1 Première unité. Le Moyen Age, ère médiane, ère moyenne, entre l’Antiquité
et la Renaissance… ............................................................................................. 6
2. La langue française : du latin et des autres parlers vers le roman et l’ancien
français. ............................................................................................................ 10
1. les Gaulois ................................................... Error! Bookmark not defined.
Le latin oral et le bilinguisme. Le concile de Tours (813) ............................. 12
Les débuts du français, un texte diplomatique signé à Strasbourg (842), Les
Serments de Strasbourg............................................................................... 12
Le Moyen-Age : le temps des dialectes ....................................................... 15
L'affirmation du français .............................................................................. 15
La littérature française apparaît vers la fin du 9e siècle… Littérature
hagiologique..................................................................................................... 16
La Cantilène ou Séquence de Sainte Eulalie date de 880. ........................... 16
La vie de Saint Alexis .................................................................................... 16
3.Le 11e siècle : Le nouveau millénaire, la littérature, en français, s’installe… 18
Contexte historique .................................................................................... 18
La littérature de l’époque : la chanson de geste ............................................. 23
LA CHANSON DE ROLAND ................................................................................ 25
Le texte......................................................................................................... 27
LES CYCLES DES CHANSONS DE GESTE ......................................................... 29
L’évolution du genre. Sa postérité. .............................................................. 30
4. XIIe siècle. L’idéal chevaleresque entre le devoir et la quête amoureuse.
Tristan. ............................................................................................................. 31
Le roman, ambivalence entre langue et texte littéraire .............................. 32
Tristan .............................................................................................................. 33
Texte, fragment de Tristan. Tistan fou:........................................................ 37
Autre fragment du texte : ............................................................................ 39
Tristan et Yseut devant la mort.................................................................... 39
5.LA POESIE LYRIQUE AUX XIIe ET XIIIe SIECLES. TROUBADOURS ET
LITTÉRATURE COURTOISE ................................................................................ 42
La cour. Introduction.................................................................................... 42
Des troubadours à la fin amor. ........................................................................ 43
Origine de l’art troubadouresque ................................................................ 43
L’art des troubadours et des trouvères ....................................................... 46
Guillaume IX d’Aquitaine ............................................................................. 46
Le courant “courtois” ....................................................................................... 47
LE ROMAN AUX XIIe ET XIIe SIECLES ................................................................ 48
CHRETIEN DE TROYES, le plus grand lyrique du 12e siècle........................... 48
2
12. François Rabelais (entre 1483 and 1494 – 9 April 1553), premier des très
grands écrivains de langue française ............................................................. 102
Introduction ........................................................................................... 102
Biographie en bref ................................................................................. 102
Son œuvre .............................................................................................. 103
Pantagruel (1532)...................................................................................... 104
Gargantua .................................................................................................. 107
La Sorbonne contre Rabelais ................................................................. 109
Le Tiers Livre (1546) ................................................................................... 109
Le Quart Livre (1548, 1552) ...................................................................... 110
Cinquième Livre (attribué à Rabelais) ........................................................ 110
13.Michel de Montaigne (1533-1592) ........................................................... 112
Biographie en bref ................................................................................. 112
Rencontre avec La Boétie ...................................................................... 112
Voyageur pour raison de santé et par intérêt et curiosité .................... 113
Les Essais .................................................................................................... 114
Le style de Montaigne ............................................................................ 115
La philosophie de Montaigne................................................................. 117
L'évolution de sa pensée........................................................................ 117
La sagesse de Montaigne ....................................................................... 118
etc. etc…
6
1
Les historiens ont attesté la présence des Celtes dans cette région vers 2000 ans avant notre ère.
Les Grecs désignaient les Celtes sous le nom de Keltoi, et les Romains sous celui de Celtae,
de Galatae ou encore de Galli. Ces derniers avaient déjà reconnu l'unité culturelle du peuple celte
dont le territoire s'étendait d'Europe occidentale à la frontière septentrionale du monde classique.
Le breton (en France), le gallois, l'écossais et l'irlandais (dans les îles Britanniques) sont des
7
Ces peuples provoquent la terreur et ravagent l’Empire, ou bien ils s’infiltrent et installent
finalement en Europe Occidentale…:
3
Moyenâgeux, -euse, Qui appartient au Moyen Âge : La France moyenâgeuse.
Familier. Qui évoque le Moyen Âge, en rappelle les caractères : Des ruines moyenâgeuses.
Familier et péjoratif. Qui est suranné : Des idées moyenâgeuses
9
😊 «tout le monde au Moyen Âge croyait que la Terre était plate». Mais :«il n'y avait
pas un seul érudit chrétien au Moyen Âge qui doutait de la sphéricité [de la Terre] et ne
connaissait pas sa circonférence approximative ».
5
Science and Religion Around the World, (New York: Oxford University Press, 2011) (ed.
with John Hedley Brooke); Science and Christianity in Pulpit and Pew, (New York: Oxford
University Press, 2007).
10
6
😊… d’où le mot grec σπίτι.
11
Le français7 porte le nom du peuple germain (ou germanique8) qu´étaient les Francs.
Or le fr est une langue qui n'est pas germanique mais romane, c'est-à-dire d'origine latine.
1. Les Gaulois
Les Gaulois n'étaient pas les premiers habitants de la Gaule, mais on sait peu de
choses sur les populations qui les avaient précédés9. Ils sont arrivés dans la région qui
allait devenir la Gaule au cours du premier millénaire avant JC. Leur langue, le Gaulois
est une langue celtique, qui appartient à la grande famille des langues indo-
européennes et va se mêler aux parlers locaux. Les Gaulois ne disposaient pas d'une
écriture propre.
2. Les temps romains
Vers 120 avant JC, commençait la conquête romaine de la Gaule. En un peu plus d'un
demi-siècle, l'ensemble de la Gaule était dans l'orbite romaine et les Gallo-romains se
mirent à parler latin à leur façon.
Ainsi, dans leur bouche, "auguste" par exemple, devint
agosto, puis aosto, aoust,… (et enfin août).
Avec la conquête romaine, l'alphabet latin se généralisa dans toute la Gaule, les seuls
textes écrits étaient soit en grec soit en latin.
3. Les invasions barbares
Vers 250-275, des hordes germaniques, des Alamans, Burgondes, Wisigoths, et des
Francs s’installèrent en Gaule. Les étrangers ne parlaient ni le latin ni le gaulois. Le seul
7
Sources: http://thaloe.free.fr/francais/historic1.html et
http://www.axl.cefan.ulaval.ca/francophonie/HIST_FR_s1_Expansion-romaine.htm (H.
Condylis).
8
Attention ‘germanique’ ne signifie pas simplement ‘allemand’, il s’agit de tous les peuples qui
parlent une langue d’origine ‘germanique’.
9
Ceux qui avaient précédé les Gaulois,… on n’a que quelques noms de peuples comme les
Aquitains, les Ibères ou les Ligures…
12
moyen de communiquer avec la population locale était d'utiliser le latin, et ce latin était
donc parlé par une population considérable de germanophones. Les empereurs romains
accueillent de plus en plus de mercenaires germaniques comme soldats, ils enrôlent des
Francs, des Goths, des Saxons, des Alamans, etc. En outre, Rome et Constantinople
concèdent des territoires à des Germains agréés comme alliés (foederati, φοιδεράτοι). Au
moment des grandes invasions, le latin était déjà la langue maternelle de pratiquement
tous les peuples de la partie occidentale de l'Empire romain, dont les Gaulois, mais avec
des différences notables, selon les régions. Ainsi, le latin utilisé ne ressemblait déjà plus
guère à celui de Rome, ainsi on pourrait appeler cette langue latine ‘gallo-romaine’.
La christianisation et le latin comme langue commune de l’Occident européen
La christianisation commença dans le Sud de la Gaule à la fin du 1er siècle. Les premiers
chrétiens étaient de langue grecque et c'est dans cette langue que naquit la religion
chrétienne en Gaule.
Au cours du IIIe siècle, de nouvelles églises apparurent dans tout le Sud, et elles
utilisaient le latin.
La christianisation renforça la sentiment d'appartenance à la «romanité», mais elle
favorisa aussi l'usage de plus en plus généralisé du latin populaire.
Grâce à la conversion au christianisme de Clovis, premier roi de ce qui va devenir la
France (fin du 5e siècle), la pratique du latin comme véhicule de la vie religieuse se
développera encore plus vite.
Trois siècles plus tard, Charlemagne encourage lui aussi l'enseignement du latin.
10
Le déroulement de l'événement et les serments sont présentés dans l'Histoire des fils de Louis
le Pieux, dont le texte complet a été rédigé en latin par un conseiller et cousin de Charles II le
Chauve, Nithard (790/800-844), celui-ci étant le fils de Berthe (v. 779- 823), fille de
Charlemagne, et du poète Angilbert surnommé l'«Homère de la cour».
14
L'affirmation du français
Vers la fin du XIIe, la "langue du roi", c'est-à-dire le parler de la cour et d'Ile de
France, est mieux reconnue, et devient une langue de prestige élargissant ainsi son
domaine.
C'est à partir de la Renaissance, quatre siècles plus tard, que la question de la fixation
de la "langue du roi" se pose fortement. Dans le domaine de la vie pratique, le français
remplacera désormais le latin dans tous les documents administratifs, à partir de 1539,
date à laquelle François 1er prend la célèbre "Ordonnance de Villiers-Cotterêt". Il faudra
dorénavant que tous les textes officiels soient rédigés en "langage maternel françois".
16
11
Si vous avez envie de faire connaissance avec ce texte,
https://fr.wikisource.org/wiki/S%C3%A9quence_de_sainte_Eulalie.
17
12
Contexte historique
NB : le Moyen Âge central
comprend normalement trois
siècles, du XI au XIII siècle.
e e
12
Pierre Lombard, sur le Psautier. ca. 1101-1200, Latin. LETTRINE.
13
Dynastie princière d’origine franque, commence en 987 avec l'accession d'Hugues Capet au
trône de France.
19
Croisades…
Contexte social
La société se réorganise selon les systèmes de la féodalité, la structure politique par
laquelle les chevaliers et la basse-noblesse servent dans l'armée de leur suzerain en
échange du droit d'exploiter leurs fiefs.
Au XIIe siècle, la société est divisée en trois classes
ou ordres :
1. les clercs et les hommes d’Église,
2. les guerriers (seigneurs et chevaliers) et
3. les « travailleurs », qui sont paysans,
artisans, etc.
Au service du seigneur, le chevalier dispose d'un
équipement assez volumineux, et assez coûteux
pour l'époque.
Deux de ces classes se disputent le pouvoir : les guerriers et les hommes d’Église 14. La
religion chrétienne du XIIe siècle n’est, bien sûr, pas celle des origines, elle revendique
un pouvoir plus qu’absolu…
Durant les XIe et XIIe siècles, les terres ou fiefs deviennent héréditaires intégralement
transmis au fils aîné. La domination de la noblesse repose sur son contrôle de la terre et
des châteaux, son service militaire dans la cavalerie lourde et sur diverses protections et
exemptions fiscales. La noblesse est subdivisée en plusieurs strates.
L’église
La rupture entre l’Église européenne orientale et occidentalese trouve officialisée en
1054 lorsque le pape et le patriarche de Constantinople s'excommunient mutuellement
après des affrontements au sujet de la suprématie pontificale.
La Chrétienté est ainsi divisée en deux avec une branche occidentale (l'Église catholique)
et une branche orientale (l'Église orthodoxe). La Papauté revendique une autorité
temporelle sur l'ensemble du monde chrétien.
L’idéologie clunisienne cultivée aux alentours de l'an mil, par les membres de ses
monastères qui proviennent généralement de la noblesse et de ses richesses, perd
progressivement de son influence spirituelle, et apparaît alors l’ordre cistercien vers la
fin du XIe siècle15. L'ordre cistercien, plutôt très rigide, joue un rôle de premier plan
dans l'histoire religieuse du XIIe siècle.
Les croisades
Les croisades, lancées pour la première fois au XIe siècle, sont des expéditions militaires
menées au nom de la foi catholique ; principalement destinées à reprendre le contrôle de
14
Rappelez-vous aussi Stendhal, qui va écrire Le rouge et le noir.
15
Fondation de l'abbaye de Cîteaux par Robert de Molesme en 1098.
20
la Terre sainte aux musulmans, elles visent aussi à exterminer des croyances jugées
hérétiques en Europe. Les croisades fondent des royaumes latins d’Outre-Mer
(Jérusalem, Antioche, Édesse, Chypre…), et se font sentir comme animées par des
visions politiques et sectaires.
Les pèlerinages16 sont encouragés… les anciens sites comme Rome, Jérusalem et Saint-
Jacques-de-Compostelle17 accueillirent un plus grand nombre de visiteurs, et donc,
Les croisades sont ainsi nécessaires pour protéger les simples pèlerins…
Les guerriers et la chevalerie
Au cours du XIe siècle, dans tout l’Occident chrétien, se développe une nouvelle classe
sociale, celle des chevaliers.
La guerre au XIIe siècle n’est pas seulement une lutte opposant deux peuples, comme
c’est souvent le cas aujourd’hui. Elle est intégrée à la vie quotidienne, conséquence,
souvent, du régime féodal.
Si, au départ, le chevalier provient de n’importe quelle couche de la société, la chevalerie
se trouve peu à peu rassemblée par sa situation privilégiée au faîte de l’édifice politique
et social.
Les croisades engendrent un idéal humain : celui du chevalier croisé (« qui prend la
croix »), sans peur et sans reproche. Le preux chevalier est un modèle de toutes les
vertus : homme d’une générosité sans limites, il se montre vaillant au combat, loyal à son
seigneur, à sa patrie et à son Dieu. Le sens de l’honneur lui importe autant que sa vie (du
moins, c’est ce que la légende a retenu ; en réalité, ces expéditions furent également
l’occasion de libérer, avec la bénédiction de l’Église, des instincts guerriers, de pillage et
de tuerie).
