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L'Anthropologie (Paris)

Source gallica.bnf.fr / Bibliothèque nationale de France


L'Anthropologie (Paris). 1890.

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L'ANTHROPOLOGIE

ESSAIS DE CRANIOMÉTRIE
A PROPOS DU

CRANE DE CHARLOTTE CORDAY


PAR

Le D'PAUL TOPINARD

L'une des curiosités de la section d'Anthropologie de l'Exposi-


tion a été le crâne de Charlotte Corday, exposé par le prince
Roland Bonaparte. Nous n'avons pas à dire dans quelles conditions
il a été recueilli et comment il est parvenu jusqu'à nous. Le dossier
assez volumineux qui concerne son origine sera publié quand il le
faudra. Notre projet n'est pas de le décrire comme celui d'un per-
sonnage connu, dans le but d'en comparer les caractères cranio-
logiques avec les caractères moraux que l'histoire attribue à ce per-
sonnage. Nous ne voulons qu'en faire l'occasion d'une étude qui
pourrait être faite sur tout autre crâne, et dont l'objet sera de mettre
sous les yeux de nos lecteurs un résumé de la façon dont, à notre
avis, dans l'état actuel de la science, doit être décrit un crâne isolé,
en s'inspirant des méthodes et procédés si précis de notre illustre et
regretté maître, Paul Broca.
Le prince Roland Bonaparte, à l'Exposition, alibéralement mis
le crâne de Charlotte Corday à la disposition de tous les savants
qu'il intéresse particulièrement. Ce crâne a été vu par le professeur
Lombroso, il a été mesuré par le docteur Benedikt et étudié sous
tous ses aspects par nous. C'était une occasion de mettre en pré-
sence deux façons différentes d'étudier un même crâne. Laméthode
LANTHROPOLOGIE. — T. I.
2 PAUL TOPINARD.

du célèbre professeur de Vienne a son originalité propre, elle est


d'une précision â nulle autre pareille, mais elle répond à l'objec-
tion que nous adressons à beaucoup, d'être trop méticuleuse et
d'exiger des instruments complexes et coûteux. Sommes-nous
trop sévère? Peut-être. Toujours est-il que, de part et d'autre, M. Be-
nedikt et moi, nous avons séparément fait l'étude de ce crâne et que
nos deux descriptions paraîtront dans ce recueil.
Il est peu dans les habitudes de l'école de Broca, qui consiste
surtout dans l'emploi des moyennes, de s'attacher à un crâne isolé.
Mais il est des cas où elle ne peut faire autrement, par exemple
pour les crânes paléolithiques ou de races exotiques éloignées
sur le point de s'éteindre. Il n'est pas davantage dans nos idées
particulières de donner une grande importance aux traits spéciaux
qu'offre un crâne solitaire, et de chercher une relation exacte entre
ses formes extérieures et les caractères psychologiques du sujet ou
le genre de vie sociale qu'il amené. Les vérités à dégager sont dans
les moyennes, un cas individuel peut être en contradiction complète
avec elles. Mais il ne faut pas être absolu, ce qu'on croit inexact un
jour peut être la vérité du lendemain. De tout crâne se présentant
dans des conditions quelconques d'intérêt, il importe de laisser une
description qui mette nos petits-fils à même de l'apprécier à de
nouveaux points de vue, si les progrès de la science le demandent.
D'où la nécessité de tracer une description fidèle des crânes
précieux, comme celui que nous avons entre les mains, et en même
temps de posséder une régie de conduite pour le faire correcte-
ment. D'où le double but de ce travail : esquisser la photographie
d'une pièce rare et résumer la méthode à suivre en pareil cas.

L'étude complète d'un crâne isolé comprend deux parties : l'une


qui est la description, appuyée de mensurations, et l'autre qui est
la comparaison, soit avec d'autres crânes isolés, ce qui n'est
permis que dans des cas particuliers, soit avec des moyennes de
séries diverses, ce qui est correct. Je m'en tiendrai à la première
et ne ferai que çà et là des rapprochements avec des chiffres de
groupes européens du sexe féminin.
j Le crâne, qui est sous nos yeux, est d'un jaune d'ivoire sale ; il
est luisant, lisse, tel, en un mot, que sont les crânes n'ayant ni sé-
journé dans le sein de la terre, ni été exposés au grand air, mais
ayant été préparés par macération, puis maniés et conservés long-
temps dans un tiroir ou une armoire, à l'abri des vicissitudes
atmosphériques.
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 3

Sa mâchoire inférieure manque malheureusement. Sauf cela


et quelques détériorations du bord alvéolaire et de l'une des masses
latérales de l'ethmoïde faisant partie de l'orbite, il est dans un par-
fait état de conservation.
^ Tout d'abord il est normal, c'est-à-dire dans la moyenne comme
symétrie, sans trace de déformation artificielle ou pathologique,
sans trace de maladie, sauf sur une ou deux alvéoles, ou d'ano-
malie, à une petite exception près.
Il est symétrique, dis-je. Du point sus-auriculaire, en ligne
droite, au bregma; du même point au lambda; du même point au
basion, les distances sont rigoureusement égales des deux côtés;
du point d'entre-croisement sur la ligne médiane des sutures
palato-maxillaires au point jugal, la distance est égale aussi des
deux ôôtés; les deux diagonales de la voûte allant obliquement
d'une bosse frontale d'un côté au milieu de la suture lambdoïdo-
astérique de l'autre sont égales. Toutefois la distance de la base du
vomer au bord inférieur de la suture malo-zygomatique a 2 milli-
mètres de plus à droite ; la distance du basion au point sus-auri-
culaire a 3 millimètres de plus à droite;le condyle gauche descend
de 1 millimètre de plus à gauche ; la suture sagittale prolongée en
avant n'aboutit pas exactement à la suture médiane des deux os
propres du nez. Mais ce sont là des inégalités comme en présen-
tent tous les crânes.
J II ne présente pas de déformation. Et cependant, ce qui frappe
de suite lorsqu'on le regarde de profil, c'est qu'il est platycéphale
et a une dépression post-bregmatique légère. Mais cela tient à
ce que l'écaillé du frontal dépasse un peu le niveau du pariétal,
autrement dit, que la lèvre antérieure de la suture coronale est
renflée et exhaussée par rapport à la postérieure, sans chevauche-
ment, hâtons-nous de le dire. C'est un état normal, une simple
variation individuelle.
Je parlerai tout à l'heure des dents. La légère anomalie con-
cerne l'occipital. C'est à un degré faible, du côté gauche, la pré-
sence de ce qu'on a appelé l'apophyse jugulaire. Elle consiste en
un mamelon de quelques millimètres de hauteur, rugueux, situé
entre le point jugulaire et le condyle gauche de l'occipital. Adhé-
rente au condyle, se voit une autre rugosité ovoïde, séparée de
l'apophyse jugulaire par une gouttière. Les deux mamelons rugueux
et surface rugueuse, dépendent évidemment delà même cause.
de femme et des mieux caractérisés,
J Sexe.
— C'est bien un crâne
sans que le moindre détail vienne plaider dans un autre sens. Son
4 PAUL TOPINARD.

poids, son volume, ses formes régulières et fines, le défaut d aspé-


rités ou de rugosités dans les points d'insertions musculaires où
elles sont sujettes à se développer, tout le montre.
Les dents sont petites et la courbe palatine de la partie répon-
dant aux vingt premières dents est régulière et gracieuse. Les
apophyses mastoïdes sont petites, courtes et peu rugueuses; les os
malaires, les arcades zygomatiques, les apophyses orbitaires
externes sont petits. L'inion, tout juste indiqué, répond aunM,
sinon au 0 de Broca ; les lignes semi-circulaires et autres reliefs de
l'occipital sont faiblement saillants. Les bords orbitaires supérieurs
sont minces.
En fait d'arcades surcilières, on observe deux sortes de virgules,
concaves en bas et en dehors, presque confluentes en V sur la ligne
médiane, se perdant en dehors vers le milieu de la région sus-
orbitaire. La glabelle intermédiaire répond au n° 1 de Broca.
Le front, enfin, est moyen, il n'est ni droit ni fuyant, il est
bas et, quoique peu caractérisé dans ce sens, il a cet aspect si dif-
ficile à décrire, auquel tout anthropologiste exercé reconnaît, trois
fois sur quatre, une femme. Il n'y a qu'une contradiction. On dit
partout que le crâne de la femme est haut, par comparaison avec
celui de l'homme; ici il est bas, platycéphale.
y Age.—Il serait de vingt-trois à vingt-cinq ans(1). Je m'appuie sur
deux faits : la suture basilaire est soudée partout et depuis long-
temps; les sutures sont toutes largement ouvertes, comme sur un
crâne jeune (n° 4 de Broca). Ici je placerai la description des
sutures.
Sutures. — Dans les lieux d'élection où elles sont de règle com-
pliquées, les sutures sont fines et à engrènements multiples,
intermédiaires aux nos 4 et 5 de Broca, savoir : en première ligne
dans la moitié externe de la suture lambdoïde, en seconde ligne
dans les deux quarts moyens de la partie de la suture sagittale, qui
est comprise entre le bregma et l'obélion, et en troisième ligne
dans la moitié externe de la suture coronale jusqu'au stéphanion.
Viennent ensuite, à un degré moindre de complication, entre le
n° 3 et le n° 4, les trois branches divergentes du lambda ; puis, avec
le n° 3, la suture temporale et la partie de la suture coronale qui
est au-dessous du stéphanion ; enfin, intermédiaires aux nos 3 et 2,
la coronale au voisinage du bregma et les deux sutures de la

Charlotte Corday avait vingt-cinq ans. Elle était née à Saint-Saturnin, près Sées
(1)
en Normandie, et fut exécutée le 17 juillet 1793.
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 5

grande aile sphénoïde. Somme toute, il n'est pas facile de répondre


d'un seul mot à la question des Instructions de Broca : Les sutures
sont-elles simples ou compliquées? Je répondrais : elles sont plutôt
simples, ce que Broca regardait comme un caractère peu avan-
tagé. Néanmoins la description que je viens de faire peut être
considérée comme sensiblement celle du crâne féminin moyen.
Dents. — A l'âge se rattache habituellement la description
des dents et des alvéoles. Malheureusement, les dents font ici
défaut. Les cinq premières de chaque côté ont été arrachées après
la mort et les suivantes manquent par d'autres motifs. Les alvéoles
des cinq premières sont petites, très régulières, et ne présentent
rien à noter. En arrière, à gauche, se voient les trois alvéoles de la
première grosse molaire, une interne et deux externes, puis une
vaste excavation répondant à la seconde grosse molaire qui était
malade et a été arrachée un certain temps avant la mort ; enfin
une alvéole unique appartenant à la troisième grosse molaire. En
arrière et à droite se succèdent d'abord une excavation semblable à
celle du côté gauche, répondant à la première grosse molaire qui a
été extraite peu de temps avant la mort aussi; puis trois alvéoles
répondant aux alvéoles de la seconde molaire; enfin une alvéole
unique pour les racines confluentes de la dent de sagesse.
./ De tout cela il n'y a rien à tirer, sauf que le sujet a eu deux
dents cariées arrachées, là deuxième grosse molaire gauche et la
première grosse molaire droite.
JPoids. —C'est un crâne léger, ai-je dit, comme celui de la femme
en général. Il pèse 514 grammes, la moyenne de la femme étant
de 561 et celle de l'homme de 645 chez les Parisiens d'après
M. Manouvrier.
Volume. — Il est petit. Yoici ses mesures principales, face com-
prise. Les trois premières sont des projections prises sur le crâne
dans son attitude naturelle, c'est-à-dire orienté suivant le plan des
axes orbitaires. Dans le cas actuel, le plan alvéolo-condylien de
Broca est exactement parallèle à ce plan; les dents manquent; lors-
qu'on pose le crâne sur sa base, il ne touche ni par la région céré-
belleuse ni par les apophyses mastoïdes ou styloïdes. Il pose par trois
points seulement : les deux condyles de l'occipital et le point alvéo-
laire. Cette circonstance heureuse a facilité toutes les mesures par
projection que nous citons ultérieurement. Au lieu d'avoir tou-
jours les aiguilles orbitaires en position, il nous a suffi, de poser le
crâne sur sa base alvéolo-condylienne. Les dernières mesures sont
les circonférences au ruban, mais ici face toujours comprise.
6 PAUL TOPINARD.

CRANE EN
TOTALITÉ.

Projection totale antéro-postérieure 182 mill.


134
_ —
verticale
transverse 139
— —
Moyenne des trois 133, o
Circonférence totale antéro-postérieure, médiane . 538
Circonférence totale horizontale, le ruban passant
par l'occiput, les arcades zygomaticjues et les
narines 432
Circonférence totale transversale passant par les
trous auditifs, le bregma et le basion o07
Moyenne des trois 492

Capacité crânienne. — Ces mesures concernent le volume


général extérieur. La cavité crânienne seule, d'après la méthode de
cubage de Broca, a 1360 centimètres cubes, ce qui, comparé avec
les moyennes des Parisiennes obtenues par la même méthode et
par Broca lui-même, est une bonne moyenne. Les Parisiennes du
xne siècle de Broca ont 1320 centimètres cubes, les Parisiennes
du xixe siècle, 1337 centimètres cubes.
Forme générale. —- Bien de plus difficile que de rendre la forme
générale d'un crâne, ainsi que le remarquait Bernard de Palissy il y
a déjà plus de trois siècles. Assurément tous les crânes ont la forme
d'un ovoïde à grosse extrémité postérieure, auquel il manque à la
partie antérieure et inférieure un segment oblique contre lequel
s'ajuste la pyramide à base quadran gui aire et à sommet trans-
versal que représenle la face. Mais il y a des différences parfois
très saisissantes. Ici le renflement postérieur est faible, mais très
régulièrement arrondi sur toutes ses faces, sauf à l'inion où il y a un
angle obtus très émoussé; tandis que la face est petite et dépasse à
peine la saillie du front. Cela, joint à une différence inappréciable
entre le relief de la région stéphanique et la saillie des arcades
zygomatiques, permet de dire que ce crâne a la forme d'un paralléli-
pipède allongé, moins haut que large. N'était-ce sa platycéphalie
bien évidente quoique modérée, il pourrait être donné comme un
modèle typique de crâne moyen, bien fait, bien proportionné. Au
point de vue esthétique et tenant compte de son sexe, M. Mante-
gazza en ferait un beau crâne qu'il placerait haut dans l'échelle.
Entrons dans les détails et pour cela considérons le crâne succes-
sivement sur toutes ses faces suivant la méthode de Blumenbach,
mais en l'orientant correctement, c'est-à-dire suivant le plan des
axes orbiiaires ou son équivalent, parfait ici, le plan alvéolo-condy-
lien de la base.
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 7

Norma verticalis. — Lorsque, conformément à la méthode de


Blumenbach, on place un seul oeil à.50 centimètres environ au-
dessus du bregma, la première impression est qu'on a une forme
quadrilatère. C'est l'effacement des bosses pariétales qui en est
cause. Toutefois, à la seconde, impression, on revient à la forme
ordinaire ovale, mais peu renflée en arrière, peu rétrécie en avant et
très régulière.
La partie la plus large est à la hauteur des trous auditifs sur la
suture temporo-pariétale, la partie la plus étroite au bas du front.
En arrière de la première, la courbe occipitale transversale est-
parfaite, sans irrégularité, ayant pour centre le bregma à peu près,
le côté droit étant peut-être un peu plus bombé. En avant, le rétré-
cissement commence de suite et se continue insensiblement d'une
même quantité jusqu'au diamètre frontal minimum. Voici du reste
les mesures exactes; j'y joins la projection antéro-postérieure de
la norma, du plan postérieur à la glabelle, et mets en regard la
moyenne des Parisiennes du cimetière de l'Ouest de Broca pour les
trois de ces mesures qu'il prenait.

C.C. Parisiennes.
Projection antéro-postérieure de l'occiput à la
glabelle 171mm
Largeur maximum 136 133,5
— bistéphanique 120 113,2
Largeur bitemporale, sur la crête à mi-che-
min entre la précédente et la suivante 105
. .
Largeur frontale minimum 94 93,2

Il est dit partout que l'indice céphalique exprime la forme géné-


rale du crâne. Oui, à la condition de faire une distinction. Quelques
anthropologistes veulent qu'on prenne le premier de ces éléments,
la longueur antéro-postérieure maximum, à partir de la glabelle
horizontalement, c'est-à-dire dans l'attitude naturelle du crâne.
D'autres, avec Broca, préfèrent la longueur antéro-postérieure
maximum à partir delà glabelle aussi, mais sans avoir égard à
l'attitude naturelle, en cherchant le plus grand axe de l'ovoïde
cranio-cérébral, c'est-à-dire en le faisant aboutir obliquement quel-
que part au-dessus de l'inion. L'indice céphalique clans le premier
cas donne la forme du crâne suivant une certaine norma; l'indice
dans le deuxième cas donne la forme de l'ovoïde crânien suivant son
axe ou sa coupe maximum. Voici les éléments des deux et leurs
résultats :
PAUL TOPINARRD.
C C. Parisiennes.
136 13o,y
Largeur maximum classique
Longueur maximum de Broca.
_ horizontale
_
....... 17o *7M
169 —
Indice céphalique de Broca 7/>rj 7/./

_ avec la longueur horizontale.


_ 80,0 —

Il en résulte que, suivant que l'on opère d'une façon ou de l'au-


tre, ce crâne estbrachycépbale ou mésaticéphale. La personne qui a

FIGURE n° 1. — Norma verticale du crâne de Charlotte Corday. Collection de photographies


du prince Roland Bonaparte (1).

préconisé la deuxième méthode est M. Ihering, d'autres l'ont suivie


dans cette voie et si je ne cite pas de noms, c'est que je m'imagine
que tous aujourd'hui y ont renoncé. Mais cet abandon a-t-il été
(1) La figure n° 1 est un exemple d'une part des différences que donne la nornia
verticale suivant que l'oeil (remplacé ici par l'objectif de l'appareil) est plus ou moins
loin; de l'autre, delà nécessité d'orienter le crâne dans toutes les vues à distance d'une
façon rigoureuse. Nous avons dit qu'à 50 centimètres de hauteur les arcades zygoma-
tiques étaient cryptozyges, que dans les vues orthogonales elles étaient phenozyges.
Ici l'objectif étant à lm,20, l'une des arcades est très visible, l'une seulement, parce que
le crâne n'a pas été placé d'une façon symétrique à droite et à gauche. C'est d'une
autre manière l'histoire de Prichard. Il veut montrer qu'un certain crâne vu d'en haut
estorthognathe; le dessinateur incline indûment le crâne ; la figure que Prichard n'avait
pas regardée avant de donner son bon à tirer se montrait prognathe.
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 9

absolu, n'a-t-on pas conservé malgré soi un peu de ses anciennes


habitudes, cherche-t-on bien en arrière le maximum absolu, aveu-
glément? Ce qu'il faut bien remarquer, c'est qu'entre les indices de
80,0 et de 77,5 il y a une grande marge et qu'une absence de sévé-
rité avec soi-même ferait aisément commettre une erreur. Pour que
des indices soient comparables d'un crâne à l'autre, il est de toute
nécessité qu'ils soient pris rigoureusement de la même façon.
y En somme, le crâne de Charlotte Corday est pour nous, c'est-à-
dire pour Broca, dolichocéphale quelle que soit la nomenclature
adoptée.
Continuons notre examen delanorma. En avant, l'oeil, étant tou-
jours placé à 50 centimètres au-dessus du bregma, ne voit de la
face cachée par le bas du front et les arcades surcilières presque
nulles qu'une petite quantité des os propres qui dépassent; ce qui
veut dire que la face est orthognathe. Sur les côtés il ne voit rien
des arcades zygomatiques qui par conséquent sont cryptozyges.
Ce sont là des renseignements excellents, mais qu'il ne faut pas
prendre à la lettre et confondre avec ceux que donne par exemple
le stéréographe.
Lorsqu'on regarde la norma à la façon de Blumenbach, les
rayons qui arrivent à l'oeil sont convergents, tandis que le tracé
qu'on obtient avec le stéréographe est celui de lignes orthogonales.
La perspective est supprimée dans ce second cas, elle existe dans le
premier. Nous reviendrons plus tard sur le degré de saillie vraie de
ce prognathisme de la face et de ses diverses parties, nous ne nous
arrêterons ici qu'à la cryptozygie indiquée.
Ce qui cache les arcades zygomatiques, c'est la saillie des côtés
du front au niveau du stéphanion, c'est-à-dire de la crête tem-
porale. Le caractère étudié par Busk n'est donc que le rapport entre
deux largeurs, la bistéphanique et la bizygomatique maximum. Il
s'apprécie de deux façons : par l'angle de Quatrefages et par mon
indice stéphano-zygomatique.
Voici une manière simple, sans instrument, de mesurer le pre-
mier : On a-deux longues règles, on les pose sur les deux points, le
stéphanion et l'arcade maximum; elles convergent en haut, l'angle
sous lequel elles se rencontrent est l'angle cherché. Il est ici de 7°.
Quelquefois c'est l'inverse : la convergence des règles se fait par en
bas, l'angle est dit négatif. Ce dernier est de règle chez les enfants,
il est rare chez l'adulte, plus fréquemment chez les Auvergnats et
Savoyards que dans toute autre race. L'angle positif va dans les
moyennes de + 20 chez les Néo-Calédoniens à -h 2°,5 chez les Au-
10 PAUL TOPINARD.

vergnats. Chez les Roumains, le type le plus analogue à celui que


étudions dans la liste que j'ai jadis publiée, il a + 8° avec va-
-nous
riations de — 0,5 à -h 18. En somme ces 7° prouvent que rigoureuse-
ment le mot de mesozyge conviendraitplus que celui de d'yptozyge;
les arcades ne sont cachées que par la méthode de Blumenhach.
Le second système est le rapport de la largeur histéphanique à
la largeur zygomatique, comme il suit :
C.C. Parisiennes.
Largeur histéphanique 120mm 113,2
— bizygomatique 128 122,5
Indice sléphano-zygomatique 92,7 92,4
.

Or la moyenne des 83 Parisiennes est de 92, i, celle de 22 Hol-


landaises 94,6. Notre crâne est entre les deux, comme le veut le
lieu de naissance du sujet.
La norma verticalis montre d'autres caractères.
Les deux lignes courbes temporales sont faiblement indiquées
et sont classiques et féminines tout à la fois. Simples au point de
départ en avant, elles laissent bientôt voir deux lèvres qui s'accen-
tuent et se relèvent après avoir traversé la suture coronale,la supé-
rieure servant à l'insertion de l'aponévrose temporale, et l'inférieure
à l'insertion du muscle temporal; l'inférieure passe par la bosse
frontale, puis toutes deux s'éteignent, circonscrivant assez mal
le pourtour de la fosse temporale sous-jacente. Lorsqu'elles sont le
plus rapprochées, la ligne inférieure la plus visible est distante de
celle du côté opposé de 112 millimètres, la ligne supérieure de 98.
Ces deux distances n'ont rien d'anormal.
Les bosses pariétales, les bosses frontales et Tobélion sont
sensiblement à la même hauteur, c'est-à-dire dans un même plan
horizontal, fait curieux! Il importerait de savoir si c'est la règle
et si les écarts à cette règle conduiraient à quelques caractères dis-
tinctifs de race. Voici ces hauteurs ou projections verticales :

Hauteur des hosses frontales 104mm.


— des bosses pariétales lO.'J

— de l'ohélion 100

Les bosses frontales et pariétales sont peu marquées, il est


vrai, les dernières surtout, et l'on a grand'peine à en fixer le point
exact. Entre les deux premières sur lesquelles nous reviendrons à
propos du métopion, l'écartement est de 40 à 45 millimètres, et
entre les deux secondes de 120. Celles-ci seraient à égale distance,
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 11

en projection horizontale, de la suture coronale en avant et de la


suture lambdoïde en arrière, et en ligne verticale avec le bord posté-
rieur de l'apophyse mastoïde. Je me suisdemandé si cet effacement
si remarquable des bosses pariétales ne serait pas un caractère de la
race normande. Les crânes Scandinaves anciens que je viens d'étu-
dier à l'Exposition et qui sont inscrits Normands ont généralement
ce caractère. Toutefois ce peut n'être qu'un Irait individuel, on ne
saurait généraliser avec trop peu de pièces.
La dernière chose à mentionner est l'obélion qui est classique,
avec ses deux trous pariétaux sur les côtés, l'un grand, l'autre petit.
Norma postérieure. —Le crâne étant orienté de même, on cons-
tate d'abord que la forme pentagonale ordinaire est peu accusée,
parce que les jonctions des plans sont émoussées, entre autres
les angles répondant aux bosses pariétales. De ce côté le crâne
ne paraît ni haut ni bas, il est dans la moyenne; à sa surface
se voit l'obélion à 100 millimètres de hauteur, le lambda à 67, la
base de Union à 24 et loin en dessous l'opisthion à 6. La surface
pariétale se continue sans ressaut avec la surface sus-iniaque
en traversant la suture lambdoïde. L'inion se compose d'une sur-
face rugueuse se transformant en bas en un relief rugueux répon-
dant comme saillie au n° 1 de Broca. Les lignes demi-circulaires et
autres reliefs pour l'insertion musculaire sont dans la moyenne,
pour une femme. De chaque côté, au niveau de l'astérion et sur la
partie voisine de l'occipital, il y a le méplat bien connu des cranio-
logistes, mais modéré, que jadis Pruner Bey croyait être un carac-
tère de la race d'Orrouy. Tout cela est normal.
Norma latérale. — C'est de ce côté que l'on se rend le mieux
compte de la physionomie générale du crâne. Une ligne droite en
bas se relevant obliquement en arrière des apophyses mastoïdes;
une belle courbe allongée en haut, une face petite en avant, dépas-
sant à peine la perpendiculaire abaissée de la glabelle, une courbe
ronde en arrière, une fosse temporale grande, mais à contours
vagues et peu profonds, une arcade zygomatique droite, fine, non
heurtée et des apophyses mastoïdes courtes : voilà ce qu'on y
remarque. Insistons.
Le crâne étant orienté comme précédemment, la face ne dépasse
la glabelle que de 10mm,5 et a jusqu'à cette glabelle une hauteur de
79 millimètres ; ce qui donne au niveau du point alvéolaire un angle
facial rapporté au plan alvéolo-condylien (non celui de Camper par
conséquent) de 82°4. La projection horizontale antéro-postérieure,
de l'aile externe de l'apopbyse ptérygoïde à la verticale alvéolaire,
12 PAUL TOPINARD.

étant d'autre part de 62 à 65 millimètres et celle de la suture tem-


poro-zygomatique à la môme verticale étant aussi de 62 à 65 milli-
mètres, il en résulte que la face, orthogonale, pour se servir du mot
consacré quoique jamais, pas même dans ce cas, il ne soit juste,
n'occupe dans la vue générale de profil qu'une faible partie. Ce crâne
est donc très favorisé par la constitution de sa face.
En arrière, l'angle au niveau de l'inion, que forme la portion
sus-iniaque de la face postérieure avec la portion sous-iniaque ou
pré-iniaque de la face inférieure, est de 4 2o°.
En haut est la courbe de la voûte, allant de la racine du nez ou

FIGURE n° 2. — Norma latérale du crâne de Charlotte Corda}r. Collection de photographies


du prince Roland Bonaparte.

nasion à l'inion, qu'il s'agit de décrire. C'est le type classique, le


plus répandu dans les beaux crânes, ne rappelant ni la courbe spé-
ciale bien connue des troglodytes néolithiques de la Yézère, ni celle
des Reihengraber, ni celle du type celtique pour ne parler que de
la courbe des Européens.
Fartant du nasion, elle se porte en haut et en avant pour pro-
duire la glabelle, petite comme il a été dit, puis en haut et un peu
en arrière pour produire la dépression sus-surcilière oùestl'ophryon
ou point intersurcilier, s'élève alors rapidement pour atteindre le
métopion, point intermédiaire aux deux bosses frontales, où elle
s'arrondit et se porte en haut et en arrière assez brusquement
pour qu'une sorte d'angle mousse soit visible, mais non mesurable,
et atteint son maximum de hauteur à 1 centimètre en avant du
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 13

bregma. Il en résulte un front bas qui fuit à partir de la gla-


belle, mais d'une façon accentuée seulement au-dessus des bosses.
Quoique la courbe soit régulière, c'est la seule partie où le crâne ne
soit pas favorisé. Généralement la femme a le front plus haut et plus
droit que l'homme, l'angle des bosses moins ouvert. Aussitôt le
bregma qui est relativement déprimé, la courbe commence à s'in-
cliner, d'une façon insensible d'abord, davantage à mi-distance entre
le bregma et l'obélion, de 45° environ au niveau de ce dernier,
devient alors presque verticale, et enfin, au niveau du lambda, atteint
son point maximum postérieur. Nulle part de ressaut, aucune tran-
sition brusque, c'est une courbe égale et continue. A partir du
lambda, la courbe commence à se porter en avant mais insensible-
ment jusqu'à l'inion où elle est déjà écartée de la verticale tangente
au lambda, de 12 millimètres.
Pour les personnes qui voudraient des mesures précises, voici
plus de détails. De la racine du nez au bregma, le trajet curviligne
est de 123 millimètres ainsi décomposés : 10, jusqu'à la glabelle;
30, de celle-ci au métopion qui est le point médian culminaDt du
front entre les deux bosses et 83, du métopion au bregma.
La glabelle fait une saillie de 1 millimètre et demi en avant de
la racine du nez. Le métopion est à 25 millimètres au-dessus et à
11 millimètres en arrière de la glabelle; il est à 30 millimètres au-
dessous et à 74 millimètres en arrière du bregma. La position exacte
des bosses, leur situation et la double inclinaison au-dessus et au-
dessous s'en dégagent aisément.
Du bregma au lambda, le trajet curviligne est de 124 milli-
mètres et la distance en ligne droite de 108. Le trajet curviligne
se décompose ainsi : la courbe commence à s'abaisser sensible-
ment à 37 millimètres en arrière du bregma ; l'abaissement s'accuse
davantage 30 millimètres plus loin; 18 millimètres plus loin se
trouve l'obélion où la courbe aie minimum de rayon; 38 mil-
limètres au delà est le lambda. Enfin du lambda à l'opisthion le
trajet curviligne ou mieux coudé à l'inion est de 91 millimètres
au-dessus de celui-ci et de 45 au-dessous. Nous avons dit qu'à
l'inion la courbe s'était déjà écartée de la verticale tangente au
lambda de 12 millimètres. A l'obélion elle est écartée de la même
verticale, presque de la même quantité, soit de 11 millimètres. Ces
deux mesures rendent très bien le mouvement régulier de la
courbe. Il y a d'autres moyens du reste d'apprécier ce mouvement
par des chiffres, notamment par les rayons basilaires dont nous
parlerons tout à l'heure.
H PAUL TOPINARD.

Les crêtes temporales ont été décrites, ce sont elles qui forment
la jonction de la face supérieure et de la face latérale du crâne. La
surface comprise entre l'une d'elles et l'arcade zygomatique est la
fosse temporale qui a verticalement de l'arcade zygomatique au
stéplianion 67 millimètres et du point sus-auriculaire au point direc-
tement au-dessus de la crête temporale 76 millimètres. Cela consti-
tue une grande surface pour le muscle temporal; mais la crête
temporale étant faible, la surface étant partout renflée, il n'y a pas
lieu de croire que le muscle fût bien puissant.
Le ptérion est curieux. Il est en H des deux côtés et ne présente

FIGURE n° 3. — Norma antérieure du crâne de Charlotte CorJay. Collection de photographies


du prince Roland Bonaparte.

aucune dépression. Mais, et cela à droite comme à gauche, l'angle du


pariétal a un prolongement antérieur taillé au dépend du frontal qui
a certainement été un oswormiensoudédc bonne heure. Si l'on com-
prend ce prolongement dans la mesure de la longueur de la suture
sphéno-pariétale, cette mesure est de 11 à 12 millimètres ; si on l'en
exclut, elle est de 7 à 9. Pour nous, ce reste d'os wormien synostosé
est un caractère indifférent.
L'arcade zygomatique, fine, peu arquée, droite, se relève légère-
ment par sa partie antérieure, comme c'est la règle.
Le trou auditif est comme d'ordinaire ; il n'a pas de petites
téophytes, comme on en voit quelquefois. Son centre est à é°-ale
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 15

distance du plan antérieur et du plan postérieur du crâne ; il est à


30 millimètres au-dessus du plan alvéolo-condylien de la base et
à 104 millimètres du plan horizontal tangent à la voûte.
Les apophyses mastoïdes enfin sont petites, peu rugueuses,
obliquement dirigées d'arrière en avant et de haut en bas et ont
leur sommet al centimètre au-dessus du plan alvéolo-condylien.
Norma antérieure. —Elle répond à la face ou mieux, pour trans-
porter au crâne le terme employé sur le vivant, au visage. L'étude
de cette partie est généralement négligée. Le crâne cérébral a toutes
les faveurs, c'est un tort. La face fournit plus de caractères à la dis-
tinction des individus comme des types.
Il est fâcheux toutefois qu'ici le maxillaire fasse défaut ; ce qu'il y
a déplus caractérique,c'est la vue d'ensemble. Ce quej'ai appelé, sur
la norma antérieure complète, le contour antérieur et le contour
postérieur de la face, est réduit sur un crâne sans mandibule à un
tronçon qui parle mal au regard. La règle que j'ai posée que toutes
les largeurs de la norma antérieure doivent être rapportées à un
étalon unique de comparaison, qui est la hauteur totale prise par
projection, du vertex au menton, est ici inapplicable.
Telle quelle est, la face a la forme d'un ovale parfait brusque-
ment interrompu au niveau d'une ligne transversale passant par
les deux tubercules maxillo-malaires (je me sers de ce nom parce que
les deux os maxillaires supérieurs et malaires concourent à les
former) et par le bord inférieur des narines, laissant au-dessous
dans ses deux tiers moyens une avancée constituée par toute la
portion sous-nasale du maxillaire. Sur ce tronçon de face se voient
les parties supérieures de l'ovale postérieur et de l'ovale antérieur
du visage. Les deux largeurs bistéphanique et bizygomatique que
l'on compare par l'indice stéphano-zygomatique répondent au
premier. Les largeurs biorbitaire externe, bijugale et bimalaire ré-
pondent au second. Ces deux ovales sont très corrects. Il n'y a de
peu gracieux dans cette face que le rétrécissement sous-malaire ;
il tient à ce que la partie sous-nasale est courte, les fosses canines
profondes et se prolongeant en bas et l'arcade alvéolaire trop
détachée sur les côtés.
Suivent les mesures auxquelles je viens de faire allusion et, en
regard, les moyennes correspondantes des Parisiennes contempo-
raines de Broca :
L.L. Parisiennes.
Largeur bistéphanique 120 113,2
— bizygomatique
128 122,5
16 PAUL T0P1NARD.
C.C. Parisiennes.
Largeur biorbitaire externe . 101 99.7
bijugale 100 107,1
— 97 98,2

bimalaire
alvéolaire externe maximum 38 38,2

Ici se présente une grosse question. Quel est l'indice facial à don-
ner faisant Je pendant à ce qu'on appelle au crâne l'indice cépha-
lique? Nous venons de dire les largeurs entrant en compétition.
Voici la hauteur pouvant concourir à donner l'autre facteur :

CC. Parisiennes.
Hauteur ou projection verticale totale, du
vertex au point alvéolaire 13i- 133,0
Hauteur opbryo-alvéolaire 83 80,8
Hauteur naso-alvéolaire 67 (36,6

L'indice facial de Broca, c'est le rapport de la hauteur ophryo-


alvéolaire an diamètre bizygomatique pris pour 100. Il est de 66,
4 sur notre crâne et chez les Parisiennes contemporaines de Broca, de
66,0, ce qui est sensiblement la même chose. Les deux dans la mo-
menclature sont mésosèmes, M. Kollmann dirait mésoprosopes.
Mais est-ce la meilleure manière d'exprimer l'indice facial?
Quant à moi, je préfère prendre une même ligne médiane pour éta-
lon et lui comparer les diverses largeurs, ce qui a l'avantage de
montrer le rapport de ces largeurs entre elles. Yoici les indices qui
en résultent; le meilleur à prendre comme indice facial proprement
dit, c'est le bizygomatique ou largeur maximum. Quant à l'étalon, ne
pouvant prendre la projection totale du crâne avec sa mandibule
et trouvant que l'ophryon est un point très logique, mais qu'on
place un peu à sa guise, je donne la préférence à la hauteur naso-
alvéolaire qui est la hauteur totale du maxillaire :
CC. Parisiennes.
Bizygomatique 191 183
Bi.jugal 162 160
Bimalaire 146 147
Bialvéolaire externe 80 87

Desmesures précédentes et de ces rapports, nous concluons que le


crâne que nous étudions comparé à celui des Parisiennes est un peu
bas dans sa totalité, sensiblement le même clans sa partie maxillaire
verticale; qu'il est plus large au haut du front, plus large dans
toutes les parties de la face. 11 y a deux mesures dont nous tenons
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 17

médiocre compte comme comparaison : ce sont la hauteur ophryo-


alvéolaire et la largeur bimalaire. Nous les considérons comme de
mauvaises mesures à cause de l'arbitraire de deux de leurs points
et nous ne les avons données que par acquit de conscience.Remar-
quons que la quatrième indice de largeur exprime très bien ce ré-
trécissement disgracieux dont nous avons parlé à ce niveau.
Remarquons surtout qu'en prenant l'indice zygomatique tel que
nous l'entendons ici, comme l'indice facial principal, la face de-
vient chamseprosope par rapport à celle des Parisiennes, alors
qu'avec l'indice facial de Broca, comparé de même à celui des
Parisiennes, elle était mésoprosope. Or le premier fait est confirmé
par d'autres.considérations. Pour nous, la face est large.
Revenons à la description. Naturellement toute la norma anté-
rieure se partage en deux parties : l'une supérieure, cérébrale ou
sus-glabellaire et l'autre inférieure on faciale proprement dite. La
mesure de la première, ou projection verticale, est de 58 millimètres
et celle de la seconde de 76 ; ce qui est conforme à ce qui a été dit
que le front est bas, soit que l'on en considère la totalité ou la por-
tion sous-jacente aux bosses frontales.
Nous avons décrit déjà le peu de relief des régions surcilieres,
le peu d'épaisseur du rebord orbitaire supérieur, le peu de profon-
deur de la racine duirez.
Les orbites sont quadrilatères mais à angles arrondis, grandes, à
axes dits transversaux faisant entre eux un angle, obtus, regardant
en bas comme toujours, très ouvert. Yoici les chiffres qui concer-
nent les orbites (moyenne des deux côtés) :

CC. Parisiennes.
Largeur des orbites 38,0 38,2
Hauteur des orbites 35,0 33,0
Indice orbitaire 92,1 88,4
Aire orbitaire 133,0 126,0
Angle naso-malaire 142° —

Cet indice orbitaire est bien celui du type normand entre autres ;
il rentre dans les mégasèmes de Broca.
Aux orbites se rattache secondairement l'os lacrymal. Il s'arrête
à distance du bord orbitaire inférieur et ne présente aucun ves-
tige de la petite apophyse dite hâmule qui s'en détache parfois pour
aller rejoindre ce bord. C'est un caractère anatomique dit supé-
rieur.
L'intervalle orbitaire si caractéristique, souvent, est ici absolu-
L'AIS-TIJROPOLOGIE. — T. I. ~
18 PAUL TOPINARD.

européen. Ses plans verticaux se succèdent de dedans en


ment
d'arrière avant, comme ceci 1° le plan postérieur de
dehors et en :

la gouttière lacrymale; 2° le plan se relevant par son côté interne,


formé par l'apophyse montante du maxillaire ; 3° le plan fortement
oblique et saillant des os propres donnant lieu à l'arête en toit
typique de l'Européen. Ses mesures se suivent ainsi :
rnill.
Largeur totale maximum des apophyses orbitaires
internes 24
Largeur d'un dacryon à l'autre 21
Largeur minimum de la gouttière lacrymale . . 19
Largeur minimum des deux os propres 6

Le nez n'est pas saillant, son arête est ferme à l'endroit des os
propres, l'extrémité inférieure de ceux-ci se relève modérément,
l'ouverture nasale est plutôt haute, son bord inférieur est en forme
de coeur de carte à jouer retourné, c'est-à-dire que ses deux échan-
crures sont minces ou à une seule lèvre, l'épine nasale est double
et répond au n° 2 de Broca. La ligne sous-nasale au-dessous est
verticale. Voici les mesures qui y ont trait :
C.C. Parisiennes.
Hauteur nasale ou naso-spinale oO 48,4
Largeur de l'ouverture 24 22,7
Indice nasal 48 47,0

Il ne me reste plus qu'un rapport, celai de la largeur maximum


des deux maxillaires à la même hauteur naso-alvéolaire qui nous a
déjà, servi. C'est l'indice du maxillaire.
C.C. Parisiennes.
Largeur maxillaire maximum 87 88,6
Indice maxillaire 130 133,0

Cet indice est une largeur relative à ajouter à la liste de la page


et à comparer notamment aA^ec la dernière.
Les os malaires ou jugaux sont petits. Leur face externe est de
haut en bas sensiblement verticale et se relève à peine en dehors,
à sa partie inférieure. Elle est doucement curviligne transversale-
ment et commence à fuir en arrière à partir de son extrémité interne
sous-orbitaire. Ses mesures intrinsèques sont les suivantes :

Diagonale minimum du bord orbitaire au point opposé du bord infé-


rieur 24mm
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 19

Diagonale minimum du point jugal au point opposé de la suture jugo-


maxillaioe 25mm
Hauteur maximum du milieu de la suture jugo-frontale à l'extrémité in-
férieure delà suture jugo-maxillaire 46
Longueur maximum de l'extrémité supérieure de la suture jugo-maxil-
laire à l'extrémité inférieure de la suture jugo-zygomaticme
....
Projection transversale de la face externe, ou différence entre la largeur
55

bimaxillaire maximum et la largeur bimalaire postérieure 35


Différence entre la même largeur bimaxillaire et la largeur bizygoma-
tique maximum 41
Cette différence est de 35,4 chez les Parisiennes et de 35,5 chez les Hol-
landaises.

J'ai dit que l'ensemble de la face était orthognathe, pour me con-


former au langage courant, et j'ai ajouté que la ligne sous-nasale
était droite. Il me reste à préciser, c'est-à-dire à indiquer l'inclinai-
son des diverses lignes de profil de la face sur l'horizontale alvéolo-
cond}dienne. Voici les divers angles dont le sommet est toujours
au point alvéolaire. Je les indiquerai par leurs trois points détermi-
nants.

ANGLES FACIAUX DIVERS

Métopion, point alvéolaire, condyles 78°6


Ophryon — — — 81 °1
Glabelle — — — 82°4
Racine du nez — — 80°0
Épine nasale —• — 83°2

Le dernier, qui est celui du prognathisme alvéolo-sous-nasal, et


l'avant-dernier, qui est celui du prognathisme maxillaire, sont les
plus classiques. Le second et le troisième représentent le progna-
thisme total de la face. Le premier a son intérêt aussi.
Terminons la face par l'angle de Camper d'une part, l'angle d.e
Cloquet avec ses trois variantes pour le point supérieur de l'autre.
On sait que le sommet du premier est à la rencontre virtuelle ou
réelle de deux lignes : l'une faciale, tangente aux deux parties les
plus saillantes, en haut et en bas, de la face; l'autre auriculaire, al-
lant du centre du trou auditif au bord inférieur de l'ouverture nasale.
Ici, les dents faisant défaut, c'est au bord alvéolaire au niveau des al-
véoles des incisives que la ligne faciale est tangente en bas, ce qui ne
doit pas modifier sensiblement l'ouverture de l'angle, les dents pa-
raissant avoir été orthognathes. Quant cà l'angle de Cloquet dont le
20 PAUL TOP1NARD.

sommet est au bord alvéolaire, nous l'indiquons faute de l'angle


préférable de Cuvier qui est au sommet des dents.

Angle de Camper 8o°


Angle de Cloquet, point supérieur au niétopion
— — — à l'ophryon
....
....
G0°
63°
— — — — à la racine du nez. 61°
.

L'angle de Camper, ici indiqué, est réellement beau : il ne lui


manque que o° pour être droit, ce qui ne se voit du reste jamais chez
la femme ou l'homme à l'état normal. L'angle de Cloquet est non
moins satisfaisant. Sur 10 Basques que j'ai sous la main, il est avec
l'ophryon de 60°.
Norma inférieure. —Très accidentée comme toujours, sa forme
est celle d'un ova]e dont les plus grandes largeurs sont : 1° en avant
au niveaud.es arcadeszygomatiques ; 2° immédiatement en arrière
du trou auditif au niveau des apophyses mastoïdes.
J'ai dit que la projection antéro-postérieure totale du crâne est
de 182 millimètres. Elle se décompose ainsi : projection postérieure,
c'est-à-dire en arrière du basion, 92 millimètres; projection anté-
rieure, 90. Or l'épaisseur du bord antérieur du trou occipital est de
millimètres. Il s'ensuit que le milieu exact de la base du crâne est
sur cette crête et que le trou occipital se trouve en totalité dans le
crâne postérieur. D'autre part, le centre du trou auditif décompose
la projection totale en deux parties : l'une postérieure, qui est
de 92 millimètres, et l'autre antérieure qui est de 90 millimètres,
les mêmes chiffres que pour le basion. Il en résulte que le basion
et le centre du trou auditif sont dans le même plan vertico-trans-
versal.
Un troisième point anatomique est peu éloigné de ce plan. C'est
le bregma. Son emplacement mathématique n'est pas le même à
droite et à gauche; adroite l'angle du pariétal se porte en avant de
3 millimètres de plus.
Or ce bregma qu'on peut appeler dans ce cas particulier le bregma
antérieur ou bregma de droite est à 92 millimètres de la partie la
plus antérieure du crâne et à 90 millimètres de la partie la plus pos-
térieure. Il est donc à 2 millimètres en arrière du basion d'une part,
du centre du trou auditif de l'autre et à 1 millimètre seulement en
arrière du milieu exact de la projection crânienne totale. Les trois
points bregma, basion et centre auditif sont donc à 1 millimètre
près dans le même plan transversal coupant le cr âne total
en deux
CRÂNE DE CHARLOTTE CORDAY. 21
.

parties. Il est rare qu'une pareille coïncidence se produise. C'est la


réalisation de l'idéal du crâne typique européen.
Les condyles occipitaux paraissent saillants, leur hauteur au-
dessus du basion-n'est cependant que de 9 à 10 millimètres comme
d'habitude et l'angle que fait le plan du trou occipital avec la surface
basilaire n'a rien d'insolite. Le motif de cette apparence vient de ce
que les apophyses mastoïdes d'une part sont petites et que la région
cérébelleuse de l'autre est peu renflée, peu abaissée. En dehors du
condyle gauche se voient la surface rugueuse et l'apophyse jugu-
laire anormales déjà décrites. Plus en dehors, les petites apophyses
mastoïdes décrites aussi. En arrière, la surface cérébelleuse limitée
en dehors par la largeur biastérique.
Dans l'aire du crâne antérieur se présentent, au milieu, l'apo-
physe basilaire ; en dehors, les arcades zygomatiquespresque droites ;
en avant, l'orifice postérieur des fosses nasales.
Voici les mesures dont j'ai parlé, afférentes à la norma infé-
rieure :

Projection antéro-postérieure totale 182


— prébasilaire 90
— postbasilaire 92
Largeur biastérique 102
— bimastoïdienne 137
— jugulaire. 81
— glénoïdienne 93
— bizygomatique 128
— sous-temporale 81
Longueur du trou occipital 35
Largeur — — 32

Je n'ajoute qu'un mot : Le rapport de la largeur sous-tem-


porale à la largeur sus-temporale ou bistéphanique prise pour 100
exprime le développement relatif du crâne dans la partie répondant
aux lobes antérieurs du cerveau; tandis que le rapport de la largeur
biglénoïdienne à la largeur transverse maximum du crâne prise
pour 100 exprime le développement relatif du crâne de la partie
répondant aux lobes postérieurs. Le premier est de 67,5 et le second
de 69,0.
La voûte palatine reste. Elle est peu profonde; son arcade alvéo-
laire, en bon état jusqu'aux secondes petites molaires inclusive-
ment, est détériorée en arrière; ce qui fait qu'on ne peut se fier
aux mesures prises dans cette dernière partie.
22 PAUL TOPINARD.

MESURES DE LA VOUTE PALATINE

Longueur de la voùle de l'interstice 'des deux incisives


mé-
dianes à la base de l'épine palatine 46mm
Largeur maximum ou (ici) postérieure 38

au niveau de la première grosse molaire 32



au niveau de l'intervalle des 1 et 2 petites molaires. . 31

au niveau de l'intervalle des lre peti Le molaire et canine. 26

Suivent quelques mesures complémentaires dont la valeur est
encore à l'étude :
Longueur du basion à la base de l'épine palatine 41 mm
Largeur de deux narines postérieures 30
Hauteur de la cloison (ligne médiane) 23
Hauteur oblique de chaque narine 29
Indice des narines postérieures ou de la largeur à la hauteur
de l'une 51,7

Endocrane. — Lorsqu'on en a ainsi terminé avec la surface exté-


rieure du crâne et les six faces qu'elle présente, orientées suivant le
même principe, la mise en position horizontale en se guidant sur le
plan des axes orbitaires ou tout autre plan qui lui soit sensiblement
parallèle,le craniologiste passeàla face interne de lacavité cérébrale,
c'est-à-dire àrendocràne. Mais pour cela il faut que le crâne soitscié
et nous ne nous permettrions pas de mutiler celui-ci. A la rigueur on
pourrait employer les procédés de Broca, mais, à notre avis, ils ne
donnent pas des résultats assez précis. Nous nous en tiendrons donc
à la description d'une seule particularité, celle que M. Lombroso
réclame en faveur des criminels et qu'il dit exister sur ce crâne, de
la fosse cérébelleuse moyenne, destinée à recevoir le verrais infé-
rieur. Cette région est visible en regardant par le trou occipital, se
sent avec le doigt et peut être prise parla porte-empreinte. Voici
comment elle se présente sur ce crâne.
Juste au niveau de l'inion externe est l'inion interne, c'est-à-
dire la jonction en croix d'une crête médiane et d'une crête transver-
sale, répondant à la séparation du cerveau et du cervelet, La
branche supérieure de la crête médiane est simple. La branche in-
férieure se bifurque, l'une des divisions (la gauche) mourant
presque aussitôt, l'autre (la droite) se maintenant en diminuant
de relief jusqu'à une petite distance du pourtour du même côté du
trou occipital. Entre les deux il y a donc une dépression qui tou-
tefois n'est sensible qu'au point de départ de la bifurcation et un
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 23

peu plus bas à droite. Est-ce là une chose irrégulière ? A notre


avis, non. C'est une disposition normale, une simple variation
morphologique individuelle qui se rencontre dans toutes les races.
Rayons et angles basilaires. — Il ne reste plus qu'à rechercher
l'agencement profond des parties, leurs rapports réciproques et à in-
diquer les mesures et angles qui les indiquent le mieux. La coupe
antéro-postérieure suffit àtouscesbesoins ou mieux y répond directe-
ment. À son défaut, deux procédés la remplacent : les rayons et angles
auriculaires, les rayons et angles basilaires. Les premiers s'obtien-
nent indirectement par projection sur le profil du crâne à l'aide
d'instruments spéciaux, les seconds directement à l'aide du compas
d'épaisseur. Quels sont les meilleurs? La question est subordonnée
eh grande paitie à la fixité du point central : le centre du trou auditif
ou le basion. Nous avons vu qu'ici tous deux sont dans le même plan
transversal. Quant à leur hauteur, elle varie départ et d'autre sui-
vant les individus et suivant Jes races. Les deux points, en somme,
soulevèrent des objections, les deux ont leur valeur. Toutefois,
comme les rayons auriculaires sont plus délicats à prendre, plus
sujets à l'écart personnel par suite de la difficulté d'avoir une
bonne fiche auriculaire donnant le centre exact des deux côtés à la
fois et associant le double résultat donné à droite et à gauche ; et
que, d'autre part, les rayons auriculaires exigent un appareil spé-
cial, sérieusement construit, je m'en tiendrai aux rayons et angles
basilaires. Voici les mesures :

Rayon du basion à point alvéolaire 89mm


— à nation 95
— à ophryon 106
— à métopion 118
— à bregma 125
— à obélion 128
— à lambda 128
— à inion 83
— à opisthion 38
Angle basilaire facial ou ophryo-alvéolaire 50°


frontal ou ophryo-bregma
pariétal.
..... 49°
51°
sus-iniaque 26°
— sous-iniaque 20°

Angles crâniens divers. — Les lignes ou plans qui gouvernent


toute la morphologie dans un crâne donné sont en première ligne le
plan des axes orbitaires qui détermine l'attitude naturellerlu crâne ; 1 e
24 PAUL T0P1NARD.

plan de la base du crâne ou alvéolo-condylien de Broca; la direction


du plan du trou occipital qui est toujours relevé par sa partie anté-
rieure, chez l'homme, d'autant plus que la race est plus élevée en
hiérarchie; la direction plus ou moins relevée aussi de l'axe de
l'apophyse basilaire et sa continuation vers la selle turcique où
elle se rencontre avec l'horizontale que donnent le planum sphé-
noïdal à l'intérieur du crâne, la ligne horizontale des orbites en de-
hors ou quelque ligne conventionnelle comme celle de l'angle de
Welcker allant de l'éphippium au nasion.
4 La première de ces lignes, l'horizontale des orbites, estparallèle
à la ligne alvéolo-condylienne de Broca, ainsi que nous l'avons dit ;
sous ce rapport le crâne de Charlotte Corday est donc un crâne
idéal. L'angle que fait le plan du trou occipital avec la ligne alvéolo-
condylienne, autrement dit le degré de relèvement du basion, est de
8°. L'angle que fait la ligne du clivus, c'est-à-dire de la face posté-
rieure de l'apophyse basilaire ou gouttière basilaire, avec le plan du
trou occipital est de 133°. Enfin cette même ligne du clivus pro-
longé fait avec l'horizontale des orbites un angle de 125°.
Ce dernier, sans correspondre chiffre pour chiffre avec le célèbre
angle sphénoïdal de Welcker, pour lequel Broca imagina un ins-
trument spécial afin de le mesurer sans ouvrir le crâne, lui corres-
pond exactement comme signification et peut la remplacer avanta-
geusement clans la pratique. Cet angle que j'appellerai sphénoïdal de
Topinard, puisque je suis le premier à en parler et qu'il est le pen-
dant du sphénoïdal de Welcker, n'a pas encore été étudié suffisam-
ment par moi dans la série animale pour que j'entre dans plus de
détails. Mais on peut en dire rigoureusement ce que l'on dit de
celui de Welcker. Il est obtus en bas chez l'homme, d'autant plus
que la race est plus élevée. Il est nul d'une manière générale ou
indifférent chez les anthropoïdes. Il est obtus, mais ouvert en haut
chez les animaux.
Ces divers angles concernent la ligne de séparation du crâne
avec la face. Je les reproduis en ajoutant les quelques autres se rat-
tachant à la même région étudiés par Broca.

Angle alvéolo-condylien (de Goldstein) : axes orbitaires


avec
plan alvéolo-cond}"lien 0°
Angle orbito-occipital (de Broca) : axes orbitaires
avec plan du
trou occipital go
Angle du clivus (de Ecker) : Ligne de clivus
avec plan du trou
occipital
,oo0
CRANE DE CHARLOTTE CORDAY. 25

Angle sphénoïdal (de Topinard) : ligne du clivus avec axes or-


bitaires 12o°
Angle de Daubenton : plan du trou occipital avec ligne opis-
thio-sousorbitaire 8°
lcr angle occipital (de Broca) : plan du trou occipital avec ligne
naso-opisthion 22°
2e angle occipital (de Broca) : plan du trou occipital, avec ligne
naso-basilaire 27°

Je termine par les angles qui concernent les rapports réci-


proques de la face, savoir les trois angles du triangle facial mé-
dian, et par un certain rapport fort intéressant de la face avec la
base du crâne que j'appelle l'angle ptérygoïdien. Les trois pre-
miers sont classiques, l'un d'eux, le nasal, ayant pendant longtemps
été le procédé par lequel les Allemands exprimaient le progna-
thisme. Le dernier ne figure encore, je crois, dans aucun traité :
c'est l'obliquité en avant constante dans toutes les races, mais à
des degrés divers, de l'axe de l'apophyse ptérygoïde, c'est-à-dire
l'angle ouvert en avant sous lequel cette apophyse se détache
moins du corps du sphénoïde que de la section faciale de l'ovoïde
crânien, ou base cranio-faciale de quelques auteurs. Cette base, je
la représente par la ligne naso-basilaire.

TRIANGLE FACIAL MÉDIAN


C.C. Parisiennes.
Angle supérieur ou nasal 62° 3 62,0
— postérieur ou basilaire 42°5 43,4
— antérieur ou alvéolaire 75° 0 74,'6

ANGLE PTÉRYGOÏDIEN

Angle de l'axe de l'apophyse avec la ligne na-


so-basilaire 108°

En résumé, le crâne que nous venons d'étudier est dolichocéphale


(77,5), mésorrhinien (48,0),mégasème des orbites(92,1), cryptozyge.
Le front est large, particulièrement à sa partie supérieure ; le dia-
mètre supérieur de la face ainsi que le bizygomatique sont larges
aussi. L'indice stéphano-zygomatique, qui est le rapport de deux de
ces diamètres, n'a que 92,7 pour ces motifs.
Il offre une ressemblance étonnante comme mesures avec la
Parisienne moyenne du cimetière de l'Ouest de Broca.
^ C'est un beau crâne, régulier, harmonique, ayant toute la finesse
et les courbes un peu molles, mais correctes, des crânes féminins. Il
26 PAUL TOPINABD.

est petit avec une bonne capacité moyenne. Il a un bel angle facial
de Camper et est orthognathe. Sa voûte crânienne est très régu-
lière partout. Ses bosses frontales et surtout pariétales sont peu
marquées. L'occiput est très également arrondi, la région céré-
belleuse est peu développée.
Le bregma, le basion et le centre du trou auditif sont sensible-
ment dans le même plan et coupent le crâne total, face comprise, en
deux moitiés sensiblement égales. Le plan des axes orbitaires, le
plan de Schmidt et le plan alvéolo-condylien sont parallèles. Ces
caractères et le précédent sont ceux du crâne typique européen.
Le clivus est assez relevé, le plan du trou occipital en revanche
Test peu, l'angle sphénoïdal est dans la moyenne. Il n'y a à noter
de défectueux dans ce crâne que trois choses : son front bas, sa
voûte platycéphale et un vestige d'apophyse jugulaire.
L'AGE DU BRONZE EN EGYPTE
PAR

OSCAR MONTÉLIUS
MÉMOIRE ACCOMPAGNÉ DE 6 PLANCHES HORS TEXTE

On admet généralement que le bronze était connu et employé


en Egypte dès les premiers temps de l'Ancien Empire, il y a près de
6 000 ans(l). Mais les auteurs ne s'accordent pas aussi bien à l'égard
du fer. La plupart assurent que ce métal était aussi connu dans la
vallée du Nil à une époque non moins reculée. Des raisons très
fortes me semblent pourtant démontrer que c'est seulement dans le
deuxième millénaire avant J.-C. que l'emploi du fer en Egypte eut
une importance qui autorise à parler d'un âge du fer dans ce pays.
La majeure partie du temps qu'embrasse la civilisation égyptienne
devrait donc être considérée comme âge du bronze.
Assurément, à la plupart des gens, cette conclusion paraîtra
inattendue, sinon absurde. La civilisation égyptienne en effet pen-
dant la période mentionnée était éminentc à un degré que l'on ne
peut pas croire possible sans la connaissance du fer. Mais nous ne
devons pas oublier que les Aztèques clans le Mexique, avec leur
civilisation fort développée, vivaient encore en pur âge du bronze
à la première arrivée des Européens.

La raison la plus importante et presque Tunique notable qui ait


été citée pour constater l'âge du fer en Egypte plusieurs milliers
d'années avant J.-C, c'est que déjà, à cette époque reculée, des
édifices puissants y furent élevés en pierre taillée et que cette pierre
est si dure qu'elle n'a pu être travaillée qu'avec des outils de fer,
(1) PERROT et CHIPIEZ, Histoire de l'Arl dans l'antiquité, t. I, l'Egypte, p. 829 ; AR-
CELIN, Influence égyptienne pendant l'âge du bronze, dans les Matériaux pour l'histoire
de l'homme, 1869, p. 377.
— En entreprenant des forages profonds en Egypte, on a
trouvé un « couteau de cuivre » à une profondeur de 24 pieds (MOOK, Mgyptens vor-
metallische Zeit, p. 5). Le Musée Britannique possède quelques haches en bronze avec
des inscriptions du temps de la VIe dynastie, ou d'environ le milieu du 3e millénaire
avant J.-C. A Guide to the Egyptian rooms (dans le Musée Britannique), p. 48.
28 OSCAR MONTÉLIUS.

d'acier. Le célèbre égyplologuc allemand, M. Lepsius (1),


ou plutôt travaillé, dont certains
le déclare : « Les grosses masses de granit
spécimens se rencontrent dès la IVe dynastie de Manéthon, ne nous
permettent pas de douter qu'on connût le fer à cette époque. »
D'autre part, il a été constaté, par des expériences spéciales,
qu'on n'a môme pas besoin d'instruments de métal pour travailler
pierre aussi dure que celle des édifices égyptiens. On peut se
une
servir d'instruments de pierre, quoique de cette manière le travail
marche bien lentement et exige beaucoup de patience (2).
Mais les Égyptiens avaient eu l'occasion de s'exercer à la pa-
tience, et tout travail peut être activé par la multiplication des
forces mises en jeu. Les rois égyptiens dans leurs entreprises de
construction n'avaient pas l'habitude de ménager leurs gens.
Du reste, il faut noter que le granit égyptien est si dur que nos
meilleurs instruments en acier même sont bientôt abîmés, quand
on essaie de le travailler avec eux. D'ailleurs les figures fines qui
les hiéro-
se retrouvent sur les monuments égyptiens, et surtout
glyphes, peuvent plutôt être appelées gravées que taillées. « 11 n'est
en aucune manière invraisemblable, » dit l'antiquaire anglais,
M. Wilkinson, qui s'est beaucoup occupé des anciens Egyptiens,
« qu'ils fussent
familiers avec l'usage de l'émeri, lorsque cette
substance, qui se rencontre dans les îles de l'Archipel, put leur
être accessible; et si cela est admis, nous pouvons expliquer la
perfection et la finesse admirables des hiéroglyphes sur les monu-
ments de granit et de basalte. Alors nous comprenons aussi pour-
quoi on préféra des instruments de bronze à ceux d'acier plus dur
et plus dense; car il est évident que la poudre d'émeri s'incruste
plus facilement sur ceux-là, et que son action sur la pierre devient
plus grande à proportion de la quantité fixée au tranchant du ci-
seau; de nos jours, dans le même but, nous préférons des outils
de fer tendre à des outils d'acier dur. »
Il est probable que du sable — ou de l'émeri, si vraiment on
le possédait — fut employé au sciage de la pierre. Ainsi on pourra
plus facilement expliquer pourquoi du vert-de-gris a été observé
quelquefois dans des carrières, sur les places où on a détaché pro-
bablement par un tel sciage des fragments de la roche (3).

(1) LEPSIUS, les Métaux dans les inscriptions égyptiennes, traduit de l'allemand par
AV. Bcrcnd (Paris, 1877, p. 57).
(2) SOLDI, les Arts méconnus (Paris, 1881), p. 492. — PERROT et CHIPIEZ, OUV. cit.,
I, p. 755.
(3) WILKINSON, Manners and customs of the ancient Eqyptians, lre édition vol III,
'
pp. 250 et 251.
L'AGE DU BRONZE EN EGYPTE. 29

La preuve que des instruments de bronze étaient employés par


les Égyptiens pour le travail de la pierre, est donnée par un
auteur g'rec, Agntharchide, qui vivait environ cent ans avant la
naissance de Jésus-Christ; il raconte que de son temps on avait
trouvé dans de vieilles mines d'or en Egypte les outils de bronze,
qu'avaient autrefois employés les ouvriers mineurs. Il explique
l'utilisation du bronze d'une manière très juste, en disant que le
fer était complètement inconnu lorsque l'on commença la première
exploitation des mines (1).
Sur les monuments du temps de l'Ancien Empire nous voyons
quelquefois des représentations d'hommes qui travaillent la pierre
au moyen de ciseaux, dont la couleur jaune ou mordorée montre
qu'ils étaient de bronze (2).
À Thèbes, au milieu des déchets de la taille des pierres, "Wil-
kinson a trouvé un gros ciseau de bronze, qui évidemment, il y a
des milliers d'années, avait été oublié par les ouvriers. Ce ciseau,
d'une longueur de 22 centimètres, présente à son extrémité supé-
rieure des marques bien évidentes de coups de marteau, mais le
tranchant est si intact qu'il paraît neuf; il aurait été bientôt abîmé,
si des ouvriers peu accoutumés à de tels instruments avaient essayé
de tailler avec lui une pierre semblable à celle qu'il façonna au-
trefois.
Que les Egyptiens, au moyen de leurs instruments de bronze,
aient pu produire ce qu'ils ont fait, cela ne dépend sans doute pas
— comme on l'a supposé — de ce qu'ils étaient en possession du
talent, secret depuis longtemps perdu, de tremper le bronze, mais
seulement de ce qu'ils avaient l'adresse, acquise par une longue
pratique, de se servir de leurs ustensiles; adresse que nous ne pos-
sédons plus, étant habitués à d'autres instruments.
On ne saurait méconnaître que la manière dont sont taillées les
pierres des monuments égyptiens présente une grande analogie
avec la facture des outils préhistoriques en pierre et de leurs trous
d'emmanchement.
Naguère encore on croyait aussi que ces outils et leur douille
ne pouvaient pas avoir été fabriqués sans le secours des instru-
ments d'acier. On soutint cette thèse jusqu'à ce que des expéri-
mentateurs eurent mis hors de discussion qu'en se servant unique-
(1) EVANS, Ancïent sione implements of Great Britain, p. 6.
(2) ROSELLINI, Monumenti dell' Egitto e délia Nubia (Monumenti civili, pi. XLVIII).
..Un de ces ciseaux n'est pas bleuâtre, comme on l'avait indkjué (PVIIIND, Thebes, its tombs
and their tenants, p. 222), mais mordoré.
-
(3) WILKINSON, Manners and customs, III, pp. 249, 252 et 253.
30 OSCAR MONTÉLIUS.

ment de pierre, d'os, de bois on pouvait former de tels outils et les


perforer — pourvu qu'on mît à ce travail l'adresse et le temps né-
cessaires.
Des édifices grandioses, en pierre dure, richement ornés de
reliefs, peuvent être construits sans fer. La preuve en est donnée
par le Mexique et l'Amérique centrale, qui sont riches en monu-
ments de ce genre, antérieurs à Colomb et à l'introduction du fer
dans ces pays par les Européens. On ne peut donc pas s'appuyer
sur le fait que la construction et l'ornementation des édifices gran-
dioses de l'Ancien Empire sont impossibles sans l'acier pour soute-
nir que l'âge du fer a commencé en Egypte à cette période loin-
taine.
Il nous faut alors fixer l'époque des débuts de l'âge du fer en
Egypte avec la même méthode qui nous a si bien réussi dans les
autres pays.
Ce problème a attiré trop tard l'attention des égyptologues.
Aussi n'a-t-on pas étudié, comme il l'aurait fallu, la plupart des
découvertes importantes pour la question. On n'a ni recueilli ni
observé tout ce qu'il pouvait être utile de connaître.
On verra tout à l'heure que les documents sont cependant nom-
breux et clairs et que les peintures notamment nous renseignent
avec une grande précision.
Il est nécessaire d'examiner les faits en les groupant sous quatre
chefs :
1° Quelles sont en Egypte les trouvailles d'objets enfer, qui
datent de l'époque la plus reculée? Et quels sont ces objets?
2° Quelles sont les inscriptions les plus anciennes où est men-
tionné le fer? Peut-on par elles être pleinement éclairé sur la
signification des hiéroglyphes qui sont supposés désigner le fer?
3° Quels sont les monuments les plus anciens représentant les
armes et les instruments de fer?
4° Jusqu'à quelle époque a-t-on continué d'employer en Egypte
des armes et des instruments de bronze? Peut-on observer sur ces
objets des marques faites par suite d'un long usage, soit la réfec-
tion du tranchant ou autre chose prouvant qu'ils ont vraiment été
employés, et qu'ils n'ont pas été fabriqués uniquement pour le
tombeau?
A la première question il est facile de répondre : Des fragments
d'instruments de fer ont été trouvés dans quelques pyramides; et
s'ils datent du temps de ces tombeaux, ils prouvent Lien la haute
antiquité du fer en Egypte.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 31

Le plus connu de ces fragments est celui qui fut découvert


par un Anglais, M. Iïill, en 1837, dans la grande pyramide à Gizeh,
bâtie environ 3000 ans avant J.-C. On a supposé que c'était un mor-
ceau d'instrument avec lequel a été polie la surface de la pierre
taillée, mais on a cru aussi que ce n'est pas de l'acier, mais du fer.
Il aurait été découvert près de l'embouchure d'un des canaux atmo-
sphériques éLroits, qui traversent la masse de la pyramide jusqu'au
caveau funéraire, et dans un joint des pierres, mais seulement
après que les deux couches de blocs extérieurs, formant la chape
de la pyramide, avaient été enlevées. On n'a observé aucune fente,
ni ouverture d'espèce quelconque, par laquelle ce fer après la con-
struction de la pyramide eût pu parvenir à l'endroit où il fut trouvé.
Voilà pourquoi quelques personnes, ayant exploré cet endroit
immédiatement après la découverte, ont publiquement attesté leur
conviction que le morceau de fer avait été laissé entre les pierres
pendant la construction de la pyramide, et qu'il ne peut pas y être
parvenu après ce temps (4).
De pareilles trouvailles ont été faites plus récemment. Ainsi
M. Maspero, en 1882, recueillit plusieurs parties de houes de fer
dans la pyramide Noire à Aboukir, probablement bâtie pendant la
VIe dynastie, c'est-à-dire dans le troisième millénaire avant J.-C; de
plus, il rencontra quelques fragments d'instruments de fer dans le
mortier, entre deux pierres, dans une p}^ramide du voisinage
d'Esneh (2). Cette pyramide n'est pas antérieure à la XVIIe dynas-
tie, et sa construction précéda donc immédiatement les débuts
du Nouvel Empire. M. Maspero, à ce que je crois n'a pas donné des
renseignements plus précis sur la situation et le gisement de ces
fragments de fer.
Des raisons que nous allons développer donnent droit de douter
des conclusions qu'on a tirées de ces découvertes : la présence de
ces morceaux de fer est certaine, mais est-on également assuré qu'ils
datent de la construction des monuments qui les renfermaient ? Les
endroits où on les a rencontrés n'ont-ils pas été accessibles à
l'homme de temps en temps pendant les milliers d'années qui ont
suivi la construction (3)? Peut-on affirmer que les couches de pierre
sous lesquelles ils gisaient étaient intactes et que les blocs n'ont

(1) VYSE, Pyramids of Gizeh, I, pp. 275, 276 ; Transactions of ike second session of
the international Congress of OrienLalisis, held in London 1874, pp. 396-399.
(2) MASPERO, Guide du visiteur au Musée de Boidaq (Paris, 1884), p. 296.
(3) VYSE dit {Pyramids of Gizeh, I, p. 4) que l'embouchure du canal atmosphérique
en question se trouvait en partie agrandie avant qu'il y commençât son travail.
30 OSCAR MONTÉL1US.

jamais été déplacés, puis remis en place? De nos jours, ces blocs
remaniés qu'aucune atteinte ait été portée à la solidité
ont été sans
de l'édifice. Les circonstances du gisement ne suppriment pas
possibilité de leur introduction à une époque plus ou moins
toute
tardive et en l'état il ne semble pas que l'on soit autorisé à tirer de
trouvailles la conclusion que le fer était déjà connu et employé
ces
les Égyptiens 3000 ans avant J.-G. (1).
par
On en a d'autant moins le droit qu'une telle conclusion serait
contraire, comme nous allons le voir, atout ce qu'on sait d'ailleurs
l'époque où fut connu le fer, non seulement en Egypte, mais
sur
encore dans les autres pays.
Lepsius, qui suppose que le fer était usuel en Egypte dès le
quarantième siècle, est obligé d'avouer (2) que dans les tombeaux
égyptiens on a, jusqu'à présent, trouvé peu d'objets de fer et que ces
objets sont les uns d'une époque incertaine, les autres récents.
Cette déclaration d'un des connaisseurs les plus éminents de l'anti-
quité égyptienne fut faite, il est vrai, il y a douze ans; mais, plus
récemment, dans le cercle spécial des égyptologues, on a manifesté
des cloutes sur l'ancienneté du fer en Egypte(3).
Des témoignages incontestables de l'existence du fer en Egypte
avant l'époque du Nouvel Empire, c'est-à-dire avant le milieu du
deuxième millénaire avant J.-C, ne sont donc pas produits. Ayant
tenu pour évident que les Egyptiens étaient en possession du fer
à une époque bien plus reculée, on a cependant tâcbé d'expliquer
l'absence de ce métal dans les nécropoles et tombes les plus anciennes
en invoquant un préjugé religieux.
Le fer était regardé comme l'os de Typhon, l'ennemi d'Osiris,
et par cette raison jugé impur; on n'aurait pu s'en servir, même
pour les besoins les plus ordinaires de la vie, sans souiller son
âme d'une manière qui lui causerait du dommage, et sur la terre
et dans l'autre monde. Cependant M. Maspero, l'un des égypto-
logues les plus éminents, a démontré que cette explication n'est
pas satisfaisante, car, dit-il (p. 295), « l'impureté religieuse d'un

(1)Les scrupules que j'ai exprimés à l'égard de la trouvaille de fer dans la grande
pyramide ne se présentent maintenant pas pour la première fois ; cf. l'ouvrage de
RJIIND publié en 1862, Thebes, its iombs and their tenants (p. 227).
(2) LEPSIUS, les Métaux, p. 54.
(3) Dans le guide officiel, imprimé en 1879 au service des visiteurs du Musée Bri-
tannique (A Guide to the Egyptian rooms, p. 40), nous lisons : « Il est douteux si l'usage
du fer fût connu à une période bien reculée. » De la même manière, on s'exprimait
plus tard en 1884 : cf. Journal oftke Anthropological Inslitute of Great Britain and Ire-
land, la séance du 25 mars 1884. Comparez aussi PERROT et CHIPIEZ, Histoire de VArt,
t. I (imprimé en 1882), pp. 753, 754 et 830.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 33

objet n'a jamais suffi à empêcher l'emploi de cet objet. Pour n'en
citer qu'un exemple, le porc, lui aussi, était consacré à Typhon et
considéré comme impur : on l'élevait pourtant en troupeaux, et le
nombre de ces animaux était assez considérable, au moins dans
certains cantons, pour permettre au bon Hérodote de raconter
qu'on les lâchait sur les champs, après les semailles, afin de pié-
tiner la terre et d'enterrer le grain. De plus, en Egypte, chaque
objet n'était pas exclusivement pur ou impur, mais tantôt l'un,
tantôt l'autre, selon les circonstances; c'est ainsi que le porc et la
truie, malgré leur caractère typhonien, étaient les animaux d'Isis,
et, par conséquent, participaient à la pureté osirienne. Le fer, que
certaines traditions nomment l'os de Typhon, est appelée commu-
nément ôonipit, la substance du ciel; il était donc pur par certains
points et impur par certains autres. »
Des scrupules religieux n'ont mis aucun obstacle à l'emploi du
fer en Egypte à l'époque où était réellement connu ce métal utile,
car on a trouvé divers instruments de fer dans les tombeaux con-
temporains. Plusieurs de ces objets sont déposés dans le musée du
Louvre; ils sont probablement tous postérieurs au xv° siècle avant
Jésus-Christ et très rapprochés de cette date. Le plus ancien
— si
nous ne considérons pas les fragments déjà mentionnés qui pro-
viennent des pyramides — qu'on connaît de l'Egypte, et dont on
a pu fixer l'âge, est une lame courbée, ressemblant à une faucille
qu'a mise au jour Belzoni sous un des sphinx, à Karnak; mais l'âge
de cette lame ne dépasse pas le septième siècle avant J.-G. (1).
Maspero, qui suppose l'usage du fer très ancien en Egypte, a
tâché, en deux circonstances, de trouver une explication de la
rareté de ce métal. Il pense d'abord que les objets de fer qui ne
pouvaient plus être employés ont été refondus.
Mais ceci ne peut nous expliquer pourquoi, dans les musées
égyptiens, des objets de fer sont bien plus rares que des objets de
bronze. La refonte des bronzes hors de service s'imposait au moins
autant.
En second lieu, M. Maspéro, et avec lui maints auteurs, ont voulu
expliquer l'absence du fer en arguant de sa destruction parla rouille.
Mais, est-il besoin de le rappeler, les tombeaux égyptiens sont si secs

(1) DAY, Prehistoric use of iron and steel, p. 14. Cf. Journal of the Anthrop. Insti-
tute, le 25 mars 1884. L'authenticité de cette trouvaille est révoquée en cloute par RHIND,
Thebes, p. 228.
— Un ciseau de fer a été trouvé sous un obélisque à Karnak, qui devrait
dater de la XVIIIe dynastie (ARCELIN, dans les Matériaux, 1869, p. 377) ; mais la déter-
mination de l'âge de ce ciseau est peut-être douteuse. E'ût-elle même juste, la trouvaille
néanmoins est postérieure au commencement du Nouvel Empire.
L'ANTHROPOLOGIE. 3
34 OSCAR MONTÉL1US.

là, moins qu'ailleurs, le fer pouvait être altéré par l'oxydation;


que
outre, la rouille n'a pas l'activiLé dévorante que Ton croit; il lui
en
faut beaucoup de temps pour accomplir son oeuvre totale et enfin
cette rouille ne peut disparaître : dans les tombes on eût retrouvé
l'objet rouillé ou la trace de la rouille sur les objets voisins (1).
Or, jamais de fer, jamais à ma connaissance de vestige de fer
plus ou moins rouillé, jamais de tache de rouille dans les tombes
antérieures au quinzième siècle avant J.-C.
Ceci est d'autant plus important, qu'on a rencontré dans des
trouvailles du premier millénaire avant J.-C, et en Egypte et ail-
leurs, de nombreux ouvrages de fer, parmi lesquels plusieurs sont
très bien conservés (RHIND, Thebes, p. 218). Or, si un objet de fer
peut être conservé presque intact pendant deux ou trois milliers
d'années, il n'y a aucune raison pour que cet objet eût disparu
sans laisser de trace, s'il était resté un peu plus longtemps dans la
terre et dans des conditions identiques.
Puisque l'on peut aujourd'hui lire sans difficultés presque toutes
les inscriptions hiéroglyphiques, on pourrait croire qu'il est aisé de
répondre à la deuxième question posée plus haut et désigner le
groupe des caractères qui forment le nom du fer. Or les érudits
sont en désaccord: pour celui-ci c'est tel mot, mais pour celui-là
c'est tel autre.
Ce n'est pas à moi, qui ne suis pas égyptologue, qu'il appartient
de rechercher si ces opinions variées et contradictoires ne provien-
draient pas de ce qu'on a voulu découvrir le mot fer dans des ins-
criptions d'une époque où ce métal était encore ignoré.
Je ne sais pas davantage si le groupe d'hiéroglyphes qui passe
pour signifier le mot fer, à un moment donné et récent, a la même
signification dans les inscriptions d'avant le Nouvel Empire. Il ne
suffit pas que le mot existe, il faut pouvoir démontrer que ce mot à
une époque reculée ne signifiait pas autre chose, et par exemple
qu'il avait, au lieu du sens fer, le sens « bronze » ou métal en géné-
ral. Un exemple frappant d'un tel changement de signification est le
suivant : dans l'Inde, aux premiers temps des Védas, ayas désignait
le bronze, puis après l'introduction du fer il désigna le nouveau
métal. Le latin a conservé le premier sens dans son mot ses.

(1)LEpsius,_tes Métaux, pp. 52 et suiv. ; il dit (p. 63) qu'on n'a trouvé
pas encore
le fer représente avec son nom. PERROT et CHIPIEZ, Histoire de l'Art, t. I p 753 CIÎABAS
Sur le nom du fer chez les anciens Égyptiens dans les Comptes rendus de l'Académie
des Inscriptions, 23 janvier 1874; BRTJGSCII, Hierogbjphisch-Demolisches Wôrterbuch,
Y, pp. 413 et suiv.
L'AGE DU BRONZE EN EGYPTE. 35

Le problème s'éclaire très sérieusement lorsqu'on a recours à


une autre catégorie de renseignements : c'est notre troisième point
de vue.
Parmi les peintures murales des tombeaux, si nombreuses et
souvent si admirablement conservées, il y a beaucoup d'armes et
d'instruments figurés, la plupart en rouge ou en jaune, les autres en
bleu. Certes, on ne peut nier que le rouge et le jaune ne repré-
sentent le enivre ou le bronze, et le bleu le fer ou l'acier.
Dans un tombeau relativement moderne, celui de Ramsès III,
des armes sont rouges, d'autres bleues. Rhinà(Thebes, p. 221) en a
tiré à tort la conclusion que les couleurs n'ont aucune signification.
Ce fait démontre seulement qu'à cette époque on employait des
armes de bronze et d'autres de fer, bien que ce dernier métal fût
alors depuis longtemps connu.
Lorsqu'on examine avec attention les peintures des anciens
temps, on observe que les armes et outils y sont uniquement peints
en rouge ou jaune, jamais en bleu. Lepsius, qui croit à l'ancienneté
du fer en Egypte, ne laisse pas que d'être très surpris du fait (p. 57) ;
le rouge ou brun clair est employé à la reproduction des haches,
des pointes de flèches, des faucilles, des scies, des ciseaux, des
rasoirs, des couteaux de boucher.
Ce n'est que sur les peintures du Nouvel Empire que se montrent
les objets de métal peints en bleu.
Cela s'explique naturellement : le bronze, jusque vers le quin-
zième siècle avant J.-C, fut seul employé pour la fabrication des
armes et des instruments; le fer n'était pas encore en usage.
Envisageons enfin le dernier aspect de la question.
L'absence d'objets de fer dans les mobiliers funéraires des
périodes anciennes n'aurait pas de signification ni d'importance si
ceux de bronze faisaient également défaut. Mais il n'en est pas ainsi.
Les bronzes se rencontrent en quantité dans les tombeaux.
Nous pouvons aborder, grâce à eux, la quatrième de nos ques-
tions. Parmi les plus remarquables trouvailles de bronzes antérieurs
au Nouvel Empire ou contemporains des premiers siècles de cette
période, on peut citer celle de Drah-abo u'1-Neggahau nord de Thèbes.
En 1860, des Arabes exhumèrent du sable un cercueil, celui de la
reine A'hhôtep. Cette reine avait été mariée avec Kamos, roi de la
XVIIe dynastie et fut peut-être mère du roi Ahmos Ier ou de son
épouse Nofirtari. Le roi Ahmos fut le premier de la XVIIIe dy-
nastie. A'hhôtep par conséquent vivait plus de 1500 ans avant
J.-C. Son cercueil renfermait un grand nombre d'objets précieux et
36 OSCAR MONTÉLIUS.

dont s'est enrichi le musée de Boulaq et que nous allons


d'armes,
décrire (1). Il avait de l'or, de l'argent, du bronze, mais aucune
y
trace de fer.
Les armes et instruments de bronze étaient encore en usage à
plus tardive et concurremment avec ceux de fer. C'est
une époque
prouvent les nombreux bronzes du musée de Boulaq et des
ce que
musées européens qui portent le nom du roi Thoutmos III. Ce roi, de
la XVIII 0 dynastie, vivait pendant la première moitié du quinzième
siècle avant J.-C. Si l'on a bien lu le groupe d'hiéroglyphes
qu'on suppose former le nom du fer, on connaissait ce métal à cette
époque. On a aussi des bronzes qui portent le nom de la reine
Hatschopsitu, soeur et corégente de Thoutmos III. Les inscriptions
qui portent ces noms sont gravées ou écrites avec de l'encre, sur le
bronze même ou sur le manche en bois des outils (fig. 29 et 39).
Il convient de noter que sur plusieurs de ces objets on voit la
même inscription, avec des variantes insignifiantes : « Le bon dieu
Ra-men-Kheper (prénom de Thoutmos III) aimé d'Ammon quand
fut tendue la corde à Amensarakhu. » On supppose qu'elle se rap-
porte à la fondation d'un pylône que fit bâtir Thoutmos à Karnak (2).
Le lait que sur tant d'objets nous rencontrons le nom de ce roi
pourrait tenir à ce que ce nom est fréquent dans les inscriptions
égyptiennes. Cependant ce peut être aussi l'effet du hasard qui a
fait mettre au jour des lots exceptionnels de ces objets; ainsi dans
un tombeau de Thèbes on découvrit plusieurs corbeilles remplies
d'instruments de ce genre (3).
On a supposé que les armes et les outils exhumés des tombeaux
avaient été spécialement fabriqués en bronze pour être employés
à des cérémonies soit solennelles — par exemple la fondation d'un

(1)La trouvaille est décrite par MARIETTE dans Notice des principaux monuments...
du Musée d'antiquités égyptiennes à Boulaq (2e édition, Alexandrie, 1868), pp. 257-267,
et par MASPERO dans Guide du visiteur au Musée de Boulaq (Paris, 1884), pp. 77-83 et
320. Cf. PERROT et CHIPIEZ, Histoire de l'Art, 1.1, p. 297, et EEIIAN, JEgypten, p. 612. —
La trouvaille est représentée dans la Revue de l'Architecture, 1860, mais je n'ai pas eu
l'occasion de voir cette publication.
(2) Sitzungsberichteder kôniçjl. Preussischen Académie der Wissenschaften zu Berlin,
1888, XXXIV, p. 770.
(3) Des bronzes avec le nom de Thoutmos III ou avec celui de Hatschopsitu sont, à
l'exception d'autres places, déposés dans le musée de Boulaq (une hache, un ciseau,
deux couteaux ou scies, etc. : MASPERO, Guide, pp. 297-299) ; le Musée Britannique
(3 haches et une couple de scies : A Guide to the Egyptian rooms, pp. 42 et 48) ; le
Musée de Leide (deux haches, un ciseau, etc. : LEE.MANS, Mon. égypt. du Musée de Leide,
pi. LXXX, fig. 3 et pi. XC, fig. 157, 159 ; CHABAS, Études sur l'antiquité historique,
pp. 76 et 79) ; la collection du duc de Northumbcrland à Alnwick Castle (une hache,
deux ciseaux, un foret, un couteau ou scie : BIRCH, Catalogue of the Collection ofEgyp-
tian anliquities at Alnvjick Castle, p. 200, pi. B.)
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 37

pylône, comme nous venons de le voir(l), — soit funéraires. Le


bronze, par suite de motifs d'ordre religieux, aurait continué à être
utilisé longtemps après que l'industrie eut fait en fer des armes et
des outils d'usag-e vulgaire. Mais cette supposition est démentie par-
ce qu'zm grand nombre de ces bronzes portent les marques évidentes
d'un long usage, ils n'ont donc pas été fabriqués uniquement pour
être déposés dans les tombeaux (2).
A la fin du deuxième millénaire avant J.-C, les armes de bronze
n'étaient pas encore entièrement remplacées par les armes de fer.
Les peintures murales dans le tombeau du roi Ramsès III à Thèbes,
qui date du douzième siècle, en témoignent; on y voit un grand
nombre d'armes, la plupart bleues, quelques-unes rouges. Des
pointes de lance et des épées à deux tranchants sont tantôt rouges,
tantôt bleues; toutes les épées à un tranchant et toutes les haches
sont bleues (3).
Les armes représentées dans ce tombeau étaient celles dont, au
temps de Ramsès III, on se servait pour la guerre. On ne peut donc
pas prétendre que les armes rouges étaient de bronze, parce qu'elles
étaient fabriquées spécialement pour le tombeau. Elles sont peintes
en rouge, parce que les armes de bronze étaient alors d'usage cou-
rant. Il est très important de constater que des armes de bronze
étaient encore communes au douzième siècle, et même qu'elles
étaient en majorité à ce moment qui est déjà l'âge du fer. Tel n'eût
pas été le cas si, comme le supposent plusieurs auteurs, le fer eût été,
dans ce pays, connu et employé depuis des milliers d'années. C'est
là une observation dont on saisira toute la valeur. Si le fer avait été
au service de l'industrie dès les premières dynasties, on ne le trou-
verait pas si rare encore vers le dixième siècle. Partout ailleurs on
constate que lorsque le fer arrive, le bronze ne tarde guère à lui
céder la place pour la fabrication des épées, des haches, des cou-
taux, etc. L'expérience acquise un peu partout à ce sujet ne per-
met pas de croire que les choses ont pu se passer autrement sur le
sol égyptien, que là le bronze en dépit de la présence du fer serait
resté si longtemps seul ou presque seul utilisé.

(1) BIRCH, Catalogue, p. 200. La même inscription se retrouve aussi sur des bronzes
qui n'appartiennent pas à la collection de Alnwick Castle.
(2) Le célèbre égyptologue suédois, M. Piehl, dont j'appelais l'attention sur l'im-
portance de cette question avant un de ses voyages en Egypte, a eu la bonté de
m'écrire qu'un grand nombre d'armes et d'instruments de bronze, gardés dans le musée
de Boulaq, évidemment ont été longtemps en usage, comme le démontre le fait qu'ils
ont été usés et aiguisés de nouveau.
(3) CHAMPOLLION, Monuments de l'Egypte, pi. CCLXIII-IV.
— ROSELLINI, Monumenli
civili, pi. CXXI.
— LEPSIUS, les Métaux, p. 111 et pi. II, fig. 2-7.
3s OSCAR MONTÉLIUS.

résulter des découvertes de Schliemann à Mycènes et


Il paraît
qui appartiennent à la fin du deuxième millénaire
à Tirynthe, et aussi ancien-
fer n'a été connu en Egypte
avant J.-C, que le pas
nement qu'on l'a dit.
Parmi tant d'objets de toutes espèces, qui ont été recueillis dans
tombeaux à Mycènes, il n'y a aucune trace de fer, tandis que
les
centaines d'épées et d'autres armes sont en bronze. Dans le
des
palais royal de Tirynthe, aucun fer, ni aucune trace de fer (1). Or
les antiquités, dans ces deux villes, témoignent d'une influence
puissante de l'Egypte, sans doute exercée par l'intermédiaire des
Phéniciens, et il serait alors à peine possible que le fer eût été com-
plètement inconnu en Grèce, si depuis deux mille ans il avait été
connu en Egypte.
De ce que nous venons de dire, il s'ensuit avec beaucoup de vrai-
semblance : que les Égyptiens, pendant tout le temps de VAncien
Empire, etprobablementjusqu'à environ 1500 ans avant Jésus-Christ,
connaissaient pas l'usage du fer et n employaient que du bronze
ne
leurs armes et leurs instruments ; que l'âge du bronze donc a
pour
continué en Egypte jusqu'à ladite époque, et que le fer encore vers la
fin du deuxième millénaire avant J.-C. na 'pas entièrement remplacé
le bronze pour la confection d'aunes et d'instruments tranchants.

La trouvaille égyptienne la plus remarquable d'armes de bronze


est, comme nous Pavons déjà dit, celle qui a été faite dans le cer-
cueil de la reine A'hhôtep. Parmi le grand nombre de choses pré-
cieuses que contenait ce iombeau, nous mentionnons d'abord Jes
objets suivants qui faisaient partie de la toilette de la reine : plu-
sieurs bracelets d'or, ornés de pierres précieuses et de pâtes de
verre; des anneaux de jambes, en or; une chaîne d'or avec un sca-
rabée y attaché, en pâte de verre bleu et en or; un diadème, un
large collier et une décoration de poitrine en or et en pierres pré-
cieuses; un manche d'éventail en bois lamé d'or ; un miroir d'ébène,
d'or et de bronze doré, etc. Mais avec cela on trouva dans le tom-
beau de la reine plusieurs armes et une petite barque d'or massif,
monté sur un chariot en bois, à roues de bronze, et une pareille
barque en argent. Dans la barque d'or on voit douze rameurs, aussi

Les chants d'Homère parlent bien quelquefois de fer, mais ces chants probable-
(1)
ment n'ont^ été composés que longtemps après l'époque de la guerre de Troie, et cer-
tainement ils n'ont pas été écrits dans l'état où nous les avons de nos jours. Us ne peu-
vent donc pas être cités en témoignage de la connaissance du fer en Grèce au temps
d'Agamcmnon et d'Ulysse.
L'AGE DU BRONZE EN EGYPTE.
39

en or, qui voguent sous les ordres du timonier et du pilote


d'avant. Au "centre, un petit personnage tient une hache et un
bâton de commandement; un cartouche, gravé derrière le timo-
nier, nous apprend que le mort à qui était destinée primitivement
cette barque était le roi Kamôs. La barque est un symbole de l'em-
barcation sur laquelle les morts, selon la croyance des Egyptiens,
devaient aller à Abydos pour passer à l'autre monde.
Sur quelques autres objets trouvés dans ce tombeau se lisent
des noms de rois : Kamôs, Ahmos, et le prénom de celui-ci, Nibpeh-
tirî.
Les armes trouvées dans le tombeau sont de grande importance
pour notre sujet. Ce sont : trois poignards aux lames en bronze et
en or; deux haches, l'une en bronze doré, l'autre en argent; neuf
petites hachettes, trois en or et six en argent ; et un bâton de com-
mandement, en bois noir et en or.
Les figures que nous allons citer sont groupées sur les planches
hors texte ci-jointes :
Un des poignards est représenté fig. 15 (1); il a été enfermé
jadis dans une gaine en or. Le manche est en bois et orné de petits
triangles, en cornaline, en lapis-lazuli, en feldspath et en or for-
mant dossier. Pour le pommeau, quatre têtes de femme, en or re-
poussé; une tête de taureau renversée dissimule la soudure de la
lame au manche. Le corps de la lame est en bronze noir, serti d'or
massif, et damasquiné. Sur la face supérieure, au-dessous du
prénom Nibpehtirî, un lion poursuit un taureau, devant lequel
marchent tranquillement deux grosses sauterelles. La face infé-
rieure porte le nom d'Ahmos Ier et quinze fleurs épanouies, qui
sortent l'une de l'autre et vont se perdant vers la pointe.
Un autre poignard fig. 18 a le manche en or, la lame en
bronze.
Le troisième poignard, fig. 11, est composé d'une lame de
bronze très lourde, et d'un disque d'argent servant de poignée.
La figure 12 nous montre le poignard, regardé du côté (2).
Une des deux grandes haches est représentée fig. 26. Le
manche est en bois de cèdre, revêtu d'une feuille d'or. Le nom du

(1) Les figures qui représentent ici des objets conservés dans le musée de Boulaq
sont exécutées d'après des photographies, qui, par l'entremise bienveillante de M. Piehl
et de M. Brugsch Bey, ont été exécutées pour moi. La description des armes de luxe
dans le tombeau d'A'hhôtep est tirée du Guide du visiteur au musée de Boulaq de MAS-
PERO, pp. 79-83. Cf. ERMAN, Mgyyten, p. 612.
(2) La figure 12 est dessinée d'après la figure 564 dans le tome Ier de l'ouvr. cit. de
PERROT et CHIPIEZ, où il est inexactement indiqué qu'elle représente
une épingle.
40
OSCAR MONTÉLIUS.

