Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
CHARLES MAURRAS
LETTRES
DE
PRISON
8 Septembre 1944 - 16 Novembre 1952
FLAMMARION, EDITEUR
26, rue Racine, PARIS
Il a été tiré de çet 0111Jrage :
Deux cent trente exemplaires
sur Vergé pur fil des Papeteries d'Arches,
dont 2.00 exemplaires numérotés de I à 2.00
2.0 exemplaires numérotés I à XX
et
10 exemplaires numérotés H.L. 1 à H.L. 10
réservés à la Librairie Henri Lefèbvre.
Mon cher ami, je m'en veux d'avoir laissé passer quarante-huit heures
sans vous féliciter de reprendre enfin au Nouvelliste 2 la place que vous
donnait votre nom, votre sang I A vrai dire, c'était une question à laquelle
je songeais toujours beaucoup, mais dont je n'importunais personne,
de crainte de réponse absurde, et dont je me défendais de vous parler,
à vous ... Il est superflu de vous dire que vous avez bien fait d'accepter
et que vous pourrez y rendre de grands services, malgré tout. Malgré
le titre, évidemment I N'y aurait-il pas un moyen de profiter de cette
exaltation << patriotique » plus ou moins passagère, pour y glisser un
adjectif comme Liberté française ou un génitif comme la Liberté de la
patrie? Ce pavois tricolore passerait à la faveur du temps et fournirait
une explication substantielle à qui demanderait la liberté de qui? la liberté
de quoi? Quant aux événements, je crois assez bien savoir ce qui s'est
passé à Vichy pour vous certifier qu'il serait injuste d'accuser ni le Maré-
* Cette lettre a été lcrite tp14l(Jlles !Murt.r avant l'arrestaJion de Maltf'rat, 38, rl/8 VfJllbecour,
par ordre du commi.rsaire ik la Rlpubli(Jlle, Yves Farge.
1. Henri Rambaud, dès sa jeunesse, avait publié plusieurs études sur Maurras. Lorsque
l'Adion français, s'installa à Lyon, les relations de Maurras avec Henri Rambaud, critique
du No1111ellitt1 de Lyon, étaient devenues plus fréquentes. Maurras aimait à lui montrer ses
vers, et. le 26 août 1944, il lui avait laissé la dactylogmphie de la BaJa,,ç, intérieur, en vue d'un
dernier examen critique. '4
2. Le No11111/list, d, L,yon, fondé par le père d'Henri Rambaud et dirigé par les Rambaud
jusqu'en 1932, était passé ensuite en d'autres mains.
Les biens du No1111elliste, interdit en septembre 1944, furent attribués par le Comité de
Libémtion au quotidien M.R.P. La Liberté. Henri Rambaud avait d'abord été associé à la
direction de ce journal.
8 LETTRES DE PRISON
chal ni son conseil réel. De résist4nf, il n'y en a pas eu de plus ferme que
lui en France, ni certes hors de France, et la manière dont il a sauvé de
l'Allemagne Toulon et Bizerte jusqu'au débarquement de 1942 en est la
preuve flagrante. Il cédait à la force sur les hommes, sur les points secon
daires; sur l'essentiel, c'était un roc. Le traitement que lui font subir les
Allemands ajoute la preuve à la preuve. Quant à l'héroïsme et au patrio
tisme, ce sont des vertus qui sont à tous et pour tous, à Jean Huss comme
à saint Pierre, à Armand Carrel comme à Louis XVIII. Il est bien mal
heureux que nos 1 5 o ans de décadence démocratique n'aient pu encore
rendre sensible la différence entre le patriotisme et le fidèle dévouement
à l'intérêt national. Mais cette distinction eût été moins naturelle que
son contraire. Comme vous disiez l'autre jour, l'événement pronon
cera. Je crains qu'il ne prononce trop conformément à ce que je disais
aux collaboratio1111istes : entre la schlague et le knout, je ne choisis pas;
je ne èhoisis pas non plus entre le knout et la schlague. Dans tous les
cas, il reste aux responsables de ce retour victorieux << dans les four
gons de !'Etranger >> à expliquer à !'Histoire comment l'Anglo-Amérique
a choisi la France pour champ de bataille et pour terre brûlée, alors
que, maîtresses de la mer, les deux puissances pouvaient confortablement
passer par la mer du Nord, débarquer au cœur de l'Allemagne et, de là,
mécaniquement, automatiquement, rappeler sous Berlin assiégé toutes
les forces boches de l'Atlantique et d'ailleurs, qui eussent reflué d'elles
mêmes comme elles refluent aujourd'hui, mais aujourd'hui seulement,
de la mer Egée et du golfe du Lion. Je n'ai cessé pendant quatre ans
de dire que !'Ennemi numéro un n'avait pas perdu son numéro, mais
que, depuis Mers-el-Kébir et Dakar, il y avait un Ennemi numéro
un bis. Un deuxième, un troisième ex-aequo s'en sont mêlés depuis.
Peut-être y a-t-il une lueur d'espérance. Peut-être un grand esprit poli
tique va-t-il se rencontrer pour passer entre le Russe et l'Anglais et
l'Américain, comme le fit le duc de Richelieu entre le Russe, Je Prus
sien et l'Autrichien. Mais ce n'est qu'une possibilité bien vague encore 1
Et je vous trouve bien modéré en ne prévoyant qu'ennuis et épreuves
secondaires : la Juiverie est là, servant ae colle et de charnière!
Quoi qu'il en soit, laboremus ! Je suis bien content de vos extraits
de Novalis 1• Car ils m'enfoncent, ils servent très bien à m'enfoncer
dans mes réflexions sur la magie du vers, telle que je la conçois, c'est-à
dire à un certain degré de concentration ou tout au moins de non-diffu
sion. Je ne suis pas très exigeant. Lamartine l'a, ce degré, et la traduction
de Novalis ne m'en donne qu'une idée assez faible, bien que son com
mentaire, si abondant, me fasse bien comprendre ce qu'il entend par « la
Nuit>>. Comme dit Louis Ménard: Grande Nuit,principe et terme des choses••• 2•
I. Henri Rambaud lui avait envoyé quelques passages des Hymnes à la Nuit de Novalis,
en les rapprochant du poème de Maurras intitulé Variations IRr le.r deux Nllit.r d, Mjçhef-Ange.
2. Vers de la dernière strophe du poème de Louis Ménard L'Idlal, dans ses Poèmes et
Riverie. d',m Paim my.rtiqm.
LYON 9
Je ne suis pas sûr du texte, mais c'est cela, avec le sens additionnel que
les choses possibles y sont surtout évoquées par le rêve allemand. Il est
trop clair que, pour une initiation complète, il faudrait savoir l'allemand
ou en avoir quelque teinture. J'ai su assez d'anglais pour suivre, à
fond, Shakespeare et même Shelley. Ici, tout point d'appui me manque.
Avec cette seule réserve que j'ai toujours senti fortement les deux Faust,
surtout le second, les Ballades de Gœthe, ses Affinités (très aimées jadis 1),
ses Elégies, Iphigénie et le reste. Il m'est donc traduisible très direc
tement. Novalis ne passe qu'indirectement, et grâce à votre commentaire
et à celui de Pujo qui s'en est beaucoup occupé autrefois, du temps
où il écrivait Le Règne de la Grâce 1•
Je suis bien heureux de vous avoir satisfait avec la Palinodie. Mais
déjà elle avait obscurément fermenté dans ma mémoire, et j'avais ainsi
remanié la strophe quatrième :
LesyeNX de la Femme, (ou d'1111efemme)
Ces baumes du corps,
Ces philtres de l'âme,
Ne sont pas si forts... 2•
(le ministère du simple reflet) et cela donnerait au vers final l'éclat d'un
subjonctif graduateur et relatif:
le plus bas des ministères,
Qu'impose à l'1111ivers la loi du Tout-Plliss(III//
1. Le texte fut encore modilié dans la version délinitive.
LYON II
Voilà bien des histoires pour quelques vers! Pardonnez-les moi, c'est
un peu votre faute, puisque vous vous y êtes intéressé. Et puis, votre
dignus est intr-:ire (en somme) me comble de joie, parce qu'il m'eût été
désagréahle de n'avoir pas dans un << parvis d'hommages & ce Michel
Ange poète pour qui j'ai tant d'adnùration et d'amour, pour sa nudité,
sa rudesse farouche, et souvent sa moelleuse douceur.
Ce grimoire me fait honte. Vous n'imagineriez pas combien, en
l'absence du « journal» à faire, je me suis imposé de tyranniques besognes,
elles me prennent du matin au soir, et le soir il faut se coucher! Moins
heureux que vous, je ne puis dornùr de bonne heure. Ce sont de longues
insomnies, où me poursuivent les images des choses à faire, et que
je n'aurai jamais, certainement, le loisir de réaliser. Et c'est épuisant.
Je m'endors au matin, et j'y perds la douce lumière qui me permettrait
d'avancer un peu mon pauvre courant quotidien... COURANT...
mot magique! A l'instant où je l'écris, il nous revient, il nous est rendu
avec sa Fée électricité. N'est-ce pas bien beau, cette rencontre sur
le papier, de ma plainte, de mon regret, et de la restitution accordée 1
Paradis perdus I Paradis rendus I Je travaillerai un peu cette nuit! Pré
sentez mes respectueux hommages à Madame Henri Rambaud, félicitez-la
comme je m'en félicite de votre retour à la tête du Nouvelliste et recevez
toutes mes anùtiés reconnaissantes.
CH. M.
LYON
Prison Saint-Paul-Saint-}oseph
11 septembre 1944 - 28 janvier 1945
A HENRI RAMBAUD
Lyon, Infirmerie de la p1ison Saint-Joseph. Mercredi 1 3 septembre 1944.
rieur au sien en qualité, pour les corrections que j'y ai portées et pour
celles dont nous avons délibéré ensemble, notamment quant à la préface.
- 2 Vous avez huit pièces nouvelles : a) les deux petites vieilles
que j'ai retrouvées à Martigues, et qu'il faut mettre dans les vers de
°
1. Lardanchet, à Lyon.
2. Ce poème et les deux suivants se trouvent dans La Balance inlérie«re.
2
16 LEITRES DE PRISON
A HENRI RAMBAUD
Prison Saint-Paul, 33 , Cours . Suchet. z9 septembre 1944 .
Mon cher ami, merci de votre lettre. Je suis bien heureux de savoir
que vous avez reçu la mienne et de voir votre réponse. Combien
l'accord sur Chénier me semble précieux ! Vous m'aviez un peu
inquiété. J'avais craint d'avoir cédé à je ne sais quel esprit de géomé
trie symétrique. Mais c'est le contraire, l'ambition était en lui encyclo
pédique, et la discipline traditionnelle. (',ela i'eût mené loin et haut,
avec la collaboration des circonstances - ce qu'il a tiré de la Prison
le montre assez 1 - En y réfléchissant de part et d'autre, nous avons
trouvé des raisons, et qui concordaient. Ah I je crois bien que la discussion
est utile et que, même inutile, elle serait encore la plus précieuse des
1. En 1944, Maurras habitait à Lyon, 2.0 hi;, rue Franklin. A la Libération, il trouva asile
34, rue Vaubecour.
PRISON SAINT-PAUL-SAINT-JOSEPH DE LYON 17
I. LA Nuit de MMJI/-Ang,.
2. Ce poème a été ensuite l'objet de nombreux remaniements. Il figure dans LA &lance
intérilfllf'I, sous le titre : No11111at1 &grel de Joachim du &Ilay, d'ap,is 11114 basse prlfaa.
3. Allusion au sonnet cxm de 1'00,,,.
18 LETTRES DE PRISON
première moitié m'en paraît bonne, et, en tous cas - ce qui n'est pas
une qualité - assez nouvelle par la matière.
Je ne sais pas où vont les jours. Rien ne dépend plus de nous.
Non mihi res, sed me rebus 1• • • La liberté intérieure se suffit. Mais à propos
de vers latins, je ne suis plus sûr de l'intégrité de celui-ci, et je ne le
scande pas bien : Cara deum soboles, magnum Jovis incrementum 2• Si c'est
exact, ce dont je doute, n'y a-t-il pas une anomalie métrique ? Mais
trêve ! trêve 1 Et pardon 1 Mes respectueux hommages à Mme Henri
Rambaud, et mille amitiés si reconnaissantes.
CH. M.
A ANTOINE LESTRA 3
4 octobre 1944.
Cher Monsieur et ami,
Je suis bien touché de votre lettre, et ému par tous les souvenirs
que vous évoquez.
Je conçois celui 4 qui vous conduit entre tous, comme le plus digne
de motiver une démarche comme la vôtre. Je vous ai dit, en effet, comment
il m'avait laissé sans paroles, parce que, en effet, il n'y a pas de commune
mesure entre vous et moi là-dessus. Le clialogue est impossible. On
re çoit, on recueille un sentiment sublime : comment y répondre avec
des mots, et même avec des actes? Là encore, croyez-moi, il y a le silence,
la réflexion, ou plutôt la méditation, chargés d'un sentiment de gra
titude dont les termes ne sont pas trouvables non plus.
Mais Pie X ! Mais Pie XI 1 Mais Mgr Penon 5, mais le Carmel de Lisieux,
avec sa sainte et ses saintes ! Mais le Cardinal Sevin 6 ! Mais notre cher
aumônier 7 1 Mais ma pauvre mère que vous nommez aussi ! Croyez-vous
que je ne vive pas très constamment dans leur présence et dans leurs
images, en une sorte d'obsession qui n'est pas unique, car c'est un peuple
d'âmes amies qui tourne sans cesse dans mes pensées, mais il en est
I. Souvenir d'Horace, Epz"tres, I, 1, 19 : Et mibi ,-e;, non me rebus .rubjungere conor : « Et je
m'efforce d'être le maître, non l'esclave des événements. • Les circonstances amènent Maurras
à renverser ici la formule.
z. Virgile, Bucoliques (V, 49). Cf. plus bas la lettre du 17 octobre 1944.
3. Ecrivain monarchiste et catholique, Antoine Lestra est l'auteur de plusieurs ouvrages
<l'histoire religieuse.
4. Le souvenir de Mme Lestra, morte l'année précédente.
5 . Evêque de Moulins, ancien maître de Maurras au collège d'Aix-en-Provence.
6. Archevêque de Lyon de 19u à 1916.
7. Le père Chervier, de la Communauté du Prado, qui visita régulièrement Maurras
pendant les quatre mois qu'il vécut dans la prison Saint-Paul à Lyon.
20 LEITRES DE PRISON
1 0 octobre 1944.
Ma chère Joséphine,
1. Il s'agit du propos rapporté dans Le Bienhlure#x Pi, X (pp. 5 8-59) : « Le Pape poursuivit,
comme se parlant à lui-même : « On 111'a dit qm sa mère était une saint,. Et apres une pause nou
velle : Il 111'arriv, de la prier. •
2. De 1895 à 1904. Charles Maurras habitait à Paris, 19, rue du Dragon, et c'est là qu'à la
fin de 1901 il reçut la première visite d'Antoine Lestra.
3. A cette lettre, le Directeur des Prisons de Lyon avait joint cet avis : « Madame, les
neuf ouvrages désignés dans la présente lettre sont autorisés. Vous pouvez donc les apporter
à la prison Saint-Joseph, où on les remettra à M. Maurras. Je crois devoir vous informer que
snds, les volumes indiqués sont permis. Ne pas tenter d'en apporter d'autres. - Prière
d'apporter la présente lettre en venant. t
PRISON SAINT-PAUL-SAINT-JOSEPH DE LYON 2. 1
Il me faut :
Le Petit Dictionnaire Larousse, dont je me sers, vous devez savoir où
il est;
Mon livre, Le Chemin de Paradis, de même :
De même le carton qui porte en grosses lettres : Paul Bourget.
Il me faut aussi :
Les quatre livres suivants, qui sont sur ma cheminée, à droite en fai-
sant face à la glace :
Fables de La Fontaine
Pensées de Pascal ( en haut de la
Virgile
Horace
� pile de droite
A HENRI RAMBAUD
Que de choses à vous dire I Donc, mon petit conte vous intéresse ?
Il est devenu gros, ce conte << moral, magique et poJicier », que je me
définis un fourre-tout du Grand Tout. Il comporte quatre cahiers et
demi, 220 pages manuscrites assez serrées, mais je ne saurais vous le
raconter en raison de sa complexité incongrue, de son pathétique et de
son fumisme. Sachez seulement que vous ne vous trompez pas en parlant
du dernier mot de la Balance intérieure (rNSATIÉTÉ) 1 . C'est un peu,
et beaucoup, cela. Vous ai-je dit que la première, toute première idée
m'en est venue en 1 889 ? Je l'ai raconté grosso modo à un vieil ami,
mort, hélas ! depuis - le dernier jour de !'Exposition universelle !
On ne songeait pas à vous en ce temps-là. Mais, sans ces Messieuts
de votre Commune lyonnaise, je n'aurais jamais eu le temps d'exécuter
cette pensée de jeunesse dans l'âge mûr, hi! hi! plus que mûr.
Quant aux vers, il y a du neuf, outre le rabibochage dont je parlerai
plus loin, une ballade qui n'est pas destinée à la Balance, mais je vous
envoie tout, le sérieux et le reste, - plus le Cynégire,frère d'Eschyle 2,
auquel je pensais vaguement en 1937, à la prison de la Santé de Paris,
et qui s'est fait tout seul ici. Preuve, preuve par neuf, de l'excellence
du climat des prisons lyonnaises, bien que le régime y soit plus dur,
comme la IVe République sera plus dure que la IIIe !
mox daturas
progeniem vitiosiorem 3 /
Je ne sais d'ailleurs pas ce que vaut ce Cynégire, mais il me hantait,
à cause de la rencontre de la rage et de la sagesse chez ces combattants,
Apollon et Iacchos, lierre et laurier, et parce que� si ce n'est pas trop
mauvais, cela me permettrait de mettre le nom d'Escl�yle dans le << Parvis >>,
l'hommage fraternel serait doublé de l'emprunt d'une épigraphe des
Perses, mais est-ce bien ceci :
L� L� 't"pLcrxcx.ÀµOL(JLV
t� t� �cx.ptaLV ôMµsvoL 4 ?
Quant à Du Bellay, je croyais que vous connaissiez la basse .préface
qui nous a déshonorés, en Suisse (Eaitions du Milieu du monde). Figurez-
1. Le demier poème de LA Balance intérieure avait alors pour titre : Descmte aux enfers et
se terminait par cette strophe :
Myrte, âfellille do11Ce-amère
Qlli 114 m'a pas chanté
Qu'étm14//e et qu'éphémère
Insatié[é.
a. LA Balance intérieure.
3.
• •.. elles vont don114r une postérité pire ,nçore. • Citation, mise au féminin, d'Horace, Odes,
2.
III, 6, 46-48.
4. Ce sont les demiers vers des Perses d'Eschyle : Hélas I hélas / sur ceux qui onJ péri -
hélas ! hélas I péripar nos galiotes à triple rang de rames (trad. Paul Mazon).
PRISON SAINT-PAUL-SAINT-JOSEPH DE LYON
vous que Guillemin reproche à Bellay les deux ou trois sens du mot
<< Regrets >> : regret de la patrie, regret du temps perdu, regret de carrière
manquée, comme si tout cela n'avait pas son humanité et, par consé
quent, sa légitimité en poésie ! Et puis le ton vil ! le reproche fait au
mécénat des princes ! sa répercussion sur « Racine >> et sur << Bossuet >> 1 !
c'est odieux, et, je vous le répète, vil et bas. Il n'aura pas volé son coup
de pied quelque part. Vous verrez que je l'ai un peu perfectionné et
si, tel quel, cela ne vous déplaît pas trop, j'aimerais aussi le mettre dans
le Parvis d 'hommages pour faire cortège à celui de Ronsard.
Je suis absolument de votre avis sur les Regrets, ils sont supérieurs
à I'Olive, bien que j'aie un culte pour le sonnet de l'Idée. (N'est-ce pas
Brunetière dans une conférence qui lui avait fait un sort ?) Celui que
vous m'avez transcrit est aussi bien beau 2, et, je suis comme vous, son
obscurité ne m'offusque pas. Elle est noble et profonde, et << ça vaut
ça ». Le cara deum soboles était destiné à l'épigraphe, et je crois que ça
irait bien. Comment n'ai-je pas songé au vers spondaïque, dont c'est
l'exemple classique dans les petits traités I Mon oubli me fait d'autant
plus rougir que Frédéric Plessis se souvenait d'une bibliographie de
moi sur un livre de métrique de lui quand j'avais vingt ans ! Ça ne me
rajeunit pas, comme vous voyez. Que vous avez bien fait de vous exercer
à lire métriquement! Cela doit substituer à un plaisir confus, et souvent
trop purement abstrait, une joie de l'oreille et une joie du goût inti
mement rassemblées.
J'arrive au grand point difficile. Le mieux sera, je crois, de se résigner
à la version du Michel-Ange 3 que vous avez trouvée passable en raison
de son bon début. Vous l'avez. Par désespoir, peut-on encore tâtonner ?
A tes ruses d'orgueil que perça Michel-Ange
Fausse nuit, nous nous méprenons :
Mais Je beau dieu' caché sous ,e globe de fange
Le solei/ 5 de midi règne encor sous ton nom.
Tu sais, toi, qt1'il sujjit . . .
Mais les adjectifs s'y mettent, c'est le signe qu'il faut attendre un
peu l Mille amitiés en toute hâte, je vous prie de me rappeler au· sou
venir de madame Henri Rambaud, de lui présenter mes respectueux
hommages et de la prier de me pardonner les heures précieuses que
je vous fais perdre!
CH. M.
A PIERRE VARILLON
21 octobre 1944.
Mon cher ami,
J'espère que vous avez eu la lettre où je vous parlais de mes tra
vaux littéraires et du journal.
Depuis j'ai beaucoup réfléchi à cette dernière question, et je crois
nécessaire d'arrêter les dispositions suivantes.
Le journal ne paraît pas, mais nous soutenons, Pujo et moi, une lutte
judiciaire et politique pour l'honneur de notre action, de nos idées et
dont l'avenir national peut en partie dépendre. Donc, l'Action Française
doit tenir. Nous avons besoin de disposer ici, comme de forces d'aide
indispensable, des cadres du journal. Ils sont en partie restés à notre
portée, faute de pouvoir aller ailleurs, et aussi parce que nous leur avons
donné, selon notre devoir, le moyen d'y subsister. Notre procès va
durer, il est nécessaire que les cadres durent aussi, durent autant que
lui. J'estime donc nécessaire de payer à ceux de nos collaborateurs
restés à votre portée un nouveau trimestre d'avance. Bien entendu, il fau
drait dire à tous que nous comptons sur eux, et qu'ils ne quitteront
plus Lyon, à moins que nous ne le quittions.
Pour en finir avec ce chapitre, il faudra remettre aux avocats une
provision convenable.
En ce qui nous concerne, je vous ai déjà écrit quel était le régime
établi de tout temps à l'Action Française pour les prisonniers quels
qu'ils fussent : elle les nourrit. Cependant en fait nous nous nourris
sons nous-mêmes, 1·e crois. Ou je me trompe fort, ou l'administration
pénitentiaire paye e restaurant en notre nom, au moyen des sommes
que nous avons déposées au greffe le jour de notre emprisonnement.
Il est d'ailleurs prudent de laisser cet argent là. Car nous ne savons pas
pour combien de temps nous y sommes, si nous le diminuions, il serait
peut-être difficile d'en remettre. Donc, pour ne pas diminuer le dépôt
de Pujo, il faut que ce dépôt soit dès maintenant remboursé à Mme Pujo
(en mains propres, pas par la poste) et que lui soit également remise
la somme représentant le nouveau trimestre de son mari dont nous
venons de décider la distribution. On fera plus tard le calcul en détail.
26 LETTRES DE PRISON
Ma Sœu.r,
C'est en prison (1936-1937) que notre correspondance a été la plus
active 2 • Celle de 1944 aura été moins féconde. Mais les oreilles ont dû
vous tinter! J'ai conté au Père (Chervier) nos lointains commencements,
nos orages et l'Illuminare his 8• • • et surtout les admirables initiatives de
la Révérende Mère Agnès 4 et celle de votre autre mère, l'inoubliable
Madame P. 6•
Je vous supplie donc de ne pas être inquiète et de croire à ma profonde
gratitude. Vous savez que je supporte très bien la prison, et vou
1. Charles Varillon, dont Maurras était le parrain.
2.. Cette lettre avait pour destinataire celle que Maurras appelle « ma sainte correspon
dante • in L, Bimhellf'eux Pie X, p. 196.
3. A la fin de 1936, alors que Maurras était à la prison de la Santé, le Carmel de Lisieux
lui avait envoyé une carte représentant sainte Thérèse de !'Enfant Jésus agenouillée au pied
de la C,:oix. On lui avait demandé de bien vouloir écrire au verso une prière de son choix.
Charles Maurras avait retourné cette carte avec ces lignes manuscrites empruntées au Bene
dictus : 11/IIIIIÎnare hi.r IJflÏ in tenebris et in umbra mortisjacent. Heureux ceux qui sont couchés
dans les ténèbres et dans l'ombre de la mort.
4. Sœur Pauline, en religion mère Agnès de Jésus, était la sœur aînée de sainte Thérèse ;
leurs deux autres sœurs les avaient suivies au Carmel.
1· Madame P. était la mère de la t sainte correspondante t à qui cette lettre est adressée.
Elle avait signé • Victor Favet t de • petits romans d'une langue superbe, d'un sens élevé et
pur. •
PRISON SAINT-PAUL-SAINT-JOSEPH DE LYON
Novembre 1944.
Monsieur le Surveillant-Chef 2,
J'ai voulu prendre quelques heures avant de répondre à la grave
communication que M. Maurice Pujo a bien voulu me transmettre
de votre part, au sujet de la visite de ma nièce et fille adoptive.
Les prisonniers normaux voient et entendent leurs visiteurs. Un
prisonnier sourd ne peut que les voir à cause de la distance et des grilJes.
L'autre jour, la distance et les grilles ont été supprimées pour le pri-
1. Professeur d'histoire au lycée Condorcet, Thalamas avait tenu, en classe de quatrième,
des propos sur Jeanne d'An: qui avaient provoqué les protestations de parents d'élèves.
Il dut alors abandonner son poste, mais on l'en dédommagea en lui accordant de faire un
cours libre en Sorbonne qui devait susciter de violentes manifestations au Quartier Latin.
Les ligueurs de M. Pujo envahirent l'amphithéâtre pour en chasser l'insulteur de
Jeanne d'Arc.
2. Brouillon d'une lettre au Surveillant-Chef, à la suite de quoi l'autorisation fut donnée
à Maurice Pujo d'accompagner Charles Maurras au cours des visites qu'il recevait.
28 LETTRES DE PRISON
sonnier sourd, et l'équilibre a été rétabli à son égard. Or, les vrais pri
sonniers normaux voient et entendent leurs visiteurs 4 fois le mois,
et l'on vient de décider que le prisonnier sourd ne les verra et ne les
entendra plus qu'une fois : l'équilibre est de nouveau détruit à son
détriment, et cette fois, ce n'est pas en vertu de fatalités naturelles,
mais par la volonté des hommes.
Si la nouvelle mesure vient de l'administration de la prison, je vous
serai reconnaissant, M. le Surveillant-chef, d'y réfléchir et de prier Mon
sieur le directeur de Saint-Paul d'y réfléchir aussi : la rupture d'un juste
équilibre au moment même où l'on vient de le rétablir.
Si, comme je le crois, la décision vient de M. le Juge d'instruction,
je lui ferai porter votre réponse par mon avocat.
Mais d'ici là, n'y · aurait-il pas une position d'attente possible? Ne
pourrai-je voir ma nièce et fille adoptive qui devait venir lundi, à dis
tance, et à travers les grilles, et mon compagnon de cellule, M. Mau
rice Pujo, serait autorisé à descendre avec moi dans la cage pour servir
d'interprète et me transmettre la parole de ma visiteuse? Je suis habi
tué à la voix de M. Pujo, et il a la bonté de consentir à cet arrangement.
CH. M.
Moins résistant que moi, bien que plus jeune, il a fallu le conduire
de la prison à l'hôpital, . où il ne peut être aussi bien soigné que chez
lui à X ... où habitent sa femme et ses enfants.
Le commandant Dromard a fait brillamment l'autre guerre, il a fait
une partie de la dernière et est resté dans les services jusqu'à la fin.
C'est un homme d'une haute valeur morale. J'oubliais de vous dire
qu'il avait subi entre les deux guerres une grave opération, ce qui ne
l'avait pas empêché de servir de nouveau en 1939. Je recommande
ce fait, et la prière personnelle qui l'accompagne, à votre amitié. Je le
recomfllande de toutes mes forces. Il serait admirable en même temps que
nécessaire de garder un tel serviteur à la France. Merci d'avance et rmlle
amitiés.
CHARLES MAURRAS
A PIERRE VARILWN
30 décembre 1944.
Mon cher ami,
Tout d'abord je n'ai pas la lettre de mon filleul. Elle a dû s'égarer
dans le circuit. Embrassez-le pour moi. Recevez tous mes vœux pour
vous et les vôtres, dites à Mme Varillon avec quelle mélancolie je pense
à nos noëls passés, avec quelle joie aux futurs.
Cependant que le monde me croit fusillé, j'oblige votre jésuite homo
nyme, le R. P. Varillon 1, à se rétracter et je médite une bonne poursuite
en faux témoignage contre Paul Claudel. Rien que ça l mais ça l
Tous mes compliments pour votre belle campagne à Paris. J'ai été
heureux de ce que vous me dites d'H. Bordeaux et des autres. Si 'vous
écrivez à Mme de Maillé, dites-lui que j'ai fait ici un petit poème que je
dédierai à Franz Cumont : sa symbolique des plants funéraires (Le petit
danseur d'Antibes auquel Mme de Maillé a collaboré) m'en a suggéré le
meilleur vers. Et remerciez-la de toutes ses bontés passées et à venir...
Quant à ce dont Hélène m'a parlé, en effet, du mot qui commence
par un é 2, je réponds : non, ça jamais ! Je n'en veux rien faire, rien,
rien, rien, qui puisse faire croire ni à une crainte, ni à un semblant d'aveu.
Ceux qui se permettraient une entreprise pareille sont d'avance désa
voués. De deux choses l'une : pile ? face ? Si c'est face, grand essor
de nos idées. Pile? Plus grand essor de nos idées, arrosé de mon sang.
L'entre-deux, je n'y crois pas, je me débrouillerai pour que ce soit
x. Dans une allocution à la radio, le R. P. Varillon avait prétendu que l'expression de
Maurras : la diviM surprise s'appliquait à la défaite de 1940 et non, comme Maurras l'avait
employée, à la présence du Maréchal Pétain à la tête de l'Etat français.
2. Le mot Evasion.
LETTRES DE PRISON
A HENRI RAMBAUD
N° d'écrou 2.048
3
A SA NIÈCE HÉLÈNE MAURRAS
18 février 1 945.
Ma petite Ninon,
J'espérais bien un peu te voir avant-hier vendredi. Pas trop. 'Tu as
dû te heurter à des règlements. Je t'ai bien regrettée parce que je t'aurais
dit ce que je t'écris sans savoir si cela t'arrivera à temps. Pujo tient à
voir son avocat, contrairement à ce que je présumais. Donc si ceci te
parvient seulement à Marseille, arrange-toi pour écrire à Lyon et recti
fier mon erreur. J'espère que tu as fait bon voyage. Et je souhaite que
tu arrives à bon port à Marseille. 'Tu ne peux pas te figurer combien
ces déplacements en des temps pareils me donnent de souci. Accident,
mauvaise rencontre, etc. Quant à nous ce séjour tranquille continue
à ne nous causer que des dommages relatifs. Je lis et travaille beaucoup.
L'absence de nouvelles extérieures commence par creuser un peu la
cervelle. Et puis cela donne du vol à la liberté de l'esprit. Je ne te sou
haite pas d'en faire l'expérience ni à personne parce que tout le monde
n'a pas soixante-dix-sept ans (bientôt) et n'est pas revenu d'autant
de choses que ton vieil oncle et père. Mais je ne t'écris pas cela pour te
rassurer, c'est la pure vérité. Je ne te refais pas mes recommandations
mais tu devines bien que je te souhaite un très prochain dimanche de
liberté pour aller jeter un coup d'œil à Martigues et m'en donner des
nouvelles.
Je vous embrasse tous, parents et amis, et toi la première, ma petite
Ninon.
CHARLES MAURRAS
34 LETTRES DE PRISON
Quand tout cela finira-t-il? Quand, au delà des libérations très rela
tives, luira un peu d'assurance, ou pour mieux dire, d'orientation pour
demain? Je ne commets pas le crime de désespérer et, je le sais, ma Sœur,
vous qui avez passé, avec tous vos Anges, par de si cruelles angoisses
matérielles et morales, m'en feriez honte si je pouvais m'y abandonner...
Des hommes habillés de robes rouges et coiffés de toques d'or m'ont
raconté qu'ils me condamnaient à la prison perpétuelle. Mais je me suis
moqué d'eux et je n'en crois rien.
Il y a deux mois hier que je suis dans ce lieu de délices avec le numéro
d'écrou zo48 (après avoir porté le n° zo68 de la Francisque du Maréchal).
Je ne me suis pas ennuyé une seconde, ni livré aux diables noirs ou
bleus de la réclusion indéfinie, car je compte bien en sortir victorieux
par revision ou réhabilitation éclatante - et si je n'en sors que mort,
ce qui devra être le sera après ma mort.
Rien ne tient dans cette incrimination ni dans ce Procès. Il ne vaut
pas la peine de vous en parler davantage, mais une chose m'ennuie,
mes geôliers de Lyon n'avaient pas vu la petite montre 1 et je la gardais
sur moi; les geôliers de Riom l'ont vue et l'ont prise, elle est mainte
nant sous scellés au greffe avec la montre d'acier qui marquait mes
heures. On me la rendra si je suis jamais libéré. Sinon (j'ai tout prévu)
mon testament porte qu'elle soit remise à ma petite filleule : Marie
Gabrielle Pujo, fille de mon co-accusé, co-condamné, co-détenu qui
vous écrit avec moi. C'est Je héros du dévouement.
Son premier mot après notre condamnation (lui à cinq ans !) a été :
<< Je suis content que nous ne soyons pas séparés ! >> Voilà, ma Sœur,
la trempe des amitiés cl'A. F. et qui est aussi celle des amitiés de Lisieux,
vous me l'avez cent fois montré et j'en ai eu d'admirables échos, si
nombreux qu'il n'est pas possible de les rappeler ici ni de leur répondre
dans une lettre, si longue et si gribouillée qu'elle soit. Mais la haute
sérénité de votre vie et de votre pensée vous permet de tout voir d'un
seul point de vue, tandis que nous dénombrons péniblement toutes les
parties des choses humaines. Merci de tout ...
Ma joie a été de lire, ces jours-ci, le message de Noël de SS. Pie XII.
Ces pages sont très fortes et très belles. J'ai beaucoup admiré l'ensemble
et le détail et particulièrement dans ce détail, entre deux virgules, la
noble exclusion que le Saint Père a pris soin de faire de la question de
la Monarchie absolue 2 quand il traitait d'autre chose : de !'Etatisme
absolu (on voit bien que Sa Sainteté lit Bossuet...).
C'est dans ces occasions que l'on se sent malheureux de n'avoir plus
1. Un reliquaire en forme de montre qui contenait une relique précieuse de sainte Thérèse
de !'Enfant Jésus, dont Maurras ne se séparait jamais.
2. Radio-Message de S. S. Pie XII le 24 décembre 1944. La phrase que Maurras relève est
celle-ci : • L'absolutisme d'Etat (qui ne saurait se confondre comme td avec la monarchie
absolue dont il n'est pas question ici) ... •
LETTRES DE PRISON
1. S. S. Pie XII citait, en effet, dans son Message de Noël 1944, ces phrases de !'Encyclique
Ubertas où Léon XIII déclarait que selon l'enseignement de l'Eglise • il n'est pas défendu
de préférer des gouvernements modérés de forme populaire, pourvu que reste sauve la
doctrine catholique sur l'origine et l'exercice du pouvoir public. •
2. Ibid. • Peuple et multitude amorphe ou, comme on a coutume de dire, • masse • sont
deux concepts différents. Le peuple vit et se meut par sa vie propre; la masse est en elle-même
inèrte et elle ne peut être mue que de l'extérieur... •
MAISON CENTRALE DE RIOM
A HENRI RAMBAUD
5 avril 1945.
Mon cher ami, c'est aujourd'hui que j'ai votre lettre du 26 janvier!
Comme c'est loin, comme c'est gai ! Car enfin tout va lentement, mais
tout arrive. Il m'est possible de vous remercier aujourd'hui de votre
belle déposition, que l'on me transmettait au fur et à mesure, et dont
j'ai eu des échos depuis, bien que la sténo ne me soit pas arrivée encore.
Je vous prie de remercier Madame Henri Rambaud de sa belle prière 1 :
j'ai une dévotion particulière à Madame Elisabeth, en raison de la scène
splendide qui précéda son ascension sur l'échafaud. J'ai lu et relu ces
belles lignes mais je vous avoue que mes pensées sont beaucoup plus
frivoles. J'ai, d'ailleurs, beaucoup rimé ici et ailleurs. Je compte vous
envoyer d'ici peu, je ne sais comment, un nouveau chargement de rimes,
il y en a pas mal, et vous verrez ce que ça vaut. Hélène a dû vous faire
passer mon << Martigues » (Où suis-je ?) 2, il est à classer dans le bouquin,
mais ce n'a été que l'inauguration ici. Depuis, il y a eu bien autre chose,
et assez varié. Vous avez dû recevoir aussi deux ou trois cahiers de
prose, confiés à ma nièce et que je ne voulais pas me faire confisquer
ici. Peut-être un jour verrez-vous P. Varillon revenir vous demander
la communication de mon conte policier, moral et magique, le Mont
de Saturne. S'il en a besoin, laissez-le-lui, - et voilà mon Testament
littéraire I Dites à Madame Henri Rambaud que je me souviens avec
joie de l'après-midi d'août ou de septembre aetnier où je l'ai envahie
à Lyon pour vous lire des rimes. Quelle drôle de spécialité à vous et
à moi I Le Thomas en robe rouge 8 ne devait pas trop se douter de ça !
Mais de quoi se doute-t-il l Ici, on n'est pas autrement mal. L'existence
est une chose tellement relative que je suis devenu presque sans opinion
sur l'heur et le bonheur. Mes opinions politiques sont seules invariées.
Mais vous les connaissez et je vous envoie toutes mes vives amitiés très
reconnaissantes.
CH. M.
1. Mme Henri Rambaud avait recopié pour Maurras, pendant son procès, la prière com
posée par �mt> Elisabeth de France quand elle était à la Conciergerie avant de comparaître;
le 9 mai 1794, devant le Tribunal révolutionnaire qui la condamna à mort :
* Que m'arrivera-t-il aujourd'hui, ô mon Dieu ? Je n'en sais rien. Tout ce que je sais,
• c'est qu'il n'arrivera rien que vous n'ayez prévu, réglé, voulu et ordonné de toute éter
« nité. Cela me suffit. J'adore vos desseins éternels et impénétrables ; je m'y soumets de tout
• mon cœur pour l'amour de vous... t Cf. Correspondance de Madame Elisabeth, publiée par
F. Feuillet de Conches, p. 38.
z.- Poème recueilli dans I..a Balance i11térie11re (pp. 191, 192).
3. L'avocat général Thomas.
MAISON CENTRALE DE RIOM 39
1 5 avril 1945 .
Ma petite Jeannette,
J'ai eu le plaisir de voir Ninon quatre fois cette semaine et la dernière
ce matin. Elle va à Lyon et doit y rester quelques jours, ceci la prévien
dra peut-être et t'apportera ainsi de ses nouvelles. Je ne crois pas que
le voyage l'ait fatiguée, elle était fraîche et bien portante. Je l'ai chargée
de mes amitiés pour vous tous, et aussi de questions auxquelles j'espère
que vous me ferez des réponses détaillées. Pour nous, cela va bien
ici, et ce n'est pas la peine de se faire beaucoup de mauvais sang pour
nous I J'ai naturellement des soucis qui tiennent à beaucoup de choses
dont j'ai eu à m'occuper, mais à l'impossible nul n'est tenu, et, pour
le reste, on peut prévoir et pourvoir.
J'ai beaucoup, mais beaucoup travaillé, exactement du matin au
soir, lu à force, préparé beaucoup d'autres travaux, et c'est une distraction
dont on ne se lasse pas. Ma vieille bête, malgré les septante-cinq prin
temps qui vont lui échoir, ne se trouve mal d'aucun régime. Dis-le
à nos amis marseillais, qu'ils prennent notre mal en patience, et le leur,
si, comme je m'en doute, ils ont aussi leurs gros ennuis. J'ai oublié de
dire à Ninon de faire mes amitiés à Duneau, à Chauvet1, à Monsieur et
à Madame Teisseire 2, répare cet oubli. Il faut aussi embrasser V. et
Marie G. 3 • Je les reverrai tous avec plaisir, un jour ou l'autre, et c'est
avec le même plaisir que je pense à eux. Apprends-leur que, dans la
Francisque, ordre du Maréchal, j'avais le n° 2068. J'ai le numéro
d'écrou à Riom zo48. C'est une rétrogradation de zo points sur des
tableaux un peu différents. Je vous embrasse bien, ma petite Jeannette,
avec les enfants.
Ton vieil oncle et père adoptif,
CHARLES MAURRAS
... Depuis six mois, deux ou trois pages de Pascal 2 ont remplacé, à
déjeuner, Virgile et Lucrèce. Plus je le lis, plus il me fait horreur lui,
sa sœur, sa nièce, toute la bande ! Ils sont durs, grippe-sous, _perdus
d'orgueil. Et leur miracle de la Sainte-Épine? Un miracle contre l'Eglise !
C'est horrible... Leur idée de la grâce est tout ce qu'il y a de plus épou
vantablement renfrognée ... La charité des Pascal est toute hérissée de
haines, et de là sort leur tristesse, leur dolorisme, leur goût de la des
truction. 0 lectrice de Sainte-Beuve, pardonnez-moi ce carnage de vos
héros !
J'ai juré cent fois que je n'aimais pas Pascal... Dans ma lettre d'hier
à Sœur X 3, je n'ai pu m'empêcher de lui dire tout le mal que sa chère,
belle, douce, tendre et délicieuse sainte Thérèse m'a fait penser de la
famille Pascal...
...Je me suis replongé dans le monde de Pascal (après la relecture de
La Famille Martin de Lisieux), leut antipode, l'antipode de la sagesse
thérésienne ...
... Oui, si vous le pouvez, au fur et à mesure des volumes lus, faites
moi passer le Port-Rqyal. Cela me rajeunira de la bagatelle de soixante
cinq ans ou plutôt de soixante-six, car c'est bien à quinze ans que j'ai
fait cette grande lecture à la Méjanes d'Aix, tellement ensorcelé par ce
diable de Sainte-Beuve que, à la première invite, je m'étais mis tout
bonnement à rimer un Conte de La Fontaine (rien que ça!) intitulé
comme il le voulait, L'Abbesse de Maubuisson 4• Si vous rencontrez
cette Abbesse (c'est je crois au premier volume), faites-moi l'honneur
1 . Ces lettres de Riom, adressées clandestinement à Mme la Comtesse Joachim de Dreux
Brézé ne furent, par prudence, presque jamais datées. Il fallait, en effet, se garder d'y faire
figurer un signe, un nom, qui, si elles eussent été saisies au « passage �. pussent permettre
d'en identifier la destinataire. On devait aussi, ne fût-ce que pour éviter au prisonnier une
peine disciplinaire, user d'un langage sibyllin, convenir de pseudonymes obscurs ou de pré
noms pour désigner les personnes de qui l'on parlait, et transmettre ces lettres par des voies
imprévues. Pendant deux ans, la correspondance qui s'était ainsi établie avec la comtesse
de Dreux-Brézé put se poursuivre sans dommage, jusqu'au jour où celle-ci fut u-ahie. Elle
fut arrêtée à Riom,:le 29 février.1947, et dut ensuite quitter la ville où Maurras était prison
nier.
2. Cette correspondance relative à Pascal est composée de fragments de lettres succes
sives, mais de la même époque, dans l'ordre même où Maurras les a écrites, et qu'on a
rapprochés, aussi garde-t-elle le rythme de sa pensée sur ce grand sujet. Œ. Pascal pll11Ï, où
elle a été en partie utilisée par Henri Massis dans son introduction, pp. 13-30.
3. Sa « sainte correspondante t du Carmel de Lisieux. Cf. plus haut lettres du
29 novembre 1944 et du 29 mars 1945.
4. Sur l'Abbaye de Maubuisson et les désordres de son étrange abbesse, Mme d'Estrées
cf. : Sainte-Beuve : Port-Royal, édition documentaire établie par R. L. Doyon et Ch. Mar
chesné, t. I, pp. 141 et s.
MAISON CENTRALE DE RIOM 41
Si vous voulez vous amuser, mais là, bien, en plein, il faut lire la Rela
tion sur le Quiétisme que, grâce à vous, l'abbé L. m'a prêtée ! Vous décou
vrirez le génie comique de Bossuet. Celui de Pascal n'est pas douteux dans
les Provinciales; celui de Bossuet est certainement supérieur. Pauvre
Fénelon I Mais je ne le plains pas : il était fourbe ...
sans grosses difficultés ... J'ai dit un ·mot à l' Abbé aux yeux de lumière.
Il m'a parlé du Ne nos inducas 1 . . . Cela a fait beaucoup d'idées remuées
au bout desquelles je lui ai demandé si ce morceau du Pater n'était pas
un vestige du premier jansénisme ou paulinien ou augustinien des
Primitifs ? Ai-je besoin de vous dire en toute humilité que je n'en sais
rien ! Il y a tant de choses inouïes comme suite régulière du même dogme 1
Ajoutons : tout aide à la liberté et au salut éternel de tous. L'abbé Mugnier
disait : « Il y a bien un Enfer, mais il n'y a personne dedans 1 » Et c'est
d'amour, de bonté, de bienfaisance qu'il est surtout question. Mais
Massillon n'est pas si loin avec son petit nombre des élus, et les Pensées
du grand homme 2 ne valent évidemment que pour donner la chair de
poule à tous. Il est à croire (ou à rêver) que l'idée d'un Dieu tentateur
ne s'agrège pas mal à l'idée du Dieu qui damne ses créatures par la plus
inflexible des prédestinations I On n'en sort pas, vous le voyez, quand
on ne possède pas le divin parti pris de la foi.
Vous m'avez parfaitement écrit que vous vous sentiez un peu jansé
niste... Ce que vous aimez de ces gens-là, leur courage, leur fermeté,
leur héroïsme public, je l'aime. ... Vous dites bien : ils sont orgueil; mais
ils sont aussi impuissance ... Avant-hier, au fil de la plume, écrivant un
petit travail politique dont je vous parlerai, je me suis laissé aller à
cette incidente : L'orgueil, fléau du monde ... et je suis resté la plume en
l'air en m'apercevant que je tombais sur une des grandes pierres d'angle
de ma pensée, ce dont je ne m'étais jamais aperçu!
qui ait fait cet ouvrage. - Vous vous moquez, dit le hanneton. C'est
un hanneton tout plein de génie qui est l'architecte de ce bâtiment. »
... Merci cent fois du tome III . de Port-R.oyal. Oui, j'ai en tête sur
Pascal, non certes un grand ouvrage, mais un tout petit, un petit conte
fait peut-être pour vous intéresser parce qu'on y verra pourquoi le
jansénisme a ouvert l'écluse à la pire irréligion. Je ne pense pas vous le
conter. Il s'appelle Pascal p11t1i. La scène est au bord du Styx.
... Certains mots font que je m'arrête pantois, si par exemple vous
parlez d'une grâce qu'il faille acheter. Le vieux cheval de retour se cabre
et bondit! Tout son << Port-Royal », bu et rebu, lui remonte aux lèvres!
Une grâce achetée mérite-t-elle ce nom, jésuite ou janséniste? Je reste
encore en bataille contre un monde de contradictions ennemies. Qu'y
faire? Votre grande copie, que je · conserve, montre pourtant que vous
ne pouvez non plus vous abstenir de demander aux mots l'exacte couleur
de leur sens. Et ces éclaircissements ne vous mécontentent pas, bien
que vous trouviez le plus inexplicable des refuges en certaines douces
ténèbres I Le clair est donc que tout cela me passe, surpasse, dépasse,
déborde et me noie, et je n'ai plus qu'à couler, archisabordé, moi aussi,
mais, moi, du mauvais côté !
Pascal puni prend forme très lentement. Je n'ai encore rien écrit et
le retour au vieux Port-Rqyal, grâce à vous, l'a beaucoup enrichi.
... J'ai beaucoup aimé le chapitre de Sainte-Beuve sur Malebranche.
J'ai toujours détesté ce pseudo-philosophe qui n'est qu'un rhéteur que
je ne lis pas sans impatience. Je ne suis jamais parvenu à finir un de ses
livres. Je les ai tous commencés, tous laissés en plan avec un véritable
dégoût que n'est jamais parvenu à dissiper la séduction de l'éloquence
polie et du bien dire. La critique qu'en fait Sainte-Beuve m'a soulagé
44 LETTRES DE PRISON
1 7 juin 194 5 .
Ma petite Ninon,
24 août 194 5 .
Cher Monsieur l'Abbé,
Je tiens à vous remercier de votre lettre qui m'a fait le plus grand
plaisir, pour les nouvelles qu'elle me donne, et aussi pour le bon air
1. Jean-Oaude, fils de Mme Georges Blanc-Maurras et neveu de Mlle Hélène Maurras.
z. René Colle, cousin de la famille Maurras.
LETTRES DE PRISON
Ma petite Ninon,
J'ai reçu ta lettre sur le retard de ton voyage et j'y répondrai en détail
dimanche prochain. Aujourd'hui c'est un courrier supplémentaire
qui doit te mettre au courant d'une décision ministérielle, en date du
.z.z octobre, don de joyeux avènement de la nouvelle Chambre qui
augmente généreusement notre ration de pain ! Par contre le nombre
de nos colis est ramené par mois de 4 à .z. Vous voilà prévenus. D'autre
part, notre provision de linge peut être renouvelée. J'ai ce qu'il faut
comme vêtements ou sous-vêtements d'hiver, c'est de serviettes que
j'aurais besoin. Remercie Madame Teisseire des chaussettes qu'elle
veut bien me tricoter, c'est merci oui. Dis le même merci chaleureux,
mais merci non, à Pélissier 1 pour sa chancelière, elle ne m'est pas néces
saire, et pourrait-elle entrer ?
Je te serai très, très reconnaissant d'écrire à M. Chauvet, à Martigues :
la saison avance, je crains la pluie, la neige, le vent violent pour mon
toit. Si comme je l'espère on peut avoir des matériaux, il faut que les
réparations sérieuses, essentielles, soient faites sans plus tarder et vrai
ment tout de suite ! M. Chauvet sait le chiffre que je veux y mettre, je
l'augmenterai au besoin; si Terras 2 est libre qu'il prenne mon chantier
immédiatement. Je me fie à M. Chauvet, à son expérience, à son goût,
à son amitié, pour que la nouvelle pente du toit et son incidence sur
1. M. Pélissier, d'Aix-en-Provence, grand ami de Maurras et maurrassien fervent qui
prépare un supplément au Diçtiom,ain po!itiqlM.
z. Maître maçon de Martigues qui a scellé la pierre de borne où a été placé le cœur de
Maurras dans son jardin du Chemin de Par.idis.
LETTRES DE PRISON
24 novembre 194 5 .
M a petite Jeannette,
C'est encore moi, lettre ou billet supplémentaire, accordé pour prévenir
les nôtres que les quatre colis par mois sont rétablis; ce dont je me
félicite.
J'avais fait ce que la sage Ninon m'avait conseillé, en avais référé
au médecin d'ici, mais la direction n'était pas compétente pour décider
et m'avait répondu de m'adresser au ministre. Comme il s'agissait de
mon droit de cardiaque et non d'une faveur que je n'aurais jamais
demandée, j'ai écrit à Paris l'exposé de mon cas. Mais ce n'est pas ma
lettre qui a décidé le revirement! Il s'agit d'une mesure générale. Il
m'eût un peu gêné de bénéficier d'un traitement plus favorable que
mes compagnons de geôle. Néanmoins j'avais passé outre parce que
l'égalité n'est pas la justice et qu'un homme de 77 ans 3/4, qui a une
maladie de cœur, ne peut pas être mis sur le même pied gue des gail
lards de 5 0 ou 60 ans qui n'ont pas ce bobo !
Enfin vous voilà prévenus, ainsi que nos amis de Marseille 1 Au
bout des quinze lignes autorisées, je vous embrasse tous, votre vieux
2048 et parrain.
CH. M.
MAISON CENTRALE DE RIOM 49
2 décembre 1945.
Mon cher petit Jacques,
.... Il y a aujourd'hui soixante ans que ton père, ta grand-mère
et moi, nous sommes arrivés et installés à Paris par un jour bien brumeux.