16
Un blog intéressant et amusant… : http://vivre-au-moyen-age.over-blog.com/article-
13893499.html.
17
Le pèlerinage de Compostelle a-t-il existé ? par Denise Péricard-Méa (tiré de L'Histoire N°258,
octobre 2001)
http://medieval.mrugala.net/Religion/Pelerinage/Le%20pelerinage%20de%20Compostelle%20
a-t-il%20existe.htm.
21
Si, à la vérité, c’est souvent pour leur force brutale que les premiers chevaliers étaient
choisis2, c’est un autre tableau que présente la littérature, où ils doivent non seulement
être forts et courageux, mais beaux. Dans le monde courtois, la laideur est une tare, une
faiblesse. Les chevaliers doivent aussi avoir du charme et de l’esprit, être polis et bien
élevés, être courtois, en somme. Il est bien certain que la chevalerie arthurienne, telle
qu’elle est décrite dans les romans, représente un idéal et n’a jamais existé, mais la
littérature a ceci d’intéressant que, opérant une synthèse entre le mythe et la réalité de
l’époque, elle donne une image minutieuse de la façon dont on voyait le chevalier idéal
au XIIe et au XIIIe siècle, dans les cours des grands féodaux de l’époque. Son code moral
très strict donne au chevalier des valeurs de référence18. Il doit d'abord être preux, c'est-
à-dire vaillant. Par le mot « prouesse », on désignait l'ensemble des qualités morales et
physiques qui font la vaillance d'un guerrier. Le chevalier doit donc être fort
physiquement et psychologiquement. Il doit être courageux. Devant le danger, un
chevalier ne recule pas. Il ne craint pas pour sa vie, puisqu'il la dédie à protéger les
faibles. Il doit aussi être loyal. En effet, le premier devoir du chevalier est de tenir parole.
S'il rompt la foi qu'il a jurée, c'en est fait de sa réputation. Il faut savoir que la chevalerie
est une fraternité dont tous les membres s'entraident. D'ailleurs, il est important que les
chevaliers puissent se faire confiance, puisqu'ils vont combattre ensemble : ils doivent
être assurés que leurs camarades ne les laisseront pas tomber. La largesse est aussi une
valeur du chevalier modèle. Il s'agit du mépris du profit, voire de la prodigalité. Un
chevalier ne devait pas s'attacher aux richesses, mais les distribuer autour de lui dans la
joie. Enfin, un bon chevalier fait preuve de mesure, c'est-à-dire qu'il sait réprimer les
excès de sa colère, de son envie, de sa haine, de sa cupidité, qu'il est capable de rester
maître de lui-même dans le feu de l'action. La mesure est donc l'équilibre entre la
prouesse et la sagesse. Afin de l'enseigner aux futurs chevaliers, on les faisait jouer... aux
échecs19.
18
1. Bien qu’il ait emprunté plusieurs formes – dont la mêlée –, il semble qu’au XIIe siècle, le
tournoi était un sport mondain assez ritualisé, où se succédaient des joutes singulières strictement
réglées, à la lance ou à l’épée.
2. Duby dit de la chevalerie que seuls le corps et le cœur y comptaient, non l’esprit : par choix,
la chevalerie était illettrée. Réf. : Georges DUBY, La Chevalerie, Paris, Perrin, 1993, et Le
Moyen Âge. Adolescence de la chrétienté occidentale 980-1140, Genève, Skira, 1995 [1967], p.
81 ss. ; de Jean FLORI, La Chevalerie, Luçon, Éditions Jean-Paul Gisserot, 1998 ; de Didier
MEHU, Gratia Dei. Les chemins du Moyen Âge, Québec, Musée de la civilisation et Fides, 2003,
p. 153-155 ; de Jean MARKALE, Lancelot et la chevalerie arthurienne, Paris, Imago, 1985, p.
157-197 et Dictionnaire du Moyen Âge, histoire et société, Paris, Encyclopædia universalis et
Albin Michel, 1997, p. 228-233 (article « Chevalerie », écrit par Georges DUBY).
La courtoisie a aussi contribué à promouvoir la mesure – quand elle n'a pas elle-même versé
19
dans l'excès.
Ainsi, les qualités d’un bon chevalier sont : prouesse, loyauté, largesse, mesure, courtoisie. On
peut dire d'un chevalier qui suivait ces règles morales qu'il vivait selon une éthique de l’honneur
(règles de comportement et de convenances).
22
Art et architecture
À partir du XIIe siècle, les
bâtisseurs français développent
l'architecture gothique (exemples
superbes : Chartres et Reims).
La vie intellectuelle
Le début du XIIe siècle voit l'émergence des écoles
de cathédrales dans toute l'Europe occidentale et le transfert des lieux de savoir des
monastères vers les villes. Ces écoles furent à leur tour supplantées par les universités qui
furent créées dans les grandes villes européennes.
Durant cette période, la réalisation des enluminures des manuscrits passe
progressivement des monastères à des ateliers laïcs.
Les échanges philosophiques sont également stimulés par la redécouverte des travaux
d'Aristote. Un nom important de cette époque est celui de Pierre Abélard (d. 1142), il
introduit la logique aristotélicienne dans la théologie.
Les travaux des scientifiques musulmans influencent la pensée européenne avec
notamment le remplacement de la numération romaine par le système
décimal de notation positionnelle et l'invention de l'algèbre, grâce aux traductions de
l’arabe en latin.
Auteurs et publics du Moyen Âge20
A côté des clercs formés par l’Église, qui avaient accès, grâce aux bibliothèques
monastiques, à la culture antique et religieuse, existaient d’autres créateurs qui
s’adressaient à des publics fort divers.
Les ménestrels sont d’abord – à la fin de l’époque mérovingienne, probablement – des
écrivains liés à un seigneur et qui composent pour le plaisir de leur maître des oeuvres
généralement divertissantes.
Il semble qu’ils soient assez rapidement passés du rôle de créateur à celui d’exécutant.
Les jongleurs s’adressaient à un public beaucoup plus vaste et composite:
aristocratique dans les châteaux, populaire sur les places de foire ou les routes de
pèlerinage. Hommes de spectacle à la vie errante, acrobates et montreurs de bêtes, les
jongleurs interprétaient aussi des compositions littéraires, chansons ou vastes narrations
épiques.
Ceux d’entre eux qui avaient pu s’initier au savoir, pouvaient eux-mêmes enrichir leur
répertoire de poèmes écrits en fonction des goûts de leurs publics.
20
Coordination Nathalie Khatchatrian, Le Moyen Âge et la Renaissance. 2004.
23
Ceux-là méritent le nom de trouvères, ( trouveurs, créateurs). Mais tous les jongleurs ne
sont pas trouvères, et tous les trouvères ne sont pas jongleurs.
Pour apprécier une œuvre médiévale il faut avoir en vue ses origines, cléricales ou
profanes, la condition sociale de son auteur, sa diffusion, large ou restreinte, orale ou
écrite, sa forme et son esprit. Beaucoup de textes sont éloignés de leur version première,
car ils pouvaient être remaniés par des copistes soucieux d’y ajouter leur touche
personnelle ou désireux de les adapter aux goûts d’un public nouveau.
La forme des chansons de geste n’obéit pas à des règles très strictes.
24
La longueur des poèmes varie de 2000 à 20000 vers. Ces vers sont le plus souvent des
décasyllabes ou octosyllabes.
La caractéristique essentielle des poèmes épiques est le groupement des vers en unités
musicales de longueurs variables, les laisses.
Celles-ci sont construites sur la même assonance ou, dans les chansons plus tardives, sur
la même rime.
Les vers sont plutôt construits sur l’assonance, qui est la répétition de la dernière voyelle
accentuée du mot (par exemple : mal / face ; la première laisse de la Chanson de Roland
se termine avec les mots : magnes / Espaigne / altaigne / remaigne / fraindre / muntaigne
/ aimet / recleimet / ateignet). Ces assonances contentent le sens musical d’un public qui
ne lit pas, mais entend déclamer le récit en même temps qu’elles permettent au conteur
de se rappeler le vers suivant21.
allitération, assonance22
Définition
• Allitération et assonance sont deux figures de style qui jouent sur la sonorité des mots
une allitération est la répétition d'un même son consonne
une assonance est la répétition d'un même son voyelle.
Exemple. Andromaque de Racine : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos
têtes ? » Dans ce vers, l'allitération en [s] imite le sifflement des serpents.
Alcools de GUILLAUME APOLLINAIRE:
« Sous le pont Mirabeau coule la Seine - Et nos amours -
Faut-il qu'il m'en souvienne - La joie venait toujours après la peine »
Dans ce vers, l'assonance en [u] accompagne l'idée de fuite du temps et de nostalgie des
amours perdues.
21
Texte adapté de Michel LAURIN, Anthologie littéraire du Moyen Âge au XIXe siècle, Québec,
Beauchemin, 2000, et de Denise BESSETTE et Luc LECOMPTE, Anthologie et Courants
épique et courtois, Cégep de Lévis-Lauzon, 1995.
22
https://www.assistancescolaire.com/eleve/6e/francais/lexique/A-alliteration-assonance-
fc_a07
25
Des nombreuses chansons de geste qui devaient exister aux XIIe et XIIIe siècles ont été
transmises par des copies manuscrites, proposant souvent
plusieurs versions d’une même chanson. Il s’agit de
remaniements et même, comme le disait Joseph Bédier, de
“remaniements de poèmes déjà remaniés”.
La geste : = (la suite des actes historiés, l’histoire – attention,
il n’y a pas beaucoup de vérité dans cette histoire…)
Les jongleurs accompagnaient leur récitation des sons de leur
vielle. C’était d’un véritable spectacle qu’il s’agissait,
probablement étendu sur plusieurs journées. Les jongleurs
s’adressaient à des publics très divers, ils exerçaient leur art
aussi bien dans
-les salles des châteaux, à l’occasion des fêtes, que sur
-les places publiques, lors des foires et des grands pèlerinages.
LA CHANSON DE ROLAND
La Chanson de Roland est la plus célèbre des chansons de geste. Créée à a fin du XIe
siècle par un poète anonyme – que certains croient être Turolde, dont on peut lire le nom
dans la dernière laisse du poème –,
Ci fait (finit) la geste que Turoldus declinet.
On ne peut donner un sens précis aux mots geste et declinet.
23
Pair, compagnon.
27
Puis les trois héros majeurs de la bataille meurent: Olivier le sage, le compagnon
fraternel, réconcilié avec Roland, l’archevêque Turpin, aussi charitable prêtre que
redoutable massacreur des païens, Roland enfin, après avoir rassemblé les cadavres de
ses compagnons, expire, non sous les coups de l’ennemi en fuite, mais les tempes
rompues par l’effort qu’il fit en sonnant du cor. Il fait d’émouvants adieux à Durandal,
son épée qu’il ne peut briser, à l’empereur, à la France et c’est le visage tourné à
l’Espagne qu’il meurt en tendant son gant vers Dieu.
Saint Gabriel et saint Michel emportent l’âme du martyr en paradis.
Charlemagne arrive, taille en pièces et noye dans l’Ebre les troupes païennes;
Marsile, blessé par Roland à Roncevaux, se désespère dans Saragosse, ses gens détruisent
leurs idoles, apparaît l’émir Baligant, chef de toute la “païenneté“, que Marsile avait
appelé à l’aide sept ans auparavant.
Le sens et l’issue de la bataille entre les forces de la Chrétienté et celles de l’Islam, fatale
aux païens, apparaissent dans le combat singulier entre Baligant et Charlemagne. Celui-
ci, réconforté par l’archange Gabriel, tue son adversaire. Le soldat de Dieu est vainqueur,
Saragosse est prise par les Francs, la reine Bramidoine, épouse de Marsile, emmenée
captive à Aix.
C’est là que s’achève le poème, là que meurt la belle Aude, sœur d’Olivier et fiancée de
Roland, lorsqu’elle apprend la disparition du héros, c’est là que se déroulent le procès et
le châtiment de Ganelon. Alors que le conseil de Charlemagne inclinait à la clémence,
Thierry, un jeune chevalier, s’offre comme champion de l’empereur et vainc Pinabel, un
parent du traître. Celui-ci meurt, écartelé24.
Le texte
Texte présenté pendant le cours : première laisse25.
CARLES li reis, nostre emperere magnes, LE roi Charles, notre empereur, le Grand,
Set anz tuz pleins ad estet en Espaigne :
sept ans tout pleins est resté dans l’Espagne :
Tresqu’en la mer cunquist la tere altaigne.
jusqu’à la mer il a conquis la terre hautaine. Plus
N’i aLd castel ki devant lui remaigne ;
un château qui devant lui résiste,
5Mur ne citet n’i est remés a fraindre,
Fors Sarraguce, ki est en une muntaigne. plus une muraille à forcer, plus une cité, hormis
Li reis Marsilie la tient, ki Deu nen aimet. Saragosse, qui est dans une montagne. Le roi
Mahumet sert e Apollin recleimet : Marsile la tient, qui n’aime pas Dieu. C’est
Nes poet guarder que mals ne l’iteignet. AOI26.
24
http://old.brusov.am/docs/NM-Book.pdf
25
https://fr.wikisource.org/wiki/La_Chanson_de_Roland/Joseph_B%C3%A9dier/La_Cha
nson_de_Roland/Bilingue/001-050
26
Exclamation de sens énigmatique, que l’on retrouve dans plusieurs textes,
28
De l’histoire à l’épopée
Le poème est inspiré par un fait
historique:
à la demande d’un chef sarrasin révolté
contre l’émir de Cordoue, Charlemagne
organise une expédition en Espagne.
Après avoir franchi les Pyrénées,
l’armée des Francs est arrêtée devant
Saragosse. Une révolte des Saxons
contraint Charlemagne à rentrer
rapidement. Alors qu’il repasse les
Pyrénées, le 15 août 778, son arrière-
garde est surprise par des Basques et exterminée.