Iracé incrustations de lapis-lazuli, de cornaline,


roi Ahmos y est en
turquoise et de feldspath vert. La lame est emmanchée sur une
de
simple entaille du bois, et maintenue en place par un treillis fils
de
d'or. Elle est en bronze noir et a été dorée. L'une des
faces porte
des lotus sur un fond d'or; l'autre nous montre Ahmos menaçant
de sa hache un barbare à moitié renversé, qu'il tient par les
che-
Au-dessous de cette scène est représenté le dieu delà guerre,
veux.
Montou Thébain, sous la forme d'un griffon à tête d'aigle (1).
L'autre hache est de la même forme : le manche en corne garni
d'or, la lame en argent.

Parmi les haches de bronze trouvées en Egypte que je con-


nais, aucune n'est perforée de la même manière que les haches en
de jours. Toutes sont de la même espèce que les coins
usage nos
bronze si communs pendant l'âge du bronze de l'Europe, et ont
en
été fixées au manche par d'autres courroies ou des liens.
Toutes les haches égyptiennes en bronze que j'ai eu l'occasion
de voir au Louvre et dans d'autres collections, ont été des coins
plats sans traces d'élévation le long des bords « à bords droits » (2)
et sans talons près de la partie centrale, pour empêcher que la
lame n'entrât dans le manche quand on frappait.
Les lames sont ou presque de la même forme que les haches en
pierre (fig. 36), ou un peu élargies au tranchant. La partie supé-
rieure de plusieurs a une forme caractéristique des haches égyp-
tiennes (fig. 28) : elle est rectiligne, et vers les deux bouts pro-
longée en pointe.
Cependant il y avait encore d'autres formes de haches en bronze.
Parmi les reproductions qui datent de la première partie de l'An-
cien Empire, on voit des haches à lame demi-circulaire, comme à la
figure 31. Cette lame est massive; mais plus tard, vers la fin de la
période de l'Ancien Empire, la lame a très souvent la forme que
montre la figure 32, à deux trous ronds auprès du manche (3).L'arme

(1) D'après ERMAN {Mgyplen, p. 612), le milieu de cette face est couvert « d'émail du
bleu le plus foncé ».
(2) Dans les Matériaux pour VHïst. de l'Homme, 186e), pi. XIX, fig. 3, une hache égyp-
tienne est représentée, qui, d'après p. 378, devait être à bords droits, mais les dessins
de la planche citée ne sont pas assez exacts pour qu'on puisse en tirer quelques conclu-
sions. J'ai écrit au musée de Boulaq, où la hache figurée devait être déposée, pour
savoir ce qu'il en est, mais je n'ai pas encore eu de réponse.
(3) Des formes intermédiaires entre les figures 32 et 33 sont reproduites d'après les
monuments de Thèbes, dans les Manners and customs of the ancient Egyptians par
"WILKINSON (]" édition), I, p. 325. Cf. LEPSIUS, Benkmiiler ans JEcn/pten und éthio-
pien, II, pi. 132.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 4t

représentée parla figure 33 a une pareille lame à deux trous, seu-


lement plus allongée; la surface du manche est en argent (1).
Quelquefois les lames des haches sont percées à jour comme
celle de la figure 34, et présentent des images diverses.
Des celts à douille, pareils à ceux qu'on retrouve si souvent en
Europe, ne sont pas connus en Egypte,
r mais on y a trouvé quel-
ques celts à ailerons, qui se rapprochent des celts à douille. Les aile-
rons, qui ont été repliés autour du manche, ne se retrouvent que
d'un côté : la figure 40 représente un celt pareil. Celui-ci est en fer;
mais des celts de bronze, de la même forme se sont aussi rencon-
très en Egypte
r (2).
Dans des tombeaux égyptiens on a trouvé bien des poignards à
deux tranchants en bronze. La poignée en est souvent formée
d'une âme plate en bronze, des deux côtés couverte de bois, de
corne, d'os ou d'ivoire. Les poignées des poignards représentés
aux figures 1 et 3-5, qui sont de cette espèce, ont tout autour une
bordure en bronze. Une telle bordure se voit aussi à la plus grande
partie de la poignée de la figure 2, mais le pommeau est tout à fait
en os, ou plutôt en ivoire, fixé par un rivet, parallèle à la lame (3).
Sur les poignées dernièrement mentionnées, la poignée pro-
prement dite est, comme en général, bien plus grande que le pom-
meau. Tel n'est cependant pas toujours le cas. Un poignard en
bronze trouvé à Thèbes, du même type que la figure 9, a le pom-
meau presque aussi grand que la poignée (4). Au poignard repré-
senté dans la figure 9, le pommeau est un peu plus grand que la
poignée (5); celui-là, à deux grands trous demi-circulaires, est en

(1) Des lames de haches tout à fait de la même forme que la figure 33 (sans manche)
sont déposées, une au Louvre et une dans la collection de M. Greenwell à Durham. A.
ces deux, comme à l'original de la figure 33, les bords autour des deux ouvertures demi-
circulaires sont un peu en relief. Des haches pareilles à la figure 33 se voient parmi les
reproductions de la XIIe dynastie. LEPSIUS, les Métaux, II, pi. 3 32, et WILKINSON, Man-
nées and customs, I, p. 325, fig. 5 et 6.
(2) Un tel celt en bronze, dont les ailerons ne se dépassent pas autant qu'à la
ligure- 40, est déposé dans le musée de Leide. LEEMANS, Monuments égyptiens du Musée
de Leide, pi. LXXX, fig. ; CHABAS, Étude sur l'antiquité historique, p. 76.
u
(3) La partie supérieure des poignards maintenant en usage à Sudan rappellent
d'une manière incontestable la partie supérieure des manches de poignard de l'ancienne
Egypte, telle que celle de la figure 4. Un poignard de bronze très beau, de la même
forme que la figure 5, est déposé au musée de Darmstadt ; le bois de la poignée porte
une légende d'hiéroglyphes en relief.
(4) La poignée est moitié en corne, moitié
en ivoire. PRISSE D'AVENNES, Monum.
égypt., pi. XLVI ; d'après CHABAS, Études sur l'antiquité historique, p. 92. L'ouvrage
cité de Prisse d'Avennes, de même que bien d'autres livres d'importance pour ce mé-
moire, n'est pas à Stockholm.
(5) L'original de la figure 9 est déposé dans le Musée Britannique. La lame en haut
est prolongée en une soie étroite qui traverse la poignée. KEMBLE, Horse ferales, pi. VII,
fig. 3, p. 156. Là un autre poignard semblable est mentionné, déposé dans le Musée
OSCAR MONTÉLIUS.
-iZ

le reste en bois dur, fixé avec des rivets en


ivoire; et en corne ou
la figure 10 le pommeau est bien plus grand que la
bronze. Dans
poignée, à laquelle peut pas compter les longs et étroits lobes
on ne
de la poignée, qui embrassent la partie supérieure de
la lame (1).
Encore plus grand est Je pommeau du poignard qui est représenté
parla figure 11 et que nous avons décrit déjà; les deux trous demi-
circulaires, qui se trouvent dans le pommeau de la figure 9 se
voient de même à la figure 11 comme à la figure 10. Tous ces
quatre poignards ont des pommeaux presque circulaires.
La figure 8 nous montre un poignard en bronze déposé dans ]e
Musée deBerlin, dont le pommeau aussi est beaucoup plus grand que
la poignée. Le pommeau — pas rond, mais allongé —est en ivoire;
le reste, d'une matière foncée (de la corne ou du cuir de rhinocéros),
fixée avec de grands rivets, incrustés d'or.
Quelquefois, toute la poignée est en métal, comme à l'un des
poignards trouvés dans le tombeau de la reine A'hhôtep (fig. 18);
la lame est en bronze, la poignée en or. Encore plus précieuse est
la poignée de l'autre poignard découvert dans le même tombeau
(fig- 15)-
Les peintures murales du tombeau du roi Ramsès III à Thèbes
représentent nombre d'armes, entre autres des poignards longs, à
deux tranchants, comme la figure 20 ; les lames de quelques-uns sont
peintes en rouge, celles d'autres en bleu ou en vert (2). Lespoignées
de ces armes sont jaunes; probablement elles ont été en or, ou
dorées. Une arme de pareille forme (fig. 19), qui doit avoir été en
bronze, puisqu'elle est peinte en rouge, se voit sur une autre pein-
ture murale.
Hors ces poignards à deux tranchants, on emplovait en Egypte,
comme armes, une espèce de long couteau ou de courte épée à un
seul tranchant. Sur les bas-reliefs thébains, le roi Ramsès II porte
une arme de cette forme, et le dieu Ammon est assez souvent
représenté avec une telle arme à la main. Un bas-relief d'un temple
Britannique, à « poignée en bronze ou en argent, qui joint le pommeau en ivoire à la
lame ». — A l'occasion d'une séance de l'instituto di Corrispondcnza archeologica à
R.ome le 28 février en 1S79, je vis un poignard magnifique du même type que la ligure 9.
11 appartenait à M. Alessandro Castellani, qui l'avait reçu de Mariette. Le pommeau,
avec les deux trous ordinaires, était en bois de cèdre, tout à fait couvert d'or. La partie
inférieure de la poignée était en argent et ornée de rivets en or, symétriquement dis-
posés. Le long du milieu de la lame, on voyait une raie simple en relief, dont la plus grande
partie avait des bords aigus.
(1) L'original de la figure 10 fait partie de la collection de M. Grecnwcll àDurliam.
Je dois le dessin de celui-ci et d'autres bronzes égyptiens déposés dans la même collec-
tion à mon ami M. Sven Soderberg de Lund.
(2) ROSELLINI, Monumenll civili', pi. CXXI.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE.
43

à Ibsambul, dans la Nubie, nous montre Amrao 11 et le roi Ramsès III,


celui-ci levant sa main pour frapper une multitude d'ennemis vain-
cus. Dans la main du dieu, on voit l'arme reproduite par la figure
13) ; elle est peinte en rouge, et doit par conséquent être en bronze.
Parmi les armes des peintures murales déjà mentionnées dans le
tombeau de Ramsès III, se trouvent plusieurs de cette espèce, de
même que quelques-unes recourbées (fig. 6); mais elles sont toutes
bleues, et par conséquent de fer.
Le Musée du Louvre possède une arme en bronze de ce type
(fig. 14). La lame et la poignée sont fondues en une pièce ; la poi-
gnée, qui par derrière aboutit en un oeillet, est ornée d'un chien
très bien modelé.; sur la lame, on voit une légende en hiéroglyphes.
Les monuments égyptiens représentent très souvent des poi-
gnards assez longs (fig. 20); mais de vraies épées ne s'y voient pas
pendant la période que nous étudions. On ne connaît pas non plus
en Egypte, à ce que je sais, une trouvaille sûre d'une épée de
bronze. Il est vrai que dans la collection magnifique de M. John
Evans à Nash Mill est déposée une épée de bronze, qui fut trouvée
à Kantara pendant la construction du canal de Suez, par consé-
quent près de la frontière, il est bien incertain si elle doit être
appelée égyptienne, au moins tant qu'elle est la seule de son es-
pèce. La lame, longue de 43 centimètres, aboutit en haut en une
soie mince et recourbée en forme de crochet; à la base de la lame
il y a deux trous de rivets (1).
Le Musée de Berlin possède aussi une épée en bronze, qui
passe pour avoir été trouvée dans la Basse Egypte (2). Mais cette in-
dication est incertaine, et d'autant moins probable, que la lame ne
rappelle nullement les poignards égyptiens, mais, au contraire, res-
semble beaucoup aux épées de bronze européennes.

Les Egyptiens, comme d'autres peuples, se servaient aussi de


lances. Sur les monuments égyptiens, on remarque ces armes, quel-
quefois munies de hampes très courtes (3). Des pointes de bronze
se retrouvent, mais pas en grand nombre, dans les collections d'an-
tiquités égyptiennes. Une d'elles est représentée par la figure 41 ;
la longue douille est formée par du pliage, de sorte qu'une longue

(1) EVANS, The ancient Bronze impleme?its of Great Britain, p. 298.


(2) BASTIAN et Voss, Die Bronzeschwerter des k. Muséums zu Berlin, pi. XVI, fig. 32.
(3) PERROT et CHIPIEZ, ouvr. cit., t. I, fig. 173. Cf. WILKINSON, Manners and customs,
p. 291. Les pointes sont souvent peintes en rouge, par conséquent elles ont été en
bronze (LEPSIUS, les Métaux, pi. II, fig. 4 et 12).
44 OSCAR MONTÉLIUS.

voit (1). Des lances de bronze, dont les douilles sont


fente se seulement
formées de cette manière primitive, ont été trouvées non
Egypte, mais aussi à Chypre et en Grèce.
en bronze égyptiennes
Quelques-unes des pointes de lances en
ont
Ta
lame très étroite. D'autres sont plus larges (2).
Comme le démontrent des représentations innombrables, Tare
jouait un grand rôle chez les Égyptiens, et à la guerre et à la
chasse. Aussi a-t-on trouvé une quantité de pointes de flèche en
bronze. Bon nombre d'entre elles ont un pédoncule par lequel
elles étaient iixées à la hampe (fig. 23) ; souvent elles sont aussi
garnies de deux barbelures, longues (fig. 24). D'autres sont à
douille (fig. 22). Quelquefois les douilles des flèches (fig. 21) sont
formées en repliant les bords de la partie inférieure, c'est-à-dire
de la même manière que les douilles des pointes de lance.
Une grande partie des pointes de flèche égyptiennes sont à
trois tranchants. De telles pointes de flèche sont fréquentes en
Asie occidentale et en Grèce, où elles appartiennent à des époques
relativement récentes.
Quelquefois sur les monuments égyptiens, les pointes de flèche
sont à tranchant transversal (fig. 25); la couleur rouge nous fait
voir qu'elles étaient de bronze. Des pointes de flèches en silex, à
tranchant transversal, ont été trouvées en Egypte et dans quelques
pays européens, comme en France, et dans la Suède méridionale.
Parmi les instruments de bronze, il faut remarquer, outre les
haches déjà mentionnées, des ciseaux (fig. 39), des couteaux
(fig. 42), des scies (fig. 43), des forets, des alênes (fig. 46), de
petites pinces, des hameçons (fig. 45), etc. Un grand nombre
d'entre eux ont conservé encore leurs manches en bois ou encorne.
Comme sur les haches et sur les poignards, on voit souvent sur
ces instruments — ou sur le manche, ou sur le bronze même —
une légende en hiéroglyphes.
La plupart des instruments que nous venons de citer sont aussi

(i) L'original delà figure 41 appartient au musée de Boulaq. La fente ne se rencontre


pas seulement sur la partie de la douille qui est au-dessous du commencement de la
lame, mais aussi là-dessus. Une telle pointe de lance en bronze de Thèbes fait partie
de la collection de M. Greenwell à Durham. Cf. les Mémoires de la Société royale des
Antiquaires du Nord, 1873-74, p. 128, fig. 3.
(2) Le Louvre possède une pointe de lance égyptienne en bronze, dont la lame n'est
pas si étroite que celle de la figure 41, non plus de largeur aussi égale. Encore plus
large est une pointe de lance en bronze qui appartient au Musée do Berlin (WILKINSON,
Manners and customs, I, p. 312 et fig. 34 a, 1). Une pointe de lance à lame extraordi-
nairemcnt longue, large en bas, mais étroite en haut, est représentée dans l'ouvrage
dernièrement cité, I, p. 406.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 45

représentés sur les monuments égyptiens, et y sont généralement


peints en rouge (fig. 38 et 44) (1).
En bronze étaient aussi les faucilles et les aiguilles, de même
que les miroirs et les cordes des instruments de musique, ressem-
blant, à des harpes, pour ne citer que quelques exemples (2). Les
miroirs, qui sont des plaques rondes et .emmanchées, ressemblent
à ceux que nous connaissons des tombeaux étrusques.
Nous possédons encore très peu de bronzes égyptiens, d'un
âge bien déterminé, et ceux-ci datent, presque tous, des siècles
immédiatement voisins du temps où l'on avait commencé à em-
ployer le fer. Alors, nous ne pouvons pas encore répondre aussi
complètement que nous le voudrions à cette question importante :
quelles formes sont caractéristiques pour chaque période de l'âge
du bronze égyptien?
Ce n'est que bien rarement— comme lorsqu'il s'agit des poignées
des poignards (fig. 9-'Jl) et aux haches (fig. 30-33) — que nous
pouvons suivre le développement typologique. Cependant ce que
nous connaissons déjà est très intéressant. La découverte du tom-
beau de la reine À'hhôtep prouve que des poignards du type de la
.figure 11 sont un peu antérieurs à l'an 1800 avant J.-C.
Par conséquent, les types fig. 9 et 10 appartiennent à une
époque plus reculée, ce qui est confirmé par le fait que l'original
de la figure 9 a été trouvé dans le même tombeau que la hache
représentée par la figure 33 (3). Ce tombeau-ci doit dater à peu
près de l'an 2000, parce que des haches pareilles à la figure 45,
comme nous l'avons vu, sont représentées sur des monuments de
laXIIe dynastie, qui régnait à cette époque-là.
Trop peu de bronzes égyptiens de l'époque que nous étudions,
ont été jusqu'ici chimiquement examinés; nous pouvons cependant
voir que le bronze, alors employé en Egypte, comme celui dont on
se servait en Europe pendant l'âge du bronze, était un alliage de
cuivre et d'étain, probablement sans addition intentionnelle, de
plomb, de zinc ou d'autre métal (4). Un poignard égyptien, ana-
lysé par Yauquelin, contenait 85 p. 100 de cuivre, 14 p. 100 d'étain
et 1 p. 100 de fer (ou d'autres métaux) (5). D'autres armes en
(1) LEPSIUS, les Métaux, pi. IL La figure 19 de la même planche prouve que les cou-
teaux en bronze ont été employés aussi à la rasure des cheveux.
(2) LEPSIUS, les Métaux, pi. II, fig. 13 (faucille), fig. 20 (miroir) et fig. 22 (harpe).
(3) D'ATHANASI, Account of researches, p. 183.
(4) Dans des bronzes égyptiens plus récents, on rencontre souvent du plomb, il se
peut aussi du zinc. BIBRA, Die Bronzen und Kupferlegirungeii der alten und altesten
Vôlker, p. 94.
(5) BIBRA, Die Bronzen, p. 94.
OSCAR MONTÉL1US.
46

composées de 94 p. 100 de enivre, 5,9 p. 100


bronze égyptien sont Wilkinson (2), le titre de
et 0,1 p. 100 de fer
d'étain dans'presque (1). D'après
tous les bronzes (égyptiens) jusqu'à présent
l'étain
analysés est d'environ 12 p. 100. l'étain nécessaire
Les Égyptiens étaient obligés d'importer tout
fut, certes, une énorme quantité. Ils reçurent,
à leur industrie, et ce plus indispensable
probablement d'Asie, ce métal précieux, encore
dans l'antiquité que de nos jours (3).
contraire commun, sinon dans leur pays,
Le cuivre était au
le voisinage immédiat. La presqu'île du Sinaï pos-
du moins dans dès
sède des mines considérables, dont l'exploitation commença
un temps bien reculé.

DESCRIPTION DES PLANCHES

PLANCHE I
Poignard bronze; manche en bronze et bois (1/4) (*). Musée du Louvre.
FIG. 1. en
(LINDENSCIIMIT, Alterthùmer unserer Heidnischen
Vorzeit, 2 : XI, pi. III,
fig. 1.)
2. Poignard en bronze ; manche en bronze, bois et ivoire (1/3). Musée du Louvre.

(LINDENSCIIMIT, Alterthùmer, 2: XI, pi. III, fig. 2.)
3. Poignard en bronze ; manche en bronze et bois (c. 1/3). Musée du Louvre.

(D'après photographie.)
4. Poignard en bronze; manche en bronze et ivoire (1/4). Musée Britannique.

(KEMBLE, Horoe feraies, pi. VII, fig. 2.)
S. Poignard en bronze; manche en bronze et bois (1/3). Musée de Turin. (D'après

photographie.)
6. Sabre peint en bleu. Peinture murale du tombeau de Ramsès III à Thèbes.
— dans les ins-
(PVOSELLINT, Monumenti civili, pi. CXX1 ; LEPSIUS, les Métaux,
criptions égyptiennes, pi. II, fig. 2.)
1. Couteau en bronze (1/2). Collection de M. Greemvell à Durham, Angleterre.
-—
(D'après dessin exécuté par M. Sôderberg.)

PLANCHE II
8. Poignard en bronze; manche en bronze, corne (ou cuir de rhinocéros?) et

ivoire (1/4). Musée de Berlin. (BASTIAN et Voss, Die Bronzeschwerler des
Koniglichen Muséums zu Berlin, pi. XVI, fig. 31a; Cf. la fig. 3le de la
mémo planche: la gaine en cuir.)
— 9.
Poignard en bronze ; manche en bronze, ivoire et corne (1/4). Musée Britan-
nique. (KEMBLE, Horoe ferales, pi. VII, fig. 3.)

British Muséum : A Guide lo the Eçjyptian rooms (London, 1879), p 40


(1)
Manners and customs, III, p. 253, note. Les analyses spéciales, sur-lesquelles se
(2)
base cette donnée, ne sont cependant pas citées.
(3) ERMAN, /Egyplen, p. 613.
H Los chiffres indiquent la relation entre la figure et la grandeur naturelle. Il est quelquefois
très
. diincile de voir si les manches dos poignards sont couverts de bois ou d'os.
L'ÂGE DU BRONZE EN EGYPTE. 47

FIG. 10. Poignard en bronze; manche en bronze et os (1/4). Collection de M. Greemvell


à Durham.(D'après dessin exécuté par M. Soderberg.)
— 11.
Poignard en bronze; manche en bronze et argent (1/2). Musée de Boulaq.
(D'après photographie.)
— 12. Le même poignard, vu du côté. (PERROT et CHIPIEZ, Histoire de l'Art dans
l'antiquité, t. I, p. 830, fig. 564.)
— 13. Arme peinte en rouge, le manche en jaune. Temple à Ibsambul, en Nubie
(temps de Ramsès III). CHAMPOLLION, Monuments égyptiens, I, pi. XI; LEP-
SIUS, les Métaux, pi. II, fig. 8.)
— 14.
Grand couteau en bronze (c. 1/2). Musée du Louvre. (D'après photographie.)

PLANCHE III

— 15. Poignard en bronze, bois, or et pierres précieuses (1/2)); voir la description


p. 39. Trouvé dans le cercueil de la reine A'hhôtep. Musée de Boulaq. (D'après
photographie.)
— 16.
Poignard en bronze, manche en bois (1/2). Musée Britannique. (D'après pho-
tographie.)

17. Poignard en bronze (1/2). La partie inférieure du manche en bronze creux ; la
partie supérieure manque. Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 18. Poignard en bronze, manche en or (1/3). Trouvé dans le cercueil de la reine
A'hhôtep. Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 19. Poignard peint en rouge, le manche en jaune. Peinture murale. (LEPSIUS, les
Métaux, pi. II, fig. 9.)
— 20.
Long poignard peint en rouge; manche en jaune. Peinture murale du tombeau
de Ramsès III à Thèbes. (ROSELLINI, Monumenti civili, pi. CXXI; LEPSIUS,
les Métaux, pi. II, fig. 6.)
— 21. Pointe de flèche en cuivre pur (1/4). Musée Britannique. (KEMBLE, Horse
ferales, pi. VI, fig. 1.)
— 22. Pointe de flèche en bronze (2/3j. Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 23. Pointe de flèche en bronze (2/3). Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 24. Pointe de flèche en bronze (.2/3.) Musée Britannique. (D'après photographie.)
— 25. Flèche ; la pointe, à tranchant transversal, peint en rouge. Peinture murale.
(LEPSIUS, les Métaux, pi. II, fig. 12.)

PLANCHE IV
— 26. Hache en bronze doré; le manche en bois et pierres précieuses (1/5). Cercueil
de la reine A'hhôtep. Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 27. L'autre côté de la même hache. (D'après photographie.)
— 28. Hache en bronze (1/2). Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 29. Hache en bronze, portant le nom de Thoutmos III; le manche en bois (1/4).
Musée de Boulaq. (D'après photographie.)

PLANCHE V
— 30 et 31. Haches. Peintures murales de la VIe dynastie. (LEPSIUS, Denkmuler aus
JEgypten und ^Ethiopien, II, pi. CXI et CVIII.)
— 32. Hache; la lame peinte en jaune (ou rouge). Peinture murale de la Xlle dynas-
tie. (LEPSIUS, Denkmuler, II, pi. CXLI ; LEPSIUS, les Métaux, pi. II, fig. 2.)
— 33. Hache en bronze; la surface du manche en argent (I/o). Musée Britannique.
(D'après photographie.)
— 34. Hache en bronze, percée à jour; le manche en bois (1/4). Musée Britannique.
(D'après photographie.)
— 35. Hache en bronze (1/2). Musée Britannique. (D'après photographie.)
48 OSCAR MONTELIUS.

FIG. 36. Hache en bronze (c. 1/2). Muséedu Louvre. (D'après photographie.)

37. Hache en bronze, portant le nom de Thoutmos III ; le manche en bois.
Mémoires de la Société' royale des Antiquaires du Nord, 1873-74, p. 128,
fig. 5« et 56 (la lame vue de face).
38. Hache (?) ; la lame peinte en rouge. Peinture murale. (LEPSIUS, les Métaux,

pi. II, fig. 15.)

PLANCHE VI

— 39.
Ciseau en bronze (1/3) ; le manche, portant le nom de Thoutmos III, en bois.
Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 40. Celt en fer (c.
1/2). Musée du Louvre. (D'après photographie.) —Le Musée de
Leide possède un celt en bronze de la même forme.
— 41. Tète de lance en bronze (1/2). Musée de
Boulaq. (D'après photographie.)
— 42. Couteau en bronze (c. 1/4). Musée de Boulaq. (D'après photographie.)

PLANCHE VI.
— 43. Scie en bronze (1/3) ; le manche en bois. Musée Britannique. (D'après photo-
graphie.)
— 44.
Scie peinte en rouge. Peinture murale. (LEPSIUS, les Métaux, pi. II, fig. 14.)
— 45. Hameçon en bronze (1/2). Musée de Boulaq. (D'après photographie.)
— 46. Alêne en bronze (1/4); le manche en bois. Musée Britannique. (D'après photo-
graphie.)
ALEXANDER BRUNIAS

PEINTRE ETHNOGRAPHE DE LA FIN DU XYII10 SIECLE

COURTE NOTICE SUR SON OEUVRE

PAR

LE Dr E.-T. HAMY

Un certain dimanche de l'année 1888, j'errais à travers les salles


de l'Hôtel des Ventes, en quête, comme toujours, de quelqu'unde ces
monuments inconnus de l'histoire des sciences géographiques, que
je recherche avec passion, et parfois avec succès.
Mon attention fut attirée, tout d'un coup, par quatre petits pan-
neaux, sans cadres, représentant des scènes exotiques qui me pa-
rurent curieuses. La peinture en était recouverte d'une épaisse
couche de vernis encrassés et de poussières collantes. Il ne me fut
pourtant pas malaisé de reconnaître certaines qualités aux ta-
bleaux : l'exécution était peut-être un peu mince et un peu sèche,
mais les détails étaient rendus avec un grand souci d'exactitude,
et une véritable adresse de pinceau.
Ces panneaux ne déplaisaient point en somme, surtout à un
ethnographe, qui en saurait tirer peut-être d'utiles enseignements,
et ils me donnaient, en outre, cette sensation toute spéciale de
chose déjà vue, que connaissent bien les vrais collectionneurs.
Je pus acquérir les quatre panneaux pour une somme fort
modeste, et leur rendre, par un nettoyage des plus simples, leur
fraîcheur d'antan. Puis je me mis à feuilleter la collection de gra-
vures ethnographiques, assez nombreuses, que je possède, el en
arrivant au portefeuille Amérique, je pus constater, une fois de
plus, la fidélité de mes impressions visuelles.
J'avais si bien vu mes petits tableaux quelque part, que je pos-
sédais des estampes de Ruotte, qui en représentaient trois sur
L'ANTHROPOLOGIE.
— T. I.
50 E.-T. HAMY.

Elles donnaient le nom de l'auteur, Alexander Brunias,


quatre. me
l'indication d'une édition anglaise que Ruotte avait copiée.
et
J'allai consulter Nagler et je trouvai au tome II de son livre
qu'Alexander Brunias, peintre et graveur anglais, vivait vers 1780.
Il peint, dit le savant compilateur allemand, des paysages avec
« a
esprit et vigueur, et gravé sur cuivre quelques planches qu'il a im-
primées en couleur (1). »
Le cabinet des Estampes de la Bibliothèque nationale me mit
main l'oeuvre gravée entière de Brunias, et je pus ajouter quel-
en
renseignements précis aux brèves indications de Nagler. Les
ques
gravures de notre artiste ethnographe nous apprennent, en effet,
qu'il a travaillé dans les Petites Antilles, et en particulier à la Bar-
bade et à la Dominique, et qu'il s'y est créé des relations avec de
hauts fonctionnaires du gouvernement anglais et notamment avec
le brigadier général O'Hara, auquel il a dédié l'une de ses estampes.
11 était de retour en 1778 à Londres, où il demeurait N. Broad
street, Soho, et il a publié, à cette adresse, de février 1779 à fé-
vrier 1780, les six planches qui ont seules conservé son nom à la
postérité. Le graveur parisien Ruotte, qui s'occupait volontiers,
pendant cette période de sa vie, de la reproduction d'oeuvres an-
glaises, et avait, du reste, une préférence marquée pour les sujets
ethnographiques ("2), refit d'une main un peu lourde les six planches
de Brunias, et les publia tirées en bistre, chez Depeuille (3).
Je n'ai pu rencontrer que trois estampes de l'édition fran-
çaise (4), la lre, la 2e et la 6e, mais j'ai vu en double toutes les
planches de l'édition de Londres, et j'ai pu les comparer à mes
Kiinstler Lexicon oder Nachrichten von dern Leben und den
(1) Neues Allgemeines
Werken der Maler, Bildhauer, u. s. v.\ bearbeitet von Dr G. K. NAGLER 2d. Bd. s. 174.
Miinchen, 1835, in-8°.
(2) On possède notamment de lui une série des quatre parties du monde, d'après Le
Barbier l'aîné, et deux grandes figures, Afrique et Amérique, d'après Lemire aine.
L'une de ces dernières gravures publiées au commencement de l'Empire représente,
d'après nature, une gracieuse tête d'expression de métisse, Egypto-Négresse de la
vallée du Nil. Les quatre têtes d'après Barbier, qui servaient encore de modèle dans
les écoles de dessin de province, il y a une trentaine d'années, sont moins intéressantes:
l'Europe apparaît dans la série sous les traits d'une Minerve casquée ; l'Asie est une
odalisque coiffée d'un lourd turban ; l'Amérique est surmontée du bonnet à plumes
traditionnel des gravures du xvie siècle. Seule, l'Afrique a une véritable valeur ethno-
graphique : c'est une négresse, une mulâtresse plutôt, dont les cheveux crépus sont en-
fermés clans une pièce d'étoffe frangée. Les traits sont caractéristiques, mais volontai-
rement adoucis et anoblis.
(3) Se vend à Paris chez Depeuille, dit la légende, rue Saint-Denis, la boutique
attenant Saint-Jacques l'Hôpital et au Palais-Royal au Pavillon Chinois près le Bassin.
(4) La série manque à la Bibliothèque nationale, bien qu'elle ait été publiée à Paris,
tandis que la série anglaise se trouve deux fois, l'une dans un portefeuille, à part in-
titulé Brunias, l'autre dans un album de planches en couleur collées qui a appartenu
à la reine Marie-Antoinette.
ALEXANDER BRUNIAS. — COURTE NOTICE SUR SON OEUVRE. 51

petits tableaux originaux qu'elles reproduisent avec assez d'exacti-


tude, non sans leur enlever malheureusement, je l'ai constaté à
regret, toute la fleur de leur exécution artistique.

II
Les deux premières planches, qui se font pendant, se déve-
loppent en travers (33 centimètres sur 23 ou environ); elles sont
toutes deux datées du 1er février 1779 et dédiées, l'une à l'honorable
Charles O'IIara, déjà mentionné plus haut, l'autre à sir Ralph
Payne, chevalier de l'ordre du Bain.

I. THIS PLATE (representing a NEGROES DANCE | (1) in the ISLAND


OF DOMINICA (2) is humbly dedicated || to the Honhle Charles
O'Eara, BRIGADIER | GENERAL of his Majestys Army in Ame-
rica || Col. of Foot. et Lieu? Col. of the Coldstream Régiment of \
Foot Guards by his most obed* et devoted seiV.
A. BRUNIAS.

London. Published 15 feby 1779 by the Propiïetor N. Broad


street, Soho.
A. BRUNIAS.

La scène représente un bal champêtre, à l'entrée d'un village


encadré de feuillages ; un cocotier chargé de fruits occupe le centre
du tableau. Devant l'arbre une mulâtresse et un nègre se font vis-
à-vis en dansant. La mulâtresse, jeune et belle, relève gracieuse-
ment sa jupe blanche, une courte casaque de même couleur flotte
autour de sa taille, un mouchoir blanc entoure sa tête, des boucles
d'oreilles et une chaîne de cou complètent sa parure. Le noir dan-
seur, qui se balance gauchement devant la jeune fille, est vêtu d'un
chemise flottante et d'une culotte courte en étoffe jaune; un madras,
rayé est noué en sautoir sur une de ses épaules, et un mouchoir
blanc, à bords bleus, protège sa tête du soleil. L'orchestre est à

(1) L'inscription est coupée en deux par l'écusson de la personne à laquelle est dédiée
l'estampe. Le signe | indique cette séparation; le signe || est le retour à la ligne.
(2) L'édition française A. Brunias pinx. L. C. Ruotte direx., est intitulée Danse des
nègres dans l'isle de"Saint-Dominique. On lit au-dessous de la dédicace en anglais re-
produite avec l'écusson de l'hon. Charles O'Hara, l'adresse du libraire Depeuille trans-
crite plus haut.
52
E.-T. IIAMY.

d'un nègre assis qui regarde les dan-


gauche; il se compose posée entre
battant des doigts sur une grosse caisse ses
seurs en jouant du tambour de basque,
jambes, et d'une négresse debout,
négresse marque la mesure en frappant les
tandis qu'une autre
porte vieille casaque pourpre à courtes
mains. Le nègre une
jusqu'aux hanches, est vêtue d'un
manches; sa compagne, nue
couleur neutre, enfin la femme qui bat des mains
jupon plissé, de jupe blanche
casaquin à rayures grises et rouges et une
a mis un
bordée de ramages jaunes et bruns.
causent à gauche l'un est une riche né-
Deux personnages ;

regarde danser marquant du doigt la mesure; elle est


gresse qui en
blanches bordé de
coiffée d'un énorme madras à rayures bleues et
jaquette est striée de bandes brunes et jaunes recoupées
rose, sa Son interlocuteur,
de brun; sa jupe est verte et son tablier jaune. vu
dos, pittoresquement coiffé d'un mouchoir négligemment
de est
noué sur le haut du front; une chemise blanche, une culotte à raies
bleues et blanches recoupées de bleu avec une sorte de tablier formé
d'un madras rouge et blanc lui composent un costume assez pitto-
A l'extrémité droite du tableau on voit encore quatre per-
resque.
négresse, deux mulâtresses et un enfant qui porte sous
sonnes, une
le bras un énorme parapluie de couleur. L'une des mulâtresses a
l'énorme coiffure rayée, dont nous avons déjà donné la description,
l'autre porte, appuyé sur le front et fortement relevé en arrière par
bonnet conique, un large chapeau de paille abords bleus, tan-
son
dis que la négresse se protège à l'aide d'un large mouchoir à car-
reaux déployé sur sa tête.
Je possède l'original de cette curieuse scène de moeurs, la gra-
vure anglaise coloriée n'en reproduit pas bien exactement les
teintes.

II. This Plate (representing a CUDGELLING MATCH) | between EN-


GLISH and FRENCH NEGROES (1) in the || Island of Dominica ishumbly
dedicated to | Sir Ralph PAYNE KNIGHT of the most. || HONO-
RABLE ORDER ofthe BATH | by his most Obedient and devoled
servant
A. BRUNIAS.
London, etc.
(1) L'édition française en bistre que j'ai sous les yeux ajoute à la suite du titre
anglais la traduction suivante : Bataille entre un nègre François et un nègre Anglais
dans l lie de Saint-Dominique. . .
ALEXANDER BRUNIAS. COURTE NOTICE SUR SON OEUVRE. 53

Cette planche fait pendant, je l'ai déjà dit, avec la précé-


dente, avec laquelle elle a été publiée. Je possède aussi le tableau
original.
Près d'une case couverte en paille, et ombragée par des ba-
naniers chargés de leurs régimes, deux nègres marchent l'un contre
l'autre en se menaçant de leurs bâtons. Celui de gauche, nu jusqu'à
la ceinture, a pour tout vêtement une culotte jaune et un turban de
cotonnade rouge rayée; le costume de son adversaire, mouchoir
de tête, chemise et culotte, est entièrement blanc. Taudis que les
deux principaux acteurs de ce petit drame se menacent de leurs
bâtons, qu'ils tiennent serrés des deux mains, d'autres nègres ac-
courent prendre part à la querelle. En voici un à droite que cherchent
vainement à retenir un jeune noir et une mulâtresse, tandis qu'un
autre à gauche s'avance plus calme, prêt à juger les coups avant de
se mêler à la lutte. En voilà deux encore un peu plus loin, également
armés de bâtons, tandis qu'un dernier, animé au contraire d'in-
tentions pacifiques, lève la main pour séparer les combattants. Un
blanc et trois jeunes noirs assistent indifférents aux préparatifs
du combat.
La scène est pleine de mouvement et de vie et les types de tous
ces hommes de couleur sont observés et rendus avec esprit et vérité.

Le reste de l'oeuvre de Brunias se compose de quatre scènes plus


hautes que larges (haut. tabl. 24 cent.; grav. 22,5; larg. 18). Elles
forment deux suites, publiées la première le 1er juillet 1779, la
seconde le 1er février 1780.

III. THE BARBADOES MlJLATTO GlRL


This Plate is Dedicated to John Geo. Felton Esqr
by his most obliged and devoted serv*
A. BRUNIAS.

London Pubd as the Act directs July lst 1779 | by the Proprietor,
N° 1, Broad street, Soho.

Une jeune mulâtresse en costume européen, mais coiffée


d'un haut bonnet blanc, ornée de bracelets et d'un collier de perles
qui porte un pendentif en forme d'étoile d'or à six pointes, cause
avec deux négresses, marchandes de fruits, dans un paysage ver-
doyant, au fond duquel apparaît la maison d'un planteur.
54 E.-T. HAMY.

WASHER-WOMAN (1)
-IV. THE WEST INDIA
This Plate is Dedicated to Sir John Frederick, Bar1
6LC « \5 LOc

(Même formule et même date.)

Une jeune mulâtresse, les cheveux enfermés dans une pièce


de cotonnade blanche, couverte seulement de deux
mouchoirs à
fixés à la ceinture, se tient debout, le pied droit dans
carreaux
l'eau, l'autre sur une pierre, la main gauche ramenée -vers les
hanches, la droite portant un battoir. A gauche, une autre mulâ-
tresse, vêtue à peu près de même, lave, assise, les pieds dans l'eau.
Une négresse, debout à droite, sur la rive, porte du linge sur la
tète dans un plateau de bois, qu'elle soutient de la main gauche.
Un petit enfant est suspendu à son dos à l'aide de deux foulards à
dont l'un passe sous les bras et l'autre sous les cuisses
carreaux, ;

le premier comprime et déforme le sein de la jeune mère, qui n'a,


pour tout costume, qu'une sorte de jupe un peu relevée en avant.
De l'autre côté du ruisseau, un rocher à pic et quelque végéta-
tion.
J'ignore où peut être l'original du premier de ces tableaux, je
possède le second, dont quelques parties, la tête du principal per-
sonnage, par exemple, sont d'une très bonne exécution.

V. THE WEST INDIA ' FLOWER GIRL


This Plate is Dedicated to Sir Patk Blake Bar1
by his most obliged and dévoted serv*
etc., etc. A. BRUNIAS.

(Même formule, Febr\ 1780.)

Une négresse, vue de dos en profil presque perdu, offre des


fleurs, dans une cour, à une créole coiffée d'un énorme chapeau
appuyé sur le front et remontant en arrière. Cette créole est accom-
pagnée d'une dame plus âgée, dont la tête est également surmontée
d'une haute coiffure. A gauche, un mulâtre est assis sur le seuil
de la porte; au fond, un nègre roule une barrique sous la surveil-
lance d'un majordome vêtu d'un costume européen.

L'édition française est intitulée Blanchisseuse des Indes Occidentales, The West
(1)
India ivasher-woman, même dédicace : A. Brunias prinxit... L. Ruotte direxit.
ALEXANDER BRUNIAS. — COURTE NOTICE SUR SON OEUVRE. 55

YI. FREE NATIVES OF DOMINICA


This Plate is Dedicated to Sir W Young Bar 1
etc.
(Même formule et même date.)

Un mulâtre, tourné à droite, coiffé d'une sorte de mitre de


coton striée de gris et de blanc, vêtu d'une veste rayée de jaune et
de bleu, d'une culotte grise et de bas blancs, chaussé de souliers à
boucles d'argent (1) s'appuie de la main gauche sur une longue
canne à pomme dorée et abaisse de la droite, en saluant, non sans
quelque hauteur, un petit tricorne galonné d'or. Deux jeunes mu-
lâtresses abordent notre élégant. L'une est coiffée d'un énorme
bonnet cylindrique de dentelles blanches et vêtue d'une robe
blanche à larges manches brodées et d'un fichu de dentelles.
L'autre porte le gigantesque chapeau rond dont nous avons déjà
parlé. Ce couvre-chef repose, en avant, sur le front et est relevé
au loin, en haut et en arrière, par un bonnet semblable à celui de
sa compagne. La robe est toute semblable, mais le fichu est rose et
bordé de rayures blanches et bleues. Toutes deux, les jeunes femmes
ont des colliers de perles et des boucles d'oreilles d'or, et dans la
main un foulard rayé. La scène se passe dans un jardin, où s'élève
un cocotier chargé de ses fruits.
Ce petit tableau, qui en dit plus que de longues descriptions sur
les mulâtres libres [free Natives) des Antilles à la fin du xvme siècle,
est le plus soigné et le mieux conservé des quatre que j'ai pu sauver.
Les plrysionomies des personnages sont spirituelles et bien étu-
diées, et tous les détails des costumes sont rendus avec une singu-
lière finesse d'exécution.
Tout l'ensemble de l'oeuvre de notre peintre ethnographe est
d'ailleurs, je l'ai dit déjà, d'une exactitude quasi scientifique, dont
ne se préoccupaient guère les peintres de 1780.
Que l'on se souvienne, en effet, que Camper travaillait, à cette
même date (2), à la Dissertation sur les variétés naturelles qui carac-
térisent la physionomie des hommes des divers climats et des diffé-
rents âges (3), où l'on peut lire des critiques si justes sur l'ignorance

(1) Le peintre delà gravure anglaise s'est permis des variantes. Il a fait, par exemple
la culotte rouge et la veste rayée de bleu, de gris et de rose comme le bonnet.
(2) La dissertation que je cite « fut conçue, dit Camper le fils, en 1768, l'auteur l'en-
richit de plusieurs additions en 1772 et la porta, en 1786, au point de perfection où
nous la voyons aujourd'hui ».
(3) P. CAMPER, Dissertation sur les variétés naturelles qui caractérisent laphysio-
56 E.-T. HAMY.

des maîtres de la peinture moderne en matière d'ethnographie.


Parvenu à dix-huit ans, disait Camper (c'était par conséquent
a
1740), mon maître, M. Charles de Moor, le jeune, à qui je
vers
dois tous les progrès que j'ai faits dans la peinture, me donna à co-
pier un beau tableau de Van den Tempel, dans Jequel il y avoitun
Nègre, dont la représentation ne me fit rien moins que plaisir. Il
avoit, à la vérité, la peau noire ; mais cette peau recouvroit un corps
de charpente européenne. Je ne pus parvenir à le rendre à mon gré;
et ne recevant point, à cet égard, une instruction suffisante, je fus
obligé d'abandonner ce travail. Après avoir étudié attentivement
les gravures du Guide, de Caii Marate, de Séb. Ricci et de Rubens,
je trouvai qu'en représentant les Mages d'Orient, ils avoient,comme
Van den Tempel, représenté des hommes noirs, et non pas des
nègres. Le célèbre graveur Corneille Visscher est le seul qui m'ait
paru avoir suivi exactement la nature en voulant représenter un
nègre. »
Brunias, dont j'ai eu la satisfaction d'exhumer l'oeuvre entière-
ment oubliée, mérite de prendre une modeste place entre C. Vis-
scher qu'admirait Camper et Ruotte, dont je parlais plus haut, sur
la liste des graveurs qui ont introduit l'ethnographie dans le
domaine de l'art. Il est, en tout cas, le premier, par ordre de date,
de ces artistes voyageurs si nombreux depuis lors et parfois si
habiles qui ont consacré une partie de leur talent à représenter
d'après nature, en toute sincérité, les divers aspects de l'humanité
exotique. Hodges et Webber, les dessinateurs de Cook, sont, il est
vrai, ses contemporains et ses émules, mais leurs oeuvres, si inté-
ressantes qu'elles puissent être à certains égards pour nos études,
manquent absolument de vérité ethnographique, et l'on peut repro-
duire, à propos des planches qui nous les ont conservées, les
critiques de Pierre Camper.

nomie des hommes des divers climats et des différents âges, suivie de réflexions sur la
beauté, particulièrement sur celle de la tète ; avec une nouvelle manière de dessiner
toutes sortes de tètes avec la plus grande exactitude. Ouvrage posthume... traduit du
hollandais par H.-J. Jansen. On y a joint une dissertation du même auteur sur la meil-
leure forme des souliers, le tout enrichi de XI planches en taille-douce. Paris, Fran
cart, 1792, in-4.
TOMBEAU DE VÀPHIO (1)

(MORÉE)

PAR

SALOMON REINACH

On vient de faire dans le Péloponnèse une découverte du plus


grand intérêt, qui promet de répandre une nouvelle lumière sur
l'archéologie de la période dite mycénienne. Comme cette période,
qui est l'âge préhistorique, de la Grèce, rentre dans le cadre de ce
recueil, nous allons donner quelques détails à ce sujet.
Dans son célèhre ouvrage sur les Minyens, publié en 1820,
Otfried Millier écrivait (p. 319) : « Je ne sais pas si je fais une suppo-
sition téméraire en pensant qu'Amyclées a été l'ancienne résidence
principale des Pélopides et qu'elle est la ville appelée Lacédémone
par Homère. Là était le monument d'Agamemnon, car il passait
pour y avoir été tué, et les Amycléens disputaient aux habitants
deMycènes la possession du tombeau de Cassandre; là aussi vivait
Tyndare, et les Tyndarides sont appelés dieux amycléens; même
dans les poèmes postérieurs, on trouve des traces de la tradition
qui plaçait à Amyclées la tragique histoire des Pélopides. Je me de-
mande si des recherches plus exactes ne feraient pas découvrir près
d'Amyclées des monuments semblables à ceux de Mycènes. »
0. Mùller ignorait, en écrivant ces lignes prophétiques, que dès
1805 le consul Gropius avait trouvé près du village désert de Ya-
phio une construction avec coupole analogue aux prétendus trésors
deMycènes. La première description exacte de ce monument fut pu-
bliée par le colonel anglais Mure dans le Musée Rhénan (t. VI) : « Il
est situé, écrivait-il, sur une colline verdoyante, point de départ
d'une ligne de mamelons qui limitent la plaine du côté de l'est.

(I)BELGER, Beitruge zurKentniss dergriechischenKuppelgrciber,Berlin, 1887; TSOUN-


TAS, 'Eçï^epU àpyaioloyiY.rh Athènes, 1883, p. 198; AVOLTERS, Athen. Mittlieil, 1S89;
Berlin. Philologische Wochenschrift, 7 septembre 1889.
58 SALOMON REINACH.

C'est un lumuliis contenant une chambre sépulcrale; l'effet qu'il


produit est d'autant plus imposant qu'au lieu d'être appuyé, comme
les monuments de Mycènes, contre une longue élévation de ter-
rain, il occupe le sommet d'une petite colline ronde, c'est-à-dire
d'un tumulus naturel. » MM. Conze et Michaelis, en 1861 {Annali
deïï Instituto, 1861, p. 49), précisèrent un peu la description de
Mure en publiant un plan sommaire de la colline. Mais ces ren-
seignements étaient encore bien maigres et M. Chr. Belger, dans
son excellent opuscule sur les Tombeaux à coupole de la Grèce
préhistorique, publié en 1887, insistait avec raison pour que l'on
étudiât plus exactement la tombe de Vaphio.
Ce travail a été entrepris en 1889 aux frais de la Société archéo-
logique d'Athènes. Les fouilles, dirigées par M. Tsountas, durèrent
environ quarante jours, du 23 au 31 mars et du 1er mai au 3 juin.
La coupole (tho/os) a de 10m,15 à 10m,35 de diamètre; comme les
murs du couloir d'entrée, elle est construite en petites plaques,
qui se sont conservées jusqu'à une hauteur de 3 mètres environ. Le
sol, qui est formé par le roc naturel, était presque partout recouvert
de terre noire et de fragments de bois carbonisé qui attestent la
présence de foyers ; c'est dans cette couche qu'on a recueilli les
offrandes funéraires, qui étaient dispersées un peu partout, sauf
dans le tiers du tombeau voisin de l'entrée. Ces objets sont très im-
portants pour l'archéologie et nous nous proposons d'en faire con-
naître quelques-uns par la gravure, dès qu'ils auront été publiés
par la Société archéologique d'Athènes. 11 y a notamment quatorze
pierres gravées, du type de celles que l'on appelle « pierres des îles »
(Inselsteine) ; deux bagues en or, dont l'une porte une représenta-
tion figurée, un homme devant un arbre, tendant les mains
comme dans l'acte de l'adoration, avec une femme auprès de lui;
deux petits poissons découpés dans une mince lame d'or; des clous
en argent et en bronze; de petits ornements, en particulier des
rosaces et des feuilles d'or; des grains de collier en pierre et en
ambre; des restes d'assez nombreux objets en ivoire, etc. On a dé-
couvert très peu d'ossements; la plupart avaient subi l'action du
feu, mais M. Tsountas déclare ignorer s'ils appartenaient à des
hommes ou à des animaux.
Dans la moitié septentrionale de la tholos,
on a déblayé une
fosse quadrangulaire creusée dans le
roc, longue de 2m,2S, large
de lm,10 et profonde d'un mètre. On n'y recueilli ni ossements ni
a
charbon, ce qui fait supposer à M. Tsountas
que c'était une tombe
à inhumation, où les ossements
se sont complètement réduits en
LE TOMBEAU DE VAPHIO. 59

poussière. A une des extrémités de cette fosse, on a trouvé une


épée qui était fixée à sa poignée par trois clous en or; cinq poi-
gnards et couteaux de différentes grandeurs; deux pointes de
lance ; un disque en bronze ; quatre disques épais en plomb ; deux
vases en albâtre ; quatre vases en terre cuite; un petit vase en
argent; un autre de même forme en bronze. Vers le milieu du
tombeau, on a recueilli quatre-vingts grains de collier en améthyste,
deux pierres gravées et un poignard de bronze recouvert de feuilles
d'or. Tout auprès étaient deux vases en or ornés de représenta-
tions en relief extrêmement curieuses (des hommes chassant des
taureaux), deux vases en argent sans décoration, une phiale d'ar-
gent dont le rebord et le manche sont dorés, treize pierres gravées,
trois bagues, dont l'une est en or sans décoration, la seconde en
bronze avec des gravures que M. Tsountas ne décrit pas, la troi-
sième en fer. Enfin, à l'autre extrémité du tombeau, on a trouvé
un couteau, deux haches (dont l'une présente un type tout parti-
culier) et deux disques épais en plomb.
Entre Slavochori et la colline d'Haghia Kyriaki, où l'on suppose
qu'était placé le temple d'Apollon Amycléen, à quelques minutes
vers le sud du hameau de Godena, M. Tsountas a découvert deux
autres tombeaux de la même époque, sans coupole il est vrai, mais
creusés dans le roc, comme ceux qu'on a explorés à Nauplie et à
Mycènes. On compte procéder le plus tôt possible à l'étude minu-
tieuse de ces sépultures, qui paraissent être restées intactes.
Le tombeau à coupole de Vaphio, dont Je contenu n'avait pas
été pillé, est le plus riche que l'on connaisse encore de cette série.
Peut-être les grands trésors de Mycènes étaient-ils plus riches
encore, mais l'on sait qu'ils ont été impitoyablement saccagés par
des barbares au commencement de ce siècle. L'histoire en est
assez peu connue pour qu'il soit utile de la résumer ici. En 4813,
le baron de Stackelberg vint à Mycènes pour dessiner les paysages
environnants. Dans la relation très sommaire qu'il a publiée,
il parle des fouilles faites par Veli Pacha pour déblayer, le cou-
loir du trésor d'Atrée, le plus grand des monuments de Mycènes.
Ce pacha était un simple spéculateur, qui recherchait des antiqui-
tés pour les vendre. Au mois d'avril 1808, il avait fait fouiller le
trésor oVAtrée; d'après une relation due à un médecin grec
nommé Pyrlas, il y découvrit plusieurs tombeaux contenant des
ossements recouverts d'appliques en or, qui avaient été cousues
sur les vêtements des défunts; il trouva aussi des objets précieux
en or et en argent et des gemmes non gravées (?). En dehors des
60 SALOMON REINACH.

tombeaux, il aurait exhumé environ 25 statues (?) et une table


de marbre. Veli Pacha fit transporter tous ces objets à Tripolitza, où
il les vendit à des voyageurs étrangers pour environ 20 000 francs.
Il donna aussi l'ordre de recueillir les ossements et la terre des
tombeaux et les envoya à Tripolitza : là, ces débris furent remis
à deux orfèvres qui en tirèrent encore 4 800 grammes d'or et
d'argent. Pyrlas ajoutait, en 1857, qu'il tenait ces détails des deux
orfèvres eux-mêmes et de son père, qui avait vu les statues.
M. Schliemann révoque en doute l'exactitude de cette his-
toire, que M. Belger croit au contraire vraie dans son ensemble,
parce qu'elle est confirmée par le témoignage du baron de Stac-
kelberg. Celui-ci ajoute qu'une partie des découvertes de Veli Pacha
fut vendue à lord North. Il y a donc lieu d'espérer qu'on pourra les
retrouver quelque jour dans une collection anglaise. C'est à nos
lecteurs de Grande-Bretagne d'instituer cette recherche, qui est
d'une importance considérable pour la science.
Bans une notice ultérieure sur les trouvailles de Yaphio,
M. Wolters nous apprend que les épées découvertes sont tout à
fait semblables à celles de Mycènes. Un des poignards montre les
traces d'une ornementation en or analogue à celle des poignards
mycéniens qui ont été publiés en couleurs dans le Bulletin de
correspondance hellénique (1886, pi. I, II, III). Les pierres gravées
sont d'un admirable travail : outre les représentations d'animaux,
si fréquentes sur les objets de cette classe, on y voit un certain
nombre de figures humaines, tantôt vêtues de longues et larges
draperies, tantôt presque nues. M. Wolters n'a pas assez d'éloges
pour les deux vases à boire en or munis d'anses, dont l'extérieur
est entièrement couvert de sujets en repoussé. Ces sujets se rappor-
tent à des scènes de la vie ordinaire, probablement à la capture de
taureaux que nous devons nous représenter comme vivant à l'état
demi-sauvage. Sur une des coupes on voit un taureau, se précipi-
tant vers la gauche, qui a saisi un homme par ses cornes et le jette
à terre. Auprès du taureau est un second personnage au moment de
tomber, comme si le taureau furieux venait de le renverser en pas-
sant. Plus loin, sur la droite, un taureau, pris dans une sorte de
filet fixé à deux arbres, s'est abattu ; enfin, plus loin, un taureau
s'enfuit vers la droite. Sur la seconde coupe, un taureau passe à
gauche devant un arbre : un homme l'a attaché par le pied gauche
et marche derrière lui. Puis on aperçoit deux taureaux debout à
côté l'un de l'autre, et un troisième qui s'avance la tête baissée.
Ces reliefs sont remarquables, non seulement
par leur intérêt
LE TOMBEAU DE VAPHIO. 61

archéologique, mais par l'excellence de l'art dont ils témoignent.


Ce sont les premiers produits de l'art mycénien où la figure hu-
maine soit représentée avec soin et dans des dimensions suffi-
samment grandes pour qu'on en puisse étudier le style. Le costume
des hommes est très singulier. Ils portent de longs cheveux et
sont presque nus, avec une épaisse ceinture qui passe autour de
leurs reins et se prolonge de part et d'autre par un petit tablier.
Ils portent aussi des chaussures avec des extrémités un peu rele-
vées et qui montent en bandes horizontales jusqu'au milieu du
mollet. L'ensemble de ces scènes rappelle d'une manière frappante
la peinture murale découverte à Tirynthe par M. Schliemann (Ti-
rynthe, pi. XIII), où l'on avait d'abord reconnu une sorte d'acro-
bate se livrant à de périlleux exercices au-dessus d'un taureau
lancé au galop. Il faut renoncer à cette interprétation et expliquer
la peinture de Tirynthe d'après l'analogie des scènes de chasse de
Yaphio.
Nous tiendrons nos lecteurs au courant des publications nou-
velles que ces étonnantes découvertes ne manqueront pas de pro-
voquer en Grèce.
SALOMON REINACH.
MOUVEMENT SCIENTIFIQUE
EN FRANGE ET A L'ÉTRANGER

D.-N. ANOUTCHINE. La Répartition géographique de la taille dans la population


masculine de la Russie (0 geographitcheskom rasprediélénii rosta moujskavo
naseîenia liossii sravnitelno rasprediéléniem rosta drougikh stranakh). Saint-
Pétersbourg, 1889.
L'ouvrage du savant professeur de Moscou n'est pas un simple tra-
vail de statistique, intéressant surtout pour les habitants du pays où il
a été fait. C'est une oeuvre approfondie, où chacun peut trouver son
profit. L'auteur examine d'abord la répartition de la taille dans les
différents pays autres que la Russie, puis sa distribution dans ce der-
nier pays. Une dizaine de cartes en couleur servent à rendre les résul-
tats obtenus sensibles aux yeux. Ce sont les premiers documents
sérieux que nous possédions sur le sujet. Aussi croyons-nous intéres-
sant de donner une analyse détaillée de cet ouvrage. Il s'appuie sur un
travail du comité central de statistique, intitulé : Eto.t des recrues pour
le service militaire dans la période décennale de 1874-1883, et mis en
oeuvre par le rédacteur du comité, A. Symieff. Dans cette publication,
outre d'autres renseignements, on trouve des données sur les individus
refusés pour défaut de taille, et sur la répartition de la taille par gou-
vernements et districts. En outre, on donne le nombre des exemptés
pour maladies et infirmités, et des exemptés provisoires pour dévelop-
pement insuffisant; enfin il y a des renseignements, incomplets à la
vérité, sur la race à laquelle appartiennent les recrues. Aussi le tra-
vail en question présente-t-il de grandes garanties d'exactitude, surtout
si l'on considère le nombre énorme des observations. En effet, dans
cette période de dix ans, le nombre total des sujets auxquels s'étend la
statistique en question n'est pas inférieur à 2 023 416, dont 84 141 pour
l'Asie, le reste se rapportant à la Russie d'Europe. Quant aux popula-
tions comprises dans cette statistique, il est à noter qu'elle ne comprend
ni les Samoyèdes du gouvernement d'Arkhangel, ni les Kalmouks et
Kirghizes d'Astrakhan. Sont exclus aussi la Finlande et les Cosaques
et la plupart des indigènes de la Sibérie qui sont soumis à des lois
spéciales pour le service militaire.
RUSSIE. 63

Le manque d'espace nous force à laisser complètement de côté


toute la première partie de l'ouvrage de M. Anoutchine. L'auteur y
passe en revue tout ce qui a été écrit sur la taille dans les divers pays
de l'Europe et aux États-Unis. Il rappelle les résultats obtenus par
Gould et Baxter pendant la guerre de Sécession; s'aidant des travaux de
Villermé, Boudin, Broca, Topinard, Bertillon, etc., il reprend à fond la
question de la taille en France, en cherchant à définir ce qui revient à
l'influence de la race, ou des conditions hygiéniques et sociales ; il étu-
die de même les variations de la taille suivant les époques, l'influence
des grandes guerres, celle du mélange de deux races, etc. Une discus-
sion tout aussi approfondie, avec reproduction de nombreux tableaux
statistiques est consacrée à la Belgique, l'Italie, l'Autriche-Hongrie, l'Al-
lemagne, la Grande-Bretagne, la Hollande, la Suisse et la Suède. On le
voit, cette première partie forme une véritable monographie de la ques-
tion : peut-être aurons-nous un jour l'occasion d'y revenir, afin de
donner dans cette revue, un tableau de l'état actuel de la science en ce
ce qui concerne la taille.
I. En Russie, la limite de taille pour les soldats est de lm,534. Si l'on
cherche quelle est dans chaque gouvernement la moyenne des exemptés
pour défaut de taille, on obtient les résultats suivants : en éliminant
le minimum de 0 p. 100 (colons russes du Daghestan) et le maximum
de 7,8 p. 100 à Iakoutsk, qui proviennent de populations récemment
immigrées, on voit que la proportion des réformés varie de 0,53, dans
le gouvernement de Stavropol, à 3,76, dans celui de Kielce. En négli-
geant encore ces deux chiffres qui sont fournis l'un par une population
voisine du Caucase, l'autre par une province polonaise, on obtient pour
la Russie propre : 0,38 dans la province des Cosaques du Don (popula-
tion non cosaque) et 3,35 dans le gouvernement d'Oufa. Si l'on répartit
tous les gouvernements de la Russie d'Europe en trois catégories, sui-
vant que le nombre des exemptés pour défaut de taille est inférieur à
1 p. 100, de 1-2 p. 100 ou supérieur à 2 p. 100, on voit que le maxi-

mum des exemptés se rencontre dans les gouvernements orientaux :


Kazan, Viatka, Oufa et Samara; un second centre se trouve au nord
(Arkhangel) et un troisième à l'ouest (Minsk, Kovno et les quatre gou-
vernements avoisinant la Vistule). Tous les autres gouvernements du
centre, de l'est et de l'ouest appartiennent à la catégorie moyenne, sauf
Vladimir, Pskov, Livonie et Courlande qui ont moins de 1 p. 100 de
réformés. A cette troisième catégorie appartiennent également tous les
gouvernements du sud, y compris Koursk, Voronéje et Lublin, mais en
en exceptant ceux de Tauride,Podolie et Volhynie, qui rentrent dans le
groupe moyen.
IL Un second tableau et une seconde carte montrent la proportion
des recrues de très haute taille (lm,118 et au delà). Pour nous en tenir à la
Russie d'Europe pour laquelle seule on possède des observations assez
64 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

nombreuses, cette proportion varie de 0,97 p. 100 dans le gouvernement


de Kalich (Pologne) à 7,22 dans la Gourlande. Si l'on divise comme
tout à l'heure les gouvernements en trois catégories, on voit que le mi-
nimum de très hautes tailles (2 p. 100 et moins) occupe un premier centre
à l'est : Vialka, Oufa, Kazan et Kostroma, et à l'ouest tous les gouver-
nements polonais, moins Souvalki. A la seconde catégorie (2—3,50 p. 100)
appartiennent presque toutes les provinces de la Grande-Russie, de la
Russie-Blanche et de la Lithuanie. Le troisième groupe (3,50 et plus)
comprend tous les gouvernements méridionaux (Bessarabie, Podolie,
Kiev, Kherson, Poltava, Ekaterinoslav, Tauride, provinces du Don,
d'Astrakhan, Stravropol, Kouban, Ter, Daghestan) ; et à l'ouest l'Es-
thonie, la Livonie, la Courlande, Pskov et Vilna.
Si l'on compare ces deux premières cartes, celle de la répartition des
exemptés pour défaut de taille, et celle de la proportion de très hautes
tailles, on voit au premier coup d'oeil leur concordance générale : deux
centres de tailles élevées, au sud et dans les provinces baltiques, deux
centres de petite taille, l'un à l'est, l'autre à la frontière occidentale,
dans l'ancien royaume de Pologne ; en outre la première carte donne un
troisième centre de petites tailles au nord dans le gouvernement d'Ark-
hangel; ce centre disparaît dans le second mode de groupement pour se
fondre avec le reste des gouvernements grand-russiens. Ce fait peut s'ex-
pliquer par un mélange d'éléments grands et petits, ayant produit ceux-
ci un nombre suffisant d'exemptions, ceux-là une proportion assez con-
sidérable de hautes tailles; il en est de même pour les gouvernements
de Minsk, Kovno, Samara, Tauride, Podolie, Esthonie, Lublin, qui
changent de rang dans les deux cartes.
Si l'on élève, dans la comparaison des proportions des très hautes
tailles, les limites des catégories de 0,50, on obtient le résultat suivant.
Les deux maximums de très hautes tailles (maintenant 4 p. 100 et au
delà) persistent au sud et près de la Baltique, mais ils ont diminué d'é-
tendue. Des deux centres de moins grandefréquence de très hautes tailles
(2,50 p. 100 et moins), l'occidental (Pologne) conserve ses limites, mais
l'oriental s'annexe Orenbourg, Vologda et Iaroslav et atteint les fron-
tières de Finlande. De plus, un troisième centre de la même catégorie
apparaît, comprenant Minsk, Mohilev, Smolensk, Kalouga, Toula, Ria-
zan, Tambov, et Penza et s'étendant au travers du milieu de la Russie.
Cette troisième carte nous montre donc mieux que la seconde la répar-
tition des très hautes tailles; le minimum de fréquence de celles-ci se
présente sous la forme de deux bandes dirigées, l'une de l'est à l'ouest
et comprenant les gouvernements de Penza, Tambov, Riazan, Toula,
Kalouga, Smolensk, Mohilev, Minsk et la Pologne ; la zone septentrionale
va du sud-est au nord-ouest : Orenbourg, Oufa, Kazan, Viatka, Kostroma,
Iaroslav, Vologda, Olonetz. Elle ne comprend ni le gouvernement
d'Arkhangel, ni celui de Perm, qui se rattachent au groupe moyen.
RUSSIE. 6-J

III. Afin de voir si ces données correspondaient à la réalité des


choses, il était nécessaire d'établir pour chaque gouvernement le rapport
de fréquence des hautes tailles (lm,73i et au delà) et des petites tailles (lm,534
et moins). Si l'on répartit les gouvernements en trois catégories suivant
ce rapport, on voit que la première, celle où la proportion p. 100 des
hautes tailles dépasse d'au moins quatre unités celle des petites tailles,
occupe deux centres, l'un au sud, l'autre dans les provinces baltiques.
Ils sont séparés par une masse de gouvernements où la différence des
deux proportions est moindre que quatre unités (2e catégorie) ou bien
où le rapport se renverse et où les petites tailles surpassent d'au moins
quatre unités la fréquence des tailles élevées. Cette troisième catégorie
(prédominance des tailles faibles) occupe le nord, l'est et le centre delà
Russie, d'où une bande s'étend vers l'ouest jusqu'en Pologne inclusi-
vement. Au nord et au sud de cette bande sont des gouvernements du
groupe moyen (fréquence égale des hautes et petites tailles). De la sorte,
comme les précédentes, cette carte montre la répartition des petites
tailles sous la forme d'une zone partant de la Pologne et de la Russie-
Blanche, comprenant les gouvernementsde Smolensk, Kalouga, Mohilev,
Toula, Riazan, Tambov, Penza, et venant cette fois se joindre au centre
septentrional qui englobe tout le nord et l'est de la Russie, moins le
gouvernement de Perm, qui se rattache au groupe moyen.
IV. Si, dans le tableau qui a servi à établir la carte précédente, on
considère seulement la répartition des conscrits de haute taille [à partir
de lm,734), on arrive aux mêmes résultats : la fréquence de ceux-ci est
moindre au nord et à l'est (toujours à l'exception du gouvernement de
Perm), en Pologne et dans la zone décrite plus haut, qui relie ces deux
centres; le maximum de fréquence est dans les gouvernements méri-
dionaux et les provinces baltiques.
V. L'établissement de la taille moyenne des recrues par gouvernement
n'a pas été sans présenter de sérieuses difficultés. En effet, les conseils
de révision dans la mesure de la taille négligent toujours les fractions
de pied russe ou verchok; de plus, les recrues n'ayant que vingt à vingt
et un ans ne sont pas arrivés au terme de leur développement. Toute-
fois, en comparant la taille moyenne des conscrits de certains gouver-
nements, aux statistiques du professeur Erisman (1) sur la taille des
ouvriers adultes de même origine, M. Anoutchine n'a trouvé qu'une
différence de 8 à 16 millimètres en défaveur des premiers. Les résultats
obtenus au moyen des statistiques militaires ne sont donc pas à dédai-
gner; en tous les cas, ils sont comparables entre eux.
La moyenne la plus faible (1616-1625 millimètres) n'est donnée que
par les parties les plus occidentales de la Pologne, dont il faut excepter les
(1) ERISMANN, Untersuclmngen ùber die korpcrlichc EntwickeluDg dcr Arbeiter-
bevôlkerung in Zentralrussland {Archiv fur soziale Gesetzgebung und Statistik. Tiibin-
gen, 1888).
L'ANTHROPOLOGIE. 5
— T. I.
66 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

gouvernements de Souvalki, Lublin et Siedlec. La taille est très faible


également clans le nord-est (1626-1635), gouvernements de Kazan,
Vologda, Olonetz, Iaroslav, Kostroma, Viatka et Oufa; elle s'élève à
1644 dans le gouvernement de Perm; elle est encore de 1626-1635 dans
trois gouvernements isolés, Smolensk, Minsk et Toula. La moyenne
la plus élevée est atteinte dans les provinces baltiques (1665 et plus),
puis dans les gouvernements de Tauride, Ekaterinoslav, Don, Sta-
vropol (1656-1665). Au delà vient une zone de tailles moyennes (1646-
1655) : Kiev, Bessarabie, Poltava, Kherson, Astrakhan, Poclolie, Voro-
nèje. Tous les autres gouvernements rentrent dans la quatrième
catégorie (1636-1645). Ils occupent le centre et l'ouest et envoient un
prolongement vers le sud jusqu'à Kharkov. En Sibérie, la taille
moyenne est de lm,65, sauf dans le gouvernement de Iakoutsk où elle
descend à lm,64.
Si l'on compare cette carte aux précédentes, on trouve une foule de
concordances : telles la faiblesse de la taille à la frontière occidentale,
au nord et au nord-est; l'élévation de la moyenne au sud et dans les
provinces baltiques; de même la zone de petites tailles, représentée
par Minsk, Smolensk, Toula; si l'on reculait la limite à 1637 au lieu de
1635, cette zone serait complétée par les gouvernements voisins, de
Kalouga, Tambov, etc.
Par contre, il y a quelques désaccords : ainsi les gouvernements de
Perm et de Vilna ont une forte proportion de très hautes tailles, mais
n'ont pas une taille moyenne très élevée. Enfin, si l'on cherche à résu-
mer le résultat de ces observations pour tout l'Empire, on obtient les
résultats suivants : Russie d'Europe, taille moyenne 1642 (1771948
observations); Russie d'Asie et Caucase, 1654 (84 141 cas) ; gouverne-
ments polonais, 1624 (167 677 cas).
La répartition de la taille moyenne par gouvernements ne rend pas
suffisamment compte des différences que peuvent présenter des popu-
lations voisines; aussi une carte par district est-elle le complément
nécessaire de la précédente. Dans cette nouvelle carte, on observe des
variations dans la taille moyenne allant de 1610 (trois districts polo-
nais) à 1700 (un district livonien). Cette carte présente les plus grandes
analogies avec les précédentes : c'est toujours dans la région de la Yis-
tule que s'observe la taille la plus basse (1610-1625); cette moyenne et
la suivante (1626-1635) se partagent les gouvernements d'Arkhangel,
Viatka, Vologda, Kazan, Oufa, Orenbourg, Samara, Kostroma, Iaroslav
et comprend le gouvernement d'Olonetz et quelques districts de celui de
Pétersbourg. On reconnaît de même l'autre zone de petites tailles allant,
à travers les gouvernements de Simbir, Penza, Tambov, Toula, etc.,
ejoindre celui de Minsk. Mais ce que montre cette carte, c'est que la
répartition de la taille n'est pas aussi uniforme qu'elle le paraissait :
en effet, même dans les gouvernements où la taille est la plus faible,
RUSSIE. 67

on trouve des districts ayant une moyenne de 164, 165 et môme plus.
Ce mélange d'éléments grands et petits explique le fait sur lequel nous
avions déjà attiré l'attention, savoir : que certains gouvernements chan-
gent de catégorie suivant que l'on considère la proportion des réformés
ou celle des hautes tailles. De plus, la répartition par districts permet
d'approcher davantage de la réalité des faits; c'est ainsi que, de la
zone Minsk-Kazan, on voit partir des prolongements s'avançant vers le
sud jusque dans la région des hautes tailles : Podolie, Tchernigov,
Kiev, Koursk.
De même vers le nord cette zone se réunit à l'autre centre des petites
tailles par quantité de districts des gouvernements de Vilna, Vitebsk,
Pskov, Tver, Moscou, Nijni-Novgorod. Pourtant il est facile de voir que,
malgré de nombreux traits d'union, il existe, entre les deux centres des
petites tailles, une zone où la taille tend à s'élever (1636-1645), qui com-
prend certains districts des gouvernements de Nijni-Novgorod, Vladimir,
Moscou, Tver, Smolensk, et qui va rejoindre le gouvernement de Novgo-
rod : celui-ci a une moyenne de lm,65 et même lm,66, et se continue direc-
tement avec le centre de haute taille des provinces baltiques. Vers le sud-
est cette zone moyenne, séparant les deux centres des petites tailles, va
rejoindre du côté de Samara la région méridionale des moyennes éle-
vées. Celle-ci, d'autre part, à travers quelques districts des gouverne-
ments de Minsk, Grodno, Souvalki, Vilna et Vitebsk, tend à s'unir au
centre baltique.
— Nous avons exposé jusqu'à présent les résultats de la statistique
de M. Anoutchine; il nous reste à chercher avec lui les causes possibles
de cette distribution si remarquable de la taille en Russie. Et d'abord,
elle n'est nettement en rapport ni avec la répartition des mers, ni
avec celle des terres fertiles dans l'Empire ; les conditions orogra-
phiques ou climatériques n'en rendent pas compte non plus. Quant à
l'influence de la richesse ou de la pauvreté d'une population, elle est
bien difficile à établir et, de plus, ce facteur est soumis à des variations
trop rapides pour que la recherche de ses effets ne soit pas à peu près
illusoire. Nous laisserons de même de côté la densité de la population,
les proportions relatives des deux sexes; M. Anoutchine lui-même
reconnaît que l'influence de ces facteurs n'est pas démontrée.
Il est plus intéressant de comparer la répartition de la taille avec
celle des exemptions pour maladies : le nombre de ces exemptions varie
de 9,32 (gouvernement de Tomsk) à 28,87 (gouvernement de Kalich).
Il n'y a aucune relation entre leur distribution et celle de la taille : les
régions où il y a le plus de réformés pour maladie comprennent des
gouvernements à haute et à petite taille indifféremment et vice versa.
Si l'on fait la statistique des réformés pour développement insuffisant,
on arrive à un résultat plus satisfaisant : le maximum de fréquence de
ces exceptions se rencontre dans les gouvernements du nord-est (à
6S MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

l'exception de Perm) et clans l'ancien royaume de Pologne ; le minimum


dans les provinces baltiques et les gouvernements du sud-est. 11 se peut
donc que, dans les gouvernements cités plus haut, la faiblesse de la
taille soit en partie due à un développement plus lent de l'organisme.
Pourtant il est à croire qu'après vingt ans l'accroissement de la taille ne
serait pas suffisant pour élever sensiblement les moyennes.
Passons à l'étude des conditions anthropologiques et ethnogra-
phiques, c'est-à-dire aux influences de race. Lorsque Ton considère la
faiblesse de la taille dans les gouvernements du nord-est, on est amené
à penser qu'elle est produite par des éléments étrangers. En effet, les
Russes n'entrent que pour 35 p. 100 dans le contingent à Oufa; dans
les gouvernements de Kazan, Samara, Viatka, leur proportion varie de
40 à 80 p. 100; et encore y a-t-il parmi eux beaucoup d'indigènes russi-
fiés. Ces indigènes appartiennent, comme on sait, au groupe ouralo-
altaïque; ce sont les Zyrianes, Yotiaks, Vogoules, Tchérémisses, Tchou-
vaches, Bachkirs, Tatars, etc. L'auteur donne un tableau de la taille
chez ces différents peuples : elle varie de 164 (303 Karels) à 154 (100
Vogoules) ; 2 386 Bachkirs ont une taille de 1602 et la moyenne de 2 696
Tatars est de 1609; celle de 4 397 Russes des mêmes régions étant de
1667. On voit donc l'influence de ce mélange de races pour l'abaisse-
ment de la moyenne. Pourtant il est à remarquer que ce rameau o lirai o-
altaïque forme une sorte de transition entre le type mongolique pur et
le type caucasique; aussi voyons-nous, chez ses représentants, la taille
s'élever de l'est à l'ouest, des Ostiaks (1560) aux Permiens (1618), Yotiaks
(1620), Tchérémisses (1625), Zyrianes (1632) et Karels (1). Enfin l'élé-
ment de haute taille du type finnois se dégage complètement chez les
Esthoniens et les Livoniens.
La taille des Esthes augmente légèrement de l'est à l'ouest. Quant
aux Livoniens, ils sont en train de se fondre avec les Lettons. La taille
de ceux-ci est de 170 (60 cas de Weber) (2); Snegïrev n'a obtenu sur
eux que 1678 millimètres en moyenne. Dans une autre race voisine,
les Lithuaniens, la taille est un peu plus faible: 165, 164 et même
163 centimètres. De tous ces peuples, les Livoniens sont les plus
grands: 1736 millimètres (100 cas de Waldhauer) (3). Il est probable
que cette haute taille des Finnois occidentaux provient de leur fusion
avec une autre race dans les temps préhistoriques.
Dans les races slaves, la taille est, de même que chez les peuples
d'origine finnoise, soumise à des variations. La taille la plus basse (162)
est, avons-nous dit, atteinte dans le royaume de Pologne. La taille est
un peu plus élevée dans les gouvernements de Lublin, Sedlets et Sou-
(i) Les chiffres précédents sont empruntés soit au Comité de statistique, soit à
divers auteurs.
(2) WEBER, Beitrlige zur Anthropologie der Letten. Dorpat, 1879.
(3) WALDHAUER, Zur Anthropologie der Liven. Dorpat, 1879.
RUSSIE. 09

valki (163-164); mais là le contingent est formé en grande partie de


Lithuaniens ou de Petits-Russiens, qui sont plus grands. Quant aux
juifs dont la taille est en Pologne de 161, ils ne sont pas assez nom-
breux pour abaisser sensiblement la moyenne de ce pays. Il y a donc
certainement, sous cet abaissement de la taille de la Pologne, une ques-
tion de race ; d'autant plus que ces observations ont été confirmées par
les mensurations faites en Galicie (taille de recrues, 1633).
Ce sont les Petits-Russiens des gouvernements du sud qui s'opposent
• le plus aux
Polonais par la taille ; nous l'avons vu varier chez eux de 165
à 167 et même 168 dans les moyennes. Ils dépassent aussi les Grands-Rus-
siens. En effet 829 Grands-Russiens du gouvernementde Saratov n'avaient
que 164, contre 166,4 chez 188 Petits-Russiens de la même provenance.
Dans le gouvernement de Voronèje, la partie méridionale où ceux-ci
sont en majorité donne une moyenne cle 165, tandis que le nord habité
par les Grands-Russiens ne donne que 164. Il est à remarquer que la
taille des Petits-Russiens est moins élevée dans leur pays d'origine, Vol-
hynie et Galicie que dans ces régions qu'ils n'ont colonisées que dans ces
trois derniers siècles, tels que les gouvernementsde Samara, Stavropol,
Kouban, etc. C'est aussi à leur influence qu'il faut attribuer l'élévation de
la taille dans la partie occidentale du gouvernement de Minsk (district
de Pinsk) qui sépare la traînée des petites tailles, allant de Minsk à
Kazan, dunoyau vistulien. D'autre part, nous voyons les Grands-Russiens
faire une pointe vers le sud dans les gouvernements de Koursk, Voro-
nèje, Kharkov, où la taille n'est plus que de 164. Il y a toute une zone
où les deux races se sont mélangées, échangeant leurs idiomes et don-
nant naissance à des tailles intermédiaires. A mesure que les Tartares
ont émigré, les gouvernements les plus méridionaux ont été colonisés
surtout par les Petits-Russiens. Aussi la taille n'y est-elle nulle part
inférieure à 165 ; elle va jusqu'à 168 dans certains districts de la Grimée.
Deux districts font seuls exception : celui de Simféropol en Crimée
(164) et de Jassa en Bessarabie (162). Ces moyennes si faibles peuvent
s'expliquer dans le premier cas par la présence des Tartares restés dans
le pays, dans le second par celles des Roumains. Ce sont encore les
Petits-Russiens que l'on rencontre dans la région du Volga inférieur,
dans le gouvernement d'Orenbourg et même dans celui de Perm et en
Sibérie, où l'on trouve leurs colonies jusque dans la Transbaïkalie.
Un autre fait sur lequel il faut appeler l'attention, c'est qu'à côté des
provinces baltiques, les gouvernements de Pskov et de Novgorod avec
quelques districts méridionaux de celui de Pétersbourg ontune moyenne
élevée (165-166); il y a évidemment là un mélange des Slaves avec les
Esthes et les Lettons. Au delà, vers l'est, il y a un abaissementbrusque et
la moyenne tombe à 162-161. Mais même dans la région du nord et du
nord-est, on voit encore la taille s'élever par endroits : ainsi dans la vallée
du fleuve Onega, à l'embouchure delà Dwina du Nord (district d'Arkhan-
70 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

gelsk) et le long du cours de ce fleuve. Ces centres de taille élevée (164-


165) au milieu d'une population bien plus petite (162)peuvent être attri-
bués aux Slaves de Novgorod qui se sont établis le long des rivières;
dans quelques cas ils ont conservé leur haute taille, dans d'autres ils se
sont fondus dans les populations primitives. 11 se peut aussi que ce soient
des traces laissées par la migration des Finnois vers l'ouest; en effet,
les Finlandais ont, comme les Esthes et Lettons, une taille relativement
élevée et il se peut qu'ils aient légué cette taille à certaines des popula-
tions qu'ils ont traversées. Les termes géographiques montrent qu'une
race finnoise s'étendait de la Dwina du Sud au lac Ladoga et à la Dwina
du Nord et plus loin vers l'est; au sud,jusqu'au Volga. En somme, la
population du nord de la Russie comprend les éléments de petite et de
haute taille. Parmi les premiers comptent les Ougriens et Lopars, plus
tard les Zyrianes et Samoyèdes;lessecondssont lesFinnois et les Slaves
de Novgorod.
Nous avons dit que la taille moyenne du nord-est est très faible
(163-162). Mais si l'on s'avance vers le sud, et que l'on mène une ligne de
Pskov à Samara, on voit à l'élément petit se mélanger un type de plus
haute taille. En effet, dans tous les gouvernements situés sur cette ligne
(Novgorod, Tver, Moscou, Vladimir, Nijni-Novgorod),la taille varie sui-
vant les districts de 163 à 166, avec prédominance à 16-4. Il y a là, entre le
centre septentrional des petites tailles et la zone allant de Pologne à
Penza, une bande de tailles plus élevées qui va de Pskov, c'est-à-dire
des provinces baltiques, à Samara, où elle rejoint le centre méridional
des hautes tailles. La population primitive de ce territoire était de race
finnoise, mais a pu fort bien être modifiée par une invasion des Slaves
de Novgorod. En effet, dans les kourganes de la région on trouve tantôt
des dolichocéphales purs, tantôt un mélange de dolichos et de brachy-
céphales, qui indiquent un mélange de races; quant aux os, ils démon-
trent que dès cette époque (x-xic siècle) il y existait une race de haute
taille (170 environ) (1).
Quant à la zone des petites tailles allant du gouvernement de Minsk
à ceux de Penza, Simbir et Kazan, elle s'explique par la présence d'élé-
ments finnois et tartares à son extrémité orientale ; d'autre part, à l'ouest,
elle rentre dans le domaine de la Russie-Blanche qui coïncide avec celui
des anciens Krivitch. Il faut admettre ou bien que la taille de cette race
slave, qui a peuplé aussi le gouvernement de Pskov, s'y est élevée par
son mélange avec l'élément Tchoude (Lettons, Esthes, etc.), ou bien au
contraire que, primitivement élevée, elle s'est abaissée dans la Russie-
Blanche. Quoi qu'il en soit, le mélange, à l'est, des Blancs-Russiens avec
d'autres éléments égalementdepetitetaille(Tartares, ïchérémisses,etc.)

Voir à ce sujet : BOGDANOV, Matériaux pour Vanthropologie de la période des


(1)
kourganes, — et : La Race des kourganes du gouvernement de Moscou. Moscou, 1868
(en russe).
RUSSIE. 71

explique pourquoi la zone transversale qui a pour point de départ à


l'ouest la Russie-Blanche va rejoindre au nord-est la région septentrio-
nale des petites tailles.
Entre la limite occidentale de cette zone, et le centre polonais, il y a
un petit territoire où la taille s'élève légèrement (164-166). Ce fait
s'explique par la pénétration des Petits-Russiens au sud et des Lithua-
niens au nord ; en effet, ce sont les districts où ces races l'emportent en
nombre sur les Blancs-Russiens, qui possèdent la taille la plus élevée.
De même, dans le gouvernement de Tchernigov les districts orientaux
ont une taille plus élevée (165) ; cette zone de hautes tailles qui s'enfonce
comme un coin jusque vers Mohilev, est peuplée en majeure partie de
Petits-Russiens, comme le prouve l'étude de la répartition des dialectes ;
cette zone sépare la Russie-Blanche de la Grande-Russie.
Le gouvernement de Perm occupe dans toutes les cartes une posi-
tion remarquable, tant par sa taille moyenne plus élevée que celle des
gouvernements environnants, que par une proportion plus grande d'in-
dividus de haute taille. Mais, dans la répartition par districts, on voit
que la distribution de la taille n'y est pas uniforme. En effet, les dis-
tricts du nord ont une moyenne très faible (162) ; c'est le territoire des
anciens Permiens, voisins des Votiaks. Au contraire, les districts du
centre et du sud ont des moyennes de 164, 165, 167 même; ces terri-
toires étaient déserts, ou du moins peu habités; la colonisation russe y
a été considérable de tous temps, ce qui explique l'élévation de la taille
dans ces régions, surtout si l'on considère qu'elle est l'oeuvre en grande
partie des Slaves de Novgorod établis dans le bassin de la Dwina du
Nord. Nous avons montré déjà que la moyenne assez élevée du gouver-
nement d'Arkhangel s'explique par l'influence de quelques colonies
d'immigrants à haute taille.
Quant à la Sibérie, les premiers colons russes ont été des Cosaques,
des paysans de la Dwina du Nord, de Perm, etc. Ils se sont plus ou
moins mélangés avec l'élément kirghize, tartare, etc., de sorte que, à
côté de localités où la taille est assez élevée (165 à Iakoutsk et à Tomsk,
166 à Irkoutsk, 167 dans la Transbaïkalie), on en rencontre d'autres où
elle s'abaisse considérablement (163 dans les provinces de Sémipala-
tinsk et de l'Iénisséï).
En terminant ici cette analyse de l'ouvrage du professeur Anou-
tchine, nous ne pouvons mieux faire que de reproduire mot pour mot
le passage qui en est comme la conclusion et le résumé : « Nous pen-
sons que la taille moyenne est déterminée avant tout par l'hérédité;
que les conditions matérielles et sociales sont plutôt capables d'in-
fluencer le rythme de la croissance que la taille définitive; enfin qu'il
faut un certain temps, un certain nombre de générations, pour que
l'élévation ou l'abaissement de la taille, se transmettant par hérédité
dans un groupe donné, y devienne un caractère typique et définitif. »
72 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Taille moyenne en Russie par gouvernements


N°" Nos
d'ordre.
1 Courlande
Moyennes.
1670
d'ordre.
30 Tchernigov
31 Samara
...... Moyennes.
1641

4
2
3
Livonie
Esthonie
Kouban
1667
1667
1666
32 Souvalki
....... 1641
1641

Transbaïkalie
Sémipalatinsk
....
1664
1662
33 Nijni-Novgorod
34 Arkhangel
....
...... 1640
1639
Akmolinsk 1662 35 Orel 1639
5 Prov. du Don 1662 36 Vladimir 1638
Tauricle 37 Grodno
1660
...... 1638
G

7 EkaLerinoslav 1658 38 Novgorod. 1638


8 Slavropol 1658 39 Simbir. 1637
. .
IrkouLsk 1656 40 Mohilev 1637
9 Kiev 1654 41 Kalouga 1636
10 Bessarabie 1654 42 Riazan 1636
.
11 Daghestan 43 Penza
12 Poltava.
14 Astrakhan
....... 1653
1652
1651
44
45
Tambov
Orenbourg
1636
1636
1636
Tomsk 1651 46 Toula 1635
Ienisseï. 1651 47 Iaroslav 1635
.
Tobolsk 48 SmoJensk
15 Podolie
16 Pskov
....... .
1651
1648
1647 49 Minsk
1634

1634
50 Vologda - .
1634
17 Voronèje 1646 51 Olonetz 1632
18 Kharkov 1645 52 Kostroma 1630
Iakoutsk 1645 53 Viatka 1629
19 Vilna 1644 54 Siedlec 1629
.
20 Saint-Pétershourç. 1644 55 Oufa. 1628
. . •
21 Moscou 1644 56 Lublin 1627
22 Perm 1644 57 Kazan 1626
.
23 Ter 1644 58 Radom 1623
24 Koursk. 1643 59 Plock
25 Vitebsk.
26 Saratov.
....... 1642
1642
60 Varsovie
61 Lomja
....... 1622
1621

27 Tver
28 Volhynie
29 Kovno
1642
1641
62 Kielce
63 Kalisz
........ 1621
1-620
1619
.
1641 64 Petiïkau 1617
RUSSIE. 73

CARTE DE LA REPARTITION DE LA TAILLE EN RUSSIE (1)

(1) Les moyennes obtenues, au nombre de 61, ont été ordonnées comme dans la
liste "ci-contre, de la plus forte (1670 mm.) à la plus faible (1617); puis brutalement
partagées en quatre groupes égaux, qui représentent, par conséquent, le 1er les tailles
les plus hautes relativement, le 2e les tailles les plus basses relativement, les 3e et 4e les
tailles intermédiaires, hautes ou basses relativement. Les moyennes sans numéro
d'ordre, quoique à leur place logique dans la liste, portent sur des gouvernementsrusses,
mais étrangers à l'Europe.
74 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Arrivés au terme de cette étude, il nous faut avouer que le travail


de M. Anoutchine ne nous laisse pas une impression absolument satis-
faisante. Il semble qu'il eût pu tirer un meilleur parti des matériaux
qui s'offraient à lui. Nous l'avons dit, toute la première partie de l'ou-
vrage n'est qu'un résumé des travaux analogues exécutés en Europe et
en Amérique. Dans le reste, les tableaux occupent une
bien grande
place, la partie critique est assez peu développée, et c'est elle surtout qui
eût été intéressante. Quoi qu'il en soit, il faut être reconnaissant à
M. Anoutcbine d'avoir fourni à notre science des documents nouveaux
d'une aussi haute importance : les matériaux sont là, il ne reste plus
qu'à les mettre en valeur.
Nous avions songé à reproduire ici Tune des cartes de l'ouvrage
russe, celle de la taille moyenne par exemple. Mais ces cartes sont con-
struites d'après la méthode de la sériation, c'est-à-dire de la formation
dégroupes arbitraires, comprenant les tailles de 10 en 10 millimètres
par exemple. 11 nous a paru plus intéressant de voir ce que donnerait
la méthode employée par M. Topinard dans ses cartes de la couleur en
France. La méthode consiste à ordonner les provinces, départementsou
gouvernements de la taille la plus élevée à la taille la plus petite, et à
diviser la liste brutalement en quatre groupes égaux qui sont ici de seize
unités chaque. La liste de M. Anoutchine que nous avons ainsi disposée
et divisée est celle des moyennes. Chaque gouvernement se trouve
avoir de cette façon un numéro d'ordre qui est inscrit sur la carte et
renvoie à la liste que nous reproduisons.
Dans presque tous ses traits, notre carte reproduit celle de la taille
moyenne par M. Anoutchine. On y retrouve notamment les deux cen-
tres de hautes tailles entourés chacun par une zone de tailles décrois-
santes. Le centre polonais est uni au centre des petites tailles du nord-
est par toute une série de gouvernementsappartenant au groupe moyen
inférieur. La taille, comme nous l'avons déjà dit, se relève dans le gou-
vernement de Perm et même dans celui d'Arkhangel; mais nous rappe-
lons que cette élévation de la moyenne n'est due qu'à quelques centres
de colonisation visibles dans la carte par districts. Près du Caucase, la
province de Ter semble faire une bizarre anomalie par l'abaissement
de sa moyenne; mais c'est probablement l'effet d'un hasard de statis-
tique; il est vraisemblable qu'il s'agit là de colons immigrés.
Les noms qui, dans la liste, ne sont précédés d'aucun numéro, sont
ceux des provinces extra-européennes.

LÉON LALOY.
TUNISIE. 75

Dr BERTHOLON. Esquisse de l'anthropologie criminelle des Tunisiens musulmans


{Bibl. d'anthrop. criminelle et des sciences pénales, 1 vol. in-8, 1889). —
Paris, Steinheil, éditeur.

