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La gouvernance financière publique au Maroc,

du contrôle des finances publiques


à l’évaluation des politiques publiques

M. Mohammed MESMOUDI

1
En démocratie, les pouvoirs publics sont au service du citoyen et veillent à la réalisation du
bien-être social. Le gouvernement définit sa politique et la met en œuvre sous le contrôle
des mandataires de la représentation populaire ou nationale.

Nous sommes en droit de nous interroger, citoyens du 21ème siècle, est-ce que les vertus
que reconnaissait Montesquieu à la séparation des pouvoirs ont surmonté les évolutions et
les complexifications connues des sociétés depuis le 18ème siècle et suffisent-elles toujours
à rassurer le citoyen quant à la préservation de ses intérêts et quant à la pertinence et à
l’utilité des politiques publiques ?

Il est vrai que les systèmes constitutionnels sont divers et que les applications qu’ils
donnent au principe de séparation des pouvoirs prennent des formes très variées1 qui
intègrent les spécificités historiques et culturelles caractérisant les différentes sociétés et
leurs régimes politiques. Mais nous ne voulons retenir ici que les vertus générales du
principe que sont l’équilibre, la collaboration et l’interdépendance des autorités supérieures
de l’Etat et d’après lesquelles « serait réalisé au niveau de l’action parlementaire et
gouvernementale, un système de freins et de contrepoids qui est le propre du
constitutionnalisme libéral »2.

La constitution marocaine dote le parlement des outils de contrôle que l’on retrouve dans
les lois fondamentales des pays les plus démocratiques, et qui vont des questions orales
jusqu’aux commissions d’enquête. Mais l’action gouvernementale n’est jamais évaluée a
posteriori par rapport à son efficacité, à sa pertinence et à son utilité. A ce titre, la nouvelle
attribution introduite par l’article 70 de la constitution de 2011 en faveur du Parlement qui
désormais « évalue les politiques publiques », représente le franchissement d’une étape
importante sur le chemin de la construction démocratique.

Cependant, quels que puissent être leurs pouvoirs, force est de constater que, dans des
domaines tels que celui des finances publiques qui se caractérisent par un degré de
technicité élevé, les parlements, même ceux des pays aux traditions démocratiques
anciennes, sont condamnés d’avance à ne jouer qu’un rôle forcément limité3.

1 « Pour la Banque mondiale, la gouvernance recouvre les normes, traditions et institutions à travers lesquelles un pays
exerce son autorité sur le bien commun, dans une optique de développement. Le niveau de capital social d’un pays
peut aider à la réussite des plans de développement économique comme au développement de la démocratie. La
bonne gouvernance recouvre aussi bien la capacité du gouvernement à gérer efficacement ses ressources, à mettre en
œuvre des politiques pertinentes, que le respect des citoyens et de l’État pour les institutions, ainsi que l’existence
d’un contrôle démocratique sur les agents chargés de l’autorité » in : http://fr.wikipedia.org/wiki/Gouvernance.
2
MENOUNI Abdelatif : « constitution et séparation des pouvoirs » in trente années de vie constitutionnelle au Maroc,
L-G-D-J, 1993, p. 176.
3
En traitant des questions posées par les parlementaires français aux ministres et dans lesquelles ils les interrogent sur
le sens qu’il faut donner aux dispositions juridiques pour que cette interprétation administrative tienne lieu par la suite
de « consultation juridique », ORSONI note « le paradoxe de la situation du parlementaire en théorie auteur de la loi
amené à interroger l’administration sur la signification de celle-ci (ce qui démontre mieux que beaucoup d’analyses
l’identité des véritables auteurs inspirateurs du texte). Le parlementaire, en l’espèce, et en cela il s’agit bien de
doctrine administrative et d’information du contribuable ne joue qu’un rôle de boite à lettres (et de préposé) »
ORSONI Gilbert : « La doctrine et l’information du contribuable » in revue Française de finances publiques, n° 57,
1997, p. 57.

2
Il devient désormais impératif de mettre à la disposition des autorités qui assurent la
représentation des citoyens, des moyens de contrôle et de suivi de l’action du
gouvernement suffisamment élaborés pour que soient préservées les vertus présumées de
la séparation des pouvoirs.

Par ailleurs, l’administration qui est en principe un outil aux mains de l’exécutif, s’érige elle-
même en un pouvoir autonome qui finit par constituer un écran qui nuit à la transparence
de l’action politique4.

Au bout du compte, le citoyen est loin de pouvoir se faire une idée précise sur la conformité
des actions de l’exécutif avec le projet de société qui est censé fédérer et mobiliser les
efforts de tous.

Il faut donc que l’administration devienne transparente et qu’elle rende compte de ses
actions pour solliciter l’adhésion des citoyens. Ce n’est qu’à ce prix que la représentation
politique qui s’égare à l’amont dans les dédales administratifs pourra être rétablie à l’aval,
par le biais de l’évaluation des réalisations.

