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Shamar Rinpoché

LES DEUX VISAGES


DE
L'ESPRIT

Traité de la distinction
entre la conscience partielle
©Editions Dzambala, 1995 et la connaissance primordiale.
Landrevie, 24 290 Saint Léon sur Vézère
Tous droits de reproduction ou d'adaptation,
sous quelque forme que ce soit, réseroés pour tous pays. "rNam.Sbes. Ye.Sbes. 'Byed.Pa'i. bsTan.bCos."

ISBN 2-906940-11-9
Maquette: MicroSeroices - 24580 Fleurac
Illustrations :
fllustration de couverture: © Gérard Muguet
Dessins : bois gravés du Tibet Traduit par Lama Yéshé Nyingpo
Préambule

L'auteur de ce livre est S.E. Shamar Rinpoché, régent de l'école


Kagyupa (lignée de la transmission orale) du bouddhisme vajrayana.
Cette école est réputée pour la richesse et la profondeur de sa tradi-
tion méditative, magnifiquement illustrée par des ouvrages tels que
"La Vie de Milarépa" ou "Les Cent-Mille Chants".
Les Shamarpa sont les détenteurs de la Coiffe Rouge, symbole de
leur haute réalisation spirituelle. Ils sont considérés comme des éma-
nations pures, représentant l'activité illuminée du bouddha Amitabha,
le bouddha de "Lumière Infinie" qui réside en le champ pur occi-
dental : la Terre de "Grande Félicité".

"Il y a de cela de nombreuses ères, un être réalisa la bouddhéité


sous le nom du Tathagata Keuntcho Yenlak. Dans la présente ère
fortunée, bénie par la venue de mille bouddhas, ce Tathagata se ma-
nifestera sous la forme d'un grand bodhisattva à l'éclatante coiffe
rouge rubis. Il aidera de nombreux êtres" (1).

Shamar Mipham Tcheukyi Lodreu est la XIVe incarnation de la


lignée des grands bodhisattvas à la Coiffe Rouge. Les représentants
de cette succession ont toujours été étroitement liés à celle des Kar-
mapa, détenteurs de la Coiffe Noire et hiérarques de l'école Kagyupa.
La plupart .des Shamarpa ont fait partie de ce qui est appelé le
"rosaire d'or de la transmission orale". En effet, ce sont les déten-
teurs des enseignements de la tradition Kagyupa, assurant la conti-
nuité et la préservation de la réalisation et de la grâce de l'éveil,
transmises en une lignée ininterrompue.
(1) Prophétie du Bouddha Shakyamouni concernant le Shamarpa, extraite du
"Soutra du Bon Kalpa".

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT PRÉAMBULE

Les Shamarpa se sont distingués aussi par leur érudition et leur L'ouvrage est constitué d'une succession de présentations des
capacité à exposer clairement la profondeur des enseignements éso- voies non-bouddhistes (traditionnellement hindouistes) et bouddhis-
tériques qui sont le cœur de la lignée de la transmission orale. Plus tes, qui conduit à une série de réfutations. On ferait fausse route en
particulièrement, leurs ouvrages sur "Les Six Doctrin_es de Naropa" croyant que cette argumentation aboutit à une polémique. Elle est
font autorité. au contraire destinée à faciliter une approche progressive de la réalité
de l'esprit et des phénomènes. Chacune des étapes de l'exposition,
Au qualités traditionnelles qui sont celles des Shamarpa : érudition, représentée par un système particulier, s'inscrit dans un processus
réalisation spirituelle, compassion infmie pour tous les êtres, l'actuel de compréhension plus profond et plus subtil que le précédent. Cette
Shamar Rinpoché associe un sens particulier de la communication, approche est celle que le lecteur, et plus encore le pratiquant, est
une façon directe et incisive de présenter l'enseignement, empreinte censé appliquer à son propre esprit et à sa propre expérience. Elle
d'humour et de simplicité. Cette simplicité s'élève d'une noblesse et constitue un itinéraire de réflexion et non une affirmation dogmatique.
d'une puissance de rayonnement incomparables, inspirant un res- Le Bouddha n'enseigna jamais l'intolérance, ni l'acceptation aveu-
pect naturel et la dévotion du cœur. gle de ses propos. Il a toujours rendu hommage au pur brahmane,
Par sa compréhension profonde des situations, Rinpoché se révèle symbole des traditions bénéfiques qui l'ont précédé. Son enseigne-
habile à dissiper les différentes mythologies qui embrument l'esprit ment fut toujours délivré en fonction de situations com:rètes et des
de ses disciples ; que ce soit l'attrait actuel pour la civilisation maté- capacités des disciples. Il représente une exhortation constante à vé-
rialiste chez les Orientaux, ou l'intarissable soif de mystère et d'étrange rifier par soi-même le contenu et la valeur des propositions qu'il
qui hante les consciences occidentales. Démontrant les jeux et dissi- contient, au moyen de la réflexion, de la contemplation et de l'expé-
pant les aveuglements de l'esprit, il excelle à pourfendre les supers- rience directe issue de la méditation.
titions et les fanatismes.
Par-dessus toutes ces qualités, Shamar Rinpoché incarne l'essence Le propos de ce livre est de fournir des éléments de réflexion que
d'amour et de compassion, d'attention bienveillante envers chaque chacun intégrera selon ses prédispositions et ses aptitudes. Il ne
être, qui est celle de l'éveil. Sa présence est source de joie, de bon- constitue pas une réfutation de systèmes s'opposant les uns aux au-
heur et de toutes sortes de merveilles qui ravissent ceux qui l'appro- tres, au nom d'un sectarisme aveugle, ni une présentation exhaustive
chent. des systèmes qu'il évoque.

Le présent ouvrage est basé sur une transmission du "Namshé La nature fondamentale de la réalité est proprement inconcevable.
Yéshé Gyépa Tentcheu ", le "Traité de la distinction entre la conscience Elle n'est perçue correctement que par l'esprit libéré de toutes illu-
partielle et la connaissance primordiale'~ Cet enseignement fut donné sions et pleinement éveillé d'un bouddha.
par Shamar Rinpoché à Dhagpo Kagyu Ling, en Dordogne, siège Afin d'exprimer l'inexprimable et de rendre perceptible aux êtres
européen de Sa Sainteté Karmapa, en 1981. non éveillés cette réalité, le bouddha, le principe d'éveil se manifeste
Rinpoché considère cet enseignement comme essentiel, car il per- 1
sous des formes multiples, révélant des présentations de l'enseigne-
met de situer avec précision le dharma du Bouddha, en regard des ! ment différentes et même apparemment contradictoires, qui ne sont
autres voies spirituelles. Plus encore, il délimite clairement la frontière en fait· que les moyens appropriés aux différentes capacités et aux
qui sépare les ténèbres de l'esprit ignorant de l'être soumis à la prédispositions de chaque être.
confusion, de la clarté lumineuse de l'esprit éveillé d'un bouddha.
L'activité éveillée est l'expression spontanée de la conscience inté-
Cependant, il convient au lecteur de se garder de jugements trop grale des bouddhas. Elle est ouverture totale et communication
hâtifs, concernant la méthode d'exposition suivie dans ce texte. radieuse et chaleureuse, l'union de la vacuité et de la compassion.

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1
LES DEUX V7SAGES DEL 'ESPRIT PRÉAMBULE

C'est dans cette optique que cet enseignement se situe. Chaque Ce présent travail ne prétend pas constituer une version définitive
proposition se trouvant réfutée par la suivante, le lecteur est guidé et encore moins une traduction du commentaire de Lodreu Tayé.
pas à pas vers une compréhension juste de la réalité ultime. Cette composition se propose de restituer les points essentiels déve-
~-
Néanmoins, cette simple compréhension intellectuelle est loin loppés dans l'enseignement de Shamar Rinpoché et de répondre aux
d'être "la chose en soi". Seule l'expérience pratique acquise sous la souhaits qu'il a formulés d'une présentation simple et cohérente de
direction d'un maître qualifié se révèle fructueuse. Comme le souli- la tradition bouddhiste, destinée à tous ceux qui s'interrogent sur
gne Shamar Rinpoché, l'enseignement perd alors la sécheresse et l'esprit sur eux-mêmes et sur le monde. TI a semblé nécessaire d'intro-
l'austérité propres à la connaissance intellectuelle et acquiert la saveur duire ~uelques explications supplémentaires permettant de clarifier
de la certitude définitive. certains points supposés connus et pour cette raison brièvement
Cette insistance à intégrer correctement les notions théoriques de évoqués dans l'enseignement oral de Rinpoché. Ces additifs se distin-
la présentation par la méditation, a valu à l'école Kagyupa son nom guent du corps principal du texte par leurs caractères italiques.
de "lignée de la pratique". Une série de notes de bas de page précise le sens des passages
délicats. Les principaux termes techniques ont été réunis dans le
Cette transmission, donnée par Shamar Rinpoché, repose sur glossaire situé à la fin de l'ouvrage.
"Le traité de la distinction entre la conscience partielle et la connais-
sance primordiale", œuvre de référence due au Ille Karmapa, Je remercie tous ceux qui ont bien voulu, par leurs connaissances,
Randjoung Dordjé. Ce texte est un classique qui expose de manière leurs conseils et leur disponibilité, contribuer à la réalisation de ce
profonde et concise l'essence de l'enseignement bouddhiste. Comme travail.
tous les "textes-racines", cette composition se résume à quelques Tout particulièrement, qu'il me soit permis d'exprimer ma gratitu-
feuillets d'une expression versifiée souvent dense et hermétique. de et mon respect envers mon lama-racine, le Vénérable Guendune
Pour cette raison, l'ouvrage est accompagné d'un commentaire Rinpoché, dont l'attention bienveillante, les conseils et les explica-
explicatif qui en facilite la lecture. Celui utilisé par Shamar Rinpoché tions ont été une source constante d'inspiration et d'encouragement.
est l'œuvre de Djamgœun Kontrul Lodreu Tayé, une des figures les
plus marquantes et les plus renommées parmi les grands érudits et Je remercie également tous ceux qui ont participé à ce travail, en
les maîtres réalisés du XIXe siècle. particulier les Editions Dzambala, Claudine Ledroit et Anila Tsultrim,
L'enseignement oral de Shamar Rinpoché restitue la qualité vivante pour la frappe du manuscrit, Gérard Muguet, pour les illustrations et
de l'expérience directe de la nature de l'esprit, qui fut le propre de la composition du texte, tous ceux qui ont participé à la relecture :
ces grands maîtres et qui s'inscrit dans la même continuité de réali- Jean-Michel Hérault, Dominique Thomas, Anne Binétruy, Erwan
sation spirituelle. Temple et Marc Bosche pour la relecture de la présente édition.

Une première transcription de cet enseignement fut réalisée par


Puisse cette esquisse inspirer à leur tour tous ceux qui s'intéressent
Jérôme Edou et publiée dans le n° 2 de la revue "Tendre!'~ au-
au dhamia du Bouddha.
jourd'hui épuisé. C'est à l'initiative de Shamar Rinpoché lui-même
qu'une nouvelle traduction dut d'avoir été entreprise, Rinpoché
considérant ce texte comme essentiel pour la compréhension du
Yéshé Nyingpo
dharma du Bouddha.
L'édition de 1987 étant épuisée suite à l'intérêt qu'elle a suscité, le tex-
te de la présente édition a été revu en 1995 afm d'en faciliter la lecture.

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Introduction

Ce traité présente les différences entre la conscience ordinaire en


/ mode dichotomique ( namshé) et la connaissance primordiale (yéshé).
Il établit ainsi la distinction entre la conscience fragmentaire de
l'esprit confus et la conscience intégrale de l'esprit éveillé.

\ En général, tous les phénomènes du monde conditionné (samsara)


et de l'au-delà de la souffrance (nirvana) se répartissent en trois
catégories :

1.. ) 1
- objets inanimés substantiels,
- objets inanimés non-substantiels,
- objets animés : êtres dotés d'une conscience.
i l
\ Les deux premières catégories comprennent la matière et consti-
tuent le champ d'investigation des sciences expérimentales (physique,
' mathématique, etc.). Celles-ci sont tournées vers l'exploration du
1
"monde extérieur". La troisième concerne le domaine non-physique,
l'esprit, qui est le champ d'investigation des sciences humaines. La
terminologie bouddhiste nomme "science intérieure" la discipline
qui explore la conscience, la distinguant ainsi des sciences extérieu-
res qui traitent du monde (1). Le terme conscience désigne ce qui
expérimente le bonheur, la souffrance, l'indifférence, ce qui connaît
l'expérie~ce.
Ce sont les phénomènes qui appartiennent à cette catégorie des
êtres dotés d'une conscience qui constituent l'objet de ce traité.

(1) Bouddhisme est l'appellation par laquelle est habituellement désignée cette
discipline scientifique qui explore la conscience, cette science intérieure, ou science
de l'intériorité.

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LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

D'une manière générale, l'esprit présente deux aspects ou situa-


tions principales :
- Lorsqu'il est soumis à la confusion : c'est la conscience partielle,
séparée, imparfaite, conduisant à une connaissance dépendante,
contingente et fragmentaire. ·
- Lorsqu'il est dégagé de l'emprise de la confusion : c'est la
connaissance primordiale, intégrale et insurpassable, l'omniprésence
de l'éveil.

Ces deux aspects sont comme les états d'un même visage. À certains
moments creusé par la colère ou l'angoisse, c'est l'esprit troublé par
la confusion. À d'autres moments, tranquille, souriant et plein, il est
semblable à la sagesse paisible de la connaissance primordiale.

La conscience perturbée ou névrotique est la cause de l'expérience LA CONSCIENCE


conditionnée, du cycle des naissances et des morts. L'origine de la
souffrance, c'est l'esprit des êtres ordinaires, obscurci et limité. La
connaissance primordiale est la sagesse originelle, l'état fondamental
de l'esprit rendu à sa véritable nature de félicité. C'est l'au-delà de la
souffrance, l'éveil du Bouddha, libre de confusion, connaissance illi-
PARTIELLE
mitée, inobstruée.

Afin d'éliminer les obscurcissements et les limitations de la cons-


cience fragmentaire et de révéler la connaissance primordiale natu-
rellement libre de toute confusion, il importe d'établir ce qui les
différencie. C'est l'objet de cet exposé qui présente la distinction
entre la conscience confuse et la connaissance éveillée.

Ces deux thèmes sont traités successivement.

12 13
~
f
~

1
.
'

.
.

L'esprit, source de la confusion


et de la non-illusion

Les points de vue extérieurs


(les caractéristiques des systèmes non bouddhistes)

L'interrogation fondamentale des hommes sur leur condition, leur


relation au monde, au cosmos, leur position par rapport à l'ultime et
à l'infini, l'origine de leur présence et de leur expérience de naissance,
de mort, de bonheur, de souffrance et d'indifférence, les a conduits
à apporter de multiples réponses, constituant autant d'opinions, de
systèmes philosophiques ou religieux.

Tout d'abord, il y a les êtres qui ne cherchent pas d'explication et


qui ne s'interrogent même pas. Ils n'ont pas d'opinion sur l'origine
du monde et des conditions d'existence qu'ils expérimentent.
Ils consomment simplement leur expérience immédiate sans la
considérer, en cela semblables à des animaux ou à des enfants sans
conscience.

Parmi les multiples positions de ceux qui envisagent le problème


et qui proposent des réponses, nous considérerons en premier lieu
celles qui sont incorrectes ou insatisfaisantes. On fera référence aux
différents systèmes qui se sont développés en Inde, car ils sont le
prototype des convictions de l'humanité entière.

A l'époque du Bouddha, l'Inde était le creuset d'une multitude de


traditions philosophiques et religieuses et le lieu d'une intense activité
spirituelle.· Une approche en suscitant une autre, on ne dénombrait

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LA CONSCIENCE PARTIEllE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

pas moins de trois cent soixante systèmes philosophiques qui et les phénomènes. L'origine et le nombre de ces catégories varient
coexistaient dans un respect mutuel. Nombre d'entre eux s'étaient d'une doctrine à l'autre, mais elles reposent toutes sur une base
développés autour de principes essentiels communs et ne différaient commune.
que sur des points de détail. Nous nous en tiendrons ici à l'exposé Dans le système Samkhyas, toute la manifestation se répartit entre
des principaux, comme représentatifs des autres. deux polarités majeures: tout d'abord un principe causal qui produit
bonheur, souffrance et indifférence, en fonction de trois qualités
On distingue quatre types de systèmes : égales : motilité, ténèbres et lumière, d'autre part l'entité ou soi (qui
- les systèmes non-théistes inclut tous les êtres). ~
- les systèmes théistes
- les systèmes chamanistes Le principe causal est défini comme existant par einq caracté-
- les systèmes matérialistes. ristiques. Il est :
Les trois premiers représentent le groupe des positions "éternalistes", - unique,
postulant l'existence d'une entité indivisible, permanente et indé- - animé,
pendante. Le quatrième type est fondé sur une approche "nihiliste", - invisible,
niant l'existence de quoi que ce soit de transcendant au monde - capable de manifester des émanations en mode illusoire,
matériel immédiatement perceptible. - illimité.
Il est la cause, le créateur, d'où sont issus tous les aspects de la
manifestation phénoménale, conçus comme expression de son acti-
L'approche non-théiste vité. Il est donc assimilé au monde phénoménal, sa création. Cepen-
dant, il n'est pas un dieu ou un surhomme. Il n'est ni masculin ni
Elle représente la vue autour de laquelle se sont déployées les féminin. Il est seulement principe créateur impersonnel.
traditions majeures de l'Inde telles que celles des Samkhyas (énon-
ciateurs), des Vaisheshikas (particularistes), des Naiyaikas Oogiciens), L'autre aspect de la polarité est constitué par l'entité ou soi (set :
des Mimamsakas (analystes), des Védantins (ceux qui suivent les atman, tib : dai). C'est ce qui possède la faculté de jouir de cette
Védas), des Nirgranthas (ceux qui vont nus) plus connus sous le manifestation, de connaître et d'expérimenter le monde déployé par
terme de Jaïns. (1) le principe causal. Cette entité n'est pas identique au moi individuel
Traditionnellement, ces systèmes sont présentés et discutés en de la personne, mais à l'ensemble animé qui éprouve consciemment
termes de vue ou théorie, de méditation, de conduite et de fruit ou la création en tant que bonheur, souffrance ou indifférence, c'est-à-
d'obtention. dire tous les êtres.
Cependant, ce jeu de la manifestation est illusoire et trompeur. Il
La vue fonctionne comme un stratagème mis en place par le principe causal
dans le but d'enchaîner les êtres, le soi, dans les rets de l'illusion. Le
principe causal est donc considéré comme pervers, car il cherche la
L'approche non théiste est fondée sur l'énumération de catégories
perte des êtres.
dans lesquelles soht regroupés les éléments qui composent le monde
Lorsqu'un être, qui est un fragment de l'entité, souhaite connaître
quelque chose, le principe causal reconnaît ce désir et produit la
(1) pour une exposition détaillée de chacune df! ces écoles, voir "Practice and Tbeory of
Tibetan Buddbism" de Sopa & Hopkins, Rider Ed. ou ''Meditation on Emptiness" de manifestation illusoire correspondante. L'individu, prenant pour réel
jeffrey Hopkins, Wisdom Publications. l'objet de son désir, va jouir de ce qui n'est qu'une tromperie. Il se

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LA CONSCIENCE PAR11EllE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

trouve alors distrait de sa véritable essence (l'entité). Il deviènt pri- la relation, ces deux conditions sont incompatibles. Ainsi le principe
sonnier du piège de l'illusion et s'assujettit au principe créateur. causal et l'entité ne peuvent pas logiquement coexister.
La nature du soi est l'intellect par lequel la personne entre en
relation avec les sens. L'intellect est décrit comme un miroir à deux Comment établir la relation entre l'entité (le soi) et la personne,
faces : reflétant l'image des objets extérieurs et celle de la personne décrites à la fois comme identiques et séparées ? Lorsque la libération.
intérieure. individuelle intervient, cela signifie-t-il que seule la personne
Lorsque l'individu assouvit son désir de jouir de la manifestation concernée se libère et que l'on doive attendre que tous les êtres se
illusoire, il se prend au piège du principe créateur. Trompé, distrait libèrent pour que l'entité te soit aussi? Ou bien, est-ce que la libération
de sa vraie nature, il erre dans le monde conditionné, expéprnentant de la personne équivaut à celle de l'entité, c'est-à-dire de tous les
l'illusion et la souffrance. êtres?
N'apportant que des réponses partielles et ne dépassant pas ces
contradictions, ces systèmes introduisent des éléments de supersti-
La méditation tion et ne peuvent être considérés comme valides.

Le maître spirituel explique à l'adepte comment la personne est


trompée par son désir de connaître les objets extérieurs, au moyen La conduite
des sens. Il lui enseigne des techniques de méditation favorisant la
En général, dans ce système, la conduite est basée sur l'observan-
concentration de l'intellect afin de le dégager du désir dirigé vers
ce de principes moraux et physiques de pureté et d'éthique. Par
l'extérieur, de le tourner vers l'intérieur et de le rendre à sa faculté
exemple, il est recommandé de combattre le désir qui enchaîne à
discriminante, capable de percer le voile de l'illusion de la manifes-
l'illusion et de s'abstenir de nuire aux créatures qui sont toutes des
tation.
parties de l'entité.
Par la méditation, le pratiquant unifie son esprit afin de se sous-
Cependant, bien que positives, ces règles conduisent souvent à
traire à la distraction projetée par le principe causaL
une rigueur excessive qui finit par nuire à la personne à travers le
corps et l'esprit.
Par exemple, consommer des nourritures délicieuses, c'est risquer
Le fruit
de tomber sous l'influence du principe causal, donc il est préférable
Guidé par son maître spirituel, le méditant pénètre des états d'ab- de jeûner. Prendre ce qui n'est pas donné, c'est succomber au désir
sorption du monde sans forme, développe l'œil divin et découvre la et c'est nuire aux êtres, donc on préférera mourir plutôt que de tou-
nature perfide du principe causaL Celui-ci devient honteux de voir cher l'eau d'une source, si personne n'est là pour l'offrir. Porter des
sa supercherie éventée et retire alors la création qui se résorbe en vêtements, c'est faire le jeu du créateur, donc on ira nu. Ainsi, toute
activité mondaine est à proscrire, jusqu'au fait de respirer, qui cause
lui-même.
Ainsi, l'individu reconnaissant sa véritable nature, l'entité, atteint la mort d'êtres vivants invisibles.
Une discipline aussi rigoriste (comme celle des Jaïns) conduit à
la libération.
l'affaiblissement du corps et de l'esprit et se révèle finalement néfaste
Cette conception philosophique comporte des lacunes et des à la personne et, à travers elle, à l'entité.
contradictions que seule une foi aveugle peut faire accepter. En ef- Le Bouddha, après avoir pratiqué ce type d'austérités pendant six
fet, comment admettre un principe causal séparé de l'entité et qui années, s'aperçut que ces pratiques n'étaient pas concluantes. En effet,
néanmoins entre en relation avec elle ? Puisque la séparation exclut si elles avaient la vertu de ne pas ·nuire aux êtres, elles mettaient en

18 19
LA CONSCIENCE PARTIELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

péril la vie et les facultés du pratiquant, entravant ainsi son potentiel Mahadéva est défini par huit caractéristiques. Il est :
de libération. Parce qu'elle ne conduit pas à l'éveil, l'ascèse corporelle
excessive est réfutée par le Bouddha. - unique (indivisible)
-permanent
Néanmoins, malgré leurs faiblesses et leurs lacunes, ces systèmes - mutable
peuvent être considérés comme positifs et regardés à la fois comme -dieu
les plus proches des positions bouddhistes et les plus pertinents. Ils - digne d'être honoré et respecté
montrent en effet l'état de souffrance de l'individu qui adhère à la - pur (c'est-à-dire.)Jienveillant et compassionné envers les
réalité des apparences illusoires. créatures)
Leurs vues identifient dans le désir de jouir des apparénces, la - démiurge
source de l'égarement et de la confusion. Elles proposent des - indépendant, omnipotent.
moyens de libération de la souffrance par la méditation et l'ascèse,
qui dégagent la personne de la domination des sens et développent Sa suprématie est établie par ces huit attributs ; il est le créateur
la conscience discriminante. de toute manifestation phénoménale.
Ces systèmes conduisent à la disparition de la confusion lorsqu'in- La création reste extérieure et étrangère au créateur et elle dépend
tervient la résorption de la manifestation illusoire, par exemple au de lui. Le créateur demeure séparé de sa production et il en est le
moment de la mort. Cependant, cette libération n'est pas définitive, "superviseur".
elle n'est qu'un répit, produit de l'absorption méditative des états Ceci distingue les systèmes théistes des précédents, dans lesquels
non-formels. (1) la manifestation n'était pas différente du principe créateur. Ici, une
fois produite, la création devient autonome et le créateur ne peut la
Pour ces raisons, les tenants de cette école sont dénommés résorber à loisir.
"Tirthikas" : ceux qui sont sur le seuil. Dans la position théiste, la créature est le produit du créateur. Elle
est donc une partie inhérente de la création et ne peut s'y soustraire.
La possibilité d'une entité autonome qui s'affranchit du jeu de la
manifestation est ici niée. L'être est l'individu et il se trouve inexora-
L'approche théiste blement lié au créateur qui juge ses actes. Il entretient avec lui une
relation personnelle.
C'est celle de certaines écoles Samkhyas et des Brahmanas, Vaish- Les états multiples de l'être ou de la manifestation dépendent
navas, Shaivas; c'est-à-dire des adeptes de Brahma, Vishnou ou Shi- de la volonté du créateur et de l'attitude des créatures. Si dieu est
va, etc. Tous ces systèmes rendent un culte à un dieu personnifié. satisfait du culte qui lui est rendu par la créature, celle-ci accède aux
états divins. Elle est dite libérée. Inversement, si le dieu est offensé
ou irrité, l'être est projeté dans les mondes infernaux, où il fait
La vue pénitence.

Cette approche postule l'existence d'un dieu créateur appelé Ishvara, Cette approche n'est pas davantage fondée. Le défaut principal de
ou Mahadéva, le tout-puissant. ce système réside dans le mystère qui entoure le créateur et son
origine. On peut se demander en effet qui a créé le créateur ? À cela,
aucune réponse n'est apportée.
(1) Les états non formels sont le fruit des absorptions méditatives conduisant aux états
divins supérieurs, pinacle du samsara. De plus, les caractéristiques de permanence et de mouvement

20 21
'
~

l
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LA CONSCIENCE PARTIEllE
L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
.

~ sont contradictoires. Comment expliquer, en outre, que le créateur Quelles que soient les techniques employées, elles ne peuvent
soit la cause de la manifestation tout en étant indépendant et auto- conduire à un résultat correct, puisqu'elles sont fondées sur un point
suffisant ? Comment la création peut-elle procéder d'une cause qui de vue erroné. Elles affirment l'existence de ce qui n'existe pas, la
lui est étrangère ? Comment la créature peut-elle concevoir et croyance en une entité créatrice existant par elle-même, soit en tant
connaître le créateur si celui-ci lui est totalement étranger ? que créateur, soit en tant que dieu. Dans cette approche, la cause
De plus, un créateur tout puissant et des créatures indépendantes du bonheur et de la souffrance réside dans la relation psychologique
de lui sont mutuellement incompatibles ..0) qui s'établit entre le créateur et la créature, également conçue com-
me dotée d'une existence intrinsèque.
Enfin, si ce créateur est animé de bonnes intentions et entretient Parce qu'ils n'identifient pas correctement l'origine de la souffrance
une relation d'amour et de compassion envers les créatures, com- (la saisie d'une entité existante, moi ou soi), ces systèmes ne peu-
ment peut-il punir les êtres et leur infliger les souffrances des enfers? vent pas y mettre fin.
Ce point de vue théiste est encore moins acceptable que le précé-
dent, car il est fondé sur des aberrations reposant sur la seule
croyance superstitieuse.
Cette approche est le prototype des cultes rendus à Vishnou, LA DISTINCIION ENTRE LES PRATIQUES TANIRIQVES BOUDDHISTES
Brahma, Shiva et autres formes similaires, dans lesquelles le démiur- ET NON-BOUDDHISTES
ge demeure extérieur à sa création.
La description des méthodes utilisées dans les voies théistes est
La réfutation d'un de ces systèmes vaut donc pour les autres. souvent source de confusion. Leur forme s'apparentant aux médita-
tions du vajrayana bouddhiste, elles sont hâtivement assimilées à
celles-ci par l'esprit non prévenu.
La méditation et la conduite Les techniques tantriques bouddhistes diffèrent des précédentes
par le fait qu'elles unissent la phase de création et la phase de per-
Les adeptes des théories théistes rendent un culte au dieu exté- fection de la méditation. Les méditations théistes ne connaissent que
rieur. Ils cherchent à le satisfaire par des offrandes. la phase de création.
Dans certains systèmes religieux, ces offrandes sont pures d'un Dans les méditations du vajrayana, la divinité est développée
point de vue éthique. Dans d'autres religions, elles comportent des comme une apparence vide, pour être ensuite développée dans la
sacrifices d'animaux et sont impures à cet égard. (2) vacuité. Celle-ci n'est pas la négation de l'apparence, mais l'essence
Leurs méditations comportent des pratiques tantriques réduites à même de l'apparence. Ces méthodes permettent de s'affranchir des
la "phase de création" (3). L'adepte imagine le dieu, par exemple positions extrêmes d'existence et de non-existence.
Mahadéva ou une autre divinité, lui adresse des prières, concentre Néanmoins, une saisie réaliste de la phase de création des divinités
l'esprit sur lui, récite son mantra, etc. Ces méditations incluent égale- tantriques bouddhistes conduirait aux mêmes erreurs que les médita-
ment différents yogas. tions des systèmes théistes et des autres systèmes basés sur l'extrême de
l'existence. Il est donc essentiel de rester conscient de l'absence
d'existence intrinsèque de la divinité.
(1) du fait de la loi de causalité (voir ci-après).
(2) Ces différences reposent sur des interprétations divergentes des Védas (écritures Pour cette raison, avant d'aborder les techniques du vajrayana, le
révélées). méditant doit asseoir sa pratique sur une compréhension correcte de
(3) Les tantras bouddhistes se composent de deux phases : phase de création, produc-
tion du support de méditation, et phase de perfection, résorption de celui-ci dans son la bodhicitta (l'esprit d'éveil), telle qu'elle est exposée par Shantideva
absence de nature propre (voir page suivante). dans "La marche vers l'Eveil'~ le "Bodhicaryavatara". Il est nécessaire

22 23
i

i LA CONSCIENCE PARTIEllE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

l
'

"

. de faire une approche juste de la vacuité d'existence intrinsèque des


phénomènes, telle qu'elle est exposée par le Bouddha dans la
''Peifection de Connaissance Transcendante"- la ''Prajna Paramita"-
des phénomènes et des êtres est un anéantissement définitif.
Ainsi, cette vie ne provient pas d'une existence antérieure, puis-
qu'on ne peut percevoir les existences antérieures. Dans un corps
et commentée dans les œuvres de Nagarjuna (1) adventice, un esprit adventice apparaît. Après cette vie, il n'y a pas
de vie future, corps et esprit étant une seule et même entité. Lorsque
L'ensemble de ces systèmes théistes et non théistes est fondé sur le corps périt, l'esprit disparaît également.
l'adhésion à une conception de la permanence ou de l'existence Puisqu'il n'y a aucune ~ause déterminante, il n'existe pas de rela-
d'une ou de plusieurs entités : le principe causal, le dieu créateur, ) tion de cause à effet, ni de rétribution. Les actes nuisibles ne produi-
l'être ou le soi, etc. Cette position est réfutée comme croyance sent aucune conséquence néfaste et ne sont donc pas à proscrire.
extrême par le point de vue bouddhiste qui n'admet pas l'existence Les actes positifs sont inutiles puisqu'ils n'engendrent pas le bon-
d'une entité intrinsèque, cette affirmation ne relevant pas d'un heur, et ainsi de suite. Tout est permis, rien de dépendant de rien.
mode de connaissance correct, mais d'une acceptation aveugle et On doit simplement se satisfaire de tout ce qui est plaisant en cette
superstitieuse. vie, sans dépasser l'expérience immédiate.