Ton père y est resté sept ans : études classiques et début de sa méde
cine; ta grand-mère, dix ans ; et moi (cela fait trembler!) cin
quante-cinq ans, jusqu'à l'exode ! Je croyais n'avoir fait, pendant les
premières années, que de la philosophie. Pas du tout! De 1885 à 1890,
j'ai connu presque tous les maîtres et amis de ma vie littéraire : Mistral,
Barrès, Moréas, Anatole France, Amouretti, et, dès 1894, j'avais publié
mon Chemin de Paradis. C'est mon voyage d'Athènes, en 1896, qui
m'aiguilla, décidément, vers la politique, et le premier quart de mon
existence parisienne, ses quinze premières années, s'est couronné par
mes campagnes contre Dreyfus. La fondation de l 'Action française et
l'Enqulte sur la Monarchie : 1900. Les trois autres quarts ne font pas
de moins bonnes divisions. De 1900 à 191 5 , c'est la rencontre mémo
rable de Léon Daudet, la fondation du journal quotidien, nos cam
pagnes (avec Bainville) en vue de la guerre certaine à prévoir et à pré
parer, les appels à l'union sacrée, la guerre à ceux qui organisaient
l'anarchie devant l'ennemi. Troisième quart, après la victoire, l'effort
pour empêcher d'en dissiper le fruit, la critique du Mauvais Traité 1
et des abandons, et, à travers deux grands deuils, celui de ton père
et celui de ma mère, la défense de nos dernières positions en Allemagne
contre l'abandon de Mayence, notamment! Mayence I Mayence I C'est
dans ce troisième quart que tu es arrivé à Paris, mon petit Jacques!
Et puis le dernier quart 1930-1945, la lutte pour la conservation de
la Sarre, l'opposition à la guerre, celle de 193 5, qui m'a valu la glo
rieuse prison de l'année suivante 2, et les malheureuses années finales
où nous n'avons pu empêcher la catastrophe de 1939, malheur, il est
vrai compensé pour moi par ma très glorieuse prison d'aujourd'hui,
où m'ont jeté les responsables de notre débâcle, les auteurs du coup
de folie du 3 septembre I Voilà une table récapitulative qui pourrait
servir à un biographe 1
J'attends une lettre de toi. Dis-moi que tu te soignes. Le médicament
1. Charles Maurras. L, Mauvais Traité : In la Victoire à Locarno. Chroniq1'1 d'llll8 décadence,
Paris, 1928.
2. En 193 5, Charles Maurras avait publié dans l'Action française un article intitulé « Assas
sins ! • où il s'opposait à une guerre contre l'Italie destinée à châtier cette dernière de sa
conquête de l'Ethiopie. Il devait, en 1936, écrire un autre article qui promettait à Léon Blum
qu'il serait la première victime de sa politique si elle amenait une telle guerre. Cet article
valut à Maurras d'être condamné à huit mois de prison.
LETIRES DE PRISON
Oui, Vive l'An i C'est le bon. Et, voyez, comme il chante en nais
sant. Le dernier mot de ma lettre de Noël était une espèce de rime à
la nouvelle Isabelle et, depuis 9.ue le papier s'est envolé, cette rime m'a
couru après, j'en ai été pourswvi au point d'en être inquiet et je me
disais qu'il y avait là plus qu'un jeu de voyelles semblables, une espèce
de musique lointaine s'y adaptait... Puis comme s'ils sortaient d'un
nuage d'autres mots sont venus et j'ai entendu : Isabelle to11te belle -
mais l'inquiétude subsistait, et puis, la nuée sonore s'est entrouverte,
elle a dit : - Hirondelle - toute belle et j'ai reconnu une vieille petite
chanson bien lointaine, en effet, que me chantait ma mère :
Hirondelle - toute belle - dis-moi, l'hiver où vas-tu?
A Athènes, chez Antotlène - Pourquoi le demandes-tu ?
1. Dans c:cttc correspondance clandestine où il leur fallait user d'un langage secret. t1i111t
désignait les lettres de Maurras et t1a les réponses de la comtesse de Dreux-Bré�
MAISON CENTRALE DE RIOM
z.8 forme
Aucun air de pipeau sur les bouches rebelles,
Nulle touÇhe d'ivoire au bout de leurs doigts clairs.
A LA COMTESSE DE DREUX-BRÉZÉ
1. Ce mot désignait les colis alimentaires contenus dans des boîtes à double fond où la
comtesse de Dreux-Brézé dissimulait les lettres, coupures de journaux, renseignements,
avis, timbres, etc •.. qu'elle faisait « passer » au prisonnier. Rien ne fut découvert avant son
arrestation, en février 1947.
2. Les prisonniers politiques condamnés à quatre, cinq ans de détention.
3. La Pi,rr, d, Magnès était le nom donné par les alchimistes à la pierre d'aimant.
4. Richard Simon, auteur de l'Histoirurititjllt du Vieux Testament (1673), un des premiers
essais d'exégèse rationaliste de la Bible, contre lequel Bossuet écrivit deux Instr11Gtions paslo
rahs (1702-1703).
MAISON CENTRALE DE RIOM
1 3 janvier 1 946.
I. Son collaborateur de l'Action français, Georges Calzaot. qui sera souvent désigné
dans cette coacspoodaoce par son seul prénom.
54 LETTRES DE PRISON
1. Dès juillet 1940, Maurras lui avait écrit en lui donnant congé : « ... Nous nous honorons
de vous tenir à l'écart. pour rester entre Français. clignes de ce nom. •
MAISON CENTRALE DE RIOM
remercie-le bien! Fais de même pour Jaffard, pour lui et pour le Racine
d'Uzès 1 • Ne 1>9urrait-on avoir cette République de Martigues autre
ment? Pierre Varillon ne pourrait-il voir si le volume ne serait pas
trouvable d'occasion? Madame Ruxton, morte en Angleterre, l'avait
peut-être, même sûrement. On pourrait voir ses héritiers qui n'en ont
que faire, et je serais très heureux de faire ce plaisir à Nastia. Bien entendu
tous les frais seront pour moi, dis-le bien! Tu as bien fait de remettre à
Dromard le cachet de bronze qui est nécessaire là-bas. Tu peux garder
les autres petits objets que je t'ai priée de prendre à Lyon. Que personne
ne s'inquiète, je viens d'avoir une toute petite crise de fièvre et de bile,
ce n'est rien, c'est dijà fini. Je pense que vous allez tous bien. La lumière
revient, c'est le printemps, vos petits oiseaux travaillent-ils toujours
aussi bien, et Jean-Claude prend-il goût à la procédure? Quelles nou
velles des Pierangéli 1? Fais mes amitiés à tous... et je ne freine même
pas pour toi, les z.048 épreuves auxquelles vous avez droit 1
Ton vieil oncle.
CH. M.
A LA COMTESSE DE DREUX-BRÉZÉ
Je Vient
... Pour le Père de Judas non pas de chahut, à aucun prix. D'abord
3,
nos ennemis le désirent, ils sont capables de l'organiser comme aux obsèques
de Bainville. Je me dois, je dois à la << vieille dame » ' d'éviter toute chose
pareille. Pour ceux qui disent qu'elle ne s'est pas bien conduite avec
moi, je dois épuiser les galanteries avec elle. Donc, interdire énergique
ment. De même si la brochure à réimprimer contient une phrase peu
galante, évitons cela... Nous devons éviter tout ce qui peut être assimilé
au bruit, aux cris, nous pouvons et devons faire briller en silence, mais
en silence éblouissant, nos raisons. Merci pour toute la peine que vous
a donnée Judas. C'est ça, quand on l'aura, qui en sera une raison, vous
verrez I Je tâcherai de ne pas y mettre un adjectif qualificatif. Tout
sortira du fait exposé comme du linge sal� ou propre en plein soleil.
Je suis en souci du Breu 5 que vous aviez si bèllement acheminé et escorté
1. Jean Racine : Lettres d'Uz.h, commentées par J.-J. Brousson (1930). Cc livre, ainsi que
la RlpubliqNe d, M4rligus, avait été publié par son ami Jaffard.
.2. Mme Pierangéli. nièce de Charles Maurras et sœur de Mlle Hélène Maurras et de
Mm• J. Blanc-Maurras.
3. Paul Claudel qui allait etre reçu à l'Académie française. Maurras fait allusion au poème
intitulé : La mort d# Jlllias, poème qu'il met en cause dans sa brochure : Un1 pro motion d#
Jlllias, publiée sous le pseudonyme de Pierre Garnier, Paris, 1948.
4. La vieille dame du Quai Conti : l'Académie française.
5. Breu d# me'llnri (abrégé d'un Mémoire), Aix-en-Provence, 1949. Défense de Charles l\faur
ras devant le Consistoire du Félibrige.
MAI�ON CENTRALE DE RIOM 59
1. Le Félibrige.
2. Me Dumerin, avocat à la Cour de Cassation, chargé du procès en revision de Ch. Maur
ras.
3. Marcel Justinien, directeur de l'Indlp,ttàa,,c, frallfaÏJt qu'il venait de fonder. Souvent
désigné dans cette correspondance par les abréviations de ]NSI. ou de ]NSlin.
4. Louis Gonnet, son secrétaire et ami, archiviste de l'.Aclionfranfai.re.
60 LETTRES DE PRISON
10 février 1946.
Ma petite Ninon,
I, Arsène Gouin
2, La découverte, chez un libraire de Genève, d'un exemplaire de Sextus Empirk11.t (texte
grec et latin) que Maurras souhaitait relire pour son Pascalpuni, afin d'y trouver rassemblés
les arguments des sceptiques et des pyrrhoniens.
MAISON CENTRALE DE RIOM 61
10 mars 1946.
Ma petite Ninon,
Merci cent fois de ta bonne lettre archéologique du 2 5 février .... ?
Sais-tu quels ont été les titre et nom élus par Armand 3 ? Dis-les-moi.
Pour nous, ne le gênons pas puisque c'est fait ! Je suis content de savoir
que c'est Roland 4 qui fouille à Marseille : dans son discours à l'aca
démie d'Aix, il a parlé de citadelle marseillaise à propos de notre Mur
grec; en ôtant citadelle, on s'entendra. Nous voici sur le plan incliné
de la victoire I En relisant le IV0 chant de l'Enéide Ge lis cent vers de
Virgile chaque matin) je me suis fait une idée très nette de cette position
1. Georges Valois n'avait cessé de poursuivre l'A&lion françaùe de son ressentiment depuis
1926 où celle-ci avait dû rompre avec lui. Pendant la guerre. il avait intenté à Maurras un
procès en diffamation.
z. Georges Calzaot.
3. Il s'agit de poèmes tirés de la Balance intlrit11re. L'éditeur Armand Lardancbet en avait
extrait, en 1946, certaines pièces publiées sous le titre : Ali devant de la IIIIÏI et sous le pseudo
nyme de Léon Rameau.
4. Henri Roland, le savant archéologue marseillais. Cf. plus bas, au sujet de ses travaux
et du Mur grec de Martigues, la lettre du 6 février 1949.
MAI�ON CENTRALE DE RIOM
10 mars 1946.
3 1 mars 1946.
Mon petit Jacques, à la bonne heure! Ta lettre de mercredi 27 m'arrive
à l'instant I Une correspondance est un vrai dialogue : je t'ai écrit, tu
me réponds, je te réplique, et rien ne se perd. Mais ne t'inquiète plus
de mon foie, ce bobo est déjà loin et il n'a pas fait de ravages sérieux!
Je crois que tous les renseignements sur Martigues te seront envoyés
par Mlle G[ibert], et tu pourras établir cette déclaration d'impôts. Mais,
je ne pense pas m'être trompé en faisant allusion aux deux sinistres
2 juin 1946.
Mon bon petit Jacques,
Ta lettre du 16, reçue avant-hier, m'aurait fait le plus grand plaisir
si elle ne m'avait appris ton indisposition. A ton âge rien n'est grave.
Cependant, il faut veiller. Quel malheur que mon pauvre docteur Fies
singer ne soit plus de ce monde! Je t'aurais prié de courir à lui. Outre
une consultation, il t'aurait donné de bons conseils de régime, comme
ceux que je lui ai dûs, voilà vingt-cinq ans, lorsque mon cœur a fait des
siennes et qu'il m'apprit à l'endormir en m'abstenant de pain et d'eau, et
en b11t1ant du vin, si bien q,ue le régime de grenouille ne m'a pas trop entamé
ici. A défaut de Fiess1nger, fais-moi l'amitié, en venant à Riom, de
passer par ½YOn pour y voir un prince de la science du cœur, mon ami
le Dr Bret, - tellement ami, que, lors de mon accident de 1943, il n'atten
dit pas mon retour à Lyon et fit le voyage de Martigues pow: s'assurer
de mon état. Cela te dit son dévouement. Cette visite serait utile et elle
me rassurerait... Tes silences sont bien naturels dans le surmenage
que je te donne, mais j'ai toujours peur qu'un postier, fanatique ennemi,
ne subtilise ta lettre à la vue de mon nom. Convenons de ceci : écris
moi sous double enveloppe au nom de M. le Directeur de la M. C. de
Riom. Cela se fait couramment. Ce sera ma tranquillité. Inutile de te
dire quel plaisir me fera ta venue. Nous étions d'accord de deux envois,
r. Il s'agit d'un t écho • non signé qui parut le 26 novembre 1942, dans l'A,Jionfranfaise,
&lition de Lyon.
MAISON CENTRALE DE RIOM
7 juillet 1 946.
1. Jacques Maurras avait dîné avec Anatole de Monzie, ami de Charles Maurras. -
Hilaire Theurillat, poète romand, éditeur de poèmes de Maurras. - Michel : prénom conven
tionnel qui, à cette date, lui sert à désigner la comtesse de Dreux-Brézé.
z. Il s'agit d'un legs fait à Charles Maurras et Maurice Pujo par u n de leurs amis de Tou
louse qui venait de mourir. Un notaire de Oermont-Ferrand était chargé de sa succcsaion.
68 LETTRES DE PRISON
A PIERRE VARILLON
16 octobre 1 946.
J'ai acheté ici (cent francs) un beau cahier de Lettres inédites du Bailli
de Suffren publiées par Régine Pemoud, archiviste paléographe, docteur
ès lettres, Mantes, imprimerie du Petit Mantois, et j'y vois que les Anglais
ont rangé dans le musée de !'United Service, à Londres, la maquette du
Héros, le vaisseau de Suffren, à côté de celle du Victo,y, le va.tsseau de
Nelson. Saviez-vous cela? Et puis ceci, il y a sur les quais de Toulon,
un banc de pierre que l'on appelle ioH m'an fa tort, sur lequel les vieux
second-maitres de la Marine vont récapituler leurs griefs contre l'admi
nistration. Ah 1 ce bon Suffren ne devait rien aux n/an fa tort les plus
enragés de son temps. Dans ces quatorze lettres, pas un beau cri de
gloire qui ne soit mis à la sauce de la plus belle hargne d'ailleurs justi
fiée... Voici que je n'arrive plus à me rappeler si je vous ai conduit au
Héros de Martigues ou si je vous en ai seu.1ement parlé, celui-ci a été
scu.1pté dans un roc tombé de la falaise d'Istres, par l'abbé de Régis
(Grand bâtiment sans mouvement - qui m'a coûté beaucoup d'argent!).
Jean Goirand, notre admirable ami de Lyon, m'a fait informer par
Hélène du beau procès 1, de votre magnifique attitude et de la plaidoirie
si brillante et si intransigeante de M8 Goncet. Merci à tous. Mais
j'approuve votre refus de recours en grâce. Félicitations!
Mes hommages et mes amitiés à tous. Pour vous, mon cher ami,
tous mes vœux pour que l'indignité nationale retombe sur les malfai
teurs qui ont osé vous l'infliger.
Très cordialement vôtre.
CH. MAURRAS
Ma petite Ninon,
Ce jeune homme aux dents blanches 2 est le filleul de notre
Gérard Tenque, c'est clair. Le moulin dont il a une part tient son nom
de ce que la ville de Manosque possède la plus ancienne Commanderie
de l'Ordre de Saint Jean de Jérusalem, Rhodes et Malte dont Gérard
est le fondateur. C'est Manosque, en 17.2j ou 17.27 qui donna à l'hôpital
de Martigues les reliques du Bienheureux; c'est à Manosque, cin
quante ans plus tôt, que Puget avait sculpté la tête de Gérard conservée
1. Pierre Varillon avait comparu devant la Cour de Justice de Lyon en tant qu'adminis
tratew: de /'A,tion .frattfaise.
2. Maurras répond ici à une lettre de Mlle Hélène Maurras.
MAISON CENTRALE DE RIOM 71
à !'Hôtel de Ville, et que j'ai fait copier pour l'oratoire de mon jardin 1 ;
c'est aux archives de Manosque, avant de découvrir plus décisif à la
mairie de Martigues, que j'ai trouvé les premières pièces par lesquelles
j'ai convaincu René Grousset, l'historien des Croisades 2, que Gérard
était né chez nous et non à Amalfi, comme le prétendent les Italiens.
Tu vois la filiation de J. 1 Si sa grand-tante Berthe était là, elle ne manquerait
pas d'ajouter que nous descendons de ce fameux Gérard. Elle exagérait !
Ce grand saint fut célibataire comme tant d'autres saints sans compter
toi et moi. Puis la famille Tenque n'avait pas de patronyme au x1e siècle,
car personne n'en avait. « Tenque» est une corruption de « tune » Gerard11s
tune, Gérard, alors, dans une Charte. Et s'il exista plus tard des Tenque,
s'ils eurent deux alliances avec nos Sinisbaldi Pistoye, nous ne tenons
à ceux-ci que par l'adoption de ma bisaïeule Rose Pélagie Vidal. Déci
dément, le chapitre Gérard est beaucoup plus beau que mon hypo
thèse du B. de Marignagne, et je loue aussi ce jeune homme de tous
les biens que tu m'en dis......
Je vous embrasse tous et continue à t'accabler en particulier sous
le même nombre d'or et de fer, ton vieil oncle
n° d'écrou 2048 CH. M.
17 novembre 1946.
Ma petite Ninon,
Ce ne devait pas être gai en effet, mais ]es messes des morts 3 ne sont
pas folâtres et le choix de la date forcément retardé n'a pu laisser le
temps de donner les deux ou trois avis en chaire qui alertent d'ordi
naire les gens du pays. Cet accident m'est parfois arrivé quand j'étais
à Paris. Il n'en est pas moins bon que ]'usage en ait été maintenu. Remer
cie pour moi Dromard et Pierre Chauvet. Vous avez dû vous consoler
hier au mariage. Ainsi d11 mal au bien, de lajoie à lapeine,passe la vie humaine !
comme dit Moréas. Je leur ai envoyé de loin mes vœux pour l'avenir
qu'ils fondent.
Ce n'est pas une alliance, mais deux qu'ont eues les Tenque avec
8 décembre 1946.
Voici:
Monsieur le directeur du Pèlerin rue Bt!Jard, 5, Paris, I' Almanach du
Pèlerin pour 1947, arrivé à la Bibliothèque de ma prison, contient page 2.9,
quatre lign_es qui me concernent. Elles sont inexartes. D'après votre récit, pen
dant que M. Bidault était au /ycée du Parc - que je n'ai jamais nommé -
;•aurais, dans l'Action française dénoncé ses occupations professionnelles
que j'ai signalées et publiql(ement regrettées en demandant qu'il ne lui fût plus
permis d 'enseigner à lajeunesse une histoire de France à sa mode. Du temps,
où dans la Presse, il racontait, commentait, et faisait aussi cette histoire, au
temps cruel où il poussait à sa funeste déclaration de guerre (guerre impré
parée, guerre perdue d'avance}, le 3 septembre 193 9,j'avais été effrt!Jé du roman
tisme catastrophique propre à la pensée de Bidault. Je ne désirais pas qu'il
plit la propager aux frais de l'Etat. Mais, soucieux du droit personnel de
chacun,je demandai dans le même article qu'en raison de ses titres (agrégation,
doctorat) M. Bidault reçût une compensation, par exemple, en passant dans
le corps administratif (écono11m, principaux, proviseurs) ou, si ce n'était
pas possible, qu'il touchât une indemnité sur quelque caisse noire parant aux
situations exceptionnelles comme la sienne. - Telle était, monsieur le directeur,
ma dénonciation : le rlcit que vous en faites n'est donc pas seulement hors
I, Supplément littéraire du Figaro (16 novembre 1946) où parut une interview de Paul Guth
au cours de laquelle Paul Claudel, qui avait déclaré devant la Cour de Justice de Lyon qu'il
avait été dlnond par Charles Maurras, faisait cet aveu : « C'est Yves Farge qui me l'a dit. »
2.. Frédéric Mistral neveu.
3. MM. Tessier et Fontan, membres du Consistoire du Féli brige.
MAISON CENTRALE DE RIOM 75
1 8 décembre 1946.
1. Son ami et collaborateur Louis Gonnet était oblat bénédictin. - Robert Havard de la
Montagne.
2. L'Enfant lwi, Paris, 1946. Ce livre est consacré à son fils le lieutenant Jean-Loup Ben
jamin tombé en Allemagne en février 1945.
LETTRES DE PRISON
pudeur, et de manière à faire que tout ce qui fut vôtre fût au moins
entrevu de votre lecteur.
Et (laissez un confrère vous parler de notre art commun) comme
tout cela est solide autant que fluide, ferme autant qu'émouvant! Lamar
tine le disait bien : le pathétique est éternel, et votre livre est emprunté
à la région la plus pure de l'âme; je l'ai lu, relu, et fait lire à mes compa
gnons de chambrée qui en ont été touchés de la même manière. Ils
ont aussi jugé magistrale votre fière façon de fixer vos et nos bourreaux.
Quelle honte pour notre France si elle pouvait être éclaboussée de
cette écume et de cette lie, et de ces prétentions à l'héroïsme 1 Mais
ce qu'ils ont ajouté d'eux-mêmes, et gratuitement, aux dégâts causés
par leur déclaration de guerre contient déjà le verdict de l'histoire. Il
est rendu 1 Il nous reste à le mettre en vigueur. Patience 1 Confiance 1
Le jour de justice viendra pour le Maréchal et pour ceux qui, comme
nous, l'auront écouté, servi et suivi sans Je dépasser.
Mes respectueux hommages à Mme René Benjamin. Je n'ai pu
m'empêcher de sourire tristement de loin, à votre évocation de
Mme Ruxton 1 et de ses femmes de Shakespeare, que j'ai tant que
rellées 1 Ainsi va la vie et les morts.
De tout cœur, monicher ami.
CHARLES MAURRAS
A PIERRE VARILLON
14 janvier 1947.
Mon cher ami,
Merci très vivement pour vos lettres du 1er et du 3. Je reprends tout
à rebours pour revendiquer les droits de mon filleul offensé par votre
malice. Pourquoi voulez-vous le dépouiller en ma faveur de ce beau
1 6 en grec? Je n'en ai jamais eu autant ! C'est donc moi que vous humi
liez ! Mes notes en 1876-1 884 en toutes langues ou matières ne mon
taient jamais au dessus de 6. Ainsi votre Charles a certainement ces
dix points en plus sans parler du reste. Félicitez-le donc très vivement
et embrassez-le de ma part. Que 1 947 lui soit beau et bon i ...
r. Geneviève Ruxton, amie de Charles Maurras, auteur d'un livre sur la Di/eç/a de Balzac.
Elle mourut en Angleterre pendant la dernière guerre.
MAISON CENTRALE DE RIOM 77
Je suis très content de vous avoir parlé des lettres de Suffren 1 • Je doute
qu'elles fassent beaucoup de lumière sur la personne obscure d'un si
grand homme. Mais c'est son écriture physique qui est belle à voir.
J'ai un peu l'habitude des graphies de ce temps et le plaisir que me
fait la sienne est incomparable. Il me suffit de la regarder pour entendre
chanter les couplets des martégaux de Mistral.
Quant à l'amiral Auphan, oui, et par la suite il fera plus encore,
et << les fruits passeront les promesses des fleurs ». Grande réserve
d'hommes. Mais pour quand ? Il me semble que l'avenir a de terribles
détroits en préparation. Mais là, j'ai confiance, redites-le lui I Il me
plaît de penser qu'il pense que l'on pense à lui quand on n�a pas perdu
la foi en la France. Et qui la perdrait ?...
Je reviens à votre pessimisme. Les avocats! Je suis puni du mépris
que j'ai toujours montré à la robe, à celle-là du moins. Marie de Roux 2
n'a pas laissé d'héritiers, sa passion, sa vue, son coup d'œil de bataille 1
Quand je me rappelle le procès militaire mené contre Schrameck 3,
mes deux ans de prison, réduits à un an et avec sursis, etait-ce beau ?
Et toujours l'épée en ligne et l'adversaire menacé et l'honneur
porté haut comme le front I Evidemment si Goncet se laisse
dindonner par un primaire comme Thomas... mais ce n'est pas le cas.
J'ai sous les yeux une lettre de Goncet admise ici en disant que c'est
lui G. qui a choisi comme la meilleure des voies : la contumace. Tous
les arguments juridiques que vous me donnez ont tous une contre
partie par laquelle on peut parer, riposter, et quand on sait tirer, embro
cher. Raconter au client qui a le derrière sur le banc d'infamie, qu'il a
perdu sa personnalité et ne peut sortir du pétrin, alors qu'il y est de
cœur, de c ... et de bourse, c'est tout franc se moquer de lui, et dans
ses prudences et ses roueries, quelle bêtise 1 quelle profonde incom
préhension de ce que je voulais! La reconvention je m'en fous, et m'en
contre-fous ; mais ce dont je ne me fous pas, c'est des conclusions déposées
par l'avocat. Pour rejeter des conclusions il faut un jugement. Et ce
jugement devra dire que nous devons payer l'Etat, nonobstant que
l'Etat nous ait laissé piller par les Allemands et les Communistes.
C'est ce << nonobstant >> monstrueux qu'il fallait avoir pour le montrer
à !'Histoire, pour en faire de la gloire, pour en tirer argument et armes
politiques pour la Justice et la Patrie. Cet élément moral ici passait
tout, c'était lui qu'il fallait constituer comme un arsenal pour l'avenir.
N'y aurait-il pas un moyen de me mettre en cause, moi, personne
physique, comme ils disent ? Soit que je parle du pillage personnel
1 . Cf. plus haut la lettre du 16 octobre 1946.
2. Son avocat et l'avocat de /'A,tion fraflfaist, Me Marie de Roux, bâtonnier du barreau
de Poitiers.
3. Abraham Schrameck, ministre de l'Intérieur que Maurras, dans une lettre publiée par
l'A&tionfrMlfaise le 9 juin I92 5, avait menacé de mort, s'il continuait à désarmer les patriotes :
• Nous vous tuerons, écrivait-il, comme un chien. •
LETTRES DE PRISON
dont j'ai été v1ctJ.me, rue du Boccador 1, plus de 1 800, peut-être
2. ooo volumes et de ce qu'ils m'ont chapardé rue de Bourgogne où ils
ont maintenu les scellés de bout en bout, cela ne m'autoriserait-il pas
à une action? Mais pour imaginer des coups droits ou obliques de
cette espèce, il faut avoir le diable au corps pour soi et pour son client.
Le martyre? Je ne connais pas une seule victoire dans l'histoire du
monde qui n'ait postulé le martyre. Si nous ne visons pas la victoire
nous sommes bons à donner à manger aux chiens I Voyez s'il n'y a pas
un avocat jeune, ardent, ambitieux qui ait le goût du risque. Je sais
bien que les tribunaux ne sont plus ceux de 1936, qu'il n'y a pas de
presse libre, que les langues ne se délient pas. Croyez que je sais tout
cela. Mais, sapristi ! je sais aussi qu'il y a sur cette chaise et sur cette
table une vieille peau capable d'action. Je veux dire aussi de passion
pour agir et souffrir fructueusement, à la simple condition de goûter
les joies qui viennent et qui viendront immanquablement. Ce séquestre
qui ne fait pas son devoir en faisant valoir nos droits, ne puis-je le pour
suivre? Et, point qui n'a jamais été étudié, ne puis-je intenter de pour
suites aux faux témoins dont on a établi et peut établir à toute heure les
faux témoignages? J'ai honte de penser au temps que je vous ai fait
perdre, vous avez autre chose à faire, mais ce soir avant de vous endormir
ou demain matin avant de vous débarbouiller, vous pouvez donner
cinq minutes à la question et voir ce qui peut être fait dans tous ces
ordres de choses, toutes les vérités si dissemblables que l'on peut résumer
sous le même titre de : en avant ! Vous savez ce que je pense de l'action
à tout prix et pour l'action, mais je n'en suis pas plus favorable pour
cela à l'inaction. Cette condamnation de l'A. F. par contumace, sans
un mot de protestation, sans un bris de vaisselle, sans une bottine
lancée à la tête du Président, me parait une monumentale et monstrueuse
bêtise I C'est devant !'Histoire l'abandon, la démission devant l'Eternel.
Vous voyez que la prison ne me calme pas. Il ne faut pourtant pas qu'elle
ait l'air de clianger l'A. F. I
Pour les idées, pour l'action, chacun fait de son mieux selon ce qu'il
veut. Les uns ont tenu ferme l'union matérielle. Les autres ont poussé
une action intellectuelle merveilleuse, je pense en particulier à /'Indé
pendancefrançaise, qui malgré ses derniers malheurs me parait une grande
espérance et d'avenir.
Je supplie tout le monde d'aider à tout et à tous, en versant de l'huile
(d'oli, d'oli l) dans les rouages qu'il faut absolument empêcher de grin
cer. J'espère que nous serons d'accord sur tous ces points.
Laissez-moi ajouter que je suis en souci sur le cas du jeune Michel 2 •
J'ai eu son roman sous les yeux, mais vous savez comme je lis mal les
6 mars 1947.
ENVOI
Mais c'est ici-bas, au cœur de /'Etoile
Qu'en ton milieu même, ô Saint Carrefour
L'Esprit d'un beau Corps a levé son voile
Et m'a révélé la grâce d'Amour 1. . .
... Comme l'auteur entrera dans sa 8oe année le 20 du mois prochain
et qu'il y a là-dessus plus de vingt-cinq mois de prison, conclus et fais
conclure qu'il est resté de belle et gaillarde humeur. Montres-en la
preuve à Michel, à François, à Georges, et sache que ton vieil oncle
n'oublie pas non plus que tes beaux trente ans s'accompliront en mai.
Je t'y regarderai des hauteurs de mon aînesse d'un demi-siècle, sans
rogne, il y a temps pour tout I Mais je négligeais de te dire que les
sillons perrés ou pierrés sont les voies romaines telles qu'on les nomme en
Normandie. Le grand-onde du fondateur de l'A. F., Gabriel Vaugeois,
qui était un conventionnel régicide, a écrit un livre sur les « Chemins
perrés >>. Il y a un reste de voies romaines près de notre Mur grec. Les
Marseillais ont beau dire, la vraie Massalia est à Martigues. Mes
hommages à maman. Amitiés à nos amis.
Je t'embrasse, mon petit Jacques
CH. M.
No d'écrou 8.321
A SA NIÈCE HÉLÈNE MAURRAS
19 mars 1947.
Ma petite Ninon,
Je suppose qu'une lettre de toi me cherche à Riom ou y court. Ni
elle ne m'y a trouvé, ni elle ne m'y trouvera 1• Tu vois où j'ai passé la
fête de ton pauvre père, à qui j'ai beaucoup pensé. Je ne sais si l'on
a été prévenu à Riom, et je te serai très reconnaissant d'y télégraphier
pour épargner des pertes de temps et de colis. Nous sommes moitié
chemin plus près de Paris. Nous buvons l'eau de saint Bernard (Ber
nard dans le vallon, Benoît sur la colline). Son abbaye fait une prison
pleine de gloire, où fut détenu le duc d'Orléans 2 (Gamelle!) en 1890
et où la princesse Marguerite, plus tard duchesse de Magenta, que
j'ai bien connue aussi, le visitait avec sa mère, la duchesse de Chartres,
mère du duc de Guise. Ici furent aussi prisonniers les premiers camelots
du roi, Lucien Lacour et Gabriel de Baleine. Nous rejoignons ici tous
nos souvenirs. J'espère y travailler aussi facilement qu'en Auvergne,
et même mieux par les intercessions d'illustres fantômes, et nous avons
à l'horizon non les plaines pelées et les côteaux penchés du Puy de
Dôme, mais les grandes forêts de Champagne pouilleuse. Enfin nous
avons eu le plaisir de voir un grand morceau de France, toute la route
de Paris, jusqu'à la brusque oblique à l'est d'Avallon, en voiture s'il
te plaît. Malgré l'étroitesse de la lucarne, on voyait et on respirait.
1 . Charles Maurras et Maurice Pujo avaient été, le 18 mars 1947, transférés à la Maison
centrale de Clairvaux (Aube) où saint Bernard, en 1 1 14, avait fondé la célèbre Abbaye.
2. A l'appel de sa classe (1889), Philippe, duc d'Orléans, s'était présenté comme conscrit
devant le Conseil de Révision, d'où le sobriquet de « Gamelle t qu'on lui avait alors donné.
Proscrit par la loi d'exil, il avait été aussitôt arrêté puis condamné à une peine de prison.
86 LETTRES DE PRISON
3 avril 1947.
Ma petite Ninon,
J'ai respiré quand Mme Pujo m'a fait savoir que tu n'étais pas
venue te casser le nez à Riom ! Mais je suis bien heureux d'avoir ta
lettre du 29, arrivée hier, avec toutes ses nouvelles dont je te remercie.
Le nécessaire a donc été fait par Mlle Gibert 1 comme je l'en avais
priée. J'en suis enchanté. Je ne sais comment vont s'arranger les
choses, mais une simple visite-éclair serait encore la bienvenue.
Oui, j'ai eu de l'avancement, mon numéro d'écrou est aujourd'hui
de 8 3 2 1 , mais rends-toi compte ! La somme de ce chiffre est la même
que celle de 2048, de 1 4 qui est 7 X 2 comme la somme des lettres de
mon prénom et de notre nom! Et l'on dira que les existences ne sont
pas réglées par les nombres des cieux ! Il est vrai que l'on ne tient
compte que des cas positifs, car les autres sont innombrables 1
Remercie Brun 2 de sa tapenado 3 prochaine toujours bien aimée. Sous
tant de verrous et de grilles comment le remercier, même en préface !
Quant à sa formule de génétique, je ne sais que deux choses certaines,
l'une se chante : Vieillefemme,jeune mari ont toujoursfait mauvais ménage ! . . .
Et les jeunes gens doués pour l'amour ont toujours débuté comme
dans Figaro par une dulcinée beaucoup plus âgée qu'eux.
Veux-tu me rendre un service : j'ai déjà brisé 4 stylos et ne veux pas
en briser un cinquième, mais trouve-moi 2 ou 3 de ces porte-plumes en
bois rond, avec un petit manchon de fer qui, de mon temps, coûtaient
deux sous et une boîte de plumes dorées à bec ca"é : j'en aurai pour
jusqu'à ma mort I Mon vieux maître Anatole France aimait, vers
1. Mlle Jacqueline Gibert (36, quai de Trinquetaille à Arles sur le Rhône). On lui doit
l'édition de SONS la Mm-aille du Cyprès et l'impression de Tragi-Comldie de ma sllt'ditl (1951).
.2.. Maurras écrivait alors la préface du livre de Maurice Brun : GrfJlllllandllgi.
3. Tapenado. Plat ou plutôt hors d'œuvre à base de câpres (tapeno).
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
9 mai 1 947.
Ma petite Ninon,
Tes plumes sont très bonnes, oui et surtout les longues, les blanches
et les dorées, au large bec. J'en consomme beaucoup. Peux-tu m'en
renvoyer par la poste? Ce n'est pas faute de plu.mes que j'ai tardé à
répondre à ta lettre du 2.8 avril. J'attendais une forte rentrée qui ne vient
pas encore, ce qui me fera prier la pauvre Josette de patienter pour
son cadeau, elle n'y perdra pas. Ce qui presse, c'est ta robe. Demande
à Mlle G[ibert] la somme dont tu as besoin, elle vient de recevoir assez
pour y faire face. Remercie-la. J'ai été ahuri de ton chapitre des chapeaux.
Si le chapeau t'agace, comment vas-tu à l'église? De mon temps les dames
n'y étaient reçues que chapeautées ou voilées. Elles tournaient la diffi
culté en s'adaptant un léger foulard, dont la pointe allait sur le front
en jouant la coiffe Marie Stuart ou le casque de Savoie. Et le curé fer
mait les yeux, même Moussu Guillibert 1 qu'a toujou agu lis iue auberf, que
touti li capellan qu'an passa an toujou agu lis iue forma ! Quant à la bouil
labaisse, je te félicite de ton goût affiné. L'erreur marseillaise est de
n'y pas admettre les grands poissons, turbot, sole, rouget. C'était aussi
l'erreur de ma vieille Sophie, qui était pour la poêle et le gril I Mais
elle n'était pas provençale, née à la Motte-Chalençon dans la Drôme!
Il y a d'ailleurs à Martigues d'autres bouillabaisses, celles-là 1111itaires,
comme la bouillabaisse de muge, qui se défend, ou (exquise!) celle de
rouget, ou encore l'admirable bouillabaisse noire aux tautenoun ou
sépions (et non scipions 1 1 1) de sépia, sèche, petite sèche. Mais là, Brun
me trouble : il leur enlève le noir ! Ote+il le jaune à Ja langouste? Remer
cie-le de l'huile comme de la tapenado et des poutargues I Merci du
lyonnais du 2.0 avril. Et surtout merci de la lettre qu'il t'était si difficile
d'écrire? Mais justement le divin Platon disait que le beau était difficile,
le difficile beau. Je te serai reconnaissant du conte ou de l'histoire de
la valise. Je suis heureux de ce que tu me dis de Dromard. Fais-lui mes
amitiés. Qui est Mme da Passano? Est-ce la libraire d'Aix qui a succédé
à Dragon ? Mais j'ai un autre nom en mémoire. Puisqu'elle veut bien
offrir des livres, pourrait-elle m'avoir les Mlmoires du Cardinal de Retz,
le VIe volume des Mémoires d'Outre-tombe de Chateaubriand, la Vie
des philosophes de Diogène Laërce, qui m'a beaucoup amusé jadis. J'ajou
terai l'Ilfiade d'Homère, mais n'en avez-vous pas une à me prêter ?
Celle que j'ai vue, il y a soixante-cinq ans, rue des Petites-Maries 2, trad. de
I. • M. Guillibert qui a toujours les yeux ouverts, quand tous les autres curés ont toujours
eu les yeux fermés. • C'est là ce que ses paroissiens de Martigues disaient de lui.
2. A Marseille.
LETTRES DE PRISON
3 j uin 1947.
Ma petite Ninon,
Je n'attends pas ta réponse à ma question sur ta robe (qui m'inquiète)
pour te dire combien j'ai eu de plaisir à savoir ton lundi de la Pente
côte à Martigues. Je savais que les marches horizontales de l'escalier
étaient dorées à point, mais qu'en est-il des murs verticaux spécialement
du marbre des plaques 1 ? Est-ce toujours aussi blanc cru ? Ou cela blon
dit-il ? Je voudrais savoir aussi si les myrtes de la terrasse, devant
la maison, de part et d'autre du chapiteau, ont un peu épaissi leurs touffes.
Dis-le moi quand tu m'écriras. Comme les Goirand sont amis! A tout
point de vue je dois accepter leurs propositions pour les quatre embar
ras lyonnais. Dis-lui que je le remercie de tout cœur. Ecris en même
temps à Joséphine pour qu'elle aide au déménagement 2• Dis aussi mes
amitiés à la Reine-qui-cliante, et donne-lui l'adresse des Lassus, qui
ont toutes les autorisations voulues. N'oublie pas d'y ajouter que,
pour la descente du Rhône au 14 juillet, si elle se fait jusqu'à Marseille,
elle passera probablement par le canal d'Arles, le golfe de Fos, Caronte
et le tunnel du Rove, par conséquent devant la maison. Que M11e Imbert
lui donne le bonjour en passant!
Tu ne peux pas t'imaginer à quel point cette vieille femme qui t'a
mis maternellement son châle sur la tête pour te sauver des exécrations
du curé, m'a fait penser à quelque beau groupe à l'antique dans le genre
du Saint Martin de Tours I Encore celui-ci ne donnait-il que la moitié
de son châle 1
Oui, je serai avec vous le 1 2 juin 3• Mais ta.robe! Ta robe! tu ne peux
pourtant pas y aller en chemise.
Je t'embrasse avec tous, ma petite Ninon.
Ton vieil oncle. CH. M. N° 8 3 2 1
1, Les plaques de marbre, couvertes d'inscriptions mémoriales, qui sont enchassées dans
le • Mur des Fastes • dans son jardin du Chemin de Paradis.
2. Mme Joseph Baret, sa servante lyonnaise. Il s'agit du déménagement de ce que Maurras
avait laissé dans son logement de la rue Franklin.
3. Jour du mariage d'une petite-nièce de Maurras.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 91
4 août 1947.
1. Charles Morice (1861-1919). Son livre La littérat11r1 d4 to#I à l'bnlr, (1889) passa, à
l'époque, pour une manière de manifeste du symbolisme.
2. Ce correspondant était M. L. S. Roudiez. de l'Université de Columbia (U.S.A.) qui
préparait un ouvrage intitulé : Mllllrf'as_i1mplà I'AnionfrtlllftlÎSI (Paris, 1957).
3. Geneviève Bianqui : Ni,tz.uhe. Paris, 1 933.
LETTRES DE PRISON
6 août 1 947.
Ma petite Ninon,
J'étais en effet impatient d'avoir de tes nouvelles et les voilà dans
ta lettre du 3 1 juillet, bonne et belle et très bien venue, hier soir. Comme
tout s'est bien passé à Lyon ! Tu es tombée sur les Goirand,
Suzanne Imbert, Mistral neveu et M. Tournier, ingénieur que je connais
bien. Son père était des officiers qui ont fabriqué le canon de 75 au
temps du général Mercier. Pour Fourvières, c'est parfait '· Ce qu'il
fallait. Juste. On a dft �e un peu froid, d'après ton rapport, je m'y
attendais, mais la courtoisie est sauve. Il faut demander à Georges
pour Lardanchet quelques Patriotismes 5, et un pour toi. Dis-moi les
comptes dès que tu les auras. Pour Horace, comment ne pas être abrupt ?
Son dernier vers tient en deux mots : sub ara vite bibentem. (L'Améri
cain 6 n'a pas_ tort. Mais j'adore le :petit serviteur de Rambaud 7) • • As-tu
pensé à lut dire tout ce que m'a fait rêver la page 1 5 6 de son livre 8 !
J'avoue que mon propos était peu clair. Voici de la lumière. Rambaud
1. Di,tionnairepolilif/116 el mliqm, s vol. Paris, 193 z à 1934. Œ. l'Introduction de Pierre Char
don.
2. Il s'agit de la page littéraire d'Aspe,ts de la France dont le premier numéro avait paru
le 10 juin 1947.
3. Hilaire Theurillat préparait l'édition du poème de Maurras intitulé : Àlltigone, Pierge-
111,n d# l'Ortlre. Genève, 1948.
4. Il s'agit d'une visite faite à Fourvières, au Cardinal Gerlier, archevêque de Lyon.
5. Le Patriotism, ne doit pas hltf' la patrie. Paris, 1937. Plaquette publiée clandestinement
sans nom d'auteur en réponse au livre de Jean-Albert Sorel, intitulé Le Calvaire.
6. M. Léon S. Roudiez.
7. t A son petit serviteur •• poème, recueilli dans la plaquette intitulée : A mes vieux oli
viers.
8. Henri Rambaud : La Voi, sacrée. Lyon. 1947.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 93
doit se rappeler une vieille ballade qui est dans la Balance intérieure et
dont le refrain dit : <c Le désir est spirituel 1• • Eh bien! il est encore plus
vrai, comme sa page 1 5 6 le montre, que l'objet du désir est spirituel.
C'est une vérité psychologique, morale, qui doit bousculer et emporter
réserves, précautions, timidités; la découverte passe, dépasse, survole
le mot fameux de Montaigne et toutes les mauriaqueries, et claudèleries
auxquelles s'attarde Rambaud. Il y a là un chapitre humain, neuf, haut,
vrai et fort. Ecris-lui que j'y songe sans cesse et le félicite beaucoup.
Dis-moi si M. Roudiez, de Columbia, est allé à Martigues. On me l'a
dit. Je n'en suis pas sûr ... Dis à Brun que ses poutragues étaient sublimes,
transparence parfaite et goût supérieur. Quelle ingratitude d'avoir
oublié les pistoles...
Merci de ce que tu me dis quant à la défense de Michel contre l'hal
lali. L'affection n'y nuira pas, au contraire. Oui, oui, mieux vaut avaler
tous les développements et récidiver. Je suis pour la haute fréquence
épistolaire et électrique ...... Je vous embrasse tous, toi première et
dernière, ton vieil oncle.
16 octobre 1947.
Ma petite Ninon,
J'ai eu ta lettre du 7 (merci) avec la version que nos bachelières ont
dû faire en dansant, car je n'y ai pas vu de piège à loups.
Nous n'avons pas eu de chances, toi et moi, de tomber en plein
litige, en pleine bisbille 2 1 Mais je veux te détromper et t'informer. Je
suis très surpris que Justin ait été enthousiasmé par ce livre. Je le sais
très farouchement antiboche, et ce livre (qui est là sur ma table) a le
grave défaut, malgré ce qu'il a d'assez bon, de servir, de couvrir et même
de louer indirectement l'abominable presse proboche de Paris aux années
de l'occupation : il contredit à angle droit nos positions à Pujo et à moi,
1. Ballade de la nature et du désir.
2. Il s'agit de la polémique qui s'ouvrit entre Asp,cts de la France et l'Indép,ndançefran;ais,
au sujet du livre de Maurice Bardèche : ùttre à Fran;ois MJ:Jllriaç, Paris, 1947. Asp,ctr avait
publié un article où il était dit : • ... Résistance et Collaboration sont l'une et l'autre deux
branches d'une même erreur à laquelle le Maréchal et l'Action fran;aise derrière lui n'ont
cessé de s'opposer pour le service de la France. •
A cet article, Jean-Louis Lagor (pseudonyme de Jean Arfel) avait répondu dans l'Indépen
dançc fran;aise : (20 sept. 47) • Pour l'honneur de l'Action fran;aise..• il convient aujourd'hui
que les maurrassiens se souviennent de ces garçons généreux et purs qui crèvent dans les
bagnes de la République parce qu'ils furent miliciens. •
94 LETTRES DE PRISON
24 octobre 1 947.
Ma petite Ninon,
...... Michel, Just. et Dromard doivent savoir que j 'ai totalement
approuvé les réserves sur Bardèche. Je l'ai relu ... C'est plein de talent,
mais aussi de fausses clartl!s, de clartés à la Voltaire. Je n'ai pas bu du
lait, ah! non, mais j'ai eu mal au cœur en y voyant cet éloge insensé
de collaborationnistes. C'est grâce à eux, de Laval à Déat, à Brasillach,
que l'armistice n'a pu donner à la France tous ses bons fruits et que
le Maréchal a été souvent paralysé dans la défense . du pays : je le leur
prédisais dès août 1940 (vois pages 12.2.-12.7 de mon procès 1 les lettres
à Sordet et à Tixier-Vignancour). Dans son simplisme enfantin Bar
dèche abuse du dilemme; c'est un médiocre moyen de penser qui vaut
encore moins dans l'action pratique : ce n'est presque jamais ceci 011
cela, mais souvent ceci et cela, ou bien ni ceci ni cela. Comment un anti-
1. a. Prods de Charles Maurras et Mam-ia Pujo devant la COllf' de ]mtia d11 RhôM. Lyon
(Paris), 1945. Ouvrage clandestin mis en vente en 1946.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 95
boche du calibre de Just. n'a-t-il pas flairé le péril? Il n'y a pas de plus
grand commun dénominateur qui tienne, le point capital est là. Il me
serait très désagréable que l'on pût douter de mon sentiment. Rends-moi
le service de le dire à qui de droit. La chose est grave; car ce qu'elle
met en cause, c'est toute notre politique pendant l'occupation où nos
pires ennemis étaient la bande Déat-Brasillach, toute ma défense devant
la Cour de Lyon, toute la thèse de mon pourvoi en révision.
Je vous embrasse et réembrasse à la ronde et dans l'ordre, ma petite
Ninon, ton vieil oncle.
5 novembre 1947
A PIERRE VARILLON
6 novembre 1947.
Mon cher ami,
J'ai su que l'on vous avait bien redit ma prière de ne pas oublier
de parler avec une forte insistance de nos maisons et logements pillés
par les Boches ou les Communistes. On a eu la bonté de me dire la
réponse que vous avez faite de vive voix : << Les juges font la sourde
oreille >>. Et déjà était fartie vers vous la lettre répétant cette même
prière en précisant qu'i fallait prendre des conclusions, interjeter des
demandes reconventionnelles de dommages et intérêts à l'Etat qui
avait le toupet de nous poursuivre ainsi. Muni de votre réponse orale,
je veux encore dire qu'il faut dans la << sourde oreille >> du juge implanter
au plus profond de l'os du rocher un solide cornet acoustique : conclu
sions de 1a défense, demande reconventionnelle des accusés 1... Vous
m'avez écrit que M0 G[oncet]. viendrait prendre mes instructions, je n'en
ai pas perdu l'espoir, mais belle Pf?ylis, on désespère, et le mieux me paraît
de vous revenir pour renouveler mon insistance. D'autant mieux que
je veux vous signaler à l'un et à l'autre un instrument de travail de
premier ordre, le mémoire de Pujo, qui vient de paraître, (Ed. de la Seule
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 97
France), que vous avez certainement eu et lu, mais que je vous recom
mande au point de vue qui nous occupe. Pujo a beaucoup plus insisté
que moi sur la vie du journal dont il avait la charge. L'éditeur y a mis
d'excellentes notes complémentaires très utiles, comme page 3 3, 34
sur le Figaro. On ne saurait trop insister sur notre refus de toute sub
vention, que l'on prononce subvention ou indemnité! Voyez aussi
tout ce qui est dit, passim, des Cagoulards. Voyez, pages 43, 44, ]es
trois exposés si importants de nos rapports avec le Maréchal person
nellement : a) sur la Constitution dont le .couronnement était différé
jusqu'à la libération. b) sur le rétablissement éventuel du régime parle
mentaire. c) contre toute intervention du Maréchal pour une paix favo
rable aux Boches. Voyez page 48, mon article sur la conférence dorio
tiste de Lyon. Cela serait éloquent, bien exploité. Il faudrait le relire
de très près, la plume à la main. - D'autre part, ma lettre précédente
vous signalait une affaire de juillet-août 1944 avec les déatistes lyonnais,
quand Déat voulait mobiliser en Normandie I Cela intéresse aussi de
très près la ligne du journal, mais j'ai oublié de vous dire le nom de ce
secrétaire départemental du mouvement déatiste R.N.P. : il s'appelait
Philippe Dreux et j'ai appris qu'il avait été fusillé récemment. C'était
donc contre un ultra-bochisant que nous nous alignions et contre qui
le Maréchal nous envoyait des moyens d'attaque et de défense directe.
Tout cela doit servir I Votre fierté, votre mordant au dernier procès a
été cause de votre avantage partiel. Ce n'est pas en rompant que l'on
a l'adversaire, mais en marchant sur lui. Avec Vainker 1 qui est un lâche,
une lâche vipère, ces lieux communs sont encore plus vrais. Je m'en
suis convaincu en lisant la sténo. Il se taisait, fuyait ou changeait la
conversation lorsque Pujo ou moi le poussions un peu. Vous le ferez
reculer ou ]'arrêterez. Cela va d'accord avec votre tempérament de
marin à l'abordage. Et Me G. n'a pas froid aux yeux. Donc, en avant!
Il est d'une vérité éblouissante que l'État nous doit des dédommage
ments, et qu'il les doit d'autant plus que nous nous sommes appliqués
davantage à le détourner de la guerre folle, principe et cause de tous
nos malheurs civils et militaires, dont 5 mille milliards de dégâts avoués,
l'autre jour, par le comptable Bidault.
La vérité, son évidence, doivent créer de la force morale et maté
rielle autour de nous. Et nous ne marchons pas pour nos simples procès :
il y a l'avenir qui jugera, qui voudra juger de près l'usage que nous
avons fait de notre pouvoir. Et cet usage, s'il est bon, servira encore,
aujourd'hui, ou demain, à la France.
Mes amitiés et mes hommages respectueux autour de vous. Embras
sez bien pour moi mon filleul. Très cordialement à vous, mon cher
ami avec tous mes souvenirs
CH. M.
1 . Président de la Cour de Justice du Rhône au Procès Maurras-Pujo.
LETTRES DE PRISON
.
Pour plus de clarté, /e transcris, Monsieur, votre questionnaire en
avant des réponses sur es six feuillets que voici, paginés de I à VI;
1 En dehors des poèmes déjà publiés ou confiés à des éditeurs, vous reste
t-il encore des poèmes de jeunesse inédits ?