Les différents contrôles, qu’ils soient exercés par les organes d’inspection5 (IGF, corps
d’inspection internes), par la hiérarchie, par les institutions judiciaires (cour des comptes,
juge administratif…) ou encore par les organes qui interviennent dans l’exécution
budgétaire (comptables publics) sont tous, principalement axés sur la régularité juridique et
ne permettent pas de juger de l’efficacité et de la pertinence de l’action publique : « même
dans l’hypothèse du contrôle parfait de la légalité des actes de l’administration et de la
conformité et de la régularité de ses comptes, il reste que ses programmes, ses projets et
ses réalisations peuvent échapper à l’évaluation de leur utilité même, de leur opportunité,
de leur rendement et de leur impact réel »6.

Or, avec la complexité grandissante du monde moderne, avec la rareté des ressources,
avec la multitude des défis présents et futurs… il ne nous est plus permis de faire fausse
route et d’y persister ; il faut désormais que l’on se donne les moyens de contrôler si nos
politiques répondent effectivement à nos besoins sociaux (la pertinence) ; il faut
absolument que l’on vérifie si l’administration atteint les objectifs fixés (efficacité) ; il faut
ajuster les coûts des actions administratives aux résultats atteints (efficience) ; il faut enfin
trouver les voies permettant de réaliser les objectifs aux moindres coûts (économie).

Sous réserve des attributions d’audit que les lois et règlements confient aux juridictions
financières et aux corps d’inspection, Il est évident que ces dimensions sont loin de
constituer des éléments fondamentaux de nos systèmes de contrôle. Une nouvelle
approche est en train de s’affirmer dans les pays démocratiques et qui consiste à évaluer
les politiques publiques par rapport à des normes et à des critères qui permettent de
4
« Le pouvoir administratif est le prolongement du pouvoir politique… Mais cela ne signifie pas qu’en assurant la
participation du citoyen à l’exercice du pouvoir politique on lui assure du même coup la possibilité de participer à
l’exercice du pouvoir administratif. En effet, dans tous les pays, le pouvoir administratif parvient à acquérir une
autonomie qui tend à le couper de la société » ROUSSET Michel : « pouvoir administratif et participation » in
représentation, médiation, participation dans le système politique Marocain, Mélange Abderrahmane KADIRI,
publications de la faculté de droit, Rabat Agdal, université Mohamed V, 1997, p : 123.
5 Nous devons préciser que les missions d’inspection et surtout d’audit réalisées par l’IGF, ainsi que le contrôle de la
gestion exercé par la cour des comptes, ont une portée qui excède la régularité et qui touche à la pertinence et à
l’utilité.
6 BERDOUZI Mohamed : Destinées démocratiques, publication : Renouveau, 2000, p : 169.

3
couvrir les aspects susmentionnés. « Elle consiste à apprécier ex-post les effets réels d’une
politique publique… produit d’une exigence démocratique, cette approche tend à
promouvoir, sur une base plus large, le débat et le dialogue social autour de la chose
publique »7.

Mais encore faut-il que l’évaluation des politiques publiques soit confiée à des organes qui
jouissent de l’indépendance vis-à-vis du pouvoir exécutif. Dans les pays où elle est mise en
œuvre, elle est « de plus en plus confiée à des organismes experts indépendants,
mandatés par d’autres instances que l’administration à évaluer, à savoir les instances élues
et la justice, notamment »8.

La gouvernance publique marocaine, en ce début de siècle, connaît une mutation profonde


mais sereine, englobant des aspects multiples (réforme constitutionnelle, évolution de la
réglementation financière publique, modernisation de l’administration et des systèmes
d’information…) ;

L’intitulé de cet article est délibérément exprimé de sorte à suggérer d’emblée que
l’ambition consiste à appréhender l’évolution de la gouvernance financière publique au
Maroc et à en « démasquer » ladite sérénité. L’analyse proposée prend son élan en
s’appuyant sur quatre postulats :

1. la gouvernance financière publique évolue dans le cadre des limites tracées et des
possibilités définies par le système politique.
2. les finances publiques se trouvent au cœur de la gouvernance publique et son étude
permet d’appréhender la diversité des éléments de cette dernière en les ramifiant
autour de la cohérence d’un axe central ;
3. un deuxième axe/postulat est introduit afin d’attribuer à la recherche davantage
d’harmonie : c’est le citoyen qui est au centre des préoccupations ; l’analyse de la
bonne gouvernance est menée à l’aune de ses aspirations à la transparence, à la
fidélité et à la précision de l’information qui rend compte des conditions de
réalisation et des impacts des politiques publiques ;
4. l’évolution, du contrôle des finances publiques vers un modèle moderne, symbolisé
dans le cadre du présent article par « l’évaluation des politiques publiques »,
constitue un fait réel et concret ; son analyse est guidée par l’espoir de participer à
constater cette réalité d’abord, à en enregistrer la tendance ensuite, pour pouvoir
enfin éclairer les possibilités et les exigences des consolidations futures nécessaires à
l’accomplissement du système de gouvernance.