Cette approche est le fondement des explications matérialistes de


Les systèmes matérialistes (nihilistes, atbéistes) l'univers et de toutes les positions philosophiques, elle est l'un des
points de vue les plus grossiers et les plus primaires. Un tel système
C'est l'approche qui, littéralement, rejette toute cause à la manifes- porte en lui la justification de toutes les absurdités, de tous les fana-
tation phénoménale. Le monde et les êtres sont des productions fortuites tismes, de tous les aveuglements.
qui n'apparaissent d'aucune cause, mais naturellement, d'eux-mêmes. L'aberration principale de cette position est la négation de la loi
de causalité. Si rien ne dépendait de rien, toutes les productions
Les Carvakas (hédonistes) affirment : anarchiques seraient possibles. Un grain de blé pourrait donner du
Le lever du soleil, l'écoulement des rivières, riz, ou de l'orge, ou tout autre chose. Les hommes pourraient don-
la rondeur des pois, l'acuité des épines, ner naissance à des animaux. Inversement, l'esprit étant de nature
la beauté des plumes du paon, matérielle, les objets, les pierres, les éléments, le monde physique,
tout ce qui existe, pourraient aussi être animés.
n'a pas été créé par qui que ce soit
mais s'élève de sa propre nature. Cette position, qui postule la réalité des phénomènes grossiers,
est dénommée matérialiste. Parce qu'elle nie toute espèce de cause
Aucune cause n'étant à rechercher, la perception immédiate (senso- .autre qu'adventice, elle est qualifiée de nihiliste. Parce qu'elle rejette
rielle et mentale) est considérée comme la seule valide et ultime. Ni la continuité de l'esprit après la mort, elle se définit comme une
la réalité des phénomènes, ni celle de la conscience qui les appré- doctrine de l'anéantissement.
hende, ne sont remises en doute.
Tout est le fait du hasard, apparaît réellement et sans causes.
Les systèmes cbamanistes noirs
L'aspect relatif de la manifestation est sa seule réalité. La disparition
Avant l'introduction du bouddhisme au Tibet, par le khenpo bodhi-
(1) pour une discussion approfondie de la différence entre tantra hindouiste et boud- sattva Shantarakshita, par le maître Padmasambhava et par le traduc-
dhiste, voir ''Fondements de la mystique tibétaine" du Lama Anagarika Govinda :
Connaissance et Puissance, Prajna contre Shakti (pages 126 à 133) BD. Albin Michel. teur et ministre Teunmi Sambotha, le pays était sous l'influence de la

24 25
~i
. LA CONSCIENCE PARTIELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION
.

1
m religion Beun primitive et ses sorciers pratiquaient la magie noire. (1) directement perçus par les sens, niant la validité de la connaissance
Dans la vision chamaniste, le monde est le fait d'un démiurge par inférence. Les étemalistes reconnaissent l'existence d'objets cachés
nommé "Gampo Tcha". Il est peuplé d'entités diverses en faveur à la conscience immédiate et révélés, soit par inférence, soit par une
desquelles sont accomplis des rites propitiatoires. Cette croyance autorité scripturale. (1)
comprend des pratiques qui nuisent à de nombreux êtres (des sorts,
des envoûtements, des sévices physiques et mentaux). On s'aperçoit que la distinction entre les positions bouddhistes et
Cette doctrine était prépondérante au Tibet durant le règne du les autres systèmes n'est pg.s simplement affaire de mots, pas plus
premier roi bouddhiste Songtsen Gampo (vers 649 après ].C.). Les ) qu'elle ne procède d'un fanatisme dogmatique ou d'une croyance
conversions étant rares, le pays suivait la voie chamanique~. La reli- non fondée.
gion Beun noire ne fut supplantée par le bouddhisme qu'à l'époque Pour qu'une position soit admissible, il est nécessaire que sa vali-
du roi Trisong Détsen (756-797 ?). dité soit établie. Cette validité doit être basée sur une approche cor-
La réfutation valable pour les systèmes théistes indiens s'applique recte des phénomènes par le raisonnement déductif ou inductif. Elle
bien entendu à celui-ci. Ce système est également réfutable parce doit être ensuite confirmée par l'expérience de la méditation et par
qu'il encourage des pratiques incorrectes chez ses adeptes. Il inclut le fruit qui en résulte. La connaissance ultime, née de la réalisation
en effet des pratiques de magie noire, sources de souffrances et de de la voie, est une certitude définitive qui confirme les prémices ou
conflits. le postulat de départ.
r
-, Avant d'adopter une voie spirituelle, on doit s'assurer que la base,
Dans ces quatre modèles, représentatifs des principaux systèmes le chemin et le fruit sont authentiques et qu'ils conduisent au but
s'étant développés en Inde et au Tibet, se reflète la plupart des authentique : l'état de connaissance intégrale où toute ignorance et
réponses proposées par l'humanité à la question de son existence. tout obscurcissement ont été éliminés.
Ils se répartissent en deux groupes principaux : Si une voie présente de telles caractéristiques, quel que soit son
-Les systèmes fondés sur la croyance en l'existence d'une entité nom elle sera considérée comme "dharma" (voie) authentique.
'
ou d'un soi permanent, unique, indépendant, créateur de l'univers.
Ils regroupent les écoles théistes, non théistes et chamanistes. Ces
doctrines sont défmies comme étemalistes ou existentialistes, parce lES CRITÈRES DE DISTINCTION ENTRE LES APPROCHES BOUD-
qu'elles affirment l'existence intrinsèque de ce qui n'a pas d'existence L
DHISTES ET NON-BOUDDHISTES
(le soi).
La distinction se fonde sur trois points principaux :
- Les systèmes fondés sur la négation de toute existence et de
toute cause. Ils reconnaissent néanmoins la réalité d'un soi pendant - L'enseignant qui est parfaitement purifié de tout obscurcissement,
la période de sa manifestation, par exemple la vie humaine de la et qui a complètement épanoui toutes les qualités, est appelé
naissance à la mort. Ils sont appelés matérialistes ou nihilistes, parce l'éveillé, le Bouddha. Il enseigne la doctrine de la production inter-
qu'ils nient l'existence de ce qui apparaît (le non-soi). dépendante. Les enseignants qui n'ont pas dissipé tout obscurcisse-
ment ni développé toutes les qualités d'éveil à des degrés divers ne
Une autre distinction peut être établie entre ces deux types de
(1) Il est important de bien se pénétrer d!" sens, a'!-:delà de la termin_ologie, car_ c~lle-ci
systèmes. Les nihilistes ne reconnaissent d'existence qu'aux objets peut prêter à confusion : en effet, certames tradttzons non bouddbtStes font ~ife_rence
aux termes de "vacuité" et de "non-soi". Mais l'acceptation de ces termes est differente.
Par exemple, dans les systèmes bindouist~ le term~ "vacuité" d~gne u"!iquement le
vide résultant de la destruction du monde a la fin d une grande ere cosmtque. Pour les
(1) Il convient de faire la distinction entre les systèmes Beun "blancs" positifs, qui ont
subsisté jusqu'à nos jours, et les systèmes "noirs" ayant recours à la magie noire. Beuns, le "non-soi'' est conçu comme essence permanente et réellement existante.

26 27
LA CONSCIENCE PARTIELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

peuvent être appelés bouddhas ou éveillés.


La conduite
-L'enseignement ne doit nuire à aucun être. Un enseignement qui Elle préserve des extrêmes de complaisance sensorielle et d'ascétisme
nuit à un seul être ne peut être qualifié de bouddhiste.
débilitant, pour les vêtements, la nourriture, l'habitat et les remèdes.
-La vue bouddhiste affirme que le soi est vide d'existence perma-
nente, indivisible et indépendante. L'affirmation de l'existence d'un Lefrnit
soi, d'une entité permanente, indivisible et indépendante est non C'est l'état de non retour l'abandon définitif des obscurcissements
bouddhiste. ) qui causent la manifestatio;;_' de l'individu dans le cycle des existences
conditionnées.
Par exemple : la pratique des sacrifices animaux nuitcà d'autres
êtres, les pratiques ascétiques extrêmes nuisent à l'individu. Le salut
de l'homme qui exclut celui des autres êtres n'est qu'une libération
LES SYSTÈMES NON-BOUDDHISTES
partielle.
L'enseignement d'un moi réellement existant renforce le moi indivi- Les systèmes non bouddhistes sont basés sur la conception d'un
duel et il empêche la libération du cycle des existences. L'affirmation soi permanent, indivisible et indépendant. Leur méditation conduit
d'un néant pur et simple contredit la loi de causalité et l'interdépen- seulement à des renaissances supérieures à l'intérieur du cycle des
dance des phénomènes. Elle conduit à des attitudes qui nuisent aux existences. Leur conduite tombe dans les extrêmes de mortification
êtres (puisqu'il n'est pas fait de différence entre bien et mal). de soi ou des autres, ou dans la complaisance des sens. Leur fruit
est le retour des obscurcissements qui ne sont que temporairement
abandonnés et qui conduisent à de nouvelles renaissances condi-
Une autre distinction entre ces approches peut être établie en termes tionnées.
de vue, de méditation, de conduite et de fruit.

LES SYSTÈMES BOUDDHISTES


Les points de vue intérieurs
La vue
(Les caractéristiques des systèmes bouddhistes)
Elle se situe à l'écart des extrêmes d'affirmation d'un individu
considéré comme une entité substantielle, distinct des agrégats Les quatre sceaux du bouddhisme
psychophysiques qui le composent, et de négation de l'existence
d'un individu désigné en dépendance de ces agrégats. (1) Elle est la Les enseignements bouddhistes sont caractérisés par quatre sceaux :
vue des quatre sceaux (voir page suivante).
- tous les produits (ou phénomènes conditionnés) sont
impermanents,
La méditation
- tous les objets contaminés (1) sont souffrance,
Elle évite les extrêmes : être trop rigide ou trop relâché. Elle anni- - tous les phénomènes sont dépourvus d'identité,
hile toute forme de transmigration (renaissance conditionnée). - le nirvana est paix. (2)

(1) Même lorsqu 'ils les nient ou les présentent comme un néant, les matérialistes (1) Contaminés (litt. Zag Pa) signifie entachés de la saisie dualiste d'un suj~t et d'~n obje~
reconnaissent une existence aux phénomènes, au corps et au moi, pendant la durée (2) Pour une explication plus détaillée, voir "The way togo" par S.E. Sztou Rznpoche,
de leur manifestation. ou "l'Enseignement du Dalaï Lama" (Ed. Albin Michel).

28 29
LA CONSCIENCE PAR11ELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

LES VAIBHASIKAS (Tchédra Mawa)


Un bouddhiste est celui qui prend comme source de refuge les
trois joyaux ou trois rares et sublimes :
La vue
- Le Bouddha: c'est le refuge ultime. Il est à la fois l'enseignant,
l'exemple et le but. Les Vaibhasikas ne reconnaissent pas le monde et les phénomènes
- Le Dharma : la noble doctrine, la voie qui conduit au but. grossiers comme existant intrinsèquement d'un point de vue ultime,
- La Sangha : la communauté des guides et compagnons mais comme étant un agrégat, c'est-à-dire une réunion d'éléments
qui montrent la voie. distincts n'ayant qu'une eXistence relative. Les phénomènes grossiers
sont composés de particules infinitésimales, indivisibles, d'atomes,
Toutes les écoles bouddhistes reconnaissent la vérité de~la souf-
au sens propre du terme. Ces atomes constituent le niveau d'existence
france comme étant la caractéristique de l'existence cyclique.
des phénomènes. Ils sont les plus petites particules, les éléments les
Elles identifient les passions et les distorsions mentales qui s'élè-
~~ vent dans l'esprit comme origine de la souffrance.
plus subtils Oes seuls identifiés comme existant intrinsèquement),

-1
dont la combinaison structure et ordonne les phénomènes plus gros-
Elles attestent la vérité du fruit, l'au-delà de la souffrance, le nitvana
. siers tenus pour non-existants en tant que tels.
qui est pacification de toute souffrance .
. Elles soutiennent la vérité du chemin ; par la méditation juste
L'univers, le monde phénoménal extérieur n'a pas ici pour cause
basée sur une compréhension juste, le fil de la voie est tenu et
originelle un principe créateur ou un dieu, mais des particules infini-
' conduit au résultat : l'au-delà de la souffrance.
tésimales qui, en fonction de leur nature et de leurs combinaisons

l
e

'

8'
~
L'ensemble des enseignements bouddhistes se décompose en
quatre écoles :
constituent les éléments tels que le feu, l'eau, la terre, l'air, etc. don~
l'interaction donne naissance à la multiplicité de la manifestation (1).
La relation entre l'objet extérieur et la conscience intérieure s'éta-

1
~ Vaibhasika (Tchédra Mawa) blit par le biais des sens, en tant qu'expérience des formes, des
Hinayana~ sons, des odeurs, etc. Ces derniers conditionnent les sensations de
... ~ Sautrantika (Do Dépa)

l
. plaisir, de déplaisir et d'indifférence qui, à leur tour, provoquent les
différents mouvements de l'esprit : l'attraction vers ce qui est perçu
comme agréable, le rejet de ce qui est désagréable, l'ignorance de

<
. Cittamatra (Sem Tsampa)
. Mahayana ce qui est neutre .
Ce qui expérimente et connaît ces perceptions, c'est l'être ou litté-
1
t
~
Madhyamaka (Oumapa)
ralement: celui qui est pourvu d'un esprit. L'erreur que commet l'es-
prit, c'est de s'identifier à un soi et de croire à sa propre réalité de
Les systèmes du petit véhicule (hinayana) manière grossière, de se saisir comme entité. Sur la base de cette
1
i
Ce sont ceux défendus par les "Auditeurs" (appelés Sravakas en (1) L'organisation de ces particules en un champ de manifestation n'est pas le fait
sanscrit), premiers disciples historiques du Bouddha Shakyamouni.

D
On les définit comme des systèmes réalistes. Ils se subdivisent en
deux écoles : les Vaibhasikas, c'est-à-dire les particularistes quelque-
[ d'une cause immanente, mais le produit du karma des êtres. Le karma est donc à
~·o~g~ne d~ fJPe de mo"!de expérimenté par chaque être. De même, la réalité de l'esprit
znten.eur reszde dans l'znstant de conscience infinitésimal, indivisible. Les Vaibhasikas
accordent une existence intrinsèque à ce plus petit instant simple : l'esprit n'est que la
succession d_e ces insta1'!-ts infinitésimaux et donc n'existe pas en tant que tel, sous son
fois dénommés atomistes, et les Sautrantikas, ceux qui suivent aspec~ g_rossz~ _o~ relatif}eul, l'instant de conscience immédiat, isolé de l'instant pas-

i*
~
l'ensemble des soutras, c'est-à-dire les enseignements exotériques
du Bouddha.
se quz la precede et de l znstant futur encore non advenu, est déclaré réellement exis-
tant; c'est l'instant simple, indivisible.

31
30
1
~
LA CONSCIENCE PART1ELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

fixation subjective se développent l'attachement et la dépendance à travers une représentation mentale. De même, l'objet substantiel
envers l'objet. De là s'élèvent les passions, sources de confusion et ne peut apparaître réellement à la conscience. Ce n'est que son image
d'égarement. La répétition d'actes erronés issus de ces passions dé- mentale qui est reflétée.
termine et entretient l'errance du samsara. La notion de perception directe des objets par la conscience se
trouve réfutée.
Le conflit entre le bonheur et la souffrance provient du contact
entre l'esprit et l'objet perçu par l'intermédiaire des facultés senso- Selon cette approche, l'esprit est semblable à un miroir sur lequel
rielles. · viennent se refléter les objets des sens. Ce n'est pas l'objet lui-même
Les Vaibhasikas décrivent ce contact comme étant direct. Ainsi, la qui est perçu par la conscience, mais seulement son image. Par
conscience visuelle est dite "conscience appréhendant dfrectement exemple, la forme reflétée n'est que l'apparence de l'objet qui se
les formes". C'est l'aspect plaisant, déplaisant ou neutre de la forme "dessine" sur le miroir de l'esprit, elle n'est qu'une image mentale
qui est la source de l'attachement, de la répulsion ou de l'indifférence que la conscience saisit comme réelle et indépendante.
de l'esprit. Par l'adhésion à cette perception illusoire, l'esprit est attiré vers
Les Vaibhasikas montrent que la souffrance provient de l'identifi- les images plaisantes et rejette celles qui lui apparaissent comme
1 cation de l'esprit discursif aux phénomènes grossiers. Néanmoins, ils déplaisantes. Ce faisant, il renforce la saisie dualiste et perpétue
l'expérience du monde conditionné, ce qui a pour effet d'accroître
affirment l'existence de particules infinitésimales et d'instants de
1 conscience indivisibles. Ils reconnaissent aussi qu'un contact direct
s'établit entre la conscience qui perçoit et l'objet perçu.
le pouvoir de l'illusion et, corollairement, d'augmenter l'activité des
distorsions mentales.
' C'est ce dernier point que vont réfuter les Sautrantikas.
!'1 Pour les Sautrantikas, la vraie nature de l'objet est considérée
comme "cachée" ou "invisible"; c'est-à-dire invisible pour la cons-
~ lES SAUTRANTIKAS (Do Dépa : ceux qui suivent les soutras) cience qui ne peut l'appréhender directement. L'objet possède
~ cependant une réalité intrinsèque Cil est composé de particules infi-
La vue nitésimales) qui, bien que clairement manifestée, demeure étrangère
à l'esprit confus incapable de la percevoir.
Tout comme les Vaibhasikas, les Sautrantikas affirment l'existence
de particules infinitésimales et d'instants de conscience indivisibles.
Ils reconnaissent aussi dans la saisie fallacieuse d'un soi, l'origine La méditation
des perturbations mentales et des expériences de plaisir, de déplaisir,
de souffrance, etc. Vaibhasikas et Sautrantikas pratiquent les méditations de pacifica-
Le point de divergence réside dans l'interprétation de la relation tion mentale et de stabilisation de l'esprit. Par l'absorption maintenue
entre les objets extérieurs et la conscience intérieure. (samadhi du "non-soi"), ils anéantissent l'ennemi: l'obscurcissement
des distorsions conflictuelles. L'esprit pénètre alors le samadhi "pur"
L'objet est matière, il est substantiel et inanimé, alors que l'esprit (absorption maintenue sans écoulement) (1) et ils atteignent l'état
est conscience connaissante, immatérielle et animée. Etant de natures d'arhat (destructeur de l'ennemi) : le sarnsara est abandonné et la
différentes, un contact direct ne peut s'établir entre eux. En effet, libération des morts et des renaissances obtenues.
pour qu'un contact direct soit possible, il est nécessaire que les deux Cependant, la limite de ces systèmes réside dans la vision matérialiste
termes de la polarité soient de même nature. Ainsi, un esprit imma-
tériel ne peut connaître un objet matériel directement, mais seulement (1) Sans écoulement: sans mouvement du sujet vers l'objet.

32 33
L4 CONSCIENCE PARTIELLE L'ESPRIT SOURCE DE L4 CONFUSION

qui reconnaît une existence inhérente aux plus petites particules les passions), ces voies sont correctes. Elles furent enseignées par le
composant les objets matériels. Ce qui oblige à conclure que, lors- Bouddha afin de guider progressivement les êtres qui ne pouvaient
que les êtres atteignent l'éveil, l'univers physique reste ce qu'il est, appréhender directement la vacuité d'existence des phénomènes et
semblable à un récipient vide, conservant une existence autonome. qui, en niant la validité de cette approche supérieure, auraient dévelop-
pé des vues erronées. Pour ne pas les détourner de l'éveil, le Bouddha
Cette conception, qui sépare le monde inanimé des êtres animés, choisit de présenter une explication relative et graduée, permettant
est insuffisante. Du fait de la subsistance d'une saisie matérialiste une pénétration progress~e des différents degrés de la réalité.
subtile, au terme des voies suivies par les Vaibhasikas et les Sautran-
tikas, le plein et parfait éveil n'est pas obtenu. Le voile du connaissa- Les limites de l'enseignement ne sont que le reflet des limitations
ble n'a pas été dissipé et ne le sera qu'en empruntant le véhicule propres aux êtres et s'inscrivent dans une voie douce de développe-
des paramitas (1). ment de leur potentiel. Ceci est la marque de la compassion de l'en-
Néanmoins, la nécessité d'éliminer ce reste d'obscurcissement à seignement envers les disciples (1).
l'omniscience de l'état de bouddha sera reconnue par l'arhat lors de
son éveil. Exhorté par les bouddhas, il continuera son développe- Cette présentation est donc relative et demande à être interprétée.
ment spirituel jusqu'à l'éveil ultime. Elle constitue un des moyens habiles qu'utilisent les bouddhas pour
conduire les êtres à l'éveil, selon leur capacités.
Cette approche, fondée sur une notion d'espace-temps infinitési-
male, ainsi que la description de la relation entre le sujet et l'objet,
sont à rapprocher de certains courants scientifiques occidentaux (2).
L'approche du grand véhicule ( mahayana)

Le fruit Le grand véhirule est celui qui expose le sens définitif de l'ensei-
gnement des bouddhas (Gné Teun).
Ces deux systèmes considèrent que les phénomènes sont non
existants sous leur aspect grossier. Cette compréhension conduit à la La véritable cause, d'où sont issus la manifestation phénoménale
reconnaissance de l'absence d'existence de l'individu, la notion du et les êtres eux-mênies, n'est autre que l'esprit sous l'emprise de
soi individuel étant fondée sur l'identification au phénomène que l'ignorance.
constitue la personne. Ce que nous appelons "réalité" n'est qu'une dimension illusoire
Cette individualité, ce moi, n'est qu'une combinaison d'agrégats produite par l'esprit. L'esprit confus est celui qui ne reconnaît pas sa
psycho-physiologiques dépourvue d'existence indépendante. Par la propre création dans le jeu de la manifestation et se sépare d'elle en
méditation, le non-soi de l'individu se trouve réalisé et l'affranchisse- l'investissant d'une existence indépendante. L'intégralité de l'esprit
ment de la souffrance est obtenu. se réduit en une conscience partielle, en un sujet soumis à une
Parce qu'elles conduisent à l'élimination de la souffrance (le cycle expérience qui lui semble venir de l'extérieur.
des existences), par la suppression de ses causes (la saisie égoïste et En réalité, ce "monde extérieur" n'est autre que la manifestation
que l'esprit projette et dont il est le spectateur. En fonction des pré-
(1) La limitation de l'éveil des arhats tient en ce que la télléité des phénomènes n'étant
pas réalisée, la connaissance primordiale ne peut se déployer, s'épanouir complètement. (1) Un bouddha dispose de la sagesse et des moyens habiles grâce auxquels il révèle la
(2) A rapprocher seulement car ces courants de recherche ne reconnaissent pas nature de la réalité d'une manière qui s'adapte paifaitement aux dispositions mentales,
le karma comme déterminant la structure et l'organisation des particules d'espace- aux facultés et aux aspirations de chaque être. Ceci est le propre des qualités inhérentes
temps dans un univers donné. à l'éveil.

34 35
LA CONSCIENCE PAR11ELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

dispositions karrniques et des tendances latentes portées à maturité, Cette démonstration conduit à la conclusion que le seul mode de
cette manifestation s'exprime sous forme des différents champs production qui soit acceptable en dernière analyse, est l'interaction
d'expérience sensorielle : humain, animal, infernal, divin, etc. d'éléments reliés les uns aux autres, dont la combinaison s'organise
en un tout; c'est la production interdépendante.
Réfutant les systèmes réalistes, le mahayana présente toute mani-
festation (animée ou inanimée) comme étant le produit de l'esprit,
car celle-ci ne peut être : LES DEUX VÉRITÉS

- ni le produit d'elle-même,
Par exemple, qu'est-ce qu'une maison? C'est l'ensemble des murs,
- ni le produit d'une cause étrangère à elle-mêi:ne,
des piliers, des portes, du toit, etc. Ces éléments sont eux-mêmes une
- ni le produit des deux à la fois,
réunion de parties constitutives et forment des ensembles que l'on
- ni le produit d'aucune cause.
désigne des termes "mur" ou "porte". De même, tous les phénomè-
Si une chose était le produit d'elle-même, elle serait déjà existante nes sont composés d'éléments interdépendants, c'est-à-dire qui dé-
avant d'être produite, sa production serait alors inutile, ou bien elle pendent les uns des autres pour apparaître. En ce sens, on peut dire
se produirait sans cesse. que tous les composés ne sont pas réellement existants, étant la réu-
nion departies qui se subdivisent elles-mêmes en d'autres parties. Ain-
Une chose ne peut pas être le produit d'une cause étrangère à elle- si, la maison n'est pas "vraie" ou réellement existante.
même. Si cette chose n'existe pas, "l'autre", étrangère, ne peut pas
exister davantage. En effet, l'autre n'apparaît qu'en dépendance de La continuité de l'esprit n'a pas plus d'existence. On applique le
la première, "toi" n'existe que par rapport à "moi". Si l'un des termes concept "d'esprit" à une combinaison de moments de conscience
relatifs manque, les deux sont niés et il n'y a plus de relation entre qui sont tous dépendants les uns des autres, c'est-à-dire dépendants
l'un et l'autre. Si le monde n'existe pas par lui'-même, il ne peut pas d'un passé, d'un présent ou d'un futur. De la même manière, le
être le produit d'une cause qui lui est étrangère. Si la cause lui est corps physique n'est pas réellement existant, car "corps" n'est que le
étrangère, elle ne peut pas le produire, l'effet étant imputé à la cause. nom donné à la réunion des membres, du tronc, des organes, etc.

Le monde ne peut être à la fois le produit de lui-même et d'une C'est pourquoi, puisque tous les phénomènes sont composés de
cause étrangère. Chacune de ces éventualités ayant été démontrée parties interdépendantes, on peut conclure qu'ils ne sont pas exis-
comme absurde, leur combinaison est par là même réfutée. tants du point de vue de la vérité absolue.

Une chose ne peut être produite sans cause, car cela irait à l'en- Cependant, ces phénomènes ont une existence relative : ils sont
contre de l'expérience directe des phénomènes. clairement manifestés. lls participent d'une ''vérité" relative objective.
Tout serait issu de tout, de manière anarchique et sans raison. Un Ainsi, nous avons tous conscience de nous trouver dans un ensem-
enfant pourrait naître sans parents, les humains pourraient engen- ble composé de murs, de portes, de fenêtres, d'un toit, que nous
drer des animaux, un grain de blé donnerait du riz, etc. Les phéno- identifions sous le terme de "maison". Cette connaissance communé-
mènes s'élèveraient sans cesse, sans cause. Cette assertion est une ment reconnue constitue la perception correcte du point de vue re-
absurdité contredite par l'expérience. Aucun phénomène ne peut latif; elle est la vérité de l'existence conventionnelle de l'objet. Mais
apparaître sans cause, tout effet est le produit d'une cause, c'est une du point de vue ultime, l'objet est dépourvu d'existence intrinsèque.
loi intangible. S'il n'y avait pas d'esprit, l'esprit ne pourrait jamais C'est sa réalité. C'est la vérité absolue.
être produit. n en va ainsi de tout phénomène :il possède un degré d'existence

36 37
LA CONSCIENCE PARTIELLE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

du point de vue conventionnel, qui est appelé vérité relative ou ap- Les phénomènes ne sont pas vrais car, bien qu'apparaissant de
parente et il est simultanément non existant en tant que tel. Cette façon relative, leur existence ultime ne peut être établie. Ils sont vi-
"telléité" est la vérité ultime, c'est celle de l'essence. des. La: vérité ultime étant au-delà du champ d'expérimentation de
Les phénomènes ne s'élevant qu'en fonction d'une interaction l'intellect, la manifestation qui en est le produit, la vérité relative, ne
avec d'autres phénomènes, ils sont déclarés interdépendants. Leur peut être réfutée par une assertion mentale, elle-même relative. Il en
essence est vide, semblable au reflet de la lune sur l'eau, leur mani- résulterait que les deux vérités s'excluraient mutuellement, alors
festation illusoire, c'est-à-dire dénuée d'existence intrinsèque (1). qu'elles s'impliquent l'un-e et l'autre.
C'est l'essence vide (la vérité ultime) des phénomènes qui rend
leur manifestation possible (c'est-à-dire leur transformation : l'appari-
LA RELATION ENTRE LA VÉRITÉ RELATIVE ET LA VÉRITÉ ULTIME: tion, l'existence et la disparition). C'est parce que les phénomènes
NON IDENTITÉ, NON DIFFÉRENCE se manifestent en mode illusoire (la vérité relative), que leur nature
essentielle peut être établie.
Si ces deux vérités étaient une seule et même chose, cela impli-
querait nécessairement qu'en voyant l'une, on verrait l'autre en mê- Ainsi, en dernière analyse, la seule affirmation possible concernant
me temps. Ceci n'est manifestement pas le cas : on perçoit la vérité la vérité des phénomènes est de dire qu'ils sont semblables à des
des apparences relatives, mais la vérité ultime échappe à notre ap- apparitions magiques ou à des reflets dans un miroir. Par exemple,
préhension directe, immédiate. le tigre que fait apparaître le magicien n'est pas "inexistant", puis-
Si elles ne sont pas une seule et même chose, alors sont-elles dif- qu'il apparaît et qu'on peut le voir ; mais il n'est pas non plus "exis-
férentes ? Pour qu'elles soient différentes, il faudrait admettre que tant", car il n'est pas un vrai tigre, il n'est qu'une création du magicien.
chacune d'elle existe indépendamment de l'autre, que chacune est De même, l'image qui apparaît dans le miroir n'est pas "vraie" car
une entité existant en elle-même, sans relation avec l'autre. elle n'est pas réellement la chose, mais son reflet. Elle n'est pas
Si l'on observe la vérité relative des apparences à la lumière de la "fausse", car elle apparaît. Tous les dharmas sont semblables à ces
vérité ultime, on constate que la vérité relative n'existe pas en elle- images ou à ces créations illusoires. Bien qu'ils apparaissent et qu'ils
même et que sa telléité, sa vraie nature, n'est que la vérité ultime : soient saisis par la conscience, ils sont cependant dénués d'existence
l'apparence est indissociable de la vacuité essentielle. Etant dépen- propre.
dantes l'une de l'autre, ces deux vérités ne sont pas différentes.
Pour une conscience qui appréhende correctement la "réalité",
Bien que n'étant ni identifiables ni différents, les deux niveaux toutes les manifestations phénoménales sont connues comme s'éle-
d'existence des phénomènes ne sont pas réfutés. vant de l'esprit. Cette connaissance peut s'obtenir de deux manières
Chaque vérité est valable en elle-même : par l'investigation et par la méditation.
- Du point de vue relatif, les apparences fonctionnent infaillible-
ment selon la loi de causalité (une cause donnée détermine un ré- La compréhension de la nature des phénomènes peut apparaître
comme le résultat d'un processus analytique et logique. C'est l'appli-
sultat donné).
cation de la compréhension de la production interdépendante. Elle
- Du point de vue absolu, la réalité des phénomènes réside dans peut s'opérer soit par une suite de déductions, comme par exemple
leur mode d'être ultime. le fait de constater que nous sommes en bonne ou mauvaise santé
en scrutant l'image de notre visage reflétée dans le miroir, soit par
(1) L'apparence de la lune dans l'eau n'est pas la vraie lune; l'essence véritable de la l'inférence qui nous permet de connaître l'existence du feu à la vue
lune n'est pas son reflet. de la fumée.