On voit que l’histoire est éloignée de la geste. La geste, matière pour le poème, est issue
de la propagande pour les croisades.
Les personnages
L’outrance de l’orgueilleux Roland le perd et perd avec lui les plus beaux représentants
de la chevalerie franque, met en péril la puissance de la Chrétienté. Mais cette faiblesse
est rachetée par le sacrifice du héros, par sa tendresse devant ses compagnons massacrés,
par son humilité devant la vraie dimension du combat lorsqu’il décide d’appeler
Charlemagne.
Rédemptrice, la souffrance fait un saint du chevalier qui meurt conscient de sa double
allégeance, à son suzerain et à Dieu.
Olivier, le frère d’armes, n’est pas moins attachant. A l’orgueilleuse âpreté de Roland,
il oppose la lucidité, mais la sagesse n’exclut pas le courage. Olivier voulait que Roland
appelât à l’aide avant le combat, mais quand celui-ci est engagé, le preux27 ne songe plus
qu’à bien frapper et à bien mourir.
Autre création admirable et symbolique: l’archevêque–chevalier Turpin. Il incarne
parfaitement et vigoureusement l’esprit de la croisade, la ”foi agissante” qui animera plus
tard tant de moines-soldats.
Charlemagne28 est un vieil homme capable de tendresse et de lassitude, il est aussi l’élu
de Dieu, le chef à la vie “peineuse” qui regroupe autour de lui toutes les forces de
l’Occident chrétien.
Reste Ganelon. Ce n’est pas une image de traître: le personnage est estimé des Francs,
courageux; mais las29 de combattre, et irrité par l’attitude de Roland, il ne sait pas mesurer
ses réactions, il se laisse aveugler par la haine et ne voit plus que sa vengeance n’atteint
pas un homme, mais son suzerain et toute la Chrétienté.
28
http://bearndesgaves.fr/char/itineraires-culturels/route-charlemagne/.
29
Fatigué (las, fém. lasse, lassitude).
30
http://data.bnf.fr/12093934/pelerinage_de_charlemagne/.
https://www.arlima.net/uz/voyage_de_charlemagne.html.
30
31
BÉDIER, Joseph, Le Roman de Tristan et Yseut, coll. Classiques Hatier, Paris, 1998, 12.
32
Sárdi Krisztina, « Je dois donc mourir de vous avoir aimée ». Les éléments mythiques dans
l’histoire de Tristan et Iseut (mémoire 2011).
,
32
1087) conquit l'Angleterre et créa un empire avec des possessions des deux côtés de
la Manche, qui dura sous diverses formes jusqu'à la fin du Moyen Âge.
Les rois d'Angleterre fin du XIIe s., -dynastie Plantagenêt- régnaient sur l'Angleterre et
sur une grande partie du Sud-Ouest de la France grâce au mariage du futur roi
d’Angleterre avec Aliénor d'Aquitaine.
En Espagne, Reconquista: vers 1150, le Nord chrétien était réorganisé le sud musulman
se fragmenta, donc, il y avait beaucoup d’espace pour un échange non seulement
militaire, mais social (union de personnes), commercial (échanges de produits),
économique, et bien sûr culturel…
La Reconquista et les Croisades sont une sorte de même mouvement où les soldats font
la guerre au nom de la chrétienté, et souvent dans un type d`armée réunissant des hommes
d`origine diverse de l’Europe occidentale.
Le XIIe siècle est l’exaltation de l’idéal de la croisade, avec la première croisade qui
aboutit avec la prise de Jérusalem en 1099, et la quatrième avec la prise de Constantinople
en 1204. La Quatrième Croisade porta un coup sévère à ce mouvement et affaiblit la
Papauté.
Les croisades ne furent pas uniquement lancées en direction du Proche-Orient et certaines
visèrent les cultes jugés hérétiques par l'Église catholique comme le catharisme actif
dans le Sud de la France au siècle au siècle suivant.
…
33
L’effort pour la quête de soi du chevalier va se faire dans le roman, au XIIe siècle. Le
roman est écrit… en vers – comme la majorité des œuvres littéraires. Ce n’est qu’au
XIVe siècle qu’apparaît le roman en prose.
Roman veut donc dire écrit littéraire en langue romane (en langue vulgaire, en français),
par opposition au latin, qui est la langue des érudits.
Le roman triomphera finalement de l'épopée. Il semble donc que ce nouveau genre
réponde à la demande d'une société qui vit de profonds changements socioculturels.
Tristan
Tristan en est le chef d’œuvre du XIIe s. dont il ne reste aucune version complète. Deux
auteurs principaux, Béroul et Thomas d’Angleterre :
•1155-1170 : Thomas d'Angleterre vit à la cour de la reine Aliénor
(=Éléonore d’Aquitaine, petite fille du premier troubadour, Guillaume
IX). Il reste 3 000 vers d'un Tristan plus tourné vers l'analyse dramatique
et psychologique que chez ses devanciers anonymes. Thomas et la version
“courtoise”
•Fin du XIIe siècle : Béroul, peut-être un jongleur, en tout cas un
Normand, vivant en pays picard. Il reste environ 3 000 vers
d'un Tristan sans doute assez proche de la version primitive. C'est à cette
période que différents épisodes de l'histoire apparaissent chez Marie de
France (le Lai du chèvrefeuille), chez Chrétien de Troyes (Tristan,
perdu). Béroul et la version “commune”.
La fameuse reconstitution en prose par Joseph
Bédier à partir des versions de Béroul,
Thomas, Eilhart d'Oberg et Godefroy de
Strasbourg (publiée en 1900) est encore très
répandue.
http://fr.feedbooks.com/book/4296/le-roman-
de-tristan-et-yseut
Texte : introduction
Chapitre 1 ENFANCES DE TRISTAN
Seigneurs, vous plaît-il d’entendre un beau conte d’amour et de mort ? C’est de Tristan
et d’Iseut la reine. Écoutez comment à grand’joie, à grand deuil ils s’aimèrent, puis en
moururent un même jour, lui par elle, elle par lui.
Tristan et Iseut, un pas avant l’amour courtois et la courtoisie
La présence du terme de fin'amor - dans le manuscrit de Béroul comme celle d’un
véritable discours sur l’amour chez Thomas- peut induire en erreur et amener à
rapprocher trop rapidement les romans de Tristan du genre du roman courtois.
Le philtre fatal des deux versions est étranger à la pure doctrine de la fin’amor. L’amour
conçu comme destin s’oppose à l’amour librement choisi du troubadour; mais moins
intellectuel, il comporte plus de vérité humaine…
La différence majeure tient à ce que
Dans la tradition courtoise Dans Tristan de l’époque
(pas encore pleinement développée)
Dans la tradition courtoise, le désir est Or ce qui fonde les romans de Tristan (et au-
unilatéral (de l’homme vers la femme delà la légende même de Tristan et Iseut),
objet de désir) et est absolument maîtrisé c'est l’incapacité des deux amants à maîtriser
et canalisé dans le but de produire le leur désir.
discours amoureux qui constitue la
matière même de l'œuvre.
Quand le désir dans la tradition courtoise le désir dans les romans de Tristan, en raison
est fécond parce qu’il n'est jamais réalisé du philtre, est toujours réalisé, et constitue
et permet au poète de chanter son amour, une source d’angoisse plus qu’un sujet
d’exaltation.
Au culte du désir de la tradition courtoise, les romans de Tristan substituent l’image
d'un désir destructeur.
Cependant, on peut également voir dans la mort des amants la réalisation suprême d’un
amour qui dépassait nécessairement les bornes du monde des hommes. Il reste que le
désir dans les romans de Tristan est, contrairement à sa position dans les romans courtois,
à la fois réciproque et impossible à maîtriser.
L’histoire, le résumé du roman Tristan et Yseut
Tristan et Yseult est un récit d'amour.
résumé du roman Commentaire de quelques éléments signifiants qui
permettent le déroulement et le succès de l’histoire.
Tristan, orphelin, est élevé par son oncle Comme dans la Chanson de Roland, le
Marc, roi de Cornouailles. ‘prince’ n’est pas fils du roi, il est son neveu,
35
Mais il est blessé dans le combat : un Mère d’Iseut : espèce de sorcière. À cause
fragment de l'épée empoisonnée du géant d’elle (ou peut-être grâce à elle), il n’y aura
se fiche dans sa chair ; plus de soumission parfaite au roi, et il y aura
seule la sœur du géant, la mère d'Yseult la une ‘révolution des sentiments’.
blonde, peut le guérir. Yseut la blonde : esthétique et suprématie du
Nord comme idéal de la beauté. Exemple :
peu avant cette époque, le premier calife de
Cordoue avait les cheveux teints en noir, sa
mère était une normande!
Opposition nord-sud
C'est ainsi que Tristan part pour l'Irlande. Il le mariage du devoir (et de l’échange, la
en reviendra avec Yseult, qui doit épouser femme étant cet échange)
le roi Marc.
Tristan et Yseult brûlent désormais d'une Voilà qu’une erreur humaine donne toute la
passion impossible à éteindre. réprobation à un amour qui dépasse l’homme,
mais il le conduit dans le péché…
= question : la nature de l’amour ?
= ici, il n’y a pas encore de l’amour, mais de
l’amour soumis à la magie… ce n’est pas
encore clair..
Épiés par les barons de la cour du roi Marc, Leur innocence se trouve noircie par le philtre
les amants sont accusés d'adultère. Ils sont magique de la famille (la mère).
tous les deux condamnés.
36
Condamné, Tristan doit s'enfuir, non sans La punition si abominable de la jeune fille
avoir d'abord sauvé Yseult des lépreux incite l’auditeur ou le lecteur à prendre des
auxquels la destinait son magnanime distances par rapport au roi!
époux.
Ils vivent alors dans les bois, comme des la nature ici c’est le contraire du paradis (c’est
sauvages, leur amour interdit. la faute charnelle)
Un jour qu'ils sont surpris par le roi Marc, magnanimité et changement du roi
Tristan se rend compte de ce qu'il fait subir Amour désormais impossible, soumis au
à Yseult parce qu'il l'aime : il la ramène au devoir.
château, où elle réintègre sa place aux côtés Deux questions :
de Marc. - L’amour est-il en deuxième position
dans le cœur de Tristan?
- Qu’en est-il des sentiments d’Iseut?
Est-elle seulement un objet?
Tristan, quant à lui, fuit en Armorique. Il y comme Roland, qui est fiancé avec Aude, la
épouse Yseult aux blanches mains, la sœur sœur de son ami fraternel Olivier (donc
de son compagnon Kaherdin récupération du statut social de l’homme et de
la femme dans le mariage sans sentiments)
= opposition entre le mariage et l’amour
= la femme de la substitution, Yseult aux
blanches mains
Il ne déloge jamais de son cœur Yseult la !
blonde.
Blessé à mort au combat, Tristan envoie = supériorité de l’amitié
Kaherdin chercher Yseult la blonde en = sexualité et homosexualité sous latente?
Cornouailles. Qu’en est-il de la relation d’Yseut aux
blanches mains avec son frère et avec son
mari???
Mais Yseult aux blanches mains a tout les femmes ne sont pas bonnes, elles se
entendu : la jalousie lui fait mentir à son trahissent entre elles… (lieu commun
époux, médiéval)
et elle lui dit que le navire qui revient porte Parallélisme avec la mythologie grecque
le pavillon noir (signe convenu avec (l’histoire de Thésée et du Minotaure, le père
Kaherdin qu'Yseult n'est pas à bord). de Thésée se suicide dans la mer Égée, qui
porte son nom…
Tristan se laisse mourir de désespoir. Amour plus fort que la vie
Yseult la blonde, enfin arrivée au chevet de Amour plus fort que la vie,
son amant mort, se laisse mourir de Amour malheureux
douleur.
Succès de l’histoire
37
De tous les thèmes de la littérature médiévale, l’amour tragique de Tristan et Iseut est
sans doute celui dont la fortune aura été la plus grande et la plus durable. Peu après son
apparition en France, toute l’Europe l’exploite; huit siècles plus tard deux noms devenus
symboliques suffisent à évoquer l’admirable mythe d’un amour fatal (Tristan et Isolde,
l’opéra de Wagner, l’Eternel retour, film de Jean Cocteau).
— Taisez-vous, méchant conteur ! Pourquoi venez-vous ici débiter vos songeries ? Vous
étiez ivre hier soir, sans doute, et l’ivresse vous a donné ces rêves.
— C’est vrai. Je suis ivre, et de telle boisson que jamais cette ivresse ne se dissipera.
Reine Iseut, ne vous souvient-il pas de ce jour si beau, si chaud, sur la haute mer ? Vous
aviez soif, ne vous en souvient-il pas, fille de roi ? Nous bûmes tous deux au même
hanap. Depuis, j’ai toujours été ivre et d’une mauvaise ivresse… »
Quand Iseut entendit ces paroles qu’elle seule pouvait comprendre, elle se cacha la tête
dans son manteau, se leva et voulut s’en aller. Mais le roi la retint par sa chape d’hermine
et la fit rasseoir à ses côtés :
« Attendez un peu, Iseut amie, que nous entendions ces folies jusqu’au bout. Fou, quel
métier sais-tu faire ?
— J’ai servi des rois et des comtes.
— En vérité, sais-tu chasser aux chiens ? aux oiseaux ?
— Certes, quand il me plaît de chasser en forêt, je sais prendre, avec mes lévriers, les
grues qui volent dans les nuées ; avec mes limiers, les cygnes, les oies bises ou blanches,
les pigeons sauvages ; avec mon arc, les plongeons et les butors ! »
Tous s’en rirent bonnement, et le roi demanda :
« Et que prends-tu, frère, quand tu chasses au gibier de rivière ?