Délimité sur cette base à quatre piliers, le plan proposé est le suivant :

• la gouvernance financière publique marocaine, un système en gestation.


(l’échographie d’une matrice en gestation,).
• Les attentes et les perspectives d’évolution du système de gouvernance publique au
Maroc (Les traits du nouveau né désiré).

7
HARAKAT Mohamed : Finances publiques et droit budgétaire au Maroc, Imp. El MAARIF AL JADIDA, 2002, p. 194.
8
BERDOUZI Mohamed, op. cit, p: 170.

4
I- LA GOUVERNANCE FINANCIERE PUBLIQUE MAROCAINE, UN SYSTEME EN
GESTATION (l’échographie)

La première décennie du 21ème siècle a été riche en réformes. Plusieurs textes régissant la
matière financière publique ont été rénovés assez fondamentalement, ouvrant ainsi la voie
à une modernisation évolutive de la gouvernance.

1.1 L’entrée en vigueur de la Loi 62-99 relative aux juridictions financières

Le contrôle juridictionnel des finances publiques a été constitutionnalisé en 1996. Son


assise juridique a connu ainsi une consolidation qui présageait de perspectives de
renforcement importantes à l’avenir. La Loi 62-99 n’a pas démenti cet augure puisque les
juridictions financières se sont vues promues à plusieurs titres : leur autonomie ; leur
renforcement structurel, leur démembrement régional ; leurs procédures ; leurs moyens …
mais surtout, les juridictions financières ont été dotées d’attributions nouvelles, celles
relatives au contrôle de la gestion, lesquelles, pour la première fois au Maroc, permettaient
à un organe autonome de contrôle des finances publiques d’excéder le cadre de la
régularité et d’explorer l’étendue indéfinie et non délimitée de la pertinence des choix
publics, de l’efficacité et de la performance.

Les juridictions financières ainsi renforcées constituent désormais une composante


fondamentale de la gouvernance publique. Leur propre évolution est déterminante de celle
de l’ensemble de la machine financière publique. Il est indispensable que cette institution
constitutionnelle se donne les moyens et la volonté d’affirmer ses attributions et de jouer
son rôle primordial de modernisation de la gestion publique.

« La cour des comptes assiste le parlement dans les domaines de contrôle des finances
publiques…. » (Article 148 de la constitution de 2011). «Le parlement exerce le pouvoir
législatif. Il vote les lois, contrôle l’action du gouvernement et évalue les politiques
publiques… » (Article 70 de la constitution de 2011). Cette dimension constitutionnelle de la
mission de la cour, l’assistance du parlement dans l’exercice de l’essence même de son
rôle, notamment en matière d’évaluation des politiques publiques, ouvre pour l’institution
supérieure de contrôle des finances publiques une ère nouvelle de son existence.

Cependant, bien que la cour bénéficie d’une autonomie constitutionnellement proclamée et


d’attributions désormais rénovées, renforcées et extrêmement élargies, son action ne peut
être évaluée à l’aune exclusive d’une idée ontologique de son existence et de ses pouvoirs.
Bien au contraire, Cette institution qu’on veut supérieure dans les textes qui l’instituent a
besoin d’appuis fondamentaux, solidement ancrés dans la réalité politique et institutionnelle
du pays, pour qu’elle puisse accéder dans la vraie vie à la hauteur textuelle de ses actes de
naissance.

En effet, pour assister le parlement, la cour a besoin d’être sollicitée. Cette affirmation qui
semble frôler la banalité résume cependant toute la complexité relative à l’expression de la
volonté parlementaire en matière financière. Nuançons quelque peu notre affirmation pour
la rendre moins banale : la valeur de la production de la cour ne peut être qu’à la mesure
de la valeur du parlement sollicitant. Pour rendre compte de la conduite et des résultats
des politiques publiques, la cour a besoin d’y être invitée par un parlement fort, exprimant

5
une volonté fortement déterminante des politiques publiques à évaluer. La cour qui
s’appuierait sur un terrain politique solide dans ses valeurs et dynamique par ses
mécanismes trouverait les moyens, ou exigerait la mise à sa disposition des outils lui
permettant de rendre compte de l’exécution de la volonté du législateur.

La reddition des comptes représente l’une des stipulations constitutionnelles majeures de la


réforme de juillet 2011. L’article 154 inaugurant le chapitre XII traitant de la bonne
gouvernance introduit en effet une terminologie constitutionnelle nouvelle en adoptant les
concepts usités depuis longtemps dans les sphères revendicatives et/ou celles relatives aux
réformes administratives: « couverture équitable du territoire », « normes de qualité »,
« transparence », « normes de reddition des comptes et de responsabilité ».

