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Toute à toi
Timothy Beresford est l'un des multimilliardaires les plus en
vue de la planète : jeune et insolemment beau, il est à la tête
d'une fleurissante entreprise et s'investit dans
l'humanitaire. Sa fortune fait des envieux, sa société est en
danger, et il ne peut faire confiance à personne, à l'exception
de Mila Wieser, une jeune et ambitieuse avocate d'affaires,
qui sera prête à remuer ciel et terre pour l'aider.
Entre les deux jeunes gens, le coup de foudre est immédiat
et une relation torride s'installe. Mais Timothy n'est pas un
homme simple, et l'apprivoiser semble tout aussi complexe
que déjouer le complot qui vise ses actifs. Heureusement,
Mila est d'une ténacité hors pair.
Découvrez l'univers sensuel et trépidant Anna Chastel !

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Egalement disponible et téléchargeable dans votre
magasin :

Mr Fire et moi
La jeune et jolie Julia est à New York pour six mois. Récep-
tionniste dans un hôtel de luxe, rien de mieux pour parfaire
son anglais ! À la veille de son départ, elle fait une rencontre
inattendue : le multimilliardaire Daniel Wietermann, alias
Mister Fire, l'héritier d'une grande marque de joaillerie.
Électrisée, elle va se soumettre à ses caprices les plus fous et
partir à la rencontre de son propre désir... Jusqu'où sera-t-
elle prête à aller pour réaliser tous les fantasmes de cet
homme insaisissable ?

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Love U
Quand Zoé Scart arrive à Los Angeles pour retrouver son
amie Pauline et qu'elle se retrouve sans portable, sans ar-
gent et sans adresse où aller suite à la perte de ses bagages,
elle n'en revient pas d'être secourue par le beau Terrence
Grant, la star de cinéma oscarisée la plus en vue du moment
! Et quand quelques jours plus tard Terrence rappelle Zoé
pour lui proposer de travailler comme consultante française
sur son tournage, elle pense vivre un rêve. D'autant que
l'acteur ne semble pas insensible aux charmes de la jeune
fille…
Mais l'univers de Hollywood peut se montrer cruel, et les
apparences trompeuses. À qui peut-on se fier ? Et qui est
réellement Terrence Grant ?

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Beautiful Paradise
Solveig s'apprête à vivre un nouveau départ, direction les
Bahamas, l'île de Cat Island, où son excentrique tante pos-
sède des chambres d'hôtes. Soleil, plage de sable fin et
palmiers, c’est dans ce cadre paradisiaque que Solveig ren-
contre le multimilliardaire William Burton, et le coup de
foudre est immédiat ! Un univers merveilleux s'offre alors à
la jeune Parisienne. Seule ombre au tableau, le mystérieux
jeune homme cache quelque chose, son passé est trouble.
Entre un irrépressible désir et un impalpable danger, la
jeune fille acceptera-t-elle de suivre le beau William ? A-t-
elle seulement le choix ?
Découvrez la nouvelle série de Heather L. Powell, une saga
qui vous emportera au bout du monde !

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Les désirs du milliardaire


Découvrez la nouvelle romance de June Moore, qui dépeint
avec délicatesse les aventures amoureuses de la jolie Lou et
de son mystérieux milliardaire…

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Lisa Swann
ADORE-MOI !
Volume 1
1. Nouveau départ

– Miam, succulent ton cheesecake, maman, dis-je en


tendant mon assiette pour qu’elle m’en resserve une autre
part.

Ma mère, en plus d’être une superbe brune dont j’ai la


chance d’avoir récupéré quelques miettes de beauté et de
talent artistique, est un sacré cordon-bleu.

– Heureusement qu’il n’y a que le poids des bagages qui


soit limité dans l’avion, marmonne mon père, qui a toujours
un irrésistible humour pince-sans-rire.

Je lui fais une grimace ; il me répond par un sourire


malicieux, et ma mère paraît se tendre quand elle me pose
la question qu’elle m’a déjà posée cent fois en un mois.

– Ton vol est direct, c’est ça ?

Je ne pars que dans deux semaines, mais mon départ


paraît tellement angoisser ma mère qu’elle ne peut s’em-
pêcher de s’attacher à ce genre de détails.
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– C’est ça, maman, je décolle à 10 h 30, dis-je rap-
idement, mais je sens que tout ça te rend très nerveuse et je
n’ai pas envie d’au revoir tendus et larmoyants. Je com-
mence une nouvelle vie, je ne pars pas à la guerre.

Malgré son air peiné, je sens bien que ma mère a envie


de me faire plaisir, qu’elle est fière de moi aussi ; mes par-
ents me le disent assez. Comme mon père me jette un petit
regard d’avertissement, je me reprends :

– Maman, je ne veux pas que vous vous inquiétiez. J’ai


tout planifié. Tu sais que je ne pars pas à l’aventure. J’aurai
un toit, je serai avec Saskia. J’ai des contacts professionnels
là-bas, et je ne pars qu’avec un visa de six mois. Je ne dis-
parais pas à tout jamais.

Le problème est très simple et prend de l’envergure à


mesure que mon départ approche : moi, Anna Claudel,
25 ans, je pars dans deux semaines à New York, dans le
quartier de Williamsburg, à Brooklyn plus précisément. Je
ne pars pas pour un voyage d’agrément, mais pour une nou-
velle vie, la tête pleine de projets. Je m’installe avec mon
amie Saskia, artiste dans l’âme, à qui une galerie d’art de
Brooklyn offre une résidence artistique : un an de créations
et de projets financés. Quant à moi, c’est l’occasion de me
lancer dans la grande aventure américaine pendant une
période de six mois, que j’espère renouveler. Pendant que
Saskia se consacrera à son œuvre, je perfectionnerai mes
talents personnels, l’écriture et le dessin, et j’espère bien me
faire une place dans le monde du journalisme outre-
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Atlantique. Que du positif en somme, si ce n’est l’accueil
mitigé de mes parents. De ma mère surtout.

Pourtant, elle a grandi à Philadelphie ; elle devrait être


heureuse que je m’installe dans son pays natal – ma mère
est américaine, ce qui explique que je suis naturellement bi-
lingue, passant d’une langue à l’autre sans y penser – et sur-
tout que je me serve de certains talents qu’elle m’a transmis.
Ma mère a toujours peint.

Quand on lui demande ce qu’elle fait dans la vie, elle ré-


pond immanquablement : « Rien ». Ce qui a le don d’agacer
mon père, parce que c’est loin d’être vrai. Alors non, ma
mère n’a jamais travaillé au sens conventionnel du terme,
mais quelle discipline dans son art ! Enfant, j’étais fascinée
de la voir levée avant toute la famille, déjà dans son atelier.
Je l’admire vraiment ; elle réussit tout ce qu’elle touche,
mais c’est comme si elle refusait de l’admettre. Alors elle se
contente de donner des cours et assure qu’elle s’en satisfait.

De ma mère, j’ai pris l’habitude de tout « croquer », un


carnet toujours à portée de mains. À la place de la trousse à
maquillage « classique », j’en ai toujours une remplie de
matériel dans mon sac à main. Fusains, crayons, aquarelles
de poche, feutres… j’ai tout à disposition, et mes amis ont
pris l’habitude de me voir griffonner pendant que nous dis-
cutons. Le résultat peut être comique !

– Anna ? Tu me réponds ? me demande mon père.


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Euh, là, je griffonnais justement deux silhouettes
féminines dans une étreinte affectueuse, une mère et une
fille.

C’est parfois difficile pour moi de parler, et je sais que


ma mère comprend ce genre de langage. Comme mon père
comprend aussitôt que je ne l’ai pas écouté – dans la famille
Tête-en-l’air, je voudrais la fille ! –, il me répète en
soupirant :

– Vous avez trouvé une solution pour l’appartement


avec Saskia ?
– Oui, oui, dis-je, soulagée de pouvoir les rassurer. La
galerie a cherché un appartement avec une chambre de plus,
et je paie le supplément par rapport à la location initiale-
ment prévue, si Saskia avait dû louer un appartement seule.
Pas besoin de carte verte, ni d’ennuis avec des proprios, tout
passe par la galerie qui offre la résidence à Saskia.
– Très bien, murmure mon père.
– J’ai ma lettre de recommandation pour le magazine
What’s Up et ma rédac’ chef m’a assurée qu’elle pourrait
m’avoir des piges à Esquire. Mais le must du must, c’est
quand même que le Elle américain a intégré sur son site un
lien vers mon blog. Ils en ont même parlé dans une parution
du mois dernier. Du coup, la fréquentation de mon site a
terriblement augmenté !

Mon père sourit devant mon enthousiasme.


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– On sait que tu vas réussir, Anna ; on a confiance en
toi. N’est-ce pas, Jane ? dit-il en posant une main sur celle
de ma mère.

Je sens bien qu’elle cache son chagrin, mais je suis


grande, je vais m’en sortir !

– Oui, on est fiers de toi, ma chérie, murmure-t-elle.

Je lui fais glisser mon petit croquis que j’ai agrémenté


de cœurs. Un peu puérils, certes, mais qui en disent long sur
l’amour que j’ai pour elle. Elle le regarde avec émotion.

– Bon, mon seul souci, c’est de caser la visite de


Churchill chez le véto avant le départ, ajouté-je pour
détendre l’atmosphère.

Mes parents prennent une mine ahurie.

– Churchill ? demande mon père.


– Oui, mon nouveau chat, celui que j’ai adopté quand
j’ai fait mon article sur les animaux de compagnie pour
célibataires.

Maman fait la moue et ferme les yeux.

– Avais-tu besoin de t’embarrasser d’un animal alors


que tu ne sais même pas ce que sera ta vie là-bas ? Sans
compter les formalités, Anna, dit-elle.
– Rien de rien, pas de quarantaine ; mon futur collègue
de bureau a un pedigree et des papiers en bonne et due
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forme. Je croise juste les doigts pour qu’il ne chope pas un
rhume avant le départ…
– J’aurais plutôt pensé que ton souci allait être de dire
au revoir à Jonathan, commente mon père, mais je crois
comprendre que l’adoption de ce Churchill implique que tu
te considères déjà comme une célibataire endurcie ayant be-
soin d’un animal de compagnie.

Quel finaud, mon papa qui sent tout…

– Oui et Jonathan, comment va-t-il ? surenchérit ma


mère.

En quelques mots, Jonathan a été mon petit ami


pendant ces deux dernières années. À vrai dire, il a plus été
mon ami tout court que mon petit ami, et ça, dès le début.
Nous nous sommes rencontrés à l’école de journalisme. Son
père possède un journal quotidien local en Écosse, et j’ai-
mais beaucoup l’humour de Jonathan, son côté un peu far-
felu. J’avais surtout l’impression que Jonathan me com-
prenait. Il a été d’une grande indulgence pour mes
habitudes un peu déroutantes, et notamment la capacité
que j’ai de me plonger dans un autre monde pendant des
heures, durant lesquelles je ne fais qu’alterner entre écriture
et dessin. Le principal souci avec Jonathan, c’est donc plutôt
qu’il a toujours été un très bon copain et que nous avons fait
l’erreur de croire que cela suffisait pour construire une rela-
tion amoureuse.

Quand j’y pense, ça n’a jamais été la flamme entre nous.


On est devenus amants, mais ça n’a jamais été vraiment
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passionné. Au lit, c’était comme dans la vie, on s’entendait
et on rigolait bien, mais je ne suis pas sûre que ce soit l’en-
droit idéal pour se payer des crises de fous rires. Et puis sur-
tout, Jonathan n’a plus paru me comprendre quand j’ai
commencé à évoquer, l’an dernier, mon envie d’aller vivre
aux États-Unis. Il y a même eu un sacré couac entre nous.
C’est à ce moment-là que j’ai réalisé qu’il nous avait con-
cocté un joli petit avenir à deux avec professions assurées
par papa, maison en Écosse, mariage et bambins à la clé.
Autant nous envoyer directement en maison de retraite !
Très peu pour moi, merci.

Alors, progressivement, j’ai fait comprendre à Jonathan


que ce plan sur la comète s’arrêtait là pour nous deux, que
c’était chacun notre route et vogue la galère !

Je frime, je n’ai jamais dit ça… Pas mon genre de faire


du mal !

Non, j’ai pris mes distances, et nous avons beaucoup


discuté. Mais, avec Jonathan, je me demande parfois si trop
discuter ne tue pas la discussion. À force de parler, le vif du
sujet devient une sorte de concept abstrait, comme dans une
émission de télévision où les invités débattent d’un sujet
qu’ils ne connaissent pas vraiment. Pour résumer, il y a
deux mois, j’ai rompu avec Jonathan, mais, à deux semaines
de mon départ, Jonathan semble vouloir occulter notre rup-
ture et nourrir le fol espoir que je ne parte pas… C’est
d’autant plus douloureux que je n’ai aucune envie qu’on se
dispute et j’aspire sincèrement à le garder dans ma vie
comme ami.
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Je sais, c’est horrible de dire cela à un homme quand
on rompt, mais c’est vrai !

Pour couronner le tout, mes parents adorent Jonathan,


qu’ils trouvent sympathique, simple et stable. Ce qui est vrai
aussi ! Je me vois mal leur expliquer que mon traversin me
fait plus d’effet que celui qu’ils voyaient déjà comme leur
gendre…

– Jonathan va bien, dis-je. Enfin, il irait mieux si je ne


m’en allais pas. On a déjà eu cette discussion cent fois et je
ne veux pas nier la peine que je lui fais, mais je crois que
c’est mieux ainsi.

Mes parents hochent la tête comme s’ils n’avaient pas le


choix. Je consulte discrètement ma montre. Il est presque
16 heures. Je vais devoir les quitter pour rentrer à Paris.

Dans l’entrée, j’ai droit aux dernières recommandations


pour les préparatifs, puis ils me serrent fort dans leurs bras.
C’est une répétition de ce qui va se passer dans deux se-
maines à l’aéroport, sauf qu’il y aura certainement plus de
larmes.

Je referme la grille du pavillon de la banlieue parisi-


enne en meulières, la maison où j’ai grandi. Mes parents
sont sur le perron ; mon père tient ma mère par la taille, et
ils m’envoient tous les deux un baiser de la main. Je leur ré-
ponds de la même manière et file, tête baissée, la gorge ser-
rée vers la gare.
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Dans le RER, j’observe les gens et le décor extérieur, je
dessine quelques postures et ambiances en imaginant ce
que je verrai dans quelques semaines quand j’emprunterai
les transports en commun new-yorkais. Mon cœur se met à
battre et j’en oublie un peu la tristesse éprouvée à m’éloign-
er de mes parents.

Métro, escaliers, rue, je débouche place des Abbesses et,


là, à quelques mètres de l’entrée de mon immeuble, j’aper-
çois Jonathan planté devant la porte. En me voyant ap-
procher, il cache maladroitement derrière lui un bouquet de
fleurs.

Bien entendu, cela me fait plaisir de le voir. Je suis tou-


jours contente de discuter avec lui. Ce qui m’ennuie, c’est
qu’il va peut-être falloir tout réexpliquer depuis le début…

Je me penche pour lui faire la bise. Il a l’air tout désem-


paré, comme si le fait que je l’embrasse sur les joues allait le
faire se désintégrer.

– C’est sympa de passer me voir, dis-je. J’étais chez mes


parents. Ils t’embrassent. Ça fait longtemps que tu attends ?
– Non, non, mentit-il.
– Tu montes boire un thé ? lui proposé-je.
– Ben, c’est-à-dire que, tu sais, je suis allergique aux
poils de chat et, avec ton nouveau colocataire…

J’aurais voulu le faire exprès que je n’aurais pas pu


mieux faire…
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– Je t’offre un verre au café du coin alors ? dis-je en l’at-
trapant par le bras pour l’entraîner.

Comme Jonathan est embarrassé par son bouquet alors


que nous marchons, il finit par me le donner en bafouillant
à nouveau.

– Comme tu t’en vas bientôt, j’ai pensé que tu pourrais


profiter des fleurs avant ton départ, dit-il.
– C’est gentil ça, merci, réponds-je négligemment.
– Ça n’est pas ce que tu crois, hein ? ajoute-t-il aussitôt.
Je n’espère plus rien. C’est juste que j’avais envie de te faire
plaisir.

Le problème de Jonathan, c’est qu’il est intelligent mais


très émotif. Aussi, il sait très vite ce que je pense, mais se
dévoile tout aussi rapidement, en affirmant le contraire en
général.

Au café, il me pose des questions sur mon déménage-


ment, mes projets, le quartier où nous allons habiter avec
Saskia, toutes ces choses qu’il sait déjà mais qu’il a besoin
d’entendre encore une fois pour que mon départ devienne
réel. Je réponds à toutes ses questions, je l’aide à confirmer
notre rupture, le fait que nos routes vont se séparer. C’est
important d’accompagner l’autre dans une rupture, enfin,
c’est ce que je pense.

– Tu seras le bienvenu si tu veux venir nous voir, tu


sais, lui dis-je.
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Mais je sais ce qu’il pense de Saskia, une fille trop ex-
ubérante à son goût, imprévisible et surtout trop entrepren-
ante avec les hommes.

– Même si tu ne viens pas seul, ajouté-je en me filant


intérieurement une gifle.

Ça n’est pas de très bon goût, mais c’est sincère. J’es-


père vraiment qu’il trouvera quelqu’un, et je serais contente
de rencontrer cette personne. Nous nous quittons pour le
moment en nous embrassant comme des amis de longue
date. Je me doute bien qu’il trouvera un moyen de venir me
souhaiter bon voyage une dernière fois.

À peine mets-je le pied dans l’immeuble ancien où je vis


que j’entends le vacarme très lyrique qui gronde derrière la
porte du premier étage où habite mon cher ami et voisin
Gauthier. Je frappe à sa porte, avant de rejoindre mon petit
appartement au second. Une, deux, quatre fois, évidem-
ment, avec ce boucan, il ne doit pas m’entendre. Je teste la
poignée, la porte est ouverte, comme toujours.

Dans le salon, la musique est tellement forte que j’en


deviens presque sourde et qu’il m’est difficile de m’orienter.
Comme je suppose que le tintement métallique que j’en-
tends ne fait pas partie de la partition de La bohème de Puc-
cini, je me dirige vers la cuisine.

Me tournant le dos, ce grand brun de Gauthier dirige un


orchestre imaginaire, une cuillère en bois à la main, dont il
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assène par moments de petits coups sur des casseroles ac-
crochées à un râtelier.

– En voilà une manière pas banale de jouer de la


baguette, monsieur le chef d’orchestre ! lui dis-je en hurlant
presque.

Gauthier se retourne d’un coup et me répond sans per-


dre le fil de la musique des mouvements de sa cuillère en
bois :

– Il faut être un peu partout, madame, les percussions


sont ce que je maîtrise le mieux. Tiens, tu m’as apporté des
fleurs ? s’étonne-t-il.
– C’est Jonathan qui vient de me les offrir.

Gauthier fait une petite moue ennuyée et me dépasse


pour aller baisser le volume de la musique.

– D’autre part, ton colocataire n’a pas forcément la


classe anglaise que laisserait augurer son nom. Il a miaulé,
que dis-je, hurlé une bonne heure en début d’après-midi,
dit-il en m’agitant sa cuillère sous le nez.

Il faut juste s’accoutumer, Gauthier parle comme ça. Il


fait des phrases bien tournées, mais parfois, il dit aussi des
choses très détestables.

– Churchill doit s’habituer à sa nouvelle maison. Sois


un peu indulgent…
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– À sa nouvelle maison pendant deux semaines encore,
oui. Tu veux un thé, Anna ?

Je refuse en agitant la tête.

– Comment s’est passé ce repas dominical en famille al-


ors ? me demande Gauthier en me tendant une plaquette de
chocolat noir que je ne refuse pas.

Nous allons dans son salon où je lui raconte ma


journée, le déjeuner chez mes parents, leurs questions et
leurs inquiétudes, puis ma rencontre avec Jonathan devant
l’immeuble. Je fixe devant moi le portrait à l’encre que j’ai
fait de Gauthier, son profil racé et sa bouche rieuse.

