire celui qui est
dans le phénomène sémiotique stricto-sensu et appeler interprétant ultime
le même mais considéré dans sa capacité à investir des significations à venir,
c'est-à-dire sa capacité instituante. L'interprétant final serait donc de type
individuel et correspondrait à l'habitude telle que nous l'avons distinguée
de l'habitus et l'interprétant ultime en serait l'aspect social et correspon­
drait à l'habitus. Le premier ressortit à la particularité de la règle, le second
à l'universalité à laquelle peut prétendre cette particularité dans la mesure
où elle pourrait être effectivement reconnue comme universelle par la com­
munauté sémiotique. C'est en ce sens que l'interprétant final est un présent
et l'interprétant ultime un futur conditionnel. Nous pouvons prendre en
charge le premier dans une formalisation; c'est ce que nous pensons avoir
fait. Le second dont l'être est in futuro, nous échappe nécessairement.
Cependant, nous avons opéré des classifications sur les interprétants
dans les chapitres précédents qui peuvent maintenant être étendues à des
classifications sur les micro-institutions qui les déterminent et structurer
ainsi l'ensemble des règles qui déterminent, à un moment donné, et pour
une communauté sémiotique donnée les mécanismes de la signification.

3. Fibres sémiotiques et champs d'interprétants

Dans cette section nous nous proposons d'étudier l'ensemble des micro-ins­
titutions en vigueur dans une communauté sémiotique à un instant donné,
compte-tenu des caractères que notre modélisation permet d'attribuer à
chacune d'elles. Précisons tout d'abord le cadre formel dans lequel va se
dérouler notre étude.
Soit R la classe des objets réels, c'est-à-dire des objets dont les carac­
tères ne dépendent pas de l'idée que tel ou tel membre de la communauté
sémiotique considérée peut en avoir (voir 5.405 et la lettre à Lady Welby dy
31 Janvier 1909). Les micro-institutions en vigueur dans cette communauté,
considérées dans leur universalité, sont des correspondances compatibles
entre la classe des structures eidétiques de chacun des objets de R. Comme
chaque objet a sa structure eidétique, chaque correspondance compatible
définit un couple d'objets de R à savoir le couple formé par les deux objets
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 311

qu'elle met en relation. Il en résulte que la classe R est munie d'une rela­
tion binaire ce qui nous permet de définir la notion de "champ sémio-cultu-
rel" de la manière suivante:
Un champ sémio-culturel est une sous-classe du produit cartésien RxR,
autrement dit une classe de couples ordonnés d'objets réels.
Le champ sémio-culturel renvoie donc à l'ensemble du "déjà-là", à la
totalité de l'institué d'une culture appréhendé sous la forme d'une "encyclo­
pédie sémiotique" commune à tous les êtres humains socialisés dans une
même aire culturelle. Chacun d'eux, suivant l'étendue de son expérience
personnelle, est détenteur à un certain degré de cette encyclopédie, ce qui
est manifesté par les habitus qui règlent sa pratique et qu'il vit comme au­
tant d'habitudes d'agir ou de penser. A tout objet réel S, but d'au moins
une correspondance compatible (c'est-à-dire à toute entrée du "dictionnai­
re encyclopédique") on pourra donc associer une classe C s de tous les ob­
jets source d'une correspondance compatible dans laquelle il est impliqué
comme but, c'est-à-dire la classe de tous les objets dont il peut être le signe
pourvu que l'une des correspondances soit actualisée dans un esprit.
C s = {(S,O j )} iεj
où les Oj. représentent des objets réels distincts et J un ensemble non vide
d'indices. C s peut être appelée la fibre sémiotique de l'objet S.
La notion de champ sémio-culturel regroupe donc toutes les associa­
tions d'objets instituées dans une communauté sémiotique à un moment
historiquement daté qui ont valeur universelle pour chaque membre de
cette communauté. Formellement c'est une structure relationnelle de type
2. L'ensemble R est immense, l'ensemble des couples du champ sémio-
culturel aussi. Il est impossible d'en ébaucher la moindre liste, c'est-à-dire
de la décrire en extension. Habituellement on cherche à le connaître, au
moins localement, par l'utilisation de techniques statistiques mises au point
précisément pour résoudre les problèmes de la connaissance relatifs à de
tels ensembles. Cependant notre modélisation nous permettra, grâce à l'uti­
lisation de la réduction triadique étendue aux correspondances compati­
bles, de diminuer l'arbitraire dans la description de ce champ en le décom­
posant en champs élémentaires, ce qui facilitera le recours éventuel aux
techniques statistiques en les cantonnant à des champs moins vastes et bien
délimités. Quant à la notion de fibre sémiotique elle paraît devoir permet­
tre de rendre compte des phénomènes que la sémiotique a repéré sous le
nom de "signifiance", ce "miroitement du sens" cher à Roland Barthes. Ces
312 L'ALGEBRE DES SIGNES

notions mettent en effet l'accent sur les variations des significations produi­
tes par le passage d'un élément de la fibre à un autre et se prolongent dans
la notion d'isotopie qui consiste à construire des chaînes de fibre à fibre au
moyen de correspondances compatibles entre objets des fibres. On peut
aussi considérer que la notion de champ sémio-culturel recouvre l'associa-
tionnisme sous sa forme instituée, les associations successives d'objets cons­
tituant en fait une chaîne ayant pour point de départ le signe perçu et pou­
vant aboutir à un grand nombre d'objets souvent totalement étrangers au
contexte.
En effet les associations peuvent se produire en mettant à contribution
des correspondances successives telles que la source de l'une et le but de
l'autre n'aient aucun point et aucune relation en commun, ce qui peut évi­
demment conduire très loin du contexte de l'interprétation.
Maintenant nous pouvons décomposer chacune des structures éidéti-
ques de chacun des objets du champ sémio-culturel en produit relatif de
structures relationnelles de type 1, 2 et 3 et du même coup décomposer les
correspondances compatibles Γ en produit relatif de correspondances de ty­
pes Γ1 Γ2 et Γ3 (et éventuellement de leurs formes dégénérées). On peut
alors associer à la fibre sémiotique d'un objet quelconque exactement 3 fi­
bres sémiotiques élémentaires qui correspondent à chacun des trois types
Γ1, Γ2, Γ3 (et à leurs types dégénérés). On peut noter Γ1(CS) l'ensemble des
couple formés de primans de S et de chacun des primans des différents ob­
jets auxquels il est lié par une correspondance de type Γ1 après décomposi­
tion en produit relatif de correspondances élémentaires de la correspondan­
ce qui lie S à chacun des objets dans la fibre Cs. 2(s) désignera alors l'en­
semble analogue pour les correspondances de type 2 et 3(§) pour celles
de type 3. On peut considérer, pour cette étude, que les correspondances
dégénérées sont ramenées au type authentique correspondant. Cependant
on pourrait en cas de besoin distinguer, par exemple, Γ'2(CS) qui est l'en­
semble des couples formés par un couple de primans de S d'une part et de
chacun des secondans des différents objets auxquels ce couple de primans
est lié par une correspondance de type '2. D'aprés nos conclusions, Γ'2(CS)
est inclus dans 2(s) et on aurait de même les inclusions successives de
"3(Cs) dans'3(CS)et de'3(CS)dans 3(CS).
Il est clair que ces fibres sémiotiques élémentaires ne sont pas nécessai­
rement des sous-classes de C s . Il faudrait pour cela que tous les éléments de
la décomposition des objets Oi. en produits relatifs de primans, secondans et
tertians soient eux-mêmes des objets dont la correspondance à S par Γ , Γ2
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 313

ou Γ3 ait aussi valeur d'institution sociale, ce qui est rarement le cas, bien
que l'on puisse soutenir que ces correspondances aient implicitement cette
valeur, ce qui reviendrait à considérer que toute correspondance élémentai­
re provenant de la décomposition d'une correspondance instituée est elle-
même une correspondance instituée. Il nous paraît préférable, pour plus de
clarté, d'écarter ce point de vue, au moins provisoirement. Cependant,
dans tous les cas, chacune des correspondances compatibles liant S à un ob­
jet Oi. pouvant se décrire comme produit relatif de correspondances appar­
tenant à l'une des trois fibres élémentaires, on peut dire que ces dernières
constituent une sorte de base de C s , base étant pris dans le sens de système
générateur assorti d'une condition portant sur l'unicité de la décomposi­
tion. On peut considérer que1(CS),2(s), 3(s) correspondent respecti­
vement à ce que certains auteurs, et parfois Peirce, appellent la priméité de
S, la secondéité de S et la tiercéité de S. Ces notions traduisent la capacité
instituée d'un objet S d'être mis en correspondance, suivant les contextes,
avec d'autres objets au moyens d'éléments résultant de leurs décomposi­
tions. Au vu des confusions auxquelles l'emploi inconsidéré des dénomina­
tions diverses et multiples a donné lieu, nous n'utiliserons pas ces appella­
tions, la notion de fibre élémentaire nous semblant plus imagée et surtout
prêtant moins à confusion.
En ce qui concerne les associations successives d'objets,il est clair
qu'elles constituent un réseau transverse vis-à-vis des fibres sémiotiques
élémentaires que nous venons de définir. Par exemple une qualité peut ren­
voyer à un objet par une correspondance du type 1 cet objet à un existant
ou un fait par une correspondance du type 2 et ce fait à un concept par une
correspondance du type 3. Nous pouvons illustrer ainsi cet exemple: une
trace de couleur bleue sur une voiture blanche produit la présence à l'esprit
d'une autre voiture qui stationnait à son côté, ce qui produit la présence à
l'esprit d'un contact entre les deux véhicules au moment où cette dernière
quittait son stationnement, ce qui produit enfin la présence à l'esprit du
concept de maladresse. La trace de couleur bleue est ainsi devenue le signe
de la maladresse d'un conducteur à l'aide d'une correspondance du type 3
établie par ces associations successives. Il y a eu en fait trois interprétants
successifs faisant intervenir deux inférences de nature très différente: la
première qui de la perception de la couleur bleue infère le contact avec l'au­
tre véhicule met en jeu des lois de la physique; la seconde qui du contact in­
fère la maladresse d'un conducteur incorpore le fait dans une classe de faits
que le concept de maladresse réunit. On voit qu'on est passé des lois de la
314 L'ALGEBRE DES SIGNES

physique à un caractère possible du comportement humain. Pour tenir


compte de ces observations nous ferons appel à la notion de champ d'inter­
prétant qui prendra en charge cette sorte de régionnement de l'ensemble
des interprétants en rapport avec ces "régions du réel" dont parle Bache­
lard. Ce rapport entre "régions du réel" et "champs d'interprétants" s'expli­
que par l'hypothèse de solidarités constitutives de régions dans le "réel" qui
détermineraient par voie de conséquence des solidarités correspondantes
dans l'interprétation. Mais ce rapport n'a rien de mécaniste dans la mesure
précisément ou le "réel", en perpétuelle expansion, est soumis au découpa­
ge institué par les champs déjà-là dont il tend à s'affranchir. De ce point de
vue chaque interprétant effectif apparaît alors comme une détermination
d'un champ dans lequel il est incorporé. Cette notion est évoquée par Peir-
ce dans une lettre à Lady Welby du 12 Octobre 1909 dans laquelle, décri­
vant le symbole, il écrit:
il dépend donc soit d'une convention, d'une habitude ou d'une disposition
naturelle de son interprétant ou du champ de son interprétant (celui dont
l'interprétant est une détermination) (8.335).
L'effet d'un signe sur un interprète peut donc maintenant se décrire de
la manière suivante:
- la perception du signe sollicite certains champs d'interprétants dont l'in­
terprète est porteur, en fonction de son expérience collatérale, et l'intensité
de ces sollicitations varie suivant le champ d'interprétants et suivant le
contexte.
- puis commence un processus (semiosis proprement dite) qui consiste en
un jeu complexe d'inférences, de sélections donnant lieu à essais et erreurs
(épreuves diverses d'acceptabilité dans le contexte, de cohérence logique
avec d'autres signes, etc..) qui se résume en une série d'interprétants dyna­
miques qui complètent un peu mieux à chaque pas la structure éidétique
imputée à l'objet du signe
- ce processus finit par se stabiliser dans un interprétant final donc, dans le
cas d'un tertian, dans un changement d'habitude qui, s'il est pratiquement
acquis au terme de la semiosis ne se manifestera que dans un futur condi­
tionnel.
La notion de code culturel telle qu'on peut la trouver notamment chez
R.Barthes, dans S/Z en particulier, est très proche de celle de champ d'in­
terprétants:
DYNAMIQUE DES SIGNIFICATIONS: LA SEMIOSIS 315

...chaque code est l'une des forces qui peuvent s'emparer du texte (dont le
texte est le réseau), l'une des voix dont est tissé le texte. Latéralement à
chaque énoncé, on dirait en effet que des voix off se font entendre: ce sont
les codes...
Ainsi pour Barthes le texte-signe est une sorte de discours des codes
adressé à tout lecteur qui, à partir de là, produit son travail signifiant (la si-
gnifiance comme procès). Dans notre conception le champ d'interprétant
est porté par le lecteur (et non présent dans le texte qui est une chose morte
externe) et il peut être dans l'esprit du lecteur à des degrés divers suivant sa
trajectoire sémio-culturelle. Le texte peut solliciter simultanément un
grand nombre de champs, ce qui a pour effet de démarrer la sémiosis. La
différence essentielle réside dans le fait que chez Barthes le code n'est pas
affecté par l'acte de lecture; il parle au lecteur d'un en-dehors du procès du
sens dont il apparaît comme un matériau déjà là, institué, figé, tandis que
la notion de champ d'interprétants, sorte de fédération de micro-institu­
tions solidarisées par le réel, étant conçue dialectiquement intègre dans le
modèle la dynamique sociale des significations. C'est en ce sens qu'on peut
dire que cette notion intègre la notion de code culturel qui n'en est finale­
ment que le moment de l'institué, l'universalité abstraite coupée de ses dé­
terminations de champ d'interprétants.
Il ne faut cependant pas concevoir de manière trop tranchée la division
du réel en régions et donc le "feuilletage" du champ sémio-culturel en
champ d'interprétants qu'il détermine en champs parfaitement autonomes.
Il y a certainement des connexions, plus ou moins fortes, entre champs et
les déterminations s'opèrent à partir de seuils empiriquement définis, les
rectifications de frontières étant très fréquentes, ce que chacun peut consta­
ter en étudiant les réorganisations multiples des champs couverts par les
différentes disciplines et au moment de l'émergence de nouvelles discipli­
nes. Autrement dit un signe quelconque est connecté d'une certaine ma­
nière à tous les objets réels de l'univers. C'est ce qu'exprime Peirce en MS
517:
Un signe est connecté avec le "Vrai", c'est-à-dire l'Univers de l'Etre en en­
tier, ou, comme on dit, l'Absolu, de trois façons distinctes.
ou encore en MS 849 (texte n°56, annexe A, daté 1911):
Un signe a nécessairement pour Objet quelque fragment d'histoire, c'est-
à-dire de l'histoire des idées.
316 L'ALGEBRE DES SIGNES

Ces considérations dont la pertinence nous semble évidente nous invi­


tent forcément à considérer notre modèle avec une grande humilité et à en­
visager, sans se l'interdire certes, une algébrisation possible du champ sé-
mio-culturel avec beaucoup de précautions et de circonspection.
Les langages d'intelligence artificielle, les systèmes experts notamment
avec leurs moteurs d'inférences qui agissent comme autant de recréateurs
de correspondances entre classes d'objets préfigurent très certainement
cette algébrisation qui est peut être le lieu obligé de la rencontre de la sé-
miotique avec l'informatique de cinquième génération.
CHAPITRE HUITIÈME

Sémiotique et savoirs

Pour comprendre un peu nettement une cho­


se, il faut la regarder de trois points de vue:
1% du point de vue d'Adam.
27 du point de vue de la minute exacte où l'on
se place.
37 du point de vue de l'an 164587.
Joseph Delteil, "Oeuvres complètes" (Gras­
set)
Ce Chapitre regroupe un choix de quatre textes ayant fait l'objet de publi­
cations dans des revues spécialisés. Ces textes ont été modifiés pour tenir
compte des nouvelles notions introduites dans les chapitres précédents et,
de ce fait, actualisés. Il ont été choisis particulièrement à cause des rapports
directs que les classes de phénomènes qu'ils concernent entretiennent avec
la représentation en général: représentation théâtrale pour la théâtrologie,
représentation des connaissances pour l'épistémologie, représentation du
monde pour l'idéologie et représentation des représentations pour l'ethno-
méthodologie.
Etant donné leur origine ces textes jouissent d'une certaine autonomie
et peuvent donc, dans une large mesure, être lus indépendamment de l'en­
semble de l'ouvrage. En ce sens ils ont pour but de montrer l'intérêt qu'il
peut y avoir à concevoir les problématiques de ces champs en termes sémio-
tiques sans passer par l'appareillage méthodologique et technique qui cons­
titue le coeur de ce travail.
Une cinquième section regroupe un ensemble de visées et de conjectu­
res élaborées à partir des mêmes principes et susceptibles de développe­
ments ultérieurs dans des champs aussi divers que la linguistique, l'intelli­
gence artificielle, l'économie, l'épistémologie sociologique et la sociologie
de la littérature.
318 L'ALGEBRE DES SIGNES

1. Sémiotique et théâtrologie

Il y a certainement des théâtrologues dès lors que sont émises des paroles
sur le théâtre. Mais y a-t-il une théâtrologie? Personne ne contestera que,
même armé de la plus grande patience et des meilleures intentions, il est
aujourd'hui impossible d'extraire de la littérature produite sur le théâtre un
corps de définitions rigoureuses et compatibles entre elles, un ensemble de
règles explicites, c'est-à-dire une combinatoire de concepts susceptible de
constituer ne serait-ce qu'un noyau dont les développements ultérieurs
pourraient permettre de prendre en charge le phénomène théâtral dans sa
totalité. Tout au plus peut-on repérer, surnageant par intervalles dans le
torrent de la littérature, quelques universaux empiriques spécifiques du
théâtre qui sont pour la plupart patinés par la didactique (comme le souli­
gne Helbo: 1983): représentation, communication, relation, gestualité. La
théâtrologie serait donc dans les limbes de la scientificité et peut être même
serait-il risqué de la qualifier de pré-scientifique.
Ce n'est pourtant pas faute de convoquer tout ce qui dans les sciences
humaines semble accéder, même à titre éminemment précaire, à un statut
scientifique. Au premier plan on trouve inévitablement la linguistique, dis­
cipline pilote. Mais celle-ci ne permet que la prise en charge du texte. C'est
pourquoi elle a été reconvertie, par extension du champ de ses concepts, en
sémiolinguistique, dans le but de saisir tous les éléments non verbaux du
phénomène théâtral. Alors, et pour les besoins de la cause, tout est devenu
texte et on a vu fleurir les "textes spectaculaires". C'est l'exemple poussé à
l'extrême d'un transfert forcé d'un système de concepts qui a connu un cer­
tain succés dans la description d'un champ dans des champs quelquefois
très différents.
Cette démarche, à situer dans la pragmatique de la recherche, si elle
s'est souvent révélée fructueuse, peut aussi manifester une sorte d'impuis­
sance à produire des concepts spécifiques adéquats dans ces nouveaux
champs et à ce titre contribuer à "bloquer le chemin de la recherche". La
sémiolinguistique, ou, plus précisément, l'attitude méthodologique qui
consiste à soumettre systématiquement au moyen de parallélismes concep­
tuels (c'est-à-dire par mise en correspondance des concepts et des relations
entre ces concepts) pas ou mal définis le non-linguistique au linguistique, a
semble-t-il fait son temps. La sémiologie a progressivement assuré la relè­
ve, ce qui est d'ailleurs dans l'ordre des choses: l'extension du champ d'ap­
plication de la linguistique ayant rapidement atteint ses limites, il était natu-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 319

rel de faire appel à cette sorte d'extension conceptuelle de la linguistique


qu'est la sémiologie d'inspiration saussurienne. Selon Helbo (1983) cette
tentative qui s'est développée pendant les dix dernières années connaîtrait
déjà le reflux. Cette constatation est de nature à renforcer l'opinion de ceux
qui pensent que ces sémiologies ne sont pas suffisamment assurées de leur
statut scientifique pour assurer un fondement scientifique à la théâtrologie
et, a fortiori à une science générale du spectacle. A l'appui de cette thèse
deux sortes de considérations peuvent être avancées:
- d'une part, on peut mettre en doute la valeur heuristique, voire opératoi­
re, au moins dans des champs non linguistiques, d'une méthodologie qui
fait du sens l'un des concepts indéfinissables d'une théorie de la significa­
tion. Ce sens, matière inerte et indifférenciée d'une complaisante plasticité,
capable de se "feuilleter" en plan d'expression et plan de contenu s'investit
très difficilement, malgré ses qualités, dans des "formants" autres que lin­
guistiques. L'origine de ces difficultés réside très certainement dans la pré­
dominance écrasante du linguistique dans la construction des significations
et elles constituent, en quelque sorte, un tribut qui lui est reconnu.
- d'autre part, et à supposer que des sémiologies non linguistiques puissent
s'édifier en utilisant la méthodologie mise au point dans le champ linguisti­
que et acquérir un statut scientifique, le problème d'une sémiologie syn­
thétique resterait malgré tout posé avec une grande acuité. En effet, ces
sémiologies, organisations théoriques se proposant de saisir formellement
une signification abstraite font l'économie d'une phénoménologie. Dans
tout phénomène spectaculaire, par exemple, elle ne peut voir que la mani­
festation d'un signifié unique mais d'expression protéiforme au travers d'un
certain nombre de systèmes signifiants. Ayant postulé l'unicité d'un sens
manifesté (et non défini) elles se trouvent confrontées, après les projections
d'un signifié unique sur de multiples systèmes autonomes, avec le problème
de la reconstitution du sens, c'est à-dire dans la nécessité d'avoir à définir ce
qui a été déclaré indéfinissable! Elles paraissent donc irrémédiablement
condamnées au syncrétisme.
On ne peut donc envisager la saisie du phénomène spectaculaire en de­
hors du recours à une sémiologie authentiquement synthétique. Une telle
théorie que nous appellerons sémiotique pour, en bonne morale terminolo­
gique, la distinguer de ces sémiologies, doit vérifier au moins deux condi­
tions:
- pour rendre compte des distinctions .empiriques faites dans les phénomè­
nes (par exemple, au théâtre, entre verbal, visuel, gestuel, proxémique,...)
320 L'ALGEBRE DES SIGNES

elle doit avoir recours à des catégories de l'aperception, catégories a priori


telles que les éléments que déterminent leur application aux phénomènes
correspondent aux distinctions observées et que, de plus, ils soient synthé-
tisables par une combinatoire explicite.
- pour prendre en charge les phénomènes de signification (dans le sens où
les phénomènes spectaculaires renvoient à des phénomènes antérieurs et/
ou extérieurs au champ de l'expérience) elle doit être fondée sur une défini­
tion du signe qui confère à tout élément signifiant — linguistique ou non —
le même statut théorique.
Une telle sémiotique existe: c'est la sémiotique peircienne. La tradi­
tion européenne n'en connaît guère que la trichotomie des signes en icône,
indice et symbole qui est totalement dépouillée de sa conceptualisation ori­
ginelle donc dénaturée quand on la rapporte aux signes saussurien ou
hjemslévien; nous montrerons plus loin pour quelles raisons. Auparavant
justifions notre assertion.
A partir d'une réflexion approfondie sur les catégories de Kant et de
considérations formelles sur la possibilité de réduire toute relation n-adique
à une combinaison de relations au plus triadiques, Peirce arrive à la conclu­
sion, maintes fois énoncée dans ses écrits, que trois catégories sont néces­
saires et suffisantes pour la description du phénomène ou phaneron, c'est-à-
dire "la totalité collective de tout ce qui, de quelque manière et en quelque
sens que ce soit, est présent à l'esprit, sans considérer aucunement si cela
correspond à quelque chose de réel ou non" (1.284). Il est clair que ce qui
se passe sur la scène (et autour) est présent à l'esprit de tout spectateur et,
à ce titre est un phaneron constitutif du phénomène théâtral, mais il est
clair aussi qu'il ne l'épuise pas, car ce phaneron,en vertu du contrat qui lie
l'individu aux institutions du spectacle et le transforme en spectateur, vaut
pour un autre. La présence à l'esprit de l'ici et maintenant de la scène (Peir­
ce appelle Primisense le mode de conscience correspondant) produit donc,
pourvu que l'esprit soit effectivement engagé par ce contrat dans la conven­
tion théâtrale, la présence à l'esprit d'autre chose dont elle tient lieu. Il y a
donc — et peu importe qu'il soit différent pour chaque spectateur — un se­
cond phaneron constitutif du phénomène théâtral. Cependant ces deux
phanerons sont nécessairement présents simultanément au même esprit. Le
spectateur se trouve donc pourvu de ce que Peirce appelle "une conscience
à deux faces" qui est la conscience dyadique d'une chose et d'une autre chose
(ce mode de conscience, c'est-à-dire cet état nécessaire a priori de la cons­
cience ou encore cette catégorie de la conscience Peirce l'appelle Altersen-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 321

se en 7.551). Mais ces deux phanerons sont liés, du fait du spectateur préci­
sément, par des relations réelles ou des relations de raison. Il y a donc un
troisième phaneron, distinct des deux autres, qui est la présence à l'esprit
de leurs relations et des processus qui les établissent. L'esprit étant présent
à lui-même il a conscience d'être conscience à deux. faces (ce mode de cons­
cience Peirce l'appelle Médisense). Le théorème de réduction triadique
évoqué plus haut a pour conséquence que ces trois modes de conscience —
Primisense, Altersense, Médisense — suffisent à décrire les états possibles
de la conscience du spectateur. Néanmoins, si cette conscience participe
nécessairement du phénomène théâtral elle ne saurait constituer l'objet de
la théâtrologie car la phénoménologie peircienne se rapporte à "ce" qui est
présent à l'esprit et non à ce qu'est l'esprit dans sa relation à cette chose qui
est l'objet de la phénoménologie.
Le phénomène théâtral est donc constitué par la tricoexistence de trois
phanerons: l'ici et maintenant de la scène, ce à quoi il renvoie, les moyens
et processus de ce renvoi. Il nécessite donc, pour pouvoir faire l'objet d'un
traitement scientifique, l'élaboration d'une phénoménologie "de seconde
intention", c'est-à-dire capable de dégager a priori des éléments formels
dans ces "phénomènes de phénomènes" que sont toutes les représenta­
tions.
En appliquant à cette démarche analytique les mêmes principes qui
fondent la sémiotique de Peirce on peut construire une telle phénoménolo­
gie. On peut en effet associer à la tricoexistence des trois phanerons A, B,
 une relation triadique qui les lie formellement par un prédicat équivalent
à: "le phaneron-scène A vaut pour un autre phaneron  au moyen des rela­
tions et processus C". On peut ajouter — mais cette remarque est sans inci­
dence sur notre propos actuel — que, d'une certaine manière, A détermine
C. La relation triadique ainsi définie réalise donc la prise en charge de la
tricoexistence des trois phanerons. Cette démarche formelle donne, en
quelque sorte, une existence théorique à cette tricoexistence qui est alors
l'un des universaux empiriques de la théorie. Nous construirons notre phé­
noménologie en appliquant séparément à chacun des trois phanerons les ca­
tégories de l'aperception que sont les catégories phanéroscopiques de Peir­
ce, puis en déterminant comment les trois types d'éléments ainsi obtenus
dans chacun des trois phanerons (que nous appellerons "éléments de pre­
mière espèce") peuvent se combiner entre eux pour produire des "éléments
formels de seconde espèce".
Auparavant rappelons les définitions des catégories phanéroscopiques:
322 L'ALGEBRE DES SIGNES