°
le poète Oscar Wilde vint à Paris, je rencontrai André Gide chez Barrès
où il accompagnait le futur auteur de la Geôle de &ading. Quelques jours
plus tard je le retrouvai dans un grand café du boulevard Saint-Michel,
escortant toujours Oscar Wilde. A ceb. se bornèrent nos relations
personnelles. Un peu plus tard, sans nous être revus, nous discutâmes,
par écrit, sur les Déracinés de Barrès 1• Enfin, p endant l'autre guerre, il
eut je ne sais quel coup de foudre d'Actio n fran;aise et m'adressa une
belle lettre avec une large souscription pour nos blessés. Depuis, les
sévères jugements d'Henri Massis dans la Rev11e Universelle 2 furent mon
seul contact avec l'auteur des Nomritures terrestres. J'avais un peu
laissé tomber ses livres. C'est à la Maison Centrale de Riom que j'ai
fait connaissance avec les Caves du Vatican, dont la charge m'a paru
un peu grosse. C'est également là que j'ai vu son article de la Gazette
de Lausanne, en septembre 1 945, traitant de Barrès et de Maurras, Barrès
mort et Maurras prisonnier, l'un et l'autre dans l'impossibilité de lui
répondre 3• Je m'en suis consolé, le mois dernier, en pensant au lustre
que son prix Nobel jetait sur les Lettres françaises.
6° Vous serait-il possible de prlciser exactement où et quand Rqymo nd
de La Tailhède vous a présenté à Moréas et si vous avez eu 1111e influence quel
co nque sur << le Pèlerin passionné? >>
la substance, six ou sept ans plus tard, dans le Romantisme féminin de:
/'Avenir de /'Intelligence. Votre admirable mémoire m'explique à présent
pourquoi, lors de ma campagne académique de 192.2.-192.3, Jacques Bain
ville avait beaucoup insisté pour que j'essaie d'intéresser Madame de
Régnier à ma candidature. Mais, lui dis-je, j'ai été si dur pour les vers
de son père et de son mari I Mais, répliquait-il, vous ayez attaché le
premier grelot de sa gloire à elle... Le curieux est que, aplès mon échec
(par 1 1 voix contre 18 à M. Jonnart), Madame de Régnier écrivit très
gentiment une chronique fantaisiste où elle faisait dire à l'Académie,
parodiant Chénier : Je ne veux pas Maurras encore I C'était un rayon
d'espérance.
go Est-il exact que ce soit l'étude de Pascal et des philosophes allemands,
Kant en particulier, qui vous ait fait perdre la foi ou tout au moins l'aitfor
tement ébranlée?
Pour Pascal, c'est la vérité. La première et dernière secousse est venue
de lui. Pascal a élevé à la note tragique les badinages de Montaigne
traducteur des sceptiques grecs et latins, depuis les préplatoniciens
jusqu'à Sextus Empiricus en passant par Cicéron. Ceux-là ont tout vu
et tout dit.
Pour Kant, entre les années 1881 et 1892., tout le monde kantisait
plus ou moins dans la jeunesse philosophante. Mais à part la Critique
du jugement que j'ai toujours tenue pour exceptionnellement importante,
le Kantisme ne m'a rien appris que le Pascalisme m'eût laissé ignorer.
Sa façon de substituer la vie morale à la vie intellectuelle ne m'a pas
plus contenté que la substitution pascalienne de la mystique religieuse
à la dialectique rationnelle. En revanche j'ai beaucoup lu et médité
Schopenhauer. Mais c'est lui, oui, ce kantiste forcené, qui m'a défi
nitivement éloigné de Kant par un mot jeté, par hasard, sur la notion
d'espace, au seuil de ses Parerga.
9° Est-il indiscret de vous demander si, avant 1899, il y a eu une femme
dans votre vie qui ait eu une influence sur votre œuvre? On a parlé à ce propos
de Madame S. Vous plairait-il de démentir 011 de confirmer cette allégation?
Vous êtes bien curieux. Indiscret, nullement. Ma réponse ne peut
être que négative. J'ai beau feuilleter les vieilles cases de ma mémoire :
au temps que vous dites, l'influence féminine s'exerçait ailleurs que
dans mon esprit ou sur mon œuvre ! La Psyché à laquelle furent dédiés
quelques poèmes de 1 890-91 1 ne fut qu'un fantôme sentimental. Mes
Amants de Venise parus après 1900, mais écrits en 1896 (à la première
révélation des documents Pagello) et qui ont couru les journaux et les
l, a. Pour PsydJI. Paris, 1919.
•
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
10° Après votre venue à Paris, votre mère a-t-elle eu 1111e influence sur vos
lectures, sur le choix des œuvres dont vous rendiez compte dans les revues?
1 1 ° J'ai lu parmi les livres que vous aviez offerts au professeur Horatio Smith,
de Columbia, lors de son sijour à Paris en 1 93 9, la dédicace suivante de la
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 105
1. Maurice Pujo.
2. Kléber Haedens : Salut a11 Ken1t1çA;y. Paris, 1947.
106 LETTRES DE PRISON
II janvier 1 948 .
Ma petite Ninon,
Tu es avertie de mes disgrâces. Dimanche, mes bottines béant de
toutes parts, et mes pieds ayant l'horreur naturelle de l'eau, j'ai voulu
mettre des sabots pour aller à la Messe, et bien qu'ayant fait la répé
tition la veille, un faux mouvement m'a fait tomber sur le nez, les sour
cils, les genoux et les pieds, tout ça n'est rien, mais aussi l'épaule gauche
qui a été luxée. Sinistre qui rappelle celui de Saint-Martin de Crau, ses
bras, son nez cassé, estrade effondrée sous les orateurs et les cantatrices,
qui fut le présage singulier de l'affreuse décade 1939-48 et que le dernier
malheur semble clore. J'ai été transporté à l'Hôtel-Dieu de Troyes.
La luxation a été réduite. Mon âge s'opposait à l'anesthésie, l'opération
m'a semblé moins douloureuse que comique : deux médecins tiraient
sur l'os, et aussi la sœur : ces trois tractions savamment combinées
avaient gardé chacune son individualité, deux fortes et brutales, l'autre
fine et subtile, c'était joli à suivre du coin de l'œil, mais j'ai le bras bandé
pour 20 jours! Dorloté pendant trois jours à Troyes, l'on est venu
m'y rechercher pour Oairvaux ce matin. Mais une heure avant le départ,
il arrive une dépêche : c'est Louise de Saint-Pons 2, à Philippeville, que
Mlle de Ribbes, sa vieille amie d'Aix-en-Provence, qui avait créé dans cette ville un
1 . René Colle.
groupe d'Action frflltfaise.
2.
19 février 1948.
fait pour moi. Ai-je assez insisté pour Rémi R. 1 sur lefait que ma lettre
de rectification au Pèlerin de 1946 montrait que je poursuivais dans
B. le mauvais professeur d'histoire de France et non le conspirateur
que j'ignorais totalement. Donne-m'en des nouvelles 1 Pas reçu Keril
lis 2 complété, ni le Vatican. Où en est Hilaire ? Où René Wit. ? Où la
promotion de J. ? Dis à Michel que je finis piano l'odelette hi-thomiste.
Le livre d'Eddy Bauer est admirable. Il y a de solides confirmations
à l'avis du génénl Juin sur le débarquement en Provence. Je suis content
d'avoir su la stratégie sans l'avoir apprise, comme les gens de qualité
dans Molière. Maurice 8 se rappelle-t-il ce Suisse très brun qui venait
nous voir à Paris ? Hilaire le connaît-il ? Peut-il lui faire mes compli
ments les plus vifs ? Cependant :Sauer a tort, dans une note d'ailleurs
excellente, de parler du « patois provençal ». Le provençal n'est pas
un patois 1 Mais cela vient à propos de ce que les soldats de l'armée
des Alpes, les provençaux de la 5 88 demi-brigade, avaient inscrit sur
leur insigne, à l'adresse des Italiens, ces mots : Digo li que vengue I Raconte
la chose à Maurice, je lui ai toujours dit que tel était le ton méprisant
des provençaux pour les Italiens, et il en doutait un peu l La preuve est
bien là. A propos d'Italiens, je pense beaucoup à ce que ce fou de Rome
s'est permis d'écrire de moi en Allemagne 4 1 Sur le moment j'en ai été
tellement ahuri que je ne t'ai pas demandé de détail. Tâche de t'en rap
peler le plus possible, je ne décolère pas, que s'est-il imaginé de conter ?
C'est un fou sans doute, mais il y a des bornes même à la folie. Je serais
heureux que tu m'en reparles. A quelle date cela est-il venu ? A quel
propos ? J'oubliais de te demander comment va Georges après son
opération. Mais dis-moi surtout où en est ta tension. Il ne faut pas se
laisser faire, mon petit Jacques, et nos Anciens diraient qu'il faut battre
le diable pour ne pas être battu. Soigne-toi, fais les mêmes recomman
dations à Maurice... Je t'embrasse, mon petit Jacques.
Ton vieil oncle.
CH. MAURRAS 8 3 2. 1
1. Rémi Roure, rédacteur au Monde. Maurras venait de faire envoyer une nouvelle lettre
de rectüication à ce journal. Sur la rectification au PUerin, cf. plus haut, la lettre du 8 décembre
1946.
2. Henri de Kérillis : :Qe Gatti/, dùlaltllf', 11111 grant/4 mysli/kalion de l'histoire. Montréal,
1945. - Le V•tit,m : il s'agit du livre de M. François Charles-Roux, ancien ambassadeur
au Vatican : Cit11J 111oi1 tragi(Jllls aux Affaires étrangères. - Hilaire Theurillat, au sujet de
l'édition d'Anligone Vierge-Mère de l'ordre. - La promotion de J. : Unepromotion de Judas. -
L'odelette hi-thomiste désigne le Cintre d. Riom, odelette réparatrice composée • entre
les fêtes des dcwi: Thomas, décembre 47, mars 48. • - Le livre d'Eddy Bauer : La
guerre des blindls. Paris, I947,
3. Maurice Pujo. Dans la plupart des lettres il est désigné par son seul prénom.
4. Pierre Pascal, le poète d'&rydit,, qui s'était engagé dans la Milice.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
Ma petite Ninon,
Et Lyon ? J'ai oublié de te reparler de ce sacré déménagement de
Lyon! En as-tu des nouvelles ? Trouve-m'en, envoie-m'en! Cela mis
à part, je ne fais que penser à l'Illuminatrice 1 depuis hier, à la nouveauté
du spectacle, à sa couleur orientale très vive, à son charme, et je rumine
aussi mon désir d'y ajouter tout ce que notre mémoire retient des plus
anciennes et des plus habituelles mélodies du cycle marial, par une
vraie synthèse de l'ordinaire désiré et de l'extraordinaire le plus inat
tendu. Mais, dis-le à Michel, je commence à y trouver des difficultés
indiscernées hier. Encore pour le Stabat, l'Ave Maris Stella, le réper
toire lyrique po:urrait passer sans encombres. Le latin n'y ferait point
d'obstacles, ou encore des traductions plausibles seraient à tenter. Le
gros embarras serait pour les Psaumes. Comment en donner une ver
sion qui se moule sur le plain-chant! J'ai essayé pour le premier psaume
des vêpres, qui est dans le film : Dixit dominus domino meo. Ç'est le diable,
de mettre en français cet hébreu plein d'ellipses et de · 1ui maintenir
un sens musical et logique. Le commentaire continu, dont Michel a
vu la nécessité, suffira-t-il? Je me le demandais et, tout à coup, je me
suis aperçu que ce travail était fait, et depuis longtemps I La bagatelle
de quatre siècles. Au moment où les huguenots ne voulurent plus
chanter qu'en français, Clément Marot a traduit pour eux les psaumes
de David, et ils n'ont pas arrêté,depuis, de les chanter dans leur vieux
langage et sur leurs vieux airs. C'est bien ce qu'ils ont fait de mieux!
Michel aurait-il scrupule d'utiliser ainsi la Vache à Colas ? Mais comme
tous ses contemporains, protestants ou ligueurs, Marot était né catho
lique, et il devait encore un peu prier la Vierge Marie, comme son
maître Villon dont il a été le premier éditeur. Si cette idée tentait Michel,
dis-lui que, pour les textes et surtout pour la musique, il trouverait
tous les renseignements nécessaires auprès de nos amis Henri Boegner
et sa femme. Le projet marial leur plairait, j'en suis sûr. Le jour de ma
réception à l'Académie, les jeunes filles royalistes avaient beaucoup
remar9,ué que ce protestant et cette protestante 2 applaudissaient ce que
je disais du culte de la Vierge au xve siècle. Ils sont d'une famille de
pasteurs et grands lettrés, rien ne leur manquerait pour la bibliographie
de Marot.,, Si Michel les voit ou. leur écrit, prière de leur dire mes
hommages et mes amitiés. Il a dû connaître Boegner comme secrétaire
1 . • L'Il/uminatrice •• scénario d'un film sur la naissance de la Vierge, par la Comtesse
J. de Dreux-Brézé.
z. Convertis depuis au catholicisme.
I IO LETTRES DE PRISON
8
II2 LETTRES DE PRISON
A JEAN ARFEL
12 avril 1 94 8.
Monsieur,
L'estime déjà ancienne que j'ai pour votre talent, votre esprit, votre
connaissance de la philosophie médiévale 1 , fait que tout ce qui vous
touche m'émeut. J'ai donc suivi de loin l'agitation dont vous êtes le
centre, dans la mesure où je l'ai pu, et je manquerais de bon sens en me
dissimulant que cette mesure est étroite. Je serais donc coupable envers
l'œuvre commune si je ne m'étais fait un devoir de me décharger de
tout jugement sur un esprit capable d'en connaître à fond toutes les
données : j'ai tenu à rédiger une sorte d'écrit testamentaire portant
que je m'en remettrai à mon ami et co-directeur Maurice Pujo, de tout
cœur et de tout esprit, et j'ai dit aussi pourquoi.
Mais rien ne m'empêche, dès lors, de causer avec vous, Monsieur,
et de vous communiquer certaines impressions qui valent ce qu'elles
valent et dont vous ferez ce que vous voudrez, mais qui me semblent
pouvoir être versées au dossier. Si elles ne vous sont pas toujours favo
rables, elles sont fortement balancées, je vous le répète, par l'estime
que j'ai de votre intelligence et de vos autres dons. Longtemps je ne
vous ai connu, bien que vous ayant vu et ayant causé avec vous, qu'au
titre de pur esprit. J'étais emprisonné quand il a fallu considérer autre
chose.
L'ajfaire 2 me semble remonter un peu plus haut que ne le disent telles
lettres échangées un peu comme des balles, et elle me semble tenir,
en son origine, à des différences de caractère personnel entre deux
hommes appliqués au même devoir politique. Ecrivant chez l'un de
nos plus anciens amis, vous avez eu à vous plaindre de modifications
apportées à vos articles ou de retranchements estimés arbitraires ou
fâcheux. C'était bien votre droit ! Mais quel tranchant dans vos plaintes
irritées 1 Quelle raideur ! Quelle amertume ! sanctionnée, je crois, par
un brusque départ ? Pourtant vous signiez, je crois, d'un pseudonyme,
ce qui semblait étendre un peu les pouvoirs de la direction. De plus,
au jugement de celle-ci, tout au moins, l'on vivait des temps difficiles,
et la responsabilité du sort commun pouvait mériter quelques sacri
fices de l'équipage. Je comprends que vous n'ayez rien voulu sacrifier
de vos risques. Mais il y en avait pour d'autres. Et enfin le directeur
en question tenait de nous un mandat formel qui, dans l'intérêt de
l'avenir, recommandait avec beaucoup d'insistance le maximum de
1. Jean Arfel était à cette époque professeur de philosophie. Il avait publié en 1948 un
livre sur la Philosophie polilitJ116 de saint Thomas que Maurras avait préfacé en 1944.
2. Cf. plus haut, la lettre du 16 octobre 1947.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
prudence ; ce que, plus tard, vous avez appelé timidité, abandon de prin
cipes, résultait précisément d'une extrême fidélité à nos recommanda
tions de sauvegarder le petit bateau, ses hommes, ses passagers et sa
cargaison, nos trésors I Plus tard, j'ai été heureux de l'audace spon
tanée de Justinien, mais je n'ai jamais révoqué les instructions écrites
et parlées que nous avions données à d'autres. Ces deux actions, pour
être diverses, n'avaient absolument rien de contraire qui les fît s'exclure.
Je crois qu'il vous faudrait inscrire comme un effet psychologique
tout naturel la réaction personnelle causée à votre ancien directeur
par ce qu'il devait juger susceptibilité extrême, irritabilité excessive
et qui devait lui laisser ainsi un certain ressentiment de ce tour de vos
plaintes et de l'allure de votre départ. Par une méprise assez normale
et qui n'avait rien de criminel ni même de fautif, peut-être étendait-il
en dehors de son domaine et même du nôtre, les intentions qui ne
portaient que là-dessus, et en était-il induit à nommer indiscipline votre
juste indépendance après que vous l'aviez quitté. Quelques-unes des
hostilités initiales peuvent venir de là. Vous vous en plaignez ; encore
un coup, c'est votre droit. Il faudrait aussi comprendre le droit des
autres, et même leur droit à l'erreur, et comprendre aussi les effets
divergents d'un même vocabulaire, des mêmes références, des invoca
tions aux mêmes autorités •.• Tous les malentendus étaient en suspension
dans ces milieux et par ces temps-là 1
Le premier article sur Bardèche 1 a soulevé (outre une discussion)
un second nuage que je vais essayer de décrire. L'une de vos dernières
lettres dit que vous aviez noté que << j'avais combattu la Milice >> 2• Alors,
ai-je rêvé ? N'y avait-il pas aussi une ligne et demie ou deux où vous
sembliez au contraire affirmer que j'avais favorisé cette Milice ? Il me
semble me souvenir d'y avoir remarqué un grand ton d'assurance et
même de défi. C'était d'ailleurs allusion à des choses vraies, mais vous
en oubliez ou en ignoriez d'autres, la Milice de Mars 1943 n'étant pas
celle de novembre et des saisons suivantes. Nous avons longuement
précisé ces différences, Pujo et moi à notre procès. Nos avocats l'ont
fait aussi. D'autres, laissées de côté, ont été reprises pour rectifier des
erreurs commises au procès Darnand, et le journal le Monde a publié
nos errata motivés. D'autres nuances du même ordre sont restées iné
dites. Vous n'étiez pas obligé d'avoir épuisé ce dossier. Je me suis rendu
facilement compte de votre méprise, en ai pris mon parti gaîment et
me suis même fait un devoir de n'accorder aucune importance à ce
petit accrochage, quel que fût votre ton un peu superbe et méprisant
1 9 avril 1 948.
Mademoiselle,
Que vous dire ? J'y ai beaucoup pensé, j'ai noirci en esprit beaucoup
de feuilles blanches et puis j'en ai eu grande honte, aucune ne disait
ce que j'ai en tête en cœur depuis que je me suis jeté dans ce beau livre 1
et l'ai respiré non sans imprudence, en raison de la place qui m'y était
faite, contre mon mérite certes, mais non pas contre mon plaisir. J'aurai
quatre-vingts ans au bout de cette nuit. Tout en sachant très bien que
vous avez très volontairement magnifié mon rôle, que voulez-vous?
Ce n'est pas sans en être très vivement ému que j'ai vu apparaître sous
votre plume, doré par elle, offett à la jeune flamme d'un esprit plus que
bienveillant ce long périple d'années, de batailles et d'enseignements
qui sans avoir pu être, malheureusement, ce que vous dites, y tendait
et s'y efforçait. C'est le plus orthodoxe des livres 2, bien qu'il dépasse
de beaucoup par la science et l'érudition les cadres de notre synthèse.
Et c'est aussi le plus ami, je me le dis à chaque instant. Mais c'est une
amitié qui pénètre et comprend ce que l'essentiel de notre œuvre a
de plus obscur, de plus secret et de plus précieux. Exemple, car enfin
je dois sortir des généralités triomphantes, vous voulez bien constater
que ma besogne a consisté à tirer un seul mouvement, à faire un seul
effort contre-révolutionnaire du xrx0 ûècle, je n'ai presque rien inventé.
C'est si vrai ! Je croyais, il y a peu, avoir en propre la théorie que j'oppo
sai à Chateaubriand, des effets matériels de la révolution auxquels on
ne peut rien changer, histoire irréversible, et de ses causes intellectuelles
et morales, de principes dont il fallait détruire la trace à tout prix. Ehl
bien, voici trois ou quatre ans à peine, je me suis aperçu qu'un écrivain
du 1 er Empire, Fiévée, que Sainte-Beuve estimait tant, avait soutenu
de main de maître la même théorie, donc bien avant moi, et bien mieux
que moi. Mon apport personnel se réduit donc, maintenant, à la théorie
de la Centralis;ttion fatale d'un gouvernement électif (pour se faire
réélire) mais, un de ces quatre matins, au cours de longues lectures que
je fais ici, je m'en vais découvrir qu'un olibrius quelconque m'a précédé
sur le chemin et ne me permet pas de dire : ce coin est à moi, comme le
fait un enfant de Pascal. Personne ne sait mieux que vous, Mademoi
selle, que l'important n'est pas d'inventer des idées, mais d'en trouver de
vraies et, autant que possible, uniquement vraies. Le patient travail
de démolition et de reconstruction auquel vous vous êtes livrée sur
2.0 avril 1 94 8.
tence, le voilà tout cru. à l'occasion de ces quatre-vingts ans qui ne sont
plus de l'âge de vos tulipes, hélas I Puissent-ils. malgré tout, me permettre
de travailler encore un peu pour la France et pour le Roi ! Du moins
ne m'empêchent-ils pas de ressentir. et, si mal que ce soit, d'exprimer,
avec mes respectueux hommages pour vous, Madame. mon admiration
pour le double exemple de fidélité merveilleuse que vous voulez bien
donner l'un et l'autre à l'occasion de votre prisonnier, très reconnais
sant.
CHARLES MAURRAS
Ma petite Ninon,
Je te remercie de tes lignes si promptes qui m'ont fait une bien agré
able surprise, et je te félicite de ta belle journée de voyage en Champagne.
Ces beaux blés ne vont-ils pas être couchés par nos dernières heures
de pluie ? Enfin, tu en auras eu le fleur.
Nous aurons causé, jeudi, de beaucoup de choses utiles, et j'ai pu
t'indiquer un peu vite, mais assez clairement, tout l'essentiel de mes
souds. La brosse à dents et la pierre ponce seront les bienvenues, mais
je te recommande aussi l'affaire Verdenal 1 à passer à Jacques (le verras-tu
bientôt ?) pour notre procès, cela est capital. Il faut que cette piste soit
suivie en vitesse. Merci.
Jeannette m'a écrit la grande nouvelle et les petites. Que de bonnes
choses tu m'as apportées I Merci encore. J'ai oublié de te dire de remercier
Mlle Gannat, de ses gâteries continuelles, et Mlle de Kermorvan
de ses importations anglaises, qui sont excellentes. J'ai recommandé son
manuscrit, sans grand espoir, j'insisterai. Prie-la de présenter mes res
pectueux hommages à Madame de Kerveguen : Vigny! Tu ne sais pas
tout ce que cela est pour nous 2 1 D'abord la retraite de Uon, mais c'était
aussi la maison d'enfance de Mlle de Coigny. la jeune Captive
1. Chargé d'un rapport d'information contre Charles Maurras, le sieur René Verdenal
avait comparu au procès de Maurras à Lyon, le 26 janvier 1945, où, détenu de droit commun,
il était venu déposer à la barre pour soutenir les allégations de son • rapport •· La réfutation
de Maurras a paru sous le titre : Le.r Men.ronges de !' « expert • Vertknal auprocès de Lyon. Paris,
195 I.
2. Lorsqu'il s'évada de la Santé, Léon Daudet avait été conduit par le Comte Robert de Ker
gueven au château de Vigny (Seine-et-Oise), qui avait appartenu au duc et à la duchesse
de Fleury, née Aimée de Coigny. Œ. dans L'Avenirtk /'Intelligence, le chapitre intitulé Made
moiselle Monk, avec une préface d'André Malraux, Paris, 1923.
120 LETIRES DE PRISON
A MONSIEUR DE CARNAS
I. Maurras fait allusion à cette lettre historique de Weygand dans les pages qu'en 1952
il écrivit sur le maréchal Pétain, sous le titre : • Toute la vérité t, Œ. En attendant Do11aU11Jont.
Paris, 1952.
2. La reine du Félibrige, Mlle Suzanne Imbert.
122 LETTRES DE PRISON
1. Œ. la préface à Mes Idées politi(Jll8S que Maurras avait écrite en 1936 à la Prison de la
Santé. à l'époque où il signait Pcllisson ses articles de l'Aclio11franfais1. Maurras y rappdle
qu'il n'a jamais accepté la loi des trois états sur laquelle se fonde le positivisme d'Auguste
Comte.
2. ]. L. Lagor y répondit le 9 novembre 1948 dans l'Indépendance fran;aise. • L'lndépendance
fra11(aise, disait-il, n'est nullement une équipe de métaphysiciens. Nous sommes des poli
tiques réunis par l'unité de méthode : celle de l'empirisme organisateur. Pourtant, ajoutait-il,
il existe autre chose qui est la parole du Christ en die-même. »
3. L'article de Saint-Paterne (R. Havard de la Montagne) était intitulé : Propos de table
(15 octobre), celui de Bernard Borval (22 octobre) : Le Chien et le Réseau.
4. Dans l'indépendance du 22 octobre 1948, René Ranson avait mis en cause le Père Mouren,
aumônier des prisons, à propos du livre de Georges Lupo : Levée d'écro11.
1 24 LETTRES DE PRISON
1. Il s'agit de souvenirs sur Raymond de la Tailhède, écrits par sa nièce, M1"8 Quick
Teulade.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
der, lui, de s'être privé pour moi du livre de M. Mireaux sur les poèmes
homériques 1 • C'est extrêmement bien. Voilà Homère dûment ressus
cité, et cette fois, en plein, contre l'érudition allemande. Le voilà rede
venu l'auteur de ses deux poèmes et non d'un seul. Le voilà rapproché
de nous et du grand siècle de la Grèce. Et puis on apprend toujours
du nouveau. On m'avait dit il y a quelque soixante dix ans, qu'oµ'1)poc;;
signifiait aveugle. On me dit aujourd'hui que non, cela veut dire ser
viteur, mais serviteur du temple des dieux. Alors, je propose : sacristain !
Que cette irrévérence ne trompe pas Varillon. Le livre m'a fait, de page
en page, un immense plaisir. Et puis, il m'a révélé un homme, un érudit,
un historien qui ne se contente pas de comprendre Homère, il l'aime,
il parle de Nausicaa, de Démodocus comme il faut en parler ! De plus,
il se débrouille et éclaircit parfaitement certaines obscurités que je ne
parvenais pas à m'expliquer, par exemple, dans les violentes invectives
cl'Achille contre Agamemnon un problème de distances géographiques
que la lecture et la relecture du texte laisse incompréhensible. La tribu
d'A gamemnonides coloniaux établis en Asie par M. Mireaux rend compte
de tout. Si Varillon est en rapport avec M. Mireaux, je le prie de l'en
féliciter chaudement.
. ..Dis à L. avec quel intérêt j'ai lu son feuilleton sur le père Br... 2
que j'appelle toujours le père Borborygme, ne pouvant prononcer
ce nom autrichien. Il se trouve que j'ai lu aussi le livre du même domi
nicain, et j'y ai appris cette bonne drôlerie que Bernanos me reproche,
à grand renfort de sublime, non seulement de professer le patriotisme
jacobin que j'ai toujours attaqué, mais d'ignorer honteusement le
patriotisme de la vieille France, ce patriotisme d'honneur et de fidélité,
pour lequel le juge d'instruction de la Cour de Lyon a élevé un de ses
griefs les plus distincts contre moi ! J'ai quelque peine à comprendre
que des têtes solides comme L. puissent avoir le moindre goût pour
des huluberlus déséquilibrés, écrivant n'importe quoi de n'importe
qui sans en rien savoir. Ce doit être affaire de génération, Boutang est
aussi féru de Bernanos que Lagor ! Cependant il semblerait qu'un groupe
aussi maréchaliste que le vôtre devrait montrer plus de sévérité, plus
d'énergie dans la sévérité, envers les obscènes insultes de ce moine
de mauvais lieu contre le Maréchal. On distingue ? On réserve ? Hé 1
Oui I Mais la seule utilité de ces réserves est de faire passer les éloges
ou les compliments. Pendant ce temps, vil nationaliste, vétéran de l'anti
météquisme et de l'antinomadisme, je me demande de quel droit ce
fils d'Autrichien parle ainsi des choses et des hommes de France. Il croit
I. Emile Mireaux : Les poèmes homériques et l'histoire gruque. T. Jer : Homère de Cbios ,1 les
routes de l'l1ain. Paris, 1948.
:z. R. P. Brückberger : Nous n'irons plus au hois. Paris, 1948.J. L. Lagor venait de consacrer
un article à ce livre.
126 LETTRES DE PRISON
répondre en disant qu'on l'a tiré de son couvent pour faire la guerre.
Il eût été beau qu'il restât'dans sa cellule, tandis que les moines, fils de
Français et de Françaises partaient pour le front I Eût-il été volon
taire, l'engagement à la Légion n'eût pas suffi à lui conférer la natio
nalité française illico, et la question de son météquat se pose pour lui
comme pour les Monod, qui datent de 1 808 et qui ont pu s'améliorer
à nos mœurs et à notre esprit. Le hideux outrage à Pétain 1 n'est pas
ce qui le naturalisera; ni son jargon, ni sa rhétorique ne sont de chez
nous. Ai-je besoin de te dire, ma petite Ninon, que ces derniers propos
sont des impressions personnelles et n'ont pas couleur de vérité démons
trative ! Si Lagor était là, nous en causerions amicalement sans que j'aie
même envie, au fond, de changer sa pensée sur Borborygme ou son
Bernanos. Au contraire, peut-être I Tout en me débattant avec lui,
je le regarderais avec la curiosité due au personnage inconnu que l'on
aime bien. Un jeune homme I Un vieillard I Et qui peuvent causer !
Et même s'entendre ! Il y a parfois des silence� entre eux. j'entends
encore celui qui s'abattit entre le Cardinal de Cabrières et moi sur un
de mes blasphèmes de Chateaubriand. C'est d'une génération à l'autre
qu'il faut le moins disputer des goûts et des couleurs .
... Vois. Parle. Ecoute et viens ou écris ... Je n'ai plus qu'à t'embrasser.
Ton vieil oncle.
CH. MAURRAS
9 janvier 1949.
Ma petite Jeannette,
Je suis extrêmement confus de mon silence à ton égard depuis ta
gentille lettre du 17 décembre, il est difficile de m'expliquer ce qui a
tant retardé ma réponse. Le vrai est que je travaille beaucoup, je m'assigne
des tâches à date fixe, essaie de les remplir; des livres me sont prêtés
que je dois lire rapidement, et les jours se succèdent avec une impé
tuosité déroutante. Je suis content de t'avoir été utile I A quoi servi
raient les vieux s'ils n'aidaient pas les jeunes? Ne t'excuse pas de la
rareté de tes lettres à ton vénérable parrain. Je suppose que ta nichée
ne doit pas te laisser beaucoup de loisir. Merci des nouvelles de la
messe de Martigues et de ses vides pleins de mélancolie. Pauvres mesde
moiselles Mandine 11 1 C'étaient de Dien grandes amies à ta grand-mère,
à ton père et à moi. Elles sont allées où nous allons tous, plus tôt ou plus
tard. Le métier de survivant n'est pas très gai, à qui le dis-tu!
Dis à Françoise 3 que, moi aussi, j'ai cru beaucoup aimer la langue et
la littérature anglaises, c'était une illusion de mes sens abusés. J'avais
apt>ris sans trop de difficultés à lire Shakespeare et même Shelley;
pws, faute d'exercice, j'ai tout oublié et ne seta1s plus capable de déchif
frer une colonne du Times sans y faire un tas de contre-sens. Enfin
1. a. Jérôme Carcopino : Souvmirs d4 Sept ans (1937-1944) à propos d'une mesure prise à
Vichy par son prédécesseur au ministère de l'Education nationale, M. Jacques Chevalier,
pour que Dieu et les devoirs envers Dieu figurassent aux programmes de l'enseignement
primaire.
2. Ses vieilles amies de Martigues.
3. Fille de MJD.8 G. Blanc-Maurras.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
si ça l'amuse ! Je n'en reste pas moins persuadé que six mois d'italien
ou d'espagnol m'auraient donné le moyen de fréquenter Dante ou
Cervantès jusque dans cette extrême vieillesse.
J'espère qu'on n'a pas beaucoup retouché les bâtiments de la vieille
Faculté des Lettres d'Aix. C'est là que, vers mes 1 3 ans ou 14, ta grand
mère m'amena à la Faculté de Théologie au cours d'un vieil abbé�
l'abbé Penon, qui nous raconta comment Richelieu maria le grand
Corneille, après le succès de MIiite. Ce théologien était de l'espèce
que j'aime. Je n'ai pas mis les pieds à la Faculté de Droit où va Jean
Claude, mais il me semble la voir aussi dans un de ces vieux hôtels
qui sont la gloire d'Aix. Quel est le travail de bureau que fait Micheline
et qui la gêne pour ses cours? Il est bon et utile, comme tu me le dis,
que tes enfants se soient mis courageusement au travail, mais je ne
verrais aucun inconvénient à ce CJU'ils travaillent aussi pour leur plaisir.
A leur âge, on peut mener à bien beaucoup de choses de front. Ne
crois-tu pas? Je suis heureux de savoir le Seigneur de Josette, Dominique,
aussi sage que beau, et elle, fière de monsieur son fils. Vous avez sans
doute ajouté les rois à sa crèche. J'ai vu Ninon, en effet, l'autre jeudi,
mais elle s'est grippée au retour comme j'en avais eu le pressentiment.
Pourtant, une lettre reçue d'elle avant-hier respire la convalescence.
J'espère donc la revoir avant peu. Elle te redira, comme elle a dû le
faire, que je porte gaîment ma mauvaise fortune et qu'il n'y a pas lieu
�e vous en préoccuper. Embrasse les enfants pour moi, remercie-les
des pensées qu'ils veulent bien me donner, et toi, ma petite Jeannette,
reçois toutes les embrassades et les vœux de bonne année de ton vieux
parrain.
CH. M.
6 février 1949.
Madame,
Veuillez me pardonner le retard de cette réponse 1 et surtout sa maigre
substance, autant que sa longueur, telle que je la prévois.
Malgré l'intérêt passionnant de ce beau suj et, je n'eus jamais le temps
d'acquérir de grandes lumières sur nos fouilles de Provence, et certes
rien qui vaille la peine de vous être offert. Vous travaillez avec des
maîtres sur des méthodes éprouvées depuis près d'un siècle, et ces
épreuves ont dû renouveler souvent, non la matière, mais l'idée que
l'on s'en faisait. Camille Juillan, si prudent, si ingénieux, si libre, avait,
je crois bien, débuté, par son bel opuscule des Inscriptions romaines de la
vallée de l'HNVeaune. A la fin de sa vie, il semblait s'en cacher comme
d'un péché de jeunesse ou d'un essai d'écolier dépassé de toutes parts.
Je n'ai pu me le procurer qu'en le faisant photographier à la Biblio
thèque nationale. J'espérais m'y renseigner à fond sur les centaines
et les centaines de médailles antiques découvertes à Auriol vers 1 867.
Je n'y trouvai pas ce que je cherchais. Le trésor a-t-il perdu de son
importance ? A-t-on oublié de l'inscrire en détail sur les tablettes de
la science organisée ? Il est vrai que l'on travaillait alors en ordre dis
persé. De bien heureuses réformes sont intervenues, et le défaut doit
être bien réduit sinon effacé, mais mon souci subsiste, je ne suis pas
d'A11rié11, loin de là, et ne m'en fiche point 2 1
Vous voulez bien me parler des pionniers. Il m'a toujours paru
qu'on les méprisait un peu trop. Pauvres de titres et de savoir, dénués
de toute méthode, soit ! mais non de mérite. Je suis certain de faire
rire nos érudits quand j'ose articuler le nom du pauvre docteur Tholozan
qui fut chargé des antiquités dans la Statistique des Bouches du Rhône
du préfet Villeneuve en 1 8 z4. Sa science est médiocre, sa critique à
peu près nulle, mais ce n'est pas une raison d'écarter son témoigna�e
quand il est positif. Les journaux ont parlé dernièrement comme de
nouveautés inouïes, de la ville antique recouverte par les eaux de
l'étang de Berre entre Arc et Touloubre : leur emplacement est désigné
de façon très claire par le malheureux Tholozan l L'exploration .que
l'on projette aurait pu être faite depuis un siècle. J'en dirai autant du
gîte de Fos, redécouvert par des argonautes, venus de Cannes. Gloire
à eux, mais non à la lenteur de leur navigation! Et j'en dirai bien plus,
acclamation par ci, malédiction par là, en ce qui touche à ce plateau
x. Cette réponse est relative aux projets de · thèses de MJne de Gérin-Ricard sur
L'histori(Jlle de l'état açfue/ de.r jOIIÏlle.r en Provence et sur La symboliqt,e fm,éraire celto/igure.
2. Allusion à un dicton provençal : • Moi, je m'en f... ! je suis d'Auriol. •
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
1. Mur grec découvert à Martigues et qui. sdon Maurras, prouve péremptoirement que
la première Marseille, la véritable cité phocéclmc; était au bord de l'étang de Berre.
a. Cf. plus haut, la lettre du 10 mars 1946 à sa nièce, lU1ène Maunas.
LETTRES DE PRISON
1. Il s'agit ici de l'helléniste Jean .Bérard. titulaire de la chaire d'histoire grecque à la Sor
bonne, mort en 1957. C'est son frère, Armand Bérard, qui fut en poste diplomatique, avant
et après la guerre, à Berlin.
pt. 2. Charles Picard, ancien directeur de l'Ecole d'Athènes, professeur à la Sorbonne, direc
teur de l'Institut d'Art et d' Archéologie de l'Université de Paris, membre de l'Institut.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A. MARCEL COULON 1
Février 1949.
Mon cher ami,
Pouvez-vous me donner un renseignement? Il s'agit de très beaux
vers et de notre jeunesse romane. Quel est l' .iEmilius, JEmilius, évoqué
par Moréas dans son premier Pélerin? Je vois bien le poème, un des
plus admirables. Mais le dédicataire? 1 On m'a posé la question, je suis
resté c<:>U� à ma hont�. Du moins rien de net. _A pein� puis-je rap�ler
une muruque mystérieuse du poète, ayant l'a.ir de dire que le philo
sophe Meyerson (Emile) se croyait Aemilius, mais qu'il ne l'était pas.
Avez-vous idée de cela? Ou d'autre chose? Faites-le moi passer par
mon neveu et fils adoptif, Jacques Maurras, je vous en serai très recon
naissant.
Je vous sais déjà très grand gré, depuis quatre ans, pour votre belle
lettre et réponse à Poésie et Véritl, mon bouquin de 1944. Vous m'aviez
fait le plus grand plaisir. J'avais prié Henn Massis de vous pro,eoser
La Revue Universelle s'il vous intéressait d'en parler. Mais bientôt il n'y
eut plus ni Revue, ni livres, ni gens. Et voici que tout se remet à se
refaire peu à peu. L'on s'en aperçoit même de ce lieu de délices. Il
pourrait arriver que nous nous retrouvions. Sinon, correspondons
pour continuer à battre le diable pour n'être pas battus.
Votre vieil ami de 1 895,
CH. MAURRAS
n° 832 1
P.S. Avez-vous jam.ais vu à Paris, à Londres ou dans l e Midi MJie de
1 5 février 1949.
1 949•
......Voici, dis à Massis mon grand merci pour son Pascal toujours 1
<< funeste » 1, hélas I et plutôt plus que moins, dans son magnifique travail,
car il me semble y voir, avec � surcroît de netteté, la mauvaise manœuvre
essentielle de cet esprit encore plus passionné que profond, ce qui n'est
pas peu dire! Ce qu'il veut, dans son cœur, c'est parvenir à substituer
radicalement à la raison, le tlmoignage, et comme il n'est pas bête. du
tout, comme il sait que le témoignage ne peut se débrouiller sans l'aide
de la raison, il ajoute ainsi, tant qu'il peut, au gros et au détail de notre
pauvre gâchis humain.
Si quelqu'un vient me dire qu'il a vu pat la porte entr'ouverte du
préau un petit chien blanc qui a levé la patte, puis s'est mis à aboyer
contre lui, il y a cinquante pour cent de chances pour que le chien fût
un chat, ou ne fût pas blanc, n'ait pas fait son pipi, et qu'il ait aboyé
ou miaulé contre tout autre que mon témoin. Ainsi vont les rapports
des hommes! La proportion d'erreur est tout de même beaucoup moins
forte s'il s'agit de savoir si le tout est plus grand que la partie, si les
bâtons sont doués de deux bouts ou d'un seul et les propositions qui s'en
déduisent, et c'est au renversement de ce rapport naturel que tendent,
de toute évidence, les paralogismes pascaliens. En lisant et en relisant
ce beau volume j'ai été frappé, aux dernières pages, de la note où il est
question du R. P. Lagrange 3• Celui-ci fait un acte de foi dans la solide
valeur apologétique du grand bouquin pascalien dont il porte le deuil
éternél. S'il le croit, grand bien lui fasse I Mais, si le R. P. était jésuite
au lieu d'être, comme je le crois, frère prêcheur, j'aurais un certain
plaisir à lui demander jusqu'à quel point les Provinciales lui semblent
1. Henri Massis avait envoyé à Charles M_aurras sa nouvelle édition des Pensées de Pascal
(1949).
2. C'est ainsi que Maurras qualifie Pascal dans le Mont th Saturne, pp. 29-30.
3. Le P. Lagrange, dominicain, directeur de l'Institut biblique de Jérusalem. Au cours
de ses études sur les Prophéties, il avait été fmppé de cc que les Pensées de Pascal contiennent
sur ce point de décisif et de fécond.
LETTRES DE PRISON
un ouvrage de haute et sereine valeur critique et si la frénésie de la
secte et du clan n'aurait pu été dignement remplacée, dans l'Apologie,
par une flamme de passion croyante aux mesures de l'Eglise chrétienne,
mais dont l'efficacité se fût arrêtée au pourtour strict du monde des
croyants et des convertis, sans pouvoir mener les autres beaucoup plus
loin que sur de vagues lisières ou errer à la mode de Barrès. Car pour
les esprits examinateurs, quel triturage inconscient et fantastique des
textes I Quelles extensions et contaminations de sens I Quels succédanés
de dialectique qui ne sont que de l'éloquence I De la chaleur pour de
la lumière, tant qu'on aurait voulu ! Il est bon de se le rappeler, les
années d'élaboration des Pensées coïncident, Strowski 1 l'a bien vu, avec
la fabrication des armes de Spinoza. Je ne sais si Strowski a pris garde
à d'autres concordances et à ce qui a suivi : Richard Simon, Bayle,
Voltaire (né de parents jansénistes), toute cette postérité de sacrilèges
et de blasphémateurs I Le seul Spinoza ferait pleuvoir sur la tête du
seul Pascal toutes les flèches et fléchettes imaginables, quant à l'incer
titude de l'hébreu, la perte des originaux, le Pentateuque qui n'est pas
de Moïse, ni de Josué le Livre de Josué, la fausseté des calculs, le fouillis
des Prophètes, Esdras qui fait des fautes d'arithmétique, et tout à l'ave
nant I L'Apologétique de Pascal en devient autrement compliquée,
arbitraire, inopérante, que celle que l'on tire de la preuve cosmogonique
ou de l'ordre du monde, à mesure que l'on sort de l'âme fidèle, c'est-à
dire de la plus confortable des pétitions de principe. L'amusant est que
la littérature ecclésiastique est restée sinon blessée, du moins étourdie, par
cette guerre au Témoignage sacré menée de Spinoza, Bayle, Simon,
Voltaire, à Strauss et à Renan. Et puis !'Histoire sacrée a repris ses
sens, puis relevé la tête, puis accepté bravement le combat; mais,
si je compte bien, c'est depuis !'Encyclique Aeterni Patris où Léon XIIi
réhabilita la scolastique et saint Thomas diffamés et dédaignés depuis
deux cents ans. Cer.ndant les subjectivistes, avec Bergson, Blondel,
Duchesne, Bremon , n'ont pas tardé à reprendre leur vile campagne
obscurantiste, malgré la belle Encyclir� Pascendi : n'est-ce pas le dogme
qui finira par payer les pots cassés s le domaine de la raison? En
bref, censeo que Bossuet est autrement fort que Pascal, même et surtout
comme écrivain, un coup d'œil sur la Relation sur le Quiétisme montre
sur les Provinciales son écrasante supériorité, le meilleur de Molière
pouvant seul . y être comparé, à mon humble sens I Hélas I que de mau
vaises pensées entretenues et fomentées pour une merveille d'édition
et de classement! Si notre ami ne m'a pas rendu pascalien, c'est qu'il
faut en désespérer.
CH. MAURRAS
r. Fortunat Strowski, dans son édition des Pmsi,1, fait la m&ne remarque que le
p. Lagtange.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A MARCEL COULON
S mars 1949.
veaux, mais sous la radieuse égide de Mme Marcel Coulon, vous ayez
liberté de voir, de respirer et de baiser la Muse. C'est la seule vraie liberté
de l'homme où qu'il soit, quoi qu'il fasse, tel vous en votre retraite,
Socrate en sa prison, moi ici! On ne saurait trop vous louer de ce tribut
à la Muse gnomique et didactique. Nous avons le devoir de les proclamer
légitimes et bienvenues, malgré les vains fauteurs de la poésie pure. Ne
donnant pas dans ce cher panneau, je dois vous confesser que je professe
la doctrine la plus opposée à celle de rechercher qui vous attire. Mon
ciel est le pauvre petit ciel planétaire auquel voulait justement nous bor
ner le vieux Comte, à qui j'ai emprunté mon titre : Synthèse subjective :
Foin de l'astrolabe et dt, télescope,
Lentille el miroir en cendres mués
Doctrines, propos que prlchent des popes
Venus de_Greenwich, de Nice ou d'Hué.
Une barre d'or pose à ma fenêtre,
&culant l'été, croissant à l'hiver
Ces pas du Soleil qu'ont su reco1JllaÎtre
Les pasteurs errants du pre,nier désert.
Je me sens alors (citoyen du monde
Atomes flottants aux vagues liqueurs
Des grains de matière et des rouleaux d'onde,
Océan sans bord, ni centre, ni cœur).
Je me sens le fils de l'humble province
Stellaire et solaire où mon globe est né
Et des mouvements réglés de mon Prince
Le contemplateur et scribe étonné.
vie : tout le monde connaît tout le monde, et les jours vont plus vite
que des avions au galop. Mais ni à vous, ni à la moitié de vous-même,
ce demi-siècle ne peut être trop vite ou trop lent, vous le portez ensem
ble dans une même joie. J'allais vous dire bonsoir et adieu, mais me
ravise pour vous reparler de mon idée toute fraîche, celle qui me hantait
en 1896 : faisant partie de la Nature, les œuvres d'art, poèmes, livres,
doivent avoir les mêmes vertus que ses autres parties, elles recèlent
aussi des beautés secrètes qu'un poète-né peut parfaitement mettre au
jour. La guerre de Troie est une très belle matière, mais les deux poèmes
homériques où elle est chantée en sont une autre, belle aussi, et l'on peut
faire œuvre d'art en parlant (comme Chénier, au fait!) de !'Aveugle (ou
du Sacristain) 1 de Chio, tout comme il parlait d'Andromaque, d'Hélène
et d'Achille. Ce qui me faisait conclure en ces temps pastoraux, contre
M. Catulle Mendès, que la critique, étant un art, peut être une poésie
elle-même... Vous voyez comme votre mot de la fin (poétesse l) tombe
d'aplomb. Lardanchet va, dit-on, me << sortir » un prochain recueil de
vers qui porte une espèce de simili préface intitulée Pan,is d'hommages 2•
Ce sont des hommages à un certain nombre de grands poètes, considérés
eux-mêmes comme matière à poème. Voulez-vous les premiers? C'est
la Crèche mistralienne,· épigraphe : moudesto coume d'angi (Saboly) 3 :
Les bergers et les rois sont venus dans Maillane
Orgueilleux sous la bure et modestes dans l'or
Ils ont trouvé la crèche aufond de la cabane
Etfont la révérence au Poèn,e qui dort.
Mireille, Calendal, Nerte, la Reine Jeanne
Le Poème du Rhône avec les Iles d'Or
Chantent, chœur à six voix, entre le bœuf et l'âne :
La septiè111e chanson ne parle pas encor.
L'enfant rit dans les bras de la 111use féconde
Son regard étonné découle entre les cils :
Qu'est-ce qu'il choisira des merveilles du monde,
La /il/te, la couleur ou le charme subtil,
Sibylle, Blanchefleur ou la fière Esclarmonde
La tendre Magali ? - Toutes, murmure-t-il.
1. Cf. plus haut, la lettœ du 4 janvier 1949 au sujet du livre d'Emile Mireaux sur Homère.
2. Cf. La &Jm,c, inllri-,.
3. « Modestes comme d'Anges t (Marche des Rois de Saboly).
LETTRES DE PRISON
A PIERRE VARILLON
8 mars 1949.
Mon cher ami,
Comme je suis content de pouvoir depuis avant-hier lire et relire
votre lettre, donc causer avec vous autant qu'il se peut I Vous êtes, non
amer, non fielleux comme vous semblez le craindre, mais triste. Il y
a de quoi pour des « lépreux & d'Action Française I Cependant il me sem
ble que, vous vous en doutez, no11s les a11rons. Les signes se muJtiplient
dans le ciel et sur la terre. Peut-être a-t-il été bon que ces coquins et
ces crétins ne rencontrant pas d'opposition sérieuse, puissent faire une
grande partie du mal dont ils étaient capables et confessent ainsi leur
inanité et leur maléfice par des aveux plus éclatants que ceux de Moscou
ou de Buda-Pesth et ainsi moins contestables. Leur œuvre est là. Là
leur malfaçon : c'est l'état de la France. C'est l'humeur des Français :
monument ou plutôt ruines qu'ils ne peuvent récuser. On peut partir
de ce zéro et même de ce négatif au-dessous de zéro, pour leur infliger
leur qualité, d'abord en parole et à la plume et puis en fait. Pourquoi
pas? Vous n'y voyez pas plus d'inconvénient que moi, et même quel
ques avantages sont-ils en vue ! Savez-vous que votre Mers-el-Kébir 1
a été ma colombe de l'arche? Hélène a dû vous dire ma joie à cette
promesse. Je pestais depuis des années qu'on ne se servît pas de cet
argument massue contre les faux vainqueurs et faux patriotes. Allons 1
allons I tout vient à l'heure. Dites à Chaumeix 2 avec mes souvenirs, mes
plus chaudes félicitations. Allons, allons, ça ira et ça va déjà I J'ai lu
et fait lire ici vos deux articles, ils sont excellents. Votre ami Béranger
a été évoqué 8, je me suis chanté à moi-même : es 111J pro1111ença11 q11'à la
vespèrado... Connaissez-vous sa ville natale dans le Comtat, sous le Ven-
A CHARLES VA.RILLON
7 mai 1949.
Mon petit Charles,
Je vous remercie beaucoup de la jolie lettre que · vous avez ·écrite à
votre vieux parrain pour son anniversaire n° 8 1. Je ne sais s'il faut
souhaiter à un jeune contemporain de voir un si grand nombre de
printemps et d'hivers. Tout de même on s'instruit et l'on comprend les
choses I En agri<:ulture, votre partie, cela doit servir : tant de pluie et
tant de soleil, tant de blé que l'on moissonne, et tant de vigne qu'on
taille! Et Virgile aidant, on trou� tout le temps de s'ouvrir l'esptjt.
Donc, mon petit Charles, longue vie et toujours heureuse I Mieux
vaut ne pas aller en prison. Mais si vous y allez, que ce soit de bonne
humeur et pour des causes dont vous soyez fier et dont vous puissiez
tirer honneur à la barbe de vos ennemis triomphants I C'est mon cas,
peut vous dire, sans se vanter, votre vieux parrain qui vous embrasse de
tout cœur, mon petit Charles, avec tous les vôtres que j'aime bien.
CHARLES MAURRAS 8 3 2. 1
A HE,NRI MASSIS
18 mai 1 949.
Mon cher ami,
Les extravagantes nouvelles reçues d'Allemagne me font un cas de
conscience de vous remercier enfin de votre beau livre de salut public 1
et de vous féliciter, car, à part nos amis d'Aspects, il me semble que vous
êtes bien seul (je n'ai pas reçu l'Indépendance depuis son extinction tempo
raire). Est-ce que les gens au pouvoir sont fous? Est-ce qu'ils ne savent
pas ce que c'est qu'une fédération? Est-ce qu'il leur échappe que dans
ces fameux Etats fédérés, un poids de 80 millions d'habitants vaut
deux fois celui qui n'en a que 40 millions? Je vous dis qu'ils sont par
faitement insensés. Bidault aggravait Briand I Sèhùtilan aggrave Biclault,
Préparons-nous à quelque belle expédition punitive eu;:{:; • . réalisant
le plan de Hitler avec Je concours de Lo�es, de W: on, . et du
Benelux! Ce qu'il y a d'inouï, c'est l'exacte répétition de certains détails
de 1919 1 Vous souvient-il de l'incident Jules Cambon demandant que
1. Au Traité de Versailles.
2. Cf. Esprit, n° 134, juin 1947. Les Allemands parlent tk l'Allemagne, par Hans Joachim
von Amim.