Nous nous intéressons ici au concept de reddition des comptes dans sa forme la plus
essentielle, c'est-à-dire celle qui se pose la question de savoir quelle a été la volonté du
législateur, acteur constitutionnel détenteur du pouvoir de vote de la Loi de Finances, elle-
même expression des politiques publiques. Un contrôle ex-post des politiques engagées qui
chercherait à se conformer aux règles et principes constitutionnels de l’article 154 précité
devrait nécessairement rendre compte de la volonté qui aurait été exprimée par le
législateur selon des formulations précises, et visant des objectifs quantifiables,
mesurables, vérifiables et évaluables.

Une condition fondamentale hypothèque l’applicabilité des dispositions de l’article 154 : les
politiques publiques doivent émaner de la volonté d’un parlement représentatif des forces
politiques du pays. Sous cette condition, un gouvernement émanant de la même
représentation et qui détermine une politique gouvernementale, engage sa propre
responsabilité ainsi que celle des forces politiques dont il est issu. La reddition des comptes
atteindrait alors la sphère politique et ce sont les formations politiques qui donneraient
l’exemple de cette pratique démocratique.

La détermination des politiques publiques requiert donc que les institutions démocratiques
jouissent de la force légale et réelle leur permettant d’exprimer leur volonté pleinement et
fortement. Les coalitions gouvernementales larges ne sont pas faites pour servir cette
requête. En amont de cette affirmation, c’est une idée fondamentale qu’il faut souligner :
c’est tout le paysage partisan qui hypothèque le degré d’autonomie de la cour des comptes,
qui détermine la qualité de ses analyses et de ses productions, qui rehausse l’efficacité et la
pertinence de ses actions… « L’éparpillement » partisan engendre la dilution de la volonté
du législateur et la perte de vigueur lors de la mise en œuvre des dispositions
constitutionnelles objet des articles 70 et 148 précités.

Par ailleurs, cette première condition doit nécessairement être corrélée par une deuxième :
le législateur doit bénéficier de la visibilité suffisante quant à la conduite des politiques par
lui exprimées ; la complexité des structures administratives et de leurs activités ne doit pas
constituer un mobile ou un prétexte permettant au gouvernement de s’émanciper de la
volonté du législateur au moment de la conduite des politiques votées.

L’évolution de la gouvernance publique ne pourra pas se faire sans l’alimentation


continuelle de la synergie fondamentale alimentée par les influences de l’ensemble des
composantes du système. La modernisation de la gestion budgétaire en est une.

6
1.2 La mise en œuvre progressive de la gestion budgétaire axée sur les résultats

La gestion budgétaire a entamé une mutation importante depuis l’entrée en vigueur du


décret n° 2-01-2676 du 31/12/2001 modifiant et complétant le décret n° 2-98-401 du
26/04/1999 relatif à l’élaboration et à l’exécution de la Loi de Finances. La dimension
territoriale a été ainsi affirmée en matière de gestion des crédits budgétaires, s’appuyant
par ailleurs sur une innovation modernisante, la contractualisation.

La contractualisation des relations entre les administrations centrales et leurs


représentations territoriales vise à consacrer une répartition des missions et des
responsabilités afin d’asseoir et d’adopter définitivement des modes de management de la
dépense fondés sur la logique du résultat et non plus sur celle des moyens. Elle vise
également à doter le système de gestion d’outils d’évaluation des politiques publiques.
Les principaux objectifs de la contractualisation sont :

• la redistribution des responsabilités vers les échelons déconcentrés de


l’administration ;
• le renforcement de la cohérence et la coordination de l’action de l’administration
centrale et déconcentrée ;
• la mise en place d’un système de contrôle de gestion permettant d’évaluer de
manière plus efficace et efficiente la réalisation des objectifs.

Les modalités de la gestion contractuelle peuvent être globalement résumées en trois


phases de mise en œuvre :

• Discussion et finalisation du budget programme et des plans d’actions en


concertation entre l’administration centrale et ses services déconcentrés;
• Élaboration du budget du ministère par consolidation des budgets programmes des
différents services déconcentrés sur la base d’indicateurs de performance;
• Évaluation et suivi des réalisations à travers notamment l’établissement pour les
services déconcentrés de rapports périodiques d’activité et de tableaux de bord sur
la base d’indicateurs d’efficacité et de performances.

1.3 La réforme du système de contrôle des dépenses publiques

Après la fusion de l’ex CED et de la TGR, et avec l’entrée en vigueur ensuite du décret n° 2-
07-1235 du 04 novembre 2008, le système de contrôle des dépenses de l’Etat a connu une
réforme de fond qui a permis de dépasser les faiblesses de l’ancien système représentées
par la redondance des contrôles et leur fragmentation d’une part et par leur orientation
vers la régularité aux dépens de l’efficacité, de l’efficience et de la performance, d’autre
part.