38 39
LA CONSCIENCE PART1ELIE L'ESPRIT SOURCE DE LA CONFUSION

Le mode de connaissance indirecte est défini comme l'approche Par la combinaison, d'une part, de la confiance, de la compassion,
inférieure, car elle ne dépasse pas le domaine de l'intellect. Elle n'est de la détermination, de l'application et de l'énergie du méditant et,
qu'une description de la réalité, qui n'est pas la réalité elle-même. d'autre part, de l'expérience, de la bienveillance, de la sagesse, de la
Elle demeure d'ordre relatif et ne transcende pas la dualité sujet/ob- grâce, des méthodes habiles et de la réalisation de l'instructeur spiri-
jet, ce qui est observé restant dépendant de l'observateur. tuel, le fruit sera véritablement goûté.

1i
~
À l'approche analytique et logique, on peut opposer un autre mode Il appartient à chacun de se dégager des rets de l'ignorance. Il
. . de connaissance : la compréhension directe, intuitive et immédiate, dépend en effet de nou~, de nous familiariser avec les techniques de
..
fruit de la pratique de la méditation. C'est de cette relation concrète méditation et surtout de les mettre en pratique sous la direction d'un
..
que s'élèvent les expériences et les réalisations successives de la maître qualifié, pour que soit connue l'expérience de l'esprit instan-
nature de toutes choses.
~ La méditation constitue la voie supérieure, car elle est perception
tané, non conceptuel, immuable, connaissance radieuse et bienheu-
reuse, décrite par les êtres éveillés de tous les temps.
directe, connaissance immédiate, non-duelle, de la nature de tous
B les phénomènes. Elle est fondée sur la reconnaissance de la nature
originelle, par cette nature elle-même. Seule cette connaissance est
véritablement intégrale, définitive et ultimement valide .
1
-.

; Temporairement, il est nécessaire d'utiliser l'outil de la connais-


! sance indirecte, par des méthodes d'investigation correctes, afm
1
,.
~
d'établir une base de compréhension juste concernant la nature de
l'esprit, des êtres et des phénomènes (expliquant, par exemple, pour
~4
quelles raisons les phénomènes et les êtres sont semblables à une
illusion magique). Cette base soigneusement éprouvée par un
raisonnement pertinent constitue le fondement de la pratique.
Cet acquis intellectuel doit ensuite être mis à l'épreuve de l'expé-
rience directe de la méditation. C'est à cette seule condition que la
compréhension initiale pourra être véritablement intégrée, reconnue
et définitivement confirmée.

Par l'effort individuel soutenu et persévérant, la connaissance inté-


grale est finalement obtenue. Cette obtention ne peut s'acquérir par
des moyens intellectuels ou matériels. Elle ne peut être connue par
la seule étude, mais se révèle comme le fruit de la méditation (1).

(1) Ceci montre qu'en fait ces deux types de connaissance ne s'opposent pas, mais sont
des étapes nécessaires et complémentaires. Par l'écoute.et la contemplation réflexive, le
pratiquant acquiert une compréhension juste, au moyen de prajna (Shérab), la sagesse
suprême ou sagesse transcendante. Par la méditation, cette compréhension devient
réalisation de la nature même de cette sagesse, jnana (Yéshé), connaissance primor-
diale. Si la vision de la fumée n'est pas le feu lui-même, elle en est le signe et conduit à
sa découverte.

40 41
L'apparence née de l'esprit

Ainsi, la seule explication acceptable de l'origine du monde phé-


noménal est celle de l'esprit en tant que base permettant l'apparition
de toute manifestation. Il reste à définir comment fonctionne cette
production des phénomènes par l'esprit.

• D'une façon générale, tous les phénomènes dépendent de causes


et de conditions. • (Gampopa)

Si l'esprit représente la cause fondamentale, la base ou le potentiel


d'apparition des phénomènes, leur manifestation effective dépend
de trois causes secondaires ou conditions.

La condition causale
C'est la conscience base de tout (alaya vijnana). Elle est le substrat
d'où s'élèvent toutes les productions mentales par le biais du mental
perturbé..

La condition maîtresse
Elle réside dans les cinq organes sensoriels : l'œil, l'oreille, le nez,

43
LA CONSCIENCE PARTIELLE

la langue et le corps (1), ainsi que dans les cinq conscienc~s (2) qui
r L'APPARENCE NÉE DEL 'ESPRIT

Si la forme était composée de particules infinitésimales réellement


leur sont liées (conscience visuelle, auditive, etc). Ces consciences existantes, comment l'esprit qui est non composé, qui n'a pas d'exis-
sont associées au mental immédiat. tence substantielle, pourrait-il appréhender cette forme ? Comment
des objets substantiels pourraient-ils provenir d'une origine non subs-
La condition objective tantielle ? Inversement, comment l'esprit pourrait-il être imputé sur la
Elle est constituée par les formes, les sons, les odeurs, les goûts, base de la matière ?
les objets tangibles, dont la perception, par les organes et les cons-
ciences sensorielles est appelée contact. Si l'esprit et la matière étaient de natures différentes, ils ne pour-
Si l'objet perçu est reconnu comme agréable et source de plaisir raient apparaître comme produit l'un de l'autre, car il n'existerait pas
il_ s~ra _attiré et l'émotion du désir-attachement s'élèvera dans l'esprit: de relation entre eux, pas de base d'imputation qui rende possible
S1 1objet est perçu comme désagréable et facteur de souffrance il un contact.
sera repoussé et l'émotion de haine-aversion s'élèvera. Si l'objet ~st Considérer la forme comme dotée d'une existence réelle et maté-
perçu comme neutre, il engendrera l'indifférence, il sera ignoré ou rielle et l'esprit comme non matériel, de nature mentale, implique
délaissé et l'émotion de l'opacité mentale se développera. que leurs champs de manifestations demeurent étrangers l'un à
l'autre, aucun contact ne pouvant s'établir entre eux. S'il en était ainsi,
Pour que le contact puisse s'établir, il est nécessaire que les objets aucune relation de cause à effet ne pourrait s'appliquer. Forme et
perçus et la conscience qui perçoit, soient de même nature ou que esprit demeureraient étrangers l'un à l'autre, l'existence de l'un
leurs manifestations respectives soient dépendantes l'une de l'autre. excluant automatiquement celle de l'autre. L'esprit ne pourrait jamais
Tout comme dans l'exemple de la fumée qui s'élève du feu, il existe percevoir les phénomènes, ce que contredit l'expérience.
une relation d'identité de nature. Dans le feu, base à partir de la-
quelle apparaît la fumée, la manifestation, la fumée, est présente Si l'on admet qu'ils sont de natures totalement différentes, la for-
comme potentiel inhérent au feu, sa présence est le signe de celle me étant composée de particules matérielles et quantifiables, l'esprit
du feu. étant immatériel et impalpable, comment l'esprit peut-il percevoir la
Il existe deux possibilités : soit l'objet est une manifestation forme, l'esprit ne percevant que les objets mentaux? La seu1e réponse
dépendante de la conscience à partir de laquelle elle apparaît soit possible, c'est que les objets sont eux-mêmes de nature mentale,
la manifestation de la conscience est dépendante de la pré;ence· semblables à des manifestations oniriques : le tigre qui apparaît en
d'un objet à partir duquel elle apparaît. rêve n'est pas un vrai tigre, il est de nature mentale, et c'est la raison
pour laquelle la conscience peut le percevoir. De même, c'est parce
(1) Le corps en tant.qu 'il permet, par la peau et les muqueuses, la sensation du toucher. que la totalité des apparences est de nature mentale, qu'elle peut
(2) Les cznq conscumces s~orielles de l'œil, de l'oreille, du nez, de la langue, de la être perçue par l'esprit.
pe"!_u, correspondent respecti~ement aux facultés de la vue, de l'ouïe, de l'odorat, du
gout, du toucher. Ces facultes permettent respectivement d'appréhender les objets sui-
vants : ~formes, les sons, les odeurs, les saveurs, les sensations tactiles. Nous avons vu que les Vaibhasikas et les Sautrantikas définissent
La c?~cumce rrzB?Ztale, de nature "sensorielle'~ est traditionnellement considérée comme
la s:xzeme C?_nscze;nce. C'est elle qui ressent les oey'ets mentaux comme des sensations les phénomènes grossiers comme des composés relatifs, constitués
agre_ables, cfesagreables, ou neutres. C'est la faculté de la pensée sous sa forme la plus de particules infinitésimales. L'assertion de l'existence des particules
rudzmentazre.
Le ~ta} imr:zédiat, ou "immédiateté du mental'; correspond à la faculté (du) mental(e) repose sur le postulat de leur indivisibilité. Il reste à démontrer que
quz sazszt et elabore ~es, concepts. On pourrai~ dire aussi que c'est la faculté complexe ces particules infinitésimales ne sont pas réellement existantes, afm
de penser. n est aUS? l espa<:e dynamzque quz permet aux six consciences de se mani-
fester. Lorsque les s~ conscumcB:f, s~orielles se résorbent dans l'alaya, ou conscience de conclure à la nature mentale des phénomènes.
d_e base,. cette facU;lte mentale nazt d znstant en instant, au moment précis de la résorp-
tion (vozr le chapttre sur les huit consciences). Une particule infinitésimale indivisible est une particule simple,

44 45.
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'
L'APPARENCE NÉE DEL 'ESPRIT
-- LA CONSCIENCE PART1ELLE
.

1
;
'

qui ne peut être décomposée en d'autres éléments constitutifs. Si en effet tout cela, mais du point de vue ultime, toutes ces percep-
elle ne peut être divisée, cela implique qu'elle est dépourvue de tions, y compris l'existence des grains de sable, sont illusoires puis-
faces, de côtés ou de parties directionnelles permettant de lui qu'oniriques. Toute l'expérience n'est qu'une succession d'images
adjoindre une ou plusieurs autres particules infinitésimales. Ce qui mentales qui apparaissent dans la conscience.
revient à dire que, lorsque les particules se rencontrent, elles s'intè- Ces raisonnements, valables pour les formes, s'appliquent égale-
grent et sont alors confondues, d'où l'impossibilité pour elles de for- ment aux objets perçus par les autres facultés sensorielles : sons,
mer des composés : ne pouvant s'agglomérer les unes aux autres, odeurs, goûts, objets tactiles ; ceux-ci sont semblablement dépourvus
elles ne forment jamais une somme (1).· d'existence indépendante de la conscience qui les saisit. Ils ne sont
Pour se combiner avec d'autres, cette particule doit posséder des que des créations mentales issues de l'esprit dualiste qui les investit
parties directionnelles (dessus, dessous, devant, derrière, droite, gau- d'une réalité extérieure à lui-même. En résumé, tout objet exté-
che, etc), en fonction desquelles viennent se positionner d'autres rieur est caractérisé par la conscience qui l'appréhende.
particules. Elle n'est plus alors simple ni indivisible, mais composée
de ces éléments ou parties directionnelles. Enfin, traitons des objets mentaux proprement dits, c'est-à-dire de
Dans le premier cas, si les particules se confondent, que reste-t-il ce que recouvre le champ d'activité de la conscience mentale :
de leur substantialité ? De quoi la nature se compose-t-elle? Dans le l'identification des objets et leur dénomination par un concept ou un
second, si les particules peuvent être décomposées à l'infini, que terme, l'intégration au plan mental d'une perception sensorielle, ou
reste-t-il comme matière existante ? le processus de jugement qui nous permet de décrire et d'apprécier
les caractéristiques de tout objet des sens. Lorsque nous voyons un
Par ce raisonnement, nous pouvons conclure à l'inexistence des objet transparent en forme de contenant, nous l'identifions et le
particules infmitésimales substantielles constitutives des phénomènes. nommons "verre". Mais cette dénomination n'est pas universelle-
Si les phénomènes composés sont dépourvus d'existence matérielle ment valable. Un chien ne se dira sûrement pas : "tiens, voilà un
intrinsèque, c'est qu'ils sont des produits mentaux. Au niveau relatif, verre!" Sa perception de l'objet sera différente et il lui donnera en
ils apparaissent en mode illusoire et sont perçus comme matériels tous cas un autre nom !
par l'esprit soumis à la confusion. Au niveau ultime, étant composés Ces concepts n'ont pas d'existence en soi, pas plus que les objets
de particules n'ayant pas d'existence matérielle intrinsèque, ils ne mentaux auxquels ils s'appliquent. Ils ne sont que des fabrications
sont que des manifestations mentales dépendantes de l'esprit. Seul de la conscience mentale. Le jugement porté par l'esprit : agréable,
l'esprit confus les expérimente comme dotés d'une existence indé- désagréable, indifférent, n'est pas inhérent à l'objet lui-même, mais il
pendante. est le fait d'une interprétation, d'une lecture particulière de l'objet
mental. Par exemple, la vue d'une tigresse représente un objet atti-
C'est un peu comme l'enfant qui rêve qu'il construit un château rant pour un tigre mâle. Un homme ne jugera pas en ces termes,
de sable. Il y porte tellement d'intérêt que tous les éléments qui mais éprouvera plutôt de la crainte.
composent le château sont présents à sa conscience. Il peut même
voir les grains de sable et éprouver la sensation que procure leur Si la qualité de l'objet avait une existence réelle et indépendante,
toucher, suivre tout le processus de construction et même connaître elle serait connue de manière permanente et identique. Jugement et
la satisfaction de voir son ouvrage achevé. En vérité relative, il ressent identification ne sont que le produit des différents conditionnements
mentaux des êtres. La diversité des apparences est due à une multi-
(1) Selon cette explication, ou bien la somme de toutes les particules n'est jamais supé" · tude de processus mentaux individuels, issue des conditionnements
rieure à une particule initiale et ne peut donner naissance à des phénomènes composés,
ou bien tous les phénomènes ne sont qu'une seule particule. Comment expliquer alors latents propres à chaque être.
la constitution de particules de natures différentes ?

46 47
r
\(_,

L'esprit non-né

Comme nous l'avons expliqué au chapitre précédent, les phéno-


mènes n'existent qu'en dépendance les uns des autres : le moi
n'existe que par rapport à l'autre, la droite par rapport à la gauche,
le bon par rapport au mauvais. Il ~n va ainsi de tous les termes de la
dualité : chaud, froid, long, court, haut, etc.

Pour la même raison, si les objets de la connaissance, les phénomènes


extérieurs, ne sont pas intrinsèquement existants, la connaissance,
l'esprit intérieur qui les appréhende, ne peut l'être davantage. Si la
l
·~ forme extérieure est dépourvue d'existence, l'esprit qui l'appréhende
à travers l'œil et la conscience visuelle, est également inexistant.
L'esprit percevant étant la somme des consciences sensorielles, il est
de la même nature que ce qu'il perçoit.

\. Ceci est valable pour la conscience en général, mais aussi pour


chacune des consciences sensorielles (1) particulières. Si le son est

(1) Les six consciences sensorielles sont celles qui sont citées précédemment, plus la
conscience mentale qui possède, comme on l'a indiqué ci-dessus, la faculté de ressentir
comme attirants, repoussants, ou indijférents, les objets mentaux.
Parfois le texte parle de cinq consciences sensorielles, plus le mental. Parfois il men-
tionne six consciences sensorielles. Dans le premier cas, la conscience mentale est im-
plicitement incluse dans le mental. Dans le deuxième, ils sont distingués.

49
LA CONSCIENCE PARTIELLE

J L'ESPRIT NON NÉ

dépourvu d'existence intrinsèque, la conscience auditive en est éga- également. Leur nature étant essentiellement identique, l'esprit est
lement dépourvue ; si l'odeur n'existe pas, la conscience olfactive lui-même non existant, vide, non produit, non créé.
n'existe pas et ainsi de suite. Par la réfutation des cinq agrégats, sup-
ports de la manifestation sensorielle, c'est l'ensemble du champ de Cette reconnaissance doit être conduite pas à pas, par un processus
la perception sensorielle qui se trouve réfuté, incluant ce qui est perçu : d'analyse progressive. étayé par la pratique de la méditation, afin
l'objet, et ce qui perçoit : les consciences qui saisissent les formes, d'être convenablement intégrée.
sons, odeurs, goûts et objets tactiles. ll en va de même pour les objets
mentaux et pour la sixième conscience qui identifie ces objets sur le
mode de la sensation mentale (à partir de laquelle s'élèvent l'attrac-
tion, la répulsion, l'indifférence). Ces objets étant dépourvus d'exis-
tence en soi, la conscience qui les éprouve, l'est également.

Aussi pouvons-nous conclure que tous les aspects de la manifes-


tation sont dépourvus d'existence propre. En essence, ils procèdent
de la nature de l'esprit ; en d'autres termes, les formes, les sons, etc,
ne sont que des productions de l'esprit (ils en sont les projections).
Du point de vue de la vérité ultime, ils sont vides, c'est-à-dire dé-
nués d'existence propre ; en vérité relative, leur mode de fonction-
nement est celui de la génération interdépendante. Ce qui signifie
que la production de la manifestation est régie par l'interaction de
causes et de conditions dépendantes les unes des autres.

N'étant le produit ni d'eux-mêmes, ni de causes étrangères, ni de


la combinaison de ces deux, ni n'apparaissant sans cause, ils sont
seulement l'esprit dans le sens où l'esprit est le terrain fondamental
de leur manifestation. Tout comme les images oniriques ne sont que
des fabrications du mental, dénuées d'existence "réelle", tous les
phénomènes ne sont que des productions mentales dépourvues de
1
spécificité. Leur nature, qui est d'être sans essence, ou vide, est la
base à partir de laquelle ils apparaissent et y sont réintégrés, sembla-
bles à des hallucinations passagères.

Il est nécessaire d'établir en premier lieu cette compréhension


que toute manifestation, qu'elle soit confuse (samsara) ou éveillée
(nirvana), appartient à la nature de l'esprit et à elle seule car, en essence,
sa réalité objective ou substantielle ne peut être établie.

En conséquence, il faut admettre que si la manifestation, produit


de l'esprit, est dépourvue d'existence, l'esprit qui en est la cause l'est

50 51
Les huit consciences,
causes et conditions de la confusion

Ce que l'on nomme du terme générique "esprit", recouvre en fait


huit consciences (1). Afin de comprendre la nature fondamentale de
l'esprit, base du samsara et du nirvana, il est nécessaire de connaître
le fonctionnement de l'esprit samsarique, c'est-à-dire d'établir une
perception correcte de la façon dont causes et effets s'enchaînent et
apparaissent dans la production interdépendante. Ce mode de fonc-
tionnement s'inscrit dans les huit consciences.

Ces consciences sont définies comme fragmentaires, ce que reflète


le mot tibétain namshé, contraction de nampar shépa. Nam ou
nampa signifie aspect, partie, fragment. Shépa signille connaître,
connaissance, être conscient de. Namshé indique une connaissance
ou conscience fragmentaire, distincte de la réalité, somme de cons-
ciences particulières qui ne saisissent qu'un aspect, qu'un secteur de
la réalité. Le terme yéshé, au contraire, désigne la conscience, shé,
primordiale, yé, c'est-à-dire la connaissance intégrale, naturelle,
inhérente, présente depuis toujours comme le fondement de l'esprit,
consciente par nature de la réalité de toute chose.

(1) Les huit consciences auxquelles il est fait référence sont les six consciences que l'on
vient d'évoquer, plus le mental immédiat, plus la conscience de base, l'alaya. Le
mental immédiat assure la liaison et une sorte de continuité entre les six consciences
sensorielles, changeantes, et l'alaya, stable.

53
LA CONSCIENCE PARTIELLE

Le substrat de ces conscienc~s fragmentaires est la conscience


r LES HUIT CONSCIENCES

conscience mentale s'élève de la faculté cognitive : elle est ce qui


base de tout, conscience de base ou conscience réceptacle· (set : discrimine entre les objets mentaux et non-mentaux.
alaya vijnana - tib : kunchi nampar shépa). Elle est la source ou le
support de l'apparition et de la résorption des sept autres consciences. Ainsi, les six types d'objets sensoriels sont les sources, les supports
Bien qu'identiques en essence à la conscience de base, ces dernières qui rendent les six consCiences actives. Ils sont donc la condition
en sont les prolongements, ou les aspects spécifiques, qui assurent objective des perceptions conscientes.
des fonctions particulières. Si chaque conscience_s'élève lorsqu'elle entre en relation avec
l'un des six objets, le contact n'est rendu possible que grâce à la
Les six premières consciences sont les consciences sensorielles, la faculté sensorielle, constituée par l'organe qui perçoit l'objet. Cette
faculté sensorielle mentale étant incluse comme sixième sens. La faculté est appelée condition maîtresse ; elle agit comme une porte
septième conscience, le mental immédiat, est l'esprit confus, dans de la conscience. L'œil n'est pas la conscience visuelle, mais il est le
son mouvement, ce qui structure perceptions et expressions. La hui~ support indispensable de son fonctionnement. Il représente la
tième conscience est la "terre" ou la base à partir de laquelle appa- condition maîtresse de l'apparition de l'objet à la conscience : si la
raissent les autres consciences. C'est une sorte de matrice neutre qui faculté visuelle est altérée ou oblitérée, la conscience visuelle se
peut produire la confusion comme l'éveil. Elle est définie comme trouve réduite ou inopérante ; bien que continuant à exister, elle
"soi" (atman), par opposition à l'esprit éveillé qui est 'hon-soi" n'est plus efficace.
(anatman).
Il en va de même pour les autres consciences sensorielles, chacune
Ces huit consciences sont donc : d'entre elles est sélective. Chaque faculté et chaque conscience fonc-
~ les cinq consciences sensorielles : visuelle, auditive, olfactive, tionnent de façon autonome, sans se confondre avec les autres.
gustative, tactile,
Une distinction s'impose tout de même en ce qui concerne la
- Ja conscience des objets mentaux (associée aux facultés
conscience mentale, car celle-ci ne s'appuie pas sur des objets exté-
sensorielles),
- le mental,-~ - rieurs. C'est la faculté mentale qui est elle-même la base de cette
conscience, à travers sa capacité à percevoir les facteurs mentaux,
- la conscience de base ou conscience base de tout (1).
objets de connaissance. C'est la conscience qui connaît l'apparition
des objets perçus par les autres facultés sensorielles et qui les diffé-
Traditionnellement, la conscience de base est comparée à un
rencie. Elle perçoit les objets mentaux et effectue l'appréhension
océan et les sept consciences secondaires aux vagues qui s'en élè-
sélective de leurs caractéristiques (cette forme est laide, ce son est
vent. Bien qu'en apparence les vaguês se distinguent de l'océan, en
beau, cette boîte est rouge, etc). Elle identifie et évalue les facteurs
essence, elles lui sont identiques. Les consciences secondaires, tout
mentaux. Par exemple : bien que la conscience visuelle perçoive
en étant indifférenciées de l'alaya, apparaissent néanmoins distincte-
l'objet présent, la pensée qui l'identifie comme tel n'est pas la cons-
ment, car leur manifestation est dépendante de conditions objectives
cience visuelle, mais la conscience mentale.
spécifiques. La conscience visuelle naît de la rencontre d'une forme,
la conscience auditive se manifeste en fonction d'un son, etc. La
Les six consciences apparaissent et se résorbent dans l'alaya, sem-
(1) Les huit consciences ne représenten~ pas la totalité de l'esprit, elles définissent la r
!
blables aux vagues qui s'élèvent et retournent à l'océan. Cette émer-
structure du moi, de la conscience individuelle. La dimension éveillée de l'esprit se si- gence et cette réintégration, ce mouvement, ne peuvent prendre
tue au-delà des huit consciences. Ces huit consciences sont donc la cristallisation de
la ftXation égoïste résultant du karma. L'éveil représente la cessation du concept de place qu'à l'intérieur d'un espace. Grâce à l'espace du ciel et à celui
moi et de l'identification à la structure qui sous-tend son existence. qui sépare les molécules, la fluidité et le mouvement apparaissent.

54 55
LA CONSCIENCE PAR11ELLE
r LES HUIT CONSCIENCES

Ils permettent que les crêtes et les creux des vagues se forment à la tion des multiples tendances conservées dans la conscience de base.
surface de l'océan. Ces tendances extrêmement diverses sont des impressions latentes
Il en va de même pour l'esprit: sans intervalle, sans vide, la pro- qui se trouvent stimulées par les perceptions sensorielles et les
duction et la cessation des pensées ne peuvent intervenir, l'espoir et conditions provenant de l'extérieur. Devenues actives, elles produisent
le désespoir ne peuvent prendre place. Dans le cas de l'esprit, la variété des apparences qui surgissent à l'esprit.
l'espace n'est pas de nature physique comme le ciel, mais il est la Par exemple, lorsque dans l'alaya les tendances dominantes sont
dimension de la vacuité d'existence intrinsèque, essence ou texture celles du conditionnement humain, elle donnent naissance aux
de l'esprit lui-même. consciences sensorielles spécifiques qui sont celles de l'expérience
humaine. Lorsque les prédispositions caractéristiques sont de nature
Cet espace est l'intervalle qui permet le mouvement. Cette fonc- animale, elles se cristallisent en une naissance animale avec sa spé-
tion est assurée par la faculté mentale, qualité de l'esprit qui se situe cificité. Il en est de même pour les autres classes d'êtres appartenant
entre la conscience de base et les six consciences sensorielles. Le aux différents plans d'existence.
mental est l'espace dynamique qui rend possible l'apparition des six
consciences; il est l'agent de la conscience mentale. Dans le mouve- Ainsi, le type de conditionnement est produit par le jeu des per-
ment inverse, lorsque cessent les six consciences, le mental assure le ceptions, qui véhicule des· expériences caractéristiques. Elles sont
lien avec la conscience de base. gardées en mémoire dans la conscience de base. Elles se cristallisent
en quelque sorte sous la forme des impressions dominantes. Celles-
Le mental, c'est l'instant de conscience qui prend place dès que ci, accumulées sous forme de consciences et de facultés sensorielles
cessent les consciences sensorielles discontinues, assurant la jonc- particulières, détermineront par leurs limites le champ d'expérience
tion avec l'alaya qui demeure. Cette immédiateté de l'esprit est accessible à l'individu.
appelée faculté ou pouvoir du mental. Néanmoins, les phénomènes et les facultés ne sont que des fonc-
tions de l'esprit. En effet, si la forme est éprouvée par la conscience
Les six types d'objets extérieurs et les six facultés qui se manifestent visuelle, celle-ci ne sait ni discriminer, ni analyser cette forme.
en dépendance de ces objets sont également dénués d'existence La définition de la forme comme étant grande, petite, ronde, carrée,
propre et ne sont que des projections, des émanations illusoires de rouge ou jaune, appartient exclusivement au domaine mental qui
l'esprit. Ils s'élèvent les uns des autres, en mode dépendant, c'est-à- sait lire, identifier, juger, comparer. Les différentes expériences sen-
dire qu'ils ne peuvent être identifiés isolément comme existant de sorielles sont véhiculées à la conscience de base sous forme de fac-
façon continue, permanente et indépendante. Ils ne sont pas réelle- teurs mentaux (semdjounlf> et leur identification est le fruit de
ment existants. La manifestation étant le produit d'une source, elle l'agrégat (2) de la perception (dushé), qui discrimine entre agréable,
lui est assujettie. Bien que fonctionnant dans une autonomie relative, irritant, chaud, froid, etc.
elle appartient en propre à l'esprit.
Comme nous l'avons démontré plus haut, les deux éléments
L'aspect confus de la manifestation et des consciences qui la per- objectif et subjectif d'une perception étant nécessairement de la même
çoivent est le produit de l'esprit sous l'emprise de l'ignorance (1), nature, c'est le mental qui est à l'origine des différents aspects de la
depuis des temps sans commencement. Il correspond à la matura- perception.

(1) Ignorance ou nescience, ma.rig.pa : l'esprit ignorant de sa véritable nature, fonc- (2) Les cinq agrégats sont les constituants psychophysiologiques de l'individu connaissant.
tionnant en mode erroné, bien que pourvu de la sagesse en tant que qualité essentielk Ce sont : la forme, la sensation, la perception, les formations mentales et la conscience.
non révélée. Voir "Regards sur l'Abbiddharma" de Trungpa Rinpoché, éd. Yiga Tcbeu Dzinn.