Une étude précise de la criminalité des musulmans est chose fort


difficile, sinon impossible dans un pays où la statistique n'existe même
pas de nom, et où l'inviolabilité du domicile personnel se joint à l'absence
de toute recherche médico-légale pour dissimuler la majeure partie des
attentats contre la vie. M. Bertholon n'a donc pas eu l'intention de
dresser un tableau exact, mais, comme le titre de sa brochure l'indique,
une simple esquisse de la fréquence plus ou moins grande des divers
genres de crimes, considérés dans leurs rapports avec les variations de
milieu ethnique, si accusées dans ce pays.
Le seul document officiel qu'il ait pu utiliser est le relevé des indi-
vidus écroués à la prison de Tunis de septembre 1887 à septembre 1888
(an 1305 de l'hégire). Ce relevé, bien que limité à la capitale, peut être
considéré cependant, jusqu'à un certain point, comme l'expression de la
criminalité générale. En effet, dans la Régence, tout crime ou délit com-
mis entre musulmans, et susceptible de relever chez nous de la cour
d'assises ou de la correctionnelle, est jugé à Tunis même, par le tribu-
nal suprême de l'Ouzara. Les magistrats provinciaux ne connaissent
que des affaires de moindre importance, simple police et délits légers
ne pouvant entraîner plus de six mois de prison.
L'auteur commence par un rapide exposé de l'ethnographie tuni-
sienne, de façon à délimiter les groupes ethniquement différents, pour
pouvoir ensuite rechercher les aptitudes spéciales de chacun d'entre eux
vis-à-vis des diverses catégories de crimes ou de délits.
Personnellement, en raison de nos travaux antérieurs sur l'ethnogra-
phie tunisienne, la manière de voir de M. Bertholon ne saurait nous
être indifférente. En effet, depuis notre départ de Tunisie, notre confrère
s'est donné pour tâche de contrôler les résultats auxquels nous avions
été conduit, et en outre de les compléter pour les régions qu'il ne nous
avait été donné d'étudier que d'une manière insuffisante, la Kroumirie
et la presqu'île du cap Bon notamment.
Dans ce but, M. Bertholon s'est fait attacher aux conseils de révision
tunisiens et tous les ans a pu de la sorte, comme précédemment nous
l'avions fait sur d'autres points de la Régence, étudier village par vil-
lage, tribu par tribu, les diverses régions du pays.

On sait que nous avions été conduit à nier l'unité de la race berbère,
et que nous avions retrouvé, dans des centres d'habitat parfaitement
caractérisés, au moins cinq races ou types bien distincts (1).
(1) Dr R. COLLIGNON, Ethnographie générale de la Tunisie (Bulletin de géographie
76 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

M. Bertholon confirme, de la façon la plus complète, les vues que


avions émises; il en reconnaît le bien fondé, autant en ce qui con-
nous
l'existence des cinq grands groupes berbères qu'en ce qui a rap-
cerne
port à la herborisation des tribus arabes.
Nos seules divergences portent sur des détails, ce sont de pures rec-
tifications cle tracé qui permettent de donner sur la carte une réparti-
tion plus exacte et moins schématique que celle que nous avions dû
adopter, partout où nos documents personnels étaient insuffisants.
De plus, il a reconnu et séparé un sixième élément qui, n'occupant
qu'une région très limitée dans la presqu'île du cap Bon, avait échappé
à nos recherches. 11 s'agit d'un type mésaticéphale (ou plutôt brachycé-
phale modéré, si on fait la part des croisements), qui forme un îlot
composé de quelques villages, un peu au nord de Nébeul. De taille très
faible, im,61, mésorrhinien, et très brun de peau, la caractéristique du
type serait l'exagération de la hauteur du crâne. M. Bertholon tendrait
à rapprocher ce type cle la race cle Grenelle cle MM. de Quatrefages et
Hamy, opinion qui tire une assez grande vraisemblance de la décou-
verte faite par MM. Siret en Andalousie de sépultures contenant des
crânes de ce type. Nous en avons parlé déjà dans la Revue à propos du
mémoire que M. Jacques a consacré à l'étude des ossements de l'Àrgar
(1889-2).
Les populations berbères tunisiennes contiendraient donc actuelle-
ment six éléments bien distincts, le contrôle de M. Bertholon fait désor-
mais de cette question une chose absolument jugée. Nous les indique-
rons rapidement en donnant leur caractéristique criminelle.
En premier lieu, la race autochtone, notre type du Djerid, le Gétule
de l'antiquité, habitant la ligne d'oasis qui va du Djerid tunisien au
Maroc et peut-être plus loin. Race très douce, toujours exploitée par
ses congénères ; moeurs très dissolues, organisation de la famille retardée.
Minimum cle criminalité.
2° La race de Cro-Magnon. Elle se présente sous deux aspects : l'un
grand et nomade, le Khroumir ; l'autre, petit et sédentaire (type d'Ellez).
Ces deux sous-groupes semblent correspondre à deux immigrations bien
distinctes. La première, très ancienne, comme l'atteste son état nomade,
doit nous représenter l'élément le plus ancien après le type gétule.
C'est, à mon sens, l'Atlante cle Diodore de Sicile (1), peut-être, et en ceci
je me sépare de mon ami Bertholon, le Libou, le Libyen de l'antiquité
au sens primitif et restreint du mot; au fond, j'ai la conviction que le
nom cle Libyens, du moins depuis le début les temps historiques, n'a
historique et descriptive. Ministère de l'Instruction publique 1887). — Voir aussi Bulle-
tin de la Société d'anthropologie de Paris, Comptes rendus de l'Association française
pour l'avancement des sciences, 1886, et la Revue, 1887.
(1) Est-il besoin de rappeler qu'il s'agit ici de l'Atlante continental qui existait
encore indépendant, quoique bien déchu de son antique puissance, aux temps d'Héro-
dote et de Pline, et qu'il n'a rien de commun avec la fabuleuse Atlantide de Platon?
TUNISIE. 77

jamais désigné qu'un peuple, c'est-à-dire une agglomération de races, et


non une race au sens vrai du mot.
La seconde (type d'Ellez) serait venue plus récemment; physique-
ment c'est la race dolichocéphale des dolmens de la Lozère, petite etbra-
chyprosope. Fraction delà race de Cro-Magnon, elle serait ibère comme
l'est encore en majorité la population espagnole moderne. Bertholon la
rapproche des Shardanes anciens, ce qui d'ailleurs revient au même, car
les Sardes primitifs, soit qu'on admette avec d'Arbois de Jubainville
qu'ils sont venus de France, soit qu'avec tous les auteurs anciens et les
archéologues sardes, (et c'est infiniment plus probable) on leur donne
une origine libyenne, ont de toute manière une forte dose de sang ibère
ou Cro-Magnon dans les veines.
La caractéristique des deux groupes est la propension aux crimes de
sang (meurtre, assassinat, blessures), comme elle est d'ailleurs celle de
leurs congénères les Corses, les Sardes, les Espagnols. Comme eux, ce
sont des fétichistes renforcés.
3° La population dolichocéphale leptorrhinienne des villes et de la
plaine, la dernière venue des races préarabes, sinon préromaines.
M. Bertholon la croit ibère; là également je ne saurais admettre son
opinion. Apparentée évidemment aux dolichocéphales bruns européens,
elle correspond à leur type central ou italien et non pas au type occi-
dental, espagnol ou ibère. Sa face étroite et son nez plutôt droit n'auto-
risent pas à la rapprocher des races à figure large de l'Ouest.
Race exotique, je crois à son importation lente en Afrique pendant
toute la période qui s'étend de la création desemporia sur la côte à l'in-
vasion arabe, tant par les mercenaires de Cartilage que par les colons
romains. Il faut tenir compte en ce cas des quinze siècles pendant les-
quels, sous la protection d'une minorité de Phéniciens, puis du grand
nom de Rome, des représentants de toutes les races de la Méditerranée
et surtout des régions les plus voisines, Italie du sud, Grèce, Syrie, etc.,
se sont implantés dans le pays. La répartition géographique en fait la
dernière des races préarabes, je la crois donc inassimilable en fait à
aucune de celles qu'ont décrites les auteurs anciens, et c'est pourquoi,
dans cet ordre d'idées, je ne trouvais d'autre nom à lui donner, quelque
incorrect qu'il soit au fond, que celui de Libyphéniciens qui, pour Sal-
luste, désignait cette population hétérogène qui s'était formée dans les
parties basses de l'antique Ifrikiah entre les villes chananéennes et les
barbares de l'intérieur.
Au point de vue social, population douce, peu de crimes de sang,
nombreux attentats génésiques, fréquence des attentats contre les pro-
priétés, mais par les voies douces, telles que faux en écritures, etc.
i° et 5° Brachycéphales. Types de Djerbah et de Tazerka.
Grande ressemblance avec les brachycéphales européens tant au
point de vue physique que socialement.
78 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Aptitudes au commerce et à l'agriculture. Les seules tribus réelle-


ment agricoles sont dans le nord de l'Afrique, celles qui contiennent des
brachycéphales. Par là même, population paisible no connaissant pas
la vendetta chère à la race de Gro-Magnon; tendance aux délits sexuels,
sur les enfants surtout; religiosité modérée.
M. Bertholon en fait les Libyens de l'antiquité et, se basant sur l'o-
pinion de MM. de JubainvilleetRogetdeBelloguet, les considère comme
de race ligure (I).
Cette hypothèse est-elle fondée, et peut-on regarder les Libyens pri-
mitifs comme un peuple brachycéphale? C'est une opinion admissible
au sens général, car les brachycéphales faisaient
certainement partie
de l'ensemble des peuples libyens, tout comme aujourd'hui ils sont
berbères de par leur confusion avec la masse des autres races réunies
sous cette dénomination commune ; au sens particulier
du mot, et
comme expression spéciale du type libyen, elle paraît, peu acceptable,
ne fût-ce que par ce seul fait que la plus antique expression figurée qui
en soit connue, les Lebou bruns des peintures égyptiennes sont repré-
sentés avec la tête très allongée et étaient dolichocéphales; ce carac-
tère s'apprécie très bien si on les compare aux brachycéphales de Syrie
figurés sur les mêmes monuments.
Une seule de leurs fractions, celle qui habitait l'île de Djerbah et le
littoral voisin, a, croyons-nous, été distinguée par les anciens et encore
ne nous apprennent-ils pas son nom réel, puisque, depuis Homère, ils
l'ont désignée par des surnoms purement helléniques : Lotophages, les
mangeurs de Lotus, ou Alachroens, les gens pâles fS).
6° Les blonds plus ou moins disséminés sur le littoral et dans l'inté-
rieur du pays. Leur petit nombre et leur diffusion rendent impossible
une étude criminaliste spéciale.
Restent enfin les Arabes proprement dits. M. Bertholon, s'accordant
en cela avec tous ceux qui se sont occupés de cette question, n'est pas
tendre à leur égard, et il a absolument raison.
« Là, comme partout, dit-il, ils se montrent comme des êtres pares-
seux, imprévoyants, ayant tout stérilisé autour d'eux, voleurs par ruse

(1) Cesassertions sont légèrement inexactes. R. de Bclloguet comparait bien, il est


vrai, les Ligures aux Berbères, mais aux Berbères «dolichocéphales bruns». Le mot est
prononcé p. 398. La lecture attentive do son ouvrage sur les types gaulois ne laisse
aucun doute à ce sujet (voir encore pp. 336 et suivantes).
Quant à M. de Jubainville, il sépare au contraire nettement les Ligures de race
indo-européenne des Libyens qu'il considère plutôt comme Ibères. Pour lui, les Libues
d'Italie, voisins de la Liguric, seraient eux-mêmes d'une race différente, des Sicanes,
autrement dit des Ibères, p. 37 Nous pensons qu'il y a erreur de nom et que M. Ber-
tholon a voulu parler de M. Lagncau qui a en cli'ct soutenu l'identité de race des
Ligures et des Ibères.
(2) Cette dernière dénomination est exacte encore en ce qui concerne les indigènes
de Djerbah, dont le teint blanc contraste avec la peau basanée de leurs voisins de l'in-
térieur.
BELGIQUE. ^9

ou par coups de main, assassins au besoin et d'une religiosité exagérée. »


Dans cet exposé sommaire nous avons dû passer bien des détails
intéressants : voilà près de neuf ans que M. Berlholon est dans le pays,
il le connaît à fond, et nous ne pouvons qu'engager nos lecteurs à se
reporter à. son mémoire qu'ils trouveront dans la collection publiée
sous le nom de « Bibliothèque de l'anthropologie criminelle et des
sciences pénales », si riche déjà en travaux originaux de toute nature.

Dr GOLLIGNON,

Dr E. HOUZÉ. L'indice nasal des Flamands et des Wallons (Ext. du Bail,


de la Soc. d'anthrop. de Bruxelles, t. VII, 1888-1889).

M. Houzé continue patiemment, par l'étude de l'indice nasal, l'an-


thropométrie des populations belges. Ses travaux antérieurs sur la
taille, sur l'indice céphalique, sur la forme du thorax, etc., sont bien
connus de nos lecteurs ; ils savent quel soin minutieux il apporte à
toutes ses recherches et partant la haute valeur qu'ils peuvent leur
accorder.
L'indice nasal du vivant tient la première place dans ce travail.
M. Houzé s'est rallié, tant pour le manuel opératoire que pour la nomen-
clature, aux règles que nous avons formulées ici même, dans un mé-
moire précédent (1). Ses chiffres sont donc entièrement comparables
aux nôtres. Yoici ses principaux résultats.
Indice nasal aux différents âges. — M. Houzé a formé 12 séries,
composées chacune, de 25 individus de même âge, et, ce qui est non
moins important, de même race. Un seul coup d'oeil jeté sur le tableau
qui résume ces mesures, montre que l'indice nasal décroît lentement
depuis la naissance, 104,7, jusqu'à l'âge adulte, 69 environ. A un an il
est de 92,5, à trois ans de 87,4, à neuf de 76,2, à quinze de 70,2, à
vingt et un de 69,2 ; à vingt-cinq ans il atteint son chiffre stationnaire de
68,96 jusqu'à cinquante, puis il diminue légèrement de cinquante à
soixante ans et très nettement de soixante à quatre-vingts, 67,1.
Les variations de l'enfance sont dues à l'inégalité de croissance dans
les deux sens, l'accroissement en hauteur l'emportant toujours sur
l'accroissement transversal, celles de la vieillesse à l'atrophie des fibres
musculaires dilatatrices du nez; la leptorrhinie du vieillard n'est qu'un
phénomène de déchéance.
Influence du sexe.
— Broca n'avait constaté aucune différence
sexuelle dans l'indice nasal; il est juste de dire qu'il étudiait le crâne

(1) Dr R. COLLIGNON, L'indice nasal du vivant (Revue d,Â7ithropologie, 1887.)


80 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

et non le vivant. M. Houzé, sur ce dernier, trouve, dans quatre séries de


race diverse, un indice nasal plus élevé, plus
mésorrhinien chez la
femme que chez l'homme : 25 Flamandes 68,3; 100 Flamands 67,7;
25 Wallonnes 70,-4 ; 100 Wallons 69,9.
Influence de C indice céphalique. — M. Houzé a voulu vérifier une de
mes propositions antérieures, à savoir : que « dans une race prise à
part, c'est-à-dire dans une série d'individus aussi purs que possible de
cette race, l'indice céphalique a une légère influence sur l'indice nasal,
influence qui s'exerce contrairement aux idées admises, puisque, dans
chaque race, ce seraient les plus brachycéphales qui seraient les plus
leptorrhiniens ».
Sur trois séries, voici les résultats obtenus : 1° Crânes bruxellois :
les plus brachycéphales sont les plus leptorrhiniens.
2° 50 Flamands vivants : les 25 plus leptorrhiniens sont au contraire
plus dolichocéphales.
3° 52 Flamands de Mendonck; les plus leptorrhiniens sont les plus
brachycéphales.
La relation n'est donc pas constante, dit M. Houzé, entre l'indice
nasal et l'indice céphalique des races croisées. Je me rangerais à son
avis, si je n'entrevoyais une légère dissemblance entre les deux façons
de calculer, ce qui pourrait avoir fait varier les résultats. Je prierai
donc M. Houzé de vouloir bien reprendre sa série divergente en la
coupant en deux, non plus d'après l'indice nasal, mais d'après l'indice
céphalique, c'est-à-dire en opposant les 25 plus dolichocéphales aux
25 plus brachycéphales, au lieu de comparer les 25 plus leptorrhiniens
aux 25 plus mésorrhiniens. Si le résultat est identique, je me déclarerai
convaincu. J'ajouterai d'ailleurs que je n'ai jamais considéré que
comme très léger le lien corrélatif qui unit les deux indices, peut-être
même est-il plus apparent que réel et lié simplement à la taille. En
effet, je maintiens que, dans une série pure d'une race donnée, l'indice
céphalique augmente quelque peu (c'est-à-dire devient légèrement plus
brachycéphale) quand la taille s'élève ; les résultats contraires ont tous
été obtenus sur des séries croisées, sur des groupes de population et
non sur des groupes purs comme race; de nombreuses séries que je
publierai un jour, établissent le fait, du moins pour les grandes races
de France et pour les séries pures de Tunisie. On verra, d'autre part,
quel lien étroit unit l'indice nasal à la taille, la leptorrhinie s'accen-
tuant quand la stature augmente; il s'ensuit donc que peut-être les
plus brachycéphales ne sont un peu plus leptorrhiniens que parce
qu'ils sont un peu plus grands. Mais continuons.
Par rapport aux divers indices faciaux, indice facial proprement dit,
indice prosopal, indice antérieur, etc., M. Houzé constate avec M. Koll-
mann et avec nous-même qu'il existe une relation constante : plus la
face est longue, plus la leptorrhinie est accusée et vice versa.
BELGIQUE. 81

Influence de la taille. — « La leptorrhinie, disais-je, est, dans une


race donnée, en raison directe de la taille : plus celle-ci est élevée, plus
le nez est allongé; plus elle s'abaisse, plus il tend vers la mésorrhinie
en se raccourcissant. M. Houzé confirme également cette proportion :
sur 50 Wallons, les 10 plus grands, lm,674-, ont un indice nasal de 65,4- ;
les 10 plus petits, lm,624, sont au contraire très mésorrhiniens, 74,2
(différence= + 8,8).
De même sur .50 Flamands, les 25 plus grands, taille lm,733, ont un
indice de 67,0; les 25 plus petits, taille lm,610, ont 68,5 (différence
= + 1,5).
Influence de la race. — Avant d'aborder l'étude des populations ac-
tuelles, M. Houzé jette un coup d'oeil sur leurs ancêtres pré et protohis-
toriques. Laissant de côté la race de Canstadt dont nous ne connaissons
pas la face ni par suite l'indice nasal, nous rencontrons celle de Cro-
Magnon représentée en Belgique par le crâne d'Engis et par un crâne
néolithique des tourbières d'Anvers. Cette race était mésorrhinienne,
on ne saurait trop le répéter, moyenne 49,15 (seul parmi tous les
crânes anciens, le vieillard de Cro-Magnon était- leptorrhinien). — Les
crânes de Furfooz sont encore plus mésorrhiniens : 55,55 — 48,97
(cette race est encore largement représentée actuellement en Belgique).
Les néolithiques belges le sont également; l'indice nasal moyen des
douze crânes des cavernes d'Hastière s'élève à 51,64, celui des trois
têtes de Sclaigneaux à 48,42. On voit donc qu'avant l'arrivée des Francs
dans le pays, le fond de la population était mésorrhinien. Les Francs
étaient, au contraire, très leptorrhiniens. Série de Waucennes : I.
nas., 44,11.
En France, la plupart des séries étudiées ont donné des résultats
différents. Broca, à Chelles et à Beaulieu, trouvait l'indice mésorrhinien
de 48,87; de même à Liverdun (Lorraine), j'obtenais celui de 50,0 sur
huit sujets. Il est vrai que sur 13 mérovingiens d'Alsace, j'obtenais
le chiffre de 46,5. M. Houzé pense que les Francs étaient originai-
rement leptorrhiniens, et que les séries de France nous reflètent
simplement l'affolement produit par leurs croisements avec les popu-
lations celtiques et préceltiques mésorrhiniennes des Gaules. Cet
affolement de l'indice nasal sous cette influence est d'ailleurs un
fait absolument admis par Broca, qui déclare même qu' « aucun carac-
tère n'est modifié plus évidemment par les effets d'un mélange récent»,
et qui cite à l'appui les produits du croisement survenu à la Nouvelle-
Calédonie entre Papous et Polynésiens. Les Francs, étudiés en Belgique,
étaient donc ou plus récemment venus que ceux de Chelles et de Liver-
dun, ou encore indemnes de tout croisement avec les populations
antérieures.
A l'heure actuelle, l'indice nasal s'accorde avec l'indice céphalique,
la taille et la couleur, pour prouver la coexistence de deux races prin-
L'ANTHROPOLOGIE. 6
— T. I.
82 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

cipales en Belgique : 100 Flamands ont un indice de 67,72; 100 Wal-


lons, de 69,93; les Bruxellois, produit mixte de capitale, sont inter-
médiaires, 68,31.
Ces résultats confirment donc absolument les premiers travaux de
noire savant confrère; les Flamands, surtout aux environs de Lim-
bourg, sont en Belgique les plus purs représentants du type germa-
nique, les Wallons, surtout clans la province de Namur, ceux du type
celtique.
Dr R. COLLIGNON.

ZANARDELLI. L'origine du langage expliquée par une nouvelle théorie


de l'interjection (Bull, de la Soc. d'anthrop. de Bruxelles, t. VIT, 1888-1889).

L'élément interjectif du langage représente pour M. Zanardelli


« l'unité
linguistique ultime, la cellule primordiale près de laquelle
sommeillent à l'état potentiel toutes les formes plus compliquées du
langage, sans les contenir pourtant en elle-même. Les interjections : OH!
AU! HÉ! etc., sont les débris les plus intacts d'une des formes les plus
primitives du langage. » Elles ne sont pas entrées dans les mots et ne
peuvent pas s'y retrouver par dissection à l'état de racines, de préfixes
ou de suffixes; mais elles ont formé jadis et forment encore pour ainsi
dire le coeur du langage, avant et pendant les fonctionnements suc-
cessifs du signe de l'idée. « Le vrai problème, en ce cas, comme le dit
Max Muller, est de savoir comment, partant des interjections et des
sons imitatifs, nous pouvons arriver aux racines. Le jour où l'on pourra
unir ces deux éléments, le problème sera résolu. »
La théorie de M. Zanardelli nous offre un moyen de réunir ces deux
éléments primordiaux. Le mécanisme de l'interjection réside plus
pour lui dans l'intonation que dans le son émis lui-même. La même
voyelle AU! peut exprimer bien des choses : l'étonnement, la joie, la
douleur, la terreur, etc. A un degré plus avancé, elle peut donner à des
mots véritables des acceptions toutes différentes. «Courage, mon ami! »
est accentué tout différemment que : « Mon ami, prenez courage. » Si
donc nous appliquons le nom d'interjection non seulement aux inter-
jections proprement dites, mais aussi à toutes les intonations suscep-
tibles d'accentuer le discours, quels que soient les mots employés, on
comprend qu'on puisse dire avec lui que l'interjection est le coeur même
du langage.
Toutefois il nous semble que le problème n'est pas encore résolu;
l'interjection, telle que la comprend dans un sens très large M. Zanar-
delli, est un langage spécial surajouté au langage proprement dit; c'est
une langue universelle, nous le voulons bien, mais il reste toujours à
BELGIQUE. 83

expliquer la naissance et l'origine des racines primitives des mots, car


rien dans la théorie de l'auteur ne peut nous aider, croyons-nous, à
l'entrevoir.
Dr R. GOLLIGNON.

DOLLO. Communications diverses sur l'anatomie comparée (Bull, de la Soc.


d'anthrop. de Bruxelles, t. YII, i 888-1889).

Voulant prouver que l'ossification désignée par M. Albrecht sous le


nom de centre du proallas n'est pas aussi accidentelle qu'on le croit, il
montre trois préparations qui la mettent en évidence avec toute la net-
teté désirable. Ce sont trois crânes : l'un de macaque, l'autre de cyno-
céphale, le troisième de chien.
L'osselet .en question affecte une forme légèrement piriforme; il
siège à la partie postérieure du bord antérieur du trou occipital, entre
les condyles, en se rattachant par un ligament au bord caudal du basi-
occipital, et latéralement de chaque côté aux exoccipitaux par une
masse ligamenteuse.
M. Dollo discute successivement les interprétations qui pourraient se
produire à propos des trois pièces qu'il a réunies.
Il prouve.qu'il ne s'agit ni d'une ossification accidentelle du ligament
suspenseur de la dent, ni d'une portion détachée de l'apophyse odon-
toïde de l'axis, ni de l'épiphyse craniale du centre de l'atlas, ni de l'épi-
physe caudale du basioccipital : donc cet osselet nous représente le
centre du proallas réapparaissant par atavisme.
Dans la série animale, on retrouve encore fréquemment le proatlas
soit dans sa totalité, soit en partie.
On rencontre :
I. La vertèbre entière d'une manière générale et constante chez tous
les Anamniens.
II. Vhypapophyse p>ro atlantique, non moins constamment chez tous
les Amniotes.
III. Des rudiments constants de neurapophyses chez certains reptiles
(Rhynchocéphaliens, Grocodiliens, Dinosauriens et Lacertiliens).
IV. Des rudiments accidentels et partant ataviques, soit des neurapo-
physes chez les mammifères (Marsupiaux, Insectivores, Édentés, Pri-
mates), soit du centre, chez les reptiles lacertiliens ainsi que chez les
Carnivores et les Primates.
Abordant l'étude delà morphogénie de là colonne vertébrale, M. Dollo,
en désaccord sur ce point avec la plupart des auteurs, admet l'homolo-
giedans les cinq classes de vertébrés des neurapophyses, du centre, de
l'intercentre, des os chevrons et des côtes.
8i: MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Il signale ensuite deux nouvelles preuves de l'existence des cos-


toïdes : 1° à l'état isolé, chez beaucoup de Téléostéens physostomes,
chez la carpe notamment, et 2° chez un renard, sous forme d'une côte
s'attachant directement sur le centre d'une vertèbre, et non à l'extrémité
d'une apophyse, alors que d'ailleurs l'apophyse transverse normale exis-
tait de l'autre côté. On sait que ce nom de costoïdes a été donné par
M. Albrecht à cette portion de chaque côte qui est comprise dans la
zone des protovertèbres. Cet auteur appuyait notamment cette opinion
sur le développement des côtes du marsouin, dont le jeune montre
des costoïdes indépendants des côtes proprement dites.
Troisième trochanter. Le troisième trochanter découvertchez l'homme
par M. Houzé existe chez les Européens actuels dans la proportion d'en-
viron 30 p. 100. Pour M. Dollo, ce serait un cas d'atavisme remontant
aux prosimiens qui tous, sauf quelques Nycticebinoe, possèdent ce ca-
ractère.
L'homme aurait, d'après lui, malgré le développement énorme de
son grand fessier, perdu son troisième trochanter par suite d'une trans-
formation de ce muscle. Celui-ci est un complexe formé de deux parties.
Originairement, celle de ces parties qui est située plus « crânialement »
(nous supposons que par ce mot quelque peu étrange lorsqu'il s'agit
des muscles de la fesse, M. Dollo veut dire superficiellement) se fixait au
troisième trochanter; la seconde s'attachait au-dessous par une inser-
tion linéaire, l'une et l'autre étant d'ailleurs complètement indépen-
dantes de l'aponévrose crurale : c'est l'état que nous montrent tous les
'prosimiens.
Chez l'homme, au contraire, la première partie et une portion de la
seconde ne vont plus jusqu'au fémur, elles s'arrêtent à l'aponévrose cru-
rale. 11 s'ensuit forcément que, puisque la partie du grand fessier qui
avait donné naissance au troisième trochanter ne s'insère plus sur le
fémur, l'apophyse en question n'a plus de raison d'exister normalement.
Si, accidentellement, le grand fessier reprend son aspect primordial, le
troisième trochanter reparaît.
Enfin cette apophyse est rare chez les anthropoïdes, parce que chez
eux l'insertion du grand fessier sur l'aponévrose crurale est plus étendue
encore que chez l'homme.
M. Houzé conteste cette explication ; il n'admet aucune homologie
fonctionnelle entre le troisième trochanter des Lémuriens et celui de
l'Homme, en raison de la différence d'attitude de ces deux groupes.

Dr R. COLLIGNON.
BRESIL.

JOSÉ VERISSIMO. Scenas da vida amazonica cum um estudo sobre as populaçôes


indigenas e mestiças da Amazonia. — Lisbonne, Tavares Cardoso et Frère,
1887, i vol. in-8°.

Le livre de M. Verissimo se compose de deux parties bien distinctes :


l'une est consacrée aux populations indigènes etmétisses de l'Amazone,
l'autre comprend une série de "nouvelles destinées à retracer, sous une
forme attrayante, la vie des populations de cette région; nous ne nous
occuperons que de la première, la seule qui offre un réel intérêt au
point de Arue scientifique.
Le Brésil renferme une population des plus mêlées, qui se compose
en grande majorité de métis : le Blanc, l'Indien et le Nègre se sont croi-
sés à tous les degrés. Dans les croisements où le Blanc intervient, le
père appartient presque toujours à l'élément européen, peu de femmes
émigrant dans ces régions malsaines. « L'amoureux Portugais, dit l'au-
teur, contrairement à l'Anglais, dans le nord, et fort heureusement pour
le Brésil, n'a aucune répugnance à se marier, légitimement ou non, avec
la sauvage fille du pays... Le colon primitif fut polygame; les esclaves
indiennes constituèrent un harem aux voluptueux soldats de la con-
quête, comme depuis — et encore aujourd'hui même — les négresses
esclaves forment le sérail des propriétaires et des planteurs du sud. »
On s'explique donc sans peine la proportion énorme des métis et la dif-
ficulté qu'éprouve l'ethnologue à se retrouver au milieu de cette diver-
sité de types. Aussi, doit-on savoir gré à M. Verissimo d'avoir aidé à
débrouiller ce chaos. Tout le monde sachant que les Blancs sont presque
tous Portugais, que les Nègres ont été amenés de différents points de
l'Afrique, nous nous contenterons de parler des Indiens et de leurs
métis.
Les Indiens purs ouBrasilio-Guaranis se divisent en deux catégories :
les uns vivent à l'état sauvage ; les autres, ceux surtout qui habitent
les rives de l'Amazone, ont adopté les moeurs et les coutumes euro-
péennes. Ce changement de vie a influé sur les indigènes presque autant
que le milieu nouveau a agi sur les races européennes ou africaines.
Ce sont les caractères de cet Indien demi-civilisé que nous fait connaître
M. Verissimo; ils peuvent se résumer de la manière suivante : petite
taille, corps trapu, peau couleur de cannelle, cheveux noirs, gros, lisses
et durs, barbe rare, sauf chez des individus d'un âge avancé ; la tête est
courte, les oreilles petites et détachées, le nez large et aplati, les yeux
légèrement obliques, presque horizontaux, noirs, fixes et sans vie, les
lèvres grosses et rouges, les dents petites et blanches. Les extrémités
sont d'une petitesse remarquable avec des doigts gros et courts; le
deuxième doigt du pied est écarté du gros orteil; c'est là un caractère
86 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

transmis par les sauvages habitués à tendre leur arc avec le pied. Tel
est le Tapuio, c'est-à-dire l'Indien demi-civilisé auquel ses frères vivant
en liberté ont appliqué cette qualification qui
n'est, en leur bouche,
qu'un terme de mépris signifiant quelque chose comme vendu ou
asservi. Il faut bien se garder de désigner par ce nom, comme on le
fait trop souvent au Brésil même, le métis d'Indien et de Blanc, auquel
doit être réservée une autre appellation. Il n'eût pas été sans intérêt de
pouvoir comparer ce portrait du Tapuio à celui de l'Indien sauvage;
mais l'auteur effleure à peine les caractères de ce dernier.
Quant aux métis, en laissant de côté les mulâtres, les tiercerons et
les quarterons issus des croisements du Nègre et du Blanc, ils se réduisent
à trois types principaux :
1° Le Cnribôca ou métis de Blanc et d'Indien, possédant, par consé-
quent, un demi de sang blanc et un demi de sang indien;
2° Le Mameluco, métis de Blanc et de Curibôca (trois quarts de sang
blanc et un quart de sang indien) ;
3° Le Cafvz, Cafuzo ou Carafvzo, métis de Nègre et d'Indien (un
demi de sang nègre et un demi de sang indien).
Nous ne décrirons pas ces divers produits sur lesquels, à part le
Mameluco, M. Verissimo ne nous donne d'ailleurs que fort peu de ren-
seignements. Il nous suffira de dire que le Curibôca présente parfois la
peau aussi bronzée que l'Indien pur dont il conserve la plupart des
caractères, qui ne s'atténuent guère qu'après un nouveau croisement
avec le Blanc. La plupart des Mamelucos gardent encore une coloration
de cannelle claire, de gros cheveux et un front bas.
Tout en trouvant qu'Agassiz a été sévère pour les métis en question,
l'auteur ne nous en trace guère un portrait plus flatteur ; il nous les
dépeint comme des êtres dégradés, ayant emprunté aux Blancs et aux
Indiens tous leurs défauts, sans aucune de leurs qualités. Il est vrai que
l'Européen ne s'est nullement préoccupé d'améliorer le sort des Indiens
et des métis. « Sous prétexte de les instruire et de leur donner une édu-
cation morale, de les arracher à la vie errante, il attire les fils des
Indiens et fait d'eux... des esclaves ! » Au point de vue intellectuel, les
métis ont pourtant gagné, mais ils sont sans énergie, indifférents et
d'une imprévoyance qui dépasse toutes les bornes.
L'élément noir étant relativement rare sur les rives de l'Amazone, le
nombre des Gafuzos est forcément très réduit dans cette région ; aussi
l'auteur ne fait-il guère que les mentionner.
Contrairement à ce qui s'est produit dans les autres contrées, la langue
de la population primitive a eu une influence considérable dans la for-
mation de l'idiome moderne. M. Verissimo, après avoir longuement
étudié les modifications qu'a subies le portugais, donne
un catalogue
des mots guaranis les plus couramment employés dans l'Amazone.
Les croyances des Indiens et des métis renferment de nombreuses
BRESIL. 87

traces des superstitions anciennes. Au fond de toutes ces superstitions


on retrouvait le sentiment de la peur : leurs divinités étaient des dieux
malfaisants qu'ils cherchaient à apaiser. Les jésuites qui ont prêché le
catholicisme au Brésil auraient vainement tenté de faire disparaître
tous ces êtres malfaisants : ils en ont fait des démons. Jurupari est
devenu le diable; Gurupira est un autre diable mal défini; Matin-Tapéré
est encore un démon qui n'a qu'une jambe et va, la nuit, mendier du
tabac. En dehors de ces êtres surnaturels, il faut se méfier du dauphin,
du faucon et d'une foule d'autres êtres qui jouent un grand rôle dans
l'imagination des Indiens. On doit éviter de faire du mal à un serpent,
parce qu'il se métamorphose et peut alors causer de grands malheurs
à ceux qui l'auraient blessé. Parmi les animaux, il n'en est qu'un fort
petit nombre qui soient des divinités bienfaisantes : certain passereau,
par exemple, préserve les filles des séducteurs. Le macaque est un
homme métamorphosé et s'il ne parle pas, c'est pour qu'on ne l'oblige
pas à ramer. Les plantes, les minéraux qui, comme les autres êtres, ont
une mère, étaient aussi l'objet de superstitions qui ont disparu pour la
plupart. Pourtant certains végétaux sont encore entourés d'une véri-
table vénération, à cause des propriétés médicinales qu'on leur attribue.
Le chapitre consacré aux moeurs et aux coutumes des populations
de l'Amazone renferme de curieux détails sur les habitations qui servent
à abriter, dans la plus honteuse promiscuité, tous les membres d'une
même famille. Il est vrai que les liens conjugaux sont des plus lâches
et le concubinage est à peu près la règle. Qu'on demande à un enfant
ce que fait son père et il répondra presque invariablement qu'il n'en a
pas. Tant que durent ces alliances, chacun a son rôle tracé dans la
famille : l'homme se borne presque exclusivement à chasser et à pêcher
le gros poisson qu'il harponne ou qu'il tue avec ses flèches; il aide ce-
pendant la femme dans quelques cultures, dans les récoltes, dans la
fabrication de l'huile et la confection des paniers. Celle-ci, en dehors
de ces occupations diverses et des soins du ménage, doit tisser, préparer
la farine, fabriquer les vases et la vaisselle.
La nourriture a pour base le poisson, les pommes de terre et d'au-
tres tubercules; le manioc, le cacao, les oeufs de tortue jouent égale-
ment un certain rôle. Quant aux boissons, elles comprennent une foule
de liqueurs fermentées préparées avec les fruits et les plantes du pays.
L'Indien n'est pas précisément sobre, et, en dehors des boissons qu'il
fabrique lui-même, il achète volontiers les mauvaises eaux-de-vie qu'on
va lui offrir.
La conclusion de cette partie du livre de M. Verissimo n'est pas très
consolante pour l'avenir des métis de l'Amazone : il ne voit guère ce
qu'il y aurait à faire pour les arracher à leur misérable état; il déclare
qu'il faut utiliser la force qu'ils représentent pour le bien de la société,
mais il ne sait pas comment. Cependant l'auteur connaît bien les popu-
88 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

lations dont il parie : il est né et il a vécu dans le pays et, mieux que
personne, il pouvait en parler en connaissance de cause. C'est pour cela
même qu'on peut avoir confiance dans les renseignements qu'il nous
donne et que nous avons cru devoir faire, pour les lecteurs de cette
Revue, une analyse de son livre.
R. VERNEAU.

JOSÉ VERISSIMO. Estudos brazilieros. — Para, Tavares Cardoso et Cie, 1889,1 vol.
in-8.

Sous ce titre, M. Verissimo a réuni une série d'articles, écrits dans


un style des plus châtiés, qu'il avait publiés de 1877 à 1885 dans di-
vers journaux brésiliens. La plupart ne sont que des études littéraires;
trois, cependant, font exception et sont consacrés, l'un à la religion des
Tupi-Guaranis, le second aux idoles de l'Amazone et le dernier à une
visite faite par l'auteur à des villages indiens des rivières Andirâ et
Maués.
Pour M. Verissimo, avant le xvie siècle les Tupi-Guaranis n'avaient
que des conceptions religieuses extrêmement vagues. Le Tupâ, qu'on a
voulu considérer comme un être suprême, était probablement le ton-
nerre. Le soleil [Uaraci ou la mère du jour1] et la lune (Yaci ou la
mère des végétaux) étaient les seuls êtres bienfaisants, mais ils ne sem-
blent avoir été l'objet d'aucun culte. C'était à une foule d'esprits, de
spectres, de fantômes que s'adressaient les conjurations des pages ou
féticheurs, qui jouaient en même temps le rôle de médecins.
A l'époque où l'auteur publiait son article sur la religion (1881),
M. BarbosaRodrigues avait déjà trouvé un fétiche en pierre dans le haut
Amazone. M. Verissimo, sans contester le caractère de cet objet, pensait
qu'il était dû aux Péruviens. En présence des découvertes faites depuis
lors, il a modifié sa première opinion et, dans son article sur les idoles
de l'Amazone, il admet la manière de voir de la plupart des archéologues
brésiliens et du professeur Giglioli, de Florence : les singulières idoles
de pierre que nous avons vues à l'Exposition universelle et qui repré-
sentent des mammifères, des tortues,des poissons, etc., seraient les fé-
tiches d'une tribu de pêcheurs qui aurait réellement vécu en deçà des
Andes.
Les villages des rivières Andirâ et Maués ne se composent que de
pauvres huttes en paille, réunies en petit nombre sur un même point.
Les Indiens qui les habitent, examinés superficiellement, ont semblé à
M. Verissimo appartenir à deux types; ils sont, d'ailleurs,
encore plus
misérables et plus dégradés que ceux qu'il nous fait connaître dans ses
Scenasda vida amazonica : ils n'ont pas même la moindre idée de leur
ITALIE. 89

âge et un père de famille répond tranquillement qu'il doit avoir un an.


Ces Indiens, qui n'ont guère été visités jusqu'à ce jour, mériteraient
d'être soigneusement étudiés. La triste fin du malheureux Crevaux a
prouvé hélas! les dangers quele voyageur couraitdans ces régions.

R. VERNEAU.

FORSYTH MAJOR. Sur la faune mammalogique du val d'Arno. On the Mammallan


Fauna of the val d'Arno {Quarterly Journal of the Geological Soc. of London,
vol. XLI, p. 1).

L'auteur donne les diverses listes des mammifères fossiles du Val.


d'Arno publiées par lui jusqu'à ce jour. Voici la dernière que nous
croyons utile de reproduire :
1. Macacus florenlinus, Cocchi, sp. 20. Mastodon arvernensis, Cr. et Job
2. — ausonius, Major. 21. Elepbas meridionalis, Nesti.
3. Felis issiodorensis, Cr. et Job. 22. Tapirus arvernensis, Cr. et Job.
4. — arvernensis, Cr. et Job. 23. Rhinocéros etruscus, Falc.
5. — sp. 24. Hippopotamus major, Cuv.
6. Canis etruscus, Major. 2o. Sus giganteus, Falc. (Sus Strozzii,
7. — Falconeri, Major. Menegh.)
8. — sp. 26. Bos (Bibos) etruscus, Falc.
9. Ursus etruscus, Cuv. 27. Leplobos Strozzii, Riltim.
10. Mustela, sp. 28. Cervus dicranios, Nestl (G. Sed-
11. Hyoena, sp. gwickii, Falc).
12. Hyoena Pemeri.CV. etJob. (H. bre- 29. Cervus ctenoides Nesti.
virostris, Aym.?) 30. — sp.
Hyoena arvernensis, Cr. et Job.
— Perrieri, Cr. et Job.
13. 31.
14. Machairodusmeganthereon, Cr. et 32. etueriarum, Cr. et Job. (?)

Job. 33. Paloeoryx Menegbinii, Riltim.
15.
— cultridens, Cuv. 34. Paloeoreas Montis Caroli, Major.
16.
— sp. 3b. Castor Rosinoe, Major.
Equus, sp.
— plicidens, Major.
17. 36.
18. E. Sivalensis, Falc.
Cautl.{E. Sle-
e 37. Hystrix, sp.
nonir, Cocchi). 38. Lepus, sp.
19. Mastodon Borsoni, Hays. 39. Arvicola, sp.

Cette faune, que M. Forsyth Major compare avec les faunes plus an-
ciennes de Montpellier, Casino, Pikermi, etc., et avec les faunes qua-
ternaires, se retrouve, dans la partie inférieure de la vallée de TArno, au
milieu des couches marines du littoral pliocène.

MAHCELLIN BOULE.
90 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

A -J JUKES-BROWNE. Les Boulder-Clays du Lincolnshire. The Boulder-Clays of


'
Lincolnshire. Their Geogmphical Range and Relative Age (Quarterly Journal of
the Geological Soc. of London, t. XLI, p. 114).

Tout géologue étudiant les dépôts superficiels du Lincolnshire re-


connaîtra, à première vue, deux types principaux d'argile glaciaire. Le
premier de ces types est constitué par le chalky boulder-clay. La cou-
leur de cette formation est le gris bleuâtre passant peu à peu, en allant
vers l'Est, au blanc jaunâtre ou au blanc éclatant. Son nom vient de la
grande abondance de débris crayeux qu'elle renferme. C'est la conti-
nuation de ïupper boulder-clay de Y Est de l'Angleterre. Le second type
comprend des argiles brunes et rouges désignées autrefois par S. Wood
sous le nom de purpie claij et de hessle-clay. La distribution géogra-
phique de ces deux catégories de dépôts est très différente. Contraire-
ment à l'opinion de Searles Wood, qui sépare nettement le hessle-clay du
purple-clay, M. Jukes-Browne regarde ces deux terrains comme des
faciès différents d'une même formation.
Par contre, il distingue nettement les deux séries, le chalky boulder-
clay étant plus ancien que les purple et hessle-clays. D'abord, il y a su-
perposition directe sur certains points. Ailleurs, les argiles rouges ou
brunes sont adossées aux collines jurassiques, dont le sommet supporte
l'argile crayeuse, disposition qui inclique une phase intermédiaire d'éro-
sion. Le diagramme suivant montre ces relations :

FIG. 1. — Diagramme montrant l'érosion des plateaux crayeux.


0, vieux boulder-clay.
— N, nouveau boulder-claj'.

En terminant, l'auteur donne le petit tableau suivant


pour parallé-
liser les dépôts glaciaires du Lincolnshire avec
ceux du Yorkshire :
Lincolnshire. Yorkshire.
Glaciaire nouveau j Hessle-clay Hessle-clay.
(neioer glacial) j Purple-clay Purple-clay.
Glaciaire ancien
(older glacial)
l
(
Chalky-clay
Cromer séries
..... Basement-clay.

A la suite de cette communication, M. G. Reid déclaré le


hessle-clay et autres argiles glaciaires de couleurs a que
diverses devaient
être considérés comme des faciès d'altération du boulder-clay normal.
MARCELLIN BOULE.
GRANDE-BRETAGNE. 91

AUBREY STRAHAN. Le Glaciaire du Lanscahire sud. On the Glaciation of South


Lancasldre, Cheshîre, and the Welsh Border (Quarterly Journal ofthe Geological
Soc. ofLondon, vol. XLII, p. 369).

L'auteur étudie les directions des stries dans les contrées sus-nom-
mées. La moyenne de ces directions est le N.-N.-O. pour le Lancashire et
le Cheshire etN.-N.-E. pour la partie septentrionale du pays de Galles.
Il est clair que le phénomène glaciaire n'a eu aucun rapport avec la
topographie locale. Des glaciers formés dans les vallées de la Mersey
et de la Clwyd accuseraient des directions complètement différentes.
M. Aubrey Strahan repousse également l'hypothèse d'un glacier conti-
nental. Il trouve que l'hypothèse des glaces flottantes s'accorde mieux
avec les faits observés, notamment avec la présence de coquilles ma-
rines dans les sables et graviers subordonnés au boulder-clay et parfois
remplaçant complètement l'argile glaciaire. Ces sables correspondent
à la période d'affaissement qui a suivi la formation d'un premier erra-
tique appelé basement-clay. Les stries seraient aussi contemporaines des
sables. Quant au basement-clay, ce serait la moraine profonde d'un gla-
cier terrestre. L'auteur fait remarquer que ces diverses formations
trouvent leurs analogues dans l'Est de l'Angleterre. C'est ainsi que le
basement-clay du Nord du pays de Galles représente le grand terrain
erratique des falaises de Cromer oucromer till tandis que le drift marin
étudié dans ce mémoire représente le chalky boulder-clay et les sables
interglaciaires sous-jacents des falaises du Norfolk, duLincolnshire, etc.
Ce parallèle nous paraît très rationnel. Quant à l'origine exacte des
boulder-cla}rs supérieurs, elle est encore très discutée et les raisons
invoquées par M. Aubrey Strahan, en faveur de l'hypothèse des glaces
flottantes, sans être dépourvues de force, ne nous paraissent pas abso-
lument convaincantes. M. B.

R.-M. DEELEY. Le Pléistocène dans le bassin du Trent. The Pleistocene Succession


in the Trent Basin (Quarterly Journal ofthe Geological Soc. ofLondon, t. XLII,
p. 437).

Le Trent est une rivière qui prend sa source dans le comté de Staf-
ford, coule au sud, puis à l'est, arrose les comtés de Derby et, se diri-
geant vers le nord, traverse les comtés de Nottingham et de Lincoln.
Elle se réunit ensuite à l'Ouse (1). La réunion des deux cours d'eau for-

(1) Cette rivière n'a aucun rapport avec POuse du comté de Cambridge dont il
sera question plus loin.
92 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

me l'Humber. L'étude des dépôts quaternaires de ce bassin, où les


terrains glaciaires sont très développés, fait l'objet d'un mémoire extrê-
mement intéressant dont la lecture est rendue facile par une carte et des
diagrammes très clairs.
^ Alluvions récentes.

FIG. 1. — Diagramme montrant la succession des dépôts quaternaires dans le bassin du Trent.

M.Deeley divise le Quaternaire du bassin du Trent de la manière


suivante :
( Dernier boulder-clay de la chaîne Pennine.
„. .
Pleistocene
, supérieur.
, . .'
( Graviers
_, . de . .,
, rivière mterglaciaires.
, , - •

/ Gravier crayeux.
Pleistocene moyen. ] Grand boulder-clay
crayeux.
( Sables de Melton.
( Second boulder-clay de la chaîne Pennine.
Pleistocene inférieur. ] Sables quartzeux.
( Premier boulder-clay de la chaîne Pennine.

a. Quaternaire inférieur. Il consiste en deux erratiques séparés par


des sables, des graviers ou des argiles. Les éléments des boulder-clays
proviennent presque tous de la chaîne Pennine. Il est impossible de les
distinguer l'un de l'autre quand les sables intermédiaires viennent à
manquer. Ils ont été formés par des glaciers terrestres qui se heurtaient
vers l'ouest aux courants de glace émanés de l'Ecosse et des Gambrian.
Les sables quartzeux sont considérés, par l'auteur, comme d'origine
marine, mais sans preuves suffisantes. On n'a trouvé aucun fossile dans
cet ensemble.
b. Les dépôts classés par M. Deeley dans le Pleistocene moyen
témoignent de grands changements dans la physiographie de la contrée.
La nappe glacée, de direction bien différente de la première, venait du
nord-est. Le nouvel erratique diffère du premier par l'absence d'élé-
ments lithologiques empruntés à la chaîne Pennine et par la présence
d'un grand nombre de débris crayeux qui lui ont valu le nom de
chalky boulder-clay. Bien que l'auteur distingue trois dépôts dans le
Pleistocene moyen, il déclare ne pouvoir établir aucune coupure entre
ces dépôts qui passent souvent l'un à l'autre. Il est probable que le
grand boulder-clay crayeux représente la moraine de fond de la lisière
du grand glacier Scandinave. Mais sur plusieurs points ce boulder-clay
offre les traces manifestes d'une action aqueuse. A la lecture de ce
mémoire, il ne m'a pas paru clairement démontré que les sables de
GRANDE-BRETAGNE. 93

Melton et les graviers crayeux soient d'origine marine. J'en excepte les
sables de Wolverhampton que l'auteur rapporte aux graviers crayeux
et qui renferment 'As tarte arctica, Cyprina islandica, etc.
c. Avec le Pleistocène supérieur, nous entrons dans une période

FIG. 2. — Carte des dépôts quaternaires du bassin du Trent, près de Derby.

WÊMfMA Alluvions récentes.


'•//.y-.V,-'///////:

:-::V:"{:£ï Dernier boulder-cla}' de la chaîne Pennime.


Pleistocène supérieur. I

111111111 Graviers de rivière intere;laciaires.

BMÊSM Gravier crayeux.


Pleistocène moyen.
IBFSJ Grand bouldor-clay crayeux.

Pleistocène inférieur. 811111] Deuxième boulder-claj' de la chaîne Pennine.

d'érosions se traduisant par des dépôts considérables de graviers de


rivière. Les cours d'eau creusent leur vallée au milieu des anciennes
argiles glaciaires et des anciens graviers jusqu'à 20 pieds environ de
leur profondeur actuelle et laissent des terrasses alluviales étagées à
diverses hauteurs au-dessus du thalweg. Souvent ces alluvions offrent
1 apparence contournée
que nous connaissons dans les alluvions an-
ciennes delà Seine ou de la Somme.
M. Deeley qualifie ces graviers d'interglaciaires parce que sur plu-
sieurs points ils sont surmontés d'un nouvel erratique composé, comme
les premiers terrains glaciaires de la région, d'éléments arrachés à la
94 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

chaîne Pennine. Ce boulder-clay atteint parfois une grande épaisseur.


Les glaciers qui l'ont déposé se sont modelés sur le fond des vallées
creusées pendant l'époque précédente. Cette nouvelle période de froid a
été suffisamment intense pour permettre de nouveau la jonction des
glaciers venus de l'Ecosse avec les glaciers des Cambrian qui ont re-
couvert de nouveau toute la partie occidentale du bassin du Trent.
M. Deeley pense que ce dernier boulder-clay peut avoir été l'oeuvre de
plusieurs périodes de glaciation séparées par des intervalles de temps
considérables, mais il déclare n'avoir aucune preuve à l'appui de cette
dernière opinion.
La carte et le diagramme ci-joints permettront aux lecteurs de com-
prendre facilement le résumé ci-dessus et de saisir la valeur des divi-
sions établies par M. Seeley. Les conclusions de ce géologue sont des
plus importantes au point de vue anthropologique. Le bassin du Trent
n'a pas fourni, à ma connaissance, d'instruments paléolithiques. Mais le
bassin de l'Ouse renferme, au contraire, les localités les plus classiques
de l'Angleterre. Or la géologie superficielle de ces deux bassins a
beaucoup d'analogie et c'est dans les graviers qui paraissent représen-
ter, clans la vallée de l'Ouse, les alluvions interglaciaires du Trent, que
se récoltent les silex taillés de la forme de Saint-Acheul. L'absence
absolue de restes organisés dans tous les termes de cette série si intéres-
sante établie par M. Deeley est vraiment très regrettable. Il serait du
plus haut intérêt de pouvoir paralléliser ces divers termes avec les
dépôts analogues observés ailleurs et bien datés par des fossiles.
M. B.

J. PRESTWICH. La date, la durée et les conditions de la période glaciaire. Consi-


dérations on the Date, Duralion and Conditions of the Glacial Period, xvith refe
rence to the Antiquity of M an (Quarterly Journal of the Geological Soc. of Lon-
don, vol. XLIU. p. 393).

M. Prestwich rappelle d'abord les théories duDrCroll sur l'excentri-


cité de l'orbite terrestre et, tout en reconnaissant que ces théories
peuvent avoir beaucoup de valeur dans l'explication de certains pro-
blèmes géologiques, il les combat au point de vue de l'époque glaciaire.
Dans l'hypothèse du Dr Croll :
1° Il y a eu pendant toute la durée des temps géologiques des périodes
de froid se traduisant par un régime glaciaire.
2° Les périodes chaudes interglaciaires ont affecté chaque pôle alter-
nativement dans les deux hémisphères.
3° Le commencement de Xépoque glaciaire des géologues daterait de
240 000 ans environ; elle aurait eu une durée de 160 000 ans; le com-
mencement des temps postglaciaires remonterait à 80 000 ans.
GRANDE-BRETAGNE. 95

i° L'homme paléolithique, en le supposant postglaciaire, aurait une


antiquité de 80 000 ans et, en le supposant préglaciaire, une antiquité
de 200 000 à 300 000 ans.
Sur le premier point, M. Prestwich répond que les traces glaciaires
observées dans les Alpes et ailleurs, à l'époque miocène, ne sont pas
concluantes. Il en est de même pour les terrains de l'Ëocène, de la Craie
et les terrains plus anciens.
Quant aux phases de réchauffement survenues en Angleterre et en
Suisse pendant l'époque glaciaire, l'auteur préfère les mettre sur le
compte de causes purement géologiques — distribution particulière
des terres et des mers — plutôt que sur le compte de causes astro
nomiques.
En se basant sur la vitesse des glaciers alpins actuels pour calculer
la durée nécessaire à l'envahissement par les glaciers quaternaires,
on arrivait à un chiffre très élevé. Mais les récentes études sur les gla-
ciers du Groenland nous ont appris que leur vitesse égalait vingt à trente
fois celle des glaciers de montagnes. La vitesse des mers de glace qua-
ternaires a pu être plus considérable encore. D'après l'épaisseur des
lignites interglaciaires de Durnten, etc., en Suisse, M. Prestwich pense
que 600 ans ont suffi à leur formation. Enfin, si les géologues adoptent
presque tous un nombre d'années de l'ordre de celui indiqué par Croll
pour la durée des temps glaciaires, c'est surtout parce qu'ils attribuent
l'érosion à peu près complète des vallées à l'époque postglaciaire.
M. Prestwich a, plus que tout autre, illustré cette théorie. Aujourd'hui,
l'éminent professeur pense que beaucoup de graviers anciens du Sud de
l'Angleterre et du Nord de la France sont contemporains de l'époque
glaciaire. Même les hauts niveaux de la Somme et de la Seine, de la
Tamise, à Reculvers, de l'Avon, à Salisbury, ainsi que les dépôts de
certaines cavernes (notamment les cavernes explorées par le Dr Hicks),
seraient préglaciaires, non pas dans le sens d'être antérieurs à l'époque
glaciaire, mais dans le sens de correspondre à la phase d'invasion qui a
//-nécessairement précédé le stade d'extension maximum. Aussi serait-il
plus correct de remplacer le terme préglaciaires par un des termes gla-
ciaires ou miglaciaires (« midglacial »). Pour toutes les raisons ci-dessus,
l'antiquité de l'homme, même glaciaire, ne saurait remonter au chiffre
de 80 000 ans indiqué par Croll pour les seuls temps postglaciaires.
L'auteur pense que le moment de l'époque glaciaire où le froid était à
son maximum est compris entre 15 000 et 25 000 ans et que la période
postglaciaire ne remonte pas à plus de 10 000 ans. Ces chiffres donnent
aussi l'antiquité de l'homme, suivant qu'on le suppose préglaciaire ou
postglaciaire. Un mémoire de M. Prestwich ne peut qu'être instructif.
J'oserai avouer que celui-ci m'a charmé sans me convaincre. M. B.
96 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

T. MELLARD READE. Estimation des temps post-glaciaires. An Estirnate of Post-


Glacial Times (Quarterly Journal of the Geological Soc. of London, vol. XLIV,
p. 291).

Cette note peut être considérée comme une réponse au mémoire de


M. Prestwich. L'auteur étudie, au point de vue de leur durée, les évé-
nements qui se sont succédé pendant les temps quaternaires dans le
Cheshire et le Lancashire. Il montre que toute la contrée a d'abord été
recouvertepar un vaste manteau de terrain erratique et de sables marins
(le hiver boulder-clay and sands), qui ont comblé les vallées des cours
d'eau préglaciaires. Or les cours d'eau actuels ont creusé leur lit dans la
masse de ce terrain et sont arrivés jusqu'à la roche vive ; ces phénomènes
d'érosion ont dû exiger bien du temps. Puis viennent les formations
postglaciaires. En certains points, sur le boulder-clay, on a observé
des traces d'ancienne végétation. Au-dessus vient une série de dépôts
d'estuaire avec coquilles marines. Ces dépôts, qui s'étendent de la Ribble
à la Mersey, et atteignent 30 pieds d'épaisseur, ont livré des restes de
mammifères appartenant tous aux espèces actuelles. Ils sontsurmontés
d'un lit de tourbe contenant des troncs d'arbres dont les racines se rami-
fient dans les argiles sous-jacentes. Ce sont principalement des chênes,
des bouleaux et des pins. Des forêts analogues, et probablement du
même âge, ont été reconnues le long des côtes de la Grande-Bretagne,
de l'Irlande, de l'île de Man et du Nord de la France. L'auteur croit qu'à
cette époque l'Angleterre était unie au continent. Depuis il y a eu affais-
sement et souvent les restes de ces antiques forêts sont recouvertes par
des dépôts d'estuaires récents.
Ense basant d'une part sur des phénomènes actuels de même ordre
et sur leurs effets depuis l'époque romaine et, d'autre part, sur des don-
nées purement hypothétiques, l'auteur arrive à assigner aux temps
postglaciaires une durée de 60 000 ans.
En réponse à quelques critiques de ses confrères sur la valeur très
discutable des données prises pour bases de ses calculs, l'auteur réplique
que les chiffres qu'il a choisis, par exemple pour la vitesse des érosions,
sont dix fois plus grands que les chiffres représentant la marche actuelle
de ces érosions; par suite, les résultats sont certainement au-dessous de
la vérité. M. B.

REV. O. FISHER. Sur la rencontre de l'Elephas meridionalis à Dewlish. On the


Occurence of Elephas meridionalis at Dewlish, Dorset (Quarterly Journal of the
Geological Soc. of London, vol. XLIV, p. 818).

De nombreux restes d'Elephas meridionalis ont été trouvés dans le


GRANDE-BRETAGNE. 97

D'orsetshire, à Dewlish', dans un paquet de sables fins bien stratifiés situés


sur le flanc et près du sommet d'une colline très escarpée et de 100
pieds d'élévation. Ce gisement fixe-, je crois, la limite occidentale actuelle
de l'aire d'extension de YElephas meridionalls. M. B.

J.-R. KILUOE. Direction des glaciers du Nord de l'Irlande. Direction of Ice-Flow


-
in the North of Ireland, as determined by the observations of the Geological
,
Survey (Quarterly Journal ofthe Geological Soc. of London, vol. XLIV, p. 827).

FIG. 1.
— Carte du Nord de l'Irlande, montrant le système glaciaire,
(D'après le professeur Hull.)

Les deux figures ci-jointes, empruntées à la communication de


l'auteur, me permettront de réduire l'analyse à quelques mots.
On a réuni, sur ces cartes qui émanent du S'urvey officiel, tous les
documents retirés des levés à grande échelle. Si
on trace une ligne
partant du lac Strangford et allant à la baie de Galway, on divisera la
moitié septentrionale de l'Irlande en deux parties. La partie occidentale
révèle deux séries de stries glaciaires disposées à angle droit et repré-
sentées à part sur les deux cartes.
On ne peut admettre un instant
que ces deux séries de stries soient
l'oeuvre d'un système glaciaire unique,
car non seulement, à l'est de la
ligne dont je viens déparier,
on n'observe qu'un seul système de stries,
mais encore, à l'ouest, on souvent relevé les deux directions
a sur les
mêmes points, aussi bien
sur les plateaux qu>-sw4es flancs des vallées.
La direction générale du premier syste'rii'ë'-é'st.le^nord
ou le nord-
L ANTHROPOLOGIE. / •--o' .'
.._
V' ', 7
98 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

2). La direction générale du second varie de l'Ouest (Donegal)


ouest (fig.
sud-ouest (Galway) (fig. 1). Ces dernières directions sont constantes
au
dans une même région, qu'on les relève au bord de la mer ou au som-
des montagnes de 1200 pieds. Cela implique une nappe de glace
met
d'une grande épaisseur venant de l'Ecosse. Il faut ajouter qu'on a observé
de nombreux blocs erratiques ayant cette môme origine. L'auteur décrit
soin la mer de glace écossaise. Les lecteurs de la Revue que cette
avec
question intéresse pourront l'étudier dans J. Geikie (The great Jce Aye,
Prehistoric Europe).

FIG. 2. — Carte montrant la glaciation du Nord des Iles Britanniques.

Le second système de stries s'observe non seulement à l'ouest de la


ligne lac Strangfordbaie de Galway, mais encore à l'est de cette ligne où
leur direction générale est le sud-est. Ces stries se rattachent à un sys-
tème glaciaire tout à fait différent du premier, ayant ses champs de névés
dans la région indiquée sur la figure 2.
Quel est l'âge relatif de ces deux systèmes? Il est possible, dit M.
Kilroe, que les glaciers irlandais aientd'abord strié tout le nord du pays.
Puis serait arrivée la mer de glace écossaise qui aurait fait disparaître
la plupart des traces laissées par les premiers glaciers. Ceux-ci auraient
rayonné de nouveau après le départ de la grande nappe du nord. Le
, GRANDE-BRETAGNE. 99

déclin de ces glaciers a donné naissance à des appareils locaux et


indépendants. M. B.

JAMES CROLL. Considérations sur les premières périodes glaciales. On pre-


vailing Misconceptions regording the Evidence ivhich ive ought lo expect of
Former Glacial Periods (Quarlerly Journal of the Geological Soc. of London,
vol. XLV, p. 220).

M. Groll cherche à expliquer l'absence de preuves directes des


périodes glaciaires très anciennes (des temps secondaires ou primaires)
par l'imperfection de nos connaissances géologiques. Cette imperfection,
ditl'auteur, est une conséquence des principes de la géologie elle-même. "
Les traces glaciaires ne peuvent être retrouvées que dans des terrains
d'origine subaérienne," sur des surfaces continentales (land-surface). Or,
d'ansla sérre'des couches géologiques, nous ne relevons que très rarement
des terrains de ce genre. Ce sontpresque toujours de vieux fonds de mer
qui ne peuvent en aucune manière nous révéler l'existence d'anciens
giaciërs.-Srdes formations erratiques ont existé dans les temps reculés
de l'histoire de la Terre, les remaniements les ont fait disparaître, ou ont
enlevé- tous les caractères distinctifs de leurs éléments. C'est ainsi que
.certaines alluvions anciennes des Alpes, qui sont sûrement des moraines
remaniées, n'offrent que très rarement des cailloux striés.
On-pourrait objecter l'absence de blocs erratiques volumineux.
Cette absence peut être expliquée aussi bien par un régime glaciaire
très intense que par l'absence totale de glace. Si le pays est complète-1
ment enseveli sous la glace, il n'y aura pas transport de blocs erratiques.
Onn'en ajamais trouvé, par exemple, au Groenland. Quand le Professeur :
Nordenskjôld a annoncé que jusqu'à la fin du Miocène il n'y a pas eu
deglaçiersau Groenland, parce qu'il n'a jamais observé dans les terrains
antérieurs de blocs plus gros que la tête d'un enfant, il a fait un raison-
nement entaché d'erreur.
Dans un. million, d'années, les traces de la période glaciaire classique
auront à, peu près disparu. Il n'est pas étonnant que nous ayons tant de
difficultés % découvrir les traces de périodes glaciaires plus anciennes.
Toutes; réserves Mtes au sujet des théories du Dr Croll et de leurs
applications, je ne puis m'empêcher de trouver fort juste la considé-
ration qui précède et qui explique bien la rareté relative des dépôts
glaciaires du Tertiaire supérieur.
Par eontre, je ne suis pas convaincu quand M. Croll déclare que la
paléontologie ne saurait éclairer la question de l'existence des période
glaciaires antérieures au Tertiaire. M B.
100 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

J. PRESTWICII. Instruments paléolithiques de silex près d'Ightham, Kent. On Ihe


Occurrence of Palxolithv. Flint Implemenls in Ihe Neigbourhood of Ighlham,
Kent; thelr distribution and probable âge (Quarlerly Journal of the Geological
Soc. ofLondon, vol. XLV, p. 2"/0).

Dans toute la région d'Ightham et à tous les niveaux, on recueille


des silex taillés d'un type paléolithique ancien. Ces silex se trouvent
surtout en relation avec des lambeaux de drift situés eux-mêmes à
toutes les hauteurs, depuis le fond des vallées jusqu'au sommet des
plateaux. M. Prestwich décrit tous ces lambeaux avec le plus grand
soin. En l'absence totale de fossiles, pour établir l'âge relatif de ces
dépôts, Fauteur est obligé de se baser sur les caractères tirés de leur
altitude, de la nature des éléments qu'ils renferment et de la phy-
sionomie des silex taillés trouvés aux altitudes correspondantes.
Il les classe de la manière suivante :
1° Alluvions anciennes du cours d'eau actuel, localisées au-dessous
de l'altitude de 310 pieds. Les éléments de ces alluvions sont distri-
bués suivant la nature géologique du point considéré, et si elles ren-
ferment quelquefois des roches autres que celles de l'amont, c'est qu'il
entre dans leur composition des produits de remaniement de drifts
plus anciens correspondant à un régime hydrographique différent du
régime actuel. L'auteur les considère comme postglaciaires.
2° Alluvions appartenant à des niveaux plus élevés (jusqu'à 560
pieds), composées surtout de fragments anguleux de silexblanchâtres, de
cailloux tertiaires et de débris arrachés au Grès vert emballés dans.une
terre non stratifiée. Ces dépôts ne sauraient être attribués à des cours
d'eau en rapport avec la topographie actuelle de la contrée. Pour cette
raison, l'auteur les considère, avec un point de doute, comme contem-
porains de l'époque glaciaire.
3° D'autres témoins de formations détritiques se rencontrent sur
les collines crayeuses des North Downs. On y constate la présence de,
débris arrachés aux terrains situés au sud, notamment au Grès vert, et.
qui sont arrivés jusque dans la vallée de la Tamise. Les lecteurs saisi-
ront bien l'importance de ce fait en consultant la carte annexée au .•
mémoire de M. Prestwich ou une carte géologique quelconque. L'au-
teur rapporte cette troisième catégorie à l'époque préglaciaire avec un
point de doute.
D'une statistique très soigneusement relevée par M. Harrison, qui
explore la contrée depuis de longues années, il résulte que sa collection
de silex taillés des environs d'Ightham se décompose de la manière
suivante :
.
GRANDE-BRETAGNE. 101

.46 échantillons proviennent d'une altitude supérieure à 500 pieds


.211 — ' d'une altitude comprise entre 400 et 509 —
139 '
— — — 300 et 400 — '
"l2 300 et 200 —
— — —
3 — — — 200 et 100 —
. •

M. Prestwich repousse l'hypothèse de la dispersion de tous ces


objets à la surface du sol à la manière des objets néolithiques. Il croit,
et il fournit de bonnes raisons à l'appui de cette manière de voir, que
ces instruments ramenés aujourd'hui au jour parla charrue, ont d'abord
fait partie d'un dépôt d'alluvions. Il est ainsi amené à rapporter ces
diverses catégories d'instruments aux drifls de même altitude.
Les instruments retirés des alluvions anciennes des cours d'eau
actuels appartiennent au type tête de lance avec quelques grattoirs et
quelques éclats. L'auteur déclare qu'il n'a pas cru utile de les figurer
parce qu'ils ne différent en rien des silex que l'on trouve ordinairement
dans les alluvions.
Les instruments des hauts niveaux ressemblent beaucoup aux pré-
cédents, sauf que les formes petites et ovoïdes paraissent dominer. Une
planche de dessins leur a été consacrée (1).
Les types récoltés sur les plateaux crayeux des North Downs ont été
Jigurés sur une seconde planche. Leur forme est plus grossière; de
plus, ils ont été roulés. Ces instruments, l'auteur est porté à les con-
sidérer, ainsi que les lambeaux de drift avec lesquels ils sont en rela-
tion, comme antérieurs à l'époque glaciaire.
En terminant sa communication, M. Prestwich fait remarquer qu'on
ne saurait appliquer aux phénomènes géologiques dont il vient d'en-
tretenir la Société, les données retirées de l'étude des cours d'eau
actuels, dont la puissance d'érosion est si faible. Les calculs basés sur
ces données pour évaluer d'une manière absolue l'antiquité de l'homme
sont donc erronés. Bien que, par suite des faits qu'il vient de déve-
lopper, l'auteur ait été conduit à reculer l'antiquité géologique de
l'homme, il considère cette antiquité comme inférieure au chiffre
indiqué par le Dr Croll.
« Quoi qu'il en soit, ajoute M. Prestwich, il me paraît certain que
les grossiers instruments décrits dans ce travail sont beaucoup plus an-
ciens que les graviers de rivière déposés sous le régime hydrographique
actuel. Pour les raisons que j'ai déjà indiquées et que j"espère déve-
lopper plus tard, je crois qu'on peut les faire remonter à la première
phase de la période glaciaire ou période préglaciaire. Les caractères de
ces instruments plaident eux-mêmes en faveur de cette haute antiquité,
car ils dénotent un travail très primitif. Beaucoup d'entre eux sont
des éclats naturels de silex très légèrement façonnés, aux arêtes sim-


1. En France,on n'hésiterait pas à les comparer aux types du Mousticr. (M. B.)
102 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

plement abattues. Cependant ils témoignent réellement d'une main-


d'oeuvre et la présence, parmi ces outils grossiers, de quelques formes
indiscutables ne permet pas de douter des caractères artificiels de l'en-
semble. »
Plusieurs géologues ont pris la parole après cette très intéressante
communication. MM. Evans et Allen-Brown ont insisté sur l'origine
subaérienne de quelques drifls des hauteurs et sur l'uniformité des
types paléolithiques recueillis aux divers niveaux. M. Whitake déclare
que le terme de préglaciaire ne saurait avoir une signification unique
dans tous les pays. Puisque les silex taillés des hauteurs sont roulés,
dit M. Hicks, cela prouve qu'à l'époque qui leur correspond, le pays
formait une vaste plaine arrosée par les eaux de fusion des glaciers.
Le travail de M. Prestwich est une monographie modèle. Un biblio-
graphe étranger au pays et n'ayant pas vu par lui-même, ne saurait
critiquer que les conclusions. M. Prestwich a présenté les siennes sous
une forme assez dubitative pour qu'il n'y ait pas lieu d'insister.
M. B.

HENRY HICKS. La caverne de Cae Gwyn, Galles du Nord. On the Cae Gwyn Cave,
North Wales. With a note by C. E. de Rance (Quarteriy Journal of the Geolo-
gicalSoc. of London, vol. XLIV, p. 561).

Les lecteurs de la Revue sont au courant des fouilles pratiquées


dans la caverne de Cae Gwyn et des discussions auxquelles ces fouilles
ont donné lieu. On sait que le Dr Hicks a proclamé l'existence de
l'homme à l'époque préglaciaire au nord du pays de Galles en se fon-
dant sur la présence d'un silex taillé dans des dépôts de caverne recou-
verts par un terrain glaciaire. Dans un mémoire du professeur Hughes,
que j'ai eu l'occasion de résumer (1), les conclusions du Dr Hicks étaient
combattues. Le drift glaciaire ne serait pas en place; il serait antérieur
aux dépôts de la caverne. Ce n'est que par suite d'un effondrement
que le drift serait venu recouvrir ces derniers. Le nouveau travail du
Dr Hicks peut être regardé comme une réponse à la publication de
M. Hughes.
L'auteur rappelle brièvement les fouilles de 1885 et 1886. C'est pen-
dant cette dernière année qu'on découvrit l'entrée bloquée par le drift
et que l'on trouva un petit couteau de silex, associé à des dents d'hyène
et de renne, dans une position nettement inférieure au drift glaciaire
avec coquilles marines. M. Hicks cherche à prouver que ce dépôt est
bien en place, qu'il repose directement sur la terre à ossements de la

(1) Voyez Revue d'Anthropologie, 1888, t. III, 3= série, p. 284, et Matériaux, 1888.
GRANDE-BRETAGNE. : 103

cayerne et que ce rapport stratigraphique n'est pas le résultat d'un


accident récent. M. Geikie, qui a visité le gisement et dont M. Hicks
invoque le témoignage, a déclaré :
1° Que la terre à ossements s'étend bien en dehors des limites ac-
tuelles de la caverne. Il n'en était pas ainsi à l'origine; ily a eu certaine-
ment chute de la voûte ou des parois. Les grands blocs de calcaire gisant
aufond de l'excavation représentent évidemmentles matériaux éboulés.
2° Ces blocs reposent sur la terre à ossements. Les matériaux qui
les recouvraient ont été enlevés par les fouilles;mais le bloc situé près
de la paroi nord supporte les couches glaciaires en place.
3° Du côté nord de l'excavation, il y a eu certainement un mouve-
ment des couches, car, dans leur partie inférieure, le gravier et les ar-
giles sont adossés verticalement contre la paroi calcaire. Ce trouble dans
la stratification est tout à fait local; il n'affecte pas la masse entière du
terrain glaciaire qui paraît être très continue; M. Geikie n'a rien vu
permettant de mettre sur le compte de la chute de la voûte la disposi-
tion du terrain glaciaire.
4° Cet effondrement est antérieur au dépôt des graviers et argiles
glaciaires. C'est pendant une période d'affaissement que ceux-ci sont
venus bloquer l'entrée de la caverne.
M. Morton a soutenu que les couches étaient in situ et M. de Rance
a également apporté son témoignage en faveur de M. Hicks.
Le nouveau travail de M. Hicks renferme des coupes et un plan de la
caverne. Le lecteur fera bien de les comparer aux dessins de M. Hughes
{Quarterly Journal, février 1888), et il verra combien il est difficile de
se faire une opinion sur le côté stratigraphique de la question. Il est
regrettable que les constatations du Dr Hicks aient été faites sur un
point évidemment remanié, quelle que soit la date du remaniement. En
l'absence de preuves stratigraphiques évidentes, il est certain que la
forme des silex retirés de la terre à ossements de la caverne, et la
faune elle-même, sont en contradiction absolue avec ce que nous con-
naissons,--non seulement en Angleterre, mais dans l'Europe entière. En
France, notamment, nous avons une foule de preuves, aussi claires que
possible, de l'antériorité de la majorité des terrains glaciaires à l'époque
représentée par la faune et l'industrie similaires de Cae Gwyn. Les
faunes du Forest Bed, de Saint-Prest, etc., sont si différentes!
MARCELLIN BOULE.

K.-J. MASCHKA.Une troisième hache de jadéite en Moravie (Mittheil. der anthro-


pol. Gesellsohaft in Wien, Silzungsberichte, 1888, p. 1-6).

Cette hache a été découverte par un paysan près de Straznic, dans


10 i MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

le sud-est de la Moravie; il Ta cédée à M. Maschka comme un hromovy,


kamének, c'est-à-dire une « pierre de tonnerre ». Dans la plupart des
familles des villages voisins de Straznic, on conserve des haches polies
de génération en génération ; elles passent pour des talismans et des
remèdes contre les maladies des hommes et des animaux.
La hache dont M. Maschka a donné une gravure a 0m,085 de long sur
0m,05 de large et 0ra,018 d'épaisseur; le poids spécifique est de 3,343.
Elle est beaucoup plus grande que les deux haches de jadéite découvertes
précédemment en Moravie (Mllt-heil., SUzungsber., t. XV, p. 113, t. XVI,
p. 29). Une lamelle en a été détachée par le Dr Berwerth, du Musée
d'histoire naturelle de Vienne, et soumise à un examen microscopique.
Le résultat de cet examen, communiqué par M. Maschka, montre que la
hache de Straznic, à la différence des deux autres qui ont été recueillies
dans la même contrée, ne présente aucune trace de zircon; or, suivant
M. Arzruni, l'absence de zircon est un des caractères des jadéites de
-l'Orient par opposition à celles de l'Occident (cf. Arzruni, Verhandlungen
der Berl. Ges., 1886, p. 135). M. Maschka serait donc tenté d'attribuer
à la hache de Straznic une origine orientale, mais il n'exprime cette
opinion que sous toutes réserves.
SALOMON REINACÏÏ.

J. SZOMBATHY. Trois haches en jadéite et un marteau en serpentine de Zala Apa-


thi (Hongrie). (Mitthcil. der anthropol. Gesellschaft in Wlen, SUzungsber.,
1888, p. 11-14.)

Zala Apâthi est situé à l'ouest du lac Balaton, dans les environs de
la célèbre nécropole barbare de Keszthely. Les haches en jadéite qu'on
y a trouvées appartiennent à la classe des haches plates (Feinbeik), type
dont M. Virchow, en 1881, limitait l'extension vers l'est au cours de
l'Elbe ( Verh. Berl. Ges., 1881, p. 283). M. Berwerth a procédé à l'étude mi-
croscopique delà matière des haches en question ; c'est incontestable-
ment de la jadéite, à structure granulée, avec présence d'épidote, de
rutile et de titanite, peut-être aussi de zircon, comme dans la hache de
ïvarozna Lhota découverte en Moravie. Il la range dans la classe n°I
des jadéites étudiées par M. Arzruni, qui comprend les haches de la
Suisse, de l'Allemagne et d'une partie de la France. On doit souhaiter
qu'un minéralogiste français entreprenne de son côté une étude micro-
graphique sur les haches de jadéite, pour contrôler les résultats des
travaux de MM. Arzruni et Berwerth.

SALOMON REINACH.
AUTRICHE-HONGRIE. ios

Dr CIRO TRUHELKA. Die Nekropolen von Glasinac in Bosnien (Mitlheilungen der


anthrop. Gesellschaftin Wien, 1889, p. 24-45). —M. HOERNES. Grabhuegelfunde
von Glasinac in Bosnien (même recueil, 1889, p. 131-149). Ces deux articles
sont accompagnés de nombreuses figures.

Tant que l'exploration archéologique de la presqu'île des Balkans


n'aura pas été poussée avec vigueur, bien des problèmes que soulèvent

FIG. 1. — Fibule deTaline (Glasinac). Gr. nat.

FIG. 2. — Vratnica, FIG. 3 et 4. — Borik. FIG. 5. — Laze.


Fibules de Glasinac (gr. 2/3 do l'original).

les époques du bronze et de Hallstatt dans l'Europe centrale ne pourront


pas être sérieusement abordés. L'opinion des archéologues est unanime
à cet égard : c'est des régions illyriennes et thraces que l'on attend
aujourd'hui le plus de lumière. Par bonheur, l'établissement du régime
autrichien en Bosnie et en Herzégovine, ayant pour conséquence la
pacification de ces contrées naguère si peu accessibles, a déjà com-
mencé à porter ses fruits pour la science. Les.premières recherches
106 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.
AUTRICHE-HONGRIE. 107

remontent à 1879. et 1880 (1); c'est alors qu'on a découvert à Glasinac


les curieux objets qui ont été publiés par M. de Hochstetter (2). En 1886,
deux officiers autrichiens ont exploré une douzaine de tumuli dans
la même région; enfin, en 1888, le directeur du musée de Serajevo,
M. Truhelka, en a fouillé trente. Il est fâcheux toutefois que les re-
cherches n'aient pas été conduites avec plus de minutie : pour aucun
.de ces quarante-deux tumuli, nous ne possédons un procès-verbal
exact .de la fouille. Les objets découverts ont été répartis entre le
musée de Serajevo et celui de Vienne.
Le plateau de Glasinac est la seule plaine de quelque étendue que
l'on trouve dans la Bosnie centrale, dont le relief est partout ailleurs
.fort accidenté. Il est aujourd'hui dépourvu d'eau et très maigrement
peuplé; divers indices permettent cependant de croire qu'il n'en a pas
toujours été ainsi. Sur le plateau même, il n'y a que six tumuli, mais
on en compte au moins 1 500 dans la région montagneuse qui Tavoisine
vers l'est. Dans le pays, ces monticules artificiels s'appellent gromile,
gomile oumogile. Les paysans disent que ce sont les sépultures de traîtres
_qui ont été condamnés à la lapidation. Outre ces tumuli, on constate
aux environs de Glasinac des restes de fortifications très grossièrement
.construites. Les tumuli eux-mêmes sont tout ce que l'on peut imaginer
de plus primitif. Ce sont de simples tas de pierres non taillées, généra-
lement assez bas, dont le diamètre varie de 25 mètres à 5 mètres seu-
lement. Les grands tumuli sont entourés d'une multitude d'autres plus
petits; ils semblent avoir été réservés à la sépulture des chefs militaires,
car c'est là seulement qu'on a découvert des armes. Presque partout,
le poids des pierres a écrasé les squelettes, de sorte qu'il ne reste plus
que des os brisés en menus fragments. L'inhumation est la règle ; cepen-
dant, dans un groupe de six tumuli un peu différents de construction,
on a trouvé des vestiges d'incinération. L'un d'eux présentait une double
sépulture, l'une par inhumation et sans objets, l'autre par incinération
et assez riche. Dans presque tous les tumuli, il y a des couches de
cendres et d'ossements d'animaux carbonisés, qui attestent le rite de
sacrifices funéraires".
Les objets en pierre et en os sont fort rares et insignifiants. Le fer a
servi exclusivement à la fabrication des armes : on trouve surtout des
.pointes de lance et de javelot, quelquefois de fortes dimensions. Mais
•la très grande majorité des objets découverts sont en bronze. Le travail
du bronze, presque toujours fondu, témoigne d'une certaine habileté
technique, sinon de beaucoup de soin; l'ornementation consiste presque

(1) Jusque-là on en était réduit aux récits de quelques voyageurs ou consuls, comme
MM. Blau, Sainte-Marie, A. Evans,
ou aux renseignements sommaires fournis.par les
écrivains indigènes, MM. Nedic' et Bakula.
,• (.2) Mittheil. der anthrop. Gesellschaft in Wien, 1880, n°* 10-12. — Cf. Matériaux,
t. XVIII, p. 315.
108 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

uniquement en lignes gravées, surtout en cercles avec point central et


en cercles concentriques. On peut signaler les types suivants, dont les
gravures jointes au présent article donneront une idée suffisante :
1° Fibules. — Forme paléo-italique dite de Peschiera, très simple,
avec enroulement unique (un spécimen a 0m,154 de long). Cette forme
s'est également rencontrée en Croatie. — Forme hellénique avec haute
plaque d'arrêt triangulaire percée de trous ou ornée de cercles gravés
(fig. 1-4). — Fihule en arc, avec double enroulement (fig. S). —Fibule
noueuse à plaque d'arrêt allongée, avec anneaux formant pendeloques
(fig. 6). —Fibule en barque (navicella), à plaque d'arrêt allongée munie
d'un oeillet. — Fibule à disques dite « fibule à lunettes » [Brïllenfibeï) (1).
2° Épingles. — Épingles doubles formées d'une tige unique, recour-
bée au sommet, comme les épingles à cheveux actuelles. —Épingle
ornée d'une tète ajourée.
3° Pincettes ornées de cercles avec point central (type analogue de
Dodone, ap. Carapanos, pi. LI, fig. 30, 21).
4° Plaques circulaires (phalères) avec ornements gravés ou ajourés,
parfois avec bordure profondément dentelée (type analogue en Hon-
grie).
5% 6° Petites rouelles, boutons et ornements cruciformes (fig. 7-11).
7° Appliques de ceinturons.
8° Sortes de diadèmes (?) avec ornements incisés.
9° Colliers du type torques, bracelets, anneaux, bagues (fig. 12).
10° Spirales (fig. 13, If), pendeloques, entre autres une grossière
figure d'oiseau, surmontée d'un oeillet; une sorte de petit vase auquel
sont suspendus de nombreux anneaux passés dans des oeillets; des en-
chevêtrements d'anneaux et de spirales.
11° Fragments de spirales très minces, nombreuses aussi en Croatie;
l'une de celles de Glasinac est en or.
12° Perles de bronze, d'ambre, de terre-cuite.
La poterie est insignifiante; quelques fragments recueillis ont été
fabriqués à la main, d'autres avec l'aide du tour.
En somme, si l'on compare la nécropole de Glasinac avec celle de
Hallstatt, on remarquera entre elles plusieurs caractères communs,
mais aussi de notables différences, qui s'expliquent parla situation géo-
graphique de Glasinac, plus soumis aux influences helléniques. On ne
saurait cependant considérer l'industrie de Glasinac comme un inter-
médiaire très ancien entre celles de la presqu'île des Balkans et de la
vallée du Danube; au contraire, suivant l'observation de M. Hoemes,
les bronzes qu'on y a découverts paraissent appartenir à une époque
relativement récente et l'on serait assez disposé à y voir les produits
d'un art local en décadence, qui a subi des influences bien plus qu'il
(1) Voir, pour ce type, les gravures données dans MADSEN, Broncealderen, t„ II,
pL30, n" 5 11-14.
BAVIÈRE. 1C 9

n'a- dû en exercer. C'est plus loin vers l'est, en particulier peut-être


le sud-est, qu'il faut chercher le point de départ encore mystérieux
vers
de la civilisation de Hallstatt, à moins qu'on ne préfère, avec M. Lin-
denschmit et d'autres, en attribuer l'origine à l'Italie.
SALOMON REINACH.

Dv JULIUS NAUE. Die Hûgelgràber zivischen Àmmer-und Slaffelsee (Les tumulus


entre les lacs d'Ammer et de Staffel). Avec une carte et 59 planches, dont
22 en couleurs. Stuttgart, 1887. — Compte rendu de M. Heger : Miithei-
lungen der anthropoîogischen Qesellschaft in Wien, 1888, p. 56.

M. Naue, peintre de profession, s'est voué depuis peu, mais avec


autant d'ardeur que de succès, aux études préhistoriques. Il a exploré,
de 1883 à 1886, environ 300 tumuli situés sur les hauteurs qui suivent
la rive droite de l'Animer depuis le lac de Staffel., d'où elle sort, jus-
qu'au lac d'Ammer, où elle se déverse. Les découvertes qu'il y a faites
sont très importantes et serviront de base aux recherches futures sur la
préhistoire de la Bavière supérieure (région située au sud-ouest de
Munich).
L'auteur répartit les sépultures qu'il a fouillées entre sept périodes,
à savoir: 1° la période du bronze; 2° la période de transition entre
celle du bronze et l'ancienne période de Hallstatt; 3° et 4° l'ancienne et
la récente période de Hallstatt; 5° période de transition avec fer seul et
peu d'autres objets; 6° période de La Tène; 7° sépultures romaines secon-
daires et tumuli romains.
La période du bronze, où l'on distingue une époque plus ancienne
et une récente, est caractérisée par la disposition même des tumuli, qui
présentent à l'intérieur des constructions en pierre, parfois même des
coupoles. L'incinération et l'inhumation sont également pratiquées, mais
l'incinération est beaucoup plus fréquente, surtout dans le groupe mé-
ridional. Dans la période de transition, comme dans celle du bronze
pur,"la fibule fait absolument défaut. L'ancienne période de Hallstatt
est très richement représentée; la construction des tumuli se modifie et
la chambre intérieure en pierre disparaît peu à peu. Dans les objets de
parure, le bronze domine, mais les armes sont toutes enfer. La période
suivante (Hallstattien récent) marque le point culminant de cette civi-
lisation. L'incinération continue à être plus fréquente que l'inhumation.
Dans;la.période récente, on trouve quelques sépultures à char. Puis
vient une époque où l'on rencontre seulement des objets en fer et où
l'incinération seule est pratiquée. 1 Les ensevelissements secondaires
datant des temps romains sont très nombreux; un seul tumulus semble
avoir été. élevé, spécialement pour recevoir une sépulture romaine.
110 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

L'ensemble des tumuli couvre une époque que M. Naue évalue à près
de dix siècles.
Les faits d'ensevelissement partiel que M. de Sacken avait signalés à
Hallstatt sont confirmés par les recherches de M. Naue. Dans les tumuli
de la période hallstattienne, il a constaté seize inhumations de ce genre,
sans qu'on puisse les expliquer par l'hypothèse d'une crémation incom-
plète. M. fleger, qui a long-temps révoqué en doute la théorie de Sacken,
se déclare aujourd'hui convaincu par les observations concordantes de
M. Naue.
SALOMON RÈINACU.

Les frères SKOBPIL. Monuments de la Bulgarie. 1er vol. première partie: la


Thrace. Sofia, 1888. — Ouvrage écrit en langue bulgare, résuméen allemand
par M. WOLDRICH dans les Mittheilungen der anthropologischen Gesellschaft in
Wien, 1888,p. 285.
PERSE. 111

Dr J.-E. POLAK. Les métaux d'après les sources perses [Mittheil. der anthropol.
Gesellsch. in Wien, Sitzungsber., 1888, p. 6).

M. Polak, qui a voyagé en Perse, remarque d'abord que l'on ne


connaîtra les métaux des époques primitives que par le résultat des
fouilles dans les stations préhistoriques de l'Asie. De nombreux docu-
ments ont déjà-été fournis par les tumuli (tappek, kurgan) des monts.
Soliman- en Afghanistan, et par ceux de la Perse, de la Syrie, de la
Sibérie. Tandis qu'en Europe les tumuli sont constitués par de petits
tas de terre qu'on peut parfois attribuer au hasard, les tumuli asiatiques
forment de hautes pyramides tronquées ou des cylindres hauts de 20
à30 mètres. Sur l'antiquité de ces tumuli les textes sont muets; cepen-
dant il est certain qu'ils ont été élevés avant le temps de Zoroastre,
c'est-à-dire il y a au moins 2 500 ans, puisque à cette date la crémation
des cadavres a pris fin. (Ces tumuli renferment en abondance des restes
de cadavres incinérés.)
Les peuples de l'antiquité classique connaissaient bien l'or, l'argent,
le fer, mais ils confondaient le cuivre avec le laiton, le plomb avec
l'étain; aucun peuple ne connaissait le zinc à l'état métallique, quoi-
qu'il fût employé dans les alliages. Les Persans ne connaissaient pas
le kobalt et cependant ils l'exportaient en Chine et ils l'employaient
pour leurs émaux de toute antiquité.
L'or a toujours été rare en Perse; des dynasties puissantes, comme
celle des Parthes, n'avaient pas de monnaie d'or.
L"argent est assez abondant en Perse, près de Téhéran. — Le cuivre
y est très abondant; le laiton y était très anciennement connu; cet
alliage existe-t-il dans les minerais? Question non résolue par nos
métallurgistes. — Le zinc, inconnu dans l'antiquité comme métal, était
employé à l'état d'oxyde.—ho, plomb et Yétain étaient désignés comme
plomb noir et blanc.
; Antimoine. Des objets préhistoriques de ce métal ont été trouvés au
Caucase; M. Polak a découvert de l'antimoine près de Ghiraz. Le minerai
dit llhmicl, employé en Perse pour farder les paupières, n'est pas, comme
on le croit, de l'antimoine sulfureux, mais du fer oligiste en écailles.
Bronze. Les Persans actuels fabriquent parfaitement le bronze,
dont ils savent varier la teinte et la résonnance. Les fondeurs d'Ispahan
conservent soigneusement leurs secrets à cet égard. M, Polak n'a pas
encore analysé les bronzes qu'il a trouvés dans les tumuli. L'usage de
l'argent dans,le bronze est aussi antique que général. Le fer se trouve
aussi dans tous les bronzes antiques, dans la proportion d'environ
0,75 p. 100; il n'y a sans doute pas été introduit intentionnellement.

J. MONTANO.
H2 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Dr WILHELM TOMASCHEK. L'extraction de l'étain et la fabrication du bronze en


Asie (Mittheilungcn dcr anthrop. Gesellsch.in Wien, Silzungsber., 1888, p. 8).