– Moi aussi, je suis fier de toi, Anna, me dit mon ami en


me serrant très vite dans ses bras. Je suis heureux pour toi,
heureux de vous rejoindre bientôt aussi, Saskia et toi. Si
tout va bien, je m’installerai à New York dans deux mois.
Vraiment, j’ai hâte, mais je suis encore plus heureux que tu
me débarrasses de ce monstre à pedigree qui braille dès que
tu sors. On n’est pas à la SPA, merde ! dit-il avec son ton
Madame-de-Rothschild que j’adore et qui nous fait éclater
de rire.

Dès que j’entre dans mon appartement, la musique


reprend de plus belle à l’étage du dessous. Churchill, mon
British shorthair de 6 mois, qui pèse le poids d’un gros chat
adulte, se couche sur le dos devant mes pieds pour que je lui
gratte le ventre, puis, quand il en a assez, se relève et se
lance dans une tirade de miaulements sans fin qui m’est
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adressée, sans aucun doute, étant donné qu’il me fixe de ses
yeux dorés diaboliques.

Je repense à l’article que j’ai écrit : « Le mâle British


shorthair se caractérise par une forte tendance à moduler
ses miaulements à votre attention, de sorte que vous avez
véritablement l’impression qu’il a des choses à vous ra-
conter. À conseiller à celles qui ont besoin de parler en
rentrant du bureau. ». Et il était tellement mignon celui-ci,
chez l’éleveur que j’avais interviewé, cette grosse boule de
poils qu’un client avait rapportée car il était allergique aux
poils de chat… Je n’ai pas pu résister.

– Quoi ? ! Ce truc à poils t’a coûté 800 euros ? ! s’était


exclamé Gauthier quand je l’avais rapporté à la maison.
– Mais non, je t’ai dit qu’il valait 800 euros ! lui avais-je
répondu.
– Tu sais quoi ? On n’a qu’à le revendre et on va à
l’opéra tous les soirs de la semaine prochaine !

Gauthier a un humour assez proche de celui de mon


père, mais en plus fou et plus bruyant.

Churchill continue son monologue.

– Oui, moi aussi, mon gros, lui dis-je en essayant de le


dégager de mes pattes quand mon portable sonne dans mon
sac.

C’est Saskia.
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– Hello ! What’s up, ma belle ? Ça s’est passé comment
avec tes parents ? On sort ce soir ? J’ai un super plan.

Je vous présente Saskia, qui parle plus vite que son


ombre et tire dix cartouches de sujets de discussion à la
seconde. Ma méthode, c’est de mémoriser et de répondre
dans l’ordre en essayant de garder le rythme.

– Hello ! Je rentre juste. Très bien. Je suis partante.


C’est quoi ?
– Je te dirai tout à l’heure. Je me débarbouille de toute
la peinture que j’ai sur moi, je me fais belle et j’arrive !
2. Sortir ce soir

Se débarbouiller de la peinture que Saskia a sur elle,


cela peut prendre du temps. Je prends donc le mien pour
me préparer, sous l’œil attentif de Churchill. C’est fou
comme ce que je fais paraît tout d’un coup important à tra-
vers le regard d’un gros chat anglais qui fait du lard toute la
journée. Quand je lui demande si telle tenue me va – une
mini-jupe en jean, un leggings en coton fin aux motifs gris
ton sur ton, un débardeur, un tee-shirt fluide qui dénude
mes épaules, et des ballerines de danse vernies rose bonbon
–, il me répond ! Cet animal est mieux qu’un Furby !

Presque deux heures plus tard, après un coup strident à


la sonnette, Saskia entre de son pas empressé. On a toujours
l’impression qu’elle marche par grand vent, un peu penchée
en avant, qu’elle fend un air qui serait solide.

Saskia, grande fille à peine plus âgée que moi, m’a ac-
costée quatre ans plus tôt lors d’une expo, en me demand-
ant si elle pouvait peindre ma peau. Entendez, peindre sur
ma peau. J’ai accepté. Ce fut une expérience étonnante ; j’ai
découvert l’œuvre de Saskia et trouvé une amie.
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On ne pourrait pas trouver moins assorties que nous
deux : Saskia est grande, toute en muscles et en membres
secs, alors que je suis plutôt du style poupée de porcelaine,
aux formes bien proportionnées. Saskia arbore une longue
tignasse blonde qu’elle malmène dans des coiffures
sauvages, et moi, une coupe mi-longue brune, artistique-
ment décoiffée. Elle a des yeux sombres, et les miens sont
verts tachetés de doré. Saskia parle et rit fort, fait de grands
gestes et ne passe jamais inaperçue, tandis que j’essaie
d’être aussi discrète que possible et me retrouve toujours un
peu embarrassée quand un homme pose un regard curieux
sur moi. Pourtant, nous avons le chic pour nous retrouver
habillées dans les mêmes tons ou le même style, bien que
Saskia y ajoute toujours sa touche de folie. À l’image de ce
soir, où sa tenue diffère à peine de la mienne. Son haut est
largement décolleté et ses stilettos multicolores lui donnent
plus d’une tête de plus que moi.

Elle se pose sur le tabouret devant ma table à dessin.

– Tu as encore de la peinture dans les cheveux, lui fais-


je remarquer.

Et elle est parfumée à la térébenthine…

– Pas grave, dans le noir, ça ne se verra pas, répond-


elle.
– Alors, quel est le programme ?
– Je te raconte. Il m’est arrivé un truc dingue hier soir.

Il ne lui arrive QUE des trucs dingues !


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– Je faisais cette performance dans une galerie avec ces
musiciens un peu barrés qui jouaient de la musique expéri-
mentale pendant que je peignais dans le noir, en dansant,
avec des couleurs fluo. Dingue…
– Et ?
– Et dans le public, il y avait ce type très… comment
dire… très à part. Un grand brun avec des lunettes et un
bouc, les cheveux hyper-longs. Il est venu me voir à la fin de
la performance. C’est un Américain. Il est bassiste. Il joue
avec son groupe ce soir au Duc des Lombards.

Tandis qu’elle me parle, elle fixe Churchill, assis de dos


sur le rebord de la fenêtre.

– Tu sais que ce chat ressemble à une grosse poire


velue. Tu es sûre que tu l’emmènes à New York ? S’il contin-
ue à grossir comme ça, il va occuper toute une pièce.

Je soupire.

– Je pars à New York avec Churchill, dis-je. Non,


rectifié-je, je suis déjà à New York avec Churchill !

J’attrape ma besace.

– Donc c’est au Duc des Lombards qu’on va, si j’ai bien


compris, dis-je. Et sans aucune arrière-pensée, n’est-ce
pas ? Juste pour le plaisir d’écouter de la musique…

Quelques stations de métro plus tard, nous nous ret-


rouvons devant l’entrée du Duc des Lombards. Par cette
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soirée de juillet, le public est autant sur la terrasse en coin
de rue qu’à l’intérieur. Une foule branchée, hétéroclite, qui
va du jeune étudiant au producteur quinquagénaire et sa
clique de belles femmes apprêtées. Pas vraiment ma tasse
de thé cette ambiance confinée et très tape-à-l’œil. Encore
moins cette sorte de jazz sirupeux joué par des musiciens
quinquagénaires dans la salle de concert du sous-sol.

Je jette un regard à Saskia une fois à l’intérieur.

– Ne me dis pas que c’est…


– Non, non, me coupe Saskia, ce n’est pas son groupe.
Ils jouent juste après.

Nous commandons un verre, et Saskia vide le sien d’un


trait pour aller se faufiler au travers des auditeurs jusqu’à la
scène au moment où le groupe suivant, les 3 Points Circle,
est annoncé. Je reste en retrait, debout contre un mur, pour
siroter tranquillement mon jus de fruits.

Les quatre musiciens s’installent sur scène. Je repère


aussitôt celui qui intéresse mon amie, pas vraiment étonnée
qu’elle ait jeté son dévolu sur le plus atypique des quatre, un
homme maigre et élancé aux mains et aux bras puissants,
qui joue de la basse d’un air paisible, avec un petit sourire
intérieur. De loin, je vois la tignasse de Saskia qui se balance
presque aux pieds de l’homme…

La musique est plaisante et plus rythmée, après la


mélasse mille fois entendue du groupe précédent. C’est une
sorte de rock-blues, un peu jazzy, principalement musical,
35/139
avec quelques interventions vocales d’un guitariste qui me
captive aussitôt. Je ne dois d’ailleurs pas être la seule à être
captivée ! Il est tout simplement… charismatique. Il n’en ra-
joute pas pour attirer l’attention, mais c’est impossible de ne
pas le voir. Habillé sobrement d’une chemise noire, large-
ment déboutonnée au col, sur un torse que je devine divine-
ment sculpté, et d’un jean slim foncé.

Non mais n’importe quoi, il faut que je me calme !

On ne voit que lui ! Son visage bien dessiné à la


mâchoire carrée, son sourire effilé quand il chante les yeux
fermés, ses yeux pâles (bleus, verts ou gris ?) quand il re-
garde droit vers la foule, ses cheveux châtain clair, assez
courts mais ébouriffés. Il bouge élégamment, on sent qu’il
prend du plaisir à ce qu’il fait.

Et moi à le regarder…

Je regarde autour de moi et constate que je ne suis pas


la seule sous le charme. Les visages féminins sont tournés
vers lui, un sourire rêveur aux lèvres. Perdue au milieu de
ces admiratrices, je me laisse, moi aussi, envoûter avec un
même sourire ravi. Le groupe alterne les morceaux rythmés
avec d’autres plus apaisants et magiques, où l’on sent que
chacun improvise de manière inspirée.

Surtout ce superbe guitariste…

Je reste fascinée tout au long de leur set. Ma peau se


couvre de chair de poule quand le guitariste se lance dans
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un solo ou lorsqu’il fredonne tout simplement d’une voix
chaude, un rien éraillée. Je frissonne et me trouve stupide à
avoir l’impression que c’est à moi qu’il s’adresse quand il
parle de sentiments amoureux. Voilà un homme qui donne
envie de contacts. C’est certainement un type inaccessible et
dangereux qui doit profiter de ses charmes. Je secoue la
tête. Je ne suis pourtant pas une midinette, mais, là, il faut
bien l’avouer, ce type me rend le corps chaud et me retourne
complètement.

Quand ils disparaissent de scène, je cherche Saskia des


yeux sans la trouver. Elle a sans doute dû aller retrouver son
bassiste en coulisse. Loin de moi l’idée de la rejoindre, au
risque de tomber sur ce beau guitariste et me ridiculiser…

Le public se disperse et je m’assieds au fond de la salle à


une table où je ne connais personne et personne ne me re-
marque. J’ai ce don pour la discrétion et pour passer inaper-
çue… Je sors mon carnet de croquis de mon sac et me mets
à griffonner automatiquement jusqu’à ce que je me rende
compte que je suis en train de dessiner le portrait du guitar-
iste de mémoire et à en couvrir toute une page du carnet.

Si c’est comme ça, autant me laisser aller…

Je tourne la page et le « croque » en pied dans les atti-


tudes qui se sont imprimées dans ma tête. Puis, de nouveau
son visage, son sourire, son regard, ses épaules… je suis
vraiment absorbée par mes croquis quand une main se pose
sur mon épaule.
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– Are you Saskia’s friend ?

Je lève la tête vers la voix masculine qui vient de s’ad-


resser à moi et… je reste bouche bée, le feutre pointé dans le
vide, le souffle coupé. C’est lui, le guitariste, comme s’il
venait de prendre vie des pages de mon carnet.

Il faut que je parle ! Il faut que je retrouve ma voix !

– Vous êtes l’amie de Saskia ? redemande-t-il, cette fois


en français avec un accent à tomber par terre.

J’arrive tout juste à balbutier « Oui, yes I am », pour lui


faire comprendre que, bon sang, je suis bilingue, non ? !, et
je lui demande en anglais où se trouve mon amie.

– Elle est en coulisse avec nous. Elle m’a demandé de


venir te chercher. Tu viens ?

Il a compris le message et est repassé à l’anglais de sa


voix juste un peu rauque – automatiquement, je l’entends
me tutoyer. Cette langue a du bon, elle rend les gens plus
proches –, et là, il m’attend, debout, à quelques centimètres
de moi. Personne ne pourrait résister à ce beau sourire ou
refuser son invitation.

– Tu dessinais ? demande-t-il en baissant les yeux sur


mon carnet.

Et sur tous ces portraits de lui !


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Je referme brusquement le carnet sur mes genoux. Il a
un petit sourire amusé et ses yeux brillent d’une curiosité
ravageuse.

Il les a vus ! Il a vu mes dessins de lui !

Je me mets à trembler. Il faut que je me lève. Ce que je


fais d’un coup tout en forçant ma voix :

– Je te suis, dis-je en avançant franchement, l’air


faussement déterminé.

Je fais deux pas qui me coûtent, les jambes flageolantes,


sous son regard toujours amusé.

– Tu ne prends pas ton sac ? me dit-il.

Merde ! J’ai bien mon carnet et mon feutre à la main,


mais j’ai laissé ma besace accrochée au dossier du fauteuil.
Je fais un brutal volte-face, rouge jusqu’à la racine des
cheveux, et je percute une fille avec son verre. Elle recule
d’un pas, et c’est l’enchaînement des dominos : elle bouscule
un des types qui étaient assis à la même table que moi, lui
renverse son verre sur la chemise, le type se lève d’un bond,
entraîne la table dans le mouvement et tous les verres se
répandent sur les genoux de tous ceux assis autour… et sur
ma besace qui gît par terre maintenant que mon fauteuil
vide a, lui aussi, basculé. Les victimes s’énervent, le ton
monte, on comprend très vite qui est l’origine de la cata-
strophe et je me retrouve énergiquement prise à partie.
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Et il intervient… comme mon sauveur. Il s’interpose,
calme le jeu, pose une main apaisante sur le bras du type tr-
empé, calme les piaillements des filles maculées et propose
de payer une tournée à la table. Pendant ce temps,
accroupie par terre, j’essuie tant bien que mal ma besace
dégoulinante.

Bien joué, Anna ! Franchement, si tu voulais passer


pour une cruche et te ridiculiser, tu n’aurais pas pu mieux
faire…

De nouveau, sa main se pose sur mon épaule.

– Ça va ? me demande-t-il.
– Oui, oui, bafouillé-je en me relevant. Ce n’est pas
grave, c’est juste un sac, hein… Merci.
– Allez viens, me dit-il en me prenant la main et en
m’entraînant derrière lui dans la foule.

Ma main dans la sienne, c’est presque une expérience


mystique… comme si, soudain, je prenais conscience d’avoir
un corps, une peau, le sang qui bat dans mes veines. Le
point de contact de nos deux mains me paraît brûlant
comme de la lave. Je déglutis et, les jambes en coton, je le
suis. Mais il s’arrête presque aussitôt et se tourne vers moi :

– Au fait, moi, c’est Dayton. Et toi ?

Il me tient toujours la main. Je la sens chaude et élec-


trique contre ma peau. Encore une fois, je perds tous mes
moyens, comme si j’étais devenue amnésique et avais oublié
40/139
jusqu’à mon prénom. Mes lèvres restent closes et ses yeux
bleu clair ne me quittent pas. Il incline la tête sur le côté,
sourit légèrement en fronçant les sourcils.

– Hé, tu es sûre que ça va ? me demande-t-il.

Mais bon sang, réveille-toi, Anna !

– Oui, oui, c’est juste qu’il y a beaucoup de bruits et de


monde. Je ne suis pas trop à l’aise dans ce genre
d’ambiance.
– Tu n’aimes pas les concerts ?
– Ben oui, si, bien sûr !

Ma confusion le fait rire et il rejette la tête en arrière.


Mon regard reste rivé à son cou et à sa bouche qui
s’entrouvre.

– Je ne sais toujours pas comment tu t’appelles, dit-il.


– Anna, c’est Anna.
– Comment se fait-il que tu parles si bien anglais,
Anna ?
– Euh, ma mère est américaine, voilà, c’est tout simple,
balbutié-je comme une élève qu’on interroge.
– Bon, fait-il en me souriant, allons rejoindre les autres
dans un endroit moins bruyant.

Nous reprenons notre traversée de la salle, main dans la


main, moi dans son sillage, me laissant entraîner par…
Dayton. Je voudrais que ce moment ne s’arrête jamais. J’ai
l’impression de me réduire à cette main qu’il serre dans la
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sienne. Il se retourne parfois pour s’assurer sans doute que
je n’ai pas provoqué un nouveau cataclysme et me sourit. Je
ne suis qu’une poupée de chiffons ballotée au milieu de la
foule. Dayton est interpellé de temps en temps par des per-
sonnes du public qui le reconnaissent et le félicitent, échan-
gent quelques mots avec lui, mais il ne lâche jamais ma
main. J’attends patiemment, embarrassée et ne peux m’em-
pêcher de remarquer que des femmes posent des regards
dubitatifs sur nos deux mains qui se tiennent. Je ne sais
plus où me mettre et, pourtant, je ne dis rien. Je ne com-
prends toujours pas ce qu’il s’est passé entre le moment où
je suis tombée sous le charme de son apparition sur scène et
là, maintenant qu’il me tient la main. Chaque fois que nous
reprenons notre route, il m’adresse un nouveau sourire ir-
résistible. J’ai le souffle court et j’ai très chaud.

Nous parvenons enfin dans la loge du groupe et, dès


que Dayton en ouvre la porte, il est accueilli par des « Ah »
enjoués. Quand j’apparais derrière lui, les regards se fixent
sur moi. Je repère aussitôt Saskia qui lance un « Twinkle ! »
que je regrette dans la seconde où elle l’a prononcé.

– Twinkle ? me demande Dayton en haussant ses divins


sourcils.
« Twinkle », c’est le pseudo de narratrice du blog que je
tiens. J’avoue que, parfois, mes amis s’y perdent autant que
moi. C’est un verbe ou un nom, comme on veut. Au choix,
cela signifie « scintiller » ou « pétillement dans les yeux ». Il
y a sans aucun doute beaucoup de moi dans cette
« Twinkle », dans ce qu’elle pense et dans les sujets qu’elle
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aborde, mais je n’ai en rien sa répartie et sa spontanéité. En
tous cas, pas dans la vraie vie. La preuve en est que
« Twinkle » ne resterait pas livide et muette devant le beau
spécimen masculin qui vient de me poser une question.

Le bassiste – que je trouve déjà bien proche de mon


amie – se met alors à fredonner « Twinkle twinkle little
star, how I wonder who you are » (Scintille, scintille petite
étoile, je me demande bien qui tu es), et Dayton, qui me fixe
toujours, éclate de rire en même temps que les autres.

– Non, non, euh, c’est bien Anna, dis-je très vite en


lançant un regard noir à ma copine qui a déjà oublié sa gaffe
et gesticule en étant déjà passée à autre chose.

Dayton pose une main dans mon dos, toujours avec ce


sourire malicieux.

Je dois vraiment l’amuser… Moi-même, je me trouve


super-drôle !

– Je te présente ? dit-il en se penchant légèrement vers


moi.

Il dégage un parfum épicé et boisé à la fois, et son torse


n’est qu’à quelques centimètres de main.

Sent-il qu’il me trouble ? Je dois être cramoisie…

Nous nous dirigeons vers Saskia et son bassiste ; ça a


l’air de bien passer entre eux, et la joie de mon amie est
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toujours communicative. Au moins, je ne suis plus seule
avec Dayton. Pendant que ce dernier s’adresse à son copain,
Saskia roule des yeux dans ma direction en signe d’encour-
agement. Je sais que, dans son langage corporel, ça veut
dire : « Vas-y ! Attaque, qu’est-ce que tu attends ? ». Ex-
cepté que je n’attaque jamais !

Dayton se charge des présentations : Julian, le bassiste,


qui doit être magnétique vu comme Saskia est aimantée par
lui, puis le batteur et le second guitariste ; ces deux derniers
sont en grande discussion sur le programme de leur fin de
soirée. Il y a d’autres personnes qui vont et viennent dans la
loge, et je me retrouve bientôt un peu esseulée dans mon
coin, à siroter un jus de fruits que Dayton m’a mis dans la
main. Ça plaisante, ça s’interpelle, ça discute business et
musique. Des filles un peu énervées déboulent, les musi-
ciens rigolent avec elles. Je ne me sens pas trop à ma place,
mais je n’arrive pas à me décider à partir. J’échange avec
Julian et Saskia, qui est en train de lui expliquer notre im-
minent départ pour New York. Dès que nous abordons ce
sujet, je suis intarissable, et me voilà lancée dans la descrip-
tion de notre future aventure, tout en essayant d’observer
Dayton à la dérobée, mais il me surprend à plusieurs
reprises.

