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africain. Ils f ignoraient. C'est un f,ait ! Au cours T
de ces séjours en France, rnon pêre ne prit !
jamais le chenein de la rue des Ecoles oü la I
revue Présence africaine sortait du cerveau a
d'Alioune Diop. Comme ma màre, iI étart a
convaincu que seule la culture occidentale vaut
la peine d'exister et il se montrait reconnaissant a
envers la France qui leur avait perrnis de l'obte- Ma naissance I
nir. En mêrne ternps, ni l'un ni L'autre n'éprou- I
vaient le moindre sentiment d'infériorité à cause t
de leur couleur. Ils se croyaient les plus bril- t
lants, les plus intelligents, la preuve pat neuf de rndifférent cornrne à son habitude, mon pêret
1'avancement de leur Race de Grands-Nàgres. fi'avait pas de préférence. Ma màre, elle, déúraitl
Est-ce cela être << alién é >> ? une fille. La famitle comprait déjà trois filles ero
quatre garçons. Cela égaliserait les camps. passéa
Ia honte d'avoir été prise, à son âge respectable,f
en flagrant délit d'Guvre de chair, ma rnêre ,.r-I
sentit Lrne grande joie de son état. De l,orsu*ill
rnême. L'arbre de son corps n'était pes fr'etri.I
desséché. rl pouvait en"orê porter d.s fi:uits-l
Devant sa glace, elle regardait avec ravisserfientf
s'arrondir son ventre, rêbondir ses seins. cioux)
comme rrne paire de pigeons ramiers. Tout te)
monde lui faisait compliment de sa beauté. C,est)
qu'Llne nouvelie jeunesse activait son sang, iilu-of
minait sa peau et ses yeux. Ses rides s,ãstorn-of
paient magiquernent. Ses cheveux poErssaient, )
porlssaient, touffus corrlrne une forêt et eile fai- e)r
sait sori chignon en fredonnanÊ, chose tare, une )
vieille chanson créole çlu'elle avait entendu ]
chanter à sa màre rnorte cinq ans plus tôt : s
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Sura an blan,
Ka sanmb on Píion blan
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cornrrfe si de rien n'était Sur leurs pages d'écri-
ture.
I{eureusement pour le repos, plus que le
A Sura an gri,
Ka sanmb ort toutewel*. dimanche avec Sa grand-messe devenue une
L. corvée, il y avant le jeudi. Ce jour-Là, mes ainés
?
á
Pourtant, Son état tourna vite à la mauvaise
groSSeSSe. Quand les nausées cessàrent, les
étatenit sornmés de se fanre oublier. Ma mêre
gardant le lit, montagne de chair sous les draps
lA vomissements prirent" 7a relêve. Puis, les insom-
-crampes. de toile brodée, dans la pénombre de sa
là nies. Puis, les Des mordants à crabe
tenaillaient ses mollets à les couper. A parti-r du
chambre, car toutes les persiennes restaient
lA fermées. Le ventilateur ronronnait. Vers dix
lA quatriême mois, elle fut épuisée' en nage . au heures, Gitane, chargée du ménage, avait fini
moindre mouvement. Tenant §oÍr parasot g "l de promener son plumeau sur les meubles, de
poignet sans force, elle poussait son 99T g*t batie les tapis et de boire sa éniêrne tasse de
E ia õhaleur torride du carême jusqu'à Drrbou- kiololo. E',ê montait alors des brocs d'eau
iH'.ii1ii::t
â
3
;3á?!,t ;#E':3üâ?i"1
con!és de maternité; quatre semaines _avant
I'acóouchement, six semaines apràs; ou vice =
versa. Les femmes travaillaient jusqu'à r.*t"lr]ã
:*::f:Hi.JTüà1#:fJirl?"YT;"';Hf:
pointant
en obus coiffé d,un-nombril barbare
devant elle' tandis que la bonne lui récurait le
d'un bouchon de feúllage' Ensuite' Gitane
de leur délivrance. Quand, vannée, eue arriváit ; $os
l'épongeait aveÇ un drap de bain' la farinait de
?, l'école, elle se laissait tomber de tout ";';;id;
l-
H
sur un fauteuil dans le bureau a. ra air.c'úlã,
Marie céianie. Dans son for intérieur, ;li;:;i
poudre de talc'- blanc comrne poisson qui va
frire' et l'aidait à enfiler une chemise de nút en
coton brodé avec des jours' Aprês quoi' ma
:
estimait qu,à quarante ans passés, avec ;;; màre se recouchait et somnolait jusqu'au retour
iléjà vieux-corps, on ne fait plus l'amour. C'est de mon pàre- La cuisiniàre avait beau prépater
â bon pour les jeunesses. poúant, elle ne mani-
ara festait rien de .". páíreãr p"" óí*it"Ules. Elle de pgtit9 n!1ts; blanc de poulet, vol-au-vent de
rÉ.\i ãpã"g.ãit r, ,rr"rrr'd., froni de son arnie et lui lambi, feuilleté de chatrou, ouassous à la nage,
:rlt{ aãrr.rãit à boire de t'àicoot de menthe dilué dans rna mêre, qú avait des envies, repoussait les
r,a áã lru" glacée- Sous la brülure du mélange, -ma plateaux, chagri_née :
aA mêre retrouvait sa respiration, et prenait 1ê che- Je veux des acras pisqrrettes !
r,,i,, A" sa classe. En 1''attendant, ões élêves, qui -Pas découragée, la cuisiniêre se précipitait à
á La ctangnaienÊ, n'en profitaiene pas pour-faire du nouveatr deriàre son potager* tandis que inon
J'â désordre. Têtes baissées, elles s'appliquaient pàre irnpatienté, jugeant que sa fernrne s'écou-
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t?it- trop,
r.j.dansse- gardant de trahir son humeur,
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la cassonade, en beignets.
qui môrissaient trop vite L,odeur
s'absorbait lá tecture du À/o uvelliste. de ces fruits,
avec un sentiment de libération que vers c,est s,infil trart, têtue, du,
heures de l- aprês-midi, aprês un baiser posé deux tez-de-chausrég jusqu'aux chambr"r'
à coucherr
du deuxiême étage et tournait re c@ur
vitesse sur le front moit",il quittait la chambreen de files r
coucher qui sentait la fleur^ d, orang"i et à frêres et srcurs.
l, asc
foetida er qu'il rerrouvait le grand sõteil. euelie chaque aprês-midi, vers cinq heures, r., ]
chance d'être à l'abri de t".í** il-áãg"arasse- bonnes amies oe ma mêre s,asseyaient
autour de
son lit- comme morÀ pêre, eres jugeai-ãr;;;iil.
ries ! Rêgles, grossesses, accouchemerrtu,
pauses ! Dans sa satisfaction d,être méno- s'écoutait tr9p" AusJi faisaient-e1res
un homme, iI oreille quand rna rnêre .o*ençait de ra sourde.
bornbait le torse en traversant la place ãe la geindre ü
toire. Les gens le reconnaissaient vic_ et elles rui contaient res faits de La pointe
r" p.*.r.ient baptêmes, les mariagês, res décês. : Ies ü
pour ce qu'il était: un vaniteux. ce "t fui une pé_ Éú;r"_roi, le r
riode oü, sans conrmettre rien de bien coupable, magasin de matériaux ,ce construcdoã pravel
m-ol pêre se rappro ckna des amis qu,il avait bralé coffrme une a[umette ! Des oeu.ir, a u
négligés parce qüiils déplaisaienr à ma mêre. avait retiré res co{ps carcinés de or!
reprit goüt à des tournoú de beiote ou de dorni_ Il M' Pravel, un uiàã.-pays, un sans-cJI:'n*
"i"q ", iJ
t
nos qu'elle trouvait comrlluns et fuma énormé_ sont tous, s,en moqúii pas mal.
grêve- IVrarnêre, q,ri O" ;;;# á;ú
rnent de cigares Montecristo. tááps norrrr"r ,. **;;:ú
vers son septiàfile mois, res jambes ce me ciait pas de probiêmes "" sociaux, s, y intéressait u
mêre commencêrent à enfrer. un *rtirr, elre moins gue jamais. ErIe oevãrrait à e1le-rnêrne g
réveilla avec deux poteaux striés d,un lacis se j'avais bougé dans son ventre. :
Je lui avais déco_*.
veines gonflées qu'ãtte pouvait à peinà bouger. de ché mon premier cclp de pied. Fameux
Dieu ne plaise , j,étlis *" t si, à u
c'étart le signe_grave qi'eile faisait de l,arbu_
footballeur de prãnriêre. !*rç*rr, je serais un ia
rnine- Du c9up, le docteür Méras rui prescrir.,it
re
repos absolu, finie x'école, et un iegi**
três
strict, plus _un grain de ser. Désormais, ffra rnàre
se ncurrit de fruits. Des sapotilles. Des r:t1'i'ffi ãL-;:ffi,:1t31#;ffi*:'1"#fi;
Du raisin- Des porilrnes Flance surÊo*É.bananes. ou sa berceuse. EIre avait rempli ,."ir- pãT..r'r,
ei ::ouges cornme res joues du bébé cadum.i-ondes cararbes avec mes effets et Íes faisait acÍnrirer à ü
pàre les corrrinandaii par cageoÉs enÉiers Mon ses amies- rlans I'uE, res casaques
en batiste, en ü
à un
arni, corrrrnerçant sur rês quaiã. r-a cuisiniêre soie ou en denteEe qnsi q"á--Lu chaussons
chetés au fil Dhfc, re b,rào**, res cro_ Ü
préparaii en ccmpote, au fcur a\rec ia cannerleres iI ;
et bavoirs, Ie tout en rose. Dans I,auÊre,uorrrrài:.
ies girc:ts ..r ry
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à les couches de deux qualités : en tissu-éponge lançaient des piêces à la volée. Ces jours-là, on
â ou simples pointes en coton. Dans le troisiême, ne pouvait retenir Sandrino à \a mai.son. 11 dis-
â les draps UróOOs, les courtepointes, les serviettes paraissait. Parfois, tres bonnes qui pattanent à
A de toilêtte... I1 y avait aussi des bijoux dans une sa recherche le retrouvaient enivré, les habits
) jolie boite en papier mâché : une gon'rrmette salls maculés de taches qui résistaient à la Javel.
â norn gravé, bien sür, une chaine de cou avec Sa Mais c'étant rare. En généraL, il réapparaissait à
A g..ppã de médailles pieuses, un amour de la nuit et, Sans un gémissernent, il recevait tres
Uroõt e. Ensuite, sur la pointe des pieds, les visi- raclées à coups de cuir que lui adneinistrant rnoÍl
A teuses pénétraient dani le saint des saints : la pêre.
â piàce q.ri m'était destinée, un ancien débamas Le matin du Mardi gras, vers dix heures, des
â iransfo?mé au flanc de la charnbre de mes douleurs qu'elle crut reconna?tre saisirent ma
â parents. Ma mêre était tràs fiêre d'une reproduc- rnêre : les prerniàres contractions. Bientôt, pour-
á tion de Ia Visitation, l'ange Gabriel, sa fleur de tant, elles s'espacêrent et la laissàrent tranquille.
t lys au poing, que j'ai considétée toute nlon Le docteur Mélas, quéri en hâte, assura aprês
enfance Sur uná des cloisoÍIS, et, posée Sur la
?
f, table de chevet, d'une rreilleuse en f,orme de
exalnen que rien ne Se passerait avant le lende-
main. À rnidi, ma màre mangea de bon appétit
t? pagode
L chinoise qui distillait une lumiêre rose.
Ó*p*rdant, c'étant le carnaval et La Pointe
étatt ãn chaleur. En fant, il y evant deux calr]a-
les beignets de la cuisiniêre, en redernanda
même et trinqua une coupe de vin mousseux
avec mon pàre. Eile eut I'énergie de Cornposer
F, vals. L'un bourgeois , aveÇ dernoiselles dégui- un sermon éCifiant à l'adresse de Sandrino que
sées et défitrés de chars sur La place Ce la Vic- Gitane venait de rattraper, la chernise flottant
l.?
â
toi.re ei l'auÉre, populaire, le seuL qui irnport?it.
Le dimanche, les bandes de mas* sortaient des
faubourgs et convergeaient vers le coeur de la
cornrrre un drapeau, à l'angle de Ia rLIe I)ugom-
mier. Sous peu, le Bon Dieu lui ferait cadeau
?