— Je prends tout ce que je trouve …
« Je ne sais pas ce que vaut notre amour si elle ne veut pas contribuer à mon salut.
Kaherdin, je me borne à vous adresser cette prière : faites de votre mieux et saluez
Brangien de ma part ! Exposez-lui le mal qui m’accable ! Si Dieu ne fait rien, je mourrai.
Je ne peux plus vivre très longtemps, à en juger par la douleur et le mal que je ressens.
Compagnon, dépêchez-vous de partir et revenez bien vite car si vous n’êtes pas bientôt
de retour, sachez que vous ne me verrez plus jamais ! Vous avez quarante jours devant
vous. Si vous faites ce que je vous ai dit, si Yseut revient avec vous, veillez à ce que
personne ne le sache, à l’exception de nous. Dissimulez la chose à votre sœur afin qu’elle
n’ait aucun soupçon sur mon amour. Vous ferez passer Yseut la Blonde pour un médecin
qui est venu guérir ma plaie. Vous prendrez mon propre navire et emporterez deux voiles
: l’une blanche, l’autre noire. Si vous pouvez atteindre Yseut et obtenir qu’elle vienne
guérir ma plaie, hissez la voile blanche pour le retour, et si vous ne ramenez pas Yseut,
hissez la voile noire. Je ne peux rien vous dire de plus. Que Dieu, Notre Seigneur, vous
conduise à bon port et qu’il vous ramène sain et sauf ! »
[...]
40
Las d’attendre, Tristan sombre dans l’affliction. Souvent il se plaint, souvent il soupire
après Yseut qu’il désire tant. Il pleure, il se tord de désespoir. Son désir est sur le point
de le faire mourir. Alors qu’il se trouvait dans cette angoisse et ce tourment, sa femme
Yseut se présenta devant lui. Elle avait médité un terrible plan : « Ami, lui dit-elle, voici
qu’arrive Kaherdin. J’ai aperçu son navire sur la mer. Il naviguait à grand-peine.
Néanmoins, je l’ai bien vu et parfaitement reconnu. Que Dieu lui accorde de vous
apporter une nouvelle qui puisse vous réconforter le cœur ! » Tristan tressaille à cette
nouvelle. Il dit à Yseut : « Belle amie, êtes-vous certaine que c’est son navire ? Dites-
moi alors de quelle couleur est la voile ! » Yseut répond : « Je suis parfaitement sûre que
c’est son navire. Sachez que la voile est toute noire. Elle est hissée bien haut parce que
le vent fait défaut. » Alors Tristan ressentit une douleur telle qu’il n’en eut et n’en aura
jamais de plus vive. Il se tourna vers le mur et dit : « Que Dieu nous sauve, Yseut et moi
! Puisque vous ne voulez pas venir à moi, il me faudra mourir à cause de mon amour
pour vous. Je ne peux plus retenir ma vie. C’est pour vous, Yseut ma belle amie, que je
meurs. Vous n’avez pas eu pitié de ma langueur mais ma mort vous causera de la douleur.
Amie, c’est pour moi une grande consolation de savoir que vous aurez pitié de ma mort.
» Il répéta trois fois : « Amie Yseut ! » À la quatrième, il rendit l’esprit. Alors, dans toute
la maison, ses chevaliers et compagnons se mettent à pleurer. Leurs cris retentissent très
fort ainsi que leurs grandes plaintes. Chevaliers et hommes d’armes accourent pour tirer
le corps du lit et le coucher sur un samit. Ils le recouvrent d’un tissu de soie rayé. Sur la
mer, le vent s’est levé et frappe le creux de la voile. Il permet au navire d’atteindre le
rivage. Yseut quitte le bateau. Elle entend les lamentations dans la rue, les cloches des
églises et des chapelles. Elle demande des nouvelles aux gens : pourquoi ces sonneries
de cloches ? pourquoi ces pleurs ? Un homme âgé lui répond : « Belle dame, que le ciel
me protège, nous sommes plongés dans une immense douleur. Nous n’en avons jamais
connu une aussi grande. Le preux, le noble Tristan est mort. Il était le réconfort de tous
les habitants du royaume : généreux envers les nécessiteux, secourable envers les
affligés. Il est mort dans son lit d’une plaie qu’il a reçue. Jamais un tel malheur n’est
arrivé dans ce royaume. » Lorsqu’elle entendit cette nouvelle, Yseut resta muette de
douleur. La mort de Tristan la fit tant souffrir qu’elle parcourait les rues avec ses
vêtements défaits. Elle entra avant tout le monde au palais. Jamais encore les Bretons ne
virent une femme d’une telle beauté. Dans la cité, tout le monde se demandait d’où elle
venait et qui elle était. Yseut se rend près du corps, elle se tourne vers l’orient et, saisie
de pitié, prie pour Tristan : « Ami, en vous voyant mort, je ne peux ni ne dois souhaiter
vivre. Vous êtes mort par amour pour moi et je meurs de tendresse pour vous, mon ami,
parce que je n’ai pu arriver à temps pour vous guérir et vous soulager de votre mal. Rien
ne pourra jamais plus me consoler ni me réjouir, aucun plaisir, aucune réjouissance.
Maudit soit cet orage qui m’immobilisa sur la mer et qui m’empêcha d’arriver ! Si j’étais
venue à temps, ami, je vous aurais rendu la vie et je vous aurais parlé tendrement de notre
amour. J’aurais plaint mon aventure, notre joie, nos plaisirs, la peine et la grande douleur
que nous valut notre amour. Je vous aurais rappelé tout cela en vous baisant et en vous
embrassant. Puisque je n’ai pu vous guérir, puissions-nous au moins mourir ensemble !
Puisque je n’ai pu arriver à temps ni déjouer le sort, puisque je suis arrivée après votre
mort, je me consolerai en buvant le même breuvage que vous. Vous avez perdu la vie à
cause de moi. Je me comporterai donc en véritable amie : je veux mourir pour vous de la
même manière. » Elle le sert dans ses bras et s’étend à côté de lui. Elle lui baise la bouche,
41
le visage et le tient étroitement enlacé. Elle s’étend, corps contre corps, bouche contre
bouche, et rend l’âme. Elle meurt ainsi à côté de lui pour la douleur causée par sa mort.
Tristan mourut par amour pour elle et la belle Yseut par tendresse pour lui. Thomas
achève ici son histoire. Il adresse son salut à tous les amants, aux pensifs et aux
amoureux, à ceux qui ressentent l’envie et le désir d’aimer, aux voluptueux et même aux
pervers, à tous ceux qui entendront ces vers. Tout le monde n’a peut-être pas eu son
compte, mais j’ai fait du mieux que j’ai pu et j’ai dit toute la vérité, comme je l’avais
promis au début. J’ai rassemblé des contes et des vers. J’ai agi ainsi pour offrir un modèle
et pour embellir l’histoire afin qu’elle puisse plaire aux amants et afin qu’ils puissent, en
certains endroits, se souvenir d’eux-mêmes. Puissent-ils y trouver une consolation envers
l’insconstance, envers le tort, envers la peine, envers la douleur, envers tous les pièges
de l’amour !
42
Le 12e siècle est le siècle des croisades, donc les voyages, les contacts entre les mondes
de l’Occident et de l’Orient, le Nord et le Sud ont porté leurs fruits dans les arts et la
littérature aussi. L’architecture donne aux villes et aux châteaux un charme nouveau, et
la musique joue un rôle libérateur tant dans les cours que dans les rues, pour toute la
société. La poésie lyrique se développe d’une manière plus totale grâce aux troubadours
et les poètes de l’amour courtois.
La cour. Introduction
Sous l’influence de l’Église qui incitaient les seigneurs à faire la paix (trêve de Dieu),
les mœurs s’adoucissent. Moins tournés vers les Croisades et la défense de leur fief, les
seigneurs s’habituent à la vie de cour. Puis, peu à peu, les mœurs subissent aussi
l’influence de l’univers féminin plus délicat. Sous l’instigation de femmes de haut rang,
comme Aliénor d’Aquitaine, d’abord femme du roi de France, puis femme du roi
d’Angleterre, s’instaurent des cours d’amour où les artistes chantent la femme, idéalisée,
parfaite, inaccessible. Découlant du mot latin domina s’impose bientôt le mot
français dame, titre donné à la femme et soulignant son caractère de maîtresse. Suzeraine,
la femme l’est en effet en amour.
À partir du XIe siècle dans le sud de la France, et du XIIe siècle dans le nord, la société
féodale ajoute une nouvelle valeur à l’idéal chevaleresque : non seulement le chevalier
est brave, mais il a en plus le désir de plaire. L’amour courtois est un code que doit suivre
le chevalier.
La courtoisie désigne une façon d’être, l’ensemble des attitudes, des mœurs de la cour
seigneuriale dans laquelle les valeurs chevaleresques sont modifiées par la présence des
dames. La cour imaginaire du roi Arthur dans les romans de la Table Ronde devient le
modèle idéal des cours réelles.
L’amant courtois est séduit par la dame, une femme dotée d’une beauté et de mérites
exceptionnels, qui est mariée, accomplie. Mais, alors que le mariage est à la portée de
tous, l’amour vrai, le fin amor, quant à lui, n’est ressenti que par les âmes nobles. Ne se
laissant pas dominer par ses désirs charnels, l’amant courtois gagnera le cœur de sa dame
en lui témoignant un amour empreint de délicatesse et de retenue. Si l’acte sexuel est la
consécration de l’amour, le sentiment noble invite à la sublimation de cet acte.
43
33
Les chansonniers sont la consignation tardive d’un savoir car ils sont postérieurs aux
dates effectives des troubadours. Les chansonniers sont principalement d’origine
italienne, occitane, française et catalane. L’engouement des italiens pour le courant
troubadouresque eut pour conséquence une consignation importante de ces sommes de
savoir dans les cours du Nord de l’Italie. Ainsi, il ne nous reste qu’une partie de cet art
pouvant être assujetti à une esthétique en rapport avec le lieu de consignation. Les
premiers recueils des chansonniers ont été élaborés du début du XIIIe siècle jusqu’au
début du siècle suivant. Quelques écrits subsistent également du XVe siècle, ils ont donc
été écrits plus d’un siècle après l’apparition des premiers troubadours, au moment où la
fin’amor commence à décliner.
45
Troubadour vient du verbe occitan trobar, du latin tropare: composer des tropes, c’est- à
-dire des airs de musique. En langue d’oïl, tropare aboutit à trouver, le poète est appelé
trouvère).
Les poètes provençaux ont perfectionné leur idéal et leur art jusqu’au XIII s. Mais dès le
début de ce siècle leur inspiration décline (13e siècle, crise, 4e croisade, croisade contre
les albigeois).
Mais les trouvères du Nord, rencontrant des conditions de vie courtoise favorables,
protégée par de grandes dames comme Aliénor d’Aquitaine (petite fille de Guillaume IX
d’Aquitaine, elle épouse en 1137 Louis le Jeune qui divorce en 1152, puis Henri
Plantagenêt qui devient roi d’Angleterre en 1154) et ses filles, étaient en mesure de
développer encore l’art des grands troubadours.
Vers le milieu du XIIe s. ils leur avaient emprunté leurs formes d’expression, les thèmes
qui les inspirent et les attitudes spirituelles qu’elles supposent, tout en modifiant quelque
peu la tradition qu’ils simplifiaient.
Ce que chante d’abord leur poésie, c’est la nécessité de l’amour, il est la valeur absolue
qui rend la vie possible:
Tant ai al cor d’amor
De joi et de doussor
Per que lgels me sembla flor…
Le troubadour est celui qui « trouve » avec une grande habilité car il est capable de mêler
judicieusement mot et son dans sa chanson. Une des conditions essentielles pour être
considéré comme un troubadour est d’employer la langue d’Oc.
Ainsi, les troubadours se distinguent des trouvères qui composent en langue d’Oïl et qui
surviennent environ soixante-dix ans après les premiers troubadours. Le courant
troubadouresque s’étendit également en Allemagne, avec les Minnesänger et dans le
domaine galégo-portugais avec les trovadores.
Contrairement aux idées reçues, les troubadours ne sont pas des saltimbanques mais des
érudits qui maîtrisent l’art du discours. Ils sont généralement issus de
la noblesse,
la bourgeoisie,
du clergé,
la chevalerie
La tradition troubadouresque couvre deux siècles de production :
46
Les chansons de Guillaume IX d’Aquitaine (1071-1126) sont les premières qui ont été
écrites, c’est pour cette raison qu’il est communément admis comme le premier des
troubadours.
Guillaume IX d’Aquitaine
Le premier troubadour, Guillaume IX d’Aquitaine est né en 1071. Ce grand seigneur
débauché a laissé onze chansons. Certaines sont fort gaillardes, mais quelques poèmes
expriment déjà délicatement les idées maîtresses de la fin’amor.
Le courant “courtois”
Le courant généralement qualifié de “courtois” est, par ses conséquences esthétiques et
civilisatrices, le plus important. Il est illustré, aux XIIe et XIIIe siècles par le
développement d’une poésie “subjective”, aristocratique, raffinée dans ses formes et son
contenu.
Pour comprendre l’apparition de cette littérature encouragée par de grands seigneurs,
poètes eux- même ou mécènes généreux, il faut considérer la naissance dans la France
du Sud, et bientôt du Nord, d’un nouvel art de vivre qui adoucit les moeurs de la société
féodale.
48
La richesse des plus puissants seigneurs qui ont pu rassembler autour d’eux terres et gens,
favorise une vie de cour luxueuse où se succèdent des fêtes, où l’on rivalise en dépenses
de prestige, où surtout les femmes occupent une place éminente.
La courtoisie, c’est d’abord au sens le plus large, le savoir-vivre à la “court”, le
raffinement et l’élégance des relations sociales avec l’amour courtois, ou plus exactement
la “fin’amor” provençale, qui définit un type nouveau de relatons sentimentales entre
hommes et femmes, élaboré en véritable doctrine par plusieurs générations de poètes.