- la Priméité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est, positivement et
sans référence à quoi que ce soit d'autre.
- la Secondéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est par rapport à
un second, mais sans considération d'un troisième quel qu'il soit.
- la Tiercéité est le mode d'être de ce qui est tel qu'il est en mettant en re­
lation réciproque un second et un troisième. (8.328)
De plus ces catégories sont hiérarchisées par des relations de présuppo­
sition: la Tiercéité présuppose la Secondéité, laquelle présuppose la Priméi­
té.
Le phaneron A se décompose donc en trois types d'éléments de pre­
mière espèce, notés A.l, A.2, A.3 où A.l représente les éléments de A
dont le mode d'être est la Priméité, A.2 ceux dont le mode d'être est la Se­
condéité, etc.. Le phaneron  se décompose en B.l, B.2, B.3 et le phane­
ron  en C l , C.2, C.3. Les combinaisons valides (au sens de la hiérarchie
des catégories combiné avec l'ordre imposé A-B-C des phanérons) seront
alors les éléments formels possibles de tout phénomène de représentation
ou éléments de seconde espèce. Il est facile de montrer qu'il y en a exacte­
ment dix dont voici la liste:
.,.,. ., B.l, Cl
A.3, B.3, C 2 A.2, B.2, C2
A.3, B.3, C l A.2, B.2, Cl
A.3, B.2, C.2 A.2, B.l, Cl
A.3, B.2, C l A.l, B.l, Cl
Cette construction formelle est calquée sur celle qui permet de mathé-
matiser les classes de signes en sémiotique peircienne mais ici l'approche est
différente; elle reste globale et purement phénoménologique au sens de
cette phénoménologie de seconde intention dont nous avons évoqué la né­
cessité théorique. De plus, il est encore possible dans cette même perspecti­
ve de donner un sens à ce que Peirce appelle les affinités entre classes. Leur
mathématisation montre que les classes d'éléments formels sont elles mê­
mes hiérarchisées en une structure algébrique de treillis. En effet les rela­
tions hiérarchiques entre catégories phanéroscopiques se répercutent en re­
lations hiérarchiques entre les dix éléments formels que nous venons
d'énoncer de telle sorte que chacun d'eux présuppose ceux qui lui sont hié­
rarchiquement inférieurs dans la structure de treillis. En somme ces dix
éléments formels a priori jouent le rôle de dix catégories de l'aperception
des phénomènes de représentation, en quelque sorte des catégories de se­
conde espèce.
SEMIOTIQUE ET SAVOIRS 323

A ce stade nous pouvons déjà montrer comment l'adoption de cette


phénoménologie et de la combinatoire des éléments de la décomposition
transforme la perspective de l'analyse d'un phénomène de représentation et
donc du phénomène théâtral. Prenons l'exemple archétype de la chaise de
théâtre. Une chaise sur la scène est une chose existante; elle appartient
donc à l'ensemble des éléments de secondéité du phaneron A (c'est-à-dire
à A.2) car elle est présente à l'esprit du spectateur comme n'importe quelle
chaise existante (un écriteau suspendu aux cintres qui porterait l'inscription
"chaise" est présent à l'esprit du spectateur comme n'importe quel écriteau
de la vie courante). Ceci est l'analyse toute simple — si l'on peut dire — de
la chaise dans la phénoménologie de première intention. Cette analyse n'est
pas recevable dans l'autre phénoménologie; la chaise y disparait comme en­
tité autonome, elle y est nécessairement liée à deux autres éléments for­
mels, l'un dans B, l'autre dans  et, compte tenu de la hiérarchie des caté­
gories, ne peut figurer que dans les éléments A.2, B.2, C.2, A.2, B.2, C.1,
A.2, B.l, C l . Par exemple la chaise existante de A.2 paut être liée dans le
phaneron B.2 à une autre chaise réelle existante par une relation d'identifi­
cation de C.2. La chaise qu'elle est existentiellement, là, devant nous. Mais
ce "statut" ne lui sera définitivement acquis qu'une fois la pièce terminée
car rien ne permet d'affirmer que pendant le déroulement de la pièce la
chaise n'aura pas d'autre destination que son ustensilité quotidienne. Ce
sera donc un statut possible et c'est plutôt à B.2 d'une part et C l d'autre
part que la chaise sera reliée dans la mesure où elle pourrait avoir dans le
futur de la pièce d'autres destinations: arme, cachette, chausse-trappe,
etc.. Plus rarement elle sera reliée à un élement de B.l (une qualité par
exemple) car les qualités actualisables par une chaise sont trés peu utilisées
comme ressort dramatique. Mais la chose est malgré tout possible. La preu­
ve en est administrée par Ionesco dans "Les chaises" précisément où cha­
que chaise vaut par sa vacuité. Mais l'analyse ne s'arrête pas là. Les élé­
ments formels de seconde espèce étant hiérarchisés il se peut que dans le
déroulement de la pièce apparaissent d'autres éléments formels (des élé­
ments de A.3 peuvent relier la chaise à d'autres éléments: par exemple on
peut la désigner explicitement ou l'évoquer dans le texte). Les éléments
formels qui incorporent la chaise déjà évoqués se trouverons alors liés par
des relations de présupposition multiples avec des éléments d'ordre supé­
rieur. La chaise pourra alors apparaître comme "signe de loi" mais seule­
ment dans la mesure où elle sera impliquée sur scène dans des relations
avec des éléments de A.3. Pratiquement, dans le déroulement de la pièce,
324 L'ALGEBRE DES SIGNES

il peut advenir un moment où des éléments formels de seconde espèce qui


commencent par A.2 sont "coiffés" par des éléments qui commencent par
A.3 et c'est en celà que réside le processus d'attribution des significations
dans la temporalité propre de la pièce. Dans "Les chaises" ceci est réalisé
dès le lever de rideau de par le titre même de la pièce.
On voit que les distinctions empiriques habituelles en systèmes signi­
fiants sont délaissés au profit de la place de l'élément formel dans le systè­
me complet des relations instituées par la scène tant en synchronie qu'en
diachronie. Cette approche réalise finalement le primat de la relation insti­
tuante sur le système a priori. Cependant elle n'exclut pas ces derniers, car
ces systèmes existants sont des réalités déjà là qui sont présentes dans la
pièce sous forme de solidarités instituées entre éléments formels de pre­
mière espèce. A ce titre elles induisent des liaisons entre éléments de secon­
de espèce et interviennent dans la construction du sens. Mais cette dernière
est une création totalement originale, une combinatoire nouvelle des élé­
ments de systèmes existants. C'est pourquoi on ne peut espérer la décrire
qu'en utilisant une méthodologie qui mette au premier plan la combinatoire
des éléments formels plutôt que l'étude et la caractérisation des systèmes si­
gnifiants autonomes qu'on tenterait ensuite de combiner entre eux. Cette
dernière orientation méthodologique en donnant l'avantage à la notion de
système introduit une rigidité a priori qui lui interdit de rendre compte de
manière satisfaisante des éléments proprement créatifs. Les sémiologies
d'inspiration saussurienne conduisent à cette impasse.
Au stade actuel de la construction théorique nous sommes donc pour­
vus d'une phénoménologie adaptée à l'analyse d'un phénomène de repré­
sentation mais applicable seulement à un phaneron isolé. Cependant les
éléments de la décomposition obtenue ne correspondent pas aux distinc­
tions empiriques car les éléments formels de première espèce, principale­
ment ceux du phaneron B, occupent littéralement le devant de la scène à
cause de la convention théâtrale. Démêler sur le champ ce qui appartient à
chacun des trois phanerons A, ,  est quasiment impossible. Il y a proba­
blement le même écart entre l'étude du phénomène là où il se produit
quand il se produit et la théâtrologie, qu'entre le travail de terrain et le tra­
vail de laboratoire d'un naturaliste par exemple. Ce qui est présent à l'es­
prit du spectateur ce sont des éléments inextricablement mêlés des trois
phanerons fondus dans une totalité. Il peut tout au plus "accommoder" sur
A ou sur B, plus rarement sur  qui nécessite pour être "isolé" une prati­
que de l'analyse théâtrale qu'il ne possède généralement pas et qui relève-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 325

rait plutôt de la critique. On ne saurait d'ailleurs le lui demander pas plus


qu'on ne demande aux acteurs sociaux d'être des sociologues. Mais le
théâtrologue ne peut accéder à son objet qu'en tant que spectateur et c'est
dans son expérience de spectateur qu'il puise les raisons de ses choix théori­
ques. Il faut donc nécessairement prendre en compte les éléments empiri­
ques du phénomène théâtral, à savoir: tout ce qui est effectivement perçu et
qui est qualitativement distinct des éléments formels que dégage l'analyse a
priori. Ces éléments sont des objets, des discours, des acteurs, des gestes,
des éclairages, etc.. c'est-à-dire tous ceux qui ont une individualité maté­
rielle — existants ou faits concernant ces existants — capables d'agir sur les
sens du spectateur. Perçus dans le cadre de la convention théâtrale ils ren­
voient pour la plupart à autre chose qu'à eux-mêmes, c'est-à-dire à des élé­
ments du phaneron B. On peut dire que les éléments de A permettent de
construire  au moyen de ceux de  dont le spectateur est porteur. Ils relè­
vent donc d'une sémiotique triadique capable de décrire ces renvois partiels
élément par élément, et aussi synthétique, c'est-à-dire permettant de décri­
re comment ces "signes élémentaires" se combinent pour produire la tri-
coexistence de A, ,  La sémiotique peircienne qui utilise les mêmes
principes phénoménologiques de seconde intention est l'instrument de cette
synthèse. En effet le signe y est défini comme relation conjointe de trois
éléments:
- le signe S: ce qui représente.
- l'objet O: ce qui est représenté.
- l'interprétant I: effet de S sur l'interprète et médiation entre S et O.
On voit que les éléments de la scène présents à l'esprit du spectateur
sont des signes et appartiennent au phaneron A, les objets auxquels ils ren­
voient appartiennent à  et les médiations qui établissent ce renvoi à 
L'analyse sémiotique fournira donc les matériaux pour reconstruire chacun
des trois phanerons A, ,  et ceci dans leur relation conjointe. Bien que
la classification des signes triadiques finalement adoptée par Peirce retienne
comme critères le mode d'être de S, le mode d'être de la relation de S à 
et le mode d'être de le relation de S à I, il est facile d'en déduire les modes
d'être de S,  et I qui nous intéressent dans cette démarche méthodologi­
que. On peut d'ailleurs classer les signes suivant les modes d'être de chacun
de leurs trois éléments comme Peirce le signale explicitement en 2.238, de
façon à obtenir une typologie directement utilisable pour notre propos,
mais cela n'est pas absolument indispensable. En tout état de cause, et
quelle que soit la classification utilisée, il correspondra à chaque classe de
326 L'ALGEBRE DES SIGNES

signes l'un des éléments formels de second espèce et un seul du point de


vue phénoménologique. En faisant l'inventaire des signes et en déterminant
la classe d'appartenance de chacun d'eux on fait donc l'inventaire des élé­
ments empiriques constitutifs de chacun des éléments formels prévus par
l'analyse phénoménologique a priori. Autrement dit la détermination du
type de chaque signe, quel que soit le système signifiant auquel il appartient
(linguistique, visuel, gestuel, e t c . ) , est le moment de l'intégration des dis­
tinctions empiriques aux distinctions formelles a priori. L'explicitation de
ce moment nous assure de la scientificité de la démarche suivie. S'il fait dé­
faut ou s'il est escamoté on peut développer soit un discours formel vide
parce que détaché du réel, soit une accumulation informe d'opinions — res­
pectables certes — mais qui ne peuvent guère recueillir l'assentiment de la
communauté des chercheurs qu'en faisant jouer l'argument d'autorité (ou
de son équivalent: la notoriété). C'est aussi ce qui fait la difficulté de cette
démarche; Peirce l'exprime fort bien en 2.233:
But until we have met with the different kinds a posteriori, and have in
that way been led to recognize their importance, the a priori descriptions
mean little. Even after we seem to identify, the varieties called for a priori
with varieties which the experience of reflexion leads us to think impor­
tant, no slight labour is required to make sure that the divisions we have
found a posteriori are precisely those that have been predicted a priori. In
most cases, we find that they are not precisely identical, owing to the nar­
rowness of our reflexional experience. It is only after much further ar­
duous analysis that we are able finally to place in the system the concep­
tions to which experience has led us.
Au terme de cet inventaire à réaliser de la manière la plus exhaustive
possible nous nous trouvons en possession d'éléments suffisants pour tenter
une reconstitution des phanerons A, ,  dans leur relation conjointe. Sa
valeur dépendra directement de la finesse et de l'exhaustivité des observa­
tions empiriques. Les éléments formels de seconde espèce ainsi reconstruits
sont, nous l'avons vu, liés par les relations de présupposition multiples du
treillis, ce qui permet d'associer à la tricoexistence de A, ,  un diagram­
me algébrique qui en est l'équivalent théorique. De plus on peut par ail­
leurs — et c'est la fonction de la mathématisation que de le permettre —
définir la somme de ce diagramme et lui donner la signification de représen­
tation de leur totalité collective, expression de l'unité du phénomène de re­
présentation. Tout ce qui, à un moment donné est présent à l'esprit du
spectateur est représenté dans une triade unique qui "résume" en les inté­
grant à proportion de leur contribution à la signification globale (par leur
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 327

position dans le diagramme) chaque élément signifiant de la scène. Cette


étape achève l'étude synchronique de la représentation.
L'étude diachronique n'offre pas de plus grandes difficultés, du moins
sur le plan théorique. Dès le lever de rideau, et même avant, suivant les in­
formations dont dispose le spectateur, les phanerons se succèdent, en nom­
bre fini, jusqu'à la fin de la pièce. Chacun d'eux étant réductible à une tria­
de d'après ce qui précède, il suffit de disposer d'une technique pour agréger
ces triades au fur et à mesure qu'elles se présentent et c'est la même techni­
que de totalisation qui pourra être utilisée à chaque pas. Le déroulement de
la pièce sera donc décrit par une suite de diagrammes emboîtés par inclu­
sion et les totalisations successives seront autant d'étapes dans la construc­
tion du sens. On voit donc que, suivant ce modèle, la signification est le
produit de la combinaison de deux processus: un processus de totalisation
synchronique et un processus continu diachronique de sommation de ces to­
talisations synchrones, les deux processus relevant de la même technique de
sommation algébrique (on peut parler d'algébrisation du sens). Cependant
cette technique ne fournit que les classes d'éléments formels dans lesquelles
il faut déterminer les objets de  et les médiations de C, à partir du donné
empirique. Les considérations a priori ne sauraient donner plus, du moins
au niveau de formalisation choisi ici, à savoir la triade A, ,  et la sémio-
tique triadique. Peirce a ébauché des modélisations plus précises donc aussi
plus complexes (sémiotique hexadique notamment) mais auparavant peut-
être faut-il tirer le meilleur parti possible de la modélisation triadique.
Cette dernière peut aussi être perfectionnée par des divisions trichotomi-
ques supplémentaires; nous avons montré par exemple que les signes iconi-
ques, indiciaires et symboliques pouvaient être trichotomisées suivant la
phénoménologie des procédés utilisés pour renvoyer le signe à l'objet. Tout
ceci montre la grande adaptabilité de la sémiotique peircienne aux types de
problèmes qu'on lui soumet.
Ce cadre permet-il de fonder scientifiquement la théâtrologie et ré­
pond-il à une attente des praticiens? On peut déjà répondre à la seconde
question en faisant observer qu'il constitue une réponse particulièrement
adéquate aux préoccupations d'Antonin Artaud lorsqu'il écrit dans "Le
théâtre et son double":
Il ne s'agit pas d'assassiner le public avec des préoccupations cosmiques
transcendantes. Qu'il y ait des clefs profondes de la pensée et de l'action
selon lesquelles lire tout le spectacle, cela ne regarde pas en général le
spectateur, qui ne s'y intéresse pas. Mais encore faut-il qu'elles y soient; et
cela nous regarde.
328 L'ALGEBRE DES SIGNES

Et même mieux, ne pourrait-on y voir ce langage de la scène qu'il ap­


pelait de ces voeux, ces:
moyens nouveaux de noter ce langage, soit que ces moyens s'apparentent
à ceux de la transcription musicale, soit qu'on fasse usage d'une sorte de
langage chiffré.
La sémiotique peircienne est aussi une sorte de langage chiffré. Quant
à la première question il est clair que, comme nous l'avons souligné, on
pourrait y répondre positivement au vu des garanties dont nous nous som­
mes entouré. Cependant il s'agit d'une première approche qui sera imman­
quablement qualifiée de réductionniste. Mais faut-il obligatoirement choisir
entre une scientificité réductionniste et un discours débridé voire incohé­
rent enveloppant son objet? Où bien faut-il considérer que l'exigence de ri­
gueur scientifique doit dominer toute démarche explicative et donc que la
tâche consiste à perfectionner sans trêve des modèles de plus en plus per­
formants?
Patrice Pavis (1982) a fait une tentative en direction de la sémiotique
peircienne. Mais elle était vouée à l'échec car elle visait une impossible
conciliation: "a triadic relationship cannot be built from dyadic relations­
hips" (6.323). Il le reconnaît d'ailleurs lui-même: "Il n'en reste pas moins
vrai que mon ancienne tentative de réconciliation des systèmes peircien et
saussurien était à la fois légitime et impossible sous la forme d'une intégra­
tion de l'un à l'autre". Et il poursuit: "Seule une présentation honnête des
deux systèmes peut, semble-t-il, faire ressortir la question restée en sus­
pens, mais littéralement fondamentale du référent". Il n'est pas juste d'uti­
liser le mot "système" pour désigner les deux conceptualisations du signe
car on réalise ainsi une sorte d'égalité entre elles qui cache de grandes dis­
parités. La sémiotique peircienne fortement formalisée, mathématisée en
partie, peut difficilement être comparée à une sémiologie dont nous avons
déjà noté qu'elle ne pouvait guère s'expliciter au delà du couple signifiant-
signifié et de vagues "fonctions sémiotiques". Seule la sémiolinguistique
"greimassienne" a atteint un degré de formalisation qui témoigne d'une vé­
ritable démarche scientifique; mais nous avons vu qu'elle semble devoir
trop à la linguistique et à la narratologie pour être en mesure de saisir le
phénomène théâtral de manière satisfaisante. C'est pourquoi lorsque Pavis
citant Deledalle ("on ne peut choisir qu'en s'engageant") choisit de s'enga­
ger dans le système saussurien, on peut lui rétorquer qu'il est des engage­
ments qui exigent moins de rigueur, moins d'efforts et moins de risques que
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 329

d'autres. Il serait désastreux pour la pensée scientifique que les potentiali­


tés que recèle l'approche peircienne soient délaissées à cause de cette tenta­
tive avortée (pour des raisons essentiellement historiques et de localisation
géographique d'un paradigme de pensée). Lorsque, de plus, A. Helbo qua­
lifie "de recours à quelque plan Marshall" la redécouverte de Peirce, il fait
une comparaison certes plaisante mais qui a l'inconvénient d'introduire un
présupposé de taille selon lequel les sciences humaines, à la différence des
sciences exactes, pourraient avoir une patrie.
Pourtant, les interrogations actuelles sur les sciences humaines se rap­
portent plutôt à la question de leur formalisation — voire de leur mathéma-
tisation — et les alibis de l'anarchisme méthodologique à la Feyerabend ne
pourront servir indéfiniment. Peut-on continuer à amasser encore long­
temps des opinions, certes autorisées, mais si hétéroclites et émises souvent
dans des systèmes de pensée très éloignés quand ils ne sont pas contradic­
toires? Peut-on passer sans transition du schéma actantiel greimassien à la
dénégation freudienne en passant par des linguistiques d'inspiration diver­
ses? Le problème n'est-il pas de concilier sinon de réconcilier la rigueur et
le formalisme scientifique avec la finesse de l'observation et la richesse des
expériences des spécialistes et des praticiens? On a pu remarquer récem­
ment que A. Ubersfeld (1980) avait ressenti la nécessité de formaliser le
mécanisme de la double dénégation en redécouvrant que "moins par moins
égale plus". Faut-il y voir les prémisses d'une évolution positive des spécia­
listes vers une expression plus formelle donc plus universelle? Peirce pen­
sait à juste titre que la pensée scientifique était le fait de la communauté des
chercheurs, ce qui implique que toute théorie doit être validée par cette
communauté. La théorie peircienne est aujourd'hui à la recherche de cette
validation sociale — positive ou négative — que toute théorie doit un jour
affronter. Encore faut-il que l'épreuve ait lieu dans des conditions suffisam­
ment claires, honnêtes et impartiales. Le théâtre, lieu privilégié pour met­
tre à l'épreuve une phénoménologie et une sémiotique de la représentation,
devrait devenir le banc d'essai de la théorie peircienne qui en retour, pour­
rait lui fournir les fondements de cette "physique" du théâtre que devrait
être la théâtrologie. Les premières tentatives (Bruzy-Marty: 1979, 1980,
1982) d'informer les phénomènes théâtraux avec les concepts peirciens ne
laissent pas d'être encourageantes.
330 L'ALGEBRE DES SIGNES

2. Sémiotique et épistémologie

"La vérité parfaite ne peut être énoncée que


si elle avoue son imperfection." C.S. Peirce.
(5.567)
Analysant d'un point de vue épistémologique l'oeuvre de C.S.Peirce, H.
Buczynska-Garewicz (1976) conclut son article "Sign and evidence" en esti­
mant que Peirce "discloses the new type of epistemology, i.e. the semiotical
analysis, which is the method of obtaining the best of possible cognition".
Plus haut elle a souligné l'importance de la classification des signes à cet
égard. Dans cet article nous allons tenter de développer l'aspect épistémo­
logique de la classification des signes telle que nous l'avons formalisée dans
la section 3 du chapitre IV.
Pour celà nous montrerons tout d'abord qu'on peut consigner dans une
triade, ou plutôt dans une succession de triades, la démarche de la connais­
sance. Il nous suffira à cet égard de formaliser quelques unes des conclu­
sions de quelques épistémologues modernes (principalement Bachelard et
ses continuateurs ainsi que Jean Piaget) dans la notion de "signe épistémo­
logique". Ensuite nous donnerons à chacune des classes de signes une signi­
fication dans le champ de l'épistémologie; de même, les relations entre les
classes de signes telles qu'elles figurent dans le treillis (CS) des classes de si­
gnes se verront attribuer une dénomination qui les caractérisera de ce
même point de vue.
Il sera alors possible d'affecter chaque science, ou chacune des bran­
ches d'une science, chaque stade de la connaissance à une classe de signe
épistémologique. Ceci nous conduira vers une classification non-linéaire
des sciences et des attitudes scientifiques ou cognitives grâce au treillis des
classes de signes déjà mentionné. De plus, sur le plan historique et diachro-
nique, on pourra tenter de suivre aussi bien l'histoire de chaque science que
l'itinéraire cognitif d'un individu, en constatant qu'il existe exactement 5
chemins possibles dans le treillis qui conduisent de la connaissance immé­
diate (identifiée au qualisigne épistémologique) à la connaissance formali­
sée sous sa forme la plus élaborée et la plus proche, dans des conditions his­
toriques et sociales déterminées, de la vérité de l'objet (identifié au symbo­
le dicent épistémologique).
Chemin faisant la vieille opposition analysée pan H. Buczynska-Gare­
wicz entre évidence ou expérience immédiate d'une part et connaissance
symbolique ou médiatisée par des signes, apparaîtra comme artificielle. In-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 331

tuition et connaissance symbolique se distribuent en effet à différents ni­


veaux du treillis et même, à certains niveaux, se mélangent commel're­
marqué H. Buczynska-Garewicz: "Nevertheless, from this point of view,
the very special case is created by the iconic sign. Icon is a kind of sign
which combines, in itself the elements of direct presence with mediate re­
presentation". Le fait que les objets soient ou non médiatisés dans l'acte de
connaissance n'apparait plus alors comme pertinent s'il s'agit de distinguer
différentes formes de connaissance et semble relever d'un dualisme, pour
ne pas dire d'un manichéisme, assez sommaire. Certes il y a une hiérarchie
des signes épistémologiques mais elle n'est pas linéaire, ce qui signifie que
certains couples de signes ne sont pas comparables.

2.1 Le signe épistémologique

Pour Jean Piaget (1972), toute explication ou recherche de la causalité aussi


bien dans les sciences de l'homme que celles de la nature comporte trois
étapes et aboutit nécessairement à:
la construction d'un "modèle" adapté aux faits eux-mêmes et tel que l'on
puisse mettre les transformations déductives en correspondance avec des
transformations réelles: le modèle est donc la projection du schéma logico-
mathématique dans la réalité et consiste ainsi en une représentation con­
crète retrouvant dans le réel des modes de composition ou de transforma­
tions exprimables en termes de ce schéma.
D'autre part, il confère à la conscience une activité cognitive "sui-gé-
néris" qui joue un rôle essentiel au niveau de l'élaboration des schémas lo-
gico-mathématiques.
Ces conceptions peuvent se résumer dans la triade de la Figure 101.

Figure 101.
332 L'ALGEBRE DES SIGNES

Nous donnerons le nom de signe épistémologique à toute triade ainsi


constituée. Tout signe peut d'une certaine manière être considéré comme
signe épistémologique; il nous suffira, à cet égard d'étendre la notion de
modèle afin par exemple qu'un qualisigne puisse être considéré comme mo­
dèle de son objet. De même, la notion de sujet connaissant pourra recou­
vrir partiellement celle d'interprétant si l'on considère ce concept dans le
champ de l'épistémologie. Nous allons successivement préciser quel sens
exact nous donnerons à tous ces termes et aux relations qu'ils entretien­
nent.
2.1.1 L'objet. Par existant nous entendrons toute partie du réel délimitée
par des critères permettant sans ambiguïté de décider si un objet déterminé
est ou n'est pas inclus dans l'existant défini. On pourra objecter immédiate­
ment que cette définition risque d'exclure de nombreux objets de connais­
sance ou d'introduire de l'arbitraire dans le découpage de l'existant. On
peut illustrer ces difficultés par le cas de l'anthropologie. L'anthropologue
s'efforçant d'isoler et de définir l'ethnie qu'il a choisie comme objet d'en­
quête retient un certain nombre de traits (langue, coutumes, croyances, ins­
titutions politiques, etc..) dont chacun permet de délimiter une aire géo­
graphique particulière. Cependant les divers découpages obtenus ne coin­
cident que de manière exceptionnelle: l'ethnie apparaît alors comme une
tâche claire entourée d'une pénombre au sein de laquelle aucune limite ne
peut être tracée, sinon arbitrairement. Cependant ce type d'objection sera
sans effet sur notre propos dans la mesure où nous ne nous intéresserons
qu'au processus de connaissance d'un objet, quels que soient les moyens
utilisés pour le délimiter, fussent-ils arbitraires.

2.1.2 La structure. Nous nous réfèrerons pour la définir au travail d'Alain


Badiou (1972). Nous rappellerons simplement ici ses conclusions:
- par structure on entend construction logico-mathématique: à partir d'un
ensemble initial d'énoncés (les axiomes) on dérive des théorèmes selon des
règles de déduction, ce qui définit un système formel: la syntaxe. Cette syn­
taxe s'interprète dans une structure qui est un ensemble muni d'une famille
de sous-ensembles et de deux marques supplémentaires "Vri" et "Fax".
L'interprétation s'effectue grâce à une fonction de correspondance qui à
toute constante individuelle du système fait correspondre un objet de la
structure et à toute constante prédicative fait correspondre un sous-ensem­
ble de la famille.
On met ensuite en rapport la déductibilité syntaxique et la validité sé­
mantique. On obtient alors la définition suivante:
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 333

"Une structure est modèle d'une théorie formelle si tous les axiomes de
cette théorie sont valides pour cette structure."
On établit ainsi la famille de correspondances suivantes:
Logique Mathématique
Théorie des modèles Théorie des ensembles
Système formel Structure
Syntaxe Sémantique

2.1.3 L'interprétant cognitif. L'interprétant cognitif est ce qui permet


d'attribuer la structure à l'objet auquel elle se rapporte. Contrairement aux
définitions précédentes qui peuvent être énoncées de manière autonome
sans faire appel aux autres termes de la triade, l'interprétant cognitif est
défini comme un signe opérant sur les deux termes précédents. On peut
dire, littéralement, que l'interprétant cognitif est un signe de reconnaissan­
ce. Dans la version psychologique, l'interprétant cognitif se constitue dès
lors que l'interprète, pris en tant que sujet connaissant, prend conscience
que la structure qui lui est présentée est relative à tel objet parce que lui
même entretient avec l'objet le même type de relations formelles qu'il en­
tretient avec la structure.
Nous allons maintenant examiner les relations que les différents termes
de la triade entretiennent entre eux.