3. Cf. Pierre GAXOTrE : Naissance de l 'Allemagne. Les Amis de !'Originale, 1949.
4. L'abbé Georg MCENrus, fondateur à Munich des Éditions du Limes, directeur de
l' Al/eg,m,in, Rlmdsdx111, collaborateur du cardinal Faulhaber. Il publia en 1929 la traduction
en allemand du livre d'Henri Massis : Défens, tk l'O,àtknl et le fit précéder d'une impot•
tante préface, reproduite en partie dans l'Allemagn, d'hier el d'après-demain, et dont Charles
Maurras disait : • Nos plus hautes positions en sortent renforcées et éclairées. Georg
Mœnius aura été, en Allemagne, l'un des champions de la romanitas. » Traqué par la Gestapo,
il dut quitter Munich en 1933 dès l'arrivée dé Hitler au pouvoir. Il a vécu depuis lors en
exil et est actuellement professeur aux États-Unis.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A PIERRE VARILLON
I 5 juin 1949•
Mon cher ami,
Je ne sais où prendre tout ce que j'ai à vous dire, en réponse à votre
lettre et à vos envois. Merci global pour tout. Mers-el-Kebir est parfait
de l'avis de tous ici. Il est vrai que 1'on sent à la fin un peu de précipita
tion et de resserrement contraint, mais cela est réparable dans le livre
qui seul fera foi. Votre raisonnement final sur la présence possible de la
flotte à Oran en 1942 est d'une irréfutable éviaence et colle un peu
votre « amateur » qui est surtout un rhéteur. Quant au discours de Gaulle
en juin, je ne me le rappelle pas, mais celui qu'il a prononcé au lendemain
de Mers-el-Kébir est déjà affreux. Il faut que l'on sache toutes les
responsabilités de cet homme maudit. Vous faites la plus pie des œuvres
pies. Ajoutez à mes compliments les remerciements de tous. Ci-joint
une note relative à vos questions. J'y ajoute les trois lettres sur le Bocca
dor 1, que je n'ai pas eu le temps de relire tambour battant; j'espère qu'elles
ne vous ont pas trop manqué. Oui, faites-en faire une copie, et passez
les à Georges Calzant. Il s'agit du dossiet qu'il doit constituer à tout
prix. Notre situation de pillés et de sinistrés fait partie de notre inno
cence et de notre droit. Hier encore une commission de contrôle est
venue me demander si j'avais quelque chose à réclamer. Oui, ai-je
répondu comme toujours, ma liberté, des excuses, une indemnité et la tête
de M. de Menthon, auteur de toutes ces infamies. Vous voyez que vos docu
ments serviront à de bonnes fins. Naturellement le rapport 2 du Boche y
ferait merveille. Le petit livre 3 est délicieux à voir et à toucher. Merci
encore. Tant pis pour l'inattingib]e mur grec. Vous avez dressé les pierres
d'attente en fort bel arroi, j'eusse voulu que le texte fût plus digne de sa
parure : il eût fallu des épreuves, ce qui est toujours lenteur et difficultés
ici. Mais les macules sont après tout assez rares. Ne pleurez pas sur la
virgule intempestive. C'est la première fois dans ma vie d'auteur qu'un
volume de moi ne comporte qu'uNE faute d'impression. Ainsi... !
Le livre de la princesse Bibesco ne s'appelle-t-il pas Catherine-Paris "?
Sinon, il y aurait un moyen d'en retrouver le titre, c'est de s'adresser
au citoyen Thérive, qui en a fait jadis une analyse dans un feuilleton du
1. Rue du Boccador où étaient les bureaux de /'htion fran;ai.r1, à Paris ; ils furent
pillés pendant l'occupation allemande.
2. Rapport à Berlin du Sonderführer Scbleier inscrivant Maurras f parmi les personnalités
qu'il conviendrait d'arrêter au cas d'une tentative plus importante de débarquement anglo
saxon. • (Paris, 7 juin 1940).
3. In.rmptions mr nos rui111s, qui venait de paraitre.
4. Princesse Bibesco : Cathwine-Paris, roman, Paris, 1927.
LETTRES DE PRISON
Temps - dont j'ai cité quelques lignes, - et dont la princesse m'avait
remercié très gracieusement en m'annonçant l'envoi du bouquin qui
n'est jamais arrivé. Vive Kemp, puisqu'il s'est rappelé notre chère amie
balzacienne, et sa Dilecta qui est un livre de toute beauté 1 1 Ne lâchez
pas Lardanchet, tarit pour /'Essai sur la Critique que pour l'appendice
de Coulon. Tâchez aussi de savoir ce que devient la promesse spontanée
qu'il avait faite à Jacques de publier bientôt la Balance Intérieure.
La Vie Intellectuelle a publié récemment une sorte de dialogue
fantasque entre Pascal ou M. de Saci et le fameux exégète et critique
oratorien Richard Simon 8. J'ignore qui en est l'auteur. C'est le sujet qui
m'intéresse. J'ai beaucoup lu Pascal ici (sans amitié) et Port-R(!Jal de
Sainte-Beuve (avec intérêt et inimitié) et je soupçonne le dialogue de la
Vie Intellectuelle d'effleurer (tout au moins) une idée qui m'est venue et
qui pourrait s'intituler Pascal puni, puni de sa principale erreur, d'avoir
cru pouvoir substituer à la Raison le Témoignage. Oui, si vous pouvez
me faire copier cela, j'en serai bien heureux.
Jacques vous a-t-il parlé de ce prêtre toulousain qui a fait un travail
dreyfusard sur l'affaire Dreyfus? Je lui disais de l'acheter û oo francs).
L'a-t-il oublié? .Et d'autre part, j'aurai l'indiscrétion de vous demander
le prêt du Dutrait-Croz.on 3•
Soyez sûr que votre Charles vous fera des surprises agréables, celles-là
mêmes dont vous avez cru devoir désespérer. Dites-moi, en précisant,
en détaillant, les goûts littéraires de votre grand fils. Ce sera un contact
pris avec les nouvelles générations. Vous ne serez pas surpris de me
savoir un très médiocre existentialiste I Mais l'envie des autres fait plaisir
à voir.
Alors vous voilà sans patronne, M11e Varillon étant émigrée dans les
montagnes I Il vous reste à servir sa cadette et la maman d'icelle, ce qui
fait bien des dames de Cour d'amour. Présentez-leur, je vous prie, mes
respectueux hommages. A vous, toutes mes vieilles amitiés.
A MARCEL COULON
u juin 1949.
1. Pierre de Bréville (1861-1932) avait écrit une suite de mélodies sur des poèmes de
Jean Moréas.
2. a. Jean Moréas dans Le Pelerin passi,mné.
3. Le restaurant Chauland, rue Fabert.
4. Marcel Coulon avait fait copier pour Maurras un vieil article de Ferdinand Bac qui
évoquait Jean Moréas • jeune homme •·
5. Son Essai SIIT la Criliqt«, publié en 1896 dans la I Revue Encyclopédique Larousse •·
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 1 49
A PIERRE VARILLON
24 juillet 1 949.
1. • Vanité ! Vanité des vanités ! •· Citation de l'B«llsialle, faite par saint Jean Chrysos
tome dans une de ses homélies.
2. François de Marchangy, qui, comme magistrat est resté célèbre par son réquisitoire
contre les quatre sergents de La Rochelle, était aussi écrivain. Son livre La Gallle poétique,
obtint un vif succès au début du siècle dernier.
3 . Cf. plus bas, à la date du 20 septembre 1949, la transcription de ce poème.
4. « Un article signé Neraud de Boisdcffrc dans les EJ""81, à propos de Barrès, avait énervé
Maurras qui croyait avoir affaire à un Père jésuite et lui a envoyé une lettre de rcctüication.
Boisdeffre a répondu : Ce Père jésuite est un jeune laïque de vingt-trois ans. t (Xavier Vallat,
Charles Mtllll'rat, 11' d'«r011 8321).
LETTRES DE PRISON
1. Article intitulé : • Rien n'est aventure quand tout est désotdtc •· (Le Figaro, 21 juillet
1949).
z. L'auteur de !'Histoire des Fran;aù est né à Revigny en Lorraine.
3. Maurice de Ferrières désigne ici Maurice Pujo, originaire de Ferrières-en-Gâtinais.
. 4- POIII' 1111 j111111 Fran;ais, Paris, 1949. L'ouvrage a été écrit pour répondre aux questions
d'un jeune agrégé de lettres, M. Oaude Digeon, qui prépatait une thèse de doctorat sur
les répercussions de notre défaite de 1870 dans la littérature française.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A MARCEL COULON
Décembre 1 949.
1. Il s'agit du propos rapporté par Barres dans son Adieu à Moria.r, Paris, 1910. « ••• Il
avait demandé qu'on nous lassât seuls et la garde-malade elle-m�me s'éloigna. Nous avons
causé de ce qui lui tenait le plus au cœur, de littérature, et il m'a dit : • Il n'y a pas de classi
ques et de romantiques... C'est des bêtises t.
2. Ce second volume n'a pas été édité. Certains morceaux en ont été recueillis dans les
<Ellvres Capitales et dans Maitres et tlmoins de ma vie d'esprit.
3. Publié sous le titre de : Prolo_g111 d11111 E.rsai llll' la Critiq111. Paris, 1932.
4. Cf. Jean Carrère : Le.r Mmn>ais Maitres. Paris, 1922.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
Ernest Raynaud 1, qui avait du bon sens, n'a pas comnùs une sottise
équivalente ? Rancune d'Ardennais et de verlainien manqué. Son faune lui
en fera les cornes éternellement I Je vous envie bassement de pouvoir
vous promener dans le Jardin de La Fontaine et lire le latin, suivre les
méandres de ses eaux immobiles et vous sentir égal contemporain
d'André Chénier et des Antonins; je ne sais laquelle des deux époques
est la plus élégante, fine et attique, ou plutôt, je le sais très bien. Mais
vous pouvez encore vivre cela. Mes compliments, mes amitiés, mes
respectueux hommages à une secrétaire modeste !
Votre vieux,
CH. MAURRAS 8 3 2. 1
7 septembre 1949.
Madame,
Il y a des mois et des saisons que · e veux dire à M. Paul Morand toute
ma confusion et toute ma gratituJe 2, et voilà d'autres mois, bientôt
d'autres saisons que je bois des hontes nouvelles par mon silence à votre
égard ! Moi qui épuise les bouteilles d'encre et les provisions de plumier,
le vrai est que j'écris, en somme, peu de lettres par l'effet de l'incertitude
des occasions de les << passer », bien qu'elles soient perpétuelles. Vos
gâteries à deux me secouent ; je vous prie de songer combien j'y suis
sensible. Nous ne nous connaissons encore que dans l'abstrait et rien
n'est plus concret que vos signes de vie ! Jacques m'a dit votre amitié.
J'en rumine d'autres raisons, plus politiques encore que littéraires,
depuis que me voici sous clef. J'ai lu, relu, extrait (vous allez rire)
/'Hiver Caraïbe, et l'ai trouvé infiniment propre à faire réfléchir quelques
écervelés puissants et hurluberlus qui se croient malins. J'ai trouvé en
un volume infect d'un certain Paul Reynaud 3 un rapport de Paul Morand
qui est la fleur de la sagesse et qui m'éclaire beaucoup de mystères d'absur
dités. Tout cela rapproche et unit. Enfin voici, tout près de moi,
MM. Xavier Vallat et Marion : or les amis de nos amis sont nos amis,
et cela boucle bien la boucle. Jacques leur a remis ce qu'il devait, mais
quand je lui ai dit mon silence induré, il a reculé d'un pas et m'a dit :
- Oh !
1. Ernest Raynaud, poète auteur de Jean Moréas et les Stançe.r, Paris, 1929.
2. Paul Morand lui avait envoyé quelques-uns de ses livres.
3. Paul Reynaud : La Françe a sauvé l'Ellf'ope, 2 vol. Paris, 1947.
I S4 LETTRES DE PRISON
A MARCEL COULON
7 septembre 1949.
1. Pierrot, personnage de Don fuan de Molière (acte II, scènes II et IIT) qui a sauvé don Juan
et Sganarelle dans la Mer de Sicile.
2. Il s'agit de la fable de • La Figue-Palme •• in Insmp#on.r s11r nos ruines.
3. Alexandre Btacke (A. Desrousseaux), helléniste et homme politique, ami de Jaurès.
Pour lui, le socialisme était une religion.
4. Paul Verlaine.
5. Raymond de La Tailhède avait connu Jules Tellier quand celui-ci était professeur de
rhétorique au collège de Moissac et Jules Tellier eut sur lui une influence personnelle qui
duta par delà la mort.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
1. Dans Aspects dl la Frann (2s août 1949). Pierre Boutang venait de publier un article
intitulé : Eschyle, ce contemporain.
2. Marcel Coulon. n'ayant pu déchiffrer cette phrase de la lettte précédente de Maurras
(de juillet 1949), lui avait envoyé un calque de l'original autographe en le priant de la lui
transcrire.
3. Tieck avait collaboré à la célèbre traduction allemande de Shakespeare et montré
l'influence shakespearienne sur le théâtre allemand.
4- La Tailhède. •
LETTRES DE PRISON
qui passaient à sa portée. Que dire des gens moyens I Ou de ceux qui
avaient une valeur, sinon comparable, au moins appréciable I Nos simples
rapports littéraires (ou quasi politiques) ont été influencés par tous les
astres ou astérioles qui approchaient le sien, et si en fin de compte j'ai
pu lui être de quelque utilité matérielle dans les dernières années, c'est
parce qu'un sien cousin, toulousain d'A. F. 1 l'avait presque ramené de
force vers moi; j'oublie (en ingrat véritable) une sienne nièce pleine
de grâce et de bon sens 2• Mais enfin c'était toujours l'autre qui pesait
sur ce triste cœur. Cela a dû faire grand tort au poète 3 • Mais il reste
grand. Je vous trouve un peu sévère. Le poème que vous avez relu n'est-il
pas dans la Métamorphose âes Fontaines? 11 y a de beaux vers, et des incom
parables. A chaque instant,
...des mo nts d 'Arcadie aux pointes d 'émeraude
le radieux archer Phébus lance ses traits
et puis, quels coups de talon pour le rythme de l'ode! Moréas ne << crai
gnait » que Raymond, mais il le craignait, et, s'il n'avait tout de même
pas raison, l'aveu compte. Non, je ne sais pas le mot de Moréas sur le
corydonisme. Dites-le moi. Je me rappelle la venue de Wilde à Paris.
Vers x 892. il fallait voir Gide voltiger autour de lui en mac farlane noir,
comme un ange d'un type nouveau.Je ne supporte pas sa prose, dont je
vois les qualités, aux bons endroits, notamment les souvenirs de ses
aïeux camisards cévenols qui sont, paraît-il, classiques en Angleterre
pour l'enseignement du français, mais j'ai trouvé hideux, fond et forme,
les Caves du Vatican '· Le vrai est que je l'ai extrêmement peu lu, ayant
mieux à faire quand il était dans son bon temps. Il a fait, en 46, un
article ignoble pour Barrès et pour moi, dans la Gaz.ette de Lausanne. J'y
ai répondu 5, je vous enverrai cela, avec mon Breu, si vous ne l'avez eu.
En revanche, donnez-moi, avec le Pascal, tout ce que votre muse didac
tique m'a refusé des sept cents vers de la Bêtise 6, mais, d'ici-là, je veux
que vous ayez mon très vif compliment pour votre second vers : une
i-dée de l'infini. C'est ce qui s'appelle parler et scander I Je me suis creusé la
tête pour savoir que vous mettre clans ce courrier, et, ma foi, j'ai pensé
que 1a Muse politique pourrait vous amuser, je vous en fais parvenir
deux pièces, l'une au verso de ceci, l'autre sur feuillet à part à cause du
fatras des notes indispensables. Il faut gronder de ma part Mme Marcel
Coulon : de quel droit ne se porte-t-elle pas bien ? Puisse un pâle bouquin,
avec tous mes hommages, lui donner le goût d'aller de mieux en mieux
en cette Marche de Provence où le soleil est maître et dieu.
Votre vieil ami, très reconnaissant.
CH. M. 8321
A PIERRE VARILLON
8 septembre 1949.
Mon cher ami,
Je vous suis très reconnaissant de ce que vous avez fait pour B. Bour
get disait avec taison, dans son bon temps, qu'il faut être de l'école de
la bouteille à la mer : qu'elle arrive si c'est la volonté de Dieu! Mon
principe est de donner et de redoubler les explications à leur maximum
de clarté, pour tous ceux qui m'en demandent, mais il faut tâcher de
conserver une teneur exacte pour le cas de discussions ultérieures. Voilà
la raison de cette dactylographie onéreuse, dont je m'excuse. Le jeune
B. répondra ou non, l'essentiel est qu'il ait reçu son paquet. Qui sait si
l'en�ueulade d'Aspects n'aura pas produit un effet convergent! Comme
disait ma concierge du 19, rue du Dragon, très pure enfant de Mont
martre : « Ce sont des choses qu'on arrive ou qu'on arrive pas 1 »
Je serai très et très content d'avoir /'Histoire des Frtlllfais, de Gaxotte;
ce sera fameux si j'en juge par les vertes et les pas mûres qu'il administre
à ses lecteurs du Figaro. Mais je n'en tiens pas moins à l'extrême urgence
d'une Histoire des A/lemagnes 1, si bien amorcée par sa belle description
géographique; je n'imaginais pas qu'après cette préface il dût laisser
en plan cette grande chose.
Grand merci pour le Oouard 2, je n'ai pas fini de le parcourir. C'est un
très gros travail. Il ne perd pas le fil. Quant à Jean Paulhan, il a été parfait
pour moi et a écrit une lettre admirable, qui sera, je crois, publiée 3•
1. Princesse Bibesco : Flllilks tk Ca/mdri,r. Pllris, 1939. Paul Oaudel : Images d'Epinal.
Paris, 1948.
2. L'éditeur Lardanchet, au sujet du second volume de Poésie el Vérili.
3. Edition dei(poésies d'Alfred de Musset, dont Maurras devait écrire la préface.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
Ma petite Ninon,
Je profite du retard pour répondre à ta lettre et te remercier
du mot de lady Memble dont j'ai fait illico l'épigraphe unilingue 1 d'un
commentaire analytique surabondant ajouté à une ballade pieuse. Tu
vois, tout sert en ce bas · monde. Tu as peut-être raison de regretter
l'épilogue du Mont de Saturne, mais il était quelque chose de beau
coup plus gai dans son jet premier, quand l'interlocuteur avait un nom
pas latin 2• On en a fait un chef-d'œuvre, très pur et très subtil, d'adaptation
pour le rendre possible. Plus tard, on verra Je coup droit originel, et
l'on louera équitablement, je crois, les deux textes pour deux raisons.
Pour le Never Explain, tu m'avoueras qu'il va comme un gant à la fine
main de tout éternel féminin. Nous y allons plus dret comme dit l'autre.
Et tu as le courage d'accuser ton vieil oncle d'inconstance en amitié
parce qu'il veut retirer à un gosse de six ans une arme à feu avec laqudle 3 • • •
A MARCEL COULON
20 septembre 1949.
Mon cher ami,
Je << tiens à tenir ma promesse », voyez-vous ça, et, après ma longue
épître de l'autre jour 1, vous recopie la petite pièce introuvable dite
<< Prière aux trois Parques suivie de leur métamorphose » 2 :
I
Nos destins filés sous vos mains d 'ivoire,
Parques de douleur et de volupté,
Ne sonnent pas tous 1111 chant de victoire,
II
4 novembre 1949.
Ma petite Ninon, je suis bien retard avec toi. Ta dépêche I Une lettre 1
Une autre ! Je réponds à tout. Pour Brun je m'en occupe 1 • Il me suffisait
d'être assuré que c'était bien le jour dit. J'écris donc en conséquence,
il s'agira de lui faire passer le seuil. Alors, pour ce filleul, question de
manœuvre personnelle, où je ne vaudrais plus rien. Les Anglais disent :
attendre et voir. A la française, oser, aller, ne pas commettre de faute,
très difficile, oui. Chance pourtant, c'est l'avis de mon compagnon et
conseil. Et maintenant, écoute cette belle histoire. Tu sais ou ne sais pas
que j'ai gagné mon procès en appel contre mon paysan. Quand on a
demandé à l'avocate qui a fait ce coup victorieux sa note d'honoraires,
elle a répondu que c'était pour elle un honneur suffisant d'avoir repré
senté ton oncle à la barre... Ce désintéressement antique mérite d'être
récompensé par un beau livre, matériellement beau, aurais-tu un exem
plaire exceptionnel et radieux (de luxe) du ]ardin 2 ? Je le voudrais pour
1. Maurice Brun, le restaurateur provençal, avait projeté de faire, à Clairvaux même,
une bouillabaisse et de l'apporter à Maurras dans sa prison, ce qu'il réalisa.
2. Mon Jardin qui 1'erl 101111etr11.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
cette dame romaine. Et je voudrais que ce fût très vite. Seulement c'est
très compliqué. Le présent doit pass.cr par Arles. Et alors il faut un colis
contenant d'abord le livre destiné à Madame ou à Maître (on ne peut pas
dire Maîtresse) Faure de Sardiges, puis un exemplaire ordinaire 1 ° pour
M11e J. Gibert, un autre pour Louis Dromard, enfin un pour ton onde
en sa bibliothèque de Martigues, ces trois derniers, je répète, ordinaires,
tout en n'étant pas vulgaires, je m'en doute 1 La distribution sera faite
d'Arles, du quai de Trinquetailles... Je suis confus de te donner tout ce
travail, chaque note est utile; et je pense que tu as de quoi parer aux
frais. Tu n'en as pas fini avec mes « commissions » 1 T'ai-je raconté le
Lange.rso, moun enfant 1 de la crèche provençale d'Aix? Sinon ce sera pour
jeudi. Tu verras : c'est très beau. Enfin, ma petite Ninon : langesso,
j'ai appris toutes sortes de choses nouvelles sur ma vieille connaissance
le philosophe, dit maître d'Aix, Maurice Blondel, sur lequel tu m'as
déjà renseigné, il y a deux ou trois ans, et qui vient de mourir. Or j'ai
besoin d'un document sur lui, cité par « l'Archiviste >> d'Aspects. · J'ai
prié Jacques de savoir pour moi qui est cet « Archiviste... Tu pourrais
lui demander de te le dire pour moi. Ce que je voudrais est plus
difficile. Varillon ou Havard de la Montagne peut-être? C'est un Cahier
de la nouvelle journée, n° 10, publié par la maison Gay et Bloud en 192.7.
Ce Cahier contient un article intitulé les Conclusions d'une expérience per
sonnelle par Marcel Breton, pseudonyme de Blondel 2• J'en ai besoin,
prompt, vif, urgent besoin, pour écrire des souvenirs sur Blondel, qui
seront amusants, je crois. Peux-tu t'occuper de cela? Si l'on ne peut
m'avoir ce Cahier en propriété, ne peut-on me le prêter? Je le rendrai
sans faute. En désespoir de cause, ne pourrait-on demander ce prêt à
un père jésuite ami, le père de Tonquédec 3, qui habitait jadis, rue du
Regard, n° 1 2. ? Il était l'ami personnel de Boisfleury et de Lucien Moreau.
- Dis à Varillon que je m'occupe de Musset efficacement, depuis que
j'ai l'Anthologie de Gide : l'inutile apparent est souvent nécessaire. -
J'ai prié Jacques de recommander à Maurice la communication amicale
et familière avec notre jeune Arfel, dont les deux articles sur le Mlmorial
ont dignement marqué la fougue et l'allant, sans compter la longue vue
d'avenir '. Il y a entre lui et Pujo un petit différend de pure stratégie,
les raisons de Maurice sont solides et justes, j'y souscris tout à fait, mais
1. Dans la « crèche parlante • d'Aix, le bûcheron rappelle indéfiniment son fils partant
sur son âne, pour le charger chaque fois d'une nouvelle commission : • Langesso, moun
enfant... •
2. Sous le titre « Blondel et l'Action française •• Aspeds th la Franç, avait publié. le 27 octo
bre 1949, un article signé • l'Archiviste • où il était question du « d9CUment • que Maurras
voulait se procurer. Ce « Cahier de la Nouvelle Journée » contenait une suite de • témoignages
sur l'Action françai1, •• parmi lesquels l'article de Maurice Blondel.
3. Joseph de Tonquédec, auteur de DINX Et""81 .tNr « la P1111é1 • th Momie, Blondel. Paris,
1936.
4. Jean Arfel (Lagor) venait de parler du mémorial Po11r 1111j111114 Fra"ftlÎI,
LETTRES DE PRISON
je prétends qu'il n'est rien de plus facile que de les faire voir et accepter
d'Arfel, affaire d'une conversation. Tu pourrais contribuer à ce que cette
conversation nécessaire ait lieu... selon la formule du confiseur, comme
Pierre de Ronsard : - « Ma dame ne donne pas - des baisers, mais des
appâts - qui seuls nourrissent mon âme. - des biens dont les dieux
sont fous, - des pompons, du sucre doux, - de la cannelle et du
basme ». Et tel cet autre confiseur, Mistral, je répète : d'oli, d'oli, d'oli.
Nous sommes plus forts après l'oli du 16 octobre qu'aux temps des
acidités déplorées, au moins de ton vieil ascendant avunculaire, si périmé
qu'il soit. - Tu pourrais demander à Jacques, à Varillon, si l'on m'a
trouvé la Comldie du nationalisme intlgrafi de Mirambel et le Po11t1oir de
Jouvenel; et ajouter ceci à ma liste de bouquins désirés : - 1 ° Gravier,
Mise en valeur de la France, Le Portulan, 1949, - 2. Denis de Rougemont
Journal des deux mondes, Gallimard, 1948. - 3° Roger Lévy, E.xtrême
0
malheureux n'est pas responsable, mais, çà et là, il est venimeux, par ses
rêveries et les inventions qui en naissent. Mais quelle naivetél Si je
faisais une anthologie de la matière, j'y rangerais les sottises qu'il se
forge pour expliquer décemment le crime de Voiron. Et il ne réussit
même pas à en faire quelque chose d'humain. Pôurquoi m'annonçais:..tu
que la copie n'était pas bien faite ? Elle est au contraire très bien. Les
c:;spaces laissés en blanc sont forcés. Mais le signe de l'intelligence est
qu'il n'y a ni contre-sens ni faux sens, et les marges sont régulières et
bonnes. Où en est la suite ? Et quand aurai-je chance d'en ravoir ? Le
ferme Français a été très bien copié, lui aussi. Il y a sur la couverture un
masque bonnias que je ne connaissais pas à ton vieil oncle et une arcade
sourcillière bien ronde. Cela m'a rappelé les vers d'Annunzio (ou de
Carducci) que j'ai dû te citer cinquante fois : « Mais l'âme en moi s'adoucit
comme le fruit mûr •· Qu'on ne s'y fie pas trop ! Je suis bien content de
ne voir dans le livre imprimé pour ainsi dire pas de fautes. Une seule
a de l'importance, page zo3, dernière ligne, « traités • pour faits. Tant
pour le cas de réédition que pour ta copie du ferme Fran;ais (elle ne doit
pas être finie) et pour les exemplaires de nos amis (Michel, Maurice,
Boutang, Justinien, Lagor, Georges, Pierre, etc.) je te dresse l'erratum
ci-joint à taper. Pour dépasser la vingtaine, il faut deux ou trois correc
tions d'auteur : c'est miraculeusement peu. Je reçois à l'instant un
billet aimable du jeune français 1• Il ne peut évidemment me parler de son
Carré, il dit : « J'ai pris l'engagement auprès du ministre de la Justice de
<< faire en sorte qu'il ne soit pas possible de découvrir que des renseigne
<< ments m'ont été communiqués par vous durant votre détention •·
Alors pourquoi ce zozo a-t-il autorisé ? Avouons que nos ennemis
sont faits sur mesure I Ainsi (Garin dixit) Mlle Sériot a perdu son frère !
Je suis bien avec elle dans son deuil, dis-le lui. Il �t que la mort a été
tout à fait subite. Elle va donc rentrer dans le logement de la rue de Ver
neuil qu'elle lui avait cédé ? Donne-moi des nouvelles de Janine et de
Berthie 2• Remercie vivement Pierre Varillon de Catherine-Paris, il a
raison, ce n'est pas le tome que je cherche. On me dit que l'objet de ma
chasse doit être le volume que la Princesse Bibesco a intitulé : E.!,alitls.
Peut-on mettre la main dessus ? Et peux-tu me faire le plaisir de télépho
ner à Jacques que mon pécule ici s'épuise ? Je lui saurais très grand gté
de me faire le plus tôt possible un nouvel envoi, afin de ne pas vivre
à crédit. La voie extraordinaire qui passera ceci m'a permis ce libre
langage. Réponds-y prudemment, puisque tu risques d'être lue. Mais
1. Pour un ]mn4 Ff'fl11fais (1949). CT. plus haut lettre du zs juillet 1949. M. Digeon
travaillait à sa thèse sous la direction de Jean-Marie Carré, professeur à la Sorbonne, qui
venait de publier un ouvrage intitulé : Ler &rivain1fran;ais el le Mira�e allemand (Paris, 1947)
où il mettait en cause Charles Maunas.
z. Sa nièce M'M8 Pierangeli et sa fille Janine.
166 LEITRES DE PRISON
4 décembre 1949.
Ma petite Ninon,
Admire l'immuable et sage et bon propos que prête à sa nièce ton
vieil oncle, il pensait en effet que tu travaillais ! Mais ta lettre a été la
bienvenue, hier matin, montée par exprès, ce qui semble prouver que
tu t'es débrouµ.J.ée pour hâter son vol. Vive donc la chance de jeudi !
Et merci des œillets, ils sont restés brillants et brûlants de longs jours ;
les horticulteurs de Paris ne les poivrent pas comme nos jardiniers de
Provence; en revanche, ils leur -donnent un profond arôme de chair
qui ne leur a pas passé . depuis cinquante ans.
Pourrais-tu. me dire si Michel a fini par recevoir son Bre11? Sinon,
tu lui apporteras le sien. Le livre de Joanny Drevet 2 doit être bien
gros. S'il ne l'est pas trop et ne t'encombre pas, apportes-en un. Au cas
où le Jardin continuerait à tarder, l'autre Paysages Mistraliens pourrait
être donné à l'aixoise avocate au grand cœur. Mais comme il n'y aurait
dans son colis qu'un exemplaire, ça pourrait faire des . chichis, et, tout
compté, le Jardin vaudrait beaucoup mieux s'il était beau à voir aussi
Nous réglerons tout ça jeudi de visu d'après tous les autres renseigne
ments que tu auras sur toi.
Puisque tu vois la nièce de La Tailhède mercredi, présente-lui mes
hommages, dis-lui mes souvenirs, ajoute que j'ai été indigné de ne pas
voir de vers divins de Raymond dans la dernière Anthologie de Gide, mais
les protestants n'ont pas le goût français. Je ne crains pas qu'elle soit
protestante elle-même. Albigeoise ou Cathare, plutôt! A-t-elle eu mon
remerciement pour . sa. belle brochure ? et mes menues rectifications,
Samedi 1 8 février 1 9 5 o.
10 mars 1 9 5 0.
taux. J'ai été sur le point d'oublier de te parler de l'affaire des Maurras
et du grand savant alpin 1 dont les petits-fils ou petits-neveux sont connus
de Mme Maurice. J'ai eu la chance d'y songer au dernier moment. Je me
rappelle, en sus, et · tu pourras le rappeler à nos amis, que ce grand
savant universel était l'auteur d'un gros volume sur la route suivie par
Napoléon dans les Alpes, à son retour de l'île d'Elbe. Il est impos
sible que Mme Maurice n'en ait pas souvenir. Par exemple, je t'ai laissé
refiler sans te reposer la question (cependant établie à ton précédent
passage) relative à Antigone, à Hilaire I et à Lyon. Si tu as écrit à temps,
la réponse ne peut plus tarder : transmets-la moi, c'est important. Je
compte bien que, ce lundi, jour de ta rencontre avec nos amis, tu leur
auras dit la haute importance que j'attache aussi à Dino Frescobaldi 3•
C'est un pion européen, et le belge 4 en est un autre. Des gens comme le
figariste Aron 5 en viennent à dire que l'on ne peut plus s'en tenir à des
débats superficiels. Ces deux étrangers voient comme nous, et le floren
tin s'engage résolument à la suite de l'école française. Impossible de négli
ger cela I Je te supplie de me dire le plus tôt possible ce qu'on en a pensé 1
Dis à Calzant que je viens de recevoir les livres et l'en remercie très chau
dement. Mais je ne trouve pas le tome II des Mémoires de Boncour 6•
Pourrais-tu faire demander à Pierre Varillon pourquoi la revue verte
de Lardanchet 7, après avoir très bien parlé du Grand Juge, ne dit rien
du Jeune Fran;ais? N'oublie pas la question. N'oublie pas non plus ce
qu'il faut dire à Boutang, tant sur le poète Horace que sur l'Homère
de Mireaux 8• Ce dernier livre me fait un peu moins de plaisir que son
premier volume, mais beaucoup de plaisir tout de même. T'ai-je assez
dit que les deux dictées que je t'ai faites sont absolument subordonnées
à la sagesse et à l'esprit politique de Maurice ? Mais cela va sans dire
et fait partie de nos conventions. Voilà je crois tout mon P. S. d'aujour
d'hui. J'y voulais joindre de longues considératiom sur le communisme
et la primitive Église, le communisme et le cénobitisme monacal, mais
cela se réduira à deux mots : 'les chrétiens des premiers temps croyaient
que leur génération allait voir la fin du monde, et la cité temporelle ne
pouvait pas les occuper; les cénobites contractent une association volon
taire, ne se marient pas, ne font pas d'enfants, et ne composent pas une
société naturelle. La meilleure preuve que toute Cité charnelle comporte
1. Cf. la lettre précédente•
.:z. Il s'agissait de l'autorisation à demander à Hilaire Theurillat pour que fût reproduit
dans La Ba/ana inllriem-e (Lardanchet. Lyon) le poème : Antigone, Vierge-Mèr, d4 /'Ordre.
3. Œ. plus haut. la lettre à Dino Frescobaldi. page 159, note 4.
4. L'écrivain belge Paul Dresse, auteur de Char/11 Mtmrras, poile, Bruxelles, 1949.
5. Raymond Aron, rédacteur de politique étrangère au Figaro qui venait de publier L,
Grand Schisme (1948) et les Guerres en chaîne (1950).
6. J.-Paul Boncour : P.ntr, deux G#erres. Souvenirs sur la IIJ8 République.
7. Le Bulletin d4s Lettres (Lardanchet), revue mensuelle dont la couverture est verte.
8. a. plus haut, la lettre du 4 janvier 1949. Le second volume d'Emile Mircaux a pour
titre : Le.r Poèmes homlrÎ<Jllls II : L'llimle, l'Ot{yssle 11 /11 rivalills coloniales. Paris, 1949.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
des inégalités individuelles des biens, et des hérédités, c'est que les Etats
de l'Eglise, dans la mesure où ils ont été des Etats temporels, compor
taient, malgré l'élection du chef spirituel, l'existence de << princes romains i>
héréditaires. Cette remarque, il y a quelque cinquante ans, en boucha un
coin au comte d'Haussonville qui faisait le libéral dans le Gaulois
d'Arthur Meyer. Je songeais à te dire d'ajouter ça pour Frescobaldi :
mais non I Il sera temps un jour I Et puis, il a tant potassé mes bouquins
que ce n'est peut-être pas nécessaire. Enfin, tu vois que je ne cesse pas
de ruminer de ce côté-là, à l'imitation de l'animal de la fable. Fais-en
ton profit si tu en as l'occasion. Je continue à trouver merveilleuse la
double conjoncture et bruxelloise et toscane. Cela nous adjuge le pompon
et permet à notre pays de reprendre son rang en tête des élites de la
pensée sociale. A l'œuvre donc! Je n'ai que le temps de t'embrasser,
mon petit Jacques, amitiés à maman, ton vieil oncle qui ne radote pas
encore, crois-le.
CHARLES MAURRAS 8 3 2.1
n'admet pas son témoignage. Ecoute les vers 704-712. du poème Ora
maritima : - Massifia et ipsa est : cujus urbis hic situs : - profronte lit11s
praeja&et, tenuis via - palet inter undas : latera gurges ad/uit, - Stagnum
lambit urbem, et lll1tia lambit oppidum - laremque fusa,· civitas peninsula
est; - sic aequor omne caespiti infundit manus, - Labos et olim conditorun1
diligens -formam locorum et arva naturalia - evicit arte... Ce qui veut
dire Ge ne traduis pas moi-même, de crainte de tirer le sens à moi) « ... et
Marseille elle-même dont voici la situation : - le rivage s'étend en
avant, un étroit chemin - s'ouvre entre les eaux, _la mer baigne le
côté, - un étang entoure la ville, et l'onde se répand dans la ville -
et dans les maisons, la cité est presque une Ile; - Ainsi la main humaine
a introduit la mer dans la terre, - la forme des lieux et la nature du
sol - ont été modifiées par le labeur diligent des fondateurs... >> Ce
texte est si criant de vérité que le dernier éditeur savant de Festus Avienus,
M. Berthelot, en 1934 1, après avoir montré que cela n'a aucun rapport
avec ce que nous voyons de Marseille, écrit : « En fait, la description
d'Avienus s'appliquerait bien mieux à Martigues. • Pan ! Mais il se retourne
et met en note que Martigues n'existait pas alors ... Mais, sapristi, c'est
justement ce dont on discute, quand il s'agit de savoir si la Massilia
primitive est bien placée à Marseille ! Ce qu'il affirme, il n'en sait rien,
et Festus nous apporte un témoignage du contraire. Si on ne le réfute
pas, (mais on l'accueille et on l'appelle, on le :renforce et on le prime. . 1)
il faut écouter ce qu'il dit. Et ce qu'il dit est autorisé par le contraste
de la position réelle de la Marseille moderne avec cc 'lue disent tous les
auteurs anciens du lieu de sa fondation ; sa topographie si frappante est
autorisée encore par le contraste du champ marseillais si pauvre en
antiquités avec le nôtre qui en est si riche, surtout depuis la découverte
de l'acropole de l'Avarage et de ses mosaïques, situés à quelques six kilo
mètres à vol d'oiseau de notre port sur les Etangs, qui est la distance
approximative de l'àcropole d'Athènes au port du Pirée 2• Voilà mes
raisons. Riez tant que vous voudrez, mon bon Brun 3 1 Si ce sont des
martégalades, la bonne Mère en est une autre, et le Pharo une troisième,
une quatrième la crypte de Saint-Victor! Le rire ne peut rien contre une
vérité aussi gaillarde et soutenue. Ai-je besoin de vous dire que ce ne
sont pas mes seules raisons? Que je n'ai pas l'intention de vous asséner
1. Festus Avienus : Ora Maritima, édition annotée et commentée par André Berthelot.
Paris, 1934-
2. • J'ai eu l'honneur de naître dans une de ces maisons où la mer pénètre parce qu'elles
ont été construites de (main d'homme) sur pilotis. Entre ses deux portes, celle du nord
et celle du sud, celle du quai et celle de la rue de l'Eglise, il existe encore un puits dont l'eau
saumAtre vient de la mer. Evidemment. ce n'est pas la maison du ,onditor ou fondateur
d'il y a deux millénaires, c'en est le type; le style et l'emplacement qui n'ont pas bougé, -
d'après le Festus Avienus qu'ont restauré nos braves professeurs ». [Addition marginale.]
3. Cette lettre était écrite pour être communiquée à Maùriee Brun, à qui Maurras s'adresse
directement ici.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 1 73
A XA VIER VALLAT
2 5 mars 1 95 0.
1. La fontaine de Tourne est une sow:œ qui sort d'un bloc rocheux où est gravée urie
image du dieu Mithra égorgeant un taureau.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A JACQUES MAURRAS
1. • Et le livre de la Vieille Droite, avec Ruellan et Havard &. La Vieille Droite est le titre
provisoire d'un livre sur l'activité sociale des parlementaires royalistes ou consetvateurs de
1870 à 1900 dont Maurras souhaitait la publication et que Xavier Vallat avait eu d'abord
le dessein d'écrire avec ses deux amis Charles Ruellan et Robert Havard de la Montagne.
2. Il s'agit d'un rapport d'Otto Abetz où l'ambassadeur de Hitler en France se plaignait
à son gouvcmcment de l'opposition que Charles Maurras et l'Aelion frtmfa/g, « dont la
thèse fondamentale était la balnc de l'Allemagne • et • se résumait dans la lutte contre l'unité
allemande •• menaient contre toute politique de collaboration.
12
LETIRES · DE PRISON
ce document. Le mime j(Jllr, il le passe à la Justice, où l'on sait que
mon procès s'ouvre le jour même et que je suis accusé de trahison pour
intelligençes avec l'ennemi. Le document démontre en général et en parti
culier, par mon comportement de toujours, et sur ma réaction spéciale
contre la L. V. F. Ge crois que c'est bien le sigle des volontaires contre
la Russie) que je suis tout mésintelligence avec l'ennemi. On peut m'accuser
d'avoir tué père et mère ou violé ma petite sœur : je n'ai pas eu d'intel
ligences avec l'ennemi, j'ai eu et fait tout le contraire. Que doit faire le
ministre? Il est le chef direct du parquet de France. Il doit dire à son
parquet lyonnais ce que cette pièce contient, ce qu'elle prouve, donc que
la première accusation ne tient plus et qu'elle doit être abandonnée.
C'est son devoir. Il n'ose pas le transgresser directement en mettant la
pièce dans sa poche ou en la détruisant ce qui serait dangereux pour lui
(qui sait? tout arrive) à cause des bordereaux interministériels. Il se
contente donc d'envoyer la pièce à son Commissaire du gouvernement.
Première forfaiture. Voici la seconde. Le Commissaire Thomas est connu
pour un certain nombre de réquisitoires d'une violence et d'une iniquité
révoltantes, notamment contre le préfet régional Angéli. Thomas fait
donc ce que le ministre a dû prévoir : il garde la pièce pour lui. Ni
Pujo ni moi ne l'avons vue. On n'en parle pas aux audiences. Par même
peur que son chef, Thomas ne la détruit pas, ne la garde pas dans sa
poche, il la glisse dans le dossier où elle sera retrouvée par le plus grand
des hasards. Nous sommes condamnés... Tu me diras qu'il y avait à
notre procès d'autres pièces non moins probantes. Mais aucune d'entre
elles n'avait le cachet des deux ministères, aucune n'était communiquée
officiellement de Paris. Aucune ne contenait aussi fortement que celle
ci, non des hypothèses, non des appréciations, mais l'assertion, la consta
tation générale et impersonnelle signée de !'Ennemi. On nous condamne
donc. Le ministre l'apprend. Que fait-il? Rien. Cependant, il sait que
notre condamnation est, au moins, une erreur judiciaire. Après la pièce
qu'il a vue, il ne peut en douter. Son devoir est donc d'introduire lui
même un pourvoi immédiat en révision. Il n'en fait rien. Cette double
forfaiture ne doit-elle pas être dénoncée? Mais comment? Par une action
judiciaire contre M. de Menthon? Ou par une lettre publique que je lui
adresserai et où je le qualifierai violemment? Faut-il nous contenter d'un
P. S. à notre premier Mémoire 1, où serait racontée en outre l'affaire Guth,
Yves Farge et Claudel 2? Il me semble qu'il serait beau de traduire en jus
tice l'ancien garde des Sceaux de !'Epuration. Mais est-ce juridique?
Y a-t-il des responsabilités de ce genre reconnues par la Loi? Le poli
ticien n'est-il pas assuré de l'immunité? Je le soupçonne ! Mais il y
aui:ait peut-être un adroit détour à saisir. Lequel? Il me semble qu'une
conférence ici avec Georges serait nécessaire. Ne peut-il demander une
1. AN G,llllll ]111,1 d, Frana. Requête en revision. Paris, 1949-
.i. Sur cette affaire, cf. plus hnt, la lettre du .8 décembœ 194'>-
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 1 77
A LA COMTESSE DE DREUX-BRÉZÉ
J'ai pour après-demain une certitude : celle de savoir par Ninon ce que
vous faites et comment vous vivez dans votte sous-marin 1 1... Puissent
les dieux détourner le mauvais augure ; le manque de lumière et d'air ne
vous vaudra rien ... Les conditions permanentes et perpétuelles sont celles
qui s'imposent de tout le poids de leur nature. Quelle constante est pire
que l'ombre et l'asphyxie?... Et je tremble pour << Gasparine » 2 que vous
aviez mise en si bonne voie l.. Les discours baptismaux du curé m'avaient
paru vifs, nets, près du réel et précifités du réel.
Je sais qui est Sartre, quoique je n aie pu lire encore aucun de ses livres,
mais tout ce que j'ai appris ae lui et de M lle de Beauvoir me dégoûte.
Vous l'avez combiné avec Gide I Ce dernier est assez écœurant. Tout
ce joli monde va recevoir le prix Nobel de la main des pudiques pasteurs
de la Scandinavie I Il me plaît de voir Gabriel Marcel mettre à la scène
un ménage huguenot ; il faudrait les tuer sous le ridicule. Figurez
vous que, tout petit, j'ai assisté à un baptême protestant, c'était l'enfant
d'un ingénieur des ponts et chaussées polonais appelé Bromniski. Il
avait invité mes parents, ils m'y menèrent et pendant des jours je m'amusai
à contrefaire ce curé en redingote qui envoyait de l'eau bénite de loin
à son néophyte. Il fallut me parler sévèrement pour faire cesser ces
singeries. Je les continue en rêve depuis presque soixante-dix-sept ans.
Ce qui m'ennuie, c'est l'expression du vrai que j'ai trouvée dans une
lettre assez récente du pasteur Boegner au « Figaro » : Les catholiques se
protestantisent. Qu'ils sont tristes, bons dieux ! Qu'ils sont devenus
tristes I Je songe à nos braves curés, vicaires, sacristains, bedeaux, mar
guilliers, que l'on appelait fabriciens I Je songe à ces bons professeurs,
à leur sérieux toujours mêlé de petits mots pour rire et surtout à leur
goût du clair et du beau. Cela allait des cantiques de la crèche à la lecture
de Mistral et de Dante, aux offices, à l'enseignement. Ce que je lis dans
leurs Revues (sauf la Pensle Catholique 4) est toujours pernicieux et sombre,
abstrait, noir, se traîne à la suite de l'évolution et va mourir dans une
absurde mer de mots I Visiblement ces gens-là sont en train de perdre
équilibre et bon sens, noyés dans leurs abstractions et frappés d'épou
vante par les autorités artificielles de la politique et de la Science I Donnons
leur un autre prix Nobel et n'en parlons plus. Mais il faut que je vous
confie comment j'ai traversé trois journées de démoralisation complète,
tions de l'infamie des choses sont toujours en retard sur les iniquités
humaines ; elles finissent par venir pourtant.
Pourquoi dites-vous que votre méditation a dû me décevoir? Au
contraire, elle m'a passionné, bien que je lui fasse toujours les mêmes
objections. Je ne vous les répéterai pas, à quoi bon i Je sens bien comme
vous que l'espérance, pour être complète, sous-entendrait la foi à son objet.
Mais autant la foi suppose un contenu précis et défini, autant il est per
mis d'éprouver une sorte d'espoir indéterminé et vague comme le dieu
inconnu de l'Aréopage. Ainsi l'amour! Vinci dit que l'amour est d'autant
plus ardent que la connaissance est plus certaine. Aristote dit même qu'on
ne peut désirer l'inconnu, moins encore l'aimer. Mais on peut concevoir
quelque chose d'aimable et qui mérite d'être aimé tout en échappant
aux précisions de l'esprit. - N'est-ce pas assez parlé d'espérance et
d'amour comme le fait l'auteur de « votre & prière 1? C'est tout ce que je
prétends et je vous avouerai que c'est beaucoup peut-être, surtout si
l'on compare ce fil de la vierge errant sur la campagne aux énoncés
délicats et forts de toutes les relations que vous percevez entre les mon
tées de la foi et celles de l'ordre, de la vie et du sentiment. Là, je ne peux
que suivre des yeux et admirer de loin. Je reste déconcerté au surplus
par l'étroit rapport établi entre notre entreprise :politique nationale et ce
spirituel si ardent. La première me passionnera Jusqu'au dernier souffle,
l'autre m'inspire une admiration soutenue et distante, doublée d'une
certaine stupeur devant le spectacle effrayant de ceux qui s'examinent,
se jugent, se condamnent, se repentent, vont à confesse et à communion,
sans montrer la moindre conscience de leurs crimes, moins encore,
l'ombre d'un remords.
Et je vois d'autre part de grands et nobles pays, généreux, vaillants,
et pieNX comme les Polonais dévorés depuis deux cents ans par tous les
malheurs publics, sans autre faute morale et religieuse de leur part que
la transgression de ces lois naturelles et spéciales de la politique que l'on
veut identifier, en tout cas étroitement mêler aux lois du spirituel person
nel. - Comment voulez-vous que je ne me débatte pas au milieu de
tant d'ombres et de clartés I ou que je me contente de l'espoir de l'appren
dre un jour, dans un autre monde, quand tout conseillerait plutôt de
désespérer du train dont les choses s'en vont! � ·•◄ • '""'4
J'ai pu suivre les obscurs articles de Duhamel contre le provençal à
l'école, et je n'ai jamais été plus navré d'être sous clef et bouche cousue,
il y a tant de choses à lui faire comprendre 1 1 Ce serait si facile I La réponse
1. Allusion au poème • La Prière de la fin • qui sert d'épilogue à la Balan« intérieure :
Seigneur, mdorm,z.-111oi dans 1/0lrl paix m'taÎfll
E.ntr, lu bro1 d, l'Bspira,,ç, 1t d, /'ÀIIHJ#r.
2. Dans sa • Lettre à mon ancien confœre M. Georges Duhamel • publiœ en � de Jorr,s
d8 Biot (Paris, 19p). Charles Maurras a œpondu aux articlca publiés par ce dcmicr dans L,
Figoro des 29, 30 avril. 5, 12 et 19 mai 1950, contre la loi instituant l'enseignementdes parlcrs
provinciaux dans les écoles primaires.
182 LETTRES DE PRISON
Quelleje1111e et vive
Sève coule et rit !
La future olive
En songe miirit
1. Le comte de Paris.
2. A me.r,,ieux O/ivierr, poèmes. Roanne, 19 5 1.
LETI'R.ES DE PRISON
D'ici que Décembre
En ses froids moulins
Déroule votre ambre,
0 chrêmes divins !
Ma petite Ninon,
Dis à Michel qu'il a fait un bond de cent piques : non, non, non,
Cassagnac n'avait nullement forfait aux règles du duel en tirant au corps,
quand j'y tirais moi-même (quoique de fort loin à cause de la longueur
de ses gigues et de son bras). Je ne lui ai rapporté le fait que parce qu'il
s'était vanté à Mme de Mac-Mahon de n'avoir tiré qu'au bras et à cause
du récit de ce parent, au nom difficile, qu'il ne faut pas appeler Monsieur
d'Arthez 1•••
Sais-tu qu'après ton départ, je me suis allé coucher et ai dormi le plus
agréablement du monde ? Tu le soupçonnes. Ce que tu ignorais, c'est
que deux heures après, j'ai été très brusquement réveillé. Par qui? Pour
qui? Je te le donne en mille : Theurillat, l'éditeur du Cintre, et sa femme !
Tu le vois, le monde est plein de merveilles, et ce qu'il a d'amer est
compensé parfois comme tu me l'as bien montré par tant de fleurs,
fraises et gentillesses pour lesquelles je t'embrasse et rembrasse, ma
petite Ninon chouchoutée et très chouchoutable.
Ton vieil oncle.
CH. MAURRAS
z. Ch. Maurras rappelle son duel avec Paul de C.assagnac. et fait allusion à celui du
Baron Heeckercn d'Anthès qui se battit avec Pouchkine en 183 7.
MAISON CENTRALE DB CLAIRVAUX
A XAVIER VALLAT
9 juin 1950.