Ce courant culturel inaugure un culte de la femme d’abord célébrée par les poètes du
Midi de la France, repris ensuite par ceux du Nord qui le modifie quelque peu.
L’importance esthétique et civilisatrice de ce courant ne doit pas faire négliger une autre
poésie, aux formes moins compliquées et dont l’esprit est étranger, même opposé à
l’idéologie courtoise, et que l’on entrevoit dans quelques textes de tradition
troubadouresque.
La fin amor, est l’expression qui décrit un sentiment de délicatesse et de retenue, qui est
vécu dans les cours de la noblesse. Sa description est donnée pour la première fois dans
le roman de Chrétien de Troyes intitulé Le Chevalier de la Charrette. […] C’est dans ce
dernier ouvrage qu’il se présente pour la première fois dans le monde poétique, qu’il
devait pendant longtemps éblouir et dominer. En 1883 Gaston Paris utilise pour la
première fois l’expression originelle d’«amour courtois ».
Cet amour idéalisé n’est pas purement platonique.
imposé par le mécène, et la conjointure (la composition), qui donne cohérence et unité,
et fait du roman une œuvre d'art34.
Les aventures des chevaliers qui sont les héros de ses romans ont souvent un sens
symbolique : ils représentent la quête d'une identité.
L'amour tient également une large place dans ses romans, mais, chez Chrétien, il ne peut
se réaliser pleinement que dans le mariage. Il semble en effet qu'il s'efforce, dans
l'essentiel de son œuvre, de résoudre l'antinomie entre l'amour courtois, adultère par
principe et par nécessité, et la morale chrétienne, désapprouvant évidemment un tel code.
34
Pour la première fois avec Chrétien de Troyes, on peut parler d'une « œuvre » : ses romans
forment un ensemble cohérent, avec des constantes et des ruptures. Chrétien a un style et une
tonalité personnels : une sorte de distance, pleine d'humour et de poésie.
50
commun des deux amants dans les aventures de plus en plus dangereuses, exigeant
toujours plus de dévouement et de courage.
L’originalité du roman réside peut-être dans cet effort de l’auteur pour unir trois données
souvent incompatibles jusqu’alors:
l’amour,
le mariage,
la vie sociale.
Après avoir vaincu Méléagant, sans le tuer, Lancelot peut enfin voir sa Dame qui
l’accueille avec froideur: n’a-t-il pas hésité – de deux pas! – à monter dans la charrette
d’infamie? La prouesse du héros qui délivre la reine et les sujets d’Arthur est cependant
récompensée. Mais Lancelot demeure prisonnier. Il ne quittera Gorre, clandestinement,
que pour participer à un tournoi que la reine préside. Celle-ci, qui croit le reconnaître,
exige qu’il se conduise “au pis”. Le chevalier accepte de passer pour un couard.
Guenièvre, enfin sûre des sentiments du chevalier, commande “au mieux” et Lancelot
triomphe de regagner sa prison.
C’est là que Chrétien a arrêté la composition de son roman. Geoffroy de Lagny
l’achèvera: Lancelot, délivré, rentre à la cour d’Arthur où il tue Méléagant.
Commentaire
52
lorsqu’il assistait au cortège de Graal! Il est maintenant trop tard pour secourir le roi
infirme et sauver le royaume désert.
Pourtant, alors que Gauvain et les autres chevaliers d’Arthur décident de tenter des
aventures redoutables, Perceval choisit de réparer l’irréparable: il part en quête du Graal.
Un Vendredi saint, il aura la révélation de ses péchés, il entreverra une dimension
nouvelle de l’action, le service de Dieu. Le roman qui relate ensuite les aventures toutes
terrestres de Gauvain, n’est pas terminé et on ignore ce qu’il advient de Perceval.
Commentaire
Avec Perceval, la quête chevaleresque change d’ordre. L’épanouissement social et
individuel du jeune homme naïf n’est qu’une étape, la perfection mondaine doit être
dépassée par le perfectionnement spirituel.
En unifiant des thèmes chrétiens et des données païennes que lui fournissait une
mystérieuse légende, l’auteur n’a pas seulement écrit un grand roman, il a créé un mythe.
Introduction
Nous allons voir comment, de l’Amour courtois (la fin amor de l’époque et ses règles
rigides), des troubadours (l’amour, les règles de la cour mais aussi le voyage, la rue et le
monde du voyage), de la noblesse et des sentiments réprimés, la littérature se mettra à
exprimer l’objectivité personnelle de chacun, autrement dit: la subjectivité en dehors des
classes. Ce sera la culture bourgeoise de l’époque -surtout à partir de treizième siècle-
qui prendra le dessus, en dehors des châteaux du prince et des monastères des clercs.
L’homme du bourg, de la ville, sera une personnalité nouvelle qui occupera une place
dans la société.
Ce type de détachement de la société féodale vers l’intériorité personnelle est aussi un
mode de vivre la crise de ce siècle. C’est ainsi que la littérature moralisante va apparaître
avec des allégories et des visions intérieures.
Naissance de l`écrivain
C'est à partir du XIIIe siècle qu'apparaîtra peu à peu la notion d'écrivain. L'écrivain est
nécessairement au service d'un prince ou d'un puissant, et exécute pour eux des
commandes. En échange de ses productions, il reçoit la protection qui lui permet de vivre
à l'abri du besoin.
C'est ainsi que l'écrivain est appelé à jouer un grand rôle dans le divertissement des cours
aristocratiques, où le public féminin occupe alors une place de choix.
Contexte historique
Les rois d'Angleterre fin du XIIe s., -dynastie Plantagenêt- règnent sur une grande partie
du Sud-Ouest de la France grâce au mariage avec Aliénor d'Aquitaine.
De leur côté, les rois de France réduisent l'influence des nobles, intègrent de nouveaux
territoires au domaine royal et centralisent l'administration. Sous Louis IX (r. 1226-
1270), le prestige royal atteint de nouveaux sommets : le roi de France sert de médiateur
pour les disputes dans toute l'Europe, et il est canonisé par le pape Boniface VIII en 1297
(pape 1294-1303), à un moment ou le pape a des problèmes avec les rois normands et
germaniques.
Dans le monde
1204 : Mise à sac de Constantinople, capitale chrétienne de l’Orient, par les
Croisés (chrétiens)…
1258 : Les Mongols, musulmans en partie, anéantissent la capitale de l’Orient
musulman, Bagdad…
56
Les Mongols de Gengis Khan entraînent l'Europe orientale dans une profonde régression
sociale35.
35
https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Mongol_Empire_map.gif?uselang=fr
36
https://www.herodote.net/Saint_Louis_1214_1270_-synthese-145.php. )
57
37
basané = μαυρισμένος, μελαχροινός περίπου, avoir le teint basané, j’aime les types
basanés). thunes = Argot. Au XVIIe s., aumône. Au XIXe s., pièce de cinq francs
(Familier. En Suisse, cinq francs, pièce de cinq francs). Expression : Ne pas avoir une
thune, être démuni d'argent, être sans le sou.
http://www.larousse.fr/dictionnaires/francais/thune/77962Gardez cette adresse
électronique, elle vous sera très utile pour votre vocabulaire, et pas seulement…
38
Pouvoir temporel ou séculier en grec πολιτική εξουσία.
58
Il ne serait pas exagéré de dire que toute production littéraire au Moyen Age, est
didactique: la poésie lyrique, l’épopée, le roman, sous des formes diverses, proposent à
leurs lecteurs une morale. Mais, parallèlement à ces genres bien définis s’est développée
une importante production littéraire qui constitue des connaissances théoriques et
pratiques de la civilisation médiévale.
Le didactisme profane
Les proverbes, dont les recueils sont nombreux, empruntés à la Bible, mais aussi
aux anciens (Distique de Caton, Moralités des philosophes).
Les Bestiaires, Lapidaires et Plantaires sont des ouvrages de sciences naturelles,
mais qui font une large place aux légendes merveilleuses. La mentalité
médiévale, profondément symbolique, aimait voir dans chaque animal, dans
chaque pierre, le symbole d’une vertu ou d’un vice.
Le Trésor de Brunet Latin
La tentation était grande de rassembler dans un livre unique, tout le savoir humain, toute
la “sapience” d’une civilisation: un Florentin cultivé, que la vie politique de sa cité
contraignit à l’exil en France, y céda. Brunetto Latini (Brunet Latin), reconnaissant
l’universalité de la langue française, écrivit entre 1260 et 1270, une encyclopédie
didactique: Le Trésor. Destinée aux laïcs, cette somme de connaissances essaie de ne
rien oublier des mystères du monde: la géographie, la physique, l’histoire naturelle
voisinent avec l’histoire des hommes, les lois de la rhétorique, la médecine et la politique.
59
LA LITTÉRATURE MORALISANTE
Au XIII s. à la joie du conteur succède souvent la gravité du moraliste.
Le héros en tant que tel, ne semble plus intéressant, même pas crédible. Le réalisme se
fait sentir, comme on le voit à la chanson de toile (une jeune fille étale pêle-mêle ses
sentiments et sa vie), au fabliau (décrivant les vices humains dans des caractères
symboliques animaliers).
Les auteurs des fabliaux, comme ceux de Renart et de la Rose, étaient déjà voltairiens
plusieurs siècles avant Voltaire et se gaussaient de tout avec un vilain sourire
goguenard39.
L’histoire était toute jeune encore, mais enfin présente, pourchasse peu à peu la légende...
Au lyrisme “subjectif” qui emprunte les formes délicates de la chanson courtoise
s’oppose aux XIIe et XIIIe ss. une poésie de caractère “objectif”, narratif et dramatique,
développant des thèmes étrangers à la fin’amor.
39
Louis Petit de Julleville, Histoire de la langue et de la littérature française (8 vols, 1896-1900)
Histoire de la langue et de la littérature française, Collectif, sous la direction de Louis Petit de
Julleville 8 tomes : 1 — 2 — 3 — 4 — 5 — 6 — 7 — 8
60
Le Roman de la Rose
Le Roman de la Rose40 appartient à la
poésie didactique qui a pour but un
enseignement pratique, moral,
scientifique.
Il appartient à la poésie didactique qui a
pour but un enseignement pratique,
moral, scientifique.
Il a été écrit par deux auteurs :
Guillaume de Lorris et Jean de Meung
(Meun).
Résumé :
Guillaume, l’Amant, entre dans le jardin merveilleux de Plaisir et tombe amoureux de la
Rose. Il veut la conquérir. Certains lui sont favorables (Bel Accueil). D’autres sont ses
ennemis (Danger – Jalousie). Raison tente de le faire renoncer à son amour, mais en vain.
Danger, Honte et Peur enferment le buisson (rosier) dans un château et emprisonnent Bel
Accueil dans une tour. L’Amant s’abandonne à la douleur.
En voici un extrait :
Un songe conduit Guillaume, l’Amant, près d’un mur où sont peints d’affreux
personnages qui semblent interdire le passage vers un merveilleux jardin, le
verger de Déduit (Plaisir). Dame Oiseuse introduit l’Amant qui participe à une
joyeuse danse en compagnie de Beauté, Richesse, Courtoisie, Jeunesse… Puis il
visite le jardin et, percé par les flèches que lui décoche Amour, devient amoureux
de la Rose.
40
Extrait des notes de Mme Tatsopoulou (H. Tatsopoulou, D. Karakosta)
41
Tout comme les troubadours sont ceux qui aiment pour chanter la fin amor (rappelez-vous le
trio Dame, Mari, Amant).
61
Le dieu Amour promet le succès à l’amant à condition qu’il respecte ses dix
commandements, véritable code de la courtoisie. Aidé par l’Espérance, Doux Penser,
Doux Parler et Doux Regard, l’Amant entreprend la difficile quête de la Rose. Malgré
les obstacles dressés par Danger, Honte, Peur, Malebouche et Jalousie, malgré les
sermons de Raison qui voudrait le détourner de son amour, l’Amant parvient à donner
un baiser à la Rose… Finalement, Jalousie décide d’enfermer la Rose et Bel Acceuil,
allié de l’Amant, dans un donjon gardé par les ennemis de l’Amant. Le poème se termine
sur les plaintes de celui-ci…
Nous retrouvons l’amant à qui Raison et Ami adressent des discours contradictoires42.
Le dieu Amour intervient en faveur de l’Amant, on fonce le donjon, on libère Bel
Accueil, mais très vite, Danger, Peur et Honte reprennent le dessus et reconduisent Bel
Accueil en prison. Le siège de la tour recommence. Encouragées par deux nouveaux
personnages, Nature et Génius, les troupes d’Amour reprennent courage. L’assaut est
donné et la rose cueillie. Le poème s’achève sur l’éveil du poète.
La naissance du théâtre
De la religiosité médiévale, le théâtre est certainement le produit le plus paradoxal: issu
de la liturgie, il renouvelle une tradition antique que les sévères pères de l’Église avaient
condamnée.
Mais les besoins d’une Église soucieuse de toucher tous les êtres, le caractère
spectaculaire du culte font naturellement évoluer certains aspects du rite catholique vers
la représentation d’épisodes de l’histoire sainte se prêtant à une mise en œuvre
dramatique. La langue vulgaire ne tarde point à remplacer le latin, des auteurs
professionnels exploitent les sujets édifiants: le théâtre proprement dit est ainsi né.
42
Le dilemme et la bravoure vont servir aussi d’occasion à Rabelais utiliser le genre délibératif
dans ses textes comiques et provocateurs
63
Les origines du drame profane sont plus obscures. On peut seulement constater que dès
le XIII s. grâce à un talent que celui d’Adam de la Halle, un genre neuf, hésitant encore,
est en train de se constituer.
LE THEATRE RELIGIEUX
Ses origines. Au texte des offices religieux, dès le IXe s. sont venus s’ajouter de courts
commentaires chantés, appelés tropes. Certains de ces tropes comprennent un échange
de questions et de réponses et constituaient l’embryon de véritables scènes dramatiques.