2.1.4 Relations structure-existant. Pour Bachelard (1957):


l'un ces caractères les plus nouveaux de l'épistémologie contemporaine,
c'est que les différentes approximations expérimentales du réel se révèlent
solidaires d'une modification axiomatique des organisations théoriques.
On retrouve une constatation du même type chez N.Mouloud (1973):
La connaissance s'enfonce dans le réel, rencontre ses arêtes et respecte ses
solidarités, et en même temps elle maintient et restaure la cohérence de ses
propres représentations, de ses propres expressions. C'est dans ce contexte
qu'il y a véritablement dialectique, c'est-à-dire une extension des raisons
qui est un approfondissement de l'objet.
L'un et l'autre, comme Jean Piaget dans la citation précédente consta­
tent dans l'activité cognitive l'existence d'une liaison entre ce qu'ils appel­
lent respectivement "organisation théorique", "représentation", "modèle"
(et que nous avons choisi d'appeler avec A.Badiou "structure" ) d'une part
et l'existant d'autre part. Cette liaison précisément est assurée par l'action
du sujet sur l'objet à travers des dispositifs ou des situations "expérientiel-
334 L'ALGEBRE DES SIGNES

les". Le sujet est ici considéré comme un sujet collectif porteur de l'inter­
prétant cognitif; plus précisément le sujet agit sur le réel à partir de la re­
présentation qu'il s'en fait au moyen des structures. A ce niveau apparaît
donc la dimension pratique du signe épistémologique. Si notre conception
des effets "pratiques" que peut avoir l'objet de notre conception est le tout
de notre conception de l'objet, suivant la maxime du pragmatisme, c'est
précisément au niveau de l'expérience et de l'expérimentation que notre
conception de l'objet est soumise à l'épreuve de la réalité. Dans l'expérien­
ce ou l'expérimentation la structure est confrontée à l'objet: c'est le mo­
ment du négatif du signe qui est réalisé dans cet acte particulier. C'est ce
qu'exprime Bachelard (op.cité) lorsqu'il écrit:
Dans l'expérience la conceptualisation cherche des occasions pour compli­
quer le concept, pour l'appliquer en dépit de la résistance du concept, pour
réaliser les conditions d'application que la réalité ne réunissait pas.
On rendra compte de cette situation en faisant appel au concept d'ana­
lyseur, emprunté à l'analyse institutionnelle. Sont analyseurs les éléments
de l'objet qui sont impensés dans la structure et qui révèlent, souvent bruta­
lement, leur existence dans la particularité de l'expérience ou de l'expéri­
mentation. Il ne manque pas d'exemples de théories scientifiques remises
en cause au cours d'expérimentations dont le but était précisément d'en
vérifier la validité, sans parler des expériences personnelles que nous vivons
quotidiennement et au cours desquelles nous sommes amenés, comme on le
dit habituellement, "à réviser nos conceptions". Ceci nous conduit mainte­
nant à examiner les relations de l'existant et de l'interprétant cognitif.

2.1.5 Relations existant-interprétant cognitif. Ces relations ont déjà été


évoquées au paragraphe précédent et ceci est apparu comme une nécessité
tant il est vrai qu'un triade ne peut s'analyser en dyades. Il en sera de même
pour leur étude qui ne pourra être faite sans avoir recours à la structure.
Car c'est dans cette relation, qui est action, que trouve place ce que Piaget
a décrit comme une "abstraction réfléchissante" par laquelle le sujet organi­
se l'objet dans une structure logico-mathématique en même temps qu'il or­
ganise sa propre activité. Clara Dan (1972) écrit sur ce même thème:
l'activité est source de deux sortes d'organisations: l'une concernant les ob­
jets, l'autre elle-même. La connaissance se réalise par la dialectique de ces
deux sortes d'abstractions.
C'est au niveau de l'interprétant cognitif que se résout la contradiction
révélée dans la négativité de l'expérience ou de l'expérimentation. La struc-
SÉMIOQUE ET SAVOIRS 335

ture "vécue" comme représentation du réel s'oppose à la structure "pen­


sée" produite par les expériences antérieures du sujet. C'est l'activité struc­
turante du sujet connaissant, lieu de cette contradiction, qui produit les
ajustements nécessaires et impulse la démarche de la connaissance.

2.1.6 Relations interprétant cognitif-structure. L'essentiel de ces relations


a été nécessairement décrit dans les alinéas précédents. Ces relations sont
gouvernées par l'objet. Elles restent figées hors de toute expérience, de
toute relation avec l'objet. Elles figurent, dans ce cas, le moment de la sin­
gularité de la relation du signe à l'objet; elles consistent en spéculations pu­
res.

2.1.7 Le signe épistémologique comme processus. Pour traduire dans une


icône la conception du signe épistémologique que nous venons de définir, le
classique schéma est insuffisant dans la mesure où il n'est qu'un moment du
signe, une coupe synchronique dans la démarche de la connaissance. En
fait, il est plus pratique d'adopter une configuration spatiale faisant interve­
nir le temps, ce qui permettra de représenter le signe en diachronie (Figure
102).

Figure 102.
336 L'ALGEBRE DES SIGNES

Dans le plan Ρ on a représenté le signe S à l'instant t1 Sur l'axe des


temps apparaît la structure S2 produite par la mise à l'épreuve de la structu­
re S1 dans une expérience.
Ce processus de génération de signes épistémologiques successifs dans
la connaissance n'est pas continu. C'est un fait qui a été constaté par les
épistémologues des sciences depuis longtemps. C'est ainsi que Dominique
Lecourt remarque que:
chaque science a son allure propre, son rythme et, pour mieux dire sa tem­
poralité spécifique: son histoire n'est, ni le "filet latéral" d'un soi-disant
"cours général" du temps, ni le développement d'un germe où se trouve­
rait "préformée" la figure encore blanche de son état présent: elle procède
par réorganisations, structures et mutations.
Autrement dit pour un existant donné qui est l'objet d'une science le
passage d'un "état sémiotique" caractérisé par un signe épistémologique à
un autre état est une discontinuité, une catastrophe "épistémologique" au
sens de la théorie des catastrophes. On conçoit maintenant tout l'intérêt
qu'il peut y avoir à considérer les classes de signes, à leur donner un sens en
tant que signes épistémologiques, et aussi à interpréter le treillis des classes
de signes et les morphismes qui l'ordonnent.

2.2 Les classes de signes épistémologiques

Nous allons examiner successivement les dix classes de signes et tenter de


les caractériser du point de vue de l'épistémologie.

2.2.1 Le qualisigne s.l, Γ1 , 1 C'est un signe qui consiste à représenter


un objet par une qualité que l'interprétant cognitif constitue en icône de cet
objet. Dans le qualisigne l'objet est ressenti comme icône de l'objet: c'est le
niveau de la perception brute, non analysée: ce qu'a pu ressentir Archimè-
de juste avant qu'il prononce son célèbre "Euréka", et ce que nous ressen­
tons nous-mêmes dans les mêmes circonstances. En fait on peut considérer
que le qualisigne épistémologique n'est pas autre chose que la conscience
de l'objet ou plutôt sa "condensation" dans la conscience en tant que dé­
coupage dans la totalité du réel. Il y correspond le modèle trivial c'est-à-
dire la structure à un élément.

2.2.2 Le sinsigne iconique (s.l,r.l), '2, ' I1 matérialise toujours un


qualisigne; c'est par exemple la poussée réelle que l'on peut ressentir au
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 337

moment où l'on prend son bain et que l'on fait la relation entre cette pous­
sée et l'eau du bain, le diagramme du système nerveux de cet animal que je
relève etc.. La structure est toujours une structure triviale, des qualités de
sentiment constituées en paire. Il s'agit d'une connaissance dans laquelle il
y a un certain rapport existentiel avec l'objet: la secondéité dégénérée y est
perçue comme telle.

2.2.3 Le sinsigne indiciaire Thématique s.2, 2, '2 C'est un "objet d'ex­
périence directe qui renvoie à un objet". Cela peut être, par exemple, la re­
présentation d'une classe par un individu particulier: ce cheval comme mo­
dèle des équidés, un dispositif expérimental "pour voir", etc.. La structu­
re-type correspondante est la représentation d'un tout par une partie, d'une
population par un individu donné (et non par un individu-type).

2.2.4 Le sinsigne dicent s.2, 2, 2 C'est un "objet d'expérience directe


qui fournit des informations sur son objet. Il implique un sinsigne iconique
pour matérialiser l'information" (2.257). Dans ce cas on trouve, par exem­
ple: la girouette, le cheveu (mesure de l'hygrométrie de l'air) tout appareil
de mesure en situation etc.. Il implique aussi un sinsigne indiciaire Théma­
tique. Le dispositif expérimental en est un exemple. La structure type est
non triviale, mais assez peu déterminée.

2.2.5 Le légisigne iconique (s.l, r.l, t.l), "3, "3. C'est "toute loi géné­
rale qui dans chacune de ses applications matérialise une qualité détermi­
née renvoie à l'objet du signe. Cette loi gouverne des répliques singulières
qui sont des sinsignes iconiques" (2.258). Par exemple toute théorie pure­
ment descriptive, toute taxinomie est un légisigne iconique de son objet,
toute classification des animaux par exemple est une icône du règne animal.
La structure-type est la série d'éléments, le diagramme général, le dessin
stylisé...

2.2.6 Le légisigne indiciaire rhématique (s.2,s.l), '3, "3. "[...]Toute loi


générale,quelle que soit la manière dont elle a été établie, qui requiert que
chacune de ses instances soit réellement affectée par son objet." (2.259).
Exemples: énoncé général qualitatif des lois de la physique comme ce­
lui de la poussée d'Archimède: " Tout corps plongé dans un liquide reçoit
une poussée"; tous les effets: champ d'un courant, magnétisme, etc.. dé­
crits qualitativement.
338 L'ALGEBRE DES SIGNES

La structure type est un énoncé qualitatif d'une propriété de l'objet au


moyen de signes linguistiques ou de signes conventionnels. Elle correspond
à une relation d'équivalence à deux classes ou plus, classes d'objets qui pos­
sèdent ou ne possèdent pas une propriété déterminée, ou un ensemble de
propriétés déterminées.

2.2.7 Légisigne indiciaire dicent (s.2, s.l), '3, '3. Identique au 2.6 mais
donne de plus des informations sur l'objet. Ici apparaît déjà la notion d'ex­
plication; il s'agit plutôt d'une clarification: élucidation (et éventuellement
mesure) des divers paramètres constitutifs de l'objet et de leurs relations.
Par exemple l'énoncé complet de la poussée d'Archimède.
La structure type est une formule littérale, dans laquelle la signification
des lettres est explicitée.

2.2.8 Symbole rhématique s.3, 3, "3.


Signe lié à son objet par une association d'idées générales de façon que ses
répliques suscitent une image dans l'esprit, laquelle image (suivant certai­
nes habitudes ou dispositions de cet esprit) tend à produire un concept gé­
néral et la réplique est interprétée comme un signe d'un objet qui est un
exemple de ce concept. (2.261).
Par exemple, le signe linguistique "pression"; sa réplique est un sinsi-
gne indiciaire rhématique,à savoir,des situations vécues, des expériences
personnelles comme le gonflage des pneus, l'utilisation du gaz urbain, etc..

Cette réplique est signe d'un objet: l'objet "pression dans un pneu sin­
gulier" qui est une instance du concept de pression.
La structure type est une série d'éléments symboliques sans lien entre
eux.

2.2.9 Symbole dicent s.3, 3, '3.


Signe lié à son objet par une association d'idées générales et agissant com­
me un symbole Thématique sauf qu'il est réellement affecté par son objet:
l'existence ou la loi qu'il suscite dans l'esprit doit être réellement lié à l'ob­
jet indiqué. (2.262).
Ce signe épistémologique traduit donc symboliquement un état des
choses pris dans le sens des relations entre des choses (statique ou dynami­
que).
La structure type est une structure algébrique définie sur un ensemble.
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 339

Par exemple le treillis des classes de signes qui a pour objet la classe de tous
les signes.

2.2.10 Argument s.3, 3, 3. "Signe dont l'interprétant représente son ob­
jet comme étant un signe ultérieur par le moyen d'une loi". (2.263).
Une structure type est un formalisme abstrait quelconque dans lequel
les éléments sont indéterminés mais les règles ou lois de composition claire­
ment énoncées.
On peut faire plusieurs remarques qui permettront de grouper, selon
certains points de vue, des classes de signes.
Ainsi les signes iconiques (s.1,Γ1,Γ1,)(s.1,r.1), '2, '2), ((s.l,r.l,t.l),
"3, "3) correspondent à la connaissance "mixte", le qualisigne à l'éviden­
ce ou connaissance immédiate.
Les sinsignes correspondent à la connaissance "vulgaire" de même que
les légisignes iconiques ou indiciaires mais à un autre degré puisqu'il y a
déjà une formalisation assez avancée au niveau de la désignation (par un
légisigne). En fait il y a déjà abstraction.
La connaissance symbolique se situe en s.3, 3, "3 et s.3, 3, '3.
Quant à l'argument, il est connaissance des moyens de connaissance ou
connaissance formelle. On obtient donc 5 niveaux:
- Connaissance formelle
- Connaissance symbolique 2e degré (concepts construits)
- Connaissance symbolique 1er degré (analogie, concepts élémentaires)
- Connaissance "vulgaire"
- Connaissance immédiate
Le passage d'un niveau à un autre est explicitable par des ensembles de
morphismes du treillis des classes de signes. On peut analyser leur statut
épistémologique (Marty: 1978).
Les morphismes de ce treillis trouvent leur signification dans l'ordre de
Pépistémologie grâce à la conception diachronique du signe épistémologi­
que. Nous les interpréterons comme des passages d'une classe de signes
épistémologiques à une autre, comme repérant un saut qualitatif dans l'or­
dre de la connaissance.
On vérifie donc dans cette approche que la vieille opposition analysée
par H. Buczynska-Garewicz entre évidence ou expérience immédiate d'une
part, connaissance symbolique ou médiatisée par des signes d'autre part est
un peu artificielle.
340 L'ALGEBRE DES SIGNES

L'interprétation du treillis dans l'ordre de l'épistémologie renvoie cer­


tes à une certaine hiérarchie dans la connaissance puisqu'il est muni d'une
relation d'ordre, mais il ne s'agit pas d'une relation d'ordre total, ce qui si­
gnifie que certains signes épistémologiques ne peuvent être comparés, au­
trement dit qu'il y a des modes de connaissance qui ne peuvent être décla­
rés ni meilleurs, ni supérieurs à certains autres.

2.3 Applications

2.3.1 Classification des sciences. On pourra affecter chaque science à une


ou quelquefois plusieurs classes de signes suivant le type de structure dans
laquelle elle est formalisée (qualisigne, sinsigne, légisigne), la nature du
rapport qu'elle entretient avec son objet (iconique, indiciaire ou symboli­
que) et suivant le genre d'information qu'elle apporte sur cet objet (Théma­
tique, dicent, argumentai). C'est ainsi que, par exemple, on trouvera en
S.3, "3, "3 les taxinomies de la biologie animale; en s.3, '3, "3 la physi­
que classique élémentaire (sous son aspect quantitatif), la physiologie en
s.3, 3, '3, la psychologie comportementale (qui produit des modèles de
comportement comme le béhaviorisme); en s.3, 3, 3 la logique classique,
etc....

2.3.2 Histoire des sciences. En ce qui concerne le développement histori­


que d'une science donnée,il doit être possible de repérer ses états successifs
et de déterminer son cheminement à l'intérieur du treillis. De ce point de
vue, l'ordre du treillis, qui est un ordre logique, devient un ordre chronolo­
gique. Il y a exactement cinq chemins possibles sur les cinq niveaux.
Analysant le développement historique d'une science on pourra donc
chercher à y déterminer successivement:
- la "condensation" de son objet dans le champ de la science (qualisigne)
- l'expérience de l'objet (sinsignes)
- la désignation de l'objet et de ses composants (légisignes)
- la formalisation de l'objet (symboles).
A cet égard il serait intéressant d'examiner l'histoire de l'alchimie et de
voir par quels cheminements sémiotiques elle a pu déboucher sur la chimie
moderne.

2.3.3 Epistémologie génétique. Une relecture de l'oeuvre de Jean Piaget


est possible. Chacun des stades qu'il décrit dans le processus cognitif peu-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 341

vent se référer à une classe de signes. Ici aussi on a cinq chemins possibles
sur cinq niveaux.
- Construction et différentiation des objets (et tout d'abord du moi).
- niveaux sensori-moteurs (sinsignes)
- Niveaux de la pensée pré-opératoire (légisignes)
- Niveaux du stade des opérations concrètes: sinsignes qui sont répliques
de légisignes)
- Structures opératoires formelles (symboles).
L'épistémologie génétique montre par ailleurs que le processus cognitif
n'est pas d'emblée triadique. D'abord monadique, il se constitue en dyade
par la construction du moi, puis en triade. C'est l'activité du sujet qui per­
met ces étapes successives.
Toutes ces interprétations sont évidemment largement programmati­
ques et méritent certainement des développements plus approfondis.

3. Sémiotique et idéologie

Le mot "idéologie" est surchargé de significations et cela tient évidemment


à la nature de l'objet qu'il représente. Dans leur introduction générale à
l'Histoire des idéologies F. Châtelet et ses collaborateurs (1978) refusent
justement de la limiter à la perspective marxiste qui insiste sur "la dimen­
sion d'illusion compensatoire des idéologies" par crainte de n'obtenir
"qu'une illusion sans compensation". Ils entendent donc par idéologie:
le système plus ou moins cohérent d'images, d'idées, de principes éthi­
ques, de représentations globales et, aussi, de gestes collectifs, de rituels
religieux, de structures de parenté, de techniques de survie (et de dévelop­
pement), d'expressions que nous appelons maintenant artistiques, de dis­
cours mythiques ou philosophiques, d'organisation des pouvoirs, d'institu­
tions et des énoncés et des forces que celles-ci mettent en jeu, système
ayant pour fin de régler au sein d'une collectivité, d'un peuple, d'une na­
tion, d'un Etat les relations que les individus entretiennent avec les leurs,
avec les hommes étrangers, avec la nature, avec l'imaginaire, avec le sym­
bolique, les dieux, les espoirs, la vie et la mort.
Il s'agit donc en gros d'une vision ou conception du monde (Weltans­
chauung) qui implique non seulement la connaissance mais aussi les désirs,
les passions et les pratiques. L'extension de cette définition est telle qu'on
peut a priori avancer l'idée que la sémiotique peut être d'un secours non
négligeable dans l'élaboration d'un cadre conceptuel permettant de mieux
appréhender les phénomènes relevant de l'idéologie.
342 L'ALGEBRE DES SIGNES

Auparavant nous devons nous déterminer par rapport à la question


qu'introduit le matérialisme historique lorsqu'il énonce que l'idéologie,
conséquence de la division sociale du travail, est à l'oeuvre dans toute for­
mation sociale, et que l'une de ses caractéristiques consiste dans le fait que
ceux là mêmes qui en sont porteurs n'en sont pas conscients. Dans ces
conditions nous serions assurés d'être en train de tenter de connaître de
l'idéologie dans l'idéologie, ce qui est un cas typique d'implication de l'ob­
servateur dans son objet qui n'est pas sans soulever de graves problèmes
épistémologiques.
On connaît la réponse qu'apporte l'épistémologie moderne à ce type
de situation; ainsi Piaget prétend que dans les sciences de l'homme le sa­
vant à la possibilité de "se décentrer" par rapport à son objet c'est-à-dire de
se transporter imaginairement dans un ailleurs où il occupe une position
comparable à celle de l'observateur dans les sciences exactes. Dans le cas
précis de l'idéologie on peut se demander à bon droit ce qui peut nous assu­
rer de la neutralité de notre discours par rapport aux idéologies de notre
temps; la décentration "volontariste" ne parait pas offrir de garanties suffi­
santes à cet égard.
Les meilleures garanties sont à notre avis offertes par la construction
d'un modèle logico-mathématique qui consiste à énoncer:
1. les axiomes d'une théorie
2. les règles de déduction
La validité des axiomes et l'application des règles de déduction sont
clairement explicitées et contrôlables par tous; le modèle ainsi construit
peut être confronté à la réalité dont il tente de rendre compte et modifié en
fonction des différences observées. Finalement, introduire comme le préco­
nisait Peirce, l'esprit de laboratoire dans les sciences humaines ce n'est pas
recréer imaginairement l'extériorité de l'objet pour reproduire la situation
du laboratoire, mais introduire dans les sciences humaines les pratiques des
sciences expérimentales qui consistent à élaborer une chaîne de modèles
successifs qui tendent vers la vérité de l'objet. La seule différence — et elle
est de taille — proviendra alors de la difficulté de procéder à des expéri­
mentations, puisque l'histoire est le seul laboraboire des sciences humaines
et que le temps nécessaire pour évaluer la valeur prédictive des théories
peut assurer à des théories erronées (des philosophies déguisées en scien­
ces, selon Althusser) une position dominante pendant de longues périodes,
en relation avec les conditions politico-sociales.
Or nous disposons maintenant d'une théorie formalisée de la significa-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 343

tion. Les universaux mathématiques que nous avons choisis nous ont per­
mis d'en construire deux modèles architectoniques successifs. Nous pou­
vons donc, dans le cadre conceptuel ainsi fixé aborder le problème de
l'idéologie avec l'acquis et les facilités que procurent la mise à disposition
d'un modèle très général qui nous donne accés aux fondements et au fonc­
tionnement de l'idéologie, principalement parce que nous avons pris soin
d'y intégrer la dimension sociale des phénomènes sémiotiques au moyen du
concept dialectisé d'institution. Disposant de ce large cadre conceptuel no­
tre méthodologie va donc consister à:
1. Enoncer une définition sémiotique de l'idéologie
2. Examiner si cette définition permet de rendre compte des phénomènes
habituellement désignés par ce mot.
Pour avancer des caractérisations sémiotiques de l'idéologie nous al­
lons exploiter la notion peircienne de réplique: "Tout légisigne signifie par
son application dans un cas particulier qu'on peut appeler sa réplique"
(2.246), puis "un symbole agit par l'intermédiaire d'une réplique" (2. 249)
et enfin (définition du légisigne iconique): "étant un légisigne son mode
d'être consiste à gouverner des répliques singulières dont chacune sera un
sinsigne iconique d'une sorte particulière" (2.253). De plus, dans 2.265
Peirce écrit: "en plus des variétés normales des sinsignes, indices et dicisi-
gnes, il y en a d'autres qui sont respectivement des répliques des légisignes,
symboles et arguments".
Toute réplique est donc réplique d'un légisigne. Rappelons qu'un légi­
signe est une loi qui est un signe:
Cette loi est d'ordinaire établie par les hommes. Tout signe conventionnel
est un légisigne (mais non l'inverse). Il n'est pas un objet singulier, mais un
type général qui, on en a convenu, doit être signifiant. (2.246)
On voit donc que la réplique est obtenue par une sorte de retour de la
tiercéité sur la secondéité: il s'agit d'un légisigne qui gouverne (et l'emploi
de ce mot est très significatif) un sinsigne. En d'autres termes un tertian est
créé de telle sorte qu'il implique un secondan.
Toutes les possibilités formelles de réplication, dans le modèle triadi-
que, se lisent dans le treillis CS. Tout sinsigne peut être gouverné par un
légisigne, tout légisigne indiciaire (donc à l'exclusion du légisigne iconique)
par un symbole, et tout symbole dicent par un argument. Il faut bien pren­
dre garde qu'il s'agit seulement d'une pure possibilité, indiquée par le sens
des flèches du treillis. Il existe des sinsignes, des légisignes indiciaires et des
symboles dicents qui ne sont gouvernés par aucun autre signe (cette remar-
344 L'ALGEBRE DES SIGNES

que est une conséquence de l'autonomie des catégories phanéroscopiques).


Donnons quelques exemples de chacun des cas possibles d'incorporation
d'un signe de niveau "inférieur" dans un signe de niveau "supérieur", les
mots "inférieur" et "supérieur" renvoyant à la situation spatiale dans le
treillis des classes de signes et non pas à la relation d'ordre du treillis.
1. Un argument peut gouverner un symbole dicent. Par exemple, le symbo­
le dicent "si une porte est fermée alors elle est fermée" est gouvernée par
l'argument "P implique P" (tautologie).
2. Un symbole peut gouverner un légisigne indiciaire. Par exemple, l'aver­
tissement sonore des pompiers (Peirce cite "un cri de la rue") qui est un lé­
gisigne indiciaire dicent est gouverné par le légisigne symbolique dicent ex­
primé dans la proposition: "l'avertissement sonore des pompiers symbolise
le secours social aux biens et aux personnes menacées".
3. Un légisigne peut gouverner un sinsigne. Par exemple, l'avertisseur so­
nore des pompiers, ici et maintenant, est un sinsigne indiciaire dicent qui
est la réplique d'une convention sociale (qui varie suivant les pays) laquelle
gouverne en France le traditionnel "pin-pon". D'ailleurs, lorsqu'on est en
automobile, le code de la route nous impose de céder le passage au véhicule
de secours: dans cette occasion, le sinsigne agit comme réplique de légisi­
gne de manière évidente.
4. Remarque: Un légisigne iconique n'est réplique d'aucune autre classe de
signes. Il est le seul légisigne à jouir de cette propriété.
5. Composition des réplications: comme on l'a vu dans l'exemple de l'aver­
tisseur sonore des pompiers, un symbole dicent peut gouverner un légisigne
indiciaire dicent qui lui même gouverne un sinsigne indiciaire dicent.
Dans cet exemple deux réplications sont composées. On peut facile­
ment faire l'inventaire des autres cas possibles de composition des réplica­
tions.
Nous sommes maintenant en mesure d'énoncer la définition de l'idéo­
logie:
Définition: il y a idéologie lorsqu'un système de légisignes tend à gouver­
ner, directement ou indirectement, une classe de sinsignes.
En somme une idéologie est une pensée organisatrice du réel dont le
mode d'être consiste à transformer des sinsignes en répliques de légisigne.
La dimension sociale de l'idéologie est prise en charge par la notion de lé­
gisigne qui est co-extensive d'une institution sociale.
Conséquences de cette définition: compte tenu du treillis, les possibilités lo­
giques pour une idéologie sont limitées et peuvent se décrire en trois ni­
veaux de complexité:
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 345

1. niveau I (priméité de l'idéologie): soit un fait, se rapportant à un objet


réel avec lequel il partage certaines qualités, pris en lui-même, hors de tout
contexte et de toute loi; c'est un sinsigne iconique rhématique.
Deux exemples pour illustrer ce premier niveau:
Exemple 1: sur ce toit, cette girouette tourne;
Exemple 2: dans cette avenue, un ensemble d'individus que j'identifie com­
me des ouvriers, manifeste.
Ces faits sont gouvernés par un légisigne iconique rhématique qui
consiste en une conceptualisation de ces faits sous une forme générale:
- dans l'exemple 1: le mouvement des girouettes (loi physique)
- dans l'exemple 2: les mouvements collectifs des ouvriers, (loi sociale).
Ce niveau est caractérisé par le diagramme de la Figure 103.

Figure 103.

Il y a reconnaissance ou érection d'une loi gouvernant des relations


réelles par une inférence abductive qui applique une forme connue ou créée
pour la circonstance sur le fait présent dont la forme singulière est incorpo-
rable dans cette autre forme par le morphisme (-, Φ5. Φ5). A ce niveau le
caractère iconique (analogique) est dominant. En somme, il y a reconnais­
sance que le fait individuel considéré possède des caractères de généralité
et de reproductibilité dans le temps et dans l'espace suffisants pour que soit
érigé à son propos une loi d'une "région" du réel. La question de l'exactitu­
de de la loi est hors de notre champ qui se borne à constater l'instauration
de la relation légisigne-réplique.
2. Le niveau II (secondéité de l'idéologie): il consiste en l'établissement
d'une« relation du fait conceptualisé avec un autre fait; mise en relation si­
gnifie couple oppositif dans le sens que le fait est distingué par rapport à un
autre. Ce faisant le fait devient indiciaire de cette opposition s'il est réelle­
ment affecté par l'autre terme de l'opposition. Ainsi dans l'exemple 1 sont
346 L'ALGEBRE DES SIGNES

mis en relation girouette et vent et le mouvement de la girouette est indi-


ciaire de l'action réciproque (active-passive) du vent et de la girouette; dans
l'exemple 2, la manifestation des ouvriers et l'organisation sociale sont mis
en relation par la prise en compte du contexte. La manifestation devient
l'indice d'une opposition entre ces ouvriers et l'organisation sociale dont ils
font partie.
Le niveau I est donc repris dans le niveau II et transformé. Son carac­
tère iconique, sans disparaître, passe en second plan pour faire place à un
caractère indiciaire. De plus cet indice apparaît comme étant gouverné par
un légisigne symbolique rhématique car la relation entre deux concepts est
nécessairement symbolique. Le niveau II est caractérisé par le diagramme
de la Figure 104.