? ville. Mãs à fàye, mas à konn, ltras à goudron'
Moko zornbi* juchés sur leurs échasses- Les
qu'il
d'une petite srcur (ou d'un petlt fràre) 'Oons
aurait rnission de guider de ses conseiLs et
â exemp]es. Ce n'étant pas le moment de faire le
l.
á
fcuets claquaieãt. Les sifflets ciéfonçaient les
tympans ei le gvroka* ba&att à ccutr)s qui !ui'
saieãt verser trJbassine d'huile jaune du soXeil'
briganC. Sandrino écoutait avec ce scepticisme
qu'ii réservait à tcus les propos de mes parents.
u
?
Les mas renr.plissaient Les rues, inventaient milie
facétres, carácolaienÊ" La foule se battant sur les
E n'avait envie de servir d'exemple à persoÍLne
et n'avai.t que faire d'un nouveau-né. Pourtan[,
m'assura-t-i]., i.l . m'airna tout de sui,te . quantl,
?
V
trottoirs püur les regarder. Les gens de bien,
chance'úx, Se fi]assaient Sur les balcons et leur queiques heures plus tard, itr rne vit tellement
u. 24 75
B ;&
traide et chétive dans fiLa parure digne d'une faisait comprendre pourquoi je n'étais pas restée
princesse. à l'intérieur de son ventre. I-es couleürs et les
A une heure de l'aprês-midi, déferlant de tous lurniêres du monde autour de moi ne me conso-
les coins des faubourgs, les mas envahirent La laient pas de l'opacité oü, neuf mois dr.r.rant,
Pointe. Quand les premiers coups de gwoka j'avais circulé, aveugle et bienheureuse avec
firent trembler les piliers du ciel, corrune si elle mes nageoires de poisson-chat. Je n'avais
rt'attendait que ce signal-là, ma mêre perdit les qu'une seutre envie : retourner 1à d'oü j étais
,
eaux. Mon pêre, rnes ainés, les servantes s'affo- venue et, ainsi, retrouver un bonheur que, je le
lêrent. Pas de quoi ! Deux heures pius tard, savais, je ne goüterais plus.
j'étais née. Le docteur Mélas arrtva pour rne
recueillir, toute visqueuse, dans ses larges
mains. I1 devait répéter à qui voulait l'entendre
que j'étais passée cofirrne une lettre à la poste.
fl me plait de penser que mon prernier hurle-
rnent de terreur résonna inaperçu au milieu de la
liesse d'une ville. Je veux croire que ce f,ut un
signe, signe que je saurais dissimuler les plus
grands chagrins sous un abord riant. J'en voulus
à ma grande s@ur Emilia qui elle aussi étatt née
eu rnilieu des pétarades eÉ des feux d'arÊifice
d'un L4 lwtllet. Elle volait à ma naissance ce qui
iui donnait à mes yeux son caractàre unique. Je
f,us baptisée en grande pornpe un mois plus tard.
Selon tra couiume des familles nombreuses, n-Ion
f,rêre René et rna smur Érnitia furent mes ç)arraLfi
et marraine.
Quand, dix fois par jcur, par le rnenu et le
détanL, ma màre rne faisait Le récit des incidents
bien ordinaires qui avaient précédé, yr.:'-e nais-
sance, ni éclipse de lune cu de soleii, ni che-
vauchements d'asÉres dans le cibl, ni trernble-
rnents de terre, ni cyctrones, j'étais toute Sretite,
assise contre elle, sur ses genoux. R-ien ne trre
26
a
J
[,.
Lutte des classes
heur et étaít tout de même moins compassée. considérer corrrme une prison oü l,on est sornmé
Ele ajoutait parfois un col de denteltre à ses de se conformer à des iàgi"s dénuées de signifi- {
avec ses galants. Et la bonne des Écanville, trop charnp, attitude qui fut diversernent commentée
jeune. pat les autres parents. Dans leur ensemble, ils
Le choix se porta sur Madonne, notre propre jugêrent que rna mêre avait tort. On le savait
bonne, qui avait la cinquantaine. une grande déjà, c'étant une sans-entrailles. Aprês cela, je
chabine triste qui lai.ssait ses six enfants se crois que ma seur Thérêse fut-chxgée de nous
débrouiller cortrme ils pouvaient sur le mofile mener c};rez les srcurs Rama. A quelques jours
Udol et qui, dês cinq heures du matin, faisait de là, comme, un aprês-midi, je tralnais bonne
couLer le café dans notre cuisine. MadoÍlne derniQre de la troupe à rnon habitude, je me
n'étant pas sévêre. Elle Se contentait de mar- trouvai nez à nez, avec un garçon massi.f et haut,
cher devant nous et de frapper de temps à autre en tout cas c'est a.insi qu'il me parut. I1 murmura
dans Ses mains à rnon intention, cat j'étai.s tou- de maniêre à ce que je sois la seule à l'entendre :
jours en queue de peloton, tête levée à m'aveu- Bou-co-lon (il martelait les trois syllabes
gler avec l'éclat du soleil ou à me rassasier de mon nom avec férocité>, an ké tchouyé-w* !
d'exploits irnaginaires. Elle rne perillettait de Puis, il s'avança sur moi d'un a;lr ptrus terri-
ramasser des graines d'église sur la place de la fiant encore comme s'iL allait joindre le geste à
Victoire dans l'idée de les enfiler en coLlier. Au la paroLe- De toute la vitesse de mes jambes, je
lieu d'un chernin direct, elLe faisait des tours et courus rne rnettre en sü.reté à la tête du petit cor-
des détOurs. Pour toutes CeS raisons, nous nous tàge. Le lendemain matin, je ne le vis pas-
trouvâmes bien chagri.nées quand le drame sur- Hélas ! à quatre heures de 1'aprês-rnidi, le crcur
vint. tremblant d'effroi, je le reconnus debout à un
{-Jn rnatin, Madonne con:snit \a faute irnpar- coin de la rue. Le pire est qu'il avait tout d'un
donnable de ne pas se présenter à son travail. enfant ordinaire. Ni plus sale ni plus en désordre
iJne de mes srcurs dut préparer le petit déieuner. qu'un autre. Chemisette et short kaki, sanda-
une autre, nous conduire à l'école. Vers la fin lettes aux pieds. Je rentrai dnez moi, ma ntain
de la jcurnée, alors qu'on ne l'espérait pas, Bfl ferrnement accrochée à celle de Théràse qui
de ses garÇons se présenca ch.ez nous. Ii illar- n'en revenait pas. Pendant quelques jours, je ne
rnonna dans SoÍI mauvais français que Sa filan- le revis pas et je voulus croire que j'avais fai.t un
rnexl avait dü emrnener Sa filXe, gravel:lent mauvais rêve. Puis, il réapparut alors que,
rnalade, à l'hospice Saint-Jules et que non seule- 1'esprit oublieux, je sautais à cloche-pied en rne
ment etrle avait besoin d'une avance sur soÊ lTlarmonnant une histoire. Cette fois, il ne se
mois, rnais qrJ'elte dentandait plusieurs jours de contenta pas de me rrrenacer. Il m'envoya valser
congé" hfa n:.êre calcula rapidement, paya t*ut à terre d'une boumade dans le côté. Quand la
se qu'elle derrait et renvoya Madonxie su.*Ie- rriolence de mes hurlernents ramena Thóràse
4rt
1'l
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valt pas me toucher. Alssi, il se ôorrt*r, tant de des envieuT qui ne cherchent qu'à reur (
r_ã
m'adresser de loin les grimaces les plus hor_ premiêre classe ne doit donc
lamais ""ir*. en r
tiu.irr",
ribles et les gestes tes plú obscênes. J,en vins à marchant et à tcrut instant se gãrder. r
pleurer dês qu'il me fallait m'aventurer- au- _ L'explication de sandrino me séduisit bien r
dehors et, tout le long du trajet qui àenait à davan!.g.. Elle était plus convaincante parce !
que plus romanesqu:
l'école, à m'accrocherãésespéiernent aux jupes
Madonne .O,aprês lui, il .rult .r., ;
pp:iqr à prusieurô reprises dans norre
de Thérêse. Ma màre attàit se résoudre à quartier, habillée en grand deuii, car sa fille r
m'emmener consulter le docteur Mélas, car la était
constance de mon délire l'inqu íétait, quand morte à l'hospice saint-Jules. son fils, ;;rã d" 'd .
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jamais pu garder niri. Lir" n,avair Ilous *"tt'ãiller, rrous
amie une servante ou une bonne
-yves -uJi, norre nouvelle éco_Ie, *o*i§l**ã"'Lffiy*:, *H
"y"gnie ma- mêre- pere Ie bonheur de 'ces rã pàrin at.é;'J"
verltre à chacune me rap_
d": p;ro parentes donné un ttr..*, dans une
qui, semblait_ii,.,r,*ppãrlerait ville
de Ia cam_
ffif,:.#u'on rui avair^"o,iieê, ;;;;'r..r. éduca_ enfants-, qu,à- nous, Ies
Le *oI*iI *ããJr'ái, .orrr*"
en em oi, Les voiliers oe r, crairin.
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d'élêves, une bouderie passagêre d,yvelise trop
pgnne- pour garder roirgtemps gros ceur, si qu,Yvelise était loin d'être une beauté. sa mêre
Mme Ernouville n'avait ãe"loe dã faire un rap_ le lui rappelait en soupirant à la moindre occa-
port à la directrice sion- c'est vrai qu'ellé ne faisait rien à l,école.
méchanceté. celle-ci, -sur ce qu,elle appelait ma Tout le rnonde le savait. Les congés de Noêl
outréé, inforÍna la màre dtrrêrent une éternité. Enfin, le Petií Lycée rou-
d'Yvelise qui reprocha violemment à ma mêre
l'éducation qu'efle me donnait. J,avais trarté yrit s9s portes. Yverise et moi nous retrouvâmes
fille de laideron demeuré. eu,est-ce que me sa dans la cour de récréation. À son regard sans
croyais, hein ? J'étais le digne rejeton 3e joie qui m'effleurait tirnidement, à ,ã bouche
d,une sans sourire, je sus qu'elle avatt souffert autant
famille pétait plus haut que ses fesses,
"ü.-l'on
d'une famille de nêg1ei qui se prenaient que moi. Je m'approchai d, elle et lui tendis ma
qu'ils n'ltgrent pas " twa mêre i,offurqr*pour ce barre de chocolat en murrnurant d,une voix sup_
propos- MoT pêre aussi- À soÍ' toui, ledepêre ces pliante :
d'Yvelise prit Ia mouche. Bref, les già"aes per_ Tu veux la moitié ?
sonnes entrêrent dans la danse et oubliêient ElIe fit oui de la tête et me tendit la main du
l'origine enfantine de cette querelle. La pardon- En classe, nous reprimes nos places
consé_ habituelles et Mme Ernouvfle n,osa pas nous
quence fut que ma mêre m'inierdit de mettre
pieds chez yvelise. les séparer.
Je dus obéir et j'en fus à r, Jusqu' aujourd.'hui, mon arnitié avec yvelise,
l'enfant. I'amitié ; Ia violenceagonie.
de
ci,ez
l, amour.
aprês l'éclipse de l'adolescence, a résisté à
Privée d'Yvelise, je ressentis uÍle doureur d'autres drames.
constante, pénétrante cofiIrne un mal aux dents.
Je ne dormais plus. Je n'avais plus f,aim et
tais dans mes robes. Rien ne me distrayaitflot_
: ni t
mel joueÉs rour neufs de la Noel, ni lá ;i"*_ T
r}ffi
!
Embrasse-la !
L'embrasser ? sonne, alors qu'au fond fu n,e§ qu,une pol_
a
pelai la mis:_ en garde de sanorino. me rap- Je me demande comment tout cela aurait fini (
j'avais tant oe iôis embrassée je genoux et caressée comme elte savait si b.ren le I
pierre- D'une pierre tombale. tJn à ceile d,une comme ton afige gardien I
sentiment à présent I
confus me rernprit : chagrir, Sans doute venait-elle de se souvenir que je I
peur de celle-que j'avais aiàee É,rr, honte d,avoir n'avais que neuf ans. I
et q;i soudain
me devenait étrarr§êre. Je hoquetai et co"',men_ I
çai de pleurer- Mã T_*r* *;ãpp récta pas. EIIe I
aurait voulu que, pareilte à ,rr, árrrrrrt ioirãr,3" ,r. I
manifeste en pu6tic aucune émotion.' t
elle me secoua : Agacée,
)
Tiens-toi bien, voyons !