D'après Strabon, les Dranges ou Zaranges des monts de Sarhadd et


des bords du lac de Zarre exploitaient l'étain; ce métal est indiqué
par lbn-Khordadbeh, un des plus anciens géographes arabes, dans les
mines de Maaden ; Ogorodnikow a signalé des mines d'étain et l'emploi
industriel de ce métal à Meshed et à Koushan dans le nord du Khora-
çan. On a aussi découvert récemment des mines d'étain dans lTIindu-
kush oriental près de Bamiyân ; ces mines paraissent avoir été signalées
par les annales chinoises des H an et des Sui dans la description du
royaume de Kipin (Kaboul).
Il est douteux que les monts du Ferganah, au sud de l'Iaxarte, aient
donné de l'étain ; sa présence parait au contraire certaine dans la région
qui s'étend au pied du versant sud du Tian-Chan. La relation du voya-
geur chinois Huang-Thsang (630 de notre ère) signale la production de
l'or, du fer, du plomb, du cuivre et de l'étain dans les monts Koushé et
l'emploi habile qu'en faisaient les habitants; de même à Kao-Chan,
actuellement Turfan, où cette industrie prospère encore.
La région au sud du Tian-Chan était, avant l'ère chrétienne, sous
l'influence de la civilisation iranienne; le développement de la métal-
lurgie dans cette région est aussi dû à cette civilisation. Mais les habi-
tants aryens du haut plateau iranien, qui importèrent la fabrication du
bronze dans le nord de l'Asie, n'en étaient pas les inventeurs. Les plus
anciennes découvertes de bronze ont été faites en Mésopotamie. Les
Suméro-Accadiens, les Assyriens et les Khêtas furent les premiers à
fabriquer le bronze. Nous connaissons les noms suméro-babyloniens
du cuivre (urudu), de l'étain [anaku, kazdura) et du bronze (zaôar).
Ces peuples civilisés paraissent avoir tiré le cuivre en partie de chez
les aborigènes du Caucase et de chez lesKouschites,en partie de Màkan
en Arabie ; ils tiraient l'étain de la région de Midian. Les mines d'étain
de la Géorgie n'étaient pas encore exploitées. L'étain provenait aussi de
Tarsis (cette terre occidentale de l'Europe d'identification encore incer-
taine), car lesPhéniciens allaient jusque-là avec leurs bateaux; cela eut
lieu pour la première fois 1100 ans avant J.-C. Nous pourrions donc
admettre que lesTurisha des monuments égyptiens sont réellement les
Étrusques qui, par l'intermédiaire des Ligures, tiraient l'étain de l'Ibérie
et de la Bretagne, et qui, dans leurs incursions guerrières, purent
apporter ce métal rare en Orient, Cependant il est beaucoup plus pro-
bable que la fabrication du bronze a pour patrie originaire la Mésopo-
tamie, et que de là elle passa chez les Aryens éleveurs de chevaux qui
avaient été repoussés du Nord vers les hautes terres iraniennes et qui
ASIE. 113

(depuis 800 ans av. J.-C.) s'étaient étendus jusque dans les plaines de
la Mésopotamie. Auparavant les Aryens n'employaient que le cuivre
pour leurs armes.
On trouve déjà dans l'Avesta des traces de la fabrication du bronze
dans l'Asie Antérieure; cet ouvrage distingue deux espèces d'étain :
aonya takhairya et aonya parô-beregya; le son complexe beregya paraît
être formé de la môme racine [bharg, éclairer, brûler) que le mot per-
san moderne biring qui signifie bronze,
Aux tribus nomades iraniennes du Nord appartiennent, outre les
Scythes et les Sarmates du Pont, les Massagètes qui ne connaissaient ni
le fer ni l'argent, mais avaient de l'or et du cuivre en abondance; ils
tiraient ces métaux de l'Altaï.
On a étudié les monuments primitifs de l'Altaï occidental et de soi;
versant nord. Jusqu'ici les archéologues inclinaient à attribuer ces
restes préhistoriques aux Finnois et aux Ougriens.Radlow les attribuait
au peuple chasseur de l'Iénisséï, mais les misérables Iénisséiens n'ont
vraisemblablement appris à fondre grossièrement le fer que par l'inter-
médiaire des Turcs. Certainement ils étaient tout à fait incapables de
fondre le cuivre et de fabriquer le bronze.
Les Finnois et Ougriens qu'Hérodote mentionne comme des peuples
chasseurs connaissaient le cuivre (finnois : tuaski; ostiak : ivohh), mais
1'étain et le bronze leur étaient primitivement inconnus. Quant à l'usage
de l'or, il est assez indiqué par les noms de ce métal (permien : zarny ;
wogoul : zarnya; magyare : arany, qui est le zend zaranya). Au con-
traire, les Scythes avaient des flèches en cuivre et en bronze, et en
outre beaucoup d'or.
Nous pouvons admettre sans hésiter la présomption qu'une partie
des Scythes habituellement appelés Massagètes se sont établis parmi
les tribus haut-asiatiques et ougriennes et qu'ils ont peut-être poussé
jusqu'au cours moyen de l'Iénisséï. A ces Scythes peuvent être attri-
bués les restes préhistoriques qui ont été découverts dans les kourganes
de l'Iénisséï à ïobolsk, et, au sud, jusques au Tshoui. Ces restes de la
plus antique métallurgie sont en cuivre, en bronze et en or; les objets
en fer font presque complètement défaut. L'arc trouvé dans un kour-
gane de Barnaul à la forme en sigma qui était usitée chez les Scythes du
Pont; la manière de tendre l'arc, le bonnet en pointe, l'habit de combat
orné de plaques d'or, sont également scythes. Remarquons que les traits
des plus anciennes figures humaines des kourganes deMinuzinsk (Aspe-
lin, nos 299-300) ne sont ni turcs ni mongol-s.
La fabrication du bronze au nord et à l'ouest de l'Altaï dérive donc
d'une source iranienne; en dernière analyse, elle provient, comme l'in-
dustrie iranienne en général, de l'industrie de la Mésopotamie. De
l'époque la plus reculée jusqu'à notre ère, l'influence chinoise sur la
métallurgie du Nord ne peut être démontrée.
L'ANTHROPOLOGIE. 8
114 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Abandonnant le berceau méridional de sa race, une peuplade turque,


(les Kie-Ko Kirghises) s'avança dans le bassin de l'Iénisséï et y intro-
duisit l'usage du fer. Parmi les survivantes des tribus gothiques qu'ils
refoulèrent étaient peut-être les Pô-Mâ (possesseurs de chevaux à robe
mouchetée) qui, d'après les annales des ïhang, habitaient à l'ouest des
Kie-Ko sur l'Obi supérieur et sur l'Irtysch et qui ne se servaient
presque pas du fer.
D'où provenait l'étain des objets en bronze dit tchoudes que nous
attribuons aux Massagètes? Venait-il des hautes terres iraniennes, du
Kutché,duThibet,de la Chine, ou bien était-il extrait du solde larégion?
Cette dernière hypothèse peut être admise, car les annales des Thang
permettent de croire que les Kie-Ko ou Kirghises de l'Ienisseï tiraient
l'étain de leur propre pays. Aujourd'hui on ne connaît dans le nord de
l'Asie d'autre gisement d'étain que celui du cercle de Nerchinsk, où les
Souriates s'en servent encore pour étamer.
Si notre façon de voir est exacte, toute l'Asie antérieure forme avec
la Sibérie occidentale une grande et primitive province du bronze; une
autre province, tout aussi primitive, mais entièrement distincte, est
représentée par l'Asie orientale; l'Inde Antérieure se place historique-
ment et géographiquemententre les deux.
Originairement l'Inde Antérieure tirait l'étain de l'Occident; mais
déjà au Iur sièclede notre ère on devait connaître rétain de l'Indo-Chine.
Ptolémée (150 ans av. J.-C.) mentionne la terre du bronze (le Siam) et la
péninsule dorée (Malacca) ; son fleuve Chrysoanas est voisin des riches mi-
nes actuelles de Pérak. Les négociants grecs qui avaient apporté aux In-
douslemot sémito-sumérienxacaiTEpoç (sanskrit: kaslira, étain) devaient
alors connaître cet étain des Indes ; car l'étain porte aussi les noms in-
dousde Yavana-priya, « aimé des Grecs », et de Yavanesla, « estimé des
Grecs ».
Le grand trafic des mers de l'Inde et de la Chine avait pour port cen-
tral, au vmc et ixe siècles de notre ère, Kalah, sur la côte actuelle de Pé-
rak, dont l'étain était exporté au loin.
Les Chinois, quand ils habitaient encore la régiou du loess jaune du
Ho, tiraient le zinc et l'étain de larégion montagneuse au sud du Kiang,
dans la province de Kiang-Nan.
L'alliage du bronze chinois diffère de celui du bronze de l'Asie Anté-
rieure, de la Perse et de l'Altaï; les motifs ornementaux reproduisant
des hommes et des animaux sont très rares sur les bronzes chinois ; au
contraire, les images d'animaux sont fréquentes sur les bronzes de la
Mésopotamie et de l'Altaï. En somme, la Chine, l'Indo-Chine et le Japon
forment une province du bronze parfaitement distincte.

J. MONTANO.
ALLEMAGNE. 1.15

Dr ROBERT BEHLA. Die vorgeschichtlichen Rundwdlle im ôstlichen Deutschland


(Murs circulaires préhistoriques dans l'Allemagne orientale). Berlin, 1888.

L'auteur, connu depuis longtemps par ses travaux de préhistoire, a


entrepris de réunir tous les monuments préhistoriques du nord-est de
l'Allemagne qui sont désignés en général sous le nom de Runchvàlle et
les a indiqués sur une carte. Il donne des renseignements précieux sur
leur mode de construction, leur forme, les légendes auxquels ils ont
donné lieu, et arrive à cette conclusion que les Germains aussi bien que
les Slaves ont participé, quoique d'une façon différente, à la construc-
tion de ces Rundwàlle et qu'une grande partie de ceux-ci n'ont pas été
élevés dans un but défensif, ainsi qu'on l'a cru à la suite d'un examen
incomplet, mais qu'ils avaient, au contraire, une destination religieuse
obscure pour nous.
J. M.

Dr W. GORLITT (de Grafcz). Les tombes de Loibenberge près Videm sur Save,
en Styrie [Mittheil. der cmthrop. Gesellsch. in Wien, 1888, p. 202).

L'auteur signale de nombreux tumuli préhistoriques, dont 12 ont


été fouillés (3 en sa présence). Ces tumuli sont, la plupart, de dimen-
sions considérables; l'un a 250 pas de circonférence, 4 mètres de haut;
le plus petit a encore 8 mètres de diamètre et 50 centimètres de haut.
Ils sont recouverts soigneusement avec de la terre, dont on a enlevé
les cailloux. Les cadavres, dans le plus grand nombre des cas, ont été
inhumés dans des fosses. Dans les huit tumuli exactement fouillés,
on a constaté 15 squelettes, tandis qu'on n'y a trouvé que 2 sépul-
tures à incinération. Un neuvième tumulus (diamètre =27 mètres;
hauteur = 2m,15) ne contient pas de tombe, mais, à divers niveaux,
(lm,25, lm,70, lm,80 au-dessous de la surface), il renferme des couches
noires contenant ou non des pierres; il contient aussi de nombreux
tessons enduits de graphite et cannelés. Trois tumuli renferment
1 squelette; deux
en renferment 2; un en renferme 4; un renferme
1 squelette et
une fosse à incinération, un autre renferme 2 sque-
lettes et une fosse à incinération. Les cadavres sont posés
sur le
sol végétal, étendus les pieds à l'est, la tête à l'ouest. Cette situation
est indiquée avec certitude par la disposition des objets en bronze,
quoique les ossements soient à peu près détruits. Quand il n'y
a
qu'un cadavre dans le tumulus, il est placé au milieu. Cette circon-
stance, et le fait que dans un tumulus l'un des squelettes était entouré
et séparé d'un autre par de la terre, d'une nature un peu différente
116 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

(rougeâtre), démontre que, lorsqu'on y introduisait un nouveau cadavre,


le tumulus était élargi et exhaussé.
Les deux tombes à incinération consistent en grandes urnes, cou-
vertes au moyen de pierres plates. Dans aucune des deux il n'y
avait d'objets en métal; dans les deux cas, les urnes étaient placées
excentriquement et à un niveau supérieur à la sépulture, ce qui fait
penser à une utilisation secondaire des tumulus ;mais l'absence d'objets
bronze empêche de porter un jugement sur la différence de date
en
possible entre ces deux modes de sépulture.

A. H. S.MiULMAN : Antiquités et histoire du canton d'Ouleâborg. ELIEL ASPELIM :


Musée National pour la Finlande. Finska fornminnes foercningens lidskrift, —
Suomen miiimmmuisto-yhdistuksen aikakuu-skirja (Recueil périodique de la
Société d'archéologie finlandaise). Helsingfors, imprimerie de la Société
de littérature finnoise, gr. in-8°, t. VII, 1885, avec 2 phototypies, 6 planches
FINLANDE. 117

lithogr., 2 cartes, 60 flg. dans le texte; — t. VIII, 1887, 211 pages avec
7 pi., 2 cartes et 43 fî'g. dans le texte; — t. IX, 1887, 283 pages avec 1 pi.,
d carte et 106 fig.

Cette Société poursuit régulièrement le cours de ses publications, et


nous avons à analyser trois.nouveaux fascicules de son recueil. Quoique
l'un des deux titres cités en tête soit encore en suédois, le texte est exclu-
sivement en finnois, sauf quelques pages de sommaire du contenu et
d'explication des figures, qui sont en français. Commençons par l'exa-
men du dernier fasicule (IX), parce qu'il est tout entier rempli par le
mémoire de A. H. Snellman sur les Antiquités et l'histoire du canton
d'Ouleâborg. Ce travail étant le plus complet de ceux du même genre
qui font partie du recueil, il suffira de l'examiner pour se dispenser
d'en faire autant pour les quatre autres descriptions historico-archéo-
logiques de cantons qui figurent dans les tomes Vil et VI1L 11 est beau-
coup plus étendu que celles-ci, ce qui s'explique en partie par le plus
grand nombre de paroisses dont se compose le canton. Il en diffère
aussi par la disposition des gravures qui sont pour la plupart tirées sur
pages blanches, le plus souvent au verso comme au recto, au lieu d'être
toutes intercalées dans le texte, et par la distribution des matières qui
sont classées par périodes avec subdivisions en paroisses, tandis que
dans les autres livraisons elles sont rangées par paroisses avec subdi-
visions en périodes et sujets : âge de pierre et de fer, temps historiques,
monuments, trouvailles, traditions, églises. Aussi le mémoire de
M. Snellman, différant des autres par le plan, n'a-t-il pas été admis
comme eux dans les Antiquités finlandaises dont ils forment les fasci-
cules X àXIII, recueil qui une fois achevé pourra être envié de toutes
les nations, même les plus avancées en archéologie.
Malgré l'abondance des matériaux pour les temps chrétiens, l'auteur
ne leur donne pas plus de place qu'aux temps païens qui occupent
presque toute la première moitié du volume. Les objets de l'âge de
pierre sont assez nombreux (127) et l'on remarque parmi eux des haches
de pierre en forme de phoque que l'on retrouve chez les Finnois de la
Russie. Le canton n'a pas fourni d'objets de l'âge de bronze, ce qui
n'est pas étonnant, puisque l'on n'en connaît que vingt pour toute la
Finlande? Beaucoup plus singulière est l'absence totale d'objets des sept
premiers siècles de notre ère ou première période de l'âge de fer; les
trouvailles de la seconde période, sans être nombreuses, ne font pour-
tant pas défaut. Ce qui manque dans ce mémoire, comme dans toutes
les descriptions cantonales de la Finlande, ce sont les fouilles qui
seraient pourtant si utiles, non seulement pour l'étude intrinsèque des
monuments, mais aussi pour la détermination de leur âge, pour la
connaissance des rites funéraires, si ce sont des tombeaux, et pour
l'établissement de la chronologie positive par les médailles et la com-
paraison des antiquités, ou relative par la superposition des objets dans
118 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

les las de pierre ou de terre amoncelés en plusieurs fois. Mais, quoique


les monuments préhistoriques ne soient pas rares dans le canton,
M. Snellman n'en a exploré aucun; il se borne à en décrire l'aspect
sous quatre rubriques : 1° les rauniot ou murgers, les uns attribués
aux Lapons, les autres plus grands, situés sur le littoral, et qu'il regarde
comme des sépultures gothiques; 2° les anciennes enceintes de pierres,
ovales ou quadrilatérales, avec coins arrondis, qui doivent être des
fortifications; 3° les nombreuses cavités souterraines ovoïdales, dont
le fond est en forme d'entonnoir et les parois murées ou non, et que
l'on croit avoir servi de demeures ou de silos; 4° les barrages dits des
géants, construits en pierre et jetés en travers des rivières, d'un bord à
l'autre ou seulement jusqu'à une certaine distance, et mesurant de 3
à 6 pieds d'épaisseur; on suppose qu'ils servaient pour la pêche ou
pour barrer le passage aux embarcations des envahisseurs. A ce propos,
l'auteur rapporte les traditions sur les géants à qui l'on attribue ces
ouvrages ; puis il donne un résumé de l'histoire du pays, avec les récits
populaires sur les premiers colonisateurs et leurs exploits militaires.
11 termine son ample et consciencieux travail par l'histoire des églises
et de leurs antiquités.
Passons aux autres fascicules : le VIIe contient les Antiquités du can-
ton d'Ilomanlsi, par Reijo Tirronen, et celles du canton de Vehmaa, par
Gust. Killinen, sur lesquelles nous ne nous arrêterons pas, malgré leur
mérite, de peur de tomber dans les redites; il renferme en outre trois
mémoires. Dans l'un d'eux, M. Eliel Aspelin qui s'est consacré à l'étude
des antiquités chrétiennes (à la différence de son frère, l'antiquaire de
l'État, J.-R. Aspelin, qui s'est confiné dans le domaine de l'archéologie
primitive et de l'ethnographie), M. E. Aspelin a commencé l'examen
des Calices de la Finlande, par le grand calice en argent doré de la ca-
thédrale de Borgâ. C'est la plus belle pièce de ce genre que l'on con-
naisse dans le grand-duché, mais elle n'y a pas été fabriquée; on voit
par un chronogramme en vers léonins et par une inscription qu'elle a
été ciselée en 1203 par un certain Sufridus, dont le nom paraît être
néerlandais; elle a sans doute été prise en Allemagne pendant la guerre
de Trente ans. Quoi qu'il en soit, elle est richement décorée à l'exté-
rieur de huit scènes religieuses. Le même a fait des rapports sur les
Églises de Messukyloe et de Hauho, qu'il a visitées par ordre de la Société;
enfin, le Livonien J. Jung a traité de Quelques ustrines de Livonie, pro-
bablement gothiques, mais ayant également servi plus tard à la cré-
mation des païens esthoniens.
Le fascicule VIII contient la Description archéologique du canton de
Piikkioe, par A. Bjoerk, et celle du canton de Mynoemoeki, par Juho Sjoeros ;
le second article de M. Eliel Aspelin sur les Calices (ceux de Hauho et
de Kemi, et les patènes de Nâdendal, de Kemi et de Rusko, le tout du
xve siècle); enfin, une étude du même sur une question à l'ordre du
DANEMARK. 119

jour, celle de la fondation d'un Musée national pour la Finlande. Il est


d'avis que ce musée devrait comprendre : 1° les antiquités servant à
montrer le développement de la civilisation en Finlande; 2° les objets
employés par les classes populaires dans toutes les contrées de la Fin-
lande; 3° leurs pendants ayant été ou étant encore usités chez tous les
autres peuples congénères; puis il rend compte des collections publiques
de ce genre qui existent en Finlande : l'une, la collection historico-
archéologïque de l'Université, comptait déjà en 1886 plus de vingt mille
numéros, dont cinq mille cent trente trois de l'âge de pierre, vingt-deux
de l'âge de bronze, et respectivement mille sept cent quarante-huit et
trois mille cinq cent treize pour les deux périodes de l'âge de fer, en
tout dix mille pour les temps préhistoriques; la collection ethnogra-
phique des étudiants avait près de sept mille numéros; l'accroissement
moyen pendant les six dernières années a été de plus de deux mille
objets par an. L'auteur pense que le soin de loger ces trésors incombe
à l'État et, à l'exemple de M. Worsaae, il demande que les sommes
pouvant être affectées à ce musée ne soient pas dissipées en folies
architecturales, mais que l'on construise des bâtiments appropriés au
sujet, répondant aux exigences scientifiques et pouvant être agrandis
au fur et à mesure de l'accroissement des collections, aujourd'hui
étouffées presque partout dans les coûteux et incommodes édifices qui
leur ont été consacrés.
E. BEAUVOIS.

HENRY PETERSEA'. Vognfundene i Dejbjerg Proestegaardsmoseved Ringkjoebing, 1881


og 1883, et Btdrag til Oplysning om den forrornerske Jernalder i Danmark
(Les trouvailles de voitures dans la tourbière du presbytère de Dejbjerg près
Ringkjoebing en 1881 et 1883, servant à éclairer la période préromaine
de l'âge de fer en Danemark). Avec 5 planches gravées sur cuivre par le
professeur MAGNUS-PETERSEN et 36 figures dans le texte. Édité avec une
subvention de la fondation du comte de Hjelmstjerne. Copenhague, C.-A.
Reitzel, imprimerie Thiele, 1888, 52 pages in-4°.

Les archéologues danois, 'après avoir propagé, même au delà des


étroites limites de leur pays, le goût de l'archéologie primitive, et vul-
garisé les principes de cette science qui sont devenus monnaie courante
dans les deux mondes,
— les successeurs ou émules de Thomsen et de
J.-J.-A. Worsaae, sans dédaigner les objets connus ni les notions com-
munes, se consacrent plus particulièrement depuis une vingtaine d'an-
nées aux études d'archéologie comparatives et à l'examen des faits nou-
veaux; ils laissent volontiers à leurs disciples ou imitateurs les armes,
les outils, les sépultures que l'on rencontre partout. Il est vrai que leurs
efforts, si souvent heureux, pour étendre le cercle de nos notions pré-
120 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

historiques sont beaucoup facilités par l'existence en Danemark de


nombreux tertres, de polyandres païens et d'autres vrais consevar-
toires d'antiquités. Après les tourbières du Slesvig et de la Fionie,
qui sont décrites dans quatre importants mémoires de C. Engelhardt,
et qui nous ont fourni la plus longue nef subsistante du moyen âge,
des vêtements et des fragments de voitures, voici celle du presbytère
de Dejbjerg, à 15 kilomètres au sud de Ringkjoebing (Jutland), qui vient
de livrer des pièces en bois et des garnitures en métal de deux beaux
chars à quatre roues, dont un a pu être reconstitué et forme l'une des
principales curiosités du célèbre Musée des antiquités septentrionales à
Copenhague. Le Musée des postes à Berlin en a exposé un modèle,
quoique cette voiture de luxe n'ait certainement pas servi à transporter
des dépêches, mais plutôt à mener processionnellement par les villages

FIG, 1. — Char de Dejbjerg restitué.

la statue de Njoerd (Nerthus), surnommé le Dieu des voitures, ou celle


de son fils Frey, comme c'était l'usage chez les anciens Scandinaves
(Tacite, Germ., ch. XL ; —Flateyjarbok, t. I, pp. 338-339). Il est d'ail-
leurs remarquable qu'au sud ce marais envasé soit borné par le Vogn-
bjerg ou coteau de la voiture, ainsi appelé soit parce que l'on y aurait
déjà exhumé quelque voiture, soit parce qu'au rapport des riverains une
voiture chargée d'or aurait été submergée dans les eaux voisines.
Les gens qui extrayaient de la tourbe y ayant trouvé-quelques objets
singuliers qui furent envoyés au Musée de Copenhague, M. H. Petersen,
qui avait acquis beaucoup d'expérience dans les fouilles antérieures,
fut chargé, en 1881, d'explorer scientifiquement la tourbière. Après
avoir retiré avec le plus grand soin tous les fragments de voiture que
l'on pût sentir avec les mains dans l'espace de quelques mètres carrés,
il crut sa mission terminée, parce que l'on ne découvrait pas autre
chose de curieux. Mais deux ans plus tard, des objets de même genre
ayant été mis à jour, le même savant fut de nouveau envoyé sur les
lieux, et il en rapporta des parties d'une autre voiture enfouies à
6 mètres au sud-ouest des fragments de la première. En combinant le
tout et en empruntant à l'une ce qui manquait à l'autre, M. Steffensen,
DANEMARK. 121

conservateur au Musée, a réussi à restaurer un véhicule qui se tient à


peu près sur ses roues primitives.
Celles-ci sont faites à peu près comme de nos jours, si ce n'est que
les jantes, au lieu d'être arrondies à coups de hache, avaient été recour-
bées à la chaleur, de sorte qu'elles s'étaient un peu redressées dans
l'eau, lorsque les cercles en métal eurent été rongés par la rouille. Des
planches décorées de bronzes ouvrés à jour, et notamment de quatre
têtes humaines en bas-relief, remplaçaient les ridelles; la longe ou
flèche et le timon n'étaient pas moins richement ornés de plaques et
d'embouts en métal. Il n'y avait pas trace de harnais; on ne trouva pas
non plus d'essieux, àmoins qu'on ne veuille, avec notre auteur, regarder

FXG. 2. — Fragment d'un chaudron de bronze, exhumé de l'Illcmose,


à Rynkeby en Fionie.
(Cette figure a été reproduite comme point de comparaison avec des ornements
du char de Dejbjerg, p. 120.)

comme tels de petites pièces de chêne, de lm,50 à lm,70 de longueur,


cylindriques des deux bouts, mais plus larges et plates au milieu, qui
nous paraissent plutôt être des jougs, car il est assez vraisemblable que
cesvoitures, comme celle de Nerthus chez les peuples de la péninsule
cimbrique, étaient traînées par des bêtes à cornes. Ces morceaux de bois
sont en effet d'un trop faible diamètre pour avoir servi d'essieux à de
grands chars; d'ailleurs, ils ne sont pas d'égale longueur, et leurs extré-
mités cylindriques sont beaucoup plus longues que les essieux.
La position des roues et des diverses parties des deux voitures ne
permettait pas de supposer que celles-ci fassent entières lors de l'im-
mersion, mais donnait à croire que les morceaux en avaient été jetés à
l'eau l'un après l'autre. Elles avaient dû servir longtemps, puisque le
bois était vermoulu. L'emplacement de la première trouvée avait été
marqué par une enceinte de piquets. Avait-on voulu désigner l'endroit
où devaient se faire dentelles offrandes aux divinités de l'eau,.à suppo-
122 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

ser que c'en fût, ou tout simplement se ménager le moyen de repêcher


les pièces ? C'est ce que l'on ignore.
ASIE. 123

E.-F. BERLIOUX. Les Çhétas sont des Scythai. Lyon, 1888. — Compte rendu par
F. JUSTI, dans la Berliner Pkilologische Wochenschrift, 1889, p.-767.

La question des Héthéens, Hittites on Ghétas est si importante pour


l'archéologie préhistorique — placée, comme elle est, sur les confins
de la préhistoire et de l'histoire — que nous indiquerons brièvement
ici les recherches nouvelles dont ce peuple encore mystérieux sera
l'objet. On trouvera un résumé des hypothèses récentes à ce sujet,
accompagné d'intéressantes gravures, dans la Revue d'Anthropologie de
1889, p. 457-465.
M. Berlioux pense que les Chéta des Égyptiens et les Chatti des
Assyriens sont différents des Héthéens de la Bible. Il croit, avec Gham-
pollion (1), reconnaître dans les premiers des Scythes, et ne recule pas
devant le rapprochement phonétique des deux noms. Trogue Pompée
(dans Justin, livre II) raconte en effet que les Scythes ont dominé pen-
dant quinze siècles sur l'Asie, qu'ils ont combattu contre Sésostris
(Ramsès'II) et qu'ils ont été vaincus par Ninus, c'est-à-dire par les Assy-
riens. Cette tradition concorde exactement avec ce que nous savons
touchant l'histoire des Hittites, qui combattirent contre l'Egypte à
l'époque de la xvme et de la xrxe dynastie et furent anéantis en 717 par
le roi d'Assyrie, Sargon. Mais elle ne prouve en réalité qu'une chose,
c'est que l'historien grec auquel Trogue Pompée l'a empruntée confon-
dait les Hittites avec les Scythes : comme les anciens n'avalent, en
ethnographie, que des notions tout à fait superficielles, il n'est pas pos-
sible, jusqu'à nouvel ordre, de serrer leurs témoignages de trop près.
M. Berlioux annonce du reste qu'il prépare un travail plus considérable
à ce sujet, où seront développées les théories dont il n'a présenté jus-
qu'à présent qu'une esquisse.
SALOMON REINACÏÏ.

V. MARGORJTOFF. Koukhonnijé ostatld, etc. (les Kjôkkenmôddings de la baie de


l'Amour, près la rivière Sedimi). Vladivostok (Sibérie orientale), 1887, in-4°,
avec 3 planches et 1 carte.

C'est, à notre connaissance,pour la première fois quel'on signale des


kjôkkenmôddings et peut-être en général des trouvailles préhistoriques
sur la côte sibérienne de l'océan Pacifique. C'est sur la presqu'île de
Yankovsko, sur la côte ouest de la baie de l'Amour, près de la frontière

(1) Sur les anciens travaux dont les Chétas ont été l'objet, on lira avec intérêt un
article de M. P. Buchèrè dans la Revue archéologique, 1864, I, p. 333-349.
124 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

de la Corée que MM. Margoritoff et Yankovski ont fait des fouilles de


plusieurs kjôkkenmôddings, situés à 30 mètres au-dessus du niveau de
la mer et à 100 kilomètres de son bord; ce sont des amas de 10 à 25 mètres
de circonférence et jusqu'à un mètre d'épaisseur, formés de coquilles
d'huîtres et d'autres mollusques, voisines de celles qui vivent actuelle-
ment dans les mers avoisinantes; on y rencontre en outre des ossements
d'animaux : sanglier, chien, deux espèces de cervidés (probablement
cerf tacheté etCervus capreolus), des dents d'ours, de chat, etc. Parmi les
objets en pierre, tous, sauf deux haches, sont polies; outre les haches,
il y a des pointes de flèche et de lance assez peu caractéristiques. Les
objets en os (poinçons, aiguilles, pointes de flèche) et en bois de cerf
sont aussi nombreux; une espèce d'armes en mâchoire inférieure de
porc aiguisée est assez originale. La poterie est grossière, avec des orne-
ments rectilignes et en pointes. D"après les données géologiques, il est
probable qu'à l'époque où se sont formés les amas en question, la pres-
qu'île de Yankovski était séparée, du continent. Des objets trouvés sur
la terre ferme font supposer que les habitants se retiraient de l'île en
hiver.
On a trouvé également dans un de ces amas un crâne humain.
D'après les trois photographies qui se trouvent annexées à la note, nous
avons pu calculer son indice céphalique. Il est de 72,5, c'est-à-dire fran-
chement dolichocéphale. La seule population voisine qui présente un
indice aussi faible, sont les Aïnos, et il ne nous paraît pas improbable
que les kjôkkenmôddings de la baie de l'Amour et ceux d'Omori et
d'autres localités du Japon (décrits par Morse) furent construits par une
seule et même population, voisine par ses caractères physiques des Aïnos
actuels.
J. D.

STEPHEN SoiiiiiEn. Notes de voyage (Note diviaggio). Firenze, 1889, in-8° avec plu-
sieurs planches. — (Extrait de YArchivio per VAntropologia e la Etnologia,
t. XVIII, fasc. 3, et t. XIX, fasc. 1.)

Les Noies de voyage de M. Sommier comprennent d'abord une courte


description de la partie ethnographique et anthropologique de l'exposi-
tion qui a eu lieu à Iekaterinbourg (Russie orientale) en 1887; puis,
des études ethnographiques et anthropologiques sur les Tcheremiss,
les Mordva, les Tatares et les Kalmouks d'Astrakhan.
i. Les Tcheremiss. — M. Sommier a pu étudier de près et mesurer
une cinquantaine d'individus dans deux villages du district de Kras-
nooufîmsk (gouvernement de Perm). Il constate que les Tcheremiss de
l'Oural diffèrent, et par leur dialecte et par leur costume, de ceux du
Volga : ainsi les femmes portent un bonnet pointu (chien-chiavouchio),
SIBERIE.

tandis que sur les bords du Volga, elles ont une espèce de bonnet qui,
maintenu par un cercle garni de monnaies, emprisonne la tête vers l'occi-
put,-ou bien elles portent une coiffure très haute (fig. 1). Comme d'autres
voyageurs, M. Sommier signale, chez les Tcheremiss, les ornements en
coquillages cauri (cypraea moneta), semblables à celles de la côte ouest

F;G. 1."— Femme icheiemiss de Tsarevokokehaïsk.

de l'Afrique (fig. 2 et 3). 11


décrit également les colliers formés de boules
d'une substance rouge dont la consistance est intermédiaire entre celles
de la cire et du caoutchouc ; ces colliers sont analogues à ceux que l'on
trouve chez les Lepcha du Tibet. Les instruments de musique sont :
une espèce de cithare (fig. 4), une cornemuse et un tambour (fig. 5).
L'ancienne religion n'a pas encore disparu parmi les Tcheremiss, mal-
gré les conversions nombreuses au mahométisme et au christianisme.
Chrétiens ou païens, les Tcheremiss font des sacrifices dans les « bois
sacrés » (keremet), dont l'entrée est interdite aux étrangers, sous peine
de vengeance divine. Les lieux de sépulture se reconnaissent au traî-
126 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

renversé près d'un tertre c'est le même traîneau sur lequel on


neau :

a amené le cadavre.
Les ïcheremiss sont petits de taille. La moyenne des vingt-huit
hommes (de 20 à 50 ans) mesu-
rés par l'auteur est de lm,60;
celle des huit femmes (de 20 à
45 ans), l^oO. Ces moyennes
diffèrent peu de celles que j'ai
calculées d'après les tableaux de
M. Malieff dans ses « Matériaux
pour l'anthropologie de l'est de
la Russie (1) ».
En effet, les 48 hommes tche-

FIG. 2. — Béret tcheremiss garni de cauri FIG. 3. — Boucles d'oreilles des


(1/4 de gr. il.)- femmes Tcheremiss (1/1 de gr. IL).

remiss du district.de Tsarevokokchaïsk (gouvernement de Kazan),


mesurés par le savant russe, ont la taille moyenne de lm,614; et les
29 femmes de la même localité, lm,523. On voit que la différence entre
les observations des deux anthropologistes n'est que de 14 millimètres

(1) Travaux de la Soc. des naturalistes de Kazan, t. IV, n° 2, 187 i, in-4° (en russe).
SIBERIE. 127

pour les hommes; pour les femmes elle est un peu plus grande (23 mil-
limètres), mais on peut l'expliquer par le nombre trop restreint d'indi-
vidus dans la série de M. Sommier. Les Tcheremiss ont donc la taille
au-dessous de la moyenne, presque petite. J'ai vérifié le fait en faisant
l'ordination des deux séries : sur 76 hommes, on trouve 32 ayant la taille
au-dessous delà moyenne et 27 ayant la petite taille; les grandes tailles
ne sont représentées que par 6 individus. Sur 37 femmes, 24 ont la
taille petite ou au-dessous de la moyenne.. L'indice céphalique des
38 hommes tcheremiss mesurés par M. Sommier est de 79,40; celui
des 16 femmes, 80,17. M. Malieff a trouvé, dans sa série, d'après mes

FIG. 4. — Cithare tcheremiss vue d'en haut (1/8° di gr. n.).

calculs, 79 pour les hommes et 78,6 pour les femmes (78,8 pour les indi-
vidus des sexes réunis, le seul chiffre que cite M. Sommier). Comme on
voit, la différence n'est perceptible que pour les femmes (presque 1,6).
D'après les deux auteurs, on doit classer les Tcheremiss parmi les
mésocéphales. En faisant l'ordination des deux séries, on obtient sur
86 hommes : 33 mésocéphales (entre 78 et 80), 30 dolicho ou sous-doli-
chocéphales et 33 brachy ou sous-brachycéphales ; chez les 45 femmes,
les chiffres correspondants sont : 10, 14 et 21.
Ajoutons que l'indice céphalique moyen des 17 crânes tcheremiss
étudiés par Malieff est de 76,8.
La couleur de la peau est blanche ou légèrement basanée; les che-
veux sont le plus souvent blonds ou châtain clair (sur 38 hommes :
15 blonds, 10 châtain clair et 13 châtain foncé ou bruns; chez les
16 femmes-les chiffres correspondants sont : 8, 1 et 7) ; les yeux sont
clairs le plus souvent (sur 36 hommes : 10 yeux bleus, 12 gris, jaunâtre
MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

brunâtre, 14 bruns et brun foncé; chez les femmes, les chiffres


ou
correspondants sont 5, 7 et 3).
La face est assez large, les yeux petits, peu ouverts, parfois obliques;
le nez est petit et bas, mais parfois aussi long et proéminent.
En somme,M. Sommier a pu constater parmi les Tcheremiss l'exis-
tence des mêmes deux types qu'avait découverts M. Itetzius parmi la
population de la Finlande (type blond, petit, à face ronde, au nez petit,
type Tavaste; type brun, haut, à face allongée, au nez proéminent,
type Karèle).
2. Les Mordva. — Non loin de Khvalinsk (gouvernement de Saratof),
l'auteur a pu observer, dans le village de Karagouji, des Mordva ou
Morduines; il décrit leur costume et leurs ornements (fig. 6), et donne
quelques mesures qu'il a pu
prendre à grand'peine sur 7
femmes. Deux seulement par-
mi elles ont consenti à se faire
mesurer la tête (indices cépha-
liques 77,7 et 79,9); sur ces
7 femmes, 3 ont les cheveux
blonds et 4 les cheveux châ-
tains ; 4 ont des yeux gris et
3 des yeux bruns ou brun fon-
cé. La taille moyenne des 6
femmes mesurées (de 16 à "45
ans) est de lm,54; elle reste la
même si l'on exclut de la série
les deUX individus ail-deSSOUS
-
FIG. 5. — Tambour tcheremiss (1/8"
(1/8' île
,1e gi\ n.).
de vingt ans. Ce chiffre est
presque identique à celui que donne Mamof (lm,oo) pour les femmes
Mordvines-Ersia.
L'auteur décrit fort bien la façon dont les tribus Finnoises, les Mord-
vines, les Tcheremiss, les Permiens, les Yogoules., les Zirianes, etc.,
disparaissent et se fondent clans la population russe. 11 cite l'exemple
des habitants du village Klenovskaïa, qui portent le costume russe, par-
lent russe, sont chrétiens orthodoxes, mais qui sont portés sur les cartes
ethnographiques et sur les registres administratifs comme des Yogoules,
parce que, réellement, ils descendent des Yogoules non mélangés. Ils
tiennent eux-mêmes beaucoup à perpétuer cet état de choses, car en
leur qualité de Yogoules ils ont à payer l'impôt en fourrure, qui est
inférieur à celui qu'ils devraient acquitter en argent; seulement, comme
ils ont abandonné leur vie de chasseurs nomades, ils sont obligés d'acheter
ces fourrures. Un autre village est peuplé d'immigrants permiens qui,
en l'espace de vingt années, ont complètement oublié leur langue, leurs
moeurs, et s'habillent et vivent comme les paysans russes. Deux vieilles
SIBERIE. 129

femmes seulement se souvenaient encore de leur langue maternelle.


Après la mort de ces vieilles, les petits enfants d'aujourd'hui ne garde-
ront qu'un vague souvenir de leur origine permienne: la.génération sui-
vante n'aura même plus ce souvenir et ces Permiens seront considérés
partout le monde comme des Russes.
3. Tatares et Kalmouks. —A Astrakhan et aux environs de cette ville,
M. Sommier a étudié les Tatares et les Kalmouks. En marquant dans
la rue tout individu vêtu comme Tatare et ayant la barbe d'un tein

FIG. 6. — Diadème des filles Mordra (1/4 de gr. nat.).

clair, il a trouvé 42 p. 100 de plus ou moins blonds dans cette popu-


lation. Nous ferons observer à propos de cette statistique, que l'auteur
qualifie d'ailleurs lui-même de « grossière », que très souvent la barbe
a le teint moins foncé que les cheveux de la tête, de sorte que, proba-
blement, le nombre de blonds ou mieux de blonds et de châtains est
inférieur à son chiffre. L'auteur a bien su distinguer les Tatares-Nogaï
des Turkmènes et des « Tatares d'Astrakhan ». Mais il reste perplexe
devant quelques représentants de la race turque qu'il a rencontrés aux
environs d'Astrakhan et qu'on lui a nommés « Karagas ». Il veut rap-
procher ce nom de celui de Karakhass que j'aurais donné à une des
tribus ou clans kalmouks et que les fonctionnaires d'Astrakhan ne con-
I/AK^HROPOLOGIB. 9
— T. I.
130 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

naîtraient pas. Il y a là un malentendu; le nom que je donne (1) est


celui de « Kharakous » ou mieux « Kharakhous » qui, bien que assez
semblable au premier abord au nom Karagas, se prononce en russe de
tout autre façon, et il n'y a rien d'étonnant que les fonctionnaires, peu
habitués aux rapprochements linguistiques, aient nié l'existence de tout
un « oulous » ou clan {Kliarakhouss-Erdeni), sur lequel ils donnent
eux-mêmes des renseignements détaillés dans les publications du
«
Comité statistique » d'Astrakhan. Quant aux Karagas, l'auteur
émet, clans une note, l'idée que ce sont peut-être des « Tatares
de Koundourof ». Il n'aurait qu'à insister sur ce rapprochement, car
il est parfaitement dans le vrai. Les tribus turques qui habitent
au voisinage d'Astrakhan, et que j'ai vues également près de Kras-
noï-Yar, sont bel et bien des Talares de Koundourou (ou, comme
disent les Russes, Koundourovskié Tatarï) que l'on appelle aussi Kara-
gass ou mieux Karagatch. Ce sont les descendants de la « Grande
Horde de Nogaï » ou « oulous (clan) de Kazy », tribu apparentée aux
Kazy-Koumyks. Ces Karagatch nomadisaient primitivement le long du
fleuve Kouban et s'établirent au xvme siècle dans les deux villages Seï-
tovka et Khodjetaïevka du gouvernement d'Astrakhan (district de
Krasnoï-Yar) et dans la steppe environnante. Les Koundourous sont
entrés en alliance avec les Kalmouks-Torgotes, comme le dit Pallas et,
d'après lui, M. Sommier, mais ils portaient déjà avant le nom de Kara-
gatch, et ne pouvaient par conséquent emprunter leur nom à une tribu
kalmouk appelée « Kharakhous ». Si je me suis permis de m'arrêter
sur cette petite discussion ethnographique, c'était pour montrer com-
bien les problèmes d'ethnogénie sont souvent compliqués et peuvent
embarrasser môme les observateurs les mieux informés et les plus
perspicaces parmi lesquels je n'hésite pas à placer M. Sommier.
Les Kalmouks mesurés par Léminent ethnographe sont au nombre
de cinquante-deux, presque tous des villages Alexandrovsk et Kalmoui-
tski-Bazar, près d'Astrakhan. La taille moyenne des vingt-huit hommes
(de 20 à 50 ans) est de lm,67; celle des sept femmes (de 20 à 34 ans),
de lm,52. Ces chiffres sont supérieurs à ceux que j'ai déduits des obser-
vations de Metchnikoff et les miennes réunies (lm,64 pour les hommes,
lm,50 pour les femmes). Cette différence provient probablement, d'après
l'auteur, de ce qu'il a eu affaire à une autre tribu que moi. C'est pos-
sible, car les Kalmouks des localités où il a opéré proviennent de 1' « ou-
lous » Khochooute, et appartiennent probablement à la tribu « Kho-
chote », tandis que moi et Metchnikoff nous avons mesuré les Kalmouks
de Loulous Malo-Derbete (tribu Derbete), habitant à 300 kilomètres au
nord-ouest. Notre moyenne est d'autre part en parfait accord avec celle
(lm,64) que donne M. Erkert (2) pour les dix hommes kalmouks du gou-

(1) Etude sur les Kalmouks. (Revue d'Anthropologie, 1883, p. 691.)


(2) Voir mon « Étude sur les Kalmouks. (Revue d'Anthropologie, 1884, p. 278, note).
SIBÉRIE. 131

vernement de Stavropol appartenant, comme on le sait, à V « oulous »


Bolche-Derbet de la même tribu Derbete.
L'indice céphalique moyen des trente-six hommes est de 82,08 ; celui
des quinze femmes, 83,36. Ces chiffres sont aussi un peu supérieurs à
ceux que je donne : 81,3 pour les hommes (Erkert a obtenu 81,4) et81,5
pour les femmes. La concordance de mes chiffres avec ceux d'Erkert et
la discordance avec ceux de Sommier peut également provenir de la
différence des tribus observées. Parmi les autres observations qui pré-
sentent'quelques différences avec les miennes, il faut citer la fréquence
beaucoup plus grande des yeux obliques, et la face allongée que M. Som-
mier a constatée chez les hommes, mais pas chez les femmes.
Pour compléter ses notes, l'auteur donne aussi une étude sommaire
de quatorze crânes « catalogués comme Kalmouks » qui se trouvent au
Musée de Florence (dont cinq recueillis par l'auteur lui-même et neuf
pris par M. Michela lors de son passage à Astrakhan en 1884).
Voici les principales mesures de ces quatorze crânes, comparées
avec celles que j'ai obtenues pour soixante-dix huit crânes en réunissant
à mes mesures celles des autres anthropologïstes :

SOMMIEP.. DEN1KER.
14 crânes. 78 crânes.
Indice céphalique 83,48 82,1

vertical 73,01 71,8
— nasal. 50,41 48,2
— orbitaii-o 88,10 89 »

Ces mesures sont très concordantes, mais celles de M. Sommier sont


presque toutes un peu supérieures aux miennes. Certains crânes de la
série n'avaient pas les arcades sourcilières proéminentes, ni le front
fuyant comme mes crânes kalmouks; en outre la hauteur symphysienne
de la mâchoire inférieure était très considérable, au contraire de ce que
j'ai dit pour le crâne kalmouk en général.
En terminant cette analyse, je ne puis que féliciter M. Sommier d'avoir
apporté des renseignements nouveaux et de haute valeur pour l'anthro-
pologie des peuples turco-mongols ; j'ajouterai encore quelques mots sur
la façon dont il a illustré ce mémoire, comme tous ses ouvrages d'ail-
leurs. Dix belles planches en héliogravure d'après les photographies de
l'auteur donnent une idée complète des types des populations décrites,
et plusieurs figures dans le texte, dont nous avons donné ici des spéci-
mens, se rapportent aux objets ethnographiques. On ne saurait trop
engager tous les anthropologis te s de suivre l'excellent exemple de
M. Sommier et d'accompagner leurs descriptions d'aussi bonnes planches
et figures.
J. DENIKER.
132 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

F. MAX M CILLER. Biographies of words and Ihe home of the Ayrans (Biographies de
mots et la patrie des Aryens). London, 1888. — Compte rendupar M. K. Penka,
dans les Miltheilungen der anthrop. Gellesch. in Wien, 1888.

Ce compte rendu n'est qu'une charge à fond contre « la vieille doc-


trine » de l'origine asiatique des Aryens, qui est toujours soutenue par
Miiller; la nouvelle théorie de l'origine européenne a été acclamée au
congrès de la British Association,à Manchester, en 1887; elle est acceptée
par MM. Sayce, J. Rhys, G. Vigfusson, Wilkins, Isaac ïaylor.
D'après M. Penka, tandis que « la théorie européenne et plus spécia-
lement Scandinave » tire ses arguments inébranlables de la linguis-
tique de l'histoire, de l'archéologie et de l'anthropologie, « la théorie
asiatique » est impuissante à trouver une preuve dans les sciences en
question.
M. Penka expose avec beaucoup de détails les arguments qui lui
semblent décisifs. 11 insiste sur ce fait que le lexique aryen com-
mun n'a pas de termes pour désigner le lion, l'éléphant, le singe,
le tigre et le chameau; ce lexique devrait pourtant contenir ces mots,
si, avant sa séparation en divers rameaux, le groupe aryen primitif
avait habité l'Asie. — C'est à tort qu'on a cru que le lexique aryen com-
mun n'avait pas de mot pour désigner la mer (latin : mare; vieux-gall :
more; vieux slave : morje; gothique : marei) ; au contraire, ce mot se re-
trouve parfaitement dans le sanskrit : mira, océan; donc, les Aryens
primitifs connaissaient la mer et ne venaient pas de l'Asie cen-
trale.
Il ne serait pas inutile, soit dit en passant, de savoir ce que signifie
au juste le sanskrit mira. L'allemand see (mer) est aussi constamment
employé pour désigner de 'simples lacs. En outre, on peut remarquer
qu'il y a encore aujourd'hui des mers intérieures et des grands lacs en
Asie, et qu'il y en avait peut-être beaucoup plus à une époque géologi-
quementpeu reculée.
Le même auteur rend compte (p. 62) de : F. SPIEGEL, Die Arische
période and ihre Zustànde (La période aryenne et ses caractères), Leip-
zig, 1887. Spiegel est d'avis que la théorie qui place dans le centre de
l'Asie l'origine de la civilisation aryenne est devenue plus que douteuse.
Aujourd'hui on ne parle, dans le nord de l'Iran, que des idiomes ira-
niens, et on n'y a trouvé nulle part trace d'un idiome indo-celtique qui
aurait pu donner naissance à la fois aux idiomes vieux-indous et aux
vieux-iraniens. On ne peut donc tirer de l'état actuel aucune conclusion
relative au passé d'une région qui a été par excellence le théâtre du
passage et des migrations des peuples les plus divers.
J. MONTAXO.
VARIÉTÉS

CONGRES INTERNATIONAL
D'ANTHROPOLOGIE ET D'ARCHÉOLOGIE PRÉHISTORIQUES

SESSION DE PARIS, 1889

M. DE QUATREFAGES, président, ouvre le Congrès par une allocution.


Il rappelle en peu de mots l'historique du mouvement que réglèrent les
travaux de Forchammer, Worsaae et Steenstrup, en 1847, parmi heu-
reux accord de l'histoire naturelle et de l'archéologie. « Ces travaux
reposaient tous sur des sciences positives, très diverses et regardées
jusque-là comme n'ayant aucun rapport, mais qui sont désormais unies
par une alliance de plus en plus féconde.
« Dès lors un immense inconnu plongeant dans le passé des popula-
tions humaines hien au delà de l'histoire, au delà des plus ohscures
légendes et emhrassant les temps géologiques eux-mêmes s'ouvrait aux
investigations; celles-ci se multiplièrent, et bientôt on dut reconnaître
qu'une branche de plus venait de naître sur l'arbre déjà si touffu du
savoir humain, qu'une science nouvelle allait se constituer. »
M. de Quatrefages montre le Congrès international fondé à laSpezzia
se développant à chaque session nouvelle. La session de Paris eut
parmi toutes les autres une importance extrême. La première question
du programme : géologie des temps préhistoriques, était « en peu de
mots toute une profession de foi » ; en adoptant pour la sixième ques-
tion le sujet « notions anthropologiques», le Congrès témoignait qu'une
de ses préoccupations était de rattacher le vieux passé, objet essentiel
de ses études, à tous les temps qui l'ont suivi. A ce titre, il ne pouvait
oublier l'ethnographie comparée qui jette parfois tant de jour sur le
genre de vie de nos ancêtres primitifs. Et en effet cette fille de la géo-
graphie intervint maintes fois dans les notes lues en séance, dans les
discussions qu'elles soulevèrent.
Le Congrès, en abordant la question de l'homme fossile, ne s'est pas
mêlé aux polémiques soutenues d'une part au nom du dogmatisme, de
l'autre au nom de la philosophie.
Ainsi s'explique son succès, ses triomphes dans les divers pays où
il a siégé.
134
VARIÉTÉS.

Le souvenir de ces grandes fêtes qui nous ont laissé un vif senti-
ment de gratitude a peut-être effrayé quelques villes qui auraient voulu
nous recevoir à leur tour et où nous aurions trouvé de sérieux éléments
d'étude, mais qui, ne pouvant nous offrir qu'un accueil cordial, ont
redouté la comparaison. S'il en est ainsi, j'aimerais à les rassurer et à
coup sûr vous ne me démentirez pas. Plus de simplicité s'accorderait
mieux avec nos habitudes; et nous irons toujours avec joie partout où
nous attendent, même sous les formes les plus modestes, les satisfac-
tions de l'intelligence et du coeur.
M. de Quatrefages, après avoir indiqué pour quelles raisons la ses-
sion actuelle se tiendra sans apparat officiel et sans les magnificences
auxquelles on fut ailleurs habitué, termine en faisant l'éloge des plus
éminents collègues disparus depuis la dernière réunion. Il se réjouit
de voir dans toutes les nations de jeunes phalanges prêtes à combler
ces vides et à se signaler à leur tour par de féconds efforts. Il souhaite
la bienvenue à ceux qui des départements ou des autres pays sont
accourus dans la capitale à un moment où de si nombreux sujets
d'études y sont accumulés.
M. le Dr E. HAMY, secrétaire général, prend ensuite la parole : Il
expose la marche suivie par les promoteurs de cette Session du Con-
grès, les difficultés rencontrées par nos collègues du Portugal et aug-
mentées encore par la mort du regretté secrétaire général de la session
de Lisbonne, la tentative dont M. le baron de Baye avait pris l'initiative,
et enfin l'élan donné à de nouvelles négociations par la perspective de
notre grande exposition du Centenaire. Quelques-uns de nos plus an-
ciens collègues décidèrent qu'on provoquerait à Paris une nouvelle et
dixième réunion. On écrivit de différents côtés aux membres les plus
autorisés des anciens congrès : tous encouragèrent avec vivacité les
promoteurs. Officieusement consultés, les membres encore vivants du
Conseil permanent moins deux (et l'un de ceux-ci vient, en souscrivant
au Congrès, de se ranger à l'avis de ses collègues) adhérèrent au projet
et sur la proposition de M. Ed. Dupont, de Bruxelles, il fut décidé que
la présidence du futur Congrès appartiendrait à M. de Quatrefages, l'un
de nos vice-présidents honoraires, en vertu du 3e article additionnel
voté à Buda-Pesth, en 1876.
Le président, ainsi désigné, avait à s'entourer d'un comité d'organi-
sation. Désireux d'éviter tout reproche de partialité dans le choix de ses
collaborateurs, il dressa une liste comprenant ceux des membres fran-
çais des précédents congrès, ayant fait partie du bureau ou du conseil,
habitant Paris ou y faisant de fréquents séjours. Il s'en est trouvé seize.
Ce sont ces seize membres qui ont élu leurs collègues en les choisis-
sant dans les principaux corps savants delà capitale et notamment parmi
les fonctionnaires en exercice de la Société d'anthropologie de Paris.
La commission organisée sur ces bases constitua son bureau provi-
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. ^
soireoù se trouvait représentée chacune des sciences dont notre Congrès
peut utiliser le concours et l'on se mit à l'oeuvre avec ardeur.
M. le Dr HAMY continue par l'exposé des efforts de la commission
.pourpréparer le congrès; on a été assez heureux pour l'intercaler entre
le Congrès anthropologique de Vienne et le Congrès des orientalistes de
Stockholm. Il fait l'éloge des anciens membres défunts, Gozzadini, Ouva-
.roff, Worsaae, Zawiza, et de plusieurs autres. Il termine par un exposé
du zèle de quelques pays en faveur de la session de Paris. Au premier
rang, il faut citer la Belgique, qui a fourni plus de cinquante adhérents,
et la Grande-Bretagne. Le Comité a réuni près de cinq cents cotisa-
tions !
Le bureau et le conseil sont ainsi composés :

Président : M. A. DE QUATREFAGES.
Vice-présidents : MM. BELLUCCI (G.), BENEDEN (J.-L. van), BERTRAND (Alex.),
BOGDANOFF, DELGADO(N.), EVANS(J.), HJLDEBRAND (H.),GAUDRY(Alb.),MASON(OUST.),
MULLER (Sopll.), SCHLJEMANN (H.), VlLANOYA.
Secrétaire général : HAMY (E.-T.).
Secrétaires: MM. BOULE (M.), CARTAILHAC (Em.), DENIKER (J.). FRAIPONT (J.),
VASCONCELLOS-ABREU, YERNEAU (Dr).
Conseil : MM. BENEDIKT, COTTEAU, GOSSE (Dr), HOVELACQUE, LUMHOLTZ, NETTO
(Ladislas), ODOBESCO, RIEDEL (J.-F.), SCHMIDT (Valdemar), SZABO (de).
MM. de Qualrefages eL les vice-présidents élus ont successivement présidé
les séances du Congrès.

Le Congrès a envoyé à M. Japetus Steenstrup, à Copenhague, doyen


des savants qui ont développé les études et la science auxquelles il est
consacré, un télégramme de gratitude et de souhaits. M. J. Steenstrup
a répondu en exprimant ses remerciements et ses voeux pour le succès
de la session.

La municipalité de Paris a reçu le Congrès à l'Hôtel de Ville et


après échange de discours chaleureusement applaudis entre M. le Dr
Chautemps, président du Conseil municipal, et M. de Quatrefages, pré-
sident du Congrès. Un vin d'honneur a été servi dans la grande salle
des fêtes; une musique militaire s'est fait entendre pendant cette réu-
nion qui a été très cordiale et digne de la capitale de la France et de
ses hôtes.

Parmi les réceptions privées auxquelles ont été conviés tous les
étrangers membres du Congrès, celle du prince Roland Bonaparte a été
particulièrement remarquable.
Le Congrès a visité, au Muséum d'histoire naturelle, les galeries de
136
VARIÉTÉS.

paléontologie sous la direction de M. Gaudry, et celles d'anthropologie


la direction de MM. A. de Quatrefages, E. Hamy et Verneau.
sous
MM. Alexandre Bertrand et Reinach ont fait les honneurs du Musée
national de Saint-Germain-en-Laye; M. le Dr Hamy, du Musée d'ethno-
graphie, auTrocadéro.
Les visites à l'Exposition universelle ont été dirigées par les mem-
bres des comités officiels, soit à l'esplanade des Invalides, où le Con-
grès a pu examiner en détail les indigènes des colonies françaises et
où il a été admis à une messe bouddhique, soit dans le palais des Arts
libéraux où il a étudié d'abord l'histoire du travail et des sciences
anthropologiques, puis les expositions spéciales du Danemark et de la
Belgique, soit dans les pavillons des nations, Brésil, République Argen-
tine, Pérou, Bolivie, Chili, Paraguay, Uruguay, etc. Partout où il a été
reçu très gracieusement parles commissaires étrangers.
MM.Alexandre Bertrand, Ernest Chantre et P. Cazalis de Fondouce
ont été, conformément à l'article 4 du règlement modifié, proclamés,
l'un président honoraire, les autres secrétaires honoraires, et tous trois
membres du conseil permanent.
Le bureau du Congrès a émis le voeu que la prochaine session ait
lieu dans trois ans en Russie et a chargé le conseil permanent de s'enten-
dre à ce sujet avec la Société archéologique de Moscou et avec les autres
sociétés spéciales de l'Empire russe.
Le secrétaire général de la Xe session est chargé de remplir les
mômes fonctions auprès du conseil permanent.

QUESTION I. — Creusement et remplissage des vallées, remplissage des cavernes,


dans leurs rapports avec l'ancienneté de l'homme.

M. A. GAUDRY expose les motifs pour lesquels on a posé cette ques-


tion... Il n'est pas certain que dans nos pays l'homme a vécu assez long-
temps pour que les animaux aient subi des transformations notables
pouvant servir de points de repère... les savants les plus expérimentés
dans l'étude des objets travaillés par l'homme, ne peuvent réussir à se
mettre d'accord. La base la. plus sûre pour déterminer les étapes suc-
cessives de l'humanité pendant les temps préhistoriques est la géologie
stratigraphique. Or trois points de la géologie quaternaire sont parti-
culièrement importants pour établir l'âge des couches qui renferment
des traces de l'homme : 1° Formationsglaciaires et interglaciaires: exemple
cité : Rixdorf... Il résulte des observations faites sur divers points de
l'Allemagne et de l'Angleterre qu il y a eu plusieurs formations intergla-
ciaires. 2°J4 gedug?-andglaciaire. En Angleterre, à Norfolk, le Boulder-Clay,
c'est-à-dire legrand glaciaire, est au-dessus du Forest-Bed.Par conséquent,
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 137

les dépôts de Chelles et du Bas-Montreuil qui renferment des animaux de


climat tempéré-chaud ne peuvent correspondre à la première phase des
temps quaternaires qui a suivi l'âge du Forest-Bed ; ou bien il se place
-avant cette première phase et appartient à l'âge du Forest-Bed, chose
peu vraisemblable dans l'état de nos connaissances, ou bien il se place
après. M. Gaudry suppose que c'est un dépôt de l'âge de l'interglaciaire
de Rixdorf ; c'est en tout cas un quaternaire relativement peu ancien.
3° Creusement des vallées. Théorie de Prestwich : Les dépôts quaternaires
les plus élevés sont les plus anciens. En général, cela doit être vrai chez
nous. Gisement de Vaucresson (150 mètres au-dessus de la mer), deMon-
treuil-sous-Bois (à la côte 100), tout d'un quaternaire très ancien, con-
temporain du grand glaciaire du nord de l'Europe, et caractérisé par
rennes, mammouths, rhinocéros laineux. Le chelléen du Bas-Montreuil
et de Ghelles avec cerfs, Rhinocéros Merckii, Elephas anliquus, serait un
acte du grand interglaciaire pendant lequel le climat s'est adouci et des
-fusions de glaces gigantesques ont produit des érosions immenses. Enfin
M. Gaudry a cru que le diluvium des bas niveaux où l'on retrouve des
-rennes, des mammouths, des Rhinocéros lichorhinus avait représenté un
retour au froid.
On a contesté : si la vallée de la Seine était creusée dès le début de
l'époque quaternaire, le chelléen pouvait être plus ancien que le dépôt
du Haut-Montreuil. Il faut donc qu'un géologue nous marque d'une ma-
nière précise, indiscutable, l'âge des creusements et des dépôts de notre
vallée de la Seine.
M. GEIKIE (lecture faite par un des secrétaires). La position relative
des couches fluviales d'une vallée n'indique pas nécessairement leur
antiquité relative, les couches élevées ne sont pas nécessairement les
plus anciennes. — On a, dans certains cas, exagéré le creusement fluvial
accompli pendant les temps pleistocènes. Nos grandes vallées ont été
creusées avant la période glaciaire à uneépoque que M. Geikie n'ose préci-
ser. Ces vallées ont continué à être creusées durant le pleistocène
tandis que celles qui étaient dans les régions couvertes de glaces ont
forcément échappé à cette action. Quant aux niveaux des graviers, les
inférieurs indiquent simplement l'état normal du cours d'eau, tandis
que les couches supérieures témoignent de l'action torrentielle des ri-
vières démesurément gonflées. Nous ne possédons aucune donnée sé-
rieuse qui nous permette de calculer le degré de creusement qui s'est
opéré dans les vallées du nord-ouest de l'Europe pendant que l'homme
paléolithique occupait ces régions. Nous pouvons seulement affirmer
que le creusement est le résultat d'une action fluviale très pro-
longée.
M. GEIKIE a envoyé une seconde note étendue sur la périodicité des
phénomènes glaciaires. Une s'étend pas longuement; il préfère renvoyer
à ses ouvrages « The great ice âge » et « PrehistoricEurope », dont il se
138 VARIÉTÉS.

contente de résumer les conclusions en faveur, comme on sait, de cette


périodicité.
M. A. DE MORTILLIÎT expose ce que la théorie des niveaux hauts, moyens
et bas de Prestwich était devenue dans l'esprit et les travaux de Bel-
grand. Il la trouve d'une application difficile et délicate, mais peu éloi-
gnée de la vérité. Elle n'est pas infirmée par ce fait que tout à fait au
fond des vallées on trouve des témoins des plus anciennes alluvions,
les dépôts à Rhinocéros Akrckii, le chelléen.
M. VAN DEN BHGECK s'élève contre cette dernière conclusion, qui ren-
verse, dit-il, les lois de la nature. Le processus du phénomène de creu-
sement et de sédimentation fluviaux veut fatalement que des matériaux
préexistant clans les moyens et même dans les hauts niveaux, c'est-à-
dire caractéristiques des premières phases du creusement, soient suc-
cessivement remaniés et amenés dans les bas niveaux. 11 ne faut pas
tenir compte de ces dépôts inférieurs remaniés.
M. VAN DEN BKOECK insiste ensuite sur le processus chimique de disso-
lution et d'oxydation des couches superficielles du sol dû à l'infiltration
et à l'action des eaux pluviales, phénomène qui a provoqué par exem-
ple la métamorphose du limon jaune calcareuxen limon brun argileux
ou terre à briques, du diluvium gris en diluvium rouge, etc. Il décrit
enfin les dépôts d'origine éolienne dont il signale l'importance pour
les études d'archéologie primitive, et la détermination de l'âge relatif
des objets mis au jour.
M. le Dr GOSSE pense qu'il doit apporter sa pierre et présente un silex
taillé, type de Saint-Acheul, le premier de ce type recueilli en Suisse. Il
a dressé des cartes qui montrent les relais successifs du lac de
Genève marqués par ses dépôts de rivage et le rapport de ces niveaux avec
les points où on a recueilli ici le mammouth, là le renne (au Salève, par
exemple), plus bas, des antiquités romaines, donne un véritable chrono-
mètre. Ce silex vient d'une couche qui ailleurs est celle du mammouth;
elle est des plus élevées (1).
M, J. EVANS a visité, il y a trente ans, Saint-Acheul avec Prestwich
et il adopte de tout coeur ce qu'en a dit ce vénéré géologue. Il ne faut se
laisser détourner par rien des lois de la physique. 11 est impossible
qu'une vallée creusée se réemplisse. Il faut se méfier des données paléon-
tologiques :"à Norfolk, au bout d'une couche, vous avez Yantiquus, à
l'autre leprim.igenius; il est impossible de diviser le terrain!
M. G. DE MORTILLET défend les recherches préhistoriques du reproche
d'avoir été négligées par les géologues; c'est tout le contraire qui est
Je n'ai pas cru devoir greffer une discussion archéologique sur la discussion
(1)
géologique si importante et seule à l'ordre du jour, mais ici je puis faire toutes mes
réserves sur la détermination de ce silex. Je le crois bien plutôt néolithique que paléo-
thique. Ce qui n'infirme pas la valeur du relevé, des niveaux fait avec beaucoup de
soin par M. Gosse. Car il n'est pas établi que la couche dans laquelle gisait ce silex à
lm,7o de profondeur était vierge de tout remaniement. ""
E. C.
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 139

arrivé. Le creusement des vallées est une question qui ne peut être
résolue que par l'étude directe des faits. Le plateau tertiaire de Paris au
,
commencement du miocène était horizontal et intact à 170 mètres de
haut. Il a été profondément entamé par la Seine pendant le tertiaire
supérieur, creusement colossal, devant lequel celui du quaternaire qui
n'est à Paris que de 40 mètres de hauteur n'est plus qu'un détail.
M. G. DE MORÏILLET ajoute que les mouvements du sol expliquent
parfaitement ses conclusions au sujet du comblement lent des vallées
pendant la période d'affaissement et d'affouillement pendant la période
d'exhaussement. Quant à Montreuil, c'est non une station humaine,
mais une mare où les animaux se sont noyés et qui n'a aucun rapport
avec les alluvions fluviales.
M. MOURLON, de Bruxelles, dit que les divergences de vues qu'accuse
la discussion prouvent que la solution du problème est éloignée. 11 con-
vient que chacun reprenne les études sans idées préconçues, dans son
pays. C'est ce que M. Mourlon a fait lorsqu'il a rendu au quartenaire
des couches de sables glauconifères et silexifères que Ton connaît aux
environs de Mons, à Ixelles, entre le crétacé et les cailloux à Elephûs
primigenius et que l'on avait attribués à tort au landenien (éocène). Les
silex taillés de ces couches, les plus connus, présententsurtout la forme
dite moustiérienne, ce qui est contraire aux classifications admises.
M. Mourlon rapproche ce gisement de celui d'Ixelles qui lui a livré des
ossements fossiles et qu'il est porté à faire remonter à une haute anti-
quité et aussi de celui d'Ightham récemment étudié par M. Prestwich
(voir supra p. 100).
M. MARCELLIN BOULÉ déclare qu'il a eu l'occasion d'étudier au Muséum
les ossements d'Ixelles; toutes les espèces rentrent dans la faune à
primigenius. Ce gisement ne remonte probablement pas au commence-
ment du quaternaire tel que nous le comprenons en France; en tout
cas, il ne saurait en aucune façon être rapporté au pliocène supérieur.
M. GOSSELET déclare à son tour que M. Prestwich n'a pas été aussi
affirmatif. Il a dit seulement, dans son mémoire : « ce pourrait être »
•préglaciaire.
M.MAXLOHEST: Aucun des nombreux dépôts qu'on a distingués dans
les cavernes n'est caractéristique d'une époque géologique déterminée.
La faune du mammouth et du Rhinocéros tichorhinus se rencontre
aussi bien dans l'argile rouge plastique, les cailloux roulés, les limons
stratifiés, que dans l'argile à blocaux (qui a pour origine le délitement
des parois et du plafond des cavernes). Il n'existe également aucune
relation entre la hauteur d'une grotte au-dessus de l'étiage et l'ancien-
neté de la faune des dépôts qu'elle renferme. M. Max Lohest cite des
exemples. Les vallées belges ont commencé à se dessiner antérieure-
ment à l'époque crétacée. Les limons des plateaux de l'est de la Bel-
gique qui proviennent du creusement des vallées se sont déposés proba-
140
VARIÉTÉS.

blement antérieurement à l'âge du mammouth. A l'arrivée de l'homme,


le pays avait sensiblement son relief actuel.
M. VAN DEN BROECK répond à MM. G. de Mortillet, Mourlon et Max
Lohest. 11 laisse aux géologues parisiens le soin de critiquer ce que
M. G. de Mortillet a dit au sujet du bassin de Paris. 11 veut simplement
faire remarquer que les vallées belges n'ont pu être creusées qu'après le
pliocène, puisque les sédiments de cette époque couronnent le sommet
des hautes collines. Dans la vallée de la Meuse, M. Van den Broeck si-
gnale des faits prouvant que les bas niveaux sont beaucoup plus récents
que les hauts niveaux. Les gisements de M. Mourlon ne sont pas pré-
quaternaires, car ils sont tous deux situés sur le flanc des vallées et
nullement sous le quaternaire des plateaux, c'est-à-dire le plus ancien.
M. Clément Reid, du Survey anglais, a confirmé dans unelettre adressée
à M. Van den Broeck l'âge postglaciaire assigné aux fossiles de M. Mourlon
parles paléontologistes du Muséum de Paris.
En ce quiconcerne les cavernes, il faut conclure seulement s'il s'agit
de la faune des cavernes d'une même vallée.
M. J. EVANS est d'accord avec ceux qui disent que les grandes vallées
ont été creusées avant le pleistocène, mais il ne faut pas oublier qu'il y
a des vallées de toutes les époques; il y en avait pour les « ancêtres»
de nos fleuves actuels. Sij'approuve les vues de Prestwich,c'est en ce
qui concerne le pleistocène seulement. Ni moi ni plusieurs géologues
anglais ne suivons Prestwich en ce qui concerne les silex taillés prégla-
ciaires. M. Mourlon a parlé d'un gisement du pays de Kent, mais dans
tout le Kentmanquent lesdépùtsglaciaires ; partoutailleurs, il y a super-
position bien établie. On constate que les outils sont faits avec des cail-
loux apportés par les glaciers : la postériorité est donc certaine.
M. TH. WILSON saisit l'occasion pour résumer en peu de mots les
grands progrès de la géologie américaine au sujet du quaternaire et de
l'ancienneté de l'homme; il fait circuler divers objets d'industrie hu-
maine et des photographies.
M. PIETTE, après avoir posé les principes concernant la marche et
l'action des cours d'eau, en fait l'application à la caverne du Mas-d'Azil,
Ariège. Il décrit cette vaste nef que traverse la rivière l'Arize, côtoyée
par une route nationale, et en retrace l'histoire. La période ancienne
qui vit l'Arize couler au travers des galeries supérieures restées d'abord
encombrées par ses graviers, la période moyenne pendant laquelle
l'Arize ayant abaissé son lit, les pluies et eaux de fonte s'infiltraient à
travers les voûtes, ruisselaient le long des couloirs, remaniaient leur
sol et y formaient des assises riches en ossements des fauves contem-
porains, ours des cavernes, etc. Plus tard la rivière encore descendue
étend la surface de ses alluvions mêlées aux éboulis et sur ces couches
nouvelles dont il ne reste que des lambeaux, et aussi sur le rocher nu,
s'installèrent les chasseurs de rennes. Les amoncellements dus à l'homme
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 141

avaient jusqu'à 6 mètres d'épaisseur, ils étaient recouverts en partie


par des limons dus aux infiltrations de la voûte et des éboulis. A la
fin de l'âge du renne, une recrudescence de l'humidité, et par suite des
eaux courantes, laissa des traces encore visibles, notamment sur la rive
gauche, où les couches reposent à un niveau supérieur à celui où
l'Arize coule actuellement. Les limons alternent avec des restes de
foyers successivement rallumés. Là gisent les nombreux produits d'une
industrie particulière intermédiaire. Dans les éboulis qui surmontent
ces dépôts, commencent les haches de pierre polie et les vestiges très
nets de l'industrie néolithique. Les reliques des âges plus récents ne se
voient que dans les berges actuelles du cours d'eau qui continue son
oeuvre de creusement.
M. Piette ajoute quelques mots de comparaison sur les grottes de
Lourdes et autres des Pyrénées.
M. CHAMBRUN DE ROSEMONT rappelle les conclusions auxquelles il est
arrivé dans son étude sur le delta du Var, dont les couches ont pu
garder leur stratification originelle et leur intégrité. Pendant le plio-
cène, la contrée était immergée à 500 mètres; elle s'est relevée sans
dislocation et la pente des eaux n'a pas varié de direction. Les débuts
du quaternaire sont caractérisés par un grossissement extraordinaire
du débit du Var ; la mesure des galets actuels lui donne la proportion
1 à 100. La chute d'eau actuelle étant 0,80 elle était alors 80 mètres,
période pluviaire et non glaciaire pour M. Chambrun de Rosemont.
Mme CLÉMENCE ROYER fait un long exposé de théories géologiques et
astronomiques, concernant les phénomènes glaciaires et quaternaires.
M. GOSSELET explique la disposition stratigraphique du quaternaire
dans le nord delà France, comprenant ainsi mieux que les orateurs pré-
cédents le programme tracé au Congrès par M. Gaudry. II insiste sur la
vallée de la Deule, étudiée par un de ses élèves, M. Ladrière, et conclut
ainsi : 11 y a donc eu : 1° Un premier creusement antérieur au dépôt du
quaternaire inférieur. Toutefois ce dépôt peut être partiellement con-
temporain du phénomène de creusement au fur et à mesure que la
rivière, creusant sa vallée et rétrécisasnt son cours, laissait sur ses bords
des cailloux, du sable, du limon. 2e" Un second creusement postérieur
au dépôt du limon à succinées et antérieur au diluvium supérieur.
Celui-ci repose indifféremment sur les diverses couches du quaternaire
inférieur. Quelquefois les deux diluvium caillouteux sont superposés.
3° Un troisième creusement postérieur à l'époque quaternaire. Non
seulement le quaternaire supérieur a été enlevé dans la vallée, mais
souvent aussi le quaternaire inférieur et les couches tertiaires et secon-
daires sont profondément entamées. 4° Postérieurement à ce creuse-
ment, il s'est produit, sous l'influence des eaux de pluie et de ruisselle-
ment, un dépôt limoneux hétérogène qui couvre les pentes et descend
jusqu'au fond de la vallée ; on y trouveMes débris de l'âge de la pierre
!42 VARIÉTÉS.

polie, de l'époque romaine, etc. Le résultat le plus important est la


division des couches quaternaires en deux étages nettement distincts,
séparés par un phénomène de ravinement considérable. Il reste à
déterminer les relations de ces deux divisions avec la faune et avec
l'industrie quaternaire.
M. DE SZABO, après avoir indiqué à grands traits la physionomie géo-
logique de la Hongrie, donne les limites géographiques du loess dans ce
pays et signale des confusions regrettables à propos de ce terrain. Ses
couches supérieures sont dépourvues d'ossements, tandis que les
couches inférieures en sont remplies. Les lits des rivières sont creusés
en grande partie dans la couche inférieure. On y trouve des pachydermes,
mais jamais l'homme. Les stations préhistoriques sont toujours au-
dessus de cette couche. Au fond des vallées sont des collines naturelles
de forme arrondie et que Ton pourrait confondre avec les tumulus
artificiels.
M. le marquis DE SAPORTA envoie au Congrès une note sur les phé-
nomènes glaciaires, dans laquelle il donne d'abord le sens des mots
employés par certains auteurs et par lui. Il fait intervenir dans la
question les observations astronomiques et doute que la géologie strati-
graphique ait éclairé le débat. Il ne voit dans l'étude de la flore fossile
aucun indice de refroidissement périodique, et les preuves de la pério-
dicité du phénomène ne lui paraissent démontrer que des oscillations.
M. de Saporta termine en disant « qu'il y a dans tout cela une masse
de faits concordants et enchaînés, qui se tiennent tous et que l'esprit
de système pourra difficilement entamer, bien que nous soyons encore
loin du moment où nous pourrons tout connaître et tout analyser. »
M. le Dr GARRIGOU : Périodicité des phénomènes glaciaires. Dans ce
mémoire envoyé au Congrès, l'auteur reproduit ses conclusions déjà
publiées en 1865, 1876, 1878, etc. Pour lui, la multiplicité des mouve-
ments glaciaires dans les Pyrénées n'est pas douteuse. Il énumère une
série de points où l'on peut voir un terrain incontestablement morai-
nique passer sous des couches miocènes tout à fait caractérisées. À ces
glaciers des débuts du miocène, d'autres ont succédé de moins en moins
étendus; et ils ont entraîné, par suite de leur fusion, des phénomènes
mécaniques de creusement et de comblement, qui permettent de relier
à leur existence la formation des vallées, des terrasses et des dépôts de
celles-ci. M. Garrigou présente cet historique en classant les lambeaux
de moraine épars ou superposés au bas de la montagne.
M. VAUYILLÉ fait passer sous les yeux du Congrès des pièces, os et
silex, recueillis dans ses fouilles de 1888 et 1889 au gisement de Goeuvres
(Aisne)..
M. MARCELLINBOULE dit qu'il est nécessaire,
pour éclairer la discussion,'
de mettre en évidence un certain nombre de faits dus
aux savants des
divers pays, ne se prêtant point aux équivoques, permettant de serrer les
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 143.

problèmes de plus près et même de les résoudre. Ces faits sont devenus
classiques et suffisent à démontrer que l'époque glaciaire a commencé
au moins à l'époque pliocène et n'a pas été localisée, comme le pro-
fessent quelques préhistoriens, à la fin du quaternaire. Les glaciers ont
successivement recouvert et abandonné de vastes régions, c'est-à-dire
que le phénomène, au lieu d'être continu, a été périodique. La question
du creusement des vallées ne peut être séparé de la question glaciaire.
Elle ne peut être résolue pour le moment d'une façon générale. Seules
des recherches locales patiemment poursuivies donneront des résultats
qui pourront varier d'un pays à l'autre. M. Boule a montré ensuite que
la date de la formation et du remplissage des cavernes est également
liée à la date du creusement des vallées. Notre Revue devant publier un
mémoire spécial de M. Boule, nous n'insisterons pas sur sa communi-
cation.
M. G. DE MORTILLET repousse les diverses conclusions en se basant
sur les travaux de Murchison et de Dumont. Le groupe nordique (des
phénomènes glaciaires) a probablement précédéle groupe alpin (Alpes,
Caucase, Carpathes, plateau central, Pyrénées, etc.). Il fallait bien que
le phénomène commençât par un bout. Pour provoquer le phénomène
alpin, il.fallait bien une cause de refroidissement. Cette cause a été
l'extension des giaces du Nord. Mais entre cette priorité d'extension et
la pluralité des époques glaciaires, il y a loin, bien loin. M. G. de Mor-
tillet n'admet dans l'intensité du phénomène que des fluctuations; ce qui
le démontre, dit-il, c'est que toutes les cartes produites par les par-
tisans de plusieurs époques enferment les phénomènes glaciaires, qu'ils
soient considérés comme anciens ou récents, dans les mêmes régions.
Enfin M. de Mortillet déclare que la paléontologie est contraire à l'idée
de plusieurs périodes glaciaires.
M. MARCELLIN BOULE répond que depuis les travaux de Murchison et
de Dumont, d'autres ouvrages ont été publiés par d'éminents géologues ;
que si les phénomènes glaciaires anciens et récents s'observent dans les
mêmes régions, rien n'est plus naturel, les massifs montagneux, points
de départ de ces glaciers, n'ayant pas changé de place. M. Boule rentre
dans quelques détails pour montrer que les périodes de recul des gla-
ciers ne sauraient être confondues avec de simples oscillations.
Les grands glaciers terrestres partis de la Scandinavie ont d'abord
atteint l'Erzgebirge. Est venue ensuite une période de recul correspon-
dant à un dégel de la mer du Nord et de la Baltique, pendant laquelle
se sont déposées des alluvions interglaciaires à faune chaude, allu-
vions que des recherches précises ont montrées dans le Brandebourg
seulement occuper une surface de deux cents milles carrés allemands.
Dans les Alpes, le gisement de plantes interglaciaires d'Innsbriick se
trouve h 1 000 mètres d'altitude, au sein même de la chaîne!
Quant à la paléontologie, M. Boule n'hésite pas à renouveler cette
144 VARIETES.

déclaration que les faits stratigraphiques doivent la dominer. Mais il


ajoute que l'étude des faunes et des flores du pliocène supérieur et du
quaternaire est loin d'infirmer les données de la stratigraphie. C'est ainsi
qu'en Angleterre des sables interglaciaires, à coquilles tempérées,
alternent plusieurs fois avec les coquilles boréales des divers « boulder-
clays ». Ganstadt et Schussenried, occupant une position stratigraphique
analogue, sont caractérisés, l'un par une flore chaude, l'autre par les
mousses du Groenland. Près de Lauenbourg se trouve un tuf intercalé
entre deux erratiques et renfermant une flore tempérée qui n'a pu
arriver dans cette région qu'à la faveur de la fusion complète de la
glace.
Enfin, MM. Bleicher et Fliche viennent de décrire à la Société géo-
logique de France une série de gisements quaternaires du Nord-Est de
notre pays, tufs et lignites dont les plantes et les mollusques accusent
des alternances de refroidissement et de réchauffement.
La discussion que je viens de résumer a occupé près de trois séances ;
on ne pouvait raisonnablement lui accorder plus de temps au sein d'un
Congrès d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques et pendant que
siégeait à côté le Congrès de géologie (1).

(A suivre.) E. CARTAILHAC.

(1) Nous croyons devoir donner une certaine extension à cette analyse des travaux
du Congrès parce que le compte rendu officiel sous presse se borne à fournir le
titre des communications, en attendant la publication des procès -verbaux in extenso
qui n'aura pas lieu avant plusieurs mois. Lorsque ce volume paraîtra, nous n'aurons
qu'à l'annoncer sans revenir sur les matériaux qu'il contiendra. E. C.
NOUVELLES ET CORRESPONDANCE

La station préhistorique de Lengyel (Hongrie).

La station de Lengyel. située sur la rive droite du Danube, dans le comitat


deTolna, au sud de la Hongrie, s'élevait sur un plateau aux pentes escarpées,
entouré d'un double fossé dont les traces sont encore très visibles et qui
venait aider à la défense d'une position naturellement très forte. Dans cette
enceinte, on a reconnu plusieurs groupes d'habitations et deux cimetières. Les
fouilles ont été dirigées avec une grande intelligence par M. le curé WOSINSKI
que ses études et ses voyages en Grèce, en Asie Mineure, en Egypte, avaient
particulièrement préparé à cette tâche.
Parmi les habitations au nombre de deux cents environ, les unes, rondes
en forme de ruche, étaient creusées dans une couche d'argile marneuse, le
loess danubien; leur profondeur variait de 3 à 4 mètres, leur diamètre de 2 à
3 mètres. On y pénétrait à l'aide d'une ouverture ménagée dans le toit. A
côté de ces demeures, les explorateurs ont mis au jour d'autres souterrains
plus petits qui devaient servir de magasins à la famille, à en juger par les
grands vases remplis de grains passés au feu et assez semblables comme
forme à ceux trouvés parle Dr Schliemann à Troie. Les parois étaient formés de
menues branches ou de roseaux entrelacés et chargés d'une épaisse couche
d'argile qui paraît avoir été durcie au feu. Le fait de ces demeures souterraines,
véritables tanières, n'a rien pour nous surprendre; nous les trouvons dans
tous les temps et dans tous les pays. « Se plongeant dans la terre, comme de
minces fourmis, les hommes se cachaient dans des antres sans lumière, » dit
Eschyle. Chacun connaît la description que donne Tacite des habitations des
Germains de son temps. Les mêmes faits se passaient en France. Il existe
auprès de Joigny de grandes excavations circulaires mesurant jusqu'à 15 mè-
tres de diamètre sur 5 à 6 mètres de profondeur, qui portent dans le
pays le nom de buvards. Le fond de ces buvards est formé d'une terre
noire et grasse mêlée de cendres, de charbons, de silex, d'os travaillés, de
débris de toute nature qui.témoignent clairement de la longue habitation de
l'homme. Nous en connaissons de semblables dans le Cher; une issue per-
mettait à la fumée de s'échapper et une rampe ménagée avec soin facilitait
l'accès. Il y a quelques mois, on me mandait la découverte d'immenses sou-
terrains dans le département de Maine-et-Loire; mais ils avaient été fouillés
à une époque déjà très éloignée, et rien ne permettait de les dater. L'Expo-
sition enfin nous a fait connaître
en Tunisie des demeures semblables actuel-
lement habitées par des familles entières avec leurs bestiaux.
D'autres habitations, mais en petit nombre, s'élevaient au-dessus du sol;
L'ANTHROPOLOGIE. 10
— T. r.
146 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

M. Wosinski n'a pu reconnaître que leurs fondations, les murs étaient formés
de branchages et de terre. Quant à la demeure elle-même, il est difficile de
la décrire; il est probable que c'était une butte en bois, car on n'a trouvé
aucun amoncellement de pierres ou de fragments de briques; rien ne prouve
d'ailleurs que les habitants de Lengyel connussent la fabrication des briques.
Un des cimetières renfermait cinquante sépultures, l'autre plus de quatre-
vingts. On ne trouve, et ce fait est remarquable, aucune trace de crémation. Les
cadavres étaient simplement déposés sur le sol et recouverts d'une couche de
terre. Dans l'une des nécropoles les morts étaient couchés sur le côté droit, dans
l'autre sur le côté gauche; l'orientation était également différente; mais dans
les deux, le cadavre était toujours replié sur lui-môme. Les bras remontaient
vers la tête, les jambes touchaient les coudes. C'était bien là un rite funéraire
et nous le retrouvons dans les sépultures de la Thrace, dans celles de
Mycènes, de Hanai-Tepe, de l'île d'Amorgo. Il est intéressant de le constater-
sous les mounds de l'Amérique, comme sous les tumuli de l'Europe. Par une
pensée touchante, on rapprochait la mort et la vie, le berceau et la tombe,
l'homme au sein de la terre, mère commune, et l'enfant au sein de sa propre
mère.
M. Wosinski a recueilli dans ces tombes des lames de silex, des haches,
des marteaux en pierre, des coquilles perforées deslinées à servir d'orne-
ments, des vases remplis de grains carbonisés. Auprès de chaque mort était
toujours placée une coupe à base cylindrique d'une forme très particulière et
qui n'a jamais été trouvée dans les habitations.Nous sommes là aussi en pré-
sence d'un rite funéraire très caractéristique dont le sens nous échappe.
On a enfin trouvé, dans ces tombes, un petit nombre de perles et de tubes
en cuivre. Le bronze était resté longtemps inconnu; on a recueilli cependant
quelques bijoux en bronze de petite dimension. Ils étaient fondus à Lengyel
même, à en juger par les moules et les fourneaux que les fouilles ont mis au
jour.
Dans les habitations comme dans les tombes, le nombre de pièces recueil-
lies par M. Wosinski est très considérable; il ne s'élève pas à moins de 120o6,
ainsi classés :

a. Couteaux, racloirs simplement taillés 4 680


262 de ces instruments sont en obsidienne (1).
b. Haches, armes ou outils en pierre polie 812
c. instruments en os ou en corne 833
cl. Ossements d'animaux ne présentant aucune trace de travail
humain 600
e. Poteries diverses 3 933
f. Ornements en test de coquilles, amulettes, bracelets, bou-
tons, perles, olives 957
g. Menus objets en bronze 241

La céramique est surtout intéressante ; elle est représentée par des vases,
des fragments innombrables, des cuillers de forme massive, des anses, des
cornes, des anneaux plats destinés à servir de supports aux vases à base poin-
tue d'un usage si commun chez les Grecs, des fusaïoles, des poids (?) perforés
dans le sens de leur longueur.
(1) L'obsidienne a été trouvée en Hongrie dans la chaîne de Tokay-Hcgyaja.
STATION DE LENGYEL. 147

Tous ces objets sont conservés dans le musée fondé par le comte Alexandre
Apponyi; ils permettent de dater la station de Lengyel de la fin de l'époque
néolithique, des temps où la pierre était encore d'un usage général, mais
où.le bronze commençait déjà à se répandre dans la vallée danubienne. Ils
témoignent aussi du degré de civilisation à laquelle les habitants de Lengyel
étaient parvenus. Celte civilisation était certainement inférieure à celle que
les fouilles ont fait connaître à Hissarlik, à Mycènes ou à Tirynthe. A Hissar-
lik notamment, Schliemann a trouvé des objets en bronze en nombre très con-
sidérable et parmi eux, des pièces d'une véritable importance, des bijoux en
or et en argent, d'une grande valeur. On n'a rien recueilli de semblable à
Lengyel.
Les objets en bronze sont, je l'ai dit, peu nombreux et peu variés et tout
en tenant compte de la différence entre une ville opulente et une pauvre sta-
tion, je crois que l'on peut faire remonter Lengyel à une antiquité plus recu-
lée que celle des villes que je viens de nommer.
11 est bien difficile de rattacher avec quelque certitude une civilisation à

une autre civilisation ; les instruments en os, les outils en pierre présentent
constamment la même apparence, les mêmes procédés de polissage. J'ai vu
plusieurs fois mêler soit des haches simplement taillées à grands éclats, soit
des haches polies provenant des régions les plus différentes : il était impos-
sible, même aux plus experts, de dire leur origine exacte. Les outils ou les
instruments trouvés à Lengyel ne peuvent donc fournir une indication suffi-
sante et la céramique seuLe peut nous aider. Le tour du potier était inconnu,
les vases sont faits à la. main, la pâte est grossière et mêlée de nombreux
grains de silice,, la cuisson: est médiocre, tout montre un art encore peu déve-
loppé. M. Wosinski cite:un instrument qu'il croit destiné à tirer les cendres
du foyer. Il en est.de semblables recueillis à Tirynthe et dans l'île de Chypre;
je n'en connais aucun provenant de l'Europe centrale ou de l'Europe occi-
dentale. Mentionnons aussi plusieurs vases en forme d'entonnoir, portant une
anse à la partie supérieure. Dès vases, analogues ont été trouvés à Thera dans
l'île de Santorin et dans l'île de'Rhodes. D'autres sans fond, en forme de
cloche, sont percés d'un nombre infini de petits trous. M. Schliemann en a
recueilli un semblable à Hissarlik. Nous ignorons leur usage. M. Wosinski
les croit destinés à couvrir là flamme et à obtenir ainsi une lumière mitigée;
c'est une explication dont nous lui laissons la responsabilité.
Les vases sans contredit les plus intéressants sont ceux dont j'ai déjà parlé
et qui étaient constamment déposés auprès des morts. Tous présententla forme
d'une coupe très évasée sans goulot et sanç rebords, reposant comme pied sur un
cône très allongé. Nous pouvons les comparer à des vases provenant des plus
anciennes couches d'Hissarlik, à d'autres recueillies sur l'Acropole d'Athènes,
à Tirynthe, ou dans l'île de Chypre. M. Chantre en a trouvé à Samthravo,
auprès de Tiflis, qui offraient avec eux tout au moins un air de famille. Tous
ces- vases, remarquons-le, viennent du Sud-Est de l'Europe, d'une zone
limitée.par le bassin du Danube et je ne connais dans aucune autre région de
notre continent des poteries semblables. Elles témoignent donc des rapports
qui existaient entre les populations danubiennes et celles de la Grèce ou de
l'Asie Mineure.
"-' Quanta leur usage, ilest facile de dire qu'ils répondaient à un rite funé-
148 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

raire ; mais quel était ce rite et quelle était sa signification? Voilà ce que nous
ne pouvons dire. M. Schliemann a cru y voir des lampes et M. Ch. Newton
cite une médaille d'Amphipolis où figure un vase semblable qui porte
un flambeau allumé. A cela on peut objecter que souvent l'intérieur de la
coupe et môme celle du cylindre étaient peints avec soin, ce qui assurément
eût été inutile si on les avait destinés à un mode d'éclairage. M. YVosinsid
ajoute qu'il a trouvé planté dans un d'eux l'os long d'un mammifère et que
cet os ne présentait aucune trace de combustion. Enfin il avait vu, au musée
de Roulaq, des vases semblables chargés de Heurs ou de fruits, placés au
pied des divinités. Il en avait conclu que telle était aussi la destination des
vases de Lengyel. Sans nous prononcer à cet égard, nous nous contenterons
de dire que l'usage des offrandes aux morts remonte à la plus haute antiquité
et que nous le retrouvons à foutes les époques et dans tous les pays.
Les vases recueillis à Lengyel se rapprochent de ceux trouvés en Grèce et
en Asie non seulement par la forme, mais aussi par la couleur et l'ornemen-
tation. Les couleurs employées étaient le blanc, le noir, le rouge et un brun
tirant sur le jaune. Onlesobtenait au moyen des différents ocres ou de l'oxyde
de fer. Ces mêmes couleurs dues aux mêmes procédés se voient sur les po-
teries provenant de Tirynthe, de Mycènes ou de Rhodes.
Plusieurs des vases provenant de la station sont incrustés de pâte blanche.
Ce genre d'ornementation se rencontre assez fréquemment en Hongrie; on
le voit aussi à Hissarlik. Parmi d'autres ornements, nous mentionnerons les
spirales, les méandres, les zigzags, les S renversés, souvent aussi des dessins
géométriques. Ce sont des ornements que l'on retrouve dans tous les temps et
dans tous les pays. Nous les voyons sur les poteries recueillies sous les mounds
de l'Ohio ou sur les rives du Mississipi comme sur celles provenant des
stations préhistoriques de l'Europe. Quelques-uns des vasesportentle svastika,
ce signe mystérieux encore si peu connu; à Lengyel, il n'est jamais peint sur
les vases, mais toujours incrusté en relief.
Ces faits permettent de croire que si la station que nous décrivons n'était
pas une colonie hellénique ou pélasge, ses habitants se rapprochaient singu-
lièrement de la civilisation de la Grèce et on peut les rattacher avec quelque
certitude à une des immigrations qui, dans leur passage à travers l'Asie Mi-
neure et la Grèce, avaient emprunté aux populations de ces contrées quelques-
uns de leurs arts et de leurs usages.
Si maintenant nous comparons la civilisation de Lengyel avec celle des
pays voisins, il faut constater de notables différences. Les vases recueillis
soit en Bohème, soit en Allemagne, ne rappellent en rien ceux dont nous
venons de parler. Les objets provenant de la Transylvanie, pays limitrophe
de la Hongrie, présentent bien quelque analogie avec ceux d'Hissarlik ou de
Mycènes. Des vases portent la croix gammée ou la tête de chouette, mais les
stations de la Transylvanie sont certainement postérieures à celle de Lengyel.
On y constate à la fois les deux rites de l'inhumation et de la crémation et
déjà à côté d'instruments en cuivre, le premier métal employé, nous voyons de
nombreux objets en bronze et même en fer.
En Carinthie, nous sommes à une époque encore plus rapprochée des temps
historiques. En 1883, la Société d'anthropologie de Vienne fit fouiller un ci-
metière situé à Rosegg, dans la vallée de la Drave. Cette nécropole, quis'éten-
MUSEE BROCA. 149

dait sur une longueur de 2 kilomètres et une largeur de 500 mètres,


comptait plus de trois cents tombes. Leur diamètre varie entre 6 et 24
mètres et le tumulus de forme ronde, qui les surmonte toujours,
atteint jusqu'à 4 mètres de hauteur. La crémation des corps était l'usage
général et chaque tombe renferme une urne soit en. poterie, soit en
bronze très mince, où gisent les débris incinérés du mort. Les objets
déposés auprès de ces urnes sont des vases en poterie commune, des cistes,
des épingles à cheveux, des fibules, des bracelets, des armes en bronze,
des pointes de lance ou d'épieu en fer (1) et de nombreuses figurines
en plomb qui représentent des roues, des cavaliers,des oiseaux, des animaux;
le métal d'une grande pureté provenait des mines du pays où l'on trouve des
traces de très anciennes exploitations.
En résumé, aucune des découvertes faites dans le Nord ou l'Ouest de
l'Europe ne présente d'analogie avec celles de Lengyel. Si nous les comparons
à celles de la Transylvanie ou de la Carinthie qui offrent un air de famille,
nous verrons qu'elles sont très antérieures. Il faut donc bien, je le répète
encore une fois, rattacher cette ancienne civilisation à celles de la Grèce et
de l'Asie Mineure et reconnaître les traces d'une de ces immigrations qui ont
exercé une si puissante iniluence sur les premières populations de l'Europe.
C'est là une conclusion qui s'impose.
Mis DE NADAILLAC.

Musée Broca.