Ma petite Ninon,
J'ai réfléchi toute la. soirée à l'offensive de Thomas. C'était bien ce que
j'avais t>C?Sé au premier btuit l Une ressucée de l'affaire Worms. Je t'ai
dit tout de suite ce qu'il fallait dire à Georges, mais je viens de m'aper
cevoir que nous avons bien mieux, les moyens d'une contre-offensive
foudroyante sur le plan même de la milice et du parti Doriot : la lettre de
Pujo citée page 1 72. du Grand Juge, qui avait été envoyée de Toulouse à
notre procès, et que le dossier n'a jamais connue, ce qui donne toutes
les raisons de juger que le procureur Thomas l'a traitée exactement comme
la lettre parisienne du 2.4 janvier 45 et mise dans sa poche 2, et cela constitue
une probabilité nouvelle de forfaiture à son compte! Il faut joindre à
la page 1 72. du Grand Juge, la note I de la page 65 du même livre. Il me
semble que Thomas sera embroché sur sa propre flamberge. Hâte-toi
de dire cela à Maurice et à Georges. Ils ont dû y penser, du reste I Ils
n'ont pas oublié non plus que le parti Doriot avait publié tout un
numéro d'un de ses journaux contre moi; il faudrait aussi leur rappeler
que le cas de Susini et de ses variations fut aussi celui de l'agent Bou
vard qui, à l'instrµction, n'avait «pas vu », et qui se rappelait brusquement
<< J'avoir /11>> à l'audience : il avait été cuisiné par Thomas exacte.ment comme
Susini, quoique à un poste différent, celui-ci accusé et l'autre témoin.
Enfin voilà du nanan, ma petite Ninon! Cela vaut presque votre excel
lente frangipane d'hier, et le fameux café et le sublime banyuls. J'ai dû
raser la pauvre Janine en la traitant tout le temps en petite fille. Mais
elle est tellement jeune! J'ai essayé de réparer en lui baisant la main
comme à une vieille dame. Enfin j'ai été content de la. retrouver, elle et
vous tous. Je suis navré de tout le tintouin que je te donne, ma pauvre
Ninon. Occupée, je sais bien que tu l'es et je te persécute encore pour le
1. La vie militaire d# glnlra/ Dttn-ot, d'après sa correspondance publiée par ses enfants.
Pa.ris, 1S9s.
z. Œ. plus haut, la lettre du 14 avril -i9Jo.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
gant, pour Fra.oz Cumont, pour Stendhal épicier 1, pour le Jardin à Malle-
mort, que sais-je ?
Demain est un triste anniversaire : c'est le 10 juin 1940 que nous avons
juitté Paris pour Tours et Poitiers, en marche vers la catastrophe... Je
t embrasse et te cliouchoute, ma petite Ninon, en te priant d'avoir
confiance dans ton vieux remâcheur d'oncle et de prisonnier.
CH. MAURRAS 83 2 I
1. G. désigne Georges Calzant; pour J. G., cf. plus haut, la lettre du 3 avril 1947.
2. Le Mont de SatNTne venait de paraître aux Editions des Quatre Jeudis.
3. L'édition illustrée des Amant.r de V1nise fut faite en définitive par Josso lui-même
qui tint à se rendre à Venise pour mettre au poÎl}t l'illustration.
4. On a souvent appelé Martigues la Venise provençale.
5. • Sans compter les séminaristes Sabatier, Honorat, Boulat, etc. » (note de Ch. :Maurras).
13
LETTRES DE PRISON
je soupçonne de l'avoir soufflée ? Hé! tette peste d'Henri Bremond, ou
quelqu'un qu'il aura empesté. A Aix comme partout, la vie m'a gâté
en amis. Je t'ai raconté ce que m'avait demandé le Maréchal a la dernière
audience de Lyon : Vous avez des amis, vous ? Le désespoir était tout nu
dans ses yeux. Je lui fis la réponse ci-dessus. La seconde e"eur : notre
professe� . �e philoso:ehie, ét:i,nt Mg! Guillibert, ne p�uv.;t manqu�r
de nous 1rut1er à la philosophie thomiste, que Je pape Leon XIlI venait
de mettre à la mode par l'encyclique .IEterni Patris. Le futur << plus zoli >> 1
venait en classe avec deux gros bouquins sous le bras, la Somme théolo
gique et le Dictionnaire des sciencesphilosophiqtt_es du juif Adolphe Franck. Je
me fis recaler à la deuxième partie du Bàc pour ma composition de
philosophie sur l'association des idées, où j'avais fourré tout mon bagage
thomiste. Mgr Guillibert lut mon brouillon et me dit : « Le professeur
verra que c'est un travail personnel... >> Le professeur, qui s'appelait
Colsennet, me marqua un deux ! Voilà mes chevrons thomistes qu'il
faudra montrer au Père Vincent. Tu pourras même ajouter qu'ayant
fait serment de ne pas ouvrir un livre de classe des deux mois d'août
et de septembre 1 885, je fis exception pour la Somme théologique, dont
notre cousin Adolphe, le grand-père de René, m'avait fait le présent
magnifique I Dis au R. P. que la vérité m'oblige à ces deux rectifications,
mais que je continue à lui savoir le plus grand gré de sa vive amitié
d'esprit. Si tu as l'intention de l'amuser, je t'autorise à lui conter l'his
toire de Berthie et du plus zoli. Les ecclésiastiques aiment à s'égayer
entre eux à l'envi ... Que je suis content d'avoir le Stendhal-épicier-par
amour. Merci I Comment t'es-tu astreinte à écrire quand tu possèdes
une belle machine ? Voici ce qu'il faut faire de l'original : l'envoyer à
Pierre Varillon pour qu'il serve d'annotation à ma longue étude sur
<< Rome, Naples, Florence » de Stendhal 2 qui doit faire partie du second
volume de Poésie et Vérité. En petites lettres, après ces mots : « Cette
notice paraîtra bien doctrinale et bien compacte pour l'esprit de Stendhal.
Complétons-la. Disons l'historiette de son stage dans l'épicerie par
amour. La version marseillaise est connue. Mais M. Arbelet ... etc. >>
Il faut un accent aigu sur l'é du Diéu provençal à la fin. Et tu viens,
jeudi z9, crois-tu, moi, je l'espère! Je t'embrasse, ma petite Ninon.
Ton vieil oncle.
CH. MAURRAS
1. « Monseigneur. Guillibert est /, plMS zoli évêque de France •• lui avait dit, quand elle
était petite fille, sa nièce Betthie (MJlle Pierangeli).
2. Œuvres completes de Stmdhalpubliées sous la direction de Paul Arbelet et Edouard Cham
pion, t. Jer, préface de Charles Maurras à Rom,, Napks et F/ormçe, Paris, 1919.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A ÉMILB HENRIOT
14 juillet 1950.
tant de mal >>), ces services que Cicéron a rendus à la mémoire du genre
humain lui vaudraient quelques circonstances atténuantes, à mon avis.
Mais qu'est-ce que ce flot de chicanes ! J'en ai honte. Lucrèce et Virgile
vous disent comme le Christ à saint Thomas : Bene locufll.r es de me Aemili !
Et cependant (encore!) comment vous épargner (à la cantonade) une
plainte de l'oubli, entre les belles dames et 1es beaux guerriers de l'Enéide,
de la Volsque Camille à la fin du VIIe chant et des exclamations du poète :
ut, ut, ut 1 ... par le carquois des ttobles épaules, l'épingle d'or des beaux
cheveux et la pique emmanchée de myrte des bergers? Toutes y sont,
sauf celle-là I Gare à la rencontre aux Champs-Elysées I Plus maltraitée
que Didon, elle est capable de vous fuir de même... Autre chose : les
Grecs font-ils tellement mieux? Il n'y a rien qui passe Sophocle, ou l'égale,
à plus forte raison Homère et Sapho, mais votre rapport général du génie
latin n'humilie pas tellement celui-ci - et puis l'ionien et l'athénien
sont des oncles, des grands-oncles, et nous disons les pères romains,
nos pères romains et les femmes gauloises. Ronsard lui aussi a fait tra
verser la poésie latine à son hellénisme : il n'y a pas perdu. Chénier seul
s'en est passé. Moréas, qui n'est pas suspect, dit tout à trac : Oui, c'est
1111 .rang latin la couleur la pl11.r belle ! et, ces temps-ci, relisant Horace et
Virgile, j'ai été frappé d'y trouver cette abondance d'excellents proto
types du Pèlerin, des Syrtes et du reste. Athènes butinant à Rome, cela
est presque sans exemple, qu'en dites-vous? Enfin, faites sur nos Grecs
un nouveau volume qui aille de l'Iliade à l'Anthologie, je ne me plaindrai
pas, ah! non. Merci donc de celui-ci, très cordialement à vous.
CH. MAURRAS, 83 2 1
1. Voir les vets de Virgile : • ...#/ regiflS oslro - 111'61 honos '6111s 11111,ros, 111ftbtda mmm - Ollf"o
int11'114N'at, ½Y'Îàm #1 gerat ipsa pharetram - 11pastorakmpraeftxa t111pidt m.,rlllm •· Enéide, VIII,
814-81 7.
2. Emile Henriot avait envoyé à Charles Maurras le manuscrit d'une petite pièce de vers
écrite après la visite qu'il lui avait faite à Martigues, pièce publiée depuis dans Trislis ,xul
(1 945) et intitulée : Phod111111. En voici les premiets vers :
Tris belle dans I, train fJIIÏ tmtail dt M4rlig111s
E JI, 111 monde a,,eç sa n,rb,;/'6 d, figR,s...
LETTRES DE PRISON
17 juillet 1950.
1. Il s'agit des instructions qu'il avait données à sa nièce Hélène Maurras au sujet de son
livre : Jarres de Biot.
.z. Mme de Di:cux-Bn!zé.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
ciation des filles du chœur de Martigues, e11 pour 11, montre bien qu'il
était déjà le plus Zo/i et que Mme de Sévigné n'eût pas manqué de le
traiter de linotte mitrée ! Car si elles disaient Jése11 pour Jé�s, <est
que, en provençal, l'accent est sur Jèseu ou Gèseu; e11, 11, o, ce sont des
syllabes muettes. Quant à l'histoire de Rachel et de ses janissaires, encore
une confusion du prélat I L'histoire ne comporte ni Bajazet, ni rien de la
grande tragédienne venue de Paris. C'est beaucoup plus simple : à la
pastorale traditionnelle, le troisième roi-mage était resté dans la coulisse
pour je ne sais quel retard de costume. Alors un nervi, du poulailler,
cria : manco 1111 teur ! Les Messieurs des grands cercles marseillais en
ont tiré et agencé l'autre histoire. Oui, la lettre complète de Mgr Penon
sera la bienvenue... Pour Aristote et la page sur Dieu, je ne reconnais
aucun des textes offerts, ce sont des propos scolastiques arides, mais
peut-être mènent-ils am: deux lignes fulgurantes que j'ai retenues où
il est question de « son bonheur » et de « sa joie ». Quand il se met à
avoir de l'imagination et de la poésie, Aristote en a plus que Platon
lui-même. J'ai fait quelques allusions à l'acte généreux de Louis XV 1
payant son inventeur pour qu'il renonce à une invention homicide
et destructrice, mais je ne l'ai jamais racontée. Qui l'a racontée? Bain
ville. Où? Ne m'en souviens plus...
Enfin, quant à l'argument du vicomte 11, voici : Je venais de terminer
au Figaro ma vieille campagne royaliste de 19oz et proprement expulsé
par les derniers arrivés du journal maudit, j'eus le plaisir d'y voir le
lendemain un article du vicomte d'Avenel qui brûlait du sucre sur mes
traces en versant des larmes hypocrites sur l'inutilité de la monarchie.
Alors dans la vieille Gaz.ette de France, je composais en l'honneur d'Ave
nel, sur le thème de Molière, une ballade en prose dont le· refrain était
<< Va cracher dans le puits, vicomte! va cracher dans le puits pour y faire
des ronds ... » Cet animal est très méchant 1... Que Michel ne compte pas
du tout sur l'humeur charmante du Quai. Mais on peut vivre sans cela,
et dis (tout autre chose!) comme il est vrai que les plus grands amateurs
de nouveauté ont le souvenir de vieillesse plus lointaine que Virgile et
Homère, tel Louis-Philippe et 1900 1 Voilà, ma petite Ninon, de bien
longs discours, et je ne t'ai pas demandé si tu avais pu faire dire à Georges
de venir dès qu'il le pourra. As-tu le rapport Verdenal? Pourras-tu me
l'envoyer avant de partir? Je n'ai plus que ce petit bout de blanc où t'em
brasser, ma petite Ninon. Te voilà pourvue et le mieux du_monde par le
n ° 83z1.
I. • En pleine guerre de Sept Ans, un Dauphinois. l'horloger Dupré, vient à Versailles
offrir au roi une manière de feu grégeois qui nous eût peut-être permis de sauver notre marine
et de conserver le Canada. Expériences faites, elle pouvait, en l'employant, brûler les navires
malgré le contact de l'eau. Louis XV fit donner une pension à l'inventeur, mais jeta devant
lui ses plans au feu •· Cf. Claude Saint-André : Louis XV. Paris, 192.1.
2. Vicomte d'Avenel (1850-1939), auteur d'un livre sur P.irhelie11 11 la MOll/lf'mü franfai.re
(1884-1890).
LETTRES DE PRISON
Monsieur,
Voici mes notes 1.- Aucune ne vous dit quelle immense gratitude votre
beau travail m'a inspiré.
Mon merci personnel vous est exprimé dans les quatre petites lignes
où je vous dis combien je vous sais gré d'avoir retrouvé un jugement
rendu vers 1 89.t sur les vers de Paul Valéry, alors presque enfant :
c'est de quoi honorer à jamais ma carrière de critique 2• Mais je voudrais
ajouter à ce sentiment rétrospectif une vue d'avenir ou plutôt un désir
de choses futures.
Je voudrais, ah! que je le voudrais, Monsieur, que toutes les petites
rectifications d'ordre politique et social apportées à certaines méprises
toute naturelles de la part d'un étranger, puissent servir à mieux connaî
tte et à mieux juger ma patrie dans votre magnifique patrie. Croyez-moi :
pour s'entendre, elles ont besoin d'un interprète. Soyez.-le. Soyez.-le !
A vous, Monsieur et me;ci encore, de tout mon cœur.
A XAVIER VALLAT
z7 juillet 1950.
Cher ami,
Nous nous sommes régalés en chœur du Geranium Ovipare de l'auteur
de La Négresse blonde 3, mais ce banquet des amis de Verlaine, je ne le
date pas. Il doit être d'une époque assez basse, car je n'ai aucun souve
nir d'en avoir ouï parler de mon temps. Cependant les Lepelletier 4 et les
1. Ayant lu la première étude que Léon S. Roudiez avait consacrée à ses « années de for
mation • et sachant qu'il désirait la reprendre, Charles Maurras lui avait adressé de longues
notes que l'auteur a partiellement utilisées dans son ouvrage Charles Maurrasjusq,,' à /'htion
frllltfais,. Ces notes nous ont paru assez importantes pour que nous les fassions figurer en
appendice à la fin du volume (voir Ànn8x1 1).
2. En 1892, parlant des disciples de Mallarmé, Maurras remarquait qu'un jeune poète ,
Paul Valéry, en IStait peut-être le seul intelligent. (Gazell, de Fr(ll/Ç,, 24 mars 1892.)
3. Georges Fourest : La Nlgr,m blonde. Paris, 1909. - Ce banquet, organisé par La
P/11111,, eut lieu en 1893.
4. Edmond Lepelletier, écrivain et homme politique, auteur d'un livre sur Palll V,r/ain,.
Paris, 1907.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 199
A XAVIER. VALLAT_
Cher Ami,
II septembre 1 9 5 0.
AU CHANOINE DBSGRANGBS
u septembre 1950.
Monsieur le Chanoine,
Voulez-vous me permettre de vous adresser mes remerciements et mes
plus vives félicitations? En tout état de cause, j'y serais autorisé par nos
relations initiales, brèves et anciennes, établies par notre ami commun
Auguste Cavalier, le futur auteur des Rouges Chrétiens, l'ancien rédacteur
de la Résistance de Morlaix qui, de l'entourage breton du grand Albert
(Albert de Mun), aboutit, presque en droite ligne, à l'état de confédéré
d'Action française. Il est vrai que ces histoires d'il y a trente ans ont été
traversées de bien de hauts et de bas, vous auriez le droit de vous sou
venir de quantité de dissentiments ou même de vous plaindre de polé
miques qui eurent leur vivacité pour ne pas dire leur violence. Mais il
ne s'agit plus de ces antiquailles I Mes mercis et mes brt1110s sont d'au
jourd'hui et motivés par votre dernier Congrès de Lourdes, par la
flamme de vos déclarations généreuses, par l'impulsion que vous avez
donnée à la pensée de vos auditeurs. Non que je sois le moins du monde
candidat à une amnistie, je ne demande pour moi que la justice sous forme
de révision de mon sale procès, mais de toute la force de mon cœur
de Français je sens la nécessité de cette amnistie comme le seul moyen
de réconcilier les enfants de notre patrie. Votre sagesse et votre charité
ont vu juste, et elles agissent très noblement, permettez-moi d'ajouter,
efficacement, c'est sur l'efficacité de 1'1111 de vos deux moyens que je viens
vous dire ma conviction, mon admiration, ma certitude.
Je dis l'un. J'ajoute : pas l'autre. Vous croiriez, Monsieur le Cha
noine, que l'on m'a changé en nourrice à quatre-vingt-deux ans, si je
témoignais, fût-ce par courtoisie, de la moindre foi dans le recours aux
Droits de l'Homme, déclarés nationalement ou internationalement,
fussent-ils équilibrés par la déclaration correspondante des devoirs de
l'homme. Je n'ai jamais cru à ce méli-mélo de moralisme et de juridisme
en politique. Il y a des droits et des devoirs. Ils comptent peu, dans la
pratique, en regard de l'état réel de l'homme en société, qui est un
état de réciprocité de services, exactement de servitudes · dérivées de
l'inégalité naturelle et telles qu'il existe bienheureusement des géants
pour nourrir et élever les petits-enfants, des savants pour éclairer des
ignorants, des chefs pour mettre en rang, pour instruire et pour
conduire des soJdats. Le grand Le Play appelait cela la Constitution
essentielle de l'humanité. Ces entraides spontanées précèdent la
vertu comme le devoir et correspondent à des intérêts vitaux, c'est
à-dire qu'ils tendent à empêcher la mort physique dont elles triomphent,
en effet. Elles forment la base de toute installation sociale saine, je ne dis
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
1. Louis Auphan, rédacteur à Aspects d6 la Fr1111Çe, Sous son pseudonyme de Jacques Mas
sancs, il avait publié un article sur « Le Pèlerinage de la Merci à Lourdes •• le 8 septembre
1950;
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 205
François Daudet, digne fils de son père, vous comprendrait aussi. Tous
les deux sauraient recruter avec mes amis Pujo, Calzant, Boutang,
Auphan, les hommes d'intelligence et d'énergie capables de monter cette
offensive à la française et qui aurait grand chance de réouvrir le pays
légal aux justes lois du pays réel ! Vivat ! Bravo! Et bonne chance l
Permettez-moi, Monsieur le Chanoine, d'ajouter à mes remerciements
et à mes félicitations tous mes vœux, avec mes respectueux hommages.
CH. M. 8 3 2. 1
A MARCEL COULON
1 3 septembre 1950.
14 septembre 1 9 5 0.
A JACQUES MAURRAS
Septembre 1950.
Mon petit Jacques,
Avant de te voir, je veux t'écrire mes félicitations et mes remercie
ments afin que tu les trouves en arrivant, avant qu'un mot soit échangé
entre nous. Ta lettre 1 est un coup de maître. Avec qui t'es-tu concerté,
ni Georges, ni Maurice n'étant à Paris? Enfin, l'acte et le texte se res
semblent en ce qu'ils sont très beaux et vous font beaucoup d'honneur,
et à moi beaucoup de bien. Mais tu ne m'as pas fait la charité de me dire ce
que l'on pense de la conclusion pratique de mon réquisitoire contre Ver
denal, ou est-ce à toi qu'on ne l'a pas communiqué? Tâche de l'avoir.
Et vois si, à la même audience du 10 2, on ne pourrait pas y combiner le
projet de constitution de partie civile. Il doit y avoir là quelque drama
tique coup de théâtre, et quelque chose à changer, à élaborer, à préparer,
à tenter.
Mais ceci n'est qu'une parenthèse entre les félicitations et mes remer
ciements.
Bravo et merci encore 1
CH. MAURRAS 8 3 2. 1
9 octobre 1950.
· J'ai quantité de choses à te dire ou à te redire, ma petite Ninon, sans
compter toutes celles CJ.Ue je tais. Mes grandes recommandations porte
ront sur l'enquête relative aux collections dont tu auras besoin. Ne les
1. Jacques Maurras, qui avait déjà adressé en avril une lettre au Garde des Sceaux, à la
suite de la découverte du document dissimulé au procès de Lyon, venait d'adresser, le 9 sep
tembre 1950, une nouvelle lettre à M. René Mayer.
2. Le 10 octobre 1950 devait avoir lieu, la seconde audience du procès Verdenal devant
la 17'' Chambre. La suite des débats fut, ce jour-là, renvoyée au 15 janvier 1951.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 209
demande pas à G., ce serait inutile, il seraitfondé à mettre des bâtons dans
les roues. Tâche d'utiliser la rue Saint-Guillaume, où l'on est bien et
très bien. Puis, Varillon doit avoir des cachettes et des adresses. Enfin,
outre les indications toujours désintéressées de Maurice (à qui tu peux
montrer ceci), il y a Gonnet, Mgr Gonnet, archevêque Turpin 1, mais
détenteur de quantité de renseignements et de documents originaux.
Il faut le conquérir et l'utiliser. S'il en est temps quand ceci t'arrivera
(qui sait 1 dimanche soir ?) ne pourrais-tu téléphoner à Georges pour lui
demander s'il ne serait pas bon d'utiliser la surveillance morale de Goncet
dans l'affaire Worms à Lyon ? Sans nous porter partie civile, la présence
d'un avocat au courant de notre affaire pourrait être de poids et déjouer
la manœuvre Thomas, une manœuvre que je vois avec les yeux de la
tête. Tiens bien compte, pollT' insister, que personne n'écoute, excepté,
comme j'ai eu l'honneur de te le dire, les sourds, les demi et les quart de
sourds, auguste congrégation dont nous sommes. Il faut donc répéter
à satiété 1 Veux-tu ? Veuille...
Sacré coquin d'un chien ou de sort I je n'ai que le temps de t'embrasser,
il faut laisser ce blanc pour que la lettre parte à l'heure avec quelque
chance de te joindre avant dimanche, ce que j'espère à peine. Ton vieil
oncle et à bientôt.
CH. MAURRAS
qui a été retrouvée dans notre dossier en avril 1950 et qui avait été
adressée de Paris à M. Thomas. Elle venait de l'ambassade allemande :
recueillie aux archives de nos .Affaires étrangères, qui. l'avaient envoyée
à la Chancellerie, cette pièce était partie de la place Vendôme, le .24 jan
vier 1 945, pour aller, comme disait sa cote, au « procis M.tm"as », où
on ne lui a pas permis de figurer. Pourquoi? Parce que c'était un docu
ment-massue. Parce que c'était un comprimé concentré de papiers
Abetz, alors inconnus encore, et des autres témoignages allemands qui
ont manifesté le plus hautement notre radicale << mésintelligence >> avec
l'occupant. Ce document nous mentionnait au premier rang des vrais
auteurs de l'échec général du collaborationisme devant le grand public
français : d'après ce texte irréfragable, plus que l'intrigue anglaise,
plus que le mouvement judéogaulliste, plus même que les frictions
nées des « problèmes » de l'occupation, c'était lalolitique du Maréchal
qui avait déterminé l'échec du parti proalleman . L'officieux allemand
analysait la liaison de notre action et de notre doctrine avec cette poli
tique du Chef de l'Etat. Abordant des points particuliers, la même
pièce posait que L'Action Française et Charles Maurras s'opposaient
constamment à toute action directe ou indirecte de collaboration alle
mande, et l'on y donnait en exemple du second cas la croisade anti
russe de la L.V.F. : Charles Maurras « s'était élevé contre le principe
d'une légion française antibolcheviste »... Le document n'émanait pas de la
défense : venu des bureaux de deux Ministères, il confirmait tout ce que
disait la défense. C'était l'effondrement de l'accusation. C'est pour
quoi le Commissaire du Gouvernement, choisissant entre les consi
gne�, mit le papier malencontreux dans sa poche. Il le remit dans le
dossier lorsque les accusés eurent été bien condamnés. Or, je lis à
l'article 1 73 du Code pénal :
« Toutjuge, administrateur, fonctionnaire ou officier public qui aura détruit,
supprimé, soustrait ou détourné des actes ou titres dont il était dépositaire en
cette qualité... sera puni des travaux forcés à temps. »
<c Tel est l'article », conclut le président. Oui, tel est l'article. En voilà
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 215
l'essentiel. Tel qu'il est, cet article ne porte pas un mot, pas une lettre,
pas un signe d'appel"" meurtre. On y lit même TOUT LE CONTRAIRE.
Et, comme on s'était pernus de dire que je donnais l'adresse de Worms
en parlant de la Côte d'Azur, je rappelais qu'elle avait 200 kilomètres
de long et était large à proportion.
La démonstration que je vous devais, Monsieur Je Procureur Général,
est faite. Il reste des aevoirs à remplit. Ce sont les vôtres. L'un envers
moi : votre devoir de dire et de faire dire bien haut que la lettre et l'esprit
de mon artide exduent absolument toute trace d'appel au meurtre, le
contraire exact s'en trouve exprimé en clair et bon français. Vos autres
devoirs me paraissent concerner mon plaignant et mon accusateur, dont
les dettes morales et matérielles sont laissées à votre appréciation. Non
que je la croie libre, mais un homme de loi qui figure l'Etat et qui le
procure en général est mieux placé que personne pour qualifit.r les actes
et mesurer les torts dont ces deux personnages se sont rendus coupables
envers la société.
CH. MAURRAS 8321
A XA VIER VALLAT
6 novembre 1950.
Mon cher ami,
Que je suis content d'avoir votre lettre du 4 novembre! A vrai dire,
une inquiétude réelle avait commencé, et je me demandais où vous en
étiez, où vous étiez, ce que vous deveniez sur l'océan du monde celto
breton. Merci des vers de Rou.mieux 1• Oui, c'est Chambord, c'est Je ton
des désignations familières. Pauvre Paul Arène I Comme il devait être
reçu chez la belle Anaïs 2! Oui, je connaissais cette belle page de VeuiJlot
sur Mistral 3• C'est déjà très bon pour Duhamel... ..
Alors, la poste nous a escroqué à nous une lettre ou deux? Je vous
disais beaucoup de choses que je ne suis pas fichu de me rappeler, mais
il y en a une d'essentielle et que je vais transcrire pour mon Ave Maria
provençal. Je voudrais avoir la Salutation Angélique telle que la récitent
les Grecs catholiques, et le chapitre de saint Luc où est contée l'Annon
ciation, en grec aussi. Nous avions, il me semble, toutes les prières en
grec au Collège Catholique d'Aix dans un gros petit livre formé de
1. Roumieux était l'un des félibres compagnons de Maurras.
2. Paul Arène était amoureux. mais sans espoir, de la fille de Roumieux. • la belle Anaïs ».
3. Cette page de Louis Veuillot se trouve dans Les P,zr/111111 "4 Rome, à la première étape de
son voyage, c'est-à-dire en Provence.
216 LETTRES DE PRISON
Joseph, &ith et Tobie d'après les Septante, les quatre Évangiles, plus les
fabfes d'Esope et de Babrius. Est-ce que l'on aurait pas ce livre à
Solesmes? Il était jadis courant dans toutes les institutions religieuses.
En tout cas, vous trouveriez facilement à la bibliothèque de l'Abbaye
l'Ave Maria et le chapitre de saint Luc, l'ange, la visite à la cousine
Elisabeth que j'ai inutilement demandés ici à notre aumônier. Je serais
d'autant plus content de faire ce petit travail que le Mauriac 1 m'a plus
dégoûté. L'articulet du jeune Frossard est en effet excellent. C'est le
bon sens du moins, sans raffinements inutiles. Dans ma folle jeunesse,
je distinguais entre catholiques protestants et catholiques romains ou
paiens. Mauriac est de l'espèce protestante. Il ne connaît que le péché !
Par exemple, il le connaît bien ! Vous me parliez aussi dans votre précé
dente lettre du Père Castillon de Saint-Victor 2, et j'avais tout à fait
oublié que je lui avais écrit des choses désagréables. Mais c'était la
guerre, et civile encore I Personnellement, il ne m'en était rien resté
d'agressif contre lui. Au début, il m'avait fait une bonne impression,
par un air d'énergie et de concentration. Mais il s'était laissé trop en
vahir par la blagologie de Mayol de Luppé 3• Tempi passati l Quel malheur
que l'on n'ait pas trouvé le moyen de rétablir Philippe VIII vers 1900-
1905 ! C'était un grand règne. Et il eût suffi que nos Gaulois nationalistes
fissent l'union sur lui contre les dreyfusards.
Avez-vous des nouvelles de la reine de Portugal 4 ? J'en ai eu et de bonnes
par un mot d'une grande lettre de Maxime. Pourriez-vous me les confir
mer? L'avez-vous vue quand vous avez traversé Paris ? C'est que, plus
j'y songe, plus je vois que c'est bien la personne du monde qui s'est
fait l'idée, l'image de son frère la plus juste, la plus conforme à ce qui
était la très haute nature de ce Prince. Personne ne lui a porté un témoi
gnage aussi beau. Je voudrais que vous l'entendissiez, afin de prendre
cela par écrit, car j'ai hélas I négligé de le faire, et, maintenant, cela
est un peu loin. N'oubliez pas d'aller la voir si vous faites un crochet
par Versailles un de ces mois. Maxime ne me dit pas que ses facultés aient
baissé le moins du monde. Mais je n'en sais rien. Elle est mon aînée.
Le Maréchal ne se porte d'ailleurs pas moins bien. Avez-vous vu la soirée
de Shakespeare à Paris, avec le Comte de Paris, la comtesse, leur princesse
et le brave Vincent Auriol, comme un maire du palais, dans la même
salle ? Plus j'y pense, plus je me convaincs que la restauration se fera
r. Œ. Le Figaro, 31 octobre 1950. Fi:ançois Mauriac, dans un article intitulé : Toussaint 1950,
avait écrit entre autres propos : • Ce dogme de !'Assomption. si déconcertant pour beaucoup
d'esprits (et je l'avoue, pour moi-même) ... •· Dans L'Aurore, 1er novembre 1950, André Fros
sard, sous son pseudonyme « Le Rayon Z •• avait vivement relevé cette phrase.
2. Le P. de Castillon de Saint-Victor, de la Compagnie de Jésus. Ayant fait partie, avant
d'entrer dans les Ordres, du Bureau politique du duc d'Orléans, c'est à ce titre qu'il avait
été mêlé à la querelle de l'htionfra11fais1 et d'Henri de Larèglc en 1910.
3. Mayol de Luppé avait fait partie également du bureau politique du duc d'Orléans.
4. La reine Marie-Amélie, sœur du duc d'Orléans. - Maxime : il s'agit de Real del Sarte.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 21 7
comme elle a failli se faire en 1 940, par une simple opération du bon sens
public. Lisez le livre d'Émile Dard sur la Ch11te de la Roya11tl (Flammarion);
en termes timides mais formels, cet ancien fonctionnaire (c'était l'am
bassadeur ou le ministre, à Munich) se rallie à toutes nos positions sur
l'histoire révolutionnaire. C'est la non-résistance qui a caractérisé
Louis XVI et son principal assaillant a été l'Angleterre. Il y a trente ans
Albert Thibaudet me contestait encore ces évidences, et il n'était pas
fanatique I Tout vient, tout viendra, en son temps. L'ennui est que Dard
découvre un peu trop Laclos et Egalité. Mais la maison d'Orléans a
rendu, depuis, tant de services à la France, guand elle a empêché la guerre
en 1 8 3 0 et 1 840, quand elle a posé la question juive à San Remo, quand
elle a renationalisé et relégitimé la branche cadette, que les erreurs cri
minelles des arrière-grands-parents sont et doivent être largement
recouvertes. N'est-ce pas votre avis? Sans compter que la famille a
toujours été splendide et qu'elle prend une vigueur incomparable.
Figurez-vous que je cause ici far correspondance avec le fils de J. G. 1
à qui vous m'aviez présenté. I est aimable et gentil; mais d'une part
acoquiné (paraît-il) avec le nommé Rebatet, et de l'autre tout à fait
perdu de nuées romantico-métaphysiques, à tel point qu'il ne croit plus
à la durée d'une France et se reptésente l'avenir du genre humain pur
de toute matière et qualifié par des caractères absolument et purement
moraux. Le povre I L'homme hegelien m'a toujours paru une branche
de la ramure anthtopopithécienne. Je crois (c'est une impression)
qu'il a été terriblement impressionné par l'Allemagne philosophique et
universitaire. Son oncle et homonyme (parrain sans doute, Paul G. 2)
était, je crois de la coterie germanomane, rayon des hellénistes, bien
que Fustel l'eût nommé son exécuteur testamentaire, rôle dont il s'est
acquitté assez mal comme éditeur et comme biographe. Je vous dirai
mieux vers quels rivages me poussera cette correspondance. Je ne
m'attends à rien de fameux, étant donné les énormes bancs de brumes
sur lesquels je vois que l'on navigue avec de vraies délices qui me mettent
toujours mal à l'aise. Encore un volume qui part vers vous! J'en ai
honte. Mais puisqu'il y a moyen I Pourquoi nous priverions-nous
de ces échanges? Mes respectueux hommages, je vous prie, à Mme Xavier
Vallat, à vous, mon cher ami, toute ma vieille amitié, en pluie sur Laval
et sur l'Ouest A. F. de tout cœur.
1, Paul Guiraud, détenu politique à Clairvaux, condamné comme directeur d'un journal
du Nord, était fils de Jean Guiraud, rédacteur en chef du journal La Croix. Lucien Rebatet,
auteur des Décombres et rédacteur à ], sllis j)arlolll, était également détenu à Clairvaux en 19jo.
2. Paul Guiraud, professeur d'histoire grecque à la Sorbonne. auteur d'un livre sw: FRS/,/
de Colllanges. Paris, 1936.
218 LETTRES D E PRISON
A BMILB HENRIOT
10 novembre 19jo.
Mon cher confrère,
Ainsi vous refusez de vouer aux Grégeois 1 le même beau travail
qu'aux Fils de la Louve I Et vos raisons font, depuis deux semaines, que
je délibère avec moi-même de céder à la passion de la vérité, et même à la
passion tout court, en vous révélant la cause première de votre et de
notre malheur, car vous vous en tenez à la seconde quand vous parlez
des programmes de 1 9oz. et du choix de A et de B. Politique d'abord !
La vraie cause de ce recul intellectuel a été l'entrée des Barbares dans
la cité et la victoire de leur Dreyfus. Mais oui. C'est de !'Histoire. Le
sacrifice des humanités au programme de 1 902. a été fait pour ouvrir la
route du supérieur au primaire, les instituteurs ayant bien mérité, non
les professeurs du secondaire, le cores enseignant des lycées et collèges
ayant marché pour la Patrie française et pour l'Action frllllfaise, avec
Syveton, Vaugeois, Dausset et les autres, leur matière a été raccourcie,
tronquée, rejetée. Les Lettres ont pâti sous Leygues, Ponce-Pilate pour
l'amour du Barrabas de l'Ile du Diable... A votre place, je ne me laisse
rais pas faire par le destin. Avec votre Epitome et votre Esope, je partirais
bravement à la conquête de l'Empire grec ! Le vieux Tournier 8, flamme
et sommet des hellénistes, disait : On ne saitpas le grec, on sait du grec..• Et
pour en savoir le nécessaire strict, voici un petit livre dont je me permets
de vous donner le signalement : son titre par malheur m'échappe,
mais il est d'un bon vieux professeur que mes aînés Le Goffic, Tellier,
Guigou, La Tailhède !lj>Pelaient le père Delboulle 3, qui enseignait quelque
part dans le Nord. C est un recueil de poèmes de Ronsard, du Bellay,
Dorat, H. Estienne, imités de l'Anthologie grecque et précédés du
texte des poèmes grecs originaux. Pas difficile du tout, et tel qu'on y
baigne dans la fraternité des deux langues, des deux goûts et des deux
génies. On est contraint de la sentir. Le volume est blanc et mince, le
papier dur, épais, glacé. Peut-être ne porte-t-il même pas le nom de
Delboulle, qui, modeste, a voulu seulement aider les jeunes gens et
servir les poètes. Sur cette description, n'importe quel bouquiniste vous
procurera le Sésame, embarquement droit pour Ithaque, Athènes et
1 . CT. plus haut, lettre du 14 juillet 1950. A cette lettre où Maurras le priait d'écrire aussi
sur les Grecs qu'il nomme du vieux mot de • Grégeois •• Emile Henriot lui avait répondu
que • victime des programmes de 1902, il n'avait pas étudié le grec • et, en s'excusant, il se
déclarait à regret incapable de satisfaire à ce que Maurras attendait de lui.
2. On doit à Tournier une remarquable édition de Sophocle.
3. Achille Delboulle : .An,zç,./on et les poèmes OIIIKT'éontiqms. Texte grec, avec les traductions
et imitations des poètes du XVI8 siècle. Le Havre, 1 891.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
Chlo, j'en sais quelque chose I Bien que n'étant pas victime de Dreyfus
(et je dirais presque au contraire) le don des Ian.gues que possédait ma
petite enfance s'est arrêté et comme gelé en moi quand je suis devenu
sourd, c'est-à-dire vers treize ans et demi, les centres cérébraux-nerveux
de l'audition se sont sclérosés, je suppose, et je n'ai jamais plus bien
« plongé • comme vous dites, dans mon grec, mon latin, mon anglais,
ni même mon provençal, sinon par de très rares à-coups. Eh l bien, la
lecture, le ruminement, la méditation de Delboulle a été l'un de ces bons
à-coups pour le grec. Je me suis délicieusement matagrabolisé la cervelle
aux µ.év, aux 3é, aux Té, à tous les partitifs d'Anacréon, et il est
sorti de là une petite version de XŒÀYj -rLç 001111.. qui a reçu deux grands
honneurs : ces quatorze vers 1 sont les seuls que Moréas ait jamais aimés
de moi (il est vrai que ce sont ! �:u près les seuls que je lui aie montrés)
et d'autre part l'Association G i· ume Budé me fit à cette haute époque
la glorieuse proposition de traduire pour el1e le joli travail de saint Basile
sur l'avantage des lettres profanes, dont j'avais fait l'éloge dans un
article 2... Je m'étais engagé ferme, n'en eus jamais le temps et en fus
découragé par un certain abbé Boulenger ( ?) (ou Charpentier), pro
fesseur aux facultés catholiques de Lille, important fonctionnaire de
Budé 3, qui me doctrina un système de traduction mécanique, ne consistant
qu'à poser un mot de français sous le mot grec, textuel, littéral, servile,
abrutissant, au lieu que la vra:e traduction m'a toujours paiu devoir
être la haute liberté du sens, du rythme, de l'esprit; cpô mç pourrait très
bien re traduire par Dieu si cela chante bien, comme je .'ai cru pouvoir
faire pour Anacréon (non sans le trahir du reste encore, car on trahit
toujours). Bref, las d'attendre, Budé trouva un meilleur helléniste, ce
qui n'était pas malin, et Je dois dire que son travail ne fut pas très fameux.
Il ne me semble pas qu il ait gardé Pinspiration, la grâce et le charme du
vieil évêque d'Orient. Mais enfin tel était le degré de capacité auquel
m'avait élevé le Delboulle. Il n'y a donc lieu que de le retrouver sans
vous consumer en << plaintes » vaines. Ce sera comme un nouveau Jardin
des racines grecques, un chemin vivant, méthode et méthodologie,
vers les hautes sources, que vous récupérerez san , même y penser. Il
n'y faut qu'un petit effort de bibliophilie. Une promenade sur les quais
en quittant l'Institut. Vous n'aurez peut-être qu'à entrer chez Cham
pion. Ils n'y sont plus, mais leur successeur, Mme de Harting, m'a
récemment procuré un Festus Avienus dont j'avais besoin pour notre
mur grec. Elle doit posséder un ou plusieurs Delboulle. C'est toute
l'init ation qu'il vous faut.
Je vous fais envoyer, à défaut de ce petit livre perdu dans un débarras
A PIERRE BOUTANG
3 décembre 1950.
Mon chet ami, je suis bien confus des deux ou trois quinzaines de
silence outrageux que j'ai gardées après votre magnifique manière de me
traiter en réponse à l'envoi du Mont de Saturne 1, parce que (mieux vaut
vous le dite tout de suite) vous avez embarrassé le vieillard de la mer. Il
s'amusait. Il jouait, le monstre! et vous lui avez demandé des lumières
qu'il ne refusait pas, mais qu'il ne songeait pas à donner. Alors il vous a
lu, relu et re-relu, de plus en plus terrassé par sa confusion, de moins
en moins capable d'opposer un discours continu au vôtre dans une
matière où le principe et la fin n'étaient guère que le « pour-rire », mais
où, bien naturellement, comme en toute chose, toutes les questions se
posent en soi. Un conte, même un conte monstre, comme vous dites
bien, contient une histoire qu'on peut << maîtriser ». Aussi bien peut-elle
s'échapper encore pour s'écouler de toutes parts, en ne songeant pas aux
gouttelettes de vie humaine ou de réflexion dont elle est composée. Mais
enfin le désir de jouer se concilie parfaitement avec les idées fermes, là
où il le faut. Leur nécessité m'a toujours paru absolue en politique où
l'essentiel est saisissable aux pauvres hommes, où il est inhumain de les
en priver. Ailleurs, les certitudes et le moyen de savoir sont (ou parais
sent) bien moins à notre portée. De là plus de place au rêve et à la
fable, à l'invention gratuite, à la pure inspiration et à la liberté de ce
1. Article de Pierre Boutang sur le • lâche neutralisme t de Sirius (M. Beuve-Méry). Cf.
Aspects tk la France, 15 décembre 1950.
2. Cf. Lt sm#ment r(!Jalirt, dans /11 Mlmoires d'011tre-To11ib,, par Pierre Boutang, in A1pect1
tk la France des 3, 7 et 10 novembre 1950.
3. Dans les Mémoires d'011tre-Tombe, t. V, Chateaubriand raconte que, le 17 juillet 1830,
un détachement fut assailli d'une grêle de pierres dans la rue des Pyramides qui s'appelait
alors rue du Duc-de-Bordeaux et qu'un Anglais tira de la fenêtre d'un hôtel un coup de
222 LETTRES DE PRISON
Il est vrai qu'il n'en tire rien. Ou qu'au moment d'en tirer quelque chose
il tourne court. Et nous venions de prendre Alger! D'opposer Alger,
après la Corse, à Malte et à Gibraltar I Quand rendra-t-on justice à la
splendide politique des Bourbons en Méditerranée I Elle est aussi belle
que sur le Rlùn. Mais les libéraux de 1 830 s'en f... bien! Ce Chateau
briand aussi. Que vous avez bien fait de reP._rendre le duc de Bordeaux 1
Il a été repris en 1 904, savez-vous par qw ? Par Marc Sangnier! en la
forme du « Conseil au roi de demain » l presque dans les mêmes termes!
Je me suis bien gardé de parler de ce précédent chateaubrianesque
quand je l'ai traité il y a quarante-cinq ans, le Sillon en aurait été trop
faraud. Mais j'en avais bien envie! Tous ces déclamateurs sont bons à
être pilés dans le même mortier. Ainsi soit-il. Mais gloire à vous, mon
cher ami, et vous êtes ainsi rangé dans la légion des juges inexorables
de René, le grand malfaiteur. Avec Sainte-Beuve et Veuillot, il
n'y a guère, avant votre génération, que Lamartine. Mais celui-ci, à
force de noblesse d'âme, y a gagné du jugement. Ce n'était pourtant pas
son fort. Mais, peut-être, un reste d'esprit classique (il avait appris à
lire dans Mérope !) et aussi de légitimisme, le même qui lui fait empêcher
la guerre de propagande de 1 848 I Ce qui en somme a égalé sa politique
à celle de Louis-Philippe et de la Restauration. Je ne sais où, peut-être
dans son Cours de Uttérature, son portrait de Chateaubriand est d'une
fermeté et d'une vérité inouïe. Je suis très dépourvu d'Homère, je n'ai
que deux volumes de l'Iliade de Budé (et encore est-ce le I et le III!)
et en fait d'04Jssée le très fâcheux Bérard 1 • Je n'ai pas voulu lire à votre
suite un « porc géant ». Il n'y est que trop. Mais, vraiment, Homère ne
lui fait-il pas les honneurs de l'état sauvage ? Ce qui lui a valu la promo
tion de << sanglier » chez Mme Dacier 2 1 Vous connaissez mon adriûration
pour cette sage et savante dame. Si vous avez une Ot!Jssée en grec sous la
main, prêtez-la-moi, je vous la ferai rapporter par Jacques ou par Hélène.
Il m'amusera de vérifier la traduction de Bérard. Mais tout cela m'écarte
beaucoup d� l'essentiel de mon dire, qui est l'importance croissante, la
valeur gagnée à vue d'œil par votre politique et votre critique. Il me
semblait qu'autrefois, vous vous laissiez un peu faire par certains fameux
menteurs, maintenant vous les cernez et les soumettez, ce qui est, je crois,
la meilleure manière de rendre la vérité manifeste et de lui conquérir
un vaste public. Alors il n'y a qu'à continuer la belle manière. Tout
mon regret est de n'être pas sûr de vous avoir rendu mon sentiment
très clair, mais je finirai par une espèce d'apologue : votre premier
volume de la Politique 3 est rédigé de deux manières : l'une, le corps du
feu sur la garde française. • Ainsi, déclare Chateaubriand, les Anglais, qui vivent à l'abri
dans leur île, vont porter les révolutions chez les autres... •
1. Victor Bérard, traducteur de l'Otfyssée, 3 vol. Paris, 1924-1925.
2. La traduction de 1'04,ssét par MD'8 Dacier parut en 1708.
3. Pierre Boutang : l.A Politi(Jllt. Paris, 1948.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
livre,en discours abstraits, selon moi un peu trop abstraits par endroits,
- je vois d'ailleurs à quoi ça sert, mais sans emporter mon adhésion
entière - l'autre, les notes, sont du discours concret, un peu trop celui
de tout le monde. Eh bien I vous avez, il me semble, trouvé un degré
médian où le total de la distinction du premier genre est combiné au
total de la clarté du second. Ce qui nous ramène au propos aristotélicien
cité plus haut. Par exemple, je n'avais pas songé au Philèbe, mais, là,
j'ai pu vérifier, et d'ici même, qu'il y a de ça.
A PIERRE BOUTANG
S. d. (Février 5 1).
1. Pierre ·de Coubertin avait, en 1 895, pris l'initiative du rétablissement des Jeux Olym
piques. Cf. Anthinéa.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
avec les mêmes armes, les mêmes méthodes à peine perfectionnées ou
rétablies, et l'on aura vite fait ainsi de recréer, devant les catastrophes
prochaines - et il y en a de menaçantes et d'inéluctables, mais qui ne
s'abattront pas.fatalement sur notre nation - à recréer, dis-je, un refuge
spacieux et fort, digne du nom français et qui serait le modèle de tous les
civilisés. Nous bâtissons l'arche nouvelle, catholique, classique, hiérar
chique, humaine, où les idées ne seront plus des mots en l'air, ni les
institutions des leurres inconsistants, ni les lois des brigandages, les
administrations des pilleries et des gabegies, où revivra ce qui mérite
de revivre, en bas les républiques, en haut la royauté et, par-delà tous les
espaces, la Papauté I Même si cet optimisme était en défaut et si, comme
je ne crois pas tout à fait absurde de le redouter, si la démocratie étant
devenue irrésistible, c'est le mal, c'est la mort qui devaient l'emporter,
et qu'elle ait eu pour fonction historique de fermer l'histoire et de finir
le monde, même en ce cas apocalyptique, il faut que cette arche franco
catholique soit construite et mise à l'eau face au triomphe du Pire et
des pires. Elle attestera dans la corruption étemeJle et universelle, une
primauté invincible de l'Ordre et du Bien. Ce qu'il y a de bon et de beau
dans l'homme ne se sera pas laissé faire. Cette âme du bien l'aura emporté,
tout de même, à sa manière, et, persistant dans la perte générale, elle
aura fait son salut moral et peut-être l'autre. Je dis peut-être, parce que
je ne fais pas de métaphysique et m'arrête au bord du mythe tentateur,
mais non sans foi dans la vraie colombe, comme au vrai brin d'oli
vier, en avant de tous les déluges.
Ne me trouvez pas ridicule à brandir ainsi vers vous « l'arbre de
paix >>. Vous vous vous voyez bien toutes les vérités immenses et néces
saires que cela recouvre, et ce qu'elles ont d'essentiellement vital au
jourd'hui. Mais pardon de l'abus des mots 1 C'est la terreur de paraître
rien négliger qui me rend si vraiment prolixe. Pardon et comprenez, ou
plutôt faites l'inverse qui rende le second terme inutile.
CHARLES MAURRAS 83 2 1
A MADAME PA UL MORAND
20 décembre 1950.
Madame,
Mon voisin et ami, Paul Marion, fait avec moi le plus généreux des
partages. Mille et mille fois merci des merveilleux chocolats et de tout le
café passé et futur 1 Quel malheur que la lettre perdue pour me ressouvenir
:u6 LETTRES DE PRISON
de Suisse et d'Amérique f L'amitié m'a gâté presque iniquement tout au
long de ma vieille vie. Je n'y puis/lus répondre que par un mémorial
constant et fidèle, et le vrai est qu•· est bien là; soyez assez bonne pour
l'attribuer en toute certitude à ceux qui en ont cure. Il est difficile de
dire où nous allons. Rattrapons-nous sur le charme indicible et la grâce
incroyable d'un Passé bien vivant. C'est avec cela qu'on refera peut-être
le monde, ou un monde, c'est-à-dire quelque élément d'ordre et de
beauté. Pardonnez-moi, Madame, la longueur de ce merci, ce n'est qu'un
hommage respectueux rendu à la dignité de qui ne sait ni ne veut oublier.
CH. M. 8 3 2- 1
A SA NIÈCE HÉLÈNE
Ma petite Ninon,
J'ai eu ta Sabbatine 1 (cloche du samedi) m'annonçant Jacques pour
demain. Alors, vite mes réponses 1 Pour Varillon qui menace de mourir
sans mon amour, je dis :
Assure Varillon de sa vie lternelle :
Je l'aimerai toujours.
Ça donc, tJll'il boive frais, q11'il aille voir les belles,
Et d 'un même discours
Fasse danser mes ours I
1. Charles Maurras appelait ainsi les lettres que sa nièce lui adressait chaque semaine.
2. La Setde Frana. Cbroniq,,e des jo11rs d'lpretM. Lyon, 1941. - La Contre-Rivo/ution spon
tanée; la reçherçhe ; la dist:11.r.rion-; l'é11111'11. I89!r1939. Lyon, 1943.
228 LETI'RES DE PRISON
mais j'y ai ajouté des précisions, des circonstances, des preuves nou
velles, notamment sur les partis, sur l'avenir du nationalisme; sur le
danger des factions, toutes choses sur lesquelles on raconte tant de
bêtises I Et encore, au point de vue catholique, sur la morale indépen
dante, etc., etc. Ces retours sur le passé, bien compris, peuvent rendre
de grands services pour l'avenir, mais il ne faut pas que ce soit enterré
vivant! Qu'on ne réponde pas : politique / Je voudrais bien savoir si
le Bulletin refuserait de rendre compte de l'Art rqyal de Platon s'il était
paru en 1950? Je ne compare certes pas les talents, je dis que les objets
de ces deux livres sont les mêmes et qu'ils ont le même intérêt humain.
Dites cela à Lardanchet, mon cher Varillon, et qu'au besoin ma petite
Ninon vous le tape, pour que vous puissiez le diffuser l Et toi, Ninon,
pardonne-moi de te faire travailler comme une négresse. Voici l'affaire de
Troyes. Beau, paré, couronné de fleurs comme une génisse que l'on
mène à l'autel, je suis donc allé, mercredi, dans cette belle ville où quatre
médecins m'ont examiné sur toutes les coutures. Cela a bien duré deux
heures. C'était chauffé. Pas trop. J'avais dépouillé cinq des six enveloppes
de laine qui me recouvrent habituellement et, pendant que l'on délibé
rait (très visiblement) sur mon degré de décrépitude, je claquai des
dents, ce dont je finis par m'apercevoir en même temps que mes quatre
morticoles. Une de plus, et j'y restais l Leurs conclusions? Je les ignore.
Je sais seulement ce que je savais, à savoir que je n'ai ni sucre, ni albu
mine. Ils ne m'ont même pas confirmé la version des radiographes de
Riom, d'après lesquels - t'en souviens-tu? - j'ai une aorte épatante,
celle d'un homme de cinquante ans. A la bonne heure I Rentré à Clair
vaux, après avoir été régalé d'une très belle aurore à l'arrivée, aux
portes de Troyes, et au départ d'une très belle fuite des glaçons de la
Seine où s'embarquait mon cœur dans la direction de Lutèce, j'avais
grand faim. Puis j'ai dormi. Puis j'ai senti venir un bon petit rhume...