0
Je reniflai. Nous restdmes une heure
ou deux I
3:: 11_ nroximité du cadávre. chaperer la
rrlaul, ma mêre priait. Moi, sous l,odeuràdes ü
fleurs , je sentais celre de ra charogne. ,
nous rentrârnes à la rnaison. Enfin,
Ç
La mêrne nuit, mes cauchemars comrnen- Ç
càrent- rI suffisait que ma mêre fernre
r" porte de
r*a chanetrre trlur b** mabo Jurie y ."fr*.
Ç
rlÇ
I
Pourtant, elles se distinguaient les unes d.es je t'írnaginais flottant légàre comme la flüte des I
autres par de subtiles nuances : le rouge plus ou
moins vif du rninium de la tôie des toits, la frai_ mornes- Nous nous étions découverts au caté- I
ü
lr*
m'étais ouverte à personile, il mit dans la confi- ceinture en carata que j'aurais tressée ? Je ne
dence JuLius, l'un des fràres d'yvelise, son savais rien faire de mes dix doigts. Je collection-
meilleur camarade de classe. Récemment, nais les zéros en travaux manuels. Je finis par
j'avais pas mal trituré le kiki de Julius, m,émer-
veillant cie le voir se rigidifier entre mes doigts. fire dócider pour un neud en écaille de tortue
Mais nous n'avions jamais prétendu à un atta- grãce auquel ma màre agrémentait mes coif-
chement du cmur. C'était amusement, initiation fures.
Apràs cela, son amour ayant été officielle-
9.r corps. Déjouant toutes les surveillances, une ment déclaré et agréé, Gilbert rtr]e fit parvenir
fin d_'aprês-midi, Jutrius vint me giisser une
etveloppe. Elle contenait une ptroto qui une lettre par le même messager. Au premier
m'étonna.-_ Au premier abord, oÍl pensait qr" coup d'ei.l, rien à redire. Elle étaít ré,drgée sur
c'était celxe d'un chien. un berger allemaãd, un fort joli papier bleu. pas de pâtés d'*ncre.
assis sur son arriêre-train, énõrme, gueule Les jambages en étarent ferrnes. s'ils avaient
ouverte, langue pendante. Ensuite, on distinguait figuré sur un cahier d'exercices, la maitresse la
dans le coin gauche Gilbert, torse rü, si -petit plus sévàre aurait appréc ré : << Excellente écrt-
qu'on auratt dit un corllac à côté de son élé- ture. >> Je me rrris à la lecture. Mon cceur battait
phant . La photo avait dü être prise d.eux ou trois à grands coups. Pourtarrt, dàs les premiàres
ans auparavant, et il ne devait guêre avoir plus lignes, il s'ar:rêta: << Maryse adarée, po,r, moi,
de six ans. Les cheveux dans leJyeux, iI souriait tu es la plus belle avec tes yeux b1eus. ,,
d'un sourire édenté,. Au verso de la photo, Je crus avoir mal lu. yeux bleus ? Moi ? Je
étatent inscrits les mots magiques a << Je courus jusqu'au cabinet de toilette et me regar-
>> J'enfouis mon trésor ãans un petit
t'aime- dai dans la glace. Pas de doute possible : á*s
panier caraÍbe qui contenait mes af,fairej de yeux étaient rnalTorl foncé. presque noirs. pas
messe, seul endroit que ma màre n'inspectait même kako. Je revins dans ma charnbre et
pas réguliàrement. Puis je rne torturai l;esprit, m'assis sur mon lit. J'étais déconcertée. c'étart
cherchant:e gue je pouvais donner en échange. cornme si j'avais lu une lettre adressée à une
Dans ma famille, on n' appréctait que les phoi-ot auÊre personne. Tout au long du d?ner, je fus si
de groupe : les huit enfants entre papa et morose et silencieuse, contrairement à iÍ]es habi-
maman. ou bien mes fràres avec filon parã. üu tudes, que tout le rnonde s'inqu téta :
bien files smurs et rnoi entourant ma mêie. E n,y Mon Dieu, est-ce que cette enfant-là ne
avait aucuÍl instantané de rxroi seule. fuIêrrre avec fait pes uÍI accàs de fiàvre ?
F+ ui'r chien. Alors, offrir un mouchoir que]. j,aurais Je rerrronÊai dans ma chambre er retrus rne
brocé ? Tin coquillage que j'aurais peinr ? t]ne lettre, Les termes n'avaient pes changé :
+4
Ç+ 64
#,,, 65
{tri"ffi
I
I
<<Maryse adorée, pour moi, tu es la prus beile
avec tes yeux bleus. >>
une grosse voix. presque une voix d, adulte. Le I
Par exception, je ne vourus pas me confier souvenir allait rn'en hãnter. Je ne trouvai rien à I
sandrino qui, je te savais, s'esclafferait et à répondre- Je me précipitai chez yverise et je I
me
servirait une de ces e_xplications aiambiquées foncis en larrnes sur son épaule en racontant le I
dont iI avait re secrer. eü* s'érair-il p;sé ? triste épisode. t
bert m'avait-il mal vue z pst-ce qu,ilãvait voulu Git_
t
se
_moquer de moi ? Est-ce qu'if s,agissait t
méchanr jeu ? Nra colêre *oàt,, finir"pà. d,un
débor_ I
der- Quand Jurius se présenta pour ra réponse,
lui rernis un mot emphatique kouvé dans je Ie
t
Delly favori d'une de me, ,dr..rr, : <. Gilbert, tout t
est fini entre nous. >> l
Je ne me rendis nulrement compte que je i
comrnettais l'erreur qui avait été fitale à i
bert r j. copiais. Je ôopiais de mauvaises Gil_ t
tures. Pour s'aventurer iur le terain inconnurec_
la correspondance amoureuse, iI avait sans de !
doute cherché des guides. HéIas ! Nos guides !
éÉaient des rorrÀans français de quatre t
jours suivants, de peur d" r'apercevoi.r, sous. Les
je ne me ü
montrai point au balcon et rásai ten-ée à l,inté_ ü
rieur. rl ne renonÇa pas tout de suite. Je rne heur_ ü
tai à lui un aprôs-midi, sLrr le trottoir devan t lr
Yvelise. rI était flanqué de son alter ego pour c,,ez
se rr
donner du c€ur, Je ne I'avais j;;rir-ãpproché
d'aussi prês. II s,était peigné. aspergé.d,eau *r
cologne Jean-Marie Fàriãa. Je m'ape.ç*, de ü
a'aiÉ de grands yeux gris méiancoliqu*u. *;ti ü
nlura d'une voix müurante :. n mur_ üf
Qu'est-ce que je t,ai fait? ü
Mais sa voix n'étarÊ pas celle que j'attendais. ü
Qui aurait ccnvenu à rãu, .oqp* gracile. c , étatt 9
v
ÜC
v
t,
ü
Paradis perdu
69
une << lantefile des rnagies pour deux noix
le fronr écrarré, par -leuis
bougiár,
>> et,
Ma mê1e n'a pas atteint son but. Je me mis
raccntaient les détails de leurã sept ils rne à harr les jeannettes. D'abord., l,uniforme : gros
D'abord breufs au giquet d.rr* une savane, vies. bleu, malséant, une cravate, un béret uas[ue.
pigeons ramiers vdl.rt oans la verdure, puis Ensuite, les sorties hebdornadaires. chaà""
que sais-je encor. puis... jeudi aprgs le déjeuner, Adétia plaçait dans
I myrhomanie inquié tait un
beaucoup ma mêre. _yq Mains jointes sur mon rivre petit panier une gourde pleine de limonade à
de priêres, elle me l'anis, un pain natté, une ?ablette de chocolat et
à mon ange gardien- forçairãj"" demander pardon des tranches de gâteau marbré. Avec une ving_
et àJ jurer á" ,r. prus taine de fillettes sous la conduite d'un quatuor
m'écarter de É vérité ,rr*iÀ, ce que je faisais I
avec contrition, du fond du ceur. de cheftaines, je. prenais le chemin du morne de í
§i 3.
pas ma promesse, c'est que je n,éfrouvais tenais l'Hôpital. Pour nous y rendre, nous suions en
"e !
bonheur qu'au plus fort o" ces divagations. de tang, deux par deux, une bonne derni-heure sous !
mon jeuni'; âge, ma_vi: me pesait. À le chaud soleil. Arrivées là, nou.s ne pouvions
EII; était trop même pas prendre un peu de fraicheur et nous i
?i:r 1égtée- sans fioritur"J-rrr fanraisie. Je l,ai
déjà dit, nous n'avions ni parents allonger à l'ombre dei pieds de tarnarins des t,
9
IF
t
on pouvait imaginer leurs récits romancés. Je vant ainsi. cheftaine Nisida n'accorda aucun d
rentrais toujours la tête basse et moi, si bavard.e, crédrt à ces malparlants êt, à force de baisers, í
je n'avais rien à dire. parvint à me calmer. Nous retournâmes dnez a
ce soir-là, j' attendis sur re trottoir
pend,ant elle. Je marchais comme une zombie, compre- I
plus d'une heure : personne ne vint me chercher. nant que ce soir-là encore, j'allais rn'endoimir
Aussi, cheftaine Nisida me prit par la main et, sans ma màre.
T
á
depuis vingt ans, ses élêves favorites, car elle
avant sa cour, lui récttaient des compliments et
lui remettaient un bouquet de roses, ses fleurs
Lrf préférées, âu nom de toute la classe. À la rnai-
l. son, au déjeuner, morl pêre lui offrait un cadeau,
généralement un collier ou un bracelet qui irait
n
á
ir-{
encore alourdir le poids de sa bo?te à biioux. À
quatre heures de l'áprês-midi, la sorbetidre grin-
fi' çait dans la cour. Adé]ra, qui résistait fidàlement
aux sautes dlhumeur malgré une paye de misàre,
4
I
I
t.
lt,'
1., contentai d'être une sorte de mouche ler
importune à tout le monde. Je voular.s ão"h;, du
l.:
;.
I
dimanches. Elre avait acquis ra ,ep"ation
moule à gâteau, tourner la manivelle lécher le personnage. de légende. on faisaii circulerd,ur
betiêre. Je refusais d'embrasser les de la sor- commentaires .l jugements,
se§
§i -:ru
qu'elle étart une sans-sentiment qui avait brisé reuse. capable de tuer avec l'arme blanche de
le ceur d'Élodie. eu'elle ne là laissait pas ses mots et incapable de demander pardon. pen-
plus toucher à ses enfants qu'une pestiféiee. dant des semaines, je travaillai d'ârrache-pied,
Qu'ayant honte de son mouchoir, eue l'avait néglrgeant mes devoirs d'école. Je nee réveillais
forcée à prendre chapeau et à dénuder ses La nuit et voyais La lune ronde comme un fro-
tempes dégarnies; de son parler créole, elle m.age de Brie posée sur le rebord de ma fenêtre.
1'avant forcée au silence ; de tõute scn attitude de Je me levais à quatre heures du matin veillant à
subaltenle, elle La cachait à chaque fois qu'elle ne pas atttrer l'attention de ma mêre déjà habil-
recevait son monde. lée dans la piêce d'à côté. Car tous les jours que
À dix ans donc, confo rtée par mes bonnes Dieu fant, sans tour de cou ni zaÍaÍ7o, dépouillée
notes en f,rançais, je demandat d'offrir un texte comrrre un crucifix, ma mêre se rendait à la
de ma composition lors de l? anniversaire de ma messe d'aurore. Elle y prenait quotidiennement
mêre. on accepta puisqu'on rne passait tout. Je la comrnunion et, de retcur dans son banc, elle
ne sollicitai I'aide de personne" Même pas celle restait ployée jusqu'à 1'Ite missa est, à murrnu-
de sandrino, qui d'ailleurs faisait dei gorges rer des priàres exaltées. Que dernandait-elle au
chaudes de ces anniversaires et n'acãe píart Bon Dieu ?
jamais de rôle aux saynêtes. Je n'avais pas une Aprês ces semaines de transe, le soleil éclaira
idée précise de ce que je voulais écrire. Je sen- le jour de l'anniversaire. Dàs le matin le destin
tais seulement çlu'une personr'alrté, telle que rn'indiqua par mille signes que les choses ne se
celle de ma rnàre méritait son scribe. eue je passeraient pas corrune je le souhaitais. Mal-
devais rrf attacher à représenter de mon rnieüx heureusement, j'étais une enfant aveugle et
un être aussi complexe. Aprês de longues têtue. À Duborichage, les élàves favorites ne
réfllexions, j'optai pour un poá*. en vers libres purent se souvenir de leur complirnent at,
qui ressemblerait aussi à une piàce de thé,ãtre. rI bouche ouverte, se dandinêrent d'ún pied sur
Ir'y aurait qu'un seul personnage. par ses rnéta- l'autre, comrne des dindes, leur lança rr1e màre.
