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prostituées chinoises à Paris (lire notre reportage à contre le VIH/sida) sont également intervenues pour
Belleville). Selon lui, ces femmes sans papiers, donc demander une censure des dispositions de la loi d’avril
plus vulnérables, ont été « contraintes de déplacer 2016 pénalisant les clients.
leur activité dans des lieux confidentiels, et sont donc Réalité du consentement
encore plus exposées à des violences ».
De l’autre côté, le gouvernement ainsi que les
Pour ces associations, qui effectuent des maraudes, associations « abolitionnistes », qui souhaitent
la loi est également un obstacle à leur travail de interdire la prostitution, ont défendu la pénalisation
prévention des risques. « S’ils [les travailleurs du des clients en estimant qu’il ne revenait pas au Conseil
sexe – ndlr] s’isolent, s’ils se cachent, comment les constitutionnel d’invalider un choix de société effectué
associations peuvent les accompagner, et même leur par le législateur.
proposer un parcours de sortie de prostitution ?
D'autant que tout bilan est illusoire, selon ces
», a demandé Me Amandine Le Roy, au nom de associations, en raison des retards d'application de la
l’association nantaise Paloma.
loi. Me Vanina Meplain, des Équipes d’action contre
Et elle n’aurait pas atteint son objectif premier, à savoir le proxénétisme (EACP), juge ainsi « particulièrement
lutter contre les réseaux de proxénétisme et de traite malhonnête de venir mettre sur le dos d’une loi
des êtres humains. « Cette loi ne va pas protéger la réalité de ce que vivent les prostituées depuis
cette jeune femme nigériane victime de traite ni celle toujours ». « Si les prix baissent, c’est à cause de la
victime de violence et de viol, elle va les fragiliser », a concurrence des réseaux de traite, et la prostitution
dénoncé l'avocate de l’association des Amis du Bus sur Internet n’a pas attendu la loi de 2016 », a-t-elle
des femmes qui, depuis les années 1990, sillonne la argué.
région parisienne en distribuant café et préservatifs.
Sur le fond, « il n’y a là aucune incohérence : protéger
Sur le principe, Me Patrice Spinosi, l’avocat des les victimes, responsabiliser les clients », a défendu
requérants et de l’Inter LGBT, a dénoncé « un Me Cédric Uzan-Sarano, avocat de l’Amicale du Nid,
coup de force moral fait au mépris de l’avis de une association abolitionniste qui emploie environ
personnes prostituées […] assimilées à des majeurs 200 salariés, pour la plupart travailleurs sociaux.
incapables d’exprimer leur consentement ». « Le «Ça envoie un message normatif très fort : nous
législateur méprise mes clients : qui êtes-vous pour ne voulons pas d’une société où on peut louer ou
m’interdire de disposer de mon corps le cas échéant acheter le corps d’autres », ajoute-t-il. Reconnaître la
en le monnayant ? », a-t-il demandé. Pour l’avocat, liberté d’entreprendre des prostituées comme un droit
en s’arrêtant « au milieu du gué », le législateur a de constitutionnel reviendrait selon lui à ouvrir la boîte
plus créé un « paradoxe juridique : les dispositions de Pandore : « Si la prostitution est un travail, on
interdisent tout recours à une activité qui est pourtant pourra demain salarier des prostitués, et [considérer
reconnue par la loi de notre pays ». les proxénètes – ndlr] comme des chefs d’entreprise.
« Les travailleurs du sexe détestent cette loi car elle » Il brocarde les requérants, qui sont « très actifs
les humilie, elle les nie dans leur libre arbitre, la mais qui ne représentent qu’une infirme minorité des
disposition de leur corps et leur capacité à faire prostitués […] adeptes de la prostitution choisie ».
des choix », a déclaré un avocat qui défend vingt- Les abolitionnistes rappellent que la France a signé la
quatre TDS, dénonçant « une loi criminelle, car Convention pour la répression de la traite des êtres
idéologique qui ne tient pas compte de la réalité ». humains des Nations unies, en date du 2 décembre
Plusieurs associations comme le Planning familial, 1949, selon laquelle «la prostitution et le mal qui
SOS Homophobie, Act Up et Arcat santé (qui lutte
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l’accompagne, à savoir la traite des êtres humains Les associations féministes sont elles-mêmes très
en vue de la prostitution, sont incompatibles avec la divisées. Alors que Safya Akorri, l'avocate du
dignité et la valeur de la personne humaine». Planning familial, a estimé que la loi remettait
« User d’une contrainte financière pour imposer un en cause « le droit à l’autonomie personnelle et
rapport sexuel n’est pas un droit », a déclaré l'avocat à la liberté sexuelle » des femmes prostituées en
de la Coalition pour l’abolition de la prostitution, citant Simone Weil et Simone de Beauvoir, l’avocate
qui regroupe 28 associations abolitionnistes dans le représentant l'Association européenne contre les
monde, dont le Mouvement du Nid en France. « Dans violences faites aux femmes au travail (AVFT) et
certains pays, des personnes vendent leurs organes, le Collectif féministe contre le viol (CFCV) a,
consentent à se séparer d’un rein pour subvenir aux quant à elle, cité le cas des victimes de violences
besoins de leur famille, qui pourrait se prévaloir que sexuelles dans leur jeunesse « qui disent reprendre
ces personnes consentent ? », a poursuivi l’avocat. du pouvoir en faisant payer les hommes ». « Les
Usant de force qualificatifs moraux dans un plaidoyer prostituées qui ont pu sortir de la prostitution vous
enflammé, l’avocate du Mouvement du Nid a elle expliquent très bien que c’est là la seule solution pour
dénoncé un « dévoiement des concepts de liberté et supporter l’insupportable, a-t-elle argué. L’argument
de dignité ».« D’ailleurs, qui renonce à ses droits du consentement n’a d’autre but que de nier le rapport
fondamentaux ?, demande-t-elle. Les plus pauvres, de force et d’inégalité. »
c’est bizarre ! » Au-delà d’un débat réel sur les conséquences de la
Les partisans de la pénalisation mettent en doute la loi pour les personnes prostituées, ce sont donc deux
réalité du libre choix des personnes prostituées, même conceptions qui s’affrontent sur la question du libre
en dehors de tout réseau de proxénétisme ou de traite. arbitre et de la dignité de la personne. Me Cédric
Me Philippe Blanc, chargé de mission représentant le Uzan-Sarano voit dans la position des requérants «
premier ministre Édouard Philippe, a estimé que « une conception de la liberté individuelle qui est ultra
la majorité des personnes prostituées sont soumises individualisante et contractualiste » et une « négation
à une contrainte physique ou morale » et que leur pure et simple de la notion même d’ordre public ». Prié
consentement « ne peut donc être regardé comme par les requérants de s’en tenir au droit « sans affect »,
véritable ». le Conseil constitutionnel se prononcera le 1er février
au matin.
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