Niveau II Niveau I

Figure 104.

A ce niveau c'est ce qu'on peut appeler le caractère indiciaire-rhémati-


que qui est dominant; c'est parce que la forme est réellement incorporée
dans les faits que l'attention est attirée sur elle.
3. Le niveau III (tiercéité de l'idéologie): il gouverne le niveau II en trans­
formant son caractère rhématique en dicent. Il y a, à ce niveau, explicita-
tion d'une loi qui gouverne le fait dans son contexte. Mais un symbole rhé­
matique (par exemple) ne devient dicent que pour autant qu'il est gouverné
par un argument. Ainsi dans l'exemple 1: l'action-réaction du vent et de la
girouette est gouvernée par la loi du flux minimum: la girouette tourne par­
ce que la direction du vent change. L'argument qui gouverne est du type "P
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 347

implique Q" où Ρ est répliqué dans: "variation de direction du vent" et Q


est répliqué dans "variation de direction de la girouette".
Dans l'exemple 2, l'action-réaction des ouvriers et de l'organisation so­
ciale peut être gouverné par plusieurs lois qui correspondent aux diverses
idéologies qui peuvent s'emparer de ce fait. Le marxisme pourra y voir une
réplique de la lutte des classes, le fonctionnalisme l'expression d'un dys­
fonctionnement de la société; sous la IHéme République, en France, et peut-
être encore aujourd'hui on pouvait y voir l'expression d'un refus de l'effort
et du travail; un tenant de "la loi et l'ordre" peut y voir la manifestation de
la malignité de cette catégorie sociale porteuse de désordre, etc.. Dans
tous les cas on a un argument de la forme "P implique Q" où Ρ est répliqué,
suivant l'idéologie considérée en "lutte des classes", "dysfonctionnement
social", "paresse des ouvriers", etc.. et où Q est dans tous les cas la "mani­
festation des ouvriers".
On voit donc comment le fait de départ est successivement pris en
charge par les différents niveaux et constitué en réplique d'un autre signe.
Au niveau I le signe est distingué; le niveau II prend en compte la relation
réelle à son objet tandis que le niveau III donne des informations sur cet
objet en le contextualisant.
Le diagramme de la Figure 105 rend compte de l'ensemble des possibi­
lités:

Niveau III Niveau II Niveau I

Figure 105.
348 L'ALGEBRE DES SIGNES

L'idéologie ainsi définie comprend évidemment la science. Mais alors,


qu'est ce qui distingue la science de l'idéologie, puisque la distinction s'im­
pose? Nous dirons qu'il y a science lorsqu'il y a unicité du système des légi-
signes. Cette unicité est rendue possible par la reproductibilité des sinsignes
dans le temps et dans l'espace, ce qui permet, par des expérimentations cru­
ciales, de choisir ou d'éliminer parmi tous les systèmes possibles. Exemplai­
res à cet égard sont les théories relatives à la disparition des monstres du
quaternaire: dynosaures, plésiosaures etc.. On compte une bonne vingtai­
ne d'explications qui vont de l'évolution du squelette jusqu'aux variations
de la hauteur des arbres. On constate que, au moins dans ce cas, moins on
a d'indices, plus il y a de théories.
Un autre exemple célèbre est la théorie des deux sciences qui a trouvé
son achèvement et sa perte dans le lyssenkisme. Contre une science, systè­
me unique de légisignes vérifié par l'expérience (lois de Mendel) une idéo­
logie a tenté, sans succés, de créer un autre système au nom d'une vision
manichéenne du monde.
Par contre, dans les sciences sociales pour lesquelle l'expérimentation
est malaisée, sinon impossible, des systèmes peuvent coexister et s'opposer
sans qu'aucune sanction n'intervienne pour les départager. Si la psycholo­
gie, par exemple, apparaît comme étant plus "scientifique" que la sociolo­
gie, c'est parce qu'il est possible de créer à volonté un grand nombre de vé­
rifications expérimentales permettant de confirmer ou d'infirmer beaucoup
d'hypothèses et cela de manière significative par rapport à la sociologie, la
psycho-sociologie occupant une position intermédiaire.
L'étude qui précède montre les différentes possibilités logiques pour
qu'un sinsigne puisse être gouverné par un légisigne. Elle en décrit trois
états possibles correspondant à chacun des niveaux. En fait ces états coexis­
tent à tout moment et chacun des niveaux peut être décrit comme une pha­
se d'un processus. Dans cette perspective le niveau I recouvre une phase
d'accumulation. Dans cette phase des sinsignes (indiciaires ou iconiques),
étant donné le grand nombre de leurs occurrences dans la vie sociale
conduisent, par une sorte de nécessité pratique, à créer une dénomination
conventionnelle (rappelons-nous les difficultés des philosophes de Siwft qui
devaient produire réellement les objets de leur discours). Ce processus est
d'ailleurs exploité par la technique publicitaire lorsqu'elle vise à multiplier
le nombre des occurrences du nom d'un produit (le marketing politique
aussi); elle tente en fait de créer par ce moyen un légisigne à l'aide d'asso­
ciations du type: "le camping c'est X". Trop de réussite nuit d'ailleurs, puis
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 349

qu'elle peut en arriver à provoquer la substantivation d'une marque, abolis­


sant ainsi la distinction; d'où le retour en arrière: "Frigidaire, le vrai". Au­
tre exemple, sur le plan social: en grand nombre, les pratiques contestatai­
res peuvent devenir suffisantes pour alimenter dans le journal "Le Monde"
une rubrique "Contestation" dans les années 1968 et suivantes. "Contesta­
tion" est le tertian qui est venu gouverner tous les secondans soixante-hui-
tards.
Le niveau II ou phase de symbolisation consiste essentiellement à nom­
mer l'ensemble des signes dont l'identité (suivant certains critères) a été ob­
servée dans la phase précédente. C'est ce que l'on fait lorsqu'on désigne par
"contestation" l'ensemble des pratiques mettant en cause l'ordre établi, lui
donnant ainsi une dimension politique.
Le niveau III ou phase d'argumentation consiste soit à créer un systè­
me de légisignes, soit à modifier localement un système existant, soit à
prendre en charge dans un système existant le nouveau symbole. Par exem­
ple la contestation sera identifiée au gauchisme comme maladie infantile du
communisme (par des marxistes "orthodoxes") ou bien comme seule pers­
pective révolutionnaire dans une société bureaucratisée (Marcuse, Haber­
mas).
Ainsi se créent des systèmes plus ou moins cohérents gouvernés par
des arguments de la logique naturelle et qui gouvernent eux mêmes des ré­
gions du réel, le plus souvent avec une prétention à gouverner en totalité
qui est due à la vocation universelle de tout légisigne tel que la science nous
en donne l'exemple.
Cependant tout sinsigne dont le nombre d'occurrences est tel qu'il
prend une dimension sociale, n'est évidemment pas produit dans un monde
homogène et neutre. Jamais il n'y a de page blanche. Le problème, est donc
de savoir comment peuvent apparaître de nouveaux légisignes, puisque la
pratique sociale produit continuellement et massivement des sinsignes qui
ne sont pas tous "réplicables" par les systèmes existants.
On observera immédiatement que le passage au légisigne ne se fait ni
unanimement, ni simultanément dans l'organisation sociale, principalement
à cause de son hétérogénéité. Chaque catégorie sociale, chaque ensemble
d'individus dont les modes de vie sont voisins et qui partagent un grand
nombre d'expériences, à tendance à produire ses propres légisignes et par­
fois même ses propres systèmes, qui s'articulent plus ou moins bien avec les
autres systèmes existants. Mais cette tendance à l'autonomie des sous-sys­
tèmes est fortement contestée par la classe sociale au pouvoir dont l'action
350 L'ALGEBRE DES SIGNES

est fondamentale. Car le pouvoir peut se manifester aux trois niveaux pré­
cédemment décrits:
1. Le pouvoir en organisant la société organise directement ou indirecte­
ment l'expérience des individus à la fois en construisant l'espace réel dans
lequel ils évoluent (par exemple, un certain urbanisme, en empilant des in­
dividus dans de grands ensembles produit des expériences négatives de la
vie collective) et aussi en interdisant certains types d'expérience.
2. Dans les phases de symbolisation et d'argumentation le pouvoir a la pos­
sibilité d'exercer ce que Bourdieu et Passeron (1970) appellent la violence
symbolique qui consiste essentiellement dans l'imposition de significations.
C'est l'action pédagogique, au sens large, qui est le moyen de cette imposi­
tion. On retrouve aussi à ce niveau le concept de "Société institutrice"
avancé par R. Lourau (1970).
Mais l'évolution rapide du monde moderne produit un retard chroni­
que. Constamment le pouvoir dominant doit contrôler, assimiler des mas­
ses énormes de sinsignes nouveaux dénués de signification dans l'espace so­
cial tel qu'il l'a investi. Les difficultés croissantes qu'il rencontre dans ce
contrôle et cette assimilation permettent à des catégories sociales d'élabo­
rer leurs propres systèmes de légisignes. On retrouve au niveau de chaque
individu "la lutte d'interprétants dont le maintien ou le remplacement est
subordonné au triomphe de l'expérimentation des uns comme hypothèses
explicatives sur d'autres comme expression d'habitudes mentales" (Dele-
dalle, 1979).
La finalité de l'imposition des significations est bien sûr d'obtenir des
comportements individuels et sociaux concourant au maintien et au renfor­
cement du pouvoir établi. Car si, selon la maxime du pragmatisme, la
conception de tous les effets pratiques que nous pensons pouvoir être pro­
duits par l'objet de notre conception est la conception complète de l'objet,
rien ne nous assure qu'un seul système de légisignes puisse intégrer un nou­
veau concept, et comme c'est de ce système que nous tirons nos règles d'ac­
tion, on mesure l'importance de l'enjeu. Le problème des rapports de la
sémiotique et de l'idéologie conduit donc nécessairement à poser la ques­
tion du pouvoir. La lutte des interprétants est une conséquence de l'hétéro­
généité de la formation sociale. Dans un modèle social à deux classes anta­
gonistes elle apparaîtra comme la dimension sémiotique de la lutte de ces
deux classes.
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 351

4. Sémiotique et ethnométhodologie

Les hommes peuvent remarquer, en faisant


des réflexions sur leurs pensées, quelle
méthode ils ont suivi quand ils ont bien rai­
sonné, quelle a été la cause de leurs erreurs
quand ils se sont trompés, et former ainsi des
règles sur ces réflexions pour éviter à l'avenir
d'être surpris.
(Logique de Port Royal, Premier discours, 15)
Les logiciens de Port-Royal s'étaient-ils rendu compte de la régression à
l'infini qu'impliquait leur propos? Car former des règles sur l'application
des règles n'est-ce pas produire un nouvel ensemble de règles (une méthode
de la méthodologie) sur lequel peuvent être faites de nouvelles réflexions
qui dégagent la méthode qui a été suivie dans l'application de la méthode et
former ainsi de nouvelles règles à partir de ces réflexions, et ainsi de suite,
ad infinitum.
L'ethnométhodologie qui, selon H. Garfinkel se donne pour objet les
activités pratiques, les circonstances pratiques et le raisonnement sociologi­
que pratique n'échappe évidemment pas à la même interrogation. Com­
ment éviter une méthodologie de l'ethnométhodologie et donc une ethno­
méthodologie de l'ethnométhodologie puisque, de toute façon, des quasi-
lois seront dégagées de cette étude et que des protocoles plus ou moins ex­
plicites, plus ou moins formulés pourront décrire les habitudes des ethno-
méthodologues? Ce n'est pas parce que l'ethnométhodologie se réfère à
une sorte de phénoménologie de "seconde intention" qu'elle peut se sous­
traire aux conséquences qu'implique l'institution d'un objet quelconque en
objet d'étude. Garfinkel a beau récuser par avance "la machinerie qui va
produire des attitudes et des questions", on ne voit pas comment son pro­
pre discours pourrait se soustraire à l'impossibilité de distinguer expressions
indexicales et expressions objectives et de substituer les unes aux autres.
Faut-il alors abdiquer devant cette série logique infinie engendrée par
la problématique de l'ethnométhodologie qui se présente dans les mêmes
termes que le projet de "laver l'eau" ou bien existe-t-il un mode d'appré­
hension possible capable de saisir cette phénoménologie particulière dans
un filet rationnel? Notre propos sera de montrer qu'une voie est ouverte
par la sémiotique telle qu'on peut la fonder, la formaliser et l'étendre à par­
tir des travaux de Charles Sanders Peirce. En effet, l'emploi des concepts
d'indexicalité et de factualité, centraux en ethnométhodologie, est d'usage
352 L'ALGEBRE DES SIGNES

courant dans cette sémiotique et le terme "indexicalité" notamment est dé­


rivée d'index (ou indice) qui est l'une des trois divisions fondamentales des
signes (les deux autres étant l'icône et le symbole). De plus on peut remar­
quer, et peut-être est-ce une loi, que l'usage métaphorique d'une notion fi­
nit par provoquer la contamination, lorsque cet usage est pertinent, de la
région du savoir dans laquelle il est importé. Ceci autorise à présumer qu'il
est certainement utile et heuristique de tenter de formuler la problématique
de l'ethnométhodologie en termes directement sémiotiques car on est alors
certain que les notions "empruntées" pourront y prendre leur pleine valeur
et fonctionner avec le maximum d'efficacité cognitive. Ceci renvoie bien
entendu à un oecuménisme de la sémiotique, déjà théorisé d'ailleurs, mais
après tout, toute interrogation sur la signification, de quelque phénomène
que ce soit, n'est-elle pas de plain pied dans la sémiotique?
Toute méthodologie ayant pour but de décrire les voies et moyens par
lesquels des connaissances sont produites sur tout objet d'étude présuppose
semble-t-il les données suivantes:
- une conception a priori — supposée heuristique — de l'objet, obtenue
par abduction sur des connaissances antérieures, aussi vague et faibles
soient-elles,
- un ensemble d'existants et de faits concernant ces existants, ensemble
plus ou moins bien délimité, dans lequel l'objet d'étude est déclaré impli­
qué.
La méthodologie peut alors être caractérisée de manière plus précise
comme la description des règles générales de l'incorporation physique et/ou
intellectuelle de la conception a priori de l'objet dans l'ensemble des exis­
tants et des faits par des personnes plus ou moins conscientes de le faire,
considérées comme membres d'une sous-communauté de la communauté
scientifique, cette sous-communauté étant définie comme l'ensemble des
personnes ayant une activité de recherche ou d'application des résultats de
la recherche à la région du réel à laquelle appartient l'objet d'étude.
Cependant dans les sciences sociales cette incorporation donne lieu à
des activités pratiques et à un raisonnement sociologique pratique qui n'in­
téresse qu'une faible partie de l'ensemble des existants et des faits. Les
sciences sociales ne disposent pas d'une phénoménotechnique comparable
à celles des sciences exactes qui permet à ces dernières de reproduire à vo­
lonté les conditions de l'incorporation de la conception "toutes choses éga­
les d'ailleurs". En conséquence elles peuvent satisfaire au critère poppérien
de falsifiabilité. Mais le temps et l'espace sont des paramètres des existants
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 353

et des faits sociaux qui ne peuvent être neutralisés; les activités des mem­
bres dans leur rapport à l'objet d'étude sont des éléments de cet objet qu'ils
contribuent à transformer et qui les transforment. Chaque fois que la
conception est incorporée, que ce soit dans la recherche ou dans l'applica­
tion, les faits et les existants doivent être reconnus comme éléments de l'en­
semble des faits et des existants reliés à l'objet au moyen de procédures éta­
blissant un isomorphisme (ou peut être même seulement un homomor-
phisme) entre faits actuels et faits anciens, et la conception actuelle est évi­
demment un élément déterminant de ces procédures, ce qui explique la ten­
dance des paradigmes à s'autoreproduire par exclusion des faits réputés non
signifiants. Le raisonnement sociologique pratique trouve sa spécificité
dans la nécessité de prendre en charge ces conditions particulières du "faire
scientifique".
L'ethnométhodologie en se donnant pour objet les "activités prati­
ques, les circonstances pratiques et le raisonnement sociologique pratique"
(Garfinkel 1967) s'inscrit dans la particularité de la méthodologie, cette
dernière traitant des universaux abstraits, c'est à dire coupés de leurs déter­
minations, tandis que l'ethnométhodologie traite des universaux concrets,
c'est à dire incorporés dans des existants et des faits. Elle relève nécessaire­
ment de la critique de la méthodologie même si là n'est pas son projet. Aux
données à priori de la méthodologie évoquées plus haut il convient donc
d'ajouter, pour bien délimiter le champ de cette discipline, un troisième en­
semble que j'appellerai le "compte-rendu"' et qui est une sorte de relevé de
conclusions des existants et des faits qui ont été pratiquement identifiés,
sélectionnés, mis en relation ainsi que les raisons de leur identification, leur
sélection et leurs mises en rapport en vertu de l'incorporation pratique de la
conception dans les existants et les faits. Il est à noter que des existants et
des faits non identifiés, non sélectionnés ou non reliés ont été aussi de ce
fait et par exclusion, constitués en ensembles.
En termes plus formels, la méthodologie étudie la relation dyadique
établie par une méthode entre une conception a priori et une région du réel
tandis que l'ethnomethodologie étudie la relation triadique (dans le sens ou
le troisième terme est l'union des deux autres, ce qui sera précisé plus loin)
entre conception a priori d'un objet, existants et faits concernant cet objet
et l'appréhension par un esprit ou une famille d'esprits de l'incorporation
de la première dans les secondes. Comme de plus ces appréhensions par des
esprits ne sont connaissables que par les descriptions que les membres
concernés produisent, sous forme verbale, écrite ou diagrammatique, le
354 L'ALGEBRE DES SIGNES

troisième terme est en fait un compte-rendu et l'ethnométhodologie est


donc l'étude de la triade (conception/existants et faits/compte-rendu) qui
s'établit dans le moment même de la production du compte-rendu, lequel
réalise concrètement l'union des deux autres termes.
Toutes ces considérations liminaires permettent de traduire la problé­
matique de l'ethnométhodologie en termes sémiotiques.
Dans le manuscrit n° 793, C.S. Peirce définit le signe comme "un me­
dium pour la communication d'une forme". Cette définition est certaine­
ment l'une des plus heuristiques pour approfondir l'étude des phénomènes
de significations. En se fondant sur des considérations relatives à la percep­
tion largement empruntées à Peirce lui même et en utilisant des structures
mathématiques spécifiques il est possible de construire un modèle formalisé
des phénomènes sémiotiques qui recouvre la plupart des observations, des
réflexions et des résultats de Peirce et permet d'en prolonger la portée (voir
chapitres précédents). On en tire la caractérisation suivante qui dans sa ver­
sion non formalisée peut s'énoncer: "un phénomène sémiotique est établi
au moyen de la relation triadique définie par le prédicat à trois places "
est identique à et à " appliquée à une même forme de relations in­
corporée dans trois termes distincts qui sont appelés l'objet, le signe et l'in­
terprétant".
Appliquée à la relation triadique qui semble être au coeur de l'ethno­
méthodologie cette caractérisation permet de considérer les objets de cette
discipline comme autant de phénomènes sémiotiques et c'est en ce sens
qu'on peut parler de phénoménologie de "seconde intention". En effet la
conception de l'objet peut être considérée comme une pure forme de rela­
tions (une structure relationnelle sur un ensemble abstrait) qui est incorpo­
rée dans des existants ou des faits concernant ces existants au moyen de rè­
gles explicites ou implicites (la méthode) et qui est encore présente dans le
compte-rendu, éventuellement incluse dans une forme plus "complexe".
Pour imaginer comment elle peut être dans le compte-rendu, il faut consi­
dérer ce dernier comme une structure relationnelle dont les substantifs sont
des éléments et les prédicats des relations, comme le suggère Peirce:
Tout discours est une algèbre, les signes répétés étant les mots qui ont des
relations en vertu des significations qui leur sont associées" (CP 3.418).
Cependant, à proprement parler, le premier terme de la triade à rete­
nir ne doit pas être la conception de l'objet d'étude mais l'objet lui même,
l'objet qui est le sujet du processus cognitif et dont l'existence est indépen­
dante des conceptions que des esprits ou des familles d'esprits peuvent en
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 355

avoir. Il y a donc une autre triade, plus fondamentale: (objet d'étude, exis­
tants et faits, compte-rendu) qui est un phénomène sémiotique dans lequel
les existants et faits sélectionnés sont considérés globalement comme signes
de l'objet qui est une réalité supposée les déterminer, cette détermination
s'opérant au moyen d'une conception a priori de l'objet (qui est pour ainsi
dire "domiciliée" dans l'objet par le processus cognitif) et cette conception
est, comme nous l'avons vu, incorporée au moyen de la méthode dans les
existants et les faits. Le compte-rendu est alors l'interprétant du signe. Il est
déterminé par lui dans le sens où c'est la perception des existants et des faits
qui le produit; mais à travers le signe il est déterminé par l'objet réel en tant
que ce dernier est la cause de toutes ses conceptions. L'interprétant "comp­
te-rendu" représente donc aussi comment la conception de l'objet est re­
présentée dans les existants et les faits au moyen de la méthode. Il y a donc
une double détermination de l'interprétant, l'une directe et l'autre indirecte
dont la distinction est de la plus grande importance pour appréhender le
processus cognitif car elle permet la discrimination entre l'être de l'objet et
son être représenté, entre sa factualité et sa représentation.
D'autre part, dès qu'il est produit, le compte-rendu est un existant lié
à l'objet et causé par lui qui prend aussitôt place parmi les existants et les
faits considérés comme signes de l'objet. Unis à ces derniers il forme donc
un nouveau signe de l'objet qui peut avoir son propre interprétant et ainsi
de suite, ad infinitum. C'est exactement ce qu'écrit Peirce en 2.230:
Or le signe et l'explication forment un autre signe et puisque l'explication
sera un signe elle requerra probablement une autre explication qui, ajou­
tée au signe déjà plus étendu, formera un signe encore plus vaste; et en
continuant ainsi nous parviendrions ou devrions parvenir en fin de compte
à un signe qui est signe de lui même, contenant sa propre explication et les
explications de toutes ses parties significatives: et suivant cette explication
chacune de ces parties a quelque autre partie pour objet. En conséquence,
tout signe a, en acte ou virtuellement, ce que nous pouvons appeler un
précepte d'explication suivant lequel il faut le comprendre comme étant,
pour ainsi dire, une sorte d'émanation de son objet.
On voit immédiatement comment la perspective ouverte par la trans­
cription sémiotique de la problématique de l'ethnométhodologie va per­
mettre de prendre en charge cette régression à l'infini que je signalais dans
mon entrée en matière. Cependant il convient auparavant de préciser la na­
ture des rapports qu'entretiennent les trois instances de la triade évoquée
plus haut. Le "compte-rendu" est produit par la perception (incluant la sé­
lection) des existants et des faits, reliés par l'objet de façon à y incorporer
356 L'ALGEBRE DES SIGNES

la conception abstraite et a priori de l'objet d'étude. Il y a donc un rapport


d'universel à particulier entre d'une part cette conception coupée des déter­
minations antérieures dont elle est issue et d'autre part cette même concep­
tion mais incorporée dans des existants et des faits. Le rapport qui lie l'ob­
jet d'étude aux existants et aux faits qui le représentent a un caractère pro­
fondément social car son universalité est relative à une communauté sémio-
tique. Il serait alors justifié d'avancer la thèse suivant laquelle ce rapport
est une institution sociale, dans un sens qui prenne en compte les trois mo­
ments du concept d'institution.
Le terme "institution" n'est d'ailleurs pas nouveau dans le champ des
conceptualisations des phénomènes sémiotiques. Condillac distinguait les
signes accidentels, les signes naturels et "les signes d'institution ou ceux que
nous avons nous mêmes choisis, et qui n'ont qu'un rapport arbitraire avec
nos idées". (Essai sur l'origine des connaissances humaines, III, II, 35).
Pour Condillac, "on dit qu'une chose est d'institution pour dire qu'elle est
l'ouvrage des hommes et pour la distinguer de celles que la nature a éta­
blie". C'est une conception bien trop vague et trop négative. Elle n'est pas
susceptible de détermination dans des individus particuliers. La conception
de l'institution qui s'impose est une conception dialectique du concept telle
que R. Lourau l'a présentée dans "L'Analyse Institutionnelle" (1970).
Analysé dialectiquement le concept d'institution se décompose en ces
trois moments: universalité, particularité, singularité.
- le moment de l'universalité est le moment de l'unité positive du concept;
le concept y atteint pleinement sa vérité abstraite, générale. Dans la pro­
blématique de l'ethnométhodologie telle qu'elle nous apparaît maintenant,
c'est le moment où la conception de l'objet est une norme universelle, un
fait social positif; - le moment de la particularité exprime la négation for­
melle du moment précédent. R. Lourau l'exprime ainsi:
Toute vérité générale cesse de l'être pleinement dès qu'elle s'incarne, s'ap­
plique dans des conditions particulières, circonstancielles, déterminées
c'est-à-dire dans le groupement hétérogène et changeant des individus dif­
férents d'origine sociale, d'âge, de sexe, de statut.
Dans ce moment la conception de l'objet est plongée dans les existants
et les faits censés le concerner et présente à l'esprit d'un ou de plusieurs in­
dividus particuliers impliqués "scientifiquement" dans ces existants et ces
faits; elle est présente en tant qu'elle les organise "rationnellement".
- le moment de la singularité, moment de l'unité négative, est la résultante
de l'action de la négativité sur l'unité positive de la norme universelle. C'est
SEMIOTIQUE ET SAVOIRS 357

le moment dit de "l'unité des contraires". Le compte rendu en tant qu'in­


terprétant des faits portera la marque des normes universelles que la
méthode aura incorporées dans les faits, de la résistance ou de la complai­
sance des faits vis à vis de la conception, et éventuellement il préfigurera
plus ou moins une nouvelle positivité, présente ou à venir. En fait, c'est la
détermination de l'esprit de ou des interprètes qui concrétise la singularité
de l'institution, le compte-rendu stricto sensu en étant "en dehors" (une
"exertion") médiatisé habituellement par la langue.
Le processus de la connaissance des objets sociaux apparaît donc main­
tenant comme une sémiosis cognitive, c'est à dire un processus continu
d'institution de la conception des objets d'étude dont la négativité est assu­
rée par l'application de la méthode à des existants et des faits et la singula­
rité par la description synthétique de l'incorporation de la conception dans
les faits par des individus particuliers, "résumée" dans le compte-rendu qui
institue éventuellement une nouvelle positivité. Dans la mesure où ce
compte-rendu est lui-même un fait social lié à l'objet, cette sémiosis est lo­
giquement illimitée. C'est pourquoi l'explication finale "qui serait signe
d'elle-même", ne saurait être qu'un horizon et la réalité ne saurait être que
la limite d'une suite infinie de symboles, comme l'écrit Peirce. Cette sémio­
sis cognitive ne peut donc être saisie que dans l'un de ces moments et le
compte-rendu est le mieux à même d'en révéler les diverses déterminations.
En particulier c'est à ce niveau qu'apparaîtront — ou seront refoulés — les
existants ou les faits "analyseurs", c'est-à-dire les éléments manifestement
en rapport avec l'objet qui résistent à l'application de la conception quelle
que soit la méthode (le meilleur exemple étant donné par la résistance des
grains de blés aux théories de Lyssenko). Car dans la factualité de l'objet
social est incorporée sa nécessité, c'est à dire l'ensemble des traits essentiels
caractéristiques de son être même, c'est-à-dire de sa définition. La méthode
apparaît alors comme conduisant à une interrogation de la conception par
les faits; le compte-rendu comportera donc inévitablement des expressions
objectives correspondant à la part de nécessité saisie par la conception et
d'autres expressions, dont les expressions indexicales, que la taxinomie la
plus connue de la sémiotique peircienne permettra de caractériser.
Les considérations relatives aux modes d'être de chacun des éléments
constitutifs du signe triadique conduisent Peirce aux conclusions suivantes:
Les signes sont divisibles selon trois trichotomies; premièrement, suivant
que le signe en lui-même est une simple qualité, un existant réel ou une loi
générale; deuxièmement, suivant que la relation de ce signe à son objet
358 L'ALGEBRE DES SIGNES