Forphoses, ce personnage unique exprim erant Au déjeuner, Ír1or1 pàre exhiba une brcche qui
les différentes facettes du caractàre de ma mêre. manifesternent ne fit pas plaisir à sa destinataire
A la fois , gérréreuse, prête à distribuer ses der- et, qui pius est, il la piqua en l'épingtrant sur son
niers biilets de banque à des rnalheureux et corsage de crêpe georgette. Adélia trébucha
pron'rpte à chicaner Adétria,Four une augmenta- dans la cuisine et érnietta toutes les flütes. à
ticn de quelques francs. ÉrnoÉive ei.l paint de ghampagn?. La saynête Íut un désastre malgré
pleurer à chaudes larrnes sur les infcrtuàes d'un l'énergie des soufflerrrs. Les rarissiffles eppiáw-
inconnu. Arrcgante. Coiéreuse. surtout colé- cissements de ma màre exprimêrent sâ ãasup-
82
83
_t
I-
H
rr probation. rl ne restait que ma création pour màre. Même pas quand elle s'était cassé l,os
?
F
réparer l'honneur perdu de la famille.
Ce texte a évidemment disparu et je ne peux
du bras en glissant dans l'escalier. J'éprouvai
d'abord un sentiment capiteux qui ressernblait à
?) di1? ce qu'il contenait exacternent. Je me rap- de l'orgueil. Moi, dix arls-, la petite derniêre,
i.
á
pelle qu'tl étatt farci de références à la mytholô-
gie classique puisque, en classe de sixiàme,
j'étudiais << l'Orient et la Grêce >>. En sa pre-
j'avais dompté la Bête qui menaçait d'avaler le
soleil. J'avais arrêté les bmufs de porto Rico en
A plein galop. Puis le désespoir me prit. Bon Dieu,
n
>a
rniêre métamorphose, ma rnàre étart comparée
à une des srcurs Gorgones, La tête couronnée qu'est-ce que j'avais fatt? Je n'avais pas rete-
nu ma leçon. Mes dérnêIés avec yvelise ne
d'une chevelure de serpents venimeux. En la
4 secoÍIde, à Léda, dont la douce beauté séduisit le rn'avaient pas su$i. E ne faut pas dire la vértté.
Jamais. Jarnais. À ceux qu'on aime. rt faut les
4
tl
plus puissant des dieux. Dês que je me mis à
parler, les visages de rnon pêre, de rrres srcurs, peindre sous les pius brillantes couleurs. Leur
des amies de ma mêre et même de sandrino donner à s'admirer. Leur faire croire qu'ils sont
â ce qu'ils ne sont pas. Je me précipitai hors du
n
*;
s'affaissàrent, exprimant la surprise, l'ahurisse-
ment, f incrédulité. Mais le beau masque de ma
màre resta impassible. Assise bien droite dans
salon, montai l'escalier quatre à quatre. Mais la
porte de la chambre à coucher de rna rnêre étatt
>a
I
son fauteuil, elle avait pris une pose qu'elle close. J'eus beau hurler, cogner sur le bois des
?l affectionnait : la rrtain gauche appuyée contre le deux poings et aussi des deux pieds, elle ne
â cou et soutenant le menton. Ses yeux étaient à s'ourrrit pas.
â demi fermés cornme si elte se concentrait pour Je passai 7a nuit à pleurer.
tl mieux rrr'entendre. r-e lendemain, ma mêre affecta de me traiter
â Vêtue d'une tunique bleu ciel, je paradai et cofiIlrre à l'habitude. Elle ne coiffa pas mes che-
Ét pc;sturai devant elle pendant trois bons quarts veux d'une main plus rude et planta rnes quatre
d'heure. nattes d'un noeud rose. EIle fit briller rnes
â tsrusquement, elle me fixa. Ses yeux étarent jarnbes avec un peu d'huile de carapate. Elte rrre
4 recouverts d'une pellicutre brillante. Bientôt, fit réviser mes leçons. Quand, pleurant toutes les
2l celle-ci se dóchira et des larmes dessinàrent des larmes rje rnon corps, j'entourai son cou de mes
>a sillons le long de ses joues poud.rées. bras, expliquant qtle je n'avais pas vu nealice et
â C'est comrne Ça que tu me vois ? lui demandai pardon, elle questionna, gl.acrale :
7) interrogea-t-elle sans coXàre. Pardon ? Pourquoi pardon ? Tu as dit ce
>a Puis elle se leva, traversa le salon et monta à que tu pensais"
A sa chambre. Je n'avais jarnais vu pleurer rna ce catrrne donnait la rnesure de sa blessure.
á 84
IM
La plus belle femme
du rnonde
A la cathédrale saint-pierre-et-saint-paul,
notre banc portait le numéra 32 d,e l'allée cen-
iraie. Toute petite , j' aurais pu me diriger les
yeul _fermés vers ce refuge, pásser le bedãuu qui
i
m'effrayait fort quand il frappait le sol de ia
I
li
: hallebarde, me laisser guider par le flot de Ia
rnusique de l'orgue et les odeurs des lys et des
l
*--.-,:- . - '.,,-.,-*=**O**fl
solenners et endimanchés.
venait de me soigner d,uneLe docteur Méras qui ' kougnans- Mes camarades branches,
oüte.
enfermait des ciapauds dans M. vitarise qui quitté r'écore, je n'auraii-3"m*i* eu une fois
pharrnacie- Ar.l fur et à res bocaux de sa ; r,idée de
Ies fréquenter. si nos cheráins se croisaient,
sais, je ne pouvais *;.*p'echer'que je grandis_
mesure nos
regards savaient ne pas se croiser.
combien erles étaient rar..] àL'r*marquer ur, ãi*anche,
je ne sais pqulguoi] je me mis à considérer
simplement cororées c.rr,'tures figures noires ou blancs-pays à l,àntour avec curiosité. res
n.í*"ntrale de ra
cathédrare sous ra carêne renversée Je savais que Ie créole res oaptisái
Elles tranchaient co,,,me si elres de ra voüte.
étaient Et c'est vrai que res rrommls et les tgarçonnets
<< zorey >>.
dans le bor de lait a" iã ã""À|rine tombées exhibaient des robes rouges, puissants,
tions sans y voir aucune ironie que nous chan_ décol1és.
Les femrnes s'efforçaienr de ies oissiáurer
:
les volutes de reurs th"velures; res sous
Une négresse qui buvait du firettes
leurs angraises et reurs ,oburr*. Matgré sous
lait
Ah, se dit-elle, si je t" pouvais cela, i
F,? hornme. Le dimanche suivant, de rnon poste Et j'ajoutai salls prendre garde à sa mine :
tsr d'obse vation, je la vis amiver entourée des C'est nlon idéal de beauté !
siens, toujours au bras de son mari três jeune lui Silence de mort. Elle resta sans voix. Elle fit
F{ aussi, moustachu.- la mine assez ordinai.re, quérir mon pêre qui rigolait au salon, convoquer
n
á
indigne en tous points de posséde.r un pareil tré-
sor. Cette fois, elle étant de dentelle blanche
m"r fràres et sceurs qui devisaient tranquille-
meÍtt à la fenêtre de leur chambre. Elle exposa
vêtue, sa toque rempl acée par une capeline à mon crime : comment mon tdéal de beauté pou-
H larges bords, son çarnée par un collier chou de vait-il être une femrne blanche ? N'existait-il pas
r{
irn
grosseur respectable. Avec ce qui rne semblait
une grâce inimitable, elle prit place dans la ran-
des personnes de ma couleur qui wtérrtaient cette
l,-l distinction ? Passe encore si j'avais choisi une
gée 29. Tel un détective , je notai le nurnéro. La
mutrâtresse, une capresse, une koolie môme !
I{ curiosité me dévorait. LJne fois à \a maison, je Mon pêre, qui savait qu'il ne faisait pas bon
F
lr{
demandai à ma mêre qui étatt cette farnille de
blancs-pays de la rangée 29, non loin de la
contredire rna mêre, pour une fois prit ma
défense. N'était-ce pas beaucoup de bruit pour
i{ nôtre. Je le savais, ma mêre et ses bonnes arnies
étanent des généalogistes de premiàre. Elles ma1-
rien ? J' étais bien jeune. Ma màre n'accepta pas
ces circonstances atténuantes. J'avais déjà du
i1 trisaient de mérnoire le tableau des pareÍrtés, des
rt mariages, des alliances, des séparations. IJne
grande partie de leurs entretiens consistait à le
jugement,, Je savais ce que je faisai.s. S'ensuivit
un discours bien senti dont les thêmes préfigu-
mettre à jour tant et si bien qu'elles auraient pu raient ceux de Black is beautiful. Mes joues
ã étanent incendiées. J'éprouvais d'autant plus de
á conseiller des notaires peinant sur des pro-
blêmes de successions et de partages de biens. honte que Sandrifio, rllon aÍLté de chaque instant,
Ird avant l'air d'approuver. Je me retirai dans ma
â, Elle connut sa réponse sur le bout des doigts :
,I
Ce sont les Linsseuil. Bonne affaire, ils chambre. D'une certaine façon, je devinais que
viennent de rnarier Amélie au fils Cu proprié- ma rnàre avait raison. En même temps, je n'étais
J,, tai.re de l'usine Grosse h4ontagne. pas coupable. Je n'avai.s pes admiré AméIie
7a, Elle atrlait pour passer à autre chose quand, à parce qu'elIe étatt blanche. Oui, rnais sa peau
á la réflexion, rna question l'éÉonfia. Elle vira de rosée, ses yeux clairs et ses cheveux moussants
A bcrd sur moi. Qu'est-ce que j'avais à faire avec étaient parties intégrantes de cet eÍ'rserÍlble que
A ces gens-là ? j'adrnirãis tant. Tout cela dépassait mon enten-
A ciement.
,1, à ma passion, parce que je trouve Arnénie la plus Le dirnanche suivant, du coin de l'4i1, je vis
);q beXle perscnne que j'aie jarrais vue. An:élie s'agenouiltrer et se signer à l'entrée de
i 92 93
4^,
v)
.-m
í
son banc. Je ne tournai pas la tête dans sa direc-
I
tion.
J'avais compris que sa beauté rn'étatt inter- t
dite. t
I
{
{
Mots interdits {
ü
I
ü
I-Jne fin d'année, rna mêre cescendit s'asseoir I
à tabie, soir aprês soir, les yeux en eau, les pau-
I
piêres boursouflées et ruméfiées. Adélia emphs-
sait son assiette avec dévotioo, mais ma rnêre ü
n'y touchait pas et filait en vitesse se claquemu- t
rer dans sa chambre d'oü nous l'entendions ü
geindre comme une blessée. Mon pàre restait à T
sa p1ace. Mais il arborait une rnine de cir- t
constance et soupirait fortement entre deux cuil- ü
lerées de soupe grasse. Apràs le repas, Adélia ü
montait un thé de siminn kontra, recoflnaissable
à son odeur poivrée, et demeurait avec ma mêre U
des ternps et des temps. It
En I'attendant, je trépignais d'irnpatience. ü
Sandrino et moi ne pouvions pas traverser la rue e
sans elle et chercher une place dans la cour des f
clavier" Dàs les premiers jours du rnois de f
décernbre, nous nous groupicns entre gens cu ü
quartietr, et tête levée vers la vcâte du ciel étaiié, ü
Êous braiitrions ies cantiques du temps de Ü
I'event, parfois jusqu'à neinuit. Mênae Bonne-
mainan Drisccll apportait soft banc et s'asseyait ü
ü
95 ü
t
-Ü
L*
HI dans Llne encoignure. Mes parents, qui ne *""t dait dês qu'il évoquait sa fille premiêre-née, }a
mêlaient jamais à ces assembtrées, nous lais- r,i préférée.de son ceur. I1 citait ses traits d'esprit.
saient quand mêrne y prendre part. Les << Chan- it vantait son intelligence, son charme, la dou-
tez Noêl >> étanent l'unique concession qu'ils fai- ceur de Son caractêre, et tous ces compliments
Hi saient aLlx traditions populaires. Car si le rythme
des cantiques était aussi endiablé que celui des
paraissaient autant de flêches décochées contre
ia pauvre Thérêse que la famille s'accordait à
biguines ou des mazurkas créoles, nous tapions trouver bougollne, un laideron. Ma mêre affir-
avec emporternent sur des bassines ou des fonds rnait, en exhibant les photographies de son
de casserole, les paroles étanent fort correctes. album, eu'Éntilia étart son portrait craché.