Un moment, je le sens s’approcher dans mon dos. Il


reste ainsi, quelques secondes, à m’écouter parler, comme
s’il hésitait à intervenir. Puis, je sens son souffle dans ma
nuque et je me raidis quand il me murmure :

– J’aimerais bien voir ce que tu dessines.


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Je rougis et me tourne vers lui. Saskia saisit la balle au
bond.

– J’adore ce que fait Anna, c’est très spontané, pris sur


le vif et juste, dit-elle.
– Ah, je ne sais pas, bafouillé-je, ce sont juste des
croquis, des illustrations pour des articles… Saskia est une
vraie artiste, elle !

Dayton ne me quitte pas des yeux. J’ai toujours le senti-


ment qu’il se retient de quelque chose, comme si ses
pensées le perturbaient. Je déglutis avec difficulté, une
boule dans la gorge. Un frisson me traverse, faisant pointer
mes seins sous mon fin tee-shirt. Je croise les bras sur ma
poitrine et tourne mon visage vers lui.

– Alors peut-être pourras-tu m’en dire plus sur


« Twinkle » ? ajoute-t-il en plongeant ses yeux clairs dans
les miens.

A-t-il seulement conscience de l’effet qu’il me fait ?

Je ne peux m’empêcher de fixer ses lèvres et son sourire


malicieux. Il s’amuse sans doute de tout cela parce que je ne
peux m’empêcher de sentir aussi une certaine distance, une
réserve dans ce regard, comme s’il se préservait de quelque
chose.

– On part boire un verre ! me lance Saskia, accrochée


au bras de Julian.
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Les deux autres musiciens assurent le rapatriement du
matériel à leur hôtel et, de toute évidence, ils ont trouvé de
l’aide auprès de cinq jeunes femmes très excitées et
bruyantes. Si bien que je me retrouve sur le trottoir, à côté
de Dayton qui, après avoir pris congé de ses acolytes, se
tourne vers moi.

– Bon, eh bien, on dirait que tout le monde nous a


lâchés, dit-il en souriant. Ça te dit qu’on se balade un peu
pour profiter de cette belle nuit ?

Je hoche la tête avant d’émettre un timide :

– Oui, d’accord.

J’ai cette pensée troublante.

Je ne peux que lui obéir.


3. Paris la nuit

Loin du public du Duc des Lombards et de l’euphorie


d’après concert de la loge, je me retrouve pour la première
fois seule avec Dayton. D’accord, nous ne sommes pas
vraiment seuls, nous déambulons dans la rue qui est encore
animée par cette chaude nuit estivale, mais, même s’il ne me
touche pas comme il l’a fait en me tenant la main une heure
plus tôt, sa proximité, son corps à quelques centimètres du
mien, alors que nous marchons lentement, me plongent
dans un embarras qu’il doit certainement sentir. J’ai la
gorge serrée et les mains chaudes. Je m’agrippe à la
bandoulière de ma besace.

– Tu voulais peut-être rentrer te coucher ? me


demande-t-il.
– Non, non, c’est une bonne idée de se promener un
peu, réponds-je avec un filet de voix.
– J’avais envie d’en savoir plus sur toi, ajoute-t-il sur un
ton qui me semble gêné, qu’on passe un moment ensemble.

Difficile de refuser une telle proposition ! Autant l’ad-


mettre, moi aussi j’ai envie de passer plus de temps avec lui.
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Jamais je n’aurais rêvé d’une situation pareille : tomber
sous le charme d’un musicien séduisant et attirer son atten-
tion. Bon sang, je ne crois toujours pas à ce qui est en train
de m’arriver. Ça ne rime véritablement à rien puisque, dans
deux semaines, je m’envole vers de nouveaux horizons.

Perdue dans mes réflexions, je me tais. Comme Dayton


est, lui aussi, silencieux, je me tourne lentement vers lui
pour l’observer, tout en marchant. Il est peut-être aussi en
train de se demander ce qu’il fait là, avec une fille incapable
d’aligner trois phrases sensées. Je découvre que, lui aussi,
m’observe. Quand il constate ma surprise, il me sourit, em-
barrassé d’être pris en flagrant délit.

– On devrait un peu se détendre, tu ne crois pas, Anna,


dit-il avec un sourire presque gamin.

À sentir son regard ainsi rivé sur moi, mon malaise re-
double. Je tire sur ma jupe, remonte mon tee-shirt sur mon
épaule et essaie de dissimuler entièrement mon visage der-
rière trois mèches de cheveux. En même temps, je ne me le
cache pas, j’ai juste envie de me jeter sur cet homme, de
poser mes lèvres sur ce sourire, de sentir ses mains re-
monter ma jupe et baisser mon tee-shirt…

Ouh là, il ne faut pas que je m'emballe !

Tout ce qui se bouscule dans ma tête, et maintenant


dans mon ventre, entre mes cuisses, rend la situation
éminemment inconfortable…
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Dayton n’a pas l’air non plus très à l’aise. Mon embarras
doit être contagieux ou pesant, je ne sais pas. Il lève la main
droite pour la passer dans ses cheveux. Mon attention est
soudain attirée par un petit détail que je n’avais pas re-
marqué jusqu’alors. Sur l’intérieur de son bras droit, un peu
plus haut que son poignet, à la lisière de sa manche roulée,
il y a un tatouage discret d’un cercle autour duquel sont dis-
posés trois points.

– Qu’est-ce que c’est ? demandé-je en approchant mon


doigt sans toucher sa peau, comme si j’avais peur de me
brûler.

Une seconde, rien qu’une, ses yeux bleus s’assombris-


sent. Il baisse vivement le bras pour que le tatouage se ret-
rouve de nouveau dissimulé sous la chemise.

– Comme de nombreux tatouages, c’est une erreur de


jeunesse, répond-il. Un truc qui n’a aucun sens particulier,
qui est juste là pour incarner le mystère. C’est aussi le nom
de notre groupe.

Oui, suis-je bête, 3 Points Circle… qui ne veut en effet


pas dire grand-chose…

La circulation est quasi-inexistante à cette heure de la


nuit. Nous croisons des groupes de jeunes qui plaisantent et
s’interpellent d’une voix forte, des couples de tous les âges
qui marchent d’un pas rapide vers une destination com-
mune ou flânent, bras dessus bras dessous, pour profiter de
la chaleur nocturne.
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Et nous, qui sommes-nous ? Un homme et une femme
qui ne se connaissent pas, qui se promènent, silencieux, à la
discussion tâtonnante. Mettons ça sur le compte de la trans-
ition entre l’effervescence du Duc des Lombards et les rues
plus calmes. Après tout, il vient de jouer avec son groupe ; il
peut tout aussi bien avoir envie de calme, juste d’une com-
pagnie apaisante et réconfortante pour une petite promen-
ade de détente… Sauf que la compagnie qu'il a justement
choisie, à savoir moi, est complètement perturbée par son
charme…

Dayton a une manière féline de se déplacer, souple mais


puissante. À l’approche de la place du Châtelet, il s’arrête
une seconde.

– On va sur les quais ? me demande-t-il, comme si cette


idée soudaine de nous retrouver entre inconnus allait nous
sortir enfin de l’embarras.

Alors que nous traversons la place, qu’il avance d’une


démarche détendue, mon cerveau carbure à toute vitesse.
Quelque chose est en train de se passer, là, maintenant ;
quelque chose que je n’ai jamais connue ; un tourbillon qui
me prend le corps et le cœur, et qui n’arrive que dans les
films qu’on regarde en se gavant de chocolat, les soirs où on
trouve que, franchement, la vie, ça n’est pas une fête fo-
raine. Par contre, depuis le début de la soirée, j’ai l’impres-
sion de passer de la grande roue aux montagnes russes. Que
penser aussi de cette chaleur dans tout mon corps, de cette
envie d’une peau que je connais à peine ? Et le fait d’être en
juillet n’a rien à voir avec tout ça !
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En bord de Seine, nous bifurquons vers le Pont Neuf.
Là, dans cet espace plus ouvert, c’est comme si nous respiri-
ons mieux tous les deux.

– Tu pars aux États-Unis bientôt alors ? me demande-t-


il.
– Oui, dans deux semaines, réponds-je en souriant, tant
cette perspective me remplit de joie.
– Pour t’y installer et travailler là-bas, c’est ça ? ajoute-
t-il.

S’il me lance sur ce sujet, il est sûr que je vais être in-
tarissable. Dans un sens, cela me permet de m’arracher de
la tension sensuelle qu’il dégage et qu’il provoque en moi.
Quand je me décide à lui expliquer mes projets, j’ai l’im-
pression de retrouver une sorte de présence.

– Oui, je suis en contact avec des rédactions de


magazines là-bas. Ma rédac chef m’a pas mal aidée, c’est
vrai ; elle croit en moi, j’ai de la chance. C’est un grand pas,
ce départ à New York ! dis-je avec un grand sourire.
– En tous les cas, rien que de l’évoquer, cela te
transforme, dit-il avec les yeux pétillant d’humour. Ça fait
plaisir de voir tant d’enthousiasme.

Un instant, je me sens un peu stupide avant de com-


prendre qu’il est sincère.

Pas de panique, on discute, là.


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– C’est vrai, continue-t-il, les gens paraissent blasés de
tout. Il y a pourtant encore des choses qui valent le coup de
s’emballer, non ? Dans tous les cas, c’est un sacré moteur,
cette énergie que tu dégages.

J’ai toujours le sourire figé de la fille contente d’être


comprise.

– Enfin, ça se sent, ajoute-t-il, comme s’il jonglait mal-


adroitement avec les mots, pendant que nous marchons
toujours lentement et que nos bras se frôlent par moments.

Une sorte de complicité s’installe entre nous dans cette


déambulation calme et, sans m’en rendre compte, je me dé-
voile. Répondant à ses questions, je parle à Dayton de ce
que j’ai entrepris et de ce qu’il me reste comme énergie à
déployer.

Avec humour et spontanéité, comme si j’oubliais à quel


superbe spécimen masculin je m’adresse. Tout y passe :
mon amitié avec Saskia, son importance dans mon projet, la
manière dont elle me stimule et celle dont Gauthier me sou-
tient et me fait rire aussi, la forte probabilité qu’il nous re-
joigne à New York, mes parents qui me couvent un peu trop
mais qui m’aiment tant, le talent de ma mère pour la pein-
ture, le chat que je viens d’adopter, le blog de « Twinkle »…

C'est n'importe quoi, pourquoi est-ce que je lui raconte


tout ça ? Il doit me prendre pour une folle…
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Je lui dis tout ! Je plaisante en livrant à Dayton des an-
ecdotes qui le font rire. Le temps de cette discussion, je suis
un peu la « Twinkle » de mon blog ; ce qui ne m’arrive pr-
esque jamais dans la vie réelle, enfin pas avec les autres.

J'en oublie même de l'interroger sur sa vie à lui mais,


chaque fois que je suis prise d'un sursaut de culpabilité et
que je lui pose une question, il esquive pour détourner le
sujet et revenir à moi. Et me revoilà à parler et à me livrer
sans pouvoir écarter la pensée que non, décidément, je n'ai
pas été élevée comme ça, que je frôle l'impolitesse à ne par-
ler que de moi ! Mais la nuit, le regard de Dayton, son atten-
tion, sa manière de me relancer chaque fois par une ques-
tion judicieuse, comme s’il voulait toujours en savoir plus
sur moi, tout cela me donne le sentiment que je peux tout
lui dire, alors que, quelques minutes plus tôt, le simple fait
de le regarder me donnait des jambes en coton.

C’est un flux ininterrompu de paroles qui sort de ma


bouche, et, certainement, un grand nombre d’inepties, mais
Dayton s’esclaffe, s’amuse. Me voilà maintenant à expliquer,
sans y parvenir vraiment, que le dessin et l’écriture me per-
mettent d’exprimer ce que je n’arrive pas à dire.

Oups, je m'embrouille là, non ?

Dayton s’arrête sur le trottoir et me fixe d’un regard


doux et profond, qui provoque aussitôt un emballement de
mon cœur.
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– Je ne voudrais pas te gêner, ni te donner l’impression
que j’insiste, me dit-il avec ce qu’il me semble être une mul-
titude de précautions, mais j’aimerais bien voir ce que tu
dessines. J’ai vu que tu avais un carnet de croquis avec toi,
tout à l’heure.

C’est reparti, je ne sais plus où me mettre, le rouge me


monte aux joues en même temps qu’une bouffée de chaleur.

– Ça n’est pas que je ne veux pas te montrer les croquis


du carnet, c’est juste que je ne pensais pas que, en dessin-
ant, je me trouverais en situation de te les faire voir. Et c’est
un peu… personnel, enfin… intime.

Je m’embourbe, et Dayton esquisse un sourire en


fronçant les sourcils d’un air amusé.

– Voilà, continué-je, pendant le concert, c’est toi que


j’ai essentiellement dessiné, comme ça, d’après ce que j’ai
observé. Je ne suis pas certaine que ça vaille le coup d’être
vu, c’est tout.
– Je ne pensais pas que ce serait aussi gênant pour toi,
comme tu dessinais au milieu du public, excuse-moi, dit-il
en posant sa main sur mon bras.

Ma voix m’échappe à nouveau. Son contact est pareil à


un sortilège qui me paralyse.

Oh et puis rien à faire, tout sera oublié demain !


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Je me jette à l’eau et fouille dans ma besace pour en
sortir mon carnet de croquis. Je le feuillette pour dévoiler
des expressions de Dayton croquées d’un trait nerveux. Des
détails qui en disent sûrement très long sur le regard que j’ai
posé sur lui et le charme qui s’est opéré. Des esquisses de sa
tête tournée et de sa nuque, son sourire, ses yeux clos, l’in-
clinaison de son visage, sa chemise déboutonnée, son re-
gard, ses mains.

Il me prend le carnet des mains avec un regard inter-


rogateur, comme pour me demander la permission, et je
cède, bizarrement, sans crainte. Il examine les croquis en si-
lence avant de relever la tête, la mine sérieuse.

– Ce sont des dessins très sensuels, Anna, dit-il.

Mon Dieu, s’il savait la moitié des trucs qui me sont


passés par la tête depuis que je l’ai vu…

– Le regard que tu as posé sur moi est troublant. Je


n’aurais pas pensé… Pour être franc, je n’ai pas l’habitude
d’être perçu ainsi, dit-il avec un petit rire embarrassé.
– Ah, fais-je, et comment te perçoit-on alors ?

J’ai envie d’en savoir davantage sur lui. Il n’a cessé de


m’écouter depuis que nous sommes partis du Duc des Lom-
bards. Mais, comme à chaque question que j’ai essayé de lui
poser, Dayton élude à nouveau celle-ci en se tournant vers
la Seine et les quais illuminés de l’autre rive, comme si
c’était exactement le moment de contempler le paysage !
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Mon cerveau fait alors l’expérience d’une rapide mise à
jour impliquant le carambolage sauvage de plusieurs ques-
tions : à quoi tout cela rime-t-il ? Comment cela va-t-il
finir ? Ne suis-je pas un peu innocente et stupide pour
croire que cet homme superbe et séduisant, qui doit plaire à
toutes les femmes, s’intéresse à moi ? Est-il seulement pos-
sible qu'il puisse être attiré par moi comme moi par lui ?
Ressent-il le même trouble ?

– Tu es très belle comme ça, pensive, Anna, me souffle-


t-il à l’oreille.

Et il me sourit alors que j’émerge de mes pensées. Son


regard est tendre. C’est étrange, cette tendresse qui émane
de lui alors même qu’il dégage une terrible sensualité. Sa
main se lève, s’apprête à me caresser la joue. On dirait…
puis c’est comme s’il changeait d’avis ; la main retombe,
mais l’intention est là, troublante entre nous. Tout mon
corps est en alerte ; un frisson me prend et nous échangeons
un regard profond qui dit bien plus que cette caresse arrêtée
en plein vol.

Je me rends compte que ma tension s’est évanouie à


mesure que les heures avec Dayton ont passé. Cette nuit, qui
s’annonce blanche, me donne finalement l’impression de
planer sur un nuage. C’est juste imprévu, surnaturel. Je dev-
rais cesser de m’interroger sur la réalité de cette situation.
J’aimerais que cette promenade dure toujours.
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– La nuit est-elle aussi magique à New York ?
demandé-je sans arrière-pensée, juste parce que ce moment
merveilleux me fait penser à voix haute.
– Qui sait ? Nous aurons peut-être l’occasion d’y faire
une autre promenade nocturne ? répond-il sur le même ton
rêveur. C’est là que j’habite la plupart du temps, après tout.

Je me tourne vers lui. La tête penchée, il scrute mon


visage comme s’il essayait du regard de percer mes pensées,
puis il se détourne. Mes pensées sont certainement trop
confuses pour qu’il parvienne à les lire.

Nous approchons du pont des Arts et sa surcharge de


cadenas amoureux, et il se met à fredonner tout en pointant
le doigt vers le ciel… vers la lune encore visible dans le jour
qui se lève bientôt. Puis il chante d’une voix de crooner :

« Fly me to the moon

Let me play among the stars

Let me see what spring is like

On Jupiter and Mars

Emmène-moi sur la lune

Laisse-moi jouer parmi les étoiles

Laisse-moi voir à quoi ressemble le printemps

Sur Jupiter et Mars. »


57/139
Il prend ma main, et j'ai la confirmation de l’effet
surnaturel qu’il me fait. Une décharge remonte le long de
mon bras et envahit tout mon corps. Le temps de deux
secondes, il ne dit rien, ses yeux bleus dans les miens et ses
lèvres effilées esquissant tout juste un sourire. Comme s’il
se posait une question silencieuse. Peut-être la même que
moi.

Bon sang, je ne comprends rien…

Il m'entraîne sur le pont et je suis cette chose paralysée


qu’il entraîne derrière lui. Malgré tout, un petit rire ravi
m’échappe. On se croirait dans une comédie musicale… Sa
voix chaude se fait plus enjôleuse, alors qu’il me prend dans
ses bras pour m’emporter dans une danse lente. Il chante
Sinatra tout contre mon visage :

« In other words, hold my hand

In other words, baby, kiss me

En d’autres mots, prends ma main

En d’autres mots, bébé, embrasse-moi. »

Sourire béat et rêveur, je me liquéfie à l’intérieur. Son


souffle est tout proche de ma bouche, je respire son odeur
épicée, je perçois la chaleur de sa peau. Je ferme les yeux…

Mais il me lâche brusquement, et je le vois se précipiter


à l’autre bout du pont avec l’élégance d’un jaguar. Je reste
58/139
les bras ballants. De loin, je l’observe appeler un passant.
J’entends une discussion que je ne saisis pas, puis, très vite,
il revient vers moi en trottant, le sourire et le regard lu-
mineux. Il rit tout seul, et ce rire est d’une sensualité ter-
rible. Je serais capable de n’importe quoi… Il serre contre
lui une bonne trentaine de roses.

– Le pauvre gars allait rentrer chez lui sans avoir vendu


une rose ! lance-t-il en s’arrêtant devant moi. J’ai eu envie
que tu t’endormes au milieu de ces fleurs, ajoute-t-il plus
calmement en me les offrant.

Les bras chargés de roses, le cœur battant à tout


rompre, je murmure : « Merci », alors que j’ai envie de lui
dire qu’on ne m’a jamais fait ça, que c’est un peu fou mais
que ça me plaît, que ça me bouleverse, que son rire et son
regard me rendent folle. Alors, je me penche juste un peu et
je pose un baiser sur sa joue, très près du coin de sa bouche.

Quelque chose de l’ordre de la surprise et du désir en-


flamme ses yeux, puis il change complètement de comporte-
ment, comme s’il se retenait une nouvelle fois de quelque
chose.

Mais non !