Le Dr Topinard a présenté à la Société d'Anthropologie, dans sa séance


du 19 décembre, les objets qu'il dépose au Musée Broca, provenant de la
partie de l'exposition des sciences anthropologiques dont il était chargé. Ce
sont :
1° Les deux moulages de face et de dos, exécutés au Laboratoire, par
MM. Ghudzinski et Flandinette, du corps d'un Boshiman, donné par le
Dr Dujardin-Beaumetz. Ce Boshiman est l'un de ceux présentés à la Société
en 1886 par M. Topinard et qui ont fait l'objet de son mémoire. Le complé-
ment de ce travail devait être la dissection des muscles dont M. Clmdzinski
a bien voulu se charger et les mesures du squelette correspondant à celles
prises sur le vivant. Mais M. Chudzinski a été malade et n'a pas encore ter-
miné sa tâche.
2° Les 27 moulages de types de nez faits sous la direction de M. Topinard
et conformément à sa classification, par M. Flandinette, tant au Laboratoire
Broca qu'à l'École pratique de la Faculté de Médecine et au Muséum.
3° Deux appareils d'anthropométrie, sur le modèle de ceux que M. Al-
phonse Bertillon emploie pour les signalements de la Préfecture de Police,
destinés l'un à mesurer la taille debout et la grande envergure, l'autre à
mesurer la taille assis. Certaines de leurs parties ont été données à M. Topi-
nard par M. Colas, fabricant d'instruments.

(1) Tous ces objets rappellent ceux trouvés dans les nécropoles de Hallstatt, de
"Watsch-, de Sanct-Margarethen, si magistralement étudiées par M,nc Sackcn, de
Hochstetter, et le docteur Luschan
150 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

4° Deuxmodèles stéréométriques de crânes et un tableau des 12 dessins


dont se composent ces modèles, offerts par le Dr Joseph Miess.
5° Quatorze bustes d'Indiens des
États-Unis, prisonniers de guerre à Saint-
Augustin (Floride), offerts parle Smithsonian Institution, sur la proposition du
professeur Otis Mason, conservateur du musée d'ethnographie de Washington.
Le catalogue détaillé de ces objets a paru dans la Revue d'Anthropologie
et dans le Catalogue général officiel de l'Exposition : Histoire rétrospective du
travail et des sciences anthropologiques, Section I.
Dans une séance ultérieure, M. Topinard présentera les photographies.
Dr P. Ton.xARD.

Société d'anthropologie. — Prix Godard.

Ce prix vient d'être décerné au Dr A. Issaurat pour sa thèse inaugurale


intitulée : le Sinus urogénital, son développement, ses anomalies.
A ce propos, un incident curieux s'est produit. La Commission était com-
posée de MM. Ploix, Sanson, Piètrement, Manouvrier et Issaurat père. Elle
conclut en faveur du Dr Rollet, auteur d'un très remarquable travail intitulé :
la Mensuration des os longs, dans ses rapports avec l'anthropologie, la clinique et
la médecine judiciaire, et chargea son rapporteur, M. Manouvrier, de motiver ses
conclusions devant le Comité central.
Le Comité central entendit le rapport, jugea que la composition de la
Commission n'avait pas été correcte, remplaça M. Issaurat père par M. Ma-
thias-Duval et renvoya l'examen des candidats à cette seconde Commission.
Celle-ci se réunit, conclut comme la première et chargea encore M. Ma-
nouvrier de défendre ses conclusions.
La Commission fut battue au sein du Comité central, son rapport annulé,
la minorité qui se composait d'UNE voix, celle de M. Mathias-Diival, chargée
d'un nouveau rapport; et le prix fut décerné au Dr Issaurat.
Le Comité central qui dirige ainsi à son gré la Société d'anthropologie
n'est pas élu par les membres de la Société, il procède lui-même à l'élection
de ses membres. Cette situation peu libérale est sans doute unique parmi les
Académies et les Sociétés savantes. E. C.

Les anthropoïdes du Jardin Zoologique de Londres.


Le Jardin Zoologique de Londres possède en ce moment quatre singes
anthropoïdes : un jeune Orang femelle, la Simia satyrus, un Gibbon argenté,
l'Hylobates leuciseus, et deux Chimpanzés, que l'on baptise provisoirement du
nom à'Anthropopithecus calvus, mais dont le nom vrai est encore réservé, l'un
qui est au Jardin depuis l'année 1883, l'autre qui y est entré en 1888.
L'un de ces Chimpanzés a été l'objet d'un travail fort intéressant sur ses
manifestations intellectuelles par M. Georges J. Romanes, publié dans le
numéro de Nature du 13 juin 1889. L'autre a été l'objet d'un travail sur ses
caractères physiques, par le Dr P.-L. Sclater, dans un numéro antérieur du
même journal.
NOUVELLES ET CORRESPONDANCE. 151

-
VAnthropopithecus troglodytes ou Troglodytes niger est le Chimpanzé com-
mun. En 1853, Duvernoy en admit une nouvelle espèce, le Tshego, qui fut
•acceptée, en 1858, par Isidore Geoffroy-Saint-Hilaire. Le célèbre voyageur Du
Chaiilu, en 1860, assura que le Tshego n'était que le Chimpanzé ordinaire
jeune, mais prétendit avoir découvert deux espèces nouvelles véritables, le
Calvus et le Kooloo-Kamba. En 1861, le DT J.-E. Gray et le Dr Sclater décla-
raient que ces deux espèces ne sont que des variétés. La question se pose à
nouveau à propos des deux Chimpanzés actuels du Jardin Zoologique de
•Londres. Tous deux tuent et mangent des moineaux ou des pigeons, ce que
que ne fait pas le niger. Étant admis que ce sont bien des variétés, faut-il
leur conserver le nom à'Anthropopithecus calvus ou se demander s'ils ne se-
raient pas desTschego? L'examen du squelette, conclut M. Sclater, seul peut
résoudre le problème. T.

Les anciens Étrusques.


Le Dr Daniel G. Brinton acommuniqué à la Société Philosophique améri-
caine, le 18 octobre dernier, un Mémoire sur les anciens Étrusques, qui est
reproduit dans le journal Science du 3 novembre, et dont voici les conclu-
sions :

« 1° Le témoignage unanime des anciens écrivains et leurs propres tradi-


tions établissent que les Étrusques sont venus du sud par mer et ont fondé
leurs premières colonies sur le sol italien, près de Tarquinii ; ce qui est con-
firmé par des preuves archéologiques. 2° Les Étrusques sont physiquement
de haute taille, blonds et dolichocéphales. Par là ils correspondent précisé-
mentau type blond des anciens Libyensreprésentés par les Berbers modernes
.et les Guanches, le seul peuple blond méridional. 3° Par la position qu'ils
.assignent à la femme et par leur système fédératif de gouvernement, les
Étrusques étaient totalement différents des Grecs, des Orientaux et des Toura-
niens, mais sont tout à fait semblables aux Libyens. 4° La phonétique, la gram-
maire, l'archéologie, les traits sociologiques et les preuves anthropologiques
s'accordent pour établir la parenté entre les familles étrusque et libyenne. »
Nous faisons toutes nos réserves sur celles de ces conclusions qui regar-
dent l'anthropologie physique. Le type blond que pouvaient présenter, non
les anciens Libyens qui étaient bruns certainement, mais les populations et
les types qui se sont mélangés à eux et dont il reste aujourd'hui beaucoup
moins de représentants qu'on ne le croit, n'a pas encore été dégagé et décrit.
Sous le nom de Berbers se rangent les types les plus dissemblables. Voir le
dernier travail sur la Tunisie du Dr Collignon. T.

Carte des langues de l'Amérique du Sud.


Le major Powell, le directeur du service ethnographique du département
de l'Intérieur à Washington, présenté il y a quelque temps à laSociété histo-
a
rique américaine une carte de la répartition des langues ou dialectes dans
l'Amérique du Nord, à l'époque de l'arrivée desEuropéens, et quelques autres
répondant à des époques ultérieures. On ne saurait trop féliciter le major
152 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

Powell d'avoir mené à bonne fin une entreprise aussi considérable, commen-
cée il y a quinze ans.
Voici le court résumé qu'il donne de ses principaux résultats dans VAme-
ricàn naluralist :
« Les Esquimaux
occupent sur cette carte la ligne des côtes septentrio-
nales, comme un liséré du Labrador à l'Alaska. Ils parlent la même langue
dans la pratique. Les Atbabascans qui occupent presque tout le territoire de
l'Amérique du nord britannique, parlent plusieurs langues, toutes distinctes
et cependant se rattachant à une même souche, montrant ainsi qu'ils ne for-
ment qu'un même peuple. Nous retrouvons cette langue éparse çà et là en
Californie, dans le Vieux et le Nouveau Mexique.
Le groupe suivant des langues, au nombre de 40 ou 50, éparpillées dans
l'est et nord-est des États-Unis et du Canada, était l'algonquin. Les Arapabaes
vers le sud jusqu'au golfe du Mexique rentrent dans ce groupe. De même les
Iroquois, appelés encore les cinq, six ou sept nations, ont un représentant
moderne dans la langue des Cherokees.
Le groupe Sioux avait son habitat entre le Mississipi et le Missouri. Le
groupe Shoshone comprend 2'6 langues différentes. Les Indiens Pueblos
avaient recours à quatre ou cinq souches de langues, mais toutes appartien-
nent au groupe Shoshone. »
Cet extrait est accompagné de réllexions. Ces langues comprennent
800 dialectes se rattachant à 73 souches, ou mieux, branches. Le major Powell
a procédé, clans ses rapprochements, avec le vocabulaire et non avec la gram-
maire. Après diverses tentatives infructueuses, j'ai été amené, dit-il, à consi-
dérer les langues comme la seule base de classification satisfaisante et pra-
tique des Indiens de l'Amérique du Nord; les caractères anthropométriques
n'ont abouti à rien.
Soit! L'anthropologie américainen'estpas assez avancée encore pour qu'on
songe à une classification d'après elle, les recherches linguistiques sont plus
avancées, la décision du major a été sage. Mais le major ne commet-il pas
une confusion entre la tribu, la nation, le peuple, comme il voudra l'appeler,
et la race ou, pour parler plus corrrectement, le type?
La tribu n'est qu'une agglomération produite par les événements, qui se
constitue, se désagrège, se reconstitue sur de nouvelles bases, au gré de ces
événements. La langue est une acquisition, comme les coutumes, le mode
de civilisation, la religion, qui dépend de ces mêmes événements; elle établit
ainsi des liens plus ou moins solides entre certaines tribus au moment où
on les considère.
La race ne relève, elle, que de l'histoire naturelle ; elle ne peut être dégagée
que par des naturalistes. C'est une notion de filiation dans le temps de cer-
tains types reconnus au préalable, filiation qui se continue à travers les dis-
locations et mélanges à nouveau, périodiques des groupes sociaux, grands et
petits, plus ou moins durables, que forment les hommes entre eux.
Distribuer des tribus d'après leurs langues et leurs dénominations, ce
n'est que constater l'état historique, les rapports réciproques de ces tribus à
un moment donné. Déterminer les filiations de sang, les types qui leur cor-
respondent et sont représentés chacun non par un ou deux caractères, mais
par un ensemble de caractères physiques, c'est faire oeuvre de naturaliste.
NOUVELLES ET CORRESPONDANCE. 153

M. Powell a donné une carte de la répartition des langues dans l'Amérique


du Nord à une certaine époque; mais il n'a pas donné ou esquissé la moindre
classification des races indiennes, ou, pour plus de précision, des éléments
d'ordre anthropologique qui ont concouru en diverses proportions à cons-
tituer telle ou telle tribu ou confédération. Sa carte contient des renseigne-
ments historiques précieux, mais elle laisse la question anthropologique
entière. T.

Découverte des ruines de Karakorum.

On sait que l'emplacement de l'ancienne capitale des Khans Mongols, la


fameuse ville de Karakorum, si bien décrite par Plan Garpini, était un point
de controverse très vive entre orientalistes. La question semblait être tran-
chée en 1873 par le voyageur russe Paderin, quia découvert un site de ruines
dans la vallée du Toglokho-Tologoï, à peu près sur l'emplacement désigné
jadis par A. Rémusat (1).
Nous venons d'apprendre qu'un orientaliste russe distingué, M. Yadrintseff,
directeur de la Revue orientale d'Irkoutsk, est de retour d'un long voyage dans
la Mongolie septentrionale, où il a réussi enfin à découvrir les vraies ruines
de Karakorum et d'autres villes du moyen âge qui existaient dans le bassin
du Llenga. Nous n'avons pas encore de détails sur cette découverte. Mais on
peut déjà présumer, d'après l'itinéraire du voyageur, que la localité est dans
le voisinage du site de ruines découvert par Paderin. J. D.

Résultats d'un nouveau voyage en Mandchourie.


Le docteur Elisseïeff, connu par ses nombreuses recherches anthropolo-
giques en Asie Mineure, en Algérie, en Tunisie et en Arabie, vient d'accom-
plir un nouveau voyage dans la Mandchourie. Il y a exploré plusieurs cavernes
contenant des ossements humains mêlés à ceux des animaux éteints. 11 rap-
porte en outre une riche collection ethnographique et anthropologique con-
cernant l'extrême Orient en général. Nous attendons avec impalience la
publication des résultats de ces voyages qui promettent d'être fort intéressants,
étant donnés le zèle et la tournure originale des recherches de M. Elisseïeff.
J. D.

Fouilles en Espagne.
M. Ricardo Rodriguez, avocat à Montilla (Espagne), poursuit à l'entrée des
llanos de Banda des fouilles intéressantes. Il y a trouvé enfouis, dans un dépôt
de sables rouges remaniés, un certain nombre de monuments qu'il compare
aux dolmens et dans l'un desquels un crâne humain, sous-dolichocéphale (il
aurait l'indice 75 ou 76 sur la photographie que j'ai reçue), était, en effet,
accompagné d'une cruche en terre grossière, montée à la main, d'aspect
néolithique. E. H.

(1) Vpy. à ce sujet le résumé de la question dans notre article KARA.-KOR.UM du


Dictionnaire de Géographie de VIVIEN DE SAINT-MARTIN et ROUSSELET, t. III, p. 49.
15/, NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

Un crâne humain antique du Puy-de-Dôme.

J'ai reçu dernièrement de M. l'abbé Pinguet, vicaire à Cournon (Puy-de-


Dôme), les photographies d'un crâne découvert dans cette localité à 10 mètres
de profondeur, ainsi que la coupe fort bien faite du gisement de ce débris
humain. Le crâne est remarquable par son état de décomposition très avancée
et son extrême dolichocéphale. D'une part, les os semblent avoir perdu la
plus grande partie de leur matière organique, et de l'autre l'indice céphalique,
mesuré grossièrement sur les photographies de M. Pinguet, s'élève au chiffre
de 70 environ. Malheureusement la coupe semble indiquer que le terrain,
dans lequel gisait cette intéressante pièce, est un éboulis, dont il est tout à
fait impossible de reconnaître l'âge géologique. E. H.

Parures d'or des tombeaux de Colombie.


M. B.Reber, pharmacien à Genève, veut bien appeler mon attention sur
une collection fort remarquable d'objets en or des tombeaux de Colombie,
provisoirement déposée entre ses mains et dont il a fait exécuter de fort
bonnes photographies qu'il m'envoie. Ces objets, au nombre de 57, ne pèsent
pas moins de 927 grammes. Ce sont des pièces d'applique en grand nombre
représentant des personnages humains, des lézards, des grenouilles, des tor-
tues, etc., des pendants de nez ou d'oreilles, des plastrons, une sorte de hausse-
col à décors incisés en forme d'étoiles, un ornement en forme de bucion,
d'autres de nature indécise ayant l'aspect de fleurs épanouies, des épingles
de mantes, enfin une grosse aiguille percée d'un chas. Ils rappellent généra-
lement par leur physionomie les objets dessinés autrefois par le Dr Posada-
Aranbo et dont un certain nombre figurent sur la planche IV du premier
volume des Mémoires de la Société d'Anthrojxjlogie (2e série, 1873). Leur lieu
d'origine, que M. B. Reber ne me donne point, serait ainsi la vallée de la
Cauca, et plus particulièrement l'État d'Antioquia.
11 est désirable que cette belle collection ne soit pas fondue, comme tant
d'autres collections colombiennes, dont la grande valeur métallique a décou-
ragé les conservateurs des musées d'ethnographie des deux mondes.
E. H.

Édition anglaise des voyages de Cari Lumholtz en Australie.

La maison John Murray, de Londres, annonce la prochaine publication du


récit des voyages de M. Cari Lumholtz en Australie. Il y sera particulièrement
question des aborigènes cannibales du Queenslam], au milieu desquels l'ex-
plorateur norvégien a vécu. L'ouvrage sera accompagné de cartes, de planches
coloriées et de plus de cent gravures, d'après les clichés de M. Lumholtz.
Cette édition des voyages de notre ami sera donc plus complète et encore
mieux illustrée que celle qu'a publiée la maison Hachette. S. R.
NOUVELLES ET CORRESPONDANCE. 15 5

Découvertes mycéniennes dans le Fayoum.


UAshmolean Muséum, d'Oxford, dont le directeur est M. Arthur J. Evans, a
reçu récemment plusieurs antiquités provenant des fouilles de M. Flinders
Pétrie dans le Eafyoum, entre autres le contenu d'une tombe de la xvnie dy-
nastie, dans laquelle des objets égyptiens étaient associés à des poteries du
style de Mycènes. S. R.

Inscriptions de Tlénisséï.
On annonce la publication d'un volume in-folio, contenant 8 photogra-
phies et 50 pages de texte, sous le titre : Inscriptions de VIenisseï, recueillies et
publiées par la Société finlandaise d'archéologie. (Helsingfors, imprimerie de la So-
ciété de littérature finnoise, 1889). Ce volume est le résultat de recherches
exécutées depuis 1887 dans la vallée de l'iénisséï; on y trouve la reproduction
d'inscriptions encore indéchiffrables, gravées sur de grands blocs de pierre,
qui ont été signalées pour la première fois en 1730 par Strahlenberg. L'al-
phabet de ces textes comprend environ40 lettres, dont plusieurs rappellent les
caractères archaïques de l'alphabet grec. Quelques-unes des sculptures parais-
sent représenter des scènes de chasse; d'autres sont des figureshumaines d'as-
pect bizarre ou seulement des têtes. M. G. Stephens, qui annonce la publication
de ce volume à l'Academy, espère qu'il se trouvera des savants, en Angleterre
et ailleurs, pour tenter le déchiffrement des mystérieuses inscriptions de
1 Ienisseï. S. R.

Aryens primitifs.
M. 0. Schrader vient de publier, à Iéna, une seconde édition de son livre
bien connu : Sprachvcrgleichung und Urgeschichte (comparaison des langues et
histoire primitive). Il y traite en détail de tous les problèmes que soulèvent
la condition matérielle des Aryens primitifs et le centre de dispersion de leurs
langues. M. Schrader pense que ce point doit être cherché dans les grands
steppes de la Russie méridionale et combat la théorie Scandinave de
M. Penka. S. R.

Huitième Congrès archéologique de Moscou.


Le Congrès s'ouvrira le20 (8, calendrier russe) janvier en souvenir des vingt-
cinq ans de la fondation de la Société archéologique impériale de Moscou. Cette
Société est présidée par la veuve de son fondateur, Mme la comtesse Ou-
waroff, présidente du comité d'organisation du Congrès. Ce Comité comprend
cinquante membres délégués des principales académies et institutions scien-
tifiques de l'Empire. Cette liste donne une idée de l'importance exception-
nelle que la Russie savante attache à ce congrès, non pas seulement pour
faire avancer la science, mais aussi pour rendre un éclatant hommage à la
mémoire d'Ouwaroff.
Le Congrès, sous la présidence honoraire de S. A. I. le Grand-Duc Serge
Alexandrowitch durera quinze jours. Il se divise en neuf sections: 1° anti-
quités préhistoriques, 2° antiquités historico-géographiques et ethnographi-
156 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

ques ; 3° moeurs domestiques, juridiques et publiques en Russie; 4° monu-


ments de la langue et des lettres slavo-russes; o° antiquités orientales et
païennes, etc. Le programme imprimé donne les titres des très nombreuses
communications annoncées ; ils n'occupent pas moins de cinq grandes pages.
Les noms des auteurs et les sujets choisis sont un sur garant du grand intérêt
qu'offriront les travaux et la discussion.
Le Comité des missions a pensé qu'il n'était pas possible de laisser passer
un tel événement sans répondre à la gracieuse invitation du Comité. Sur la
proposition de l'un de ses principaux membres, M. A. de Quatrefages, MM. le
baron de Baye et Emile Cartailhac ont été désignés au choix du ministre et
délégués par le Ministère au Congrès.
Les lecteurs de l'Anthropologie sont ainsi assurés de lire dans une pro-
chaine livraison un compte rendu détaillé des séances et des expositions spé-
ciales qui ont été préparées pour cette occasion.
Inutile de faire observer quelle lumière les découvertes faites en Russie
doivent projeter sur l'anthropologie et l'archéologie générales. L'étendue et
la situation des territoires interrogés avec tant de soin, de science, d'activité
par nos collègues de l'Europe orientale et du nord de l'Asie autorisent les plus
grandes espérances.
E. C.

Association pour l'enseignement des sciences anthropologiques


(Ancienne École d'anthropologie.)

Suppression de la chaire de M. Topinard.


Le 18 décembre dernier, les auditeurs et élèves se rendant au cours d'an-
thropologie générale de M. le Dr Topinard trouvaient portes closes. Le cours
ne devait pas avoir lieu, l'Association en ayant décidé la suppression.
Cette suppression est le dernier incident d'une lutte scientifique déjà
longue où M. Topinard a défendu comme il le devait les traditions et fondations
de son maître Broca.
Etant lui-même un des directeurs de cette revue, M. Topinard ne croirait
pas convenable d'y insister sur les faits auxquels nous venons de faire allusion.
On en trouvera l'exposé dans un travail spécial qui sera publié ulté-
rieurement.
E. C.

Élection à l'Académie des inscriptions et belles-lettres.


Dans la séance du 24 janvier, M. le docteur Hamy a été élu académicien
libre, en remplacement de M. le général Faidherbe.

Pour la Direction :
Le Directeur chargé de cette livraison, Le Gérant : G. MASSON.

EMILE CARTAILHAC.

Paris. - Typ. Georges Chamerot, 19, rue des Saints-Pères. — 2D27G.


(SEINE-ET-OISE)

PAR

LE Dr R. VERNEAU

Dans l'hiver1888-89, M. Braut, serrurier aux Mureaux, canton


de Meulan (Seine-et-Oise), avait résolu de planter des arbres frui-
tiers dans un terrain qu'il possède à côté de sa maison. En pratiquant
les excavations nécessaires, il rencontra, à 70 centimètres environ
de la superficie, une résistance qui l'empêcha de creuser plus pro-
fondément. Pensant qu'il s'agissait de quelque bloc isolé, il se mit
en devoir d'ouvrir un autre trou à une petite distance ; il trouva le
même obstacle. Après avoir répété sa tentative sur plusieurs points,
il s'arma d'une barre de fer pour opérer des sondages. S'étant dirigé
vers le nord, il put, dans un endroit, enfoncer sa sonde facilement.
Désireux de reconnaître la nature de l'obstacle qui l'avait arrêté
dans son travail, il creusa un grand trou qui lui permit de voir une
énorme pierre posée verticalement et surmontée d'une autre dalle
horizontale.
La pierre verticale n'avait pas une forme parfaitement rectan-
.
gulaire : un de ses angles supérieurs manquait, laissant une lacune
triangulaire qui avait été bouchée par une autre pierre plus petite.
C'est à cette circonstance que M. Braut dut de pouvoir pénétrer à
l'intérieur du monument dont il va être question, les dimensions
de la petite dalle lui ayant permis de la faire basculer dans l'espèce
de puits qu'il avait ouvert.
Telle est l'histoire de la découverte de l'allée couverte des Mu-
reaux. Elle était alors presque entièrement remplie de terre et le
L'ANTHROPOLOGIE. I. 11
— T.
158 R. VERNE AU.

propriétaire voulut enlever tout ce que les infiltrations y avaient


introduit. Il ne tarda pas à rencontrer des ossements humains,
quelques objets en pierre et en os, qui appelèrent vivement son
attention. À quelque temps de là, il fit part de sa trouvaille à
M. Raoul Rosières qui, à son tour, en avisa MM. HamyetCartailhac.
Ces deux anthropologistes avaient décidé de se rendre sur les lieux
et de pratiquer des fouilles, si faire se pouvait. Mais ils avaient
compté sans l'Exposition et le Congrès international d'anthropo-
logie et d'archéologie préhistoriques; absorbés par leurs travaux,
ils n'eurent pas le loisir de mettre leur projet à exécution. Aussi,
au mois de septembre dernier, M. le Dr Hamy me pria-t-il d'aller
fouiller la sépulture, pour le compte du laboratoire d'anthropologie
du Muséum.
Malheureusement, M. Braut avait repris ses travaux de déblaie-
ment. L'étrange monument que le hasard lui avait fait découvrir
l'intriguait et il voulait en savoir les dimensions; il sortit la
terre qui le gênait et remua celle qu'il laissait à l'intérieur. Bien
des objets furent brisés; les ossements humains, notamment,
n'échappèrent qu'en petit nombre à la destruction, dans la partie
qui fut fouillée de la sorte. Cependant, quelques instruments, un
crâne et plusieurs voûtes crâniennes avaient été recueillis par
M. Braut qui me les offrit gracieusement.
Lors de mon arrivée, tout le voisinage de l'ouverture par
laquelle on pouvait pénétrer dans l'allée couverte avait été bou-
leversée jusqu'au sol. Plus loin, sur une longueur de 4 à 5 mètres,
la terre n'avait été remuée que superficiellement; au delà, le
monument était encore rempli jusqu'au faîte et on pouvait espérer
y rencontrer quelques pièces intéressantes. Les résultats de mes
recherches ont dépassé les espérances que j'avais pu concevoir dès
l'abord.
Je ne saurais entreprendre la description de la sépulture et des
objets que j'y ai récoltés sans adresser au préalable de chaleureux
remerciements à M. Braut. Non content de m'offrir les pièces
auxquelles je viens de faire allusion, il s'est empressé de m'accorder
l'autorisation de fouiller à mon aise, et cela sans autre intention
que d'être utile à la science, car il s'est absolument refusé à recevoir
toute rémunération. Il serait à souhaiter qu'on rencontrât toujours,
dans des cas analogues, le même bon vouloir et la même complai-
sance. Si quelque archéologue eût été informé à temps de la
découverte, ce n'est pas de la part du propriétaire qu'il eût ren-
contré des obstacles pour fouiller méthodiquement la sépulture, et
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX. 159

il y eût certainement fait d'intéressantes trouvailles. Je dois, d'ail-


leurs, me déclarer assez satisfait des miennes, et je ne pouvais
entrer en matière sans exprimer ma gratitude à celui à qui je suis
redevable d'avoir pu mener ma mission à bonne fin.

I. LE MONUMENT.

Situation. — L'allée couverte des Mureaux est située à l'ouest


du village, entre la ligne du chemin de fer de l'Ouest et la Seine,
sur la rive gauche de ce fleuve, à moins d'un kilomètre de ses bords.
L'aspect dé~ la région est presque plat de ce côté et cette plaine qui,
au nord, descend en pente douce jusqu'au fleuve, s'étend au loin
dans toutes les directions. L'uniformité du sol ne saurait être
attribué à de grands remaniements qui auraient eu pour but de
niveler la contrée, et c'est à peine si on signale quelques remblais
à. une certaine distance du monument mégalithique, dans la direc-
tion de l'est.
J'insiste sur ces détails, car ils conduisent à admettre que
l'allée couverte, enfouie aujourd'hui sous une épaisseur de terre
qui atteint 70 centimètres, a été de tout temps souterraine. Il suffi-
rait presque, pour en avoir la conviction, de se rappeler la guerre
qui a été faite, à toutes les époques, aux constructions de ce genre.
Les chercheurs de trésors et les conciles catholiques n'ont guère
laissé de sépultures mégalithiques, exposées à la vue, dans l'état
de conservation que présentait l'édifice dont il s'agit. La couche
de terre qui la recouvrait Ta dérobée aux regards et c'est à cette
circonstance qu'elle a dû de ne pas être profanée.
Orientation. — La sépulture est orientée du sud-est au nord-
ouest; l'entrée en est située au sud-est. C'est, en effet, par le fond que
M. Braut a pénétré à l'intérieur et bien que, par suite de circon-
stances dont je vais dire deux mots, il ne m'ait pas été possible de
poursuivre mes fouilles jusqu'à l'entrée, il ne saurait y avoir de
doute à cet égard. La pierre que M. Braut a fait basculer pour avoir
accès dans le monument était placée dans un des angles supérieurs
de l'un des petits côtés ; elle avait été placée là uniquement pour
compléter la paroi qui se trouvait présenter une baie par suite de la
forme tronquée de la dalle qui formait le fond ; elle était enclavée
entre les autres dalles de telle façon qu'il eût été fort difficile de
la déplacer chaque fois qu'on aurait eu besoin d'ouvrir la chambre
pour y déposer de nouveaux cadavres. La fermeture était hermé-
tique de ce côté et les terres qui avaient glissé à l'intérieur ne pré-
160 R. VERNEAU.

sentaient pas le degré d'humidité de celles qui obstruaient l'entrée.


A l'extrémité opposée à celle par laquelle les fouilles ont été com-
mencées, j'ai trouvé les traces d'un vaste foyer (voy. fig. 2), tandis
que rien de semblable n'a été observé du côté que je considère
comme le fond. Or, on sait que des foyers de ce genre ont été bien
souvent rencontrés près de l'entrée des monuments mégalithiques;
l'homme de l'époque les allumait pour renouveler l'air des
chambres sépulcrales avant d'y pénétrer pour y déposer ses morts.
L'absence de foyer vers le nord-ouest, son existence, au contraire,
vers le sud-est doit encore faire croire que c'est bien de ce côté que
se trouve l'entrée de l'allée couverte. Enfin, à l'extrémité opposée
à celle par laquelle je suis entré, le sol de la sépulture commence à
s'élever légèrement; c'est là, sans doute, que se terminait la rampe
qui donnait accès dans la chambre sépulcrale.
Toutes ces raisons concordent pour faire placer l'entrée clans la
direction que j'ai indiquée. J'ai été forcé d'insister sur ce point,
parce qu'il ne m'a pas été permis de poursuivre mes fouilles jus-
qu'au bout, ainsi que je viens de le dire. Le terrain où se trouve la
plus grande partie de l'allée couverte appartenait bien à M. Braut;
mais elle se prolongeait au delà et je n'étais pas autorisé à pour-
suivre mes recherches de ce côté. Il sera facile, d'ailleurs, de véri-
fier la chose, M. Braut s'étant rendu acquéreur du champ voisin.
Dimensions. —Lalongueur de la partie fouillée est de 9 mètres;
à l'endroit où je me suis arrêté se trouvait un mur en pierres sèches.
Le monument se prolongeant au delà, d'après ce que vient de m'ap-
prendre le propriétaire, le mur séparait deux chambres, ainsi qu'on
l'a déjà constaté dans plusieurs allées couvertes. La largeur varie
un peu selon le point où on la mesure : au fond, elle est de lm,85 ; vers
le milieu de lm,95 ; plus en avant, de 2m,10. Elle diminue ensuite
pour tomber à lm,60 et augmente de nouveau au delà, atteignant
2m,05 à l'endroit où s'élevait le petit mur dont je viens de parler
(Fig. 2).
Ces différences
_ tiennent à ce que les dalles verticales sont mal
alignées. Du côté de l'ouest, les trois dernières sont disposées régu-
lièrement, mais les deux suivantes chevauchent l'une sur l'autre
(voy. fig. 1 et 2). La paroi opposée est plus régulière; pourtant la
troisième et la septième dalles font une saillie notable à l'intérieur.
Les dimensions transversales des dalles verticales, prises à
0m,50 au-dessus du sol, varient, à l'ouest, de 0m,90 à 2m,10, et, à
l'est, de 0m,30 à lm,7o. De chaque côté la plus grande pierre est
placée à l'extrémité de l'allée.
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FIG. 1 et 2. — Coupe verticale et plan de l'allée couverte des Mureaux. {F, foyer ; ss, silex ; pp. poteries ; oo, objets en os). os
162 R. VERNEAU

Le fond est formé par une dalle unique. J'ai dit que cette dalle
était tronquée en haut dans l'angle situé au nord-est, j'ai ajouté
que l'ouverture résultant de cette cassure pouvait livrer passage à
un homme et qu'elle avait été bouchée par une petite dalle solide-
ment enclavée entre les autres.
La hauteur est un peu plus grande vers le fond (lm,60) qu'en
avant (lm,55). Déjà, avant d'arriver au mur en pierres sèches, le
sol commence à s'élever en pente très douce.
La chambre sépulcrale est couverte par cinq dalles dont la plus
petite mesure lm,20 de largeur et la plus grande 2m,10.
Je ne dirai rien des procédés mis en oeuvre pour élever cette
a.lée couverte si merveillement conservée; je ne pourrais que ré-
péter ce qu'on trouve dans tous les ouvrages. Je ne saurais, cepen-
dant, terminer sa description sans remarquer que la roche qui a servi
à sa construction ne se rencontre pas dans le voisinage immédiat;
elle n'existe même pas, dans toute la région, sur la rive gauche
delà Seine. En revanche, elle se trouve à quelques kilomètres de là,
dans le coteau qui longe l'autre rive. Il faut donc admettre que les
hommes néolithiques ont transporté leurs dalles sur des radeaux,
pour leur faire traverser le fleuve, et qu'ils les ont ensuite traînées
sur des rouleaux jusqu'à l'endroit où ils ont élevé le monument.
Le fait n'a rien qui doive surprendre, lorsqu'on songe au chemin
immense qu'ils ont parfois fait parcourir à des blocs beaucoup plus
volumineux.
Disposition intérieure. — Au moment de sa découverte, elle
était entièrement remplie de cadavres. Je ne saurais évaluer d'une
façon sûre le nombre des sujets qui y ont été déposés, mais j'estime
que dans cette chambre de 18 mètres de superficie, on n'avait pas
inhumé moins de 60 morts.
La couche inférieure de cadavres n'avait pas été placée direc-
tement sur le sol;de petites dalles d'environ 30 centimètres de dia-
mètre et 8 à 10 centimètres d'épaisseur, offrant des formes irrégu-
lières, formaient un pavage continu. Dans plusieurs points, j'ai
constaté qu'on avait séparé diverses couches de morts par des
dalles semblables à celles qui recouvraient le sol, mais de dimen-
sions un peu plus grandes.
Un fait qui a fortement appelé mon attention et qui n'a pas
encore été signalé, que je sache, dans des sépultures de ce genre,
c'est que les enfants occupaient un emplacement spécial (voy.
fig. 2). Sur une longueur de plusieurs mètres, le long delà paroi
nord-est, je n'ai rencontré que des squelettes d'enfants de tout
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX. 103

â°e. En revanche, dans le reste de la chambre, il n'y avait que des


squelettes d'adultes.
Les cadavres n'affectaient aucune orientation constante; les
uns avaient la tête dirigée vers l'entrée, les autres vers le fond,,
d'autres encore étaient placés obliquement sur les premiers. Je
n'en ai rencontré aucun qui fût couché directement en travers de
la crypte. Ce qui était évident, c'est que tous ces morts avaient été
déposés là entiers. Les os avaient conservé leurs connexions ana-
tomiques et lorsque j'ai constaté quelques exceptions, c'était tou-
jours la tête qui n'était pas en place. D'ailleurs, elle se trouvait
toujours à proximité, généralement à un peu plus de profondeur. Il
est facile, à mon avis, d'expliquer ce fait : lorsque, par la suite de
la putréfaction, les os se sont trouvés isolés, la tête par sa forme et
son poids a du rouler quand elle n'en a pas été empêchée par les
os d'un autre sujet.
M. Cartailhac pense, avec quelques autres auteurs, que les
dolmens et les allées couvertes étaient des sépultures définitives,
destinées à recevoir les restes des morts qu'on avait laissés se
décharner ailleurs. Sans nier qu'il ait pu en être parfois ainsi, je
nié crois autorisé à affirmer que cette règle n'était pas constante.
Il m'est, en effet, impossible d'admettre que les hommes de l'époque
de la pierre polie aient eu la patience et les connaissances anato-
miques nécessaires pour remettre en place tous les os d'un sujet
dont le cadavre se serait décharné dans une sépulture provisoire.
D'autres allées couvertes, méthodiquement fouillées, ont fourni,
sur ce point, les mêmes indications que celles des Mureaux. Il me
suffira de rappeler que celle de Montigny-1'Engrain, si soigneuse-
ment explorée par M. Vauvillé, lui a montré une série de sque-
lettes dont les os avaient également conservé leurs connexions
anatomiques et qui étaient disposés symétriquement autour du
centre de la sépulture.
J'ai signalé, en avant de la partie fouillée, un foyer qui arrivait
jusque sous le petit mur en pierres sèches (voy. fig. 2) fermant
cette chambre postérieure. Il est bien probable qu'il a servi à pro-
duire une ventilation, dans le but de désinfecter la nécropole,
avant d'y introduire de nouveaux cadavres. Mais pourtant je ne
puis omettre de signaler la présence, dans ce foyer, d'ossements
de mammifères, les
uns en partie brûlés, les autres n'ayant pas
subi l'action du feu. Serait-ce qu'on aurait fait là quelque repas
funéraire? Je me borne à signaler le fait et à poser la question sans
vouloir la résoudre.
104 R. VERNEAU.

une époque postérieure, lorsque le fond de l'allée couverte


A
fut rempli de cadavres, de nouveaux corps furent déposés sur
l'emplacement de l'ancien foyer. Des dalles un peu plus grandes
que celles qui recouvraient le sol du reste de l'allée couverte, for-
maient un pavage au-dessus des cendres. Rien ne permet de sup-
poser que ces pierres aient été chauffées avant d'y déposer les
restes humains, comme on l'a observé dans quelques sépultures
néolithiques.

II. LE MOBILIER FUNÉRAIRE.

Le mobilier funéraire répandu dans toute la crypte était assez


riche. Malgré les travaux exécutés avant mon arrivée, j'ai pu
recueillir un bon nombre d'objets, dont voici la liste :
1° Instruments en silex.
6 haches polies ;
2 grandes pointes finement retouchées;
3 trancheLs ou flèches à tranchant transversal;
2 pointes du type du Moustier;
2 racloirs du type du Moustier et de Saint-Acheul.
Une grande quantité d'éclats dont la plupart ont dû être utilisés.

2° Objets en terre cuite.

3 vases à pâte très grossière;


1 vase à pâte fine.
De nombreux tessons, les uns décorés, les autres sans décors, ont été
recueillis dans toute la sépulture.
3° Objets en os.

12 poinçons;
1 bois de cerf travaillé.

4° Objets de parure.
2 perles en silex;
1 pendeloque en schiste ;

1 pendeloque en schiste en forme de croissant;


2 coquilles marines perforées;
1 plaquette d'os taillée sur les faces et sur le pourtour.

Instruments en silex. — Il me paraît superflu de décrire les haches


polies; elles ressemblent à la plupart de celles qui ont été trouvées
dans la vallée de la Seine. Assez plates, elles se terminent, à l'extré-
mité opposée au tranchant, par un bout très obtus. Une seule
L ALLEE COUVERTE DES MUREAUX. 165

hachette, fortement roulée, se termine en pointe. J'en ai récolté


une qui avait été brisée à chacune de ses extrémités.
Les deux grandes pointes sont deux fort belles lames en silex
du Grand-Pressigny ; elles mesurent, l'une 174 millimètres de lon-
gueur (fig. 3), l'autre 170 millimètres. Une de leurs faces présente

FlG. 4. FIG. 3. FIG. 5.


Fig. 3. — Pointe en silex du Graud-Pressigny (2/3, gr. nat.).
Fig. 4 et 5 — Raeloir et pointe de forme archaïque (gr. nat.).
.

une multitude de petites retouches qui s'observent principalement


sur les deux bords latéraux et à la pointe, et qui n'ont pu être
obtenues que par pression. L'extrémité opposée à la pointe, le
talon, n'a pas été retaillée. La nature de la roche nous montre
une
fois de plus l'exportation qui
se faisait alors du silex au Grand-
Pressigny, si apte à fournir des James de grandes dimensions.
166 R. VERNEAU.

Les tranchets ou flèches à tranchant transversal sont d'un silex


beaucoup plus translucide. Finement retaillés sur les bords, ils
offrent un biseau obtenu par l'enlèvement d'un seul éclat. L'un
d'eux (fig. 6) a le tranchant légèrement concave.
A. côté de ces instruments si typiques, on trouve clés objets
d'une facture beaucoup plus archaïque. Tels sont le racloir et la
pointe que représentent les figures 4 et S. Les deux racloirs que
je possède sont des éclats assez épais retaillés sur un de leurs bords
seulement. Il en a été rencontré un autre, en ma présence, plus
large et plus mince, retouché en même temps sur le bord et sur
une partie de sa face supérieure. Les pointes du type du Moustier
ont été trouvées en certain nombre. Généralement leur face supé-
rieure n'a été que fort peu retouchée; celle représentée ci-dessus
ne montre que quelques éclats enlevés. Le plan
de frappe et le conchoïde de percussion sont des
plus manifestes.
Qu'il me soit permis, en passant, de m'élever
encore une fois contre des idées malheureuse-

...
ment trop répandues. Quelques archéologues
continuent à prétendre que la forme seule d'un
instrument suffit pour en déterminer l'âge. Eh
bien, dans cette sépulture néolithique, les racloirs
i
,...,.
Trancliet ou
FIG. 6. —Trancliet '
flèche à tranchant et quelques pointes sont entièrement identiques

transversal en silex
(gr. nat.). aux objets similaires des
, premiers
. temps quater-
naires. Avec plusieurs chercheurs, j'ai déjà cité
des exemples de ce fait, et aujourd'hui les découvertes analogues
sont assez nombreuses pour qu'il ne soit plus permis de conserver
le moindre doute. A toutes les époques, certaines formes d'armes
et d'outils ont été employées, et s'il est vrai que ces formes aient été
plus abondantes à telle ou telle période, il est non moins certain
qu'elles peuvent se rencontrer à des époques séparées par un laps
considérable d'années.
Poterie*. — Les poteries de l'allée couverte des Mureaux sont
intéressantes. Trois des vases présentent cette forme si commune
dans la vallée de la Seine. Celui que représente la figure 8 mesure
22 centimètres et demi de hauteur sur 16 centimètres de largeur
à la panse; les deux autres mesurent respectivement 12 centimètres
et demi sur 12 (fig. 7) et 12 centimètres sur 41. La pâte en est très
grossière, mal cuite, remplie de petits fragments; la surface a con-
servé l'empreinte des doigts de l'ouvrier.
Il n'en est pas de même de l'autre vase (fig. 9). D'une pâte
L'ALLEE COUVERTE DES MUREAUX. 4 67

fine, assez solide, il offre une forme presque symétrique et la super-


ficie en a été polie à l'aide de quelque lissoir en pierre, en os ou

FlG. 7. FIG. 8. FIG. 9.


FIG. 7, 8 et 9. — Vases en terre cuite (I/o gr. nat.).

en bois; ses dimensions atteignent en hauteur 8b millimètres et


120 millimètres en largeur. Ce vase est bien de la même époque

FIG. 10,11, 12 et 13. — Fragments de poteries décorées.

que les autres; j'en ai trouvé moi-même les fragments à l'endroit


où M. JBraut avait cessé de fouiller et ils étaient solidement
em-
168 R. VERNEAU.

pâtés dans la terre. Malheureusement un coup de pioche en avait


déjà enlevé des morceaux.
Sur les fragments de poteries ornées, on remarque des décors
de plusieurs natures. C'est d'abord la bande d'argile appliquée sur
le vase et portant de distance en distance l'empreinte de la pulpe
d'un doigt (fig. 12). Viennent ensuite deux décors analogues : l'un
consiste en séries de points disposés en lignes parallèles qui con-
tournaient le vase (fig. 11); l'autre montre des lignes en creux
affectant la même disposition (fig. 10). Enfin une dernière orne-
mentation est constituée par de petits creux circulaires, d'un dia-
mètre à peu près égal, contournant le vase au niveau de sa partie
la plus renflée (fig. 13).
Objets en os. — Rien à dire des poinçons en os, si ce n'est qu'il

FIG. 14. — Bois de cerf travaillé (1/2 gr. nat.).

y en a de toutes les tailles. L'usure ne permet guère de reconnaître


les espèces animales d'où ils ont été tirés.
Le bois de cerf travaillé est un singulier objet. Poli soigneuse-
ment sur toute sa surface, il offre, près de son extrémité la plus
large, une sorte de collerette légèrement en relief (fig. 14). Dans
cette partie ont été pratiqués deux trous circulaires de diamètres
inégaux, qui traversent l'objet de part en part. Un troisième trou,
de 25 millimètres de profondeur, part de la base et se dirige dans
le sens de la longueur.
Que pouvait bien être ce bois? Etait-ce une pendeloque? Mais
alors on ne s'expliquerait pas la présence des deux trous perpen-
diculaires à l'axe, un seul permettant de le suspendre, et on com-
prendrait encore bien moins la cavité creusée dans le sens de la
longueur de l'objet. Etait-ce une arme, un outil destiné à être em-
manché à l'extrémité d'un bois? Les trous servaient-ils l'un à re-
cevoir l'extrémité appointie du manche, et les autres à introduire
des ligatures pour l'assujettir sur son emmanchure? Je laisse à
d'autres le soin de répondre ou de proposer une explication plus
plausible.
Parures. — Sur les sept objets de parure que j'ai rapportés,
l'un, le hausse-col en schiste (fig. 15), avait été recueilli- par
L ALLEE COUVERTE DES MUREAUX. 169

M. Braut qui me l'a offert. C'est encore une de ces pièces si com-
munes dans les stations néolithiques de la vallée de la Seine. La
plaquette d'os que j'ai mentionnée dans ma liste offre une forme
irrégulièrement elliptique; elle mesure, dans son plus grand dia-
mètre, 47 millimètres et 21 millimètres en travers, dans sa partie la
plus large. D'une épaisseur uniforme, elle porte des traces dépo-
lissage sur ses deux faces ; le pourtour en est soigneusement poli.
A.mon sens, il faut y voir une pendeloque qui n'aurait pas été ter-
minée : il lui manquerait son trou de suspension. Je F ai trouvée
sur la poitrine d'un sujet adulte.
170 R. VERNEAU.

lus, Lin.). La première est percée de deux trous; la seconde n'en


porte qu'un seul qui a été obtenu en usant la partie convexe de la
coquille par le frottement. Ces deux espèces ne proviennent pas
des couches fossilifères de la région; elles sont encore actuelle-
ment vivantes et témoignent de relations commerciales entre les
tribus de la vallée de la Seine et celles qui habitaient le littoral de
la mer.

Pour compléter la liste des objets industriels que j'ai rapportés


des Mureaux, il me faudrait parler d'une fort belle lame en bronze
que m'a offerte M. Braut. Mais les conditions clans lesquelles elle
a été rencontrée ne peuvent laisser supposer qu'elle soit contem-
poraine des pièces que je viens de décrire. Ce n'est pas même lui
qui l'a recueillie de ses propres mains; c'est son enfant qui prétend
l'avoir trouvée au sommet d'un tas de terre remuée par son père,
à l'intérieur de l'allée couverte. Je dois déclarer que j'ai passé au
crible la presque totalité de la terre ainsi amoncelée; que j'ai gratté
avec la pointe d'un bâton tous les mètres cubes de matériaux que
j'ai retires du monument et que je n'ai pas constaté la moindre
trace de bronze.
La présence de la lame s'explique facilement. Dans tout le
jardin de M. Braut se trouvent des ruines gallo-romaines et il
vient même, m'écrit-il, d^en découvrir de fort bien conservées.
Il suffit de remuer quelques mètres cubes de terre pour avoir la
presque certitude de rencontrer des objets de cette époque. M. Braut
m'a offert une fort jolie petite lampe gallo-romaine en bronze
qu'il avait découverte à côté de l'allée couverte. Si la lame dont
je viens de parler se trouvait réellement dans la sépulture avant
son ouverture, elle a dû y pénétrer à une époque relativement
récente, entraînée avec les terres à travers quelque interstice. Mais
la position qu'elle occupait, en admettant le dire de l'enfant, doit
plutôt faire croire qu'elle a été ramassée dans le voisinage et jetée
là par l'ouverture qui m'a livré passage.
Quoi qu'il en soit, les caractères de cette lame ne permettent pas
de la faire remonter au premier âge du bronze; le travail en est
trop soigné pour qu'elle soit ancienne. D'un autre côté, l'absence
de tout autre vestige de ce métal à l'intérieur de la crypte, l'indus-
trie si typique qu'elle renfermait et dont il vient d'être question, ne
sauraient permettre d'hésiter : la sépulture date bien de l'époque
de la pierre polie pure.
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX. 171

III. LES OSSEMENTS HUMAINS.

J'ai dit que la chambre sépulcrale que j'ai fouillée contenait un


nombre de squelettes qu'on peut évaluer à 60 au minimum, et
que les os avaient conservé leurs connexions an atomiques. Pour-
tant, il ne m'a été possible, malgré toutes les précautions que j'ai
prises, de recueillir aucun squelette entier, ni même beaucoup d'os
intacts. C'est que les terres qui avaient pénétré dans l'allée cou-
verte, soit par l'entrée, soit par les interstices des dalles, étaient con-
sidérablement tassées. En outre, si la partie qui avait été remuée
avant mon arrivée était relativement sèche, il n'en était plus de
même pour celle que j'ai fouillée. Là régnait une humidité qui
avait profondément altéré les os et lorsque, avec grand soin, j'avais
dégagé les membres d'un sujet, ou bien je trouvais les extrémités
des os détruites, ou bien ils s'émiettaient entre mes mains. Enfin,
l'enchevêtrement des squelettes écrasés les uns sur les autres
rendait la chose encore plus difficile. Mes récoltes ont été cepen-
dant fructueuses et j'ai pu réunir des ossements en assez bon état.
En voici la liste :

7 têtes d'adultes avec leurs faces ; 9 radius ;


2 têtes d'enfants ; 3 bassins;
6 voûtes crâniennes; 2 os iliaques isolés;
1 face complète avec le frontal; 3 sacrums isolés;
_

8 maxillaires inférieurs ; 19 fémurs;


li clavicules; 22 tibias ;
2 omoplates ; 5 péronés;
18 humérus; 1 crâne portant 4 trépanations ;
8 cubitus ; 3 fragments de crânes trépanés.

C'est à l'aide de ces documents que nous allons étudier les


caractères physiques des hommes néolithiques des Mureaux.
Taille.
— La taille de la population, prise en masse, atteignait
en moyenne lm,63. On serait donc tenté, au premier abord, de la
considérer comme de taille relativement petite et pourtant nous
allons voir qu'il n'en est rien. C'est à des résultats de ce genre qu'on
arrive à l'aide des moyennes, lorsqu'on ne prend pas soin d'établir
des séries raisonnées.
Essayons, avant tout, d'isoler les sexes. Déjà nous remarque-
rons que la taille des hommes atteint en moyenne lm,70 et celle
de femmes lm,55. Mais
ces chiffres résultent d'extrêmes très éloi-
gnés :. pour les premiers, le minimum est de lm,61 et le maximum
172 R. VERNEAU.

de lm,82; pour les secondes, la plus petite taille arrive à peine à


lm,50 et deux femmes atteignent lm,67. Il faut donc établir d'autres
subdivisions.
En répartissant tous nos sujets en quatre groupes, nous trou-
vons, dans chacun d'eux, la proportion suivante d'individus :
Hommes. Femmes.
Individus au-dessus de im,70. .
47,37 0,00
— de lm,65 à lm,70. 36,84 11,76
de lm,60 à lm,6o 15,79 0,00
au-dessous de lm,60 0,00 88,24
100 » 100 »

Ce tableau en dit plus que de longues dissertations. La popu-


lation néolithique des Mureaux qui, prise en masse, semblait d'une
taille au-dessous de la moyenne, renferme47,37 pour 100, c'est-à-
dire près de la moitié, d'hommes de plus de lm,70; 36,84 pour
100 ont de lm,65 à 1^,70. En réunissant ces deux nombres, nous
trouvons, parmi les hommes, une proportion de 84,21 pour 100
d'individus dépassant la moyenne générale des races humaines.Les
sujets au-dessous de lm,65 ne représentaient guère que le septième
de la population masculine.
Les femmes étaient de petite taille ; un peu plus du dixième
dépassait lm,65. Ce fait n'a pas lieu de nous surprendre, car on le
rencontre chez un très grand nombre de populations où les diffé-
rences sexuelles se manifestent avec autant de netteté. Remar-
quons, d'ailleurs, que les plus grandes femmes arrivaient à dépas-
ser les plus petits hommes, ce qui est la règle partout.
Caractères céphaliques. —- En ne tenant compte que de la
taille, nous constatons déjà une diversité très grande entre les
individus ; l'étude des crânes va nous faire reconnaître des types au
moins aussi divers.
Laissons décote, pour le moment, les deux crânes d'enfants et
une voûte, brisée un peu au-dessous du lambda, qui ne permet pas
de prendre le vrai diamètre antéro-postérieur. Au point de vue de
l'indice céphalique horizontal, les douze autres crânes se décompo-
sent de la façon suivante :
Hommes. Femmes.
Dolichocéphales vrais
Sous-dolichocéphale
Mésalicéphales.
Brachycéphale vrai
........... 5
1

2
3

9 3
L'ALLÉE COUVERTE DES MURE1UX. 113

A lui seul, ce caractère dénote, chez les hommes, un mélange


de races. Je dois faire remarquer que les extrêmes sont séparés
par une distance considérable. Le plus dolichocéphale donne un
indice de 68,29 ; chez lehrachycéphale, l'indice s'élève à 89,76.
En revanche, les trois femmes présentent une remarquable
uniformité: leurs indices céphaliques n'oscillent qu'entre 70,95
et 73,16.
Si on voulait attacher à l'indice oéphalique horizontal une im-
portance capitale, on ne manquerait pas de dire que deux races se
sont trouvées en présence : l'une, franchement dolichocéphale, qui
avait la prépondérance numérique ; l'autre, très brachycéphale,
qui n'était représentée que par un petit nombre d'individus.
On expliquerait par le mélange des deux la présence des types
intermédiaires, qui ne seraient que des métis. On comprendrait
aussi que les femmes étant toutes dolichocéphales et les hommes.
ayant, pour la plupart, de crâne allongé, les individus issus du
croisement eussent parfois le crâne moyen, mais que les sous-
dolichocéphales fussent les plus nombreux. Ces conclusions se-
raient vraies dans leurs grandes lignes et cependant nous allons
voir qu'il faut pousser plus loin l'analyse. Cet examen détaillé va
nous permettre de reconnaître plus de deux types ethniques.
Prenons les dolichocéphales vrais et étudions leurs autres
caractères. Je n'ai pu malheureusement mesurer que sur un petit
nombre le diamètre vertical basilo-bregmatique, la base étant le
plus souvent brisée. Pourtant j'ai pu calculer l'indice transverso-
vertical sur trois hommes et sur les femmes. Or, voici ce que m'a
.
donné ce caractère. Un crâne masculin très dolichocéphale (ind.
=
horiz. 72,13) m'a fourni un indice transverso-vertical de 95,45,
mésosème, par conséquent; un second atteint 100,70 et devient
hypsicéphale; enfin, le troisième, quoique mégasème, reste à 97,14,
c'est-à-dire qu'il tient le milieu entre les deux premiers. Ce der-
nier crâne est celui dont l'indice horizontal descend si bas
(6.8,29).
Les femmes, tout en fournissantdes indices transverso-verticaux
mégasèmes, offrent quelque chose d'analogue : chez les unes, l'indice
reste au-dessous de 100 ; chez l'autre, au contraire, il atteint 104,32.
Mais celle qui arrive à
ce chiffre n'est pas, comme nous venons de
le voir chez les hommes, celle dont l'indice horizontal est le plus
élevé : c'est la femme qui,
par sa dolichocéphalie, tient le milieu
entre les deux autres.
Ainsi, les dolichocéphales des Mureaux avaient le crâne tantôt
L'ANTHROPOLOGIE.
—: T. I. 12
174 R. VERNEAU.

modérément haut, tantôt, au contraire, d'une élévation tout à fait


exagérée.
«
Poursuivons l'examen de nos têtes dolichocéphales. Toutes
présentent un beau front, non seulement fort développé d'avant en
arrière, comme le crâne lui-même, mais encore bien développé
dans le sens transversal. Chez les hommes, le diamètre frontal
minimum varie de 98 millimètres à 100 millimètres, sauf chez un
où il ne mesure que 93; chez les femmes, il m'a donné une fois
99 millimètres et une autre fois il est descendu à 91. Or, dans les
deux sexes, les individus qui restent sensiblement au-dessous des
autres sont les hypsicéphales. Chose bien digne de remarque, ce
sont eux, au contraire, qui offrent les diamètres transverses maxi-
mum les plus considérables. On ne peut donc dire que ce soit l'ac-
croissement de la hauteur qui ait diminué la largeur du crâne d'une
façon générale, puisque cette diminution ne porte qu'en avant.
Chez les hypsicéphales des deux sexes, la courbe parié-
tale est sensiblement moins longue que chez les autres, tandis
que, chez l'homme au moins, la courbe occipitale s'allonge nota-
blement en se prolongeant en bas. C'est donc au prolongement de
l'occipital vers la partie inférieure et par suite à la saillie de la
base du crâne qu'est dû le grand développement du diamètre ver-
tical dans ce type, et non pas à une surélévation de la voûte.
Ce que j'ai dit de la direction de l'occipital, qui se prolonge en
bas sur les têtes à grand diamètre vertical, explique que, vue de
profil, la courbe antéro-postérieure paraisse plus courte que sur
les autres, quoiqu'il n'en soit rien en réalité. Le diamètre maxi-
mum se trouve reporté plus bas et il en résulte un aspect spécial
qui trompe l'oeil.
Chez les deux femmes qui n'offrent pas l'hysicéphalie, on ob-
serve un vaste méplat qui porte sur plus du tiers postérieur des
pariétaux et sur une petite portion de l'occipital.
Tous les crânes dont il vient d'être question doivent leur doli-
chocéphalie à l'allongement de la région pariétale.
Malheureusement, la face n'existe que sur sept de nos sujets
adultes et encore n'est-elle pas en place sur plusieurs d'entre eux.
Elle ne pourra donc pas nous fournir d'indications utiles pour dis-
tinguer les deux types dolichocéphales que j'ai essayé d'isoler.
Ce qu'il est seulement permis de dire, c'est que l'indice facial est
mésosème chez un homme, mégasème chez un autre et chez les trois
femmes. Un homme et une femme sont microsèmes parles orbites,
les autres mégasèmes. Enfin, deux hommes sont leptorhiniens,
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX.

tandis que la femme qui offre le plus grand développement vertical


de la tête donne un indice nasal de 53,33.
Homme's et femmes des deux sous-types dolichocéphales ont le
maxillaire inférieur étroit, court, à branches montantes fortement
inclinées en arrière. Le menton, petit, triangulaire, est fortement
projeté en avant.
En somme, les caractères faciaux montrent que le type doli-
chocéphale du dolmen des Mureaux n'était pas homogène. La face
élevée et relativement étroite était en harmonie avec le crâne, sauf
chez un individu du sexe masculin qui offrait en même temps des
orbites extrêmement bas (largeur, 40; hauteur, 28 millimètres).
Le nez était généralement étroit, quoique une femme nous eût
montré un nez plutôt large.
Au milieu de ces individus dolichocéphales, deux sous-types se
dégagent assez nettement. Le premier avait un grand diamètre
vertical de la tête, par suite de l'abaissement de la base de l'occipi-
tal; son crâne, bien développé en largeur au niveau du point où
tombe le diamètre transverse maximum, se rétrécit, au contraire,
d'une façon notable en avant, au niveau du diamètre frontal mini-
mum. Sa courbe pariétale est un peu courte d'avant en arrière,
tandis que la courbe occipitale s'exagère.
Le deuxième sous-type, au contraire, nous montre une tête
moins haute, légèrement rétrécie en arrière et, en revanche, très
développée en avant dans le sens transversal. Le front et les parié-
taux sont allongés, tandis que la région occipitale est raccourcie.
On peut en conclure que si les deux variétés ont eu une origine
commune, ce qui n'a rien d'invraisemblable étant donnés les points
de contact qu'elles offrent au fond, l'une d'elles a dû se métisser
avant d'arriver à l'endroit où j'ai rencontré ses restes.

Dans les lignes qui précèdent, j'ai laissé intentionnellement de


côté une voûte crânienne franchement dolichocéphale qui présente
des caractères exceptionnels que je regarderais volontiers comme
individuels. En arrière, elle est développée normalement ; mais dans
toute la région qui s'étend au devant du plan auriculo-bregmatique,
elle montre une petitesse des plus remarquables. Le diamètrefrontal
maximum n'est que de 109 millimètres et le frontal minimum des-
cend à 86 millimètres. Cette étroitesse n'est pas compensée par la
longueur du front dans le sens antéro-postérieur; la courbe frontale
cérébrale ne mesure que' 83 millimètres et la totale 112. On voit
que la région sous-cérébrale du front n'est pas moins développée
176 R. VERNEAU.

que la partie postérieure de la tête, puisqu'elle


atteint 29 millimè-
tres. Il s'agit donc d'un individu dont les lobes frontaux du cerveau
ont été arrêtés dans leur développement. Ce résultat n'est pas dû
à une ossification des sutures antérieures, car elles sont très lar-
gement ouvertes, en même temps que très simples.
A part cet individu, tous ceux dont je viens de parler n'offrent
qu'une faible saillie des arcades surcilières et de la glabelle. Il n'en
est pas de même de deux autres types dont il me faut dire quelques
mots.

L'un d'eux n'est représenté que par une face complète, sur-
montée d'un frontal également entier. L'indice facial s'élève à
76 environ; le nez est étroit (indice nasal, 46,15); les orbites bas
donnent un indice de 82,08. Le front est en même temps court et
un peu étroit. Mais, ce qui caractérise surtout cette face, ce sont
ses arcades surcilières fort saillantes de chaque côté d'une glabelle
elle-même très proéminente. Cette saillie des arcades ne se pro-
longe guère en dehors et elle disparaît à peu près totalement dans
la moitié externe. Il y a donc là un type qui se différencie bien net-
tement, par les traits de sa face, des dolichocéphales dont il a été
question.

Un autre type, plus remarquable encore, va nous être fourni


par une pièce réduite au frontal, aux deux pariétaux, au temporal
droit et à un tout petit fragment de l'occipital, trop réduit pour
qu'on puisse mesurer son diamètre antéro-postérieur; c'est à elle
que j'ai fait allusion plus haut. Telle qu'elle est, la voûte donne un
indice horizontal de 78,72; mais si on ajoutait à la longueur ce
qui manque à l'occipital, on arriverait à un indice vraisemblable-
ment dolichocéphale.
Lorsqu'on regarde cette pièce de profil, on est frappé par
l'énorme saillie des arcades surcilières à laquelle fait suite, sur le
frontal, une dépression qui s'étend assez loin. La courbe s'élève
ensuite brusquement, s'infléchit de nouveau vers le tiers supérieur
du frontal et se prolonge régulièrement jusqu'au tiers postérieur
des pariétaux. A ce niveau on observe un autre méplat assez ac-
cusé, sans qu'on puisse le comparer à celui qu'on voit sur les crânes
du type de Cro-Magnon. A en juger par ce qui reste de la partie
postérieure, l'occipital devait se renfler assez notablement.
Si on examine la tête par le haut, on voit qu'elle s'étale quelque
peu et s'aplatit sur les côtés. La norrna verticalis montre une forme
L ALLEE COUVERTE DES MUREÀUX. 177

FIG. 16 FIG. 17

FIG. 18 FIG. 19

FIG. 20 FIG. 21
FIG. 16 à 21. —^Norma verticalis, profil et vue de face d'un crâne dolichocéphale
et d'un crâne brachycéphale (1/4 gr. nat.). .
Hj R. VERNEAU.

pentagonale assez modérément accentuée toutefois, les bosses


pariétales ne se détachant pas nettement.
De face, les arcades surcilières sont énormes et se continuent
jusqu'aux apophyses orbitaires externes. Elles diffèrent donc com-
plètement de celles que nous a montrées le type précédent et rap-
pellent au contraire les saillies surcilières de la tête du Néanderthal.
Cette exagération de la saillie des arcades estmoins dueàunépais-
sissement des os qu'à une dilatation considérable des sinus fron-
taux.
A l'intérieur, la voûte offre des sillons vasculaires accusés d'une
façon exceptionnelle. Je n'attache pas à ce caractère l'importance
qu'y ont attribuée d'autres anthropologistes.il semble qu'il n'y ait
là qu'un trait individuel et nullement un caractère ethnique.
En résumé, la voûte que je viens de décrire se distingue très
nettement des deux sous-types de dolichocéphales que j'ai décrits
ci-dessus; elle se différencie avec non moins de netteté du type
dont je viens de faire connaître succinctement les caractères faciaux
et du type brachycéphale qu'il me reste à décrire. Elle ne saurait
donc être rattachée ni à l'un ni à l'autre des groupes ethniques
auxquels appartiennent les individus dont j'ai trouvé les restes dans
la même sépulture. Elle offre, au contraire, des rapports avec le
crâne grossier de Borrcby, mais elle en diffère par la forme de ses
arcades surcilières, par son diamètre antéro-postérieur sensible-
ment plus long, et par l'aspect de la voûte en arrière et sur les
côtés. Par ces particularités elle rappelle involoncairement à l'es-
prit le crâne de Néanderthal. Je ne saurais mieux rendre ma pen-
sée qu'en disant que la tête des Mureaux est un crâne néander-
thaloïde qui aurait été légèrement raccourci par suite d'une
surélévation de la partie moyenne de la voûte.

Le type brachycéphale de l'allée couverte des Mureaux est re-


présenté par un beau crâne auquel il ne manque guère qu'une
petite portion de la base. Son indice céphalique horizontal s'élève,
je l'ai dit, à 89,76. Le raccourcissement notable de sa courbe antéro-
postérieure est due principalement à la brièveté des pariétaux et
de l'occipital. Le front est lui-même plus court que chez les doli-
chocéphales, mais il est moins réduit relativement que la région
postérieure de la tête.
Cette diminution des diamètres longitudinaux du crâne n'est
pas compensée par un développement proportionnel de ses diamè-
tres transverses qui surpassent à peine ceux que nous ont fournis
L'ALLÉE COUVERTE DES MU1OEAUX. 179

les dolichocéphales. Autant qu'on peut en juger en l'absence de


base, elle n'était pas compensée non plus par un grand développe-
ment vertical. Aussi, la capacité crânienne devait-elle être sensi-
blement inférieure à celle des deux premiers types dont il a été
question.
La courbe antéro-postérieure se développe régulièrement jus-
qu'au quart postérieur des pariétaux et n'est interrompue que par
une forte saillie des bosses frontales et par une légère dépression
en arrière de la suture coronale. La voûte paraît légèrement sur-
baissée dans son ensemble. En arrière, la courbe tombe verticale-
ment jusqu'à l'inion, qui se trouve placé extrêmement bas; l'écaillé
de l'occipital fait à peine un léger ressaut.
La norma verticalis montre la même régularité dans toute la
région antérieure et moyenne de la tête; les bosses pariétales sont
à peine indiquées. En arrière le crâne devient plagiocéphale et tout
en bas, la protubérance occipitale externe vient se loger entre deux
saillies arrondies formées par les fosses cérébelleuses.
=
La face est large et peu élevée (indice 64,23), le nez moyen,
les orbites bas, très larges (indice =r 69,77), et sensiblement rec-
tangulaires. Le bas de la face ne se rétrécit point : le maxillaire
supérieur mesure encore 67 millimètres au niveau des alvéoles.
Le maxillaire inférieur est beaucoup plus robuste que dans le
type dolichocéphale. Le menton, encore plus étroit, est moins pro-
jeté en avant. Les angles, bien indiqués, se déjettent un peu en
dehors. Enfin, la branche montante est beaucoup plus verticale que
dans l'autre type, ce qui est la conséquence du raccourcissement
général du crâne et de la face.

Je crois inutile de parler des types intermédiaires; ils ne nous


apprendraient rien de particulier sur les éléments ethniques qui se
sont donné rendez-vous dans la vallée de la Seine à l'époque de la
pierre polie. Ils nous montreraient tout au plus que tous ces types
vivaient en bonne intelligence à l'époqueoù a été construite l'allée
couverte des Mureaux, et que des alliances s'effectuaient entre
eux, alliances que mettent en évidence les métis auxquels je fais
allusion.
Je ne saurais, non plus, décrire les crânes de jeunes enfants
qui ne nous apporteraient aucune indication utile au point de vue
ethnologique. Je me bornerai à signaler, en passant, sur l'un d'eux,
un très bel os de Bertin qui est venu combler la fontanelle anté-
rieure.
180 R. VERNE AU.

J'ai laissé de côté un grand nombre de mensurations et de détails


que j'ai considérés comme n'ayant qu'un intérêt assez restreint.
Il m'aurait fallu pour faire une étude détaillée de toutes les pièces
que j'ai recueillies, donner à cette note des dimensions que ne com-
porte pas un simple article de revue. Je préfère m'en tenir à ce que
j'ai dit et mettre le lecteur en état de suppléer à l'insuffisance de
ma description en résumant dans un tableau les principales mesures
que m'ont fournies le crâne et la face des individus que j'ai ren-
contrés. Il me saura gré, sans doute, de ne pas entrer dans des
développements techniques qui occupent beaucoup de place et sou-
vent n'amènent à aucune conclusion. (Voir le tableau, p. 181.)

Os isolés. — Je me suis proposé, dans cette note, non pas de


donner une description détaillée des restes humains, mais bien
d'appeler l'attention sur quelques caractères qui démontrent l'exis-
tence de types ethniques divers. Aussi passerai-je très rapidement
sur les ossements isolés.
Tous ces os, quelle que soit leur taille, sont tantôt très robustes,
tantôt d'une force moyenne, tantôt enfin d'une gracilité très grande.
Ce qui frappe surtout, c'est de rencontrer quelques os de peu de
longueur, qui dénotent une vigueur remarquable. Ce type d'osse-
ments trapus et robustes est pourtant assez rare et c'est là un fait
qui mérite, il me semble, d'être signalé. Nous avons vu que les
brachycéphales ne formaient qu'une faible minorité ; nous trouvons
que les os peu développés en longueur en même temps que robustes
ne sont aussi qu'en nombre minime. Serait-il téméraire de rappro-
cher les deux faits et d'en conclure que les hommes à crâne court
étaient de petite taille, mais robustes?
Si nous examinions les fémurs et les tibias, nous verrions que
les premiers peuvent être arrondis à la partie supérieure de la dia-
physe ou, au contraire, aplatis; que parfois, il y a des vestiges
assez marqués du troisième trochanter, tandis qu'il n'y en a pas de
traces dans d'autres cas; nous observerions que le tibia est tantôt
platycnémique et que tantôt il possède ses trois faces habituelles
bien marquées. En un mot, nous trouverions, à quelque point de
vue que nous nous placions, les preuves des mélanges sur lesquels
j'ai suffisamment insisté en traitant de la taille et des caractères
céphaliques.
Je ne parlerai du bassin que pour dire qu'il présente chez l'homme
un fort beau développement marginal, tandis que chez la femme
les ailes iliaques sont sensiblement réduites. D'ailleurs, les exem-
CRANE. HOMMES. FEMMES.

SAntéro-postérieur maximum.
Transverse maximum
bitemporal
... 205
140
131
183
132
186
135
190
142
132
183
137
130
197
148
185
145
138?
186
148
166
149
140
188?
148
189
134
123
192
139
128
190
139
— biauriculaire » » » » »
— 110 119 >> 126 117 » 132 » 126 » 117 103
bimastoïdien 93? 110 98 112? 104 108 86

— frontal maximum
minimum. ... 124
100
»
109
86
»
116
98
115
93
120
99
»
115
95
120
95
127
95
»
123
98
»
129
103
114
99
116
91



occipit.
*
maximum .
Vertical basilo-bregmatique
t0tale
.... .
«
136
556
»
126
510
»
»
524
114
143
534
»
»
53f)
»
»
545
»
n
526
110
523
»
108?
»
501
»
130
510
107?
145
532
135
HnnVmitalfi ( préauriculaire. ...
Transverse \ * totale
sus-auriculaire . . .
288
444
326
232
410
284
»
»
»
235
442
305
245
448
316
»
»
»
245
462
314
»
>.
»
232
453
314
225
4 18
292
251
438
322
f
m
RVnntnl* cérébrale 120 83 114 11L 108 121 107 121 103 113 105 124
.Trouvai» | totale U7 112 134 13l lgi 142 12g j3g 122 UQ 124 143
n
Pariétale 142 138 » 130 131 121 134 122 116 130 135 131 o
Occipitale 118 120 » 127 » 144 » 110 94 » 127 126
g j Longueur = 100. Largeur 68,29 72,13 72,58 71,74 74,86 75,13 78,38 79,58 89,76 » 70,95 72,40 73,16
~ ( Largeur = 100. Hauteur 97,14 95,45 » 100,70 » » » » » » 97,01 104,32 97,06

FACE.
Biorbitaire externe 105 100 107 101 108 106 103 108 113 103 93
g
§ -s
/
J Interorbitaire 22 » 23 » 20 u
§2 ) Bizygomatique maximum 120?
»
130 141? 137 122? 111 104
S .s ( Bimaxillaire minimum 58 ? 58 61 67 61 57
g l Largeur 41 40 ». 43 37 36
3 I Hauteur 36 28 » 30 30? 32 a
= / ( supérieure 12 12 » 9 » 11
l Largeur des j minima. 16 9
) os nasaux ( » » » »
inférieure.. 18 17 « 23 » .. n
g \ Larg. max. de l'ouverture 23 22 » » 23 » 24
2 f Long. méd. des os nasaux 27 » » 46 » »
45
\ Long, totale du nez 50 47 » 18 «
i Sous-cérébrale du front 24 19 20 23 22 24
8S
,» 18
Intermaxillaire 25 18 » « 22
Totale de la face 97 87 89? 21 87? 82 82
— de la pommette 26 23 24 42 22 23
Orbito-alvéolaire 44 40 43 » » 39
Biangulaire » 101 80 87
si
( n »
„ ) Angulo-symphys « « 82 80 78 82
= •£ j Hauteur branche mont. » » 54 55 47 45
Jjj "5 ( symphyse » 33 » • 35 29 30
— 70,00 69,77 81,08? 88,89
( Orbitaire 87.80 »
| Nasal 46,00 46,81 50,00 53,33
1S
» «
( Facial 80,83? 66,92 » -54,23 71,31 73,87 78,85
182 R. VERNEAU.

plaires sont trop peu nombreux et leur état de conservation n'est


pas assez satisfaisant pour autoriser à tirer de leur examen des con-
clusions sérieuses.
Crânes trépanés. — Je ne puis arriver aux conclusions sans
décrire succinctement les cas de trépanation auxquels j'ai fait allu-
sion plus haut, en énumérant les restes humains que j'ai récoltés.
Au milieu des milliers de fragments provenant des pièces qui
avaient été brisées avant mon arrivée, j'ai recueilli trois morceaux
de crânes trépanés. J'ai rencontré, en outre, la plus grande partie
d'une voûte qui avait échappé à la destruction et qui porte quatre
ouvertures artificielles, faites à une époque ancienne.
Un des fragments est trop petit pour qu'on puisse affirmer qu'il
ne provient pas du même crâne que l'un des deux autres. La tré-
panation qu'il montre a été pratiquée par raclage et la surface très
oblique de la section est complètement cicatrisée. On voit encore
très nettement, dans le voisinage, les stries produites par l'instru-
ment en pierre qui a servi à l'opération. Ce qui reste du bord de
'ouverture mesure 35 millimètres de longueur et affecte la forme
d'une courbe convexe.
Le deuxième fragment est un morceau de pariétal gauche; c'est
l'angle postéro-externe de cet os. Il porte une surface trépanée à
section oblique, offrant une double courbe alternativement concave
et convexe. Les stries sont très apparentes, quoique, sur quelques
points, il semble s'être effectué un commencement de travail de
réparation. L'ouverture, oblique en bas et en arrière, se prolongeait
sur la portion écailleuse de l'occipital. Ce qui en reste mesure en-
core 7 centimètres de longueur et la trépanation avait certainement
une étendue bien plus considérable.
Le troisième fragment provient de la partie antérieure d'un
pariétal droit ; il porte la suture coronale et la ligne courbe tem-
porale. En haut, on remarque l'un des bords d'une grande ouver-
ture régulièrement elliptique, qui devait empiéter de l'autre côté
sur la suture sagittale (fig. 22). Les caractères de l'incision sont
les mêmes que sur la pièce précédente et les stries sont visibles sur
la surface sectionnée aussi bien qu'au pourtour.
Le crâne incomplet dont il a été question présente, vers le
tiers postérieur de la suture sagittale, une petite ouverture ellip-
tique de 30 millimètres sur 23 ; elle empiète surtout sur le pariétal
droit. Plus en arrière, une deuxième ouverture, qui devait mesurer
environ 55 millimètres sur 40, a fait disparaître l'angle postéro-
interne du pariétal droit et l'angle supérieur de l'écaillé de l'occi-
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX. 183

pital. Ces deux trépanations, à bords obliques, semblent avoir subi


une réparation partielle, quoiqu'il soit téméraire d'être affirmatif
à cet égard : une partie des lèvres de la plaie osseuse a, en effet,
été brisée à une époque relativement récente.
Sur le pariétal gauche de la même tête, on remarque, en avant,
une section circulaire à bords verticaux, dont il ne reste que le
sixième environ. A 15 millimètres en arrière, on voit une entaille
à bord légèrement oblique, qui mesure encore 45 millimètres de
long, mais qui faisait"partie d'une ouverture beaucoup plus grande.
Ces deux dernières ouvertures laissent voir les cellules du diploé
largement ouvertes.
184 R. VERNEAU.

ville l'a remarqué à Montigny-l'Engrain. Or, dans ce cas, le foyer,


aujourd'hui central, se trouvait primitivement à l'entrée même du
monument et un festin pouvait parfaitement avoir eu lieu dans cet
endroit, à la suite de quelque cérémonie funèbre.
Le mobilier funéraire, d'une grande richesse, nous a montré,
à côté des instruments caractéristiques de la vallée de la Seine,
quelques belles pièces qu'on n'y avait pas encore rencontrées. Les
débris de l'industrie de l'homme néolithique sont venus confirmer
tout ce qu'on a dit du trafic qui se faisait entre les populations de
cette époque : les tribus des Mureaux tiraient du Grand-Pressigny
le silex pour leurs belles lames, et des rivages de la mer les coquilles
pour leurs parures.
En dehors de ces faits déjà connus, l'allée couverte des Mureaux
nous a montré que, dans certains cas au moins, les enfants rece-
vaient la sépulture dans un endroit isolé. Elle nous a prouvé éga-
lement que les monuments mégalithiques n'étaient pas toujours
des ossuaires destinés à recevoir les restes de morts qu'on avait
déposés d'abord dans des sépultures temporaires où s'opérait la
décomposition des cadavres. Ce que j'ai dit de la position des sque-
lettes et des rapports que conservaient entre eux tous leurs os, ne
saurait, il me semble, laisser de doute à cet égard.
Enfin, nous avons pu constater une fois de plus que les races
formaient déjà un mélange qui paraît presque inextricable. Parmi
les individus de beaucoup les plus nombreux, nous avons trouvé
des hommes de grande taille, très dolichocéphales, qui offrent
entre eux quelques différences, notamment au point de vue de la
hauteur du crâne, de sa largeur relative en avant et en arrière, et
de la longueur de sa courbe pariétale. Pourtant, tous les individus
à crâne allongé présentent les uns avec les autres assez d'analogies
pour qu'on puisse leur attribuer une origine commune; les parti-
cularités que j'ai signalées chez plusieurs s'expliqueraient par
quelque métissage.
A côté de ce type, nous avons vu un petit nombre d'individus
de taille au-dessous de la moyenne, quoique très robustes. EU
même temps, nous avons rencontré quelques individus d'une bra-
chycéphalie bien accusée. Il nous faut donc admettre une race bra-
chycéphale, vigoureuse, tout en étant de petite taille.
Les deux groupes ci-dessus vivaient en bonne intelligence,
s'alliaient et donnaient naissance à des métis que nous avons
retrouvés.
Deux autres types ethniques comptaient encore des représen-
L'ALLÉE COUVERTE DES MUREAUX. 185

tants dans la vallée de la Seine à l'époque néolithique. L'un, repré-


senté par une face seulement et un frontal, ne permet guère d'en
déterminer avec précision les caractères. Cependant cette face dif-
fère trop des autres pour qu'on puisse la rattacher au même groupe.
Le dernier sujet rappelle à la fois le Néanderthal et le Borreby.
Sa voûte, plus surélevée au milieu que celle du premier de ces
crânes, est plus dolichocéphale que le second. Elle se rapproche
des deux par l'énorme saillie des arcades sourcilières qui se pro-
longent, presque sans s'atténuer, jusqu'aux apophyses orbitaires
externes.
Cette variété de types ethniques peut être, à mon sens, invoquée
comme une nouvelle preuve à l'appui des migrations néolithiques.
Comment s'expliquerait-on autrement la présence, sur un même
point, de populations si diverses, dont la plupart n'ont pas été
rencontrées aux époques antérieures, si on se refusait à admettre
l'origine exotique de ces types nouveaux? On ne saurait même
invoquer la théorie de l'autochtonisme, car si le milieu était
capable, par exemple, de donner naissance aux dolichocéphales,
les mêmes causes n'auraient pu produire un effet tout opposé ; elles
n'auraient pu faire apparaître des brachycéphales. En revanche,
l'hypothèse de grandes migrations humaines, au début de notre
époque géologique, rend compte de tous les faits. Ceux que je
viens de signaler fournissent un nouvel argument en sa faveur.
En terminant, qu'il me soit permis d'exprimer un voeu : c'est
de voir classer l'allée couverte des Mureaux parmi les monuments
historiques. Il serait vraiment regrettable pour la science qu'elle
vînt un jour à disparaître. La Commission des monuments méga-
lithiques voudra assurer la conservation de cette précieuse relique,
qui occupera certainement un rang honorable parmi les vieilles
nécropoles de nos ancêtres; en agissant ainsi, elle méritera la
reconnaissance de tous ceux qui s'intéressent au passé de notre
pays.

J'ai fait allusion, dans ce mémoire, à une lettre que m'a écrite récemment
M. Braut. Après m'avoir annoncé qu'il s'est rendu acquéreur du terrain con-
tigu au sien, il m'invite à continuer les fouilles que j'avais dû interrompre par
suite des circonstances que j'ai rapportées plus haut. Il me donne en même
temps quelques renseignements sur la partie de l'édifice située au delà du
petit mur en pierres sèches où il m'avait fallu interrompre mes recherches.
Le monument, me dit-il, semble se prolonger bien plus loin ; il a pratiqué
quelques sondages et a pu se convaincre qu'il restait encore une bonne Ion-
186 R. VERNEAU.

gueur à explorer. A l'intérieur, il a également fait quelques fouilles et recueilli


un crâne au delà de l'emplacement du mur que j'avais démoli. Il s'agit donc
très vraisemblablement d'une autre chambre sépulcrale, ainsi que je l'ai dit
plus haut. Ce fait n'a rien d'exceptionnel : il a été constaté à Montigny-PEn-
grain (Aisne), par M. Vauvillé, qui a cru reconnaître que les différentes
chambres avaient été construites à des époques successives. Dans la vallée de
la Seine, on a fait plus d'une observation analogue.
Il y aurait, par conséquent, un réel intérêt à reprendre les fouilles au point
où je les ai laissées. J'espère que les circonstances me permettront de conti-
nuer les recherches que j'ai commencées ; ce qui me mettrait en mesure de
compléter ce premier travail.
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS

PAR

M. GH. RABOT

La Laponie (1) est de toutes les régions circumpolaires celle qui


contient la population la plus nombreuse et la plus élevée en civi-
lisation. Tandis qu'au nord du cercle arctique l'Asie et l'Amérique
ne sont habitées que par quelques tribus errantes de pasteurs de
rennes et de chasseurs, plus de 400 000 Scandinaves Finnois et
Russes sont établis à côté des Lapons dans la Scandinavie septen-
trionale et dans le nord de la Finlande et de la Russie.
Cette population vit dans un milieu très spécial. Sauf sur la
côte de l'océan Glacial où le Gulf Stream fait sentir sa douce in-
fluence, la Laponie a un climat très rigoureux. La plus grande
partie de la Suède septentrionale, un coin de la Laponie norvé-
gienne, enfin tout le nord de la Finlande et de la Russie, sont enve-
loppés par l'isotherme de 0°, à l'intérieur duquel les isothermes de
— 1°, de — 2° et de — 3° dessinent des cercles concentriques comme
des courbes de niveau sur une carte topographique. Dans cette
région, l'hiver dure neuf mois, le printemps et l'automne six
semaines, l'été un mois et demi. Sur le lac Enara, en Finlande,
les glaces disparaissent seulement vers le milieu de juin et dès la
fin de septembre les rivières de la région sont gelées. Des froids de
— 40° y ont été observés.
Dans toute la Laponie, le sol est stérile. De hautes montagnes
pierreuses, nues et désolées, occupent la plus grande étendue de
la Norvège septentrionale, et une immense forêt, parsemée de
lacs, de tourbières, de marais, recouvre le nord de la Suède, de
la Finlande et de la Russie. Partout des pierres, des arbres ou des
nappes d'eau ; seulement, dans quelques vallées étroites ouvertes au

(1) Sous le nom de Laponie nous désignons les trois départements (Amt) septentrio-
naux de la Norvège, en Suède le Norbottenslan et le VestcrbottenslâQ, le Nord de la
Finlande, et en Russie la presqu'île de Kola, c'est-à-dire à peu près l'ensemble des
régions habitées par les Lapons.
188 CH. RABOT.

milieu des montagnes ou dans quelques clairières pratiquées à tra-


vers la forêt, le sol est propre à la culture. Dans ces conditions, la
population a dû demander des ressources à la pêche et à l'élevage
du bétail et du renne.
Des voyageurs ont déjà signalé la singularité du régime de ces
peuples du Nord et la curieuse nourriture à laquelle sont soumis
leurs animaux domestiques, transformés pour un temps chaque
année d'herbivores en carnivores ou en ichthyophages. Ces rensei-
gnements complétés par les observations faites pendant nos six
séjours en Laponie, nous les avons réunis en un chapitre sur l'ali-
mentation des indigènes de la Laponie que nous parcourrons en
parlant successivement des trois races établies dans le pays : les
Scandinaves, les Finnois et les Lapons.

Dans le nord de la Suède et de ]a Norvège, le poisson entre pour


une grande part dans l'alimentation des Scandinaves. Les espècesle
plus généralement consommées par les Norvégiens sont : le hareng,
le sebastes norvégiens, des hypoglosses et surtout des gades. Dans
la Laponie suédoise, les salmonidés des lacs forment en grande
partie la nourriture des colons. Une bonne part de ces poissons
sont mangés salés ou à l'état sec, la morue notamment. Le foie
de morue bouilli dans l'eau est un mets particulièrement recherché.
Avec le poisson le laitage forme presque toute la nourriture des
Scandinaves. Chaque jour, ils avalent plusieurs jattes de tjokmelk
(lait épais), lait caillé au moyen de Pinguicula vulgaris et une
grande quantité de beurre. D'après le DrBroch, aucun peuple, sauf
les Danois, ne fait une aussi grande consommation de beurre que
les Norvégiens. Pour chaque individu, elle peut être évaluée à \ 5 ou
20 kilogrammes par an (1).
Les Norvégiens mangent en outre beaucoup de fromage. Les
espèces particulières à ce pays sont le gammelost (vieux fromage),
dont le goût rappelle celui du roquefort et le mysost fait avec le
petit-lait restant de la fabrication du fromage ordinaire. Lemysosl,
très apprécié des enfants, a une saveur insipide, analogue à celle du
savon. Le meilleur est fait de lait de chèvre.
Avec le laitage et le poisson, l'aliment principal des Scandinaves

Dr O.-J. BROCH, le Royaume de Norvège et le Peuple norvégien. Tous les chiffres


(1)
donnés dans ce chapitre sur l'alimentation des Scandinaves sont empruntés à cet ouvrage.
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 139

est une bouillie de farine d'avoine, appelée grôd, analogue aux


qrouts des paysans bretons, dans laquelle on fait fondre du beurre
et que l'on mange avec du lait. En Norvège, d'après le Dr Broch,
chaque campagnard, homme, femme ou enfant, absorbe par an en-
viron 80 kilogrammes de farine de seigle sous cette forme. Même
dans les familles aisées de la Norvège septentrionale, la coutume
est de servir des gr'ôd au moins une fois par semaine au souper.
Comparativementà nos populations rurales, les paysans Scandinaves
ne consomment qu'une très petite quantité de pain. Ils ne mangent
guère que du flattbrod, pain fait d'un mélange de farine d'orge et
d'avoine, cuit sur une plaque de fer comme la galette de blé noir
en Bretagne. Ainsi que son nom l'indique, le flattbrod est très plat,
son épaisseur ne dépasse pas celle d'une feuille de gros papier, il
a la forme d'un disque et mesure un diamètre de 0m,60 à 0m,80.
Les Norvégiens mangent le flattbrod recouvert d'une couche de
beurre, souvent cinq fois plus épaisse que la galette elle-même.
En Suède, le pain national est le hnackebrod, galette de farine de
seigle, dure et cassante comme du biscuit de mer. Les Scandinaves
remplacent notre pain par des pommes de terre cuites à l'eau.
En moyenne, chaque Norvégien en consomme annuellement
200 kilogrammes.
Les paysans ne se nourrissent de viande fraîche que dans de
très rares occasions. Durant les six étés que nous avons parcouru
la Laponie, il nous en a été seulement offert quatre ou cinq fois.
Ce n'est guère qu'en hiver qu'ils en mangent soit sèche, soit salée.
A cette époque, le lard est un aliment assez répandu; en cette
saison, également, les indigènes achètent aux Lapons de la viande
de renne.
Les Scandinaves sont très peu végétariens. Dans le Nord, la
rigueur du climat empêche pour ainsi dire toute culture maraî-
chère, et, en fait de végétaux, les paysans ne mangent que quelques
plantes sauvages comestibles, telles que YAngelica archangelica et
YOxyria reniformis. Les seuls fruits qu'ils connaissent sont la
myrtille, l'airelle et les baies de YEmpelrum nigrum, du Rubiis
arcticus et du Rubus Chamasmoriis. Cette dernière baie est mangée
en quantité considérable; dans certains districts, arrosée d'un peu
de rhum, elle est employée
comme anti-scorbutique.
Le café estlaboisson la plus répanduedans toute la Scandinavie,
même chez les paysans. Dans la maison la plus pauvre et la plus
écartée, le voyageur est assuré de pouvoir s'enprocurer; c'est même
souvent le seul aliment que l'on ait à lui offrir. Les paysans scan-
L ANTHROPOLOGIE. 13
190 CH. RABOT.

dinaves font bouillir eau et marc ensemble, additionné d'un peu


de sel pour donner de la saveur au café, avant de le servir, ils y
trempent de la peau de poisson pour l'éclaircir. Encore un usage
autrefois pratiqué en France. Après la Hollande et la Belgique,
la Norvège est le pays qui consomme la plus grande quantité de
café.
Comme nous l'avons dit plus haut, l'élevage du bétail occupe la
première place dans l'économie domestique en Laponie. Pour
1 000 habitants, la Suède possède environ 482 bêtes à cornes et la
Norvège 559.
Dans le sud de la péninsule, où les pâturages sont très étendus,
l'alimentation de ces nombreux troupeaux est facile; mais, dans
la stérile et froide Laponie, la récolte de foin est insuffisante pour
nourrir le bétail pendant le long hiver. A cette disette de fourrages
les indigènes suppléent par des préparations composées principa-
lement de poisson. Durant près de trois mois, les herbivores domes-
tiques de la Norvège septentrionale deviennent ichthyophages.
A partir de mars, la provision de fourrages est généralement épuisée
en Finmark et jusqu'en juin, époque à laquelle les animaux peu-
vent aller aux pâturages, les indigènes nourrissent leurs bêtes à
cornes de tètes de poissons, principalement de morues préalable-
ment séchées à l'air et bouillies avec des algues ou du foin s'il en
reste (1). Ce mélange est connu sous le nom de Loping. Les herbi-
vores se sont parfaitement adaptés à cette nourriture ; ils la re-
cherchent même et, lorsqu'ils passent près des séchoirs de morue,
ils essaient toujours d'attraper quelque poisson, c'est pour eux un
régal. Hérodote cite d'ailleurs un exemple d'un pareil régime imposé
à des bestiaux. D'après l'historien grec, une peuplade de la Thrace
nourrissait ses chevaux et ses bêtes de somme de poissons d'eau
douce (2). Même dans une partie de la Norvège située à une lati-
tude plus méridionale que le Finmark, sur la côte occidentale du
côté de Bergen, les algues forment en hiver la nourriture du bétail.
Lorsque le sol est couvert de neige et la température suffisamment
douce pour que les animaux domestiques puissent sortir, les
bestiaux se dirigent à la marée descendante, vers la plage pour y
brouter les fucus (3). Ils recherchent surtout le Sphserococus crispus
et le Rhodymenia pahnata (4). Les moutons broutent avec avidité
(1) FRIIS, En Sommer i Finmarken, Russisk Lapland og Nordkarelen, p. 2.
(2) Histoires, liv. V, 16.
(3) SCHBUELER, Vcixtlivet i Norrje, p. 90.
(4) En Islande et aux Feroer, le Rhodymenia pahnata entre dans l'alimentation des
indigènes. (SCHUBELER, loc. cit.)
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 191

une variété de ce
dernier fucus et pour cette raison l'évêque
Gunnerus, dans sa Flore de Norvège, lui a donné le nom de Fucus
ovinus (1). Le Fucus nodosus, très abondant sur toute la côte de
Norvège jusqu'à Hammerfest, sert à la nourriture des porcs (2).
A Elvenses, dans le Sydvaranger (3), le magistrat du district
donne l'hiver à son troupeau, en guise de fourrages, de la viande
de baleine bouillie. À Vardô, sur les chantiers où sont dépecés
ces grands cétacés, nous avons vu
des moutons brouter les poils des
fanons et chercher quelque morceau comestible au milieu des
monceaux de graisse décomposée épars sur le sol.
Au centre de la Laponie, à Karasjok, les indigènes nourrissent
en hiver leurs chevaux avec des excréments humains et les bêtes
à cornes avec le crottin des chevaux (4). Dans la partie la plus sep-
tentrionale de la Laponie suédoise, au témoignage de Zetterstedt,
le crottin remplace également en hiver le foin dans l'alimentation
du bétail. Pendant cette saison, on lui donne également du lichen
de renne [Gladonia rangiferina), séché au soleil pendant l'été et
cuit ensuite dans l'eau.
Quel que soit le régime hivernal des vaches, poisson, viande
de baleine, crottin ou lichen de renne, leur lait a toujours un
excellent goût, et, d'après Zetterstedt, les vaches nourries avec du
crottin donneraient un lait particulièrement crémeux.