En bon français. En français-français. Je suis Celle-ci avait épousé Joris Tertullien, le fils
ãl encore capable de chanter sans rne tromper
<< Michaud veillait la nuit dans sa chaumiêre >>,
d'un notable fort connu et fort riche de Marie-
Galante. Leur photo trônait sur le piano. Ils
qui reste mon cantique favori. Mais aussi << Voi- s'étaient mariés à Paris, deux étudiants ano-
sin, d'oü venait ce grand bruit ? >>. << Venez,
H divin Messie, veÍtez, sorJrce de vie >>. Ou encore
n)/r-res,pour évtter sans doute les falbalas fami-
liaux. Je savais qu'ils avaient perdu un enfant.
<< Joseph, mon cher fidêle >>.
Je ne m'intéressais guêre à eux. Mes parents
ni Four moi, la cause de \'état de ma mêre étatt
un mystêre. Elle tt'étant pas rnalade puisque rnon
étanent extrêmement honorés de cette alliance
avec les Tertullien et la rappelaient au moindre
pêre n'avait pas appelé le docteur Mélas en prétexte. À leurs yeux, l'ünion d'Émilia et de
consutrtation. Elle ne s'était fâchée ni disputée Joris pouvait se comparer à celle des héritiers de
avec personne, uÍl voisin, une coltrêgue , un deux dynasties dont les arbres généalogiques
étranger, à l'école Dubouchage, dans la rue, s'égalent. Plus secràtement, pour ma rnàre,
H] dans un magasin, au cinéma. Qu'est-ce qui
ni
FÇi
I'avait contrariée ? Sandrino finit par tne chu-
j'irnagine qu'elle symboiisait une revanche sur
une ile que sa màre avait quittée dans la gêne et
:t.1 ' choter à l'oreille que le mari de rna smur Eneilia la pauvreté.
lQt
l'avait quittée. Iis allaient divorcer. Peu de temps apràs le neariage d'Émi.Lia et de
Divorcer ? Joris, un 15 aoüt, jour de la fête patronale de
-'ti .tre ne connaissais pas beauccup rna s&ur Erni- Grand.-Bourg, Thérêse, Sandrino et moi avions
á, lia. Depuis des années, elle vivait à Paris et je ne été expédiés auprês des Tertullien en térnoi-
)1' la rencontrais qu'à 1'occasion de nos séjours en gnage des nouvelles relations famitriales" C'étant
lt France" Plus de vingt ans nous séparaient, nous mon premier voyage à Marie-Galante, ma Desi-
-#
ra$",.
n'avicfls pas grand-chose à échanger. Mon pàre,
qui rnanifestait raremenÉ quetrque sentirnent, fon-
rada à rnoi. Le bras de mer étatt" dérnonté. Le
Delgràs qui assurait la liaison avec La Pointe
tH
-*'. 96 97
5il
1
étart bondé. rl montait jusqu,à la tête des lames, eu qu'un 13iq,re firs, m-e gâtêrent plus qu,il
I
puis descendait brutalêment jusqu,au fin fond
des creux, plusieurs màtres plus bu.r. Les passa- permis- .Chaque marinl Mme irrt,rllienn,est me
I
gers vomissaient dans tous les coins du dat"..r. demandait gravement ce que je désirais ;;"g.; T
Les plus avisés avaient fait provision de sacs en comme ,1. une princessJ de contes de fées. I
M- Tertullien m'acheta une poupée qui ouvrait I
qapier qu'ils allaient en trébuchant lancer par_ et fermlil res yeux- Je n'urrãi, j.*ui. imaginé
dessus le bastingage. souvent, ils manqu*l"rrt I
leur but et le contenu des sacs s'écrasait sur le pareille liberté et quand je revis ma mêre atttfée t
pont- La foule, le mouvement, la puanteur. Je en grande. pompe sur le quai cle La pointã,-l; t
me serais évanouie si Thérêse Íle m, avait pleurai à chaudés rarmes comme une évadé,e
qui
retrouve sa ceilule- Trop fine_pour s,y tromper, I
constamment fourré des rondelles de citron vert I
dans ia bouche. Aprês ces trois heures et demie elle commenra avec méfancotie t,i"li.titude
c@ur des enfants. Depuis, res T..t",rú"r, de ü
-d_"gonie, 1'?1e était sortie de l'eau. Des faiaises
blanches, parsemées de cases, agrippées como,e
nous
adressaie.nt fréquemrnent par des compatriotes t
des cabrits dans les positions l*r ptrrs su{pre- marie-galantais des panierJ pleins de iã.ir"s, t
pois d'Angole ou de pois ruiro, et des de
nantes, aual*tt surgi au-dessus des vagues. La bouteiles I
rrrer s'était calmée comme par enchantãment et de rhum agricore à 5s o"grés qui parfumait
gâteaux d'Adélia. les 'ü
le Delgràs étatt venu s'arúrre, en douceur le Divorcer.? ü
long de I'appontement. M. et Mme Tertullien À ;
mes _orei1les, re mot avait une résonance
lgus guiprirent. Tout le contraire de nos parents. obscêne- il vourait dire qu,un homrne ';
simples, souriants, affables. L'épouse, trainant et une
ses sandales, étatt coiff,ée d'rln chàpeau de paille felnme . qui s'étaienr embiassés sur r" 'uãL#, I
retenu par des brides nouées sous le cou. qui avaient dormi kolé seré scus la même ü
tiquaire, s'en alraient chacun de son mous_
L'époux, gigantesclue mais débonnaire, gagna côté et se t
aussitôt firorl affection, quand ii me soulei, { a" comportaient à ra maniêre de deux pá.ro*nes ;
étrangàres. gré les i"rommandations
expresses de Y"l
Éerre en rne bapti.sant << la perle de 1,écrin >>. ;
Ma1gré leur abord sarls maniàres, ils habitaient sandriilo, je ne pus garder une t
la plus belle maison de Grand-Bourg sur la pareille information pour rnoi'et
muniquai à yverise. Yvelise apporta -iã lu corri- u
place de l'ÉgHse et, chaque rnatin, une file cisions- D'apràs erle, si I.r oáor" p*r*o*nes des pré- U
s'allongeait devant ieur pôote : les suppliants avaient fait des enfants, on res parta.geait U
venaient quérnander les faveurs de M. Tertul- les poules d'une basse-cour. Les cofiune
lien. Cette sernaine passée à Marie-Galante fut filles ]
avec leur rnêre. Les garçons partaient restaient )
un enchantemenÉ. Les TertuHien, qui n,avaient avec le*r
,-
]ràre- Je sn'indignai contre ce jugement de salc_ ]
9gj |}
*ç ]
ü
mon. J'objectai. Et si un garçon préférait rest*iÉ l'ép,rer dans la peine que lui causait la mauvaise
avec sa màre, une fille partir avec son pêre ? Et chartce de sa fille, s'en repaitre, s'en réjouir.
si un frêre et une seur ne pouvaient p.r vivre Aussi, ces visites la plongeaient soir aprês soir
l'un sans l'autre ? Yvelise n'en démôrdit pas. dans une colàre mêlée d'amertume.
Elle étatt au courant : sa rnêre menaçait souvent Quand le flot des visiteuses comrnença de se
de divorcer d'avec son pàre. tartr et que ma màre eut la tête à autre chose
Quelques jours plus tard, ma nnàre revint de qu'à tenir dignement son rôle, une question se
I'école hors d'elle-mêrne. Nous l'entendimes posa. D'gà venait la fuite ? Qui avait laissé fil-
rager longuement dans sa chambre. EIle avait trer une information que mes parents avaient la
de bonnes raisons de le fanre I À l'heure de La ferme intention de garder secrête pour pas rnal
récréation, des collàgues, ayant appris le rnal- de temps encore ? Mes larmes Ín'accusêrent.
heur de sa fille, lui avaient exprimé leur plus J'avouai piteusernent que je m'étais confiée à
profonde sympathie. Etle l'avait pris de três haut mon ins éparable Yvelise. Tout le monde
et les avatt rabrouées vertemeni De quel mal- cornprit qu'Yvelise avait rappofié cette nouvelle
heur parlaient-elles ? Du prochain divolce de sa à Lise qui l'avait jugée trop croustillante pour la
fille ? A1lons donc ! Joris Tertullien, en quittant consomn'rer en égorste et l'avait partagée avec
Éneitia, ava7t, une fois de plus, donné la preuve ses collêgues de Dubouchage. De là, elle avait
de I'irresponsabilité des rnâles antillais. essaimé à travers toute La Pointe. Je dois à la
Dàs le lendemain, un flot de voisines déferla vérrté de dire que ni mon pàre ni rna rnêre ne
sur notre rnaison. Ma mêre était à peine rentrée levêrent la main sur rnoi. Je ne fus ni punie ni
de l'école que les visiteuses frappaient à La brutalisée. Fourtant, je me trouvai ptrus honteuse
porte. Finalement, elle tint salon, ãssise bien et mortifiée que si mon pàre avait défait son cuir
raide sur le canapé, d'angle jusqu'au diner. Les et m'avait administré une de ces raclées qu'il
visiteuses comptaient surtout -des màres qui réservait à Sandrino. Mes parents me répétêrent
redoutaientpour leurs enfants un sort semblable 7a chanson déjà maintes fois entendue. Nous
à celui d'Erydlia, ou qui le ciéploraient déjà. éti.ons assiégés-de tous côtés. Divorce. Détresse.
Mais on comptait également des vieilles fiEás, Maladie, Déficit financier. Échec scolaire. Si,
des laissées-pour-corrrpte, des femmes trompées, paÍ impossible, ces drames survenaient, rien
des fernrnes battues, toutes qualités d'aigràs et n'en devait transpirer paÍce que alors, comme je
de révoltées disposées à crácher du ,r"áin sur venais d'en être témoin, nos ennernis toujours
les hommes. 1!fa mêre ne vit pas dans 'cette aux aguets tire.raient avantage de notre malheur.
affluence une rnarque de syrnpathie. Au Le treitmotiv revint. Comrnent est-ce qu'une
contraire, d'aprês eLle, ces fer-nmés venaient petite fille aussi. douée que moi ne coÍIaprenait
10ü 1üi
pas cela? Pourquoi est-ce que j'y mettais tant de
nrauvaise volonté?
Je n'entendis jamais prononcer une seule
parole de compassion pour Érnitia. Je ne sus
.:l
jamais ce qui avait causé le désolant épilogue de
.,i
.!
son union avec Joris. À la vérité, pdrronne ne
:i s_'en préoccupait. Émili a étart.o,rpu.Ll.. L,échec
de son mariage avec I'héritier des Tertullien pri_
vait Tn?s parents d'un lustre de plus. rtr ouvrait Gros plan
une brêche dans l'orgueilleuse muraille dont
notre famille entendait s'entourer. pour cette
raison, personne ne pouvait la plaindre.
Ma mêre n'entretenait de relations suivies
qu'avec un de ses cousins de Marie-Galante. De .
vrngt ans sorl cadet, il répondait au prénom ,
céleste de Séraphin. C'était un gros garçon taci_ I
turne et emba:rassé qui respirait de loin son I
bitako. Dans sa bouche, le français prenait des a
allures de créole et iI s'emmêlait u..rr*i bien d.ans
ri
les articles que dans les adiectifs possessifs.