L’efficience du système de contrôle actuel a été atteinte à travers trois aspects


d’intégration : l’intégration des champs d’application du contrôle (régularité/validité),
l’intégration des corps de contrôle (TGR/CED), et l’intégration des actes des populations
contrôlées (natures et seuils de dépenses).

7
La refonte du système de contrôle a été guidée par Les choix directeurs suivants :

• l’assouplissement des contrôles a priori ;


• l’automatisation des contrôles ;
• le renforcement de la responsabilité des gestionnaires et des contrôleurs.

La réforme repose sur deux piliers fondamentaux :

• l’augmentation de la capacité de gestion des acheteurs publics :


o engager les services ordonnateurs dans un processus novateur de
renforcement de leur capacité de gestion budgétaire et financière ;
o mettre en place les dispositifs de contrôle et d’audit internes au niveau des
services ordonnateurs.

• L’allègement des contrôles a priori :


o Alléger les contrôles et les implanter là où ils sont les plus légitimes et les plus
efficaces, c’est-à-dire au cœur de la gestion des services ordonnateurs ;
o Optimiser et hiérarchiser les contrôles en fonction de la maturité des services
ordonnateurs, des risques et des enjeux budgétaires et financiers de la
dépense ;
o Bénéficier des apports des systèmes d’information pour alléger les contrôles
automatisables.

Dans le cadre de la présente approche, il y’a lieu de surligner une vertu fondamentale de la
réforme du système du contrôle des dépenses publiques qui est la maturation de la
gestion. Il s’agit désormais pour l’administration marocaine de promouvoir et de
s’approprier une culture managériale moderne. Le nouveau système de contrôle constitue à
ce titre une modernisation forcée de l’administration centrale et déconcentrée du fait qu’il
leur impose l’adoption du contrôle interne et du contrôle de gestion, outils nécessaires à la
bonne gouvernance.

1.4 La modernisation de la gestion de la commande publique

Les procédures de la commande publique constituent le domaine par excellence de


moralisation de la vie publique. La réglementation les régissant a été réformée en 2007
avec l’entrée en vigueur du décret n° 2-06-388 fixant les conditions et les formes de
passation des marchés de l’Etat.

Ce texte rénové a permis essentiellement de renforcer les mécanismes garantissant le droit


à la libre concurrence. L’évolution de la législation régissant les marchés publics, sous
l’impulsion concertée du gouvernement et des représentations professionnelles (CGEM,
FNBTP …), et profitant du climat d’ouverture et des revendications de transparence,
continue à évoluer, et il est fort probable qu’un texte législatif voit le jour en 2013 pour
apporter un renforcement supplémentaire en matière de transparence, d’intégrité et de
moralisation.

8
Par ailleurs, le gouvernement marocain a engagé depuis 2007 un grand chantier de
dématérialisation de la commande publique, concrétisé depuis cette date par l’exigence de
la publication des avis d’appel d’offres sur le portail marocain des marchés publics. Les
étapes futures du projet concernent la base de données des marchés publics, la soumission
électronique, la base de données des fournisseurs, les achats groupés électroniques et les
enchères électroniques inversées.

1.5 La gestion intégrée des Finances Publiques

L’année 2010 a connu le lancement de la mise en œuvre d’un système de gestion intégrée
de la dépense (GID) qui, pour la première fois, permet aux sous ordonnateurs et aux
comptables de traiter les actes de dépense sur un système unifié et performant et permet
aux pouvoirs publics de disposer de l’information financière relative à la dépense en temps
réel.

La bonne gouvernance de la dépense sera forcément favorisée par le système GID qui
constitue un levier de modernisation de l’Administration et de rationalisation de la gestion
publique.

La Trésorerie Générale du Royaume conduit par ailleurs un chantier de grande envergure


relatif à la gestion intégrée de la recette (GIR), dont l’impact attendu en matière de
modernisation du management de l’assiette et du recouvrement revêt une importance
majeure : appréhender la contribution publique avec le maximum d’efficacité.

La dématérialisation, favorisée par les NTIC, constitue une garantie indéniable de la


transparence. Elle participe du même coup au renforcement de la démocratie et des
moyens de contrôle des politiques publiques.

La gouvernance financière publique connaît donc une évolution réelle qui touche l’ensemble
de l’arsenal juridique ainsi que les systèmes d’information qui, par leur modernité avancée,
font accéder les Finances Publiques à des niveaux élevés en matière de pertinence, de
transparence et de précision de l’information financière.