\
56 57
LA CONSCIENCE PARTIELLE LES HUIT CONSCIENCES

Le mental C'est le pouvoir qui conditionne le mouvement d'ouverture et de


fermeture de l'esprit à ses sensations, et c'est ce qui relie le réseau
· Le mental présente deux aspects qu'il convient de distinguer : le des consciences perceptives à la conscience réceptacle.
mental immédiat et le mental aliéné ou souillé, voilé. Le mental aliéné
est l'une des huit consciences. Le mental immédiat n'est pas une Cette immédiateté de l'esprit peut être approchée partiellement
conscience distincte, mais est présent dans les six facultés. Cependant, par un raisonnement correct et une investigation profonde et minu-
alors que celles-ci s'appuient sur un support physique, le mental im- tieuse. Mais le mécanisme du raisonnement est tel qu'il est toujours
médiat en constitue la trame insubstantielle. Il appartient au domaine fondé sur des données étrangères à l'investigateur, qui lui ont été
de la conscience dont il est une qualité. transmises par un tiers. Il contient une part d'imprécisions, d'incerti-
tudes et reste toujours un corps étranger, transplanté artificiellement.
Seule l'expérience individuelle directe qui s'élève dans l'esprit du
Le mental immédiat méditant grâce aux techniques d'obtention du calme mental (chinéj
et du développement de la vision supérieure (lhaktong), pourra
Le mental immédiat est ce qui fait suite à la cessation des six conduire à une intégration définitive, "née de l'intérieur", éliminant
consciences perceptives et qui dépose leurs informations dans la toute approximation et toute artificialité. _ .
conscience de base. Il est aussi ce qui conditionne leur production
lorsqu'elles se manifestent.
L'immédiateté est une qualité spontanée de l'esprit, c'est la faculté Le mental aliéné
du mental. Elle est le lieu (1) de la connaissance d'un objet mental
par la conscience mentale. C'est en contraste avec les cinq autres Si le mental ne peut être divisé en des constituants autonomes, il
facultés sensorielles qui sont imputées sur la base d'un support se prête néanmoins à l'observation des traits distinctifs de son fonc-
matériel ou organique : l'œil, l'oreille, etc. tionnement. Ainsi, le mental perturbé, bien que n'étant pas différent
du mental, apparaît distinctement comme un mode caractéristique
Le mental immédiat est la condition qui permet l'apparition et la de son fonctionnement. Il est le mental qui saisit, fixe, s'attache et se
dissipation des six consciences secondaires en relation avec la cons- rend prisonnier de ses perceptions. C'est ce que rend le terme tibé-
cience base de tout. Il assure une fonction d'ouverture et de ferme- tain nyeun mong pa : aliénation, affliction, aveuglement.
ture entre ces deux plans. Il est le "vecteur" qui communique la
multitude d'informations reçues par les six consciences et qui La racine de toutes les distorsions mentales est la saisie d'un soi
permet qu'elles se réintègrent dans l'alaya. individuel. Celle-ci nous fait penser en termes de "je", "c'est moi",
C'est un "agent de transmission". L'immédiateté est l'instant (1) etc. Les autres n'apparaissent que comme les moyens d'évaluation
qui relie les perceptions à leur matrice. L'agent responsable de de notre propre supériorité : ''je suis le meilleur, le plus important".
l'apparition et de la disparition d'une perception, c'est-à-dire d'un Si l'on examine par l'analyse ce qu'il en est de ce moi qui s'identifie
objet mental dans l'alaya, est dénommé immédiateté du mental. à l'ensemble physico-psychique dénommé personne, on s'aperçoit
que le moi ne peut être identifié isolément dans aucun des agrégats
L'activité du mental immédiat est ininterrompue, elle n'est pas
(forme, sensation, perception, intellect, conscience) dont il est com-
succession d'instants, mais l'instant même de cette succession, une
posé. Il ne peut pas être trouvé non plus dans leur somme, car
constante qui préside à la création et à la cessation d'une perception.
aucun de ces agrégats n'existe en tant qu'entité indépendante. Cette
(1) Instant, lieu, espace, sont des termes physiques ; ici ils s'appliquent au domaine perspective détruit toute identification au moyen de la conscience
mental et ne sont que des équivalences. connaissante correcte qui élimine la saisie égoïste.

58 59
'
~

r
l
.
.
LA CONSCIENCE PARTIEILE

Le mental aliéné constitue la propension de l'esprit névrotique à


cqgsolider les aspects disparates qui le composent en un tout mono-
LES HUIT CONSCIENCES

l'élimination de l'illusion du samsara quand, au moyen des techni-


ques de méditation sur la nature de l'esprit, son fonctionnement est
lithique auquel il s'identifie. C'est la distorsion fondamentale de l'es- reconnu. Par la pratique du calme mental (chiné), la confusion qui
prit qui s'aveugle lui-même, se voile sa propre nature, s'exclut de sa emprisonne l'esprit devient perceptible. Puis, par la vision pénétrante
clarté intrinsèque, pour s'enfoncer dans les ténèbres de l'ignorance, (lbaktong), sont reconnues les méthodes qui permettent de s'en
c'est-à-dire la non-connaissance de sa vraie nature. L'ignorance n'est délivrer et d'acquérir l'indépendance de l'esprit. L'essence de l'esprit
pas ici définie comme l'absence de savoir, mais comme volonté de est réalisée par cette essence même. La faculté auto-libératrice inhé-
ne pas se connaître soi-même. rente à l'esprit est ainsi mise""' en œuvre (il s'agit de la libération de la
ftxation dualiste sujet/objet).
Par le jeu de l'identification égotique naît l'attachement au moi et
l'aversion envers ce qui lui est étranger : l'autre. Cette relation duelle L'alaya est aussi la sphère d'où sont issus l'univers extérieur, tous
est source de toutes sortes de conflits et détermine tous les· actes et les champs de manifestation, ainsi que tous les êtres qui les animent.
comportements erronés et, par conséquent, toutes les souffrances C'est encore dans l'alaya que, par le jeu des sept consciences frag-
qui en résultent. En réalité, toutes ces perturbations, toutes ces souf- mentaires, se déposent les empreintes des actes accumulés. Elle
frances, sont inexistantes puisqu'elles sont fondées sur l'idée fausse est appelée pour cela la conscience réceptacle ou "conscience
du moi. Aussi, le mental aliéné ne représente qu'un disfonctionnement 9!!!_détient les graines".
du mental proprement dit.
Lorsque les tendances latentes ont mûri, elles deviennent activité
En résumé, la nature unique du mental présente deux aspects et constituent les sept consciences semblables à des nuages, provo-
dans son fonctionnement : quant une pluie d'actes. Les rivières de karma nées de cette pluie
- le mental immédiat est l'agent de la production des six conscien- vont à leur tour se jeter dans l'océan de l'alaya. Là, elles se conser-
ces et des facultés sensorielles depuis l'alaya. Il est également l'agent veront sans s'épuiser. Puis elles s'évaporeront et se condenseront à
de leur cessation et résorption dans celle-ci ; nouveau en l'amoncellement des consciences. Aussi, le cycle de
l'existence, de la production et de la cessation, peut-il être comparé
- le mental aliéné est comme une excroissance d'où procèdent au cycle de l'eau. Dans cette comparaison, l'alaya est semblable à
tous les aspects névrotiques de l'esprit : désir/attachement, haine/ l'océan, réceptacle de toutes les possibilités de transformation.
aversion, stupidité/ignorance, orgueil/cupidité, etc.
Le premier est constant et permet aux consciences d'apparaître. La conscience de base détient tous les potentiels karmiques, posi-
Le deuxième filtre et voile leur manifestation ; il est ce qui génère tifs comme négatifs, et, en ce sens, elle est dite neutre, l'éclosion
les obscurcissements mentaux. d'un karma particulier étant simplement le fait de la mise en œuvre
des tendances prédominantes. L'alaya est comme le terrain sur lequel
ces tendances se déposent, éclosent, mûrissent, s'organisent en les
La conscience base_de tout (alaya vijnana) sept consciences. Celles-ci projettent un champ d'expérience partiel,
reflet des tendances dont il est issu (humaines, animales ou autres).
L'alaya vijnana est le substrat d'où procèdent et à partir duquel Ce champ d'expérience se résorbera en l'alaya lorsque sera épuisé le
s'élaborent les sept autres consciences. Il est important d'en compren- karma responsable de sa manifestation.
dre la nature, car c'est de celle-ci que s'élèvent confusion et éveil.
Lorsque l'esprit ignore la nature de la conscience de base, celle- La conscience de base est donc le lieu· de la succession des expé-
ci agit comme matrice de la confusion. Elle est aussi le support de riences transitoires où se déploient et se résorbent des espaces et

60 61
~.

1
'
. LA CONSCIENCE PARTIELLE LES HUIT CONSCIENCES
-
'
.

' des situations intermédiaires ou bardos (1). Pour cette raison, elle est Cette compréhension de la nature de l'alaya est essentielle : c'est
définie comme conscience karmique. là où réside la différence fondamentale entre les positions bouddhis-
Par exemple, lorsque les graines karmiques dominantes détenues tes et celles des Tirthikas qui reconnaissent en cette conscience le
dans l'alaya sont celles de l'existence humaine, une fois libérée de la soi ou l'entité immanente. Dans ces systèmes, même lorsqu'elle est
conscience de base, elles vont se développer dans le champ d'expé- purifiée, l'alaya est tenue pour un soi réellement existant. Les écoles
rience sensorielle propre au monde humain. L'alaya est donc la bouddhistes réfutent cette thèse, car l'alaya n'existe qu'en dépendance
condition fondamentale de toute expérience et, pour cette raison, des consciences subordonnées ; elle n'est qu'une manifestation relative
elle est qualifiée de condition causale. Lorsque, au moment de la et ne peut être tenue pou; ultimement existante.
mort, la sphère de la manifestation humaine disparaît par la résorption
progressive des consciences contingentes dans l'alaya, cette dernière Il est important de souligner que cette différence n'est pas le fruit
engendre et expérimente un nouveau champ d'expériepce. Cette de divergences dogmatiques plus ou moins arbitraires ou fictives.
situation post-mortem est un nouvel état intermédiaire, ou bardo. Il Elle est fondée sur une connaissance valide et confirmée par l'expé-
est caractérisé par une existence purement mentale jusqu'à ce que rience directe de l'état d'éveil, dans lequel cette conscience ne sub-
les prédispositions dominantes conduisent la conscience de base siste pas comme entité indépendante. Si l'existence intrinsèque de
vers un nouveau mode de manifestation samsarique : humain, divin, l'alaya pouvait être démontrée de manière indiscutable par la
animal ou infernal. connaissance directe de l'esprit éveillé, les positions des Tirthikas
seraient alors acceptables pour un bouddhiste. C'est seulement parce
L'alaya est le terrain de la confusion fondamentale, là où le moi qu'il n'en est pas ainsi que l'on parle de positions différentes.
plonge ses racines. Elle est ce qui prend et quitte les différentes
séquences de l'existence, tous ces bardos, ces intervalles, dans les- Ceci conclut le premier chapitre : l'exposé de la conscience frag-
quels s'inscrivent les états multiples de l'être. On la dénomme pour mentaire et illusoire.
cette raison la conscience "qui prend et donne les existences".

Cependant, cette conscience de base n'est pas l'ultime de l'être


car elle "n'est" pas en soi, mais n'existe qu'en relation dépendante
avec les sept autres consciences qui sont les facettes de l'illusion.

La présence de l'alaya est déterminée par les manifestations illu-


soires des consciences secondaires. En d'autres termes, elle est
conditionnée par le karma qui lui donne son caractère variable,
positif ou négatif. Lorsque l'illusion est dissipée, la conscience de
base ne subsiste plus en tant que telle, mais elle se transforme en la
nature d'éveil. Elle est donc dépourvue d'existence intrinsèque, elle
n'est qu'une manifestation conditionnée, dépendante de causes et
de conditions, semblable en cela à tous les phénomènes relatifs. On
peut la qualifier de "conscience du conditionnement".

(1) Bar : intervalle, espace - do : île. Bardo : situation intermédiaire, état relatif de
l'expérience transitoire.

62 63
LA CONNAISSANCE

PRIMORDIALE
i
i.

'
r
1
"
.

La connaissance primordiale, c'est l'état fondamentalement pur de


l'esprit, dont l'actualisation résulte de la transformation de la cons-
cience de base.

Lorsque l'ignorance relative à la conscience de base est dissipée,


son essence devient manifeste, elle resplendit comme conscience
connaissante. Elle n'est plus alors alaya, mais conscience primordiale,
sagesse innée, connaissance intégrale. De même, quand l'ensemble
formé par les sept consciences ne fonctionne plus de manière
confuse, s'élève la nature des cinq sagesses et des quatre corps
d'éveil (kayas).

Les méthodes de transformation de l'alaya, par lesquelles son


essence profonde est révélée, sont incluses dans les cinq chemins
progressifs de la méditation. Le parachèvement de cette transforma-
tion correspond à l'état d'éveil suprême, la bouddhéité.

Au cours de cette transformation, sont successivement abandon-


nées les différentes souillures de la conscience ordinaire que sont
les voiles des émotions ou passions, le voile du karma, le voile des
tendances fondamentales et le voile du connaissable. Le mode de
perception grossier issu de la confusion va se trouver supplanté par
la connaissance pure, originelle et immaculée, libre de tous voiles,
conscience primordiale, auto-connaissante, omnisciente. C'est la ces-
sation de la conscience fragmentaire et l'épanouissem~nt de la sagesse
intégrale, connaissance directe et inentravée. Les deux termes de la
transformation, cessation et épanouissement, sont synonymes de
bouddha ou d'éveil.

67
r

Les cinq chemins

Les cinq chemins de la progression vers l'éveil sont:


-le chemin de l'accumulation,
- le chemin de l'unification ou de la convergence,
- le chemin de la vision,
- le chemin de la méditation,
- le chemin où il n'y a plus à apprendre.

À chacun de ces chemins correspondent des moyens spécifiques


qui conduisent à une obtention déterminée, caractéristique de l'accom-
plissement de ce chemin.
Ce chapitre présente brièvement chacun d'entre eux (1).
Dans l'apprentissage et l'application de ces méthodes, le pratiquant
débutera par celles qui constituent le chemin de l'accumulation.

Le chemin de t accumulation
Afm d'affaiblir et de purifier les tendances négatives issues de la
saisie égoïste et d'endiguer le flot des actes nocifs provenant de la

(1) Pour une explication plus élaborée, on se référera aux "Trois enseignements" de
Gyaltsab Rinpocbé, Ed. Yiga Tcbeu Dzinn.

69
lES CINQ CHEMINS
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

fixation dualiste qui cherche à préserver le moi aux dépens des autres, champ de l'expérience, interdisant le répit qui permettrait de la
il est tout d'abord nécessaire de contrebalancer le poids des actes transformer.
négatifs et les effets des passions dont ils sont l'expression. Il est donc impératif de s'attaquer aux causes de la souffrance, les
actes erronés, pour détruire toute possibilité de renaissance infortunée.
La pratique consiste à accumuler des actes positifs, une énergie La pratique de l'antidote, source de l'accumulation positive, est le
bénéfique dont la puissance affaiblira tout d'abord les effets néfastes des préliminaire indispensable à la transformation de la confusion en éveil.
actes antérieurs incorrects, puis ensuite les anéantira, opérant une

,
conversion irréversible des dispositions perverses de l'esprit. C'est
comme le rapport de force qui oppose l'eau au feu. Lorsque l'eau La méthode
domine, elle a le pouvoir d'éteindre le feu, lorsque le feu est le plus
fort, il fait évaporer l'eau. L'action bénéfique a ainsi le pouvoir La capacité d'expérimenter la vision supérieure de l'éveil dépend
d'épuiser le karma négatif. Les tendances négatives peuvent être de l'acquisition de la stabilité mentale. La pratique de l'activité béné-

i
comparées à un combustible dont la flamme se nourrit. Par le feu fique doit se combiner avec les méditations de pacification et d'uni-
des actes bénéfiques, le stock des productions néfastes va se trouver fication de l'esprit (chiné).
'
En effet, notre esprit, soumis aux influences extérieures véhiculées
' progressivement consumé.
par les consciences sensorielles, traverse sans cesse des pertur-
bations. Il passe d'états d'exaltation et de dispersion intenses à des

1
~. Le chemin de l'accumulation continue par la mise en œuvre du
extrêmes de dépression et d'hébétude. Nous n'en avons pas le
. pouvoir de l'antidote:
. contrôle, étant constamment ballotté entre le désir et la peur.
- protéger la vie sera le remède aux tendances meurtrières,
' - pratiquer la générosité, le rèmède au vol,
~ Le premier travail consiste à calmer l'agitation, à relâcher les ten-
- dire la vérité éliminera la tromperie, sions de l'esprit et à l'établir dans sa clarté naturelle. Lorsque l'esprit
-entretenir des pensées bienveillantes d'amour et de compassion demeure de lui-même calme, lucide, stable, sans qu'il soit nécessaire
supprimera la haine et la jalousie, pour cela .de produire le moindre effort, le méditant applique les
- considérer les autres comme plus importants que soi-même techniques de la vision immédiate, celles de l'absorption maintenue·
conduira à l'affranchissement de la saisie égoïste. (samadhi), dite de "l'absence d'entité". Ces méthodes sont fondées
À chaque poison, à chaque déséquilibre, sera appliqué l'antidote, sur l'observation de la base de l'esprit, l'alaya, et l'investigation de
le remède correspondant. son essence au moyen de la conscience connaissante ou conscience
primordiale (1) de l'esprit. Alors cette conscience se reconnaîtra elle-
même comme étant l'essence de l'esprit, la connaissance intégrale,
La nécessité pureté primordiale, libre des polarités du sujet et de l'objet.

L'alaya étant le réceptacle des propensions négatives, celles-ci La pénétration de ce type de méditation constitue le deuxième
conduisent à l'accomplissement d'actes erronés dont résultera une chemin, celui de l'unification ou de la convergence.
expérience de souffrance, c'est-à-dire une naissance dans les états
insatisfaisants et douloureux (animaux, esprits avides, enfers). L'être
(1~ Tib. : Y~bé. ~elon le con!exte, le mot correspond à la conscience primordiale qui
qui est prisonnier d'un conditionnement aussi défavorable est coupé opere cette mvestigation, ou a la connaissance primordiale qui est réalisée. Ce concept
des moyens de réaliser l'éveil, des capacités de dissiper ses obscur- est paifois traduit par sagesse primordiale. Ce terme permet de mettre l'accent sur le
fruit obtenu.
cissements. L'intensité de la souffrance occupe en effet tout le

71
70

1
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE
lES CINQ CHEMINS

Le chemin de runification
Cette "chaleur" est donc le jalon qui indique le rapprochement de
Il est ainsi nommé parce que la conscience converge à ce point l'esprit avec sa véritable nature.
vers la reconnaissance directe de la nature de l'esprit, jusqu'à opérer
l'unification avec l'essence de vacuité, qui inaugure le chemin de la
vision. La cime
Lorsque le méditant a rassemblé l'activité bénéfique nécessaire, il
s'applique à l'observation et à la reconnaissance de la nature de sagesse Lorsque ce premier aperçu est intégré, la cime est alors atteinte.
de son esprit. Utilisant les techniques qui viennent d'être décrites, il C'est le point culminant de l'expérience. Par l'intensité de sa prati-
traverse une série d'expériences successives qui constituent des ma- que, le méditant comprend la nature de l'expérience immédiate, il
nifestations authentiques de la genèse de la vision de conscience pri- éprouve la certitude de l'efficacité de la méditation et du samadhi.
mordiale. Lorsque cette conscience primordiale se révèle directement, le Cette découverte est la source d'une immense joie, la satisfaction
voile des passions grossières se trouve purifié. d'avoir atteint le but de la méditation, l'assurance de la validité de la
voie.
Ces expériences, au nombre de quatre, sont définies par des
analogies. C'est le moment où est connue l'expérience intérieure, personnelle
et directe de la bienveillance du lama et des bienfaits de l'enseigne-
ment. Tous les doutes sont anéantis par la compréhension que
La chaleur l'obtention de l'éveil est dorénavant irréversible. L'enchaînement des
causes et des effets, le fonctionnement du karma, l'utilité d'accomplir
Lorsque l'on approche d'un feu, la manifestation sensible qui en de nombreux actes bénéfiques, la nocivité des attitudes erronées,
indique la présence, c'est la sensation de chaleur qui est éprouvée. sont alors clairement perçus.
Tout comme la chaleur est le signe de la proximité du feu, le médi-
tant va connaître une expérience de la nature de l'esprit qui sera le
signe tangible que sa méditation est qualifiée et qui indiquera la L,endurance
proximité de la reconnaissance par la vision directe.
Ceci est la caractéristique de la vision pénétrante authentique. La puissance de l'absorption méditative réalisée lors de l'étape de
la cime annihile l'influence des passions et des voiles karmiques qui
Cette expérience n'a rien à voir avec le fait d'éprouver une chaleur était jusque là prédominante. À ce niveau s'opère un renversement,
physique, ou de pouvoir se livrer à des exercices yogiques en relation et l'activité bénéfique supplante définitivement l'accumulation néga-
avec un feu réel ; elle ne relève pas du domaine de la sensation tive antérieure. Les obscurcissements émotionnels karmiques sont
physique, elle est pénétration mentale plus profonde et plus ouverte éliminés par le samadhi. Bien que les tendances latentes demeurent,
qu'auparavant. elles n'ont plus le pouvoir de parvenir à maturité.
Il convient donc de se garder d'imaginer cette expérience comme C'est le moment où toute possibilité de renaissance dans les états
quelque chose de déjà connu, ou de s'en faire une idée trop rigide inférieurs est définitivement épuisée.
qui ne correspondrait qu'à nos propres projections confuses. Pour
éviter ces travers, il est indispensable que la pratique de la vision Cette puissance de la méditation permet d'endurer, de tolérer les
pénétrante soit fondée sur une solide base de calme stable, qui pro- difficultés, les épreuves, les influences négatives, les obstacles.
tégera l'esprit des risques de distraction. Ceux-ci apparaissent comme l'ultime résistance des propensions kar-
miques qui sont près d'être détruites. La tolérance consiste à accepter

72
73
LES CINQ CHEMINS
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE

Ici l'alaya n'est pas éliminée, mais purifiée en son essence de


la manifestation des négativités potentielles, qui sont alors brûlées
conscience connaissante primordiale. L'ignorance est transmuée en
par la puissance de l'absorption maîtrisée.
éveil, la manifestation impure se révèle comme nature de sagesse.
L'esprit n'est plus jamais défait par les tendances négatives, mais
celles-ci agissent à présent comme des alliées qui renforcent la capa-
cité méditative et font progresser la réalisation jusqu'à ce que les
germes karmiques soient anéantis.
Le chemin de la méditation
Le suprême phénomène
Il consiste en l'expansion et le déploiement de la conscience pri-
mordiale de sagesse à travers les différents degrés d'éveil, depuis la
. Le suprême phénomène de la vision directe de la sagesse primor-
deuxième jusqu'à la neuvième Terre.
dlale est le point culminant de toutes les expériences précédentes
C'est l'actualisation des qualités transcendantes de l'esprit jusqu'à
qui appartiennent à la connaissance mondaine. C'est l'ultime réalisation
ce que l'essence de l'alaya soit perçue dans toute son étendue et
du monde relatif et conditionné. Au-delà, se déploie la conscience
que toute trace d'ignorance subtile soit résorbée en la conscience de
directe et non duelle de la vérité absolue, l'éveil.
sagesse.
C'est l'aboutissement des expériences qui convergent en la vision
de la nature ultime, la réalisation authentique, la succession de ces
expé~iences étant comme autant de signes qui jalonnent cette pro-
gresslon.
Le chemin où il ny a plus à apprendre
C'est la dixième terre où l'éveil insurpassable du Bouddha est
Le chemin de la vision parachevé. L'épanouissement de l'esprit a atteint son stade ultime,
semblable à l'espace illimité. C'est l'état d'omniscience, la connais-
Au terme de ces expériences, le méditant réalise la fusion de son
sance intégrale. Il ne reste plus rien à développer ou à apprendre.
esprit avec l'essence primordiale de la vacuité. Il obtient la vision
La réalisation est totale. L'actualisation des cinq sagesses fondamen-
directe, immédiate et définitive de la réalité ultime. C'est l'atteinte de
tales est accomplie.
la première Terre d'éveil. Elle est comparée à la vision du premier
croissant de la lune montante. L'éveil, la compréhension ultime, est
maintenant réalisé et va continuer de croître et de se dévoiler
jusqu'à la complète manifestation de la bouddhéité comparée à la
pleine lune. '

Cette vision est le signe de l'élimination des voiles du karma et


des émotions, c'est la conscience de tous les bouddhas. Mais elle n'est
pas parachevée, car subsistent les obscurcissements des dispositions
fondamentales subtiles de l'esprit, ainsi que le voile du connaissable (1).

cp .La suppressir:J':z des_ voiles du karma et des passions équivaut à la libération de


l ~tence cond_zttonnee. La suppression des voiles des tendances fondamentales et du
vozle du connazssable correspond à l'éveil insurpassable des bouddhas.

75
74
Les cinq sagesses

Le terme sagesse rend le mot tibétain Yéshé, qui signifie littérale-


ment conscience connaissante primordiale. Yéshé fait référence à

I
r
'
'
'
'l
l'activité résultant de l'éveil, indissociable de l'essence de la vacuité.
La connaissance intégrale de l'éveil, par opposition à la conscience
dichotomique, partielle, de l'esprit confus, est la qualité inhérente à
la vacuité. Cette connaissance est la conscience dynamique d'où
s'élèvent spontanément les cinq facettes de la sagesse .

l
.
'
..
~
À l'état ordinaire, l'esprit ne se perçoit que dans la limite des huit
consciences. La dimension des cinq sagesses lui demeure inaccessi-
ble. Les cinq sagesses résultent de la purification des consciences
grossières décrites précédemment. Dès qu'elles sont débarrassées de
la confusion qui les recouvre, ces consciences se révèlent comme
participant de la nature de la conscience primordiale ou des quatre
corps (kayas) de l'éveil.

L'exposé de leur présentation portera sur six points :


- la sagesse semblable au miroir et l'explication du dharmakaya,
-la sagesse de l'identité (1),
--la sagesse de la simultanéité (2),
-l'explication de ces deux sagesses comme étant le sambhogakaya,
-la sagesse toute accomplissante et l'explication du nirmanakaya,
- la sagesse du dharmadhatu et l'explication du svabhavikakaya. ·

(1) Littéralement : "la sagesse qui reconnaît l'identité de tous les phénomènes comme
étant vide".
(2) Littéralement : "la sagesse qui connaît tous les phénomènes, individuellement, sans
confusion".

77
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE LES CINQ SAGESSES

La sagesse semblable au miroir Au niveau de la dixième Terre s'opère la reconnaissance absolue et


transparente de l'intégralité de l'esprit, la sagesse semblable au mi-
C'est la conscience de base qui permet la continuité et l'identité roir. C'est le fruit de l'absorption ultime : "le samadhi semblable au
de l'esprit (ainsi que la mémoire). Grâce à elle, l'esprit n'est pas anni- diamant" ou "samadhi semblable au vajra", c'est-à-dire immuable, in-
hilé après la résorption des autres consciences. Ainsi, après le sommeil destructible, conscience éternelle qui triomphe de toute chose et qui
ou l'évanouissement, l'esprit qui reprend conscience est le même esprit pénètre tout.
qu'avant. Cette sagesse est compat_ée à un miroir parfaitement poli et propre,
Au niveau ordinaire, nous ne pouvons expérimenter que l'alaya, sur lequel tout peut apparaître. C'est le substrat sur lequel se refléte-
le mental perturbé et les consciences sensorielles. La réalité de ront les quatre autres sagesses, les corps formels de l'éveil et tous
la sagesse ne peut être connue que par l'absorption méditative les objets de connaissance (les dharmas), sans engendrer aucune
contrôlée, le samadhi. saisie. C'est le dharmakaya, corps de vérité absolu.

L'alaya, obscurcie par les voiles de l'ignorance, expérimente la Il est impossible pour la conscience ordinaire de se représenter
manifestation phénoménale de façon confuse et erronée. Elle se ou de comprendre réellement la connaissance totale et directe, car
trouve prise au piège de sa propre création illusoire. Néanmoins, nous n'en avons jamais eu l'expérience. La connaissance n'apparaîtra
son essence ne cesse jamais d'être Tathagatagarbha, nature de boud- que lorsque la conscience grossière se sera muée, par la méditation,
dha, élément primordial d'éveil, sagesse innée. Le fonctionnement en conscience de sagesse, son obtention étant par nature compré-
-..
..
confus de l'alaya se manifeste à l'instant où elle se coupe de sa pro-
pre nature de sagesse. Tant que prévaut l'illusion, cette nature
hension .
Le samadhi semblable au diamant est l'expression ultime de la
1
.
!;
~
demeure voilée, inaccessible, la confusion du cycle de l'existence
s'entretenant d'elle-même comme dans l'exemple du cycle de l'eau
conscience primordiale, plénitude dépourvue de partialité ou d'atta-
chement, où la saisie d'un moi ordinaire, ainsi que celle d'un soi de
décrit auparavant. référence absolu, a disparu.
C'est la plénitude de la lune en son quinzième jour.
Lorsque les souillures les plus subtiles de l'ignorance sont totale-
ment dissipées, l'essence de la conscience se révèle comme "ce qui L'obtention correspondant à cette absorption est le dharmakaya,
en soi connaît" et s'élève en tant que sagesse semblable au miroir. le corps d'éveil ultime et non-formel, sans référence. La qualité de
Ce terme signifie conscience intégrale, totalement pure et panorami- cette obtention est la sagesse semblable au miroir.
que, universelle. C'est l'omniscience, connaissance en laquelle toutes
les choses se reflètent sans qu'une seule demeure dans l'ombre.
C'est la réalisation de la nature de l'alaya (1).
La sagesse de ridentité
La purification des voiles les plus subtils n'est actualisée que dans
Elle correspond à l'aspect purifié du mental aliéné. On distingue
la dixième Terre d'éveil. C'est le moment ultime, après que la vision
deux sortes de perturbations :
directe de la nature de l'esprit ait été affermie par la pénétration des
états d'absorption successifs, correspondant aux dix lieux de réalisation. - les perturbations imaginaires sont des projections erronées du
mental, en relation avec l'expérience extérieure comme la croyance
(1) Non pas l'alaya, la conscience basé de tout, comme un soi, mais la réalisation de
à la réalité de la manifestation grossière, la saisie d'un soi, ou des
l'absence d'existence intrinsèque de l'alaya, qui conduit à la connaissance de l'essence vues fausses telles que la réfutation des quatre nobles vérités ou de
de la vacuité, son état fondamental qui est aussi celui de toute expérience.
la loi de causalité.