Mon pêre lui donnait volontiers ses affaires d
'r dit que ma màre ne manquait pas d'aplornb. cher, courait à l'entour du lit en sangloÊant et en
fi'
.,1
Sans tergi.verser, eitre pcsa son sac, enleva sa se tordant les rnains" Ma màre s'emmaillota
l":r
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108
109
4,,,,,'.,
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IF .:*rc
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I
distante de La Pointe de plus de soixante ou
á soixante-dix kilornêtres. hda màre me révetlla à
4 son retour de la messe d'aurore et cn prit ].a
4
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[+.:.. ,;]' r
i.ii.,.. . .I i
ri;t'r. :
;+:rj,.,i:j:r -
àii;1; :r': l
i:r:l ,.. .
li , :
route dans le devantl'our , la voiture chargée
ir',i;i':.
paniers, de valises, o. cantines. un de une boutiqu€, guêrg plus
t,: lli .',
véritable main, maii foã achaiandáe, large que
-I,oore plat de la
dérnénagemenr ! passé Rivicre-saráã,
'
:
bt
.tl
.j ,,
'.,:'
; ,l .
re rrajer
fut d'abord sans surprise, une route plaisante tour, des biscuirs fleur á" vendait de
r*irà,-ã.
ll :
ii ,
i', adossés
contre le ciel" Des ponts suspendus au_dessus er surtour des roquilt"s á* d; üài, gomrne
:
mur et
cie ,a plage » se chiffráientrás .. "rú rninutes
,
?
rnidi littéraire à un aprês-
org.rri.e par ià pr.oisse. n'étatettt pas plus avantageux ces rnulâtres, I
Le prografilme n'éàit o., bien excitant. Fourtant, its possédaient qí"rq".que mon pàre. t
',la
rrréntaire et ne s'exprima it;;s*s fin fond de sa U
126 que par so*_ ül
d
1n-?
LLI u
ü
li,*1,
H pirs, mimiques et hochements de tête. pour moi,
l+{ ce fut au contraire une source de récits oe plúi
Il.
H
en plus magiques dont je rebattais les or"i["s
d'Yvelise.
li-
ll-
l{- nous la liberté ?
tsr "A
ll'a
lF.
Fr Pour mes seize ans, mes parents me firent
F. cadeau d'un vélo, un Motob écane, urre jolie
t4 machine bleue avec des garde-boue d, argent et,
F{ alors, des ailes me poussàrent.
I{ Le séjour à Dolé-les-Bains rn'avait donné
l'envie d'ouvrir la cage d.ans laquelle j , étais
ts
l{), enfermée rjepuis ma naissance. Je ,n'étaij aper-
Lr; çue que je ne connaissais pas mon pays. Je
rn'étais aperçue que je ne ãonnaissaiÀ â* La
Hi Pointe qú'uá étrãit quadrilarêre. comme je
Hí devenais de plus en plus rétive, nles parents
f,i comprirent qu'ils devaient me peffinettre de oes-
H pirer un peu d'air. À soixante-dix-huit arls, mcn
!1 pêre avait pratiquement perdu la vue. Si des iils
ta invisibles le guidaient tánt qu'il restait à l,inté-
,i, rieur de sa maison, une fõis dehors, tout se
ri brouiliait" rl ne pouvait ni traverser les nles ni
trouver son chemin. Ma mêre n'ayant aucuile
{, paÉience avec lui, il se réfugiait à sárcelles, seul
A endrcit oü il se sentait bien, et, pareil à un sou-
A bawou, passait les jours sans charrg*r de rrêiÕ- .
í
plus la même. À la suite d'une mauvaise grippe, í
elle était devenue presque chauve et .õ""iuii sph:re_ le veillée funêbre. Le deuxiàme étage
son front de maladroits postiches d,un noir avaít été condamné. portes et fenêtres clouõs v
d'encre qui contrastaient ãvec son restant de puis.que personne n'y habitait plus. J,errais !
cheveux poivre et sel. sa piété avait atteint d;; misérablement à travers une enfilãde de piêces U
extrêmes que 7a mort de §andriflo, moins d,un vides : la chambre de Théràse, celle de san- U
afl plus tard, allait encore accentuer" Elle ,r" drino- Je feuilletais des livres couverts de pous- U
ratant ni messe d'aurore, ni grand-messe, ni siàre sur les étagêres. J'ouvrais des penderies oü U
tra?naient encore de vieux linges. Jê m,asseyais
messe basse, ni rnesse c]nanté,é, ni vêpres, ni sur des lits aux sommiers ãefoncés. c, étuit I
rosaire, ni ténêbres, ni chemin de croix, ni mois comrne si je rôdais dans un cimetiêre pour me T
de Marie. Elle faisait de.s neuvaines, des péni_ ressouvenir de ceux que j'avais pridrr. À :
tences, des jeünes, roulait les grains de son cha_ présenÍ, Sandrino venait d,êtip admis à l,hôpital U
pelet, de son rosaire, prenait la confession, la de la salpêtriêre. Ma mêre se persuadait que sa t
communion. Quand elle rt'étatt pas occupée à maladie étart bénigne, mais -ette en devinait
ses dévotiorls, elle se disputait avec rnoi, pour Y
l'issue. Elle n'avait pas la force de se rendre en ü
un oui, pour un non. poui un non, pour un oui. France pour le voir et sa pensée le tuait. Thé_
Je ne me rappetle_ plus ce qui cauJait ces que- rêse, elle, se vengeait. Elle adressait de rares et
t
retrles constantes. Je rne rappelle seulement que courtes lettres. Etle s'était rnariée à un étudiant ü
j'avais toujours le derniei rnot. Je la tacéiais en rnédecine africain, lui-mêrne fils d,un rnéde- t
avec ÍIles coups de langue et elle finissait cin fort connu dans son pays. pourtantt, rnes ü
immanquablement par fóndre en larmes en parents, si sensibles au prestige, Ít, a.va1ent pas I
bégayant :
apprécré. D'abord, parce que depuis l,enfance I
Tu es une vipêre ! *'.appréciaient rien de cá que faisait Théràse.
F{éias !Le sentiment d'ivresse de rnes dix ans {r
Ensuite parce que l'Afrique est trop loin, de
ü
avait disparu. Ces larrnes étanent devenues un I
l'autre côté de la terre. Mi màre parlàt d,ingra- ü
spectacle quotidien et banal qui, du coup, ne titude et d'égoÍsme. ElIe n'avait Leême pes pris
retenait plus rnon attention. Mes premiêres la peine {e disposer sur le piano les^ phôto- ü
années avaient été ensotreillées par Iá présence ü
ce rfles frêres et seurs, secràternent en fronde graphies d'Aminata, pourtant sà premiàre petite-
fille. ü
contre mes parents. Mon adolescence avant la À quiraz.e je me regard.ais dans la glace et ül
c*illeur d'une fin de vie. Je rne retrouvais face à ?ns,
me trouvais iaide. Laide à pleuqer. ,{u bout i'un .y
deux vieux corps dont je Íre comprenais pas les coríls en gaule sans fin, urre figure Êriste et fer_
humeurs. rlans notre rnaison régãait une atmo- ü
mée- Les yeux à rreine fendn s. L.s cheveux peri I
130 ü
i31 ü
ü
r--J
a;
-ai I
fournis et mal coiffés. Les dents d'un bonheur connaissais que celle de viard, avec son sable
{ t
dont je ne voyais pas l'amorce. seule parure, volcanique endeuillé comme les ongles d,un
{: une peau de velours que 1'acné n'osait pas atta- pied lo.t lavé. Trois ou quatre fois pJndant les
quer. Aucun garçon ne tournait plus la tête de grandes vacances, nous y passiorrr -i* journée,
-â mon côté, ce qui me chagrinait, car j'avais ma mêre affublée d'un ensêmble fait *rin par
á comrnencé d'*pprécier les beaux mâles. Gilbert Jeanne Repentir, sa couturiàre, mon pêre portant
â
Driscoll s'était métamorphosé en un bellâtre des caleçons longs, mais dénudanr i*püdique_
7)
coiffé à l'embusqué qui parad.ait ses garnines ment les poils blancs de son torse. {.Jne servante
â {3"9 le quartier. Je n'avais pas plus d'arnies que louée à Petit-Bourg pour 1a saison réchauffait le
d'admirateurs, Yvelise ayant quitté l'école afin colombo sur un feu allumé entre quatre pierres
,e de travailler pour son pàre. Nous ne nous fré-
9t nous pique-1luuions sous les amàndiers-pays.
a) quentions plus et ma rnêre malparlait, affirrnant Parfois, un natif-natal rôdait dans les parages et
qu'elle prenait des hommes et récolterait bientôt lorgnait ce tableau farnilial avec curios iíe. Je
-Â un ventre. Au lycée, oü j'étais plus impertinente restais des heures n'en croyant pas mes yeux,
,o que jarnais, professeurs et élêves avaient peur d.e
rnci. Esseulée, j'affütais comrne des ftêches des
allongée sur le sable, à grimacer sous la brülure
du soleil. Malgré rnon envie, je ne ptongeais pas
â éprgrammes que je lançais à La volée contre dans ce grand bleu. certes, sandrirrd m,arlait
â tous. ccmrne je m'apprêtais à passer mon appris à nager,. un peu à la maniêre des chiens,
-
deuxiêrne bac a,vec un an d'avance, je paraissais mais je n'avais pas de maillot de bain. cet
l'incarnation de f intelligence coupléé avec Ia article vestimentaire n'appara?trait que fort tar-
-â méchanceté. divernent dans rna garãê-robe et 3, étui, trop
á {-Jne fois que j'eus mon Motobé,cane, je n,eus grande pour entrer dans Ia rner en cúlotte petii
plus besoin de personne. Je ne m'occupai plus Bateau comme autrefois. Aprês Ie Bas-du-Fort,
-â de ma mauvaise réputation. Je péda1ais, je peaa- je m'enhardis et pédalai jusqu'au Gosier. J,avais
te lais. Je rn'aventurai bientôt en dehors dã La déjà connaissance de virginia woolf et de sa
Pointe. Je découvris les côtes basses et vaseuses Promenade phare. sa je n'inventais plus
,a du Vieu>l-Bourg de Morne-à-I'Eau, à moitié .Gu
d'histoires , je compensais en lisant voracernent
reccuverÊes par l',eau de mer, la mangrove peu-
-â
plée d'échassiers tout de blanc vêtus. Je poüssai lg,rt- ce qui me tombait sous la main. Aussi, je
fixais l'?let, largué dans la mer à quelques enca-
;a dans une autre direction vers tre'Bas-du-Fort. blures de la côte. Je le transfig,rr*is en objet trit-
?a ÉmerveillemenÉ ! Je n'avai.s jarnais admiré les téraire, intersecti"on du rêve ãt du désir. {.Jne
7a hautes falaises calcaires ciselées de lapiés iitto- f^ois, efi peinant, -ie me rendis jusqu'à sainte-
?a raux et le sabtre d'or. En fatt de plage, je ne Anne, en ce temps-là paisibie commune igno-
1? t-l
1 -'
4
â
LJL
IJJ
m
rant le tourisme. Je me raissai tomber sur re
de rner- Assis en tailleur à côté de moi, bord,.r*
d'haleine, j'arrivai à Ia rue Alexandre_rs
aac,ma
s'occuper de ma mine peu commune, res mêre me guettait du salon. ErIe
pêcheurs blaguaient en ravaudant imprécations' Qu'esj-:e que j'avais ""**ã.rçu ses
Les revendeuses offraient à l"r* leurs filets. coÍrune une femme folre ,àr, à courir
pratiques
d"l kreyes de tanche et de grand,gueure. Des que je n'étais pas assez laide I" .oiãil z Esr_ce
enfants noirs comme du go.rãron ,ã o.ig"Ã"t co,,une cela ? Je ressemblais et assez noire
à
c'esr un hom-,,le que je .h;;;hais,une rãrgo. si
tout pris sofirrrreil, ra bouche ouvefie, et
nLrs- Je je perdais ma
ne rourrig les yeux qu'au serein. Autour de peine.
la plage étart désertê, la marée haute. "i"i, Je passai sur erle sans r,a
m'enferrner dans ma chambre. regarder et montai
D'habiÉude, je m',efforçais de rentrer à
Fointe avant la nuit. c'é,.,.ít la premiêre fois q;; La babier' Au bout d'un rrroment, EIie continua à
essoufflée, eIIe se
je laissais la noirceur tomber sur rnoi en tra?tre. tut et à son tour monta au prernier
urr* des diffi_
ravais_ peur. peur de la route tout en courbes. cultés infinies, car elle etaii I
cluse avec cete amhror;;;leuà dg nr*À ;; plus per_
Peur des formes des maisons soudain méta_ *,á-ieguée. Je I
morphosées eÍI guiablesses, des arbres mena- l'entendis cogner aux meubles, I
place dans son lit chercher sa
çants, des bancs de nuages aux bord.s déchiq;_ g,ri .ruq,ràit canot I
tés- Alors , je firai co*rr,e une foile, *., genoux qui prend ra mer. sbus l;ã*teurs "o*Ã*-.r,
de Ia pitié, tout I'amour iio*peuses I
touchant mon rnenton, apratie sur mcn guidon. que je rui portais refrua
Et sans qu: Je comprenne pourquoi, me vitesse vers mon cGur et manqua I
sans frapper dans sa ôhambre, m'éto"?f";. -qui
J,entrai I
me mcnta à ia tête. Elle mJrendit libre, de toute .*
ia liberté dolr j'arlais bienrôt jouir. défendu- Àssise dans Ie .niiãr, était I
je quitterais la Guadeloupe, rnoi quiD,íci,r,
,r.