Cependant, un texte essentiel demeure attendu, la Loi Organique des Lois de Finances.
Datant de 1998, ce cadre législatif essentiel est aujourd’hui dépassé et s’inscrit en
anachronisme par rapport aux aspirations d’évolution incarnées par les mutations de la
décennie 2000/2010, telles que sondées plus haut.

S’agissant d’une Loi organique, l’envergure de sa réforme sera certainement déterminée


par celle de la réforme constitutionnelle de 2011.

9
1 LES ATTENTES ET LES PERSPECTIVES D’EVOLUTION DU SYSTEME DE
GOUVERNANCE AU MAROC (Les traits du nouveau né désiré)

La revue des réformes relatives à la gouvernance financière ne suffit pas à indiquer les
perspectives et le rythme de progression du système de gouvernance publique au Maroc.
Les déterminants de celle-ci étant essentiellement politiques et sociaux, ce sont eux qui
stimulent le développement de la gouvernance financière ou qui la freinent. La paire de
lunettes proposée en vue de scruter l’horizon temporel de la gouvernance financière
publique nous est offerte par deux caractéristiques actuelles du système politique
marocain :

• Les possibilités d’évolution démocratique ouvertes par le discours Royal du 09 mars


2011 et par la réforme constitutionnelle de 2011;
• Les vertus de l’INDH que sont la socialisation politique et la pédagogie managériale
financière.

2.1 La construction démocratique

La gouvernance publique marocaine est sujette à questionnement depuis que la stabilité


politique et la démocratie ont atteint, en milieu des années 1990, un niveau qui permettait
d’intégrer dans le débat autour de l’axe central représenté par ces dernières, des aspects
connexes tels que la modernisation de l’administration, la moralisation de la vie publique, la
transparence, l’évaluation, la rédition des comptes…

Cependant, l’analyse du système de gouvernance ne peut se faire que si elle s’atèle d’abord
au tronc avant de se préoccuper des branchages. Le débat concernant la gouvernance c’est
d’abord un débat au sujet de la démocratie « nous n’avons pas d’autre alternative que
d’aller vers une démocratie complète, et ce d’autant plus qu’un rapide tour d’horizon de par
le monde indique clairement que ce n’est pas incompatible avec une croissance forte et
socialement juste, et que la théorie économique suggère qu’un changement, dans le sens
d’une transition démocratique véritable serait souhaitable car le cumul des inconvénients
économiques générés par la structure politique actuelle favorise précisément l’émergence
de gouvernements économiquement inefficaces, et favorise les phénomènes de capture
règlementaire et le manque d’adaptabilité aux changements »9.

La réforme constitutionnelle de 2011 constitue à ce titre une revivification du système de


gouvernance publique. Cette rénovation intervient cependant dans un contexte marqué par
l’amenuisement de la souveraineté et de la centralité étatiques de par le monde. Sous
l’effet de la mondialisation, les Etats ont de moins en moins d’emprise sur les déterminants
de leurs agrégats économiques et sociaux. En interne, les Etats constatent que l’intérêt
général est de plus en plus défini par la dimension territoriale locale. La démocratie
participative est apparue, avec le développement de la société civile et des réseaux sociaux
réels et virtuels, en supplétif à une démocratie représentative à bout de souffle, et qui ne
suffit plus à incarner la garantie de l’intérêt général et de la cohésion sociale.

9
Cercle d’analyse économique de la fondation Abderrahim BOUABID : le Maroc a-t-il une stratégie de développement
économique ? Rapport, juin 2010, p. 59.

10
L’Etat volontariste et central est appelé à travers le monde à muter en promoteur de la
participation citoyenne afin de compenser les pertes d’emprise découlant de la
mondialisation, par la grâce des optimisations encore possibles à des échelles territoriales
réduites, à travers une nouvelle vision de l’aménagement de l’espace, privilégiant la
promotion des potentialités locales de développement. En corollaires, les regroupements
régionaux internationaux constituent des freins au surdimensionnement des échanges
globalisés et permettent aux Etats « confédérés » de préserver ou de recouvrer leurs
possibilités de manœuvre contre la globalisation des flux.

L’une des stratégies marocaines de développement semble prendre en compte la dimension


territoriale locale de manière distinguée, privilégiant l’Humain, dans le cadre de l’INDH.

2.2 L’Initiative Nationale de Développement Humain, socialisation politique et pédagogie


managériale

L’INDH, concrétisée du point de vue budgétaire par la création d’un compte d’affectation
spéciale en 2005, incarne une dimension beaucoup plus ample que celle de sa forme
juridique, et prouve depuis son lancement que la gouvernance financière publique, adaptée
aux contraintes externes et internes évoquées plus haut, permet encore à l’Etat d’agir sur
les conditions du développement politique, économique et social.