– Il est tard, Anna, ou tôt, ça dépend du point de vue,


dit-il. Tu dois être fatiguée et je le suis moi aussi. Je repars
dans trois jours ; mon programme parisien est un peu…
chargé. Je vais te trouver un taxi.
59/139
Je suis déboussolée. Je sais qu’il s’est passé quelque
chose, je l’ai senti et lui aussi, je l’ai vu dans ses yeux ! Alors
quoi ? ! Il a trop de choses à faire ? Je ne suis pas assez bi-
en ? Ma vie va changer dans quelques semaines ? Trop de
choses pourraient expliquer cette brusque distance qu’il met
entre nous, et pourtant c’est autre chose, ce doit être autre
chose…

Nous marchons lentement vers le Pont Neuf. J’ai les


bras chargés de roses. Dayton reste à quelques centimètres
de moi, les mains dans les poches. Je n’ose plus rien dire, et
lui semble vouloir meubler le silence embarrassé en parlant
du concert. Soudain, il aperçoit un taxi et se met à courir
pour attirer l’attention du chauffeur. Je m’immobilise sur le
trottoir.

Non, ça ne peut pas s’arrêter là…

Dayton discute avec le chauffeur. Je le vois lui glisser


des billets pour ma course alors que je m’approche. Dayton
m’ouvre la portière arrière, je me fige avant de monter.

– Dayton, dis-je, la gorge nouée.

Mais je perds ma voix quand il prend mon visage entre


ses mains. Cela semble durer des secondes et des secondes,
ses yeux dans les miens sans que je comprenne ce que ce re-
gard veut dire. Puis, il penche son visage vers moi et ses
lèvres se posent sur les miennes. Longtemps. Sa bouche
paraît ne pas vouloir se détacher. Les yeux clos, je savoure
ce contact brûlant, passionné, que Dayton semble contrôler.
60/139
Puis il s’écarte doucement, sans un mot, m’installe sur la
banquette arrière sans que nos yeux se quittent et ferme la
portière.

Le taxi démarre et, quand je me retourne pour lancer


un dernier regard à Dayton, il s’éloigne déjà dans la direc-
tion opposée.
4. Cet obscur objet du
désir

Je crois bien que le chauffeur a voulu me faire la con-


versation pendant le trajet, mais je suis restée bloquée entre
tristesse et stupéfaction. Le vide. Juste un prénom peut-
être.

Dayton…

Et un énorme point d’interrogation entourant cet


homme, son apparition surnaturelle et la nuit que je viens
de vivre près de lui.

J’arrive chez moi pour me coucher, quand la ville s’ap-


prête à se lever pour aller travailler. Il faut bien que mon
métier ait quelques avantages…

J’avance au radar, Churchill dans mes jambes, jusqu’à


ma chambre où je m’extirpe de mes vêtements, avant de
m’entortiller en petite culotte dans mon drap. Je caresse
mon gros chat affectueux d’un air absent, espérant que son
ronronnement finira par me bercer, mais j’ai les lèvres qui
62/139
me brûlent encore du baiser de Dayton et, devant mes yeux,
rien d’autre que son visage, son regard clair et son sourire.
Sa voix chaude résonne encore en moi.

Tout cela s’est-il réellement passé ?

Je n’ai pourtant rien inventé. Il m’a dit des choses, que


j’étais belle, qu’il a été touché par mes dessins. Il m’a fait
comprendre que je ne le laissais pas insensible, et cette
danse romantique sur le pont des Arts, les fleurs et ce
baiser ! Tout s’emmêle dans ma tête. J’ai le corps chaud et,
en même temps, envie de pleurer. Churchill ronronne en me
gratifiant d’un regard bienveillant. Je finis par m’endormir
sans m’en rendre compte.

Le sommeil est de courte durée. Dormir en plein jour,


ça n’a jamais été mon truc, et l’excitation de la nuit passée
ne me lâche pas. Quatre heures plus tard, j’ouvre les yeux.
J’ai faim, besoin d’une douche et je suis déjà à compter les
minutes qui ont passé depuis que Dayton a fermé la portière
du taxi. C’est déjà du passé, quel constat terrible !

– Des nuits comme ça, il doit en passer dans chaque


ville, hein ? Une admiratrice dans chaque port ! Des ren-
contres agréables qui lui permettent de décompresser après
ses concerts et de s’assurer qu’il plaît ou un truc comme ça…
Enfin, je ne me fais pas de soucis pour lui… Tu ne crois pas ?
dis-je tout haut.

Churchill émet un truc bizarre qui lui tient lieu de


miaulement.
63/139
– Je vais m’en remettre, tu sais… Après tout, on n’a pas
la chance de vivre des moments comme ça tous les jours !

Mon colocataire se met dans la position du chien qui


veut qu’on lui gratte le ventre.

– Oh mais, tu sais qu’on a envie de te manger, toi, dis-je


en le prenant dans mes bras et en l’emportant dans la
cuisine… où je nous nourris tous les deux, moi d’un bol de
céréales et lui de croquettes.

J’enclenche la bouilloire électrique et file prendre une


douche pour me remettre les idées en place. Ensuite, je
m’installe à ma table de travail avec mon mug de thé. Il est
11 heures. J’ai rendez-vous cet après-midi avec ma rédact-
rice en chef, Claire Courtevel, pour débriefer sur mon re-
portage concernant les animaux de compagnie pour
célibataires. Normalement, avec Internet, je ne devrais pas
avoir besoin d’aller la voir, mais Claire aime rencontrer
régulièrement les journalistes avec qui elle travaille. C’est
d’autant plus motivant qu’elle est toujours de bon conseil et
soutient l’originalité de mon travail.

D’ici là, je compte bien poster un nouvel article et


quelques illustrations sur mon blog « Twinkle in Paris », qui
deviendra bientôt « Twinkle in New York » ! Mes textes sont
accessibles en anglais comme en français. Pour le premier
jet, ça dépend de mon humeur, mais ces dernières se-
maines, c’est souvent en anglais que je rédige d’abord, his-
toire de me mettre dans le bain de ma future vie.
64/139
Je relis mon dernier article posté, intitulé Le nouveau
mâle de la maison… ou presque et illustré par un croquis à
l’aquarelle représentant mon gros British shorthair couleur
sable, confortablement installé dans un fauteuil club, un ci-
gare à la main.

J’aborde tous les sujets dans ce blog, qui est censé être
représentatif de la vie trépidante – ou pas – d’une jeune
Parisienne curieuse. Cela va de la séance chez l’esthéti-
cienne aux interrogations sur les relations amoureuses, am-
icales ou professionnelles. J’y parle aussi de films, de chaus-
sures ou du dernier stage de conduite sportive auquel j’ai
participé pour la rédaction d’un article. En somme, toute
une foule d’anecdotes. Finalement, je me sers juste de ma
vie et transforme tout. J’édulcore ou j’enjolive, je rends
souvent comique ce qui ne l’est pas et, surtout, j’essaie de ne
pas me prendre au sérieux sans être futile. Je crois que c’est
pour cela que beaucoup de lectrices se retrouvent dans ce
que je raconte. Toutefois, je n’oublie jamais que « Twinkle »
est un personnage fictif !

Le sujet du jour s’impose évidemment. J’aurais envie


d’oublier le ton léger et enjoué de mon blog pour disserter
sans fin sur ma nuit avec Dayton… mais raconter ces heures
sur un ton humoristique me permettra sans doute de soula-
ger mon cœur. Churchill passe près de moi avec sa petite
pieuvre en peluche dans la gueule, tel un chien de chasse.
C’est bon, tout le monde se met au travail !

Une heure et demie plus tard, j’ai fini mon article qui
m’a fait revivre les heures magiques vécues avec Dayton, à
65/139
peine enjolivées. C’est un moment que toutes les femmes
aimeraient connaître. J’ai intitulé le post J’ai fait un rêve et
j’ai griffonné un dessin représentant mon personnage en
train de valser avec un homme hypersexy sur le pont des
Arts au lever du soleil… Presque la vérité… Pour rester dans
le ton du blog, je finis par cette phrase :

« Quel homme surprenant, capable, aux petites heures


de l’aube, de dévaliser un vendeur de roses pour m’en couv-
rir, ses mains caressantes pressant pétales odorants et ron-
ronnant ( !) contre mon visage… jusqu’au moment où je me
réveille la tête enfouie sous mon colocataire anglais
réclamant sa ration de croquettes. Un rêve ? »

Je traduis rapidement, poste le tout sur le blog et reste


pensive à mon bureau, envahie par le souvenir de Dayton.
Je soupire.

Percevant du bruit à l’étage du dessous, je donne deux


coups de talons sur le plancher, auxquels me répondent très
vite deux autres coups. Ce qui veut dire que Gauthier est
disponible pour une petite visite. Je regarde l’heure, celle de
déjeuner, prends deux ou trois bricoles dans mon réfrigérat-
eur et descends dans l’appartement du dessous, dans lequel
j’entre sans frapper.

Mon ami est assis à son bureau, au milieu d’un fouillis


de documents, car il travaille également chez lui. Il gère les
contrats et la promotion de plusieurs artistes parisiens, tous
masculins, tous jeunes. Chacun possède une caractéristique
pour laquelle Gauthier est tombé follement amoureux : la
66/139
voix d’un certain conteur, le corps d’un danseur ou encore
les mains d’un comédien. C’est parce qu’il envisage de
promouvoir certains de ses « poulains » aux États-Unis et
de découvrir d’autres artistes français à New York qu’il nous
rejoindra certainement dans quelques mois.

Gauthier se lève pour m’accueillir.

– Toi, tu n’as pas beaucoup dormi ! me dit-il.


– Si, un peu, réponds-je sans grande conviction.
– Non seulement tu as très peu dormi mais, en plus, à
la tête que tu fais, tu as un truc hyper-excitant à me
raconter, ajoute-t-il.
– Ouiii !

Gauthier n’est pas mon ami pour rien, il me connaît


bien !

Pendant que nous grignotons, je raconte ma nuit avec


Dayton, espérant que Gauthier me rassure sur la possibilité
que je revoie ma rock star ; c’est sans compter le côté très
rationnel et prudent de mon ami.

– Je comprends que ce genre de nuit te bouleverse,


Anna, qui ne le serait pas ? Mais ce type me paraît un peu
étrange. Il te sort le grand jeu de l’Américain à Paris, puis il
te plante sans un mot en t’embrassant… Franchement, on se
demande s’il ne s’est pas un peu amusé avec toi.

Je fais la moue.
67/139
– Mais bien sûr que j’aimerais que cet Apollon au torse
envoûtant te rappelle, continue-t-il en posant la main sur la
mienne pour me réconforter. J’aimerais qu’il t’emmène
dans un tourbillon d’amour, et tout et tout. J’aimerais sur-
tout que tu sois heureuse, Anna… mais je crains que tu ne
sois déçue.
– Je sais, réponds-je en hochant la tête, j’y ai pensé aus-
si. Il vaut mieux ne pas se monter la tête. Tu as raison, il
aurait pu me faire comprendre qu’il voulait me revoir,
d’autant qu’il sait que je pars à New York dans deux se-
maines. Mais, il ne l’a pas fait…
– Voilà ! dit Gauthier. Maintenant je crois que nous
avons besoin de chocolat et d’un petit café !

Je remonte dans mon appartement pour me préparer à


mon rendez-vous avec Claire Courtevel. Je consulte mes
mails et passe faire un petit tour sur mon blog pour voir si
des lectrices ont réagi. J’imagine avoir réveillé une multi-
tude de rêves de romance. Si seulement elles savaient…

En effet, il y a déjà quelques commentaires au bout d’à


peine deux heures. Certains me font sourire :

« Oh non, j’y croyais ! ! ! »

Moi aussi…

« Fais-nous rêver ENCORE, Twinkle ! »

Mais je voudrais bien !


68/139
Et je m’arrête sur celui-ci, visiblement d’un nouveau
visiteur du blog :

« Ce n’était pas un rêve… », signé du pseudo


PontDesArts.

Mon cœur s’emballe, j’ai les jambes coupées sur ma


chaise. En voilà une affirmation, pour un lecteur qui n’a ja-
mais visité ce blog !

Je me surprends à imaginer ce qui serait inespéré…


mais non, impossible ! Dayton m’a bien dit que son agenda
parisien était très chargé. Je le vois mal en train de me
pister sur Internet… En même temps, ce ne doit pas être
trop compliqué de m’y retrouver. Je lui ai parlé de ce blog, il
connaît mon pseudo… Non, non et non, c’est encore un de
ces dragueurs virtuels qui a flairé mon âme romantique. Ça
ne serait pas la première fois…

J’enfreins la règle que je me suis fixée de ne pas contac-


ter directement mes lecteurs, justement pour éviter les
débordements, et je clique sur son pseudo pour accéder à
son adresse mail et lui envoie un message :

« Pourtant, c’était bien mon chat que j’ai trouvé dans


mon lit à mon réveil. »

Pour éviter les impairs, je m’arrête là et j’attends sa ré-


ponse. Son commentaire date apparemment de quelques
minutes.
69/139
Je patiente, mais rien… L’étincelle d’espoir qui s’est en-
flammée quelques minutes plus tôt s’éteint déjà, quand un
nouveau commentaire de PontDesArts apparaît sur mon
blog :

« C’étaient les roses qui devaient passer la nuit avec


toi. »

Cela ne peut être que lui ! Non ? Oui ? Merde, c’est


l’heure de partir à mon rendez-vous ! J’attrape ma besace et
manque de piétiner Churchill en train de faire la sieste sur
le dos, devant la porte.

– Mais bouge-toi, mon gros, il se passe des choses, là !


m’énervé-je.

Je file à toute allure, sans pouvoir même passer une tête


chez Gauthier pour lui annoncer le dernier rebondissement.
Le métro est bondé. Je sens que je vais être en retard.
Coincée entre deux touristes, je dégaine mon portable. Il
faut que je parle à Saskia de toute urgence ! Trois sonneries,
puis elle répond :

– Anna, attends, je suis en pleine négociation, je te rap-


pelle, me lance-t-elle avant de raccrocher.

Je n’ai même pas eu le temps de lui parler de Dayton.


Comme tout ceci est frustrant !

J’ai à peine cinq minutes de retard, mais Claire Cour-


tevel a l’air agacé. En fait, c’est son air habituel, donc autant
70/139
ne pas se formaliser. Ça va avec ses tenues très businesswo-
man version presse féminine, c’est-à-dire un tout petit peu
plus excentrique que le gris anthracite.

– Anna, enfin ! lance-t-elle quand j’entre.


– Bonjour Claire, dis-je en m’asseyant aussitôt et en
sortant mon cahier de notes car, avec Claire, mieux vaut ne
pas s’étendre en politesses.

Bizarrement, j’aime bien cette belle femme un peu re-


vêche. J’ai accepté ses manières brusques car je crois que
j’en ai besoin. Elles me rassurent dans ma vie, qui n’a pas
vraiment d’horaires, ni de discipline. Malgré son comporte-
ment, Claire m’a toujours appuyée et croit en moi. Je la re-
specte vraiment.

– Bon, eh bien, pas mal ton reportage sur les animaux,


Anna, commence-t-elle tout en brassant des feuilles sur son
bureau. Tu t’en es bien sortie. C’est documenté, à la fois
sérieux et léger, vivant et c’est une véritable mine d’informa-
tions. De plus, tes illustrations sont géniales…

Trop de compliments, il doit y avoir un hic…

– Il faudrait juste que tu me rajoutes un peu d’exotisme


et de luxe, tu vois, ajoute-t-elle en levant la tête pour me
fixer.
– Euh… exotisme et luxe, répété-je en prenant des
notes, sans voir où elle veut en venir.
– Oui enfin, tu vois quoi… des bêtes pas communes ou
des lézards qui coûtent la peau des fesses, une interview
71/139
d’un vendeur de trucs dans le genre et d’un célibataire accro
à ce type de bestioles…

Je lève des yeux ronds comme des soucoupes.

– Du coup, tu me rajoutes une petite illustration aussi.


Dans le même style.

Je suis toujours muette.

– Et le délai est un peu court en fait. C’est pour demain


en début d’après-midi, ça te va ?

Ne jamais dire non à Claire !

– D’accord, réponds-je en me levant. Je ne traîne pas


alors.

Au moment de sortir, Claire m’interpelle :

– Et Anna, c’est du beau boulot. Je fais toujours suivre


à la rédaction de New York. Du beau boulot, vraiment !

Je lui adresse un petit sourire de remerciement.

Dans la rue, je consulte mon portable. Saskia a essayé


de me joindre et je la rappelle.

– Tu es où, là ? lui demandé-je dès qu’elle décroche.


– Pas loin de la Madeleine, pourquoi ?
– Parce qu’il faut que je te parle. Je suis là dans
20 minutes, tu m’attends ?
72/139
– Oui, oui, t’inquiète, je suis occupée. J’ai du matériel et
l’autorisation de gribouiller sur une devanture de magasin
en travaux.

Mon amie est comme ça. Même si tous – moi, la


première ! – reconnaissent la valeur de son travail, elle a
une vision très ludique de ses actions éphémères de rue.
Pour ma part, je ne me permettrais jamais de dire qu’elle
gribouille !

Saskia me donne l’adresse et, 20 minutes plus tard, je la


retrouve travaillant devant une boutique en chantier.

– Tu peins quoi ? lui demandé-je.


– Un nu de femme. C’est un magasin de vêtements pour
hommes, répond-elle. Toi, ma louloute, je crois qu’il t’est ar-
rivé quelque chose cette nuit ou je me trompe ? ajoute-t-
elle.
– Comment tu sais ça ?
– Parce que, comme il m’en est arrivé un aussi, ce mat-
in, j’ai entendu Julian appeler son pote Dayton dans sa
chambre d’hôtel. Celui-ci lui aurait dit qu’il avait passé la
nuit avec toi et qu’il était rentré au petit matin… Alors ?
– Alors oui, nous avons passé la nuit ensemble, mais
pas pour ce que tu crois ! Nous avons parlé !

Je lui raconte toute l’aventure « Dayton », pendant


qu’elle continue de peindre à la main sur le panneau.

– Mais c’est complètement fou ! s’exclame-t-elle.


Qu’est-ce que tu comptes faire ?
73/139
– Ben, attendre qu’il réponde à mon message.
– Mais non ! J’ai une meilleure idée ! Attends…

Elle s’enduit une dernière fois la main de peinture pour


écrire en gros sous sa femme nue : « Faites l’amour, pas les
magasins », puis elle s’essuie les mains sur sa jupe en jean
déjà maculée, range ses trois tubes d’acrylique dans son sac
et part de son pas habituel sur le trottoir. Je me retourne
pour contempler son œuvre sur le panneau. C’est de l’art
éphémère, du graff poétique, et j’admire mon amie pour sa
capacité à créer ainsi, en trois mouvements, n’importe où.

– Suis-moi ! me lance-t-elle.

Ce que je fais. Quelques coins de rue plus loin, elle s’ar-


rête et me désigne une façade d’immeuble sur laquelle
s’étale un énorme panneau noir affichant le nom de l’hôtel
Le Burgundy.

– Julian, Dayton et les autres séjournent là, dit Saskia.


Et toi, tu n’as qu’une chose à faire, c’est d’entrer là-dedans,
demander le numéro de la chambre de Dayton et te pointer
comme une fleur à sa porte pour lui faire la surprise.
– Non, pas question, dis-je, les jambes coupées.

C’est un vrai palace… Je ne l’aurais jamais imaginé


dans un tel endroit…

– Non, non, dis-je en m’éloignant. S’il avait voulu me


revoir, il m’aurait donné son numéro ou le nom de son
hôtel… Je ne peux pas faire ça.
74/139
Saskia est désemparée de me voir fuir.

– Mais tu ne peux pas laisser passer un type pareil,


Anna !

Elle me rattrape et me tire par la main.

– Attends avant de filer, j’ai une autre idée, dit-elle en


m’entraînant derrière elle.

Hé, c’est une manie décidément !

Elle s’arrête devant un gros Porsche Cayenne noir.

– Tu vois ça ? fait-elle en agitant les mains. Ce… gros


truc luxueux, eh bien, c’est une de leurs voitures pendant
leur séjour. Ils en ont une autre pour leurs instruments.
– Et ?
– Eh bien, tu n’as qu’à lui laisser un message sur le
pare-brise. C’est Dayton qui s’en sert le plus, d’après Julian.
– Un message ? demandé-je, l’air perdu. Mais quoi ?