urr, adossée à une pile d'oreilG;, du
car
rir, elle était ü
jarnais sóparée de mes perents poui plus *,étais gnair d'érouffemenrs Ia
nuii.
elre se plai_
§o* rivre-ãe priàres ü
de deux étart ouvert devant eIIe.
semaines-
9?1r" perspeõdve m'exaltattet rne ter- tiches et son crâne était EiIe avait ôté ses pcs_ ü
rifiait. Qu'aliaisje êudier ? Jé ne ffle sentais aãnuoe par endroits. ü
aucune vocaticí]. Mes professeurs fi}e desti_ E,le étair vieille et seule.
celles depuis Ie début de M;; pêre étaít à sar_ I
naienÉ à l'hypokhâgne, aux grandes écores, la semaine. seule et
c'est-à-dire que je retrcuverais lã lycée Fénelon. vieiltre- Je gri.mpui-r,r. í
oü j'érais ú*tel oü *en
son tit cornrrre du temps
cela revenair t quirter , une priún pà,r" une ;;uvait *,ár,
l; irrt*rdictions.ernpê_
U
autre. Quanc rnême, j?entrevoyais au-áerà cher' même res prus sévêrer- ü
geôig qu'on §1e préparait des portes pardeles-- la serrai dans mes bras, r"ri,
?";, -à et ra couvris
Je Ia U
quelles je pourrais ,,xe gtisser. baisers- Brusquerr.rent, de rfi
e"""a, il;, ,
irt
13s ir
a
ü
4
n
á aimé Sandrino qui se mourait au loin. Sur la f,in
de mon enfance. Sur la fin d'une certaine forme
?
I
I,
de vie. D'un certain bonheur.
Je glissai la main entre ses sei.ns qui avaient
?
F
allatté huit enfants, à présent inutiles, flétris, êt
je passai toute la nuit, elle agrippée à moi, moi
?
n
roulée en boule contre son flanc, dans son odeur
d'âge et d'arnica, dans sa chai,eur.
C'est cette étreinte-}à dont je veux garder le
La maitresse et Nfarguerite
f, souvenir.
â
â Au milieu des années 50, un 4 septenlbre,
â déjà ernmitouflé dans les couleurs de l'automne,
je retrouvai Paris. sans enthousiasme. sans
-â déplaisir non plus. Avec indifférence. IJne
vieille connaissance.
- J'avais cornmençé de n'être ptrus ce que
- j'étais, à peine le pied posé sur le pont de
l'Alexartdria, ufl bananier qui faisait la traversée
4
-
en dix jours. Nous étions une douzaine de passa-
á gers, garçons, filles, allant étudier en France.
I J'étais la ptrus jeune avec mes seize ans et tous
t me trartatent en enfant prodige. L'atrnosphàre
étart funêbre. Ni flirts, ni danses, ni blagues, le
- lenbé nous travaillait l'ârne. En outre, il n'y
- avait aucune distraction à bord. Nous tuions les
â heures de la matinée à lire, vautrés sur les fau-
) teuils, face à la rner. Aprês le déjeuner, chacun
-â
s'enfermait dans sa cabine pour des siestes
interrninables jusqu'au d?ner. Ensuite, aggiuti-
) nés au furnoir, nous jouions rrrollement à Ia
;) belote. Je n'aurais jamais imaginé cornbien'ma
7a màre ailait nle firanqller. Je rn'âpercevais qu'elle
f,
A L37
â
.ü
était, comme dit re poême d'Audêo, .. *ú'
tttot, s.qrgin, ntron carême er épaules une toison de princesse hindoue.
3:*"t,T:^got,
mon hivernage >>. Loin d,edl, je ,r,^rái*'or,iJ ne me gênait pas re moins du monde. comme cera
je
d'appétit- Je me réveilais o"-rom*eils me croyais ra fille ta prus laide de la terre, je
fiévreux me comparais à personne. pourtant, j,étais ne
espérant que j'allais me retrouver t
sa poitrine- Je rui écrivai* serrée contre pée par *1. incongruité. Bien que ma
jour á*, pages "p_
coureur
et des pages, Ia supplianr;;;.
"rr*que pardonner m'assimilât aux petits-nêgies, coupeurs de
mauvaise conduite ã.s récentes ma canne, amrnareuses, pêcheurs, revendeuses,
répétanr combign, je I'aimái;:" ãnnées et rui manceuvres sur res quais, que sais-je
Dieppe, je postai dú reüres dlun ,{'^il;;ivée à
encore
éloignée h,*u, â". tes donzelles ?
du temps à me- coup. EIIe rnit lÍ]irr^pjI
peau claire qui rn'entouraient. Eiles au à
TÍpondre. puis, m'adressa dês
Iors de courts biilãrc rnoins
parlaient constamment le créole, trompeffiaient
sans âme que terminait bruyarrunent reurs rires êt, sans vergogfle,
invariablement ra f-ormure creuse
: << Ta maman naient leurs bondas au rythme des biguines. bren_
J'essaie encore maintenant de croire qye reurs parents ne À
me consotrer. leur avãient
incutqué les bonnei marriêres I À;";;;u,ils pas
cette surprenanre indifférente étatt probabre_ ne
t
I
Fénelon, elles manifestaient leur aversion pour pour dire la vérrté sur tes Égyptiens, et rna soli_
Mrne Epé,e. À l'opposé, elles me témoigrrâi"rrt tude se réchauffait ü
leur active sympathie. J'étais submergéeã'invi- 1 f idée q*, touls les nàgres
étarent ces parents. Elle I
m'invitait souvent dnez
tations à déjeuner, à passer le week-end dans la uÍle de ses tantes, épouse d'ul: parler-nentaire du I
maison de campagne de leurs parents. J'accep- sénégal. Douze piêces avenue h,farc eaLt, t
tais. Pourtant, de retour au foyer, j'avais à encombrées de maffinaille, de visiteurs, de vrais t
chaque f,ois conscience d'avoir tenu le rôle de la parents, de parasites et de femrnes au col de i
négresse à talents. r.don, je Íle sortais pas d'un cygne juchées sur leurs talons aiguilles. À toute t
142
t
143 {
t
-f,
,d heure du jour et de la nuit, on y mangeait du riz lait à son bébé. Son opulence épanouie narguait
I{ au poisson dans de la vaisselle de grand prix, les diatribes de Mme Epée. En rnêrne temps,
rt
tsQr
ébréçh.ée par les mains sans soin des servantes.
Camille, un de ses << cousins >>, tomba amoureux
j'espérais une lettre, une carte, un signe .nfrn,
pour conforter nla représentation de son bon-
IÔi de moi jusqu'à 1'adoration. Íl étatt court et gros, heur. Flie Íle m'écrivit jamais.
n
Ft
suprêmernent intelligent, un futur cadre de la
Banque mondiale. << Dans vingt-cinq ans, prédi-
sait-il, nos pays seront indépendants. >> Il se
l+, trompait, ils le furent avant cinq ans. C'étatt bon
É' d'être enfin ciésirée, d'être embrassée sur la
l'r+ bouche, un peu pelotée. Cependant, je n'étais
â pas prête pour l'Afrique. A la fin du deuxiême
?
n
trimestre, Marguerite disparut. IJne rumeur cir-
cula, devint bientôt certitude. Elle étart retour-
tsr née au Séné,gal. Pour se marier. On apprit même
lq qu'elle étatt enceinte et s' était sanglée tout
!â l'hiver. Du coup, Mme F;pée m'oubli* pour
s'acharner sur son anci.enne favorite. Cours
F
á
aprês cours, elle en fit le lamentable symbole
des femmes de sa race, veules et dépourvues
A d' ambition intellectuelle. Dans quelques arlnées,
h eltre se retrouverait engraissóe, un cure-dent à la
F
n
bouche, trainant la sandale.
Moi, assise au banc des cancres, j'avais repris
!á mes rêveries éveillées. Je m'imaginais Margue-
rite sous les traits d'une Sénégalaise d'une gra-
Iá vure ancienne que j'aimais. Dans un jardin oü
I{
â
poussaient des fleurs altiàres et barbares, elle
étaít allongée sur un divan, le dos reposant sur
;a des coussins multicolores. Sa tête étart envelop-
ta pée d'un énorme mouchoir bleu" Ses pieds
lla chaussés cie bottines à laniàres. Elle ouvrait son
?a corsage de taffetas et offrait son sein gonfté de
r]a 1,44
Â
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Olnel ou Ia vraie vie I
I
I
À la fin de I'année, je fus i
khâgne' Je n'attendais"p". renvo yéede tr,hypo- t
ne fit aucun commentáire. ã"oe chose. Ma màre t
Lrne
Mon pàre
leftre, r,odêre du g.*r., oü m,adressa
que j'étais la honte de-son-nom.ir me signifiait
t
époque, je crois, qu'*l. refutationC,est de cefte ü
de me corler dans- ra familt, commença I
accepter pour vérité.: margré Çue je finis par ü
ligence, je n,arriverais à rien. toute mon intel_ I
En novernbre, je ."j;l;nis la ü
comme un prisonnier toücnã Sorbonne ü
évasion- Je me coulai, anonyrne à ra terre de son ü
dans ses amphithéâtre-s sulpeuplés. et radieuse, ü
D,un coup ü
Í: -p*d:.j'.enroyar vardingi.r res lerrres ctras-
slques. Finis Ie latin, Ie gã", t* vieux rr*rrçais, ü
le ffroye*
_ir.nçais. J'olrai pour des études ü
d'anglais- c'é.*ít tout de même rnoins po*ssié_ ü
reux' Et puis, j'avais découvert }es grands J
poêces, Keats, tsyroo,
sheiley- r. me saoulais de ü
leur poésie : #
i;
i;
147 *
J
FT
l+'tl What is a vision, or a waking dream ? slasme s'était desséché et avait flambé conlme
l{'Çr Fled is that music Do I w,ake or sleep ? l'herbe d'un boucan. La rittérature angraise
ltdi Kears, Ode à un rossignol. ne
H; lomptait pas seulement shakespeare et mon trio
de génies rebelres. La saga à", Forsyte, res
h{i Je me passionnais aussi pour leurs cruelles romans de Jane Austen, mebesaient encore
h)" histoires de vie, comprenant que seule la souf- que Tacite et platon. Et puii, il y avait prus
france donne son véiitable prix à la créativité. aussi du
anglais, du moyen ângrai.. j,envoyai bala_
lf.{r Grâce à ma nouvelle liblrté, je retrouvai 'ieil
lirCr
d'anciennes camarades de La poinie, ma << srcur der la sorbonne. Je ne sais"plus
ll-Cl de prerniêre communion >r. Mes caÍraarades j'occupais mes journg". t já me três bien à quoi
rappelle que je
d'trypokhâgne, devenlres khâgneusÊs, ne passais énormément de terips au Mahie,,
li'4r les librairies. D'une certairie maniêre, bien oaá,
rn'avaient pas Làchée. Françoise qri se piquait "i que
h,?:
d'être rouge comme son pêre, pr^ofesseür dorée, mon existence n'était pas gaie. Loin
[{r ã la de
là- Je vivais dans un désert affectif. Tr;p
Sorbonne, avait appris avêc iui ^à disserter sur
H 1'anticolonialisme. Pour mon anniversaire, elle d'années rne séparaient de mes soeurs Emilia et
Théràse- Leurs õeurs n'abrirài""iõrj
{,{' m'offrit un exemplaire du cahier d'un retour au moi que
É prys natal. La poésie de césaire ne me révolu- des sentiments fort tiêdes" À leurs yeux, j,étais
É golna pas cornme la prose transparente de une derniêre-née gàté,e par nos parents
_
zabel l'avait fait quelqúes années ptus tôt. À t10p
vieillissants,_ eue, DieL
É ãerci , r,existence ailait
I.
frü
prerniàre lecture, je décrétai qu'elle ne soutenait
pas la comparaison avec celle de mes idoles
se charger de dresser. Rituellement, i"
je déjeunais dnez Émilia. pour évitersamedi,
conversation, toure
f,. anglaises. Pourtant, l' enthousiasrrie de Françoise tandis que je mangeais, elie
_çiui en déclamait des passages à la terrassê du s'enfermait, assise au piand dans sa chambre.