Aujourd’hui, à peine sept ans après sa mise en œuvre sur la base de la mobilisation d’une
enveloppe budgétaire de plus de dix milliards de DH, de multiples critères d’appréciation
s’affirment d’ores et déjà en tant que facettes innombrables à travers lesquelles doivent
être sondées et révélées les multiples incidences politiques, économiques, sociales,
juridiques … de l’INDH.

En effet, le champ de l’évaluation des effets de l’INDH excède la linéarité financière et


budgétaire suggérant sa limitation à la mesure des impacts des projets à travers des
indicateurs de performance. La lutte contre la pauvreté et l’exclusion constituent certes des
buts directs de l’INDH, recherchés au moyen de la réalisation de projets de proximité et de
la mobilisation des fonds nécessaires dans le cadre du CAS dédié. Cependant, par delà sa
dimension d’exception au principe budgétaire de non affectation des recettes aux
dépenses, le CAS INDH a introduit des règles de gestion innovantes qui amorcent une onde
de mutations à venir, dont les effets se propagent vers des cibles collatérales non évidentes
au départ, mais qui se dessinent au fil de l’action en objectifs fondamentaux alimentant une
dialectique positive et complexe finissant à terme par l’instauration d’un cercle vertueux au
service du développement humain.

Les influences des différentes composantes du cercle (système) interagissent et


s’alimentent de leurs effets réciproques : démocratie participative ; partenariat entre les
autorités et les collectivités locales d’une part et les acteurs de la société civile d’autre
part ; implication conjointe des élus locaux et des citoyens dans les projets de
développement ; développement de projets de proximité ; communication entre les
autorités locales et les citoyens ; transparence de la gouvernance locale ; audit ; évaluation
des impacts …

11
L’INDH, projet de règne de Sa Majesté le Roi, appréhende la complexité du développement
humain en infiltrant patiemment, sûrement et rigoureusement les aspects politiques,
économiques et sociologiques déterminant le contexte marocain. L’analyse des innovations
introduites par la réglementation régissant l’INDH révèle deux constats : les mécanismes de
sa mise en œuvre ouvrent la voie des évolutions futures de la gestion budgétaire d’une
part, et affirment que le développement de la gouvernance financière sert l’évolution de la
gouvernance politique et sociale, d’autre part.

2.2.1 L’INDH, précurseur de l’évolution de la gestion budgétaire et financière

Déjà en 2005, bien avant l’amorce de la réforme du système de contrôle des dépenses
publiques, le CAS INDH se distinguait par des règles de contrôle spécifiques qui tranchaient
avec les règles habituelles et qui laissaient deviner l’orientation définitive de l’évolution du
contrôle vers l’a posteriori et vers l’allègement de l’a priori. Aujourd’hui encore, les
contrôles prévus en faveur des dépenses INDH sont plus souples que ceux exercés sur les
autres natures de dépenses de l’Etat et des collectivités locales.

Cependant, allègement ne veut pas dire légèreté ; le suivi de la pertinence et des


performances en matière d’INDH est plus élaboré. Des audits annuels sont menés par l’IGF
et l’IGAT sur l’usage des crédits délégués à chaque gouverneur, sanctionnés par des
rapports pointilleux sur les aspects liés à la cohérence entre les moyens et les objectifs
d’une part et sur ceux relatifs à l’efficacité et à l’efficience d’autre part.

L’INDH a tranché dés le départ avec l’approche classique d’allocation des crédits. A la
lumière des orientations Royales, les gouverneurs opèrent des diagnostics au niveau de
leurs ressorts territoriaux respectifs afin de déterminer les quartiers et les populations
cibles, selon des critères objectifs mesurables. Les crédits sont par la suite alloués dans le
cadre des programmes prévus par le CAS. La réalisation des projets se donne ainsi dés le
départ les moyens premiers de l’efficacité, c’est à dire la possibilité de la mesure de
l’atteinte des objectifs et des impacts.

Les procédures relatives à l’INDH innovent par ailleurs en ouvrant une importante
perspective de modernisation de la gouvernance financière à travers l’évaluation des
politiques publiques. En 2008 fut créé l’observatoire national de développement humain
avec « pour mission permanente d’analyser et d’évaluer l’impact des programmes de
développement humain mis en oeuvre et de proposer des mesures et des actions qui
concourent à l’élaboration d’une stratégie nationale de développement humain, notamment
dans le cadre de l’initiative Nationale pour le Développement Humain ».10 Le Maroc se voit
ainsi doté de sa première institution dédiée à l’évaluation des politiques publiques.

2.2.2 L’INDH, pédagogie d’apprentissage démocratique et instrument de socialisation


politique

La création de l’INDH par Sa Majesté le Roi en 2005 a survenu dans un contexte marqué
par l’alerte représentée par la détérioration des indicateurs de développement humain et
par l’aspiration populaire au renouveau politique et démocratique. A cela, l’INDH a apporté

10
Article 2 du décret n° 2-08-394 du 23 Chaoual 1429 (23 octobre 2008) portant création de l’ONDH.

12
des réponses diverses et complémentaires.