Alors, fort de mes connaissances expérimentales de ma vieille bête, je
me suis remis au lit, ai bu et rebu du vin chaud, transpiré tout l'après
midi de mercredi, tout jeudi et, ayant épuisé mes réserves de vin, ai
retrouvé mon équilibre vendredi matin et tout ce jour d'hui. Voilà
toute l'affaire. Ce que tu me racontes me fait le plus grand plaisir. Alors,
c'était fausse alerte : Tartas ne s'arrachait plus les cheveux? Quel dom
mage ç'aurait été I J'ai vu à l'hôpital, pendant que j'attendais mes jaugures,
un malade dont le masque était d'un vieillard édenté, plus édenté que
moi, et plus ridé, mais le front couronné d'une magnifique couronne
d'ébène, aussi noire 9.ue celle de Tartas en personne l As-tu vu souvent
cela? Moi, jamais. Ce malade était un ancien cuisinier du général de
Partouneaux, que Varillon et Bertie ont bien connu. Pas le cuisinier, le
général! Donc, nous gardons les << Jarres de Biot >>. Mais il faut mettre
Mes Jarres 1, il peut y avoir des brochures d'histoire locale qui pourraient
1. C'est le titre : Jarr,s d, Biot qui fut définitivement adopté.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
17 janvier 195 1 .
Ma chère Lou,
J'aimais beaucoup la façon dont notre René parlait des siens ou
plutôt des siennes; il disait : Marthe (c'était votre maman) ne fait jamais
que des lettres de quatre pages, mais tout y est, rien de trop et à la juste
mesure qu'il faut ! De sa sœur préférée : elle a assez d'esprit pour être
très méchante, et elle est bonne comme le Pain ; et quand il avait dit :
<< Louise a dit •• tout était dit. De là, ma confiance, chère Lou, dans votre
jugement. De là, quand · m'est arrivée votre chère lettre, le triomphe
que j'ai mené dans ma cellule dont j'ai fait trois fois le tour en grande
pompe. Voilà! Non seulement le petit bouquin vous a plu, et c'était
le grand point, mais vous l'avez jugé << moral >> 1 • Cela me tranquillise
tout à fait. J'ai refusé dimanche, le dimanche où Jacques m'a remis
votre lettre, j'ai refusé de signer un exemplaire pour une trop jeune fille,
parce que tout n'est pas bon pour tous, mais l'ensemble du vieux petit
paquet n'en est pas moins aussi « moral >> que les Amants de Venise
qui ne le sont pas à moitié. Autre joie, Lou! Non seulement vous avez
retrouvé mon hydre blonde, mais vous lui avez rendu son vrai surnom
de Serpent blond 2• Ça, c'est un chef-d'œuvre l Serpent n'allait pas dans
le livre, mais il est dans l'histoire. Que nous avons été heureux! Vous
le dites bien. C'est peut-être pour cela que je plonge si joyeusement
dans la mer d'azur du passé. On dit que c'est un effet de lumière illu
soire? Mais non. Je vois bien où commence le mirage, où finissait la
réalité. J'ai écrit (vous l'aurez) un opuscule intitulé Tragi-comédie de
ma Surdité, qui raconte ma vie, en somme, vue de l'observatoire de
mon mal. Eh l bien, ces cruautés m'en sont aussi nettes que les douceurs.
Mais il faut que celles-ci l'aient emporté de beaucoup pour que le tout
ait eu puissance de durer, de tenir et d'agir encore. Que de choses
j'aurais à vous dire si nous avions seulement une heure à nous, bien à
nous pour causer et marcher tranquillement, tristes et gais, parmi tous
nos fantômes! Merci de me donner des nouvelles, si bonnes, de la
jeunesse sportive de Philippeville. Si vous aviez l'adresse de quelques
têtes et de quelques bras qu'il y ait intérêt à orienter ou à affermir dans
la bonne voie, je leur ferais envoyer brochures, livres, journaux : nos
amis sont à l'ceuvre et me semblent (malgré les querelles inévitables)
avancer d'un bon pas..... Oui, c'est vrai, les crétins du gaullisme après
les traîtres du collaborationisme, les yes et les ia, comme disait Léon,
nous auront infligé un recul de cinquante ans. Peu aura importé néan
moins, si l'on s'arrange pour faire prévaloir la France seule! Je crains
pourtant le coup irrémédiable porté à l'Empire colonial. Marianne III
en avait réuni une part importante, Marianne IV en a dilapidé plus que
sa mère en avait acquis. Ni l'une ni l'autre n'aura compris, d'ailleurs,
qu'on ne fonde pas un empire sur les Droits de l'Homme et l'égalité.
Le Nombre Roi, le Nombre Dieu arrache follement le pouvoir aux colons
pour les colonisés. N'importe I Tout était prêt pour l'incendie, mais c'est
de Gaulle, son Pléven, son Thierry d'Argenlieu, qui ont frotté l'allumette,
et tout embrasé. Le village de Colombey-les-Deux-Eglises qu'habite la
1 . Il s'agit du Mont de Saturne.
2.. Op. cit. : chap. IV ; p. 52. .et suiv.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
Et j'oubliais, très bonne année! Que nous n'ayons pas les Russes,
mais le Roi!
Janvier 195 1 .
...Dis à Massis qu'il est bien trop bon pour moi, mais trop cruel
pour Lemaitre, ce << pauvre >> Lemaitre I Le mot est de Lyautey, page 419
du Bulletin vert de Lyon 2 ; est-il bien authentiquement de Lemaitre ?
N'a-t-il pas été fabriqué sur lui et puis ajusté, imputé à lui ? C'est un
article de Paris dont le faire est courant. Et puis je me méfie un peu de
Lyautey et de son imagination créatrice. Il a attribué à Barrès, un mot
sur l'Affaire qui est impossible. Barrès lui aurait dit qu'on pouvait refuser
la Révision jusqu'à la découverte du faux Henry, mais pas après. Barrès
n'a certainementpas dit fa. C'est après la découverte du faux Henry qu'il a
été quant à lui, Barrès, le plus anti-révisionniste. En septembre 1 8 9 8,
on le rencontrait sous les réverbères en train de lire la Gazette de France 1,
alors que je lui en faisais faire le service chez lui, mais, il n'avait pas la
patience d'attendre d'être rentré à Neuilly! C'est en décembre 1 8 9 8 que
Barrès fondait avec nous (Amouretti, Syveton, Dausset) la ligue de
la Patrie française et rédigeait son appel aux intellectuels patriotes, qui
devait sortir en janvier 1 8 99. Ce mot inventé l'a été tout de travers.
Barrès ne s'est jamais renié.
Pour Lemaitre, non. Certes ce n'était pas un prince, ni lorrain, ni
même tourangeau. Il y avait en lui du paysan, du petit bourgeois, mais
solide et droit. Venu à la monarchie, il a voulu retourner dans toutes
les villes où il avait prêché la bonne République, afin de se rétracter
devant le même public. J'aime cette honnêteté de Français moyen. Et
son amour des Lettres! On dit qu'il n'a loué Verlaine que sur l'instance
de Tellier 2• C'est vrai. J'ai vu cela. Mais c'est malgré Tellier, hugolâtre
fieffé, qu'il a organisé, conçu et même un peu écrit son Racine et son
Lamartine 3• Il a rompu en visières avec tout le monde par son panégy
rique de Veuillot, et ses patrons de /'&ho de Paris, les Simond, n'ont
pas été contents quand il a engagé avec un aussi petit compagnon que
moi sa polémique sur Tolstoï dont leur journal publiait R.ésurrection.
L'amour des Lettres lui donnait de la bravoure. Ah! Massis, si vous lui
aviez entendu lire, de sa voix d'or, l'Ode de Malherbe à Louis XIII,
c'était de toute beauté 1 Barrès n'y était pas très sensible. Mais ça existe.
A la même page 419, il y a une petite erreur de fait. Ce Morin 4 n'est
pas du tout 1111 député que safemm, avait tué à coup de revo/11,r. Non. C'était
la femme d'un député, Clovis Hugues, qui avait abattu à coups de revolver
ce Morin, son diffamateur et calomniateur. Elle fut acquittée en triomphe
par le jury de la Seine. Massis est bien heureux d'être si jeune et si loin
de ces choses dont nous avons été, ceux de mon âge, presque les témoins.
CH. M.
1. C'est dans la Gaz.elle de France que Maurras commença, en novembre 1897, sa campagne
sur l'affaire Dreyfus.
2. Sur Jules Tellier, cf., plus haut, la lettre du 7 septembre 1949.
3. Jules Lemaitre : Jean Racine. Paris, 1908 ; son Lamartine forme un des chapitres des
Cont,mporains, IVe série. Paris, 1889.
4. Le jeune Maurice Barrès, pour lancer Les Taçh,s d'encre, la petite revue qu'en 1885 il rédi
geait seul et qui n'eut que trois numéros, avait pris comme thème de publicité : « Morin ne lira
p/111 Les Taçhes d''""" I • et des hommes sandwiches circulaient sur les gtands boulevards, por
teurs de telles affiches.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
A XAVIER VALLAT
30 janvier 195 1.
1. Sous ce titre, Henri Massis venait de publier une suite d'articles dans les &rits de Paris
(octobre à décembre 1950). Cf. L'Occident el son deslin. Paris, 1956.
2. Il s'agit des Jarres de Biot. Sur la querelle avec Duhamel, cf., plus haut, la lettre du
18 mai 1950.
3. Ministre du Ravitaillement à Vichy et condamné à ce titre par la Haute-Cour à
dix ans de travaux forcés, François Chasseigne devint à Clairvaux le voisin de cellule de
Charles Maurras.
2.34 LETTRES DE PRISON
Mais ne vous serait-il pas possible de m'écrire une première fois par le
directeur qui me remettrait certainement votre lettre (il l'avait autorisé,
m'aviez-vous dit), et la navette serait ainsi reprise ? Nous en serions
quittes pour envelopper un peu certains sujets. Mais la controverse des 011
et des 11, des om et des 011m n'aurait pas de masque à s'adapter! Elle,
non plus, ne casse rien. Que ce soit le roi Robert ou un autre roi, c'est
toujours un Capétien qui a permis ce que le Carolingien barbare, imita
teur servile de l'Italie, avait interdit. Je ne peux pas m'empêcher de
trouver tyrannique l'imposition du prononcé d'une voyelle 1 : où les
niçards disent a, les arlésiennes o, les femmes de Brescon 011, les toulou
sains et les gascons a encore, sans cesser de parler la même langue, ni
de faire << chanter >> la même << muette >>, ni de se comprendre à la per
fection. Comment y aurait-il difficultés de conversation entre gens
dont les uns diraient 011, les autres u, les uns oum et les autres 11111? Voyons 1
Voyons! Voyons! L'Anglais n'est pas une langue romane, votre recours
n'est pas de jeu! Encore y aurait-il beaucoup à dire! Vous rappelez-vous
la fameuse apostrophe de M. Taine au professeur d'Oxford (ou de
Cambridge) qui disait que César avait écrit : Vaïnaï, Vaïdai, Vaïçai,
<< Non, monsieur le professeur, César n'a jamais dit cela. >> Le professeur
aurait pu répondre que notre veni, vidi, vici, à syllabes inaccentuées, était
encore plus éloigné du langage de César, et il aurait eu le dessus. De
même que votre Taiteri /011petiouli req11io11bens... encore un coup, ce n'est
pas de jeu! Seul (ou surtout) l'accent importe. Et, comme j'espère rat
traper mon commentaire sur Pie X, je vais tâcher d'arranger le langage
et le ton d'une manière moins critique, et mettrai l'accent (c'est le cas
de le dire) sur le bienfait de l'accentuation imposée aux Gaulois, mais
sur 1'11 ou sur l'ou, non, pas possible, je ne peux pas transiger sur cette
fantaisie de bureaucratie sacrée. Là, on a fait comme Charlemagne et
comme le roi noir de Guinée, confondu unité et centralisation, crino
line et casque de guerre. Traitez-moi de << testard >> et de « pico-pebre »,
vous devez juger tout au fond que je n'ai pas tort! Ou alors, avec les
félibres de Toulouse, avec ce malheureux Marius André 2, unifions 1a
prononciation du provençal entre Pau et Nice, et coupons la tête (ou
la queue) à notre cher o mistralien. Car vos prémisses vous y contrai
gnent I Merci pour le b et le v ; je croyais que cette consonne suivait le
sort de l'h et que biben remplaçait viven dans les mêmes pays ou l'h rem
place l'j. Ce que vous me dites si pertinemment montre que les « lois »
des langues sont encore plus variées, souples et vivantes qu'on ne le dit
et qu'on ne le croit. Si donc l'on voulait prononcer le latin selon les
hypothèses plus ou moins discutées des philologues, il faudrait dire
1. A Clairvaux, Xavier Vallat avait eu une longue controverse avec Maurras au sujet de
la prononciation romaine de l'u, ordonnée par Pie X.
2. Marius André, camarade d'enfance de Charles Maurras. Consul de France et félibre,
il a publié plusieurs livres de poèmes en langue d'oc.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
1. Mgr Dulong de Rosnay, prélat breton, qui dirigeait un journal légitimiste et catho
lique : La Résistançe de Morlaix. Il était l'ami de La Tour du Pin et d'Albert de Mun.
LETTRES DE PRISON
que possible. De Verlaine à Ronsard, chez nous cela court les rues
et les bibliothèques ... et puis le Saint-Esprit ne s'est pas gêné dans le
Cantique des Cantiques ! Evidemment, ces choses-là ne sont pas faites
pour tous, mais elles font partie de l'art universel, et l'abbé Trochu 1 n'a
jamais été plus dégoûtant que le jour où il s'est servi de cela pour empê
cher l'élection sénatoriale de Uon Daudet et pour arracher à la France
un défenseur qui l'eût peut-être sauvée ! Il a fait une affaire de principe
de quelque chose qui tient aux différences de temps et de lieux. Néan
moins je ne crois pas avoir le droit de faire voisiner ce poème, si beau
soit-il (et je ne vous ai pas dit combien il est magnifique), avec la traduc
tion de l'Ave Maria. Vous aurez la Gardounado par un autre
courrier. Mes respectueux hommages à Mme Vallat. Toutes mes amitiés
à nos amis de Solesmes, de Laval, de Juigné, de partout. Je vous em
brasse, mon ami, de tout cœur.
Ch. MAURRAS 8 3 2. 1
Morts de février
Venus pour crier
La même colère
Le temps écoulé
A defjà mêlé
Dans une eau plus claire
Vos noms au prénom
D'illustre renom
Qui fut la victime
r. L'abbé Trochu, directeur de l 'Ouest-Eclair, avait fait alors une violente campagne
contre la candidature de Léon Daudet.
LETTRES DE PRISON
D'mz d!chaînement
Du nombre qui ment !
J'admire etj'estime.
A garder raison
La dure passion
Plusfort nous convie.
L'amitié d'Action Française est une force que nos ennemis, les enne
mis de la France, n'ont pas calculée.
CH. M.
17 février 195 1 .
Ma petite Ninon,
Qui t'a donné ce << Briand >> 1 sur Proust? Cela est très juste à mon
sens G'ai connu ce demi-juif), mais c'est terriblement appuyé. Je ne
le donnerais pas à lire à Mlle Cadiergue, fichtre non I Si, comme je
le pense, le cadeau est de Varillon, qu'il faut féliciter de sa nouvelle
contribution à l'histoire de la Marine (son article d'Aspects était très
bon), demande-lui si ce Briand est vieux ou jeune : il y avait au << Rappel >>
en 1914 un Charles Briand, qui, à la déclaration de guerre, fit un article
fracassant en l'honneur de Léon, de Bainville et de ton oncle; ces trois
avaient tout prévu, tout dit, tout compris I Ce journaliste républicain
était d'autant plus honorable que tous ses autres confrères, pour cacher
leur béjaune et celui de Jaurès, criaient que nous avions fait assassiner
ledit Jaurès. Cette fable les dispensait d'avouer la vérité. Si c'est le
même Briand, que P. V. le félicite de ma part. Contemporain, je n'ai
vu dans son livre qu'une petite erreur. Mme Aubernon n'était pas la
maîtresse de Jules Lemaitre, il confond avec Mme de Loynes. Mme Auber
non était << la dame à la petite sonnette >> qui donnait la parole à ses
5 mars 1 9 5 1 .
... Et puis, dis à Massis, ma petite Ninon, que l'afflux de ses souvenirs
en provoque un nouveau des miens. Il en fera ce qu'il voudra. Bourget
d'abord 2• Quelle psychologie de mes retards l A l'imitation de notre
seigneur Lucien Guitry! Moi qui n'allais jamais au théâtre, et pour
cause! Moi qui ne connaissais ce Seigneur que de nom! Dès le lance
ment du journal en 1908, je ne quittais la Chaussée d'Antin ou la rue
Caumartin qu'après avoir écrit tout mon Criton 3 de la revue de la presse.
Comment n'être pas en retard, même sans diner! Au début j'avais dit à
Pujo, qui doit s'en souvenir : « Est-ce que, dans les conditions de désordre
inévitable que produit mon arrivée, il ne vaudrait pas mieux ne pas venir
aux réunions où je n'ai que faire? - Détrompez-vous, me dit-il, l'inci
dent fait de la chaleur, du mouvement, de l'animation, et c'est comme
notre numéro de la soirée. >> Cela fit taire mon scrupule, mais il m'était
venu. Ce que vous dites 4 de l'amertume de Bourget ne m'étonne qu'à
1. Mlle de Kermorvan.
2. Cf. Maurras et Mlrt 1,mps, tome II, p. 28-29. Bourget disait que si Maurnis arrivait
en retard aux réunions publiques de l'A. F. c'était pour que son enuée suscitit des applau
dissements. « Ainsi, disait-il, faisait Lucien Guitry qui ne voulait pas être en scène au lever
du rideau. t
3. Pseudonyme de Maurras à la revue de la presse de /'.Actionfra11faise.
4. C'est à Henri Massis que Maurras s'adresse ici directement, cette partie de sa lettre
devant lui être communiquée par Mlle Hélène Maurnis.
LETI'RES DE PRISON
demi. Elle se marquait de plus en plus vers la fin. « Qu'est-ce que Bourget
a donc contre vous? • me dit un jour Léon Daudet : « Il dit partout que
vous êtes fou... » C'était le temps de notre plus grande sagesse. Nous
annoncions la guerre, nous la dénoncions, nous criions à l'urgence
des armements et des alliances. Nous commencions à atténuer la virulence,
injuste ou excessive, de nos premières polémiques romaines et louions
]es sévérités de Pie XI pour le germanisme et le communisme. C'était
bien le contraire de la folie. Mais il y eut encore mieux de la part de
Bourget. Massis est trop jeune pour avoir vu cela. En 1 898, lors de ma
défense du colonel Henry, il l'avait si totalement approuvée et louée �u'il
avait transformé en mon honneur les vers 845-46 du VIe livre de l'Enéide :
T11 maxim11s iUe es, Ufllls tJIIÎ nobis rll1ldarJdo restituis rem, mais en rempla
çant le c11nctando par alldendt>. En osant, disait-il, j'avais rétabli les affaires
du parti national. Or, près de quarante ans après, quelle ne fut pas ma
stupeur d'apprendre que le même Bourget allait de maison en maison,
répétant je ne sais quelle phrase de mon vieil article oseur et sauveur
en ]ui donnant un sens assez ridicule ! M'était-il devenu ennemi? Non,
il me couchait (ou me laissait couché) sur son testament entre les amis
auxquels il léguait un souvenir. La vérité, je crois, est que la profonde
tristesse, causée par la maladie et la mort de Mme Bourget, l'avait très
profondément affecté et aigri, au point que l'univers avait noirci à ses
yeux. Notre médecin commun le Dr Charles Fiessinger me disait qu'il
passait des journées entières avec elle, et que cela ne lui faisait aucun
bien. L'absence définitive causée par le deuil dut être pire encore. Je
ne me rappelle néanmoins a11e11n incident des dernières années qui ait pu
m'éloigner de lui. Nous étions de ceux qui l'entourions d'une admiration
aussi solide que notre gratitude et notre respect, et s'il nous arrivait de
sourire d'un petit travers, c'etait sans la moindre malice. Le jour de sa
mort, Bainville me dit : Voici 1j11el(Jll8 chose q11i s'écroule dans le monde litté
raire, c'est par Bourget seul q11e tenait encore 1111 certain sentiment de l'honneur,
il s'en va, cela s'en ira,je crois, avec l11i. Je crois que Bainville ne se trompait
pas. Pour ma part, je trouvais toujours le même accueil, le même appui
auprès de lui. Il m'avait soutenu vivement en 1 923 dans ma candidature
contre Jonnart, je ne parle pas seulement de son vote, mais de démarches
faites en commun. Dès le début de ma critique, quand Barrès m'eut
présenté à lui, il avait été très amical, avait pris part à l'E.nq_11éte sur la
Mo narchie, m'avait introduit au Figaro de Périvier, venait assidument au
Flore 1, et, loin de Paris, écrivait qu'il s'en languissait (franco-provencal
d'Hyères). Je ne vois que deux désaccords : l'un très ancien en 1 894,
quand il faisait partie d'un Gobineau- Verein et disait, comme Renan,
que la décadence française tenait à la raréfaction du sang germanique,
ce que je contestais énergiquement, et ce qu'il finit par oublier lui-même,
1. Le Café de Flore, où Maurras retrouvait ses amis et où fut fondée l'Action fratlftlÎse.
Cf. Charles Maurras : Sous !, signe de Flon.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
1. • Evidemment l'objection que je lui avais faite avait le tort de former un raisonnement.
Je l'avoue sans pudeur. J'ose en convenir ! C'était un raisonnemfflt \!Il forme et pour tout
dire horriblement correct. En conduisait-il moins bien à la vérité de fait.
Le fait du mal en point des « démocraties • ne confirme que trop ma simple et méprisable
vue de l'esprit ! •.(Note marginale de Charles Maurras).
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 2 45
1 5 avril 195 1.
Monsieur,
Combien je suis confus de votre envoi après mon silence sans excuse
d'il y a tant de mois i J'en ai maintenant une véritable horreur. Car les
beaux vers du Cantique « pour notre âme romane », manuscrit que je
tenais de M. Sully-André Peyre 1, m'avaient beaucoup plu, et plu à ce
dont je me défie un peu parfois en moi, à ce qui m'est le plus ami, le plus
intimement agréable et ami, c'est-à-dir� nos traditions les plus passionnées
et je résiste à vous en détailler mon grand plaisir dans toutes les nuances
de ses particularités privées. Mais ces Quatre Cantiques 2 ensemble, c'est
une autre affiüre, et je commence par vous dire : mon homme I ça c'est
fameux I Ind�t de son habit superbe, qui d'ailleurs m'intimide
un peu. C'est trop bea.u pour y fsiœ des marques, même au crayon doux
pour les endroits les plus plaisants, et je les couvre de signets avec le
numéro des pages. Dès les premières, l'immortalité du sang, l'enfant
de l'homme enfant de Dieu, et la grande strophe à la Vierge :
es 1111 devé d'esperlo1111ga dins l'âge
la &roio (jflC li viii pir nalllre an coumoula
l'M"dre lf'_an estab7i per mestreja l'usage
e (jflC d aqui11 dmë11 se pou pas davala 3•
et les plis roses de l'engano, les fleurs qui le suivent, la lune de safran,
l'autre lune, la dorée, et cette incomparable opposition des mains qui
maîtrisent et des mains qui caressent, l'amoureux fort, le combattant
inébranlable et léger qui, tous deux, l'un après l'autre:
011beisso11 à la pensado
e fan clina la forfO e fan de l'ome 1111 roi 4•
Le tour de main gracieux qui compose ce rempart, qui fait chanter
le triomphe sur toutes les guitares, y compris le vent et la mort, ça c'est
r, Le poète Sully-André Peyre, cévenol descendu dans la plaine languedocienne.
lettre à l'occasion de la publication de ses Q11atre Cantiques pour l'âge d'or. Salon, 1951.
2. Max-Philippe Delavouet, poète du Félibrige. Maunas lui adressa publiquement cette
de la haute poésie, mon homme, et de la plus haute, celle qui naît des
idées claires, des idées des maîtres de l'homm.e.. Le stupide x1x8 siècle,
qui dure encore, a voulu nous faire croire qu'il n'y avait de haute poésie
que dans les idées trouples, �omme il voulait nous faire croire au signe
fatal des passions. Chateaubriand, qui inventa cette esthétique, la réfuta
lui-même dans son essai sur la littérature anglaise quand il opposait aux
femmes de Shakespeare, si inconsistantes pour la plupart, << les femmes
de la sc�ne grecque et française >> qui portent sur les épaules tout le
poids d'une tragédie. Mistral, Aubanel, Joseph d'Arbaud, tous les nôtres
ont continué la démonstration. Vous prenez la suite, mon homme !
Comme c'est beau ! Et que j'en suis heureux et fier ! Ne croyez pas que je
mésestime par rapport au Gitan, votre second et votre troisième poèmes l
Celui du regret et de la flamme est non seulement d'une intensité mais
d'une généralité sublime. Le feu chanteur ! Comme c'est cela, ce déve
loppement de la journée, la suite de la vie l les
sounge que lis auro
botefavon vers toun èstro en vou d'estcllo sauro
culido, entre li fttcio, is aubre mcssourgllié 1
et dans ces songes de la nuit à peine dissipés, le réel du jour du beau jour,
per pan que ti dous iue sachonJaire la /rio
ountc es /ou moundc enlié juste c bèn ourdouna 2
et fai tira ! Et l'évocation ! Le regret! Ce qui fut l Ce qui s'ébauchait et
qui aurait pu être :
davans l'aigre tcmpouro
la memo cntcstardid(J e grèvo tenesoun.
soul /ou ceù plen d 'anccù qu'es uno autre courouno 3
... L'archimbclla
n'auriéu, tu dins_mi bras, caupu l'inmcnscta.
Et toute cette belle pointe en lame de faux, large et fine qui commence,
s'étale, s'affaisse et remonte pour conclure sur ce rêve d'un espoir
d'unisson (si distinct) :
... liuen de ié véire 11110 lançado agudo
ié veiras tu quicon de bressaire e de dous
I, Les songu que le.r vents
Son//knt v,rs Ion être en vol d'étoiles biontks,
Cudliiu, entre lesfeuilks, lZIIX arbrt.r mensongers.
z. Pour peu que tes deNXyeNX saçhmJfair, k tri
Où est le monde entierjuste et bien ordonné.
3· Devant l'aigre bourrasqm
La ml1111 tension, lo11Tdt et prolongée.
Sous Je cielpkin d'oiseaNX qui est une autre couronne.
LETTRES DE PRISON
et par le bruit des cyprès, sur le feu qui s'éteint, cette splendeur solaire de
J'inmlnso ampliflldo
que pren lo11 molllltle auto11r de /011/e so11/itudo
dins /'011stat1, dins l'iver, dins Ji so1111ge maca.•.
Encore un coup ce sont des vers divins, mais bien surpassés par
votre Blé I Là je ne cite plus, je prends tout, je relis tout pour son rythme
et pour sa matière, pour l'humain et l'universel. Je ne SUts pas un campa
gnard pur, comme vous paraissez l'être, comme l'était Mistral. Mais
mon enfance s'est passée aux champs, aux champs provençaux, d'avril
à novembre, assez pour avoir l'idée et le sens de la vie, de la vérité et du
mystère joyeux dans les fleurs et dans les fruits, pour le premier labour
et la semence, dans un pays de traditions rurales fidèle et savant, si
différent qu'il soit des rives de Touloubre (car c'est la vallée de !'Hu
veaune, toute encaissée), mais il ne faut pas beaucoup de ce blé pour
donner l'idée de la mer que vous dites, et de l'individualité de l'épi qui
échelle et du grand soleil qui le fait écheler, ce blé qui est si bon, dont
chacun a sa part, même le propriétaire bourgeois autant que votre
bohémien, s'il vous dit la bonne aventure, et vos oiseaux... Mais là,
je ne dis plus rien que pour vous rendre les armes. Le carnier de cuir,
la banco, la bouteille au frais et la jolie lieuse, héroïne, fée, déesse même
du chant finall Seulement est-il possible que vous cauquiez encore au
rouleau, et ventiez la paille à la fourche ? On me disait que tout s'expédie
aux machines ! Ce n'est pas vrai. Allons ! Voyons ! La vérité est dans vos
vers, avec celle du chant des eaux et du chant d'amour charnel et triom
phal de la nuit sur l'aire. Ah I que je vous retiendrais longtemps et souvent
tant pour la beauté propre du poème que pour tout ce qu'il a de fraternel
à mon souvenir 1 Il me tient par ce qu'il dit et par ce dont il est fait.
Je voudrais bien savoir, Monsieur, quelle est la génération à laquelle
vous appartenez. Sûrement des dernières I Et je me réjouis assez naturelle
ment, assez logiquement, de ce qu'il y ait tant d'éléments en vous,
Monsieur, qui sont les mêmes encore vifs et chauds, dans la conscience
d'un homme né en 1 868, il y a plus de trois quarts de siècle et, en somme,
bientôt cent ans I Ce qui vient confirmer une très vieille et très forte
persuasion de l'extrême stabilité des choses, de leur majestueuse péren
nité. C'est l'épigramme de Calendau qui a raison: li vagoun dins de Canes
te/lo 1• Le jour où il a dit cela, Adolphe Dumas a 'eu le génie des prophètes,
n'est-il pas vrai? Ce qui n'empêche pas que tout change et que, un jour,
nous nous en allons. Mais vous voilà, Monsieur ! Tous mes vœux !
Ayez la chance l Sinon,!je�suis tranquille, ,vous avez de quoi vous conso
ler, et même tout seul. Avec cette Muse I Soyez-en félicité et remercié
de tout cœur. CHARLES MAURRAS 8 3 2. 1
1. • ... les wagons dans des corbeilles. • - Adolphe Dumas, poète provençal, secrétaire
de Mistral.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX 249
A XA VI.ER. VALLAT
Merci pour votre souvenir du 2.0 avril qui. me fait un si bel âge 1 1
Tant mieux si je n'ai pas trop perdu mon temps ici. Il me semble que
nos affaires ne vont pas trop mal. Le dernier jugement de la XVIIe Cham
bre parisienne 9 nous ouvre des portes contre Lyon. Ce n'est pas que
j'aie des illusions ni des espérances I Mais je suis content de tout ce
qui peut éclaircir la situation; elle est assàinie, je crois. Voilà Juigné
parti ! J'ai écrit mon deuil à sa veuve, qui m'a répondu par une très
belle lettre. Et vous voilà nivernais pour compenser. C'est, ce me semble,
le pays de Mme Xavier Vallat, donc déjà un peu le vôtre. Je n'en ai
aucune teinture, sauf une image, vieille image de Nevers et de son
Château, sur sa hauteur conique, par le même clair de lune, exactement
le même, qui m'éclaira l'échine d'Avila, la ville des saints, quelques
années plus tard. Que les chemins de fer sont donc une mauvaise manière
de nous déplacer I On ne voit vraiment rien.
Ces << dire >> et << li lipaire » de Bruno Durand 3 sont des vers dorés,
comme ceux que faisait Pythagore ou Lycidas. Pourquoi ne veut-il pas
les publier? Je ne vois rien de bienfaisant comme son << moussu de Gaulle
es orne de sens >>. Et comme on s'amuserait de ses Tafanari. On finirait
par y apprendre les principes de la raison. Je crois beaucoup aux vers
mnémoniques, et ceux-ci sont merveilleux de sève et de densité. Je serai
certes heureux d'avoir ce grand manuscrit de sa main, ce sera le trésor
de mes archives, mais Je bon peuple devrait être aussi servi par ce bon
serviteur! Il en a besoin. N'est-ce pas votre avis? Alors insistez ! Il ne
faut pas que le digne neveu de M. de Berluc-Perussis s'inspire de son
grand-oncle par le mauvais côté, qui était un excès de pudeur ; cet
homme n'a pas eu dans le monde vivant le retentissement ni l'influence
qu'il aurait fallu. Pourquoi redoubler son erreur? Tant d'idiots s'exhi
bent... Mais je vais recommencer les dire, qui sont faits, et bien faits 1
Merci encore...
Avez-vous un avis sur la loi électorale? Ne vous ai-je pas entendu
dire que le système actuel serait encore plus sûr pour détruire les élus
actuels? Mais je suis si peu vetsé dans cette technique que j'ai peut-être
que rejoindre la vôtre. Mon filleul François 1 s'est arrangé pour me faire
recevoir le Monde et le Figaro; il est prodigieux de voir comment l'un et
l'autre de ces bons apôtres jouent avec la mauvaise nouvelle, prenant
garde de ne pas choquer le public tout en maintenant ce qu'il y a de pire
darts leurs positions réservées et silencieuses. Le grand tort vient, je
crois, de la part excessive faite au plaidoyer : il fallait plus que l'apologie
(et celle de Girard, dans son second volume 2, est bien faite), il fallait
s'attaquer : 1° aux déclarants de la guerre de 39; 2° aux dissidents du
18 juin 40 qui ont tué l'unité de la France et celle de son armée. Mais tant
de gens se figurent qu'il y a quelque chose à tirer de M. de Gaulle
que cette manœuvre de bon sens, cette offensive claire et droite n'a
pu être poussée, et, dès lors, quand rien n'est net ni mis au net, c'est le
triomphe des intrigants et des fraudeurs. Mais ce triomphe coûte cher à
l'honneur de la France après que sa fortune, son avoir et son être y
ont déjà tant perdu !
Avez-vous lu le rigolo et solennel article de Figaro d'aujourd'hui
signé d'un gros F (ce doit être de Brisson) et faisant la leçon à l'opinion
américaine au nom de la « démocratie >> ? Il y a longtemps que je n'avais
rien lu de si désopilant. Comme je m'en serais donné à l'air libre ! Le
dogme du pouvoir civil y est plus florissant que jamais. Le malheureux
n'a pas encore compris que lorsque le Nombre se met à faire des siennes,
c'est-à-dire ce qui lui appartient en propre, des dégâts, la première
qualité salvatrice qu'opposerait ce Nombre est forclment militaire,
exemple Pétain et de Gaulle, et témoin toutes les républiques de l' Amé
rique du Sud, que l'Amérique du Nord est vouée à rejoindre dans un
temps x... Brisson (commentateur ambitieux et indigne de Molière)
n'a pas compris non plus qu'il n'y a pas un pouvoir civil ,t un pouvoir
militaire, et que la vraie subordination est celle du militaire (espèce) au
politique (genre), qu'ils ne s'opposent pas essentiellement, mais qu'ils
se composent, et doivent pour se composer, prendre chacun un numéro,
« comme à l'autobus >> 1 (vous en souvient-il ?) Seulement un pouvoir
politique souverain, s'il est complet, est aussi militaire, et le roi, grand
juge, grand ambassadeur, était aussi traité de grand soldat par l'arche
vêque de Reims : h,mç mi/item, hormis Louis XVI, qui seul de tous ses
prédécesseurs, ne reçut pas d'éducation militaite, en vertu des préjugés
féneloniens régnants. A propos de ce Télémaque XVI, avez-vous lu le
livre de Dard sur la chute de la royauté 3 ? Ce fonctionnaire de Ma
rianne III vérifie (sans le dire) toutes nos positions, toutes, y compris les
plus contestées; il admet (en en remettant) que nos révolutions préten<:lues
françaises sont toutes anglaises, y compris et surtout la première. Ce
Dard aura donc chanté notre chant du cygne, si nous mourons, - ce
1. François Daudet.
2. Louis-Dominique Girard : La Gmrrefranco-fran;ais,. Paris, 1950.
3. Cf. plus haut, la lettre du 6 novembre 1950.
LETTRES DE PRISON
qui n'est pas dit - et si nous ne renaissons pas comme le Phénix! Des
journaux comme le Monde et le Figaro me servent à bien voir que nous
ne nous trompions pas quand ils pataugeaient, et qu'ils continuent. En
revanche, je n'ai pas été très content des parties générales du dernier
numéro de la France Catholique, lu par hasard... La direction me semble
incertaine et floue. Pourquoi fait-on des concessions à <c l'Humanité,
famille des nations » à grand renfort de citations papales un peu
étirées de leur vrai sens? Et surtout pourquoi y donne-t-on une
bénédiction à l'abominable et criminelle faute politique commise par
l'Angleterre et la France en partant, en 1939, contre Hitler sans être
armées slljfisamment? Cette faute a été un crime contte les Fn.nçais et
contre les Anglais, qui, dans les conseils de gouvemeroent, devaient
passer premiers et avant les obligations envers les Polonais. - « Mais
c'était la justice 1 » Elle a été joliment servie, la justice, surtout en
Pologne, dont la situation n'a été qu'empirée par cette fausse protection,
par cette garantie d'impuissants I Comment un homme de droite ne
se souvient-il pas qu'il existe une raison d'Etat, tirée des devoirs
envers l'Etat, comme il y a une raison de famille tirée des devoirs du
père envers des enfants? Je m'irrite de trois ou quatre mauvaises lignes 1
Et puis ce J. de Fabrègues, que j'ai bien connu! Son article fait
entrevoir des choses très intéressantes, des faits qu'il aurait été curieux
de saisir et d'analyser; il passe dessus, ventre à terre, pour se rouler
dans une rhétorique inconsistante, « faire », << contrefaire », etc... Pardon
de vous encombrer de ces histoires, mais ces gens-là vont (011 j'en ai
grand peur) noyer lé grand Pie X et le grand service rendu à la
France dans des qualifications morales et pseudo-mystiques où tout
l'essentiel se perdra 1 Quels faux « spirituels >> 1 Je retrouve mon équilibre
en vous recopiant la Gardounado de Mistral. Ce grand poète catho
lique était décidément, comme un autre grand poète catholique, Dante,
et comme un troisième, Ronsard, et comme un quatrième, Aubanel,
assez sensible aux charmes publics et secrets de l'Ève éternelle. Mais le
Saint-Esprit a bien composé le « Cantique des Cantiques »; alors? Ne
me traitez pas de sophiste, ou, le poignard sur la gorge, prouvez-le. Je
vous envoie toute ma vieille amitié avec ce paquet de sottises.
CH. MAURRAS 8321
A ÉMILB HENRIOT
Depuis des mois et des saisons, votre carte est sur ma table avec son
temple de Ségeste (y êtes-vous monté à âne, comme nous?), avec mes
souvenirs de Grande Grèce et d'Etrurie, et je lui demande tous les
matins comment vous n'avez pas bondi de là jusqu'à Athènes? Vous
avez dû sentir de pressantes titillations à la plante des pieds. Qui sait?
Il eût peut-être suffi de vous rendre au bord de la mer et de tendre les
bras, Arion fût sorti de l'écume sur un dauphin et vous eût pris en croupe
jusqu'au Pirée... Tant pis! Mais ce n'est pas mon sujet d'aujourd'hui.
Je viens de lire votre feuilleton sur !'Histoire dans le Monde 1 que je reçois
ouvertement depuis quelques semaines grâce à la gentillesse de Fran
çois Daudet, et je suis sous l'impression de vos dernières lignes si amères
et si justes dans leur ton de deuil pour tous les citoyens quel que soit
leur parti. Mais cette amertume, ce coup au cœur final contient, il me
semble, les solutions du problème supérieur agité dès votre début.
Comment décider entre les histoires et les historiens? Entre Michelet,
Taine, Bainville, Gaxotte, où est le critère du jugement? Vous l'avez
trouvé, c'est dans le bien et le mal du pays. Votre tristesse montre que
vous avez, au fond, adopté en principe le titre sous lequel Bainville avait
recueilli dans ce gros in-octavo tous ses livres d'histoire : He11r et malhe11r
des Français 2• Ceci fait l'heur, cela le malheur. . Tout se rapporte là. Sans
doute, il y faut encore beaucoup de réflexion sur beaucoup de travaux,
mais le chemin est pris avec l'étoile au bout, cela règle les choix, autorise
1 • En lisant l'histoire », feuilleton littéraire du Montk (16 mai 195 1). A propos du second
volurne de !'Histoire pour tous /,s Fra11fais, de MM. Lefebvre, Pouthas et Baumont, Emile Hen
riot avait écrit : • Je n'ai la place que de signaler sous la signature de ce dernier les vingt pages
affreuses, malheureusement vraies dans leur objectivité sans phrases, consacrées à la dernière
guerre mondiale ... La lecture en ranime dans la bouche un goilt de fiel. Mais elle rappelle
aussi les noms des responsables oubliés de nos désastres, et cela peut leur tenir lieu de châti
ment. •
2. L'œuvre de Jacques Bainville, t. I : Heur et Malheur des Fra11fais. Paris, 1924.
LETTRES DE PRISON
les rejets, motive les réserves, appuie les enthousiasmes. L'historien de
Fénelon qui n'est d'aucun temps, d'aucun pays, est une chimère. Il
faut qu'il soit d'une patrie ou à'une secte, et c'est relativement à elles
qu'il raconte et écrit. La secte reste à juger. La patrie, elle, s'impose. Et
quelquefois le voile sectaire peut cacher la patrie. Cependant Michelet
lui-même I Ses repentirs sur l'Allemagne ! Ses ·vues prophétiques sur le
<< mariage » de la Prusse et de la Russie. Cela est national à fond et cela
montre bien la priorité de la patrie sur la secte. Cette conception nationa
liste doit-elle envoûter, pétrifier, empêcher les retours, les correctifs,
les progrès? Je n'en crois rien. Tel que vous me voyez avec ma mauvaise
réputation de fossile, il m'est arrivé de « changer ». Vers 1900, quand je
faisais l'&quête sur la Monarchie, je faisais de très fortes réserves sur le
gouvernement des Bourbons, que ma passion de provinciaüste accusait
d'un excès de centralisation, et aussi de n'avoir jamais bougé de Paris
et de Versailles, alors que les autres Capétiens, jusqu'aux Valois compris,
ne cessaient de courir l'ensemble du pays, d'élever des châteaux sur la
Loire, etc. J'y ai regardé de plus près, les documents locaux m'ont démon
tré de plus en plus que cette centralisation bourbonienne était follement
exagérée, et surtout qu'eux et eux seuls avaient porté à la perfection le
statut du régime, et ainsi, non autrement, nous avaient épargné toute véri
table invasion de 1 636 à 1 79.z,alors que de 179.z à notre temps, les régimes,
opposés par leur structure et par leur esprit, nous en avaient valu neuf
(d'amis ou d'ennemis, il importe peu) avec quatre entrées de l'étranger
armé dans Paris... Le curieux est que les trois Bourbons du x1xe siècle,
aînés ou cadets, avec un régime très différent et qui défaisait tout ce qu'ils
faisaient, nous ont épargné les calamités procurées par les Empires et
les Républiques : c'est d'ailleurs cette politique « personnelle » qui les
a fait le plus critiquer, parce qu'ils étaient « résistance >> contre << mouve
ment >>, le mouvement de M. de Chateaubriand ou de M. Thiers. N'être
pas envahis, n'est-ce pas le premier des biens pour un peuple campé
comme le nôtre, au point où affluent toutes les pressions des hordes
européennes ou asiatiques, et composé en grande partie de Gaulois
que hantent la guerre civile et l'appel à l'étranger ? Seuls, absolument
seuls de nos rois fondateurs et conservateurs, les Bourbons auront entiè
rement fait leur métier de gardes du rempart et de mainteneurs de
l'indépendance. Voilà pourquoi j'ai fini par laisser de côté toutes les
vaines critiques d'ordre juridique et moral, devant cette magnifique
justification du devoir politique rempli par les Bourbons. Et plus j'y
songe, . plus le partage des compétences politiques et des pouvoirs, le
roi en haut, les républiques (locales, professionnelles, etc.) étagées au
dessous de lui, me paraît répondre aux nécessités vitales de la patrie.
Car, je ne peux prendre le parti de sa mort. Pour qu'elle vive, il faut une
organisation aussi semblable que possible à celle qui l'a défendue contre
ce qu'on peut appeler le souverain mal de la France. Vous voyez que
je ne suis pas près de souscrire au pyrrhonisme de Valéry sur l'histoire.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX zs9
z.7 mai 5 1.
Ma petite Ninon et permanent éclat du soleil, cette sabbatine inversée
sera confiée à Jacques, s'il vient, et tu auras, dès lundi j'espère, ce P. S.
à notre conversation d'avant-hier, trop courte comme toujours...
A propos du Mont de Saturne, ce que M. m'en écrit, quant aux oppo
sitions sourdes, m'éclaire tout ce qu'a dit Massis l Mais, ces oppositions,
je les connaissais, et je ne crois pas qu'elles aient eu d'action... ni sur la
publicité, ni sur le silence de la critique, Boutang et Lagor ayant été
parfaits. Néanmoins partout où tu rencontreras ce genre d'opposition
dévote, dis que je ne demande pas du tout que l'on m'aide contre la cons
cience, contre la morale et contre la discipline! Je demande à ne pas être
gêné et à être compris. Car c'est un fait, là, je ne suis pas compris. C'est
l'histoire de la réédition d'Anthinéa en 1913. On commençait par Anthinéa,
()n finissait par faire lire l'Enquête sur la Monarchie à des Français qui n'y
auraient jamais songé ! De même pour le Mont, je prétends en amener
d'autres à lire le Mémoire au GrandJuge 1 et le jeune Fran;ais! Jamais, jamais
je n'ai consenti à me confiner dans un monde ou dans un parti, et mon
ambition a toujours été d'élargir notre public à fa dimension de la France.
Monsieur le Président,
Mon cher ami Marcel Wiriath, qui part pour Lisbonne où il aura
l'honneur de saluer Votre Excellence, me propose de se charger pour
Elle d'un message de moi. Bien que Wiriath n'ait guère que la moitié
de mon âge, c'est déjà un vétéran de l'Actionfran;aise. Quand on m'a mis
en prison et que mon jeune neveu et fils adoptif est devenu mon tuteur,
Wiriath a accepté de me servir de subrogé-tuteur. C'est dire sa vieille
amitié, qui ne pouvait se tromper sur mes sentiments : il a deviné avec
quelle joie je saisis l'occasion de vous dire, Monsieur le Président,
1. CT. Pour réveiller le Grand ]11ge. Seconde requête en révision d'un arrêt de cour de Justice
{>lit MM. Charles Maurras et Maurice Pujo, Paris, 19p.
262 LETIRES DE PRISON
A XAVIER VALLAT
9 juin 1951.
Mon cher ami,
J'ai eu votre lettre du 24 mai ce jeudi 7 et je peux répondre le 9, grâce
à la visite d'Hélène pour demain 10. Cela me permettra de redemander
si l'envoi d'un Français n'a pas été fait à nos Besnier 2, ce qui m'étonnerait
beaucoup. Votre tableau des chemins de fer français donne la clef de
beaucoup d'infériorités << économiques » de notre malheureux pays :
il souffre de l'extravagante centralisation révolutionnaire et impériale.
A propos de l'Empire, avez-vous lu les deux volumes de !'Histoire des
Fra!Zfais de Gaxotte ? C'est une merveille de bonne foi astucieuse et
d'habilissime vérité. Lisez, lisez, et faites lire, cela peut faire un bien
immense! Pour le Figaro, je m'étais fourvoyé, vous avez raison. En effet
cette sale feuille n'a d'intérêt qu'à la page z, courrier mondain, mais cet
intérêt existe même pour qui n'appartient pas au beau sexe, et ce dénom-
1. Charles Maurras avait écrit à Henri Massis avant son départ pour Lisbonne : • Vive
Salazar ! Vous lui redirez ma vieille admiration, presque ma tendresse! Car il a donné à
l'autorité, ou plutôt il lui a rendu le plus humain des visages ! •
2. Les Besnier, pharmaciens de Laval, ardents royalistes de la Mayenne.
LETTRES DE PRISON
A MADAME COQUBLIN 1
10 juin 195 I.
A PIERRE GAXOTTE
z7 juin 195 1.
capitaux bien choisis, le récit de Jeur suite bien enchaînée, la vie, mais
avec son ordre, le cours des effets et des causes visible à fleur de chair,
car pourquoi ne le verrait-on pas si la peau est fine ? Laissez-moi vous
dire que, dès le seuil, vos préhistoriques m'ont fait un plaisir inouï.
Vos squelettes des cavernes qui, ailleurs, ne sont que des schémas et des
spécimens abstraits, semblent ici des messieurs doués d'un état-civil
et distingués à leur manière, qui est, en somme, celle de leur famille qui
s'est dégrossie peu à peu. Cela fait de dignes ancêtres, avant et après
tant d'autres I Vous laissez flotter entre eux un humour vague qui
.convient à un vieux scepticisme paléolithique. Un peu l pas trop! Je ne
saurais vous dire combien cette excellente ouverture me paraît réussie.
Et la gageure merveilleuse est que le reste soit du même rang. Mes plus
vifs compliments pour un succès si rare en matière si difficile! Toute ma
gratitude pour certains rappels nominaux supérieurs à mon mérite, et
aussi pour la référence tenace à certaines idées de fond. Vous me parlez
d'un attachement qui m'est précieux, mais nous sommes liés de plus
haut, vous et moi, par une vue commune de quelques évidences désin
téressées. Et là, alors, comment ne pas vous crier ma joie pour la vigueur,
la justice vengeresse de la page sur le retour de l'île d'Elbe I Si jamais
cette sottise folle est enfin balayée au fossé de tous les mépris, vous n'y
aurez pas nui, mon cher ami. Je me demande s'il n'y a pas une nuance à
ajouter à votre croisade des Albigeois. Vous ne précisez pas que cette
guerre religieuse fut aussi une guerre civile, dans un pays où les catholiques
étaient très nombreux et très fanatiques; les deux partis, comme toujours,
avaient appelé !'Etranger, celui de Paris et celui de Barcelone. Un de mes
amis, d'ailleurs ex-démo-chrétien, professeur à la Faculté de Montpellier,
Louis Thomas, m'avait envoyé à Lyon deux ou trois brochures de lui-même
sur la vie à Nîmes au temps de la guerre des Albigeois : elle semblait
menée dans un autre monde. A deux pas d'Avignon I à trois de Béziers 1
L'Innocent III de Luchaire 1 m'avait déjà rempli de doutes sur la Chanson
ou les Chansons de la Croisade. Il est vrai que j'en avais été surnourri
au biberon félibréen. Au même propos (ou tout voisin), êtes-vous sûr
que l'Édit de Villers-Cotterets fut dirigé contre la langue d'oc 2 ? Je l'ai
cru longtemps. Bainville en riait. Il appelait Villers la cité honnie des
félibres, mais j'ai lu et je crois avoir commenté dans l'A. F. (ce doit
être après 1936, je n'en ai jamais causé avec Bainville) une monographie
analytique de cet Edit, d'où il paraissait ressortir assez clairement que le
latin était seul visé par le roi de France et qu'il était ordonné aux juges
et aux notaires de faire leurs papiers dans la langue maternelle des justi
ciables, ce qui eût été impossible et même contradictoire s'il ne se fût agi
Ma petite Ninon,
Egyptologue distinguée et fille d'Amon Ra, qui est le soleil vu des
bords du Nil, je chancelle encore sous le poids sacré de vos admirables
gourmandises dont je te prie de remercier aussi nos cousins et cousines,
mais je n'oublie point ma promesse de te communiquer en vitesse
(pour accélérer votre voyage ici) mes réponses aux notes de M. d'Ucker-
1 . L, Ca1 alier Miserey, d'Abel Hermant (1887) ; Sous-Off., de Lucien Descaves (1889),
1
notamment.
2. A propos du mariage de l'archiduc Otto, célébré en Lorraine, Pierre Gaxotte, dans
L, Figaro du 29 mars 1951, avait écrit un article intitulé : Un E.m-opém où il disait notamment :
« Tout s'est passé comme si le départ des Habsbourg avait créé un grand vide dans lequel
Hitler et Staline déversèrent tour à tour leur armée. •
3. Pierre Gaxotte a été secrétaire de nuit en 17-18 et secrétaire de rédaction de l'Action
franfaise de 1921 à 1923.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
mann 1 • Tu vas voir ma liste et le plan de répartition que j'en ai fait, l'une
en l'autre fondant ce qui m'est écrit : trois 011 q,,atre t1ol11mes in-octat10 et
<< chacun >> pouvant comporter trois 011 quatre de mes 011tJrages ,· je fais ce]a
sur le grand papier ci-joint, avec de nouvelles explications qui vaudront
mieux que les numéros de préférence dont il m'a été parlé. Par malheur
tout ce que j'ai de réflexion diurne et nocturne ne vient pas à bout de
certaines incertitudes de mémoire. Alors, avant de partir pour Marseille,
ne peux-tu demander à Massis (qui me paraît le mieux monté) de m'en
voyer ici directement, en simple prêt, son exemplaire : 1 ° de I'Allée des
philosophes, 2 ° de Principes, 3° des Secrets dll soleil 2, 4° de Romantisme et
révo/11tion (grand in-8 de Valois) car je pourrais y faire pour M. d'Uck
et M. Flammarion des prélèvements nécessaires. A prop<>s de Massis,
dis-lui que son Ma11"as 3 m'a été rendu ce matin et que Je l'ai déjà fini,
avec quelle joie très reconnaissante ! Les quatre ou cinq petites erreurs
inévitables lui seront signalées pour une future édition, mais ce n'est
rien. L'admirable d'un bout à l'autre, est la vérité essentielle sur toute
la polémique et la discussion. Que je le remercie de son Bremond,
de son Barrès, de son Maritain et de tout, mais surtout de sa réédition
de la Lettre du Magistrat à la co11r d'Aix 4 ••• Ça c'est mon triomphe, ma
petite Ninon. Dis-le bien à Massis, et en ces termes, en lui demandant
communication des bouquins dont j'ai besoin. Si tous ne sont pas chez
Massis, vois Varillon, qui est bien fourni.