consiste en ce que le signe a quelque caractère en lui-même, ou en relation


existentielle avec cet objet, ou en relation avec un interprétant; troisième­
ment, suivant que son interprétant le représente comme un signe de possi­
bilité ou comme un signe de fait ou comme un signe de raison. (2.243)
Revenant au compte-rendu considéré comme interprétant on s'intéres­
sera en premier lieu à la troisième trichotomie. Puisqu'il s'agit d'une divi­
sion purement formelle, cela signifie qu'on peut a priori rencontrer dans le
compte-rendu des signes de possibilité, de fait ou de raison encore appelés
respectivement rhèmes, dicisignes ou signes dicents et arguments. Plus
précisément:
un rhème est un signe qui pour son interprétant, est un signe de possibilité
qualitative, c'est-à-dire compris comme représentant telle ou telle sorte
d'objet possible" (2.250)
un signe dicent est un signe qui, pour son interprétant, est un signe d'exis­
tence réelle... Un dicisigne implique nécessairement comme partie de lui-
même, un rhème pour décrire le fait qu'il est interprété comme indiquant
(2.251)
un argument est un signe qui, pour son interprétant, est un signe de loi.
(2.252)
Et Peirce revient en 2.252 sur la trichotomie:
Autrement dit, un rhème est un signe qui est compris comme représentant
son objet dans ses caractères seulement; un dicisigne est un signe qui est
compris comme représentant son objet par rapport à l'existence réelle; et
un argument est un signe qui est compris comme représentant son objet
dans son caractère de signe.
Les faits et existants considérés dans la problématique de l'ethno-
méthodologie sont des choses ou évènements existants réels considérés
comme représentant pratiquement l'objet étudié. Ce sont des sinsignes ou
signes singuliers. Lorsqu'ils sont investis par une conception quelconque de
l'objet ils perdent leur singularité pour gagner en universalité apparaissant
à leur interprétant comme des applications de la loi: on dit alors qu'ils sont
des répliques de légisignes: "Tout légisigne signifie par son application dans
un cas particulier, qu'on peut appeler sa réplique" (2.246).
Dire, comme Helmer et Resder que les comptes-rendus des membres
sur leurs activités courantes montrent que leurs prescriptions sont comme
des quasi-lois, limitées sur le plan spatio-temporel, et approximatives, c'est
dire que certains sinsignes ont été identifiés comme répliques de légisigne
(la conception de l'objet faisant office de loi) et d'autres ne l'ont pas été,
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 359

d'où la quasi-généralité de ces prescriptions. Dire comme Garfinkel qu'il


est impossible de distinguer expressions objectives (indépendantes du
contexte) et expressions indexicales et de substituer les premières aux se­
condes c'est dire que les existants et les faits sélectionnés en tant que signes
de fait, c'est-à-dire comme étant en connexion réelle avec l'objet d'étude,
sont de deux sortes bien distinctes. Les uns, répliques de légisigne sont in­
vestis de l'universalité supposée de la conception et décrits à l'aide de pro­
positions objectives indépendantes du contexte. Les autres n'ayant pas ce
caractère doivent donc être décrits dans leur singularité et donc leur dési­
gnation comportera nécessairement les éléments permettant de les identi­
fier comme tels. Une difficulté supplémentaire proviendra du fait que les
sinsignes qui sont répliques sont eux aussi décrits en tant que sinsignes à
l'aide d'éléments de ce type, même si les propositions objectives sont pré­
sentées comme gouvernant ces propositions indexicales à l'aide de signes
argumentaux. Dans le compte-rendu tous ses signes sont mêlés dans un en­
semble d'assertions. Chaque assertion:
représente une compulsion que l'expérience, c'est-à-dire le cours de la vie,
apporte à l'émetteur, celle de rattacher le prédicat aux sujets comme signe
de ces derniers rattachés d'une certaine façon. (3.435)
Le membre produisant un compte-rendu
a donc besoin d'un genre de signe qui signifiera une loi selon laquelle aux
objets des indices appartient une icône qui est signe de ces objets d'une
certaine façon. Un tel signe a été appelé symbole. C'est la copule de l'as­
sertion. (3.435)
Les sciences humaines et sociales sont donc nécessairement tributaires
du fait que les formes qu'elle se proposent de décrire sont toujours incorpo­
rées dans des existants et des faits et donc qu'on ne saurait y "faire de la
science" de la même façon que dans les mathématiques qui étudient les for­
mes indépendamment de leur existence réelle ou les sciences de la nature
qui peuvent reproduire à volonté les conditions d'incorporation des formes
dans le réel d'où elles tirent leur prétention à l'universalité.
C'est donc une préoccupation constante et nécessaire de la recherche
en sciences humaines et sociales que de s'efforcer de distinguer en toutes
circonstances ce qu'elles traduisent de la réalité et qui existe seulement
comme un élément de la régularité, — et la régularité est dans les formes de
relation qui se perpétuent dans l'histoire — de ce qui est accidentel, contin­
gent, circonstanciel. Il semble que l'expression de la problématique qui est
à l'origine de l'ethnométhodologie et, au delà, de l'épistémologie des scien-
360 L'ALGEBRE DES SIGNES

ces humaines et sociales, en termes sémiotiques peut permettre d'en clari­


fier les termes et les enjeux, de mieux identifier les difficultés et d'ouvrir
des voies à la recherche tant il est vrai qu'on n'a ici évoqué qu'une partie,
importante certes puisqu'elle a trait aux fondements, mais une faible partie
de la masse des "services" que peut rendre la sémiotique peircienne dès lors
qu'on l'utilise pour informer une démarche cognitive.

5. Quelques perspectives

Il n'est pas a priori de région du réel qui ne puisse être investie par la sémio­
tique triadique puisque la représentation est constitutive de tout acte de
connaissance: elle crée à la fois la réalité intelligible et la connaissance de
cette réalité. En plus des quatre "régions" ou thèmes qui ont été évoqués
dans les sections précédentes on peut pointer un grand nombre d'autres
secteurs de la connaissance dans lesquels on peut raisonnablement penser
que la sémiotique peircienne formalisée peut rendre d'intéressants services.
L'importance des problématiques abordées est telle que nous nous borne­
rons à donner quelques indications, le plus souvent en forme de conjectu­
res; chacune d'elles nécessiterait, en effet, un ouvrage complet de la taille
de celui-ci.

1. Au premier chef, la linguistique. Peirce peut être qualifié, à bon droit


et entre autres, de linguiste et ses travaux de linguistique ont fait et font en­
core l'objet d'études approfondies comme, par exemple, ceux de P.Pharies
(1985) et ceux de J.Réthoré (à paraître). En ce qui nous concerne, il est
clair que notre conception de l'objet de la sémiotique, à savoir une classe de
phénomènes particuliers, nous conduit logiquement à considérer que seuls
les énoncés effectivement produits par des locuteurs, membres de commu­
nautés linguistiques, peuvent constituer l'objet de la linguistique. Les rap­
ports entre sémiotique et linguistique s'expriment alors à l'intérieur du
champ de la phénoménologie: les phénomènes linguistiques ou actes de pa­
roles seront considérés comme des phénomènes de substitution dans le sens
où ils fournissent un équivalent formel de tout phénomène sémiotique. La
parole est une phénoménologie de substitution; la partie peut recouvrir le
tout. Les formes incorporées dans le discours, c'est-à-dire les structures éi-
détiques intrinsèques de ce dernier sont équivalentes aux structures éidéti-
ques des objets du discours. L'équivalence envisagée ici est l'équivalence
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 361

des effets de l'une et de l'autre structure sur les membres de la communauté


sémiotique (donc linguistique) considérée.
Par exemple une description d'un objet est fidèle si, lorsqu'elle est
communiquée à un esprit, elle produit, après stabilisation de la sémiosis, un
effet analogue à celui que produirait l'objet décrit s'il était perçu, c'est-à-
dire la présence à l'esprit de l'objet. On peut voir ici le fondement du fa­
meux renversement opéré par Barthes lorsqu'il émit l'hypothèse que la sé­
miotique pourrait être une partie de la linguistique. Cela revient à ramener
le futur au présent, à savoir que tout objet même inimaginable, puisqu'il
pourra faire l'objet d'une description linguistique, est déjà décrit. Cette
conception est incompatible avec l'objet de la sémiotique tel que nous
l'avons défini et peut être qualifiée d'idéaliste.
Donc, de notre point de vue, le destinateur est un producteur de struc­
tures éidétiques: les mots sont autant de structures qui sont elles mêmes
combinées dans des phrases en structures d'ordre supérieur. Chaque mot
est lui même une combinaison de structures élémentaires (phonèmes ou
morphèmes) au moyen d'articulations de type dyadique. Les mots sont
spécialisés dans la représentation des éléments des phénomènes: primans,
secondans et tertians. Le discours est alors descriptible en termes d'un pro­
duit relatif de prédicats monadiques, dyadiques et triadiques qui en consti­
tue la structure éidétique équivalente à celle de l'objet réel du discours.
C'est en ce sens qu'on peut interpréter la phrase de Peirce qui figure en
exergue de cet ouvrage selon laquelle tout discours n'est rien d'autre
qu'une algèbre. On peut aussi expliquer la limitation de la valence verbale.
Elle ne résulte pas "d'une volonté d'expliquer la nécessité prétendue d'un
fait contingent, comme le nombre des planètes à l'aide de raisons ingénieu­
ses et spéculatives", comme le prétend F.Nef (1980) lorsqu'il commente les
argumentations de Peirce et de Tesnière sur cette limitation. Elle résulte
encore moins d'une quelconque "triadomanie". Simplement, les prédicats à
trois places au plus suffisent à construire des structures phénoménologique-
ment équivalentes aux structures éidétiques des objets réels. C'est donc un
principe d'économie qui est à l'oeuvre dans cette limitation, et il est telle­
ment fort que les prédicats tétravalents ne sont pas plus admis à l'existence
que les moutons à cinq pattes, puisque quatre suffisent à ces derniers pour
se déplacer.
Il convient à propos des prédicats de signaler la différence entre prédi­
cat linguistique et relation n-adique sur un ensemble. Cette dernière est
définie en extension et la réduction triadique de telles relations, ainsi défi-
362 L'ALGEBRE DES SIGNES

nies est possible. Les prédicats linguistiques sont définis en compréhension


de manière pragmatique. Il n'existe pas de prédicat linguistique pour toute
relation n-adique définie sur l'univers du discours. C'est ce qui explique
l'énorme différence qu'il peut y avoir entre, par exemple, la présence à l'es­
prit d'une ville entière avec ses habitants, leur histoire personnelle, leurs re­
lations interpersonnelles, leurs institutions, etc.. et l'énormité de sa des­
cription en termes linguistiques. En effet dans ce dernier cas le recours obli­
gé à des prédicats linguistiques implique un découpage minutieux, avec des
recouvrements multiples, de l'ensemble des qualités de sentiment en sous-
ensembles configurés par des prédicats linguistiques existants en vigueur
dans la communauté linguistique. On voit que la classe des prédicats lin­
guistiques joue le rôle de système générateur pour la classe des relations n-
adiques sur l'univers des discours, un peu comme un ensemble de vecteurs
peut engendrer par combinaisons linéaires tout vecteur d'un espace vecto­
riel. De plus, d'un point de vue dynamique, l'évolution des sociétés produi­
sant sans cesse de nouveaux objets et de nouvelles relations à décrire, le ca­
ractère générateur de la classe des prédicats est constamment remis en cau­
se. Les ajustements par suppression, déplacement ou création sont d'ail­
leurs l'objet principal de la linguistique pragmatique. Il est clair cependant
que l'élaboration d'une linguistique de la parole est une tâche extraordinai-
rement difficile. Comme l'écrit Wittgenstein: "Les arrangements tacites
pour la compréhension du langage quotidien sont d'une énorme complica­
tion" (Tractatus, 4.002).

2. Peirce a aussi laissé des travaux considérables sur les "graphes existen­
tiels" (4.394 à 4.528) qui constituent une tentative trés originale de descrip­
tion du fonctionnement de la pensée à l'aide de conventions graphiques.
Les systèmes α et β qui sont les deux premières parties du système des gra­
phes existentiels sont destinés respectivement, à la représentation du calcul
des propositions et du calcul des prédicats du premier ordre. La partie γ
comporte tout un ensemble de recherches orientées vers l'extension du cal­
cul des prédicats du premier ordre, le traitement des modalités et une tenta­
tive de formalisation par des moyens graphiques de la métamathématique
(sur les graphes existentiels, voir P. Thibaud: 1975, 1978). La théorie des
graphes existentiels et la sémiotique de Peirce entretiennent des rapports
très étroits. La convention numéro un, par exemple, suppose la compré­
hension mutuelle entre deux personnes: le Graphiste qui exprime les pro­
positions et l'Interprète qui les accepte sans discussion (4.395). On peut rai-
SÉMIOTIQUE ET SAVOIRS 363

sonnablement ranger Peirce parmi les précurseurs de l'intelligence artifi­


cielle qui était, d'une certaine manière, l'une de ses préoccupations, expri­
mée dans la théorie des graphes existentiels:
Le mode d'être de la composition de la pensée, qui est toujours de la natu­
re de l'attribution d'un prédicat à un sujet, est l'intelligence vivante qui est
créatrice de toute réalité intelligible aussi bien que de la connaissance de
cette réalité. C'est l'entéléchie, ou perfection de l'être. (6.341)
A la même époque G.Boole écrivait: "Les mathématiques qu'il nous
faut construire sont les mathématiques de l'entendement humain". C'est le
vieux projet de mathesis universelle que l'algébrisation de la sémiotique
pourrait permettre de reprendre en d'autres termes au moyen de la dia-
grammatisation de la pensée. L'informatique en général, les systèmes-ex­
perts et les langages d'intelligence artificielle comme Prolog présentent des
caractéristiques qui pourraient être resituées avec profit dans le cadre d'une
formalisation algébrique avancée de la sémiotique.

3. L'économiste A. Lipietz a souligné dans plusieurs de ses publications


et surtout dans "le débat sur la valeur" (Lipietz: 1983) que le recours à la
sémiotique de C.S. Peirce et notamment à la théorie des interprétants pou­
vait éclairer d'un jour nouveau la distinction marxienne ésotérique/exotéri-
que. Sur ce sujet d'ailleurs B.Philippe (1982) a mis en évidence que cette
distinction répondait à la nécessité, exprimée par Marx sous une autre for­
me, de saisir les marchandises à la fois comme des choses et comme des si­
gnes, c'est-à-dire des choses incorporant du travail social et, à ce titre, en
relation avec tout le système social de production et d'échange. B. Philippe
a montré que la plupart des problèmes soulevés par cette articulation pou­
vaient être posés en termes directement sémiotiques. A.Lipietz voit d'ail­
leurs "une solidarité frappante entre le pragmatisme de Peirce et le matéri-
salisme anti-feuerbachien de Marx" et relève "une grande similitude entre
la conception peircienne du signe et celle qui se lit dans la première section
du Capital". Ce télescopage entre des penseurs d'origine et à l'histoire per­
sonnelle aussi différentes n'est pas sans intérêt et risque de bousculer beau­
coup d'idées reçues. Outre la reformulation en termes nouveaux et, selon
A.Lipietz, heuristiques, de grandes problématiques de l'économie, la sé­
miotique peircienne semble particulièrement adaptée à susciter un renou­
vellement des approches en théorie de la monnaie et notamment de la mon­
naie de crédit (Lipietz, Maspero, 1983). Elle doit aussi faciliter, semble-t-il,
la mise en forme des problématiques nouvelles posées par l'avénement de
364 L'ALGEBRE DES SIGNES

la monnaie électronique qui affecte considérablement la "phénoménologie


de la monnaie" en la dématérialisant et transforme les comportements éco­
nomiques au point que la nécessité de les maîtriser s'impose aux responsa­
bles. Cela implique que ces transformations deviennent objet d'étude et de
recherche. C'est donc un thème "d'école" qui pourrait permettre d'affirmer
la pertinence des analyses sémiotiques dans le champ de l'économie. D'ail­
leurs A.Lipietz ne craint pas de mettre aux premiers rangs les perspectives
sémiotiques dans son évaluation des voies offertes aujourd'hui à la recher­
che fondamentale en économie.

4. Au nombre des perspectives déjà explorées et relevant de ce que nous


appelons "l'attitude scientifique" il convient de noter, parce qu'elles ont fait
l'objet d'ébauches, l'épistémologie sociologique (Marty, 1978) et la sociolo­
gie de la littérature dont R. Lourau a montré tout le profit qu'elle pouvait
tirer de la théorie des interprétants (à paraître).
Notes

1. Les citations des Collected Papers sont référencées de la manière suivante :1e premier
chiffre indique le numéro du volume; le nombre suivant le tiret indique le paragraphe
dans le volume.
2. Les physiciens ont montré que le champ magnétique des aimants provient du mouvement
des particules constitutives des atomes, surtout des électrons qui tournent autour des
noyaux atomiques.
Pour ce qui est de la terre son champ magnétique n'est pas expliqué de façon défini­
tive mais on ne doute pas qu'il se ramène à des mouvements de charges électriques: mou­
vements de convection dans le magma, aimantation locale de la matière....
3. Les adjectifs entre parenthèses sont indiqués pour mémoire car ils sont superflus au vu de
la hiérarchie des catégories.
4. L'Obsistance est ce qui à l'intérieur de la secondéité différe de la priméité (2.89). C'est la
secondéité authentique.
5. Originalité est synonyme de priméité.
6. La Transuation est la Médiation ou modification de la Priméité et de la Secondéité par la
Tiercéité, séparée de la Secondéité et de la Priméité (2.89).
7. Dans ce passage emblême est équivalent à symbole.
8. "J'appelle Molition ce qui est Volition moins tout désir et but, la simple conscience
d'exertion de quelque sorte" (8.303).
9. Ces deux mots sont placés l'un au-dessus de l'autre dans le manuscrit. On peut donc
considérer que Actif va avec Final et Passif avec Immédiat dans les deux phrases qu'on
peut former.
Annexes

Annexe A
Dans cette annexe nous présentons 76 textes fondamentaux, pour la plupart des définitions du
signe, explicites ou implicites, que nous avons pu relever en exploitant les index thématiques et
au cours de nos propres recherches dans les documents suivants:
- Collected Papers, notés CP, référencés comme à l'ordinaire à l'aide du numéro du volume sui­
vi d'un point puis du numéro du paragraphe dans le volume,
- Nouveaux Éléments de Mathématiques, notés NEM suivi du numéro du volume en chiffres ro­
mains (le volume III étant divisé en deux tomes ils sont notés III/l et III/2) puis du numéro de
la page dans le volume,
- Semiotics and Significs noté SS suivi du numéro de la page.
- Manuscripts of C.S. Peirce (microfilmés), notés MS suivi du numéro du manuscrit dans la
classification de Robin (voir en bibliographie générale). Les dispositions générales adoptées
pour la datation et le titrage des textes sont celles de Robin. C'est ainsi qu'en ce qui concerne les
définitions datées (n°l à n°60) sont indiquées l'année, quelquefois le mois et le jour, de leur pro­
duction; lorsque la lettre "v" (vers) précède la date cela signifie qu'il s'agit d'une estimation de
Robin. Chaque fois que cela a été possible nous avons mentionné le titre du texte d'où la cita­
tion a été tirée. Les parties illisibles ou non refenues ont été remplacées par des points.
Il est certain que notre liste n'est pas exhaustive, surtout si l'on considère les définitions im­
plicites. Cependant on peut admettre à bon droit qu'elles constituent un échantillon largement
représentatif des conceptions successives du signe dans la pensée de Peirce, puisque ces textes
couvrent une période s'étendant de 1865 à 1911 soit 47 ans. De plus notre propos est moins
d'étudier l'évolution de sa pensée (bien que cette étude présente un grand intérêt comme on a
pu le constater au chapitre I) que d'utiliser ces matériaux, dont la richesse n'est pas à prouver,
pour obtenir en fin de compte une définition opératoire du signe.

1. 1865 - MS 802. Teleogical logic

Representation is anything which is or is represented to stand for another and by which that
other may be stood for by something which may stand for the representation.
Thing is that for which a representation stand prescinded from all that can serve to establish
a relation with any possible relation.
Form is that respect in which a representation stands for a thing prescinded from all that can
serve as the basis of a representation, therefore from its connection with the thing.

2. 2 -1867 - CP 1.554. On a new list of categories

... every comparison requires, besides the related thing, the ground, and the correlate, also a
mediating representation which represents the relate to be a representation of the same corre-
368 L ' A L G E B R E D E S SIGNES

late which this mediating representation itself represents. Such a mediating representation may
be termed an interpretant, who says that a foreigner says the same thing which he himself says.

3. 3 -1868 - CP 5.283. Consequences of four incapacities

... Now a sign has, as such, three references: first, it is a sign to some thought which interprets
it; second, it is a sign for some object to which in that thought it is equivalent, third, it is a sign,
in some respect or quality, which brings it into connection with its object. Let us ask what the
three correlates are to which a thought-sign refers.

4. 1873 - MS 380. Of logic as a study of signs

A sign is something which stands for another thing to a mind. To it existence as such three things
are requisite. On the first place, it must have characters which shall enable us to distinguish it
from other objects. In the second place, it must be affected in some way by the object which it
signified or at least something about it must vary as a consequence of a real causation with some
variation of its object.

5. 1873 - CP 7.356. Logic. Chapter 5

Let us examine some of the characters of signs in general. A sign must in the first place have
some qualities in itself which serve to distinguish it, a word must have a peculiar sound different
from the sound of another word; but it makes no difference what the sound is, so long as it is
something distinguishable. In the next place, a sign must have a real physical connection with
the thing it signifies so as to be affected by that thing. A weather-cock, which is a sign of the
direction of the wind, must really turn with the wind. This word in this connection is an indirect
one; but unless there be some way or other which shall connect words with the things they sig­
nifie, and shall ensure their correspondance with them, they have no value as signs of those
things. Whatever has these two characters is fit to become a sign. It is at least a symptom, but it
is not actually a sign unless it is used as such; that is unless it is interpreted to thought and
addresses itself to some mind. As thought is itself a sign we may express this by saying that the
sign must be interpreted as another sign. ...

6. v. 1873 - MS 389 - On representations

A representation is an object which stands for another so that an experience of the former
affords us a knowledge of the latter. There are three essential conditions to which every rep­
resentation must conform. It must in the first place like any other object have qualities indepen­
dent of its meaning. It is only through a knowledge of these that we acquire any information
concerning the object it represents. ... In the second place, representation must have a real
causal connection to its object. ... In the third place, every representation addresses itself to a
mind. It is only in as far as it does it that it is a representation. The idea of the representation
itself excites in the mind another idea and in order that it may do this it is necessary that some
principle of association between the two ideas should already be established in that mind. ...

7. v. 1885 - CP 3.360. On the algebra of logic

A sign is in a conjoint relation tothe thing denoted and to the mind. If this triple relation is not
of a degenerate species, the sign is related to its object only in consequence of a mental associa-
ANNEXES 369

tion, and depend upon a habit. Such signs are always abstract and general, because habits are
general rules to which the organism has become subjected. They are, for the most part, conven­
tional or arbitrary. They include all general words, the main body of speech, and any mode of
conveying a judgement. For the sake of brevity I will call them tokens.

8. v. 1896 - CP 1.480. The logic of mathematics

... Indeed, representation necessary involves a genuine triad. For it involves a sign, or represen­
tamen, of some kind, inward or outward, mediating between an object and an interpreting
thought. ...

9. v. 1897 - CP 2.228. Division of signs

A sign, or representamen, is something which stands to somebody for something in some respect
or capacity. It addresses somebody, that is, creates in the mind of that person an equivalent sign
or perhaps a more developed sign. That sign which it creates I call the interpretant of the first
sign. The sign stands for something, its object. It stands for that object, not in all respects, but
in reference to a sort of idea, which I have sometimes called the ground of the representamen.

10. v. 1899 -1.564. Notes on "A new list of categories"

... A very broad and important class of triadics characters [consist of] representations. A rep­
resentation is that character of a thing by virtue of which, for the production of a certain mental
effect, it may stand in place of another thing. The thing having this character I term a represen­
tamen, the mental effect, or thought, its interpretant, the thing for which it stands, its object.

11. 1901 - CP 5.569. Truth and falsity and error

... A sign is only a sign in actu by virtue of its receiving an interpretation, that is, by virtue of its
determining another sign of the same object. This is as true of mental judgments as it is of exter­
nal signs. ...

12. 1902 - CP 2.303. Dictionnaire Baldwin - "Sign"

Anything which determines something else (its interpretant) to refer to an object to which itself
refers (its object) in the same way, the interpretant becoming in turn a sign, and so on an
infinitum.
No doubt, intelligent consciousness must enter into the series. If the series of successive
interpretants comes to an end, the sign is thereby rendered imperfect, at least. If, an interpret­
ant idea having been determined in an individual consciousness it determines no outward sign,
but that consciousness becomes annihilated, or otherwise loses all memory or other significant
effect of the sign, it becomes absolutely undiscoverable that there ever was such an idea in that
consciousness; and in that case it is difficult to see how it could have any meaning to say that that
consciousness ever had the idea, since the saying so would be an interpretant of that idea.

13. 1902 - 2.92. Partial synopsis of a proposed work in logic

... Genuine mediation is the character of a Sign. A sign is anything which is related to a Second
thing, its Object, in respect to a Quality, in such a way as to bring a Third thing, its Interpretant,
370 L'ALGEBRE DES SIGNES

into relation to the same Object, and that in such a way as to bring a Fourth into relation to that
Object in the same form, ad infinitum. If the series is broken off, the Sign, in so far, falls short
of the perfect significant character. It is not necessary that the Interpretant should actually exist.
A being in futuro will suffice.

14. 1902 - NEM IV, pp.20-21. Parts of Carnegie Applications

On the definition of Logic.


Logic will here be defined as formal semiotic. A definition of a sign will be given which not
more refers to human thought than does the definition of a line as the place with a particle
occupies, part by part, during a lapse of time. Namely, a sign is something, A, which brings
something, B, its interpretant sign determined or created by it, into the same sort of correspon­
dence with something, C, its object, as that in which itself stand to C. It is from this definition,
together with a definition of "formal", thah I deduce mathematically the principles of logic. ...

15. V.1902- CP 2-274. Syllabus

A sign, or Representamen, is a First which stands in such a genuine triadic relation to a Second,
called its Object, as to be capable of determining a Third, called its Interpretant, to assume the
same triadic relation to its Object in which it stand itself to the same Object. The triadic relation
is genuine, that is its three members are bound together by it in a way that does not consist in
any complexus of dyadic relations. That is the reason the Interpretant, or Third, cannot stand in
a mere dyadic relation to the Object, but must stand in such a relation to it as the Representa­
men itself does. Nor can the triadic relation in which the third stands be merely similar to that
in which the First stands, for this would make the relation of the Third to the First a degenerate
Secondness merely. The Third must indeed stand in such a relation, and thus be capable of
determining a Third of its own; but besides that, it must have a second triadic relation in which
the Representamen, or rather the relation there of to its Object, shall be its own (the Third's)
Object, and must be capable of determining a Third to this relation. All this must be equally be
true of the Third's Third and so on endlessly; and this, and more, is involved in the familiar idea
of a Sign; and the term Representamen is here used, nothing more is implied. A Sign is a Rep­
resentamen with a mental Interpretant.
Possibly there may be Representamens that are not Signs. Thus, if a sunflower, in turning
towards the sun, becomes by that very act fully capable, without further condition, of reproduc­
ing a sunflower which turns in precisely way toward the sun, and of doing so with the same
reproductive power, the sunflower would become a Representamen of the sun. But thought is
the chief, if not the only, mode of representation.