L’INDH est mise en œuvre sur le terrain par des gouverneurs qui ont été invités dés le
début du règne de Sa Majesté le Roi Mohamed VI à s’approprier un nouveau concept lors
de l’exercice de leur mission, concept dont les caractéristiques sont la proximité, l’écoute et
la participation du citoyen et qui tranchent fondamentalement et définitivement avec les
anciennes pratiques autoritaires.

L’INDH a également bénéficié de la floraison d’un tissu associatif de plus en plus dense et
efficace. La participation de la société civile dans le cadre des projets financés par l’INDH
comporte, du point de vue du principe, des vertus indéniables.

La promotion de la démocratie participative permet au citoyen de renouer les liens avec la


chose publique alors que la dépolitisation était devenue de plus en plus évidente et
vérifiable à l’occasion des échéances électorales à travers les faibles taux de participation.
La démocratie participative alimentée par l’INDH est une thérapie collective aux maux dont
souffre la démocratie représentative à l’aube du 21ème siècle.

L’INDH a constitué pour les gouverneurs une école d’apprentissage du nouveau concept
d’autorité pensé et insufflé par Sa Majesté le Roi. La méthodologie de la mise en œuvre de
l’INDH étant par essence participative, les représentants de l’autorité et les élus locaux se
sont vus embarqués dans un apprentissage de modernité managériale. Le diagnostic des
besoins, l’établissement des critères d’éligibilité des projets, le suivi des réalisations, les
comptes rendus relatifs à la pertinence des choix… tout cela requiert l’exercice quotidien de
la proximité, de l’écoute et de la communication avec le citoyen11.

L’INDH constitue de ce point de vue un échantillon de ce que pourrait être la gouvernance


financière de l’Etat marocain. Ce CAS bien singulier représenterait à ce titre un greffon sur
l’arbre budgétaire et financier public, et la branche dont il est à l’origine, âgée de sept
années à peine, commence déjà à donner ses fruits, et promet à terme de propager ses
vertus à l’ensemble du corps qu’elle apprivoise.

Au terme de cette analyse, il semble que les perspectives d’évolution du système de


gouvernance financière publique au Maroc sont solidement attachées à la démocratie et à
la modernité. Les procédures budgétaires sont désormais bien inscrites dans un processus
garantissant à terme leur évolution à des niveaux d’efficacité qui n’auront rien à envier à
ceux en œuvre dans les pays occidentaux. Les systèmes informatiques développés par
l’administration favorisent pleinement la pertinence, la transparence, la clarté et la précision
de l’information financière. Les institutions chargées du contrôle des finances publiques,
juridictions, observatoires, corps d’inspection, sont aptes désormais à évoluer vers des
niveaux de maturité et d’efficacité similaires à ceux atteints par des pays possédant une
longue tradition en matière de contrôle et d’évaluation des politiques publiques. Le citoyen
marocain est entrain d’expérimenter une nouvelle étape de modernité démocratique,
représentée par la récente réforme constitutionnelle.

11
Les réunions du Wali de la Région Fès Boulemane avec les représentants de la société civile, à l’occasion du bilan des
réalisations au titre de la 1ère période 2005-2010, en mai et juin 2010, constituent un cas d’école et une illustration
brillante des vertus de maturation de la gouvernance publique, incarnées par l’INDH.

13
Des inconnues ombragent cependant la vision de ce que sera la gouvernance publique
marocaine de demain. Un tuteur légitime du nouveau né attendu n’a pas encore réussi à
dissiper les inquiétudes relatives à son épanouissement futur et n’a pas encore réussi à
rassurer le citoyen quant à ses aptitudes de suivi et d’encadrement : le système partisan.
Le parlement, institution incarnant la démocratie représentative par excellence, ne pourra
assurer sa mission de représentation et de préservation de l’intérêt général que sous la
condition sine qua none d’un système partisan lui garantissant la solidité de sa construction
organique.

Extrait du Discours Royal du 31 juillet 2012 :

« En nous investissant résolument dans ces réformes, et en empruntant une


démarche participative, Nous avons pu ouvrir le chantier de la révision
constitutionnelle. Pour autant, le lancement de ce processus ambitieux n'était
nullement une fin en soi. C'était plutôt le moyen de parachever la construction de
l'Etat de droit et des institutions et de réaliser les objectifs de développement global,
à charge pour chacun d'assumer sa part de cet engagement responsable.
Gouvernement, représentants de la nation, élus locaux, partis politiques, syndicats,
opérateurs économiques et société civile, sont tous interpellés à cet égard, au nom
du pacte scellé par la nation entière à travers l'adoption de la nouvelle Constitution ».

14

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