78 79
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE LES CINQ SAGESSES

- les perturbations coïncidentes sont les distorsions subtiles inhé- La sagesse de la simultanéité (1)
rentes à la conscience de base, tant qu'elle fonctionne sous l'emprise
de l'ignorance, qui subsistent jusqu'à la réalisation de l'essence de Elle est le résultat de la transmutation du mental immédiat, ou faculté
~'
l'alaya, la conscience primordiale. mentale, en sa dimension pure. Le mental immédiat est ce qui saisit
les pensées, il est la cause directe de la formation et de la disparition
La transformation du mental en sagesse se trouve accomplie lors- des six consciences sensorielles dans l'alaya, et il est l'agent, le vec-
que ces deux types de perturbations sont éliminés, c'est-à-dire au teur ou la "navette" qui relie <ks deux plans.
stade du chemin de la vision en ce qui concerne les perturbations Le mental immédiat opère la saisie qui particularise, isole et fixe
imaginaires, et tout au long du chemin de la méditation pour les les pensées. Il traduit les informations des consciences sensorielles
perturbations coïncidentes. C'est le résultat du "samadhi de la en concepts. Par exemple, la conscience mentale ne fait que perce-
vaillance" (ou de la "puissance"), dénommé ainsi en référence à la. voir les objets mentaux comme de simples pensées (dans un fonc-
puissance de destruction des émotions et des distorsions qui caracté- tionnement réflexe). Le mental immédiat va interpréter ces pensées,
rise cette absorption, mais aussi du "samadhi non conceptuel" par les transformer en concepts.
lequel est abolie l'opposition entre samsara et nirvana, devenir et
quiétude, conditionnement et éveil. Dans la dimension éveillée, ce mode de fonctionnement impur du
Cette différence n'est que la création du mental qui saisit, sépare mental fait place à la sagesse qui connaît chaque chose distincte-
et isole les deux termes en extrêmes inconciliables. ment, clairement, sans confusion ni assimilation, et qui embrasse
tous les phénomènes simultanément, tels qu'ils sont, sans aucune
La purification du mental perturbé correspond à la reconnaissance limitation. Là où le mental immédiat agit de manière sélective, ne
de l'identité du samsara et du nirvana. C'est la sagesse de l'identité. considérant qu'un seul concept à la fois, l'isolant des autres phéno-
À travers elle, tous les phénomènes, qu'ils appartiennent au monde mènes qui sont éliminés, cette sagesse représente l'ouverture de l'esprit
conditionné ou à ce qui le transcende, sont perçus dans leur essence à la multiplicité des manifestations qui sont connues pour ce qu'elles
unique : la vacuité. sont (dans leur telléité) au même instant. Le mental immédiat forme
La saisie de la distinction entre samsara et nirvana, opérée par le le goulot d'étranglement de l'intellection, qui réduit l'esprit à un mode
mental, n'est pas en elle-même conflictuelle ; c'est plutôt l'activité de fonctionnement limité et fmi. Une fois purifié, il a la capacité
perturbée du mental, qui sépare l'objet considéré du sujet connais- d'appréhender simultanément tous les phénomènes sans obstruction,
sant, qui est source de conflit. Cette activité crée un espace fictif de manière correcte, c'est-à-dire non conceptuelle, par la disparition
dans lequel le mouvement des émotions et des fixations mentales va de la fixation.
pouvoir se déployer (la quiétude est désirée, le devenir est rejeté, En ce sens, la sagesse de la simultanéité est le complément de la
parce qu'ils sont considérés tous les deux comme réellement exis- sagesse de l'identité ; les phénomènes sont connus dans leur nature
tants). C'est la conscience dualiste qui est responsable du mouve- unique, tout en conservant leur diversité de manifestation, sans que
ment du sujet vers l'objet, engendrant conflits et souffrances, et non la connaissance d'un objet altère celle des autres. L'identité n'est pas
la seule perception mentale qui distingue le bonheur et la souffrance. remise en cause par la multiplicité et l'unicité n'abolit pas le caractère
distinctif. Cette connaissance globale et simultanée représente la
La réalisation de la sagesse de l'identité a pour corollaire l'obtention totalité du mental lorsque les aspects aliénés et immédiats sont purifiés.
de "l'au-delà de la souffrance qui ne demeure pas dans les extrêmes" Dans son mode de fonctionnement confus, le mental immédiat
(d'existence et de non existence). Elle est appelée "nirvana sans est dépendant des informations trompeuses que lui fournissent les
référence", c'est-à-dire transcendant l'opposition entre samsara et
nirvana. (1) Autres traductions possibles: "sagesse discriminante" ou ''sagesse en mode distinctif".

80 81
LA CONSCIENCE PRIMORDIAIE

consciences sensorielles. Il est donc prisonnier de ses propres créa-


r lES CINQ SAGESSES

quelques êtres qui, par la puissance de leur réalisation, en font un


tions. À travers les perceptions sensorielles, le mental crée une saisie lieu relativement positif. Même s'il n'est pas comparable au champs
réaliste du monde et ne peut appréhender qu'une fraction limitée du purs, tels que la "Terre de grande félicité" du Bouddha Amitabha,
champ de l'expérience. Ainsi, lorsque l'on regarde devant soi, on ne dans lesquels se déploie uniquement l'activité bénéfique, ce monde
peut voir ce qui est derrière ; si l'on porte les yeux vers la droite, ce qui connaît néanmoins une situation suffisamment favorable pour que
est à gauche disparaît. Le mental est limité par la saisie conceptuelle. l'obtention de l'éveil y soit possible. C'est sans aucun doute le résultat
Cette réduction de l'esprit est le fait du déploiement des consciences de la compassion agissante d~s grands bodhisattvas.
fragmentaires, elles-mêmes produites par l'activité conceptuelle du
mental immédiat. Cette qualité particulière des champs purs comme celui de "grande
félicité" ou celui de "la joie véritable" est inhérente aux plus hautes
Ce fonctionnement erroné se trouve éliminé par l'absorption Terres de réalisation, celles où le sambhogakaya (corps des qualités
méditative nommée ''Samadhi semblable à l'illusion magique"· ou · parfaites) est manifesté. Ces champs sont pour cette raison dénommés
"samadhi semblable au rêve". C'est l'état où tous les phénomènes "champs purs du sambhogakaya". Il est impossible pour un esprit
sont reconnus dans leur dimension illusoire, pareils à des appari- ordinaire non réalisé d'en concevoir la nature et l'activité.
tions oniriques ou aux créations d'un prestidigitateur.
Par la réalisation de ce samadhi, le mental immédiat s'évanouit et Les dénominations des qualités particulières aux neuvième et
devient la conscience discriminante qui perçoit directement la nature dixième Terres d'éveil sont respectivement : "pouvoir de la sagesse
de tous les phénomènes comme étant dépourvus de substantialité, inobstruée", c'est-à-dire qui connaît les trois temps, et "l'activité
comparables à des images mentales, à des productions de l'esprit spontanée inobstruée". Dans cette dernière, les émanations multiples
semblables à celles des rêves. Ce samadhi est obtenu dans la huitième des bouddhas ne sont plus le fruit d'une décision ou d'un choix,
Terre d'éveil. Il correspond à la complète transformation des tendances mais spontanément s'élèvent et accomplissent sans obstruction l'acti-
émotionnelles les plus subtiles et à la réalisation que les phénomènes vité libératrice inconcevable.
sont non-nés, non produits. Cette obtention est aussi celle de la Ce parachèvement des perfections correspond à l'épanouissement
connaissance primordiale non conceptuelle, la sagesse authentique de la sagesse de la simultanéité, qui embrasse l'intégralité du temps,
qui réalise tous les phénomènes comme étant impermanents, souf- de l'espace et de l'activité. Par l'actualisation de cette sagesse, toutes
france, vacuité et sans ego. les situations relatives issues de la pensée conceptuelle sont trans-
cendées. C'est ainsi que Milarépa pouvait traverser les murs, se
Une des caractéristiques de la huitième Terre d'éveil est la capacité déplacer dans le ciel, changer de forme ou de taille, non pas par un
qu'ont les grands bodhisattvas de manifester des champs d'émanation tour de passe-passe, mais par la réalisation de l'inexistence des phé-
purs, c'est-à-dire de créer des conditions favorables à l'épanouisse- nomènes relatifs, née de la maîtrise de l'absorption "semblable à
ment des êtres. Ainsi par exemple, notre monde, s'il n'était produit l'illusion magique".
que par le seul karma des êtres ordinaires, prisonniers de l'ignorance
et des passions, serait moins favorable qu'il ne l'est (1). Tant que Cependant, le développement ultime de ces deux sagesses, celle
l'esprit est entaché d'ignorance, aucune manifestation réellement de l'un et celle du multiple, ne sera définitivement connu que dans
positive ne peut en émaner. Les conditions favorables qui prévalent la réalisation du "samadhi semblable au diamant" (1), c'est-à-dire lors
dans ce monde sont dues à l'activité vertueuse, à la bienveillance de de l'actualisation de la conscience de base en la sagesse semblable au
miroir.
(1) Toutes les écoles bouddhistes reconnaissent dans le karma la cause de toute
(1) Autre traduction possible: "samadbi semblable au vajra". Le terme sanskrit
manifestation : les êtres sont responsables, à travers leurs actes, de la qualité de leur
expérience. "vajra" signifie indestructible, éternel.

83
82
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LA CONSCIENCE PRIMORDIALE LES CINQ SAGESSES


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; Le sambhogakaya, corps des qualités parfaites D'un point de vue relatif, il est possible d'établir une hiérarchie
de l'illusion, depuis les plus grossières jusqu'aux plus subtiles. Par
Le sambhogakaya s'élève de la réalisation des sagesses de l'identité exemple, la condition humaine est une meilleure illusion que la
et de la simultanéité. Par l'obtention de la première, l'esprit est libéré condition animale. Bien qu'en essence elles recèlent toutes les deux
des voiles subtils de l'illusion et demeure dans la grande quiétude la nature d'éveil, le corps humain représente un potentiel d'actuali-
qui ne réside dans aucun des extrêmes (1). Il a comme qualité co- sation de cette nature que le chien ne possède pas.
rollaire le grand amour et la grande compassion qui s'épanchent Dans le même ordre d'idée,., le sambhogakaya se révèle comme la
continuellement vers tous les êtres. A la réalisation de la seconde de voie de l'éveil pour ceux dont le potentiel a suffisamment été mûri,
ces sagesses, correspond la compréhension de tous les objets de c'est-à-dire dont l'esprit purifié perçoit la manifestation pure. Là où
connaissance tels qu'ils sont, sans exception et sans confusion. Cette la conscience ordinaire n'appréhende qu'un désert aride, le grand
compréhension s'accompagne de la capacité à produire des champs bodhisattva voit le champ pur de manifestation du sambhogakaya. Il
purs de manifestation destinés à guider les êtres vers l'éveil. en reçoit directement l'enseignement et les moyens d'accomplir
l'éveil insurpassable et ultime.
La combinaison de la sagesse de l'identité et de la sagesse de la
simultanéité, munies de leurs qualités respectives, est appelée
"le corps des qualités parfaites des bouddhas". Cependant, le samb- La sagesse toute accomplissante
hogakaya n'apparaît que pour les esprits déjà purifiés. Il n'appartient
pas aux manifestations des bouddhas accessibles aux êtres ordinaires La sagesse toute accomplissante, c'est l'aspect purifié des cinq
qui errent dans le samsara et la confusion. Pour ces derniers, il y a le consciences sensorielles et de la conscience du mental qui leur est
corps d'émanation (nirmanakaya). Le sambhogakaya est l'expression sous-jacente. À l'état confus, ces consciences sont sujettes aux per-
des moyens habiles mis en œuvre par les bouddhas afin d'aider les ceptions sensorielles grossières et véhiculent un. reflet trompeur du
êtres qui sont proches de l'éveil ultime : les bodhisattvas qui monde phénoménal. Affranchies de la confusion des sens, elles se
résident déjà dans les Terres d'éveil (2). transforment spontanément en la sagesse qui accomplit l'œuvre (1).
Le sambhogakaya représente la forme pure, immatérielle ; il est Cette sagesse apparaît dès la première terre d'éveil, au chemin de la
l'illusion pure, le stade suprême de la sphère manifestée. Bien qu'il vision. À ce stade, les cinq consciences sensorielles se transforment
ne soit pas une manifestation contingente empreinte de souffrance, en émanations pures et en lieux de manifestation. Chaque faculté
il appartient au plan de la vérité relative. C'est l'aspect totalement sensorielle purifiée, s'ordonnant avec les autres, devient faculté d'ac-
exempt de souillure de la telléité des phénomènes. Il est le guide complir tous les bienfaits.
qui conduit à l'ultime éveil, la dernière manifestation référentielle
perceptible, lorsque toutes les causes d'éveil sont réunies. Ces qualités réalisées dès la première terre d'éveil vont se déve-
lopper de manière quantitative, accroître leur puissance et leur ex-
(1) Les quatre caractéristiques des trois plus hautes Terres d'éveil sont : non-concep-
pansion au fil des degrés successifs d'éveil. La fonction de la sagesse
tualisation, champs purs, activité pure de la connaissance primordiale, pouvoir de toute accomplissante, c'est de faire apparaître des univers illusoires
conversion des êtres au moyen d'émanations. positifs tels des planètes, puis d'y produire des émanations (ordinaires
(2) Le sambhogakaya est caractérisé par cinq certitudes :
1. la certitude du lieu : il demeure en le champ pur d'Akanista, le }erme établisse- et suprêmes). Parmi les trois corps d'éveil, cette fonction dépend du
ment", nom donné à la plus haute sphère de manifestation pure ; 2. certitude de nirmanakaya.
l'entourage: il n'est constitué que de bodhisattvas résidant dans les Terres d'éveil;
3. la certitude du corps: il est orné des marques majeures et des signes mineurs de la Ainsi, lorsque le Bouddha Shakyamouni a réalisé la sagesse de
perfection de l'éveil; 4. la certitude de la doctrine : il expose uniquement le grand
véhicule; 5. la certitude du temps : il demeure jusqu 'à l'épuisement du samsara. (1) C'est-à-dire la sagesse toute accomplissante.

84 85
LA CONSCIENCE PRIMORDIALE
LES CINQ SAGESSES

l'éveil, il a obtenu la capacité de manifester des mondes comme la


Terre, puis d'amener des êtres impurs à y prendre naissance, et enfin La sagesse du dharmadhatu
de s'y manifester comme nirmanakaya, corps d'émanation, en
l'occurence le Bouddha Shakyamouni, pour guider ces êtres vers la La sagesse du dharmadhatu, littéralement 'tle l'élément essentiel
libération. L'activité de la sagesse toute accomplissante est donc de tous les phénomènes", résulte de l'élimination définitive des im-
particulièrement dirigée vers les êtres impurs, aux voiles karmiques puretés de la conscience de base, du mental perturbé et de l'ensemble
importants. Elle crée un environnement pqsitif, une "meilleure illusion", des six consciences sensorielles, conjointement à leur complète
où des conditions permettent le développement spirituel des transformation en leur nature véritable : la manifestation des trois
êtres ordinaires. Le pouvoir d'émanation s'applique aussi bien aux corps d'éveil et l'activité qui en découle.
phénomènes inanimés qu'aux êtres qui animent ces mondes, soit
sous une apparence ordinaire, soit comme manifestation sublime L'inséparabilité des trois corps d'éveil est appelée le corps essentiel
d'un bouddha. Lors du parachèvement de l'éveil dans la dixième ou svabhavikakaya. La sagesse du dharmadhatu, c'est la dimension
Terre, ce pouvoir devient illimité, semblable à l'espace et accomplit ouverte de tous les phénomènes, dépourvue de toute élaboration
le bienfait de tous les êtres "aussi nombreux que vaste est l'espace". mentale et de la saisie conceptuelle relative au sujet et à l'objet. Ils
sont la perfection unique, indissociables du mandala de la conscience
La manifestation de ces multiples qualités des bodhisattvas est le adamantine. Ils demeurent dans l'espace de pureté primordiale, au-
fait de la puissance du samadhi. Leur accroissement dépendra de la delà de toutes les dénominations conceptuelles fragmentaires, telles que
maîtrise des différents états d'absorption relatifs aux degrés succes- samsara et nirvana, commencement et fin, identité et différence. Le
sifs de l'éveil. Ainsi, par le pouvoir du "samadhi de l'amour bien- mot sagesse rend compte de l'interpénétration et de l'unicité des
veillant", les bodhisattvas insufflent naturellement l'amour et la quatre premières sagesses, et "dhannadhatu" exprime l'inséparabilité de
compassion dans l'esprit d'oiseaux ou d'insectes. Par la combinaison leur essence, qui participe de tous les phénomènes. C'est l'essence uni-
de l'activité positive qui va découler de ces dispositions et du lien que de la réalisation : le corps essentiel (svabhavikakaya).
karmique établi avec les bouddhas, ces êtres connaîtront rapidement
des conditions d'existence de plus en plus pures, jusqu'à obtenir
l'existence humaine où ils seront en contact avec le corps d'émanation
qui les instruira et les conduira· à la libération. Par leur pouvoir
d'émanation, les bouddhas accélèrent le mûrissement du continuum
des êtres, créant les conditions favorables à l'épurement de leur karma.
Ils s'émanent sous forme de multiples manifestations physiques.
Celles-ci culminent avec le nirmanakaya, l'émanation sublime, le
Bouddha qui met en mouvement la roue de l'enseignement, révèle
les méthodes de libération et montre l'exemple de l'accomplisse-
ment de l'éveil (1).

Par la rencontre avec le nirmanakaya, s'établit le lien avec la sagesse


toute accomplissante. Cependant, la nature et la dimension de cette
sagesse sont proprement inconcevables et illimitées.

(1) A travers les douze actes d'un bouddba.

86 87
LA PRATIQUE
1.
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~ Introduction
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l'.
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La seconde partie de ce livre traite de l'aspect pratique : comment
1
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réaliser la connaissance primordiale décrite dans la première partie.

1
~ Pour y parvenir, il faut méditer. Avec quoi médite-t-on? Au moyen
de l'esprit.
'

1 La nature de bouddha n'est à aucun moment absente de notre esprit,


. mais du fait de notre distraction, nous y sommes inattentifs et restons
'
persuadés qu'elle est éloignée, faisant ainsi la plus grande erreur de
1
~
'
notre vie. L'esprit, ignorant de lui-même, se prend pour quelque
chose qu'il n'est pas et des projections extériorisées apparaissent
il sous diverses formes.
it
1
ij
Ce processus est tout à faire semblable au rêve : on peut rêver de
multiples personnes et lieux dans la petite pièce où l'on dort. Aussi
longtemps que dure le rêve, on est le jouet de cette illusion.

11 Il se produit la même chose au cours du cycle des naissances et


des morts que nous expérimentons, cela dure seulement plus long-
temps. Que se passe-t-il vraiment au moment de la mort ? La mort
~
l!
n'est rien de plus qu'un changement d'illusion. Pour l'instant, nous
~ sommes dans une illusion humaine et nous communiquons avec
1
91
1
r
LA PRATIQUE INTRODUCTlON

ceux qui sont de la même espèce et partagent notre illusion. Une Qu'est-ce que l'esprit autonome ? En essence, il n'est absolument
fois qu'est épuisée la force motrice des actions qui en étaient la cause, rien : il n'a ni forme, ni configuration, ni couleur, etc, il est ce qu'on
l'illusion qui en résultait dans le présent disparaît et l'on est mort. appelle "vide". E~ dépit de cela, il est loin d'être un vide : l'esprit est
Quand s'évanouit l'illusion de quelqu'un, pour les personnes qui également conscient, qualité à laquelle on fait référence sous le terme
l'entourent il est mort, parce que son illusion a disparu avant la leur. de "clarté" dans la terminologie traditionnelle.
Mais en fait il n'est pas mort, il est simplement passé à une illusion Lorsqu'on en fait soi-même l'expérience dans la méditation, on
différente de la précédente, et c'est pour cette raison qu'il ne peut découvre que l'esprit est bien plus grand que de simples mots.
plus communiquer avec les personnes de l'illusion qu'il vient de quitter. Immensément profond, l'esprit s'étend bien au-delà de tout ce qu'on
La réalité extérieure n'est que l'esprit et rien d'autre. Comme l'eau peut en dire.
et la glace. Quand il fait froid, l'eau gèle et se transforme en glace
solide, mais si on la chauffe, elle redevient de l'eau. ll en va de même Quand on essaye pour la première fois de libérer directement
pour l'esprit qui est sous le pouvoir de l'illusion : ses manifestations l'esprit, on ne fait aucune expérience de la clarté à cause de la force
ne sont que lui-même et n'ont aucune solidité, mais le charme de des habitudes accumulées. Il faut employer la contrainte pour que
l'illusion les fait apparaître solides et réelles. l'esprit reste exempt de distraction, et si l'on s'aperçoit que l'esprit
On s'aperçoit que la même chose se produit exactement dans le s'est néanmoins laissé distraire, on le ramène de façon délibérée à
rêve. Quand l'esprit est épuré, son illusion s'épure également, per- un état de non-distraction.
mettant à ses qualités naturelles de s'élever. Lorsque ce processus est Une fois que cela est devenu familier, l'esprit est plus clair pendant
achevé, on lui donne le nom de bouddhéité. Quand il est à moitié la méditation. Cette clarté se stabilise et c'est à nous que revient la
terminé, cela correspond à ce que nous appelons les cinq chemins tâche de parfaire l'assise de cette stabilité. Les différentes étapes du
et les dix niveaux de bodhisattva. cheminement vers la parfaite stabilité sont les repères des chemins
spirituels, puis des niveaux de bodhisattva et enfin de la bouddhéité.
Deux pratiques conduisent à sa réalisation : la méditation et Les chemins font encore partie de l'existence cyclique, mais à un niveau
l'accumulation-purification. Elles correspondent à deux moments : la très élevé. Lorsque l'assise est très subtile, on atteint les niveaux de
méditation s'accomplit dans l'immobilité, l'accumulation-purification bodhisattva, dont il existe dix catégories. Quand elle est totalement
a plutôt lieu en dehors des périodes de méditation formelle. achevée et ne peut plus être améliorée, elle porte le nom de boud-
dhéité.
Les cinq chemins et les dix niveaux représentent un étalonnage de
L,esprit maintenant la réalisation. Ils sont décrits en détail comme tout sujet classique, mais
sont inconcevables en termes d'expérience véritable.
Actuellement notre esprit montre une tendance invétérée à la Les bouddhistes disent : "le véritable esprit est inconcevable",
distraction, se projetant de tous côtés. Sa principale activité consiste mais cela n'est vrai que si l'on ne médite pas. La méditation permet
à s'intéresser aux informations sensorielles qui lui parviennent du de rencontrer le véritable esprit.
monde extérieur, à les arranger et les évaluer. C'est ce qu'il a coutume Pour cela, il faut s'appuyer sur une méthode graduelle, sinon on
de faire. ne pourra jamais parfaire pleinement sa méditation. De nos jours, les
Il faut apprendre à délivrer l'esprit de ses informations, ce qui hommes ont beaucoup d'ambition, mais peu de patience, ce qui les
signifie l'établir en lui-même tel qu'il est réellement lorsqu'il n'est rend très insatisfaits. lls cherchent à guérir leur insatisfaction, mais la
relié à aucun objet. C'est la meilleure façon de dompter l'esprit. Pour méthode doit être facile, car ils n'ont pas assez de patience pour
y parvenir, il faut que cela devienne une habitude. tenter de faire quelque chose qui requiert de leur part un long effort.

92 93
INIRODUCTION
LA PRATIQUE

Quelques années auparavant, le Secrétaire Général du monastère Engagez-vous dans des pratiques avancées, mais faites-les correc-
de Rumtek reçut les plaintes de Tibétains habitant là, au sujet d'un tement. Il vous faudra du courage et beaucoup d'énergie, mais pas
nouveau docteur. Quand elles devinrent trop fréquentes pour être d'orgueil. Qui sait? Peut-être pouvez-vous le faire en moins de trois
~~ . ignorées, il questionna les gens afin de savoir vraiment ce qui n'allait jours!
'' pas avec ce nouveau docteur: "Il n'arrête pas de nous dire de manger
ceci ou cela, d'éviter de faire ceci ou cela, et cela ne nous plaît pas". Cet Américain fait toujours de la moto dans les environs de Kath-
Ces gens sont toujours malades ! mandou. Dire qu'on est libéré n'en fait pas une vérité. Rien n'a changé,
si ce n'est les mots qu'on emploie. C'est naïf et sans sagesse. Nous
Beaucoup de personnes se tournent vers les pratiques qui sont ré- cherchons quelque chose d'authentique.
putées apporter des résultats et promettent l'illumination immédiate.
Cela est peut-être la preuve d'un manque de courage, ou simple
orgueil. Peut-être ces personnes prétendent-elles, en disant qu'elles
font des pratiques avancées, passer pour des pratiquants avancés.
Il y a quelques temps, eut lieu au Népal un long cycle d'enseigne-
ments à propos des étapes progressives du mahamoudra. Parmi les
participants se trouvait un jeune Américain qui suivait le cours avec
assiduité et méditait, jusqu'au jour où il entendit parler d'une méthode
appelée maha-ati qui passait pour mener à la bouddhéité en vingt-
quatre heures (les textes de cette tradition disent : "Médite la voie du
maha-ati le matin et tu seras bouddha le soir ; médite cette méthode
ce soir et tu seras bouddha demain matin"). Jugeant le mahamoudra
trop systématique, il l'abandonna et se mit à suivre l'enseignement
plus efficace du maha-ati. Rejetant toute méditation formelle, il passa
alors son temps à faire de la moto aux alentours de Kathmandou,
convaincu d'être excellent maintenant qu'il faisait la méditation du
maha-ati.
Il est si facile de se dire : "je suis libéré" et de le croire vraiment,
même s'il ne s'agit que d'une fabrication mentale. Une confusion de
cette sorte est très difficile à ébranler : on sait que l'on n'est pas illu-
miné, mais on persiste dans cette idée ridicule. Autrement sérieuse que
l'ego ordinaire, cette idée ressemble à un démon installé dans l'esprit.

Le mahamoudra et le maha-ati ont tous deux la capacité de produire


une illumination immédiate, mais tout dépend de nous-mêmes et de
nos antécédents. Cela a pris douze ans à Milarépa, dix-huit jours à
Gampopa, trois jours à Tsangpa Gyaré. Il n'y a pas lieu de s'inquiéter
de savoir si la pratique elle-même a le pouvoir nécessaire. Si l'on
accomplit correctement la pratique, l'illumination se produit d'elle-
même. Le temps que cela prend dépend du temps que VOUS prenez.

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94
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5
.

Le calme mental

La posture
La posture que l'on adopte pour méditer est de première impor-
tance. Une posture incorrecte peut entraîner un certain nombre de
risques ou de dangers : pencher à gauche ou à droite, en arrière ou
en avant, quand on médite, n'est jamais sans produire d'effets qui
transparaîtront au travers de notre état d'esprit, nous entraînant à
perdre notre équanimité.

La posture idéale porte le nom de posture de Vairocana en sept


points, et si l'on compte méditer régulièrement, il faut peu à peu
entraîner son corps à rester dans cette posture pendant la durée de
la session.

Voici la liste des sept points et de l'effet qu'ils ont sur l'esprit,
prise dans "l'Océan de Certitude" du IXe Karmapa :
1 - Les jambes sont croisées dans la position du complet lotus, à
laquelle les textes bouddhistes tibétains font référence comme à la
posture de vajra, car elle symbolise l'équilibre indestructible. Cela
apaise l'énergie 8ubtile du corps qui favorise l'apparition de la jalousie
dans l'esprit.

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LE CAIME MENTAL
LA PRATIQUE

2 - Les mains sont placées côte à côte sur le haut des cuisses. de référence, qu'il projette très rapidement l'un après l'autre et qui
Cela favorise la pacification de l'énergie subtile associée à l'émotion tournoient comme des grains de sable emportés par l'air.
de la colère. Essayez de ramener l'esprit dispersé en un seul point. Laissez l'esprit
penser à une chose pour changer, plutôt qu'à plusieurs choses à la fois.
3 - Les épaules sont déployées comme les ailes d'un vautour : elles On exerce l'esprit à faire cela en le maintenant sur un objet quel-
sont relevées vers le haut et tirées sur les côtés, mais ni arrondies en conque. Cela marche pendant quelques moments, puis on s'aperçoit
avant, ni tirées en arrière. que l'esprit ne veut plus rester posé. Pourquoi? Parce qu'il est habitué à
4 - Le cou est courbé comme un crochet, le menton pressé contre penser beaucoup. Rester sûr un objet est à l'opposé de ce qu'il a
le larynx : cela signifie qu'il faut rentrer le menton dans la gorge, en l'habitude de faire et il faut l'aider à développer de nouvelles habitudes.
prenant soin de ne pas incliner la tête en avant ni la rejeter en arrière Utilisez un verre d'eau propre ou une bougie comme objet de
quand on adopte la posture. Cela suspend l'action au niveau de l'esprit méditation. La bougie ne doit pas être trop brillante, et plutôt que
de l'énergie subtile relative au désir-attachement. de regarder directement la flamme, placez la bougie derrière votre
épaule droite ou gauche et un miroir en face de vous, de façon à
5 - L'épine dorsale est tenue droite comme la hampe d'une flèche.
méditer sur le reflet. Si vous utilisez un verre, placez-le de façon à
Il faut réajuster son centre de gravité en bougeant doucement le
ce que la lumière du jour tombe dessus, mais pas le soleil lui-même.
corps en arrière à partir de la ceinture, en même temps qu'on ramène
De cette manière, les yeux ne fatiguent pas. La clarté de ces objets
l'abdomen vers l'avant. Cela, associé à la position des épaules décrite
aide l'esprit et lui évite de tomber dans la torpeur. Dirigez votre esprit
dans le troisième point, permet de calmer la circulation de l'énergie
vers l'objet et fixez-vous dessus.
subtile à travers laquelle se fait ressentir la pesanteur mentale.
6 - Les yeux regardent sans tension vers un point dans l'espace à À chaque fois que vous prenez conscience que la distraction vous
quatre doigts environ du bout du nez. a écarté de l'objet, ramenez l'esprit sur ce point. Il peut se passer
quelques minutes avant que vous vous en rendiez compte et rame-
7 - Les lèvres sont juste jointes, un espace demeurant entre les
niez votre esprit. Ne vous inquiétez pas, continuez votre méditation
dents de la mâchoire inférieure et de la mâchoire supérieure, la langue
en prolongeant peu à peu le temps où l'esprit reste posé sur l'objet.
reposant contre le palais. Les sixième et septième points pacifient
l'énergie subtile correspondant à l'orgueil et permettent que l'esprit
La clé de cette pratique est de se poser sur l'objet en toute
soit en même temps brillant et clair.
conscience : c'est cela qui diminue les pensées, pas l'objet lui-
même. Il ne s'agit pas d'observer les caractéristiques de l'objet,
Demandez à un enseignant qualifié et expérimenté de superviser
la lumière ou la couleur de la bougie, etc.
votre posture jusqu'à ce que vous soyez sûr qu'elle est correcte. La
L'objet lui-même n'a aucune importance, il ne représente qu'une
circulation de l'énergie subtile dans le corps est très sensible et il
méthode pour apaiser l'esprit. Une fois que l'esprit est calmé, l'objet
faut soigneusement veiller à ce qu'elle n'influe pas sur l'esprit de la
n'a plus d'intérêt.
personne qui médite et essaye de cultiver la non-distraction et la clarté.
Certaines personnes aiment avoir toutes sortes d'impressions, de
vibrations, de sensations, d'énergies ... quand elles font cette méditation.
Ce n'est que fantaisie : l'utilisation d'un objet n'est qu'une manière
Utiliser un point de référence : 1 - un objet de stabiliser l'esprit sans intention de produire des effets exotiques.
Peu à peu les pensées éparpillées diminueront et vous serez
Il faut tout d'abord exercer l'esprit à s'établir sur un point de réfé- capables de vous établir sans distraction sur ce point unique
rence unique. Jusqu'à maintenant, notre esprit a eu beaucoup de points pendant un temps de plus en plus long.