Les roses roses et les roses rouges font cet après-midi sur ma table
un très beau cantique à deux voix, je te prie de remercier vivement
M lle Monique de Bellocq et Mlle Gannat. Je t'embrasse ma petite
Ninon, de tout mon vieux cœur.
CHARLES MAURRAS 832I
1 . Cf. plus haut, la lettre du 8 février 1950. li s'agit du plan des Œuvrer Capitales.
2. L'Allie du Philosophes. Paris, 1923 ; Principes. Paris. 193 1 ; Les Secrets du Soleil. Paris,
1929.
3. Henri Massis : Maurras et noire 1t111ps. t. 1er. Paris. 19p.
4- Le jeune Massis lui ayant fait grief en 1912 d'avoir écrit qu' « il n'est au pouvoir de per
sonne de faire naître des saints •• Maurras lui avait répondu qu'on ne saurait se passer de
médiateur naturel, ce qu'il avait illustré par ce trait : • Un vieux magistrat d'Aix avait cou
tume de dire au temps de ses amours : « Approchons-nous, Madame, et faisons un enfant ».
De quoi il se vantait. car sa femme est morte bréhaigne. • {CT. Maurras et notre temps, t. I.)
LETTRES DE PRISON
A HENRI MASSIS
Juin 195 1.
1. Talas, Talapoints (Qui vont à la ... , qui ne vont point à la messe). Expressions de l'argot
normalien.
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX z.73
l'exécution de ce... petit prestolet (et mauvais prestolet) de Bremond 1•
Elle est faite de main de maitre, avec une mesure victorieuse dont je
n'aurais certes pas été capable. Mais ses intrigues m'ont tant agacé,
puis (envers Mgr Penon) indigné ! Enfin, vous l'avez qualifié par ses
propres écrits. Il n'y a pas de recours. L'autre merd est pour les Maritain.
Cela a dû coûter beaucoup à votre amitié, qui, on le sent, fut vive.....
Vous n'avez pas commencé : ils vous ont obligé à répondre, et l'on voit
avec quel regret 2 • Cela ne peut que vous faire estimer et aimer du lecteur
honnête. Je n'ai pas fini de vous dire combien je vous sais �é de tout
cela, mais il me paraît utile de vous faire tenir mes observations sur un
certain nombre de points et de ne vous dissimuler (pourquoi?) aucune des
minuties de détail auxquelles les meilleurs livres n'échappent pas. Je
les ai notées avec soin. Voyez si c'est moi qui me trompe, ce qui
n'aurait rien d'étonnant, sur l'un ou sur l'autre de ces détails 3 • • •
Amitiés les plus profondes...
Ch. MAURRAS
30 juillet 195 1.
3 août 195 1 .
M a petite Ninon,
J'ai été conduit, cet après-midi, à Troyes, pour un nouvel examen
médical, et j'y ai passé une heure enchantée avec un médecin 2 et une
infirmière qui étaient d'A. F. tous les deux ! Je ne sais ce que ça donnera,
mais c'était, tel quel, bien joli I Pour revenir à notre déclamateur de
dimanche, tu as dû lire dans la S11rdité que Paris est la seule ville où la
commise, le marchand, le courtaud de boutique ne répond pas par un
sourire empoisonneur à l'aveu de la mauvaise ouïe; mais le même Paris
donne leur essor à toutes sortes de sauvageries instinctives qui, à même
hauteur de classe, finiront par saboter toute l'éducation et tout le dres
sage provincial, en lui-même plus délicat. Barrès en faisait la remarque
il y a soixante ans, cela était déjà sensible à nos deux bourgeoisismes
natals. Tu peux écrire à M118 Gannat que, le 2. 3 , elle pourra monter, c'est
accordé, mais j'y reviendrai. Pour Massis, j'écris à F. 3 comment il pourra
se faire accompagner par lui le 1 2. août! Je suis bien heureux de revoir
ce vieil ami I Tout n'est pas mauvaise nouvelle comme tu vois!
Non, le poison G. ' n'i rien pu envenimer. Sois bien tranquille là
dessus I Il y a des années que je bataille et ne permets pas qu'on dise de
I, Maxime Real del Sarte était entré en rapports avec le Président de la République,
M. Vincent Auriol. pour obtenir la gtâce de Charles Maurras.
2. Le docteur Antoine Blouet.
3. François Dàudet.
4. Cf. plus haut. la lettre du 3 avril 1947,
MAISON CENTRALE DE CLAIRVAUX
9 août 19 5 1 .
Ma Sœur,
J'ai eu vos lignes, vos précieuses lignes, mais je portais déjà votre
deuil, notre grand deuil, depuis plusieurs jours, et je me reprochais
d'être aussi en retard avec vous depuis des mois, des saisons, hélas l
Ce retard tenait au désir de tout vous bien dire, vous bien exposer
des états d'esprits délicats, compliqués, souvent incommunicables,
et à cet autre désir de vous annoncer que mon grand travail était ter
miné 1.
C'est en pleine révision de ces grands souvenirs qui vont de 1904
à 1939, c'est-à-dire en pleine méditation du suprême bienfait de Votre
et Notre Révérende Mère 2 que m'arrive le coup de foudre. Nous l'avons
perdue I Vous dirai-je, ma Sœur, que j'ai eu peine à le croire?
Mais comme Mistral, comme le Maréchal, je la croyais, implicite
ment, immortelle! Il ne me semblait pas que notre triste monde pût
être privé de cette héroïne de toutes les beautés morales, qui incarnait
tant de hautes vertus! Son âge même, si grand fût-il, m'encourageait à
l'espérance. Je comptais sur son doux regard planant sur ma proche
dépouille. Je rêvais de ce regard serein où se peignaient les plus pures
et les plus hautes passions de l'esprit et de l'âme, comme devant faire
rayonner sa bénédiction vivante sur mes derniers moments. Elle part la
première! Elle s'en va l
Vous me dites où, ma Sœur, et vous voulez bien m'assurer encore de
sa pensée et de sa protection si fidèles. Ah I merci de tout cœur I Veuillez
croire à ma gratitude qui n'est pas infidèle non plus, et qui ne peut
l'être. Elle ne s'éteindra qu'avec fe peu que je suis ; mon dernier souffle
de vie dira combien vous, elle, vos nobles sœurs, vous avez incarné pour
1. Son livre sur le Bienh,ureux Pie X, Sauveur de la Franc,.
2. Mère Marie-Agnès. CT. plus haut, la lettre du 30 janvier 1951.
LETTRES DE PRISON
moi la fin de la plus cruelle des épreuves, marquée par la torture de mes
amis les plus proches et par le sentiment de fimpasse à laquelle je me
trouvais réduit : c'est là que vous avez fait pénétrer et briller le rayon
de l'espérance, le ruban azuré du salut final.
Voulez-vous avoir la bonté de redire à la Survivante l'essentiel de
ces mémoriaux confus, mais qui brûlent en moi toujours, malgré l'éloi
gnement des années et la survenue de quelques autres ennuis!
Soyez sûre, ma Sœur, que la Révérende Mère Agnès et son Carmel,
et ses plus proches filles, restent l'objet d'un culte intérieur où l'admi
ration, la piété, la gratitude ne font qu'un. C'est pourquoi j'osais, tout
à l'heure, vous parler de notre deuil, et je ne sais pourquoi j'ai pu hésiter
à vous parler de notre Mère. Elle l'a été, elle l'est, et je la reconnais dans
les pensées suprêmes que vous avez bien voulu m'exprimer, ma Sœur,
de sa part.
Que j'en sois bien indigne, c'est trop clair, mais cette pensée n'en
demeure pas moins la couronne de toutes mes pensées, comme de ma
pauvre vie de mortel.
Agréez-en la certitude, ma Sœur, comme du plus sincère et du plus
profond des hommages qu'il soit en mon pouvoir de rendre à la petite
et grande Sœur Thérèse de l'Enfant-Jésus, à son esprit, à sa maison,
à toutes les siennes et les siens!
Très respectueusement à vous, ma Sœur.
CHARLES MAURRAS, n° d'écrou 832 1
P.S. Un illustré parisien publie, dit-on, le portrait de notre Mère
sur son lit de mort. Comme j'espère l'avoir et pouvoir l'afficher sur ma
muraille, à côté d'un admirable portrait de Pie X 1
TROYES
Hôtel-Dieu - Clinique Gorecki
10 août 195 1 - I I mars 1 9 5 2.
A SA NIÈCE HÉLÈNE MAURRAS
1 3 août 19p.
Ma petite Ninon,
Voici qui va te joindre à MarseiIIe, à coup sûr. Les journaux ont dû
t'apprendre que mon sort était changé ou tout au moins altéré. Me voici
à Troyes, Hôtel-Dieu, dans une chambre de malade, bien soigné, bien
gavé, mais la position est bizarre, en un sens plus resserrée qu'à Clair
vaux et, dans un autre, plus favorab]e peut-être. La faculté d'adaptation
n'est pas ce qui manque à mon vieil âge, et nous verrons ce que nous
verrons I Le transfert est, comme tu penses, la conséquence directe de la
visite de l'autre vendredi que je crois t'avoir racontée. En temps de
crise ministérielle, il n'y a plus de lenteurs administratives, tout s'est
fait du vendredi 3 au vendredi 10, et j'ai été cueilli, mis en voiture,
mené ici, avec quelques hardes et quelques livres et papiers entre lesquels
le Pie n'était pas oubliable. J'y travaille toujours, et pour toi? François,
que j'ai vu ici, a déjà, grâce à toi, pu lire deux chapitres, merci, mais
il y en a un, le second, Eppure e vero, qui contient une petite erreur : si
tu en as gardé une copie, apporte-la-moi quand tu viendras. C'est très
facile à cotriger. Merci des chemises. Mais quelle aventure I Je les ai
essayées. Col parfait. Mais courtes I courtes I Cela m'a fait ressonger à
ces ouvriers boulangers de Roquevaire qui portaient une chemisette
arrêtant aux reins et cependant un peu fendue sur les deux côtés, mais qui
flottait I On ne les entrait pas dans la ceinture du pantalon I Mon enfance
questionneuse ne se soucia pas de savoir le pourquoi de ce vêtement.
Pour moi, une chemise, ça rend un service déterminé : tombant au genou
par devant, au jarret par derrière, le pan intérieur est tiré en arrière, le
pan postérieur en. avant, ce qui fait herméticité et douce chaleur. Si la
fourche n'est pas enveloppée, la chemise ne sert de rien. J'en avais
280 LETTRES DE PRISON
beaucoup à Paris, et en changeais tous les jours que le bon Dieu faisait.
Hélas, où courent-elles? Tes deux envois n'en étaient pas moins beaux.
Ils éveillaient une cupidité violente dans les yeux de Falkler 1, et celui-ci
imagina de me faire confectionner par l'économat, c'est-à-dire la Répu
blique, trois chemises de toile à voile, mais à mon goût. Alors je lui ai
abandonné les deux tiennes. Qu'il était beau dimanche I Beau et faraud.
Les trois autres me parviendront donc ici, et je serai paré.
Merci pour M11e Benoît, merci pour les coquilles des Jarres. Sera-t-on
à temps, le 8 septembre, à Maillane ? Je ne l'espère pas trop... Donne
de tes nouvelles le plus vite possible : Ch. M. Hôtel-Dieu, ça suffit.
Je t'embrasse, ma petite Ninon, première et dernière, après et avant les
autres que je veux embrasser d'ici.
Ton vieil oncle, CH. MAURRAS
plus de numéro d'écrou.
Je suis perdu.
1 er septembre 1 9 5 1 •
Ma petite Ninon,
Plus Hélène de Sparte que jamais depuis que te voilà fleur sereine de
la mer tranquille 1 ... Eschyle a fait d'autres miracles! Ta lettre du 30,
avant-hier, m'arrive ce 1 er septembre, il n'y a pas de raison pour que ceci,
parti le 2, ne te rejoigne pas avant ton départ de mercredi 5. Je ne crains
que les chômages postaux-dominicaux; mais encore! et tout de même,
pas trop! Tu as une très bonne idée de venir à Troyes, avant d'aller à
Clairvaux et de repasser à Troyes.Je viens d'avoir une belle visite, celle
du directeur de C. 2 à qui j'ai annoncé la tienne, en lui disant tes missions :
le Dimier 3, la loupe et aussi le petit gobelet dans lequel il y a du plomb
de chasse auquel je rafraîchis et nettoie fort bien mes plumes, et encore
le petit dictionnaire Larousse, dont j'use à chaque instant et qui me
manque bien ici, enfin, peut-être, dans le tiroir dë la commode, un peu
de linge qui serait utile, s'il y existe. M. S. a pris note de ces différents
numéros, auxquels nous pourrions en ajouter d'autres dans notre première
conférence troyenne. Car je t'attendrai, de pied ferme et le cœur plein
d'espoir, jeudi vers 10 heures à 10 h. 1 /2. Je ne crois pas que tu aies beau
coup de difficiles démarches. Oui, j'espère que, le soir, à 5 heures, tu
pourras remonter ici, et j'ai déjà planté quelques jalons. Je suis très
1. Détenu, mis au service de Charles Maurras.
2. Clairvaux.
3. Louis Dimier : Vingt t111s d'hlion fra11ftlis1. Paris, 1926.
HOTEL-DIBU DE TROYES 2.81
A HENRI MASSIS
après-midi, 7 septembre 19 5 1.
10 septembre 195 1.
Ma petite Ninon,
...Ici le train continue d'être bon. Sommeil, re_pas, sommeil, promenade,
repas, sommeil, écriture, sommeil, le tout rythmé par d'odieuses prises
de température et les charmantes visites que tu sais. Toujours des
bicyclistes tant et plus, sur les boulevards de mon rempart; après une
religieuse en voile noir sur sa bécane, une religieuse en voile blanc, hier,
pédalait, ce sont des perspectives dignes du xx:e siècle. Personne n'a
encore jeté de bombe ni tiré de mitraillettes contre moi I Je me demande
ce qui a bien pu te donner cette phobie. Pas l'attitude du corps médical,
toujours I As-tu passé de mes nouvelles à Michel? Et comment ton
envoyé, Reynaud, je crois, s'est-il comporté à Maillane? Comment
Maillane a-t-elle réagi? Tu as dû le savoir par lui. Mais mon détachement
à l'égard de ce bouquin 2 continue d'être ce que tu sais. Il n'y en a plus
que pour le Mont, M'en Fouti, La Balance et Pie. Un Mont bis 3 en cinéma,
1. Henri Massis lui avait soumis, avant qu'il ne parût, certaines pages du tome II de
MDmras el notre 11111ps, celles où il faisait état de documents confidentiels sur l'affaire de /'Arfion
française et du Vatican.
2. Jarres de Biol. Cf. plus haut, la lettre du 1 er septembre 195 1,
3. Projet de porter Le Mont de Salllrne à l'écran.
HOTEL-DIEU DE TROYES
dont tu as rêvé devant moi, ne me présente rien de très réel parce que je
n'ai aucune notion de ce nouveau bel art. Mais l'idée continue à m'amuser
par tout ce qu'elle a de flottant pour moi... Jacques n'a pas donné de
nouveaux signes de vie. Il sera à Paris, je pense, d'ici quatre jours, et
je ne tarderai pas à le voir. Je serai heureux de voir aussi les Colle dont
tu m'as fait entrevoir la visite possible. Dis-le-leur si vous êtes en corres
pondance. Je réponds au jeune Boisdeffre. T'ai-je dit que les rédacteurs
d'Esprit ont fait tout un numéro contre nous, c'est-à-dire Massis,
Pétain, sauf ton respect, et moi 1 ? La rage de ces bandits est un baume
pour les bons cœurs. Nous sommes en train de leur tailler des croupières
nouvelles.
J'ai oublié de te demander si, en feuilletant la I3alan,e, tu y as bien
trouvé le petit poème sur l'hôtel Danieli ? 11 y était ; mais je crois que je
vais en changer le dernier hémistiche qui sera, au lieu dé « fleuve des
larmes •• « la source des larmes », qui va plus loin dans l'esprit de l'image ;
la source n'exclut pas le fleuve et le fleuve n'évo�ue pas forcément la
source. C'est du moin!1 ce qui m'apparaît pour l'111stant. Tu pourrais
transmettre la correction à )osso.
... Je t'embrasse, ma petite Ninon, avec tous mes scrupules de vieillard
troyen.
CHARLES MAURRAS
A XAVIER VALLA1'
19 septembre 195 1.
Hélène, qui est venue ici et a passé deux jours. Pas de nouvelles de
Jacques qui doit être entre ciel et terre retour du Congo belge et de
notre A. E. F. Je suis ici un coq en pite, avec des communications plus
faciles qu'à Cfairvaux, dans un milieu d'amis médecins tous pleins
d'espérance. Pour moi, l'optimisme très général qui m'anime n'est
corrompu d'aucun espoir particulier. Arrive qui plante I Et plante qui
pourra I Platon dit bien : o -rl. tiv -rux:;i. Une astrologue tourangelle,
parente de Georges, m'a fait un splendide horoscope 195 1-1952. Je ne
aemande pas mieux. Il est un peu tard pour aller prendre un bain à Fos,
mais une bonne soupe de poissons et de sérieuses soles grillées nous
attendent toujours, Mme Vallat, vous et moi, chez notre Brun national,
et je ne dis rien de ce que nous réserverait le Chemin de Paradis, puisque
mes domestiques y faisaient une table magnifique et que je ne sais qui saura
les remplacer. Puisse ma « bonne inconnue » se connaître en champi
gnons, car il y a à l'automne sur ma colline, des « lactaires délicieux »
auxquels le grand mycologue Pujo rendit les armes, il y a une vingtaine
d'années. Il est vrai que des amis m'avaient ravitaillé de ce vin du Pays
que le même Pujo et Léon mettaient au-dessus de tout autre. Je crains
bien que la source n'en soit tarie : c'était une vieille vigne au bord de la
mer, entre Port de Bouc et le golfe de Fos. A-t-elle encore des sarments,
des fruits ? Je serais inconsolable de ne point vous y faire goûter, mais ..,
mais ... mais ... le cousin germain qui m'approvisionnait est mort depuis
longtemps, le mari de sa fille 1 a été assassiné par les Fifis et je ne sais plus
où ils sont tous.
J'ai conduit mon Pie X à l'extrême pointe jusqu'où je peux me flat
ter de donner à mes paroles un sens perceptible pour moi. J'ai fini par
me construire une espèce d'île flottante entre ciel et terre, comme la boîte
de Gulliver, et où se tiennent des saints et des saintes de mon cru,
Notre Dame en tête, bien entendu. Mais à qui et à quoi cela se tient-il,
en substance et en raison, c'est ce que je ne puis voir encore. C'est un
« Berre » très éloigné! Par exemple, le petit travail critique tendant à
rétablir la vérité sur Pie X et l'A. F. m'a rempli de joie, d'entrain, d'espé
rance, et le hideux numéro d'Esprit (ô antiphrase 1), son Béguin, son Dan
sette, ont poivré et salé mon plaisir. Quels malheureux! Quelles cervel
les gluantes, poisseuses, inconsistantes I Quels derrières faits pour être
tambourinés en cadence I Ils appellent cela l'impartialité de !'Histoire 1
Que serait alors la plus fantastique et la plus aveugle des fables ? Il
est beau de les voir se scandaliser de notre opposition, toute temporelle
et politique, à Pie XI, quand le modernisme et le Sillon sont habillés
en belligérants légitimes contre Pie X I Non, c'est trop beau.
La note de Roquevaire, que je ne retrouve toujours pas, fait allusion
à des faits que j'ai connus aussi. J'entends gémir des « négociants »,
qui n'étaient pas de la classe de mon oncle, sur la « concurrence algé-
1. Le marquis Robert de Demandolx, assassiné en août 1944
HOTEL-DIEU DE TROYES
1. MaUttas venait de publier dans Aspects Je la Franç11 plusieurs articles sous le titre :
Le Beau Jeu des Rivivimnas.
2. Ses amis s'employaient alors à obtenir sa mise en liberté.
286 LETTRES DE PRISON
. Le 8 septembre a été bien à Maillane. J'en ai plusieurs relations, dont
une de François. En quittant le tombeau de Mistral on est allé à celui
de Léon. Plus le recul se fera, mieux on verra combien Félibres et A. F ., sont
unis, et je crois bien que c'est par là que l'on sauvera iuelque chose.
J'ai horreur de cette écriture, et j'en ai honte. Est-ce 1 encre? Est-ce
la plume? Mais l'une et l'autre ont un maître, et je suis dégoûté d'y cas
ser vos yeux. Tachez de m'excuser et recevez toute la vieille amitié de
votre ancien compagnon.
CH. MAURRAS
Monsieur le Préfet,
Hier matin, il s'est produit un incident: comme j'allais vers fa s�� du
rez-de-chaussée où je reçois des soins dentaires, j'ai été photographié
sans le �avoir. On _ me l'a dit ensuite. C'était à l'int�eur de l'liôt>ital.
Depws, la surveillance s'est resserrée autour de moi� L'on me swt de
plus près lorsque je vais au cabinet. Cela est naturel. Voici ce qui l'est
moins : dans l'après-midi, au moment de passer au jardin comme d'habi
tude, les gardes m'ont invité, selon des ordres no1111eaux, à me promener
HOTEL-DIBU DE TROYES
A ÉMILB HENRIOT
mardi 9 octobre 195 1.
Mon cher confrère,
Répond-on le 9 octobre à une lettre du 22 août? Pourquoi pas, si elle
est aimable et précieuse, et que ce retard ait son excuse? De retour d'un
périple centra-africain qui a duré deux mois, mon neveu Jacques a trouvé
vos questions auxquelles personne n'avait pu répondre que lui. Il me les
a apeortées, laissées ; j'ai tenu à vous prier moi-même de ne pas vous
inqwéter, - cela ne va pas bien mal, et je suis admirablement soigné
ici. Merci de vouloir bien m'envoyer, par Jacques ou directement,
les deux volumes dont vous lui parlez! J'ai entendu parler d'un roman
d'Emile Henriot 1 et suis marri de ne l'avoir pas. Les Normands en
Méditerranée seront certes les bienvenus I Il y eut quelques colonies
normandes dans la petite ville où j'ai eu le plaisir de vous recevoir un
moment trop court, et même sur mon quai natal. C'était face aux som
bres géants des colonies puniques voisines, des géants blonds qui avaient
encore la malice de s'appeler André, comme de simples Guiscards.
On ne pouvait pas s'y tromper.
J'ai lu avec beaucoup d'intérêt, de débat, de combat, votre feuilleton,
un peu piquant, sur fes Fran;ais de Gaxotte. Et mercredi dentier, à
propos de M. Blancpain 2, première moitié de votre colonne 4, vous avez
écrit une douzaine de lignes qui me font le même plaisir que, jadis,
certain jugement de Capus, avant ou pendant l'autre guerre, qui nous
prouvait, lui écrivais-je, l'unité de l'esprit français. Voici que vous
I. Emile Henriot : TOIII 1111 re&0111111t11&er sans no,u, roman; Paris, 1951. - Jean Béraud
Villars : Les Normands en Méditerranée. Paris, 1951•
.z. Cf. Le Montk, 3 octobre 1951. Le Carrefour de la DlsolaliO#, de Marc Blancpain.
19
288 LETTRES DB PRISON
A HENRI RAMBAUD
1 8 octobre 195 1.
A HENRI RAMBA UD
5 no vembre 19 p.
Mon cher ami, quelle tête vous faire quand vous m'envoyez votre
gratitude I Moi qui vous accable de bescgnes de toutes sortes avec une
indiscrétion sans mesure I Merci, merci de tout... Merci de voir les
Sonnets de Michel-Ange, merci pour Eschyle et Homère, et pour le
tri des coquilles. - Sur les deux points que vous me dites, la raison est
pour vous de façon éclatante ; le petit texte rend inutile les guillemets
de la longue citation, et il est mauvais de multiplier les signes typogra
phiques hors de l'utilité. Oui, oui, supprimez-les, j'ai eu tort de ne pas
m'en aviser. De même pour le retrait du premier vers des strophes.
Ce retrait ne doit marquer que le changement de mètre. Et je me rappelle
ma traduction de l'ode d'Horace (Au roi du festin) où ces deux usages
se contrarient, tels que je les ai adoptés contre tout bon sens. Otez,
ôtez cette autre erreur. Je suis bien heureux que la dédicace de la « Petite
suite des Saisons • soit agréée de v-ous. Moi aussi, je préfère l'impair 1• ·
Et cependant l'autre matin, datts mon lit, je commençais une ode pom-
1. « De la musique avant toute chose. Et pour cela préfère l'impair • (P. Verlaine : Art '
poéti(Jll4).
LETTRES DE PRISON
peuse à l'alexandrin, qui, à sa manière, est bien beau, lui aussi, - mais
je ne l'ai pas écrite. Depuis que me voici dans les murailles de Troie,
je n'ai pas perdu le goût de faire des vers, mais, je ne sais pourquoi,
le plaisir de les écrire, qui me venait, peut-être de la vue des forêts de
Clairvaux. Tant pis 1
Je lirais volontiers le Retour de l'E.nfant prodig111, si je l'avais, je vais
le demander à Parjs. Pour les abjectes CatJes, le dégoût me venait, plus
encore que de l'absurde « acte gratwt • et de sa fortune, de je ne sais
quoi d'épais, de lourd, de vil, et aussi de court, dans la pensée de son
scripteur, d'où j'indwsais une certaine nature subalteme. Ce que vous
m'en dites mérite réflexion 1•
Quant à la Lettre à Paulhan 2, vite 1 vite I Ce doit être de la haute cri
tique, tangente à la plus pénétrante philosophie. Oui, le volontarisme
moderne, le culte du spontané est la plaie de la politique et de la morale
moderne. C'est l'habitude qw fait l'ordre et qui supporte le progrès. Avec
quel plaisir je m'en vais vous lire! Mais quand? Je vous conjure de vous
dépêcher. J'aime assez le subtil, le tordu et le retordu de Paulhan, il
faut de ces esprits � condition que leur rareté même ne les fasse pas
courir les rues. Mais l'imitation maniaque de Barrès et de Renan a
fait autrefois lei, mêmes dommages, sans rien ôter au prix de l'un et
de l'autre. Ce dialogue sera très intéressant. Refrain : vite! vite! Je ne
crois pas qu'il y ait lieu de vous déranger pour une réponse à tout ceci.
Si toutefois c'était nécessaire, vous pourriez faire passer la lettre par le
Docteur Blouët, 124, rue Charles-de-Gaulle à Troyes, il vient tous les
Jours ici, c'est un ami sûr. Vous n'imaginez pas ce que c'est que cette
amitié d'A. F. après sept ans entiers d'épreuve et de silence. Mais vous
en êtes vous-même la preuve vivante. Merci encore. Toutes mes vieilles
amitiés reconnaissantes.
Ch. M.
I. Le 3 I octobre I 951, Henri Rambaud avait écrit à Charles MaUttas au sujet d'.André Gide :
« Je ne le tiens pas moi-même pour une grande nature, mais pour un homme qui a su tirer
un parti prodigieux de dons relativement médiocres (relativement l). • Il lui conseillait ensuite
de lire le &tour de /''Enfant prodig,11.
z. Sous le titre : Lettre à Jean Paulhan sur queique1 poinl1 de langage et la notion d'orthodoxie
lingmrlique, Henri Rambaud venait d'achever un essai dont une partie seulement a paru jus
qu'ici en revue (La Table ronde) .
HOTEL-DIEU DE TROYES 29 3
A HENRI MASSIS
IZ novembre 1 9 j 1.
1. a. Mmlrras et notre temps, t. II, pp. 125-127 ; pp.- 197-.2 00; p. 139•
.z. Au début de février 1940, Elie-Joseph Bois, rédacteur en chef du Petit Pari.rien, avait
confié à Henri Massis, pour que celui-ci en fît part à Charles Maurras, qu'une campagne en
faveur de la paix immédiate allait être entreprise par la direction de ce journal.
3. Dans une lettre, datée du 6 avril 1940, le cardinal de Villeneuve, archevêque de Québec,
avait écrit à Charles Maurras : « ••• Il y a eu et il continue d'y avoir le problème de votre venue
à l'Eglise. Je vous en parle avec une candide audace et, je puis dire, fortifié par mon silence
antérieur. Car, vraiment, j'ai trouvé que plusieurs mêlaient les choses et eussent fait de votre
intimité un cas d'observation en plein soleil•.• •
4. Maurras se montrait très exigeant envers ses collaborateurs chargés de la revue de la
presse de l'Action fran;aise.
5. Avant de publier son livre : Charles Mmlrrar, ce fils de la mer, René Benjamin avait tenu
à lui en communi quer les épreuves. C'est à peine si Maurras en laissa la trame!
LETTRES DE PRISON
Mais ce dernier vers me paraît être d'une autre venue et d'un ouvrage
postérieur, dont l'accent était plus strictement virgilien. Aussi phil
hellène qu'on pouvait être, Plessis avait en sainte horreur la manie
allemande d'opposer les deux génies de Rome et d'Athènes, il les consi
dérait comme les père et mère de notre civilisation et de notre goût.
Lorsque, peu à peu, très lentement, se furent amortis les feux de sa
longue jeunesse, il eut tendance à imprimer un accent de mâle stoïcisme
à son vers : il n'en bannit jamais la flexible douceur, la grâce sans mollesse
venue des colonies athéniennes d'Asie. De là leur beauté inflétrie. Elle
survit à bien des ruines qui se défont déjà devant oous.
Ces hautes amitiés d'esprit avaient fini par créer un lien personnel
entre Frédéric Plessis et son obscur admirateur, plus jeune que lui de
dix-sept ans. Nous nous étions revus chez votre ancien confrère le
poète Le Goffic et Mme Charles Le Goffic, amis de toujours. Une grande
diviseuse, la Politique, s'était même occupée de nous réunir. Plessis
avait passé pour bonapartiste, il était venu, sans rompre ni détendre
aucune fidélité, au nationalisme intégral. Les assassinats du pauvre
petit Philippe Daudet et de l'héroïque Marius Plateau lui avaient dicté
un sonnet ferme, haut, irrité, cordial, qui déclarait notre alliance de
Français-nés contre les métèques et les barbares. L'A&tion frllllfaise
avait publié ce sonnet... Mais que dis-je, et que fais-je! Ne suis-je pas
indiscret, mon cher ami, et cette commémoration pacifique ne sera-t-elle
pas troublée d'un souvenir donné à nos luttes civiles ? Hé I ces luttes
clurent toujours. Nous n'en sommes pas affranchis encore, et la méthode
de Plessis fut peut-être le meilleur moyen d'en sortir, car elle rassemblait
les patriotes authentiques et les honnêtes gens .
... Soit I Revenons au Passé tranquille, aux Lettres, à la Critique. Mais,
pour la rendre plus utile, ne pourrions-nous conclure votre belle réunion
en pressant, au nom de Frédéric Plessis, nos compatriotes et nos confrères
celtisants de bien vouloir enfin se résigner à mettre en veilleuse le véné
rable bobard des « ovates • qu'avait pulvérisé une analyse mémorable
du latiniste que nous célébrons? Comme le Breton Renan, mâtiné de
Gascon, le Breton Plessis, Provençal de mère, était très attaché aux
annales farouches et tendres de sa belle Armorique, il les aimait et les
honorait. Mais çe ff'Î est est, &e qm n'est pas n'est pas, et les « ovafls » ne
sont pas, ils n'ont Jamais été ; le mot qui désigne ces grands personnages
imaginaires n'est qu'une mauvaise lecture du latin vates écrit en lettres
HOTEL-DIEU DE TROYES
grecques. Cela est établi par Plessis et Lejay dans une note de leur petit
Virgile (ou Horace) des classiques Hachette et, si j'avais à Troyes les
exemplaires restés à Clairvaux, vous en auriez ici même la référence
précise, avec la page et la ligne; mais rien n'est plus facile que de
retrouver cette correction d'une bévue de l'érudition romantique, il
ne saurait plaire à personne de la perpétuer.
En vous priant, cher ami, de bien vouloir faire cette commission à
qui de droit, j'ose vous demander aussi d'être mon interprète auprès
de Mme Frédéric Plessis et de Mlle Plessis, vigilantes gardiennes de
leur trésor de gloire, de vertu, de science, et de leur présenter avec les
hommages de mon respect les félicitations enthousiastes de la belle
journée I Veuillez, s'il est possible, faire part des mêmes sentiments à
vos assistants et auditeurs, participants d'un souvenir , qui mériterait
d'être étendu à tous les plans supérieurs de l'élite française, et, vous
q1·i y présidez si dignement avec Berardlls ad h11�1111Îtates, comme disait
notre Léon, recevez encore toutes les vieilles amitiés très fidèles que
vous doit et vous rend votre vieillard troyen.
CHARLES MAURRAS
16 décembre 19 5 x.
Ma petite Ninon,
HOMMAGE AU GRAVEUR
des
AMANTS de VENISE
A XAVIER VALLAT
21 décembre 195 1
quand elle arrivait dans une réunion, en grand arroi, tenant par la main
son fils et la jeune sœur dont je ne sais le nom, tout le monde battait
des cils, et c'était Latone, encadrée de Diane et d'Apollon, telle que
Ronsard l'a chantée. Or... Donc..• Mais Z. avait sa manière de faire
parpelejer 1 les innocents inhabitués. Il me souvient d'une étonnante
invitation faite à un ami et à moi. Elle n'était pas nue, ni décolletée (non,
car on déjeunait), mais je ne sais quel diable de drapé ou de déshabillé,
tel qu'aucune conversation n'était possible : à l'argument n° 1 c'était
l'épaule droite qui apraraissait, blanche et brillante, et tout ce qui
pouvait s'ensuivre I A 1 argument n° z, la gauche avec sa suite. L'ami ne
bronchait pas. L'habitude. Mais moi I Une panthère aurait eu pitié de ce
pauvre mortel. Ce repas à trois (car son mari n'était pas ou plus là)
est l'un des deux gros scandales de ma mémoire. Vous me direz : et
l'autre ? Il est plus difficile à conter, mais aussi plus fort. Aux funérailles
de Barrès, sous les voûtes de Notre-Dame, une grande et honnête dame
(de Brantôm� !), ce n'est pas Mme de Noailles. Ni non plus aucune
dame du monde blanc. Cela est dû à l'histoire. Posée très exactement
devant nous, et enveloppée d'une ample et chaude pelisse, mais là
dessous, tout à fait nue. Nue comme un plat d'argent, nue comme un
mur d'église, nue comme un ver de te"e et la peau de la bête bâillait
sur la nuque, de manière à montrer dans tout son détail « le sillon délicat »
de Gabriel d'Annunzio, jusqu'aux reins les plus bas, et la fleur poivrée
des . plus indiscrets arômes ! Mettez là-dessus l'Académie, le gouverne
ment, les Ligues, les fanions, les dtapeaux, toutes les pompes de l'armée
et de l'Eglise, et la subodoration des pires jeux de Cyprine ... C'était
beau et amer comme un poème de Villon chanté sur une marche funèbre.
Vous allez me dire que c'est affreux; je suis bien de votre avis. Mais de
ces affres qui font une espèce de flambeau dans cette chienne de vie.
J'ai honte de prendre des détours infernaux avant de revenir aux
choses saintes. Oui, mon premier acte libre (qui ne sera pas gratuit,
comme dans Gide) sera pour Lisieux; là, je serai heureux de passer par
Juigné pour y saluer tant de fermes fidélités, de courage, de volonté
française que rien n'ébranle ! Je mettrai volontiers à leurs pieds les
premiers plaisirs de ma liberté. Et puis Solesmes 1 Les saints de Solesmes 1
Ces visages de Marie-Madeleine et de la Vierge en marbre, et ceux des
moines, en chair spirituelle, que j'imagine tous d'après le masque illu�
minateur du grand dom Delattre, qui fut notre si grand ami, et la
lumière diaphane de son beau regard 1 Ce serait un détour magnifique,
et que je ne vais plus cesser de ruminer.
Je suppose que la Vieille Droite est en fleur, sinon en fruit? Ces pays
de l'Ouest doivent vous offrir toute la documentation souhaitable;
chiteaux, abbayes en regorgent, et, comme ce serait _précieux à la confu�
sion définitive du M. R. P. ! Je me démène comme Je peux pour mettre
l, Parpely,r, en provençal : battre des paupières.
20
LETTRES DE PRISON
surpied ma lettre géante à V. A. 1, mais cela fait trois tomes et mes pauvres
amis croient bon de souffler. Cependant je l'ai relu. Ça tient encore. Je ne
sais si l'on attendra que toute l'actualité soit perdue, V. A. étant mortel
comme nous tous, et n'étant pas à l'abri des révolutions qui dépeuplèrent
l'Élysée de Mac-Mahon, de Grévy, de Carnot, de Périer, de F. Faure,
de Millerand, de Doumergue et même de Lebrun. Hodie tibi, cras à
qui? Je presse, je presse avec le fouet, l'éperon, et tout. Les dernières
réponses accusent un petit mouvement. C'est toujours ça.
Les Catta 2 sont extraordinaires. Quelle nichée ! Et la grand-mère 1 Vous
croyez que je ne l'ai pas connue 1 La Marie-Thérèse du << Mont de Saturne »
eut la même passion orléaniste. Or elle était mon amie beaucoup plus
que de Denys Talon. Au fond, nous avons été la première génération de
fusionnistes, de vraisfusionnistes, car Thureau-Dangin l'était, mais au sens
libéral et parlementaire. Nous avons réussi la fusion traditionnelle,
grâce au plus légitime des Princes, le duc d'Orléans, qui avait Louis-Phi
lippe en horreur et le disait à tout bout de champ. Mais quel homme 1
Quel prince 1 Et comme le disait la pauvre reine Amélie, quel roi il nous
eût fait 1 Les Français ont passé à côté d'un Roi bien-aimé, ils en eussent
fait des folies. Et nul Saint-Simon, nul Fénelon n'eût mordu sur ce
Louis XIV n° z. Je vous le jure. Faites parler les fols de ma qualité 1
Remerciez Mme Xavier Vallat de ses bontés, et présentez-lui mes res
pectueux hommages, ainsi qu'à Mmes de Juigné et de Durfort. Autour
d'elles encore, tous mes mercis les plus émus. Si vous allez à Laval,
dites-leur que je pense toujours à eux.
Votre vieux troyen.
CHARLES MAURRAS
P. S. On vous dira que le duc d'O. 3 faisait la noce. C'est qu'il était
mal marié, par les bons offices de sa grand-mère Clémentine qui avait
chloroformé le duc d'Aumale (« Oémentine de Médicis>>, disait le duc d'Au
male ipssissime) et lui avait colloqué une bréhaigne barbare, malgré ce
qu'elle savait de sa fiancée. Ceux qui ont vu Philippe VIII en Espagne
avec sa sœur l'infante au milieu des enfants, voyaient ainsi quel heureux
mari et père il eût certainement fait. Il buvait? Parfois peut-être par
déception, mais il avait le goût des vins de France, et sa cave l'accompa
gnait dans ses déplacements ... Je n'ai bu de vrai vin à Londres qu'à sa
table, et ae1a lui tait grand honneur. Jamais un homme fait comme lui,
un esprit comme le sien n'eût sacrifié à une passion inférieure seulement
le soin de tenir un seul conseil sérieux. Il falfait le voir en 191 5 quand il
voulait servir dans les armées françaises, ou auprès des alliées. Rien
1. Vincent Auriol.
Famille angevine alliée à celle de René Bazin. Tony Catta, directeur d'un journal de
droite de la Loire-Inférieure, avait été arrêté à la Libération.
2.
3. Le duc d'Orléans.
HOTEL-DIEU DE TROYES
n'était plus beau que cette passion de soldat-né, réglée par le sentiment
le plus profond de la royauté. Quel deuil cela a fait sentir !
C. M.
Paris, 10 janvier 1 9 5 2.
A M. X. ÉTUDIANT EN DB.OIT 1
Monsieur,
Quelles étrennes, votre lettre I Cette année comme toujours et plus
que jamais, mes amis m'ont gâté, mais la suprême gâterie me vient de
vous quand vous voulez bien m'écrire, entre tant de belles paroles, que
mon œuvre pourra servir à l'espérance et à la relève de demain ou
d'après-demain. Soya remercié de cette double générosité du cœur et
de l'esprit et veuillez agréer en retour de votre jeune témoignage ce
carton iui n'atteste que ma décrépitude de l'an dernier ou de l'autre
année. J ai plaisir à vous l'envoyer en invoquant l'autorité des belles
vérités qui ne vieillissent pas.
x. A la lettre ci-dessus citée, Charles Maurras avait J:ql0Ddu aussitôt par celle-q.
HOTEL-DIEU DE TROYES
Ma petite Ninon,
Ta bienheureuse lettre m'arrive. Enfin, je suis certain que tu as mes
vieilles pages de samedi dernier. Elles ont dû trainer à la police, à la
préfecture, peut-être à la Chancellerie, et je t'envoie ceci par une autre
voie. Le commandant Sicard 1 a dû te donner de mes nouvelles, elles sont
bonnes. Tu les amélioreras en me télégraphiant, le plus tôt que tu les
auras, les nouvelles de mes sacrés papiers...
Je viens de recevoir un beau et généreux colis de Brun. Pourrais-tu
m'envoyer, pour faciliter l'absorption des saintes poutargues, une petite
râpe, une râpe comme on en fait, je crois, pour les ménages de poupées ?
Et que les Dumont, avec eux le Clos d'Albizzi, soient bénis avec Brun 1
J'attends ces présents magnifiques du même cœur que la soupe de
poisson, si elle peut arriver, comme le règne du Très-Haut ! Dès que
j'ai eu les livres de Flam 2 en mains, je les ai lus et relus au point de vue
qu'ils m'indiquent... Mais outre les livres de Flam, je voudrais bien
avoir ici Mes idées politi(JIIIS ••• Ce livre est double : une très importante
A HENRI RAMBAUD
A HENRI MASSIS
A HENRI RAMBAUD
I. Dans cette lettre qu'Hcnri Massis avait remise à Maurras, !'Amiral Fernet lui disait
quelle approbation le Maréchal Pétain avait donnée, à l'époque, aux vues qu'il lui exposait
dans une lettre dont lui, Maurras, ne se souvenait plus.
2. a. plus haut, la lettre du 16 février 1952.
HOTEL-DIEU DE TROYES
1. Sous le titre Andrl Gide, prix Nob,I, Henri Rambaud avait publié, dans le Bulletin du
Lettre.r du15 décembre 1947, un article où la critique essentielle qu'il adressait à Gide visait
son ancienne apologie de l'inquiétude et son refus persistant de se fixer nulle part. • Simple
application, en somme, à la notion d'inquiétude. du raisonnement par lequel Aristote démontre
l'immobilité du premier moteur. &
LETTRES DE PRISON
A HENRI MASSIS
2 mars 195 2.
faction très claire que lui donnaient nos réponses ; 3° le mot rapporté
du Cardinal (Mercier) : « La position de M. Maurras est inexpugnable >>
que Dansette nie sans preuve tJIIOd grati assenti gestes negati, et vice versa.
Vous me rappelez très distinctement aujourd'hui (ou plutôt vous me
le rappeliez le 7 février) ma réponse relative à l'agnosticisme de Comte.
N'ai-je pas parlé, à ce propos, de son double, Ritti, l'ami de [Léon de]
Montesquiou? C'est possible, ce n'est pas sûr, mais c'était sur la pente
de ce plan d'idée. Ritti en était venu à une espèce de Dieu créateur
subjectif à l'humanité ; vous voyez cela i Cependant, je fais toujours de
vains efforts pour me rappeler cette distribution des besognes à laquelle
je n'avais rien compris en lisant Dansette 1• Mais cela n'a pas d'impor
tance.
Mille amitiés en toute hâte et pardon de mon absurde retard.
Bien cordialement à vous, avec tous mes mercis.
CHARLES MAURRAS
1. Le referendum sur les « Maîtres de la jeunesse • organisé à Louvain par les Ctthi1rs àe
la ]eNlll!sse befu en mai 1925, rcferendnm qui avait donné la première place à Charles Maurras,
avait suscité dans les milieux catholiques de Belgique des débats si passionnés que le Car
dinal Mercier, archevêque de Malines, voulut lui-même s'informer. Un prêtre de Bruxelles,
l'abbé Van den Hout, directeur de la Revue catholipie der Idéu el des FaiJs, passa à Paris une
soirée entière avec Maurras, Maritain et Massis. Le mandataire du Cardinal Mercier avait
une liste de questions qu'il leur posa. Aucune ne fut omise ni laissée sans réponse. Pour les
démêlés avec Dansettc, cf. Mmlrras et notre temps, t. II.
2. Cf. A. Dansette, op. cil., p. 583. - A la demande de l'abbé Van den Hout,
Charles Maurras avait promis d'exposer à nouveau ses principes politiques, Jacques Mari
tain s'était chargé de les confronter avec le dCTOit des catholiques, et Henri Massis de
montrer ce qu'avait été l'influence de Maurras sur les esprits de sa génâation.
LETTRES DE PRISON
A XAVIER VALLAT
1. Henry Bordeaux et Maxime Real del Sarte étaient intervenus à l'Elysée et avaient
obtenu pour Charles Maurras la grâce médicale sans tlllCllfl4 restriction. Et Henry Bordeaux
racontait : c Maxime Real del Sarte avait même proposé au Président cette image : « Si un
chien de garde est détaché de sa chaîne, vous ne voudriez pourtant pas empêcher qu'il bondît
dans l'espace qui lui est offert? & Et le Président avait souri à l'idée que nous pouvions nous
offrir comme otages; je crois que ce symbole l'avait convaincu. &
z. François Daudet.
LETIRES DE PRISON
à votre lettre en les révélant comme des filigranes des sentiments plus
propres à m'enchanter. Naturellement, nous avons longtemps causé,
et à fond en nous servant de vos derniers mots. Il n'y a rien de plus
naturel et je veux ajouter, de plus légitime, que cette préoccupation
de prudence; le contraire, après tant d'efforts, eût été anormal et presque
choquant, étant donné l'accueil, les promesses, l'allure du libre entre
tien. S'il y a de ma part un mais (or, hélas·! il y en a un), c'est qu'on ne
peut demander des fraises à un pommier, ni du sucre à l'eau de mer.
Que veut-on que je fasse? Une liberté sans article de polémique? Et
que peut-il y avoir de commun entre un abstinent imaginaire et le
vétuste moi qui n'a cessé d'écrivailler et même d'imprimer sur toutes
les batailles possibles depuis 1944? Tout mon premier effort consista
uniquement à organiser l'envol de mes papiers malgré les barreaux et
les grilles; et ce silence intéressé, prudent, serait gardé durant la véritable
tragédie que la France est en train de vivre ! Je n'exagère pas mes forces,
ni ma volonté, mais diable! Diable! On songe, on s'emploie à me rendre
oisif. A cette perspective (je ne dis pas : à ce prix, je sais que ce n'est pas
un prix), il n'y a de possible que le retour du vieux prisonnier à Clair
vaux, dont les supplices .n'étaient pas très redoutables. Il me faut vous
exprimer, et encore et encore et toujours, du plus profond de mon amitié,
tout ce que la vôtre, si généreuse, lui inspire d'admiration croissante
et toujours de plus en plus motivée. Et oui, trois fois devant un Pape,
deux fois devant un Président de la République, vous aurez défendu
l'enragé compagnon de votre jeunesse, sans donner un regard à tout
ce qui pouvait le distinguer de vous, ne voulant perdre de vue une seule
des consonances et des nuances de la Justice 1 Non seulement elles ont
été parfaitement connues et saisies dans tout ce qui émeut la plus vio
lente gratitude, mais là même où nous ne sommes pas tout à fait d'accord.
J'admire la délicatesse de votre pensée depuis A jusqu'à Z I C'est de
bout en bout le même cri Pulchre, Recte, Optime, qui sort de ma plume d'un
bout à l'autre de cette réponse, qui n'a rien d'académique, mais qui me
fait penser aussi à vos deux éloges, celui de juin 1939 et celui de janvier
ou février 1945, l'un de bienvenue, l'autre d'adieu, tous deux si cordiaux
et, encore une fois, si amis. Décidément il n'y a que ce dernier mot qui
vaille. Prenez-le. Prenez-en tout le sens et toute la force, je vous l'envoie
de tout cœur.
CHARLES MAURRAS
HOTEL-DIEU DE TROYES 319
A HENRI RAMBAUD
n mars 195 2.
Mon cher ami, mille grâces et dix mille grâces nouvelles, j'ai ce 1 1 mars
votre lettre du x er t Comme�t a-t-il fallu dix jours à vos belles pages
pour couvrir ces quelques centaines de kilomètres? Par bonheur, ceci
ira plus vite, et c'est une adhésion complète. Oui. Pas d'autre mot. Pas
même de scrupule pour les emprunts que je vous fais, l'offre généreuse
emporte tout, et je n'y puis ajouter que ma gratitude très vive. Le
soit de la strophe 4 est en effet la solution rêvée, au delà du mais, de
l'et et de l'or 1. Soit ! soit ! il me semble que je n'ai jamais dit d'autre mot
de toute ma vie. Habent suafata ! C'est une espèce de prédestination, me
murmure le démon de l'orgueil. De même, je vois, grâce à vous, mais à
vous . seul, le . défaut persistant de vai..,,,.s. � . di111X inflri_eur.r sont
parfaits (peu importe 1a consonne d'appui à la nme) · et t1ssm111 reprend
t9ut ce qu'il y avait de valable dans vai11tj1Hllf"S. i!I
Bacchanale asseroie aux dieux inflrieurs est la perfection même. Comment
vous en remercier? Figurez-vous que le flamboie m'a toujours causé le
même scrupule obscur I Au point même d'y redouter une espèce d'amphi
bologie et même un contre-sens. Mais quoi ! Inverser tnstesse et joie
me semblerait plus grave, car c'est le ton du poème qui en souffrirait,
son mouvement aussi. Le moins mauvais (ou le moins pire) me paraît
être de se résigner et d'accepter, comme vous y inclinez. Je vous renvoie
donc votre dactylographie, en signalan.t qu'au vers u il manque une
syllabe, « un jour ou l'autrejour •· Tant mieux si, amendé et poli- comme
il convient, et grâce à vous, le livre fait son chemin. Oui, cela va à contre
fil de ce que veulent imposer les « marchands du temple » 2 • Peut-être leur
embûche même servira-t-elle à trouver le défaut et la faille par où péné
trer. Ce que -:-ous me dites de Mauriac Ge n'ai J>a8 pratiqué Greene) est
tellement vrai I Ces gens-là ne sont que sophisme, et de quelle basse
qualité ! Et comme ce qu'il y a de plus beau dans la surnature est humilié
par les offensives contre la nature I Mais quelle intrépide mauvaise foi 1
Il est impossible que tout cela ne finisse pas par être compté et expié. Je
viens de lire l'abrégé hideux du nouveau livre de Rebatet 3• C'est une
illustration nouvelle de ce que vous dites. Sur Gide, je vais avoir soin
de lire cet E.nfant prodtgt1e dès que je le pourrai, car enfin je n'aime pas
1. Voir plus haut, la lettre du 23 février 1952. Henri Rambaud avait proposé : Soit / Du
pied des bû&hers QIIX langues de leur Flamme•••
2. Henri Rambaud avait écrit à Charles Maurras le 1er lllllIS 1952 : • .Aujourd'hui même,
en France. je suis frappé de voir la quantité de gens qui désirent de la littérature saine et non
les sottises qu'on leur présente. Le malheur est que les marchands du Temple faussent le
jeu, en pressant d'admirer les niaiseries ••• •
3 . Lucien Rebatet : Lei dellX étendards. Paris, 19 51.