16. v. 1902 - MS 599. Reason's rules

A Sign does not function as a sign unless it be understood as a sign. It is impossible, in the pre­
sent state of knowledge, to say, at once fully precisely and with a satisfactory approach to cer­
titude, what is to understand of a sign. ..., it does not seem that conciousness can be considered
as essential to the understanding of a sign. But what is indispensable is that there should, actu­
ally or virtually, bring about a determination of a sign of the same object of which it is itself a
sign. This interpreting sign, like every sign, only functions of a sign so for as it again is inter­
preted, that is, actually or virtually, determines a sign of the same object of which it is itself a
sign. Thus there is a virtual endless series of signs when a sign is understood; and a sign neveer
understood can hardly be said to be a sign.
ANNEXES 371

17. 1903 - CP 1-538. Lowell Lectures: Lecture ΠΙ, vol. 2, 3d Draught

Every sign stands for an object independent of itself; but it can only be a sign of that object in
so far as that object is itself of the nature of a sign or thought. For the sign does not affect the
object but is affected by it; so that the object must be able to convey thought, that is, must be
of the nature of thought or a sign. ...

18. 1903 - CP 1.346. Lowel Lectures: vol. I, 3d Draught

... Now a sign is something, A, which denotes some fact or object, B, to some interprétant
thought, 

19. 1903 - CP 1.540. Lowell Lectures: Lecture III, vol. 2, 3d Draught

... In the first place, as to my terminology I confine the word representation to the operation of
a sign or its relation to the object for the interpreter of the representation. The concrete subject
that represents I call a sign or representamen. I use these two words, sign and representamen,
differently. By a sign I mean anything which conveys any definite notion of an object in any way,
as such conveyers of thought are familiarly known to us. Now I start with this familiar idea and
make the best analysis I can of what is essential to a sign, and I define a representamen as being
whatever that analysis applies to. [...]

20. 1903 - CP 1.541. Lowell Lectures: Lecture III, vol. 2, 3d Draught

My definition of a representamen is as follow:


A REPRESENTAMEN is a subject of a triadic relation TO a second, called its OBJECT, FOR
a third, called is INTERPRETANT, this triadic relation being such that the REPRESENTA­
MEN determines its interpretant to stand in the same triadic relation to the same object for
some interpretant.

21. 1903 - CP 5.138. Lowell Lectures: Lecture V

The mode of being of a representamen is such that it is capable of repetition. ... This repetitory
character of the representamen involves as a consequence that it is essential to a representamen
that it should contribute to the determination of another representamen distinct from itself. ...
I call a representamen which is determined by another representamen, an interprétant of the lat­
ter. Every representamen is related or is capable of being related to a reacting thing, its object,
and every representamen embodies, in some sense, some quality, which may be called its signifi­
cation, what in the case of a common name J.S. Mill call its connotation, a particularly objec­
tionable expression.

22. v. 1903 - CP 2.242. Nomenclature and Divisions of Triadic Relations, as far as they are deter­
mined

A Representamen is the First Correlate of a triadic relation, the Second Correlate being termed
its Object, and the possible Third Correlate being termed its Interpretant, by which triadic rela­
tion the possible Interpretant is determined to be the First Correlate of the same triadic relation
to the same Object, and for some possible Interpretant. A Sign is a representamen of which
some interpetant is a cognition of a mind. Signs are the only representamens that have been
much studied.
372 L'ALGEBRE DES SIGNES

23. v. 1903 - MS 5. Dichotomic Mathematics

... As we know a sign, it is something which represents the real Truth, in some aspect of it, to
somebody; that is, determines a knowledge of that Truth. This knowledge is itself of the nature
of a sign. In its more perfect forms, it involves consciousness, or a representation in the con­
scious sign of itself to itself, somewhat as a map covering a country may represent itself. But
knowledge is nothing, quite nothing but a counterfeit unless it would under some circumstances,
determine conduct. It must have real effects. In fact any outward sign must, not merely as a
thing, but as a sign produce physical effects in order to be communicated. ...

24. ν 1903 - MS 9. Foundations of Mathematics

... A sign is intended to correspond to a real thing, or fact, or to something relatively real; and
this object of the sign may be the very sign itself, as when a map is precisely superposed upon
that which it maps. ... A sign is also intended to determine, in a mind or elsewhere, a sign of the
same object; and this interpretant of the sign may be the very sign itself; but as a general rule it
will be different. ...

25. ν 1903 - MS 11. Foundations of Mathematics

A sign is supposed to have an object or meaning, and also to determine an interpretant sign of
the same object. It is convenient to speak as if the sign originated with an utterer and deter­
mined its interpretant in the mind of an interpreter.

26. 1903 - MS 462. Lowell Lectures, 2nd Draught of 3rd lecture

... Conversely, every thought proper involves the idea of a triadic relation. For every thought
proper involves the idea of a sign. Now a sign is a thing related to an object and determining in
the interpreter an interpreting sign of the same object. It involves the relation between sign,
interpreting sign, and object. There is a threefold distinction between signs, which is not in the
least psychological in its nature, but is purely logical, and is of the atmost importance in logic.

27. v. 1903 - MS 491. Logical Tracts (note)

I call that which represents, a representamen. A Representation is that relation of the represen­
tamen to its object which consists in it determining a third (the interpretant representamen) to
be in the same relation to that object.

28. 1904 - CP 8-332. Letter to Lady Welby dated "1904 Oct.12"

... In its genuine form, thirdness is the triadic relation existing between a sign, its object, and the
interpreting thought, itself a sign, considered as constituting the mode of being of a sign. A sign
mediates between the interpretant sign and its object. Taking sign in its broadest sense, its inter­
pretant is not necessarily a sign. ...
A sign therefore is an object which is in relation to its object on the one hand and to an
interpretant on the other, in such a way as to bring the interpretant into a relation to the object,
corresponding to its own relation to the object. I might say similar to its own for a correspon­
dence consist in a similarity; but perhaps correspondence is narrower.
ANNEXES 373

29. 1905 - MS 939 - Notes on Portions of Hume's "Treatise of Human Nature"

... It is difficult to define a sign in general. It is something which is in such a relation to an object
that it determines, or might determine, another sign of the same object. This is true but consid­
ered as a definition it would involve a vicious circle, since it does not say what is meant by the
interpretant being a "sign" of the same object. However, this much is clear; that a sign has
essentially two correlates, its object and its possible Interpretant sign. Of these three, Sign,
Object, Interpretant, the sign as being the very thing under consideration is Monadic, the object
is Dyadic, and the Interpretant is Triadic. We therefore look to see, whether there be not two
Objects, the object as it is in itself (the Monadic Object), and the object as the sign represents
it to be (the Dyadic Object). There are also three Interpretants; namely, 1o, the Interpretant
considered as an independent sign of the Object, 2°, the Interpretant as it is as a fact determined
by the Sign to be, and 3° the Interpretant as it is intended by, or is represented in, the Sign to
be. ...

30. 1905 - SS p 192-3. Letter to Lady Welby (Draft) presumably July 1905

So then anything (generally in a mathematical sense) is a priman (not a priman element gener­
ally) and we might define a sign as follows:
A "sign" is anything, A, which,
(1) in addition to other characters of its own,
(2) stands in a dyadic relation τ, to a purely active correlate, B,
(3) and is also in a triadic relation to  for a purely passive correlate, C, this triadic relation
being such as to determine  to be in a dyadic relation, μ, to B, the relation μ corresponding in
a recognized way to the relation τ.
In the which statement the sense in which the words active and passive are used is that in a
given relationship considering the various characters of all or some of the correlates with the
exclusion of those only which involve all the correlates and are immediately implied in the state­
ment of the relationship, none of those which involve only non-passive correlates will by
immediately essential necessity vary with any variation of those involving only passive corre­
lates; while no variation of characters involving only non-active elements will by immediately
essential necessity involve a variation of any character involving only active elements. And it
may be added that by active-passive is meant active and passive if the entire collection of corre­
lates excluding the correlates under consideration be divided into two parts and one part and the
other be alternately excluded from consideration; while purely active or passive means active or
passive without being active-passive.

31. 1905 - SSp.193. Letter to Lady Welby (Draft) presumably July 1905

This definition avoids the niceties for the sake of emphasizing the principal factors of a sign.
Nevertheless, some explanations may be desirable. But first for the terminology. I use "sign" in
the widest sense of the definition. It is a wonderful case of an almost popular use of a very broad
word in almost the exact sense of the scientific definition. ...
I formerly preferred the word representamen. But there was no need of this horrid long
word. ...
My notion in preferring "representamen" was that it would seem more natural to apply it to
representatives in legislatures, to deputies of various kinds, etc... I admit still that it aids the
comprehension of the definition to compare it carefully with such cases. But they certainly
depart from the definition, in that this requires that the action of the sign as such shall not affect
374 L'ALGEBRE DES SIGNES

the object represented. A legislative representative is, on the contrary, expected in his functions
to improve the condition of this constituents; and any kind of attorney, even if he has no discre­
tion, is expected to affect the condition of his principal. The truth is I went wrong from not hav­
ing a formal definition all drawn up. This sort of thing is inevitable in the early stages of a strong
logical study; for if a formal definition is attempted too soon, it will only shackle thought. ...
I thought of a representamen as taking the place of the thing; but a sign is not a substitute.
Ernst Mach has also fallen into that snare.

32. ν 1905 - MS 283. p.125, 129, 131. The basis of Pragmaticism

... A sign is plainly a species of medium of communication and medium of communication is a


species of medium, and a medium is a species of third. ...
A medium of communication is something, A, which being acted upon by something else,
N, in its turn acts upon something, I, in a manner involving its determination by N, so that I
shall thereby, through A and only through A, be acted upon by N. ... A Sign, on the other hand,
just in so far as it fulfill the function of a sign, and none other, perfectly conforms to the defini­
tion of a medium of communication. It is determined by the object, but in no other respect than
goes to enable it to act upon the interpreting quasi mind; and the more perfectly it fulfill its func­
tion as a sign, the less effect it has upon that quasi-mind other than that of determining it as if
the object itself had acted upon it. ...
It seems best to regard a sign as a determination of a quasi-mind; for if we regard it as an
outward object, and as addressing itself to a human mind, that mind must first apprehend it as
an object in itself, and only after that consider it in its significance; and the like must happen if
the sign addresses itself to any quasi-mind. It must begin by forming a determination of that
quasi-mind, and nothing will be lost by regarding that determination as the sign.

33. 1906 - SS p.196. Letter to Lady Welby (Draft) dated "1906 March 9"

I use the word "Sign" in the widest sense for any medium for the communication or extension
of a Form (or feature). Being medium, it is determined by something, called its Object, and
determines something, called its Interpretant or Interpretand. But some distinctions have to be
borne in mind in order rightly to understand what is meant by the Object and by the Interpret­
ant. In order that a Form may be extended or communicated, it is necessary that it should have
been really embodied in a Subject independently of the communication; and it is necessary that
there should be another subject in which the same form is embodied only in consequence of the
communication. The Form, (and the Form is the Object of the Sign), as it really determines the
former Subject, is quite independent of the sign; yet we may and indeed must say that the object
of a sign can be nothing but what that sign represents it to be. Therefore, in order to reconcile
these apparently conflicting Truths, it is indispensible to distinguish the immediate object from
the dynamical object.
The same form of distinction extends to the interpretant; but as applied to the interpretant,
it is complicated by the circumstance that the sign not only determines the interpretant to repre­
sent (or to take the form of) the object, but also determines the interpretant to represent the
sign. Indeed in what we may, from one point of view, regard as the principal kind of signs, there
is one distinct part appropriated to representing the object, and another to representing how this
very sign itself represents that object. The class of signs I refer to are the dicisigns. In "John is
in love with Helen" the object signified is the pair, John and Helen. But the "is in love with" sig­
nifies the form this sign represents itself to represent John and Helen's Form to be. That this is
so, is shown by the precise equivalence between any verb in the indicative and the same made
the object of "I tell you". "Jesus wept" = "Ί tell you that Jesus wept".
ANNEXES 375

34. 1906- Ρ 4.531. Apology for pragmaticism

First, an analysis of the essence of a sign, (stretching that word to its widest limits, as anything
witch, being determined by an object, determines an interpretation to determination, through it,
by the same object), leads to a proof that every sign is determined by its object, either first, by
partaking in the characters of the object, when I call the sign an Icon; secondly, by being really
and in its individual existence connected with the individual object, when I call the sign an
Index; thirdly, by more or less approximate certainty that it will be interpreted as denoting the
object, in consequence of a habit (which term I use as including a natural disposition), when I
call the sign a Symbol.

35. v. 1906 - CP 5.473. Pragmatism

... That thing which causes a sign as such is called the object (according to the usage of speech,
the "real", but more accurately, the existent object) represented by the sign: the sign is deter­
mined to some species of correspondence with that object.
For the proper signifícate outcome of a sign, I propose the name, the interprétant of the
sign. ...
Whether the interpretant be necessarily a triadic result is a question of words, that is, of
how we limit the extension of the term "sign"; but it seems to me convenient to make the triadic
production of the interpretant essential to a "sign", calling the wider concept like a Jacquard
loom, for example, a "quasi-sign". ...

36. v. 1906 - MS 292. Prolegomena to an Apology for Pragmaticism

A sign may be defined as something (not necessarily existent) which is so determined by a sec­
ond something called its Object that it will tend in its turn to determine a third something called
its Interpretant in such a way that in respect to the accomplishment of some end consisting in an
effect made upon the interpretant the action of sign is (more or less) equivalent to what that of
the object might have been had the circumstances been different.

37. 1907 - MS 321. Pragmatism, pp. 15-16

... How any sign, of whatsoever kind, mediates between an Object to some sort of conformity
with which it is moulded, and by which it is thus determined, and an effect which the sign is
intended to bring about and which it represents to be the outcome of the object influence upon
it. It is of the first importance in such studies as these that the two correlates of the sign should
be clearly distinguished: the Object by which the sign is determined and the Meaning, or as I
usually call it, the Interpretant, which is determined by the sign, and through it by the object.
The meaning may itself be a sign, a concept, for exemple, as may also the object. But everyboby
who looks out of his eyes well knows that thoughts bring about tremendous physical effects, that
are not, as such, signs. Feelings, too, may be excited by signs without thereby and theorein
being themselves signs. We observe that the very same object may be several entirely different
signs; or in some way in other sign. ... There are meanings that are feelings, meanings that are
existent things or facts, and meanings that are concepts. ...

38. 1908 - MS 612. Chapter I - Common Ground (Logic)

... By a Sign, I mean anything that is, on the one hand, in some way determined by an object
and, on the other hand, which determines some awareness, and this in such manner that the
376 L'ALGEBRE DES SIGNES

awareness is thus determined by that object. ...

39. 1907 - MS 277. The Prescott Book

Of the distinction between the Objects, or better the "Originals" and the Interpretant of a Sign.
By "Sign" is meant any Ens which is determined by a single object or set of Objects called
its Originals, all other than the Sign itself, and in its turn is capable of determining in a Mind
something called its Interpretant, and that in such a way that the Mind is thereby mediately
determined to some mode of conformity to the original or Set of originals. This is particularly
intended to define (very imperfectly as yet) a complete Sign. But a complete sign has or may
have Parts which partake of the nature of their whole; but often in a truncated fashion.
A Sign is in regard to its Interpretant in one or other of three grades of completeness, which
may be called the Barely Overt, the Overter, and the Overtest. The Barely Overt of which a
Name is an example does not expressly distinguish its original from its interpretant; nor its refer­
ence to either from the sign itself. The Overter sign of which an assertion is an exemple,...
[phrase inachevée]
Thus the Sign has a double function:
1. to affect a mina which understands its "Grammar" or method of signification, which signifi­
cation is its substance signifícate or Interprétant.
2. to indicate how to identify the conditions under which .... signifícate has the mode of being
it is represented having.

40. v. 1907 - MS 318. Pragmatism

a. ... Now any sign, of whatsoever kind, professes to mediate between an object, on the one
hand, that to which it applies, and which is thus in a sense the cause of the sign, and, on the
other hand, a Meaning, or to use a preferable technical term, an Interpretant, that which the
sign expresses, the result which it produces in its capacity as sign. ...
b. ... Now any sign, of whatever kind, mediates between an object to some sort of conformity
with which it is moulded, and which thus determines it, and an effect which it is intended to pro­
duce, and which it represents to be the outcome of the object. These two correlates of the sign
have to be carefully distinguished. The former is called the object of the sign; the latter is the
"meaning", or, as I usually term it, the "interpretant" of the sign. ...
 ... Now the essential nature of a sign is that it mediates between its object which is supposed
to determine it and to be, in some sense, the cause of it, and its meaning, or, as I prefer to say,
in order to avoid certains ambiguities, its Interpretant which is determined by the sign, and is,
in a sense, the effect of it; and which the sign represents to flow as an influences, from the
object. ...
d to which it is, therefore, conceived to be moulded, and by which to be determined, and
an effect; on the other hand, which the sign is intended to bring about, representing it to be the
outcome of the object influence upon it. I need not say that this influence is usually indirect and
not of the nature of a force. ...
e. ... A sign is whatever there may be whose intent is to mediate between an utterer of it and
an interpreter of it, both being repositories of thought, or quasi-minds, by conveying a meaning
from the former to the latter. We may say that the sign is moulded to the meaning in the quasi-
mind that utters it, where it was, virtually at least (i.e. if not in fact, yet the moulding of the sign
took place as if it had been there) already an ingredient of thought.
But thought being itself a sign the meaning must have been conveyed to that quasi-mind,
from some anterior utterer of the thought, of which the utterer of the moulded sign had been the
ANNEXES 377

interpreter. The meaning of the moulded sign being conveyed to its interpreter, became the
meaning of a thought in that quasi-mind; and as these conveyed in a thought-sign required an
interpreter, the interpreter of the moulded sign becoming the utterer of this new "thought-sign",
f. I am now prepared to risk an attempt at defining a sign, -since in scientific inquiry, as in other
enterprises, the maxim holds: nothing hazard, nothing gain. I will say that a sign is anything, of
whatsoever mode of being, which mediates between an object and an interpretant; since it is
both determined by the object relatively to the interpretant, and determining the interpretant in
reference to the object, in such wise as to cause the interpretant to be determined by the object
through the mediation of this "sign".
The object and the interpretant are thus merely the two correlates of the sign; the one being
antecedent, the other consequent of the sign. Moreover, the sign being defined in terms of these
correlative correlates, it is confidently to be expected that object and interpretant should pre­
cisely correspond, each to the other. In point of fact, we do find that the immediate object and
emotional interpretant correspond, both being apprehensions, or are "subjective"; both, too,
pertain to all signs without exception. The real object and energetic interpretant also corre­
spond, both being real facts or things. But to our surprise, we find that the logical interpretant
does not correspond with any kind of object. This defect of correspondance between object and
interpretant must be rooted in the essential difference there is between the nature of an object
and that of an interpretant; which difference is that former antecedes while the latter succeeds.
The logical interpretant must, therefore, be in a relatively future tense.

46. 1908 - NEM III/2 p.886. Letter to P.E.B. Jourdain dated "1908 Dec 5"

... My idea of a sign has been so generalized that I have at length despaired of making anybody
comprehend it, so that for the sake of being understood, I now limit it, so as to define a sign as
anything which is on the one hand so determined (or specialized) by an object and on the other
hand so determines the mind of an interpreter of it that the latter is thereby determined
mediately, or indirectly, by that real object that determines the sign. Even this may well be
thought an excessively generalized definition. The determination of the Interpreter's mind I
term the Interpretant of the sign. ...

47. 1908 - SS p.80. Letter to Lady Welby dated "1908 Dec. 23"

It is clearly indispensable to start with an accurate and broad analysis of the nature of a Sign. I
define a sign as an thing which is so determined by something else, called its Object, and so
determines an effect upon a person, which effect I call its interpretant, that the latter is thereby
mediately determined by the former. My insertion of "upon a person" is a sop to Cerberus,
because I despair of making my own broader conception understood. ...

48. 1909 - CP 8.177 et NEM ΙΠ/2 p.839 - Letter to William James dated "1909 Feb. 26"

A sign is a Cognizable that, on the one hand, is so determined (i.e. Specialized, bestimmt), by
something other than itself, called its object (or, in some cases, as if the Sign be the sentence
"Cain killed Abel", in which Cain and Abel are equally Partial Objects, it may be more conve­
nient to say that that which determines the Sign is the Complexus, or Totality, of Partial
Object's. And in every case the object is accurately the Universe of which the special object is
member, or part), while, on the other hand, it so determines some actual or potential Mind, the
determination whereof I term the Interpretant created by the sign, that that interpreting mind is
therein determined mediately by the Object.
378 L'ALGEBRE DES SIGNES

49. 1909 - NEM 111/2.p. 840-1. Letter to William James dated "1909 Feb. 26"

The sign creates something in the Mind of the Interpreter, which something in that it has been
so created by the sign has been, in a mediate and relative way, also created by the Object of the
sign, although the object is essentially other than the Sign. And this creature of the sign is called
the Interpretant. It is created by the Sign; but not by the sign quâ member of whichever of the
Universes it belongs to; but it has been created by the sign in its capacity of bearing the determi­
nation by the object. It is created in a Mind (how far this mind must be real we shall see). All
that part of the understanding of the sign which the interpreting mind has needed collateral
observation for is outside the interpretant. I do not mean by "collateral observation" acquain­
tance with the system of signs. What is so gathered is not collateral. It is on the contrary the pre­
requisite for getting any idea signified by the sign. But by collateral observation, I mean previ­
ous acquaintance with what the sign denotes.

50. 1909 - MS 278. [Unidentified fragments]

1909 Oct. 28
Another endeavour to analyze a Sign.
A Sign is anything which represents something else (so far as it is complete) and if it repre­
sents itself it is as a part of another sign which represents something other than itself, and it rep­
resents itself in other circumstances, in other connections. A man may talk and he is a sign of
that he relates, he may tell about himself as he was at another time. He cannot tell exactly what
he is doing at that very moment. Yes, he may confess he is lying, but he must be a false sign,
then. A sign, then, would seem to profess to represent something else.
Either a sign is to be defined as something which truly represents something or else as
something which professes to represent something.

51. 1909 - NEM 111/2,p. 867. Letter to William James dated "1909 Dec 25"

... I start by defining what I mean by a sign. It is something determined by something else its
object and itself influencing some person in such a way that that person becomes thereby
mediately influenced or determined in some respect by that Object. ...

52. v. 1909 - CP 6.347. Some Amazing Mazes, Fourth Curiosity

... Suffice it to say that a sign endeavours to represent, in part at least, an Object, which is there­
fore in a sense the cause, or determinant, of the sign even if the sign represents its object falsely.
But to say that it represents its object implies that it affects a mind, and so affects it as, in some
respect, to determine in that mind something that is mediately due to the Object.
That determination of which the immediate cause, or determinant, is the sign, and of which
the mediate cause is the Object may be termed the Interpretant ...

53. v. 1909 - CP 6.344. Some Amazing Mazes, Fourth Curiosity

Signs, the only thing swith which a human being can, without derogation, consent to have any
transaction, being a sign himself, are triadic; since a sign denotes a subject, and signifies a form
of fact, which latter it brings into connexion with the former. ...
ANNEXES 379

54. 1910 - MS 654. Essays (Essays 1 st Pref.)

By a sign I mean anything whatever, real or fictive, which is capable of a sensible form, is applic­
able to something other than itself, that is already known, and that is capable of being so inter­
preted in another sign which I call its interpretant as to communicate something that may not
have been previously known about its object there is thus a triadic relation between an sign, an
Object, and an Interpretant.

55. 1910 - CP 2.230. Meaning

The word sign will be used to denote an Object perceptible, or only imaginable, or even unim­
aginable in one sense — for the word "fast", which is a sign, is not imaginable, since it is not this
word itself that can be set down on paper or pronounced, but only an instance of it, and since it
is the very same word when it is written as it is when it is pronounced, but is one word when it
means "rapidly" and quite another when it means "immovable", and a third when it refers to
abstinence. But in order that anything should be a Sign, it must "represent", as we say, some­
thing else, called its Object, although the condition that a sign must be other than its Object is
perhaps arbitrary, since, if we insist upon it we must at least make an exception in the case of a
sign that is a part of a sign. ... A sign may have more than one Object.
Thus, the sentence "Cain killed Abel", which is a sign, refers at least as much to Abel as to
Cain, even if it be not regarded as it should, as having "a killing" as a third object. But the set
of objects may be regarded as making up one complex Object. In what follows and often
elsewhere signs will be treated as having but one object each for the sake of dividing difficulties
of the study. If a Sign is other than its object, there must exist, either in thought or in expres­
sion, some explanation or argument or other context, showing how — upon what system or for
what reason the sign represents the Object or set of Objects that it does. Now the sign and the
Explanation together make up another sign, and since the explanation will be a Sign, it will
probably require an additional explanation, which taken together with the already enlarged Sign
will make up a still larger sign; and proceeding in the same way, we shall, or should, ultimately
reach a sign of itself, containing its own explanation and those of all its significant parts; and
according to this explanation each such part has some other part as its Object. According to this
every sign has, actually or virtually, what we may call a Precept of explanation according to
which it is to be understood as a sort of emanation, so to speak, of its Object.

56. 1911 - MS 849. A logical Criticism of some articles of Religious Faith

The word sign, as it will here be used, denotes any object of thought which excites any kind of
mental action, whether voluntary or not, concerning something otherwise recognized. ... Every
sign denotes something, and the anything it denotes is termed an object of it. ... I term the idea
or mental action that a sign exites and which it causes the interpreter to attribute to the Object
or Objects of it, its interpretant. ... For a Sign cannot denote an object not otherwise known to
its interpreter, for the obvious reason that if he does not already know the Object at all, he can­
not possess these ideas by means of which alone his attention can be narrowed to the very object
denoted. Every object of experience excites an idea of some sort; but if that idea is not
associated sufficiently and in the right way so with some previous experience so as to narrow the
attention, it will not be a sign.
A Sign necessarily has for its Object some fragment of history, that is, of history of ideas.
It must excite some idea. That idea may go wholly to narrowing the attention, as in such sign as
"man", "virtue", "manner".
380 L'ALGEBRE DES SIGNES

57. v. 1911 - MS 675. A Sketch of logical critic

... In the first place, a "Representamen", like a word, -indeed, most words are representamens-,
is not a single thing, but is of the nature of a mental habit, it consists in the fact that, something
would be. The twenty odd "the" on ordinary page are all one and the same word, - that is, they
are so many instances of a single word. Here are two instances of Representamens: "--killed--",
"a man". The first of several characters which are each of them either essential to a sign being
truly an instance of a Representamen or else necessary properties of such an object, is that it
should have power to draw the attention of any mind that is fit to "interpret" it to two or more
"Objects" of it. [The first of the above examples of instances of representamens has four
objects; the second has two.] The second such character is that at least two of the objects must
be other than the representamen. A closer examination than I have made would I am sure lead
to a fuller description of the character. The third is the property that the interpreter of the rep­
resentamen must have some collateral experiential acquaintance, direct or indirect, with each
object of the Representamen before he can perform his function ...

58. v. 1911 - MS 676. A Sketch of logical critics

... If by a "sign" we mean anything of whatsoever nature that is apt to produce a special mental
effect upon a mind in which certain associations have been produced — and I invariably use the
word "association" as the original associationists did, for a mental habit, and never for the act or
effect of associational suggestion when we must admit that a musical air and a command given
to a soldier by his officer are signs, although it would seem that a logician is hardly otherwise
concerned with such emotional and imperative signs, than that, as long as nobody else concerns
himself with the analysis of the action of such signs, the logician is obliged to assume that office
in order by the did of its contrast with the action of cognitional signs to perfect the definition of
this latter. ...

59. 1911 - MS 854. Notes on logical critique of the essential Articles of religious Faith
(20.11.1911)

Nature of a Sign. Its object is all that the sign recognize; since the sign cannot be understood
until the Object is already identically known, though it may be indefinite. It so, it need only be
known in its indefiniteness. The interpretant is the mental action on the Object that the sign
excites.
For instance the word dog — meaning some dog, implies the knowledge that there is some
dog, but it remains indefinite. The Interpretant is the somewhat indefinite idea of the characters
that the "some dog" referred to has. And we have to distinguish between the Real Object and
the Object as implied in the sign. The latter is some one of the dogs known already by direct
experience or some one of the dogs which we more or less believe to exist.
The word dog does not excite any other notion than of the characters that... to possess.
The "Object" dog causes us to think of is such a dog as the person addressed has any notion
of. But the real Object includes alternatively other dogs which are not known to the party
addressed as yet but which he may come to know.
As to the characters we know it has four legs, is a carnivorous animal, etc.. and here we
must distinguish then
- first the essential characters which the word implies — the essential interpretant.
- second the idea it actually does excite in the particular interpreter.
- third the characters it was intended specially to excite — perhaps only a part of the essential
ANNEXES 381

characters perhaps others not essential and which the word now excites though no such thing has
hitherto been known.
In order to understand a Sign better we must consider that what it excites some sort of men­
tal action about is in its Real Being either a history or a Part of a history and one part of it may
be a Sign of another part.
Some Dog is a ....
Excites the idea of a Dog ... is sign of a Dog and its Interpretant is forced by the interpreter own
belief in the truth of the sign to regard its being a dog to admit that it is possible a ratter.
The sign may appeal to the Interpreter himself to assert that the Matter of Fact denoted
does call for the ... of certain character... or the Sign may exert a Force to cause the Interpreter
to attach some Idea to the Object of the Sign.