Saskia prend un air exaspéré. Elle fouille dans son sac


et me tend un rouge à lèvres.

– Je ne sais pas, moi, un truc clair du genre : « Trouve-


moi », dit-elle en me poussant vers la voiture.

Je reste figée sur place, le rouge à lèvres à la main. Ça


n’est pas du tout mon truc, le tag improvisé. Encore moins
quand il s’agit d’un potentiel message amoureux. Et puis
n’est-ce pas un peu illégal de faire ça sur la voiture de
75/139
quelqu’un ? Saskia trépigne à côté de moi et finit par me
secouer par le bras.

– Allez « Twinkle » !
Oh et puis zut, je n’ai rien à perdre !

Je me lance. Je dessine rapidement une fille allongée


sur le ventre, le visage appuyé sur une main, l’air rêveur et
j’écris en dessous « Trouve-moi » pendant que Saskia sur-
veille les alentours.

Fière de moi, elle m’applaudit, puis nous nous


éloignons, l’air de rien, en pouffant.
5. Rendez-vous au
paradis

Je quitte Saskia pour rentrer dare-dare chez moi. J’ai


du travail qui m’attend, des recherches et des interviews à
faire et une illustration à dessiner.

Je dois aussi absolument consulter mon blog pour voir


si mon mystérieux lecteur s’est de nouveau manifesté !

Je sais, tout le monde maintenant peut faire cela depuis


son téléphone, mais je considère que je passe assez de
temps devant mon ordinateur pour éviter de le faire quand
je sors. Dans la rue, dans le métro, je regarde autour de moi
et je dessine.

Pas de bruit chez Gauthier qui doit être sorti. Je rentre


chez moi et j’allume mon ordinateur. Avant de rechercher
les perles rares des animaux de compagnie, je me connecte à
mon blog. Pas de réponse écrite, mais un fichier sonore
joint : une voix masculine qui fredonne Fly me to the moon
de Sinatra et, derrière, des bruits de circulation, des voix, un
77/139
brouhaha urbain. Je ne suis pas certaine que ce soit Dayton.
Évidemment, j’ai cité la chanson dans mon blog ; ce pour-
rait donc être n’importe quel rigolo voulant semer la confu-
sion dans mon esprit.

Ne pas s’emballer… Rester calme…

Je réponds prudemment :

« Qui êtes-vous ? »

Après le grand n’importe quoi au rouge à lèvres sur le


pare-brise, je crois qu’il est temps pour moi de me repren-
dre. Si un abruti a envie de me faire tourner en bourrique
sur mon blog, je ne vais pas y passer la soirée, mais si c’est
en effet Dayton… La phrase de Gauthier me revient alors à
l’esprit : « On se demande s’il ne s’est pas un peu amusé
avec toi. ». Oui, c’est ça, il s’amuse… et moi, j’ai du boulot !

Après une heure de recherches sur Internet, je dégote


un éleveur d’axolotl, –Quelle horreur cette grosse salaman-
dre albinos ! Qui peut avoir envie d’un tel truc comme an-
imal de compagnie ? –, un vendeur de pythons et deux
heureux propriétaires, l’une d’un dromadaire et l’autre d’un
singe-écureuil. J’appelle les uns, envoie mes questions aux
autres, me renseigne sur les législations concernant ces co-
pains exotiques, le coût de telles adoptions, je gribouille
d’après photos des illustrations décalées. Bref, je bosse.
78/139
Même si je dois me reprendre plusieurs fois, l’esprit en-
vahi de souvenirs de Dayton, je m’acharne à la tâche et,
comme toujours, le dessin m’emporte dans un autre monde.

Une seule fois, je m’aventure à réécouter l’enregis-


trement de la voix sur mon blog.

Je sais, c’est ridicule.

Je sais aussi que Saskia retrouve Julian ce soir. Sans


doute va-t-elle voir Dayton ? Tout d’un coup, je lui en veux,
puis j’en veux à Saskia, puis je m’en veux parce que je refuse
de me mettre dans tous mes états pour un homme que je ne
reverrai sans doute pas, alors que je suis au seuil de ma nou-
velle vie.

– Hors de question que je me laisse perturber, dis-je à


l’attention de Churchill qui acquiesce en se léchant la patte.

La soirée est bien avancée mais je n’ai pas faim. Je n’en


peux plus de ces animaux débiles pour célibataires.
Churchill prend un air offusqué en m’entendant jurer.

Je griffonne toujours, bien qu’il me semble avoir trouvé


deux illustrations valables pour mon article, et je me rends
soudain compte que je viens de dessiner un portrait de
Dayton tenant plus du gros monstre poilu que de l’homme
séduisant qu’il est. C’est l’obsession malgré moi… Alors je
fais comme tout le monde, Internet, Google, je cherche des
photos de lui, de son groupe et ne parviens à trouver ni son
nom de famille, qui me permettrait d’être plus précise dans
79/139
mes investigations, ni des photos de son groupe où il appar-
aîtrait. C’est comme s’il n’existait tout bonnement pas !
J’éteins mon ordinateur en trouvant que c’est la fin idéale
pour cette journée. Le mystère est éclairci car il n’y a pas de
mystère ! Bonne nuit !

Malgré la fatigue, je ne cesse de me réveiller toute la nu-


it et, quand l’alarme de mon téléphone sonne à 10 heures, je
m’extirpe difficilement du lit. J’ai l’impression de peser une
tonne. Tout est dans le geste ; il faut que je me force à faire
les choses. Douche, petit déjeuner sans appétit, mon
colocataire anglais sent bien que quelque chose cloche et
tourne en rond en miaulant. Tout m’agace…

Je me mets au travail, accuse réception des réponses de


mes interlocuteurs de la veille, rédige mon article, peaufine
mes illustrations et envoie mon texte à ma rédactrice en
chef. Ensuite, je poste un nouvel épisode de « Twinkle » sur
mon blog.

Évidemment, pas de réponse de mon mystérieux


dragueur…

Cette fois, l’article parle des symptômes d’une nouvelle


maladie mentale intitulée « Docteur, je consulte mes mails
toutes les 30 secondes », dans lequel je me moque genti-
ment des femmes incapables de ne pas vérifier 15 fois par
heure que leur portable capte bien.

Ce pourrait être moi, si j’avais eu l’intelligence de filer


mon numéro de téléphone à Dayton…
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Je dessine « Twinkle » avec une banane collée à
l’oreille, un entonnoir sur la tête et les yeux cernés, englués
à un écran d’ordinateur.

Qu’est-ce que je me fais rire…

Un message privé me parvient juste au moment où je


m’apprête à me déconnecter. C’est un message de
PontDesArts. La revanche… mon cœur manque un batte-
ment. Enfin une réponse à mon prudent : « Qui êtes-
vous ? » !

« Tu veux savoir ? Rdv au Café de Flore à 5 :00 pm »

Je reste à fixer le message en essayant de rassembler


calmement mes pensées, ce qui est difficile étant donné que
mon cœur s’est soudain emballé à l’idée que cette proposi-
tion puisse venir de Dayton. Reprenons la situation point
par point :

1. S’il s’agit d’un petit rigolo, ce serait une bonne occa-


sion de le remettre à sa place.

2. S’il s’agit justement d’un petit rigolo, ce serait tout de


même stupide de me donner rendez-vous dans un lieu
plutôt fréquenté, alors que je ne sais pas à quoi il ressemble
et que, sans doute, lui ne sait pas non plus quelle tête j’ai (à
moins qu’il sache).

3. L’heure du rendez-vous est écrite à l’anglaise… donc


ce pourrait être Dayton…
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4. Dans ce cas, à quel petit jeu joue-t-il avec moi ?

Je suis confuse, j’ai envie de croire à un heureux re-


tournement de situation, mais j’ai peur d’être déçue.
Évidemment, j’ai d’autres sujets de préoccupation en ce mo-
ment. Je pourrais, par exemple, commencer à faire un
premier tri dans mes affaires pour savoir ce que je vais em-
porter à New York… mais qui laisserait un tel mystère en
suspens ? Franchement ! Sans compter que si le message est
de Dayton, je regretterai sans doute toute ma vie de ne pas
avoir répondu présente !

Je vais aller au Flore ! J’ai envie de croire que c’est


Dayton qui m’y attendra. Au pire, je serai fixée sur ma sot-
tise et aurai une bonne raison de tirer un trait sur mes
souvenirs romantiques.

Au pire, je me vengerai même sur un pauvre idiot qui


aura tenté de me draguer sur Internet !

Alors que l’heure de partir approche, je commence à me


préparer pour le mystérieux rendez-vous. Je l’admets, je
suis nerveuse comme pour un premier rendez-vous
amoureux. Ne pas savoir me bouleverse. Et oui, j’ai la
trouille parce qu’il est possible que je sois sur le point de
retrouver Dayton et, bien que je m’interdise d’y croire, c’est
impossible de ne pas nourrir un minuscule espoir.

Je fais au mieux pour paraître jolie sans être trop ap-


prêtée : un jean délavé, une blouse diaphane et des sandales
colorées.
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J’arrive un peu en avance au café. La terrasse à l’ombre
est plutôt bondée par cette chaude journée de juillet et
pendant une seconde, je crains de ne pouvoir trouver de
place et d’être obligée d’attendre dans la salle ou sur le trot-
toir au risque de ne pas être repérée par mon énigmatique
rendez-vous.

S’il vient…

Un couple libère une table et je me jette dessus comme


la misère sur le monde. Je m’installe sous le nez de deux
touristes qui patientaient comme moi. Il faudra me déloger
de là à la grue !

Respirer, rester calme, ne pas attendre fébrilement. Je


sors mon carnet et me mets à gribouiller n’importe quoi. Au
bout de quatre pages remplies, deux cafés avalés d’un trait –
des cafés au prix d’un cocktail –, je n’ose pas regarder ma
montre. L’heure du rendez-vous doit être passée.

– Bonjour, mademoiselle, dit-il en français avec un ac-


cent à tomber raide, en s’asseyant près de moi.

Je suis stupéfaite. Mon cœur explose dans ma poitrine.


Dayton est là, ses yeux pâles, ses lèvres effilées, ses cheveux
clairs avec quelques reflets cuivrés. Un ange passe et nous
décoche une flèche en plein cœur. Dayton marque un
temps, sûrement sensible au même trouble que moi, puis il
pose nonchalamment son bras sur le dossier de ma chaise,
croise ses jambes et me dévisage en haussant un sourcil
étonné.
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– C’est bien avec moi que tu as rendez-vous ou bien tu
attends quelqu’un d’autre ? demande-t-il.
– Non, enfin, je veux dire, oui, en fait, non, je n’étais
même pas sûre qu’il s’agisse de toi. Pour être honnête, je
m’attendais à avoir rencard avec un pervers ! dis-je avant de
m’esclaffer nerveusement.
– Tu prends souvent le risque d’accepter des rendez-
vous avec des inconnus ? plaisante-t-il. Tu es une véritable
aventurière.

Il me sourit, lève la main avec confiance et capte aus-


sitôt l’attention de la serveuse. Qui ne le remarquerait pas ?
Je suis surprise de le voir porter une veste légère de
costume par-dessus une chemise déboutonnée au col, un
pantalon droit et des chaussures de ville qui contrastent
avec son image de musicien. Mais il est tout simplement su-
perbe, une sorte d’idéal de l’homme viril et mystérieux.
Tellement beau à regarder, mais si difficile à lire.

Il se penche vers moi, plonge son regard intense dans le


mien. Un frisson parcourt tout mon corps. Ce regard est
comme une caresse.

– Je suis désolé pour le retard, Anna, dit-il, mais j’ai eu


un contretemps. Ta copine Saskia n’a rien trouvé de mieux à
faire que de barbouiller le pare-brise de ma voiture au rouge
à lèvres. Il m’a fallu trouver quelqu’un pour enlever tout ce
gras, et ça m’a retardé.

Merde…
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Je dois être cramoisie. Évidemment, il a dû reconnaître
mon style de dessin. Il me scrute avec une étincelle rieuse
dans les yeux. Démasquée, je rougis de plus belle. Puis, il
pose une main sur la mienne et je fonds.

– J’ai beaucoup ri en lisant ton blog, Anna. Je savais


que tu avais un certain talent pour saisir les gens et les situ-
ations en dessin, mais tu as aussi du talent pour écrire avec
humour. Je comprends que ça plaise. Je suis sûr que cela va
marcher pour toi aux States.

Quel beau sourire stupide je dois afficher…

– D’ailleurs, continue-t-il, c’est à n’y rien comprendre,


cette différence entre ce que tu écris et ce que tu es, même si
tu as beaucoup parlé l’autre nuit.

C’est vrai que là, je suis plutôt sans voix. Et il vaut


mieux car je suis à deux doigts de livrer toutes les choses
que je ressens.

– Quelque chose ne va pas, Anna ? me demande-t-il.

J’agite la tête.

– Non, non.

Il se penche vers moi avec une expression inquiète. Je


devrais être radieuse ; il est là, près de moi et tout ce que je
ressens me paralyse. Il va falloir que je m’en soulage ou bien
il sera incapable de me soutirer deux phrases d’affilée.
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Je lève des yeux perdus vers lui. Une boule obstrue ma
gorge.

– Tu me troubles, parviens-je à murmurer.

Il se recule sur sa chaise, l’air gêné, mais pas comme si


mon aveu l’embarrassait, plutôt comme s’il était touché et
ému.

– Je te trouble ? répète-t-il.
– Oui, dis-je. Je ne fais que penser à l’autre nuit, à tout
ce qui s’est passé, à toi. Je n’arrive pas à donner un sens à ce
qui m’arrive, et je sais que je dois te paraître ridicule et stu-
pide, que toutes les filles doivent te raconter les mêmes
sottises.
– Chut, fait-il en posant ses doigts sur mes lèvres. Cette
nuit a été magique en tous points : la façon de te rencontrer,
ce que tu m’as dit de toi, cette danse sur le pont des Arts.
J’ai apprécié ce qu’il s’est passé. Comme toi, je n’ai pas cessé
d’y penser.

Au passé, il parle au passé !

Je retiens mon souffle en espérant qu’il change de


temps.

– Je te l’ai dit, je pars après-demain et mon agenda à


Paris est chargé. Il l’est tout autant à New York.

Je hoche la tête.
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– Mais j’avais envie de te revoir, répond-il comme s’il
sous-entendait bien plus. Bien sûr qu’il s’est passé des
choses entre nous l’autre nuit, Anna. Cette complicité, cette
proximité, tout semblait naturel, normal. Ça peut faire peur,
non ? C’est sans doute pour cela qu’on y pense tous les deux
depuis ?
– Ça fait peur ? Je ne sais pas, Dayton. Qu’est-ce que tu
entends par là ?
– J’ai eu envie de t’emmener avec moi, de prolonger ce
moment et, en même temps, qu’aurais-tu pensé ? Que tu
étais une fille d’un soir ? Je n’ai pas envie de ça, explique-t-
il.

Je suis un peu perdue, tout comme il a l’air de l’être


dans ses explications.

– Tu vas commencer une nouvelle vie, Anna. Tout est


ouvert devant toi.
– Je ne vois pas où tu veux en venir, dis-je.

Il approche son visage du mien, ses lèvres des miennes,


ses yeux dans les miens.

– Tu ne te rends pas compte de ce que tu dégages,


Anna, des regards qui se posent sur toi. New York va t’ap-
partenir, je le sens. Tu dois commencer libre cette nouvelle
vie.

Je reste interloquée. Qu’entend-il par là ? Se cherche-t-


il des prétextes ou des excuses ? Je voudrais lui demander
des explications. Est-ce mon trouble qui rend
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incompréhensible ce qu’il veut me dire ? Tout s’embrouille
en moi. Je n’arrive pas à le suivre, ni même à trouver la
phrase juste qui pourrait exprimer tout cela. Alors, perdue,
je ne parviens qu’à lui demander :

– Tu joues avec moi, Dayton ?

Muet, il me fixe de son regard plus ombrageux.

– C’est tout le contraire, Anna ! Viens, me dit-il en se


levant.

Il fait signe à la serveuse pour montrer qu’il laisse un


billet sur la table et s’éloigne de la terrasse en me traînant
derrière lui. J’ai tout juste le temps d’attraper mon sac. Je
n’attends pas dix mètres pour me planter sur le trottoir et
tirer d’un coup sur son bras en m’exclamant :

– Et ça suffit de me traîner comme ça sans me de-


mander mon avis comme si c’était une habitude ! Je ne suis
pas… je ne suis pas… bafouillé-je comme une enfant en
colère.

Après m’avoir dévisagée, surpris, il sourit et s’avance


brusquement vers moi.

– Oh Anna, murmure-t-il en prenant mon visage entre


ses mains, Anna…

Et il m’embrasse.
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Il m’embrasse, et ce baiser dure des secondes et des
minutes. Il est plus passionné, plus aventureux que celui de
l’autre nuit. Ses lèvres ouvrent les miennes, sa langue vient
me chercher, ses mains m’attirent contre lui, et je réponds à
sa fougue sans essayer de comprendre ce qu’il est en train
de se passer.

Il s’écarte de mon visage. Ses yeux scintillent et il a ce


sourire qui ne cache pas son ravissement. Il me reprend la
main et repart. Cette fois, je le suis sans résister. Je ne sais
pas où il m’emmène, mais peu importe, je le suis. Je ne le
laisserai pas me faire monter dans un taxi et claquer la
portière une seconde fois.

Cela ne semble pas être dans ses intentions, car, alors


que nous continuons de marcher vers je ne sais où, il s’ar-
rête parfois pour me regarder et m’embrasser encore et en-
core. Il me colle contre le mur d’un immeuble, et son baiser
se fait plus empressé, pendant que ses mains cherchent mon
corps. Je me rends, les jambes tremblantes et le ventre en
feu.

Ce que je ressens pour cet homme depuis la première


fois où il m’a parlé s’abat sur moi comme une évidence. Cela
dépasse ma chair, une simple attirance. C’est une fusion de
mon cœur et de mon corps, de mon souffle et de mon sang,
avec tout ce qu’il est. La puissance de sa présence près de
moi et la force des regards qu’il pose sur moi parlent de la
même réaction chimique et unique qui me dévaste. Im-
possible de lutter ou de nier ce qui est entre nous ; c’est une
énergie plus forte que nos volontés réunies.
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Je perds mes mains dans ses cheveux, l’attire vers moi
en le tenant par la nuque. Il s’écarte parfois pour me dévis-
ager et, dans ces moments, son regard est envoûtant. Il me
sourit, rejette la tête en arrière et éclate d’un rire d’homme
qui me fait frissonner. C’est une situation complètement
folle, encore plus magique que l’autre nuit…

À quelques pas de Saint-Germain-des-Prés, il s’arrête


devant la façade d’un immeuble élégant, typique du quarti-
er. Une plaque fixée au mur annonce que l’hôtel a accueilli
de prestigieux écrivains. Dayton me lance un regard
interrogateur.

– Je ne veux pas que tu croies que… commence-t-il.

Mon regard amoureux l’apaise aussitôt. Je lui prends la


main pour le guider le temps de quelques pas. Je ne veux ri-
en croire, juste être avec lui. Dayton me sourit, puis il entre
dans l’hôtel et se dirige vers la réception. La réceptionniste
semble le reconnaître. Ils discutent tous les deux. Dayton
prend une clé et revient vers moi en me convoitant de ses
beaux yeux bleus.

– Anna, je ne veux pas que tu croies que c’est une


habitude chez moi d’emmener les femmes dans des hôtels
en plein après-midi.

Je hoche la tête en souriant.

– Je ne veux pas que tu croies non plus que je suis con-


nu ici parce que j’aurais l’habitude d’y amener mes
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conquêtes. J’y ai une suite à l’année. C’est mon pied-à-terre
quand je viens à Paris sans le groupe.

Une suite à l’année dans un hôtel de luxe ?

Ce n’est pas le moment de me pencher sur les aspects


pratiques de la vie de Dayton. La magie est là, c’est tout ce
qui importe. J’acquiesce une nouvelle fois.