II
Après les Scandinaves les Finnois sont la race la plus nom-
breuse de la Laponie. Outre les territoires dépendant du grand-
duché de Finlande, ils occupent différentes parties de la Scandinavie.
Dans les départements du nord de ]a Norvège, une dizaine de mille
sont établis comme pêcheurs et colons, et en Suède, un fort contin-
gent de population émigrée de Finlande peuple certaines parties
duNorbottenslân. Dans ces deux derniers pays, les Finnois se nour-
rissent comme les populations au milieu desquelles ils vivent; le
régime si frugal des Scandinaves est pour eux l'abondance, comparé
à celui auquel ils ont été soumis dans leur patrie. En Finlande, la
vie de l'indigène est faite tout entière de souffrances et de priva-
tions ; la faim le presse souvent, et parfois encore des disettes dé-

fi) SCHUBELER, Vaxtlivet i Norqe, p. 90.


(2) Id., lac. cit.
(3) District le plus oriental du Finmark, limitrophe de la Laponie russe.
e ritorno atlraverso la Lap-
(4) SOMMIER, Prima ascensione invernale al Nord
capo
poniae la Finlandia. (Estratto dal Bolletino délia Società geografica Italiana, mai 1886.
192 CH. BABOT.

ciment la population. Aucune race d'Europe ne mène une exis-


tence aussi rude que les Finnois, et à cette dure école, ils ont
acquis les solides qualités qui en font un des peuples les plus
énergiques.
Dans la Laponie finlandaise, le poisson constitue en grande
partie l'alimentation des Finnois. Ses innombrables lacs, aussi rap-
prochés les uns des autres que les trous d'une écumoire, abondent
en corégones, truites, perches et brochets. Une partie de ces pois-
sons sont mangés frais, les autres séchés à l'air ou salés. Les indi-
gènes de cette partie de la Finlande absorbent encore une grande
quantité de lait caillé, mais ils ne mangent que rarement du beurre
et presque jamais de fromage (1). Dans toutes les maisons, où nous
avons séjourné dans le bassin du lac Enara, nous n'avons jamais
trouvé que du poisson, du lait et des pommes de terre ; de pain,
jamais. Dans cette région septentrionale les quelques carrés d'orge
ou d'avoine cultivés autour des habitations n'arrivent pas tous
les ans à maturité, et, lorsque la récolte manque ou qu'elle est
mauvaise, faute d'argent et de routes, les indigènes ne peuvent
suppléer à son insuffisance en allant acheter des céréales dans
les districts plus fortunés. Il faut alors se contenter du pain
d'écorce de pin sylvestre. De tous temps, ce pain {petâjàleipd en
finnois) a été fabriqué par les Finnois; il est cité dans le Kalevala,
cette curieuse épopée qui nous a conservé un tableau si minutieux
et si précis de la vie de la race finnoise aux premiers siècles.
D'autre part, les Perses de Xerxès connaissaient également cet ali-
ment. Au témoignage d'Hérodote (2), en battant en retraite à tra-
vers la Thessalie, l'armée du conquérant asiatique dépouilla de leur
écorce, pour s'en nourrir, tous les arbres fruitiers et sauvages.
Pour fabriquer le -petàjâleipà, l'écorce des jeunes pins est choisie
de préférence; en cas de nécessité, on prend celle du bouleau. On
pulvérise d'abord l'écorce, puis on la jetLe dans une jatte d'eau
contenant de la farine de seigle dans la proportion d'un tiers, et on
cuit ensuite. Quelquefois la farine d'écorce est remplacée par des
graines de Rumex acetosa dans la proportion d'un tiers contre deux
de seigle, ou bien encore par des racines de Calla palustris, de
la paille ou du lichen de renne (3). Tous les goûts sont dans la

Finlandi Nordiska Museel. Stockholm, 1881. Nous avons égalementfait


(1) RETZIUS,
de nombreux empreints à cet intéressant ouvrage.
(2)Livre VIII, 115.
(3)En temps de disette, les habitants du pays de Mezen (gouvernement d'Arkhan-
gcl) mangent un pain contenant de la paille hachée dans la proportion des deux tiers
ou des trois quarts de son poids. Très souvent ils font également du pain avec les
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 193

nature, la meilleure preuve c'est que les paysans finnois préfèrent


leur pain d'écorce au pain de seigle qu'ils trouvent fade et sans
goût(l).
Comme la farine, la viande est un mets de luxe en Finlande.
Les colons des bords de l'Enara n'ont guère l'occasion d'en
manger qu'en hiver et encore rarement, lorsque des Lapons pas-
teurs abattent quelques têtes de leur troupeau de rennes. De
temps en temps également, ils tuent des lagopèdes et de grands
tétras, très abondants dans toute la région; mais la chasse n'est
plus pour eux un moyen d'existence comme pour les anciens
Finnois.
Le seul légume de la Finlande septentrionale est la pomme de
terre; mais sa consommation est beaucoup plus restreinte qu'en
Norvège. En fait de fruits, les Finnois ne connaissent que les baies
sauvages. Leur boisson favorite est le café, également d'un usage
moinsfréquent qu'en Scandinavie, et le rapakalja, liquide rafraîchis-
sant, d'un goût très désagréable.
Voici, d'après le docteur Retzius (2), l'emploi de la journée d'un
Tavastlanclais pendant l'été. A deux heures du matin, réveil et
premier déjeuner (eine) composé de pain de seigle, quelquefois de
poisson salé et de lait aigre ou de rapakalja. Entre huit et neuf
heures,repos et second repas (aamiainen). Il comporte des aliments
chauds, soit des pommes de terre, soit une bouillie de farine, soit
une soupe de poisson avec des pommes de terre. Après cela, on
dort une heure, puis on se remet au travail. Vers deux heures,
dîner [murkina ou païvâllùien) avec du pain de seigle, du poisson
salé et du lait aigre. Le dimanche, le dîner est parfois augmenté
de quelque extra, un peu de beurre, du lait caillé, des baies et enfin
dans les grandes circonstances, mais bien rarement, d'un petit
morceau de viande salée. A la suite de ce nouveau repas, les
paysans dorment quelque temps, puis retournent au travail jus-
qu'à neuf ou dix heures du soir. Le souper (iltainen) se compose
de pain de seigle, de poisson salé, de
pommes de terre ou d'une
bouillie. L'hiver, l'alimentation est à peu près la même, mais la
durée delà journée de travail est moins longue. Le paysan ne se
lève plus alors qu'à six heures
pour se coucher au plus tard à sept
heures du soir. Cet ordinaire est celui du
paysan du Tavastland,

graines de deux espèces de crucifères (Erysimum cheiranlhoïdes et Thlaspi arvense).


SCHRENK, Reise nach de
m Nordosten des europai.scheii Russlands, etc., I, p. 97.)
(1) RETZIUS, loc. cit.,
p. 100.
&) M., loc. cit.,i>. 97.
194 CIL RABOT.

de la partie fertile de la Finlande, de celle où le bien-être est le


plus répandu; bien différent est le régime des paysans finnois en
Laponie ou en Carélie. A leurs repas ces malheureux n'ont pas le
choix entre plusieurs mets; du lait aigre, du pain d'écorce, voilà
toute leur nourriture, bien heureux s'ils peuvent se procurer les
deux à la fois et y ajouter du poisson salé.
Dans la Laponie finlandaise comme en Scandinavie, l'insuffi-
sance de la récolte de foin oblige les indigènes à nourrir l'hiver
leurs bêtes à cornes avec du lichen de renne préalablement séché
au soleil pendant l'été et cuit ensuite avec un peu de foin. Pendant
la mauvaise saison également, le bétail mange en outre de l'écorce
de pin. Dans ce pauvre pays, bêtes et gens sont réduits à la même
disette.

III
Les Lapons se divisent en trois classes d'après leur genre de
vie. Les uns sont pasteurs de rennes et nomades, les autres mènent
une existence sédentaire comme colons et pêcheurs sur les bords
de l'océan Glacial, et, entre ces deux divisions, se placent les Lapons
forestiers et pêcheurs delà Suède, qui forment la transition entre les
nomades et les sédentaires. L'alimentation de ces indigènes dépend
naturellement de leur état, et en l'étudiant nous devons suivre la
classification ethnographique.
Le Lapon nomade se nourrit presque exclusivement de la chair
et du lait de renne. Il ne mange guère cette viande que séchée à
l'air ou gelée; il déroge seulement à cette règle, lorsqu'il abat une
tête de son troupeau. Encore ne choisit-il pas pour ce repas les
morceaux de choix; le foie, les poumons, le coeur, les rognons et
les boyaux bouillis sont pour lui, ce jour-là, un régal. Pendant la
cuisson de ce ragoût, la ménagère recueille précieusement l'écume
qui se forme sur le bouillon afin de le servir à la famille.
En général, les Lapons ne boivent pas le sang des rennes
encore chaud, comme ont coutume de le faire certaines peuplades
circumpolaires pour se préserver du scorbut. Chez les Lapons de
Finlande seuls, cet usage a été observé. Dès que le renne a été
ouvert, le sang est soigneusement recueilli dans un sac en peau ;
puis, suivant la saison, on le fait sécher ou geler. Une fois qu'il a

(1) Pour l'alimentation des Lapons, nous avons fait de nombreux emprunts à l'ou-
vrage du baron VON DUBEV, Om Lappland och Lapparne 'oretriidesvis de Svenske.
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 195

atteint un état de dessiccation complète, on le pulvérise et on en


prépare une bouillie étendue d'eau. Le sang s'est-il coagulé dans
l'intérieur de l'animal abattu, on enlève le sérum et on le met de
suite à bouillir. Cette cuisson le transforme en une bouillie épaisse,
qui, de l'avis des indigènes, est un mets excellent.
Comme tous les peuples du Nord, le Lapon recherche particu-
lièrement les aliments gras. Un morceau de lard ou de saindoux
constitue pour lui un régal, aussi estime-t-il tout particulièrement
la langue du renne. Aucune partie de cet animal n'est perdu pour
lui. Les os, par exemple, il les fait bouillir avec la viande et en-
suite extraie leur moelle en les brisant avec des pierres.
Le lait de renne est épais et visqueux comme de la colle; seuls
des estomacs indigènes peuvent le digérer; encore les Lapons eux-
mêmes doivent-ils, pour le rendre buvable, le couper de moitié ou de
deux tiers d'eau. Ils n'en consomment du reste qu'une petite quan-
tité à l'état frais. Le produit presque intégral de la traite est con-
servée de diverses manières. Les Lapons font, par exemple, cailler
le lait de renne à l'aide de Pinguicula valgaris comme le tjokmelk
des Scandinaves. D'autres fois, ils le conservent mélangé à des
baies sauvages dans des sacs ou des barils. Enfin avec le lait de
renne ils préparent le jobmo. Voici, d'après Linné, la recette du
jobmo /pendant cinq à six heures, on fait cuire des feuilles d'oseille
sauvage (Rumex acetosa) dans une marmite remplie d'eau au tiers,
en remuant sans cesse le contenu avec une baguette; on les laisse
sur le feu jusqu'à ce qu'elles soient réduites en bouillie. On fait
ensuite refroidir et on ajoute du lait de renne. Le tout est conservé
dans des barils ou des sacs; quelque temps après, cette préparation
a une saveur aigrelette très agréable paraît-il. Souvent l'oseille est
remplacée par de l'angélique sauvage ou du Mulgedium alpinum.
Les Lapons ont encore deux autres procédés pour conserver le lait
de renne. Ils le laissent par exemple cailler, puis sécher dans des
barils enfouis en terre. Plus tard, lorsqu'ils veulent manger ce lait,
ils en ajoutent de fraîchement trait. D'autres fois à l'aide d'un
morceau de présure ils le font cailler dans un sac en toile à tra-
vers lequel le petit-lait peut filtrer. Une fois que le restant est
devenu dur et granuleux, on le conserve dans un sac en peau.
D'après Fjellner, le lait condensé par ce procédé peut se conserver
pendant vingt ou trente ans. Les Lapons font généralement geler
lé lait trait en automne ou au commencement de l'hiver. Lorsqu'ils
en ont besoin, ils cassent le glaçon et en ramollissent au feu les
fragments qu'ils mangent comme des sorbets.
196 CM. RABOT.

Enfin une partie du lait de renne est converti en fromage. Ce


fromage a une grande réputation dans tout le pays. Mangez-en un
morceau le matin, vous disent toujours les paysans norvégiens,
et vous n'aurez pas faim jusqu'au soir. La digestion de ce fromage
est, en effet, si difficile que vous ne pouvez de plusieurs heures
absorber aucune autre nourriture. Le fromage de renne est géné-
ralement la provision de route du Lapon nomade; au campement,
il n'en mange guère qu'en petites tranches trempées dans son café.
L'alimentation végétale du Lapon se compose de diverses
baies sauvages et de plusieurs plantes. Ils sont surtout friands du
fruit de la Rubus Chamoemorus et du Vacciniura uliginosum. Ainsi
qu'il a été dit plus haut, ils mangent avec du lait de renne l'angé-
lique sauvage, l'oseille et le Mulgedium alpinum. En parcourant les
montagnes, lorsqu'ils aperçoiventune tige d'angélique ou une touffe
d'oseille, ils s'empressent de la cueillir et la mangent incontinent.
L'oseille est également employée comme condiment dans la bouillie
de farine. En cas d'indisposition, les Lapons avalent un bouillon de
racines de genévrier.
Vivant tantôt au milieu de montagnes stériles, tantôt dans
d'immenses forêts, loin de toute région agricole, les Lapons pasteurs
se procurent difficilement de la farine et, menant toujours une vie
nomade, ils ne peuvent en emporter sur le dos de leurs rennes qu'une
petite quantité. Par suite, ils ne mangent que peu ou point de pain.
Quelquefois seulement la mère de famille boulange de petites ga-
lettes qu'elle fait cuire sur une pierre plate devant le feu de la Lente.
Les Lapons nomades n'emploient guère la farine qu'en bouillie.
Durant l'hiver, ces indigènes ajoutent aux produits de l'élevage
du renne ceux de la chasse. Les lagopèdes et les grands tétras sont
le principal gibier de la région. L'été, s'ils séjournent sur les bords
de lacs poissonneux, ils pèchent, quand les soins à donner à leur
troupeau n'occupent pas tout leur temps.
La boisson principale des Lapons pasteurs est le café après l'eau
de la source ou du ruisseau voisin de la tente. Ils consomment une
très grande quantité de cet excitant qu'ils ont en Norvège la répu-
tation de faire excellent. Généralement, ils ajoutent au café du lait
ou du fromage de renne. J'ai même vu un indigène y plonger un
morceau de lard.
Il va sans dire que les Lapons apprécient tout particulièrement
l'eau-de-vie, et que, lorsqu'ils en ont occasion, ils ne manquent
jamais de se livrer à de copieuses libations. Fort heureusement, les
sages mesures prises par les gouvernements Scandinaves et finlan-
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 197

dais empêchent les abus dans la mesure du possible. Sauf dans


quelques villes de la côte, partout la vente de F eau-de-vie est inter-
dite; aujourd'hui les Lapons nomades ne peuvent se procurer de
spiritueux que lorsqu'ils viennent sur le littoral ou quelquefois par
l'entremise de marchands peu scrupuleux.
Le renne ne fournit pas seulement au Lapon pasteur la nourri-
ture; il lui donne encore le vêtement et la matière première d'une
partie de ses ustensiles de ménage. Avec sa peau ces indigènes
industrieux confectionnent leur garde-robe, avec ses os des cuillers,
des métiers, des manches de couteaux, etc. Le Lapon a dû par
suite régler sa vie sur celle de cet animal si précieux pour lui, et
c'est pour assurer sa nourriture qu'il se déplace continuellement au
milieu des solitudes de la Scandinavie septentrionale.
L'alimentation du renne varie suivant les saisons. L'hiver, cet
animal se nourrit surtout de Cladonia rangiferina. Ce cryptogame
couvre d'immenses espaces dans les régions forestières de la Suède,
de la Finlande et de la Russie septentrionale et c'est son abondance
dans ces pays qui détermine les Lapons pasteurs de la Scan-
dinavie à hiverner en Suède. Sous la neige qui recouvre le sol et
qui est généralement tombée avant que la terre ne soit gelée, la
Cladonia veste fraîche et tendre tout l'hiver. Tant que la couche de
neige est mince et n'a pas été durcie par des froids rigoureux, le
renne avec ses sabots réussit à mettre le lichen à découvert en
grattant le sol. Lorsqu'elle devient épaisse, le Lapon abat les arbres
couverts de Cladonia pour empêcher son troupeau de mourir de faim.
Une fois l'été arrivé, lorsque le soleil a desséché le lichen, le
renne n'en veut plus et recherche les graminées ; pour lui procurer
cette nourriture les pasteurs s'acheminent alors vers les mon-
tagnes. Cet animal est surtout friand des graminées loi squ elles sor-
tent à peine de terre; plus tard, alors ces plantes se sont dévelop-
pées, il ne mange plus que la partie supérieure de leur tige et de
leurs feuilles. D'après M. Haukland (1), la nourriture estivale du
renne se compose d'oseille sauvage [Rumex acetosa), d'angélique
{Angelica archangelica), de Mulgediam alpinum, iï Alchemilla
vidgaris et de Géranium sylvestre, de feuilles de différents saules,
.à'Oxalis acetosella, d'Oxyra digyna, de plusieurs espèces de véro-
nique, à?Astragalus alpinus, de Phaca lapponica, de Laihyrus pra-
tensis, de Vicia Cracca, à'Aira flexuosa, de Festuca ovùia, de Poa
alpina et de différentes espèces de joncs. En général, le renne ne

(1) Beskrivelse af Tromsô Amt. Udgivel af den geografiske Opmaaling.. Kristiania


1874, p. xxvir.
198 CH. RABOT.

broute les plantes palustres qu'en printemps. A cette époque il man-


gerait YEriophorum, affirment les Lapons. Sir Arthur de Capelle
Brooke (1) cite, d'après Hogstrom, trente-deux plantes formant la
nourriture du renne. Des unes il mangerait la fleuret les feuilles (2),
des autres les feuilles seulement (3). Suivant Diiben, cet animal
rechercherait également en cette saison les équisétacées, mais il
ne peut en brouter longtemps sans avoir la langue en sang. Sur le
témoignage des indigènes, un grand nombre d'auteurs ont affirmé
que les rennes mangeaient des lemmings (4). Regnard notamment
rapporte le fait dans la relation de son voyage en Laponie. De l'avis
du professeur Diiben, la chose est douteuse, quels que soient le
nombre et la valeur des témoignages. D'après lui, la découverte de
bézoards dans l'estomac des rennes a sans doute été l'origine de
cette histoire.

Sous le nom de Lapons forestiers, on désigne ceux qui dans


leurs migrations ne dépassent pas la zone des forêts. Ces indigènes
mangent moins de viande que les pasteurs, mais en revanche une
plus grande quantité de poisson et de gibier. En outre un certain
nombre ajoutent à ces produits ceux de l'élevage de quelques
bestiaux.
De même que les Lapons forestiers, les Lapons établis dans l'inté-
rieur du pays comme pêcheurs sur le bord des lacs foraient le passage
entre les nomades et les sédentaires. Suivant les nécessités de la
pêche, ils se déplacent le long des cours d'eau et des lacs, mais ces
déplacements ne sont jamais aussi longs que ceux des pasteurs.
Cette classe de Lapons est représentée par de nombreux indi-
vidus en Suède, en Finlande et en Russie. Dans ces divers pays,
la base de leur alimentation est le poisson, soit frais, soit salé
ou encore séché à l'air. Un mets spécial aux Lapons de la pres-
qu'île de Kola est le kalebaka, pâté de saumon ou de truite dont
ils ont emprunté la recette aux Russes. Le poisson préalablement

(1) A Winter in Lapland and Sweden, etc., Londres, 1826.


(2) Menyanihes trifoliota ; Comarum palustre; SolidagoVirgaurea; Alchemilla vul-
garis; Sonchus alpinus.
(3) Géranium pratense; Melampyrum cristatum; Vaccinium oxycoccos ; Bumex ace-
tosa; Angelica sylvestris; Carduus heterophyllus; Melica tiutans; Betula alba ; Salix
caprea; Cornus Suecica; Aira flexuosa; Thlaspi arvense; Thlaspi campestre; Serratula
arvensis; Tanacelum vulgare; Arlemisia absinthium ; Tussilago frigida; Erigeron acre ;
Satyrium viride; Satyrium nigrum ; Serrapias helleborine; Cypripedium calceolus ; Carex
vesicaria; Pinus sylvestris; Pinus abies; Myrica gale.
(4) En Sibérie, les rennes, en cas de disette de lichen, mangent du poisson sec
légèrement fumé. (Dr A. Bunges and Baron E. Tolls Fdrschungen. Pelermanns Milthei-
lungen, 1888, p. 44.)
DE L'ALIMENTATION CHEZ LES LAPONS. 199

cuit au four ou bouilli est enveloppé d'une croûte. Les Lapons


pêcheurs se nourrissent également des oeufs des palmipèdes si
abondants sur les lacs du Nord. Pour s'en procurer facilement, ils
fixent à des troncs d'arbres des nids artificiels formés d'une petite
boîte percée d'un trou par lequel pénètre l'oiseau. Les volatiles
s'établissent dans ces nids tout préparés ; dès qu'ils y ont déposé leur
ponte, les indigènes s'emparent des oeufs, à l'exception d'un seul,
afin de déterminer l'oiseau à revenir. Cet usage est pratiqué en
Suède et en Finlande; en Russie, nous ne l'avons jamais observé.
Les Lapons pêcheurs mettent à profit leur adresse au tir pour
se procurer du gibier. En hiver surtout, la chasse est pour les indi-
gènes de la Suède et de la Finlande une ressource importante. Les
Lapons russes mangent au contraire peu de gibier, les règles
de l'Église orthodoxe leur interdisant pendant une partie de
l'année l'usage de la viande. Néanmoins, même en temps d'abs-
tinence, ils ne se font pas faute de manger des lagopèdes; les
oiseaux sont, disent-ils, des poissons volants et cette subtilité
paradoxale fait taire leurs scrupules religieux.
Les Lapons pêcheurs de Suède n'ont que très rarement l'occa-
sion de manger de la viande de renne. La plupart d'entre eux ne
possèdent aucun renne, et n'ont pas les moyens d'acheter de la
viande de ce cervidé; seuls les plus fortunés parmi ces malheu-
reux ont parfois encore un très petit nombre de ces animaux, dont
ils confient la garde à des pasteurs ; ceux-là ont alors en hiver de
rares occasions de faire un bon régal. Presque tous les Lapons
pêcheurs de Russie et de Finlande ont, au contraire, un petit
troupeau de rennes; l'été, ils le laissent errer en toute liberté au
milieu des forêts ou sur les montagnes; en automne, seulement, ils
le rassemblent pour le garder pendant l'hiver dans les environs
des hameaux où ils passent la saison froide. A cette époque, la
ehair de cet animal constitue une bonne part de leur nourriture.
Les Lapons pêcheurs de Suède possèdent généralement quel-
ques vaches ou moutons dont les produits entrent dans leur ali-
mentation. En Russie, les seuls animaux domestiques que j'ai ren-
contrés dans un campement lapon étaient des moutons; mais,
d'après un indigène, les Lapons de la vallée de la Peringa-reka élè-
veraient des bêtes à cornes.
Les Lapons pêcheurs de Suède, quand ils en ont les moyens,
peuvent se procurer de la farine beaucoup plus facilement que
leurs congénères nomades. Dans la Finlande septentrionale, au
contraire, comme nous l'avons dit déjà, c'est une denrée assez rare
200 Cl-I. RABOT.

et les Lapons comme les Finnois établis dans cette région, man-
gent du pain d'écorce. Cette préparation entre également dans
l'alimentation des indigènes de la presqu'île de Kola. Ceux des
Lapons de cette région qui peuvent se procurer facilement de la
farine en consomment quotidiennement. Les indigènes de Boris-
Gleb, par exemple, qui nous ont servi de bateliers sur le Pasvig,
mangeaient, à chacun de leurs repas, du pain de seigle qu'ils
avaient boulangé. A Zatcheïka, sur les bords de l'Imandra, nous
avons vu des Lapons se délecter d'une bouillie de farine de seigle
et de Riibus Chamsemorus.
Comme leurs congénères pasteurs, les pêcheurs mangeât en
quantité des baies sauvages, des tiges d'angélique et des feuilles
d'oseille sauvage. De plus, les Lapons russes sont très friands de
champignons. Ces derniers récoltent en outre YAllium schoeno-
prasam, qu'ils font bouillir avec le poisson pour lui donner du goût.
Les Lapons pêcheurs de la Suède boivent, de même que leurs
frères des montagnes, une grande quantité de café. Dans la pres-
qu'île de Kola, cet excitant est presque inconnu ; seuls les indigènes
de la vallée de la Peringa-reka en boiraient, au dire d'un guide.
Les Lapons de cette région ont appris des Russes l'usage du thé;
mais, ne pouvant s'en procurer que difficilement, ils remplacent
cette boisson par des infusions de reine-des-prés (Spirasa ulmaria).

La catégorie des Lapons sédentaires comprend ceux de ces


indigènes établis comme pécheurs sur les bords de l'océan Glacial
ou comme colons clans les hautes vallées de la Norvège et dans
les forêts de la Suède. Vivant au milieu des Scandinaves, ils ont
adopté leur genre d'alimentation. La pèche dans les lacs, la chasse,
l'élevage d'un petit troupeau et la culture d'un lopin de terre
péniblement défriché, fournissent à tous les besoins de ces colons.
Ces indigènes, possédant généralement quelques rennes confiés à
la garde d'un nomade, peuvent, l'hiver, ajouter à leur ordinaire
habituel quelques bons morceaux. Les pêcheurs sur la côte de
l'océan Glacial n'ont, pour la plupart, aucun renne, et se nour-
rissent surtout de poisson. Ceux qui habitent dans le voisinage des
montagnes à oiseaux de la cote, trouvent un supplément d'ali-
mentation dans les oeufs que les palmipèdes y déposent et dans la
chair de ceux qu'ils abattent.
En résumé, les Lapons sédentaires et la plupart de ceux qui
ont abandonné la vie nomade, sont ichthyophages ; les pasteurs,
au contraire, carnivores.
L'INDICE CÉPHALIQUE
DES POPULATIONS FRANÇAISES

PAR LE

Dr R. COLLIGNON

Plusieurs de mes amis ont bien voulu me demander de publier


la carte générale de répartition de l'indice céphalique(l) du vivant
en France, que j'avais exposée au Champ-de-Mars. J'aurais désiré
remettre encore cette publication, pour donner une édition défini-
tive de ce travail de longue haleine. Depuis plus de dix ans, j'en ai
recueilli journellement les matériaux, et cependant, malgré tous
mes efforts, dans quatre départements encore, je n'ai pu atteindre
la moyenne suffisante de Broca, c'est-à-dire 20 sujets, alors que
dans d'autres mes résultats portent sur des nombres aussi élevés
que 919 et 2 023. Ces quatre départements récalcitrants sont les
suivants : Indre, 19; Tarn-et-Garonne, 18; Lozère, 14, et Hautes-
Alpes, o sujets seulement.
C'est assurément une lacune regrettable; mais, outre que les
deux premières moyennes ont peu de chance d'être modifiées par
l'adjonction de un ou de deux sujets, on pourra remarquer en exa-
minant la carte que les deux autres occupent dans le classement
géographique des indices une place absolument normale; ce qui
porte à croire que leur chiffre variera peu lorsque quelque jour an
favorable hasard permettra de les baser sur un nombre suffisant
d'observations (2).
Quoi qu'il en soit, ces réserves faites, nous pensons que telle
qu'elle est notre carte pourra servir dès maintenant de document
d'attente et rendre service aux anthropologistes qui s'intéressent à
l'étude des populations de notre pays. C'est ce qui nous décide.

(1) En réalité, je devrais dire céphalométrique, mais le mot n'est pas encore entré
dans la langue courante il suffira donc de signaler que dans ce travail il s'agit du
:
vivant.
(2) Peut-être trouvcra-t-on
que 20 sujets par département sont insuffisants pour
trancher les questions à l'étude. Assurément l'idéal serait d'obtenir 20 sujets par can-
ton, mais quand ce chiffre pourra-t-il être atteint? En tous cas et à condition que les
202 R. COLLIGNON.

Dans l'ensemble, elle porte sur 8 707 sujets, dont environ 7 000
mesurés par moi. Le surplus a été emprunté aux travaux par-
tiels publiés sur la matière. Citons le Dr Fallût pour le littoral de la
Méditerranée, M. Debierre pour le Plateau central, M. Guibert pour
les Côtes-du-Nord, Durand de Gros pour l'Àveyron, etc. Les chiffres
donnés par ces auteurs ont été fondus avec les miens pour faire
nombre; d'ailleurs, ils concordaient en général d'une façon très
satisfaisante. L'indice général moyen (en prenant comme unité le
chiffre de chaque département, quel que soit le nombre des sujets
sur lequel il ait été obtenu) est de 83,57.
L'écart entre les moyennes départementales est très étendu et,
en laissant de côté la Corse, qui forme un monde à part, va de 78,2
dans les Pyrénées-Orientales à 88,2 dans le Jura. ^Quelque élevé
que semble ce dernier chiffre, il n'est pas isolé dans la science, car,
dans sa carte d'Italie, notre distingué confrère, le Dr Livi, signale

sujets proviennent un peu de tous les points du département, ce qui s'est fatalement
produit ici, étant donné que mes séries partielles se forment et s'accroissent journelle-
ment depuis 10 ans, la moyenne est suffisante.
A titre de renseignement sur ce sujet, j'ai eu la curiosité de rechercher sur chacun
des départements quel était, par rapport à l'indice définitif obtenu sur des séries nom-
breuses, l'indice moyen des 10 premiers sujets mesurés. Comme on peut s'en assurer,
les différences sont minimes, en général comprises dans les limites de l'unité. Prenons
par exemple les 10 départements où les séries sont les plus nombreuses.
Indice Indice définitif
des 10 premiers ^^_-~—^»- Différence.
Côtcs-du-Nord (indice des do premiers sujets). .
84,11 2 023 sujets 83,72 — 0,39
.
Manche 83,98 919 » 83,10 — 0,88
Ille-ct-Vilaine 84,87 320 »»
84,42 — 0,45
Finistère 82,36 238 » 81,98 — 0,3S
Pas-de-Calais 79,90 183 » 80,27 + 0,37
Calvados 81,82 17 4 » 81,62 —0,20
Morbihan 81,53 173 » 82,62 -f- 1,09
Nord 79,33 171 »»
80,38 + 1,03
Loire-Inférieure 83,13 160 » 83,77 + 0,64
Scine-Inféricurc 81,11 139 » 81,10 — 0,01

En somme un écart insignifiant : le plus fort qu'il m'ait été donné de constater, atteint
+ 2,35 dans la Gironde. Inversement, dans d'autres départements, l'erreur n'atteint
même pas 0,1 : Seine-lnféricurc, 81,11 — 81,10; Loire, 84,00 — 84,04; Seine,
81,58 — 81,57, etc., etc.
Pour plus de précision, sur 89 — 4, soit 85 départements l'écart entre l'indice
moyen des 10 premiers sujets et l'indice définitif est 63 fois inférieur à ±1, il dépasse
,

16 fois zh 1 et 4 fois ±2 avec un maximum d'écart de 2,33.


— Si dans ces 20
derniers
départements (ceux où la divergence est la plus grande et dépasse ± 1), nous doublons
les séries et si nous recherchons ce que donne l'indice moyen des 20 premiers par
rapport à celui de la série totale, tous donnent un chiffre qui diffère de celui de la série
définitive de moins de 1, en moyenne 0,4. On voit donc que si la série de 10 donne un
écart si minime et si bien corrigé dans les cas aberrants par les 10 suivants, celle de 20
est parfaitement suffisante. J'ajouterai même que, d'après ce qui précède, 3 au moins
sur 4 de nos départements récalcitrants ont toute chance de donner des chiffres exacts.
Il n'y aurait donc, en réalité, de réserves sérieuses à faire que pour les Hautes-Alpas.
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 203

une brachycéphalie encore plus forte : 88,6 dans l'arrondissement


d'Ivrée.
L'écart individuel va de 97,09 (172-167) sur un homme du Lot
à 65,3 (202-132), Seine-Inférieure, Cependant ce cas anormal(1) de
dolichocéphalie est si isolé que, malgré l'existence d'un indice de
69 dans le Morbihan et d'un de 70 dans le Calvados, on peut
admettre que la série commence réellement à 72 avec 13 cas.
Si l'on dresse la courbe graphique des indices, on trouve deux
maxima à 82 et à 85, le premier portant sur 640, le second sur
643 sujets : de 81 à 86, le plateau irrégulier que décrit la courbe
dépasse partout 600 cas.
Je ne m'attarderai pas à l'examen des questions purement
techniques qui pourraient se poser à ce sujet. Je me bornerai dans
cette notice à faire simplement ressortir les considérations ethno-
graphiques auxquelles peut se prêter l'étude de la carte.
Un premier point en ressort, c'est que, tout en affectant un
grand caractère de régularité, la distribution des indices cépha-
liques n'a cependant aucun rapport avec celle de la taille et de la
couleur. Grosso modo, si l'on coupe la carte de France par deux
lignes en X, les blonds et les hautes tailles se trouveront tous au-
dessus et à droite de la deuxième branche de l'X, les bruns et les
petits au-dessous. Inversement, les dolichocéphales seront au-des-
sus et à gauche de la première branche, les brachycéphales étant
au-dessous.
Ce qui revient à dire que sur les quatre secteurs ainsi détermi-
nés, deux, celui du Nord et celui du Sud, donneront pour les trois
caractères une association rationnelle : blonds, grands, dolicho ;
bruns, petits, brachy, et que les deux autres, Est et Ouest, seront
plutôt dans leur ensemble, l'un : blond, grand, brachy (Lorraine,
Bourgogne et jusqu'à un certain point Savoie); l'autre, brun, petit
et relativement dolichocéphale (vallée de la Loire). Nous en recher-
cherons les causes dans un moment.
D'une manière générale, qu'observons-nous? Si, nous basant sur
l'indice moyen de 83,57 trouvé pour l'ensemble de la population
française, nous traçons sur la carte une ligne de démarcation entre
les indices de 83 et plus d'une part, et de l'autre les indices de 82
et au-dessous et que pour la commodité du langage nous désignions
les premiers
par le nom de brachycéphales et les derniers par
celui de dolichocéphales, nous voyons que les brachycéphales for-

(1) Taille 1^,67. Indice nasal, 97,4. Ce sujet est donc aussi anormal par la face que
par le crâne : 97,4 est en effet notre maximum pour l'indice nasal.
204 R. COLLIGNON.

ment dans tout l'Est du pays une masse absolument compacte et


séparée des dolichocéphales par une ligne oblique qui, partant des
Ardennes, vient aboutir aux Landes. Sur celle-ci, à la pointe nord-
ouest de la Nièvre, vient se greffer une sorte, de prolongement qui se
dirige vers la Bretagne en suivant la ligne de faîte qui sépare le
bassin de la Seine de celui de la Loire et s'élargit peu à peu pour
englober finalement la péninsule bretonne, la Vendée et la Manche.
D'autre part, l'extrémité de la Bretagne (Finistère et Morbihan),
ainsi que le littoral de la Méditerranée, forment des îlots dolichocé-
phales sur le pourtour de ces centres de brachycéphalie.
Pour prendre un terme de comparaison plus frappant, on peut
dire que la région brachycéphale recouvre très sensiblement toute
la partie de la France dont l'altitude dépasse 200 mètres, ainsi qu'il
est facile de le voir en comparant notre carte à la carte hypsomé-
trique de France.
On remarquera, en outre, que les centres d'extrême brachycé-
phalie sont en relation étroite avec les maxima d'altitude (Yosges,
Jura, Morvan, Alpes du Nord, montagnes du Plateau central). C'est
d'ailleurs la loi générale : aux vainqueurs, la plaine et les vallées ;
aux vaincus, la montagne ; plus celle-ci est abrupte et difficile d'ac-
cès, et mieux les vieilles races s'y conservent. Tel devait être et tel
est, en réalité, le résultat final de la lutte plus de trente fois sécu-
laire des Celtes brachycéphales contre les races dolichocéphales
blondes venues du Nord.
En revanche, et pour la même raison, les massifs montagneux
du midi de la France, les Pyrénées, le versant méridional des
Cévennes et la portion inférieure des Alpes accusent une tendance
marquée vers la dolichocéphalie. Les mêmes causes ont eu de ce
côté un résultat en apparence inverse et pourtant identique en
réalité : mais en ce cas les Celtes brachycéphales représentent
l'élément envahisseur et victorieux refoulant dans la montagne
les dolichocéphales bruns qui occupaient le midi de la France
depuis l'époque quaternaire. Il semble certain, en effet, que le fond
primitif de la race méditerranéenne occidentale n'est autre que la
race de Cro-Magnon plus ou moins adoucie et modifiée par ses croi-
sements successifs avec les Celtes, les blonds, les Romains, et voire
même les conquérants venus d'Afrique.
Nous trouvons donc trois zones ethnographiques, bien nette-
ment différenciées, qui s'échelonnent en allant du sud au nord-
ouest, et qui grosso modo correspondent aux trois races principales
qui ont peupLé notre pays.
L'INDICE CÉPHAL1QUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 205

La première de ces trois races (1) peuple tout l'extrême midi de la


France, du golfe de Gascogne aux Alpes maritimes; elle est doli-
chocéphale, petite et brune. Race de Gro-Magnon, Atlante ou Ibère.
La suivante est la race brachycéphale celte, qui domine au
centre, à Test, et pousse un prolongement vers la Bretagne.
La dernière enfin est la race dolichocéphale blonde qui, venue
du nord, s'est enfoncée comme un coin dans la masse du pays celte,
l'a coupée en deux et s'étend ainsi obliquement des rives de l'Es-
caut jusqu'à l'embouchure de la Garonne.
Nous étudierons successivement ces trois groupes de population.

I. — RÉGION DOLICHOCÉPHALE MÉRIDIONALE

Le premier groupe occupe la région pyrénéo-méditerranéenne :


il part du pays basque, et, de là, longeant la base de la chaîne pyré-
néenne, borde tout le littoral français et la côte italienne jusqu'à
hauteur de Piombino en face de l'île d'Elbe.
Sur toute l'étendue de ce long trajet, la population dolichocé-
phale affecte dans sa répartition la forme d'un mince ruban pressé
de toutes parts parles brachycéphales, elle se confine surtout dans
la montagne à l'ouest, et sur le littoral dans la partie maritime,
aussi bien en France qu'en Italie.
Cependant plus au sud, et à partir des frontières de l'ancien
Latium, elle reprend le dessus dans la Péninsule, et depuis le pa-
rallèle de Corneto et de Chieti, elle s'étend en nappe massive
jusqu'à ses extrêmes limites. Enfin, elle forme le fond de la popu-
lation des trois grandes îles méditerranéennes : la Corse, la Sar-
daigne et jusqu'à un certain point la Sicile.
Si nous laissons de côté définitivement tout ce qui touche aux
pays voisins, ainsi que la Corse, qui vient d'être l'objet d'une étude
spéciale du Dr Fallût dans la Revue d'anthropologie, nous remar-
querons que la zone dolichocéphale du sud peut se subdiviser en
trois régions secondaires, division conforme non seulement à
l'ordre géographique, mais surtout à la linguistique, à l'ethnogra-
phie historique et peut-être même à l'ethnographie anatomique.
Ce seraient, en allant de l'ouest à l'est : 1° la région basque ou
pyrénéenne occidentale, c'est-à-dire l'Aquitaine de César; 2° la
région catalane ou pyrénéenne orientale comprenant la partie du lit-
toral qui va de l'Espagne au Rhône, et que les anciens considéraient
(1) On verra plus loin qu'en réalité ce groupe comprend 2 et peut-être 3 races dis-
tinctes.
^ANTHROPOLOGIE. 14
206 R. COLLIGNON.
de race ibère 3° la région ligurienne, qui s'étend
comme un pays ;

en France du Rhône à la frontière italienne et se prolonge dans la


Péninsule jusqu'à Piombino, ainsi que nous venons de le dire.
Ai-je besoin de rappeler que dans une certaine partie au moins
de chacune de ces trois régions, il se parle trois langues bien diffé-
rentes : le basque (Basses-Pyrénées), le catalan (Pyrénées-Orien-
tales), et enfin, bien qu'il empiète aussi fortement sur la seconde
région, le provençal, qui n'est qu'un patois roman.
La partie aquitanienne a été la plus modifiée par les incessants
envahissements de l'élément brachycéphale. Au temps de César,
elle comprenait, sauf une légère enclave de Boiens et de Bituriges
sur la rive gauche et près de l'embouchure de la Garonne, toute la
partie de la Gaule comprise entre ce fleuve, les Pyrénées et
l'Océan. Strabon (IV, i, 1) différenciait de tous points les Aquitains
des Celtes et des Belges et les rapprochait pour le langage et pour
le type physique des Ibères. Nous sommes donc autorisés à regarder
comme correspondant aux anciens Aquitains les individus qui, dans
cette région, ne reproduisent pas les caractères anatomiques des
races celtiques et kymriques de Broca, c'est-à-dire ceux qui appar-
tiennent au ou aux types dolichocéphales bruns.
Ceux-ci, comme nous venons de le dire, ont été fortement
refoulés sur certains points, métissés sur d'autres, par les Celtes bra-
chycéphales. Le Gers et la partie orientale des Landes sont presque
exclusivement peuplés de brachycéphales; nous en dirons autant de
certaines parties des Hautes et des Basses Pyrénées. La moyenne
de l'indice dans ces deux départements est de 83, mais il est certain
que, suivant les localités, il y existe des différences manifestes,
comme le prouvent les beaux travaux de Broca sur les Basques. Ces
régions sont de celles qu'il serait désirable d'étudier avec minutieet
canton par canton, car, pour l'ensemble, ni la taille ni la couleur
ne sauraient, en ce cas, venir à notre secours, puisque les races
dominantes sont les unes et les autres petites et brunes. On sait, en
effet, que cinq types crâniens se rencontrent dans le pays basque,
dont deux relativement modernes et rares : le type blond du Nord
et le Celte brachycéphale, et trois anciens, tous trois pins ou moins
dolichocéphales.
Le premier, le plus fréquent de tous, n'est autre que la race de
Cro-Magnon ; le deuxième, caractérisé par sa « tête de lièvre »,
d'après M. Quatrefages, pourrait, suivant M. Y. Jacques, être rap-
proché du type portugais de Mugem et serait un produit fixé des
races de Cro-Magnon et de GreneLle; quant au troisième, «àtempes
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 207

renflées », il reste indéterminé jusqu'ici; d'ailleurs, c'est surtout


dans les provinces basques d'Espagne qu'il se rencontre. En ce qui
concerne le précédent, il semble, en France du moins, ne s'être
encore rencontré que dans cette région limitée et mériterait parfai-
tement le nom, proposé par M. Jacques, de race pyrénéenne occiden-
tale.
Le mélange des trois autres types se poursuit tout le long des
Pyrénées (les blonds n'y comptant pourtant que dans une limite
très restreinte) ; cependant la dolichocéphalie, ou plus exactement
le nombre des dolichocéphales, s'accroît graduellement au fur et à
mesure qu'on s'avance vers l'est pour atteindre son maximum dans
les Pyrénées-Orientales. Ce département a l'indice moyen le plus
bas (78,2) de tout le territoire français (moins la Corse); il constitue
un véritable îlot ethnique (1) et le type qui y domine d'une manière
absolue est le dolichocéphale brun à face large, en un mot, le type
de Cro-Magnon. En général, ce type est adouci par l'effet des croi-
sements, mais parfois aussi il est absolument rude et caractéristique.
Nous sommes là, d'ailleurs, dans une contrée qui jusqu'à la con-
quête romaine a toujours, malgré son assujettissement temporaire
aux Ligures, été considérée comme peuplée par les Ibères (2); ai-je
besoin de signaler dans la région comprise entre la Garonne, l'Hé-
rault et la mer, les cités ibériques d'Illiberis, Caucoliberis, Boeterroe,
Calaguris, etc., et de rappeler qu'une partie de la population des
Pyrénées-Orientalesparle encore un dialecte espagnol, le catalan ;
ce dernier fait tend à prouver que la langue antérieurement usitée
dans cette région devait être plus voisine de celle qui se parlait
en
Espagne que du gaulois, puisqu'en adoptant le latin, toutes deux
l'ont modifié suivant des lois analogues et différentes de celles qui
ailleurs en ont tiré le provençal et le français.
J'ajouterai enfin avoir observé sur quelques sujets un type par-
faitement sémitique (au sens vulgaire du mot) qui peut faire
songer
soit à la longue occupation arabe du pays, soit
aux colonies phéni-
ciennes (PortusAstartes,Ruscino,Narba)qui bordaient le littoral.
y
La dernière région dolichocéphale s'étend du Rhône à l'Italie;
en réalité, au point de vue ethnographique, elle devrait commencer
plus à l'ouest, car le département de l'Hérault et la pointe méridio-
nale du Gard me semblent
par leur type s'y rattacher plus qu'à la
(1) Sur sujets l'indice oscille entre 73 et 85. 2 seulement atteignent 84 et 85. On
35
y compte .: dolichocéphales vrais, 4; mésaticéphales, 22; brachy, 8; hyperbrachy, 1
(nom. de Topinard). De 73 à 81, la série
est compacte.
(2) Eschyle cité PLINE, Hisl. nat., XXXVII, 2, 3. — AVIENUS, Ora marithna
(v. 608-610).
par
— STRABON, III, 4, 19.
— Philcas cité par AVIENUS (V. 686-689); etc.
208 R. COLL1GNON.

région précédente ; mais on conçoit qu'il est impossible de tracer


en pareil cas des lignes de démarcation absolues; ces deux départe-
ments constituent une sorte de zone mixte entre le centre ibère et
le centre ligure.
Dans ce dernier, la dolichocéphalie est toute relative; les indices
varient entre 81,4 et 82,8 (voir carte II), les cheveux sont très foncés
et la taille petite. On y trouve une association complexe de brachy
et de dolichocéphales; enfin les blonds, surtout dans le Vaucluse,
sont loin d'être exceptionnels(J ). Mais ce qui est très remarquable,
c'est la différence absolue qui existe anthropologiquement entre le
type dolicho brun qui y domine et celui que nous venons d'étudier
précédemment. Celui-ci avait la face large, les pommettes accen-
tuées, le nez busqué et les yeux enfoncés ; celui que nous rencon-
trons ici est, à quelques exceptions près, infiniment plus doux, le
visage est ovale, allongé, le nez plutôt droit et les yeux grands. Je
ne veux pas dire cependant que le précédent fasse défaut dans le
pays; mais, relativement au type fin, il est plus rare.
A quoi devons-nous rapporter cette différence? La question qui
se pose ici est grave, et nous regrettons de ne pouvoir la traiter avec
tout le soin qu'elle comporte. Deux hypothèses principales peuvent
se poser. Les dolichocéphales bruns, fins, seraient ou 1° les anciens
Ligures, ou 2° les descendants des colonies grecques de la côte
mêlés à tout ce que l'occupation romaine d'abord, la domination
musulmane ensuite, ont pu laisser de dolichocéphales dans le pays.
La première a pour elle le fait de l'extension de la dolichocépha-
lie sur tout Je littoral de l'ancienne Ligurie; elle s'appuierait aussi
sur l'existence en ce point, depuis au moins l'époque néolithique
sinon le quaternaire, jusqu'à nos jours, d'une population dolicho-
céphale. Cette assertion est prouvée par les crânes de Menton et par
les sépultures ligures des grottes de La P allera et des Arène candide
fouillées par MM. Morelli et Issel. En revanche, elle se heurte à
deux difficultés : 1° Les crânes trouvés dans les cavernes du littoral
sont franchement du type de Cro-Magnon (de Quatrefages, Hanry,
Issel); 2° de plus, et à s'en tenir à la Ligurie propre, la chaîne des
Alpes, au moins jusqu'à la source de l'Isère, et même jusqu'à la
perte du Rhône, région ultra-brachycéphale, était occupée entre
toutes par des peuples ligures.
La seconde hypothèse, très satisfaisante pour la France, où nous

dernier phénomène semble résulter de ce fait que la grande voie de commu-


(1) Ce
nication entre la Gaule proprement dite et l'Italie était la rive gauche du Rhône. Lc^
cartes de la couleur de M. Topinard mettent très bien ce fait en évidence.
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 200

remarquons que le Vaucluse et les Bouches-du-Rhône, ce véritable


centre de la colonisation grecque, sont plus dolichocéphales que le
Var et que les Alpes-Maritimes, l'est moins pour l'Italie, où le
maximum de dolichocéphalie (79) se rencontre du côté de Lucques
et de Massa. Il est vrai que pour cette région on pourrait invoquer
l'influence du sang étrusque.
Quoi qu'il en soit, et bien que nos préférencespersonnelles nous
poussent à nous ranger à celle-ci, la question ne nous semble pas
encore suffisamment élucidée pour donner une conclusion ferme.
Des recherches d'ensemble portant sur les deux pays pourraient
seules la trancher.

II. RÉGIONS BRACHYCÉPHALES

Sous ce nom, nous comprenons l'ensemble des départements


dans lesquels l'indice céphalique atteint ou dépasse le chiffre de 83,
indice moyen de notre pays, c'est-à-dire ethnographiquement la
partie de la France où. le type celte de Broca a la prépondérance.
Comme la précédente, cette région peut se subdiviser en trois
groupes secondaires : 1° groupe central ou arverne; 2° groupe
oriental ou lotharingien (Lorraine, Franche-Comté, Bourgogne,
Savoie), et 3° groupe occidental ou breton.
l°Le groupe arverne a pour noyau le Plateau central de la France ;
trois départements étroitement groupés : la Haute-Loire, le Cantal
et la Lozère en constituent le centre et atteignent une bracbycépha-
lie de plus de 87. Nulle part ailleurs la loi des altitudes ne se vérifie
plus absolument, car en réalité ces trois départements forment l'axe
géologique de notre pays. C'est là que prennent leur source la
Loire (1), l'Allier, la Dordogne, le Lot, le Tarn, l'Hérault, le Gard,
l'Ardèche, etc., c'est-à-dire les deux tiers au moins des grands
cours d'eau qui naissent du Massif central, la moyenne d'altitude y
est proche de 1 500 mètres. Tout autour s'échelonnent des indices
de 85 et 84 en groupe compact; les plus élevés
comme ceux que
donnent le Lot, 85,9, l'Aveyron et le Puy-de-Dôme, 85,5, l'Ardè-
che, 85,2, correspondent aux points où accèdent des rivières de
peu
d'importance dans leur cours supérieur, ou dont les vallées
en-
caissées se prêtent peu à l'intrusion d'éléments
nouveaux. Au con-
traire, les régions qui, comme les départements de l'Allier et de la
Haute-Loire, se présentent
sous un aspect plus abordable, ont,
(1) Celle-ci prend en réalité sa source dans l'Ardèche, mais absolument au voisinage
de notre groupe.
210 R. COLL1GNON.

malgré leur altitude élevée, un indice plus faible. On peut dire que
partout où se rencontre une rivière importante et facilement remon-
table, l'indice s'abaisse et la brachycéphalie diminue.
Nous trouvons pourtant de ce côté une exception remarquable
dans les trois départements de Lot-et-Garonne, Tarn-et-Garonne et
Gers, qui, malgré leur situation riveraine d'un grand fleuve ou de
rivières importantes, sont cependant très brachycéphales. Elle
peut, croyons-nous, s'expliquer. Refoulées vers la montagne par
l'élément blond, les populations brachycéphales ont été, à un mo-
ment donné, pour ainsi dire prises entre deux feux, car vers les
Pyrénées elles rencontraient les dolichocéphales bruns, race que
nous savons très résistante à toute assimilation soit belliqueuse,
soit pacifique. S'appuyant sur les Pyrénées et sur les Cévennes,
ceux-ci ont arrêté le mouvement de recul des brachycéphales qui,
dès lors, sont venus se masser concentriquement à eux, et là, grâce
à leur nombre, sont parvenus à conserver victorieusement leur
type primitif dans toute la région qui s'étend des Landes au Massif
central.
Nous ne pouvons également omettre parmi les particularités de
répartition les indices de 83 qui se remarquent dans le Tarn et
dans la Haute-Garonne. Si, pour celle-ci, dans sa partie méridio-
nale surtout, il y a lieu de tenir largement compte des dolichocé-
phales bruns, il faut au moins noter qu'ils comprenaient jadis le
territoire des Volces Tectosages, que nous savons avoir été de race
kymrique, c'est-à-dire dolichocéphales et blonds.
La brachycéphalie s'est, par suite, trouvée fortement abaissée
dans toute cette région qui se trouve, en outre, sur la grande ligne
de jonction des deux grands centres de population du midi de la
France.
2° Le groupe lotharingien comprend du nord au sud la Lorraine,
la Franche-Comté, la partie orientale de la Bourgogne, la Savoie et
le Dauphiné. Toute cette vaste région forme, à l'est de la France,
un véritable bloc de brachycéphalie qui se prolonge d'ailleurs vers
Testa travers l'Italie du nord, la Suisse et l'Allemagne du sud pour
donner de là la main aux Slaves en passant par l'Autriche et la
Hongrie.
Trois maxima de brachycéphalie s'y présentent ou, pour être
plus exact, il s'y dessine un véritable croissant d'ultra-brachycépha-
lie et d'indices de 88, 87 et 86, qui, partant des Vosges, s'étend en
nappe continue par le Jura jusqu'aux deux départements savoisiens
et que coupent seulement sur deux points de légers abaissements
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 211

de l'indice 86, au niveau des deux grandes voies de communication,


de fusion et d'invasion, qui percent ce vaste massif, la trouée de
Belfort et le cours du Doubs d'une part; puis, plus au sud, celui
du Rhône (voir carte II).
Le maximum absolu, qui est celui de l'ensemble du pays, se
rencontre dans le Jura, 88,1, viennent ensuite les trois départe-
ments de la Haute-Saône, de la Savoie, 87,4, et de Saône-et-
Loire, 87,1. Aux environs, des indices de 86 se rencontrent dans
les Vosges, la Haute-Marne, le Doubs, l'Ain, le Rhône et la Haute-
Savoie; ceux de 85 dans la Meuse, l'ancienne Meurthe et l'Isère;
puis viennent ceux de 8i, parmi lesquels nous noterons l'ancienne
Moselle et la Drôme, et enfin ceux de 83 qui, avec ceux-ci, bordent
régulièrement les précédents et qui comprennent, outre les Ar-
dennes qui par là se relient très naturellement à l'indice de 83,4(1)
du Luxembourg belge (Houzé), l'Alsace dont les deux parties
ont 83,8 et 83,6, etc.
Remarquons cependant que cette répartition est toute schéma-
tique; j'ai donné déjà précédemment celle de l'indice céphalique en
Lorraine, en prenant l'arrondissement pour unité, et nous voyons,
en ce cas, les indices les plus brachycéphales, 87 et parfois 88, se
masser d'une part sur la chaîne des Vosges, à l'est des trois dépar-
tements, en croissant du nord au sud comme la montagne, de
l'autre à l'ouest sur tout le massif des côtes de Meuse et de l'Ar-
gonne, alors qu'au contraire (bien que. toujours franchement bra-
ckycéphale) l'indice s'abaissait jusqu'à 83 dans les arrondissements
traversés par la Moselle et par la Meurthe. Il est vraisemblable que
le même phénomène, si rigoureusement lié aux conditions natu-
relles qui favorisent ou entravent la fusion des races doit se repro-
duire au sud, en Franche-Comté et en Bourgogne, et que l'étude
cantonale de cette intéressante région conduirait à des résultats de
la plus haute importance.
Si nous passons à l'examen des détails, nous pouvons voir que
les trois points les plus brachycéphales le sont par un mécanisme
pour ainsi dire NÉCESSAIRE et que, par des lois fatales les conditions
orographiques du sol, devaient les placer où ils se trouvent.
Pour pénétrer en France par le nord-est, l'ennemi n'a que deux
voies : la vallée de la Moselle, et la trouée de Belfort; toutes deux
sont signalées à notre attention par un abaissement de l'indice
céphalique; dans les Yosges, les deux arrondissements qui ont l'in-

(1) Sans réduction.


212 R. C0LL1GN0N.

dice le moins élevé sont précisément ceux de Mirecourt et de Neuf-


château par où l'envahisseur peut, soit tourner l'Argonne et péné-
trer dans le Dassin de la Seine, soit, en remontant la Haute-Meuse,
se jeter dans celui de la Saône; de même le cours du Doubs est la
route pour ainsi dire fatale que devrait suivre celui qui, comme
Arioviste, s'avancerait à travers la trouée de Belfort; là aussi l'in-
dice ne s'est abaissé que légèrement parce que l'âpreté du pays
n'était pas propice aux colonisateurs, mais pourtant assez pour
dénoter Ja pénétration. Il en a été de même pour la Haute-Savoie,
pour l'Ain et pour l'Isère, où la montagne est restée aux brachycé-
phales ; mais de ce côté aussi les rives du Léman et les bords du
Rhône ont retenu, comme nous le voyons, une quantité de sang
dolichocéphale suffisante pour abaisser légèrement l'indice moyen.
Au contraire, les trois centres d'ultra-brachycéphalie sont en dehors
des grandes lignes de pénétration; la Haute-Saône est préservée à
l'est par le massif vosgien qui, s'élevant comme une muraille, rejette
fatalement l'envahisseur sur la vallée du Doubs ; le Jura, sauf à son
extrémité supérieure, et la Savoie (1) sont aussi privés de toute voie
naturelle d'invasion. Enfin Je département de Saône-et-Loire semble
devoir sa haute brachycéphalie à ce que par ses deux extrémités il
s'appuie à la montagne. Il y aurait lieu de rechercher si l'arrondis-
sement de Chalon-sur-Saône ne serait pas plus dolichocéphale
que ceux qui touchent au massif duMorvan; je manque de docu-
ments pour trancher la question.
En somme, les deux massifs brachycéphaliques que nous venons
d'étudier, l'arverne et le lotharingien, formeraient un groupe unique
très naturel s'il n'était rompu en son centre par le département de
la Loire dont l'indice n'est que de 84. Nous croyons cependant que
de ce côté il y a quelques réserves à faire. Le grand centre industriel
de Saint-Etienne a attiré dans les dix dernières années des immi-
grants de toute sorte auxquels cet abaissement peut à juste titre
ètie imputé. Pour être pacifique et moderne, cette invasion n'en
est pas moins réelle, et nous sommes obligés d'en tenir compte,
tout en spécifiant son caractère récent. D'ailleurs, lorsque dans ce
qui précède, nous disons invasion, nous prenons toujours ce terme
au sens le plus général et voulons aussi bien parler de ces infusions
lentes et graduelles qui résultent du contact de races différentes que
des conquêtes par les armes, dont le plus grand nombre, en dépit
du tumulte qui les environne et du souvenir qui s'y attache, a été
(1) Les circonscriptions italiennes les plus voisines ont 88,6, Ivréc; 87,7, Pignerol;
8G,2, Turin.
L'INDICE CÉPHAL1QUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 213

sans nulle influence sur la constitution ethnique postérieure des


populations.
En revanche, et si pour l'indice céphalique nous pouvons inti-
mement unir nos deux groupes arverne et lotharingien, ils se diffé-
rencient d'autre part par deux caractères importants : la taille et la
couleur.
Le premier est en général petit et brun, le second grand et
blond, surtout dans sa partie lorraine. En ce qui concerne celle-ci,
nous avons précédemment étudié la question en grands détails (1).
Nous n'y reviendrons donc pas et rappellerons simplement nos
conclusions, qui ont été généralement adoptées.
Le type lorrain brachycéphale, blond et grand, n'est qu'un pro-
duit de croisement fixé. Occupée par les brachycéphales celtes
avant les grandes invasions germaniques, la Lorraine s'est perpé-
tuellement trouvée sur le trajet de celles-ci. Toutefois, grâce aux
deux murailles naturelles qui à l'est et à l'ouest isolaient le bassin
de la Moselle entre les Vosges et les côtes de Meuse, grâce aussi à
l'asile que ces lieux accidentés offraient aux premiers occupants,
ils ont pu résister ethnographiquement, sinon politiquement, aux
dolichocéphales du nord, d'une façon plus heureuse que leurs frères
des bassins de la Seine et de la Loire.
Cependant tel a été le nombre des nouveaux venus dans leurs
multiples et successives émigrations que les deux races à force de se
croiser sont arrivées à s'imposer mutuellement leurs caractères
forts, le Celte sa brachycéphalie et par suite son cerveau et sa ma-
nière de penser, le Germain sa couleur. Quant à la taille, elle a été
intermédiaire, car si par rapport aux Français du Midi elle est bien
au-dessus de la moyenne, elle sera au contraire de beaucoup infé-
rieure à celle des races blondes pures comme les Scandinaves.
L'Alsace nous présente le même phénomène, mais le Celte s'y est
moins bien préservé qu'en Lorraine, comme l'explique très bien la
nature même du pays; elle n'en est pas moins, de par ses indices de
83,8 Haut-Rhin et 83,6 Bas-Rhin, un pays ethnographiquement
celtique et brachycéphale plutôt que germanique.
Je n'ai pas étudié la Franche-Comté, et la Savoie avec autant de
détails que la Lorraine ; néanmoins je crois pouvoir rapporter le
y
type général à celui que je viens de définir sous le nom de type lor-
rain, brachycéphalie extrême, taille très au-dessus de la moyenne

(1) Dj R. COLLIGNON, la Race lorraine (Bulletin de la Société des Sciences de Nancy


— b., Etude anthropométrique des principales races de France (Bulletin de la .
Société
d'Anthropologie. Paris, 1883). Nancy, 1886.
— ID., Anthropologie de la Lorraine.
214 R. COLLIGNON.

française et cheveux plutôt clairs que foncés. Les cartes de répar-


tition de la taille de Broca et de Boudin, celles de la couleur de
Topinard établissent le fait avec certitude.
3° Le groupe breton est infiniment moins bien caractérisé au
point de vue de la pureté du type que les deux précédents. Le vieil
élément celtique comme toujours s'y est réfugié dans la montagne,
mais les monts d'Arrée, le Menez ou les collines de Normandie ne
sont que des taupinières auprès des Alpes, du Jura et des Vosges :
le mélange a donc été plus intime et Ton pourrait presque dire que
seule la position péninsulaire de la Bretagne l'a préservée jusqu'ici
de la fusion complète telle qu'elle existe dans les régions immédia-
tement voisines.
Trois départements seuls de ce côté atteignent un indice de 84.
Ce sont, et la chose peut sembler assez inattendue au premier
abord : la Vendée 84,8; la Mayenne et l'Ille-et-Vilaine. Dans la Bre-
tagne bretonnante, seules les Côtes-du-Nord atteignent 83,7, le
Finistère et le Morbihan n'ont que 82,0 et 82,6. Nous y reviendrons
dans un moment.
Autour des trois départements susmentionnés se groupent, dans
la Manche, l'Orne, la Sarthe, le Maine-et-Loire et la Loire-Inférieure,
des indices de 83; enfin une sorte de prolongement formé des dé-
partements du Loir-et-Cher et du Loiret part de la Sarthe, suit exac-
tement la ligne de faite des bassins de la Seine et de la Loire et
vient réunir le groupe breton au groupe lotharingien.
En somme, — et la chose est bien remarquable, car le point cul-
minant du plateau de l'Orléanais ne dépasse pas 147 mètres, —une
faible barrière a suffi pour déterminer un véritable centre de résis-
tance de la race refoulée : les coteaux du Perche, de Normandie et
du Maine (300 à 417 mètres) ont agi plus efficacement encore et nous
expliquent la brachycéphalie relative de l'ouest de la Mayenne.
Prenez une carte hypsométrique de France, superposez-la par la
pensée à notre carte de l'indice céphalique, et vous verrez que de
par la nature du sol tout trafiquant ou tout chef d'armée qui dunord
et de Paris voudrait atteindre le sud-est de la France ou l'Espagne ne
saurait, en vertu de la loi du trajet à la fois le plus direct et le plus fa-
cile, suivre d'autre direction que la ligne jalonnée par Chartres, Ven-
dôme, Tours, Poitiers, Angoulème et Bordeaux, c'est-à-dire une
route passant exactement par le point où sur notre carte la ligne de
brachycéphalie supérieure à 83 s'étrangle le plus. Il s'en est donc
fatalement suivi que toute la région située sur la droite, c'est-à-dire
notre groupe breton, a toujours été en dehors de la grande ligne de
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 215

pénétration et qu'elle devait être par conséquent préservée dans


une large mesure contre le mélange des races, ce qui explique à la
fois la longue durée de son indépendance politique et de nos jours
la persistance du caractère national si particulier qui la distingue.
Toutefois, en basse Bretagne,la question de répartition des deux
races celtique et kymrique telle que la représente le groupement
par département se trouve absolument faussée par suite de condi-
tions locales toutes particulieres.il résulte en effet, tant des cartes
cantonales de Broca sur la taille que de mes recherches person-
nelles,que l'élément blond s'yestintroduitparmer et qu'il y occupe
sur le littoral trois centres principaux, l'un aux environs de Dinan
(Côtes-du-Nord) le second dans tout le nord du Finistère (Brest,
Morlaix et en partie Châteaulin), le troisième sur tout le littoral du
Morbihan, (Lorient, Vannes) ; le centre des trois départements est
au contraire occupé par des Celtes relativement purs dont l'indice
moyen peut dans quelques cantons dépasser 86. Les chiffres dépar-
tementaux ne donnent donc qu'une moyenne artificielle.
A l'appui de cette proposition je donnerai la répartition canto-
nale de l'indice céphalique dans les deux départements des Côtes-
du-Nord, delà Manche, et dans la partie de l'Ille-et-Vilaine qui les
unit (carte 1). Sans.entrer dans des détails trop longs pour trouver
place ici et que j'aborderai dans des monographies spéciales, cha-
cun pourra se convaincre d'un coup d'oeil de l'exactitude de ce que
j'avançais plus haut. Dans les Côtes-du-Nord, les brachycéphales
au-dessus de 83 occupent tout le centre, denses au niveau des
côtes d'Arrée et du Menez. Sur deux points du littoral, près de Tré-
guier et près de Matignon, Dinan, les dolichocéphales ont pris pied
et l'indice s'abaisse à 80 et 81. Enfin, si nous continuons notre
marche vers l'est, de nouveau à hauteur de la baie de Saint-Michel
la brachycéphalie reprend le dessus pour former un nouveau
centre très dense dans les arrondissements d'Avranches et de
Mortain, c'est-à-dire dans cette partie montagneuse de la Manche
qu'on a parfois qualifiée du nom très juste de Suisse normande,
et de là se prolonger dans l'Orne à l'est et la Mayenne au sud. Au
contraire, le nord du département et spécialement la presqu'île du
Cotentin tendent de plus en plus vers la dolichocéphalie avec des
indices de 80, 81 et 82. Cette carte, bien qu'en réalité elle puisse
sembler un peu spéciale pour le sujet que je traite à un point de
vue tout général, pourra, je l'espère, montrer le parti qu'on pour-
rait tirer pour l'étude de l'ethnographie nationale d'une carte ana-
logue comprenant la France entière, et
en même temps donner
216 R. COLLIGNON.

idée exacte de la répartition très irrégulière de nos races


une
composantes dans chaque région prise en particulier. Mais reve-
nons à notre sujet.
Il y a donc, en réalité, en basse Bretagne, une vaste tache de
brachycéphalie irrégulièrement jetée sur le centre des trois dépar-
tements et qui s'élargit graduellement en allant à l'est où elle

CARTE I
Manche, Côtes-du-Nord et arrondissementde Saint-Malo. — Répartition cantonale
de l'indice cephalique (sans réduction).

recouvre la majeure partie de l'Ille-et-Vilaine et de la Mayenne, le


sud de la Manche et les parties occidentales de l'Orne et de la
Sarthe.
Plus au sud, la race celtique s'est également bien maintenue en
Vendée, non plus ici, grâce à l'altitude, mais en raison des diffi-
cultés d'accès d'un sol coupé de marécages. A ce centre semblent
se rattacher la partie de la Loire-Inférieure située sur la rive gauche

(1) Pour l'étranger les chiffres notés ont été empruntés aux travaux du Dr Houzé
(Belgique) et du Dr Livi (Italie).
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 217

du fleuve et peut-être une portion du Maine-et-Loire, du moins au-


tant que j'en puisse juger sur les documents encore insuffisants
que je possède.

III, — RÉGIONS DOLICHOCEPHALES DU NORD ET DE L OUEST

Nous réunirons sous ce nom tous les départements du nord et

CARTE II
France. — Répartition par département de l'indice céphalique (sans réduction).
de l'ouest de notre pays où l'indice céphalique est sur le vivant in-
férieur à 83. Ce sont, en général, ceux que lesraces dolichocéphales
blondes ont le plus fortement occupés, ceux dans lesquels le type
moyen du Français moderne s'éloigne le plus du type celtiqueJbra-
chycéphale.
218 R. C0LL1GN0N.

Prise clans l'ensemble, cette région s'étend parallèlement à la


mer depuis la basse Meuse en Belgique jusqu'aux Landes, abstrac-
tion faite bien entendu de l'îlot brachycéphale breton qui la limite
sur l'ouest et du prolongement qu'il pousse pour rejoindre ses con-
génères orientaux. En somme, c'est tout le plat pays de France,
les vallées basses et fertiles de la Somme, de la Seine, de la Loire
et de la Charente.
Comme on était en droit de s'y attendre les départements les
plus septentrionaux, Nord, Pas-de-Calais, Aisne, se rangent parmi
les plus dolichocéphales; puis viennent les côtes normandes à 81
et les environs de Paris; dès lors on se rapproche des régions bra-
chycéphales et l'indice s'élève à 82.
Appelons ici l'attention sur la dolichocéphalie relative du dépar-
tement de l'Yonne, 82,5. Enserré de toute part entre des départe-
ments plus brachycéphales, sauf au point ou il confine à la Seine-et-
Marne, il constituerait une sorte d'anomalie, si l'on ne remarquait
au contraire qu'il nous signale la route qui réunit le plus directe-
ment le bassin de la Seine à celui du Rhône par la vallée secon-
daire del'Armançon, affluent de l'Yonne, et par celle de la Saône.
Cette coupure entre les deux bassins, si importante de nos jours
puisqu'elle donne passage au canal de Bourgogne et à la grande
voie ferrée Paris-Lyon, l'était au moins autant autrefois. N'est-ce
pas là qu'a succombé l'indépendance de la Gaule sous les murs
d'Alésia ?
Au midi de la Loire, le même phénomène de pénétration et de fu-
sion s'est accompli, mais il est parfois d'une interprétation moins
facile que dans la région nord qui, depuis César, a conservé tous ses
caractères ethnographiques. Dans la Gaule Belgique, il était naturel
de voir la dolichocéphalie s'unir aux cheveux clairs et à une taille
élevée ; dans la Celtique, au contraire, la chose est plus épineuse, et
cependant la régularité du massif dolichocéphale qui s'étend du
Cher et de la Loire à l'embouchure de la Garonne est un fait
positif.
Il est difficile d'invoquer pour l'expliquer la conquête du pays
par les Francs. Chacun sait qu'au sud de la Loire elle a été presque
nominale, que toute cette région dépendait bien des royaumes du
nord, mais sans qu'il y ait eu colonisation réelle et partant mo-
dification possible du type primitif.
Cependant à une époque postérieure il y eut une occupation
qui dans le Berry, la Sologne et la. Brenne (Cher, Indre, partie du
Loir-et-Cher et de la Vienne) eut tous les caractères d'un établis-
L'INDICE CÉPIIAL1QUE DES POPULATIONS FRANÇAISES 219

sèment définitif, d'une colonisation au sens propre du mot, et dont


il y a lieu de tenir compte ; nous voulons parler de ces bandes nor-
mandes qui, remontant la Loire au milieu du ix° siècle et trouvant
dans cette région un pays coupé de marécages et presque désert,
s'y établirent assez solidement pour que leurs innombrables camps
retranchés couvrent encore le pays et pour qu'on ait même pu le
considérer à un moment donné comme une Normandie centrale.
On trouvera dans les historiens du temps tous les détails de cette
conquête (1), Orléans et Bourges pillées à maintes reprises, le
pays dévasté et solidement occupé, etc. : je serais donc très porté
à accorder une importance réelle à l'élément normand dans cette
partie de la France et à lui attribuer notamment l'indice remarqua-
blement bas du Cher, 81,3; ne serait-ce pas également la cause de
cette singularité qui préoccupait tant M. Topinard lorsqu'il donnait
ses cartes de la couleur, de ce prolongement insolite des blonds
dans les trois départements du Cher, de l'Indre et de la Creuse qui
trouait si curieusement le vaste ensemble occupé par les races
brimes ?
Plus à l'est, on pourrait aussi rappeler les Thiéphales qui s'éta-
blirent dans la Charente-Inférieure, mais il reste un groupe de
trois départements qui constituent un véritable problème dont rien
dans l'histoire ne peut nous donner la solution : ce sont la Haute-
Yienne, 79,7 là Charente 80,9 et la Dordogne 79,2. Ces indices sont
absolument anormaux, car les trois départements les plus dolicho-
céphales de la région nord n'ont que 80,4 (Nord, Pas-de-Calais) et
80,9 (Aisne). Il'y a donc en plein centre de la France, un îlot de po-
pulation plus dolichocéphale même que les Flamands. Les cartes
de la taille nous montrent d'autre part que tous trois se rangent
parmi ceux où la taille moyenne est la plus basse, la Haute-Vienne
tient même sous ce rapport le dernier rang parmi les départements
français (1). D'autre part, sans être pour la couleur des cheveux et
des yeux rangés parmi les départements absolument bruns, ils occu-
pent sur les cartes de M. Topinard. les 52e, 53e et 60e rangs en allant
du plus blond au plus foncé. Il est donc certain que de ce côté
nous
avons affaire à une population très petite de taille, plutôt brune
que blonde et très dolichocéphale par rapport à l'ensemble du pays,
c'est-à-dire à quelque chose d'absolument inattendu.

(1) CLOUET, Invasions des Normands dans le Berry. Voir aussi Annales de Saint-
Martin, Annales de Saint-Berlin, Chroniques de Massay, etc.
(2) Sur 86 départements étudiés Broca (Savoie et Nice exclus), ils occupent
par
les rangs suivants Charente-Inférieure
: 82, Dordogne 83, Haute Vienne 86.
220 H. COLL1GNON.

La géographie gauloise ne vient pas, nous l'avons dit, à noire


aide; trois peuples différents habitaient ce territoire; les Santones à
l'ouest [grosso modo Charente-Inférieure), les Petrocorh au sud
(Dordogne), les Lemovices au nord (Haute-Vienne) ; tous celtiques.
Dans la suite, l'occupationromaine ne parait pas également pouvoir
entrer en ligne de compte; j'en puis dire autant de l'établissement
des Wisigoths dans la partie de notre pays comprise entre la Loire
et les Pyrénées. Pour la région qui nous occupe, il dura moins d'un
siècle (412 à 507) ; ce serait donc plutôt dans la Septimanie, dont
les rois Goths restèrent maîtres deux siècles encore, qu'on pour-
rait s'attendre à retrouver leurs descendants et nous avons vu que
les dolichocéphales blonds y sont exceptionnels. Parlerai-je ensuite
de l'armée musulmane écrasée à Poitiers par Karl Martel? En ad-
mettant même que ses débris se fussent établis en France et que
certaines localités comme Aubusson ou Montmorillon aient pu
donner asile à de nombreux fugitifs, que même on puisse çà et là
retrouver leur type dans des hameaux ou des bourgades de la
montagne, on ne saurait toutefois donner à cet élément de la po-
pulation plus d'importance qu'il n'en mérite et lui attribuer une
part réellement appréciable dans le phénomène que nous étudions.
A une époque postérieure, les seuls dolichocéphales étrangers qui
eussent pu modifier le type originel, sont les Anglais; mais en ce
cas la dolichocéphalie se fut accompagnée d'un relèvement de la
taille et d'une tendance vers les nuances claires de la chevelure.
Ce serait donc plus haut qu'il faudrait remonter, et à titre de jalon,
il est permis de rappeler que la Yézère traverse tout le département
de la Dordogne. Serait-il resté dans cette région, à l'état de substra-
tum ethnique vaincu et assimilé quant au nom, sinon quant au
type physique, des descendants de notre race quaternaire? Je n'ose
aller plus loin que poser la question. Là aussi des recherches spé-
ciales et absolument précises s'imposent et je les appelle de tous
mes voeux.
Restent enfin les groupes dolichocéphales bretons qui bordent
d'une manière presque ininterrompue le littoral de la péninsule.En
général, ils sont constitués par l'élément grand et blond, sauf excep-
tion en faveur de quelques cantons voisins de Tréguier qui sont ma-
nifestement des dolichocéphales bruns refoulés dans une pointe de
la Cornouaille. On les considère en général et à juste titre comme les
produits d'une immigration relativement récente venue au ve siècle
de la Grande-Bretagne. Nous regardons cette opinion comme abso-
lument fondée en ce qui concerne les côtes septentrionales et
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 221

occidentales ; mais en faisant des réserves formelles pour ce qui a


rapport à la partie méridionale de la Bretagne, c'est-à-dire à toute
celle qu'occupait aux temps de César la confédération vénète. Stra-
bon regardait ce peuple comme belge (IV, 4, i), c'est-à-dire anthro-.
pologiquement comme blond et grand, et nous ne pouvons qu'ap-
puyer son opinion, malgré l'opposition qu'elle a rencontrée chez
les historiens de l'ancienne Gaule. Seuls dans le Morbihan, quel-
ques cantons centraux des arrondissements de Ploërmel etde Pon-
tivy sont brachycéphales et bruns et peuvent être regardés comme
une terre celtique; tout le reste est dolichocéphale, relativement
grand et blond (1) : c'est donc à cette vieille race gauloise que nous
attribuerons les caractères physiques qui persistent encore de Lo-
rient à l'embouchure de la Loire. Les colons insulaires du ve siècle
ont pu venir la renforcer, ils ont pu apporter eux aussi leur contin-
gent de blonds ; mais, comme il s'y trouvait déjà une race apparentée
à la leur, rien ne peut actuellement nous permettre de les séparer
les uns des autres, co mme rien ne nous fait au nord de la France
distinguer les descendants des Francs et des Germains transplantés
par les empereurs, des fils de la Gaule Belgique.
Si pour conclure nous jetons une vue générale sur l'ensemble
des faits que nous venons d'exposer, nous apercevrons à l'origine la
terre qui devait ensuite se nommer la Gaule habitée par une popu-
lation étroitement apparentée à nos races antéhistoriques. Cette
population fut peu à peu dans la suite des temps refoulée de l'est
à l'ouest et finalement rejetée contre les Pyrénées et sur quelques
points du massif central par les brachycéphales bruns. Ceux-ci,
d'après leur répartition actuelle, semblent venus de l'est, plutôt
par les vallées de la Moselle, du Doubs ou du Rhône que par le
nord (je ne tiens compte dans ceci que des documents strictement
anatomiques). Leur homogénéité actuelle dans les centres mon-
tagneux les plus inaccessibles (Alpes, Jura, Auvergne) prouve
combien leur conquête avait été solide et leur prise de possession du
sol absolue. L'archéologie préhistorique expliquera d'un seul mot
cette remarquable assimilation. Ce sont des peuples agriculteurs
et partant attachés d'instinct à la terre qui ont vaincu des peuples
chasseurs et par suite relativement nomades. Les premiers peuvent
être considérés anthropologiquement comme des descendants de
races de Cro-Magnon et peut-être de Mugem, historiquement, comme
des Atlantes auxquels plus tard l'antiquité
grecque donna le nom
(1) Le Morbihan tient le dixième
rang sous ce rapport en France, il est plus blond
que l'Alsace, la Picardie et la Lorraine.
L'ANTHROPOLOGIE. ]5
— T. I.
222 R. COLLIGNON.

d'Ibères qu'eux-mêmes semblent n'avoirjamais connu. Les seconds


sont cette race que Broca considère comme celte parce qu'elle pré-
domine dans la Celtique de César et que d'autres, comme M.Hamy,
regardent comme ligure. De quelque nom qu'on la nomme, il est
certain qu'à un moment donné, elle couvrit toute la Gaule pro-
prement dite, car même dans les régions actuellement les plus
dolichocéphales on la retrouve condensée en îlots témoins, partout
où des conditions orographiques spéciales lui ont permis de soutenir
victorieusement la lutte : tels les brachycéphales de la Zélande dans
les îles des bouches de l'Escaut, tels ceux du Luxembourg belge
et ceux du centre de la Bretagne. D'une manière plus générale
on peut dire que nous la trouvons intimement mêlée à toutes les
populations actuelles de l'ancienne Gaule pour ne parler que de
notre pays.
L'empire celte fut à son tour attaqué sur deux points. Au sud,
ce fut par les puissances maritimes de la Méditerranée orientale;
les Phéniciens, qui semèrent le littoral de leurs emporia depuis le
portus Astartes (Port-Yendres) et Ruscino jusqu'au port de Mel-
kart monoeque (Monaco) ; les Grecs qui y fondèrent Massilia,
métropole dont les nombreuses colonies secondaires s'étendirent
sur toute la partie du littoral comprise entre Agatha (Agde) et
Nicasa (Nice) et pénétrèrent dans l'intérieur jusqu'à la Durance,
Avenio (Avignon) et Cabellio (Cavaillon).
Il le fut plus sérieusement, et depuis trente siècles n'a, peut-on
dire, cessé de l'être, par le nord et par le nord-est. La frontière de
la Gaule largement ouverte par le nord, insuffisamment défendue
au-dessus du massif protecteur du Jura par le cours du Rhin et par
les Vosges n'a cessé d'être envahie par les dolichocéphales blonds.
Dans la région orientale de notre pays (Lorraine, Franche-Comté),
relativement défendue par les Vosges et par l'Argonne, les Celtes
ont pu maintenir sinon leur indépendance, puisque, dès le icr siècle
avant notre ère, ils comptaient parmi les peuples belges (Medioma-
tricks,Leukes), du moins leur type physique ; en revanche, au nord,
une vaste poussée a conduit à maintes reprises les envahisseurs
Gaulois, Kymris, Franks ou Goths, au coeur du pays dans les
vallées de la Seine et de la Loire.
A l'époque actuelle, la paix s'est établie, les différences d'origine
sont oubliées; sur l'ensemble du territoire français, d'incessants
croisements ont mêlé les trois races primitives, mais cependant
sans les confondre. L'union morale est accomplie, mais non la fu-
sion de sang et de race. Chacune d'entre celles-ci a ses centres de
L'INDICE CÉPHALIQUE DES POPULATIONS FRANÇAISES. 223'

vie propres et sa zone particulière d'action. L'individualité si remar-


quable des diverses régions de notre pays trouve dans ces conditions
si bien mises en lumière par l'anthropologie sa raison d'être et son
explication rationnelle.
Un dernier mot pour terminer. Nous espérons, par les considé-
rations précédentes, avoir montré tout l'intérêt qui s'attache à la
question que nous avons traitée. La carte de l'indice céphalique est
un document anthropologique d'une valeur toute particulière et qui
ne fait double emploi ni avec celle de la taille ni avec celle de la
couleur. Toutefois, comme nous le disions en commençant, il y a
encore des lacunes dans le travail que nous avons entrepris. Nous
ne le publions donc qu'à titre provisoire; un jour peut-être, nous
parviendrons à lui donner un degré de précision plus grand en
prenant pour unité générale de nos recherches non plus le dépar-
tement, mais l'arrondissement, en nous efforçant même d'y substi-
tuer le canton sur les points particulièrement intéressants, comme
déjà nous l'avons fait pour les Côtes-du-Nord et pour la Manche
(carte I) ; mais c'est une oeuvre de longue haleine et pour laquelle
le concours d'hommes de bonne volonté et dévoués à la science
est nécessaire. Les conseils de revision pourraient leur fournir l'oc-
casion d'étudier en détail, qui un arrondissement, qui un départe-
ment. En quelques années les points les plus intéressants pourraient
être élucidés, un simple coup d'oeil jeté sur notre carte générale
suffit à les signaler à l'attention, et nous aurions ainsi une base
certaine et définitive pour élever l'édifice de notre ethnogénie na-
tionale.

Indice céphalique par départements (sans réduction)

Nombre Indice Nombre Indice


de sujets. Départements. céphalique. de sujets. Déparlements. céphalique.
23 Ain. 86,72 81 Cantal 87,08
62 Aisne 80,88 191 Calvados 81,62
33
32
Allier
Basses-Alpes
. . .
83,33
83,67
21
29
Charente .....
Charente-Inférieure
80,93
82,06
5 Hautes-Alpes 84,37 47 Cher 81,77
. . .
53 Alpes-Maritimes. 82,85 26 Côte-d'Or 84,01
91
23
Ardennes.
Ardèche
.... .
83,24
85,24
2023
24
Côtes-du-Nord.
Corrèze.
..... . .
83,72
83,98
23 Ariège 82,89 20 Creuse 82,83
23
30
Aube.
Aude
...... 83,07
81,05
53
21
Deux-Sèvres.
Dordogne
. . .
82,83
79,17
332
221
Aveyron
Bouches-du-Rkône.
85,50
81,43
22
21
Douhs.
Drôme
....... 86,05
84,89
224 R. COLLIGNON.

Nombre Indiciî Nombre Indice

.......
-
des sujets. Départements. céphahque. des sujets. Départements. céphalique.
109 Eure 81,34 52 Oise 82,60
20 Eure-et-Loir. 82,27 120 Orne 83,33
238
30 Gard.
....
Finistère..
......
. . .
82,83
83,12
183
55
.
Pas-de-Calais
Puy-de-Dôme. .
.

.
80,36
85,53
30 Haute-Garonne
.
83,43 62 Basses-Pyrénées.. 83,45
.
24 Gers 85,71 21 Hautes-Pyrénées. . 83,67
62 Gironde 82,60 35 Pyrénées-Orientales. 78,24
21 Hérault 82,50 26 Bas-Rhin 83,64
329
19
Ille-et-Vilaine..
Indre . -
84,02
82,66
26
51
Haut-Rhin.
Rhône
.... 83,80
86,01
29 Indre-et-Loire. 81,40 22 Haute-Saône.
20
24 Jura
Isère. ...... . .
85,32
88,20
41
44
Saône-et-Loire.
Sarthe
. . .

. .
87,37
87,11

20
43
Landes
Loire.
...... 84,50
84,04
191
25
Savoie
Haute-Savoie
. . .
83,84
87,39
86,25
27 Haute-Loire. 87,52 100 Seine. 81,57
. . .
160 Loire-Inférieure. 83,77 283 Seine-Inférieure. 81,10
. .
22 Loir-et-Cher. 83,30 106 Seine-et-Marne 82,86
. . . .
41 Loiret 83,08 161 Seine-et-Oise. . 81,57
. .
20 Lot 85,92 51 Somme 81,88
21 Lot-et-Garonne 86,66 22 Tarn 83,72
. .
14 Lozère 87,87 18 Tarn-et-Garonne. 85,80
.
62 Maine-et-Loire. 83,16 54 Var 82,77
. .
919 Manche 83,10 47 Vauclu.se 81,53
25 Marne 84,11 32 Vendée 84,47
20
100
Haute-Marne
Mayenne
...
.....
86,83
84,10
30
20
Vienne..
Haute-Vienne
....... .
82,94
79,70
.
50 Meurlhe 85,64 44 Vosges 86,68
62 Meuse 85,00 31 Yonne 82,51
173
41
Morbihan.
Moselle.
....
.....
82,62
83,97
237 Corse 76,93

41 Nièvre 83,14
171 Nord
....... 80,38
8707 Français.
vivants de 21
. .
à 25 ans.
83,57
MOUVEMENT SCIENTIFIQUE

EN FRANGE ET A L'ÉTRANGER

A. FALSA.W La période glaciaire, in-8° (Bibliothèque scientifique


internationale. Paris, Alcan).

Ce livre rendra des services à tout le monde. Il est volumineux,


nourri de faits. Mais nous avons le regret de constater qu'il ne répond
pas à l'état actuel de la science.
En dépit de nombreuses notes bibliographiques, parmi lesquelles
se sont glissées quelques inexactitudes, l'auteur paraît être beaucoup
plus familier avec les anciens travaux qu'avec les publications récentes,
même les publications françaises. De très belles recherches ont été
effectuées pendant ces dernières années, dans diverses contrées de
l'Europe et en Amérique. Elles sont quelquefois mentionnées à la hâte,
souvent omises. L'auteur, qui étudie « la période glaciaire principa-
lement en France et en Suisse », mériterait moins ce reproche si la
portée des conclusions qui couronnent son livre ne dépassait pas trop
souvent les limites géographiques du territoire étudié.
Le volume renferme 150 gravures dans le texte. La plupart sont des
représentations, sans grand intérêt scientifique, de blocs erratiques,
qu'on avait déjà pu voir dans les publications antérieures de M. Faisan.
Nous eussions préféré des coupes locales montrant les rapports strati-
graphiques des divers éléments des terrains tertiaires et quaternaires
La carte des anciens glaciers, qui termine l'ouvrage, rappelle les atlas
dont les écoles primaires étaient munies il y a vingt ans. Une chaîne
de montagnes traverse la Beauce ! Le Plateau central est figuré par un
groupement de trois ou quatre sortes de chenilles. Gomment se faire
une idée de l'importance des condensateurs montagneux avec une
pareille représentation des formes orographiques?
Deux questions, intéressant particulièrement les lecteurs de la
Revue, sont traitées dans le livre de M. Faisan.
La première a trait à la périodicité des phénomènes glaciaires. Dans
ses premiers travaux, M. Faisan a plaidé avec beaucoup d'éloquence en
226 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

faveur de l'unité de la période glaciaire. Plus tard, il a admis des oscil-


lations. Aujourd'hui, il accepte l'idée de phases, tout en persistant à
repousser l'idée de périodes. Avec MM. Geikie et Reinach, nous pen-
sons que ce n'est plus guère qu'une discussion de mots. Certes, M. Fai-
san a de bons arguments à l'appui de ses opinions pour ce qui est
des Alpes françaises. Celles-ci n'ont, jusqu'à présent, rien fourni de
décisif en faveur de la pluralité des périodes glaciaires. Mais pourquoi
ne pas mettre également en lumière, à côté des conclusions inspirées par
de remarquables recherches locales, les conclusions, toutes différentes,
inspirées par les travaux récents sur les Alpes allemandes et autri-
chiennes, sur les îles Britanniques, sur le Nord de l'Allemagne, sur
l'Amérique? Et, puisque M. Faisan s'occupe spécialement de la France,
pourquoi laisser absolument dans l'ombre les derniers travaux du Ser-
vice de la Carte géologique de France, qui ont confirmé l'existence d'une
période glaciaire pliocène dans le Plateau central (1)?
La seconde question se rapporte-à l'existence de l'homme pendant
l'époque glaciaire. Elle est liée intimement à la précédente, car les
synchronismes anthropologiques varient avec la place qu'occupent les
phénomènes glaciaires dans le cadre de l'époque quaternaire. Dans ce
nouveau chapitre, on ne trouve aucun fait précis. La classification des
temps préhistoriques suivie par l'auteur est celle de M. de Mortillet,
très logique en elle-même, mais s'adaptant mal aux vues de M. Fai-
san, sur la période glaciaire. C'est ainsi que le chelléen, avec sa faune
chaude, antérieur à l'époque glaciaire pour M. de Mortillet, devient
contemporain de cette époque pour M. Faisan. Les pérégrinations de
l'homme de Saint-Acheul, son outillage de bois, ses vêtements, sa
manière de vivre, sont décrits avec une précision vraiment trop
grande. Par contre, pas un seul gisement de cette époque de la val-
lée du Rhône n'est étudié stratigraphiquement. Il eût pourtant été
bon de rappeler que les seuls objets de la forme de Saint-Acheul
recueillis dans cette région et présentant des rapports stratigraphiques
avec les terrains glaciaires ont été recueillis sur ces terrains glaciaires,
disposition qui démontrerait plutôt leur postériorité que leur syn-
chronisme.
L'auteur s'occupe ensuite des époques moustérienne, solutréenne,
magdalénienne, etc. Ces divers paragraphes ne renferment rien de nou-
veau. Il est regrettable que dans ce livre, précieux à certains égards
mais écrit parfois de mauvaise humeur, une part plus grande n'ait pas
été faite aux documents tirés de la stratigraphie et de la paléon-
tologie.
M. BOULE.

Carte géologique détaillée de la France, au 1/80 000 ; feuille de Clermont.


(1)

Bulletin de la Société géologique de France, t. XVII,
p. 267.
FRANCE. 227

A. DE QUATREFAGES.
Histoire générale des races humaines. Introduction à cette
étude; 2e partie : Classification des races humaines. 230 gravures, 2 planches et
5 cartes, Paris, 1889 ; Hennuyer, éditeur.