60. 1911 - MS 670

A Sign, then, is anythin whatsoever — whether an Actual or a May-be or a Would-be, — which


affects a mind, its Interpreter, and draw that interpreter's attention to some Object whether
Actual, May-be or Would-be) which has already come within the sphere of his experience; and
beside this purely selective action of a sign, it has a power of exciting the mind (whether directly
by the image or the sound or indirectly) to some kind of feeling, or to effort of some kind or to
thought; ...

Textes non datés

61. n.d. Ρ 1.339. unidentified fragment

The easiest of those which are of philosophical interest is the idea of a sign, or representation.
A sign stands for something to the idea which it produces, or modifies. Or, it is a vehicle convey­
ing into the mind something from without. That for which it stands is called its object; that which
it conveys, its meaning; and the idea to which it gives rise, its interpretant. The object of rep­
resentation can be nothing but a representation of which the first representation is the interpret­
ant. But an endless series of representations, each representing the one behind it, may be con­
ceived to have an absolute object at its limit. The meaning of a representation can be nothing
but a representation. In fact, it is nothing but the representation itself conceived as stripped of
irrelevant clothing. But this clothing never can be completely stripped off; it is only changed for
something more diaphanous. So there is an infinite regression here. Finally, the interpretant is
nothing but another representation to which the torch of truth is handed along; and as represen­
tation, it has its interpretant again. Lo, another infinite series.

62. n.d. NEM IV p.XXI. From MS. 142

A sign is a thing which is the representative, or deputy, of another thing for the purpose of
affecting a mind .

63. n.d. NEM IV p 239. Kaina stoïcheia

Any sign, B, which a sign, A, is fitted so to determine, without violation of its A's, purpose, that
is, in accordance with the "Truth", even though it, B, denotes but a part of the objects of the
sign, A, and signifies but a part of its, A's characters, I call an interpretant of A.
382 L'ALGEBRE DES SIGNES

64. n.d. MS 381. On the nature of Signs

A sign is an object which stands for another to some mind. I propose to describe the characters
of a sign. In the first place like any other thing it must have qualities which belong to it whether
it be regarded as a sign or not thus a printed word is black, has a certain number of letters and
those letters have certain shapes. Such characters of a sign I call its material quality. In the next
place a sign must have some real connection with the thing it signifies so that when the object is
present or is so as the sign signifies it to be the sign shall so signify it and otherwise not. ... In
the first place it is necessary for a sign to be a sign that it should be regarded as a sign for it is
only a sign to that mind which so considers and if it is not a sign to any mind it is not a sign at
all. It must be known to the mind first in its material qualities but also in its pure demonstrative
application. That mind must conceive it to be connected with its object so that it is possible to
reason from the sign to the thing. ...

65. n.d. MS 793. [On Signs]

But at this point certain distinctions are called for. That which is communicated from the object
through the Sign to the interpretant is a Form; that is to say, it is nothing like an existent, but is
a power, is the fact that something would happen under certain conditions. This form is really
embodied in the object, meaning that the conditional relation which constitutes the form is true
of the form or it is in the Object. In the Sign it is embodied only in a representative sense, mean­
ing that whether by virtue of some real modification of the Sign, or otherwise, the Sign becomes
endowed with the power of communicating it to an interpretant. It may be in the interpretant
directly, as it is in the Object, or it may be in the Interpretant dynamically, as behaviour of the
Interpretant (this happens when a military officer uses the sign "Halt!" or "Forward march!"
and his men simply obey him, perhaps automatically) or it may be in the Interpretant likewise
only representatively. In existential graphs the Interpretant is affected in the last way; but for
the present, it is best to consider only the common characters of all signs.

66. n.d. MS 793. [On Signs]

A Sign is an thing, A, which


(1) in addition to others characters of its own,
(2) stands in a dyadic relation τ to a purely active correlate, B, and is also
(3) in a triadic relation to  for a purely passive correlate, C, this triadic relation being such as
to determine  to be in a relation, μ, to B, the relation μ corresponding in a recognized way to
the relation τ, its dyadic relation to A would belong to it just the same even if A did not exist.
For instance, ... the sign, the sentence "Let'songster of 'Heliopolis' be our designation of
the phenix" we may variously regard as B, either the phenix or the writer's determination, etc..
In any case howewer what is essential to the relation between the sentence and  is the writer's
determination of mind to have the phenix called the songster of Heliopolis. This determination
would be so shaped howewer whether expressed in this sentence or not. And the subsequent
statement the sense in which certain correlates of a given relationship are said to be 'active' or
'passive' is that considering the different characters of all the correlates excepting only these that
are immediately implied in the statement of the relationship none which involves only non-pas­
sives correlates will by immediate essential necessity vary with a variation of those involving only
passive correlates; while no variation of which involve only non-active correlates will by
immediate essential necessity carry with them variation of those which involve only active corre­
lates; while by 'active-passive' is meant active in respect to some correlates and passive in
respect to others ... 'active or passive' meaning ... active and ... without being active passive.
ANNEXES 383

67. n.d. MS 793. [On Signs]

... which is communicated from the Object through the Sign to the Interpretant is a Form. It is
not a singular thing; for if a Singular thing were first in the Object and afterward in the Inter­
pretant outside the Object, it must thereby cease to be in the Object. The form that is communi­
cated does not necessarily cease to be in one thing when it comes to be in a different thing,
because its being is the being of a predicate. The Being of a Form consist in the truth of a condi­
tional proposition. Under given circumstances something would be true. The Form is in the
Object, one may say, entitatively, meaning that that conditional relation, or following of con­
sequent upon reason, which constitutes the Form is literally true of the Object. In the Sign the
Form may ... be embodied entitatively, but it must be embodied representatively, that is, in
respect to the Form communicated, the Sign produce upon the interpretant an effect similar to
that which the Object would under favorable circumstances.

68. n.d. MS 793. [On Signs]

For the purpose of this inquiry a Sign may be defined as a Medium for the communication of a
Form. It is not logically necessary that any thing possessing consciousness, that is, feeling or the
peculiar commun quality of all our feeling should be concerned. But it is necessary that there
should be two, if not three, quasi-minds, meaning things capable of varied determinations as to
forms of the kind communicated.
As a medium the Sign is essentially in a triadic relation, to its Object which determines it
and to its Interpretant which it determines. In its relation to the Object, the sign is passive, that
is to say, its correspondence to the Object is brought about by on effect upon the sign, the
Object remaining unaffected. On the other hand, in its relation to the Interpretant the sign is
active determining the interpretant without bein itself thereby affected.

69. n.d. MS 793. [On Signs, quatre versions d'une certaine page 11]

a. A Sign would be a Priman Secundan to something termed its Object and if anything were to
be in a certain relation to the sign called being Interpretant to it, the Sign actively determines the
Interpretant to be itself in a relation to the same Object, corresponding to its own.
b. A "Sign" is a genuinely genuine Tertian. It would generally be Priman in some characters,
called its "Material Characters". But in addition, it is essentially (if only formally) Second to
something termed its "Real Object", which is purely active in the Secundanity, being
immediately unmodified by this secundanity; and these characters of the Real Object which are
essential to the identity of the Sign constitute an ens rationis called the "Immediate Object".
Moreover, the Sign is conceivably adapted to being Third to its Immediate Object for an ens
rationis constituted thereby in the same (generic) relation to that Object in which the Sign itself
stands to the same; and this Third is termed the "Intended Interpretant", but the ... [fin du man­
uscrit].
c. A Sign would be in some respects Priman, and its determination as Priman are called its
Material characters. But in addition it is Second to what is termed its Real Object, which is
altogether active, and immediately unmodified by this Secundanity, and in so far as the Sign is
second to it, it is termed the immediate Object. The Sign is conceivably adapted to being third
to its Immediate Object for something in so far termed its Intended Interpretant; and the Sign
only functions as such so far as the Intended Interpretant is Second to it for an Actual Interpret­
ant which thus becomes adapted become a sign of the Immediate [ce mot est surmonté d'un
point d'interrogation] Object for a further intended Interpretant, and in so far as the Interpret­
ant is such Third it is termed Reflex Interpretant.
384 L ' A L G E B R E D E S SIGNES

d. A "Sign" would be in some respects Priman, and its determinations as such are called its
"Material characters". But in addition, it is Second to something termed its "Real Object",
which is purely active being immediately unmodified by this Secundanity; and in so for as the
sign is Second to it, it is termed the "Immediate Object" thereof. The Sign is conceivably
adapted bo being Third to its Immediate Object for something which should thereby be brought
into the generically same dyadic relation to that Object in which the Sign itself stands to that
Object, and this Third is called the "Intended Interpretant"; but the Sign functions as such only
in so far as the Intended Interpretant is Second to it and is Third to it for an existent termed the
"Actual Interpretant", the modes of ... [fin du manuscrit]

73. n.d. MS 801. Logic: Regarded as a Study of the general nature of Signs (Logic)

By a sign I mean any thing which is in any way, direct or indirect, so influenced by any thing
(which I term its object) and which in turn influence a mind that this mind is thereby influenced
by the Object; and I term that which is called forth in the mind the Interpretant of the sign. This
explanation will suffice for the present; but distinctions will have to be drawn are long.

74. n.d. MS 810. (On the formal Principles of Deductive Logic)

A mental representation is something which puts the mind into relation to an object. A rep­
resentation generally (I am here defining my use of the term) is something which brings one
thing into relation with another. The conception of third is here involved, and therefore, also,
the conceptions of second or other and of first or an. A representation is in fact nothing but a
something which has a third through an other. We may therefore consider an object:
1. as a something, with inward determinations;
2. as related to an other;
3. as bringing a second into relation to a third.

75. n.d. MS 914. [Firstness, Secondness, Thirness, and the Reductibility of Fourthness]

The most characteristic form of thirdness is that of a sign; and it is shown that every cognition is
of the nature of a sign. Every sign has an object, which may be regarded either as it is
immediately represented in the sign to be, and as it is in its own firstness. It is equally essential
to the function of a sign that it should determine an Interpretant, or a second correlate related
to the object of the sign as the sign is itself related to that object; and this interpretant may be
regarded as the sign represents it to be, as it is in its pure secondness to the object, and as it is
in its own firstness.

76. n.d. MS 1345. On the Classification of the Sciences

A Representamen can be considered from three formal points of view, namely, first, as the sub­
stance of the representation, or the vehicle of the Meaning which is common to the three rep­
resentamen of the triad, second, as the quasi-agent in the representation, conformity to which
makes its Truth, that is, as the Natural Object, and third, as the quasi-patient in the representa­
tion, or that which modification in the representation make its Intelligence, and this may be cal­
led the Interpretant. Thus, in looking at a map, the map itself is the vehicle, the country rep­
resented is the Natural Object, and the idea excited in the mind is the Interpretant.
Furthermore, every representamen may be considered as a reagent, its intellectual charac­
ter being neglected; and both representamen and reagent may be considered as quales, their
relative character being neglected. This we do, for example, when we say that the word man has
three letters.
Annexe 
Notions sur la théorie des structures mathématiques
Dans cette annexe nous avons regroupé les notions et propositions juste nécessaires pour mener
à bien notre projet de formalisation mathématique. Nous avons adopté la présentation de Jiri
Adàmek (1983) en faisant précéder les fondements de la théorie des catégories par une théorie
moins abstraite de construction d'objets qui est celle des catégories concrètes d'ensembles avec
structure ou "constructums", terme par lequel nous avons traduit le terme "construct". Le lec­
teur qui voudrait compléter son information dans ces domaines pourra se reporter avec profit à
son ouvrage, accessible à toute personne intéressée à un abord très général des structures
mathématiques plutôt qu'à l'étude d'une branche particulière. Les connaissances en mathémati­
ques que présupposent les considérations qui suivent appartiennent au folklore de cette discipli­
ne.

1. Un constructum $ est défini par les données suivantes:


a. pour chaque ensemble X est définie une classe $[X]. Ses éléments sont appelés les structures
de X et les couples
A = (Χ, α)
où X est un ensemble et a sa structure, sont appelés objets.
b. pour chaque paire d'objets
A = (Χ, α) et  = (Y, β)
un sous-ensemble hom$(A, B) de Y x est défini. Ses éléments sont appelés les morphismes et,
étant donnée une application f on écrit, au lieu de f e hom$(A, B): f: A B.
Les ensembles de morphismes satisfont les axiomes suivants:
- la composition de deux morphismes f: A  et g:   est un morphisme
gof: A C.
- pour chaque objet A = (Χ, α) l'application identique est un morphisme
id x : A A; on écrit souvent 1A: A A au lieu de id x .

2. Un isomorphisme est un morphisme f: (Χ, α) (Y, β) tel que f soit une bijection et que
l'application inverse f"1 soit un morphisme:
f : (Y, β) (Χ, α)

3. Deux objets (Χ, α) et (Y, β) sont isomorphes s'il existe un isomorphisme


f: (X, α) (Y, β).

4. Un constructum est appelé transportable si pour chaque objet (Χ, α) et chaque bijection
f: X Y il existe une structure unique ßε$[Y] telle que f: (Χ, α) (Y, ß) est un isomor­
phisme.

5. Un sous-constructum d'un constructum $ est un constructum £ tel que:


- chaque objet de £ est un objet de $, c'est-à-dire que £[X] est inclus dans $[X] pour chaque en­
semble X.
386 L'ALGEBRE DES SIGNES

- chaque morphisme de £ est un morphisme de $, c'est-à-dire que hom£(A,B) est inclus dans
hom$ (A,B),pour des objets arbitraires A et  de £.

6. £ est un sous-constructum plein si hom £ (A,B) = hom $ (A,B).

7. Deux constructums $ et £ sont dits concrètement isomorphes s'il existe des bijections
Ι χ : $[X] £[X]; (X ensemble) satisfaisant la condition suivante :
- étant donnés deux objets arbitraires (Χ, α) et (Y, β) de $ et une application f : X Y alors
f: (X, a) (Y, β) est un morphisme de $ si et seulement si f: (Χ, Ι χ (α)) (Y, Ι χ (β)) est
un morphisme de £.

8. Une source (dans un constructum $) sur un ensemble X est une famille (Y., β., f.).6¡, où (Y.,
β.) sont des objets de $ et les f.: X Y. sont des applications. On la note habituellement:

{X—fi—Yi,.βi.}iεI
9. Une structure initiale d'une source {X fi (Yi.,βi)} est une structure α sur X telle que
a. f.: (Χ,α) (Yi, βi.) sont des morphismes pour tout iel
b. Pour chaque objet (T,ô) et chaque application h: Τ X telle que les
f.oh: (Τ,δ) (Y, β.) soient des morphismes (iel) alors h: (Τ,δ) (Χ,α) est aussi un
morphisme (cf. Figure 106).

Figure 106.

10. Un constructum est appelé initialement complet si chaque source à une structure initiale
unique.

11. Un puisard (dans un constructum $) sur un ensemble X est une famille (Y, β., g.), iel où les
(Y, β.) sont des objets de $ et les g.: Yi. : —X sont des applications. On le note habituellement

{(Yi,, ßi.) gi—Χ}iεI·

12. Une structure finale d'un puisard {(Yi,, ßi.) gi—Χ}iεI·


est une structure β sur X telle que
a. les g.: (Y,ßj) (Χ,β) sont des morphismes pour tout iel.
b. pour chaque objet (Τ,δ) et chaque application h: X Τ telle que tout
hog.: (Yi,, ßi.) (Τ, δ) soient des morphismes (iel) alors h: (Χ,α) (Τ,δ) est un mor­
phisme (cf. Figure 107).
ANNEXES 387

Figure 107.

13. Un constructum est appelé finalement complet si chaque puisard a une structure finale uni­
que.
Annexe 
Sélection de textes sur le phaneron et ses éléments indécomposables:
CP 1.284 (from Adirondack Lectures, 1905)

Phaneroscopy is the description of the phaneron; and by phaneron I mean the collective total of
all is in any way or any sense present to the mind, quite regardless of whether it corresponds to
any real thing or not. If you ask present when, and to whose mind, I reply that I leave these
question unanswered, never having entertained a doubt that those features of the phaneron that
I have found in my mind are present at all times and to all minds. So far as I have developped
this science of phaneroscopy, it is occupied with the formal elements of the phaneron. I know
that there is another series of elements imperfectly represented by Hegel's Categories. But I
have been unable to give any satisfactory account of them.

Ρ 1.286 (from "Logic viewed as Semeiotics, Introduction Number 2, Phaneroscopy",  1904)

There is nothing quite so directly open to observation as phaneron; and since I shall have no
need of referring to any but those which (or the like of which) are perfecty familiar to every
body, every reader can control the accuracy of what I am going to say about them. Indeed, he
must actually repeat my observations and experiments for himself, or else I shall more utterly
fail to convey my meaning then if I were to discours of effects of chromatic decoration to a man
congenitally blind. What I term phaneroscopy is that study which, supported by the direct obser­
vation of phanerons and generalizing its observations, signalizes several very broad clases of
phanerons; describes the features of each; shows that although they are so inextricably mixed
together that no one can be isolated, yet it is manifest that their characters are quite disparate;
then proves, beyond question, that a certain very short list comprise all of these broadest
categories of phanerons there are; and finally proceeds to the laborious and difficult task of
enumerating the principal subdivisions of those categories.

MS 336 - pages 2,4,6,8 - "Logic viewed as Semeiotics", Introduction Number 2, v. 1904

In the interest of that exactitude of technical terminology without wich no study can become sci­
entific, I propose the word phaneron to denote anything that can come before the mind in any
sense whatsoever. At this, some reader will remostrate, "My dear sir, since you talk of exac­
titude, could you not replace that phrase 'in any sense whatsoever' by something more distinct.
Suppose I were to ask you whether you supposing a sentence in a language unknown to you
were to be, printed on a page and placed before your eyes, you would include that sense of being
'before the mind', or suppose all vestiges of a thing had utterly disappeared previously to their
being any mind in the universe, of course you would not include that sense in which you propose
to use the term?". To this I reply "I mean to include whatever sense as any in which the phrase
is ordinarily used. I admit, that I should not have thought of such cases as you mention as com­
ing within the scope of my phrase. But your suggestion that the phrase might be so understood
operates to extend it to these cases. As for the sentence in a language I do not know, since you
390 L'ALGEBRE DES SIGNES

say the page is placed before my eyes, I presumably see there is a sentence there, and although
I do not at the time know what it means, yet I certainly do not intend to confine the term phane-
ron to what is before the mind at any one time. I may never know what it means, but if it is a
sentence, some mind has understood it; and I do not restrict the word phaneron to what comes
before any single mind. The term phaneron is to apply to whatever is thinkable or which, not
being what I mean by "before the mind", is amply efficient to constitute it to be before the mind,
in my sense. As for what desappeared utterly before any mind was in being, if you mean any­
thing at all by this, your mind is referring to that object; and even if you phrase has no meaning,
your pretending that it has, still places the object before your mind and before mine. The fact
that something mentioned is devoid of all meaning or self-contradictory does not prevent it from
being a phaneron; and whatever never was or will be before any mind in any sense whatever
becomes a phaneron now that I have gone through the motions of writing about it.

MS 908 (Extraits) Non daté

... I propose to use the word phaneron as a proper name to denote the total content of any con­
sciousness (for anyone is substantially any other) the sum of all we have in mind in any way
whatever, regardless of its cognitive value. This is pretty vague: I intentionnaly leave it so: I will
only point out that I do not limit the reference to an instantaneous state of consciousness; for the
clause "in any way whatever" takes in memory and all habitual cognition. The reader will prob-
ably wonder why I did not content myself with some expression already in use. The reason is
that the absence of any contiguous associations with the new word will render it sharper and
clearer than any well-worn coin could be.
I invite the reader to join me in a little survey of the Phaneron (which will be sufficiently
identical for him and for me) in order to discover what different forms of indecomposable ele­
ments it contains. ... This ... will be a work of observation. But in order that a work of observa­
tion should bring in any considerable harvest, there must always be a preparation of thought, a
consideration as definite as may be, of what it is possible that observation should disclose. That
is a principe familiar to every observer. Even if one is destined to be quite surprised, the prep­
aration will be of mighty aid.
As such preparation for our survey, then, let us consider what forms of indecomposable ele­
ments it is possible that we should find. The expression "indecomposable elements" sound
pleonastic; but it is not so, since I mean by something which not only is elementary, since it
seems so, and seeming is the only being a constituent of the phaneron has, as such, but it is
moreover incapable of being separated by logical analysis into parts, whether they be substan­
tial, essential, relative; or any other kind of parts. Thus, a cow inattentively regarded may
perhaps be an element of the phaneron; but whether it can be so or not, it is certain that it can
be analysed logically into many parts of different kinds that are not in it as a constituent of the
phaneron, since they were not in mind in the same way as the cow was, or in any way in which
the cow as an appearance in the phaneron could be said to be formed of these parts. We are to
consider what forms are possible rather than kinds are possible, because it is universally admit­
ted, in all sorts of inquiries, that the most important divisions are divisions according to form,
and not according to the qualities of matter, in case division according to form is possible at all.
Indeed, this necessarily results from the very idea of the distinction between form and matter. If
we content ourselves with the usual statement of this idea, the consequence is quite obvious. A
doubt may, however, arise whether this distinction of form is possible among indecomposable
elements. But since a possibility is proved as soon as single actual instance is found, it will suffice
to remark that although the chemical atoms were until quite recently conceived to be, each of
them, quite indecomposable and homogenous, yet they have for half of a century been known
ANNEXES 391

to differ from one another, not indeed in internal form, but in external form. Carbon, for exam­
ple, is a tetrad, combining only in the form CH4 (march gas) that is, with four bonds with
monads (such as is H) ot their equivalent; boron is a triad forming by the action of magnesium
on boracic anhydride, BH 3 , and never combining with an other valency; glucinum is a dyad,
forming GC12, as the vapor-density of this salt corroborated by many other testes, conclusively
shows and it too always has the same valency; lithium forms LH and LI and L3N, and is invari­
ably a monad; and finally helion, neon, argon, crypton, and xenon are medads not entering into
atomic combination at all. We conclude then, that there is a fair antecedent reason to suspect
that the Phaneron's indecomposable elements may likewise have analogous differences of exter­
nal form. Should we find this possibility to be actualized, it will, beyond all dispute, furnish us
with by far the most important of all divisions of such elements.
I trust no reader will understand me to be capable of reasoning by analogy from the con­
stitution of chemical substances to the logical constitution of thought. I know very well that
much of the substance of the present article has a distinct resemblance to a certain species of
demilunatic stuff of which there is so much in the world that it is likely to cumber the shelves of
any elderly logician who does not take measures to get rid of it. I know furthermore that the
world is full of minds of such a caliber that because a good deal of precious nonsense is of a cer­
tain type they wish to know no more of anything that is of that type. I do not much regret it
because it is unlikely that a person who passes judgment in such fashion should possess that rare
faculty of looking out of his eyes and seeing what stares him in the face — a faculty, however I
desiderate my, reader, and fell confident of having in every attentive reader. But though I do
not offer such a crude argument, it is certainly true that all physical science involves (I do not
say, depends upon) the postulate of a resemblance between nature's law and what it is natural
for man to think, and moreover, the success of science, affords overwhelming proof that that
postulate is true; and consequently, sound logic does distinctly recommend that the hypothesis
of the indecomposable elements of the Phaneron being in their general constitution like the
chemical atoms be taken up as a hypothesis with a view to its being subjected to the test of an
inductive inquiry.
They are further considerations, however, which warrant our expecting more confidently to
finds in elements of the Phaneron certain forms than to find in elements of the Phaneron cer­
tains forms than to find certain others. Thus, unless the Phaneron were to consist entirely of ele­
ments altogether uncombined mentally, in which case we should have no idea of a Phaneron
(since this, if we have the idea, is an idea combining all the rest) which is as much as to say that
there would be no Phaneron, its esse being percipi if any is so; or unless the Phaneron were itself
our sole idea, and were utterly indecomposable, when there would be no such thing as an inter­
rogation and no such thing as a judgment (as will appear below) it follows that if there is Phane­
ron (which could be an assertion) or even if we can ask whether there be or no, there must be
an idea of combination (i.e. having combination for its objects thought of). Now the general
idea of a combination must be an indecomposable idea. For otherwise it would be compunded,
and the idea of combination would enter into it as an analytic part of this. It is, however, quite
absurd to suppose an idea to be a part of itself, and not the whole. Therefore, if there is a phane­
ron, the idea of combination is an indecomposable element of it. This idea is a triad; for il
involves the ideas of a whole and of two parts (a point to be further considered below). Accord­
ingly, there will necessarily be a triad in the Phaneron. Moreover, if the metaphysicians are right
in saying (those of them who do say so) that there is but one absolutely necessary idea, which is
that of the Triune God, then this idea of the Triune God must in some way be identical with the
simple idea of combination.
But out of triads exclusively it is possible to build all external forms, Medads, monads,
dyads, triads, tetrads, pentads, hexads, and the rest. The Figure 108 suggests one way.
392 L'ALGEBRE DES SIGNES

Composed of A T r i a d s

Figure 108.