– Je ne veux pas non plus que tu croies que je te con-


sidère comme un coup d’un soir, conclut-il en m’adressant
un regard profond qui en dit long.

Je regarde autour de nous pour m’assurer que personne


ne l’a entendu prononcer cette dernière phrase. Après tout,
c’est la première fois que j’accompagne un homme – certes,
pas n’importe quel homme ! – dans un hôtel en pleine
journée.

– Tu es sûre, Anna ? me demande-t-il doucement.

Oui, je suis sûre, j’ai le goût de ses baisers sur mes


lèvres.

Nous montons dans la suite Mistinguett, au décor de


verre Art Déco. L’endroit est d’une autre époque. Comme
l’autre nuit sur le pont des Arts, c’est comme si nous nous
coupions du monde entier. Nous sommes l’un avec l’autre,
hors du temps. En cette fin de journée, le soleil illumine
tous les miroirs de la chambre.
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J’entends verrouiller la porte dans mon dos, et mon
cœur s’emballe. Il s’approche de moi sans faire de bruit. Il a
déjà dû ôter ses chaussures. Je me retourne. Ses yeux sont
pareils à du métal liquide dans cet éclairage flamboyant, ses
traits comme sculptés. Il prend mon visage entre ses mains,
pose son front contre le mien, tandis que ses doigts cares-
sent mes lèvres. Encore une fois, j’ai l’impression qu’une
guerre se livre en lui. Une guerre que j’aimerais tellement
apaiser. Je me laisse attirer contre son corps avec l’envie de
me fondre à sa chair, à son cœur et de me mettre au
diapason de son souffle. Je n’ai jamais éprouvé avec autant
de confiance ce désir de m’oublier dans l’autre. Je veux être
avec lui. À lui. Pour lui.

Les lèvres de Dayton se posent sur les miennes et me


dévorent tandis que ses mains se faufilent sous ma tunique.

Tout mon corps se couvre de frissons sous la chaleur de


son contact, sous la caresse ferme de ses mains qui dé-
couvrent mon corps. Son ventre force contre le mien et je
sens son désir déjà très présent. Jamais un homme ne m’a
autant affirmé son envie, et cette affirmation est naturelle,
un aveu que tous les mots ne pourraient exprimer. C’est
plus fort que moi, je gémis, les lèvres prises entre les si-
ennes, agacées par les mordillements. Ses doigts qui palpent
mon dos descendent sur mes fesses.

– Mmmm, Anna, me susurre-t-il. Moi aussi, je pense à


toi depuis l’autre nuit, et tu ne peux pas savoir à quel point
je me suis battu pour ne pas t’entraîner dans un hôtel.
J’avais tellement envie de plus.
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Je reste muette. Je sais maintenant qu’il a lutté, qu’il ne
voulait pas que je croie à une aventure, et c’est apaisée que
je savoure l’instant brûlant de ces retrouvailles.

Je bascule la tête en arrière sous l’assaut de ses baisers


qui me dévorent la gorge. Sa langue effleure mon menton et
sa main explore mon ventre, remonte vers mes seins, tire
sur le tissu de mon soutien-gorge pour accéder à mon mam-
elon. Un nouveau gémissement s’élève de ma gorge. Mon
désir est oppressant, dévastateur, j’en perds le rythme de
ma respiration. J’ai l’impression à la fois d’étouffer et
d’avoir trop d’air dans mes poumons. J’ai chaud, les tempes
fiévreuses et le sexe qui s’embrase d’un coup quand Dayton
prend un de mes seins en main pour le malaxer avec pas-
sion, tout en me mordillant la gorge.

Je laisse échapper une sorte de râle qui semble venir


tout droit de mon ventre. Nous sommes collés contre le mur
le plus proche, nos souffles sauvages. Ce désir que nous gar-
dons en nous depuis l’autre nuit est une vague qui nous sub-
merge et nous malmène. Nous ne pouvons y résister.

Ma main part à la recherche de sa hanche pour rap-


procher Dayton. Après ces heures sans savoir si je le rever-
rais, l’envie de me fondre en lui est urgente. Je ne me rap-
pelle pas d’étreintes aussi passionnées. Je vis cela pour la
première fois. Je ne me rappelle pas avoir été dévastée et
brûlante, et le souffle court comme en cet instant. C’est
Dayton qui, tel une substance chimique, me transforme
complètement.
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Pressé contre moi, je sens son érection qui bat au tra-
vers du tissu de son pantalon. Dayton émet un soupir
rauque. Il s’appuie d’une main contre le mur, à hauteur de
mon visage, puis avance son bassin contre mon ventre. Sa
respiration s’apaise et il plonge son regard brûlant dans mes
yeux.

– Tu me troubles aussi, Anna, c’est une évidence,


murmure-t-il.

Je suis à bout de souffle, la voix me manque.

– Anna, est-ce que tu me crois ? demande-t-il.


– Oui, dis-je dans un soupir.

Je me rends compte que le simple fait d’évoquer son


désir de moi est tout aussi excitant que son érection que je
sens pressante. Je tiens à peine sur mes jambes.

– Il n’y a que les femmes fatales qui sont désirables.


Celles qui sont sûres d’elles et ont toujours la phrase juste,
Anna, chuchote-t-il.
– Je ne sais pas, Dayton.
– Tu es désirable, Anna. Ta bouche donne envie d’em-
brasser, ton corps de caresser et ton rire de t’entendre jouir.

Ce mot dans sa bouche, toutes les perspectives qu’il of-


fre… je sens mon sexe qui se serre déjà.

Il m’éloigne lentement du mur et me conduit au centre


de la chambre. Les meubles couverts de miroirs,
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certainement à l’image de la loge de l’époque de
Mistinguett, renvoient le reflet de nos deux corps, nous don-
nant l’impression de nous retrouver au centre d’un palais
des glaces. Nous restons debout, face à face.

Son regard est pénétrant. Je suis perdue et mes jambes


se dérobent sous moi quand il me dit :

– Je veux te donner du plaisir, Anna.

Puis les paroles laissent place aux gestes. Il prend le bas


de ma tunique et relève mes bras pour m’ôter le vêtement.
Ses gestes sont lents et attentifs comme s’il ne voulait pas
perdre un détail de ce qu’il voit. Nos yeux ne se quittent pas.
Je me laisse faire, confiante, frémissant chaque fois que ses
doigts entrent en contact avec ma peau, mais si légèrement.
Il s’empare de mon jean qu’il déboutonne, puis il me bas-
cule avec précaution sur les draps de satin blanc du lit avant
de faire glisser le jean le long de mes jambes et de défaire les
sangles de mes sandales en effleurant tout juste mes pieds.

Il contrôle tout, avec douceur et attention. Je reste à


demi étendue en sous-vêtements sur le lit pendant que,
devant moi, toujours sans me quitter des yeux comme s’il
fallait que je ne perde rien du feu qui embrase son regard, il
se déshabille lui aussi. Je découvre son torse puissant, ses
pectoraux parfaitement dessinés, ses bras à la longue mus-
culature, ses hanches qui ressortent pour souligner la dé-
coupe de son ventre, ses cuisses fermes. C’est au-delà de ce
que j’avais pu deviner ou apercevoir de son corps. Il est
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superbe, encore plus beau… Sous son boxer, son sexe bandé
ne demande qu’à être libéré.

Je ne détourne pas le regard, je ne minaude pas. J’ai


voulu ce moment, je l’ai rêvé, et je veux profiter de chaque
minute. Jamais je n’ai désiré un homme de cette manière,
avec une telle force. Dans la lumière éclatante des miroirs,
au milieu des reflets du corps nu de Dayton projeté à l’infini,
je prends conscience que cette brûlure de tout mon être,
c’est la première fois que je la ressens.

Dayton se love tout contre moi sur les draps de satin. Il


ne dit plus rien. Il se contente de me regarder, puis il me fait
rouler sur lui, cuisses de part et d’autre de son bassin, sexe
contre sexe au travers de nos sous-vêtements, et il presse
mon visage d’une main ferme contre le sien, tandis que
l’autre main appuie sur mes reins pour que nos ventres se
touchent plus encore. Nous ne parlons plus, mais nos yeux
qui ne se quittent pas, continuent le langage complice et in-
time que nous avons débuté plus tôt.

Au moment où sa langue pénètre ma bouche, il re-


hausse son bassin et je sens son sexe dur forcer contre mon
clitoris hypersensible. Maintenue contre sa bouche et son
ventre, alors qu’il n’est pas encore en moi, je me sens déjà
entièrement prise.

Folle de désir, je me mets à rouler des hanches pour me


frotter contre son érection. Je ne peux m’empêcher de gémir
entre ses lèvres. Sa main passe de l’arrière de ma tête à la
fermeture de mon soutien-gorge, qu’il détache très vite. Il
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fait glisser une bretelle sur mon épaule. Je me débarrasse
du sous-vêtement, surprise par le poids de mes seins tendus
par l’excitation, qui flottent à quelques centimètres de la
bouche de Dayton.

Il me fait de nouveau rouler, et je suis sous lui. Son re-


gard ne se lasse pas de me dévorer, ses bras abandonnés de
part et d’autre de ma tête. Je le regarde comme si je lui con-
fessais que c’est lui que j’attends depuis des années, comme
si je le suppliais de mettre fin à cette attente. Jamais le désir
n’a été aussi fort ; jamais je n’ai eu envie de crier à un
homme de me pénétrer et de me posséder. Plus les yeux de
Dayton s’attardent sur mon corps et en explorent la
moindre surface, plus mon excitation est décuplée.

Je n’en peux plus…

Dayton se recule et attrape ma petite culotte. Je soulève


le bassin pour lui faciliter la tâche.

– Attends, dit-il.

Il lâche les côtés de la culotte et, redressée sur mes


coudes, je le vois s’approcher de mon sexe encore couvert.
Du bout des doigts, il effleure mon clitoris au travers de
l’étoffe. Je soupire et écarte les cuisses. Il se penche pour
caresser le même endroit avec ses lèvres.

– Ta culotte est toute mouillée, Anna, murmure-t-il


d’une voix rauque.
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Ces paroles explicites déclenchent un nouveau frisson.

Il se redresse d’un coup et ne me laisse pas le temps de


l’aider cette fois, mais m’enlève mon sous-vêtement d’un
coup sec. Puis il se défait du sien. Je ne peux retenir un
autre gémissement devant son sexe libéré. Dayton pose ses
mains à l’intérieur de mes cuisses, de part et d’autre de mon
sexe, et je me sens soudain vulnérable sous son regard qui
fouille mon intimité.

– Tu brilles tellement tu es excitée, Anna.

Je ne veux pas répondre, je veux juste l’attirer à moi, en


moi. Je me redresse pour lui faire comprendre, essaie de
saisir ses bras.

– Ne bouge pas, Anna, je veux te regarder. J’avais telle-


ment envie de toi l’autre nuit… L’envie est encore plus forte
aujourd’hui, violente… C’est à peine si je peux respirer.

Il approche sa bouche de mon sexe et souffle douce-


ment dessus, en l’écartant de ses doigts. Je me cambre. Ses
mains remontent aussitôt jusqu’à mes seins durs et ses
doigts se mettent à jouer avec délice sur mes mamelons. Je
m’arque sur le lit.

– On prendra tout notre temps ensuite, Anna,


chuchote-t-il contre mon sexe, mais pour la première fois, je
crois qu’on ne peut plus attendre…
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Il se redresse et saisit lestement un étui sur la table de
nuit. Dans le mouvement, son sexe est à quelques
centimètres de mes mains et, alors que, me dominant à gen-
oux, il fait glisser le préservatif sur son érection en me fixant
des yeux, j’effleure sa verge du bout des doigts et me laisse
retomber sur le lit quand Dayton étend son corps au-dessus
du mien.

Son érection bat contre mon ventre, descend et trouve


mon clitoris. Dayton s’amuse quelques secondes à se frotter
ainsi contre moi. Le désir devient terrible, une torture. Alors
il couvre ma bouche de ses lèvres. Sa langue fouille pro-
fondément pour trouver la mienne, comme s’il voulait me
manger entièrement. À l’entrée de mon sexe, le bout de sa
verge force lentement. Je roule des hanches pour accélérer
la progression, mais il se retient, se fige sur place avant de
me pénétrer un peu plus loin. J’ai envie de crier, et il me
semble que c’est ce qu’il m’arrive, mais sa bouche couvre
toujours la mienne. Mes mains se referment sur ses fesses ;
je veux qu’il me prenne complètement.

Il relève la tête, à bout de souffle, les lèvres brillantes.

– Comme tu es serrée, Anna… J’ai peur de te faire mal,


chuchote-t-il comme s’il était surpris.
– Je suis serrée parce que j’ai envie de toi. Prends-moi.

Ses yeux s’éclairent d’une lueur folle et son bassin


avance d’un coup. Je me rends dans un râle. Ses allées et
venues en moi prennent de l’ampleur, sont de plus en plus
fortes ; il me remplit complètement. Je relève mes cuisses
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autour de sa taille et il passe une main sous mes fesses. Sa
bouche suce avidement un de mes seins.

Notre désir est urgent. À chaque poussée en moi, un


petit cri m’échappe. Son souffle s’emballe quand il sent que
j’écarte encore plus les cuisses. Mon clitoris est tellement
gonflé que c’est à peine supportable. Je sens tout mon sexe
qui s’ouvre autour de l’érection puissante de Dayton. Mon
ventre se crispe ; je ne veux pas que ça finisse, mais l’explo-
sion me vient du bas du ventre, tend mes seins et, rejetant la
tête en arrière, je crie de plaisir.

– Anna, oui, crie.

Il relève le visage pour observer mon orgasme et nos re-


gards ne se quittent pas. Je suis assaillie par des vagues de
plaisir qui ne cessent de me bousculer. Je gémis à présent,
mes yeux toujours plantés dans les siens. Ses traits se con-
tractent, ses musclent se raidissent et il m’attrape sous les
fesses pour me pénétrer une dernière fois. Les lèvres en-
trouvertes, le regard vague, je lui souris.

– Tu aimes faire l’amour, Anna, dit-il en haletant.


– Non, réponds-je, le souffle court, j’aime comme tu me
fais l’amour, Dayton.

Il s’allonge près de moi et me serre contre lui, dos


contre son torse, en déposant de tendres baisers sur ma
nuque. Nous restons ainsi quelques minutes sans parler, à
attendre que les battements de nos cœurs s’apaisent.
100/139
– Je savais que ce serait ainsi dès l’instant où je t’ai vue
assise au Duc des Lombards en train de dessiner. Cinq
minutes plus tôt, je ne savais pas qui tu étais et ton amie me
demandait d’aller te chercher. Lorsque je t’ai vue, ton épaule
dénudée, tes cheveux sur ton visage, ta bouche, j’ai tout de
suite eu envie de te toucher. J’ai été déstabilisé.

Il ne me voit pas alors je ferme les yeux de plaisir.

C’est un rêve, je n’y crois pas.

Dire qu’il y a quelques heures à peine, je craignais de ne


jamais le revoir.

– Je crois que tu n’as même pas conscience de quelle


manière tu attires le regard, n’est-ce pas ? poursuit Dayton.
Tu es trop occupée à regarder les autres.
– Peut-être, dis-je. Je n’y ai jamais pensé comme ça.
– Je t’aurais prise sur le pont des Arts l’autre soir,
avoue-t-il. C’est juste que…

Mon visage s’empourpre.

– Que quoi, Dayton ? demandé-je dans un murmure.

Mais il esquive une nouvelle fois et j’oublie qu’il esquive


car son corps devient brûlant presque instantanément.

– Je vais te prendre encore, Anna, me dit-il d’une voix


dont je reconnais déjà le timbre rauque.
101/139
Contre mes fesses, sa verge prend vie. Il se frotte contre
moi et ses mains trouvent aussitôt mes seins qu’il pétrit,
tout en continuant de grossir dans mon dos. Je me cambre
pour lui exprimer mon approbation, déjà excitée. Il se rec-
ule, se met à genoux et me positionne à quatre pattes devant
lui.

– Baisse-toi un peu, m’ordonne-t-il, ivre de désir.


Laisse le satin caresser tes seins.

Je m’exécute. Il n’est pas autoritaire et je ne suis pas


son jouet. Je sens qu’il a véritablement envie que nous pren-
ions le maximum de plaisir.

Je m’appuie sur les coudes de sorte que les pointes de


mes seins touchent le tissu satiné. Les mains posées sur mes
fesses, Dayton imprime à mon corps un léger bercement, et,
très vite, la caresse des draps sur mes seins, alliée à celles
des mains de Dayton me malaxant les fesses, m’emporte
dans un espace de jouissance que je ne connaissais pas.
Quand ses doigts s’immiscent dans mon sexe en tournant
pour m’ouvrir, j’ai envie de me redresser, mais mon amant
expert me fait comprendre de rester en place. Son index
profondément enfoncé en moi appuie vers le bas dans mon
sexe, pendant que du pouce, il tourne sur mon clitoris. Je
halète.

– Tu es belle, Anna. Je voudrais que tu jouisses comme


ça.
– Non, Dayton, viens, je t’en prie.
– Tu veux ?
102/139
Toujours ce même geste rapide vers la table de nuit. Je
ferme les yeux, entends les bruits discrets de l’étui, la
croupe toujours tendue.

Cette fois, il n’a pas peur de me faire mal et mon sexe


est déjà prêt à le recevoir. Il m’allonge sur le lit, rehausse
juste mon bassin en repliant un peu mes cuisses et me
couvre entièrement comme un roi animal.

Cette étreinte dure longtemps. Il me prend avec lenteur


et application, me retourne, me cambre. Je jouis à répéti-
tion et il m’observe sans ciller, retenant son plaisir chaque
fois pour m’envisager sous un nouvel angle, comme si sa
faim de moi était insatiable. Je me laisse totalement aller et
consens à toutes ses propositions. À chacun de mes or-
gasmes, son regard s’illumine dans l’éclat du soleil couchant
qui se reflète dans les mille miroirs. Ma gorge est
douloureuse de toutes ces jouissances. Quand, enfin, il se
laisse aller à son propre plaisir, il est tellement fort qu’un
moment, j’ai peur qu’il en perde conscience. Puis, il s’abat
sur mon corps comme un guerrier épuisé, un sourire sur les
lèvres, les yeux mi-clos.

– Que me fais-tu, Anna ? murmure-t-il.

Et toi donc !

Je caresse son front couvert de sueur, l’embrasse


doucement sur les lèvres. Ce n’est qu’une trêve, la nuit com-
mence juste. Nous nous assoupissons un peu pour repren-
dre des forces. Tout à l’heure, j’imagine que nous ouvrirons
103/139
les paupières, dans les bras l’un de l’autre… Et puis, et
puis…
6. Attractions désastre

Je m’éveille en sentant bouger Dayton contre moi. Il se


dégage doucement de mes bras, et j’ouvre les yeux. Penché
sur la table de chevet, il allume son portable, puis il me
reprend contre lui.

– Tu peux encore dormir, Anna, il est tôt, me chuchote-


t-il en me picorant le visage de baisers.
– Tu ne pensais quand même pas m’abandonner
pendant que je dormais ? dis-je d’une voix endormie.

Comme c’est bon de se réveiller contre sa peau, dans


son odeur. Je bouge un peu et me rends compte que tout
mon corps est endolori par notre nuit d’amour torride, par
ces heures brûlantes que nous avons passées à nous découv-
rir l’un l’autre, à confondre nos désirs et partager le plaisir.
Je me blottis contre lui, et ses gestes sont si tendres que je
soupire de contentement en enfouissant mon visage dans
son cou.

– Je suis bien, dis-je dans un souffle.


– Moi aussi, chuchote-t-il.
105/139
Je voudrais que la journée ne commence jamais. Je
voudrais rester là, contre lui, et que nous reprenions nos
échanges de la nuit, que nous alternions encore tendresse,
rire et passion. Je l’entends encore m’avouer que je le
trouble comme il me trouble. Un frisson traverse tout mon
corps.

– Il va falloir que j’y aille, poursuit-il. J’ai des rendez-


vous importants ce matin et je ne peux pas les annuler.

La barbe, le temps ne peut-il pas s’arrêter pour les


amoureux ?

– Quoi comme rendez-vous ? demandé-je.