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i:
1
''



LA PRATIQUE LE CALME MENTAL

Utiliser un point de référence: Eprouvez cela à l'égard d'un groupe, que vous vous représenterez
2 - ramour et la compassion en esprit, d'environ dix êtres; personnes ou animaux. Prenez vrai-
ment conscience de l'amour. Il ne suffit pas de dire : "comme ce
Lorsqu'on prend l'amour et la compassion comme points de réfé- chat est mignon !" Ensuite, augmentez la portée de cela jusqu'à en-
rence sur lesquels appuyer l'esprit, le bénéfice recueilli est double. glober une centaine, un millier, des dizaines et des centaines de
Comme pour la bougie et le verre, l'esprit devient paisible et stable. milliers d'êtres. Imaginez-les et étendez sans cesse votre amour jus-
Mais lorsque l'esprit est apaisé, il s'identifie à l'objet et il se présente qu'à ce qu'il enveloppe tous les êtres sensibles de l'univers.
ainsi une opportunité particulière de vraiment convertir l'esprit en Quand votre esprit a ce~ sentiment d'amour et de bienveillance
amour et compassion. pour tous les êtres, faites comme avec l'objet et méditez dessus sans
Pour l'instant, une personne ordinaire ne peut développer l'amour distraction. À chaque fois que l'esprit pense à autre chose, ramenez-
et la compassion envers les êtres. Nous éprouvons certes de le à la pensée de l'amour et de la bienveillance en le stabilisant dessus.
l'amour, mais il se limite à quelques personnes, comme l'amour que Toutes vos pensées se transformeront en la nature de l'amour et de
l'on porte à son ou sa petit(e) ami(e) ou à ses parents, etc. Il nous l'attention envers autrui. C'est s'entraîner au calme mental en utili-
faut une méthode pour accroître cet amour jusqu'à ce qu'il enveloppe sant l'amour.
tous les êtres et l'utilisation de l'amour et de la compassion comme
points de référence permet justement cela. De temps en temps, faites la même chose avec la compassion. La
compassion est à peu près semblable à l'amour. C'est penser aux
Un être sensible est un être possédant un esprit. La logique boud- difficultés et aux problèmes de tous les êtres sensibles. C'est ce que
dhiste apporte la preuve que des êtres humains jusqu'aux mousti- vous éprouvez quand vos enfants ou vos parents souffrent, par
ques, en passant par les êtres des enfers, tous ont le même esprit. Il exemple. Mais il n'y a rien de triste en ce fait. On peut facilement
y a une différence entre la vie et la vie sensible. La vie pousse (un développer un sentiment de compassion dans l'esprit en pensant
arbre, par exemple), mais ne possède pas d'esprit. La vie sensible aux terribles souffrances des êtres sensibles. Comme avec l'amour,
est la vie avec un esprit. Une fleur ne peut pas accéder à la boud- on stabilise l'esprit dessus et on ne se permet pas d'en être distrait.
dhéité- elle n'a pas d'esprit. Un moustique le peut, malgré sa condition
présente infortunée. Alternez amour et compassion en les cultivant régulièrement et
Tous les êtres sensibles partagent le même souhait d'être heureux sans précipitation. Les utiliser comme objets de méditation va non
et délivrés de la souffrance. On doit développer l'amour et la bien- seulement apaiser les pensées, mais aussi permettre d'accumuler
veillance envers tous ces êtres de façon impartiale. une grande quantité de vertu.

TI faut commencer par éprouver l'amour et la compassion en esprit. Cet amour est libre d'attachement. Ce n'est pas la folle passion de
Le mieux est d'avoir l'esprit naturellement aimant - si tel est le cas, celui qui est "amoureux". L'essence de l'esprit est clarté vide sans
cela provient d'habitudes antérieures. Mais si ce n'est pas le cas, il obstruction, et même quand il développe l'amour et la compassion,
est possible de les créer artificiellement. Un effort délibéré est tout l'esprit doit doucement se détendre dans sa vacuité essentielle, sinon
d'abord nécessaire, mais du fait de la bénédiction provenant de vos l'amour et la compassion que l'on développe deviennent émotion-
intentions pures, vous parviendrez doucement à un amour et une nels, puisque l'esprit demeure crispé. Mêlés d'émotion, amour et
compassion originels. compassion sont maladroits et peuvent conduire au désastre. Beaucoup
de personnes n'ont pas l'habitude de la qualité vide de l'esprit : leur
L'essence de l'amour est la joie. Développez un état d'esprit empli conception est trop matérialiste. Ne considérez pas l'esprit comme une
d'amour et de joie, ainsi que le souhait de faire du bien à autrui. machine. Le véritable amour est sans tension, doux mais immense.

100 101
LA PRATIQUE LE CALME MENTAL

L'esprit de tous les êtres sensibles est en essence le même que le de votre estomac vide. Vos repas ne doivent pas être riches et gras.
vôtre : clarté vide sans obstruction. Pensez alors que tous méditent Levez-vous tôt et couchez-vous tôt. Ne dormez pas trop. Six ou
en même temps que vous, plongés dans l'amour avec vous. C'est sept heures suffisent amplement. Davantage, c'est un attachement au
une pratique très puissante qui apporte un grand bienfait et permet sommeil. Vous verrez qu'en mangeant peu, vous n'avez pas besoin
une immense accumulation de mérite. C'est ainsi que les bodhisattvas de beaucoup dormir.
créent les conditions du développement spontané de l'amour dans Préservez l'acuité de vos sens. Ne prenez pas l'habitude de boire
l'esprit des autres. Partagez votre esprit aimant avec les autres et faites de l'alcool, de regarder la t<ilévision, etc, de façon impulsive. Cela ne
leur éprouver la même chose. Tous les êtres ont un esprit aimant, veut pas dire qu'il ne faut jamais boire ou regarder la télévision,
mais du fait de problèmes émotionnels, il n'apparaît pas, ou alors il mais simplement qu'il ne faut pas aller jusqu'à l'intoxication.
reste limité, partiel, toujours basé sur soi et l'autre. Fixez votre atten- Si vous avez une tendance à la somnolence, méditez dans de vastes
tion là-dessus et faites que leur esprit devienne aussi grand que le espaces ouverts, comme le flanc d'une montagne.
vôtre.
L'agitation est plutôt le problème des Occidentaux, alors que la
Méditer sur une bougie, un verre, ou s'absorber dans l'amour et la paresse est celui des Orientaux.
compassion ne sont que des techniques pour stabiliser l'esprit. Ce La cause principale de l'agitation est le souci. L'attachement de
n'est pas encore la véritable méditation. Cependant il est indispensable l'esprit à des objets qui excitent le désir et la colère provoque l'agita-
d'en acquérir la maîtrise pour accéder à l'étape suivante, puisque tion. Il faut apprendre à vous détendre et à ne pas vous accrocher à
c'est à travers elles que l'esprit s'accoutume à définitivement demeurer vos projets. Cultiver l'équanimité de chiné est alors utile.
tranquille. n se peut que vous deviez les pratiquer pendant longtemps
avant d'être prêts à aborder la pratique même de la méditation. Dynamisme et énergie sont aussi une forme d'avidité émotion-
nelle. Vos émotions sont trop fortes et vous vous engagez fortement
dans certaines tâches, à tel point que vous y pensez sans cesse,
même quand vous méditez. Cela ne signifie pas qu'il ne faut rien
Somnolence et agitation faire ou qu'il faut se désintéresser de son travail quand on a décidé
de pratiquer la méditation. Travaillez avec soin et attention, mais de
Ce sont les principaux voiles du calme mental et de la vison pro- manière détendue. Si vous vous cramponnez à quelque chose, vous
fonde de notre véritable esprit. Ils tendent à détruire notre médita- ne pourrez plus avoir de vrai repos. Même si vous essayez de médi-
tion actuelle en empêchant tout progrès ultérieur. Même si nous ter, cela continue à vous tourmenter, comme une série de secousses
nous arrangeons pour faire quelques progrès malgré eux, ils nuisent électriques dans votre cerveau. Ne vous accrochez pas non plus à
à la qualité de notre méditation. votre méditation, mais faites-la sérieusement.
Les causes de ces deux défauts se trouvent le plus souvent dans
notre conduite ordinaire, des habitudes s'établissant en dehors des Réfléchir aux inconvénients de l'agitation est un bon antidote.
sessions de méditation et permettant l'apparition de la somnolence Commencez par faire une pause et vous détendre un peu. Ensuite
ou de l'agitation aussitôt que nous nous asseyons pour méditer. essayez de simplement laisser tomber l'agitation et de méditer. Si ce-
la ne marche pas, pensez à votre propre cas : "Pourquoi est-ce que
Voici quelques suggestions utiles pour animer un esprit lourd ou je pense autant ? Cela ne mène nulle part, je perds mon temps. Tout
morne. Limitez vos repas à la période qui va du lever du jour à une ce que je parviens à faire, c'est à m'empêcher d'accomplir montra-
heure de l'après-midi. Evitez de manger dans l'après-midi et le soir. vail quotidien qui est de méditer. Pourquoi ai-je choisi de méditer
Mangez jusqu'à vous sentir aux trois quarts repus en gardant un quart en premier lieu ? Parce que j'ai vu combien ce serait profitable. Les

102 103
LE CALME MENTAL
LA PRATIQUE

raisons pour lesquelles je m'adonne à la méditation sont justes, je vous n'êtes pas en train de méditer. Que développe votre esprit?
dois donc m'appliquer à ce projet actuel et laisser de côté mes au- Si vous êtes trop rigides dans votre méditation par désir de stabilité,
tres soucis pour le moment". Une telle réflexion vous encouragera à l'objet peut perdre de sa netteté ou trembloter. Cela n'a aucune
arrêter de vous tourmenter. L'esprit n'est pas quelque chose de solide, importance, il s'agit d'une simple baisse de conscience de l'esprit. Si
vous n'avez pas à l'empoigner pour le ramener de force. Si vous ne cela se produit, détendez aussitôt l'esprit pendant un court instant.
pouvez pas empêcher votre esprit de divaguer, parce que vous êtes Ce n'est qu'une réaction nerveuse à la tension mentale.
trop préoccupés par une question, autorisez-vous à y penser, mais Comment détendre l'esprit? C'est votre esprit et vous êtes le seul
plutôt que d'en explorer sans fin toute la complexité, limitez votre à pouvoir le détendre. Mais ne vous détendez pas trop, sinon vous
réflexion à cinq aspects de la question, puis quatre, trois, deux, un, aurez envie de dormir.
et enfin laissez-la sortir complètement de votre esprit.
S'il y a une intense fixation mentale à propos de quelque chose, n y a de nombreuses descriptions de supports pouvant être utilisés
vous ne pouvez pas en délivrer votre esprit. Détendez-vous à propos pour stabiliser l'esprit, mais n'importe lequel suffit à provoquer
de tout ce que vous devez penser. Ne vous énervez pas sur les l'effet recherché. Quand vous acquérez quelque habileté à parvenir
choses, n'essayez pas de les garder pour vous. Si vous êtes triste, au calme, vous pouvez vous amuser avec plusieurs supports pour voir
ne vous appesantissez pas dessus et ne restez pas à pleurer. les différents effets que chacun produit sur votre esprit en méditation.
Pensez plutôt aux avantages d'un esprit calme. Un esprit stable Au début, méditez souvent pendant de courtes périodes de
est une bonne base pour une méditation. En vous remémorant ces dix minutes de façon à ne pas vous lasser de la méditation. Les
qualités, vous vous sentirez heureux et inspirés, enthousiasmés par débutants trouvent souvent la méditation un peu difficile au début,
car ils doivent lutter contre une tendance à l'agitation. Vous dépasserez
!,,'1 la méditation en reconnaissant son importance et ses bienfaits. Sans
un esprit stable, vous ne réaliserez rien. ce stade en vous asseyant brièvement, mais souvent. Mais ne vous arrê-
~ tez pas là, augmentez peu à peu la durée au fur et à mesure que vous
La somnolence et l'agitation se produisent la plupart du temps vous accoutumez à cette nouvelle activité, jusqu'à pouvoir méditer
chez les débutants. Quand les techniques de méditation sont bien des jours durant.
établies, ces deux défauts diminuent d'intensité.
De manière générale, il faut que vous appreniez à être doux avec
vous-mêmes. Cela est d'une grande utilité pour l'obtention du calme
mental. Tout d'abord il y a une certaine tension à essayer d'être
Etre attentif et vigilant conscient chaque seconde, à se souvenir de ce qu'il convient de faire
si l'esprit s'égare, à suivre les instructions, etc. Détendez-vous et
Le point clé est de savoir si l'esprit est stable ou non. Il faut être soyez doux, humbles et compassionnés, sans avoir l'esprit rusé ni
attentif (le mot tibétain est shes.bzhin) de façon à prendre conscience essayer de manipuler la méditation pour votre plaisir personnel.
de la distraction aussitôt qu'elle survient. L'attention permet de se
rendre immédiatement compte de ce qui se passe.
Cela est suivi de la vigilance (en tibétain dran.pa). De ce fait, il y
a deux esprits, celui qui observe et celui qui est observé. La vigilance Méditer sans point de référence
permet de ramener l'esprit là où il était avant de devenir distrait.
Soyez attentifs à déceler la somnolence, la tension. . . et rappelez-vous Quand les techniques ci-dessus vous sont devenues familières,
quelles instructions utiliser pour ramener l'esprit à un état clair, brillant. essayez de laisser l'esprit s'établir librement et indépendamment,
Apprenez à être conscient de votre esprit tout le temps, même quand sans utiliser aucun support mental.

104 105
LA PRATIQUE
T
Essayez jusqu'à ce que vous obteniez un résultat, ne renoncez pas
prématurément. Vous saurez que vous avez réussi quand votre clair
esprit s'établira naturellement et aisément sur n'importe quel objet
donné, sans difficulté, libre de toute somnolence et agitation. Ce calme
fondamental se développera ensuite de plus en plus. Pourquoi pas ?
Rien n'est là pour l'arrêter.

Ne vous énervez pas à propos de la méditation, les résultats peu-


vent ne pas venir très facilement. Et quand ils surviennent, ne vous
emballez pas à leur sujet, car cette excitation risque de fausser le La méditation pénétrante
résultat.
Sans esprit stable, on crée très facilement du mauvais karma, du
fait des causes et conditions passées qui se révèlent comme tendances
négatives. Mais quand l'esprit est apaisé, il acquiert une formidable
aptitude à la vertu qui sera plus forte que ces tendances et capable
de les vaincre.

C'est avec cet esprit tranquille que vous aborderez la pratique Le mot tibétain pour cette sorte de méditation est lhaktong, que
du mahamoudra. Autrement, la méditation du mahamoudra est l'on peut traduire littéralement par vue profonde. Dans ce cas, vue
impossible. est synonyme de connaissance et n'a rien à voir avec la vision. D'ordi-
naire, tout ce que l'on connaît est enveloppé dans la buée de l'esprit
confus. La vue profonde est la connaissance sans l'ignorance, puisqu'on
utilise la conscience originelle de l'esprit pour voir.

La méditation pénétrante consiste à exercer l'esprit à se connaître


de manière plus profonde. Ce niveau de l'esprit est beaucoup plus
profond que le niveau normal dont font l'expérience les êtres humains.
Lorsque l'esprit parvient à la réalisation totalement développée de sa
nature, il se libère de ses névroses. L'esprit ne se laisse plus prendre
au piège de l'illusion où il perd tout contrôle de lui-même.
Le travail de la méditation pénétrante est d'amener l'esprit à s'exa-
miner plus attentivement.
Mais la vision pénétrante doit se développer sur la base du calme
mental, un état dans lequel ni la torpeur ni l'agitation n'affecte l'esprit.
Un esprit clair, stable.

Quand on pratique la méditation pénétrante, la première chose à


faire est d'examiner ce qu'est fondamentalement l'esprit. Les objets
de l'esprit n'ont pas de réalité propre, c'est l'esprit qui leur donne

106 107
LA PRATIQUE LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

une réalité par suite de l'illusion qui l'habite. Comment l'esprit calme mental. On examine la situation sans dévier, l'esprit concentré
devient-il confus ? À l'état naturel, il n'y aucune confusion, mais en un point.
quand cet état naturel essaye de se saisir lui-même - alors que c'est
impossible, au même titre que vouloir ne dépendre que de soi - Ce qui est habituellement appelé "l'esprit" est une suite continuelle
l'esprit se trouble et projette un monde objectif. de pensées, qui s'arrête seulement lorsqu'on est inconscient ou
Les projections de l'esprit sont possibles du fait que l'esprit lui- immergé dans un sommeil très profond. Sinon l'esprit projette sans
même est vide, lucide, non-obstrué, ouvert. S'il parvient à reconnaître arrêt des idées qui dépendent des stimuli extérieurs - sons,
sa véritable nature, il n'est plus abusé. La clarté de l'esprit naturel perceptions visuelles, etc. - ou des souvenirs intérieurs. Même les
s'élève comme la conscience primordiale. L'esprit peut de nouveau souvenirs sont composés de scènes, conversations, etc, qui sont
maîtriser ses manifestations plutôt que de se laisser troubler par elles. toutes basées sur une expérience sensible antérieure. Tout ce à quoi
C'est comme de s'apercevoir que l'on rêve : on peut diriger le rêve nous pensons dépend donc de quelque chose d'extérieur.
~ plutôt que d'être sous son emprise. La distraction, c'est l'esprit qui s'empare de ces informations.
'1:.~
'·, On doit revenir à la conscience primordiale en examinant la réalité
Néanmoins, se libérer de la distraction ne signifie pas essayer de
reproduire l'état d'inconscience. Un esprit libre est un esprit naturel,
fondamentale de l'esprit. Cela nous mènera à la connaissance des un esprit qui fait l'expérience de lui-même. Les Orientaux et les
choses telles qu'elles sont réellement (en tibétain, ji.lta.ba'i.ye.sbes). Occidentaux ont une idée légèrement différente de la perception.
1 Maîtriser les projections de son esprit permet de prendre cons-
cience des phénomènes dans leur multiple variété (en tibétain,
Du point de vue occidental, l'esprit reçoit les informations, alors que
du point de vue oriental, l'esprit va à la recherche des informations.
ji.snyedpai.ye.sbes.). Mais cette distinction ne devrait pas faire une grande différence dans
1
~
Tout d'abord, on réalise combien l'esprit est influencé et distrait
par les informations qu'il reçoit constamment. Pour cela, il faut cal-
notre pratique de la méditation. Toujours est-il qu'il y a interaction
et que l'esprit est impliqué. Aucun point de vue ne nie cela.
mer l'esprit, en l'établissant dans la pleine conscience de lui-même
et en essayant de distinguer entre lui et les informations qu'il reçoit. L'esprit ne peut pas connaître les objets directement. C'est la forme
Quand on entend quelque chose, on essaye de séparer l'esprit du ou la représentation (en tibétain rnampa.) de l'objet qui apparaît
son; quand on voit quelque chose, on essaye d'affranchir l'esprit de dans l'esprit et qui est connue par l'esprit. Ce processus se déroule
la forme. Et on se demande : "qu'y-a-t-il là ?" très vite. En un simple claquement de doigts, s'écoulent 61 instants
On découvre que l'esprit est vif, clair et conscient, bien qu'il n'y /. mentaux. C'est la définition conventionnelle de la vitesse de l'esprit.
ait rien là qui puisse être perçu en tant qu'objet. L'esprit est vide et Dans un premier temps de la perception, l'esprit se dirige vers
aussi vaste que l'espace ; il est également paisible, car l'agitation l'objet. Dans un second temps, il le saisit. Dans un troisième, la repré-
mentale due aux informations provenant des objets devient sans sentation ou l'image de l'objet, mais non l'objet lui-même, apparaît
nécessité lorsque l'esprit est délivré du piège de la dualité. À la dans l'esprit, et est reconnue.
place, il y a un esprit pénétrant, clair et vaste.
Mais chaque moment de l'esprit est éphémère, il n'y a pas un esprit
unique qui reste là constamment. Prenez l'exemple d'une conversation.
Si vous pouviez voir ce qui se passe précisément, vous remarqueriez
Procéder à fexamen de l,esprit qu'à chaque fois que la voix change, votre esprit change: De façon
plus évidente, remarquez comme votre esprit change quand vous
La posture et les méthodes pour éviter la distraction et les vices entendez deux voix différentes. L'esprit qui se concentre sur la pre-
de méditation sont exactement les mêmes que pour la pratique du mière voix et celui qui se concentre sur la seconde voix ne sont pas

108 109
LA PRATIQUE LA MÉDITATION PÉNÉTRAN7E

le même esprit. Si votre esprit restait exactement le même, il ne un micro, de voir un livre. Sont-ils un et semblables, ou distincts? La
pourrait absolument pas réagir aux deux voix différentes, la tête pensée créée par un contact peut être "rouge", alors que le contact
vous tournerait. L'esprit est vraiment présent comme un auditeur, suivant peut évoquer le "noir". Alors, comment le contact peut-il être
mais comment est l'esprit débarrassé de la voix? L'esprit qui entend le même ? Sinon il resterait "rouge".
la voix ne peut pas ETRE la voix, puisque c'est votre esprit et que la Est-ce que tout d'abord émerge l'esprit qui attrape la fleur, puis
voix appartient à l'autre personne. A quoi ressemble l'esprit quand il s'en retourne pour émerger de nouveau et attraper le micro, enfin
est séparé de la voix ? Regardez son essence, examinez comment il qui émerge encore pour attraper le livre ? Ou le prédateur est-il tout
est réellement. le temps le même? Est-ce qu'il reste dehors et attrape les trois objets
Si l'esprit est une chose unique, comment fait-il pour entendre l'un après l'autre, les ramassant et les déposant sans s'en retourner
des voix différentes ? Est-ce qu'il se tourne d'un côté puis de l'autre pendant ce temps ?
comme un visage? Que fait-il quand il n'y a pas de voix à écouter?
Quand la voix n'est plus là, qu'advient-il de l'esprit qui la percevait Lorsque vous méditez, vous devez découvrir comment est vrai-
quand elle était là ? ment l'esprit, en partant de votre propre expérience. Si vous pensez
Vous avez un esprit pour chaque mot, chaque syllabe, chaque lettre que le cerveau est votre esprit, sans vous poser de question, cela
de l'alphabet, chacun des composants de ces sons complexes. Lors- peut être un obstacle à la méditation. Si l'esprit était le cerveau, à
qu'on n'a pas besoin de tous ces esprits, où sont-ils mis en réserve? chaque instant de perception, le cerveau devrait sortir du corps pour
S'ils sont rangés et mis en marche seulement quand l'occasion le aller à la rencontre de l'objet, ce qui serait très drôle à voir. L'un est
demande, où se trouvent-ils pour le moment? substantiel, l'autre non substantiel, comment pourraient-ils être iden-
tiques ? Le cerveau et l'esprit ne sont pas identiques, bien qu'ils
La voix rencontre l'esprit pour être entendue, mais comment la soient en étroite relation, plus que nos doigts par exemple. On peut
voix arrive-t-elle à l'esprit? Vous pensez à quelque chose ou percevez dire que le cerveau est l'endroit où l'esprit est "fertilisé".
quelque chose, que se passe-t-il vraiment au moment du contact?
Sans objet externe conventionnellement reconnu comme fleur, Tout cela est simple, logique, mais a son utilité pour abattre certains
l'idée "fleur" n'apparaîtra pas dans l'esprit. Comment se fait la relation de nos postulats sur la perception.
entre l'esprit et son objet? Comment la fleur vient-elle dans l'esprit?
Par où sort l'esprit pour rencontrer la fleur : par l'œil, le cerveau, le Dans la méditation, débarrassez l'esprit de ses contacts informatifs
doigt? et laissez-le reposer dans son état naturel.
Au moment où l'information sur l'objet arrive dans l'esprit, l'essence Demeurez uniment dans l'état où aucun objet appelé "esprit" n'est
de l'esprit et l'essence de l'objet sont-elles semblables ou différentes? trouvé, libre de toutes créations artificielles.
Apparemment, elle ne sont pas semblables, puisque l'objet est l'objet Un esprit non pollué est un esprit qui n'est pas mêlé d'informations
et l'esprit est l'esprit. Mais, en ce cas, comment l'objet peut-il appa- perceptives ; un esprit non fabriqué est un esprit que l'on laisse être
raître dans l'esprit s'ils sont différents en essence ? Examinez le pro- tel qu'il est. Un tel esprit se réalisera lui-même.
cessus sensoriel de la forme, du son, de l'odeur, du goût et du toucher. Jouez de cette façon avec l'esprit jusqu'à ce que vous trouviez la
vacuité de l'esprit : il n'y a rien, néanmoins il est toujours vif et clai-
La pensée est l'esprit. Chaque instant de pensée est un instant de rement conscient, ce n'est pas un simple espace vide.
l'esprit. La pensée est l'acte de l'esprit, son ouvrage. Les pensées et
l'esprit sont-ils semblables ou différents? C'est précisément parce que l'esprit n'existe pas physiquement ou
substantiellement que l'on peut penser autant. L'esprit peut se mettre
Comparez trois instants mentaux: le fait de voir une fleur, de voir en rapport avec n'importe quel nombre de stimuli extérieurs. S'il

110 111
LA PRATIQUE

avait une existence substantielle, il ne serait pas du tout adapté pour


1 Les résultats acquis
LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

rencontrer toutes les infonnations venant du monde extérieur. Pensez


au nombre d'informations qu'il reçoit en une simple petite heure.
Lorsque vos investigations seront terminées, elles feront naître en
Où mettriez-vous tout cela ?
C'est possible parce qu'il est vide d'existence substantielle. Il est vous une profonde certitude sur ce qu'est réellement l'esprit. Etablissez-
également conscient. C'est parce qu'il est conscient qu'il peut en savoir vous dans cette compréhension autant que vous le pouvez, l'étendant
au fur et à mesure qu'elle devient plus stable.
autant. Un esprit sans conscience ne peut~rien connaître.
La facilité avec laquelle votre compréhension de la nature de l'esprit
On parle conventionnellement de l'esprit comme étant clarté vide
se stabilise elle-même dépendra énormément de la manière dont
et non obstruée. Ce sont les qualités de l'esprit.
vous aurez exercé votre esprit à pouvoir rester posé lorsque vous
Vide signifie, nous venons de le voir, que l'esprit n'existe pas pratiquerez le calme mental.
dans un sens substantiel, matériel. Clarté fait référence à l'esprit
connaissant qui peut par conséquent connaître toute chose. À la place Quelle est la meilleure façon de parvenir à apaiser facilement l'es-
de "non-obstrué", lisez "vaste", ce qui veut dire qu'il peut contenir prit ? Utilisez la même technique qu'auparavant. A chaque fois que
toute chose. C'est cette vaste étendue non obstruée qui permet à des pensées apparaissent, elles sont limitées aux infonnations qu'elles
l'esprit d'être si créatif. Quand l'esprit ne parvient plus à rester dans véhiculent. Appuyez-vous sur la pensée sans suivre ses informations
sa vacuité essentielle, cette même vaste clarté est ce qui permet à et elle se dissoudra dans la nature de l'esprit. Demeurez ainsi sans
l'illusion qui en résulte de s'exprimer d'une façon aussi complexe et aucune création artificielle. Les pensées continuent à se fondre dans
variée. L'esprit poursuit ses propres projections et perd le contrôle l'esprit réel. Lorsque vous demeurez établis dans la certitude pendant
de lui-même. Au lieu de rester autonome, il est gouverné par ses que les pensées vont et viennent dans l'esprit, vous réalisez qu'elles
propres informations. sont l'expression de la clarté vide et non-obstruée, et rien d'autre.

On médite pour redonner à l'esprit le contrôle de lui-même. Si Là, par expérience directe, vous découvrirez par vous-mêmes toutes
l'esprit ne s'implique pas dans un objet extérieur, il ne devient pas les qualités naturelles de l'esprit.
confus. L'esprit est à chaque instant la victime de ses projections. Si, Une fois que vous serez accoutumés à cette étape de la pratique,
pendant un de ces instants, il peut ne pas dépendre des informa- vos émotions les plus grossières s'apaiseront, quoique les plus
tions, on s'aperçoit que l'essence de cet instant est vide. On peut subtiles ne seront pas encore détruites, car elles s'enracinent très
alors reconnaître que l'essence de tous les instants est vide. profondément.

Il est dit : "l'esprit indépendant est rnahamoudra". Etre indépen-


dant ne signifie pas être d'une seule pièce. Lorsque l'esprit est libre Suite de l,examen - la pratique principale
de se diriger vers un objet puis un autre, c'est le mahamoudra.
Cette technique de méditation peut s'appliquer même quand Lorsque cette seconde étape vous est devenue tout à fait familière,
l'esprit est agité. Ainsi, peu à peu, toutes les pensées s'éclaircissent reprenez vos investigations. Fabriquez délibérément une image dans
et deviennent transparentes. votre esprit, un immense éléphant par exemple. Examinez l'essence
de l'image et l'esprit qui la perçoit.
Lorsque vous procédez à ces investigations sur la réalité fonda- L'éléphant est-il à l'intérieur de l'esprit ou non? Si l'éléphant n'est
mentale de l'esprit, revenez de temps en temps au calme mental afin pas vraiment dans l'esprit, il doit simplement être le fait de l'imagi-
que l'esprit ne devienne pas surexcité par votre recherche. nation de l'esprit. L'éléphant imaginaire est-il l'esprit ou pas, et s'il

112 113
LA PRATIQUE LA MÉDITATION PÉNÉTRANTE

est l'esprit, comment y est-il parvenu ? La forme de l'éléphant est- émotionnelles quand elles surviennent et à vous souvenir ensuite de
elle réellement dans l'esprit ? Si elle n'y est pas, comment l'esprit la ce qu'il faut faire quand l'une apparaît.
représente-t-elle? Recommencez cela pour un son puissant, un par- Ces six illusions fondamentales sont l'ignorance, la colère, le désir,
fum merveilleux, un goût agréable et une sensation délicieuse. Cette la jalousie, les vues et le doute. Commençons par la première, puis-
troisième étape développera l'habileté de l'esprit. qu'elle est toujours présente.