Nous avons rendu compte du premier volume de cet ouvrage en 1887,


dans la Revue d'Anthropologie. Le second a paru dans le cours de 1889.
Nous n'avons pas à faire l'éloge de ce livre. Chacun sait avec quelle
clarté M. de Quatrefages, l'un de mes vénérés maîtres, expose ses idées,
avec quelle conscience il analyse les faits sur lesquels il s'appuie. Nul,
dans l'anthropologie française, ne possède une expérience plus profonde
du sujet qu'il traite ici, nul n'a plus de droit d'en parler avec auto-
rité. Nous nous bornerons à donner un aperçu de quelques passages.
Ce livre, admirable comme typographie etgravures, se partage natu-
rellement en trois sections : 1° les généralités sur la classification ; 2° les
types fondamentaux; 3° la description sucessive des principales races. Ne
pouvant nous arrêter auxdétails, nous insisterons sur lepremier chapitre,
avec d'autant plus d'empressement que nous ne pouvons que souscrire
àtoutes les idées sages qu'il renferme, à une réserve près.
M. de Quatrefages admet que l'homme forme une espèce. Il est évi-
dent qu'il n'est pas un naturaliste qui puisse dire le contraire, s'il s'en tient
aux groupes humains actuellement répandus sur la terre. Morphologique-
ment, toutes les races sont aisément réductibles à un type unique que
l'esprit peut se représenter dans la nuit des temps au delà du Néanderthal ;
physiologiquement, il n'est pas douteux que toutes ne puissent en se
croisant donner lieu, les circonstances aidant, aune race intermédiaire.
Mais morphologiquement on peut aussi réduire toutes les races à 3, 4, 5
ou 6 types fondamentaux; et physiologiquement nous ignorons si la bar-
rière qui aujourd'hui fait défaut entre ces types a toujours existé. Ce qui
est au delà du Néanderthal nous est inconnu. La question de l'unité pri-
mitive des races humaines doit donc être encore laissée en suspens
comme celle de l'unité ou de la pluralité des types de chiens.
Le nombre des races humaines actuelles, c'est-à-dire de toutes celles
accessibles à nos études et connues depuis la seconde époque quater-
naire jusqu'à ce jour, n'est pas moindre, commence M. de Quatrefages,
dans l'espèce humaine que dans certaines espèces d'animaux. Les races
de pigeons reconnues par Darwin s'élèvent environ à 150, le nombre
des races de chiens peut être évalué à 200, celui des races humaines
peut être évalué à 172 d'ordre primaire, secondaire, etc. Toutefois la
tendance que nous avons à regarder chez l'homme des nuances que nous
négligerions chez les animaux peut nous porter à un peu trop en multi-
plier le chiffre. Il est vrai que nous ne connaissons pas encore toutes les
variétés aujourd'hui répandues sur la terre et à plus forte raison toutes
celles qui les ont précédées.
Dans leur ensemble, les races humaines que nous connaissons sont
228 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

comparables, suivant M. de Quatrefages, —et la comparaison mérite d'être


retenue, — à un arbre dont le tronc serait enfoui sous terre et dont
nous ne voyons que les branches maîtresses émergeant du sol et se par-
tageant chacune en branches secondaires et rameaux; ce qui fait que
chacune de ces branches maîtresses nous apparaît comme un tronc en
apparence distinct.
Toutefois, dans la réalité, les choses ne se présentent pas avec cette
simplicité et c'est à la science à reconstituer par l'analyse et la synthèse
cette continuité qui est certaine, mais qu'il faut démontrer. D'une part
les caractères qui distinguent ces branches et rameaux sont souvent
modifiés par les milieux et le genre de vie, suivant M. de Quatrefages con-
tinuant ainsi Buffon; ce qui est impossible à contester, quoiqu'il ne soit
pas toujours facile de le prouver avec les faits que nous avons en main.
De l'autre, toutes les races sont eugénésiques, pour me servir du mot
de Broca, bien qu'il ne partageât pas cette idée; ce qui est l'argument
fondamental de ceux qui ne voient dans l'homme qu'une espèce. Il en
résulte que non seulement une filiation réputée pure ne saurait se con-
server intacte dans le cours des temps mais qu'une lignée se croisant
avec une autre donnera lieu à des fusions et entre-croisements de ca-
ractères, c'est-à-dire à ce que M. de Quatrefages appelle une race mixte.
Autrement dit, dans notre arbre les branches et rameaux s'anastomo-
sent entre elles dans des proportions que, pour ma part, allant plus loin
encore que M. de Quatrefages, je dirai infinies.
En réalité, dans la pratique, ce sont des groupes humains que l'on
rencontre que l'on regarde comme des races, les unes « considérées
comme pures », les autres « mixtes », races qu'il s'agit tout d'abord de
reconnaître, puis de caractériser et enfin de classer, chacune à sa place
suivant ses affinités avec les voisines et suivant sa parenté dans l'arbre
généalogique général présumé.
Aussi la classification des races humaines est-elle la partie de l'an-
thropologie qui exige le plus de connaissances générales, de travail et
de tact et n'est-elle accessible qu'aux personnes très préparées.
11 y a deux genres de classifications l'un systématique, où l'on
:
prend un caractère, comme la couleur,la langue, le développement so-
cial, nous dit M. de Quatrefages; l'autre, où l'on considère tous les carac-
tères à la fois, en en appréciant le plus ou moins de valeur dans chaque
cas. Ce dernier est la méthode dite naturelle, celle qu'adopte M. de
Quatrefages.
Bref, le savantprofesseur est conduit àadmettrecinq divisions fonda-
mentales de races, savoir :
1° Le tronc des races nègres ou pouvant être regardées'comme telles,
se partageant en branches indo-mélanésienne, australienne, africaine
et austro-africaine.
2° Le tronc des races jaunes ou pouvant être regardées comme telles,
RUSSIE. 229

partagé enbranchessibérienne,thibétaine, indo-chinoise et américaine;


3° Le tronc des races blanches ou pouvant être regardées comme
telles, divisé en branches allophyle, fmnique, sémitique et aryane;
i° Races mixtes océaniennes, comprenant des races à éléments juxta-
posés comme les Japonais et des races à éléments fondus comme les
Malais et les Polynésiens.
5°Races mixtes américaines, géographiquement réparties en septen-
trionales, centrales et méridionales.
Inutile de dire que M. de Quatrefages ne donne à la couleur qu'une
valeur déterminative très secondaire et que ces noms sont très sujets à
objection.
La place ne me permet pas de parler du second chapitre qui est en
quelque sorte une quintessence des idées les plus générales de l'auteur
sur la filiation des principales branches de l'arbre humain et spéciale-
ment sur la filiation des types préhistoriques avec les types actuels et
la place que les premiers doivent occuper dans sa classification. C'est
véritablementle chapitre hardi de ce livre que tout anthropologiste doit
lire et méditer avec le plus grand soin.
P. TOPINARD.

D. KLEMKNTZ. (LesAntiquités du Musée de Minoussinsk.— Monuments de l'âge


des métaux.)DrevnostiMinoussinskagoMouzeiaetc, Tomsk, 1886-7, 1 vol. in-8,
avec un atlas de 21 photogravures (en russe).

La petite ville sibérienne de Minoussinsk, perdue au milieu des fo-


rêts épaisses des monts Sayan, presque à la frontière de la Mongolie,
séparée par des milliers de kilomètres de tout centre scientifique est à
peine connue de nom des savants européens. Cependant elle possède
depuis 1874, grâce à l'initiative éclairée d'un de ses citoyens, M. Martia-
nony botaniste distingué, un musée local d'histoire naturelle qu'envie-
raient plusieurs villes de la Russie et même de l'Europe. Dernièrement
le généreux fondateur y a créé une section des antiquités qui possé-
dait en 1886 plus de 4 600 objets en pierre ou en métal trouvés dans
le district de Minoussinsk et dans les pays environnants, c'est-à-dire
dans la région du sud des gouvernements de Iénisséïsk et de Tomsk,
couverte par les montagnes se rattachant aux chaînes d'Altaï et de Sayan.
Désireux de faire connaître ce musée aux savants, dont la plupart hési-
teraient certainement d'entreprendre un voyage de deux mois en traîneau
ou en «tarantass» pour le visiter, M. Martianoff, aidé par d'autres ama-
teurs, comme M. Kouznetsoff, a confié à un homme très savant et zélé,
que les vicissitudes de la vie politique ont jeté dans ce pays lointain,
M. Klementz, la confection d'un catalogue illustré du musée. Jusqu'à
présent, la première partie seulement de cet ouvrage, concernant les
230 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

objets en métal, a paru. Malgré la date un peu ancienne de sa publica-


tion, le catalogue de M. Klementz est complètement inconnu en France
et même en Europe en général et nous croyons rendre service à tous
ceux qui s'intéressent aux questions des rapports archéologiques et
ethnologiques entre l'Europe et l'Asie, en donnant un court résumé de
cet ouvrage consciencieux et plein de renseignements.
Une courte « introduction» de M. Martianoff nous fait connaître les
origines et l'état présent du musée; nous l'avons pour ainsi dire ana-
lysée dans les lignes que l'on vient de lire.
Dans la « préface », M. Klementz résume sur soixante-treize pages
tout ce que l'on connaît de l'archéologie préhistorique et de l'ethno-
génie du district de Minoussinsk et des pays environnants. Les hautes
vallées du Ienisseï et de ses affluents, Abakan et Touba, encaissées de
tous côtés de montagnes d'un accès difficile, étaient habitées depuis les

FIG. 1. — Sépultures île JMmoussiusk.

temps les plus reculés par des populations isolées du reste du monde
et qui cependant ont créé une civilisation spéciale, grâce à la richesse
du pays en forêts et pâturages, en gisements de cuivre, de fer et d'or.
L'abondance de monuments archéologiques, tumuli, camps retran-
chés, canaux d'irrigation, statues en pierre, inscriptions rupestres, an-
ciennes mines, objets de toute sorte, etc., que l'on trouve dans ce coin de
la Sibérie, est réellement surprenante. Le fait n'a pas échappé à l'observa-
tion perspicace des premiers voyageurs, comme Pallas et Gmelin ; et plus
tard, Radloff, Aspelin, Popoff, Iadrintseff ont visité, étudié et décrit
plusieurs de ces monuments ; malgré tout cela, la plupart ne sont pas
encore connus du monde savant et l'on devrait pratiquer des fouilles
méthodiques au moins pendant plusieurs années pour se faire une idée
complète de la civilisation des anciens aborigènes de ce pays. Il faudrait
aussi se dépêcher, car les colons arrivant en quantité dans ces derniers
temps, détruisent tous les tumuli et rabattent les pierres levées dans
l'espoir de trouver des richesses enfouies dans le sol. Pour donner une
idée de la quantité d'objets qui sont ainsi perdus pour la science, il suf-
fira de dire qu'il existe dans le pays le métier de « chercheurs de
cachettes» ou de « fouilleurs »; que les fondeurs locaux achètent cou-
ramment les bronzes préhistoriques pour les refondre en grelots, en
RUSSIE. 231

cloches, etc. ; et qu'un riche propriétaire a donné, il y a quelque vingt


ans, 200 kilogrammes de bronze préhistorique pour la fonte d'une
cloche d'église dans sa paroisse.
Les tumuli ou «kourganes » et les sépultures de Minoussinskprésen-
tent une grande variété de formes ; d'après la classification de M. Radloff,
modifiée par M. Klementz, on doit admettre au moins douze types divers :
1° Sépultures ou tombes plates, rectangulaires, entourées de grandes
pierres (jusqu'à trois mètres), dont certaines représentent grossièrement
une figure humaine (fîg. 1). 2° Sépultures analogues, entourées de dix
dalles plates, orientées toutes de la même façon (c'est-à-dire dont toutes
les faces larges sont tournées à l'est et à l'ouest et les faces étroites au
nord et au sud). Ces deuxvariétés sont confondues sous le nom deMaïaki
par Gmelin. 3° Sépultures plates, rectangulaires, entourées de dalles
enfoncées dans la terre de façon à ne laisser paraître au-dessus du sol
que leur partie supérieure de quelques centimètres de hauteur. 4° Va-
riété du type précédent avec le sol pavé. 5° Kourganes ou tumuli
hauts de & mètres, groupés plusieurs ensemble et entourés de pierres
portant parfois des signes et des figures. 6° Kourganes isolés, entourés de
dalles enfoncées dans la terre comme dans la variété n° 3 des sépultures.
7° « Tchaa-kas », kourganes ronds, formés d'amas de pierres entourés
de dalles. 8° Petits kourganes exclusivement en terre. 9° Tas irréguliers
de pierres que l'on rencontre surtout dans les montagnes. 10° Sépul-
tures élevées, sans pierres. 11° Kourganes plats entourés d'un ou de
deux cercles de pierres (pi. XXI, fig. 4 de l'altas). 12° Kourganes plats
entourés d'une série de rectangles en dalles parallèles. Des sépultures
analogues à certains de ces types se rencontrent dans la steppe kirghiz
jusqu'à l'Oural ; ceux de la Mongolie nord-occidentale, figurés par
M. Potanin (1), se rapprochent le plus du type n° 11,
La différence de forme des sépultures ne semble pas avoir d'ailleurs
une importance capitale, car souvent les sépultures de même forme
extérieure contiennent des objets tout à fait différents. D'après Gme-
lin, les kourganes des types nos 1 et 2 contiennent ordinairement des
ossements incinérés et des objets en or et en fer, tandis que ceux du
type 3 renferment surtout des objets en cuivre ou de la poterie. D'après
Pallas, les kourganes du type n° 5 contiennent toujours des chambres
faites avec des troncs d'arbre, non équarris, comme on en emploie ac-
tuellement pour la construction des « izbas » des paysans russes ; ces
troncs et les planches qui les recouvrent sont consolidés au moyen de
clous en fer; chaque chambre
ne renferme qu'un seul squelette ; mais à
côté on trouve aussi des cendres d'ossements, mêlés aux objets de
bronze, de cuivre, de fer, rarement d'or; MM. Sivers et Radloff ont

(1) POTANIN, Voyage dans la Mongolie nord-occidentale. Saint-Pétersbourg, 1881-


83; 4 vol. in-8,
avec planches (en russe).
232 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

signalé des sépultures analogues au type n° 7 dans la province de


Semirétchié (Turkestan russe). Le seul kourgane du type n° 12, fouillé
par M. Titoff dans les monts Ouï'bat, n'a donné presque rien comme
objets (sauf quelques poteries) ; il était rempli de squelettes d'hommes
et de chevaux à moitié brûlés sur un vaste bûcher. L'auteur de cette
fouille suppose que c'est une sépulture de guerriers tombés dans une
bataille pendant les grandes guerres du xvie et du XVII0 siècle.
RUSSIE. 233

squelette, on trouve des couteaux en cuivre et, près du cou, des épingles
du même métal en forme de clou (cela rappelle les objets analogues
trouvés par M. Morgan dans le Caucase) ; près du crâne et sur le
front, des disques coniques ou hémisphériques également en cuivre.
Pas un seul objet de fer.
2° Fosses profondes, munies de chambres en troncs d'arbre, non
équarris, renfermant des ossements brûlés d'hommes et d'animaux,
quelques poteries spéciales, des objets en cuivre, en os et des masques
en plâtre (fig. 2).
Les sépultures de Nemir sont caractérisées par la disposition de
squelettes en plusieurs étages.
Les masques dont nous venons de parler et dont Pallas fait déjà
mention dans son récit, sont très artistement faits. A côté des types
mongoloïdes, à pommettes saillantes et aux petits yeux étroits qu'ils
représentent on en rencontre d'autres avec des traits européens fort
réguliers. Tous les masques sont de grandeur naturelle peints en rouge
avec une couleur qui s'est conservée dans toute sa fraîcheur.
D'autres fouilles ont été faites dans les sépultures du type n° 11, par
M. Kouznetsoff, l'éditeur du catalogue que nous analysons. Ce sont des
sépultures très pauvres; on n'y a trouvé que quelques objets en bronze
de toilette féminine (broches, épingles, disques) et de squelettes
couchés.
En somme, on n'a fouillé méthodiquement que très peu de sépul-
tures de chaque type, et certaines (comme celles du type n° 5) n'ont ja-
mais été explorées.
A côté des tumuli et de kourganes, il faut placer par ordre d'im-
portance les « kammenya baby » (les bonnes femmes en pierre), statues
imitant grossièrement les figures humaines avec les bras croisés sur
le ventre et tenant Un vase. Jusqu'à présent on ne les connaissait que
dans le sud de la Russie; mais aujourd'hui, grâce aux recherches de
Potanin, de Radloff, de Popoff, de Klementz et autres, on peut suivre
leur aire de distribution a travers toute la Sibérie méridionale jusque
dans le nord-ouest de la Mongolie et dans la vallée de l'Ili (Kouldja).
La facture beaucoup plus grossières des « bonnes femmes » de la Sibérie,
en comparaison de celles de la Russie, fait supposer que les peuples
qui les ont construites cheminèrent de l'est à l'ouest. Les dessins des
animaux, etc., de même que les signes, sorte d'hiéroglyphes ou des
«totems» que portent certains de ces monuments n'ont pas encore été
étudiés jusqu'à présent.
Les dessins et les inscriptions sur des rochers ont eu un meilleur
sort. Plusieurs observateurs et savants, Spassky, Titoff, Savenkoff,
Popoff, etc., en ont pris des copies et les ont publiées. Une seule de ces
inscriptions rupestres, sur la rive gauche du Ienisseï, en face du village
d'Abakansk, est en caractères mongols et contient, d'après l'abbé Orlov,
23 i MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

l'instruction sur la façon de traiter les prisonniers et d'enterrer les


morts. Elle peut se rapporter au xvne siècle, époque des expéditions des
Khans Khalkha, Erdeni et Laousan contre les Kirghiz, qui habitaient à
cette date le district de Minoussinsk. Le reste des inscriptions (une
vingtaine) ne sont pas encore déchiffrées. D'ailleurs les façons variées
dont les signes ont été exécutées (couleurs différentes, incisions, etc.)
indiquent qu'elles datent des époques différentes. On peut diviser les
dessins en deux catégories : les figures de la première catégorie repré-
sentent les animaux domestiques; celles de la seconde, des scènes de
chasse. Sur l'un de ces dessins primitifs on voit des tigres et des cha-
meaux, animaux inconnus aujourd'hui dans le pays. On peut dire en
général que les inscriptions et dessins faits en couleur rouge sont anté-
rieurs à ceux peints en noir. Plusieurs des figures sont analogues à
celles que l'on voit sur les pierres funéraires et sur les tambours actuels
des chamans sibériens.
Quant aux inscriptions proprement dites, que l'on a cru pouvoir
rattacher aux caractères runiques, voici les seules conclusions posi-
tives que l'on pourrait avancer à leur égard (1) : 1° Elles sont plus an-
ciennes que les dessins rupestres. 2° On les rencontre sur les deux
bords du Ienisseï et au delà des monts Sayan. 3° Leur ressemblance
avec les caractères runiques, Scandinaves et occidentaux, comme ceux
de la Corne d'or ou de certaines bractéates (ce qui ne nous paraît nulle-
ment prouvé) indique une origine commune avec ces derniers. 4° L'écri-
ture de ces inscriptions devait se faire en lignes horizontales de gauche
à droite. 5° Le ouïes peuples qui se servaient de cette écriture devaient
être en relation avec les Chinois. Cette dernière assertion est basée uni-
quement sur l'existence d'un paï-sé ou médaille-diplôme décrite par
Klaproth et portant des signes analogues à ceux des rochers à côté des
caractères chinois; on pourrait y ajouter un autre argument, suivant
nous : c'est la présence, sur un couteau en bronze figuré dans l'atlas de
M. Klementz (pi. XVII, en bas), d'un signe analogue à ceux des rochers
à côté d'un autre, se rapprochant beaucoup du caractère chinois : Tchen,
d'après M. Dumoutier auquel nous avons montré ce dessin. Rappelons
à ce propos que les premières relations des peuples habitant la haute
vallée du Ienisseï avec les Chinois ne remontent pas au delà du ne siècle
avant l'ère chrétienne; 6° l'on sait que les Doulgass, les Hakas et les
Oïkhors (Ouïgours) avaient une écriture spéciale, dont ils se servaient
dans leurs relations diplomatiques avec les Chinois. 7° Cette écriture
ne devait pas être répandue dans le peuple, mais faisait partie des con-
naissances d'une caste privilégiée. 8° L'essai de M. Campbell de rappro-

La plupart de ces inscriptions ont été reproduites par M. Iadrintsef dans son
(1)
intéressant article « Anciens monuments et inscriptions de la Sibérie » publié dans le
Recueil littéraire de la Revue Orientale, Saint-Pétersbourg, 1885, in-8° (en russe), e
tout récemment (1889) dans le Journal de la Société finno-ougrienne d'Helsingïors,
RUSSIE. 235

cher les inscriptions sibériennes des caractères japonais ne repose sur


aucune donnée scientifique sérieuse.
Outre les kourganes et les statues, on trouve dans le district de Mi-
noussinsk en quantité des restes énigmatiques des camps retranchés
(gorodische, en russe) souvent très considérables; des canaux d'irriga-
tion qui s'étendent parfois sur une longueur de 40 kilomètres; des
mines de cuivre, de fer, d'or, qui ont été exploitées par des peuples pri-
mitifs (on a trouvé dans certaines de ces mines des squelettes de mi-
neurs ayant à côté d'eux des instruments et des sacs de cuir remplis
de morceaux de minerais). Les hauts fourneaux et les forges se ren-
contrent aussi fréquemment ; d'ailleurs rien que le nom de kouznétsi
(forgerons), appliqué par les premiers colons russes aux aborigènes de ce
pays indique déjà l'habileté de ces derniers dans les travaux métallur-
giques. La civilisation de ce peuple de forgerons était très circonscrite;
au nord, sa limite était entre les villes actuelles de Krasnoïarsk et de
Iénisséisk; à l'ouest, elle est indiquée par la rivière Ansas ; au sud, parla
chaîne de Tannou (en Mongolie) ; à l'est, elle coïncide avec la limite des
forêts vierges. C'est surtout près des villages Oznatxhennaïa QtSayanskaïa
sur le Ienisseï, de même que dans la steppe de Djerim, que l'on trouve
jusqu'à présent le plus grand nombre d'objets préhistoriques (vases et
médailles en argent et en bronze, miroirs, couteaux, flèches, etc.). Les
objets en pierre se rencontrent beaucoup plus rarement et sont peu
caractéristiques. D'ailleurs l'auteur de la préface* promet d'en donner
prochainement un catalogue détaillé.
La plus grande partie des objets métalliques sont en bronze ou en
cuivre; les deux métaux semblent avoir été employés indifféremment;
cependantles objets lourds, massifs sont généralement en cuivre, tan-
dis que les objets fins, artistiques sont en bronze. Les diverses ana-
lyses faites par MM. Struve, et P. Fallenberg ont démontré que les dif-
férents objets contiennent de 73 à 99 p. 100 de cuivre et de 0,32 à
26,74 p. 100 d'étain; certains renferment jusqu'à 9 p. 100 de fer, mais
la plupart accusent moins de 1 pour 100 de ce métal; on a constaté
aussi dans quelques objets la présence de plomb.
Les ornementations en spirale si caractéristique du bronze euro-
péen n'existent pas sur les bronzes de Minoussinsk; les rares orne-
ments sont rectilignes, et surtout en forme de réseau; les [figures des
animaux, cerfs, boucs, chèvres, etc., sont assez fréquentes.
Les haches sont pour la plupart allongées, à deux ailerons. Certaines
formes sont encore employées aujourd'hui par les indigènes de race
turque; on les appelle osoup. Les haches sans ailerons forment un
groupe à part, sorte de coins très larges. Les haches de combat sont
nombreuses; ce fait semble ébranler la théorie d'Aspelin, d'après la-
quelle il n'y aurait pas de vraies haches au delà de l'Oural. Les cou-
teaux sont tantôt droits, tantôt recourbés. Rappelons à ce propos que
236 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

certains de ces couteaux recourbés, très petits, munis le plus souvent


d'un anneau au bout du manche (fig. 3 et 4), rappellent les monnaies
chinoises anciennes, de la dynastie des Tcheou (1134-255 avant J.-G.),
en forme de couteau ou de sabre (1). Les petits canifs ou poinçons en
bronze ou en fer, ajustés à côté du grand couteau, dans le même four-
reau ou dans un fourreau spécial sont des objets bien intéressants et
rappellent les couteaux de chasse actuels des Soyotes; les chroniques
chinoises (de la dynastie Soun) signalent des couteaux analogues chez le
peuple Kîlan. La plupart des poignards en bronze sont élargis vers leur
tiers supérieur; certains diffèrent beaucoup des poignards en cuivre
et se rapprochent plutôt des poignards en fer.
Un fait à noter, on n'a trouvé qu'une seule fibule; preuve que cet
RUSSIE. 237

remonte son existence? Les savants les plus compétents dans la matière,
Kastren, Aspelin, Radloff, ne donnent que des hypothèses à ce sujet. Les
renseignements les plus anciens sur les pays avoisinant le district de
Minoussinsk que Ton trouve dans les annales chinoises ne remontent pas
au delà du'ne siècle avant l'ère chrétienne. A cette date, le peuple Youé-tchi
occupait le pays situé à l'ouest des Hsioung-nou qui nomadisaient dans
la Mongolie actuelle. Mais déjà à cette époque reculée les annales ne font
aucune allusion aux armes ou objets de bronze et nous décrivent les
Youé-tchi connaissant l'usage du fer. Si l'on considère d'autre part que
les nécropoles scythes du sud de la Russie contenant des mélanges
d'objets en bronze et en fer sont ordinairement rapportés au ive siècle
avant J.-G., il est tout naturel d'estimer que l'âge du bronze altaïque
est au moins antérieur à cette époque. Quant aux affinités anthropolo-
giques des forgerons de l'Altaï et des Sayan, les opinions sont parta-
gées. Eichwald (£ur/es mines des Tchoud, 1856) les englobe dans sonpeuple
« Tchoud » qu'il croit appartenir, avec les Scythes, à la race finnoise.
M. Baer trouve une ressemblance entre les crânes anciens des Scythes et
des Altaïens; enfin Radloff, qui comptait d'abord les aborigènes de ce
coin de la Sibérie parmi les peuples Ougro-Samoyèdes, les considère
dans son ouvrage Aus Sibirien comme faisant partie du grand peuple
Iénisséien(larace «Sayan» de Kastren) dont quelques débris vivent en-
core de nos jours (Ostiaks du Ienisseï, Kotes,Arines,Assanes). Cette der-
nière opinion de l'éminent savant nous paraît être la plus vraisemblable.
Quoi qu'il en soit de ses origines et de ses affinités, ce peuple préhis-
torique, que l'on pourrait appeler Sayano-Ienisséien, nous apparaît,
d'après les objets qu'il a laissés, comme ayant atteint un degré assez
élevé de civilisation. Il connaissait l'ait du mineur, élevait des animaux
domestiques, était artiste, possédait une écriture, s'adonnait à la chasse
et probablement à l'agriculture. C'était un peuple pacifique : ces armes
sont destinées plutôt à la chasse qu'à la guerre. Protégé par ses mon-
tagnes, il a dû mener une vie paisible durant des siècles dans un isole-
ment qui a donné une tournure originale à son industrie, en même
temps qu'une certaine inégalité dans le développement de ses indus-
tries : ainsi, bon mineur et métallurgiste, il était mauvais potier et tis-
seur, par suite de l'absence presque complète de matériaux indigènes
pour ces genres d'industrie; ayant apprivoisé le cheval, il ne paraît pas
avoir connu les bêtes à corne : du moins n'a-t-on pas trouvé jusqu'à
présent aucune image de ces animaux, ni sur les objets ni sur les des-
sins rupestres. 11 a dû inventer lui-même l'industrie du fer, car c'est
postérieurement au développement de cette industrie que nous le trou-
vons aux prises avec des envahisseurs barbares qui connaissaient cepen-
dant ce métal.
Nous avons résumé les idées de M. Klementz, et nous y souscri-
rions volontiers s'il n'y avait
une seule difficulté à admettre un pareil
L'ANTHROPOLOGIE. 16
238 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

isolement du peuple Iénisséien : c'est l'absence d'étain dans le pays et


la nécessité de se le procurer par échange. L'auteur dit vaguement, il
est vrai, que l'étain venait de l'Est, du pays de l'Orkhon (en Mongolie),
et fait supposer ainsi des relations commerciales avec les peuples de
l'Est. Mais l'étain venait-il uniquement par cette voie? et n'existait-il
pas des rapports commerciaux avec des peuples habitant au sud des
Sayans? Autant de questions que l'auteur laisse de côté, certainement
faute de renseignements.
Nous avons dit plus haut que vers l'époque où l'industrie du fer

FiG. 5. FIG. 6. FIG. 7.


Pointes de flèche à trois faces (Musée de Minoussinsk), 1/2 gr. nat.

commençait à prendre son essor, le peuple Sayano-Iénisséien est


entré en lutte avec les envahisseurs. Ces envahisseurs appartenaient
probablement à un peuple de race turque, connu dans les chroniques
chinoises sous le nom de Tou-kiou, et soumis aux Jouan-jouan qui ont
remplacé les Hsioung-nou en Mongolie.
Nomades intrépides, les Tou-kiou ont subjugué les Sayano-
lénsséiens, mais ils se sont mélangés avec eux et ont adopté la civilisa-
tion relativement élevée des vaincus. C'est pour cela que nous voyons
dans les temps historiques les Tou-kiou présenter un état social très
élevé. Ils adoptent le bouddhisme au vnesiècle après l'ère chrétienne, et
sont en relations diplomatiques avec la Chine et l'empire byzantin
(entre le vie et le vme siècle ap. J.-C). 11 est donc probable qu'un certain
RUSSIE. 239

nombre de tombes et des objets en fer, en or et en argent doivent être


attribués aux Tou-kiou primitifs; d'autres se rapportent à des époques
plus récentes et portent des empreintes d'une influence étrangère. Le
«royaume» des Tou-kiou a été détruit, comme on le sait, vers 745, parles
Quigours qui à leur tour ont dû céder le territoire de Minoussinsk aux
Hakas. Mais nous entrons ici dans le domaine de l'histoire; nous nous
bornerons seulement à dire que les Hakas, dont les annales chinoises
mentionnent l'existence déjà au Ier siècle avant l'ère chrétienne et qui
habitait primitivement à l'est des Youé-tchi et des Tou-kiou,sont le seul

FIG. 8. FIG. 9. FIG. 10.


Pointes de flèche à tranchant transversal (Musée de Minoussinsk), 1/2 gr. nat.

peuple auquel ces annales attribuent la connaissance de l'étain; cepen-


dant il peut y avoir peut-être une erreur dans les interprétations
clés textes où souvent le plomb et l'étain sont confondus. Ajoutons
enfin que les Hakas, toujours d'après les annales chinoises, avaient les
cheveux roux et les yeux bleus.
La civilisation si élevée du bronze et du fer des anciens habitants
du haut Ienisseï a été complètement détruite par les Hakas, puis par
les Ki-li-ki-tse et les Mongols. Les premiers colons russes venus vers le
xvic siècle ne trouvèrent dans le pays que des tribus incultes turco-
fumoises comme les Sagaï et les Touba que les chroniques chinoises
représentent, sous les noms de Tou-bo, encore au vue siècle, comme des
sauvages chasseurs, ne connaissant ni l'agriculture ni l'élève du bétail.
210 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Après cette longue analyse de la préface, il ne nous reste que peu


de choses à dire du catalogue lui-même. La description des objets
y est faite avec tous les détails utiles sur la forme, la couleur, la patine,
la provenance et sur les circonstances dans lesquelles ces objets ont été
recueillis. Ajoutons qu'on y trouvera les dimensions de tous les spécimens
exprimés à l'aide de 5 ou 6 mesures (en centimètres) pour chaque. Les
objets sont classés d'abord d'après la matière dont ils sont faits:bronze
ou cuivre ; laiton (rare) ; or, argent et pierres précieuses ; fer, fonte ou acier ;
poterie; pierres tombales et statues; masques en plâtre. Dans chacune
de ces classes, les objets sont ensuite rangés d'après leur nature; c'est
ainsi que la première classe (bronze et cuivre) ne comprend pas moins
de 67catégories d'objets (haches de diverses formes,moules, coins, her-
minettes, houlettes, marteaux, ciseaux, poignards simples, poignards
avec de petits canifs surajoutés ; couteaux droits, recourbés, en forme de
serpe, etc.; plaques (grattoirs?), épingles, boucles d'oreilles, pendelo-
ques, bagues, bracelets, boucles, agrafes, boutons, ornements divers,
miroirs, objets de harnachement, mors, étrilles, étriers, vases et coupes,
fourchettes, objets à destination inconnue, etc.). La classe des objets en
fer est subdivisée en 40 catégories; parmi les objets les plus remar-
quables il faut citer les pointes de flèche de formes bizarres : à trois
faces, pointues et barbelées (fig. 5 et 6) ou obtuses (fig. 7); à tranchant
transversal, droit (fig. 10, forme la plus commune), arrondi (fig. 9) ou
évasé (fig. 8), etc.
L'atlas joint au catalogue est une reproduction par la photogravure
des dessins très bien faits à l'encre de Chine par un peintre-artiste,
M. Stankievitch, sous la surveillance de l'auteur du catalogue. Il est
à regretter qu'aucune explication des planches n'accompagne cet atlas;
les renvois des numéros du catalogue à ces planches sont très difficiles
à trouver dans le texte et il y a un certain nombre d'erreurs dans ces
renvois, notamment en ce qui concerne les planches XVII et XVIII et
les pages 153, 160, 170, 171 et 179.
En somme, malgré ses quelques petites imperfections techniques,
le catalogue fait un grand honneur à son auteur, novice, comme il le dit
lui-même, en archéologie préhistorique; il sera certainement consulté
avec fruit par tous ceux qui s'intéressent aux questions archéologiques
et ethnographiques concernant le passage des peuples de LAsie en Europe.
J. DENIKER.

G. HOLM. L'expédition au Grônland oriental. Ben Ôstgrônlanchke Expédition. '


(Meddelelser om Grônland, vol. X.)

Les Eskimos, établis sur la côte orientale du Grônland entre le 65°


et le 66° de lat. N., sont une des rares populations du globe n'ayant eu
DANEMARK. 241

jusqu'ici aucune relation avec les races supérieures. Une épaisse ban-
quise d'accès très difficile, impénétrable même au sud du cercle polaire,
les isole du reste du monde. Une seule expédition, celle dirigée en 1883
par M. Nordenskiôld, a réussi à traverser cette redoutable masse de
glaces et à atterrir dans cette région, sans réussir cependant à entrer en
relation avec les indigènes (1). L'unique route par laquelle on puisse
arriver chez les Eskimos de la côte orientale est l'étroit chenal ouvert
entre la terre et la banquise, chenal souvent tardivement débarrassé
de glace, fréquemment obstrué et généralement fermé de bonne heure.
Pendant les années 1829 et 1830, le capitaine Graah, de la marine
royale danoise, le suivit jusqu'au 65°,30 et c'est à lui que nous devons
les premiers renseignements sur ces indigènes (2). De 1883 à 1885,
le commandant Holm et le lieutenant Garde ont parcouru à leur tour
ce chenal périlleux en complétant l'oeuvre commencée par leur compa-
triote. La mission confiée à ces deux officiers comprenait le lever du
littoral, et, au point de vue qui nous intéresse, la recherche de ruines
nordiques sur la côte orientale et l'étude des Eskimos établis dans ces
parages.
Au moment du départ de celte expédition, en 1883, la question si
longtemps controversée de la position de YÔsterbygd venait d'être posée
de nouveau par M. Nordenskiôld. Le célèbre explorateur suédois assu-
rait que les ruines de l'ancien établissement oriental des Islandais au
Grônland devaient être cherchées sur la côte Est, et non pas sur le lit-
toral Ouest, comme le prétendaient les archéologues danois. Il appuyait
son opinion sur le témoignage d'indigènes affirmant l'existence de
•ruines nordiques le long de la côte orientale et sur celui du mission-
naire Brodbeck, qui déclarait avoir vu les vestiges d'une construction
Scandinave sur les rives d'un fjord de la côte Sud-Est. Contrairement
à l'opinion de M. Nordenskiôld et en dépit des plus minutieuses
recherches, le commandant Holm n'a trouvé aucune ruine nordique
sur la côte orientale, du cap Farwel au 66° de lat. N. De nombreux
Eskimos, interrogés à ce sujet, ont tous été unanimes à déclarer qu'il
n'existait aucun vestige de construction de Kablounak (3) dans leur
pays. Les seules ruines découvertes sont celles d'anciennes habitations
indigènes. Les recherches de l'expédition danoise prouvent donc d'une
manière irréfutable, semble-t-il, que YÔsterbygd'se trouvait sur la côte
occidentale, et en donnant la certitude à cette opinion que confirment
les recherches du commandant Jensen (4) et le curieux travail de géo-

(1) A.-E. NORDÉNSKIÔLU, la Seconde Expédition suédoise au Grônland, traduit par


Ch. Rabot, p. 380.
(2) GRAAH, Undersbgelses-Reise til Ostkysten af Grônland. Copenhague, 1832.
(3) Européen.
(4) En 1884 et 1885, le commandantJensen
a reconnu et relevé de nombreuses ruines
nordiques aux environs de Godthaab. D'autre part, le district de Julianchaab situé au
sud et à l'est de Godthaab renferme d'importants vestiges d'anciennes constructions
242 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

graphie ancienne dû à M. K. I. V. Steentrup (1), le commandant Holm


a rendu un service signalé à l'archéologie.
M. Holm n'a pas borné ses études à ce genre de recherches; il a
encore étendu son intelligente activité à l'ethnographie. Pendant un
hivernage de dix mois à Angmagsalik, cet actif explorateur a employé
tous ses loisirs à l'étude de la population relativement nombreuse établie
sur ce point, secondé dans ce travail par un collaborateur aussi modeste
qu'utile, un Eskimo de la côte Sud-Ouest qui suivait l'expédition en
qualité d'interprète. Les indigènes d'Angmagsalik sont particulièrement
intéressants. Il y a quelques années, ils en étaient encore à l'âge de la
pierre, et même aujourd'hui le fer est très rare chez eux. Les objets en
métal ne leur parviennent que difficilement, le plus souvent par le
hasard des flots qui rejettent des épaves sur les grèves. Comme nos
ancêtres préhistoriques, ils fabriquent presque tous leurs ustensiles de
ménage et leurs armes avec les os des animaux qu'ils réussissent à abattre.
A. la fin de 188i, la population du littoral Est du Grônland
jusqu'au 66° de lat. N. s'élevait à 748 individus / 135 habitaient
la partie méridionale de la côte, les autres avaient pour centre
les rives des trois grands jords de Sermilik, d'Angmagsalik et de
Sermiligak. De ces points ils entreprennent au nord comme au sud des
expéditions qui durent parfois deux ans et même plus.
Gomme leurs congénères de la côte Ouest, les Eskimos du
littoral Est habitent l'hiver dans des huttes et l'été sous la tente. Dans le
Grônlanddanois, chaque famille a sa maison en propre. Ici, au contraire,
une seule hutte abrite plusieurs familles. Le commandantHolm a compté
dans une même maison d'hiver 38 habitants appartenant à 8 familles dif-
férentes. Ces huttes ont nécessairement d'assez grandes dimensions; sui-
vant le nombre des occupants, le développement de leur façade a de
8 à 16 mètres. Toutes ne renferment qu'une seule pièce, contenant un lit
de camp en bois, sur lequel chaque famille occupe un compartiment,
Un emplacement large de lm, 50 est suffisant pour le mari, la femme et

Scandinaves. Dans la zone comprise entre ces deux régions les explorateurs danois
n'ont trouvé aucune ruine nordique. La description des deux colonies islandaises au
Grônland donnée par les sagas indique en termes précis que l'un de ces établissements
se trouvait à l'est de l'autre et qu'ils étaient séparés par une zone déserte. Les ruines
des environs de Godthaab sont donc le VesLerbygd et celles de Julianehaab YÔsterbijgd
{Meddelelser om Grônland, vol. VI et VIII).
(1) Par la reproduction d'anciennes cartes de Grônland, M. K. I. V. Steentrup
montre comment l'étude de la cartographie du xvn» siècle a enduit en erreur cer-
tains archéologues sur la position de YOslerbygd. Les deux plus anciennes cartes du
Grônland exécutées d'après des documents islandais placent cette colonie sur la côte
Ouest. Plus tard, entre les deux établissements, les cartographes dessinèrent deux
iles; leurs successeurs les réunirent ensuite au continent c'est ainsi que finalement
:
YOslerbygd a été placée sur la côte Est. (K. I. Y. Stccnstrup, Om Ôsterbygden. Medde-
ler om Grônland, vol. IX.)
(2) Depuis 1829, date du voyage de Graah, la population de cette région a sensi-
blement diminué.
DANEMARK. 243

six enfants. Les habitants de ce phalanstère reconnaissent comme chef


le doyen d'âge des chasseurs ou le vieillard qui a l'avantage d'être
le père des chasseurs les plus adroits. Pendant l'hiver, les
Eskimos de la côte orientale substituent ainsi le régime du clan à celui
delà famille. Ces abris, en partie hypogés, sont faits de pierres et de
mottes de gazon et de tourbe soutenus par un toit en bois flotté. La
tente est en peau de phoque, dressée sur un appareil en bois et mainte-
nue sur le sol par de gros cailloux.
Les indigènes d'Angmagsalik vivent uniquement des produits de la
chasse et de la pêche. Pour eux comme pour les autres Eskimos, le
phoque est le gibier le plus important dans l'économie domestique. Ils
capturent en outre des narvals, abondants principalement à la fin de
l'hiver, et, au printemps, des ours et des renards. Le boeuf musqué, le
renne et le lièvre ont disparu du pays. Les habitants de la côte orien-
tale poursuivent, l'été, les animaux marins sur des kayaks, semblables,
à quelques détails de construction près, à ceux en usage sur la côte
occidentale. Dans les deux régions, l'armement de cette embarcation
est presque identique. Pour les pointes des lances et des harpons les
indigènes de la côte orientale emploient les dents de narval au lieu
des défenses de morses dont se servent leurs congénères de l'ouest.
L'hiver, les Eskimos capturent les phoques sur la glace en les harpon-
nant au moment où ils viennent respirer aux trous qui parsèment la
banquise ou qu'ils creusent à cet effet. Pour cette chasse, ils se servent
de divers engins en os très curieux, fort bien figurés dans l'ouvrage du
commandant Holm (1). Pendant la mauvaise saison, ils harponnent de
la même manière des saumons. Pour attirer le poisson à la surface de
l'eau, ils font monter et descendre par l'ouverture faite dans la glace
un caillou rond garni de plusieurs os sculptés.
Les Eskimos de la côte orientale ont le sentiment artistique très
développé. Sur leurs engins de chasse, sur leurs ustensiles de ménage
vous remarquez une ornementation très fine et très délicate, et sur
leurs vêtements des broderies chatoyantes d'un dessin régulier. Certains
sacs en peau de phoque sont même recouverts d'une véritable tapisse-
rie formée de figures géométriques, de personnages de kayaks, d'ow-
miaks (2) et d'animaux. Les leviers servant à lancer les harpons et de
petits sceaux sont garnis de nombreuses figurines en os représentant
également des indigènes, des embarcations, des oiseaux et des animaux
dont les formes sont dessinées si exactement que l'on reconnaît à pre-
mière vue l'espèce à laquelle ils appartiennent. Plusieurs sculptures
figurent des êtres mythiques, notamment Tornarsuk, animal marin
fabuleux qui joue un grand rôle dans les croyances de ces indigènes.

(1) Planche XV.


(2) Grandes embarcations en peau manoeuvrées par les femmes.
244 MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Tous les objets, quel que soit leur usage, portent une figurine plus ou
moinsbien travaillée qui est censée représenter un phoque. Ces Eskimos
sculptentégalement pour l'amusement de leurs enfants des poupées en os.
Sur ces figurines les détails de la tête ne sontpoint indiquées, et les bras
manquent. Quelquefois l'artiste entreprend un travail plus compliqués;
il représente, par exemple, avec de petits morceaux de bois, une chasse à
l'ours composée de plusieurs personnages armés de lances. Ces petits
bonshommes ont la tête complètement dessinée et sont munis de bras ;
avec les scènes représentées sur les sacs dont nous avons parlé plus
haut, ce sont les représentations d'êtres humains les plus complètes
exécutées par ces Eskimos.
Les indigènes d'Angmagsalik ont même imaginé pour les enfants
un jouet dont on voit les pareils à l'étalage de nos bazars. Il se
compose de deux petits oiseaux en os, montés sur des tiges verticales
traversant deux bâtonnets jouant parallèlement l'un au-dessus de
l'autre. En imprimant un mouvement tantôt d'avant, tantôt d'arrière à
ces bâtonnets, les oiseaux s'abaissent et se relèvent successivement.
Toutes ces petites figurines comme toutes leurs armes, les Eskimos
les façonnent à l'aide de mauvais couteaux dont la lame est faite d'un
petit morceau de fer provenant des cercles des tonneaux jetés à la
côte. La génération actuelle n'emploie plus les couteaux en pierre;
mais dans les boîtes où les indigènes renferment leur mobilier, le
commandant Holm en a trouvé un certain nombre. Les pierres de ces
couteaux sont les unes brutes, les autres travaillées. Pour quelques-
uns, l'indigène s'est servi d'un caillou pointu rencontré sur la plage
et l'a enfoncé tel quel dans un manche en os. Dans d'autres cas, il a
obtenu la lame en retouchant la pierre. Deux des couteaux figurés dans
l'ouvrage offrent une grande ressemblance avec l'outil dit chelléen (1),
d'autres montrent sur la face représentée un double tranchant séparé
par une arête, ne portant trace que de deux retouches. Enfin quelques-
uns de ces instruments sont fort habilement polis. Les aiguilles avec
lesquelles les Eskimos cousent leurs vêtements et confectionnent leurs
broderies proviennent également des cercles des barils que le flot porte
à la côte. Ils détachent de ces épaves un petit fragment de fer, le fa-
çonnent avec un marteau en pierre sur un caillou, le percent ensuite
à l'aide d'une petite pointe de fer qu'ils conservent précieusement pour
cet usage et finalement l'aiguisent sur une pierre.
Les Grônlandais de l'Est ont le sentiment artistique beaucoup plus
développé que leurs congénères de la côte Ouest. Ces derniers sont loin
de savoir travailler l'os et le bois avec l'adresse dont font preuve les
naturels d'Angmagsalik. Les figurines sculptées par ces Eskimos ettoules

Il est regrettable que, faute d'une échelle, il soit impossible de se rendre compte
(1)
des dimensions de ces couteaux.
ETATS-UNIS. 245

leurs manifestations artistiques présentent une beaucoup plus grande


ressemblance avec les travaux exécutés par les indigènes de l'Alaska,
qu'avec les oeuvres des Grônlandais de la côte Ouest. Cela semblerait
indiquer que les habitants du littoral Est ont cessé d'avoir des relations
avec les Eskimos de l'Alaska à une date plus récente qu'avec ceux de
la côte Ouest. Cette remarque est un argument en faveur de la théorie
de Rink sur les migrations de ces.peuplades. D'après ce savant ethno-
graphe, les Eskimos seraient arrivés sur la côte Est, non pas de l'ouest,
mais par le nord du Gronland. CHABLES RABOT.

Dr WASHINGTON MATTHEWS. — L'os des Incas et les formations analogues chez les
anciens habitants de l'Arizona (The Inca bone and kindred formations among
theancient Arizonians). (American Anthropologist, vol. F, octobre 1889.)

Le Dr H. Matthews, médecin de l'armée américaine, dans ce mémoire,


examine cette particularité de l'os occipital dans une série de crânes
exhumés par le Dr Wortman et moi, comme membres de l'Hemenway
Expédition, dans le territoire de l'Arizona aux Etats Unis.
Ces crânes appartiennent à une race indigène précolombienne, inti-
mement liée aux Indiens Pueblos actuels, dont ils présentent généra-
lement les mêmes caractères ostéologiques. Sous le rapport de la
fréquence de l'os des Incas, ils se rapprochent des Péruviens anciens.
Nous ne nous étendrons pas sur le parallèle ethnologique et archéo-
logique de ces deux anciennes populations, indiquées brièvement par
M. Matthews, à propos des intéressantes recherches de M. Cushing.
Il suffit ici de reproduire la statistique de M. Matthews et d'appeler
l'attention des anthropologistes sur cette série, si intéressante à plu-
sieurs points de vue (Voir notre notice sur l'os hyoïde, Rev. d'Anthr.,
décembre 1889) que la susdite expédition a mise au jour. L'examen
du Dr Matthews porte sur 88 crânes et fragments de crânes, conservés
au musée médical de l'armée à Washington. Le tableau ci-joint indique
lesproportionspour 100 de la fréquence de l'os des Incas et de ses variétés
chez les « Arizoniens » et les autres groupes humains. C'est, comme
l'on voit, le tableau de M. Anoutchine, modifié par M. Matthews.

Os Os inca complet Os Os
inca complet. et incomplet. quadratum. triquetrum.
Arizoniens anciens 5,68 6,81 1,13 18,1
Péruviens 5,46 6,08 1,05 10,5
Américains non Péruviens
Nègres
Malais et Polynésiens
.... 1,30
1,53
3,86
2,65
0,26
2,11
5,63
1,19
1,09 1,42 0,76 0,43
Mongols 0,56 2,26 0,57 3,02
Papous 0,57
Caucasiens en général 0,46 1,19 0,18? 1,59
Caucasiens d'Asie 0,51 1,70 0,41 2,36
Européens 0,45 1,09 0,13? 1,42
Mélanésiens 1,65 0,62 2,87
Australiens et Tasmanicns
.... 0,0? 0,64? 0,64 0,64?
24Ô MOUVEMENT SCIENTIFIQUE.

Il s'ensuit qu'il existe une correspondance frappante entre la fré-


quence de ces diverses anomalies chez les « Arizoniens » et les Péruviens.
Il en résulte également que si les Péruviens s'éloignent des autres races
humaines sous le rapport de trois de ces anomalies, les Arizoniens s'en
éloignent encore davantage. Pour employer l'expression très américaine
du Dr Matthews, « ils sont plus Incas que les Incas » (they out-Inca the
Incas). M. Matthews fait observer, et avec raison, que les crânes de l'A-
rizona en question n'offrent aucune trace de déformation artificielle, ce
qui est une sérieuse objection contre l'opinion de ceux qui croient
encore que la fréquence de l'os des Incas et de ses variétés chez les Péru-
viens est le résultat d'une déformation.
H. TEN KATE.

MARCOS JIMENEZ DE LA ESPADA. Voyage du capitaine Pedro Tezeira dans le haut


Amazone. Viage del capitan Pedro Texeira agitas arriba del rio de las Ama-
zonas (1638-1639). Madrid, Fortanet, 1889, 131 pages, in-8°.

Dans une longue et intéressante introduction, D. M. Jimenez delà


Espada fait ressortir l'importance de la relation du voyage de Pedro
Texeira, le premier qui ait remonté l'Amazone qu'on appela d'abord
le fleuve Sainte-Marie de la Mer Douce (Santa Maria de la Mar Duke),
et, plus tard, Maranon. Il montre que le manuscrit de Martin de Saa-
vedra y Guzman que possède la Bibliothèque nationale de Paris mérite
si peu le dédain que certains auteurs ont affecté de lui témoigner qu'il
a servi à plus d'un, quoiqu'il fût resté inédit.
A notre point de vue, il contient quelques renseignements intéres-
sants sur les Indiens qui vivaient sur les rives de l'Amazone. Certes, il
ne faudrait pas accepter les yeux fermés tout ce qu'il renferme : on y
retrouve l'histoire des Amazones, au sein unique, avec lesquelles les
hommes vont passer deux mois chaque année et qui conservent toutes
les filles qui naissent de ces relations, tandis que les hommes emmènent
les enfants mâles; on y lit que les Indiens sont si nombreux que si on
jetait une aiguille en l'air, elle retomberait fatalement sur quelqu'un
d'entre eux au lieu de toucher le sol; qu'il existe des villes si étendues
qu'en commençant à naviguer trois heures avantle jour et en continuant
jusqu'au coucher du soleil, on n'en voit pas le bout. Mais, en laissant
de côté les fables elles exagérations, on trouve encore bien des rensei-
gnements utiles. Les tribus de l'Amazone, nous dit l'auteur, étaient
nombreuses et se distinguaient par leurs moeurs et leurs langues; un
grand nombre pourtant comprenaient un idiome parlé à la côte et sur
un parcours de plus de 400 lieues le long du fleuve. Quoique d'humeur
assez douce, elles étaient fréquemment en guerre les unes avec les autres,
et Saavedra prétend que ces luttes avaient le plus souvent pour but de
se procurer de la chair humaine. Cependant les animaux de boucherie
ESPAGNE. 247

ne manquaient pas à ces Indiens, pas plus que les fruits et le poisson,
qu'ils offraient gracieusement aux étrangers. Ils cultivaient le maïs, -la
canne à sucre, etc., et, dans quelques îles, ils creusaient des silos pour
conserver leurs récoltes en les mettant à l'abri des inondations. Tous
les hommes marchaient nus ; les femmes seules portaient une sorte de
ceinture en feuilles. On rencontrait, parmi ces sauvages, des ouvriers
habiles pour creuser un canot ou pour fabriquer des bijoux en or. Ils
n'avaient ni temples, ni prêtres, ni cérémonies religieuses ; pourtant
l'auteur cite des devins, qui rendaient des oracles.
Deux tribus font l'objet d'une mention spéciale : les Omaguas et les
Trapajosos. Les premiers portent une chemisette et une couverture de
coton qu'ils décorent au pinceau à l'aide de teintures végétales. Ils se
servent très habilement du javelot. Les seconds possèdent de grands
villages ; ils ont des maisons en bois travaillé et fabriquent des hamacs
en palmier qu'ils peignent de diverses couleurs. Ils se servent, dans les
combats, de flèches enduites d'un poison si subtil qu'aucun antidote ne
peut le conjurer.
Tels sont les quelques détails utiles pour l'anthropologiste que con-
tient la relation du voyage de Pedro Texeira. Au point de vue historique
et géographique, il renferme bien des renseignements du plus haut
intérêt et nous ne saurions trop féliciter D. M. Jimenez de la Espada
d'avoir mis à la portée de tous un manuscrit resté trop longtemps in-
connu.
R. VERNEAU.
VARIÉTÉS

CONGRÈS INTERNATIONAL
D'ANTHROPOLOGIE ET D'ARCHÉOLOGIE PRÉHISTORIQUES

SESSION DE PARIS, 188 9


(Suite)

Questions d'archéologie préhistorique


M. BOULE présente, au nom de M. Gaudry et de la part de M. F. Ré-
gnault, la photographie d'une mâchoire inférieure du Dryopithecus Fon-
tani trouvée par celui-ci dans le miocène de Saint-Gaudens (Haute-Ga-
ronne). Ce spécimen est d'une plus belle conservation que celui décrit
autrefois par Lartet et provenant du môme gisement.
M. DELGADO présente une collection de silex recueillisàOtta,Portugal,
grâce à des fouilles systématiques. Trente viennent de la couche de grès ter-
tiaire et vingt-quatre de la surface du sol, mais offrant en partie les carac-
tères des silex extraits des profondeurs du terrain. M. Delgado ou son col-
lègue de la section géologique ont personnellement suivi les travaux de
recherche. Les silex des deux gisements diffèrent visiblement. Parmi ceux
de l'intérieur des grès, aucun ne rappelle les pièces signalées par Carlos
Ribeiro ; il en est autrement de la série de la surface. Ils ont tous les
arêtes plus vives ; plusieurs semblent taillés. M. Delgado persiste à
affirmer l'âge tertiaire des grès d'Otta, et donne des motifs de l'ordre
physique pour expliquer les formes des silex qu'ils contenaient.
M. G. DE MORTILLET loue la méthode des recherches dont M. Delgado
a parlé. Il ne s'arrête pas à l'absence de silex taillés dans la série extraite
de l'intérieur des couches, rappelant que dans les plus riches gisements
quaternaires on peut cribler des mètres cubes de gravier sans trouver
un seul objet travaillé. Il insiste sur le fait qu'un silex de la surface offre
dans les creux des traces du grès d'Otta et porte ainsi sa preuve d'ori-
gine. Il rappelle le silex extrait par M. Bellucci, lors du congrès de Lis-
bonne, en 1880, et ajoute un mot sur les silex taillés de Puy-Courny,
présentés à l'Exposition par M. Rames.
M. A. DE MORTILLET fait une leçon sur la taille artificielle du silex;

(1) Voir ci-dessus p. 133.


CONGRÈS INTERNATIONAL -D'ANTHROPOLOGIE. 249

il éclaire sa démonstration par de nombreux croquis au tableau et il fait


l'application de ses théories aux silex des gisements de Thenay, Otta et
Puy-Courny.
MM. GARTAILHAC et BOULE déclarent que M. Rames se garde bien de
soutenir la taille des silex de ce dernier gisement. Il est géologue et se
borne à renseigner les archéologues en leur fournissant des matériaux
d'étude et de discussion(1). M. Boule ajoute qu'il a pu observer que tous
les gisements tortoniens du Cantal offrent, comme les couches du Puy-
Courny, un véritable triage des silex, triage qui ne prouve nullement
l'intervention humaine, mais qui est simplement le résultat de la marche
graduelle des érosions du fleuve tortonien qui n'a démantelé partout que
les bancs supérieurs du calcaire aquitanien renfermant les seules varié-
tés de silex précitées et n'a pas atteint les bancs inférieurs aux variétés
multiples.
M. CARTAILHAC dit que c'est avec un véritable chagrin qu'il a dû se
séparer de M. G. de Mortillet et renoncer à voir dans ces silex éclatés des
preuves de l'action humaine. Il a plusieurs fois visité le gisement de
Puy-Courny que M. de Mortillet n'a vu qu'en passant, et il a toujours cru
impossible d'attribuer à l'homme l'apport et la casse des silex. L'étude
sur place du gisement de Thenay l'a également détourné des idées de
MM. Bourgeois et de Mortillet. L'examen renouvelé, à deux ans de dis-
tance, du gisement et des silex d'Otta a non moins affaibli sa croyance
aux traces supposées de l'homme tertiaire. Eniin, les observations faites
par M. Arcelin et autres sur l'état de certains silex altérés, ébréchés ou
fracturés par des actions naturelles, lui ont paru contredire suffisamment
les théories de M. G. de Mortillet. Ainsi, sans entrer dans les détails, M. Car-
tailhac s'est assuré que dans tous les gisements où il y a des silex cassés
en dehors de l'action humaine, on peut trouver sans chercher longtemps
des spécimens de ces petites écailles empiétant l'une sur l'autre que
M. Ad. de Mortillet a signalées à l'attention comme une des meilleures
preuves du travail humain. Quant au craquelage, il est démontré qu'il
peut être produit par des causes physiques et chimiques et pas seulement
par la chaleur d'un foyer.
Une causerie s'engage entre MM. de QUATREFAGES, G. de MORTILLET,
BELLUCCI, VILANOVA, GARTAILHAC, au sujet de quelques faits touchés dans
la discussion précédente.
M. FERRAZ DE MACEDO parle de la découverte de nouveaux ossements
humains à Castenedolo (Lombardie), dans une couche franchement ter-
tiaire. Il donne la coupe du gisement et provoque une discussion à la-
quelle prennent part MM. Topinard, de Mortillet, Cartailhac. Depuis le
Congrès, les observations de M. A. Issel ayant confirmé les vues du géo-

(1) M. Rames a bien voulu nous écrire pour nous remercier d'avoir ainsi exposé
les faits et dégagé
sa responsabilité.
250 VARIETES.

logue Stoppani, nous n'insisterons pas et rangerons les squelettes anciens


et nouveaux de Castenedolodans la série des fausses nouvelles de l'homme
tertiaire.
M. AMERANO, prêtre et supérieur du collège de Finalmarina(Ligurie),
signale une station humaine de la caverne de la Fée (délie Fate), voisine
de cette localité. Cette grotte, qui s'ouvre dans la falaise couronnant la
montagne, à 300 mètres d'altitude et à une heure et demie de marche
de la mer, est formée par plusieurs chambres et couloirs; les dépôts qui
couvrent le sol des parties inférieures sont variés, mais irréguliers. Sur
un point, la couche supérieure est une argile rouge fine, semblable à
celle qui remplit les vallées voisines, interrompue parfois par des sta-
lagmites. Au-dessous vient la zone fossilifère qui a jusqu'à lm,20 d'épais-
seur, formée d'une argile sablonneuse. Au fond se trouve un lit d'argile
jaune cendré. Dans un seul jour, et dans moins de i mètres cubes
M. Amerano découvrit 6 tètes entières à' Ursus speloeus, 20 gros fragments
de têtes, 80 mandibules, 110 dents isolées, etc. Il y a, en outre, dans le
dépôt des os de Félis spelxa, de Felis antiqua (?) et quelques dents de
Capra hircus fossilis.
La station humaine s'est révélée dans un petit couloir où étaient
deux couches jusqu'alors intactes : la supérieure néolithique avec haches
polies, meules, lame de cuivre; l'inférieure avec des quantités d'os d'ours
dans les cendres des foyers. Un fragment d'omoplate porte encore en-
foncée près de la cavité glénoïde une pointe de lance ou de flèche en
pierre (1). Plusieurs os d'ours ont été ouvrés, et quelques pierres taillées
rappellent, d'après M. Rivière, celles des couches profondes des grottes
de Menton.
M. ED. PJETTE. —L'époque detransition intermédiaire entre l'âge du renne
et répoque de la pierre polie. — L'industrie magdaléniennen'a pas été uni-
forme pendant toute sa durée. Dans les Pyrénées, elle eut quatre phases
groupées en deux séries caractérisées : l'inférieure par les amas d'osse-
ments d'équidiens, la supérieure par des amas d'ossements de cerf. On
a ainsi de bas en haut quatre assises où dominent : 1° les bovidés, 2° les
équidés, 3° le renne, 4° le cerf commun. Dans cette dernière période, le
climat, jusqu'alors sec et froid, devient humide et doux, l'art est en
décadence. La grotte du Mas-d'Azil a offert à l'auteur les dépôts les
mieux caractérisés : sur la rive gauche de l'Arize, sur le rocher ou blocs
détachés de la voûte, on trouve des couches de limon fluviatile avec
traces de foyers et cerf, porc, blaireau, boeuf, fouine; silex magdalé-
niens et d'autres de formes nouvelles, notamment le grattoir arrondi des
temps néolithiques; harpon plat perforé en bois de cerf. Toutes les
circonstances indiquent la durée de cette période d'inondations fré-
quentes pendant laquelle l'homme occupa "et abandonna plusieurs fois

(1) Cette pièce n'a point été soumise au Congrès.


CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 251

cet endroit. Au-dessus s'étalent des amoncellements de cendre noire


ou grise, de charbon,
d'os brisés, de silex taillés, etc. ; la faune
comprend : le cerf (abondant), chevreuil, bouquetin, chèvre, boeuf,
cheval, lièvre, castor, sus (abondant), blaireau, fouine, etc. ; poissons.
Silex pareils à ceux de dessous, plus d'autres formes nouvelles, en fait
d'objets d'os, poinçons, lissoirs, harpons plats, perforés, ovalaires en
bois de cerf, dents percées, coquilles marines. Quelques tessons de
poterie noire provenant de vases sur la panse desquels étaient des sail-
lies percées d'un trou pour y passer une ficelle et les suspendre. Enfin
des galets coloriés avec de l'hydroxyde de fer broyé et appliqué au
moyen d'un pinceau. Les dessins sont variés : plusieurs rappellent la
disposition des brins de fougère; d'autres offrent des lignes qui se cou-
pent à angle droit, des cercles avec un point au milieu, des chevrons et
surtout de simples points en bande rectiligne ou faisant le tour du galet.
Ils n'ont rien d'ornemental et sont en si grande quantité qu'ils devaient,
dit M. Piette, avoir une destination usuelle. — Dans ces couches, les
blocs tombés de la voûte sont nombreux et indiquent la grande lon-
gueur de la période. — A la surface, on trouve sur certains points une
nappe de terre jaune tassée; plus haut, des cendres blanches pétries
d'escargots, épaisses de 45 à 75, avec quelques os de cerf, sus, blai-
reau, calotte crânienne humaine, de nombreux fragments de vases
noirs, des poinçons, des grains de collier en os, des coquilles marines
perforées, des silex grossiers en général, parmi lesquels des tranchets ;
enfin, dominant le tout, un amas de pierrailles à la base duquel on ren-
contre des galets dont l'extrémité est polie et aiguisée en tranchant de
hache, soit des deux côtés, soit d'un seul ; des pierres polies hachetti-
formes, mais très minces et tranchantes sur les bords les plus longs ;
puis enfin au-dessus les haches ordinaires et des fragments de vases
ornementés de coups de pouce.
Voilà donc des couches qui établissent la transition entre la dernière
période magdalénienne et l'époque néolithique. En réalité, c'est un
accroissement par la base de cette dernière et tel qu'on est en droit de
la subdiviser : période sans pierre polie, période avec pierre polie.
M. Piette propose les noms à?acesmolithique [a privatif, action de polir,
pierre) et de céolithique (polir, pierre).
M. BOULE dit qu'invité par M. Piette à visiter et à étudier le chan-
tier en question, il a été autorisé à prendre la direction des fouilles
et a pu vérifier tous les faits qui viennent d'être soumis au Congrès. Il
a fouillé pendant plusieurs jours et a extrait lui-même des couches
intactes, plusieurs harp'ons perforés, plusieurs galets coloriés, un très
grand nombre d'ossements, de 'coquilles et de silex taillés. Stratigra-
pliiquement, il est incontestable que ces couches archéologiques, véri-
tables amas de coquilles, reposent sur un limon de rivière de plu-
sieurs mètres d'épaisseur et postérieur aux couches de l'âge du renne
252 VARIETES.

de la rive opposée et qu'elles supportent des éboulis au milieu desquels


on rencontre des haches polies; paléontologiquement, ces couches sont
caractérisées par les espèces actuelles, le Cervus elaphus étant l'espèce
dominante. M. Boule n'a pas vu le moindre os de renne, malgré une
recherche attentive. Au point de vue archéologique, M. Boule a été
frappé de la ressemblance des objets de ce gisement avec ceux retirés
par M. Cartailhac et lui de la couche supérieure de la grotte de Reilhac.
Ce sont les mêmes petites lames à tranchant abattu, les mêmes petits
racloirs et les mêmes harpons perforés. MM. Cartailhac etBoule disaient
dans leur étude sur cette grotte que « le hiatus séparant l'âge de la
pierre taillée de l'âge de lapierre polie avait été ici de bien courte durée ».
Ils étaient loin de penser à ce moment que les belles découvertes de
M. Piette allaient éclairer vivement cette fameuse question du « hiatus ».
M. A. DE MORTILLET rappelle que M. Salmon a déjà signalé aux envi-
rons de Paris le gisement de Campigny, qui est un type excellent du
faciès archéologique de la première phase néolithique à laquelle le nom
de Campinienne a été donné par notre collègue. En fait, du Nord au
Sud, la question du hiatus est éclaircie.
M. PIETTE défend sa nomenclature. Les noms de localités imposés
aux divisions du temps doivent être repoussés toutes les fois qu'on peut
les désigner par une appellation empruntée à l'un de leurs principaux
caractères. Il critique pour une industrie universelle le nom de Roben-
hausien qui, d'ailleurs, devient évidemment insuffisant. Campigny est,
d'autre part, un mauvais type, la faune y faisant défaut.
M. le Dr CAPITAN dit qu'il a découvert et signalé, dès 1875, des sta-
tions importantes à la surface du sol au sommet des hautes falaises au
sud d'Yport, entre Fécamp et Étretat (Seine-Inférieure). La hache polie
n'y existe pas; le tranchet y abonde, avec un mélange de silex, de
types paléolithique et néolithique.
M. EMILE CARTAILHAC dit qu'il ne se hâtera pas autant que M. A. de
Mortillet pour prononcer sur la question du hiatus et la considérer
comme résolue. Il dira son sentiment en faisant la démonstration delà
galerie préhistorique à l'Exposition où tous les documents dont il vient
d'être question sont réunis.
Au cours de cette visite à l'Exposition, M. Cartailhac a fait observer
que l'on savait déjà que le type de la Madeleine a présenté des faciès
distincts du commencement à la fin. Ainsi, il y a très longtemps qu'on
a signalé l'abondance du boeuf et surtout du cheval à la base, la prédo-
minance du cerf au sommet. M. Piette, ayant fouillé plus et mieux que
personne, a pu préciser les faits et serrer de près le problème. Mais ilne
faut pas oublier qu'il opère dans les Pyrénées; or, dans cette région, le
renne d'un côté, à l'est, ne franchit jamais la crête de la montagne, au-
tant que nous le sachions du moins; de l'autre, à l'ouest, il ne l'atteint
même pas et ne dépasse p..s Bayonne. Dans la Catalogne comme à San-
CONGRÈS INTERNATIONAL D'ANTHROPOLOGIE. 253

tander, nous avons des stations du type de la Madeleine sans le renne.


Nous sommes donc à la limite du renne, dans le pays qui a été plus
qu'un autre témoin de ses invasions et de ses retraites, et il semble
impossible d'oublier qu'en l'état toutes les conclusions dans les Pyré-
nées ne valent que pour les Pyrénées. On savait aussi que le néolithique
pyrénéen présente à ses débuts un faciès particulier. M. Piette vient de
montrer un nouveau et plus ancien faciès de cette industrie, celui-là
même que MM. Boule etCartailhac ont entrevu à Reilhac;maisl'acesmo-
lithique de M. Piette n'a rien de commun avec le campinien de M. Salmon.
Évidemment le hiatus disparaît au Mas-d'Azil; il tend à disparaître
à Reilhac et sur quelques autres points, mais le très petit nombre de ces
gisements intermédiaires ne laisse pas que d'étonner. Cette rareté extrême
vient à l'appui de l'opinion qui accorde à l'âge du renne une très grande
durée. Parce qu'on aura dans les Pyrénées, et le Lot, en Angleterre —• et
nous allons peut-être trop loin — des vestiges de la population intermé-
diaire entre le paléolithique et le néolithique, cela suffira-t-il pour
expliquer les problèmes anthropologiques de ce temps? M. Cartailhac
ne le pense pas. Il croit que les industries, les civilisations étaient variées
à ce même moment; l'hiatus disparaît sur quelques points, mais la
question se complique. La solution dépend des naturalistes qui ne de-
vraient pas se désintéresser du débat et céder presque partout la place
aux amateurs de bibelots !
M. E. PIETTE : l'Art pendant l'âge du renne.
— M. Piette constate que
dans les plus anciens silex la recherche d'une forme élégante, l'amour du
beau sont évidents. L'art s'épanouit à l'époque de la Madeleine : la sculp-
ture d'abord, la gravure ensuite. L'art, dans chaque station, a sa physio-
nomie particulière. Ainsi, le long delà Vézère, les chevaux en relief pren-
nent des têtes énormes et deviennent de véritables caricatures. Dans les
Pyrénées, à Gourdan et à Lortet, les belles gravures sont nombreuses.
Les artistes de Lourdes etd'Arudy ont inventé la volute, la spirale et divers
dessins qu'on ne rencontre nulle autre part ; ceux du Mas-d'Azil sculp-
taient des êtres imaginaires. L'homme avait alors du loisir par suite du
perfectionnement des pièges qu'il tendait aux animaux, et de la création
de troupeaux de bêtes semi-domestiques qu'il retenait dans sa région,
et qu'il exploitait,pour la viande et pour les peaux. A l'appui de cette
théorie, M. Piette cite diverses gravures où un renne porte un licol et où
des chevaux ont la chevrette et fait passer sous les yeux du congrès
public une centaine de planches en chromolithographie qui reprodui-
sent un grand nombre d'objets gravés et sculptés de l'âge du renne.
M. MONTELIUS demande si une telle ancienneté est certaine en ce qui
concerne les os avec spirales d'Arudy. Cela rappelle plutôt le premier
âge du fer.
M. CARTAILHAC dit que le premier os grave de cette manière fut
trouvé sous ses yeux, lors des fouilles exécutées devant les mem-
f^ANTHROPOLOfilE. 1"
— T. I.
254 VARIÉTÉS.

bres du Congrès scientifique de Pau. Il est en os de renne; son âge est


indiscutable.
(Dans une séance ultérieure, on a pu examiner les autres pièces sem-
blables de la collection de M. Piette et s'assurer de leur authenticité.)
M. DE BAYE exprime sa surprise de trouver dans un gisement de l'âge
de la pierre un os figurant un sphinx, un quadrupède aile'.
M. CARTAILHAC fait observer que l'on n'a qu'à examiner l'objet pour
reconnaître qu'en disant que c'est un sphinx, M. Piette a eu beaucoup
d'imagination. En réalité, la pièce est incomplète et les ailes sont plus
que douteuses. Il faut remercier M. Piette d'avoir fourni aux archéolo-
gues une si merveilleuse série d'objets recueillis dans des fouilles aussi
bien conduites que possible depuis quelques années. Mais quelques-
unes de ses interprétations sont discutables, notamment celles qui
concernent le prétendu licol et la prétendue chevrette.
M. G. DE MORTILLET contredit également les hypothèses de M. Piette
au sujet de la domestication du renne et du cheval. Il résume les rai-
sons qui militent en faveur de l'opinion opposée.
M. J. FRAIPONT se range à l'avis de MM. de Mortillet et Cartailhac. Lui
aussi ne voit dans toute la série connue qu'une seule pièce qui soit
peut-être un tableau : la chasse à l'aurochs. Le licol est douteux; mais,
fût-il certain, il n'impliquerait pas la domestication du cheval ou du
renne. Il serait possible que l'homme eût retenu par un lien en cap-
tivité des bêtes capturées à la chasse. M. J. Fraipont critique l'idée
émise par M. Piette que les artistes faisaient des études d'écorchés et
de squelettes, comme les modernes font, pour arriver à mieux rendre
les formes. Non! l'artiste du Mas-d'Azil copiait des têtes écorchées et
des crânes parce qu'il les avait souvent sous les yeux.
M. PIETTE répond à ses contradicteurs; il leur demande de donner
des preuves que la domestication du renne est impossible sans le chien. Il
y a des pays où le renne vit à demi domestiqué. Cet état exige-t-il aussi
le chien? Et enfin doit-on conclure uniquement d'après les faits actuels
lorsqu'il s'agit des hommes quaternaires? M. Piette fournit les raisons
pour lesquelles il persiste à croire que la femme au renne constitue un
tableau véritable. Les traits des deux sujets ne se pénètrent pas. Les
jambes du renne placées en travers de la femme ne continuent pas sur
elle ; ils s'interrompent brusquement.
M. J. EVANS, en déclarant la discussion close, dit que l'interprétation
de quelques dessinsun peu obscurs ne suffitpas pourfaire admettre que
les rennes et d'autres animaux étaient domestiqués. Le chien paraît en-
core logiquement et en fait le premier animaldomestiqué. En attendant
la publication de l'ouvrage de M. Piette, chacun peut réserver son opinion.

E. CARTAILHAC.
(A suivre.)
NOUVELLES ET CORRESPONDANCE

L'Anthropologie en Espagne.

Dans une lettre que publie le journal JJ7 Globo, du 23 janvier 1890,
notre ami D. Manuel Anton fait un intéressant historique de l'anthro-
pologie en Espagne. A l'époque où fut fondé, au Muséum de Madrid, le
laboratoire d'anthropologie (1883), quelques collections existaient déjà
chez nos voisins; mais, par suite d'une « ignorance ou d'une erreur
scientifique » que déplore à juste titre notre ami, ces petites séries
avaient été divisées entre le Musée des sciences naturelles (Muséum) et
le Musée d'Archéologie. A ce premier fonds vinrent s'ajouter les col-
lections rapportées par la mission du Pacifique.
De son côté, Velasco fondait son musée anatomique et y plaçait quel-
ques pièces intéressantes pour l'histoire naturelle de l'homme. Encou-
ragé par Broca, il créa à Madrid une société d'Anthropologie qui ne
tarda pas à disparaître. A la mort de cet homme de bien, l'État a acheté
les collections anthropologiques de Velasco, elles sont allées enrichir le
Musée des sciences naturelles.
Mais, déjà, une ère nouvelle s'était ouverte et D. Manuel Anton nous
permettra de compléter son historique en consacrant quelques lignes à
cette dernière phase que sa modestie ne lui a pas permis de décrire. Il
lui était pénible de voir que les quelques travaux relatifs aux popula-
tions de l'Espagne étaient dus à des étrangers; que les érudits, parmi
ses compatriotes, se contentaient de rechercher dans Strabon ou Tite-
Live les origines du peuple espagnol ; que, pour le préhistorique, enfin,
« on s'était contenté jusqu'à ce jour de différencier une hache en pierre
taillée d'une hache en pierre polie, en cuivre ou en bronze, détermina-
tions qui, pour être à la portée du premier antiquaire venu duRastro, n'en
avaient pas moins servi à asseoir la réputation de certains savants ».
Aussi se mit-il à l'oeuvre. Il vint d'abord en France étudier nos collec-
tions et nos laboratoires anthropologiques, et, de retour à Madrid, après
avoir eu à lutter contre des difficultés sans nombre, il obtint la création
d'une section spéciale dans le Musée des sciences naturelles. Pour cette
fois, le gouvernement eut la main heureuse : il plaçaD. Manuel Anton à la
tête des collections et du laboratoire d'anthropologie. Le nouveau direc-
teur forma des élèves et les questions anthropologiques revinrent à
2o6 NOUVELLES ET CORRESPONDANCE.

l'ordre du jour. Nous espérons donner bientôt aux lecteurs de Y Anthro-


pologie une idée des résultats qu'a déjà produits cette renaissance scien-
tifique en analysant dans un prochain numéro quelques-uns des ou-
vrages qui viennent de voir le jour chez nos voisins.
R. VERNEAU.

Squelette de Castelnedolo.
La nouvelle découverte de Castelnedolo a été reconnue par M. Issel comme
une simple sépulture.
Tous nos lecteurs se souviennent des articles soulevés par cette question
et parus dans la Revue d'Anthropologie. M. Topinard s'est toujours refusé à
voir autre chose qu'une sépulture à Castelnedolo; les nouveaux faits lui don-
nent pleinement raison.
M. BOULE.

Le colosse de Teotihuacan.

Le journal El Monitor Republicano, du 28 août 1889, nous apporte


des renseignements sur l'avancement des travaux entrepris pour ex-
traire du sol le colosse de San Juan Teotihuacan, et le transporter au
Musée de Mexico. Une vaste tranchée a permis d'arriver à la base de
l'énorme monolithe, et de se rendre un compte exact des dimensions de
la statue. La hauteur en est de 3m,15; la base mesure lm,6o sur lm,62;
la partie moyenne lm,69 sur lm,64 et le sommet lm,55 sur lm,52.
Les Indiens de la région, d'abord hostiles à l'enlèvement de la statue,
ont fini par y consentir. Ils ont, disent-ils, entendu sonner la cloche du
trésor, signe évident que l'idole veut bien se laisser emporter.
Les travaux de dégagement étant terminés, les Indiens ne faisant
.plus d'opposition, tout fait prévoir que d'ici peu l'énorme monolithe trô-
nera dans le Musée de Mexico, si ce n'est pas déjà chose faite à l'heure
actuelle.

T— R. VERNEAU.

Puur la Direction : .' \


.
Le Directeur chargé de cette livraison. ' LeVGéraiù' : 'G. MASSU.N.
,
E.-T. HAMY.

l'jiris. — Typ. G. Chamerot, 19, rue des Saints-Pères. a.'iall



MÉMOIRES ORIGINAUX

LES
RACES EXOTIQUES
A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889

PAR

J. DENIKER ET L. LALOY

Nous avons eu la bonne fortune de mesurer et d'examiner, à


l'Exposition et autour de l'Exposition, 148 individus de races les
plus diverses, et dont certaines n'ont jusqu'à présent fourni matière
à aucune étude anthropométrique. Ces individus se répartissent
ainsi qu'il suit : 48 Nègres de l'Afrique occidentale (13 Sénégalais,
18 Gabonais, 17 Angolais); 56 Annamites et Tonkinois; 13 Java-
nais; 8 Tahitiens; 1 Néo-Calédonien et 19 Peaux-Rouges de la
troupe du fameux Buffalo Bill. Afin de rendre notre travail plus
complet, nous y avons englobé en outre certaines séries étudiées
soit par l'un de nous, soit par d'autres anthropologistes et encore
inédites. Nous allons exposer séparément pour chaque groupe,
dans l'ordre que nous venons d'indiquer les résultats de nos
recherches. Nous nous bornerons à l'examen des caractères phy-
siques révélés soit par les mesures, soit par l'observation directe.
Ce n'est qu'accidentellement que nous toucherons à quelques par-
ticularités concernant les caractères psychiques ou l'ethnographie
des peuplades dont nous allons nous occuper.

I.
— LES
NÈGRES DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE

Nous avons pu étudier de près et mesurer, tant à l'exposition


coloniale de l'esplanade des Invalides que dans les expositions
L'ANTHROPOLOGIE. 18
— T. I.
2o8 J. DENIKER ET L. LALOY.
particulières, 48 individus de race nègre et notamment : 13 tirail-
leurs ou spahis sénégalais, 18 individus des villages gabonais et
pahouin (esplanade des Invalides), 17 Angolais exposés d'abord
avenue de Labourdonnais, puis rue Laffitte. Pour compléter cette
étude, nous avons cru utile d'y joindre les mesures et les obser-
vations faites par un de nous en 1887 sur 19 Achantis exposés au

CARTE DE L'AFRIQUE OCCIDENTALE.


Habitat des peuples dont il est question dans ce mémoire.
Jardin d'Acclimatation; nous y avons ajouté encore un certain
nombre de mesures et d'observations faites par M. le Dr Yernean
sur 13 individus du village sénégalais à l'esplanade des Invalides,
et que ce dernier a mises obligeamment à notre disposition.
Au total, notre travail porte sur 80 sujets (65 hommes,
1 î femmes, et 4 enfants) de race nègre habitant lapartie occidentalede
l'Afrique depuis le fleuve Sénégal jusqu'à la rivière de Cunéné; toute
cette région côtière est occupée par les deux subdivisions de la race
LES KACES EXOTIQUES. 259

nègre, les Bantous et les Nègres du Soudan; elle touche au nord,


au territoire de la race berbère, au sud à celui de la race bochimane-
hottentote. Nous avons divisé ces individus en quatre groupes que
nous appellerons, pour abréger, les Sénégalais, les Achantis, les
Gabonais et les Angolais, et que nous allons décrire séparément.
Les deux premiers groupes se rattachent aux Nègres proprement
dits ou Nègres soudanais, tandis que les deux derniers appartien-
nent à la famille bantou et peut-être en partie à la famille akka ou
négrille(i).
4. LES SÉNÉGALAIS

Nous comprenons sous ce nom 26 indigènes de nos possessions


de la Sénégambie (Sénégal et Rivières du Sud), tous hommes de
20 à 40 ans, moitié militaires (tirailleurs et spahis sénégalais),
moitié civils (du village sénégalais, mesurés par M. Verneau).
La région de l'Afrique d'où viennent ces indigènes, aujourd'hui
terre française, est habitée, comme on le sait, outre les nombreux
Maures plus ou moins métissés, par quatre groupes de populations
distinctes (voy. la carte) : les Mandingues, les Ouolofs ou Volofs
ou Yolofs, les Toucouleurs et les Phoul [Pheuls), ou Fouis ou Foulbés.
Le dernier de ces groupes présentant d'après tous les auteurs
beaucoup d'analogie avec la race éthiopienne, brun rougeâtre à
cheveux frisés ou bouclés et non crépus, aux traits « caucasiques »,
etc., est certainement le plus intéressant. Malheureusement il n'a
pas été représenté à l'Exposition. Les deux individus du village séné-
galais que l'on disait appartenir à cette race différaient tellement
des descriptions classiques du type phoul et ressemblaient tant aux
autres Sénégalais qu'il nous est impossible de les introduire en
ligne de compte dans ce travail; notre opinion est partagée d'ail-
leurs par M. Verneau qui a étudié de près ces deux individus.
Quant aux autres groupes, on considère ordinairement les
Ouolofs et les Mandingues comme des populations nègres assez
pures et les Toucouleurs comme des métis de Pheuls avec les deux
groupes précédents, mais surtout avec les Ouolofs.
Malgré de nombreux et importants travaux concernant ces po-
pulations^), leur type physique n'est décrit nulle part avec détail
(1) Voy. pour la signification de ces mots : Essai d'une classification des
DENIKER,
races humaines [Bulletin de la Soc. d'anthropologie, 1889, p. 320).
(2) Nous ne pouvons pas entrer dans les détails bibliographiques,mais
nous indique-
rons néanmoins quelques-uns de ces travaux. — BÉRENGER.-FÉRAUD, les Peuplades de.
la Sénégambie, Paris, 1878, in-8°, et plusieurs articles dans la Revue cVAnthropologie
sur les Mandingues, en 1874, p. 444; sur les Peuhls et les Ouolofs, en 1875, pp. 97
200 J. DEN1KER ET L. LA.LOY.

Sauf le mémoire do M. Corre(l) et il n'existe point, à notre connais-


sance, d'étude anthropométrique sur aucune de ces populations.
Nous allons décrire à part les trois séries suivantes : 5 Mandin-
iiiies, 14 Ouolofs et 7 ïoucouleurs.

a). Les Mandlngues. — D'après les savants et les voyageurs auto-


risés (Faidherbe, Quatrefages et Hamy, Bérenger-Féraud, Colin,
Quintin, Gallieni, Tautin, Binger), les différentes peupladesqui oc-
cupent la région du haut Sénégal et du haut Niger et qui s'étendent
de là jusqu'aux Rivières du Sud et dans la Sierra Leone peuvent être
englobées sous l'appellation commune de Mandingues; ce groupe
comprendrait ainsi les Mandlngues proprement dits, les Malinkés,
les Sarakolés ou Soninkés, les Kassonkés, les Owmouloimkës, les
Harnbaras, les Soussous, les Timménés ou Timmanis, etc.
Parmi nos 5 Mandingues il y avait : deux Soussous (fig. 1 et 2)
tirailleurs, natifs de nos possessions des Rivières du Sud; un
lirailleur natif de Sierra-Leone, probablement un Timméné; enfin
deux Sarakolés (un tirailleur venant de Bakel et un civil mesuré
par M. Yerneau). La taille moyenne de ces indigènes (tm,68) (2)
est inférieure à celle des Ouolofs et des Toucouleurs (lm,71); sur
5 individus, deux seulement ont une haute stature, les trois autres
ont une taille au-dessous de la moyenne (3). Les deux hommes
Landouman (qui ne diffèrent presque pas des Soussous) mesurés
cl. 466; sur les Soninkés, en 1878, p. 584; sur la secte des Simos, en 1880, p. 432; sur
la. caste des Griots, en 1882, p. 200. — FAIDHERBE, les Sarakolés (Revue de Linguis-
tique, t. XIV, 1881, p. 80). — Dr QUINTIN, Souvenirs d'un voyage du Sénégal au Niger
(Bull. Soc. géogr., 1881, 1er sein., p. 314). — CARLUS, les Serères de Sénégambie (Revue
géographique, 1880, pp. 30 et 98). — Sénégal et Niger, la France dans l'Afrique occi-
dentale, 1879-83; Paris, 1S84, in-8° avec atlas (édité par le Ministère de la Marine et
tics Colonies), p. 37. — Dr TAUTIN, Eludes critiques sur l'ethnologie et l'ethnographie
des peuples du bassin du Sénégal (Revue d'Ethnographie, t. IV, 1885, pp. 61, 137 et256).
— D 1' COLIN, la Population du Bambouk (Revue
d'Anthropologie, 1886, p. 432). —
HOVELACQUE, les Nègres de l'Afrique sus-équatoriale, Paris, 1889, in-8°. —FAIDHERBE,
le Sénégal, la France dans l'Afrique occidentale, Paris, 1889, in-8° avec carte. — GAL-
LIENI, le Soudan français (Bull. Soc. géogr., 1889, p. 111), avec carte. —L.-G. BINGER,
Du Niger au golfe de Guinée par Kong (Bull. Soc. géogr., 1889, p. 329, avec carte). Les
travaux craniologique.s sont cités plus bas.
(1) Dr A. CORRE, Les peuples du Rio Nunes (Me'm. Soc. Anlrop.; 2e sér., t. III, 1888,
p. 62); mesures de deux Diolas (race Sercr) et de trois Landouman (apparentés aux
Soussous). M. T. de Rochcbrune, clans son travail: (a Femme et l'enfant dam la race
ouolove (Rev. d'Anthrop., 1SS1, p. 260), ne donne que quelques mesures spéciales
(à part la taille) sur les femmes.
(2) Pour pouvoir mieux retenir les différentes mesures, nous les donnons en chilïrcs
ronds en rejetant la deuxième décimale dans les indices, de même que les fractions
de centimètre dans l'évaluation des tailles. On trouvera les mesures exactes dans le
tableau aux pp. 292 et 293.
(3) Nous suivons la classification de Topinard : haute taille au-dessus de lm,70; taille
au-dessus de la moyenne, de lm,699 à lm,650; au-dessous de la moyenne, de lm,6'j9 à
lm,660 et petite taille, Jm,599 et au-dessous.
LES RACES EXOTIQUES. 261

par M. Corre ont les tailles de lm,66, etlm,67, c'est-à-dire toujours


au-dessus de la moyenne. La couleur de la peau est en générai
presque noire (nos 42-43 du tableau chromatique de Broca), aussi
noire que celle des Ouolofs ; c'est le teint le plus foncé que nous
ayons constaté en général chez les individus de race nègre. Il faut
noter cependant qu'un de ces Mandingues, l'indigène de Sierra-
Leone, avait la peau assez claire (nos 29-30 du tableau chroma-
tique), ce qui fait soupçonner chez lui quelque mélange. La tête
est en général dolichocéphale (indice céphalique moyen 74,9), un
peu plus allongée que celle des Ouolofs et des Toucouleurs
(i. c. 75,4). L'indice sur le vivant dépasse juste de deux unités celui
des 4 0 crânes mandingues (72,8) donné dans les Crania clhnica (1);
il dépasse de 3 unités la moyenne de 4 crânes (71,8) décrits par
Dally et Manouvrier (2). La tête est comprimée latéralement et le
diamètre transverse ne dépasse, en moyenne, que de 34 milli-
mètres le diamètre frontal minimum. Par la hauteur de leur tète
(13,3; supposant la taille = 100), les Mandingues occupent une
place intermédiaire entre les Ouolofs (12,8) et les Toucouleurs
(13,9). (Yoy. le tableau démesures, pp. 292-293.)
La face, loin d'être plus étroite que celle des autres Sénégalais,
comme le dit Bérenger-Féraud (3), est au contraire plus large que chez
les Ouolofs et les Toucouleurs. L'indice facial total (rapport entre le
diamètre bizygomatique et la hauteur totale de la face) est de 60,1,
presque le même que celui des Ouolofs (59,1), mais plus grand que
celui des Toucouleurs (55,9). Tantôt ovale, tantôt carrée, la face est
souvent très large vers.les angles du maxillaire (Sarakolé deBakel) ;
elle est parfois aussi losangique (Timménô). Le front est en général
étroit (diamètre frontal minimum moyen 107), haut et bombé sur
la ligne médiane,'les arcades sourcilières sont peu développées
(sauf chez un Soussou) ; les yeux sont d'un brun foncé, droits
(sauf le Timméné qui les a obliques). La forme du nez varie sin-
gulièrement; chez les Soussous, le nez est aplati, droit ou concave,
à pointe grossière abaissée par rapport aux ailes très larges et gros-
sières; chez les deux Sarakolés et le Timmené, les ailes sont aussi
larges et grossières, mais le dos du nez est proéminent, convexe et
la pointe est fine, dirigée en avant, ou un peu relevée en haut, au
contraire de ce que dit M. Bérenger-Féraud (4) qui leur attribue

(1) DE QUATREFAGES et HAMY, Crania ethnica. Paris, 1875-83, in-4J, p. 362.


(2) Bulletin Soc. Anthrop., 1886, p. 254.
(3) Éludes sur les Soninkés (Revue d'Anthrop., 1878, p. 592).
c,
(4) L. p. 592.
202 J. DEN1KER ET L. LALOY.

un nez écrasé et épaté. Quant à l'indice nasal, il varie beaucoup


également; tandis qu'il est de 116 ou de 121 chez les Soussous, il
n'est que de 97, 95 ou môme de 85 chez les Sarakolés et le Tim-
mené;les premiers ont donc le nez beaucoup plus large que les
seconds. Les lèvres sont en général très grosses, lippues, et proje-

b'iu. 1. — Ali-Bouba'car, Mandingue-Soussou.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

tées en avant; comme le dit Bérenger-Féraud, le prognathisme est


ainsi assez marqué. Le menton est arrondi ou carré; les oreilles
sont petiles. Le cou est fort, mais long. Le membre supérieur est
long (46,1 en centièmes de la taille), plus long que chez tous les
autres Nègres mesurés par nous, sauf les Achantis (46,5) et les
Krous (47). Il en est de même pour F avant-bras : 16,7 en centièmes
LES RACES EXOTIQUES. 263

celui des Achantis et qui n'est dépassé


de la taille, chiffre égal à
que parles Krous (16,8) et les Angolais (17,1). A notre grand
regret, nous n'avons pu mesurer le membre inférieur.

b). Les Ouolofs, Volofs, Yolofs ou Djolofs. — Cette population

FIG. 2. — Ali-Boubakar, Mandingue-Soussou.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

occupe, comme on le sait, le pays de Cayor, situé entre la côte (de


Saint-Louis au cap Vert) et le 17e degré de longitude ouest (voy. la
carte). Les Serers qui habitent plus au sud paraissent appartenir
également à la race ouolof. Nous n'avons examiné que deux sujets
de cette race, deux spahis sénégalais, l'un natif de Cayor et l'autre
de Baol, localité située
en plein pays Serer, ce qui nous fait penser
m J. DENIKER ET L. LALOY

qu'il appartient plutôt à cette peuplade (1). Nous complétons notre


étude en nous servant des chiffres et de quelques observations de
M. Verneau sur 12 Ouolofs civils de provenances diverses du village
sénégalais à l'esplanade des Invalides. D'après la moyenne déduite
des 14 observations réunies, on peut conclure que les Ouolofs sont
des hommes de haute taille (1,71 en moyenne), ce qui confirme les
assertions de tous les voyageurs. Sur 14 individus, la moitié sont
de grande taille; un seul n'a que lm,70, les autres ayant lm,76,
lm,77, lm,79 et même lm,83. Dans l'autre moitié, cinq individus
ont une taille dépassant la moyenne (de lm,65 à lm,69) et deux
seulement sont au-dessous de la moyenne (lm,60 et lm,62). La
taille des femmes ouolofes est de lm,63 d'après 150 mensurations
prises par M. de Rochebrune (2). La couleur de la peau est excessi-
vement noire (nos 42 à 43 du tableau), une fois extrêmement même,
chez le Serer, n° 35. La tête est allongée ; par leur indice céphalique
moyen (75,4), les Ouolofs se placent sur la limite de la mésocé-
phalie d'après la nomenclature quinaire, ou parmi les sous-doli-
chocéphales d'après la nomenclature de Broca (3).
Sur 14 individus, quatre ont un indice inférieur à 75 et un seul
supérieur à 77 (77,4) ; les neuf autres ont les indices variantde7o,3
à 76,8, c'est-à-dire dans les limites fort étroites de la sous-dolicho-
céphalie de Broca. On peut donc dire que les Ouolofs sont sous-
dolichocéphales. Les 23 crânes de Serers et d'Ouolofs dont les
mesures sont données dans les Crania et/mica (p. 362) ont un indice
moyen de 69,79, inférieur de 6 unités à celui du vivant; l'indice de
9 crânes de femmes est de 73,74. La conformation générale de la
tête rappelle celle des Mandingues ; la face est cependant un peu
plus allongée (indice facial total, 59,1). Le front est étroit et bombé.
Le nez est généralement saillant, rarement aplati, droit ou con-
cave, à pointe fine assez large. L'indice nasal que donne M. Ver-

(1) Cet individu est le plus grand (lm,83), le plus dolichocéphale (i. c. 69,5) et le
plus noir (n° 33) de tous les Ouolofs examinés par nous et par M. Verneau.
(2) Loc. cit.
(3) Pour éviter la confusion et pour exprimer mieux les nuances, nous allons nous
servir dans le courant de ce travail des termes tirés de ces deux nomenclatures, d'après
le tableau qui suit :
Indices céphaliques de 69,99 et au-dessous hypcrdolichocéphale.
— de 70 à 74,99 dolichocéphale.
— de 75 à 77,76 sous-dolichocéphale.
— de 77,77 à 79,99 mésocéphale.
— de 80 à 83,32 sous-brachycéphalc.
— de 83,33 à 84,99 brachycéphalc.
— de 85 à 89,99 hypcrbrachycéphale.
— de 90 et au-dessus ultrabracbycéphale.
LES HAGES EXOTIQUES. 265

neau. (82,8) est de beaucoup inférieur à ceux que nous avons


obtenus sur les deux Ouolofs (97,5 et 100) et sur d'autres Nègres
de nos séries, chez lesquels jamais les moyennes de cette mesure ne
tombent au-dessous de 100. La différence provient certainement de
la diversité du mode opératoire qui, comme on le sait, produit
dans cette mesure délicate des écarts énormes (1). La bouche est.
assez large (largeur moyenne, 59, d'après M. Verneau), les lèvres
sont grosses, mais pas autant que chez les Mandingues et plus
rarement proéminentes. Le prognathisme est aussi moins fré-
quent. Les oreilles sont petites.

c). Les Toîicouleurs, Torodo ou Torobé (fig. 3 et 4) forment le


gros de la population de la rive gauche du Sénégal, depuis Bakel
jusqu'à Dagana (voy. la carte). Resserrés entre les Maures au nord,
les Ouolofs à l'ouest, les Mandingues à l'est et les Phoulou Foulbés
au sud, ils devraient représenter la race mêlée par excellence. Ce-
pendant l'étude de septindividus de cette population nous a conduit
au contraire à reconnaître une grande homogénéité dans leur type
physique. Serait-ce un simple hasard, ou faut-il croire que les carac-
tères des diverses races se sont si bien fusionnés qu'ils ont fini par
produire une nouvelle variété bien caractérisée? L'étude d'un
plus grand nombre d'individus que nous recommandons vivement
aux médecins militaires de nos possessions du Sénégal désirant
faire de l'anthropologie pourrait seule élucider cette question.
Nos sept Toucouleurs provenant de Dakar, de Saint-Louis, de
Saldé et de Fouta-Toro sont tous tirailleurs ou spahis. La taille
moyenne (lm, 71) est aussi haute que celle des Ouolofs, mais les
variations individuelles sont plus notables. C'est dans cette petite
série que nous trouvons l'individu le plus petit (lm,59) de tous les
Sénégalais et l'individu le plus grand (lm,88) non seulement parmi
les Nègres, mais même parmi tous les sujets de différentes races que
nous avons mesurés. L'écart entre les tailles extrêmes dans cette
petite, série est plus notable (29 centimètres) que dans la série deux
fois plus grande des Ouolofs (23 centimètres). Cependant toute cette
perturbation n'est due qu'à la présence de deux individus excep-
tionnels au point de vue de la .taille; en les excluant, nous avons
cinq individus dont la taille varie de lrn,66 à 1"\77 et dont deux
sont hauts et trois autres ont une taille au-dessus de la moyenne;

(1) Yoy. à ce sujet l'excellent travail du D 1' COLLIGNON, la Nomenclature quinaire


de l'indice nasal le vivant {Revue d'Anthropologie, 1887, p. 8); nous avons suivi
sur
dans nos mensurations la méthode et la nomenclature exposée dans
ce mémoire.
266 J. DENIKElt ET L. LALOY.

coïncidence bizarre, la moyenne reste la même (lm,7J) pour ces


cinq individus que pour la série entière. Les deux cas exceptionnels
semblent donc se contre-balancer. D'ailleurs, par tous leurs autres
caractères, les deux individus en question si différents par leur taille

FIG. 3. — Ahmed-Kori, Toucouleur.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

ressemblent tellement l'un à l'autre de même qu'au 'reste de


leurs compatriotes, qu'ils confirment plutôt l'homogénéité de la
race ou de la variété des Toucouleurs.
En somme, sauf une exception, la taille de nos Toucouleurs est
élevée. La couleur de la peau est d'un noir moins foncé que celui
des groupes précédents : sur 7 individus, quatre ont la teinte indi-
LES RACES EXOTIQUES, 267

quée par les n 03 42-43 (noir) et trois par les n 09 28, 29-37 (cou-
leur chocolat). La tête est aussi allongée que dans les deux groupes
précédents; l'indice céphalique moyen est de 78,4, mésocéphalc
sous-délichocéphale suivant les nomenclatures ; sur 7 indi-

FIG. 4. — Ahmcd-Kori, Toucoulcur.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

vidus, trois ont un indice inférieur à 75, et un seul, supérieur à 77


(78,7). Le front est très étroit (diam. front, min., 103), et la tête est
en général aussi aplatie vers les tempes que chez les Ouolofs. Le
front est bombé, la face est plus allongée que dans les groupes pré-
cédents (indice facial : 55,9) ; ]e nez est proéminent, droit, à pointe
fine, rarement aplati; il est moins large (ind. nas., 100) que chez les
268 J. DEN1KER ET L. LALOY.