– Des trucs, répond-il en se levant.
– Je me demande comment tu aurais réagi si j’avais ré-
pondu aussi vaguement chaque fois que tu as posé des ques-
tions me concernant.

Assis, nu – et superbe ! –, au bord du lit, il se tourne


vers moi avec cette expression qui est maintenant sa signa-
ture : sourire fin amusé et regard intense.

– Des trucs pas très intéressants, ajoute-t-il, comme si


le sujet était clos. Tu viens prendre une douche avec moi ?

Il me tend la main, et je ne peux résister à cette invita-


tion qui se transforme rapidement en quelque chose de plus
audacieux qu’une simple douche. De quoi merveilleusement
commencer la journée…
106/139
Alors que nous nous habillons, je me retiens de lui
poser la question qui me brûle les lèvres : « Quand nous
reverrons-nous ? ». Je jette des coups d’œil dans sa direc-
tion, admirant son corps sculptural et ses gestes souples. Il
est terriblement viril dans ce costume léger, aussi séduisant
que sur scène en jean et chemise. J’ai la gorge nouée, et lui
ne prononce pas un mot.

– Tu repars demain, c’est ça ? parviens-je enfin à


articuler.
– C’est ça, répond-il sans rien de plus.

Je fouille dans mon sac pour consulter mon téléphone


et me donner une contenance. Je sens Dayton s’approcher.

– Je te l’emprunte une seconde ? dit-il en désignant


mon portable.

Il pianote sur mon téléphone avant de me le rendre, al-


ors que le sien bipe pour annoncer l’arrivée d’un message.

– Tiens, tu auras mon numéro comme ça, dit-il sur un


ton pratique. Tu es prête ? ajoute-t-il.

Je hoche la tête et le suis jusqu’à l’extérieur de l’hôtel,


ma main dans la sienne.

– Je dois passer à mon hôtel pour me changer et filer à


mon rendez-vous. Je te dépose quelque part ?
107/139
Et soudain, parce que j’ai le cœur gros, j’ai envie de fuir
à toutes jambes, mais je parviens à rester digne.

– Non, non, réponds-je, je vais marcher un peu et pren-


dre le métro. Je n’ai pas de rendez-vous, j’ai tout mon
temps ! ajouté-je avec un air enjoué complètement faux.

Je repasserai pour mes talents de comédienne…

Il incline la tête, plonge ses yeux dans les miens et pose


une main sur ma joue, son pouce effleurant mes lèvres
tendrement.

– J’aimerais t’avoir près de moi pour ma dernière nuit à


Paris, Anna, chuchote-t-il.

« Ma dernière nuit » sonne un peu comme « notre


dernière nuit » tout court.

– Moi aussi, dis-je malgré tout.

J’en crève, oui !

– Rejoins-moi à mon hôtel en fin de journée, tu veux bi-


en ? Je suis au Burgundy. Je t’appelle dès que j’ai fini ma
journée surchargée.

Je secoue la tête. Je ferais n’importe quoi pour lui.

– Et, Anna, ne mords pas ta lèvre comme ça, s’il te plaît,


ça me fait un effet fou et nous n’avons pas le temps…
108/139
J’esquisse un sourire, et il m’embrasse avec passion.

– J’ai hâte d’être ce soir, me chuchote-t-il.

Nous nous quittons une nouvelle fois sur un trottoir,


mais, cette fois, en sachant que nous allons nous retrouver.

Je rentre chez moi sur un nuage. En bas de l’immeuble,


je tombe sur Gauthier, les bras chargés de courses, et je l’ac-
compagne chez lui. Il est un peu pressé, car il a invité un
« magnifique et talentueux » danseur à déjeuner pour parler
affaires.

– Hum, affaires, tu es certain ? dis-je.


– Mais bien sûr, je sais rester professionnel, tu sais,
répond-il. Rien n’interdit d’apprécier les gens avec qui on
fait affaire. Dans mon cas, j’ai remarqué que ma motivation
était bien meilleure.
– Tu me raconteras alors ?
– Uniquement si tu me racontes où tu as dormi cette
nuit, me dit-il, puisque notre premier ministre anglais n’a
cessé de miauler.

J’affiche un sourire épanoui.

– Dormi ? Non, on ne peut pas dire que j’ai beaucoup


dormi… J’étais avec Dayton.
– Je vois, dit-il avec son expression soucieuse.

Mon ami est toujours méfiant. Je sais qu’il n’aime pas


me voir souffrir.
109/139
– Je le revois ce soir, ajouté-je aussitôt pour le rassurer.
– Très bien, tu as l’air comblée en tous cas.

Il commence alors à me poser une longue liste de ques-


tions auxquelles je me rends bien vite compte que je n’ai
aucune réponse :

– Quel âge a Dayton ?


– Euh plus âgé que moi, la trentaine…
– Quel est son nom de famille ?
– Je ne sais pas.
– La musique est-elle sa principale activité ?
– Eh bien, oui, enfin je crois.
– Où part-il demain ?
– Aucune idée.
– Il habite à New York ?
– Oui, je pense.

Au bout de dix minutes gênantes de réponses hésit-


antes, je prends conscience que je n’ai que son numéro de
téléphone et les souvenirs de notre nuit passée comme certi-
tudes. C’est mince…

Devant ma mine affolée, Gauthier me rassure en me


disant que j’en saurai certainement plus ce soir, puis il me
congédie gentiment pour se mettre en cuisine et me recom-
mande encore une fois de faire attention à moi.

Churchill, caché sous le canapé, me prend en embus-


cade dès que je mets un pied dans mon appartement et se
jette dans mes jambes pour se venger en m’agonisant de
110/139
reproches – je suppose que c’en est, étant donné le ton de
ses miaulements. Je nourris la bête, lui accorde sa ration de
câlins en retard en le caressant d’un air absent, tout en
rêvassant sur le canapé aux heures passionnées avec
Dayton. Je soupire, je tremble, et on est à peine en fin de
matinée. L’après-midi va être longue…

Quand mon estomac se met à grommeler, je me rap-


pelle que je n’ai quasiment rien mangé depuis hier, et le peu
que nous avons grignoté avec Dayton dans la chambre a
rapidement été consommé dans nos ébats. Il est également
temps de se reconnecter avec la réalité. J’allume l’ordin-
ateur. Claire Courtevel m’a envoyé un message pour accuser
réception de mes illustrations et du supplément d’article de
la veille et me féliciter de mon professionnalisme. Je fais un
passage sur mon blog pour lire les derniers commentaires
de mes lectrices suite à mon dernier texte :

« Alors, il a appelé ? »

Non, mais c’était mieux.

« Une vie comme un roman… »

Mieux que ça…

J’entame la rédaction d’un nouvel article intitulé Nights


in white satin dans un style propre à faire rêver toutes les
femmes, mais qui soulève un point important : sommes-
nous toutes prêtes à nous laisser dévorer par la passion avec
un homme dont on ne sait rien ? Je colore à l’aquarelle un
111/139
croquis de deux corps allongés sur un lit sous un ciel étoilé,
et je laisse mes lectrices fantasmer pour la journée.

Je décide d’appeler Saskia pour la tenir au courant des


dernières évolutions de mes folles aventures. Elle répond
aussitôt.

– Je ne devrais pas te répondre, Anna, dit-elle en riant


à moitié, mais c’est juste que j’ai oublié de couper mon
portable.
– Ah, et tu es où ?
– Là, je suis dans un palace, dans une chambre com-
plètement dévastée en compagnie de celui avec qui je l’ai
dévastée…
– Ah, je vois, donc je te dérange là ?
– Hum, tu ne me déranges jamais, Anna, mais com-
ment dire, un peu quand même, là… glousse-t-elle.
– Bon, je te laisse alors, je voulais juste te dire qu’il y a
eu du nouveau au sujet de Dayton…
– Oh, oh ! fait-elle. On se raconte tout ça plus tard, tu
veux bien ?
– Mais oui, profite bien de ta journée, dis-je avant de
raccrocher.

L’après-midi se passe mollement entre croquis et som-


nolence. J’envoie une photo d’un dessin très suggestif à
Dayton, représentant un couple nu en pleine passion, mais
je finis par être troublée par les pensées qui sont à l’origine
de ce genre de dessins, par les initiatives qu’elles pro-
voquent en moi, et j’essaie de m’oublier dans des travaux
plus sérieux.
112/139
Finalement, l’après-midi touche à sa fin sans que j’aie
eu le moindre signe de Dayton, et les questions paniquées
m’assaillent à nouveau. S’il m’oubliait ? S’il avait mieux à
faire ? Dois-je l’appeler au risque de l’agacer ? Pourquoi n’a-
t-il même pas réagi au dessin que je lui ai envoyé ? Mon
coloc anglais n’a aucune réponse.

Enfin, un SMS arrive :

[Je t’attends. Le Burgundy, 6e étage, appartement.]


« Boum » fait mon cœur, comme si c’était la première
fois que j’allais le retrouver. Après tout, c’est la première
fois après la première fois… L’émotion et le trouble sont
toujours là, plus intenses même.

Je peaufine mon maquillage discret, en essayant de ne


pas trembler d’excitation, attrape une veste légère en peau
noire pour rendre plus rock ma robe légère –susceptible
d’être très rapidement ôtée –, et je file à toute allure après
m’être assurée que Churchill a de quoi manger toute une
nuit (je crois que cet animal mange même pendant son
sommeil).

Quarante minutes plus tard, je pénètre dans le vaste et


lumineux hall de marbre blanc, époustouflée par le cara-
ctère luxueux des lieux. Je me dirige droit vers les ascen-
seurs et monte au 6e étage où je passe devant des portes an-
nonçant les suites Royale ou Vendôme, avant de frapper à
celle sur laquelle une plaque en bronze annonce
113/139
« Appartement ». Derrière cette porte m’attend une nuit de
délices amoureux avec l’homme le plus séduisant du monde.

À la troisième tentative nerveuse, la porte s’ouvre sur


Dayton, pieds nus, jean et chemise blanche sortie du pan-
talon. Il est hyper-sexy, à tomber par terre dans cette tenue
décontractée. Son sourire n’est rien que pour moi, et son re-
gard qui s’éclaire et s’intensifie d’un coup me rassure aus-
sitôt. La nuit nous appartient.

– Anna, dit-il en m’attirant à lui pour m’embrasser de


ses lèvres voraces.

Je me laisse aller dans ses bras et sous ses mains qui


reprennent possession de mes courbes.

– Le dessin que tu m’as envoyé m’a donné des envies


tout l’après-midi, chuchote-t-il en me mordillant le cou.

Je gémis de plaisir sous ses caresses. Il se redresse et


me prends la main pour me guider dans un couloir vers une
porte derrière laquelle je perçois des voix. Je le regarde,
intriguée.

– Tu n’es pas seul ? demandé-je.

Je croyais que nous devions passer cette soirée en


amoureux. Pourquoi ne m’a-t-il pas prévenue ?
114/139
– Petite réunion imprévue, chuchote-t-il d’un air
désolé, avant de poser un rapide baiser sur mes lèvres. Ça
ne devrait pas durer toute la soirée.
Il lâche ma main pour ouvrir la double porte donnant
sur un salon dans lequel sont installées… beaucoup trop de
personnes.
– On a une invitée, lance Dayton à l’assemblée.

Il y a là Julian (sans Saskia ?), les deux autres musi-


ciens du groupe entourés de filles qu’il me semble avoir
aperçues l’autre soir au Duc des Lombards, deux autres
types au look débraillé que je ne connais pas et, surtout, il y
a une rousse sculpturale qui me fait aussitôt penser à la
méchante adversaire de Batman, Poison Ivy. Nonchalam-
ment installée dans un canapé, tout habillée de vert pour
faire ressortir ses cheveux flamboyants, la bouche carnas-
sière, le regard détaché, elle me considère de haut en bas, et
je me sens comme une première communiante tombée dans
un traquenard.

– Hé, bonjour, beauté française, me lance-t-elle alors


que personne ne semble s’offusquer de son ton un peu
moqueur comme si tout le monde y était habitué.

Même Dayton !

– Anna, dit-il, je te présente Petra. C’est la chanteuse du


groupe. Elle n’était pas avec nous au Duc des Lombards
parce qu’elle avait une obligation à Londres, mais elle est
normalement de tous les concerts.
115/139
Super…

Ensuite, il me présente les autres, mais je ne retiens


aucun nom. Je suis restée bloquée sur Petra et ses manières
de reine de la soirée. Je me sens embarrassée dans cette
pièce où tous se connaissent. Les discussions reprennent
leur cours, et Petra semble monopoliser la conversation.
Elle est omniprésente et hyper-sexy, a de l’humour et la voix
qui porte, j’ai tout simplement envie de la tuer… ou d’être
aspirée par l’épaisse moquette. Sans compter que je pensais
passer une soirée en tête-à-tête avec Dayton. Lui est à l’aise
dans cette assemblée. Il parle peu, mais je sens que tous re-
spectent le silence chaque fois qu’il prend la parole. Son
autorité silencieuse accentue encore mon malaise. Je me
sens déplacée.

Comme Julian passe près de moi, je lui demande :

– Saskia n’est pas avec toi ?

Tout d’abord, à voir sa tête, j’ai peur qu’il ne se rappelle


même plus de qui je parle, puis, finalement, il répond :

– Euh non, elle avait un truc de prévu ce soir, je ne sais


pas quoi…

Il me donne surtout l’impression de s’en moquer com-


plètement. Je ravale une brusque poussée de colère. Pour
me détendre, je me dirige vers la porte-fenêtre ouverte et
vais prendre l’air sur la terrasse. Dayton me rejoint deux
minutes plus tard.
116/139
– Ça va ? me demande-t-il en me touchant doucement
le visage, si vite que j’ai le sentiment qu’il ne veut pas que
cela se voie.

Je hoche la tête mais tout ment en moi, et il le sent


aussitôt.

– Dis-moi ce qui ne va pas, Anna, ajoute-t-il en inclin-


ant le visage.
– Euh, je pensais que nous allions passer la soirée seuls,
enfin, ensemble…
– Oui, c’est ce que je t’ai dit et j’en ai très envie. La
soirée ne fait que commencer et nous sommes ensemble,
non ? Il peut se passer bien des choses encore.

Le simple fait de me toucher ou même de déposer un


léger baiser dans mon cou comme il le fait efface toutes mes
inquiétudes.

Évidemment, il ne va pas mettre tout le monde à la


porte comme ça…

Nous retournons dans le salon et Dayton reprend sa


place au milieu du groupe, trop loin de moi à mon goût. Je
me pose dans un fauteuil à l’écart, en sirotant le jus de fruits
qu’il m’a servi. Petra monopolise l’attention en racontant
l’enregistrement qu’elle a fait à Londres avec un artiste que
tous semblent connaître, sauf moi, et dont elle dresse un
portrait assez comique. Tous éclatent de rire, ce qui la
pousse à la surenchère. Elle va même jusqu’à s’accrocher
aux épaules de Dayton et manifester une complicité qui
117/139
allume tous les feux de la jalousie en moi. Dayton rit de
l’histoire de Petra et ne s’éloigne pas d’elle. Il la prend
même par la taille, alors qu’elle poursuit sa narration le bras
autour des épaules de Dayton. Le malaise que je ressens in-
stantanément est physique. Mon ventre se tord et mon sang
se glace d’un coup dans mes veines.

Mais c’est un couple ou quoi ? !

Je déglutis. Qu’est-ce que je fais là ? Je ne comprends


rien à leurs manières de se comporter. Cette proximité qu’ils
partagent tous, les blagues qu’ils font, ce n’est pas mon
monde. J’ai envie de me lever et de m’enfuir, mais je n’ai
pas envie de passer pour une petite idiote. Alors je fais ce
qui me sauve toujours. Je sors mon carnet de croquis de
mon sac et me mets à griffonner des postures et des visages,
pour me couper de ce qu’il se passe dans cette pièce, qui me
blesse profondément.

Petra devient alors une femme-plante et Dayton, une


sorte d’empereur. Toute la scène représente un banquet ro-
main où tout le monde est affalé et rit de manière grotesque.

Soudain, j’entends la voix de ma nouvelle ennemie


résonner tout près de moi :

– Tu gribouilles ? demande-t-elle en se penchant, pas


assez vite pour apercevoir mes dessins, car je referme aus-
sitôt mon carnet.
118/139
Je cherche Dayton du regard. Il fixe ses yeux sur moi et
m’adresse une petite moue pour m’indiquer que je ne dois
pas prêter attention à ce qui vient de m’être dit. Enfin, je
suppose que c’est ce que ce regard veut dire. Mais le souffle
me manque. Tout le monde pouffe en me voyant tétanisée
dans mon fauteuil.

Petra lance alors :

– Hé, qu’est-ce qu’on fait ? On sort dîner ensemble


pour notre dernière soirée parisienne ?

La proposition semble enthousiasmer l’assemblée.


Dayton me fixe toujours du regard. Je me lève alors, ba-
fouille que j’ai d’autres plans pour la soirée et, à peine
quelques minutes plus tard, je sors de l’ascenseur, des
larmes plein les yeux.

J’ai presque atteint la sortie de l’hôtel quand j’entends


des pieds nus frapper le sol de marbre. Deux bras m’agrip-
pent par les épaules pour me faire pivoter brutalement.

– Tu fais quoi, là, Anna ? me demande Dayton d’une


voix froide.

J’ai le menton qui tremble.

– Tu vois, Dayton, là, je m’en vais. Je vous laisse entre


vous pour votre dernière soirée parisienne.
– Il me semble que ce n’est pas ce qui était prévu,
répond-il.
119/139
– Non, en effet, mais il n’était pas prévu non plus que je
me retrouve au milieu de musiciens et leurs groupies. Tu
aurais pu me prévenir, non ? Tu as bien vu que je n’étais pas
à l’aise et, pourtant, tu n’as rien fait. Tu fais comme si je
n’existais pas. Sans compter que ta copine se paie ma tête.

Il prend mon visage fermement entre ses mains.

– Anna, reste, s’il te plaît.


– Tu n’as pas entendu ce que j’ai dit, Dayton ? Je m’en
vais parce que j’en ai marre que tu t’amuses avec moi.

Tout le monde dans le hall nous regarde mine de rien.


Pour couronner le tout, la voix de Petra me parvient depuis
l’endroit où se trouvent les ascenseurs.

– Dayton ! Tu comptes sortir pieds nus ?

Je détache les mains de Dayton de mon visage, le re-


garde intensément en me disant que c’est la dernière fois
que je vois cet homme superbe qui m’a fait faire n’importe
quoi, et je tourne les talons.
7. Qui es-tu ?

Je n’aurai jamais connu de retours aussi différents chez


moi en une seule journée. Alors que ce matin, je planais au
paradis ; je rentre à présent comme si on venait juste de me
repêcher d’un marais, dégoulinante et sale. J’ai caché tant
bien que mal mes larmes dans le métro, et, dans la rue, je
hâte le pas pour me retrouver au plus vite chez moi et me
laisser aller à des sanglots tragiques. Je suis autant furieuse
que blessée par ce qu’il a fait et ma sottise.

Ça fait trois jours que je connais ce type et pas une


heure sans que je sois à cran !

Pour couronner une situation déjà bien assez cata-


strophique, Jonathan monte la garde au bas de mon
immeuble.

C’est la goutte qui fait déborder le vase !

En me voyant le visage inondé de larmes, il prend un


air affolé et inquiet.
121/139
– J’en étais sûr, me dit-il aussitôt. J’ai lu ton blog et j’ai
su tout de suite que tu t’étais fourrée dans une sale histoire
avec un mec.

Les bras ballants, j’hésite entre lui hurler dessus (pour


me soulager) et lui tomber dans les bras (comme je le ferais
avec la boulangère s’il s’agissait d’elle) tant je suis effondrée.
Je suis tellement à bout que je ne peux me retenir :

– Mais enfin qu’est-ce que tu fous ici, Jonathan ? Tu ne


peux pas me laisser vivre ma vie au lieu de me traquer
comme un psychopathe !
– Je m’inquiétais pour toi, Anna, bafouille-t-il.

J’agite les bras comme un moulin.