(Les quatre lignes ci-dessous sont barrées dans le manuscrit:


By the aid of the formula given in the appended note, it would be easy to work out a description
of all the ways. I say a description because there is a denumerable multitude forming of com-
punds of triads of any given valency, so that a complete enumeration of them singly is not possi­
ble.)
So far as our study has now gone, then it appears possible that all elements of the Phaneron
should be triads. But an obvious principle which is as purely a priori as a principle well can be,
since it is involved in the very idea of the Phaneron as containing constituents of which some are
logically unanalyzable and others analysable promptly reduces that subjective possibility to an
absurdity. I mean the principle that whatever is logically involved in an ingredient of the Phane­
ron is itself an ingredient of the Phaneron; for it is in the mind even though it be only implicitly
so. Suppose then a Triad to be in a Phaneron. It connects three objects, A, B, C, however inde­
finite ,  and  may be. There must, then, be one of the three, at least, say  which estab­
lishes a relation between the other two A and B. The result is that A and B, without reference
to any third involves a Secundan. In like manner, in order that there may be a Secundan, so that
A and  are in some sense opposed, and neither is swallowed up in the other, — or even if only
one of them had such an independent standing, it must be capable of being regarded as more or
less determinate and positive in itself, and so involves Primanity. This Primanity supposes a Pri­
man element; so that the suggestion that no elements should be Primans is absurd, as is the
suggestion that no elements should be Secundans.
This same principle may be applied in the same way to any Tetradic constituent of the
Phaneron. But if we expect it to lead to an analogous conclusion we shall find ourselves out of
that dead reckoning. Suppose a Tetrad in the Phaneron. Now just as the being of a Tertian con­
sists precisely in its connecting the members of a triplet, so that two of them are united in the
third, so the quartanness of the tetrad will consist in its connecting the members of a quaternian
say A, B, C, D and in nothing else.
ANNEXES 393

That is precisely its form. As the triad involves dyads, so likewise does the tetrad. Let A, B
be the objects of such of dyad. The tetrad is more than a mere dyad for those objects. I mean
that it not only makes one of them determine the other in some regard, after the manner of
dyads, or, to use the word which we are in the habit of using only in reference to the more
characteristic kinds of dyads, but which I will extend for the nonce to all dyads, in order to call
up my idea in the reader's mind, — the tetrad not only makes A "act" upon B, (or  upon A)
but, like a triad, indeed as involving Tertianity (just as we have seen that a triad involves secun-
danity) it puts together A and B, so that they make up a third object, — to continue my method
of expression by stretching the extension of terms, I might say, so that they "create" a third,
namely the pair, understood as involving all that the tetrad implies concerning these two presci­
nded from  and D. Moreover the tetrad involves a dyad one of those objects is this pair of A
and B, and makes them create a new object, their pair. And finally it unites this last pair to D.
Thus, the entire function of the tetrad is performed by a series of Triads; and consequently,
there can be no unanalyzable tetrad, nothing to be called an quartan element of the Phaneron.
Plainly, the same process will exclude quintanity, sextanity, septanity and all higher forms of
indecomposable elements from the Phaneron.
To many a reader this reasoning will appear obscure and inconclusive. This effect is due to
the argument's turning upon such a complex of precissive abstractions; for an abstract concept
is essentially indefinite. Now the reader would not have been a reader of this paper unless he
had the intellectual virtue of striving to give definite interpretations to concepts. But it often
happens that this virtue being coupled with a particular natural turn of mind, breeds an intellec­
tual vice, the bad habit of dropping all lines of study which largely introduce indefinite concepts,
so that those who contracts this habit never gain a proper training in handling such concepts.
This is by no means the only difficulty of mathematics, which incessantly employs them, but it is
perhaps the chief reason why we find among particularly able professional men, and even among
thinkers, so many who are completely shut off from mathematics. But those whom this demonst­
ration fails to reach may find themselves convinced by the facts of observation when we come to
consider them.
Some will ask whether if every tetrad can be built up out of triads, it must not be equally
true that every triad can be built up out of dyads. The reason has already been stated, namely,
that nothing can be built up out of other things, and combination is itself manifestly a triad. But
those who do not see the force of this reason had better try to build up a chemical triad, while
observing the law of valency.
Much might be profitably added to this preliminary a priori study; but even with the
greatest compression I shall cover too many of the valuable pages of the Monist. We must has­
ten, then, to try how well or ill our a priori conclusions are supported by the actual examination
of the contents of the Phaneron. Let us begin once.
Can we find a Phaneron any element logically indecomposable, which is such as it is,
altogether otherwise than relatively, but positively, and regardless of aught else?
I answer, there are many such elements. I instance the color of a stick of counting - house
sealing-wax which I had to use a few moments ago, and which still lies on my table in plain sight.
This is an element, for I do not see it as composite. It is also logically indecomposable. It is true
that I can take down my color-wheel, analyse this color, and define it in an equation. But such
an equation, far from expressing any logical analysis, does not even define the color sensation.
For an observer thoroughly trained to recognize his immediate feelings as they are felt, free
from all the allowances which we naturally make for the circumstances of the experience, will
perceive that when the stick of sealing-wax be highly illuminated, the sensation is more scarlet,
ant that under a dim light it verges toward a dull vermillion hue; and yet the analysis by the
color-wheel will wholly fail to detect this. For a mere admixture of black with the color of the
394 L'ALGEBRE DES SIGNES

highly illuminated wax will make it a precise match for the feebly illuminated wax. Considerably
more like a logical analysis is the ordinary description of a color in terms of its luminosity
chroma (or degree of departure from gray) and hue; as one might say that the color of this sea­
ling-wax is moderately luminous but extremely chromatic color, pretty nearly pure red in hue,
yet decidedly leaning toward scarlet. But however much this may resemble a logical analysis, it's
not what I mean by that term when I say that a Priman, a Secundan, a Tertian is essentially inde­
composable. For if a man possessed no other color-sensation but that excited by this scaling-wax
under good forenoon illumination from white clouds, indoors close to a window, he might
devote his life to thinking about it, but he never would discover that there were those three
respects, luminousness, chroma, and hue. They are not seen in the color taken by itself, but only
in the color as it appears in comparison with others. That is shown by the fact that in order to
describe the color with tolerable accuracy, it is necessary to experiment by placing it in succes­
sive juxtaposition with others which are very much like it, one in luminosity, other in chroma,
and a third in hue. This shows that though the description does not refer to the phenomena of
mixture-experiments it does refer to phenomena of experiments. If I am asked whether the same
thing is not true of logical analyses, I admit that some analyses which are sometimes called logi­
cal are of that kind, but not the logical analyses meant when we speak of the Priman, Secundan,
Tertian being logically indecomposable. Consider, for example, the word 'red'. I mean the word
'red' in that sense which it is one and the same word, however often it be pronounced, and
whether quite correctly or not. It has its being exclusively in governing this articulation (I leave
writing out of account for simplicity) and the apprehension of Anglo-Saxons. The pronunciation
varies enormously, the r from the grassouillée sound that most Frenchmen give to it, or did in
my day, to the sound which is obtained by so much labor in the Comedie Française, to semi-
articulate r of must of us, and the 'wred' of some people, the e also ranging over considerable
variety, and finally the d being either of two sounds which are carefully distinguished in some
languages, the dental d of latin races, and our alveolar d, and even an Arabic Dhâd or dhâ, if
pronounced explosively, would be tolerated. All these variations are of the being of the word,
for other, much smaller departures from the average pronunciation would render the vocable
quite unintelligible.
Therefore, whether it be apprehended as consisting of three sounds, or be not so
apprehended, mere attention to the word itself will bring out that composition, without any
comparison with other words; and such an analysis is what I rather inaptly style 'logical' decom­
position, because it is effected in the same way in which one would find a definition of a familiar
word whose meaning one had never before analyzed. That the quality red is positive and wholly
resident in itself regardless of aught else is obvious. Yet even this may be doubted. The legend
of the music of the spheres at least seems to be based on the notion that sense-qualities are rela­
tive to each other. But even if every thing in the world and in the Phaneron were precisely of this
sealing-wax red, though we should not be distinctly aware of it, I suppose that it would tinge our
disposition, and so be, in some sense, in the mind. If it would not, this would be merely a
psychogical fact it would have nothing to do with the quality red in itself. Nor can it be said that
red is relative to a surface. For though we cannot prescind redness from superficial extension,
we can easily distinguish it from superficial extension owing (for one thing) to our being able to
prescind the latter from the former. Sealing-wax red, then is a Priman.
So is any other quality of feeling. Now the whole content of conciousness is made up of
qualities of feeling, as truly as the whole of space is made up of points or the whole of time of
instants. Contemplate anything by itself, — anything whatever that can be so contemplate it.
Attend to the whole and drop the parts out of attention altogether. One can approximate nearly
enough to the accomplishment of that to see that the result of its perfect accomplishment would
be that one would have in his conciousness at the moment nothing but a quality of feeling. This
ANNEXES 395

quality of feeling would in itself, as so contemplated, have no parts. It would be unlike any other
such quality of feeling. In itself, it would not even resemble any other; for resemblance has its
being only in comparison. It would be a pure Priman. Since this is true of whatever we con­
template, however complex may be the object, it follows that there is nothing else in immediate
consciousness. To be conscious is nothing else than to feel.
What room, then, is there for Secundans and Tertians? Was there some mistakes in our
demonstration that they must also have their places in the Phaneron? No, there was no mistake.
I said that the Phaneron is made up entirely of qualities of feeling as truly as Space is entirely
made up of points. There is a certain protoidal aspect, — I coin the word for the need — under
which Space is truly made up of nothing but points. Yet is a certain that no collection of points
— using the word collection to mean merely a plural, without the idea of the objects being
brought together, — no collection of points no matter how abnumerable its multitude, can in
itself constitute Space. For Space has chorisy one, that is, is all one piece, its cyclosy and its
periphraxy are each either zero or one, [Footnote: In the Space of quaternions both are zero; in
the space of projective geometry both are one] that is if it has room for a filament which could
by no continuous deformation shrink indefinitely toward becoming a particle, a single simple
superficial barrier would suffice to leave in the rest of Space no room for any such filament, and
if it has room for any film, or deformable surface, which by no continuous deformation could
shrink indefinitely toward becoming a filament a single filamental barrier would suffice to leave
in the rest of Space no such room; and finally Space has an apeiry one, that is, it has room for a
single solid which by continuous deformation could shrink indefinitely toward becoming a film,
but the barrier of a single particle would leave no room in the rest of space for such unshrinkable
solid. Now none of these properties necessarily belongs to any mere plural of points, except that
a single point has chorisy one. It is not the points, but the relations between the different points
which produce the chorisy, cyclosy, periphraxy and apeiry of space, as well as its being topically
non-singular, that is, its containing no place of any dimensionality which a deformable object
occupying it could quit in fewer or in more ways than it could quit innumerable other such places
all about it. What is the nature of all these relations as well as these of time? They all result from
complications of only two elements. One of these is the relation of a distributively general
object, "any" something, to the single individual collection which embraces "any" such, and
nothing else. The other is the relation of geometrical betweenness, upon which Kempe first did
some considerable logical work, though I, and doubtless every other exact logician who had
examined the subject already well knew that the key of geometry lay in that. If we consider any
portion of a line, this portion having two extremities, A and B, then any point X, of that portion
lies "between" A and B, and any second point Y of that portion is either "between" X and A
while X is "between" it and B, or else is "between" X and B, while X is "between" it and A. Of
these two relations, that between the distributive and collective all is dyadic, that of betweenness
is triadic. But these are not at all characteristics examples of the dyad and the triad. Either has
a decided protoidal tinge. The characteristic color of the dyad, — if I may be allowed the
metaphor —, is that of opposition. But the distributive and collective are the same thing differ­
ently expressed. To say that X is between A and  is to say that the place of X in so far as it is
not the place of  is the place of A. It is a sort of divided agreement.
But the phaneron does contain genuine Secundans. Standing on the outside of a door that
is slightly ajar, you put your hand upon the knob to open and enter it. You experience an
unseen, silent resistance. You put your shoulder against the door and gathering your forces put
forth a tremendous effort. Effort supposes resistance; where there is no effort there is no resis­
tance; where there is no resistance there is no effort either in this world or in any of the worlds
of possibility. It follows that an effort is not a feeling nor anything priman or protoidal. There
are feelings connected with it: they are the sum of consciousness during the effort. But it is con-
396 L'ALGEBRE DES SIGNES

ceivable that a man should have it in his power directly to summoning up all those feelings or
any feelings. He could not, in any world, be endowed with the power of summoning up an effort
to which there did not happen to be a resistance all ready to exist. For it is an absurdity to sup­
pose that a man could directly will to oppose that very will. A very little thinking will show that
this is what it comes to. According to such psychological analysis as I can make effort is a phe­
nomenon which only arises when one feeling abuts upon another in time, and which then always
arises. But my psychological pretensions are little if they exist at all, and I only mention ny
theory in order that contrast should impress the reader with the irrelevances of psychology to
our present problem, which is to say of what sort that is which is in our minds when we make an
effort and which constitutes it an effort. We live in two worlds, a world of fact and a world of
fancy. Each of us is accustomed to think that he is the creator of his world of fancy; that he has
but to pronounce his fíat, and the thing exits, with no resistance and no effort; and although this
is so far from the truth that I doubt not that much the greater part of the reader's labor is
expended on the world of fancy, yet it is near enough the truth for a first approximation. For this
reason we call the worls of fancy the internal world, the world of fact the external world. In this
latter, we are masters, each of us, of his own voluntary muscles, and of nothing more. But man
is sly, and contrives to make this little more than he needs...Beyond that, he defends himself
from the angles of hard fact by clothing himself with a garment of contentment and of habitua­
tion. Were it not for his garment, he would every now and then find his internal world rudely
disturbed and his fiats set at naught by brutal inroads of ideas from without. I call such forcible
modification of our ways of thinking the influence of the world of fact experience. But he
patches up this garment by guessing what those inroads are likely to be and carefully excluding
from his internal world every idea which is likely to be so disturbed. Instead of writing for
experiences to come at untoward times, he provokes it when it can do no harm and changes the
government of his internal world accordingly.
Annexe D
Somme et produit de diagrammes dans une catégorie algébrique
La notion de catégorie est une abstraction de la notion de constructum. Les éléments ou objets
de la catégorie sont abstraits, les opérations sur ces éléments sont abstraites c'est-à-dire séparées
de toute détermination.

1. Définition: une catégorie  est définie par les données suivantes:


i. une classe C° d'éléments A,B,C...appelés les objets de la catégorie
ii. des ensembles disjoints hom(A,B), un pour chaque paire d'objets, dont les éléments sont
appelés les morphismes de la catégorie; nous écrirons f: A  au lieu de f e hom(A,B).
iii. une opération appelée composition qui associe à chaque triplet (A,B,C) d'objets et aux
morphismes f: A  et g:   un morphisme g.f: A C.
Toutes ces données doivent vérifier les axiomes suivants:
Axiome d'associativité: h.(g.f) = (h.g).f pour tous morphismes f: A B, g:  ,
h:  D.
Axiome d'identité: pour tout objet A il existe un morphisme appelé morphisme d'identité
1A: A A tel que l A .f = f pour tout morphisme f:  A et f.l A = f pour tout morphisme
f:A B.

2. Exemples: tout ensemble ordonné X est une catégorie dont les objets sont les éléments de X,
C° = X et étant donné χ et y e X, hom(x,y) a au plus un élément noté χ y:
si x≤ y, hom(x,y) = {x y}
sinon, hom(x,y) = {0}.
On montrerait de même que tout ensemble préordonné est aussi une catégorie.

3. Tout constructum $ définit une catégorie, appelée aussi $. $° est la classe de tous les objets de
$ et pour un couple d'objets A = (Χ,α),  = (X, β), hom(A,B) est l'ensemble de tous les mor­
phismes de A dans B.

4. Catégorie duale: la catégorie duale C op d'une catégorie  a les mêmes objets que  et pour
tout couple A,  ε C°:
hοm c o Α,Β) = hom c (B,A)
Il est clair que (C op ) op =  ce qui permet de faire correspondre à toute propriété concernant les
morphismes d'une catégorie une propriété duale "en changeant le sens des flèches". A tout
concept concernant une catégorie correspondra un concept dual et à tout théorème validé sur
une catégorie un théorème dual. C'est le principe de dualité.

5. Somme directe (ou coproduit) d'une famille d'objets.


Une somme directe d'une famille d'objets Ai, iel d'une catégorie  est un couple (A, μ.) où A
est un objet et μ. des morphismes μi.: Ai. A pour tout i, qui ont la propriété universelle:
398 L'ALGEBRE DES SIGNES

-pour chaque famille de morphismes f.: A. B, iel, il existe un morphisme unique


f: A  avec fi. = f.μi. pour tout iel (voir Figure 109).

Figure 109.

Une catégorie a des sommes directes si toute famille de ses objets a une somme directe. La som­
me directe est unique à un isomorphisme près.

6. Produit direct d'une famille d'objets: (notion duale de la précédente)


* Un produit direct d'une famille d'objets Α., iel, d'une catégorie  est un couple (A, π.) où
A est un objet de  et π. des morphismes πi.: A Ai pour tout i, qui ont la propriété universel­
le:
- pour chaque famille de morphismes fi.:  A i , il existe un morphisme unique f:  A
avec fi. =πit..fpour tout iel (voir Figure 110). Une catégorie a des produits si toute famille de ses
objets a un produit direct; le produit direct est unique à un isomorphisme près.

Figure 110.

7. Somme (ou colimite) d'un diagramme:


Soit  une catégorie et (Ι,α) une structure relationnelle de type 2. Considérons une famille d'ob­
jets Α., iel de  telle que pour tout couple (i,j)εα, il existe un morphisme .
.: Ai. Αj.:
On appelle somme du diagramme ( A , .
) un couple (A, .
) constitué par un objet A de
 et une famille de morphismes
i.: Ai. A vérifiant les conditions
i. (i,j) € α implique Φj.Φij.. = Φi. c'est-à-dire la commutativité du diagramme de la Figure 111
ANNEXES 399

Figure 111.

ii. pour tout couple (Β,δ.) formé d'un objet  et d'une famille de morphismes δi.: Ai.  tel
que (i,j)εa implique δ..Φj = δi. c'est-à-dire la commutativité du diagramme de la Figure 112, il

Figure 112.

existe un morphisme unique f: A  tel que l'on ait pour tout i, δi. = f.Φi..
Une catégorie est cocomplète si tout diagramme a une somme.
La somme directe est un cas particulier de la somme d'un diagramme: il suffit de prendre pour
α un ensemble vide de relations.

8. Produit (ou limite d'un diagramme):


Soit  une catégorie et (Ι,α) une structure relationnelle de type 2. Considérons une famille d'ob­
jets A , iεl de  telle que pour tout couple (ij) ε a, il existe un morphisme δij..: Aj. Αi..
On appelle produit du diagramme (A i , δik) un couple (A, π.) constitué par un objet A de 
et une famille de morphismes πi.: A Ai. vérifiant les conditions
i. (i,j) ε α implique δij...πj. = πi., c'est-à-dire la commutativité du diagramme de la Figure 113

Figure 113.
400 L'ALGEBRE DES SIGNES

ii. pour tout couple (Β, τ.) formé d'un objet  et d'une famille de morphismes τi.: Β Ai. tel
que (i,j) ε α implique δij...τj. = τi. c'est-à-dire la commutativité du diagramme de la Figure 114. Il

Figure 114.

existe un morphisme unique g:  A tel que l'on ait pour tout i, τi. = πi..g.
Une catégorie est complète si tout diagramme a un produit.
Le produit direct est un cas particulier du produit d'un diagramme. Il suffit de prendre pour α
un ensemble vide de relations.
La notion de produit d'un diagramme est la notion duale de la somme d'un diagramme.
Annexe E
Notions sur les foncteurs et transformations naturelles de foncteurs
Les foncteurs sont aux catégories ce que les morphismes d'une catégorie sont aux objets de cette
catégorie. Les foncteurs jouent donc le rôle de "morphismes de catégories", lesquelles devien­
nent alors des "objets". Les foncteurs deviennent de ce fait les instruments spécifiques pour
l'étude des interrelations entre catégories.

1. Définition: Un foncteur covariant F:  D d'une catégorie  dans une catégorie D est


une paire de fonctions (toutes deux désignées par la même lettre F) qui:
i. à chaque objet A de  fait correspondre un objet F(A) de D,
ii. à chaque morphisme f: A A' dans  fait correspondre un morphisme F(f): F(A)
F(A') dans D tel que:
- F(g.f) = F(g).F(f) pour g.f défini dans 
- F(idA) = idF(A) pour tout AεC.
Un foncteur contravariant se définit en remplaçant la condition F(f): F(A) F(A') par
F(f): F(A') F(A) et la condition F(g.f) = F(g).F(f) par F(g.f) = F(f).F(g).

2. Composition des foncteurs: Si F:  D est un foncteur de  dans D et G: D E un


foncteur de D dans E on définit de façon évidente le foncteur GF. Il est covariant si F et G ont
même variance, contravariant si F et G ont des variances opposées.

3. Catégories isomorphes: Un foncteur covariant F:  D est un isomorphisme de  sur D


s'il existe un foncteur G: D  tel que l'on ait GF = l c et FG = 1 D .
Avec la notion de transformation naturelle nous franchissons un nouveau pas dans l'abs­
traction: ce sont maintenant les foncteurs qui vont jouer le rôle d'objets d'une catégorie dont les
transformations naturelles seront les morphismes.

4. Définition: Soient F1  D et F2:  D deux foncteurs covariants (pour fixer les


idées) de  dans D.
Une transformation naturelle Θ: F1 F2 est une application qui fait correspondre à cha­
que objet A de  un morphisme

θA:F1(A)—F2(A)de D

de manière que la condition suivante soit remplie: pour chaque morphisme h: A A' dans
 nous avons
θA:F1(h)—F2(h)dans D

autrement dit le carré de la Figure 115 est commutatif


402 L ' A L G E B R E D E S SIGNES

Figure 115.

5. Composition des transformations naturelles. Soient F1 F2, F3 trois foncteurs de  dans D et


soient
μ: F1 F 2 et σ: F 2 F 3 des transformations naturelles.
Le composé de ces transformations est la transformation naturelle
σ.μ: F 1 F3
définie par (σ.μ) Α = σΑ.μΑ: Fj(A) F 3 (A) pour tout AeC.
Eft outre pour chaque foncteur F:  D on définit une transformation identique l p : F
—F par:

( 1 F)A = 1F(A): F ( A ) F
(A) P ° U r t O U t    ·
Remarque: Si  est une petite catégorie (c'est-à-dire une catégorie dont les objets forment un
ensemble) on peut définir la catégorie des foncteurs de  dans D dont les objets sont les fonc­
teurs et les morphismes les transformations naturelles.

6. Définition: Une transformation naturelle Q:Fl F 2 est un isomorphisme naturel s'il existe
une transformation naturelle inverse notée Θ"1:
F2. F1, avec θ-1.θ = 1F1 et θ.θ-1 = 1F2 .
Annexe F
Textes analysés
Texte n°l: (extrait de "Mythologies" de Roland Barthes, pp. 201-202)

Et voici maintenant un autre exemple: je suis chez le coiffeur, on me tend un numéro de Paris-
Match. Sur la couverture, un jeune nègre vêtu d'un uniforme français fait le salut militaire, les
yeux levés, fixés sans doute sur un pli du drapeau tricolore. Cela, c'est le sens de l'image. Mais,
naïf ou pas, je vois bien ce qu'elle me signifie: que la France est un grand Empire, que tous ses
fils, sans distinction de couleur, servent fidèlement sous son drapeau, et qu'il n'est de meilleure
réponse aux détracteurs d'un colonialisme prétendu, que le zèle de ce noir à servir ses prétendus
oppresseurs. Je me trouve donc, ici encore, devant un système sémiologique majoré: il y a un si­
gnifiant, formé lui-même, déjà, d'un système préalable (un soldat noir fait le salut militaire fran­
çais); il y a un signifié (c'est ici un mélange intentionnel de francité et de militanté); il y a enfin
une présence du signifié à travers le signifiant.

Texte n°2: "La nouvelle Citroën" de Roland Barthes (Mythologies: pp. 150-152).

1. Je crois que l'automobile est aujourd'hui l'équivalent assez exact des grandes cathédrales
gothiques: je veux dire une grande création d'époque, conçue passionnément par des artistes in­
connus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s'approprie
en elle un objet parfaitement magique.
2. La nouvelle Citroën tombe manifestement du ciel dans la mesure où elle se présente d'abord
comme un objet superlatif. Il ne faut pas oublier que l'objet est le meilleur messager de la sur­
nature: il y a facilement dans l'objet, à la fois une perfection et une absence d'origine, une clô­
ture et une brillance, une transformation de la vie en matière (la matière est bien plus magique
que la vie), et pour tout dire un silence qui appartient à l'ordre du merveilleux. La "Déesse" a
tous les caractères (du moins le public commence-t-il par les lui prêter unanimement) d'un de
ces objets descendus d'un autre univers, qui ont alimenté la néomanie du XVIIIème siècle et celle
de notre science-fiction: la Déesse est d'abord un nouveau Nautilus.
3. C'est pourquoi on s'intéresse moins en elle à la substance qu'à ses joints. On sait que le lisse
est toujours un attribut de la perfection parce que son contraire trahit une opération technique
et tout humaine d'ajustement: la tunique du Christ était sans couture, comme les aéronefs de la
science-fiction sont d'un métal sans relais. La D.S. 19 ne prétend pas au pur nappé, quoique sa
forme générale soit très enveloppée; pourtant ce sont les emboîtements de ses plans qui intéres­
sent le plus le public: on tâte furieusement la jonction des vitres, on passe la main dans les larges
rigoles de caoutchouc qui relient la fenêtre arrière à ses entours de nickel. Il y a dans la D.S.
l'amorce d'une nouvelle phénoménologie de l'ajustement, comme si l'on passait d'un monde
d'éléments soudés à un monde d'éléments juxtaposés et qui tiennent par la seule vertu de leur
forme merveilleuse, ce qui, bien entendu, est chargé d'introduire à l'idée d'une nature plus faci­
le.
4. Quant à la matière elle-même, il est sûr qu'elle soutient un goût de la légèreté, au sens magi­
que. Il y a retour à un certain aérodynamisme, nouveau pourtant dans la mesure où il est moins
404 L'ALGEBRE DES SIGNES

massif, moins tranchant, plus étale que celui des premiers temps de cette mode. La vitesse s'ex­
prime ici dans des signes moins agressifs, moins sportifs, comme si elle passait d'une forme hé­
roïque à une forme classique. Cette spiritualisation se lit dans l'importance, le soin et la matière
des surfaces vitrées. La Déesse est visiblement exaltation de la vitre, et la tôle n'y est qu'une
base. Ici, les vitres ne sont pas fenêtres, ouvertures percées dans la coque obscure, elles sont
grands pans d'air et de vide, ayant le bombage étalé et la brillance des bulles de savon, la min­
ceur dure d'une substance plus entomologique que minérale (l'insigne Citroën, l'insigne fléché,
est devenu d'ailleurs insigne ailé, comme si l'on passait maintenant d'un ordre de la propulsion
à un ordre du mouvement, d'un ordre du moteur à un ordre de l'organisme).
5. Il s'agit donc d'un art humanisé, et il se peut que la Déesse marque un changement dans la
mythologie automobile. Jusqu'à présent, la voiture superlative tenait plutôt du bestiaire de la
puissance; elle devient ici à la fois plus spirituelle et plus objective, et malgré certaines complai­
sances néomaniaques (comme le volant vide), la voici plus ménagère, mieux accordée à cette su­
blimation de l'ustensilité que l'on retrouve dans nos arts ménagers contemporains: le tableau de
bord ressemble davantage à l'établi d'une cuisine moderne qu'à la centrale d'une usine: les min­
ces volets de tôle mate, ondulée, les petits leviers à boule blanche, les voyants très simples, la
discrétion même de la nickelerie, tout cela signifie une sorte de contrôle exercé sur le mouve­
ment, conçu désormais comme confort plus que comme performance. On passe visiblement
d'une alchimie de la vitesse à une gourmandise de la conduite.
6. Il semble que le public ait admirablement deviné la nouveauté des thèmes qu'on lui propose:
d'abord sensible au néologisme (toute une campagne de presse le tenait en alerte depuis des an­
nées), il s'efforce très vite de réintégrer une conduite d'adaptation et d'ustensilité ("Faut s'y ha­
bituer"). Dans les halls d'exposition, la voiture témoin est visitée avec une application intense,
amoureuse: c'est la grand phase tactile de la découverte, le moment où le merveilleux visuel va
subir l'assaut raisonnant du toucher (car le toucher est le plus démystificateur de tous les sens,
au contraire de la vue, qui est le plus magique): les tôles, les joints sont touchés, les rembourra­
ges palpés, les sièges essayés, les portes caressées, les coussins pelotés; devant le volant, on
mime la conduite avec tout le corps. L'objet est ici totalement prostitué, approprié: partie du
ciel de Metropolis, la Déesse est en un quart d'heure médiatisée, accomplissant dans cet exor­
cisme, le mouvement même de la promotion petite-bourgeoise.

Texte n°3: Le texte ci-dessous est extrait d'une lettre de C S . Peirce à W. James datée du 14
Mars 1909. (8-314).

Par exemple, supposons que je me réveille le matin avant ma femme, et qu'ensuite elle se réveil­
le et demande: "Quelle sorte de journée est-ce?". Ceci est un signe, dont l'Objet, comme expri­
mé, est le temps à ce moment, mais dont l'Objet Dynamique est l'impression que j'ai probable­
ment éprouvée en jetant un coup d'oeil entre les rideaux de la fenêtre. Dont l'Interprétant, com­
me exprimé est la qualité du temps, mais dont l'Interprétant Dynamique est ma réponse à sa
question. Mais au delà de cela, il y a un troisième Interprétant. L'Interprétant Immédiat est ce
que la question exprime, tout ce qu'elle exprime immédiatement, que j'ai imparfaitement rendu
ci-dessus. L'Interprétant Dynamique est l'effet réel qu'elle a sur moi, son interprète. Mais sa si­
gnification, l'Interprétant Ultime ou Final est son but en posant la question, quel effet ses répon­
ses auront sur ses plans pour la suite de la journée. Je réplique, supposons: "C'est une journée
orageuse". Là, un autre signe. Son objet immédiat est la notion du temps présent pour autant
que ceci est commun à son esprit et au mien — non pas le caractère du temps mais son identité.
L'Objet Dynamique est l'identité des conditions météorologiques actuelles ou réelles du mo­
ment.
ANNEXES 405

L'Interprétant Immédiat est le schéma dans son imagination, c'est-à-dire l'image vague de
ce qu'ont en commun les différentes images d'un jour orageux. L'interprétant Dynamique est le
désappointement ou l'effet actuel quel qu'il soit qu'il a eu de suite sur elle. L'interprétant Final
est la somme des leçons de la réponse, Morale, Scientifique, etc..
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