Mandingues; les lèvres sont grosses, mais peu proéminentes, le


menton pointu et fin. Ces caractères (sauf peut-être la couleur) sont
remarquablement uniformes et ne souffrent qu'une ou deux
exceptions, tandis que dans d'autres groupes les exceptions sont
beaucoup plus fréquentes. Le système pileux paraît être mieux
développé que clans les deux autres groupes. Le tronc est allongé,
les membres supérieurs aussi longs que chez les Ouolofs (45,8
p. 100 de la taille).
Arrivant au terme de l'étude détaillée des trois groupes des
Sénégalais, nous ne pouvons pas nous empêcher de formuler ici
quelques remarques à propos d'un grand air de famille, d'une
ressemblance entre ces groupes. Tous ces Sénégalais sont grands
de taille et sous-dolichocéphales ils ont tous la peau très foncée, le
nez saillant, modérément large, le front bombé et étroit. Les diffé-
rences entre les groupes sont dues à la diversité dans la confor-
mation du nez, des lèvres, de la forme générale de la face.
Quant à la chevelure, elle est uniformément laineuse, crépue;
elle est formée, comme chez tous les Nègres de spires très fines
(2-3 millimètres de diamètre) et s'étend sur la tète sans interruption.
Tout au plus peut-on remarquer chez quelques individus (o sur 13),
vers les bords de la chevelure (au front, à la nuque), quelques bou-
quets de poils en touffes, rappelant la disposition générale des
cheveux sur la tête des Bochimans. Ces remarques générales peu-
vent s'appliquer à tous les groupes nègres que nous allons décrire
plus bas.

L2. LES ACHANTIS

Nous englobons dans ce groupe les indigènes du sud de Libéria,


connus sous le nom de ïvrous ou Kroumen, et de Yeï ou Waï,
les Acrédiens et les Assiniens de nos possessions de la côte de
l'Ivoire, les Achantis du royaume de même nom, elles Evés du
cours inférieur de la rivière Volta (voy. la carte).
Nous n'avons pu mesurer les Acrédiens qui ont été exposés à
Paris pendant quelque temps au voisinage de l'Exposition; nous
dûmes nous contenter d'un examen rapide de ces indigènes dont
le type général répond assez bien à la description et aux mesures
des Assiniens données par Mondière (1) ainsi qu'aux dessins repré-
sentant ce peuple et que l'on trouve dans la relation du voyage de

(1) MONDIÈRE, les Nègres chez eux. (Revue d'Anthropologie, 1880, p. 626).
LES RACES EXOTIQUES. 269

M. Chaper (1). Il nous paraît donc que les habitants d'Àcra et


d'Assini ne forment qu'une seule et même population, et comme
l'on possède déjà des mesures assez nombreuses sur les Assiniens,
nous ne regrettons qu'à moitié de n'avoir pu mesurer les Acré-
diens. Par contre, l'un de nous a eu occasion d'étudier et de mesu-
rer les représentants des populations moins connues : une troupe
de 49 individus exhibée au Jardin d'Acclimatation en 1887 et
composée de Krous et d'Achantis ; c'est le résumé de cette étude
que nous donnons ici en le complétant de quelques renseignements
sur les Veï et sur les Krous tirés des différents auteurs.
Ce résumé nous permettra d'ajouter un anneau à la chaîne de
populations nègres de la côte occidentale d'Afrique. En effet, l'ha-
bitat des Achantis et des Krous se trouve presque à égale distance
entre ceux des Sénégalais que nous avons déjà décrits et les Gabo-
nais que nous allons décrire plus loin (voy. la carte à la p. 258).
La petite troupe exhibée en 1887 sous le nom d'Achantis se
composait de 5 Krous (2 hommes et 3 femmes) de Libéria et de
14 Achantis (10 hommes et 4 femmes) venant des environs de
Koumassi, capitale du royaume, ou de Kokofou, petite, localité
située près de la ville d'Ateobou au nord-est de Koumassi, près de
la rivière Yolta (ces derniers appartiennent peut-être à la peuplade
Eve apparentée aux Achantis).

a). Les Kroiis ouKroumen. — Si la plupart des Nègres de l'Afri-


que nord-occidentale n'ont pas encore été mesurés et décrits en
détail, il faut faire exception pour les Krous et les Veï, leurs voisins
dont nous avons plusieurs mensurations. A deux reprises, en 1886
et en 1889, le Dr Zintgraffa envoyé à la Société d'anthropologie de
Berlin (2) les mesures et les observations sur 23 Krous faites à
Kameroun, et sur 40 Veï. Vers la même époque, MM. Serrurier et
Ten-Kate (3) ont publié les mesures de deux Nègres Krous qui se
trouvaient comme matelots sur un navire à Rotterdam. Nous allons
donc comparer nos mesures à celles de ces auteurs.
La taille de nos deux hommes Krous est de lm,63 et 1,68, ce qui
donne en moyenne 1m,65. M. Zintgraff a trouvé, dans sa première
série, sur 3 individus adultes la taille moyenne de lm,75 (variant de
1,73 à 1,78). M. Serrurier et Ten-Kate donnent pour leurs deux

(1) CHAPER, Rapport


sur une mission... dans le territoire d'Assinie, Paris, 1884, in-8°,
avec carte et pi. (Exlr. des Archives des Missions Scient., 3e série, t. XII).
(2) Zeitschrift fur Ethnologie, 1886, Verh.,
p. 27, et 1889, Verh., p. 85.
(3) Musée royal d'Ethnographie de Leyde. Notices anthropologiques n° -/, Nègres
;
Km. Leyde, s. d., in-fol.
270 J. DENIKER ET L. LALOY.
sujets la taille moyenne de lra,635 (lm,63 et lm,64), presque la
même que nous. La moyenne générale des 7 individus serait donc
de lm,69, taille au-dessus de la moyenne; mais la série se répartit
également entre les individus de haute taille et de taille au-dessous
de la moyenne (3 sur 7), avec un seul individu de taille au-dessus
de la moyenne, ce qui fait supposer l'existence de deux races mélan-
gées. La taille moyenne des trois femmes est assez élevée (lm,62)
sans variations notables (max. lm,65; min. lm,59). La couleur de
la peau varie chez les deux individus observés par l'un de nous :
le premier est presque jaune (nos 30-44 du tableau), l'autre a la
peau de couleur chocolat (n° 43); les savants hollandais donnent
les nos 28 et 43, se rapprochant de ceux de notre deuxième individu.
M. Zintgraff donne les numéros de la couleur de la peau, mais sans
indiquer d'après quel tableau chromatique, de sorte que nous ne
pouvons pas comparer ses observations avec celles des savants hollan-
dais et avec les nôtres. Si ses numéros correspondent au tableau de
Broca, ce qui nous paraît probable, sur 23 individus, 14 auraient
la teinte chocolat (nos 42 et 43), 6 auraient la même couleur avec un
léger mélange de rouge (nos 28 et 29), un serait noir (n° 27); enfin
pour l'un des sujets les numéros de la couleur correspondent à deux
teintes diamétralement opposées du tableau. Quoi qu'il en soit, les
Krous paraissent être moins noirs que les Sénégalais. La tête n'est
pas aussi allongée que chez la plupart des Nègres. L'indice cépha-
lique moyen de nos deux hommes est de 78 ; celui de trois femmes,
de 75,4. Mais les variations individuelles sont notables, et si chez les
femmes elles sont comprises encore dans les limites de la dolicho-
céphalie et de la mésocéphalie (de 71,1 à 79,7), chez les hommes les
indices divergent notablement : l'un est dolichocéphale (74,5),
l'autre sous-brachycéphale (81,4). Ten-Kate et Serrurier ont trouvé
les indices 77,7 et 75,5. Enfin, dans la série de M. Zintgraff, les in-
dices, tout en donnant une moyenne de 74,75, varient de 70,1 à 81,6;
cependant il faut dire que le dernier chiffre ne se rencontre qu'une
seule fois dans la série et que le chiffre le plus fréquent est celui de
76 (7 fois). En réunissant toutes les 27 observations sur les hommes
et en faisant la sériation des indices, nous obtenons 11 dolicho,
11 sous-dolicho, 3 méso, et 2 soiis-brachvcéphales.L'indice moyen
de toute la série est de 75,1. Deux crânes de Nègres Krou décrits
par M. de Quatrefages etllamy donnent l'indice moyen de 72,7 (1).
En somme, par leur indice moyen comme par le nombre des in-

(1) Crania et/mica, p. 364


LES RACES EXOTIQUES. 271

dices1 les plus fréquents, on peut classer les Krous parmi les méso
ou les
sous-dolichocéphales suivant les nomenclatures.
Le nez est droit, proéminent et fin, assez large (ind. nasal, 102,3)
chez l'individu qui,nous paraît métissé; grossier, légèrement aplati,
très large (ind., 115,8) chez l'autre. En réunissant nos mesures à
celles de MM. Serrurier et Ten-Kate prises de Ja même façon, nous
obtenons, pour l'indice moyen des quatre individus, 105,9. Chez les
trois femmes, le nez est moins large (ind. nas. moy. 96,1), proé-
minent ou légèrement aplati, mais toujours grossier comme forme
générale ; chez une des femmes la pointe est aussi grosse et massive
que chez les Mélanésiens ; mais elle n'est pas inclinée en bas comme
chez ces derniers. Les lèvres sont tantôt moyennes, presque fines,
tantôt grosses et même lippues. Les variations individuelles, vu le
nombre restreint d'individus examinés, ne permettent pas de faire
une description générale. Les proportions du corps sont à peu près
les mêmes que chez les Achantis, sauf que chez les femmes Krou
le membre inférieur paraît être plus court (52 centièmes de taille)
que chez les femmes Achantis (54), malgré la taille plus élevée
des premières.
Les 40 Veï de Monrovia mesurés par M. Zintgraff ont un indice
céphalique de 75,95; la série se décompose en 16 dolicho, 15 sous-
dolicho, 5 méso et 4 sous-brachycéphales.

b). Les Achantis.


— La série de 9 hommes achantis que l'un de
nous a pu mesurer est assez homogène; celle de 4 femmes l'est
moins, car elle comprend deux filles de 16 à 17 ans qui ne paraissent
pas avoir atteint le terme de leur croissance. Ces mesures sont les
premières qui aient été publiées pour les Achantis.
La taille des hommes est assez élevée; la moyenne est de lm,69
un peu moindre de celle des Assiniens (lm,71) d'après Mondière ;
mais sur 9 individus, un seul est petit (lm,56); tandis
que quatre
sont de haute ou très haute taille (de lm,71 à lm,82) et trois autres
ont une taille au-dessus de la moyenne. La couleur de la peau varie
du chocolat clair (n° 37)
au chocolat foncé, presque noir (42-43).
Les femmes sont plutôt petites (taille
moyenne, lm,55 égale à celle
des Assiniennes (lm,55) d'après les mensurations de Mondière
sur
40 sujets) par rapport aux hommes, mais cela tient probablement
à la présence, dans la série de deux filles de 1 6 à 17
ans qui n'ont
pas encore atteint leur taille normale ; une des femmes adultes
avait la taille très élevée (1,70), l'autre
une taille moyenne (lm,55).
La tête est allongée
en général (ind. céph. moyen : 77,2 pour les
272 J. DEN1KER ET L. LALOY.

hommes, 76,5 pour les femmes). Cependant, en faisant la sériation,


on découvre, sur 9 hommes, 4 brachycéphales ou sous-brachycé-
phales (de 80,2 à 81,2) et deux dolichocéphales (71,1 et 72,1) seule-
ment; le reste sont des méso ou sous-dolichocéphales (de 75,1 à
78,6). Évidemment il y a Là mélange de deux types, brachy et doli-
chocéphale ; le même fait se reproduit pour la petite série de femmes :
1 brachy (80,7), 1 dolicho (72,1) et 2 mésocéphales (76 et 76,8). L'élé-
ment brachycéphale est plus fortement représenté que chez les
Krous. Les 6 crânes d'hommes Achantis mentionnés dans les Crania
Hhnica (1) présentent un indice moyen de 7 3,5, inférieur de 4 unités
à celui du vivant. Les 5 crânes de femmes ont le même indice (73,4).
D'ailleurs ce faible indice semble se maintenir plus à l'est, car on
le retrouve chez les Assiniens (73,4), moyenne de 48 hommes
vivants (2) et sur les crânes des Dahoméens (72,3), des Yebon,
Eboes du delta du Niger (72,6) et des Calabari de l'embouchure du
Rio del Re (72 à 75).
Le front est généralement droit, mais plus large et moins
bombé vers la ligne médiane que chez les Sénégalais. Le nez est
d'ordinaire saillant, droit ou convexe (sauf deux exceptions), très
large (ind. nas. moy. 114,1). Les narines sont fortes, et la pointe,
très grosse, n'est ni abaissée ni relevée. Chez les femmes, le nez
paraît être plus aplati et plus souvent concave ; il est aussi moins
large (i. n. 102,5). Les lèvres sont grosses, souvent même lippues et
toujours projetées en avant, de façon à bien accuser le progna-
thisme naso-alvéoiaire. Ce caractère est très marqué, et vus de pro-
fil, tous les Achantis paraissent faire, la moue en projetant leurs
lèvres en trompe. Associée au menton carré, droit et nullement
fuyant, mais aussi bien dessiné que celui des Européens, la forme
des lèvres donne une expression toute spéciale à la physionomie
d'un A.chanti. La face est allongée (ind. fac. 57,6 pour les hommes),
aux contours heurtés, quadrangulaire. Le cou est fort et long; le
tronc et les membres bien proportionnés ; le membre supérieur est
aussi long (46,5 p. 100 de la taille) que chez les Mandingues (46,1);
la main et le pied sont moyens. Contrairement à ce que l'on trouve
chez beaucoup d'autres Nègres, les Achantis ont le mollet assez
bien développé, quoique placé un peu haut, chez les hommes comme
chez les femmes. Le système pileux est bien développé sur le corps

(1) P. 364 et 366.


Son type « trapu » (Agni), donL la taille moyenne est de lm,67,
(2) MONDIÈRTÎ, /. c.
présente un indice de 74,7, et son type « élancé » (Ochin), taille moyenne de lm,75, a un
indice de 71,05.
LES RACES EXOTIQUES. 273

et au visage; la plupart des individus ont un peu de moustache et


de la barbe au menton et sur les joues, et les poils sont souvent
abondants sur la poitrine, les bras, les jambes, etc. Chez quelques-
unes des femmes, la région fessière est assez développée, sans
atteindre cependant le même degré de proéminence que chez les
Hottentotes et les Bochimanes. La saillie des fesses est en moyenne
de 3,6 (en centièmes de taille), tandis qu'elle est de 7 à 8 chez les
Hottentotes et les Bochimanes et de 3,4 chez les Européen-
nes (1).
En somme, le groupe Krou-Achanti, si on le compare à celui
des Sénégalais, se signale surtout par un léger abaissement de la
taille, par la présence de quelques individus brachycéphales, par
un prognathisme alvéolaire et par le développement du système
pileux. Nous verrons plus bas que le groupe suivant présente encore
une plus grande divergence d'avec les Sénégalais en ce qui con-
cerne les deux premiers caractères. On peut donc supposer qu'en
s'éloignant du Sénégal vers le sud. la taille tend à s'abaisser et la
dolichocéphalie diminue. Ce phénomène tiendrait-il à l'existence
d'une race petite et brachycéphale (Akka, Négrille) dont le centre
se trouve vers l'Ogooué et le Congo et dont les éléments sont dis-
persés au loin vers le nord et peut-être vers le sud? C'est ce que les
études ultérieures, basées sur un plus grandnombre d'observations,
vont prouver ou démentir. Quant à nous, nous avons été frappés
de ce fait qui était constant malgré le hasard de l'assemblage des
individus soumis à nos observations.

3. LES GABONAIS

Notre colonie du Gabon était représentée à l'Exposition par


18 individus du sexe masculin, qui se répartissent ainsi : Adoumas,
8 adultes; Okandas, 8 adultes; Loangos, 1 adulte et 1 enfant de
11 ans. Sauf pour les Loangos, nous ne connaissons
pas de travail
anthropométrique sur ces peuples.
a). Les Okandas.
On rencontre les Okandas sur le cours moyen de l'Ogooué,
surtout aux environs du village de Lope. Pourtant leur métier de
pagayeur les conduit souvent assez loin de leur pays d'origine.
Les individus que nous avons étudiés étaient tous d'apparence
(1) Voy. DENIKER, les Hottentots au Jardin d'Acclimatation {Revue d'Anthrop., 1889,
P. 18).
L'ANTHROPOLOGIE. 19
— T. I.
2"4 j. DENIKER ET L. LALOY.

robuste, bien musclés. Leur taille moyenne est élevée, lm,70; le


groupement est très homogène, puisque les tailles de ces 8 sujets
sont comprises entre les chiffres 1660 et 1760 ; 3 ont une haute taille
et 5 dépassent la moyenne.
Les populations qui avoisinent les Okandas sont aussi pour la
plupart de haute taille. Un Gamma ou Gamma du delta de l'Ogooué,
mesuré par le D* Lartigue (1), avait lm,70; un Pahouin ou Fan,
mesuré par le Dr Wolff (2), était un peu plus petit (loe,67).
Au point de vue de l'indice céphalique, les Okandas rentrent
dans la règle des races nègres vraies; ils sont dolichocéphales
à 72,2. On trouve dans la série d'abord un indice isolé hyper-
dolichocéphale à 67, ensuite 2 indices franchement dolichocé-
phales de 72,2 à 73,2, puis 3 indices sous-dolichocéphales de 7o
à 77,4; enfin un indice sous-brachycéphale à 80,3. Sous ce rap-
port encore notre série est donc très homogène, puisque tous
les individus rentrent dans les limites de la dolichocéphalie ou de
la sous-dolichocéphalie. Le seul qui fasse exception est du reste à
peine sous-brachycéphale. Il est à remarquer que celui-ci est le
plus petit de la série, tandis que rhyperdolichocéphale a la taille
la plus élevée. La dolichocéphalie et une haute stature semblent
donc être unies dans ce groupe, mais ce n'est pas toujours le cas.
Ainsi le Gamma déjà cité, très grand, a un indice de 80,1 et le Fan,
plus petit, a l'indice de 78,9. Sur le crâne, les Fans donnent les in-
dices de 72,77 et de 79 comme moyennes (3).
L'indice nasal est de 118,25; l'aire des variations est comprise
entre 95,5 et 132. Le nez est déprimé, grossier, très large vers les
narines, qui sont visibles quand l'individu regarde bien en face.
Dans un cas pourtant, nous avons trouvé un nez saillant et assez
fin. Les lèvres sont très grosses, saillantes, souvent projetées en
avant. Les traits sont en général grossiers. Les muscles mastica-
teurs font sur les côtés du crâne une très forte saillie. La face est
large surtout à la région zygomatique. Le prognathisme est mo-
déré, dû surtout à la saillie des lèvres. Le front est droit, à bosses
frontales saillantes; dans un cas, il est haut et fuyant et rappelle
le front des Angolais. La forme générale du crâne est allongée,
l'occiput proémine souvent en arrière. Dans deux cas, nous avons
constaté l'adhérence du lobule de l'oreille.
La peau est brun foncé (nos 28, 42, 43 du tableau chromatique

(1) Mém. Soc. Anlhrop., t. III, '1868, p. 354.


(2) Zellschr. f. Ethnol., 1886, Verh., p. 753.
(3) Cranta et/mica, p. 371.
LES RACES EXOTIQUES. 275

de Broca) ; dans un cas, la teinte est plus sombre et atteint le n° 35.


Les cheveux sont laineux, ils ont parfois une tendance à se grou-
per en grains de poivre, surtout vers les tempes. Le diamètre des
tours de spires est d'environ 3 millimètres. Le reste du système
pileux est fort peu abondant.
On ne trouve pas chez les Okandas de tatouages; tout au plus
rencontre-t-on parfois quelques traces de scarifications isolées,
faites avec un instrument tranchant dans un but thérapeutique. En
revanche, la plupart de ces indigènes avaient les dents incisives
médianes supérieures limées en pointe, mais à un degré assez faible.

b). Les Adoumas (fig. 5 et 6).


Nos 8 Adoumas viennent des villages de Lingorembi, Limboco,
Machogo, Niamba, etc., situés sur les deux rives de l'Ogooué en
amont des rapides de Bandji, à peu près par 0°50' lat. sud. (voy la
carte). C'est là le vrai pays des Adoumas, qu'on rencontre d'ailleurs
un peu partout le long de l'Ogooué, car ils sont très employés
comme pagayeurs.
Parleur aspect extérieur, ils diffèrent notablement des Okan-
das et des autres Nègres. Leur taille est petite : lm,59 en
moyenne
seulement; la limite des variations est formée par les chiffres 1530
et 1650. Sur 8 sujets, 4 sont petits (de lra,53 à 1M,59), 3 ont la taillé
au-dessous delamoyenne (lm,60 à lm,64) et un seul,la taille moyenne
(lm,65). Aucun d'eux n'est aussi grand que le plus petit des Okandas.
Leur tête est arrondie, sous-brachycéphale. L'indice céphalique
moyen atteint presque 81. Sur 8 individus, 4 ont des indices sous-
brachycéphales (82,4 à 82,9) et un, l'indice brachycépbale de 84,3(1).
Des 3 autres, 1 estmésocéphale et 2 sous-dolichocéphales (76-77,4) ;
pas un seul dolichocéphale, cas unique dans les séries nègres. Il est
à remarquer du reste que, parmi les individus sous-dolichocéphales,
deux sont les plus grands du
groupe.
Le nez est plus aplati que chez les Okandas, arrondi du bout,
à narines très visibles. L'indice moyen est de 111,
avec variations
de 88,3 à 141,4. Si l'on retranche
ces cas extrêmes, la série devient
très homogène avec variations de 100 à 119 seulement. Les
yeux
sont assez souvent taillés en amande, à fente palpébrale oblique;

(1) C'est le .seul et unique cas de brachycéphalie vraie que


nous ayons constaté dans
notre série de 80 Nègres. Dans la série de 292 indices céphaliques de Nègres pris
vivant que nous sur le
avons réunis (voy. Tableau de la p. 290), on ne trouve que 6 indices
(ou 2 pour J 00) de brachy
chez les Baloubas.
ou hyperbrachycéphales, dont un chez les Adoumas et cinq
276 J. DENIKER. ET L. LALOY.

cette disposition est d'ordinaire plus marquée d'un côté. Les lèvres
sont moins grosses et moins saillantes que chez les Okandas. Le
front est droit et bombé; dans un cas, on observe un bombement
médian du front très caractérisée. Chez quelques sujets, les muscles

FIG. 5.
— Bounha, homme Adouma.
(D'après la "photographie du prince Roland Bonaparte.)

temporaux sont très saillants. Enfin, nous observé


deux fois l'adhérence du lobule de l'oreille. avons encore
La couleur de la peau est un
peu plus claire que celle des Okan-
das (nos 28, 30, 42) ; certains individus ont
même la face d'un brun
jaunâtre (nos 29-30). Les cheveux sont, plus
souvent que dans le
groupe précédent, disposés en grains de poivre. Le système pileux
LES RACES EXOTIQUES. 277

n'est représenté sur la face que par une moustache et une barbiche
peu apparentes.
La plupart de ces caractères font penser à un mélange avec la
race noire et brachycépbale des Akkas, dont l'existence a été

FIG. 6. — Bounl.a, homme Adouma.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

signalée un peu partout dans cette région, où on les connaît sous


le nom d'Akoa, d'Achongo, de Babongo, etc. Nous reviendrons
sur
cette question à la fin du chapitre dans les Conclusions.
Outre les caractères anthropologiques que nous venons de
signaler, les Adoumas'se distinguent de leurs voisins par des carac-
tères ethniques, tels que les tatouages. Nous les
avons vu que
2T8 J. DENIKER ET L. LALOY.
Okandas pratiquaient les scarifications comme moyen thérapeu-
tique. Nous retrouvons chez les Adoumas ces scarifications isolées
ou en groupe sur la tempe, le thorax, le dos, les articulations
enflammées comme nous en avons observé un cas. Mais, en outre,
on rencontre chez eux des tatouages faits exclusivement dans un
but ornemental. Comme les précédents, ils consistent en petites
incisions qu'on fait suppurer de façon à produire une cicatrice sur-
élevée indélébile. Du reste, il y a des degrés de transition entre
les deux groupes et il est souvent difficile de dire si le tatouage est
fait dans un but thérapeutique ou ornemental. Ces tatouages orne-
mentaux sont fréquents, surtout sur le tronc, sur l'abdomen; nous
ne les avons jamais vus à la face. Ils affectent d'ordinaire la forme
de petits traits, disposés en lignes parallèles autour de l'ombilic ou
groupés en triangle, etc.
On voit aussi, autour des reins, une ceinture de petits traits
disposés régulièrement. Dans un seul cas, nous avons rencontré
un autre genre d'ornementation : c'étaient trois lignes de petits
tatouages colorés en vert, situées sur le front.
Les mutilations des dents se rencontrent aussi chez les Adou-
mas : dans un cas, les incisives inférieures étaient un peu limées;
dans un autre, toutes les incisives supérieures et inférieures
étaient arrachées; dans un troisième, les médianes inférieures seu-
lement, etc.

—L'adulte Loango, originaire de M'Gola, se


c). Les Loangos.
rapproche par tous ses caractères des Okandas; il n'en diffère que
par son indice brachycéphale. Il nous semble intéressant de rap-
procher de cet individu deux autres qui ont été mesurés par
M. Zintgraff (1). Les indices céphaliques de ces indigènes sont de
74,5, et de 77,7, ce qui donne une moyenne de 76,1 sous-doliclio-
phale. Il semble donc que notre sujet sorte de la règle à ce point
de vue, d'autant plus que les crânes loangos donnent un indice
moyen de 72,2 (2). Par sa taille de 1690, il se rapproche au contraire
des deux hommes de Zintgraff, qui ont respectivement 1623 et 1700,
moyenne 1661. D'après le Dr Falkenstein(3), la taille moyenne des
hommes Loangos serait de lm,65 à lrn,68; celle des femmes, de
lm,50 à lm,60.
Ajoutons que notre Loango ne porte pas de tatouages; il a

(1) Zeilschrift. fur Ethnologie, 1886, p. 27 (Verhancll.).


[2) Zeilsc/ir. f. EthnoL, 1877, Verh., p. 163.
(:}) Die Loango Expédition, 2c Abtheilung,
von FALKENSTEIN ; Leipzig, 1879, p. 27.
LES RACES EXOTIQUES. 279

les deux incisives médianes supérieures un peu limées en pointe.


Quant à l'enfant de même provenance, il a la tête très allongée
et les cheveux en grains de poivre.

4. LES ANGOLAIS

C'est sous ce nom que M. L.-J. Goddefroy, membre de l'expédi-


tion néerlandaise dans le sud-ouest de l'Afrique, avait exhibé au
commencementde l'Exposition, d'abord avenue de Labourdonnais,
puis rueLaffitte, 17 nègres venant delà région sud-ouest de l'Afrique
comprise entre le 3e et le 10e degré de latitude nord et entre l'océan
Atlantique et les sources du Zambesi (voy. la carte). En définitive,
à part deux ou trois individus ce ne sont pas des Angolais, c'est-à-
dire qu'ils ne proviennent pas de cette région côtière située entre le
Congo et le Cunéné que l'on appelle Angola en lui appliquant par
extension le nom du premier établissement des Portugais sur cette
côte. On ne peut appeler « Angolais » que les peuplades très mé-
langées, Kiamba, Kissama, Mondombé, Bakisé et autres qui habitent
cette côte; or dans la troupe que nous avons étudiée, il n'y a d' « An-
golais » que trois Mondombè. Le reste sont des habitants de cette
région aussi grande que la France qui s'étend à l'est de l'Angola
jusqu'au voisinage des grands lacs et qui comprend le territoire de
Bihé, les vallées du Kouando et des affluents du Kassaï, de même
que le royaume de Mouata-Yamvo à Jamwo. Ils appartiennent à
des populations moins mélangées, que les voyageurs nous désignent
sous une multitude-de noms. Parmi les 13 individus de ce territoire
que nous avons examinés il y avait : 5 Ganguela (2 hommes,
2 femmes et un enfant), 2 Kwko, Khioko ou A'hioho (une femme
et un enfant) ; 5 individus (2 hommes et 3 femmes) appartenant aux
différentes subdivisions du grand peuple Lounda; enfin deux indi-
vidus sur la provenance desquels nous avons quelques doutes. L'un
d'eux, Cambouga, viendrait, d'après la liste imprimée parle directeur
« Camusiquelle » ; aucun des interprètes de la
de l'entreprise, de
compagnie n'a su nous expliquer où se trouve cette localité et nous
ne l'avons pu découvrir ni sur les cartes les plus détaillées ni dans
les dictionnaires géographiques. L'apparence bochimanoïde de ce
jeune homme nous fait supposer qu'il appartient probablement à
une de ces peuplade de petite taille et de couleur claire comme les
Bakanhala ou Makasakvere (1) du Koubango qui sont peut-être les

(1) Ce vocable sonne à peu près comme « Camousiquelle ».


280 J. DEN1KER ET L. LALOY.

débris des populations bochimanes autochtones de la vaste région


dont nous avons précisé les limites plus haut. Un autre individu,
Loupaca (enfant de 10 ans), vient de « Goette », localité que nous
n'avons pu non plus identifier avec une région quelconque. Ce gar-
çon a des traits qui rappellent au premier abord les Akkas amenés
en Italie par M. Miani, mais cela tient peut-être à son jeune âge.
En définitive, malgré l'apparente diversité d'origine de ces
14 individus, il y avait un certain air de famille commun à tous;
c'est ce qui nous a décidés à en donner quand même des moyennes
générales pour les hommes et pour les femmes. Ces moyennes nous
apprennent que ce sont des individus d'une taille au-dessus de la
moyenne pour les hommes(lm,67), et petite pour les femmes (lm,49),
sous-dolichocéphales (indice céph. 76,8 et 77,4), platyrhiniens (in-
dice nasal 104,7 et 111,4); que leur peau est en général plus claire
que chez les Nègres de la Sénégambie, de la Guinée et du
Congo, etc. Remarquons aussi que les femmes sont en général ou
dolichocéphales ou sous-brachycéphales, tandis que les hommes
sont presque tous méso ou sous-dolichocéphales. L'indice nasal
des femmes est en général plus élevé que celui des hommes. Ceci
dit, passons à l'analyse plus détaillée des quatre groupes d'individus
(Mondombé, Ganguela, Kioko et Lounda) que nous avons établis.

a). Les Mondombé, Bandombé, ou simplement N'dombé (les


préfixes Mo et Ba voulant dire gens, peuple), habitent,comme l'on
sait, la province de Benguela et, plus au sud, le pays entre Mossa-
medes et Kapangombé. Les deux hommes de cette peuplade que
nous avons examinés viennent de Dombé-Grande, village côtier au
sud de Benguela; ils ont quelques caractères communs : la méso-
céphalie, les lèvres moyennement grosses, la couleur chocolat de la
peau, etc., mais ils présentent aussi entre eux quelques différences :
l'un, Cabiembia, est petit (lm,S9) ; il a le nez 1res large (indice nasal
113,5), un peu concave et les tempes ordinaires; l'autre, Quissango
(fig. 7), est grand (lm,73); il a le nez droit et assez mince (indice
nasal 81,8) et présente un renflement bien marqué dans la région
temporale. Il est donc difficile de dire quelque chose de positif sur le
type Mondombé d'après ces deux échantillons. Quant à la femme,
elle se rapproche plus du type représenté par Cabiembia : petite
taille, nez très large, concave et aplati; elle n'en diffère que par sa
dolichocéphalie très prononcée (indice céphalique 73,3).

h). Les Ganguela ou Quanguela habitent le plateau borné à l'est


LES RACES EXOTIQUES. 281

par la haute vallée du Kouando, affluent du Zambezi, et à l'ouest,


parcelle du Koubango. Les deux hommes de cette peuplade que
nous avons mesurés présentent un type assez homogène : taille
élevée (lm,71 en moyenne), couleur de la peau chocolat foncé
(n° 28), indice céphalique dolichocéphale (75,3), oreilles petites et
bien ourlées. Cependant, il faut noter des différences dans la mor-

FIG. 7. — Quissango, homme Mondombé de Dombe-Grande.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.]

phologie du nez et de la bouche. L'un de ces hommes, Catouta, le


a
nez très large(ind. n. 113), légèrement concave, à pointe épaisse et
relevée en haut; à narines bien visibles, si l'on regarde le sujet
en
race; ses lèvres sont grosses et proéminentes. L'autre, C air aï, a
le nez un peu moins large (107), droit et légèrement sinueux, à
pointe fine, abaissée, aux narines à peine visibles de face ; ses
lèvres sont peu épaisses et point proéminentes. Ajoutons
que nous
avons remarqué, chez le premier de ces individus, l'oreille pointue
et les yeux un
peu obliques, mais sans pli falciforme ; et chez le
282 J. DENIKER ET L. LALOY.

second, le front fuyant, à bombement médian, avec glabelle sail-


lante, le menton fin et une acrocéphalie marquée. Même diversité
pour les femmes.
L'une d'elles, Loucinga, native de Quipeo (fig. 8), est dolichocé-
phale (75,3); son nez est presque droit et peu aplati, tandis que
l'autre,Muhongo(fig. 9, à droite), est sous-brachycéphale (i. c.81,6).

FIG. 8. —Loucinga, femme Ganguela.


(D'après la photographie du prince Roland Bonaparte.)

a le nez écrasé, presque sans pointe, bochimanoïde. La couleurde


la peau, quoique plus claire chez Muhongo, présente néanmoins la
même nuance (café au lait) (nos 21-22, 22-37) chezles deux femmes;
cette nuance (n° 21) se retrouve aussi chez la fille de Loucinga, âgée
de 18 mois (taille, 662 mill.) et qui présente
une dolichocéphalie
marquée (72,3), comme sa mère. La couleur de la peau assez claire,
les pommettes saillantes, le front large, les lèvres proéminentes,
les fesses légèrement saillantes et les cheveux ayant l'apparence de
LES RACÉS EXOTIQUES. 283

o-rains de poivre donnent à Muhongo un aspect bôchimanoïde très


frappant.

c). Kioko, A'hioko ou Khioko.


— Cette peuplade, qui, cantonnée

il y avingt-cinq ans à l'est des Ganguelas, s est avancée aujourd nui


par des migrations successives jusqu'au septième degré de lati-
tude sud, dans le
royaume de Mouata-Yamvo, n'est représentée
284 J. DEN1KEH ET L. LALOY.

malheureusement dans notre groupe que par deux individus : une


femme et un enfant. Les yeux brillants et la figure ouverte et intel-
ligente les distinguent de tous leurs compagnons et répondent
parfaitement à la renommée d'intelligence, de hardiesse et d'es-
prit d'initiative dont jouit leur race qui poursuit opiniâtrement sa
migration du sud au nord, de la région des sources du Kouando
(affluent du Zambezi) dans les basses vallées des affluents de gauche
du Congo.
La femme, Barouca, est petite, mésocéphale (77,6) ; la couleur
de sa peau est café au lait (nos 36-37) ; le nez est large, aplati, fin;
le front bombé au milieu, l'occiput aplati, les lèvres proéminentes,
pas très grosses; le menton pointu; les cheveux sont courts; les
seins petits, coniques, tombants; les fesses assez saillantes; le
mollet assez accusé.
Le garçon, Caleï, âgé de 8 ans, est brachycéphale (i. c. 82).
Les Loundas. — Les cinq individus que nous englobons dans ce
groupe appartiennent à 4 tribus différentes qui paraissent toutes
faire partie du grand peuple Lounda occupant le territoire au nord
des Ganguelas et des Mondombé (voy. la carte). Un homme et une
femme sont des Loundas proprement dits et viennent des confins du
royaume de Mouata-Yamvo ; une femme appartient à la tribu de
Baïloundo, assez voisine de la côte, et un homme à celle de Bihé,
habitant le territoire de ce nom, entre les Baïloundo à l'ouest et les
Kioko à l'est. Enfin une femme, Moussinga, (fig. 9, à gauche)
appartient à cette peuplade intéressante, appelée Louba ou Bcdouba,
qui occupe les hautes vallées des affluents de droite duKassaï (bassin
du Congo). Les deux hommes de ce groupe sont grands (l'un a lm,73
et l'autre, dont nous n'avons pu mesurer la taille, paraît avoir au
moins autant), sous-brachy (Bihé) ou mésocéphales (Lounda); ils
ont la peau couleur chocolat, n° 28-43 (Bihé). ou presque noire,
n° 27-42 (Lounda); le nez moins large que la plupart des Nègres, à
peine concave, les lèvres grosses et projetées (Lounda) ou modé-
rément grosses (Bihé). Parmi les femmes, l'une (Baïloundo) a la taille
au-dessus de la moyenne, le teint brun-chocolat (n° 28), la tète très
dolichocéphale (71,7), le nez pas excessivement large, presque droit,
peu aplati; tandis que les deux autres (Lounda et Louba) sont très
petites, ont le teint plus clair (café au lait,nos 21-37 et 22-29), la tête
brachycéphale, le nez encore moins large, peu aplati et dont le
bout grossier est retroussé.
Nous ne donnons ces descriptions que sous bénéfice d'inventaire,
le nombre des sujets étant trop limité.
LES RACES EXOTIQUES. 285

Notons cependant que la taille élevée de deux hommes et d'une


femme du groupe Lounda, de même que la fréquence des brachycé-
phales(3 sur 5) dans ce groupe, concordent bien avec ce que nous
connaissons de la taille et de la forme crânienne des hommes
Balouba ou Louba et des Bangalas, voisins des Loundas (voy. le
tableau de la p. 290).
Quant aux deux sujets de provenance inconnue, l'un d'eux
étant enfant,il est difficile de se prononcer sur ses caractères;il est
presque brachycéphale {i, c. 79,4), pas trop haut pour son âge et
très noir; sa physionomie rappelle, comme nous l'avons déjà dit, les
Akkas. Le deuxième sujet estun adulte. Sa petite taille (lm,57), son
teint clair (nos 21-22), son indice céphalique (73,4), son nez exces-
sivement large (i. nas. i32),- la disposition des cheveux, l'obliquité
des yeux, de même que l'ensemble de sa physionomie, ne permettent
pas de douter que ce sujet a une forte dose de sang bochiman dans
ses veines et doit être apparenté aux Namaquas ou autres tribus
hottentotes de l'Afrique sud-occidentale (1).
En terminant, donnons quelques observations ethnographiques.
La coiffure des femmes Ganguela et Baïloundo présente une dispo-
sition remarquable : les spires des cheveux ont été dépliées et for-
ment des sortes de franges ondulées d'une longueur de 20 centi-
mètres environ, qui tombent en divergeant de chaque côté de la
tête (fig. 8). Chez les autres femmes (Lounda) et chez les jeunes
filles, la chevelure a conservé son aspect normal et forme des tours
de spire de 2 à 3 millimètres de diamètre (fig. 9). Chez les hommes,
les cheveux sont le plus souvent rasés autour de la tête, de façon à
ne laisser parfois qu'une sorte de crête médiane (Ganguela, Mon-
dombé; fig. 7); d'autres fois, ils sont conservés partout (Lounda).
On observe très fréquemment aussi des mutilations des dents :
les incisives supérieures et inférieures sont souvent limées en pointe,
surtout les médianes ; d'autres fois elles sont arrachées et le plus
souvent les deux genres de mutilation se combinent, les incisives
supérieures sont limées par exemple, et les inférieures arra-
chées.
On trouve chez les Angolais le même genre de tatouages par
incision que nous avons signalés chez les Adoumas : ce sont d'abord
des scarifications faites dans
un but thérapeutique ; nous avons vu,
à l'avenue deLabourdonnais, certains de ces indigènes, malades, se

(1) La taille moyenne des Hottentots occidentaux et orientaux est de lm,62 et leur
indice céphalique de 74. Voy. DENIKER, les Hottentots
au Jardin d'Acclimatation
(fou. d'Anthropologie, 1889,
pp. 4 et suivantes).
286 J. DENIKER ET L. LALOY.
faire sur les jambes des incisions avec un rasoir et les laisser sup-
purer.
Les tatouages ornementaux sont beaucoup plus fréquents e
plus développés chez les femmes; ils occupent surtout l'abdomen
puis le thorax, le dos; dans un cas seulement le membre supériem
portait quelques groupes de scarifications disposées symétrique-
ment. Il est presque impossible de donner une description d'ensemble
de ces tatouages dont les dessins sont très variés et témoignent sou-
vent d'un goût assez développé. Ce sont des ceintures formées de
lignes brisées sur deux ou trois rangs, qui entourent Je tronc an
niveau des reins, et vont se perdre à la région pubienne; des lignes
parallèles se placent autour de l'ombilic, ou bien des rayons d'un
cercle dont l'ombilic est le centre. Il y a aussi des groupes de
scarifications formant des petits cercles qui font ceinture autour du
tronc ou sont disposés symétriquement sur le dos. Dans un cas, il y
avait autour du cou une sorte de collier de tatouages. Chez les
hommes ces ornements sont beaucoup plus simples et se rappro-
chent de ce que nous avons vu chez les Âdoumas.

CONCLUSION GÉNÉRALE.
LES PYGMÉES DE L'AFRIQUE CENTRALE.

Si nous jetons un coup d'oeil d'ensemble sur les divers groupes


que nous venons de décrire en nous aidant des éludes faites sur les
peuplades voisines par différents savants (I), nous voyons tout
d'abord que les Nègres de l'Afrique occidentale peuvent être divisés
en trois ou quatre groupes distincts par leurs caractères physiques.
Le seul caractère commun à tous, c'est la nature des cheveux et la
couleur plus ou moins foncée de la peau. La présence de quelques
individus à peau relativement claire, est due aux mélanges soit avec
les Berbères dans le nord, soit avec les Hottentots-Bochimans dans
le sud.
Mais même ce dernier caractère présente quelques variations, en
dehors des cas de métissage. D'une façon générale la peau est plus
foncée chez les Nègres soudanais-occidentaux ou Nigriliens de la

Nous nous sommes surtout servis de chiffres fournis par M. Zintgraff dans plusieurs
(1)
articles sur les habitants du Congo, sur lesKrous,lesAreï, etc., publiés dans la Zeilschrifi
fur Ethnologie (Verhandl. Berl. Gesell. Anlhr.), en 1SS6, p. 27 (le Kacongo de
M'Boma et de Kabinda, les Mouchikongo de San-Salvador, etc.), et en 1889,p. 90; nous
avons également utilisé les chiffres de M. L. Wolff, relatifs aux Nègres du Congo
publiés dans le môme recueil, 1886, p. 76o [Verh.) et ceux de M. Mense (mémerecucil
1887, p. 624, Verh. analysée par Laloy dans la Rev. d'Anthrop., 1889, p. 235).
LES RACES EXOTIQUES 287

Sénégambie que chez les Bantous occidentaux du Congo et de


l'Angola. Quant aux autres caractères, ils varient encore plus sensi-
blement. Afin de saisir mieux ces différences, nous avons dressé le
tableau de la taille, de l'indice céphalique et de l'indice nasal dans
les différentes peuplades nègres pour lesquelles on possède des
mesures sur le vivant (voy. p. 290); ces peuplades sont disposées dans
l'ordre,géographique de leur habitat en allant du Nord au Sud.
Il ne s'agit dans ce tableau comprenant des séries de 3 à 293 in-
dividus que des hommes; le nombre de femmes mesurées est trop
restreint (nous n'avons pu réunir qu'une vingtaine d'observations),
pour servir de base à des conclusions quelconques.
En parcourant le tableau, on s'aperçoit d'abord que si, pris en
bloc, tous les Nègres apparaissent comme ayant la taille assez élevée,
la tête presque dolichocéphale et le nez très platyrhinien, chaque
groupe présente des particularités qui le distinguent des autres.
Le groupe des Nigritiens (1) se distingue par sa taille élevée. Dans
une seule peuplade de ce groupe (les Toucouleurs), la taille s'abaisse
à lm,68; dans toutes les autres, elle se maintient entre lm,69et lm,71 ;
le nombre de petites tailles n'est que de 5 p. 100 environ dans ce
groupe; elles se trouvent toutes cantonnées d'ailleurs parmi les Tou-
couleurs et les Achantis. L'indice céphalique moyen est assez uni-
formément sous-dolichocéphale dans tout le groupe. Sauf chez les
Achantis, il pivote autour du chiffre 75,4. Mais si l'on considère la
sériation, on voit que les Sénégalais sont dolicbo ou sous-dolicho-
céphales presque sans exception (il n'y a que 8 p. 100 de méso et
point de brachycéphales parmi eux), et que les Krous, les Veï et
surtout les Achantis présentent une admixtion notable d'éléments
brachycéphales.
Le nombre de mésocéphales est deux fois plus grand dans
ce groupe que parmi les Sénégalais, et les brachycéphales (ou,
pour être plus exact, les sous-brachycéphales) y font leur appa-
rition; ils ne sont que 10 p. 100 chez le Veï, mais déjà presque
la moitié du nombre total (45 p. 100) chez les Achantis, dont
l'indice moyen est presque mésocéphale (77,3). N'oublions pas
que c'est parmi eux que l'on rencontre 12 p. 100 de petits, mal-
gré leur caille moyenne élevée ; notons aussi qu'ils sont beaucoup
plus velus que tous les autres Nigritiens. Nous reviendrons
sur ce
fait. Quant à la morphologie du
nez, il semble que chez les Sénéga-
lais le nez est moins large
que chez les Krous-Achantis; en effet,
(1) C'est aiDsi que nous allons appeler les peuples habitant du Sénégal au Kamerouu
(n^ 1 à 6 du tableau).
288 J. DENIKER ET L. LA.LOY.

plus de la moitié des premiers ne sont que platyrhiniens, tandis


que la moitié des seconds sont hyperplatyrhiniens; les ultraplaty-
rhiniens ne se rencontrent que chez un septième des Sénégalais,
tandis qu'ils forment le tiers du nombre total des Krous-Achantis.
Passons au deuxième grand groupe, qu'il est convenu d'appeler
Bantou. Ici se présentent aussi des variations notables :
Dans certaines séries (Okanda, Loango)(l), la taille et l'indice
céphalique sont presque les mêmes que dans le groupe précédent,
mais la largeur du nez augmente. Dans d'autres (Kakongo, Mou-
chikongo), la taille diminue notablement (lm,64à lrr,,66), mais la
dolichocéphalie augmente également (ind. céph. moy. de 72,5 à
78,6); elle est plus forte que chez les Sénégalais. Il y a aussi des
groupes (les Bangalas, les Angolais et surtout les Baloubas) où la
taille élevée (de lm,66 à lm,70) (2) est associée à une tête moins
allongée (ind. céph. de 7o,5 à 79,7); dans deux de ces groupes on
trouve 10 à 14 p. 100 de sous-brachycéphales, et parmi les Balouba
les brachycéphales et les sous-brachycéphales forment plus de la
moitié du nombre total. Sous ce rapport, ils ne sont surpassés que
par les Adoumas qui sont sous-brachycéphales et par leur indice
moyen et par le nombre de têtes arrondies ; en même temps ce sont
les plus petits de tous les Nègres de l'Afrique occidentale.
On peut donc admettre que, dans la partie nord de l'Afrique
occidentale, le type prédominant nègre est caractérisé par la haute
taille, la dolichocéphalie modérée, le nez assez large et la peau très
foncée (représentants : Sénégalais) ; tandis que, dans le sud, le type
prédominant a pour caractères distinctifs une taille moins élevée,
une dolichocéphalie plus prononcée, un nez plus large et la peau un
peu moins foncée (représentants : Mouchikongos). Entre les deux
s'intercalentles populations où l'on rencontre un troisième élément,
brachycéphale et petit.
Depuis les travaux de Schweinfurth, de de Quatrefages et
Hamy, de Stanley, de Wolff, de Marche, de Junker, d'Emin
Pacha et autres, il n'y a plus de doute sur l'existence de popu-
lations noires pygmées (les Négrilles), dispersées sur une large
bande de terrain qui s'étend à 3 degrés au nord et au sud de

La série de Loango est trop faible : le tableau y accuse 33 p. 100 de sous-brachycé-


(1 )
phales ; mais il ne faut pas oublier que le fait tient à la présence d'un seul individu
brachycéphale.
(2) Le nombre de « petits » dans ce groupe est presque deux fois moindre que dans
le précédent; si les Angolais accusent 33 p. 100 de petits, cela est dû uniquement à la
présence, dans cette faible série, d'un individu de très petite taille, qui pour nous est
un bochimanoïde.
LES RACES EXOTIQUES. 289

l'équateur à travers tout le continent noir, depuis l'Ouganda jus-


qu'à l'embouchure de l'Ogooué. Les Akkas ou Tilri-Tihi du haut
Nil les Ouambouttis de l'Arouwimi ou Itouri (1), les Batouas ou
"Vatoua au sud de la grande courbe du Congo, les Obongos ou
Bongos, les Akoas et les Achongos du bassin de l'Ogooué sont les
principaux anneaux de cette chaîne qui s'étend des'montagnes
dominant au nord-est le lac Victoria Nyanzajusqu'à l'océan Atlan-
tique. Tous les voyageurs qui ont vu ces peuplades s'accordent à
dire qu'ils sont très petits, mais il existe encore peu de données
précises sur leur type physique. Cependant nous avons la taille
moyenne d'une trentaine d'hommes Akkas du pays des Monbout-
tous et des Moundous, mesurés en 1882 par EminBey (aujourd'hui
Pacha) (2) : elle est de lm,36; un Akka mesuré par M. Vossion
avait lm,31, et l'Akka de Miani amené en Europe, lm,42 (3).
M. Wolff donne une taille moyenne de lm,40 à lm,44 aux Batouas
(les Watwa ou Yatoua de Stanley), qui errent au sud du Congo;
enfin les Bongos (O'Bongo deDu Chaillu) n'ont pas, d'après Marche,
plus de ln\50 à lm,52 de taille moyenne (5). M. Falkenstein donne
la taille de lm,37 à un homme « Bobonko » mesuré à Loango (6).
La brachycéphalie de ces populations est assez marquée.
Marno donne pour une femme adulte l'indice de 82,85, et pour une
.
fillette de 13 à 45 ans, 76,47 (7) ; un des Akkas (le vrai) de M. Miani
habitant l'Europe avait l'indice de 80,23. Trois enfants et un adulte
mesurés par Emin Pacha présentent les indices de 74, 79, 80 et 81.
La moyenne de ces sept observations sur le vivant est de 79,1 ; la
série est peu homogène : 4 sous-brachycéphales, 2 sous-dolicho
ou dolichocéphales et un mésocéphale. Un crâne d'homme Akka
décrit par Flower a 74,4 pour indice et un crâne de femme, 77,9 (8).
Nous ne possédons pas de mesures de la tète des Batouas. Quant aux
pygmées de l'Ogooué, nous n'avons que deux mesures sur le vivant,

(1) J. SCOTT KELTIE, La délivrance cl'Emin Pacha, d'après les lettres de Stanley ; trad.
fr., Paris, 1890, p. 54 et 80.
(2) Sur les Akkas et les Baris {Zeitschr. fur Elhnol., 1806, p. 145) (en français).
(3) Voy. A. DE QUATE.EFAGES, les Pygmées, Paris, d 887, in-16, p. 253 et suiv. où Ton
trouvera des détails bibliographiques. Nous ne citons qu'un seul des sujets de M. Miani,
celui qui estmort; l'autre (Chairllah.) n'est pas un Akka comme l'avait soupçonné, encore
en 1874, M. Hamy (d'après son indice coph. de 77,5) ; il a aujourd'hui 1m,S5 de taille et
sert comme soldat dans l'armée ilalienne (voy. la lettre de M. Louzzato dans Zeitschr.
f. Elhnol. (1887, Verh.,p. 214).
(4) Zeitschr. f. Ethnol., 1886, p. 25 (Verli.).
(5) Cranta ethnica, p. 334.
(6) Zeitschr. f.Ethnol., 1877, Verh., p. 194 et pi. XII-XIV.
0) Mittheil. der Gesell.Anlhrop. Wien, 1875,p. 157 et 366.
(8) "W. H. FLOWER, Description of tivo Skeletons of Akkoa (Joum. Anlhrop. Inslitule
ofGr.Drit., t. XVIII (1888), p. 10).
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11
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Zintgraff, Denikeret Laloy.
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9 1693
8 1695
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44
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44
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»
»
39
12

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»
9 77,3
50
8 74,2
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«
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»
45
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»
»
13
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10
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3 1670 33
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»
36 73,6 61
377,5 33
36
34
16
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»
»
33
»
»
>>
1 114,7
» »
»
»
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»
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Mense.
Zintgraff,Deniker cl Laloy.
Zintgraff.
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. .
12 Mouchikongo
ctBakongo. 14 1664 29 44 29 28 14 72,5 71 22 7 » » » » » » » » Zintgraff et Mense.
13 Bangala ." 43 1658 28 23 37 12 57 75,5 44 35 7 14 » » » » » » >» "Wolff et Mense,
14 Balouba . .
41 1698 54 24 10 12 42 79,7 7 21 19 39 14** » » » >» » » Wolff.
15 Angolais.. . .
6 1667 50 17 » 33* 7 76,8 30 30 30 10 » 7 404,7 13 30 43 14 Deniker et Laloy.
. .

I—
MOYENNE
.... 218 1667
sans Adoumas. 210 1670
35
35
27
27
23
25
15 293 75,9
13 285 75,8
39
41
35
34
10
10
14
13
2
2
52 108,7 2 27 39 32

* Dont 16 d'un type douteux. — ** Dont 7 hypevbrachycéphales.


LES RACES EXOTIQUES. 291

les deux Obonkos de Falkenstein : indices, 80,5 et 83,3; mais plu-


sieurs crânes décrits dans les Crania et/mica (1) donnent des indices
bracliycéphales : 83,6 (Akoa), 77,9 (Achongo), etc. La couleur de la
peau des Akkas est celle du « café légèrement brûlé », dit Schwein-
furth; nos 41-43, 42; 27-28, 28 (chocolat foncé) du tableau de
Broca, suivant Emin Pacha.
Ajoutons enfin que, d'après les descriptions d'Emin Pacha et de
Stanley (2), les Akkas sont très velus ; leur peau est couverte comme
d'un duvet, de poils assez fins mais abondants. Voilà àpeu près tout
ce que l'on sait de positif de cette race brachycéphale et très petite
de î Afrique. Or, parmi no s Nègres, le groupe d'Adoumas se distingue
de tous les autres par sa petite taille et par sa brachycéphalie. Seul
ce groupe présente une taille moyenne que l'on classe comme
a
petite » (3) ; seul il ne renferme point d'individus de grande taille,
mais, par contre, 50 pour 100 de petite taille ; seul il a l'indice cépha-
lique moyen sous-brachycéphale,seul ilne contient point dedolicho-
céphales vrais et, par contre, 63 pour 100 de brachyousous-brachy-
céphales. Il ne peut donc y avoir de doute que ce sont des représen-
tants d'une race sinon pygmée pure, du moins mêlée à quelque autre
grande race des environs. L'influence de la race pygmée se fait aussi
sentir surtout dans les groupes dont l'habitat se rapproche de la
zone des Négrilles que nous avons délimitée plus haut, mais elle
se manifeste tantôt par l'abaissement de la taille (chez les Batékés,
chez les Kakongos), tantôt par l'accroissement de l'indice céphali-
que (chez les Baloubas, qui sont presque bracliycéphales et hauts
en même temps ; chez les Bangalas, où le même fait se représente
mais atténué). En définitive, l'influence brachycéphalepeut s'expli-
quer aisément ici. Quant à la brachycéphalie de certains Achantis-
Krous constatée sur le vivant comme sur le crâne (4), elle est plus
énigmatique. Leur habitat est bien éloigné de celui des Négrilles.
Les seuls faits que l'on aurait pu invoquer pour justifier l'influence

(1) P. 330 et suiv.


(2) EMIN BEY, l. c., p. 147. Quant à l'opinion de Stanley, elle ne nous est connue que
par la conversation avec un interwiewer de l'Indépendance belge, reproduite dans le
Temps du 20 avril 1890.
(3) Et ce n'est
pas un effet du hasard qui aurait réuni dans notre petite série des
sujets de petite taille. Un voyageur, mort prématurément, L. Guiral, qui a vécu parmi
les Adoumas, dit expressément qu'ils sont petits (G-UIRAL, le Congo français, Paris,
1889, in-18, p. 54).
(4) M. Passavant, qui
a réuni dans sa thèse Craniologische Untersuchung der Neger
(Basel, 1884, in-8°) 49 observations
sur les crânes des Nigritiens correspondant à notn
premier groupe et 83 crânes de peuples du Congo » (notre deuxième groupe), arrive
«
au même résultat que nous: il trouve 13 pour 100 de bracliycéphales chez les Congos
et 6 seulement chez les Nigritiens
« », et encore cette proportion est-elle due exclusi-
vement à la présence dans la série de trois crânes Achantis et Krous.
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I
294 J. DENIKER ET L. LALOY.
du type négrille dans cette population, c'est la présence de quelques
individus de petite taille et le développement abondant de leur sys-
tème pileux qui rappelle celui des Akkas. Quant à la présence d'in-
dividus de petite taille signalée par le voyageur Mollien (en 1818)
dans le pays de Tenda-Maié vers les sources du Niger, elle n'a pas
été confirmée par les voyageurs modernes.
En résumé, les populations nègres de l'Afrique occidentale sont
formées au moins du mélange de trois races : une race très grande,
dolichocéphale, à nez assez large, très foncée, qui prédomine au nord
(Nigritiens ou Guinéens); une autre grande, très dolichocéphale, à
nez très large, moins foncée, dominant dans le sud (Bantous occi-
dentaux) ; cette dernière est souvent mélangée à une troisième race,
brachycéphale, très petite, velue, dont le foyer est vers l'équateur
(Négrilles). Un mélange analogue, se fait aussi sentir parmi les
Nigritiens, mais à un plus faible degré, car on ne peut pas nier la
présence d'individus petits, brachycéphales et poilus parmi cer-
taines peuplades de la Guinée comme les Achantis. Dans ce cas, il
faut admettre l'extension de l'élément négrille très loin vers le
nord.
LES
NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ
(PRÈS MAÇON, SAÔNE-ET-LOIRE)

PAR

ADRIEN ARGELIN (1)

Le gisement archéologique de Solutré occupe une surface si


étendue (plus d'un hectare), sur une épaisseur parfois si considé-
rable (8 à 10 mètres), que ses explorateurs ne sont arrivés à le
connaître dans toutes ses parties que progressivementet lentement.
Ils durent plus d'une fois rectifier leurs premiers jugements, à
mesure que des faits nouveaux venaient à se produire. Aussi
est-il impossible d'avoir une idée exacte des résultats acquis,
sans passer en revue toute la collection déjà nombreuse des
comptes rendus publiés successivement, qui se complètent et se
rectifient les uns les autres. Nous nous proposons aujourd'hui
d'ajouter quelques pages à cette série et de faire connaître le résul-
tat de nos dernières investigations. Pour en préciser la signification
et aussi pour éviter au lecteur un travail plus ou moins long de
compilation et de comparaison, il nous a paru utile de commencer
par un résumé critique des explorations antérieures.

Il y a, à Solutré, quatre catégories de faits à étudier et à coor-


donner entre eux: des foyers de l'âge du renne; des sépultures;
des amas d'ossements de chevaux, et des foyers d'un âge plus
an-
cien que les premiers. Le tout est disséminé au milieu d'un vaste
éboulis de terrain détritique, au pied d'une falaise jurassique.
La figure 1 qui est une coupe suivant la ligne a(i du plan (fig. 2)
montre la disposition géologique du gisement. L'éboulis repos-e

(i) Ce mémoire devait être signé de


mon nom et de celui de mon regretté collabora-
teur et ami l'abbé DDCROST. Nous en avions réuni et discuté les éléments. Nous nous
étions mis d'accord sur tous les points. Je m'étais chargé du projet de rédaction.
M, l'abbé Ducrost est mort avant que j'aie pu le lui communiquer. Je crois néanmoins
devoir conserver à
ce travail sa forme primitive. Il est l'expression fidèle de nos der-
niers entretiens et le compte rendu exact de nos fouilles en collaboration. A. A
296 ADRIEN ARCELIN.

sur les marnes du lias supérieur. Il devait se rattacher primitive-


ment au pied de la falaise, comme le montre une ligne ponctuée,
avant que des carrières et des glissements eussent modifié l'état
des lieux. En effet, l'éboulis doit son origine à la désagrégation
séculaire de la falaise bajocienne. Les roches plongent dans la
direction de l'Est.
Nos efforts ont tendu à établir les relations stratigraphiques qui
existent entre ces différents termes.
M. Arcelin commença les premières fouilles en 1866, sur les
affleurements d'ossements de chevaux et peu après M. de Ferry
découvrit la zone des foyers de l'âge du renne. Ce dernier, se fiant
à des traditions locales, crut d'abord que les amas d'ossements de
chevaux étaient récents et sans aucun rapport d'origine avec les
foyers quaternaires. Il attribuait aussi à une époque relativement

FIG. 1. — Coupe géologique suivant la ligne a [3 du plan (figure 2).

récente des tombes en dalles brutes qu'il venait de découvrir non


loin du point occupé par les foyers de l'âge du renne (1).
Au commencement de 1868, M. Arcelin publia le résultat de ces
premières explorations dont voici le résumé : L'espace occupé par
les foyers de l'âge du renne est périmètre au moyen de sondages
multipliés. Les caractères archéologiques de ces foyers sont déter-
minés. A côté des types d'armes ou d'instruments en silex qui
dominent dans le gisement, et qui indiquent l'apogée de l'âge du
renne, on rencontre accidentellement d'autres types ayant quel-
ques rapports avec ceux de l'époque néolithique et avec ceux
du quaternaire le plus ancien. La découverte faite par M. de Ferry
d'une petite statuette de renne (?) sculptée en pierre, révèle les
aptitudes artistiques des chasseurs de la tribu. Il est établi que les
amas d'ossements de chevaux passent parfois sur les foyers de
l'âge du renne. Ils ne sont donc pas plus récents que ceux-ci. Sont-
(1) DE FERRY, l'Ancienneté de l'Homme dans le Maçonnais, Gray, 1867, ia-i 0, p. 13.
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ. 297

ils contemporains ou plus anciens? c'est ce qu'il reste à décider (1 ).


La même année MM. de Ferry et Àrcelin envoyèrent au .Con-
grès de Norwich un mémoire détaillé sur les fouilles qu'ils conti-
nuaient en collaboration. Après avoir décrit les foyers proprement
dits ils étudient les amas de chevaux qui affleurent tout autour de
l'espace occupé par les foyers, les bordent comme un mur et
paraissent s'intercaler dans les foyers ou même passer par dessous.
Les amas d'ossements de chevaux diffèrent notablement des foyers
de l'âge du renne par leur composition et les objets associés. Ils ne
renferment que du cheval et des éclats de silex, mais pas de flèches
ni de lances. Néanmoins MM. de Ferry et Arcelin concluent que
foyers et amas d'ossements de chevaux paraissent être du même
âge, mais qu'ils représentent deux ordres de faits différents. Ils
inclinent à considérer les amas d'ossements de chevaux comme le
résultat d'hécatombes en l'honneur des morts rencontrés en grand
nombre sur les foyers. Les sépultures sont de trois sortes : les unes
entre des dalles brutes ; les autres dans la terre libre ; d'autres enfin
sur les foyers de l'âge du renne. Mais il y a toujours un foyer sous
les corps. Toutes ces sépultures paraissent appartenir à l'âge du
renne. On n'y a rien recueilli qui révélât une date plus récente.
Enfin, d'après M. Pruner Bey, les types retrouvés se rapporteraient
aux races quaternaires déjà connues. Il y avait donc, à Solutré,
des foyers funéraires analogues aux foyers d'habitation. 11 est pro-
bable qu'on enterrait les morts dans les huttes et qu'on y
accomplissait des cérémonies funéraires, révélant certaines préoc-
cupations d'ordre moral ou religieux. Les auteurs assimilent
Solutré à Laugerie-Haute (2).
En 1871, M. Arcelin reproduisit dans le Maçonnais préhistorique
-.
le mémoire présenté au Congrès de Norwich, en
y ajoutant quel-
ques observations. Ainsi, il décrit certains foyers déjà signalés en
1868 comme renfermant un mobilier différent de celui de l'âge du
renne. On n'y trouve pas les pointes de flèches et de lances si carac-
téristiques des autres foyers. La faune n'est pas la même. Le cheval
y est plus abondant que le renne. Ces foyers paraissent représenter
une époque plus ancienne que l'âge du renne proprement dit (3).
D après le Maçonnais préhistorique, les grattoirs
y feraient défaut ;
(1) A. ARCELIN, la Station préhistorique de Vàgedu renne de Solutré. Lyon, jan-
vier 1868. (Extr. de la Revue du Lyonnais.)
(2) DE FERRY et ARCELIN, l'Age du
renne en Maçonnais (Mémoire sur le gisement
archéologique du Crot-du-Charnier, à Solutré), dans Transactions of ihe international
congress ofprehistoric archeology, third session; London, 1869, p. 319.
(3) DE FERRY et ARCELIN, le Maçonnaisprehistorique.~P-a.vis,R.cinwald, 1870, in-4°,p. 40.
298 ADRIEN ARCEL1N.

mais on y a retrouvé, depuis, de nombreux spécimens de ce type.


En 1872, M. l'abbé Ducrost publia, en collaboration avec M. le
Dr Lortet, le compte rendu de ses explorations, qui forme le pre-
mier fascicule des Archives du Muséum de Lyon. Dans cet ouvrage,
il donne la description du grand foyer funéraire de la terre Sève, qui
confirme la théorie de la hutte sépulture. Il rejette l'hypothèse des
hécatombes et des rites funéraires et considère les amas d'ossements
de chevaux comme de simples rebuts de cuisine, formant un mur
prismatique autour des foyers de l'âge du renne. Il constate l'exis-
tence de foyers caractérisés par un mobilier spécial et notamment
par l'absence de pointes de Jlèches et de lances. Mais il ne les croit
pas d'un âge plus ancien que les autres. D'après M. Ducrost, l'ou-
tillage de Solutré présente des formes de transition entre l'époque
néolithique et celle de la Madeleine ou de Laugerie-Basse (1).
L'Association française pour l'avancement des sciences, réunie
en congrès à Lyon, en 1873, vint en excursion à Solutré, où des
fouilles avaient été préparées par les soins de MM. Ducrost et
Arcelin. M. Ducrost mit sous les yeux du Congrès le grand foyer
de la terre Piron et se rallia à l'idée qu'il représentait une industrie
plus ancienne que l'âge du renne (2). Il fit connaître plus complè-
tement les amas d'ossements de chevaux au moyen des coupes
nombreuses qu'il y avait pratiquées. <
M. Arcelin montra une sépulture sur foyer et, dans la même
coupe, l'amas d'ossements de chevaux passant sous le foyer de
l'âge du renne. D'après M. l'abbé Ducrost, cette superposition était
accidentelle et due à des glissements. M. Arcelin ne nie pas les
glissements, mais il estime que le terrain d'éboulis s'est déplacé en
masse sans que l'ordre des différentes zones fût bouleversé. L'un
et l'autre pensent que les amas d'ossements de chevaux sont con-
temporains des foyers de l'âge du renne. Cependant M. Arcelin avoue
que cette explication est difficile à concilier avec la position des
amas de chevaux par couches larges et continues, plongeant sous
les foyers, ainsi qu'il l'a constaté dans ses fouilles personnelles.
M. l'abbé Ducrost, d'après les coupes qu'il a pratiquées, attribue
aux amas de chevaux la forme de murailles, qui se croisent en tout
sens et qui établissent comme des retranchements autour des
foyers. Il constate que ces amas de chevaux renferment à peu près

L'abbé DUCROST cl le Dr LORTET, Éludes sur la Station préhistorique de Solu-


(1)
tré, dans Archives du Muséum de Lyon, t. I, lre livraison. Lyon, Gcorg, 1872, in-4°.
(2) Les fouilles de ce foyer ont été décrites par M. l'abbé Ducrost dans \QS Annales de
l'Académie de Màcon (t. XII, 1875, p. 9J), sous le titre : l'Age du Moustier à Solutré
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ. 299

toute la faune qu'on trouve dans les foyers proprement dits. Ce


sont donc bien, des rebuts de cuisine, où le cheval domine, par suite
d'un triage intentionnel.
M. Toussaint présente au Congrès une étude complète sur le
cheval de Soiutré. Il croit trouver dans son squelette des caractères
-favorables à la théorie de l'évolution; il pense qu'il devait être
domestiqué et qu'il représentait la race de la Bresse actuelle (1).
M. Cartailhac suggère qu'en raison de leur position et de leur
composition spéciale, ces amas de chevaux pourraient être plus
anciens que les foyers de l'âge du renne proprement dit. « N'y
aurait-il pas possibilité d'admettre que l'occupation de Soiutré a
commencé à une époque où le renne ne prédominait pas, comme
le cheval, dans la faune de nos pays? M. Cartailhac rappelle en-
suite que plusieurs gisements de l'époque de la Madeleine ont
donné, à leur base, du cheval presque exclusivement.
La question des sépultures fut longuement discutée à Lyon et
parut résolue définitivement dans le sens proposé par les explora-
teurs, qui se prononçaient pour l'existence de sépultures datant de
l'âge du renne (2). MM. Cartailhac et de Mortillet ont élevé depuis
de vives objections contre cette opinion, en s'appuyant sur les
mélanges et les remaniements qui auraient eu lieu, à des époques
récentes, au Crot-du-Charnier et sur la difficulté de distinguer,
au moyen d'un critérium certain, les tombes de l'âge du renne,
s'il y en a, des tombes plus modernes (3).
Après le Congrès et pour élucider les points sur lesquels ils
n'étaient pas d'accord, MM. Ducrost et Arcelin entreprirent des
fouilles en collaboration. Grâce à des subventions du conseil géné-
ral de Saône-et-Loire et de l'Académie de Mâcon, de grandes coupes
furent opérées jusqu'aux marnes du lias, de façon à mettre clai-
rement en évidence la stratigraphie de l'éboulis quaternaire (4).
Des rapports sur les fouilles de 1875 et de 1876 ont été présentés
par MM. Arcelin et Ducrost au Conseil général de Saône-et-Loire. Ces
rapports sont inédits. En 1878, M. l'abbé Ducrost lut à l'Académie

(1) Association française pour l'avancement des sciences, Compte rendu du Congres
de Lyon. Paris, 1874, in-8°,
p. 586.
(2) Compte rendu du Congres de Lyon,
pp. 629 et suiv.
(3) DE MORTILLRT, les Sépultures de Soiutré, dans Bull, de la Société d'Anthropo-
logie de Lyon, séances du 14 avril
et du 16 mai 1888. Réponse de M. l'abbé DUCROST,
id-, séance du S mai 1888.
CARTAILHAC, la France préhistorique. Alcan, Paris, 1889,in-S°,
p. 92.
(4) DUCROST et ARCELIN, la Stratigraphie de l'éboulis de Soiutré, dans Matériaux
pour l'hist. primit. et nat. de l'Homme, t. XI, 1876, p. 496, et Ballet. Soc. cVAnthrop.
de Paris, t. XI, 2« série,
p. 286.
300 ADRIEN ARCELIN

de Màcon le compte rendu des fouilles de 1876-77 publié dans les


Annales de cette Société (1), où l'on trouvera également le rapport
sur les fouilles de 1878-79 (2). Nous exposerons plus loin le résul-
tat de ces explorations jusques et y compris celles de l'année 1889.
Nous n'avons pas à mentionner ici les recherches faites à So-
lutré par quelques amateurs pour enrichir leurs collections parti-
culières. Mais nous devons rappeler que des observateurs compétents
se sont associés, à plusieurs reprises, à titre de collaborateurs, aux

FIG. 2. —
Plan des fouilles du Crot-du-Charnier.

explorations de MM. Ducrost et Arcelin. Nous devons des remer-


ciements particuliers à MM. Lortet, Chantre, Toussaint, de Fré-
minville, dont le concours nous a facilité l'étude déplus d'un point
obscur. M. de Mortillet a pratiqué aussi en 1872 des fouilles pour
le Musée de Saint-Germain-en-Laye. Nous n'avons pas à regretter
les discussions contradictoires qu'elles ont provoquées. C'est parla
discussion que les questions s'éclairent.
Le plan et les deux coupes (fig\ 2, 3, 4) montrent la disposition
du gisement en étendue et en profondeur.
(1) Annales de l'Académie de Mncon, t. II (2c scrio), p. 487
(2) RI., t. II, p. 406.
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ, 301

La principale agglomération des foyers de l'âge du renne occu-


pait le fond d'un pli de terrain (fig. 2, hachures horizontales) et se
prolongeait dans la terre Sève où se trouvait un foyer V, fouillé par
M. l'abbé Ducrost en 4869. Les amas d'ossements de chevaux
(fig. 2, pointillé) passent sous les foyers de l'âge du renne (fig. 3

FIG. 3. — Coupe suivant la ligne AB du plan.

et 4, zone 2) et serelèvent tout autour. C'est ce qui les avait fait


comparer à des murs entourant les foyers, à une époque où nous
ne connaissions pas encore leur prolongement souterrain. Cette
disposition est purement accidentelle, puisque les amas de che-
vaux sont plus anciens que les loyers, comme nous le verrons
plus loin. Elle résulte des glissements qui se sont produits dans
les marnes sous-jacentes, par l'effet du foisonnement, à la suite
des grandes pluies. Les amas de chevaux ont été ramenés à la sur-

FIG. 4. — Coupe suivant la ligne CD du plan.

face, sur le sommet des plis et débordent tout autour des foyers
de l'âge du renne logés dans les dépressions.
Au-dessous des ossements de chevaux, il y a deux zones super-
posées de débris de cuisine, avec ossements brûlés et silex, qui ne
peuvent pas figurer dans le plan, mais qu'on voit dans les coupes
(fig. 3 à 7, nos 3 et 4). Enfin, en dehors de l'espace occupé par les
foyers de l'âge du renne, et les amas de chevaux, il existe d'autres
foyers où se révèle une industrie spéciale, qui oblige à en faire un
groupe à part, antérieur à l'âge du renne proprement dit. Nous
l'avons appelé l'âge du cheval (fig. 2; O.P.Q.R.S.).
Voici comment on a procédé à l'exploration de cette vaste sur-
face. De 1867 à 1878, les fouilles ont été limitées à la zone supé-
302 ADRIEN ARCELIN.

rieure, c'est-à-dire aux foyers de l'âge du renne et à ceux des


foyers plus anciens qui se trouvent à une faible profondeur, ainsi
qu'aux affleurements d'ossements de chevaux. Depuis 1878, afin
d'étudier les différentes zones antérieures à l'âge du renne et leur
ordre de superposition, nous avons pratiqué une succession de
sondages et de tranchées, poussés, autant que possible, jusque sur
les marnes du lias, qu'on n'a atteint, sur plusieurs points, qu'à 7
et 8 mètres de profondeur. Ces sondages sont figurés sur le plan
par des traits noirs. Voici l'explication des signes : iii, fouilles de
1873 (M. Ducrost); /, tranchée en croix, et m, fouilles de 1873
(M. Axcelin), à l'occasion de l'excursion à Solutré de l'Association
française; akb', fouilles de 1874-
73; cd, fouilles de 1878; e/,
fouilles de 1877; ooo, fouilles
de 1878-79 ; gh, fouilles de 1889.
Ces divers sondages sont
assez rapprochés pour qu'on
puisse se faire une idée exacte
de la stratigraphie générale de
5.—Coupes
FIG. 5. — Coupes au
Crot-du-Charnior. y1
1 éboulis. Il aurait été intéres-
.

sant de fouiller complètement les zones inférieures. Mais les


ressources dont disposent les explorateurs ne leur ont pas permis
de remuer un pareil cube de terre (1).
Examinons maintenant, avec plus de détails, la stratigraphie de
l'éboulis de Solutré.
Voici deux coupes relevées aux points a et b du plan (fouilles
de 1876) et représentées dans la figure S.

Coupe a Coupe b
Terre végétale 0m,o0 Terre végétale 0m,40
2 Amas de chevaux 0 60 Éboulis 1 30
Éboulis. 1 50 Foyers (âge du renne). 0 50
3 Petite zone de foyers
Éboulis ... 0 30
2
Éboulis
Amas de chevaux
. .
1
0
80
50
4 Zone inférieure de foyers 0 40 Éboulis. 1 30
.
5m,03 Petite zone de foyers
Éboulis ... 0
1
03
70
Marnes 0 00
7m,53

Ces deux coupes renferment la série complète des différentes


zones entrant dans la composition de l'éboulis.
(1) Plus de 50 000 mètres cubes.
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ. 303

On voit dans la coupe U (fig. S) la couche de chevaux s'infléchir


sur un repli des marnes qui l'a soulevée et disloquée comme ferait
une faille.
La zone des foyers de l'âge du renne, qui règne au-dessus de
la couche de chevaux, en stratification discordante, ne paraît pas
avoir participé à la dislocation.
Ce pli des marnes et ce relèvement de la couche d'ossements
de chevaux apparaît encore dans la coupe de la figure 3. Mais ici la
couche d'ossements de chevaux, au lieu de se disloquer, est restée

FIG. 6. — Coupes dans les terres Sève et Souchal.

plaquée tout d'une pièce, comme un enduit de béton, contre une


paroi verticale formée de roches éboulées.
Voici une autre coupe prise aux points h et du plan f
(%. 6).
Dans cette coupe, la couche d'os de chevaux 2 plonge à l'ouest
et passe sous la zone de l'âge du renne 1, dans la terre Sève. La
petite zone de foyers 3, inférieure aux amas d'os de chevaux,
plonge dans deux directions opposées, à l'est et à l'ouest à partir
d'un point culminant. C'est sans doute un effet de plissement. Les
croix figurent deux tombes en dalles brutes reposant sur la zone 3,

FIG. 7. — Coupe dans la terre Souchal.

probablement du même âge que celles que M. de Ferry avait déjà


retrouvées au même endroit en 1867 et qu'il avait attribués à l'âge
du renne (1).

(1) Matériaux pour Vlxht.primlt. et naturelle de l'Homme, t. IV, 1868, p. 102.


30i ADRIEN ARCEL1N.

La tranchée ouverte au point g en 1889 a donné une série com-


plète plongeant au sud-ouest. Voici le détail de cette coupe :

1. Terre végétale 0,40


2. Ossements de chevaux mêlés de terre 0,60
3. Ossements de chevaux formant conglomérat 1,50
. . .
4. Ossements de chevaux brûlés 0,23
o. Éhoulis 0,80
6. Petite zone de foyers 0,25-0,30
7. Éhoulis 1,35
8. Petite zone de foyers 0,25-0,30
TOTAL 5,40

Un sondage fait en 1877 au point e en face de la tranchée </, et


poussé à 6 mètres de profondeur, a coupé la zone de l'âge du renne,
mais n'a pas rencontré la couche à ossements de chevaux. Il faut
donc admettre, ou bien que cette couche ne va pas jusque-là, ou
bien qu'elle plonge brusquement
à plus de 6 mètres de profondeur.
Une autre tranchée, ouverte
au point d en 1876/nous a donné
un profil intéressant (fig. 8).
On voit, à gauche, l'amas
d'ossements de chevaux (2); et
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRE. 305

dans les coupes, à des profondeurs et sous des inclinaisons variables.


Peut-être même s'y est-il formé de véritables failles (fig. 8).
Les zones superposées aux marnes ont participé à leurs mouve-
ments et s'infléchissent comme elles. La couche d'os de chevaux
coupe parfois en stratification discordante les petites zones infé-
rieures. Sur quelques points, les foyers de l'âge du renne butent
aussi en stratification discordante contre la couche d'ossements de
chevaux (fig. 3, 5, 9). Ils sont donc postérieurs aux plissements qui
ont affecté cette dernière. Mais ils paraissent avoir subi eux-mêmes
quelques mouvements peu considérables.
Quoi qu'il en soit, on voit par les coupes que les plissements
n'ont pas modifié l'ordre de superposition des zones. Nous n'avons
rencontré, au Crot-du-Charnier, aucun exemple d'interversion ni
de mélange. La stratigraphie de l'éboulis de Solutré est donc
parfaitement claire et d'une étude très simple. D'ailleurs, étant
donnée la position du gisement, au sommet d'un mamelon, on ne
peut pas admettre qu'il ait subi des glissements considérables,
comme ceux dont on constate les effets un peu plus bas, et qui ont
enfoui des maisons et des chemins en 1768 et en 1806 (1).

Il nous reste à examiner les caractères archéologiques de


chaque zone.
306 ADRIEN ARCELIN.

On sait que les foyers renfermaient un nombre considérable


de pointes de lances et de flèches dont les formes très variées ren-
trent dans cinq types principaux que voici classés par ordre de
fréquence :

i irrégulier formé de deux triangles isocèles de hauteur inégale,


Le losange
.
opposés base à base.
2. L'ovale terminé en pointe aux deux extrémités.
3. L'ovale terminé en pointe d'un seul côté (type en amande).
4. Le losange régulier.
5. La flèche à soie.

Le typen 0 \ se rencontre dans la proportion d'environ 35 p. 100


et le type n° 5 dans celle de 2 p. 100. On a cru rencontrer quelques
pointes de flèches avec des rudiments d'ailerons. Mais c'étaient des
pièces inachevées. Aucun spécimen bien fini ne présente rien de
semblable. La plupart de ces armes sont en silex pyromaque delà
craie. D'autres sont fabriquées avec des rognons siliceux du terrain
jurassique. Il existe clans les collections deux pointes de ilèches en
cristal de roche du type 2 (1); et deux en os (2). Ces dernières
sont pourvues d'une soie.
On a trouvé exceptionnellement dans les foyers de l'âge du
renne des pointes du type chelléen, qui figurent dans la proportion
de 2 p. 100 à côté des types ordinaires ; puis la pointe du Moustier,
le racloir du Moustier et le disque.
Les grattoirs simples, doubles ou terminés en pointe à l'extré-
mité opposée au grattoir, sont en nombre immense.
Les lames sont généralement de petite dimension.
On a recueilli, à ce niveau, quatre figurines de cervidés, pro-
bablement de rennes, plus ou moins bien sculptées (3) dans des
rognons de silex nectique de la grande oolithe. Sa tête manque
clans les quatre spécimens. Ajoutons encore un os portant la gra-
vure au trait d'un quadrupède, brisé aussi à l'endroit de la tête (4);
des bois de renne percés d'un trou, dits bâtons de commande-
ment (?) ; de nombreux outils en os, désignés par les archéologues
sous les noms de poinçons, lissoirs, etc. ; des os à encoches dits
marques de chasse, des sifflets (?) faits avec des phalanges de-
renne ; des dents de loup et de renard percées de trous de sus-
pension, des fragments de minéraux divers, manganèse, cristal de
(1) Musée de Màcon.
(2) Musée de Mâcon et collection Biot, à Màcon.
(3; Collections de Ferry, Arcclin et Ducrost.
(ij Collection Ducrost, au Muséum de Lyon.
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ. 307

roche, sanguine; des percuteurs en quartzite, en arkose, en por-


phyre, et quelques menus fragments de poterie.
La faune renferme :
Canis lupus. Elephas primigenius.
Canis vulpes. Equus caballus.
Hyoena speloea. Cervus tarandus.
Ursus spekeus. Gervus Canadensis.
Ursus arctos. Bos primigenius.
Mêles tasus. Oiseaux indéterminés, échassiers,
Mustella putorius. rapaces, anas.
Lepus timidus.

Le renne domine dans les débris de cuisine. Le chien domes-


tique est absent.
Citons encore : des coquilles fossiles miocènes percées de trous
de suspension : Cerithium bidentatum ; Cardita Jouanneti ; des
coquilles vivantes de l'Océan : Purpura lapilla ; Natica millepunc-
tata; Pecten jacobams.
Puis des fossiles jurassiques et surtout des ammonites : Ammo-
nites subinsignis ; A. radiosus, A. margaritatus ; A. Parkinsoni;
A. Humphriesianus ; A. macrocephalus ; A. planula, etc. Deux de
ces ammonites étaient percées, au centre, de trous de suspension.

Sépultures. — Des nombreuses sépultures, recueillies à des


profondeurs variables au cours des fouilles, nous avons formé
quatre groupes :
1. — Sépultures sur foyers et dans les foyers, les seules que
nous considérions comme étant de Page du renne. Ces sépultures
sonttoujours en rapport avec les foyers : 1° par l'importance du foyer,
variable avec l'âge des individus ; 2° par leur profondeur, variable
avec la profondeur du foyer. Les corps sont déposés à la surface
des foyers sans orientation fixe. Ils sont parfois enfouis dans les
foyers. Quelques os ont paru présenter des traces légères de brû-
lure.
2. —Sépultures dans la terre libre, sans foyer sous-jacent(âge
indéterminé).
— Sépultures dans des caissons en dalles brutes (âge indé-
3.
terminé).
— Sépultures datées
par les objets associés, néolithiques,
4<.

gallo-romains, de l'époque chrétienne (burgonde ?).


La plupart de ces sépultures ont participé aux derniers mouve-
ments du sol. Quelques-unes ont subi des dénivellations évidentes ;
308 ADRIEN AP.CELIN.

mais elles n'ont pas été plus bouleversées que les zones où on les
retrouve. Les sépultures en dalles brutes sont restées si bien
jointes, malgré ces légers glissements, que nous en avons fouillé
plusieurs où la terre n'avait pas pénétré. Nous mentionnons ce
fait pour montrer que, contrairement à ce qui été dit, les glisse-
ments n'ont produit aucune perturbation importante dans la partie
du sol que nous avons explorée.
Depuis 1873, nous n'avons rencontré aucune sépulture nou-
velle pouvant être attribuée à l'âge du renne. Nous n'avons
donc rien à ajouter à nos premières observations. Nous n'avons
rien non plus à changer à nos premières impressions. Sur le ter-
rain, en face des nombreuses sépultures retrouvées dans nos
fouilles, il nous a toujours semblé possible, en se plaçant dans les
conditions méthodiques d'une bonne observation, de distinguer
celles qui appartenaient réellement à l'âge du renne (1). "
Amas d'ossements de chevaux. —Les amas d'ossements de che-
vaux sont formés presque exclusivement de débris de ce solipède,
tantôt brisés, tantôt entiers. Les canons, les os du paturon, de la
couronne, du sabot, les vertèbres sont presque toujours intacts.
Les autres os longs sont généralement brisés, ainsi que les os de la
tète et du bassin. Ces débris se trouvent tantôt à l'état libre, tan-
tôt agglutinés par un ciment calcaire, de façon à former une brèche
compacte qu'on a désignée sous le nom de mayma de cheval. Le
ciment calcaire a du être formé par les os eux-mêmes, dont beau-
coup sont brûlés, écrasés et réduits à l'état d'esquilles innombrables.
D'après l'étude qui a été faite du système dentaire, ce seraient, en
général, des animaux adultes. La taille du cheval de Solutré
variait delm,36 à lm,45. M. Toussaint le rattache à la race bres-
sane, et pense qu'il devait être domestiqué. En faveur de la domes-
tication il invoque deux faits : la prédominance des animaux
(I) Sur celte importante question dos sépultures, consulter :
DE FERRY et ARCELIN, le Maçonnais préhistorique. Rcinwald, 1870, in-4°, p. 51.
L'abbé DUCROST etDr LORTET, Études sur la Station préhistorique de Solutré, dans
Archives du Muséum de Lyon, t. I, lre livraison, 1872.
A. ARCELIN, les Sépultures de l'âge du renne de Solutré, dans Revue des Questions
scientifiques, t. III, p. 349.
Ds MORTILLET, les Sépultures di Solutré, dans Ballet. de la Soc. d'Anthrop. de
Lyon, 14 avril 1888.
L'alibi DUCROST, les Sépultures de Solutré, réponse à M. de Mortillet; id., séance
du 5 mai 1888.
DE MORTILLET, les Sépultures de Solutré, réponse à M. l'abbé Ducrost; id., séance
du 7 juillet 1888.
E. CA.RTAILH.VC, la France préhistorique. Alcan, 1889, in-8°, p. 92.
S.VLOMOX REINACII, Antiquités nationales, description raisonnéc du Musée de Saint-
Germain Paris, in-8°, p. 199.
LES NOUVELLES FOUILLES DE SOLUTRÉ. 309

adultes, et la présence de toutes les parties du squelette parmi les


débris (1). On peut voir, au muséum de Lyon, un spécimen du che-
val de Solutré, reconstitué sous la direction de M. Toussaint.
MM. Sanson et Piètrement ont combattu l'hypothèse de la domes-
tication (2). D'après M. Sanson, le cheval de Solutré appartien-
drait à la race belge ardennaise (Equus caballus belgius) (3).
En 1868, MM. de Ferry et Arcelin évaluaient à 2000 le nombre
des chevaux dont ils avaient remué les ossements (4). En 1872,
M. l'abbé Ducrost portait ce nombre à 10 000 (5) et M. Toussaint
à 4000 en 1873 (6). D'après les dernières supputations, il n'y
aurait pas eu moins de 100 000 individus enfouis dans l'espace
exploré (7). ^
L'épaisseur de la zone d'ossements de chevaux varie de 0m,50
à 2 mètres et plus, sur une superficie d'environ 3 800 mètres
carrés. Elle forme une couche à peu près continue, ondulée
en divers sens, plongeant plus ou moins profondément sous
les foyers de l'âge du renne, se relevant tout autour et affleu-
rant çà et là à la surface du sol. Au fond de la cuvette elle est
séparée des foyers de l'âge du renne par une certaine épaisseur de
terrain d'éboulis. Sur les bords, elle se trouve en contact avec eux
(fig. 3 et 4). Mais c'est par suite d'une fausse interprétation de ces
contacts qu'on a figuré, en 1873, des coupes où l'on voit deux zones
d'ossements superposées, l'une passant immédiatement sous les
foyers de l'âge du renne et l'autre plus profonde (8). Nous nous
sommes assurés depuis qu'il n'y a réellement qu'une zone d'osse-
ments de cheval. Seulement il est arrivé, par suite de la disposi-
tion en cuvette, qu'une des parois venant à s'ébouler alors que le
fond de la cuvette était déjà en partie rempli d'apport étranger,
cela simule deux zones superposées, comme dans la figure 10, où
l'on voit un foyer de l'âge du renne 1 en contact avec la paroi re-
levée de la couche d'ossements de chevaux 2, et recouvert par les
débris éboulés de cette paroi. Cette disposition prouve bien clai-

(1) Assoc. franc, pour l'avancement des sciences, Congrès de Lyon, 1874, p. 586.
(2) Matériaux pour L'hist. primit. et naturelle de l'Homme, t. IX, 1874, pp. 332 et
373.
(3) Matériaux, etc., t. IX, 1874, p. 341.
(4) Congres internat, d'archéologie préhistorique de Norwich (compte rendu). Lon-
don, 1869, p. 339.
(5) Études sur là Station préhistorique de Solutré, dans Archives du Muséum de
Lyon, lro livraison, 1872, p. 15.
(6) Congrès de Lyon (compte rendu), 1874, p. 595.
(7) Matériaux, etc., t. XI, p. 499.
(8) A. ARCELIN, les Fouilles de Solutré, renseignements généraux, etc. Mâcon, 1873,
in-4°, pi. II.
310 ADRIEN ARCELIN.

rement aussi que les foyers de l'âge du renne sont postérieurs aux
plissements qui ont affecté les amas de chevaux. En effet, ils se
trouvent, comme nous l'avons déjà fait remarquer, en stratification
discordante avec ces derniers : de plus, le fond de la cuvette était
déjà rempli d'une certaine quantité de terrain d'éboulis lorsque les
chasseurs de rennes vinrent s'y établir.
Enfin c'est également par suite d'une fausse interprétation des
affleurements que nous avons plus d'une fois dans nos travaux an-
térieurs comparé les amas d'ossements de chevaux à des murs en-
tourant les foyers de l'âge du renne. Cette apparence tient simple-
ment à la disposition e