Au fur et à mesure que s'affermissent votre certitude et votre


conviction de la nature de l'esprit, détendez-vous de plus en plus en L'ignorance
pratiquant. En même temps que votre confiance se développe, vous
vous établissez encore plus confortablement dans la clarté vide de Il y deux aspects dans l'ignorance ou manque de conscience
l'esprit, celui-ci n'étant plus influencé par ses projections. C'est lavé- l'attachement égocentrique lui-même et les pensées produites par

.,~ ritable méditation, et plus vous vous familiariserez avec elle, mieux
elle s'en trouvera.
l'esprit avide.
Lorsque vous ne méditez pas, réfléchissez aux défauts de l'atta-
Ne soyez pas extrêmes dans l'application des méthodes ci-dessus. chement égocentrique. Pensez à la souffrance et aux difficultés dont
,.
'
Méditez avec l'esprit détendu, mais soigneusement vigilant. il est la cause. Pendant votre activité quotidienne, regardez autour
Cette forme de méditation d'investigation doit donner plus de de vous et voyez comment chaque personne agit pour elle-même et
~~...· résultats qu'une simple compréhension intellectuelle, sans quoi elle les intérêts conflictuels qui s'ensuivent.

l
ne comporterait aucune bénédiction. Votre recherche doit se rapporter Pendant la méditation, cherchez dans votre corps, votre parole,
.. à votre expérience directe, non à des théories dont vous avez entendu votre esprit, le "je" que vous supposez être à la source de toutes vos
t
parler ou que vous avez lues. actions et décisions. Peu importe la rigueur de votre recherche, vous
8 ne trouverez rien ; donc où est ce "je" auquel vous vous accrochez
sans cesse ? Continuez à chercher jusqu'à ce que vous atteigniez le
désintéressement.
Utiliser comme pratique les six états émotionnels
Tournez ensuite votre attention vers l'analyse des concepts et de leurs
Vous pouvez également appliquer vos nouvelles techniques d'in- inconvénients. Dans votre activité quotidienne, entraînez-vous à recon-
vestigation et votre clarté toute neuve aux six illusions émotionnelles naître que les pensées ne sont que les illusions d'un esprit confus.
fondamentales qui sont des impulsions très négatives enracinées Nous avons vu que chaque pensée est l'effet de la prise de
dans l'esprit. Cela signifie, d'une part, mettre en pratique votre analyse contact entre l'esprit et un objet de perception. L'esprit ignore sa
et votre recherche en toutes sortes de circonstances, c'est-à-dire à propre pureté, il fait une erreur et engendre une profusion de pen-
chaque fois que ces illusions apparaissent et pas seulement dans la sées. Il fait sans cesse des distinctions - l'objet est bon ou mauvais,
méditation. En réalisant quels sont les défauts de ces émotions, vous attractif ou repoussant, selon les jugements de l'esprit ignorant.
réussirez à libérer l'esprit de leur influence. Qu'est-ce qui ne va pas vraiment? Regardez en vous. Observez les
Le second aspect de la pratique consiste à regarder l'essence de effets que ces jugements ont sur les situations autour de vous et le
l'émotion pendant la méditation elle-même et à voir sa vraie nature. trouble ainsi créé dans l'esprit.
Evidemment, il est préférable que cela survienne naturellement,
mais si rien n'apparaît, recréez volontairement le sentiment. Ensuite, quand vous êtes assis en méditation, arrêtez-vous sur l'es-
L'attention et la mémoire jouent également un rôle dans cette sence de la pensée. Nous trouvons alors que les pensées n'ont pas
pratique. Il faut que vous soyez attentifs à détecter ces illusions d'existence définissable : ni configuration, ni forme, ni couleur. Lorsque

114 115
LA MÉDITA110N PÉNÉTRANTE
LAPRA11QUE

l'esprit est entraîné vers un objet, nos pensées semblent presque L'orgueil jaloux
tangibles. Si nous regardons une plante, nous nous mettons à penser
qu'il est temps de changer son pot, de l'arroser ou de la nourrir. Du L'orgueil et la jalousie sont en étroite relation. L'orgueil est le sens
fait de notre implication, nos idées semblent très solides mais de sa propre importance et c'est ce qui fait que l'on est jaloux des
lorqu'on regarde directement l'essence de la pensée, il n'y ~ rien. autres. L'orgueil rend peu convaincant aux yeux des autres. Puisque
Etablissez-vous dans cette essence. Faites cela à chaque fois qu'une vous n'êtes pas prêts à voir vos propres défauts, aucune qualité ne
pensée apparaît. peut s'épanouir en vous.
La jalousie est une puissante combinaison de colère et d'orgueil,
une très lente agonie. C'est ressentir de la colère envers les autres
La colère sans aucune raison. n peut y avoir une cause à la colère - la personne
vous a peut-être irrité -mais il n'y en a pas dans le cas de la jalousie.
Faites ensuite la même chose pour la seconde illusion émotion- Son côté tout à fait déraisonnable la rend hautement immorale.
nelle, la colère. Quelqu'un acquiert fortune et renommée, mais même s'il ne vous a jamais
Commencez par apprécier les défauts de la colère. Voyez com- rien fait, votre esprit n'est jamais en paix quand vous pensez à lui.
bien on est malheureux d'être en colère. Le comble est que nos ré- La jalousie est un ennemi très complexe qui détruit tout. On peut
actions coléreuses mettent les autres en colère. L'esprit s'excite, également la voir à l'œuvre dans la société.
créant un environnement propice à l'apparition de toutes les autres
émotions. La société elle-même s'agite. Poursuivez votre investiga- Réfléchissez attentivement aux défauts de ces illusions mentales ;
tion et vous découvrirez sans nul doute d'autres défauts de la colère. regardez ensuite leur essence dans le calme de la méditation.

Dans la méditation, regardez l'essence du sentiment de colère et


posez l'esprit dessus. Exercez-vous. Si aucune pensée de colère Les vues
n'apparaît au bout d'un moment, créez-en.
Les vues sont les idéaux que nous nous fabriquons. Deux zones
de notre vie sont tout particulièrement gouvernées par ces vues : la
Le désir-attachement
politique et la religion. Des vues insensées peuvent tout détruire.
Par exemple, la religion peut dégénérer en culte de nos propres
Cette illusion est très subtile. Elle a une apparence agréable, mais elle
vous précipite peu à peu dans le malheur. Observez soigneusement créations intellectuelles.
La cause en est l'ignorance, étroitement associée à l'orgueil.
ses défauts. Voyez comment elle implique la colère et la jalousie,
comment elle agite l'esprit d'une ambition anxieuse. Même lorsque
Les vues spirituelles insensées abondent : "je peux devenir divin
vous obtenez ce que vous désirez, le contentement vous échappe,
et saint, j'ai le pouvoir de soigner les autres, je peux les diriger avec
vos désirs ne peuvent jamais être satisfaits. C'est comme une dé-
cette force et faire qu'ils m'obéissent".
mangeaison. Se gratter soulage momentanément, mais bientôt la
L'intention est d'aider les autres, mais la compassion ici est mélangée
démangeaison se remanifeste.
d'orgueil. n peut arriver que quelqu'un avec une telle idée semble
Observez l'esprit qui désire, lorsqu'il est à l'œuvre dans vos ac-
réellement guérir les autres avec sa force imaginaire, mais ce n'est
tions quotidiennes, jusqu'à ce que vous preniez conscience de tous
en fait que pure coïncidence. Cependant, cela donne à une telle
ses défauts ; examinez ensuite son essence comme on l'a expliqué
personne confiance en ses aptitudes et renforce son idée.
auparavant.

117
116
LAPRATJQUE LA MÉDfl'ATJON PÉNÉTRANTE

Beaucoup de désastres religieux et politiques présents et passés


fait inapproprié dans la méditation. Le doute qui surgit pendant la
ont eu lieu à cause de cette illusion. Il faut être conscient des défec-
pratique survient sans raison. Soudain le méditant est empli de doute
tuosités de ces vues.
résultant de ses actes passés. C'est une des expériences éprouvées
Si notre opinion n'est pas spontanée, mais fabriquée par notre
par les méditants et on ne doit y prêter aucune attention.
esprit ignorant sous l'influence des émotions, nous ne parviendrons
S'il doit survenir, examinez ses défauts jusqu'à en être persuadés.
jamais à une vue correcte et parfaite. Ces vues erronées peuvent
Ensuite, examinez l'essence véritable du doute que vous éprouvez,
non seulement nous induire nous-mêmes en erreur, mais d'autres
exactement comme vous l'a':..ez fait pour les illusions précédentes.
personnes également.
Si l'on examine une vue de près avant de l'accepter, on peut détermi-
On tire un double bénéfice de cette pratique. On devient parfaite-
ner si elle est absolument pure ou non. Une vue parfaite ne doit pas
ment conscient de tous les défauts de ces six émotions et on appro-
être basée sur des productions émotionnelles. Si notre vue est une
fondit· également sa propre expérience de l'état essentiel. Tout
méthode pour vaincre les émotions, c'est alors une vue acceptable.
découragement que vous pourrez tout d'abord ressentir à devoir
Si vous voulez en savoir plus sur les vues défectueuses, il faut
penser à tous ces défauts s'estompera quand vous demeurerez dans
consulter les ouvrages des maîtres bouddhistes en philosophie et
l'essence de l'illusion : dans l'immense profondeur de la réalité natu-
~.
apprendre à débattre et à les analyser en utilisant la logique. Vous
relle de l'esprit.
serez alors en position de juger et de critiquer les vues et les théories
avancées par les autres.
Vous pouvez également utiliser cette pratique pour améliorer la
qualité de votre amour et de votre compassion. Il n'y a bien sûr
Pleinement conscients du mal que causent les vues partisanes,
aucune nécessité d'examiner leurs défauts, puisque l'amour et la
asseyez-vous et examinez leur essence pendant la méditation. Ces
compassion ne doivent pas être abandonnés, mais développés. Mais
~onvictions sont de simples concepts qui n'ont aucune réalité propre,
ils doivent être libres d'attachement. En regardant l'essence tout
il n'y a donc aucune raison que l'esprit en soit incommodé.
d'abord de l'amour, puis de la compassion, vous découvrirez qu'ils
sont semblables. Vous avez créé un esprit aimant et plein de
Le doute compassion, là vous verrez son essence vide et ainsi vous vous
affranchirez de toute tentation de le saisir.
Cette illusion est ce qui provoque les moments où vous êtes har-
celés par le doute. "Suis-je en train de méditer correctement ou non?
L'état de bouddha existe-t-il ou non? Ma pratique spirituelle va-t-elle
réellement me conduire quelque part ?"
Ne vous fiez pas à vos doutes. Vous n'avez jamais trouvé quelque
chose de vraiment valable par vous-mêmes, donc ne vous écoutez
pas maintenant. Si vous consolidez vos doutes et les suivez, ils vous
égareront. Ils ne sont dus qu'à votre propre ignorance et à votre
manque de compréhension. Faites confiance aux méthodes que l'on
vous a enseignées et continuez à les suivre.

Le doute est admissible pendant l'étude, afin de remettre les choses


en question jusqu'à s'être fait une idée complète, mais il est tout à

118 119
Expériences

Conseils à propos des expériences


La description ci-dessus est une clé pour les plus importantes
méthodes de méditation. Mais la méditation est un processus très
complexe. Chaque personne a sa propre personnalité et son caractè-
re, son propre méli-mélo d'émotions, et la pratique détaillée de la
méditation doit être taillée sur mesure pour répondre aux besoins
personnels, même si d'une façon générale les- mêmes étapes seront
franchies.
Pendant la méditation, il y aura toutes sortes de sentiments et
d'expériences qui nécessiteront un traitement adapté, surtout en ce
qui concerne la méditation pénétrante. Et c'est pour cette raison
qu'il faut rechercher l'aide d'un enseignant qualifié.

Dans le bouddhisme, il y a beaucoup de domaines spécifiques et


les enseignants tendent à se spécialiser parfaitement en l'un d'eux
seulement. Vous avez besoin d'un maître de méditation qualifié et
expérimenté, non d'un expert en philosophie ou en. rituel. Plus pré-
cisément, les méthodes enseignées dans ce livre appartiennent au
chemin de la méditation du mahamoudra qui est la spécialité de la
lignée Kagyu. C'est donc à l'intérieur de la tradition Kagyu que vous
trouverez le guide dont vous avez besoin. Tous les monastères
ou les instituts Kagyu reconnus ont un maître désigné de méditation
qui est qualifié et digne de confiance.

121
EXPÉRIENCES
LA PRATIQUE

La clarté
Les expériences méditatives
La clarté dont on parle est la lucidité consciente expérimentée par
Voici toutefois, rapidement passées en revue, quelques-unes des
les cinq sens et la faculté mentale. Elle survient parce que le calme
expériences que vous pouvez avoir en méditant. Il y a trois sortes
paisible dans lequel se trouve l'esprit fait que les organes des sens
de sensations : celles qui ont trait à la félicité, celles qui sont issues
deviennent très sensibles.
de la clarté, et celles créées par un esprit vide ou libre de concepts.
Quels effets cela a-t-il ? La plupart des personnes ont des manifes-
tations visuelles ou auditives plutôt que celles d'autres sens. Cela ne
La félicité signifie pas que votre vue par exemple s'améliore, mais plutôt que
les sens sont impliqués dans des informations imaginaires. Vos yeux
Lorsque l'esprit est vraiment envahi par une expérience de félicité, sont ouverts, mais vous voyez des choses que vous savez ne pas
le corps la ressent également. Tout d'abord, cette expérience est ternie appartenir à l'environnement que vous regardez. Vous pouvez vous
par l'émotion, mais ensuite la félicité libre-de-toute-émotion emplit mettre à entendre des sons que vous savez ne pas avoir de source
le corps entier. Que ressent-on ? Quand l'esprit est tranquille, le spécifique. N'en soyez pas troublés, cela n'a aucune espèce d'impor-
corps se sent parfaitement bien et souple. La réaction immédiate est tance. C'est simplement un effet de l'esprit qui s'éclaircit.
d'en jouir et de s'y attacher, mais au fur et à mesure que vous pour- On peut aussi l'éprouver comme clarté mentale : dès qu'une
suivrez votre méditation dans l'attitude correcte, cela sera supplanté pensée apparaît, vous en êtes aussitôt conscients. Vous ne ratez
par une profonde sensation de joie affranchie d'attachement. aucun instant du bavardage des pensées, la reconnaissance est auto-
matique. Vous dormez peu et votre sommeil est très clair, vous
Cette expérience donne à l'esprit l'impression de ne jamais devoir savez que vous dormez.
s'en lasser. D'ordinaire, notre bonheur est créé par des conditions
extérieures, dont l'esprit peut se fatiguer. Mais lorsqu'il expérimente Comme pour la félicité, examinez la réalité fondamentale de toutes
sa propre quiétude issue de lui-même, il ne s'en lasse jamais. De ces expériences sensorielles, reconnaissez-les pour n'être que des
nouveau, il y a tout d'abord un attachement qui se crée, mais au fur pensées.
et à mesure que votre capacité à méditer correctement augmente,
l'attachement diminue et cette sensation devient de plus en plus
La vacuité
détendue et naturelle.

Pourquoi manifestons-nous un si fort attachement au bien-être Une fois reconnues les expériences de félicité et de clarté comme
physique et mental ? C'est une habitude de tous les instants de toute habitudes mentales et, en ne vous attachant ni à elles ni aux mani-
façon. Quand de telles sensations surviennent pendant la médita- festations qu'elles produisent grâce à l'examen de leur réalité fonda-
mentale, elles s'évanouiront et seront remplacées par un état d'esprit
tion, elles font remonter la mémoire de notre attachement habituel.
non-conceptuel.
Mais en appliquant la technique de la méditation pénétrante à ces
En fait, les pensées continuent de survenir, mais elles se dissol-
expériences, on écarte la tendance à s'y attacher.
Regardez directement la félicité qui apparaît dans l'esprit. Quand vent instantanément en la vacuité dans laquelle vous êtes immergés.
celui-ci ne s'implique pas dans cette sensation, elle disparaît et reste Là encore, l'influence de la mémoire joue. Vous avez une sensation
la réalité de la félicité qui ne ressemble à aucune autre impression. de vacuité, vous vous dites : "Tout est vide". Mais cette assertion est
Cette réalité est inimaginable en ce moment, parce que vous n'avez un simple concept. Examinez la vraie nature de cette sensation en
utilisant la méditation pénétrante.
pas un esprit pouvant la concevoir.

123
122
EXPÉRIENCES
LA PRATIQUE

La clarté
Les expériences méditatives
La clarté dont on parle est la lucidité consciente expérimentée par
Voici toutefois, rapidement passées en revue, quelques-unes des
les cinq sens et la faculté mentale. Elle survient parce que le calme
expériences que vous pouvez avoir en méditant. Il y a trois sortes
paisible dans lequel se trouve l'esprit fait que les organes des sens
de sensations : celles qui ont trait à la félicité, celles qui sont issues
deviennent très sensibles.
de la clarté, et celles créées par un esprit vide ou libre de concepts.
Quels effets cela a-t-il? La plupart des personnes ont des manifes-
tations visuelles ou auditives plutôt que celles d'autres sens. Cela ne
La félicité signifie pas que votre vue par exemple s'améliore, mais plutôt que
les sens sont impliqués dans des informations imaginaires. Vos yeux
Lorsque l'esprit est vraiment envahi par une expérience de félicité, sont ouverts, mais vous voyez des choses que vous savez ne pas
le corps la ressent également. Tout d'abord, cette expérience est ternie appartenir à l'environnement que vous regardez. Vous pouvez vous
par l'émotion, mais ensuite la félicité libre-de-toute-émotion emplit mettre à entendre des sons que vous savez ne pas avoir de source
le corps entier. Que ressent-on ? Quand l'esprit est tranquille, le spécifique. N'en soyez pas troublés, cela n'a aucune espèce d'impor-
corps se sent parfaitement bien et souple. La réaction immédiate est tance. C'est simplement un effet de l'esprit qui s'éclaircit.
d'en jouir et de s'y attacher, mais au fur et à mesure que vous pour- On peut aussi l'éprouver comme clarté mentale : dès qu'une
suivrez votre méditation dans l'attitude correcte, cela sera supplanté pensée apparaît, vous en êtes aussitôt conscients. Vous ne ratez
par une profonde sensation de joie affranchie d'attachement. aucun instant du bavardage des pensées, la reconnaissance est auto-
matique. Vous dormez peu et votre sommeil est très clair, vous
Cette expérience donne à l'esprit l'impression de ne jamais devoir savez que vous dormez.
s'en lasser. D'ordinaire, notre bonheur est créé par des conditions
extérieures, dont l'esprit peut se fatiguer. Mais lorsqu'il expérimente Comme pour la félicité, examinez la réalité fondamentale de toutes
sa propre quiétude issue de lui-même, il ne s'en lasse jamais. De ces expériences sensorielles, reconnaissez-les pour n'être que des
nouveau, il y a tout d'abord un attachement qui se crée, mais au fur pensées.
et à mesure que votre capacité à méditer correctement augmente,
l'attachement diminue et cette sensation devient de plus en plus
La vacuité
détendue et naturelle.
Une fois reconnues les expériences de félicité et de clarté comme
Pourquoi manifestons-nous un si fort attachement au bien-être
habitudes mentales et, en ne vous attachant ni à elles ni aux mani-
physique et mental? C'est une habitude de tous les instants de toute
festations qu'elles produisent grâce à l'examen de leur réalité fonda-
façon. Quand de telles sensations surviennent pendant la médita-
mentale, elles s'évanouiront et seront remplacées par un état d'esprit
tion, elles font remonter la mémoire de notre attachement habituel.
non-conceptuel.
Mais en appliquant la technique de la méditation pénétrante à ces
En fait, les pensées continuent de survenir, mais elles se dissol-
expériences, on écarte la tendance à s'y attacher.
vent instantanément en la vacuité dans laquelle vous êtes immergés.
Regardez directement la félicité qui apparaît dans l'esprit. Quand
Là encore, l'influence de la mémoire joue. Vous avez une sensation
celui-ci ne s'implique pas dans cette sensation, elle disparaît et reste
de vacuité, vous vous dites : "Tout est vide". Mais cette assertion est
la réalité de la félicité qui ne ressemble à aucune autre impression.
un simple concept. Examinez la vraie nature de cette sensation en
Cette réalité est inimaginable en ce moment, parce que vous n'avez
utilisant la méditation pénétrante.
pas un esprit pouvant la concevoir.

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122
~-
LA PRATIQUE
.
.
EXPÉRIENCES

1

Cette technique est connue sous le nom de "appliquer la pleine
~ sensations et des mystères. Le mahamoudra n'est pas comme cela .
conscience (sbes.rab.) aux expériences de méditation".
c'est un cours systématique de formation, logique et rationnel. '
Si elle est utilisée dès que la félicité apparaît, vous ne développerez
Vous pouvez apprendre beaucoup au sujet de la méditation dans
aucune accoutumance à la félicité duelle. Celle-ci n'a aucune in-
les livres, mais vous aurez toujours besoin qu'un enseignant vous
fluence sur vous, car vous savez qu'elle ne possède aucune essence.
donne des conseils vous correspondant personnellement.
Lorsque vous éprouvez la clarté, il se peut que vous vous mettiez _à
Les li~es ne peuvent pas faire état de chaque détail des problèmes
penser: "Ces visions sont un bon signe; qu'il est bon d'avoir l'esprit
rencontres par chaque t)Te d'individu à chaque étape du chemin.
suffisamment clair pour voir et être conscient de toutes les pensées".
Les gens sont trop différents. Dans les livres, on trouve seulement
Cela conduira à l'agitation. Mais si vous utilisez la technique de la pleine
les méthodes générales. Je vous recommande fortement de lire
conscience quand cela apparaît, vous réaliserez que la clarté n'est
"Les rayons de lune du mabamoudra" si vous désirez une étude
rien d'autre qu'une idée, et la vague se dissoudra une fois de plus détaillée du chemin du mahamoudra.
dans l'océan. La traduction anglaise (1) est un peu savante et certains d'entre
vous la trouveront peut-être difficile à suivre, mais néanmoins c'est
Affirmer la vacuité sur la base d'une simple expérience de l'esprit
une bonne chose que ce livre ait été traduit. Par contraste cet ou-
libre de concepts peut vous rendre partial et vous faire tomber dans
vrage est plus une clé pour la méditation, et bien que co~rt, vous
le nihilisme, en commençant à nier l'existence de toute chose. Il y a
pourrez trouver qu'il a une approche plus pratique.
vacuité, c'est vrai, mais il y a aussi à chaque instant l'esprit vivant
qui se connaît lui-même. Appliquer la pleine conscience à votre idée
de "c'est vide" et l'esprit déploiera sa toile de moments de conscience
interconnectés.

Ces expériences de clarté, félicité et vacuité surviennent tout


d'abord quand l'esprit éprouve sa propre quiétude. Au fur et à mesure
que l'attachement à ces expériences diminue, détruit par l'application
régulière de la pleine conscience, c'est leurs contre-parties véritables
qui apparaîtront. Celles-ci sont tout à fait inimaginables pour l'instant
et ne ressemblent absolument pas aux sensations qu'elles remplacent.
Elles indiquent la voie de la vue et continueront pendant tout le
chemin vers l'éveil.
En attendant, sortez de l'expérience, analysez-la et elle vous mènera
à l'essence de l'esprit.

Ces quelques brèves explications ne veulent pas dire que vous


pouvez vous dispenser de conseils individuels. Vous devez consulter
un enseignant qualifié possédant une connaissance générale correcte
du sujet.

La méditation peut signifier beaucoup de choses différentes -


(1) "Ma~amudra, the quintessence of mind and meditation" Lobsang P. Lhalung-
pour certains, la méditation a beaucoup à faire avec des visions, des pa, publzshed by Shambala. '

124 125
Le mahamouâra et l'union innée

Des quatre écoles bouddhistes tibétaines, l'école Kagyupa est


celle qui met le plus l'accent sur la méditation. C'est la lignée
qui véhicule l'enseignement de Milarépa, son talent dans cette prati-
que préservée sans endommagement.
Les Kagyupa pratiquent le mahamoudra, les Nyingmapa le maha-
ati, mais en réalité c'est la même chose et seuls les termes diffèrent.

Le mahamoudra
Que signifie le mot mahamoudra ? Littéralement, maha veut dire
grand, indiquant que cette méthode de méditation est la plus haute
et la plus bénéfique. Moudra, comme beaucoup de mots sanscrits, a
plusieurs significations. Parfois, il veut dire sceau, parfois acte, parfois
signe. Dans ce contexte, il signifie sceau, le sceau d'approbation du
Bouddha, sa garantie que rien ne peut transcender cette méthode,
qu'il n'y a rien de plus profond ou de meilleur la surpassant.
La tradition Kagyupa reconnaît trois sortes de mahamoudra, qui
correspondent aux besoins et aux capacités des différentes personnes.

La première utilise une approche philosophique, car elle est étroi-


tement liée au Madhyamika, le point de vue du grand véhicule.
C'est une manière d'accéder au mahamoudra paisiblement et gra-
duellement.

127
LA PRATIQUE LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

La formation commence par l'entraînement au calme mental, confiance stable dans l'esprit du pratiquant, qui conduit celui-ci à la
d'abord en utilisant une image mentale, puis sans, l'esprit demeurant compréhension du mahamoudra. Dans le mahamoudra tantrique, le
en lui-même. On poursuit par la méditation d'investigation, utilisant pratiquant s'en remet à des méditations sur des déités et à des prati-
de façon répétée la conscience intelligente de l'esprit pour examiner ques yogiques. Mais ici rien de tel n'est nécessaire.
la vraie réalité de la situation. Ensuite, le lama montre la nature de L'enseignant est éveillé et le disciple est prêt à s'éveiller. C'est la
l'esprit au disciple quand il sait que celui-ci est en état de reconnaî- reconnaissance directe de l'esprit par l'esprit, celui-ci méditant direc-
tre ce qu'on lui montre. Cela peut se faire après quelques mois de tement sur le résultat plutôt que de traverser de nombreuses étapes.
pratique, ou quelques années. Cette méthode du mahamoudra est Le disciple peut reconnaître son esprit et ses manifestations sans
basée sur les soutras mahayana et constitue une voie lente mais sûre dépendre d'aucune des méthodes précédentes, simplement parce
pour parvenir à l'éveil. que quelqu'un le lui montre : en cet instant, son intelligence éveillée
reconnaît ce qui lui est montré. Pour certains, la reconnaissance est
Il existe une autre forme de mahamoudra issu des soutras, qui est
instantanée.
l'exclusivité de l'école Kagyupa et fut présentée par Gampopa. Celui-
Le mahamoudra essentiel a été enseigné par Saraha dans son
ci montra comment associer soutra et mahamoudra en un chemin
"Trésor de chants", et par Tilopa et Milarépa. C'est une méthode très
très direct, en s'affranchissant des restrictions imposées au pratiquant
profonde, supérieure à tout autre. On trouve l'équivalent dans l'au-
de la voie tantrique qui doit préserver une multitude d'engagements
delà-de-l'intellect (blo. 'das.) du maha-ati et dans les pratiques des
sacrés (samayas). phénomènes-qui-s'épuisent ( chos.zad).
L'enseignement originel du Bouddha sur ce sujet est enregistré
dans le Samadhirajasutra. On peut y lire comment le Bouddha prédit
Ces trois aspects du mahamoudra en font une voie très habile, car
la venue de Gampopa qui présenterait et répandrait cette méthode
elle permet que même une personne aux qualités spirituelles très
exactement, conduisant ainsi des milliers d'êtres vers l'éveil.
peu élevées soit peu à peu conduite vers les niveaux plus profonds
Plus tard, lorsque Gampopa commença à enseigner cette _voie,
de la pratique.
on dit que même les daims sortirent de la forêt, se couchèrent à terre
et écoutèrent, comme ils le firent lorsque Shakyamouni enseigna
pour la première fois dans le Parc aux Gazelles.
S'unir à l'inné
Le second type de pratique du mahamoudra se rapporte spécifi-
i
.1

quement aux tantras. On reçoit l'initiation, on médite sur le corps de La réalisation du mahamoudra est aussi connue comme l'union in-
la divinité et son mandala, et on récite son mantra. L'esprit est puri- née (lhan.cig.skye.'byor), ce qui signifie que l'on apprend à unir son
fié et transformé par ces symboles créés mentalement, ce qui esprit avec la réalité innée.
conduit à des pratiques telles que les six yogas de Naropa, qui sont On découvre la réalité innée en trois aspects de l'expérience
conçues pour achever cette transformation et ont pour résultat la présente : la réalité innée de l'esprit, celle des pensées et celle de la
reconnaissance du mahamoudra. manifestation.
Cela correspond aux méthodes de méditation treg-tcheu et
tcheu-gal du maha ati. La réalité innée de l'esprit

La troisième sorte de mahamoudra est le mahamoudra essentiel, Ceci fait référence à l'essence véritable de l'esprit qui est présente
et n'a rien de commun avec aucune des deux précédentes. en chaque instant de l'esprit, raison pour laquelle on la qualifie
Dans la voie du Madhyamika, un examen approfondi établit une d'innée. Cette essence n'est pas une forme, un son, une odeur, une

128 129
LA PRATIQUE LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

saveur ou un contact ; elle n'a pas de couleur, elle n'est ni agréable L'union au monde signifie que l'on doit s'unir à la réalité innée
ni désagréable. Elle n'est ni matérielle ni solide, c'est juste une grande affirmée dans les trois cas ci-dessus. La plus importante est l'union
clarté vide et connaissante. avec la réalité innée de l'esprit. Une fois que celle-ci est réalisée, les
deux autres ont lieu automatiquement et naturellement.
Cela signifie qu'il faut maîtriser le véritable esprit - cette clarté
La réalité innée de la manifestation vide non-obstruée. Ainsi, lorsqu'il se projette, on le suit et l'on
devient capable de réagi.!: aux informations confuses qu'il donne. Il
Parce que l'esprit est sans entrave, il peut projeter toutes sortes de faut apprendre à reconnaître la réalité naturelle de l'esprit, et lors-
choses, organisant un grand spectacle. Mais ses manifestations sont qu'on y parvient, "l'esprit" devient "conscience originelle".
fondamentalement irréelles. On peut facilement reconnaître cette
tendance de l'esprit lorsqu'on rêve. La faculté dépourvue d'entrave L'esprit ne doit être ni borné et somnolent, ni agité et sauvage. Il
de l'esprit fait que l'on trouve des maisons, des personnes, des riviè- demeure lui-même, et non quelque chose fondé sur les informations
res, des montagnes des rochers, des arbres, etc. : tout est possible reçues de l'extérieur. Etablissez-vous naturellement dans le véritable
dans un rêve. Cependant la montagne dans le rêve n'est pas une esprit et regardez-le simplement, détendu. Ne le forcez pas à rester
montagne réelle, mais l'esprit lui-même. tranquille en utilisant des moyens artificiels ou agressifs. Toutes les
La même chose s'applique au monde dans lequel vous vous pensées grossières et subtiles disparaîtront d'elles-mêmes. Lorsqu'elles
trouvez à l'état de veille. Aussitôt nés comme êtres humains, vous sont parties, l'esprit se reconnaît mais ne fait pas de saisie sur lui-
vous êtes mis à penser, à parler et à voir les choses comme un être même. C'est le début de l'union innée.
humain. Votre esprit communique avec le monde humain. Mais, de Une fois que vous pouvez y rester sans perturbations, cette quali-
lui-même, ce monde n'a pas de réalité intrinsèque qui le distingue té de l'esprit devient d'elle-même de plus en plus claire. Son déve-
de l'esprit qui communique avec lui. Tout est seulement la manifes- loppement est sans limite ; on ne peut pas dire à un moment :
tation de l'esprit, et n'a par conséquent pas plus de réalité qu'un "Maintenant, je suis parvenu au bout". On ne peut l'exprimer avec
rêve. Telle est la réalité innée de la manifestation. des mots ou en donner un exemple, car rien en ce monde n'y res-
semble. Aucune bouche humaine n'est capable d'exprimer son
déploiement infini.
La réalité innée de la pensée
Aussi longtemps que l'esprit s'impliquera dans ses manifestations,
La pensée se situe entre l'esprit qui est à l'intérieur et son illusion diverses pensées seront stimulées par les objets à l'extérieur :
à l'extérieur. C'est la communication de l'esprit, la réponse qu'il agréables et désagréables, colère, attachement et indifférence,
apporte à l'information qu'il reçoit de ses propres manifestations. Les grandes et petites. Les pensées sont l'esprit, mais ressemblent à des
pensées sont en constant mouvement, leur nombre correspondant bulles dans l'eau.
au nombre de contacts qu'a l'esprit avec le monde projeté extérieu-
rement. Mais les pensées elles-mêmes n'ont aucune réalité indépen- Pour vous unir à la réalité innée de la pensée, commencez par
dante, elles sont comme des bulles d'eau, apparaissant fugitivement formuler une pensée particulièrement évidente, facile à reconnaître.
du fait des conditions, et repartant ensuite de la même façon lorsque Par exemple : 'Je souhaite avoir beaucoup d'argent ... " Regardez-la
les conditions changent. directement. Continuez à la regarder. Regardez son essence. Si vous
Si l'on examine l'essence de la pensée passagère, on trouve la ne le faîtes pas, l'attachement provoquera la multiplication apparente
clarté vide et inobstruée de l'esprit. L'essence de la pensée est de la pensée et son changement de forme, plusieurs pensées
l'essence de l'esprit. Telle est la réalité innée de la pensée. complémentaires apparaissant autour du même sujet. Mais si vous