Ainsi, par exemple, lors de l’office de la Résurrection, la rencontre des saintes femmes
avec l’Ange au tombeau du Christ.
A partir de ces courtes scènes, un véritable drame liturgique se développe. Des auteurs
anonymes créent le Drame de Pâques, puis le Drame de Noël qui évoquait la nativité.
Intégré au culte, ce drame est écrit en latin et joué par les prêtres dans le chœur de l’église.
Le “Jeu d’Adam”.
Dès le XIIe s. un drame semi-liturgique, écrit en français, manifeste l’avènement d’un
véritable théâtre qui sort de l’église et plante ses décors encore rudimentaires sur le parvis
ou dans le cloître. Le Jeu d’Adam est le plus ancien témoignage de ce genre nouveau.
Écrit en français avec indications scéniques en latin, ce jeu comprend 3 parties.
1. La première et la plus longue relate la chute d’Adam et d’Eve, chassés du Paradis
terrestre pour avoir cédé aux tentations du démon.
2. La seconde, très courte, représente le meurtre d’Abel.
3. La troisième était constituée d’un défilé de prophètes annonçant la venue du
Rédempteur.
L’auteur anonyme de ce jeu fait déjà preuve de véritables qualités de dramaturge.
Contraint de respecter à la lettre les textes sacrés, il a su douer ses personnages de vie
authentique.
Le “Jeu de saint Nicolas”.
Au début du XIII s. Jean Bodel, un jongleur professionnel d’Arras, auteur des poèmes
lyriques et une chanson de geste, écrit un autre drame semi-liturgique: le Jeu de saint
Nicolas.
Une suite de scènes épiques présente le roi d’Afrique convoquant ses vassaux
pour livrer bataille aux chrétiens. Le destin de ceux-ci s’accomplit sur scène, ils
sont défaits et meurent glorieusement.
Un seul survivant est fait prisonnier alors qu’il implorait une statue de saint
Nicolas. Le roi païen veut mettre le saint homme à l’épreuve: il fait annoncer à
tous qu’il laissera ses trésors sous la seule sauvegarde de la statue de saint
Nicolas.
Dans une taverne qui ressemble fort à celles que Jean Bodel pouvait observer à
Arras, trois voleurs boivent, se querellent et jouent aux dés. Ils vont voler le trésor
et reviennent à la taverne pour de nouvelles beuveries agitées. Dans le palais du
roi, le chrétien est menacé de mort, mais, conseillé par un ange, il prie saint
64
Nicolas. Celui-ci intervient auprès des voleurs qui restituent le trésor et la statue.
La fin : Le chrétien est sauvé, le roi et ses hommes, touchés par le miracle, se
convertissent.
La représentation de ce drame suppose une mise en scène très élaborée: les divers lieux
de l’action sont simultanément représentées par des objets symboliques qui déterminent
plusieurs décors dans lesquels les acteurs se déplacent. Surtout, l’œuvre de Jean Bodel
combine de tons et des genres fort différents; au pathétique de l’épopée et au merveilleux
de l’hagiographie s’associe un comique allègre, fondé sur le réalisme des situations et du
langage. Avec Jean Bodel le théâtre se dégage de la tradition liturgique.
Le “Miracle de Théophile” de Rutebeuf
Le Miracle de Théophile écrit vers 1260 par le grand poète Rutebeuf, est plus fidèle à
l’esprit religieux. Cette œuvre très courte – moins de 700 vers – adapte à la scène le genre
des miracles narratifs si fécond aux XII et XIII s.
Résumé de la pièce :
Victime de l’injustice de son évêque, le clerc Théophile, par l’intermédiaire du magicien
Salatin, renie Dieu et vend son ame au diable. Ainsi retrouve-t-il ses biens terrestres.
Mais l’apostat est torturé par les remords. Une émouvante prière obtient l’intercession
de la Vierge qui arrache à Satan le pacte signé par Théophile.
LE THEATRE PROFANE
Adam de la Halle
Les premières grandes œuvres profanes sont dues à Adam de la Halle (dit aussi Adam le
Bossu). Il est né vers le milieu du XIII s. à Arras. Trouvère lettré, musicien de talent, il
mène dans sa ville une existence assez besogneuse, aux aléas du mécénat, avant de passer
au service du comte d’Artois. Il mourut à Naples vers 1288.
Le Jeu de la feuillée
Le Jeu de la feuillée fut vraisemblablement composé vers 1276, alors qu’Adam quittait
Arras, sa femme et ses amis pour aller achever ses études à Paris. Très libre d’allure,
l’œuvre est fort difficile à définir.
On peut y distinguer 3 parties. Dans la première, Adam qui prend congé de ses
connaissances d’Arras, conte les désillusions que lui a apportées son mariage.
La seconde partie constitue la pièce proprement dite: un défilé de personnages réels et
imaginaires, médecin, moine, fées, permet à l’auteur d’exercer sa verve satirique, contre
les vices et les ridicules de ses contemporains, un “dervé” (un fou) prenant à son compte
les traits les plus hardis. Des scènes réalistes de taverne forment la troisième partie,
conclusion du jeu.
Le Jeu de Robin et Marion
Le Jeu de Robin et Marion a été écrit vers 1285. Si le Jeu de la feuillée s’inspire du
congé, cette pièce transpose un autre genre lyrique, la pastourelle.
On y retrouve le trio traditionnel,
65
Robin le berger,
Marion sa promise et
le chevalier qui tente de séduire la belle par de galantes propositions.
Traitée avec humour et réalisme, cette situation permet à Adam de la Halle d’exploiter
son double talent de poète et de musicien; aux dialogues il a mêlé des chants et des
danses, créant ainsi la formule des divertissements de cour qui seront si appréciés quatre
siècles plus tard.
66
Les poètes bourgeois traitent le tracas de tous les jours, évoquent misère et joie,
montrent un épicurisme et un espoir dans un avenir meilleur.
Ils unissent à l'inspiration lyrique l'inspiration réaliste et satirique.
Se mêlant au lyrisme personnel, le fameux esprit gaulois ajoute à la poésie
bourgeoise une caractéristique spécifique: le refus de prendre trop au sérieux
la solitude ou la pauvreté.
Les poètes les plus connus sont Rutebeuf, Jean Bodel, Colin Muset.
Leurs formes poétiques sont celles des poètes courtois.
RUTEBEUF
Parmi les poètes du XIIIe s. il convient de réserver une place éminente à Rutebeuf
dont l’œuvre par la multiplicité de ses formes et de ses intentions, reflète
admirablement la complexité d’une époque riche en accomplissements et
découvertes.
Auteur de
- fabliaux et de
- poèmes,
homme de théâtre,
Biographie
De l’homme, de sa personnalité et de sa vie, on ne sait que ce qu’on peut déduire
avec prudence de la cinquantaine d’œuvres qui nous est parvenue et qui est
probablement composée entre 1250 et 1285.
Son existence devait être celle d’un jongleur professionnel, pratiquant un peu
tous les genres pour plaire et monnayant son talent.
Rutebeuf vit à Paris et connaît bien le monde universitaire. Une grave crise
secoue les universités au XIIIe s. Une âpre lutte oppose les maîtres “séculiers”
aux maîtres “réguliers” des ordres mendiants – Dominicains et Franciscains – qui
tentent de s’implanter pour contrôler l’enseignement avec la bénédiction du
pape.
67
La querelle la plus vive éclate à Paris entre 1252 et 1259, quand un maître
séculier, Guillaume de Saint-Amour est condamné par le pape et banni.
Rutebeuf entra dans cette querelle aux côtés des amis de Guillaume. Dans ses
poèmes concernant l’Université de Paris ou dirigés contre les moines (Discorde
de l’université et des Jacobins; Les ordres de Paris) le poète met son talent
satirique au service d’un “clan”, mais il exprime aussi ses sentiments
personnels.
Ah! Jésus Christ…
La loi que tu nous as apprise
Est si vaincue et entreprise…
Ou que je réfléchisse,
Où je pourrai trouver de quoi vivre
Pour survivre quelque temps:
Telle est la vie que je mène.
J’ai mis en gage tout ce que je pouvais,
Et j’ai tout déménagé hors de chez moi,
Car j’ai été couché malade
Trois mois sans voir personne.
Et ma femme a eu un enfant,
Si bien que pendant un mois
Elle a été à deux doigts de la mort.
Je gisais pendant ce temps
Dans l’autre lit,
Où j’avais peu de plaisir.
Jamais le fait d’être couché
Ne me plut moins qu’alors,
Car à cause de cela j’ai été dépouillé de mon avoir
Et je suis physiquement infirme
Jusqu’à ma mort.
Les maux ne savent pas venir seuls;
Tout ce qui devait m’advenir,
Est maintenant du passé.
Que sont mes amis devenus
Que j’avais tant cultivés,
Et tant aimés?
Je crois qu’ils se sont éparpillés;
Ils n’avaient pas été bien attachés,
Et ainsi ils ont failli.
De tels amis m’ont mis en mauvaise situation,
Car jamais, aussi longtemps que Dieu me mit à l’épreuve
De bien des manières,
Je n’en vis un seul à mes côtés.
Je crois que le vent les a emportés,
L’amitié est morte:
Ce sont amis que le vent emporte,
Et il ventait devant ma porte,
Ainsi le vent les emporta,
Car jamais aucun ne me réconforta
Ni ne m’apporta rien de ce qui lui appartenait.
Ceci m’apprend
Que celui qui a des biens, doit les prendre pour lui;
Mais celui-ci se repend trop tard
Qui a trop dépensé
69
La complainte Rutebeuf,
La griesche d’hiver,
La griesche d’été,
La povreté Rutebeuf,
La repentance Rutebeuf
révèlent un homme terrassé par la misère:
Avec Rutebeuf la poésie ne cesse pas d’être un art, difficile et exigeant, qui
sollicite toute l’habileté et la patience d’un écrivain savant, mais elle devient
l’expression éclairante de l’obscurité d’un destin.
71
Contexte historique
Les difficultés climatiques du premier quart du XIVe siècle provoquent des famines en
Europe, et la pandémie de la peste noire qui suit laisse plusieurs milliers de morts partout.
Les villes sont particulièrement touchées en raison de la forte densité de population. Des
tensions sociales et économiques entraînent des soulèvements.
La guerre de Cent Ans commence peu après 1330 et termine en 1453, date de la chute de
Constantinople.
On voit une grande radicalisation politique et religieuse dans la société en crise, en même
temps qu’une Révolution commerciale se fait sentir d’abord en Italie (Venise). Des
monopoles se développent, qui mettent en communauté culturelle des hommes venus
d’horizons différents.
Les Ottomans en Orient finissent par conquérir Constantinople, la ville médiévale dont
la longévité dépasse toutes les L’avancée ottomane pousse une partie de la population
byzantine à trouver refuge en Occident.
L'attrait des richesses et des produits d'Extrême-Orient44 dont l'approvisionnement est
contrôlé par les marchands arabes et vénitiens pousse à la recherche de voies maritimes
permettant de contourner leur monopole. Des voyages et expéditions conduisent au
nouveau monde en 1492…
Naissance des États-Nations
Le bas Moyen Âge voit l'apparition de puissants États-Nations monarchiques comme
l'Angleterre, la France, l'Aragon, la Castille et le Portugal. Tout au long du XIVe siècle,
les rois de France cherchent à étendre leur autorité (ce qui conduit à la guerre de Cent
Ans).
Jeanne d'Arc (d. 1431) est un personnage dramatique qui enchante la société et manifeste
l’apparition d’un véritable esprit national, inexistant jusqu’alors.
Crise religieuse
Au niveau religieux, le XIVe siècle est marqué par la Papauté d'Avignon (1305-
1378), dans le Sud de la France. Durant la période du Grand Schisme d'Occident
(1378 -1418), il y eut deux puis trois papes rivaux, chacun soutenu par des États
différents…
En plus de ce schisme, l'Église catholique se trouve engagée dans des
controverses théologiques et des tensions très graves qui conduiront à des
scandales et à la Réforme protestante.
44
Dès la fin du XIIIe siècle, des explorateurs européens comme le Vénitien Marco
Polo (mort en 1324) cherchent de nouvelles routes commerciales vers l'Asie.
72
Le théâtre religieux
Deux grandes formes dramatiques des XIV et XV ss.: les Miracles et les Mystères.
45
… http://www.visual-arts-cork.com/history-of-art/trecento.htm, un régal pour les yeux…
73
Le Miracle
Le Miracle est le genre le plus fécond au XIV s. Un manuscrit de cette époque recueille
40 Miracles de Notre Dame. Cultivés et dévots, les auteurs des Miracles ont cherché leur
inspiration dans la littérature narrative religieuse et profane qui leur proposait des
situations désespérées dans lesquelles la Vierge miséricordieuse pût intervenir.
Mais, tout soucieux qu’ils sont d’édifier et de rassurer leur public, les auteurs veulent
aussi satisfaire son goût pour le spectacle. Drames aux dimensions assez restreintes, les
Miracles font appel aux ressources d’un décor relativement riche, d’une action haletante,
voire du comique qui apparaît çà et là, à l’occasion de scènes réalistes.
Le Mystère
Alors que le Miracle met en scène une situation humaine, familière, que vient modifier
le surnaturel, le Mystère est d’inspiration toute sacrée et retrace l’histoire divine telle que
la proposent les écritures saintes.
Dès le XIVe s. des associations à statut officiel, les “Confréries”, se sont chargées de
représenter la vie du Christ. Mais aux représentations traditionnelles de la Nativité et de
la Résurrection qui sont à l’origine du drame liturgique, vient s’ajouter le plus dramatique
des épisodes, la Passion.