,f Mahieu finit par devenir contagieux. per.r à peu, c'était une merveiileüse musicienne qui me
I j'ouvris mes bondes et rne laissai emportei par mettait les larmes aux yeux. Je savais
çlu,eile
,. son tumulte d'images. J'accompagnai Françoise avair rêvé pianist. o" concert.
{'êrl? Au Iieu cie
Ia rue Danton, à la saltre des Sociéiés savantes. Des cela mon pêre I avait guidée vers des études de
communistes français et africains y débattaient pharmacie qu'elle nravait jamais terminées.
{ c'une nouveltre loi élaborée par Gasion Defferre,
4 Rituellement, avant re baiseràe t,aLI revoir,
la lci-cadre. Ces discours árides r§'ennuyêrent. *e glissait des billets baneu€, de quoi soure- erle
,) $g
Je ne remarquai même pas un des orateurs, syn-
-
nir une famüe de hilre *dy*nne. À chaque
* dicaliste venu de la Gúnée : sékou Touré. f-ois, j'avais I'irnpression
,,t Moins de deux mois plus tard, pcurÉant, de rne demandefpardon d; d;- c,étatt sa maniàre
j'étais revenue à La case départ. h,{on enthou- son incifférence. Je
É passais un week-end sur quatre dans Ia jolie
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bicoque biscornue de Théràse, à l'ombre de la !:'
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{ d'être mêre étaient fortement diminuées. Moi
basilique de saint-Denis. euand nous ne nous qui mettrais au monde quatre enfants, je pleurai
disputions pas, nous n'avions rien de rien à nous
dire : elle n'avait à l'idée que sa petire fille et à chaudes larmes sur mã f,ture stérilité. Même
son mari, et puis je l'avans toujour§ agacée. Elle TO3 corps m'abandonnait. pourtant, ce mois à
rne trouvait narcissique et velléitairé. Elle me l'hôpital fut aussi un enchantement. Ma voisine
croyait méprisante alors qu'au fond de moi je de lit, Mme Lucette, était une marchande qui
tremblais de peur. Je n'avais pas d'arnoureux. vendait ses quatre-saisons rue Rambuteau. Je
Í:,e garçon qui s'apprêtait à rn'aimer, Jocelyne l'écoutais fascinée comme une enfant qui vient
d- ,pprendre à lire et tourne res pug"* 'á,
l'avait enlevé d'une rnain de maitre, avec sa album. c'est tout cela l'existenóe í nt*e Lu_
;;;
superbe couturniêre. Cet échec n'étant pas de
nature à augmenter ÍTta canfiance en moi. cette me présentait fiêrement à son flot de visi-
Je compris três vite que solitude vaut mieux teurs et quand ceux-ci s'extasiaient sur mon
que mauvaise .frtlç"ir, j1 n'étai! pas vexée. Je pérorais de prus
-compagnie. Avec ma solitude, je belle pour leur fairê plaisir. Je lelr montrais des
courais toutes les expositions de Léonor Fini õu
de Bernard tsuffet. Nous faisions la photos de ma famillé et tous renchérissaient sur
queue Ia beauté de ma mêre. Mais une fois sortie de
devant les films de Louis Malte. pas intimidée,
elle entrait avec moi dans les plus grandes bras- l'hôpital, mon amitié pour Mme Lucette ne
résista pas à^u, dans le raudis qu,elle
occupait au fond§éjeunei
series et pa-tientait pendant qué j'avalais des pla-
teaux d'huitres sous 1es yeux d.es autres cHànts d'une cour dans le quatriême
stupéfaits. Elie était à mes côtés quand je ai:rondissement. Le pot-au-feu étatt sublime,
comparais t?I déptiants des agences touristiquás mais je restais tra fille de rnes parents. .Au prin-
et décidais d'acheter tel ou tel billet ce chemin temps, Jérôme, un carnarad.e oe la Guadelàupe
de fer. Arrec elle, je parcourus l'Angleterre, qui, à rna différence, poursuivait studieusement
sa licence d'histoire, me demanda d,anirner avec
l'Espagne, Ie Portugal, I'ftaHe, l,A1l"oign*. En I
sa compagnie, je me cassai une jambe sur une lui le cercle Luis carlos prestes. eui est Luis I
piste de ski en Autriche et fus d.escendue carlos Prestes ? {.ln martyr ? Lln hãrnrne pcli-
en tique ? un nationaliste culiurel ? Je ne rrà,en sou_ I
hélicoptàre cans tra vallé,e. Nous fêtâmes 1,anni- I
versaire de rnes dix-sept ans à 1,Hôtei-I)ieu. viens p_lus du tout aujourd'hui. Nous argani"-
Entrée pour ce que je crcyais une banale crise sâmes fiévreusement dôs aprês-midi llmerãires, I
d'appendicite, je fus opérée pour une tumeur à {.* colloques, des confér".rô*s, et je cornmençai I
l'ovaire. Les docteurs consternés m'informêrent de prendre gcüt à ces activités qui ont tellemenÉ I
que j'avais failli y passer et que files chances encombré flra vie. Moi-même, jã prononçai une I
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conférence. sur ra cultur* §"áaeloupéeilne. t
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150 I
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J'ignore cofirment elle fut accueillie. C'est sim- mulâtres, faillirent se battre. Jérôme et moi
plement la preuve qu'à I'époque je n'avais pas fümes irnpuissants à calmer une bataille à
peur des sujets que j'ignorais. Le cercle Luis laquelle nous ne courprenions pas grand-chose.
Carlos Frestes prospéra. Je fus soltricitée pour Témoin d'une telle passion, j'éprouvais un sen-
parl.er, écrrre dans des journaux. Je remportai un timent d'envie. Ah, être née dans un vrai pays,
prix pour une Ílouvelle publiée dans la revue des un pays indépendant et non dans un kraztlr. de
étudiants antillais catholiques. C'est dire que, ter:re départementale ! Se battre pour un pouvoir
tout en coÍrtinuant à ne fourni.r auclrn travail uni- national ! Posséder un palais présidentiel avec
versitarre, je gagnai.s un prestige d'intellectuelle un président en habit charnarré ! Du jour au len-
parrni les étudiants. Cette année-là, j'échouai dernain, je me liai étroitement avec deux étu-
misérablement à rnes examens et mon pàre, diants haÍtiens en sciences poiitiques, Jacques
furieux, refusa de ín-e fante rentrer en Guade- et Adrien, qui, vrai ou faux ? se déclarêrent
loupe pour les a,/ecârlces. Cette décisior, juste arlr.oureux de moi à la folie. Três savants, ils
dans une certaine logique, eut une conséquence n'ignoraient rien de leur pays : ni I'histoire, ni
terrible. la religioo, ni l'économie, ni les tensions
Je ne devais plus revoir ma màre vivante. politico-raciales, ni La ltttérature, ni la peinture
tIn aprês-rnidi du cercle fut consacré à uÍl nafve. Travailleurs, deux rats de biblioihàques,
débat sur Hafti oü uÍl certain docteur François ils rne firent honte de mon inactivité. J'avais un
Duvalier pa*ait favori dans la course à 7a pré- faible pour Jacques avec son menton en sabot
sidence. Ce que je savais d'HaÍti se limitait aux creusé d'une fossette et ses yeux brumeux. << Tu
ballets de l(atherine Dunham que j'avais admi- vois, soupirait-il, la vie, c'est un téléphone haí-
rés quelques arlnées auparavant assise au théâtre tien. Tu appelles Jacmel. Tu obtiens Le Cap. Tu
de X'Empire entre papa et mam"an. J'ignorais Çe n'as jamais ce que tu veux. >> Il me conseitrla les
qu'on lui reprochait, à ce François, à part son lettres modernes qui, à l'en croire, me convien-
masque un peu sirrriesque. Face à ses opposants, draient à merveille. C'est lui qui, en douceur,
petits-bourgeois mulâtres pour la plupart, la rne ramena vers l'amphithéâtre Richelieu oü
couleur Ce sa peau me le rendait plutôt syrnpa- Marie-Jeanne Durry faisait son cinéma. Mais,
thique. Mon éducaticn avatt ét€, << noiriste », Jacques et Adrien étaient surtout les ombres de
sarls }e savoir. Sandrino, deux grands fràres retrouvés. Je
De Éoute son existerlce, le cercle I-uis Carlos n'an:rivais pas à me décider" Aussi, ils étaient,
PresÉes Í1'avait conÍlu séance aussi hor.rleuse que l'un eÉ l'autre, trop f,ils de bonne famille, bien
celle cie ce soir-là. I-es duvaliéristes et les anti- élevés, rasstlrants dans leurs duffte-coats iden-
ciuvaliéristes, les étuCiants noirs et les étudiants tiques. .Alors qu'une part de rrroi, confuse, Céjà
í52 153
í'tr:
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véhémente, attendait l'insolite, l,inconnu? le f{
danger, la vraie vie, quoi ! j'imaginais |exis- II ce qu'olnel avait en réserve pour I
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i
coi. moi. E resta
tence que nous mênerions à Pétionville ou à :
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r(enscoff.r long fleuve d'ennui tranquilre.
i
Nous ?oyr engageâmes sur le bourevard t
J'étais loin tn
de prévoir les malheurs qui allaient
sainr-Àdichel, zébíe ãe tumiêres.
quillés, le troupeau des voitures Les yeux écar_ I
s'abattre sur les r{aÍtiens, que Jac{ues serait mugissant vers rà seine. ce soir-rà, ioutait en I
obligé de s'exiler au canadâ, qu,Aàrie" -;;;; m'en aperçoive, ma soritude se d,étacha ,àrr. que je t
toute sa famille serait une des p."*iêres vic_ et me fit ses adieux. EIle m, avait de moi t
times des tontons macoutes. accompagnée pendant plus de fidêrement I
je suivis mes inséparables d,ez un de
{.Jn soir, n'avais plus besoin d'elfe. Je venais deux ans. Je t
leurs compatriotes qui ]nab:r',ãrt rue Monsieur_le_ contrer, la vr-aie vie, avec son cortêge de ra ren_ ü
Frince. La discussion tournait autour du monde de ratages, de souffrarlces indicibxes, de deuils, ü
rural et nous écoutions avec une attention reli_ heur:s tlop tarciifs. EIIe resta et de bon_
gieuse olnel, un rnurâtre, ingénieur agronome, ããuo,rt au coin de ra t
rue cujas agita,t faiblement tã *rir.
qui décriv aít la détresse des pãyru.ns de la vaEée ingrate, -ie n1 ra regard.ai même Mais moi, U
de l'Artibonite. un moment; il s,interrompit m'avançais fausseáent éblouie pas tandis que je
vers I,avenir.
U
pour me faire coffrplirnent d'un article qL* U
j'avais écrit sur « compêre Général soleil >r. si U
le Bon Dieu en personÍIe du haut du ciel avait U
éçarté le rideau des nuages pour m, adresser la T
parole, je n'aurais pas ete pi,ru exartée. ry
eu,un
homrne si beau, si impressionnant. ait remarqué
quelqu'un d'aussi piêire que moi dépassait mes f
espérances- Quand nous dêcid.âmes d;alter diner, ü
tout à mon transpoffi, je trébuchai dans l,esca- rll
lier. Alors, devançant Íacq,r"s et Adrien, iI me (}
retint C'une main possessive. ü
artge gardien que pencant des années rna ü
-cetra'avait
môre ü
forcée d?implorer ne rernplit pas
son office. Apràs rant dJ priàres, dizaines de ü
chapelets? ileuvaines, d'un iigrr* même irnper- ü
ceptible, il au.rait dü n:'avertir, m,avertir cie i*,rt J
a,
154 ü
ü
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rdÉ
1§-
I
H Glossaire
n
Fe
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moko zombi.' masque sur échasse
moftryase .' bouche bée
ow lcalte pousé à pwéz.an ! .- tu vas pousser maintenant !
petits-t?àgres .' les pauvres
r{i potrger .' fourneau à charbon
á signe de chair .- grain de beauté
IÇ Sura an blan..' Sura en bianc
Sura an gri.' Sura en gris
á toma.' pot de chamLrre en terre
Â
','i
torcrtà dso : tonnerre du sorÍ
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