21
320 LETTRES DE PRISON
à vivre dans l'erreur. Mais ce qui fait le cœur de ce livre inconnu, étant
une erreur capitale, doit être payé de quelque façon, même esthétique
ment. Je veux dire que même la perfection de Laclos, partant d'une vue
fausse, en souffre dommage littéraire: de même, l' « anti-aristotélisme >> 1
de Gide doit être payé par quelque défaut de l'art. Non ? ou les deux
domaines distincts sont-ils en outre séparés? Je voudrais bien votre
avis. Dans ma lettre il y avait un estropiage de Ronsard, ces vers me bour
donnant dans l'âme :
Et ryetonne en branches davantage
Tirant viguellf' de son propre dommage
« l'adulte feuillage » est de mon cru, parce que j'y voyais votre situation
de très jeune grand-pète. Oui, je comprends, sans l'approuver, ce qu'il y
avait de fierté dans votre excès de modestie et dans votre timidité, mais
c'est un luxe moral qu'il ne faut pas entretenir indéfiniment, et, à mon
avis, vous avez tout à fait raison de ne pas être dupe de cette virtù;
le moyen est d'aborder les grands sujets, au point où quelque contem
porain les porte : à c.et égard, je trouve l'idée d'écrire à Paulhan excellente,
car il s'est placé au premier plan, la question qu'il soulève est vitale, et
l'on peut de là à /tii, comme de lui à là, joindre le grand public, dont
l'applaudissement ne peut faire question dès que vous l'atteindtez ou
l'aurez atteint. L'important est de ne pas vous laisser faire une réputation
de confiné, de secret, de cryptique, comme l'ont tenté certains critiques
de votre dernier Gide. Vous avez tout à fait ce qu'il faut pour déboucher
en pleine lumière et dans le plein jour du franc-parler, je ne vois absolu
ment persOlllle qui soit aussi bien armé, éclairé et muni pour le redresse
ment de l'esprit public. Reste à prendre sur vous d'élever la voix et de
l'imposer. Croyez-moi, l'âge n'y fait rien. Au contraire! Vous vous senti
rez plus ferme et plus fort de toutes vos expériences. Non, je n'ai pas
encore communication de mon décret. On me parle de Tours, oui :
peut-être y serai-je vers le 2.0. Quelle joie I Au cas où vous auriez quelque
chose d'urgent à me dire, faites passer par le Dr Blouet 1 2. 4, rue du
Général-de-Gaulle, Troyes. C'est un véritable ami qui me suit jour par
jour. Il fera suivre tout de suite. Ce chapitre de l'amitié m'offusque et
me rend parfois confus; la vie m'a gâté sur ce point. Je n'ose plus en
parler, à peine si je veux y penser, tant cela est beau - mais regardez
votre missive 1 - Merci encore, mes respectueux hommages à
Mme Henri Rambaud, mon souvenir autour de vous, amitiés aux chers
petits, et de tout cœur à vous, mon cher ami.
CH. M.
1. Dans sa lettre à Maurras du 1er mars, Henri Rambaud déclare que Gide « est essentielle
ment un anti-Aristote •• du fait que pour lui il n'y a pas d'arrêt, pas de but.
HOTEL-DIEU DE TROYES 321
A HENRI RAMBAUD
1 4 mars 195 2.
Cher docteur et grand ami, je sais que mon Jacques vous a téléphoné
hier, puis visité sans doute aujourd'hui, mis au courant de tous les
incidents de notre belle course et de notre heureuse arrivée 1• Le petit
accroc d'Orléans ne mérite pas qu'on le compte, et tout s'est fort bien
soutenu avant et après. Nous avons bien fait de prendre le parti de
l'en avant et d'en finir avec une situation absurde compliquée par la
mauvaise volonté des intermédiaires. Je n'ai plus de policiers dans le dos
et le chef de ceux qui m'ont accompagné a réclamé une attestation de
moi, qui équivalait à un certificat de bonne vie et mœurs. Vous voyez,
c'est nous (jllÎ sont les princesses !
Mais grâce à qui, docteur? Grâce au docteur Blouet et à son admirable
campagne qui, sans rien coûter à mes droits, m'a rendu la liberté physique.
Et si ce n'était que cela i Mais il y a plus et mieux. Son amitié. Ses atten
tions si constantes, son émouvante volonté quotidienne de m'obliger
de toutes façons I Cet office de sympathie si fidèle qu'il a répandu sa
contagion autour de vous et a créé autour de moi l'atmosphère d'une
faveur bien imméritée et pourtant bien précieuse I Il n'y a qu'un pauvre
petit mot pour vous peindre mon sentiment, c'est celui de merci, mais
il est bien court, vague, banal, pour tout ce que je voudrais lui faire
porter ! Il faudrait qu'il pût raconter toute cette merveilleuse histoire
depuis la première consultation de janvier à août, et du 10 août au
9 février et au 2 I mars. Cela ne se résume pas, mais se revit par tous les
points sensibles, reconnaissants, fidèles, d'une mémoire attentive, et
alors merci s'agrandit et prend les proportions dues.... Merci, merci,
merci toujours, cher docteur ! Je vous vois encore faisant signe au bord
de la route et vous rends ce signe de loin .
CH. MAURRAS
1. CT. Chanoine A. Cormier : Mes entretiens de prêtre aveç Charles Matin-as. Mars-novembre
1952. Paris, 19B·
2. Mgr Gaillard, archevêque de Tours, qui avait chargé le Chanoine Cormier de faire
visite à Maurras, dès son arrivée à la clinique Saint-Symphorien.
LETTRES DE PRISON
A HENRI MASSIS
A XA VIER VALLAT
24 avril 5 2.
Mon cher ami,
Votre terrible lettte m'attendait bien sur ma table pendan; notre
délicieux séjour à Saint-Cyr. J'ai été bien content et heureux de vous
revoir, de recauser avec vous de toutes les choses créées, de faire tout
Est-ce qu'avec ses vertus personnelles Schuman est doué d'un stock
de bêtise supérieur encore à celui de Bidault ? En ce cas, absolvons 1
absolvons 1 Mais est-ce seulement possible?
Ma petite Ninon,
Docile à ton alerte, Brun vient de me demander par téléphone s'il me
conviendrait de faire le grand déjeuner provençal dimanche, après
demain... Mais dimanche, c'est le 2.0 avril, une cohue s'annonce, et le
repos nécessité par les délices marseillaises serait tout de suite inter
rompu par des visites nombreuses et drues. J'ai fait répondre que mieux
vaudrait lundi ou mardi. Brun a répliqué qu'il ne pouvait pas ces jours-là
et qu'il m'écrirait. Je crains de l'avoir froissé. Explique-lui ce que l'infir
mière n'aura pu lui dire. Je pense qu'un jour de la semaine le dérangerait
de son travail. S'il préfère de dimanche en huit, soit, et bien volon
tiers ! Ajoute que, puisque Mme Brun doit l'accompagner et peut-être
leur petit garçon, je n'aurai pas d'autre convive. Toutes les divinités
de la Joie s'assoiront à notre festin. Dis-le lui aussi !...
LETTRES DE PRISON
Embrasse tout le monde pour moi et dis au fameux Dominique que
son vieux arrière-grand-oncle l'attend de pied ferme.
Je t'embrasse et te rembrasse comme il convient.
CHARLES MAURRAS
r.,, z. IlVotr,s'agitB,/deAlgOIITd'lmi
I, •
la vaisselle laissée par Charles Maurras à Clairvaux, où était encore
M. Jacques Benoist-Méchin.
CLINIQUE SAINT-GRÉGOIRE A SAINT-SYMPHORIEN 333
J'ai pris note de l'erreur sur !'Hôtel de Ville de Puget. Mais je n'arrive
plus à me rappeler en quoi consistait la seconde erreur, celle que je vous
ai dit avoir déjà rectifiée. Voulez-vous me la rap�er pour le bon ordre
de mon cerveau et de mes paperasses? Merci d'avance - Et honte au
carcan départemental qui vous fait croîre, - à vous I à vous I à vous 1 -
que Marseille était sise aux bouches du Rhône, alors qu'elle ne connaît
que l'Huveaunne et que le Jarret!
33 4 LETTRES DE PRISON
Madame,
Permettez-moi de venir implorer vos miséricordes. Veuillez me
pardonner mes silences ; je me promettais de les rompre en vous envoyant
ces jours-ci un petit livre << à paraître >>, dont on me dit qu'il << vient de
paraître>>, ce que, de semaine en semaine, j'attends sans jamais le voir.
C'est un retard qui a causé le mien à vous accuser réception de votre
lettre et du rouleau géant de Nescafé! Tous deux sont bien arrivés et
me remplissent de remords malgré la très utile excuse invoquée ci
dessus.
Mais le pis est ce que Jacques a appris par téléphone : des horreurs !
Vous avez été mal reçue. On vous a raconté des fâbles sur mon plus ou
moins d'affaires ce mercredi 16 avril, vers midi! Cela, on a osé vous le
dire de bouche grossière avec des yeux et des gestes de bas soupçons 1
Je vous supplie, Madame, de recevoir tous mes regrets pour un procédé
honteux et ridicule et de ne rien croire de ces fables.
Pour je ne sais quel principe plus ou moins policier et judiciaire, on
lit à l'entrée de ma chambre : visites interdites. C'est pourquoi on y entre
comme dans un moulin, dès qu'on en sait le chemin. Entre qui veut,
presque sans frapper, parce que le toc-toc n'est pas perçu. Pour les nou
veaux, toutes les cartes me sont, par mon ordre, montées ; à leur défaut,
des noms griffonnés sur un bout de papier. Par un principe personnel,
je reçois exactement tout le monde... A qui avez-vous eu affaire? Je me
matagrabolise le cerveau pour retrouver cet « ours ». Je mentirais si je
n'ajoutais que le personnel, direction, service, hommes et femmes, est
parfait de courtoisie avec mes visiteurs et moi. Leur scrupule va parfois
jusqu'à vouloir faire respecter le sommeil de ma sieste, et j'ai tant réclamé
qu'on a fini par comprendre qu'il n'était pas de meilleur repos pour moi
que la joie de revoir mes anciens amis ou d'en découvrir de nouveaux.
Alors, comment Cerbère s'est-il trouvé si mal à votre seul passage ?
Quel est ce Raminagrobis que je ne puis identifier? Il m'est assez diffi
cile de mener seul une telle enquête (avec mes mauvaises oreilles)
mais, jeudi, mes neveux Hélène et Jacques seront là, ils feront un voyage
d'exploration des bureaux aux cuisines, aux chambres d'opération et de
maladie, ils finiront bien par savoir le fin mot de l'affaire à laquelle je ne
comprends rien. Mais d'ici-là, Madame, permettez-moi de mettre à vos
pieds le respectueux hommage de ma vive gratitude, de mes grands
regrets, et l'expression de la vraie honte que m'ont fait éprouver mes
propres iniquités.
M. Paul Morand a-t-il retrouvé son Paris ? Combien je serais heureux
de l'en féliciter!
CHARLES MAURRAS
CLINIQUE SAINT-GRÉGOIRE A SAINT-SYMPHORIEN 33 5
A 'HBNR.I RAMBAUD1
20 mai 19 5 2.
Mon cher ami, vous avez mille fois bien fait de saisir la balle au bond.
Paulhan doit tenir à votte livre. Il y trouve, faite et bien faite, la situation
morale et intellectuelle, littéraire et philosophique à laquelle il a droit,
mais qu'il ne possède pas encore. Vous la qualifiez avec beaucoup de
raison et de naturel. Je croirais difficilement qu'il laisse passer cette
occasion d'un passage brillant du petit monde littéraire à ce grand
public, très lettré sans doute, mais étendu ! L'esprit, le penchant, l'amitié
de vos pages pour Jean Paulhan leur sera donc chez cet éditeur nouveau
d'un secours précieux. Ailleurs, la situation serait renversée. Il y a
beaucoup, mais beaucoup de ces pages (je ne dis nullement : trop) où
s'affrontent vos deux personnes, où elles s'affirment et se commentent
l'une l'autre dans des conditions qui peuvent étonner et même dérouter
le lecteur, parce qu'il ne vous connaît bien ni l'un ni l'autre. Il peut se
demander, si intéressant que soit le dialogue, pourquoi les deux interlo
cuteurs ne lui ont pas été définis, présentés, dans une préface, une intro
duction, bref une parabase quelconque. Cela fait, à mon sens, une diffi
culté en soi dans la première partie du volume. Le subjectif y prend
une trop grande place : je dis le subjectif à vous deux. Compliments,
concessions, rappel, insistance, c'est assez longuement (toujours point
trop) affaire entre vous. Excellent avantage chez l'éditeur de Paulhan.
Objection, ailleurs... Le public, intéressé par l'objet du livre, s'y fera,
pliera, marchera, et l'intérêt toujours accru, l'objet de plus en plus
investi, défini, décrit, le retiendra par toutes sortes de liens. Mais, là,
j'avoue ne pas avoir toute satisfaction. Cela tient à ce qu'il me semble
que vous avez un peu trop arboré votre ossature philologique et philo
sophique sur votre épiderme au lieu de charger celui..,ci de la cacher et
de la laisser s'exprimer par son mouvement. L'oscillation justement
et précisément menée entre le purisme et le populisme reparaît, dans
sa formule abstraite, avec une fréquence nécessaire, mais sensible.
Combien j'aurais souhaité qu'au lieu de tenir le premier plan elle fît
plus de place au concret I Je ne parle que de la première partie. Car, au
fur et à mesure que l'on avance, ce concret apparaît, il brille, il donne
ses étincelles en même temps que sa hul'ière avec sa chaleur, et le débat
analytique, conduit sur le vif, contient tout ce qu'il faut pour passionner
des Français, non seulement de l'élite, mais des << Français moyens >>,
r. Désii:eux de publier sa Le/Ire à ]eQII Patdban (Œ. plus haut, lettre du s novembre 19p)
Henri Rambaud avait demandé à Maurras s'il lui serait possible de la présenter à son propre
éditeur. Avant que la démarche edt lieu, l'occasion s'était offerte de la proposer à une
• maison où Paulhan a de l'influence &.
LETTRES DE PRISON
comme ceux qu'a baptisés votre maire 1• Là est le bon, le beau, le succu
lent de l'ouvrage, et sans vous donner le conseil dites/able de le boule
verser, j'opinerais peut-être pour l'insertion d'un certain nombre de
·ces débats dans la page d'annonce et d'introduction. Là vous prendriez
votre public à la piple, comme dit Mathurin, je crois 2 ; il entendrait le
cri qu'il aime : « Dites I Ne dites pas 1 • Toute votre haute théologie
vous serait pardonnée du coup. Je n'ai pas beaucoup pratiqué Abel Her
mant, mais tel était son procédé, il me semble. Peut-être serez vous sage
de faire ici la part de ma vieille méthode empirique, qui ne vient ni de
Pontigny, ni de Bâle, ni de Barth, ni de Desjardins. Mais n'est-ce pas
d'une affaire d'art éprouvé que nous confabulons ? Par exemple, où
s'évanouit la difficulté, où l'objection disparaît, où tout est mené en
triomphe, c'est votre fin. Le Valéry 8 est magnifique et admirable de
vérité, de justesse, de sympathie I Voilà de très grandes pages, avec
l'invitation du séjour en montagne, qui sont d'une liquidité de langue,
d'une force de style, d'une douceur de sens tout à fait exemplaire, ton
familier qui n'ôte rien à la noblesse, poésie des choses et de l'âme qui
s'ajoute à la réalité. Cela est plein de grandeur, en même temps que de
bonhomie cordiàle et saine. Vos colombes et les deux colombiers, le
passé et le futur sont des merveilles. Cela a été écrit ou tout au moins
conçu dans un enthousiasme de la vie qui ne se laisse point détourner
par l'éternité, mais qui y cherche le prolongement et l'achèvement,
selon l'esprit catholique, tel que me l'a fait connaître mon enfance ou
mon adolescence, tel que je l'ai toujours aimé. Il serait absurde, il est
impossible de transférer au début cette haute et pure gerbe finale, ni
le Valéry, si pénétrant, dont elle est précédée. Mais n'y aurait-il pas
moyen de composer vo11s-111é111e, vous et nul autre, comme un portique
introductif à ces rares beautés ? Il ne serait plus fait des p1airies, des
forêts, des vénérables murailles ancestrales, même de l'amusante boîte
au t1ktrac des bonnes veillées. J'y verrais plutôt trois ou quatre belles
colonnes de marbre blanc ou coloré comme un Poeci le, par lesquelles
vous imprimeriez la même vie puissante, le même élan aérien aux prin
cipes sublimes dont vous êtes plein. Bien entendu, il ne s'agirait pas
de répéter la formule, mais d'abord d'en chanter la gloire et l'autorité.
Paulhan y serait nommé, bien entendu encore I Mais non interpellé,
ni discuté. Vous vous tiendriez au simple niveau du ciel supérieur et
des planètes satellites. Là aussi, le lecteur marcherait. Ce ne serait pas
forcément étendu, ni trop écourté. Ce que peut soutenir d'allusions
pieuses à de grandes idées générales le client d'Herriot. Cela existe.
Passez-moi cette chimère, si c'en est une, et soyez certain que le livre
est fort bon sans elle. Je ne songe qu'à le défendre contre Momus et
les campagnes d'étouffement. J'oublie de vous dire que les appendices
sont excellents, l'un de distinction synthétique, l'autre d'analyse aiguë.
Mais j'attendais un petit arrêt au fameux rien moins et rien de moins :
est-ce élégance? Mes respectueux hommages à Mme Henri Rambaud,
mes amitiés à vos fils. Mille amitiés à vous et pardon de tout!
Ch. M.
A HENRI MASSIS
20 mai 1 9 5 2.
A PIERRE VARILLON
z juin 1 9 5 z .
1. L'amiral Fcrnct.
CLINIQUE SAINT-GRÉGOIRE A SAINT-SYMPHORIEN 339
A JACQUES MAURRAS 1
Saint-Symphorien 2 8 juin 1 9 5 2 .
1'. Lettre lue par Jacques Maun:as à la grande réunion provençale qui a eu lieu à Saint
Martin�de Crau le 29 juin 1952.
LEITRES DE PRISON
Quand li baro1111 picard, alemand, bo11rg11igno1111,
S""avon To11lo11so e Bèu-Caire, -
Tu q11'emp11rères de tout caire
Contra li négrï cavaucaire
Lis ome de Marsiho e li fiéu d'Avigno1111,
Pèr la grandour di remembranfo
Tu (jflC nous sauves l'esperanço,-
T11 que dins lajouinesso, e plus caud e plus bèu,
Mau-grat la mort e l'adapaire,
Fas regreia Jou sang di paire,·
Tu qu'ispirant li do11s troubaire,
Fas pièi mistraleja la vo11es de Mkabèr,,
Car lis oundado seculàri
E si tempèsto e sis esglàri
An bèu mescla li pople, escaja li co1111fin,
La Terro maire, la Nalllro,
Nollrris tolfio11r sa po11rtaduro
Dot1 meme la : sa poussa duro
Tolfiour à l'oulivié dounara l'oli fin,·
Amo de-longo renadivo,
Amojouiouso et fièro e vivo,
Qu'endihes dins 1011 brut dôu Rose e dôu Rousau !
Amo di sé11110 ar11101111io11so
E di calanco souleiouso,
De la patrio amo pio11so,
T'apelle / encarno-te dins mi vers pro1111enfa11 1 !
Observation. Je crois inutile d'ajouter un mot au texte de Mistral.
Peut-être sera-t-il courtois d'en réciter d'abord une traduction à
l'usage des Parisiens. Tu la trouveras dans n'importe quel exemplaire
de Calendal, aux premières pages. Seulement, il faut, selon moi, traduire
1. • Ame de mon pays, toi qui rayonnes, manifeste, dans son histoire et dans sa langue ;
quand les barons picards, allemands, bourguignons, pressaient Toulouse et Beaucaire, toi
qui enBammas de partout, contre les noirs chevaucheurs, les hommes de Marseille et les
fils d'Avignon,
• Par la grandeur des souvenirs, toi qui nous sauves l'espérance; toi qui, dans la jeunesse,
et plus chaud et plus beau, malgré la mort et le fossoyeur, fais reverdir le sang des pères ;
toi qui, inspirant les doux troubadours, telle que le mistral, fais ensuite gronder la voix de
Mirabeau.
• Car la houle des siècles, et leurs tempêtes et leurs horreurs en vain mêlent les peuples,
effacent les frontières; la terre mère, la nature nourrit toujours ses fils du même lait; sa dure
mamelle toujours à l'olivier donnera l'huile fine.
• Ame sans cesse renaissante, âme joyeuse, fière et vive, qui hennis dans le bruit du
Rhône et de son vent, âme des sylves harmonieuses et des golfes pleins de soleil, de la patrie
âme pieuse, je t'appelle, incarne-toi dans mes vers provençaux 1 •
CLINIQUE SAINT-GRÉGOIRE A SAINT-SYMPHORIEN 341
A HENRI RAMBAUD
9 juillet 19 5 2..
Mon cher ami, voilà qui est convenu. Calzant emporte mon exemplaire
du dernier Gide 1, et l'on en fera un compte rendu dans Aspects du point
de vue de l'hypocrisie et du mensonge naturel au sire. On éludera un
peu la figure centrale qui me dégoûte toujours beaucoup... Quant à Kemp,
c'est le critique qui veut embêter les autres et qui s'embête surtout lui
même. Avez-vous lu son << Massis ,? C'est le même état d'esprit 2• Mon
<< spinozisme » 1 C'est trop beau I Pour le Cimetière marin, je peux vous avouer
que c'est à peu près le seul poème de Valéry �ui m'ait plu très médio
crement. Ses « focs picorateurs >> de la fin m ont paru du pittoresque
très forcé, ses Zénon, Zénon d'EJée n'ont point eu d'écho dans mon âme 3,
et l'ensemble me fait trop penser à quefque candidate au bachot de phi
losophie munie de son plumier, de son encrier et de son petit manuel de
l'histoire des physiciens d'Ionie, sans oublier les idéalistes. Bref ce
valérysme:..là [dégénère] en un Sully-Prudhomme moins acrobate et
moins précis. Heureusement il y a Palme, et tant d'autres merveilles
qui pensent et qui chantent. Resterait au Kemp la charge de montrer
quelles analogies il découvre entre le Cimetière marin et mon Colloque 4 •
Paix à Kemp, il est embêté. Je n'ai pas vu le Lalou cité dans Aspects,
dont l'article est bon, me semble-t-il. Mais le pompon reste au vôtre 5
et de combien de longueur et de hauteur 1
1. Seconde édition de L'Envers dM ]0111'114/ rk Girk, augmentée d'un important post-scriptum.
2. Robert Kemp venait de publier dans us No,n,el/e.r Uttéraires (3 juillet 1952) un article
sur La Bal- intlri111re. Il avait également consacré l'un de ses feuilletons au tome 1er du
livre d'Henri Massis : Maurras et IIOlrt lllllj)s.
3. Cf. u Cimetière marin :
Ce toit lramp,ille oil picoraient rks focs !
Zémn I Cr11el Zlmn I Zémn d'Elée !
4. Le Colloque des Morts (Œ. La Musique intéri111re),
5. La Revue des Deux Mondes venait de publier (1er juillet 19s2) un grand article
d'Henri Rambaud sur La Balance inllrimre.
342 LETTRES DE PRISON
« balance » les imaginations et les rêves que nous nous pouvons former·
de la Mort, et il me reproche de n'avoir pas une doctrine! Ce garçon
est fou de bêtise. Mais if écrit en français I Rare! rare 1
A MARCEL COULON
zz juillet 5 z.
Mon cher ami,
Cet étonnant Fressard avait mis tant d'instances à me demander
<< une commission >> pour nos amis de Beaucaire, Tarascon et Nîmes que_
ma foi, la certitude de lui faire plaisir me décida à le charger de ma
Balance pour vous. Il'ne s'était pas vanté. Quel homme sincère et fidèle!
Je ne lui donnais pas ces quatre-vingt-cinq ans, mais doutais un peu de
ses jambes sinon de son cœur. Rien ne l'arrête. Que le monde est divers 1
Qu'il est donc beau ! Merci de l'ode XXVII : traduire Horace est de mes
exercices préférés. Mais je n'avais pas votre courage du mot à mot -strict
et chantant. Je ne me défends pas de flotter autour du texte et même du
sens. J'ai essayé de recommencer votre travail. Vous verrez quelles fan
taisies je me permets. Non, je n'ai pas le Moréas Athénien de 1 878. Ne
le passez pas_ à un autre. Oest de moi qu'il fera, comme vous clites, le
bonheur. Votre ancien article sur Vérité et Poésie doit paraître dans le
second volume de cette série que Lardanchet annonce. Si vous écrivez
sur la Balance « la valeur d'un article », n'ayez souci de la tribune, je serais
heureux de vous la trouver.
Merci mille fois de tout. Oui, de cervelle et de cœur, à vous .
. CH. MAURRAS
1 . Le « Mur des Fastes • où sont énumérés les titres de gloire de Martigues.
2.. La traduction du chapitre sur Maurras dans le livre de l'écrivain italien Dino Fresco
baldi sur l.A Conlre-Rivollllion.
344 LETTRES DE PRISON
A MARCEL JUSTINIEN
2 août 1 9 5 2.
6 août 1 9 5 2.
Ma petite Ninon,
Tout bien, comme dit ta dépêche. Tout bien ! Ta sabbatine ne m'avait
pas désespéré, car j'avais les moyens de reconstituer à peu près la page
manquante. Mieux vaut qu'elle ne manque pas. Mais j'avais cru tout
d'abord que tu avais été injuste pour le vent et que le véritable auteur
du rapt était quelque pie borgne d'une maison voisine, il doit en rester
quelques-unes à Marseille . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .
Je ne suis pas encore au Castel fleuri. On semble désirer ici un nouveau
bail, et j'ai tant à faire que l'idée de déménager ne me sourit pas trop pour
le moment. Et puis, grâce à la médication énergique du couvent, le pied
va.....de mieux en mieux, et cela compte aussi. EnJecevant le ]osso 3,
Michel m'a téléphoné sa joie. Elle lui était bien due après tant de traver
ses I Ceci me ramène au mot de Mlle de R. 1 • Sois sûre que les malédictions
de J. G. viennent en ligne directe de la rage où je la mets, en faisant l'éloge
de ton travail, des services que tu me rends et même de ta personnel. ..
La dernière de T. 2 : son volume est beau et bien fait, sauf qu'il a omis
la signature de ses auteurs! Elle n'est donnée qu'à la fin, dans une table
des matières qui a l'air d'une table d'excuses, et comme il n'y a pas de
titres non plus, et que les morceaux ne sont séparés que par une page
blanche, la tête de Maurras se prend dans les pieds de Fernet, tandis que
ses pieds heurtent la tête d'Isorni l Je redirai à Calzant la nécessité de faire
parler de << Groumandugi ». Les Calzant t'ont beaucoup regrettée diman
che dernier. Fais mes amitiés à la ronde. Je vois que Jean-Oaude s'est
donné du mal pour ma page 1 67. Remercie-Je pour moi. Avec Jeannette
et les autres, je t'embrasse, ma petite Ninon, en te demandant de m'écrire
quand tu seras au bout de tes peines, je t'embrasse encore, l'oncle impa
tient.
CHARLES MAURRAS
A MARCEL COULON
24 août 1 9 5 2.
1. Mlle de Ribbes (cf. plus haut, la lettre du 3 janvier 1948). - J. G. : cf. plus haut, la
lettre du 3 avril 1947.
z. L'éditeur Lanauve de Tartas. Il s'agit de l'ouvrage collectif qui a pour titre : E.n atten
dant Dowmmont.
3. Ses amis Pablu de Lessert, qui habitaient Saint-Cyr-les-Tours, avaient mis à sa dispo
sition une serre-biliothèque dans leur jardin situé au-dessus de la Loire.
LETTRES DE PRISON
coïncident que par hasard, et alors le mot à mot paraît nu. Heureux
homme qui sautez à pieds joints sur un tel obstacle!
Encore mille fois merci et de tout cœur à vous et ct1m spiritu 1110, comme
aimait à écrire Mistral.
Votre
CH. MAURRAS
A HENRI RAMBAUD
24 août 1 9 5 2.
Votre
CH. M.
Je suis content que la Lettre à Paulhan vous soit bien arrivée.
Chère madame,
2.8 août 1 9 5 2..
A défaut d'une visite que je désirais de toute mon âme et qui n'a
pas été possible, vous auriez dû recevoir une première lettre du libéré,
comme l'action de grâces nécessaire pour toutes les bontés que vous avez
prodiguées au vieux prisonnier durant tant d'années, votre merveilleuse
et très délicate organisation du bienfait, pour son ingéniosité constante
et toujours renouvelée, comme une surprise qui renaissait de semaine
en semaine...
Et c'est vous qui me prévenez ! Je suis plus que confus, honteux au
delà de tout.
Ma seule excuse est que, depuis Je 2. r mars, date de ma sortie de
Troyes, j'ai été bousculé par une suite de besognes immédiates entre
lesquelles il n'était pas un instant de repos.
Une correspondance politique insensée, un affiux de visites plus heu
reuses les unes que les autres, mais où le temps fondait comme neige au
soleil. Cette quarantaine de jours a passé comme une heure, au point de
me donner figure d'ingrat et d'oublieux;
1. Le Figaro littéraire avait interrogé les auteurs dramatiques sur les échecs qu'ils avaient
connus au théâtre et H. Rambaud avait transcrit à Maurras ces quelques lignes de la réponse
d'André Roussin, parue dans le numéro du 16 aoftt 1952 :
« Ce qui rend le théâtre si intéressant, c'est que tout y est possible et qu'il ne faut pourtant
« pas méconnaître un certain nombre de « lois • impossibles à formuler. Autrement dit, rien
« n'est interdit à l'a11teur et tout ne lui est pas possible. •>
LE'ITRES DE PRISON
Mais non, je n'oublie pas ce qui ne cesse de rouler en moi, toutes les
merveilles de l'amitié dont vous étiez le centre et qui passait par vous,
chère Madame, par vos · soins, par vos attentions constantes, avarit de
s'épanouir dans la lumière de ma prison.
Je vous prie de vouloir bien être assurée de ma mémoire très recon
naissante et d'agréer avec mes remerciements, les respectueux hommages
que je mets à vos pieds, en même temps que mes plus vives amitiés
d'esprit pour M. de Lassus, votre complice!
CHARLES MAURRAS
A ÉMILE HENRIOT
3 septembre 19 5 2.
Monsieur et cher confrère,
Je tiens à vous dire tout de suite le grand, le très grand plaisir que m'a
fait votre article sur ma Ba/m,ce intérieure 1 parce que j'y ai trouvé, supé
rieur aux contingences de la vie extérieure, l'humaniste et le poète
critique avec qui tant de rencontres heureuses avaient été faites, depuis
le temps lointain des polémiques littéraires sur le romantisme jusqu'à
l'âge un peu plus moderne de la Porteuse de figues en gare de Caronte et
du train de Marseille 2 1
Car, là on peut causer; là des rapports humains peuvent être tenus
par-dessus des abîmes de divisions matérielles, et quels passages magni
fiques nous donnent les grands aïeux, quelles incomparables passerelles
nommées Mistral, Virgile, Homère, Térence, notre cher Lucrèce et cet
Horace que vous tenez toujours un peu à l'écart. Hélas I Je voudrais
être mon vieux maître Anatole France pour vous fredonner, comme
il me le fit un jour, avenue Hoche 8, comme nous y marchions ensemble,
le Sic te diva potens Cypri sic fratres Helenae, llldda sidera... vous vous
rendriez certainement à cette harmonie.
· Pour moi, j'ai médité longtemps sur le secret de l'Ode d'Horace, consi
dérée comme une merveille qui doit avoir une « recette » qui n'est pas
retrouvée. Ce dissentiment est peu de chose en comparaison des grands
accords et, par vos citations, je vois sur quels points sacrés ils portent.
Bref, l'essentiel ! Encore une fois merci. Car je ne crois pas devoir me
1. Article. publié par Emile Henriot, dans Ja Vie Littmire du Monti,, le 3 septembre 1952,
et recueilli dans M.a/1re1 d'hier et Conümporai,u. Paris, 1956.
2. a. plus haut, la lettre du 14 juillet 1950.
, . Chez Mm8 Arman de Caillavet.
CLINIQUE SAINT-GlIBGOIRE A SAINT-SYMPHORIEN 349
A HENRI MASSIS
16 septembre 1952.
AU MEME
20 septembre 195 2.
AU MSME
2.1 septembre 195 2. .
AU AŒME
2.2. septembre 195 2. .
AU MP.ME
.25 septembre 1 9 5 .2 .
1. Chanter pour ma mie, ces mots sont ceux du refrain du célèbre chant pyrénéen.
2. Prove11faux et catholiques••• notrefoi n'a pasfaibli est le début du refrain du cantique popu
laire provençal de Malachie Frizel.
3 54 LEITRES DE PRISON
sais plus I Mes o étaient devenus a et la graphie en avait été compliquée
à plaisir. J'eus tant d'humeur que je ne donnai aucun signe de vie ni
de gratitude à mon correspondant 1
Autre chose, et celle-là énorme : dans son excellente brochure sur
l'union latine, M. Marcel Carrières prétend que Mistral a dit dans l'Ode
à la race latine
Ali batedis de ta pensada
As esclapat cent cops li reis 1•
Mistral n'a jamais dit ça! Mistral disait pensado et ne mettait point
de t ni d's à esc/apa, à cop ni à rei. Et je n'ai pas entendu dire que les
Italiens de Vénise ou de Messine aient corrigé le toscan de Dante pour y
ajouter les signes de leurs dialectes du nord ou du sud. Ces fantaisies
passent l'imagination. Ce sont de vieilles folies. On veut singer les
troubadours. Mais ces troubadours sont des pionniers, des découvreurs,
des initiateurs. Ils ont engendré saint François, Dante, Pétrarque. Mais,
eux n'ont pas laissé grand-chose qui vaille, leurs disciples les ont absorbés,
engloutis, recouverts, et ce n'est pas avec cette littérature morte que l'on
fera circuler et que l'on propagera la. poésie vivante qui part de Mireille
et qui aboutit à Joseph d'Arbaud. De grâce, un peu d'attention et de
gratitude pour ces Maîtres qui constituent le grand titre de notre temps
et de notre patrie ! C'est avec de l'action, c'est-à-dire des œuvres, qu'une
langue se réveille; les subtilités de grammaire et d'orthographe si elles
sont parfois utiles ne viennent qu'après, et celles que l'on distribue avec
tant de zèle à Toulouse ne font que compliquer et redoubler nos diffi
cultés. Je ne saurais trop vous dire combien les soucis des majoraux me
paraissent fondés, graves, essentiels même. Il m'est assez égal que
Sully-Peyre se soit ou non occupé du félibrige. Là, il a raison. Il a
couru au secours du Capoulié et du consistoire sur deux points essen
tiels : a) La négligence ou plutôt le véritable mépris des productions
multipliées depuis 18 5 9 par une multitude de poètes, les uns très dis
tingués, les autres très grands (Paul Arène n'est pas encore à sa juste
place), et pour la plupart apparus en Provence ou en terre rhodanienne,
car enfin c'est là-dessus que tout fonde, et, b) la mise en train d'une graphie
qui, 1 sera antiprovençale, par le sacrifice de l'o à l'a, et 2. 0 suichargera
°
A XAVIER VALLAT
10 septembre 1 95 z.
rai Ambert, SIIÏte. Mais enfin l'encyclique de Pie IX n'a pas inventé cette
formule. Elle était connue de pas mal de théologiens. Il aurait pu suffire
d'un prédicateur de mission un peu érudit ou original pour que le mot
ait frappé l'oreille et l'esprit de la bergère. Evidemment ce n'est qu'une
supposition? Mais elle est moins forte, moins démesurée, moins dispro
portionnée que celle qui émeut le Ciel et la Terre et fait traverser les
espaces infinis à des êtres semi-divins. Les maîtres scolastiques disaient,
à la suite d'Aristote, que la conclusion ne doit pas être plus grande que
les prémisses. Ici, elles sont toutes limitées à notre horizon et votre
conclusion les déborde et les crève toutes par une effusion des neuf cieux.
Vive donc le repentir de Froshdorf 1 1 Je ne sais pas d'histoire plus
émouvante ciue celle de ce vieux fils de France en qui la passion et la
passion religieuse créait un sentiment civique ! On aurait tort de croire
que ce fut de sa part chimère pure. Je me rappelle très bien ces années
1 8 80-82., l'indignation causée par l'article 2., la véritable fureur allumée
par l'expulsion des Pères. La Marianne d'alors n'était pas même sûre
de ses fonctionnaires. A .ia porte des Jésuites, rue Lacépède, où la voix
pointue de l'avocatH. Boissard 2, le père, criait aux crocheteurs : Messieurs,
vous encourez. les travaNX forcés I Messieurs, vous risquez. les galères I Le
serrurier et le commissaire de police reculaient. On faisait appel à la
pègre révolutionnaire. Des gens du peuple sortaient de la foule pour
crier aux soulauds et aux mendigots : << Nous vous avons vus mendier
et accepter le pain des Pères. Hou ! Hou 1 >> Le gros chanoine Mille 3 avait
tiré un Lutrin du siège de Frigolet, mais c'était après. Avant et pendant,
on ne badinait pas, et 3.000 hommes de troupes avaient été amenés de
Marseille pour exécuter la décision. Avez-vous lu les souvenirs de
l'abbé Klein 4? Ils attestent que, dix ans plus tard, au toast d'Alger, les
hauts fonctionnaires militaires et civils furent de glace, tant ce régime
était branlant et son avenir incertain I Le prince impérial était mort en
1 878, les princes d'Orléans se tenaient tranquilles, Henri V avait au moins
un conseiller de premier ordre : La Tour du Pin, l'aventure pouvait
être courue, d'autant que les querelles républicaines Gambetta, Grévy,
Oémenceau, Ferry n'avaient pas cessé d'étonner et de scandaliser,
comme le prouvèrent les élections de I 8 8 5 .
Savez-vous encore ceci (pour la légitimité des Orléans)? En sep
tembre 1 883, le jeune duc d'Orléans devait aller chasser à Froshdorf
(ou à Gôritz), et Je comte de Chambord avait envoyé à Paris son fameux
Mercredi 8 octobre 19 5 2.
Ma petite Ninon,
Vive toi, vive nous ! car j'ai ta dépêche. Moi qui me morfondais
sachant que Chauvet 2 devait être lùer à Paris, et qui me demandais
comment le charger du précieux fardeau 1 Et ça y est ! Tout seul 1 Donne
moi des nouvelles de Jeannette. Qu'a dit l'examen? Oui, Jacques est
de retour. Et je voudrais bien que tu le sois aussi et que tu accompagnes
Michel. Mais ce ne sera pas possible si Jeannette a besoin de toi. Com
bien je désire son rétablissement rapide 1 Pour ces raisons et pour d'autres,
autrement importantes! Elle s'est beaucoup fatiguée et inquiétée, tuée de
soucis. Dis-lui que son vieux parrain s'en est toujours douté ...
Je vous embrasse tous, toi première et dernière 3•
1. Le poète Charles Forot avait fait remettre à Maurras, par Xavier Vallat, la copie d'une
suite de poèmes où sa Poétique se formule en pentamètres.
2. Pierre Chauvet, son ami marseillais. - Le précieux fardeau était la copie dactylogra
phiée de Votre bel aujourd'hui,
3 . Cette lettre est sans doute une des dernières que Charles Maurras ait écrites. Il est mort
le 16 novembre 1952. (Le chanoine Cormier, le 13 novembre, lui avait administré les
derniers sacrements à la clinique Saint-Grégoire.)
ANNEXE I
catholicisme que j'ai dû mes plus· grands amis dans le monde ecclésias
tique français et romain. »
P. 13r. - Sur l'influence que Schopenhauer avait eue pendant la jeu
nesse de Maurras :
« Schopenhauer m'avait certainement aidé à vérifier le vide prodi
gieux de� « trois sophistes », comme il appelait Fichte, Schelling et Hegel,
et de leurs divagations unilinéaires. Ce pessimisme salubre m'avait
aussi gardé du culte de la vie (plus l'être s'élève, plus il souffre). Je
m'étais, en même temps, dégagé, par moi-même, de l'adoration alter
nante des abstractions personnifiées et des entités sans réalité qui encom
braient notre imagination scholastiq_ue, Idoles et Nuées, sur la foi
desquelles (tantôt l'une, tantôt l'autre) on se figurait devoir accéder au
bonheur. A partir de cette critique rigoureuse, il n'était plus possible
d'adhérer à la bacchanale du Scientisme et, sans admettre le moins du
monde la faillite de la Science, on songeait à tempérer la science par la
sagesse. Quelques hautes satisfactions contemplatives que l'esprit
humain en pût recevoir, on voyait bien qu'il n'y avait aucune raison de
penser que le genre humain dût se sauver par aucun progrès de ce côté-là
ni d'un autre I La Nation, l'Etat, l'Eglise même pouvaient négliger de
faire la police de ces rêveries subjectives, mieux valait ne pas supposer
que nous fussions sur le point de devenir des Dieux par l'entremise de
quelques logomachies. »
P. 162.. - A propos de son maître Mgr Penon :
« Sur la personnalité et l'influence de Mgr Penon, l'on se tromperait
de beaucoup en imaginant un esprit systématique. C'était surtout une
âme sensible au beau et communicatrice de l'enthousiasme du beau.
Elle m'a donné tout d'abord la certitude du beau et (je l'ai raconté)
quand je doutais de tout, même de la géométrie, quand tout se dérobait,
il me montra, comme un point fixe indubitable, le beau de la poésie,
le beau des idées; voilà son action, elle fut révélatrice. Mais il ne faut
pas confondre cela avec un travail de mise en ordre qui n'eut lieu que
plus tard, et que je fis seul. C'est faire fausse route que d'en faire le deus
ex machina de mon retour ou de mon accès à l'ordre. J'étais seul à Paris,
je me noyais, j'ai appris à nager pour échapper à la noyade, d'abord
sur la mer des sentiments et des sensations littéraires, puis sur l'élément
politique et social. »
P. 2.47. - « La présence de Faust 1 dans la poésie de Maurras peut
étonner au premier abord », avait écrit M. Roudiez, et Maurras de répli
quer :
« L'étonnement manifesté sur la question de Gœthe et de Faust
1. Cf. La Ba/anç1 inllrieur,, Livre Jer : 1. C_yc/1 d, FaNSI 11 dl P.rychl; II. Cycle dl Faust et
d'Hl/;ne.
ANNEXE I
m'étonne à mon tour. Si notre poétique était née d'un simple chauvi
nisme méditerranéen, il serait scandaleux en effet de nous voir parler
de Faust aussi naturellement que de Tityre et de Mélibée. Mais ce chau
vinisme est imaginaire. Le Faust de Gœthe et, en général, l'esthétique
de Gœthe, nous sont toujours apparus, bien que de langue et de race
germaniques, comme des œuvres et des idées :lassiques, dans lesquelles
l'esprit humain se reconnaît comme en des miroirs dignes de lui. Quelle
merveilie y avait-il à parler et à agit selon ce sentiment naturel? On
peut dire, il est vrai : « Vous comptez bien peu d'œuvres de ce gerue hors
du monde gréco-romain. • C'est vrai. Mais y en a-t-il donc tant que cela?
C'est la question. •
P. 2 5 6. - Maurras ayant un jour écrit : « Philosophie, critique, sou
venir� de mes meilleurs maîtres, tout cela, je le sens, demeure en moi à la
merci d'un rythme heureux », M. Roudiez en concluait qu'en poésie et
en critique il ne suivait pas toujours ses propres règles à la lettre. Et
Maurras de lui répondre :
« Faut-il bien voir un aven dans ces lignes? Dans le langage, surtout
écrit, il y a toujours quelque chose d'incommensurable entre l'expres
sion d'un sentiment et une règle abst:1.aite, qu'il s'agisse de la confirmer
ou de l'offenser. La primauté fondamentale du plaisir n'a jamais été
perdue de vue par son dogmatisme le plus acéré. Mais l'homme juge
son plaisir. C'est ce que ne fait pas l'animal. Je verrais volontiers des
_complémentaires là où vous signalez un aveu de contradiction. &
P. 260. - M. Roudiez ayant pensé que pour Maurras, jeune étudiant
à Paris, le fait d'avoir songé à une licence d'histoire était pour quelque
chose dans ses premiers rapports avec Alexis Delaite, qui dirigeait l'Ecole
de la Paix sociale, Maurras lui précise que son entrée sur le terrain de
la sociologie fut beaucoup plus fortuite :
« Il n'y a rien de commun entre l'excellent accueil de M. Delaire et
mes premières études d'histoire. Lorsque, à la fin de 1885, nous avions
quitté la Provence, nous emportions une énorme liasse de lettres d'intro
duction et de présentation. Nos amis d'Aix, de Marseille, de Nîmes et
autres lieux s'étaient donné le mot pour nous confier des moyens de
joindre des personnages de la presse ou du monde parisien. J'en avais
pour le secrétaire perpétuel de l'Académie française, M. Gaston Baissier;
j'en avais pour Ernest Daudet, frère d'Alphonse Daudet; j'en avais
aussi pour le président général des Conférences de Saint-Vincent-de-Paul,
l'excellent M. Beluze, qui avait épousé une Aixoise, et c'est ce dernier
qui avait failli me rendre tout de suite le service que je désirais.
« En effet, M. Beluze me proposa de m'introduire au grand journal
religieux le Monde, avec un article sur Tartarin sur les Alpes
d'Alphonse Daudet, mais en me demandant d'ajouter une réserve cri
tique relative à Sapho, qui avait paru l'année précédente. Je ne pus me
LETTRES DE PRISON
résoudre à écrire une phrase restrictive sur ce très beau livre, et mon
entrée dans la presse quotidienne fut retardée de deux ans.
« J'aurais pu avoir un accès plus facile encore à cette même presse si
j'avais voulu d'un journal de gauche. Le directeur du Siècle, président
de la presse parisienne, M. Philippe Jourde, était aussi conseiller général
de Martigues, vieil ami de mon père. Sa femme était liée avec ma mère
qui ne manqua point de la voir à son arrivée à Paris. Mais cette filière
était exclue pour moi. Sans avoir d'opinion politique bien marquée,
je ne me souciais pas plus de devenir rédacteur au Siicle que d'écrire du
mal de Sapho.
« Il y avait dans ma liasse une lettre pour M. Delaire, et celle-ci eut
un plein effet immédiat, Soit qu'une place à la RI/orme Sociale se trouvât
vacante, soit que l'on y fût en quête de jeunes gens disposés au travail,
soit par effet de la cordialité naturelle de M. Delaire, homme très dis
tingué, ancien élève de l'Ecole Polytechnique comme Le Play et très
dévoué à la doctrine de son maître, tous mes articles furent reçus et
publiés sans retard. C'est par là que je pénétrai à l'Observateur Fran;ais.
Le lien qui s'était formé entre M. Delaire et moi ne se rompit qu'à son
lit de mort où j'allais le saluer. •
P. 264. - Songeant à ses vieux articles de la Ri/orme sodale (1 8 86-1 891)
où il signalait le danger qu'il y avait à mêler la politique et la sociologie,
Maurras écrit à M. Roudiez en 1 9 5 0 :
« J'ai longtemps tâtonné dans ma distinction du Politique et du Social...
Je brûlai, j'avançai vers le bon chemin, je n'y étais pas. Ce qu'il fallait
voir, c'était, d'un côté, toutes les misères, toutes les plaies, toutes les
revendications et les agitations nées du m,e/ régime du travail au xrxe siè
cle, mais, de l'autre côté, le facteur démocratique et spécialement la
démocratie élective qui versait surtout du vitriol sur toutes ces douleurs,
loin de s'appliquer à les apaiser ! Le régime du travail est inhumain,
il pose de durs problèmes. Mais la démocratie a pour effet fatal d'en
empêcher la sol11tion, ne serait-ce que par l'enchère perpétuelle que les
partis rivaux montent entre les classes. C'est en cela que le Politique
intoxique et meurtrit le Social. Il existe une profession de gens qui
vivent du désordre civil et qui prospèrent à préparer la guerre civile.
Comment voulez-vous y voir naître Ia paix? •
ANNEXE II
ANNEXE II
Mais toujours page 64, il n'est pas tout à fait exact que nous ne nous
vissions plus « comme autrefois >>. Nous nous rencontrions toujours
beaucoup chez les Courville qu'il connaissait, je crois, par le frère de
ANNEXB II
1. L'.A&tion fra11faise appelait ainsi le commentaire quotidien qu'elle faisait de l'article 445
qui avait servi à la Cour de cassation pour casser le jugement du Conseil de guerre de Rennes ;
ce tribunal militaire avait à nouveau condamné le capitaine Dreyfus, lors du procès en revision.
2. Baron Eckstein (179<>-1861). Danois d'origine, converti .au catholicisme, cet écrivain
allemand fut, sous la Restauration, mêlé à toute la vie intellectuelle de l'époque. A sa mort
Renan écrivait de lui, dans le ]011r1111/ des Dibats, que sa foi • s'appuyait sur ces vérités qui
dominent la mon, empêchent de la craindre et la font presque aimer •· Ce sont là les derniers
mots de la dédicace de la Vi, de Jlsm à Henriette, la sœur de Renan.
ANNEXE II
par celui des opérateurs de la linotype qui parvenait à lire mon écriture
avant que le pauvre Tissier de Mallerais 5 y eût été préposé. Notre dialogue
fut insignifiant. Lui, prétendait faire de toute question une affaire
personnelle sur mes intentions et mes volontés. Pour lui apprendre à
vivre, je le bousculai un peu. Nous en restâmes là. Je lus son livre
Mesure de la France (d'après lequel la guerre avait été un sport glorieux)
et j'y trouvai plus de goût du paradoxe qu'autre richesse.
P. z68. - Merci du Malraux et de son « crever en donnant sa me
sure >>. Je ne l'ai pas revu depuis Mlle Monk 6 !
P. z78. - « Le fidéisme sans substance >> 7, comme c'est ça! Et puis, et
puis encore, une nouvelle reprise, un nouveau retour sur une page
oubliée, celle que j'aurais dû vous prier de rectifier la première, la grosse
erreur des pages 38 et 39 qui me fait avoir exercé une action intellec
tuelle sur France. Ah! non ! Songez aux dates. J'ai pu exercer une in
fluence indirecte ou un entraînement relatif sur Barrès, c'était tout
naturel. Mais France! Je l'ai connu en 1890, il était alors plus royaliste
x. Il s'agit ici de Jacques Roujon, fils d'Henri Roujon, et de son livre : LA vie el les opinions
d'Anatole France. Paris, x92j,
.
INDEX ALPHABETIQUE DES DESTINATAIRES
DES LETTRES PUBLIEES
MARTIN Marie-Madeleine, 1 1 7.
MAss1s Henri, 143, 2.70, 2.82., 2.94, 309, 3 1 5, 32.8, 3 3 7, 3 5 0, 3 P , 3 5 2. .
MAURRAS Hélène, 33, 45, 47, n, 60, 62., 68, 70, 71, 72., 8 5 , 86, 87, 89, 90,
92., 93, 94, 105, 106, 109, I l 9, 1 2. 1, 1 2.4, 1 3 5, 1 50, 1 59, 162., 164, 166, 171,
1 84, 1 8 8, 1 89, 191, 196, 2.08, 2.27, 2.3 1, 238, 2.41, 2.5 2, 2.61, 2.68, 2.73, 2. 74,
2.79, 2. 80, .282., 2.93, 300, 3o7, 3 3 1, 3 3 2, 344, 3 5 7·
MAURRAS Jacques 49, H, 61, 63, 64, 65, 66, 67, 73, 78, 80, 88, 91, 95, 107,
167, 168, 175, 178, .201, 2.07, 2.08, 3 3 9·
MORAND (Mme Paul), 1 5 3, 2.2. 5, 3 34·
PÉLISSIER Jean, 1 34, 342. .
PRÉFET de l'Aube, 2.86 .
RAMBAUD Henri, 7, 1 5, 1 6, 30, 38, 2.89, 2.91, 308, 3 10, 3 1 4, 3 1 9, 32.1, 3 3 5, 341,
346.
RÉAL DEL SARTE Maxime, 2.88 .
RÉDACTEUR des Études, 305 .
RoumEZ Léon S. , 98, 198 .
SAINT-PONS Louise de, 2.2.9 .
SALAZAR (Président Antonio de Oliveira), 2.61 .
SÉRIOT (Dr Pauline), 2.37 .
SURVEILLANT-CHEF de la Prison Saint-Paul, 2.7.
VALLAT Xavier, 1 74, 185, 198, 2.00, 2. 1 5 , 2.33, 2.49, 2.63, 2.83, 30 1, 31 6, 3 2.8, 3 5 5 .
VARILLON Charles, 143 .
VARILLON Pierre, 2.5 , 2.9, 69, 76, 96, 140, 145, 149, 1 5 7, 3 3 8 .
TABLE DES MATIERES
AVERTISSEMENT • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • • 5
Lettre à Henri Rambaud . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
Lyon. Prison Saint-Paul Saint-Joseph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13
Riom. Maison Centrale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31
Clairvaux. Maison Centrale. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83
Troyes. Hôtel-Dieu, Clinique Gorecki . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 2.77
Saint-Symphorien-les-Tours. Clinique Saint-Grégoire . . . . . . . . . . 32.3.
ANNEXE I . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .. .· . . . . . 359
ANNEXE II . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 36 5
INDEX ALPHABÉTIQUE DES DESTINATAIRES DES LETTRES PUBLIÉES . 3 73
ŒUVRES CAPITALES
de
CHARLES MAURRAS
ŒUVRES CAPITALES
en 4 volumes in-8
Édition limitée à 5 500 exemplaires
dont 5 00 numérotés de I à 5 00 sur vergé pur fil
des Papeteries d'Arches
5 ooo numérotés de 501 à 5 ooo sur vergé
des Papeteries de Guyenne "
illustrés de 16 pages hors-texte en phototypie