Le succès des Mystères est prodigieux; leur exécution était une véritable fête paralysant
les activités des villes, nécessitant la collaboration de plusieurs centaines d’acteurs, la
mise en œuvre des décors simultanés très complexes où se multipliaient les lieux
d’action.
Les proportions gigantesques des œuvres exigeaient leur division en plusieurs journées
de représentation qui réunissaient une foule immense et disparate.
Des grands Mystères le chef-d’œuvre est certainement le Mystère de la Passion composé
vers 1450 par un clerc, organiste de Notre-Dame, Arnoul Gréban. De la Création jusqu’à
la Résurrection, en un prologue et 4 journées, près de 35 mille vers dits par plus de 200
personnages retracent les épisodes de l’histoire sainte.
Devenus des spectacles composites, souvent scandaleux et fort confus, les Mystères
furent condamnés en 1548 par le Parlement de Paris.
Le théâtre comique
Il faut attendre 1450 environ pour que se manifeste un théâtre comique, dont le succès se
prolongera jusqu’en pleine Renaissance. Comme les Mystères, ce théâtre a ses confréries
regroupant des clercs et des étudiants joyeux vivants.
Divers genres constituaient le répertoire comique. On distingue les sotties, les
monologues, les moralités et surtout les farces.
La sottie, interprétée par des Sots – ou Fous –- revêtus d’un costume particulier, est
composé de scènes bouffonnés et décousues, dont les visées satiriques sont souvent
audacieuses.
74
Le monologue dramatique met en scène un seul personnage dont les discours révèlent les
travers.
La moralité n’est pas toujours comique, les intentions didactiques du genre s’expriment
au moyen d’allégories qui débattent de grandes questions morales ou politiques.
De tous les genres comiques médiévaux, le plus durable fut la farce.
Dépourvue d’intentions didactiques et réformatrices, la farce entend seulement faire rire
le plus vaste public; à cette fin elle exploite des thèmes comiques comme l’adultère et la
filouterie qui assurent déjà le succès des fabliaux et utilise des procédés dramatiques que
Molière ne désavouera pas, comme les coups de bâtons et la bouffonnerie verbale.
La Farce du Cuvier
La Farce du cuvier est considérée comme une habile variation sur le thème de la “femme
qui porte la culotte”, au grand dépit de son mari, ravi de trouver une occasion de se venger
et de reprendre le dessus :
Le malheureux Jaquinot est affligé non seulement d’une femme acariâtre,
mais d’une belle-mère qui prend toujours le parti de sa fille. On le somme
de faire tout et n’importe quoi, à n’importe quelle heure du jour et de la
nuit. Finalement, il accepte de mettre par écrit la liste des tâches qui lui
sont assignées, afin de n’en pas oublier: la liste est énorme46!
Le malheureux Jaquinot signe le “rôlet”; sa femme est enchantée!
Malencontreusement, elle tombe dans la cuve remplie d’eau. Sur le point
de se noyer, elle ordonne à son mari de la tirer de là, puis en vient aux
supplications. Mais Jaquinot se contente de vérifier sur son rôlet et affirme
qu’il n’y est pas inscrit “sortir sa femme du cuvier”. Il persiste dans sa
mauvaise volonté, répétant “ce n’est pas sur mon rôlet”, jusqu’au moment
où la femme promet qu’il sera désormais le maître chez lui et qu’elle se
comportera en tout comme une bonne et obéissante servante, “ainsi qu’il
est normal”.
46
- Se lever le premier pour chauffer la chemise de sa femme au feu; - la nuit, si l’enfant se
réveille se lever pour le bercer, le promener, le porter, l’apprêter, même si c’est minuit; - pétrir
et faire cuire le pain, - faire la lessive, - passer la farine par le bluteau, - laver le linge et le
décrasser à grande eau, - chauffer le four, - mener la mouture au moulin, - faire le lit, - mettre
le pot au feu, - tenir la cuisine propre et - “faire la chose” cinq ou six fois tous les jours…
75
L’œuvre a été écrite vers 1460-1465, avant 1469, date où apparaît le verbe «patheliner» :
faire semblant d’être malade. Elle a été écrite en dialecte d’Ile-de-France avec des
éléments picards et normands.
C’est une œuvre réaliste qui présente une critique amusée des mœurs et des défauts
humains.
Résumé:
Maître Pathelin, un avocat sans travail, donc sans argent, achète du drap
à crédit. Sans scrupules, il trompe le drapier Guillaume qui vient réclamer
son argent, en faisant semblant d’être malade. Mais il sera trompé à son
tour par Thibaut l’Agnelet, le berger du drapier Guillaume qui assomme
les moutons, puis les vole à son maître. En effet, en tant qu’avocat Maître
Pathelin sera amené à défendre Thibaut l’Agnelet contre le drapier qui lui
fait un procès. Thibaut l’Agnelet, que l’on prend pour un simple d’esprit
(parce que, sur conseils de Pathelin, il bêle au lieu de parler), sera
disculpé. Cependant, Thibaut l’Agnelet évitera de payer Maître Pathelin
pour ses services. Lorsque Pathelin lui réclamera son argent, le berger se
mettra encore une fois à bêler au lieu de payer l’avocat. On peut donc dire
dans ce cas : à trompeur, trompeur et demi.
Villon est le premier grand poète “moderne”, mais aussi le dernier grand poète du Moyen
Age. On ne peut le séparer de son temps si l’on veut le comprendre.
Biographie
Écolier de l’Université, maître de la faculté des Arts dès 21 ans, il
mène tout d'abord la vie joyeuse d’un étudiant indiscipliné
du Quartier Latin. À 24 ans, il tue un prêtre dans une rixe et fuit
Paris. Amnistié, il s’exile de nouveau, un an plus tard, après un
cambriolage (…) Il mène alors une vie errante et misérable.
Emprisonné, puis libéré, il revient à Paris après quelque six ans
d’absence. De nouveau arrêté lors d'une rixe, il est condamné à la
pendaison. Après appel, le Parlement casse le jugement mais le
bannit pour dix ans ; il a 31 ans. Ensuite, on perd totalement sa
trace.
Œuvres principales
le Lais (ou Petit Testament)
Dès 1455, la justice est saisie d’une affaire de meurtre en légitime défense, mais où
Villon est impliqué. Un an après, Villon est responsable de vol avec effraction au Collège
de Navarre, le soir de Noël 1456. Il n’est dénoncé qu’en 1457, mais il a déjà fui Paris
après avoir écrit le Lais.
Il s’agit d’une sorte de congé que le poète prend avant une assez longue absence – sa
fuite hors de Paris :
Rebuté par une femme cruelle, Villon lègue ses biens à ses connaissances
avant de partir pour Angers :
A son protecteur Guillaume, il laisse son “bruit”, c’est-à-dire sa
renommée;
à la femme qui l’a repoussé, son coeur martyr, enchâssé comme une
relique.
à un riche drapier, Villon abandonne la récolte de glands d’une plantation
de saules!
à trois petits enfants tout nus un splendide repas… (mais ces pauvres
enfants sont en réalité des usuriers qui ne sont nullement à plaindre!)
47
En l’écoutant, vous pouvez lire les vers…
78
Villon revient à Paris mais il est arrêté un mois plus tard, et cette fois il est condamné à
être pendu. Dans l’attente de l’exécution, il compose l’émouvante Epitaphe Villon dite
Ballade des pendus48. En janvier 1463 le Parlement casse la sentence, et bannit Villon
de Paris pour dix ans. On perd alors sa trace.
48
https://www.youtube.com/watch?time_continue=249&v=cj6OyfPHNhc.
79
Villon n’a inventé aucun thème, aucune forme: le testament parodique existait avant lui,
et il ne pouvait, contre son époque, éviter les méditations sur la mort. La force de Villon
est de n’avoir pas traité ces sujets comme des thèmes obligés, mais comme
d’authentiques soucis personnels. A la “poétique” et irréelle campagne des pastourelles,
il préfère Paris. Il décrit la laideur, la décrépitude des corps, la violence et la bassesse de
leurs appétits charnels. Une poésie vraie, passionnément attachée au sensible le dégage
des “beaux mensonges” de la tradition.
Le véritable noyau poétique de l’œuvre reste la personnalité de l’auteur. Qui est Villon?
L’amant renié et malheureux ou le sensuel ami des catins, le fils tendre qui compose pour
sa mère l’admirable Ballade pour prier Notre-Dame, ou le pécheur endurci qui se
complaît dans la méchanceté?
80
10.LA RENAISSANCE
“Maintenant toutes disciplines sont restituées, les langues
instaurées… Tout le monde est plein de gens savants, de
précepteurs très doctes, de librairies très amples…
(Rabelais).
Introduction
Le Moyen Âge occidental est l'époque de l'histoire située entre l'Antiquité et l'Époque
moderne, soit entre 476 et 1492 ans après Jésus-Christ. Elle s'étend sur une période de
mille seize ans.
La Renaissance française (≈1450-1600) est une époque de transition entre le Moyen
Âge (≈476-1492) et les temps modernes (≈1492-1789).
Il faut noter aussi qu’il n’existe pas de coupure brutale entre l’époque médiévale et la
Renaissance; des signes précurseurs, en plein Moyen Age, annonçaient ce qui allait
devenir un esprit nouveau: la Renaissance.
Le terme "Renaissance" est utilisé en 1855 pour la première fois par l'historien Jules Michelet
1798-1874) pour évoquer la "découverte du monde et de l’Homme" au XVIe siècle, dans le cadre
de son Histoire de France. Selon Jean Delumeau, spécialiste de la Renaissance, le mot
Renaissance nous est venu d'Italie: Giorgio Vasari a employé le terme « Rinascita » en 1568.
81
Le sens du mot Renaissance s'est progressivement élargi, pour désigner tout mouvement
positif dans l’histoire de la progression humaine de point de vue social, économique,
idéologique, scientifique.
la Renaissance fut d’abord italienne.
Les idéaux centralisateurs du moyen âge occidental (chrétienté papale, empire chrétien
romain entre la France et l’Allemagne) se voient profondément effrités déjà vers la fin
du XIIe siècle, quand, les hommes du Moyen Âge voyagent pour différentes raisons
(normands, reconquista espagnole, croisade, ‘empire’ commercial des villes italiennes et
surtout de Venise), se mettent en contact les uns avec les autres, la bourgeoisie se
développe comme une classe ‘économique’ loin
du pouvoir royal (les chevaliers, la noblesse) et
du pouvoir religieux (les clercs ne sont plus de prélats, mais des universitaires).
Ainsi il n’y a plus d’unité
Unité de la foi dans l'Église de Rome (n’oubliez pas les schismes, hérésies et
l’Inquisition! les divisions entre les papes et antipapes).
Unité de la politique sous la direction de l'empereur. L'Empire existait mais devenait
de plus en plus une affaire de famille et des états nationaux s'affirmaient (outre la
France et l'Angleterre, l'Espagne, la Pologne, l'Ecosse, la Hongrie, la Norvège et le
nouvel état de Bourgogne connaissaient un renforcement du pouvoir de leurs
princes).
Unité de la culture enseignée par les clercs et cimentée par une langue commune : le
latin. LES LANGUES VERNACULAIRES, VULGAIRES SONT DÉSORMAIS
LA VOIX, LA LITTÉRATURE, ET LA PROPAGANDES DES PEUPLES
NOUVEAUX ET DIFFÉRENTS.
UNE NOUVELLE UNITÉ EST FORGÉE, non comme un idéal, mais comme un
réalisme : l’homme lui-même, qui choisit comment vivre, comment croire, ET
COMMENT S’ENRICHIR.
Une révolution économique :
Au XVe siècle, les villes italiennes, favorisées par leur situation géographique, sont les
premières à tirer avantage des transformations économiques.
L'avancée économique et bancaire de l'Italie est ainsi la base matérielle de l'explosion
artistique de la péninsule sous la Renaissance. D'autres régions d'Europe prennent très
vite leur essor : les Flandres, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, etc.
L’humanisme ne saurait exister sans l’épanouissement économique et technologique.
Les exploits de l’homme
L’apparition et les manifestations de cet esprit nouveau – l’humanisme, la Réforme, le
baroque – furent des phénomènes européens, mais non synchronisés:
L’esprit de la Renaissance fut de telle ampleur qu’il affecta tous les domaines:
intellectuel, artistique, philosophique, religieux, éthique, social, …
82
49
L’influence des idées de Ficin fut considérable, ainsi que l’exemple de son Académie
florentine, protégée par Laurent de Médicis, qui fut la première des nombreuses académies de la
Renaissance.
50
Il concilie une philosophie matérialiste et l’adhésion au dogme catholique grâce à la doctrine
de la “double vérité” (fidéisme) qui sépare la foi et la raison, doctrine
condamnée par l’Église dès 1516.
83
L’Humanisme
A cette époque apparaît le mouvement humaniste :
une philosophie qui place l'être humain et les valeurs humaines au centre de la pensée et
du monde.
Les humanistes sont des hommes nouveaux qui font leur apparition sur le devant de la
scène de la société. Ce changement se produit entre la fin du XIVe et le milieu du XVème.
Le mot humaniste apparaît en Europe occidentale au XVIe siècle. Il désigne les érudits
qui ne se contentent plus de la connaissance du latin, la langue commune à toutes les
personnes instruites de leur époque, mais étudient aussi les autres langues prestigieuses
de l'Antiquité, le grec et l'hébreu.
Les esprits les plus admirés et célèbres sont ceux qui connaissent plusieurs langues, qui
restent durant des mois dans les bibliothèques ou les laboratoires. Dans le même temps,
ces hommes s'émeuvent devant un tableau, ou en écoutant une belle musique, ou encore
en lisant un poème.
Le grec, l’hébreu, le syriaque, et parfois l’arabe, sont des langues que les savants veulent
connaître à fond.
Ces humanistes ne gardent pas pour eux leur savoir, mais multiplient les échanges, soit
en voyageant, soit en échangeant des lettres : c'est à partir de cette époque que l'on parle
d'une «République des lettres», c'est-à-dire d'un cercle de gens instruits qui
correspondent de manière intensive.