130 131
LA PRATIQUE LE MAHAMOUDRA ET L'UNION INNÉE

regardez l'essence de l'idée de posséder un million de dollars, elle


se changera en l'esprit. La pensée est transformée en essence de Quatre conseils
clarté vide. La bulle se dissout dans l'eau, signifiant vraiment que la Je terminerai par quatre maximes traditionnelles qu'il est bon de
bulle est devenue eau. garder en l'esprit lorsqu'on pratique :
Comment cela se produit-il ? La pensée qui s'est formée et l'esprit
partagent les mêmes qualités. Vous n'avez pas détruit cette idée ; Ne vous fiez pas aux personnes connues,
vous avez pénétré sa nature. Vous n'avez pas apporté ces qualités fiez-vous au dharma.
pour les adapter à la pensée, vous n'avez pas détruit la pensée pour Si vous avez tendance à vous laisser tout d'abord impressionner
la remplacer par ces qualités : la pensée possède naturellement ces par une personne et à placer le dharma au second rang, vous ren-
qualités, et vous vous êtes introduits dans leur réalisation. contrerez le mauvais enseignant. Choisissez quelqu'un qui connaît le
dharma. Si vous donnez la première importance au dharma, vous
Si vous vous habituez à faire cela, chaque pensée deviendra le rencontrerez le bon enseignant.
dharmakaya, la sphère de la réalité ultime. Si l'on n'a pas consciénce
des pensées, elles restent un océan d'existence cyclique, tournoyant - Ne vous fiez pas aux mots, fiez-vous à leur signification.
constamment et nous distrayant. Mais si l'on réalise la vraie nature il existe beaucoup de textes longs et savants tels que l'Abhidharma,
d'une pensée, pourquoi ne pas faire de même pour toute la chaîne et certaines personnes se contentent d'en apprendre le contenu par
des pensées ? Dans l'école Kagyupa, telle est la méthode du maha- coeur, et même font étalage de leurs talents. Un tel savoir n'est pas
moudra pour devenir bouddha en un seul instant, si l'on a cette mauvais en lui-même, mais la signification est plus importante que
chance. les mots. Un enseignant qui n'a accompli aucune pratique peut
expliquer le dharma, mais il serait bien plus profitable pour lui de le
C'est la plus difficile des trois, mais lorsqu'on a réalisé la réalité pratiquer. Sans connaissance de la signification, on ne deviendra
innée des pensées, on réalise facilement la nature-de-l'esprit de la jamais un bouddha.
manifestation. Il est enseigné que la manifestation n'est que l'esprit
et que rien n'existe indépendamment de l'esprit, mais lorsqu'on mé- - Ne vousfiezpas au sens simplifié,fiez-vous au vrai sens.
dite, il est vain et douloureux de réaliser cela à partir de la manifes- Dans certains de ses enseignements, le Bouddha a exposé une
tation présente, à moins que l'on ait déjà réalisé la réalité innée à la version simplifiée de la réalité, destinée à ceux qui sont incapables
fois de l'esprit et de la pensée. Lorsqu'on est pleinement conscient d'accepter la vraie vérité. Par exemple, il y a des soutras dans les-
de la nature de l'esprit et de la pensée, on réalise comment l'esprit quels il a déclaré que les choses existent par convention, car certains
projette ses manifestations et en fait l'expérience. de ses disciples ne pouvaient alors accepter l'idée de la vacuité
absolue de tous les phénomènes. Même dans le vajrayana, on trouve
Ce sont de très brèves instructions, mais elles constituent une clé ces deux niveaux : l'emploi du symbolisme créatif (kye-rim) est la
très utile pour ouvrir la porte du mahamoudra. réalité simplifiée, alors que la perfection de ce symbolisme (dzog-rim)
est la vraie réalité. Allez au vrai sens quand c'est possible.
- Ne vous fiez pas à la conscience fragmentaire,
fiez-vous à la conscience originelle.
C'est le sujet de cet ouvrage. Vous savez maintenant précisément
quelles sont ces deux consciences et comment méditer de façon à
ce que l'esprit change de façon d'être!

132 133
i
~
.

.,
1 .

Glossaire

Les définitions font référence au traité et n'excluent pas d'autres


significations relatives à des contextes différents.

accumulation: (l'accumulatio:q pe~mérite) elle est réalisée par l'accu-


mulation d'actes bénéfiques au niveau relatif. Elle crée les
conditions favorables pour l'accumulation de sagesse non
référentielle au-delà des notions de sujet, d'objet et d'acte.
Celle-ci s'accomplit par l'absorption méditative. La nature
de l'accumulation de mérite est compassion, la nature de
l'accumulation de sagesse est vacuité, de la réunion des
deux résulte l'éveil.

· actes : (karma) loi des actes, ou loi de la causalité. Fondement de


la doctrine bouddhiste qui considère l'enchaînement des
causes et des effets comme. le mode de fonctionnement de
toute manifestation. Le conditionnement éprouvé par un
individu résulte de ses actes antérieurs, son devenir est
déterminé par son comportement. présent. C'est l'acte qui
est à la fois cause et résultat.

actions vertueuses et non-vertueuses : actes qui déterminent


respectivement une expérience ultérieure de bonheur ou de
souffrance. Les dix actions vertueuses sont la base de l'éthique
bouddhiste. Elle consiste à s'abstenir des dix actes non-
vertueux : tuer, voler, l'inconduite sexuelle, tromper, mentir,
les paroles dures, les paroles futiles, l'envie, la malveillance,
les vues erronées.

135
LES DEUX VISAGES DE L'ESPRIT GLOSSAIRE
'l

activité : (terme honorifique en langue tibétaine) expression natu- bouddha : éveil, être éveillé. En tibétain "Sangyé" : le Tout Pur,
relle et spontanée de la bouddhéité, l'activité éveillée qui exempt de souillures et de négativités, et le Tout Epanoui,
accomplit le bienfait des êtres. ayant parachevé toutes les qualités.

alaya vijnana (conscience base de tout): nom de la conscience de causes et conditions : elles déterminent la production, la présence
base, support de l'identification illusoire au "moi" et de la et la disparition de tous les phénomènes sur le plan relatif.
saisie dualiste. La loi de causalité s'explique par la production interdépen-
dante des phénÔmènes (voir interdépendance et dharma).
aliénation: état de dépendance de l'esprit, soumis à l'influence des
projections mentales confuses. champs purs : Terres pures, sphères de manifestation produites
par un bouddha ou de grands bodhisattvas, appartenant à
apparence : synonyme de manifestation. Tout le champ de l'expé- l'au-delà du monde conditionné. Elles sont exemptes de
rience perçu par l'esprit (mondes, êtres, situations) doit être toutes souillures et dites pures.
compris comme la projection de l'esprit lui-même.
chemin : terme aux significations multiples. C'est la voie de déve-
arhat: destructeur de l'ennemi. Nom donné, dans le petit véhicule, loppement spirituel, la pratique. Les cinq chemins sont les
à celui qui s'affranchit du cycle de l'existence en triomphant moments successifs de la réalisation spirituelle, incluant
de l'ennemi, la saisie égoïste. l'ensemble des étapes de la voie.

bardo : expérience intermédiaire entre deux états. De manière cittamatra : école philosophique bouddhiste du grand véhicule,
usuelle, ce terme désigne l'état connu par la conscience pour laquelle toute manifestation est le produit de l'esprit et
après la mort et avant la renaissance. de lui seul.

bénédiction: (voir grâce). clarté: nature de l'esprit, elle est l'irradiation naturelle, qualité
innée de l'esprit qui projette et connaît simultanément la
beun : nom de la religion prébouddhique du Tibet. On distingue manifestation.
entre Beun blanc, positif et utile, et Beun noir, utilisant
magie et sorts pour des résultats négatifs. compassion : motivation et attitude du bodhisattva qui souhaite
libérer tous les êtres de la souffrance et de ses causes. La
bienfaits : les deux bienfaits sont les buts réalisés dans l'éveil. Le nature de l'éveil est la grande compassion, indissociable de
bienfait de soi-même est l'obtention du dharmakaya. Le l'essence de vacuité, propre à toute manifestation.
bienfait des autres est la manifestation des corps formels,
sambhogakaya et nirmanakaya. conceptualisation : activité discursive du mental confus qui se sur-
impose au mouvement naturel de l'esprit et en trouble la
bodhicitta : esprit d'éveil, la pensée et l'activité altruiste qui sont lucidité.
les causes de l'éveil ultime d'un bouddha.
..\
conditionnement: (ou classe d'existence) type d'expérience carac-
bodhisattva: l'être qui engendre et pratique l'esprit d'éveil visant à téristique d'un groupe d'êtres dans l'existence cyclique.
l'accomplissement du bienfait des êtres, sans implication égoïste. Traditionnellement, la roue des existences dépeint six mondes

136 137
i
LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT
GLOSSAIRE
Î
~ ou conditionnements, ceux des enfers, des esprits avides,
des animaux, des humains, des titans et des dieux.
dualité : représentation confuse de la réalité, issue de la conscience
ordinaire qui sépare le sujet de son expérience de celle-ci.
La connaissance partielle est fondée sur la notion d'un sujet
confusion: état de l'esprit non éveillé, soumis à l'illusion du fait de
et d'un objet, comme existant séparément et intrinsèquement.
son ignorance.

cycle de l'existence : succession des morts et des renaissances écoute : première phase de cheminement spirituel qui consiste
dans le monde conditionné. Synonyme : samsara (voir ce à recevoir des ,instructions sur le dharma et à étudier ses
terme ainsi que "conditionnement"). enseignements.

dharma : 1. phénomène, toute manifestation animée ou inanimée éléments : 1. Les cinq éléments constitutifs du corps physique et du
perçue comme objet de connaissance. monde extérieur sont la terre, l'eau, le feu, l'air et l'espace.
2. science religieuse ou philosophique en général. 2. Dans le vajrayana, l'élément signifie la nature fondamen-
tale d'éveil présente en tout être.
saint dharma : la loi, la voie, la doctrine du Bouddha, qui explique
la nature des phénomènes entité: soi, ego, expression de la croyance en l'existence de l'indi-
vidu, des phénomènes, d'un dieu ou d'un démiurge,
dharmadhatu : sphère des phénomènes, espace primordial omni- pourvus d'une réalité indépendante, indivisible et définitive.
présent et sans limite, non-né, immuable, matrice dynamique C'est le propre des positions non bouddhistes. Une école
en laquelle s'élèvent, se déploient et disparaissent tous les bouddhiste est définie par la réfutation de la croyance en
phénomènes. l'existence de telles entités.

dharmata : le ça des phénomènes, l'essence immuable, réalité de éveil: réalisation spirituelle, but et obtention de ce but dans une
tous les phénomènes. voie donnée, synonyme de libération. Le bouddhisme fait
référence à deux types d'éveil. Dans le petit véhicule, l'éveil
dharmakaya : corps de vérité, esprit illuminé du Bouddha, incondi- est l'état d'arhat ou libération individuelle · dans le
tionné et non-formel. Ce terme décrit aussi la réalisation de grand véhicule, l'éveil est l'état de bouddha ou g;ande libé-
cet esprit primordial dans l'éveil. ration, ou encore insurpassable éveil.

esprit d'éveil: (voir bodhicitta).


divinité: expression de l'éveil et support de méditation par lequel
cet éveil est approché. Dans l'hindouisme, les divinités sont
expérience (survenant au cours de la méditation) : obtention
conçues comme dotées d'une existence intrinsèque. Ce
méditative transitoire et de caractère dualiste (voir réalisation).
n'est pas le cas dans le bouddhisme où l'essence de la divi-
nité est identique à l'esprit du pratiquant, c'est-à-dire non
extrêmes : ou vues extrêmes, positions philosophiques reposant sur la
existante et non séparée.
croyance à l'existence des phénomènes ou à leur non-exis-
tence, appelées aussi respectivement étemalisme et nihilisme.
domaines d'extension: ensemble des éléments constituant l'expé-
rience sensorielle. Par exemple, les formes, l'œil et la cons-
félicité: nature de l'état d'éveil ou nirvana, en opposition à la souf-
cience visuelle pour la vue, et ainsi de suite.
france, nature du samsara ou expérience conditionnée.

138
139
LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT GLOSSAIRE

fixation: crispation de l'esprit sur une saisie mentale qui l'assujettit kaya: corps d'éveil résultant de l'obtention de l'état de bouddha.
à la perception dualiste. Les trois ou quatre corps d'éveil sont : le dharmakaya, le
sambhogakaya, le nirmanakaya et le svabhavikakaya (voir
fruit: résultat, produit d'une activité (par exemple, le fruit du karma). ces termes).
C'est également la réalisation d'une voie spirituelle (par
exemple l'état de bouddha). lama: (voir maître spirituel).

grâce : qualité particulière de la transmission spirituelle, personni- libération: affranchissement du cycle de l'existence conditionnée.
fiée par le maître dont les bénédictions (litt. vagues de (Syn. nirvana: au-delà de la souffrance).
splendeur) permettent au disciple d'accéder à une compré-
hension supérieure. grande libération: état d'éveil omniscient du Bouddha.

hinayana : véhicule inférieur du bouddhisme, basé sur une ap- madhyamaka (ou madhyamika): voie médiane, école philoso-
proche réaliste de la nature des phénomènes et sur une phique bouddhiste qui se situe à l'écart de toutes les posi-
motivation personnelle. Le pratiquant cherche la libération tions extrêmes d'affirmation ou de négation de l'existence
individuelle, il réalise l'absence d'entité de la personne et et de la non-existence de toute chose. Elle appartient au
atteint l'éveil de l'arhat. Les souffrances et leurs causes, les grand véhicule.
passions, sont détruites, mais le voile de la connaissance
intégrale subsiste. mahayana : grand véhicule, approche du bouddhisme, fondée sur
la compréhension de l'absence d'existence intrinsèque des
ignorance: état fondamental de l'esprit conditionné qui ne reconnaît phénomènes et sur une motivation altruiste. Le pratiquant
pas sa nature essentielle. vise à l'accomplissement du bienfait de tous les êtres, sans
souci de sa propre libération et, par là-même, il réalise
iUuswn : nature de toute expérience, de toute manifestation, com- l'éveil ultime, l'omniscience du Bouddha.
prise comme projection de l'esprit. Etat de l'esprit qui saisit
cette manifestation comme réelle et étrangère à lui-même.
maître spirituel : gourou, lama. Guide qualifié de par sa connais-
sance, son expérience ou sa filiation spirituelle, pour trans-
interdépendance: loi de l'origine et de la production des phéno-
mettre un enseignement et conduire les pratiquants à la
mènes. Ces derniers n'apparaissent pas d'eux-mêmes, mais
réalisation de cet enseignement.
en dépendance de causes agissant en interaction. Le cycle
des naissances et des morts a été décrit par le Bouddha
comme les douze liens d'interdépendance. manifestation: (voir apparence).

instructions orales : enseignement transmis directement au disciple mantra: parole d'éveil, formule sonore destinée à protéger l'esprit
par le maître qui, du fait de son expérience, explique le des distractions, à purifier les obscurcissements de la parole,
sens correct de la doctrine et l'expose en fonction des qualités et à réaliser la parole éveillée sous la forme du sambhoga-
du pratiquant. kaya. (voir visualisation et mudra).

karma: (voir actes). mantrayana: (voir vajrayana).

140 141
GLOSSAIRE
LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

méditation : exercice consistant à accoutumer l'esprit à une per- omniscience : connaissance générale et particulière de tous les
ception plus large et plus précise de la réalité jusqu'à ce phénomènes et de tous les êtres, dans le temps et l'espace.
qu'elle soit vue directement. La méditation est la phase ultime Vision directe et simultanée de la vérité ultime et de la vérité
de la pratique et représente l'intégration définitive de la relative, résultant de l'élimination complète de tous les voiles
compréhension, acquise par l'écoute et la réflexion. et du parachèvement de l'éveil.

méthodes, moyens : ensemble des techniques qui, combinées à la pacification mentale (ç_hiné): apaisement de l'agitation et de la
suprême connaissance, conduisent à l'éveil. confusion mentales, issues des manifestations émotionnelles.
La pacification des poisons mentaux conduit à la stabilité
mudra : geste, symbole. 1. geste symbolique accompagnant un de l'esprit et à la vision pénétrante qui en perçoit directe-
rituel, expression physique d'une séquence de méditation ment la nature. Techniques de méditation conduisant à ce
développée dans l'esprit. 2. nom des attributs des divinités résultat.

:.'
'
'
du vajrayana. 3. expression symbolique désignant la mani-
festation telle qu'elle apparaît à la conscience purifiée. paramitas : vertus transcendantes, pratiquées par le bodhisattva,
conduisant à l'éveil ultime par l'accomplissement du bienfait
1
~
nirmanakaya: corps d'émanation, l'un des corps formels, expres- des êtres. Les six pararnitas : générosité, conduite morale, tolé-
rance, ardeur, absorption méditative et sagesse.

1
sion de la réalisation du plein éveil. Manifestation illusoire
. de la compassion de l'être éveillé s'incarnant sous toutes
formes (humaines, animales, etc.) pour guider les êtres à la passions: (voir poisons mentaux).
'
. libération. Par exemple, le bouddha Shakyamouni est un
~ phase de création, phase de perfection : les deux moments de
nirmanakaya.

1
~ la méditation tantrique bouddhiste. La phase de création
. consiste à méditer sur l'aspect d'une divinité, conçue comme
'. nirvana : l'au-delà de la souffrance, libération du cycle des renais-
manifestation illusoire. La phase de perfection est une mé-
. sances conditionnées, état de félicité et de quiétude. La simple
ditation informelle sur l'essence vide de toute manifestation.

~1.
délivrance du samsara est appelée nirvana partiel ; l'éveil du
Les écoles non bouddhistes pratiquent seulement la phase
Bouddha est défini comme "nirvana sans demeure", car il em-
' de création d'une divinité tenue pour réellement existante,
brasse toute manifestation conditionnée et non conditionnée.
~ à laquelle le méditant s'identifie dans une perspective réaliste.
non-né, non-produit : caractéristique ultime de l'esprit comme
n étant au-delà de l'existence et de la non.:existence, dépourvu
poisons mentaux (passions): distorsions de l'esprit, nées de la
1 de commencement, de présence et de fin, non conditionné,
saisie dualiste dans laquelle l'esprit ne reconnaît pas sa
~ indépendant de causes et de conditions.
propre expression et se trouve séparé de cette dernière. Les

~
cinq poisons : désir-attachement, haine-aversion, ignorance-
indifférence, orgueil et jalousie ; ils sont la dimension impure
1 non-vertu: le contraire des dix actions vertueuses (voir actes).
des cinq sagesses.
~~. obscurcissements : voiles issus de l'activité confuse qui empêchent
la reconnaissance de la nature de l'esprit et des phénomènes. qualités : attributs et pouvoirs des bouddhas et des bodhisattvas,
Ce sont : le voile des passions, le voile du karma, le voile par lesquels s'exprime leur activité bienveillante envers tous
des tendances fondamentales, et le voile du connaissable. les êtres. .

143
142
lES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT GLOSSAIRE

réalisation : phase ultime de l'intégration du chemin spirituel samkhya: ensemble d'écoles religieuses, parmi les plus représen-
transcendant l'expérience (voir ce terme) dualiste. Vision non tatives de la pensée hindoue, qui se sont développées en
duelle, non intellectuelle et définitive de la réalité, obtenue plusieurs branches et expressions. Le yoga de Patanjali est
par la maîtrise de l'absorption méditative. (voir samadhi). une des plus célèbres et des plus classiques d'entre elles.

réflexion : étape intermédiaire de la pénétration spirituelle, qui samsara : devenir, mode conditionné, cycle dans lequel s'opèrent
consiste à analyser les termes de l'enseignement, pour par- morts et renaissances, constitué des six mondes. (voir
venir à une conviction définitive, en éliminant les doutes. conditionnement).
(voir écoute, méditation).
sangha: le troisième Joyau du refuge, la communauté spirituelle,
refuge: protection contre la souffrance des états conditionnés, ma- guide des êtres vers la libération.
nifestée par les trois Joyaux : Bouddha, Dharma, Sangha
(voir ces termes). On devient bouddhiste en prenant refuge skandha : agrégat, composé. Eléments constitutifs du moi physico-
en cette trinité. psychique. Les cinq skandhas : forme, sensation, perception,
volition, conscience.
sagesse : sous ce terme sont généralement exprimés deux aspects :
"shérab" (prajna), connaissance suprême, compréhension souffrance: nature de l'esprit conditionné et caractéristique de sa
juste de tous les phénomènes, par la vision de l'essence de projection, le monde samsarique.
vacuité ; "yéshé" (jnana), connaissance primordiale, qui est
conscience, connaissance intégrale et activité non duelle. soutra (ou sutra) : ensemble des enseignements exotériques du
Les cinq sagesses : expressions distinctes de cette connais- Bouddha formant avec le Vinaya (discipline) et l'Abhidharma
sance agissante. (phénoménologie), les 'trois Corbeilles". Les soutras sont
les discours du Bouddha sur l'entraînement spirituel et la
saisie : opération mentale qui conceptualise le mouvement naturel méditation.
de l'esprit (les pensées) en l'investissant d'une réalité.
svabhavikakaya: corps essentiel, quatrième corps d'éveil, conçu
saisie dualiste: séparation de l'esprit d'avec ses projections, intro- comme représentant l'inséparabilité des trois autres.
duisant les notions de sujet et d'objet.
tantra : enseignements ésotériques, reposant sur une transmission
samadhi: absorption méditative. Par la maîtrise des différents samadhis, initiatique, comportant des techniques de réalisation spiri-
les souillures et les voiles de l'esprit ordinaire sont progressi- tuelle spéciales qui accélèrent la maturation de l'esprit.
vement purifiés et les réalisations successives sont obtenues.
telléité: état ultime des phénomènes et de l'esprit "tels qu'ils sont"
sambhogakaya : corps de perfection des qualités. Corps formel en réalité, au-delà de la perception dualiste.
d'éveil manifestant la forme pure pourvue de toutes les
qualités de l'éveil. Il correspond à la dimension pure de la tendances: prédispositions de l'esprit nées de l'accumulation des
parole. C'est l'aspect de communication de la compassion actes antérieurs (synonyme : empreintes karmiques). L'accom-
grâce auquel les bodhisattvas des Terres supérieures sont plissement d'actions vertueuses crée des tendances positivës et
guidés jusqu'à l'éveil ultime. ces dernières permettent en retour une activité positive accrue.

144 145
GLOSSAIRE
LES DEUX VISAGES DEL 'ESPRIT

Terres d'éveil : degrés de la réalisation spirituelle traversés par voiles : voir obscurcissements.
l'être qui s'est libéré de l'existence conditionnée, jusqu'à
l'obtention de l'éveil ultime. vue: approche théorique d'une proposition philosophique, à
partir de laquelle se développe une pratique, constituée de
traité (sastra): commentaires compilés par les grands maîtres indiens la méditation et de la conduite, et dont dépend le fruit ou
ou tibétains, classifiant les enseignements du Bouddha, afin obtention.
de les rendre plus accessibles, et d'en exposer le sens correct.
yoga : union. Techniques d'union avec l'état ultime de la réalité en
vacuité: essence de tous les phénomènes et de l'esprit. Ceux-ci relation avec le corps (visualisation, postures physiques), la
sont dépourvus d'existence intrinsèque, mais néanmoins parole (récitation de prières et de mantras) et l'esprit (foca-
manifestés. Tous les phénomènes· sont l'union de la vacuité lisation et absorption méditative). Ces méthodes permettent
et de l'apparence, ce que rend la formule célèbre : "le vide la purification de la conscience ordinaire de ces trois plans,
"'t est la forme, la forme est le vide, il n'est d'autre vide que la l'unification du corps, de la parole et de l'esprit, dans leur
forme, il n'est d'autre forme que le vide." dimension ultime. Dans le bouddhisme, ces dimensions
sont les trois corps d'éveil : le nirmanakaya, le sambhoga-
vajra {dordjé): "diamant-foudre" ou "diamant". Nature adamantine, kaya et le dharmakaya (voir ces différents termes).
indestructible de l'esprit, au-delà de la création et de la
cessation, donc éternel et immuable. Le vajra désigne aussi
l'instrument rituel utilisé lors des cérémonies du vajrayana.

vajrayana : véhicule de diamant ou mantrayana (véhicule des


mantras secrets). Développement particulier du mahayana
incluant les méthodes tantriques de réalisation spirituelle
permettant l'obtention de la bouddhéité en une seule vie et
un seul corps.

,vérités (les deux vérités) : les deux aspects de la réalité décrits


dans le rnahayana. La vérité relative est la nature illusoire de
tous les phénomènes et la compréhension juste de leur exis-
tence à travers la production interdépendante. La vérité ultime
est l'essence vide de la manifestation, la non-existence fonda-
mentale. La réalité des phénomènes (dharmata) est l'interpé-
nétration des deux vérités ne s'excluant pas l'une et l'autre,
mais s'impliquant mutuellement. Les phénomènes sont simul-
tanément manifestation illusoire et essence vide (voir vacuité).

visualisation : technique de méditation qui consiste à imaginer le


corps d'une divinité et son environnement afm d'élever l'esprit
à la conscience d'une dimension pure de la réalité.

147
146
Table des matières

Préambule .......................................................................................... 5
Introduction..................................................................................... 11

LA CONSCIENCE PARTIEUE ............................................................... 13

L'esprit, source de la confusion et de la non-illusion........ 15


Les points de vue extérieurs ................................................................. 15
-L'approche non-théiste ................................................................. 16
-L'approche théiste ......................................................................... 20
La distinction entre les pratiques tantriques bouddhistes
et non-bouddhistes ......................................................................... 23
- Les systèmes matérialistes ............................................................ 24
- Les systèmes chamanistes noirs ................................................... 25
Les critères de distinction entre les approches bouddhistes
et non-bouddhistes ......................................................................... 27
Les points de vue intérieurs ................................................................. 29
- Les quatre sceaux du bouddhisme .............................................. 29
- Les systèmes du petit véhicule .................................................... 30
Les Vaibhasikas ......................................................................... 31
Les Sautrantikas ........................................................................ 32
- L'approche du grand véhicule ..................................................... 35
Les deux vérités ....................................................................... 37
La relation entre la vérité ultime et la vérité relative :
non identité, non différence .................................................... 38
LES DEUX VISAGE5 DEL 'E5PRIT

L'apparence née de l'esprit ........................................................ .43 Le calme mental .............................................................................. 97


La posture ............................................................................................ 97
L'esprit non-né ................................................................................ 49 Ut"!"
z zser un pozn ,r,-
. t d e reJerence: 1 - un obl)et . .... ......... .. ... ...................... 98
Utiliser un point de référence :
Les huit consciences,
2-l'amour et la compassion ............................................................... 99
causes et conditions de la confusion....................................... 53 Somnolence et agitation .................................................................... 102
Le mental ........................................ :.................................................... 58 Etre attentif et vigilant ....................................................................... 104
- Le mental immédiat ...................................................................... 58 Méditer sans point de réference .· ....................................................... 105
- Le mental aliéné ........................................................................... .59
La conscience base de tout ................................................................. 60 La me'd"t . pene
z atwn - 'trante ......................................................... 107
Procéder à l'exament de l'esprit ........................................................ 109
LA CONNAISSANCE PRIMORDIAlE .................................................... 65 Les résultats acquis ... ............ ..... . ...................... ........ ...... ......... ......... 112
Suite de l'examen -La pratique principale ...................................... 113
Les cinq chemins ...................................... :..................................... 69 Utiliser comme pratique les six états émotionnels ............................ 114
- L'ignorance .................................................................................. 115
Le chemin de l'accumulation. ............................................................ 69
-La colère ...................................................................................... 116
Le chemin de l'unification .............................. :.................................. 72
-La chaleur ................................................. :.................................... 72 - Le désir-attachement .................................................................... 116
-L'orgueil jaloux ........................................................................... 116
-La cime .......................................................................................... 73
-Les vues ....................................................................................... 117
- L'endurance ................................................................................... 73
-Le suprême phénomène ............................................................... 74 -Le doute ...................................................................................... 118
Le chemin de la vision ..................................................................... :.. 74 Expériences .................................................................................... 121
Le chemin de la méditation ................................................................ 75
Le chemin où il n y a plus à apprendre ............................................. 75 Conseils à propos des expériences ..................................................... 121
Les expériences méditatives ............................................................... 122
Les cinq sagesses .............................................................................77 - La félicité ..................................................................................... 122
La sagesse semblable au miroir .......................................................... 79
- La clarté ....................................................................................... 123
-La vacuité .................................................................................... 123
La sagesse de l'identité ........................................................................ 79
La sagesse de la simultanéité .............................................................. 81
Le mahamoudra et l'union innée ......................................... 127
Le sambhogakaya, corps des qualités paifaite ................................. 84
La sagesse toute accomplissante ......................................................... 85 Le mahamoudra ............................................................................ 127
La sagesse du dharmadhatu ............................................................... 87 S'unir à l'inné ............................................................................... 129
- La réalité innée de l'esprit... ............................................................ 129
- La réalité innée de la manifestion .................................................. 130
LA PRATIQUE ...................................................................................... 89 -La réalité innée de la pensée ......................................................... 130
Quatre conseils .................................................................................. 133
Introduction .................................................................................... 91
L'esprit maintenant ............................................................................. 92 GLOSSAIRE ........................................................................................ 135

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