– Je ne te demande rien. Je suis bien assez grande pour


vivre ma vie. J’aimerais que tu te rentres dans la tête une
bonne fois pour toutes que c’est fini entre nous et que je n’ai
pas à te tenir au courant de ce que je fais !

Je m’en veux aussitôt. Jonathan est blanc comme la


craie ; je l’ai blessé. Il baisse la tête.

– Je sais tout ça, Anna. Ça n’empêche pas que je me


fasse du souci pour toi.
– Je suis désolée, excuse-moi, lui dis-je pour me
rattraper.

Trop tard, le mal est fait, mais j’ai envie d’être seule, et
pas d’essayer de réparer une relation qui est finie ou de
122/139
ménager les susceptibilités des autres après ce que je viens
de vivre dans la suite du Burgundy.

– J’ai besoin d’être seule, là, Jonathan. Ne t’inquiète


pas, je t’appellerai.

Il s’éloigne, affligé, et je monte à mon appartement


dans lequel je m’enferme pour pleurer toutes les larmes de
mon corps. Je suis en colère et j’ai mal. Encore plus quand
je me rends compte que Dayton n’a pas cherché plus que ça
à me retenir. Il n’a même pas cherché à m’appeler.

Je revois son visage dans le hall de l’hôtel, ses lèvres


fines pincées, comme s’il s’interdisait de dire quelque chose.
Lorsque le visage et la voix de Petra me reviennent à l’esprit,
j’ai envie de tout casser, mais je me retiens car je ne veux
pas alarmer Gauthier. Churchill, blotti sous un meuble, at-
tend que l’orage passe.

À peine deux heures plus tard, alors que je suis toujours


pétrifiée entre chagrin et fureur, les messages et les appels
commencent à arriver, auxquels je ne réponds pas :

[Anna, réponds, je t’en prie.]


[Excuse-moi, s’il te plaît, je ne voulais pas te blesser.]

Sur d’autres messages vocaux, il ne dit rien ; je l’en-


tends juste respirer.

Pour ne pas craquer, j’appelle Saskia et lui demande de


venir. Je ne veux pas rester seule. Je sais que je pourrais
123/139
céder à nouveau pour me retrouver dans la même situation
demain matin. Il est temps que je me reprenne en main ; je
ne suis plus une adolescente.

Même si j’ai envie de l’excuser, rien que pour pouvoir


me retrouver contre lui…

Saskia ne se fait pas attendre, et nous nous préparons à


une soirée de siège (pizza, chocolat, film) après lui avoir ex-
pliqué tout ce qu’elle a manqué de cette stupide et merveil-
leuse histoire avec Dayton.

– Hum, fait-elle, il faut être solide quand on fréquente


des types comme ça.
– Qu’est-ce que tu entends par là ?
– Je veux dire que ces types voyagent, qu’ils prennent
du bon temps et qu’il faut fonctionner comme eux si on ne
veut pas souffrir, me dit-elle.
– C’est ce qui se passe entre Julian et toi ?
– Oui, c’est ça. On a passé du bon temps ensemble,
mais il a plus ou moins une copine fixe et, le reste du temps,
il fait des rencontres. La règle du jeu est simple, on se plaît,
on s’amuse, mais c’est tout. Mieux vaut ne pas trop en sa-
voir sur l’autre.

Je secoue la tête. Je ne comprends rien à ce genre de re-


lations dont je suis incapable. Et puis, ça n’est pas comme si
Dayton ne s’était pas intéressé à ce que je suis. J’ai l’impres-
sion de ne lui avoir rien caché de ma personne. Lui, par
contre… c’est un mystère. C’était sûrement voulu.
124/139
Un SMS arrive :

[Je ne pars pas sans t’avoir revue, Anna.]

Saskia m’observe. J’efface le message.

Puis c’est un appel qui bascule sur la messagerie :


« Anna, ça suffit, réponds-moi. De toute façon, je sais où tu
habites, j’arrive. ».

Comment ça, il sait où j’habite ? !

– Merde ! dis-je, paniquée, sans chercher à comprendre


comment il a pu obtenir cette info. Il va débarquer ici.

Un quart d’heure plus tard, le 4 x 4 dont j’ai artistique-


ment barbouillé le pare-brise se gare en double file devant
l’immeuble. Saskia et moi jetons un coup d’œil entre les
stores.

– Tu comptes faire quoi ? me demande mon amie


quand nous apercevons Dayton sortir de la voiture et se di-
riger vers la porte de mon immeuble.

Je ne sais plus.

– Tu veux que j’aille lui parler, Anna ?


– Pas question. Je suis déjà passée pour une imbécile à
l’hôtel. Finalement, il s’amuse avec moi depuis le début,
sans doute une question de fierté pour lui. Il ne doit pas
aimer se faire planter devant tout le monde. Je vais me com-
porter comme une adulte et lui demander qu’il s’en aille.
125/139
Il me faut une force surhumaine rien que pour ouvrir la
porte de mon appartement et descendre l’escalier sur mes
jambes de plomb. Il est posté devant la porte de l’immeuble,
que j’entrouvre sans sortir, ni le laisser entrer. Son visage
est tendu, mais ses yeux se mettent à briller dès qu’il me
voit.

Bien entendu, il croit que je vais céder…

– Il faut que tu t’en ailles, Dayton. Je ne veux pas que tu


restes là et je ne tiens pas à te faire monter chez moi, ni à te
suivre. Laisse-moi, s’il te plaît.
– Anna, commence-t-il en serrant les mâchoires comme
s’il se retenait de parler fort, Anna, je suis désolé pour ce
qu’il s’est passé tout à l’heure. Je n’aurais pas dû laisser
faire. J’aurais dû m’en tenir à ce que nous avions convenu.
– En effet, et tu aurais dû t’en rendre compte tout de
suite et pas deux heures plus tard. Je comprends tout à fait
que tu aies envie de t’amuser avec tes amis, avec moi et le
monde entier, mais je peux quand même décider si le jeu
m’amuse ou pas. Je ne sais pas être une fille d’un soir.
– Anna, fait-il en entrant de force dans le hall et me
prenant le visage pour approcher le sien, Anna, je m’en
veux. Je ne sais pas quoi faire pour me rattraper. Je n’avais
pas prévu de te rencontrer, ni que j’aurais envie de passer
avec toi du temps que je n’ai pas. Tu n’es pas une fille d’un
soir, je te l’ai dit ! Tu dois me croire !

Rien que d’avoir ses mains sur mon visage provoque


une vague de tremblements dans tout mon corps. Quand il
effleure mes lèvres de sa bouche, autant dire que je fonds
126/139
littéralement et manque de m’écrouler. Je sens aussitôt le
désir monter en moi. Je me rappelle tout de suite le plaisir
qu’il m’a donné, mais je pense aussi aux larmes que je
verserai sans doute demain quand il devra partir.

Sois forte !

– Non, s’il te plaît, Dayton, va-t’en, dis-je en le re-


poussant vers la porte.

Il me fixe, abasourdi. Je n’arrive pas à lire son regard.


Je ne sais pas s’il est blessé ou triste, mais, quand je referme
la porte, le cœur une nouvelle fois en morceaux, je le vois
taper du poing contre le mur avant de s’éloigner vers sa
voiture. Je monte me réfugier dans les bras de mon amie.

Saskia reste dormir chez moi et nous faisons ménage à


trois dans mon lit : Churchill, elle et moi (plus une tonne de
mouchoirs en papier). Cela fait du bien de ne pas être seule
au réveil. Chaque fois que mon regard s’assombrit, Saskia
trouve une phrase légère pour détourner mon attention. Je
ne doute pas une seconde que notre cohabitation new-york-
aise se passera bien.

À peine sommes-nous levées que je reçois un coup de fil


de Claire Courtevel.

– Tu bosses sur quelque chose, là, Anna ? me demande-


t-elle d’une voix qui me semble plus agacée que d’habitude.
– Non, pourquoi ?
127/139
– Parce que tu pars pour Amsterdam ce soir, répond-
elle.
– Comment ça ?
– Bon, je vais résumer la situation que je ne comprends
pas plus que toi. Le rédac chef du magazine masculin du
groupe vient de m’appeler. Il te veut pour une interview ex-
clu du patron d’une boîte de protection informatique.

Super-excitant…

– C’est une boîte américaine très en vue et en pleine ex-


pansion, poursuit Claire. Elle ne fait pas beaucoup de com-
munication, mais, là, le patron a contacté le magazine pour
leur proposer une exclusivité. Ne me demande pas com-
ment, ni pourquoi, mais c’est toi qu’ils veulent, papier plus
illustrations… Ce type est de passage dans leurs bureaux
d’Amsterdam, donc tu fais ton sac. Tes billets t’attendent à
l’aéroport. Ils t’ont réservé une chambre là-bas. Enfin, tout
est organisé, tu ne peux pas dire non.
– Je vois… alors c’est oui.
– Je t’envoie de la doc par mail, Anna. Le type s’appelle
Jeff Coolidge, la boîte en question, DayCool. Essaie de te
renseigner un peu sur son domaine d’activité, bien sûr. En-
core une chose, ton papier paraîtra également dans le
magazine américain du groupe. Bonne chance et assure !

Quelle sacrée surprise ! Ce n’est pas du tout le genre de


sujet que j’ai l’habitude de traiter. Je le dis à Saskia qui,
d’humeur à positiver, me rassure en déclarant que ce nou-
veau défi ne peut être que stimulant. Elle n’a pas tort. L’art-
icle va être publié aux États-Unis ; c’est un sacré tremplin
128/139
pour démarcher les magazines là-bas. Me voilà, comme une
« vraie journaliste » à m’envoler au débotté pour une inter-
view exclusive !

La classe, non ?

L’après-midi file. Je poste un article sur mon blog intit-


ulé Qui est votre Poison Ivy ? en caricaturant méchamment
la mienne. Je passe voir Gauthier pour lui demander, à gen-
oux, de prendre soin de Churchill en mon absence et appelle
mes parents pour les prévenir de mon bref voyage. Puis, dir-
ection l’aéroport.

Cette mission, bien que complètement incompréhens-


ible, me sauve presque. Prise dans l’urgence et un rien ango-
issée par mes objectifs, j’arrive à tenir à distance le souvenir
obsédant de Dayton. C’est toujours mieux que de me mor-
fondre sur cette passion sans lendemain…

Le vol dure le temps d’un trajet en banlieue. Je le passe


à parcourir ma documentation sur les sociétés de protection
informatique et le peu qu’on sait de Jeff Coolidge que je ren-
contrerai demain dans les salons de l’hôtel où je dois sé-
journer. Tout a été organisé dans les règles de l’art ; ce qui
me pousse à nouveau à m’interroger sur l’étrangeté de cette
interview.

C’est une limousine qui me conduit au Conservatorium


Hotel d’Amsterdam, près du musée. Le décor design est
prestigieux. Je suis abasourdie par le luxe de l’endroit.
Quelque chose cloche, vraiment. Je n’ai jamais entendu
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parler d’un tel traitement pour une simple journaliste. J’ai
plutôt l’habitude d’être reçue entre deux portes ou de poire-
auter interminablement car mon interlocuteur a oublié
notre rendez-vous. Là, c’est plutôt le traitement « tapis
rouge » !

Je souris malgré tout intérieurement en pensant que ce


n’est que le troisième hôtel que je fréquente en trois jours.
Je devrais peut-être proposer un papier sur ce sujet
d’ailleurs…

Quand le groom me laisse à ma chambre, je corrige aus-


sitôt ma définition du mot « chambre ». C’est une suite mo-
numentale, et je me surprends même à prendre des photos
que j’envoie à Saskia et Gauthier. La baignoire est une
énorme vasque de pierre posée devant une fenêtre panor-
amique. Je suis comme une enfant au château de Ver-
sailles ! On me monte un dîner sans que je l’aie commandé.
Je m’installe pour préparer mon interview avec l’angoisse
de la jeune journaliste qu’on doit avoir choisie par erreur…
Il y en a sûrement de nombreux autres beaucoup plus quali-
fiés que moi sur le sujet.

Après un bain de rêve pendant lequel mon esprit essaie


de m’entraîner vers des pensées douloureuses de Dayton, je
me couche et m’endors du sommeil perturbé d’une veille
d’examen.

Mon rendez-vous avec Jeff Coolidge est à 10 heures


dans un salon privé de l’hôtel. Quand j’arrive, il m’attend
déjà. Ma première pensée est qu’il ne colle pas du tout avec
130/139
l’idée que je me faisais d’un PDG d’une boîte informatique.
Jeff Coolidge est un grand mastodonte à la poigne musclée.
Un impressionnant quadragénaire black que j’aurais plus
facilement imaginé comme entraîneur de boxe plutôt qu’en
tenue de businessman.

Il m’invite à m’asseoir, et je sens aussitôt que tout va bi-


en se passer entre nous. Son sourire est franc, sa voix, douce
et mesurée ; il me met en confiance.

Jeff Coolidge m’explique qu’avant de créer DayCool, il a


travaillé au Computer Crime Research Service, une organ-
isation non gouvernementale américaine chargée d’identifi-
er les délits commis sur Internet. Aujourd’hui, toutes les
grandes compagnies font appel à sa société pour la protec-
tion de leurs données. DayCool possède ce qu’il appelle des
« bureaux éphémères » dans tous les pays du monde.

– Il n’y a pas qu’aux États-Unis que l’on trouve des gens


compétents, précise-t-il. Nous cherchons l’excellence et l’ex-
ception partout dans le monde parce que l’approche de ce
domaine, bien qu’universelle, possède des particularités
propres à chaque culture. Les gens qui travaillent pour nous
sont disséminés dans le monde entier.

Il donne l’impression d’avoir l’habitude de parler de son


entreprise et il s’exprime avec enthousiasme.

– Cette interview tombe à pic, m’explique-t-il. Une


grosse multinationale qui conçoit et commercialise des or-
dinateurs, téléphones et autres produits électroniques vient
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de relever des défaillances dans son système de protection,
qui rendraient ses utilisateurs très vulnérables au piratage
sur des réseaux non sécurisés. C’est DayCool qui a lancé
l’alerte et solutionné ce problème.

Tout s’explique, un beau coup de pub que cette


interview…

Ce sujet, que je ne connaissais pas, m’apparaît soudain


passionnant. De la manière dont en parle Jeff Coolidge,
j’imagine les employés de DayCool comme une armée de
mercenaires embusqués, prêts à lâcher leur filet sur le
moindre criminel virtuel, protégeant d’armures invisibles
une multitude de grosses entreprises.

Je n’ai quasiment pas besoin d’interroger Jeff Coolidge.


C’est à croire qu’il a préparé l’interview tout seul et qu’il me
la livre toute mâchée. La discussion, bien que plaisante, me
perturbe un peu quand même. J’ai le sentiment de tenir un
rôle accessoire mais bien défini, dans lequel il me serait im-
possible de me tromper ; tout simplement parce que je n’ai
quasiment rien à faire en tant que journaliste… Je lui ex-
plique que je dois également illustrer mon article et lui de-
mande si cela le dérange que nous discutions tranquille-
ment pendant que je griffonne quelques portraits en
situation.

La séance de pose prend une petite demi-heure au bout


de laquelle il se lève pour m’annoncer qu’il doit passer le re-
lais à une autre personne de DayCool pour la suite de l’en-
tretien car il a un rendez-vous.
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– Je vous remercie, M. Coolidge, mais je crois que j’ai
tout ce qu’il me faut pour mon article.
– On ne sait jamais, me dit-il en me serrant la main, si
d’autres questions vous viennent à l’esprit. En tous cas, je
vous remercie, Anna, vous êtes tout à fait charmante et je
suis ravi qu’on vous ait chargée de cet article.
– Euh, j’ai plutôt l’impression que c’est vous qui en avez
fait la demande expresse, M. Coolidge, d’après ce que m’a
dit ma rédactrice en chef.

Il hoche la tête en me souriant, mais fait comme s’il ne


m’avait pas entendue et sort du salon.

C’était involontaire ou il a vraiment voulu éviter de me


répondre ?

Perplexe, je me réinstalle dans mon fauteuil pour peau-


finer mes esquisses en attendant ce second interlocuteur qui
aura certainement plein de choses à me dire sans que je
pose une question…

Je n’entends pas la porte s’ouvrir, mais je sens une


présence dans la pièce. Je lève la tête pour découvrir…

Dayton ? !

Il est adossé à la porte, ses yeux intenses rivés sur moi.


Je reste bouche bée de stupéfaction et, avant que j’aie le
temps de prononcer un mot, il s’avance vers moi, mais avec
précaution, comme s’il ne voulait pas me faire fuir.
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Mon cœur est au bord de l’explosion. Il est beau à en
crever, là, devant moi.

Mais qu’est-ce qu’il fiche ici, au beau milieu d’une


interview ?

J’en ai les mains qui tremblent. La surprise et le trouble


qu’il provoque immanquablement en moi depuis notre
première rencontre se liguent pour me faire perdre les
pédales.

Je me lève d’un coup et fais tomber tout mon matériel


par terre. Dayton s’accroupit aussitôt pour ramasser mes
crayons et carnets.

– Décidément, c’est une manie, Anna, dit-il en levant le


visage vers moi avec un petit sourire.

Je n’ai toujours pas bougé. Il se redresse, pose mes af-


faires sur la table et caresse ma joue, toujours avec la même
prudence.

– Que fais-tu là, Dayton ? Comment savais-tu que…


– Chut, chuchote-t-il en posant le bout de ses doigts sur
mes lèvres. Je t’ai dit que je voulais te revoir. Je me suis ar-
rangé pour que tu fasses cette interview. J’espère que tu me
crois maintenant quand je te dis que tu n’es pas la fille d’un
soir. Je ne comprends pas tout ce que je fais, Anna, mais je
le fais, et c’est toi qui déclenches tout ça en moi. Je n’ai pas
envie d’y résister.
134/139
Je parviens à jeter un coup d’œil derrière lui pour m’as-
surer que l’autre personne de DayCool n’est pas entrée sans
qu’on s’en aperçoive.

– Ne t’inquiète pas, dit Dayton. Personne ne viendra


nous déranger. Il fallait que je te parle avant de repartir aux
États-Unis. Rien que toi et moi. Tu ne sais rien de moi,
Anna, mais j’ai compris qu’il fallait que je te dise qui je suis
et quelle est ma vie, si je veux avoir une chance de rentrer
dans la tienne.

À suivre,
ne manquez pas le prochain
épisode.
Egalement disponible :

Adore-moi ! - Volume 2
Secret et séduction pour une explosion d’émotions ! *** «
Les mots de Dayton résonnent encore en moi : "Tu dois
garder tout ça pour toi, Anna, je te fais confiance.". » *** «
Dayton, qui es-tu ? » Anna est déjà folle de lui, mais les
secrets du séduisant rockeur s’accumulent. Que fait-il lor-
squ’il disparaît sans donner de nouvelles ? Qui est Summer
? Que veut réellement Petra ? Anna est perdue, mais il y a
une chose dont elle est sûre : Dayton est sexy, drôle, parfait
et représente, à lui seul, la tentation de la passion… Dé-
couvrez le deuxième tome d’une des séries les plus sen-
suelles de l’année ! Vibrez au rythme de la passion des per-
sonnages d’Enivre-moi.
136/139
Egalement disponible :

Toi + Moi : l’un contre l’autre


Tout les oppose, tout les rapproche. Quand Alma Lancaster
décroche le poste de ses rêves à King Productions, elle est
déterminée à aller de l’avant sans se raccrocher au passé.
Bosseuse et ambitieuse, elle évolue dans le cercle très fermé
du cinéma, mais n’est pas du genre à se faire des films. Son
boulot l’accapare ; l’amour, ce sera pour plus tard ! Pour-
tant, lorsqu’elle rencontre son PDG pour la première fois –
le sublime et charismatique Vadim King –, elle reconnaît
immédiatement Vadim Arcadi, le seul homme qu’elle ait
vraiment aimé. Douze ans après leur douloureuse sépara-
tion, les amants se retrouvent. Pourquoi a-t-il changé de
nom ? Comment est-il arrivé à la tête de cet empire ? Et
surtout, vont-ils parvenir à se retrouver malgré les souven-
irs, malgré la passion qui les hante et le passé qui veut les
rattraper ?

Tapotez pour voir un extrait gratuit.


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