Guillaume Budé (1468 - 1540), ami d'Erasme, de Rabelais, de Thomas More, est un
helléniste, philologue, théologien, écrivain mais aussi imprimeur et bibliothécaire,
s'énorgueillit ainsi d'avoir « rouvert les sépulcres de l'Antiquité ». Il fonde le Collège de
France (1530) à la demande de François Ier.
Aux yeux de ces érudits, il faut placer l'homme au centre de tout.
Attention toutefois : il ne faut pas croire que les humanistes sont des païens ou des athées
qui rejettent Dieu. Ils sont chrétiens, mais mettent l'accent sur l'étude de l'homme. C'est
ainsi que Pic de la Mirandole, dans un texte célèbre, écrit que «le Grand Architecte» a
dit à Adam : «tu n'es limité par aucune barrière... Je t'ai installé au milieu du monde afin
que de là, tu examines plus commodément tout ce qui existe. Je ne t'ai fait ni céleste, ni
terrestre, ni mortel, ni immortel, afin que maître de toi-même tu te composes la fortune
que tu auras préférée...» C'est l'individu qui choisit son destin, il n'est pas condamné par
le péché originel.
L'humanisme est ainsi une doctrine fondamentalement optimiste, elle croit que l'homme
peut s'améliorer. Pour cette raison, l'éducation est au centre des préoccupations des
hommes du temps. La connaissance doit permettre aux hommes d'accomplir leurs
possibilités, mais elle doit aller de pair avec la morale car
«science sans conscience n'est que ruine de l'âme»,
85
comme François Rabelais le fait dire à son héros Gargantua. Une fois éduqué, l'homme
peut lire par lui-même la Bible et la comprendre, alors que jusque là l'Église était la seule
à pouvoir interpréter ce texte.
Humanistes célèbres
Érasme (1469-1536) et Thomas More (1477-1535),
Érasme est l’ami intime de Thomas More. Thomas More, se trouvant à Louvain, écrit et
édite en1516 une œuvre politique révolutionnaire pour son époque, que lui-même intitule
Nusquam (nulle part), mais que son ami fraternel, Érasme, traduit par un néologisme
grec, Utopie. Le terme est si réussi que nous en connaissons tous les avatars
jusqu’aujourd’hui. Cette œuvre constitue une réflexion, un hommage à la République de
Platon. Voilà donc l’esprit nouveau de cette époque : vouloir se ressembler au monde le
plus beau, le plus organisé, celui de la république athénienne antique, mais proposant sa
réflexion contemporaine!
Ainsi, Érasme répond à son ami avec l’esprit satirique médiéval, par un livre qui s’appelle
Stultitiæ laus. On peut le traduire en français « l'Éloge de la folie », dans lequel il
dénonce la corruption et les vices du clergé, rejoignant ainsi l'esprit de la Réforme.
Pourquoi ce titre? D’abord, expliquons qu’en latin, langue de clercs de l’époque, le titre
pourrait être simplement celui d’une œuvre satirique; Mais :
Si on traduisait le titre dans l’autre langue savante, de plus en plus à la mode, en grec?
Et bien, cela donnerait Μωρίας εγκώμιον.
Le jeu de mots est beaucoup plus que satirique, il est génial : c’est la louange à son ami,
qui s’appelle More (μωρίας εγκώμιον).
C'est dans son château de Villers-Cotterêts que François Ier signa l'édit qui
imposait le français comme langue administrative au lieu du latin. Le même édit
oblige dans chaque paroisse les curés à tenir un registre des naissances: ce fut le
début de l'état civil. Cette mesure fit ainsi du français la langue de l’État, mais
elle n’était point dirigée contre les parlers locaux, juste contre le latin de l’Église.
Vers 1520 environ, la Bible et l'Évangile furent traduits en français et tous les calvinistes
de France ou de Suisse s'évertuèrent à les répandre sous cette forme
De plus, l'imprimerie favorisa la diffusion du français : il parut plus rentable aux
imprimeurs de publier en français qu'en latin en raison du nombre plus important des
lecteurs en cette langue.
Enfin, de plus en plus de savants écrivent en français, notamment des mathématiciens,
des chimistes, des médecins, des historiens et des astronomes, et plusieurs écrivains
revendiquent en faveur de cette langue: Du Bellay, Ronsard, Rabelais, Montaigne, etc.
Tout cela nous explique la publication du fameux pamphlet de Joachim Du Bellay,
Défense et illustration de la langue française, qui parut en 1549 et est généralement
considéré comme le manifeste de La Pléiade.
Dans l'imaginaire du XVIe siècle, le français idéal se rêve dans un passé perdu que l'on
réinvente ou dans un avenir glorieux où la langue atteindrait son âge d'or. (…)
La Querelle des Anciens et des Modernes
« Notre langue étant pauvre et nécessiteuse au regard de la latine, ce serait errer en sens
commun que d’abandonner l’ancienne pour favoriser cette moderne. » C’est l’avis de
TURNÈBE (1512-1565), humaniste et professeur au Collège de France (on dit alors :
lecteur au Collège royal), il se bat pour le latin et le grec. Au XVIe siècle, quelque 700
poètes du royaume versifient en latin, la poésie néo-latine s’inspirant jusqu’au plagiat
de Virgile, Horace, Catulle, Ovide, tandis que d’autres « pindarisent et pétrarquisent »
à qui mieux mieux.
RONSARD, le Prince des poètes, réunit une « Brigade » qui devient « Pléiade » et cette
nouvelle école charge Joachim du BELLAY (1522-1560), Poète de la Pléiade, de rédiger
la Défense et illustration de la langue française (1549), ce manifeste littéraire à la fois
touffu et belliqueux. Le titre résume le propos :
- « défense » de la langue française contre le latin qui reste, sauf exception, la
langue des savants et des lettrés, mais en même temps
- « illustration », c’est-à-dire enrichissement de cette langue. « [Nos ancêtres] nous
ont laissé notre langue si pauvre et nue qu’elle a besoin des ornements et, (s’il
faut ainsi parler) des plumes d’autrui. »
87
« Je prouverai […] que notre langue vulgaire n’est pas si vile, si inepte, si indigente et à
mépriser qu’ils l’estiment » écrit François RABELAIS51 . Rabelais se bat avec sa langue
bien à lui et bien française. Il s’adresse ici aux « rapetasseurs de vieilles ferrailles latines,
revendeurs de vieux mots latins, tous moisis et incertains ».
Tous soutiennent les recommandations de Joachim du Bellay, dans sa Défense et
illustration de la langue française :
« Il me semble (lecteur ami des Muses françaises) qu[e] tu ne dois avoir honte
d’écrire en ta langue ; mais encore dois-tu, si tu es ami de la France, voire de toi-
même, t’y donner du tout ; [...] use de mots purement français, non toutefois trop
communs, non point aussi trop inusités, si tu ne voulais quelquefois usurper, et
quasi comme enchâsser ainsi qu’une pierre précieuse et rare, quelques mots
antiques en ton poème».
On écrira donc désormais en français, mais dans un français enrichi de grec et latin selon
le principe que « Plus on aura de mots dans notre langue, plus elle sera parfaite »
(Ronsard). Des centaines de termes entrent alors dans notre vocabulaire, issus bien sûr
des langues antiques mais aussi étrangères, voire du patois et de l’argot.
Et lorsque les dictionnaires s’avèrent incapables de traduire une réalité, on n’hésite pas à
inventer de nouveaux mots à la manière de Rabelais qui n’en a pas produit moins de 74
à lui seul52 !
Rabelais.
Quelqu’un fait pleuvoir les mots
Alors qu’ils sont en mer, Pantagruel et ses amis voient tomber des paroles...
« Seigneur, ne vous effrayez de rien. Ici se trouvent les confins de la mer glaciale, sur
laquelle s’est déroulée au commencement de l’hiver dernier une grosse et félonne
bataille, entre les Arismapiens et les Néphélibates. Alors tout gela en l’air, les paroles et
les cris des hommes et des femmes, le choc des masses, les heurts des harnais, des ar-
mures, les hennissements des chevaux, et tout le vacarme d’un combat. Maintenant que
la rigueur de l’hiver est passée, et que reviennent la paix et la douceur des beaux jours,
ce qui a gelé fond et se fait entendre.
Il nous jeta alors sur le pont de pleines poignées de paroles gelées, qui semblaient des
dragées en forme de perles de toutes les couleurs. Nous y vîmes des mots de gueule, des
mots de sinople [vert], des mots d’azur, des mots de sable, des mots dorés. Ils fondaient
parce qu’ils se réchauffaient entre nos mains, et nous les entendions réellement. Mais
nous ne les comprenions pas, car c’était une langue inconnue.
Frère Jean en avait pris un assez gros dans les mains, qui fit un son pareil à celui que font
les châtaignes qui éclatent quand elles sont jetées au feu sans être fendues, et nous
51
François RABELAIS (vers 1494-1553), Le Cinquième Livre, prologue (posthume).
52
Isabelle Grégor, Histoire du français, www.herodote.net
88
sursautâmes tous de frayeur. « Celui-là, c’était un coup de fauchon [sorte de faux] en son
temps», dit frère Jean.
Panurge demanda à Pantagruel de lui en donner plus. Pantagruel lui répondit qu’il n’y
avait que les amoureux qui donnaient leur parole.
« Alors, vendez-m’en ! » répliqua Panurge.
« Il n’y a que les avocats qui vendent des mots, répondit Pantagruel. Je vous vendrais
plutôt du silence et très très cher ! »
Cependant il en jeta sur le pont trois ou quatre poignées.
Et je vis des paroles bien piquantes, des paroles sanglantes, [...] des paroles horrifiques
et d’autres assez désagréables à voir. Et quand elles furent toutes fondues, nous
entendîmes : hin, hin, hin, hin, his, ticque, torche, lorgne, brededin, brededac, frr, frrr,
frrr, bou, bou, bou, bou, traccc, trac, trr, trr, trr, trrr, trrrrrr, on, on, on, on, ououououon,
goth, mathagoth, et je ne sais quels autres mots barbares. C’étaient les bruits du choc et
du hennissement des chevaux lors de l’assaut. […]
Cela nous amusa beaucoup. Je voulais mettre en conserve dans l’huile quelques mots de
gueule, tout comme on conserve de la neige et de la glace dans la paille bien nette.
Pantagruel refusa, disant que c’était folie de mettre en conserve ce qui ne manque jamais
et que l’on a toujours sous la main, comme c’est le cas pour les mots de gueule parmi les
bons et joyeux Pantagruélistes
François Rabelais, Quart Livre, 155253.
53
Isabelle Grégor, Histoire du français, www.herodote.net
89
Bellay dans leur enthousiasme pour la langue nationale, et dans leur volonté de rénover
la poésie française, et il encouragea leurs premiers essais poétiques.
Cependant, à partir de 1547, une autre influence s’exerça sur les futurs poètes. Celle de
Jean Dorat (ou Daurat), savant helléniste. Dorat n’était pas seulement un intellectuel et
un savant, mais un amateur exigeant de poésie. Paradoxalement, cet homme pétri de
lettres grecques contribua à la défense et illustration de la langue française.
Les élèves de Dorat étaient de jeunes adultes, venus volontairement reprendre des études,
qu’ils jugeaient insuffisantes, dans des disciplines qui les passionnaient.
En 1547, Ronsard avait vingt-trois ans et du Bellay vingt-cinq et avec quelques autres,
ils formèrent un groupe que Ronsard appela la Brigade.
L’entrée de la Brigade dans l’histoire de la littérature fut fracassante.
- En 1549, du Bellay publiait
1. son pamphlet La défense et illustration de la langue française et
2. le premier recueil pétrarquiste du groupe, l’Olive.
54
‘Rien de plus original (…) que de se nourrir des autres. Mais il faut les digérer. Le lion est fait
de mouton assimilé’ . Paul Valéry (1871 - 1945).
55
Tous les détails ici https://www.etudes-litteraires.com/figures-de-style/rime.php.
91
- les tours :
o l’infinitif pour le nom (l’aller, le chanter, le mourir…) ;
o l’adjectif pour l’adverbe (ils combattent obstinés) ;
o l’adjectif substantivé (le vide de l’air, le frais des ombres…)
- les figures de rhétorique :
o les métaphores,
o la métaphore désigne une chose par une autre qui lui ressemble ou partage
avec elle une qualité essentielle, elle laisse deviner la similitude p. ex. un
cadeau royal ;
o les allégories. L’allégorie est une forme de représentation indirecte qui
emploie une chose [une personne, un être animé ou inanimé, une action]
comme signe d'une autre chose, souvent une idée abstraite ou une notion
morale représentée par du concret ; abstraction souvent personnifiée, par
ex. ‘le Temps mange la vie’ (le temps devient le nom propre, comme si
c’était une personne, et il a les caractéristiques d’un être vivant, il mange)
o les comparaisons, tirées en particulier du langage des métiers
Du point de vue formel, l’influence de la Pléiade a été plus féconde et plus durable
encore.
C’est à elle qu’on doit sinon l’introduction du sonnet en France, du moins sa pratique et
sa vogue. Il faudrait en outre citer à peu près toutes les formes strophiques et prosodiques
utilisées par les classiques et les romantiques.
92
Biographie en bref
Son père, gentilhomme lettré, compagnon et serviteur de François Ier, place Pierre de
Ronsard, son fils cadet, auprès de la famille royale. L’enfant a douze ans, et pendant
quatre ans il reçoit une formation de page, qui le prépare normalement à une carrière
militaire convenable à un homme de sa race. Mais, à la fin de 1540, il tombe malade et
reste “demi-sourd”. Infirme, il ne peut plus prétendre à la carrière des armes. En 1543,
son père le fait donc tonsurer: désormais, il est devenu apte à des bénéfices
ecclésiastiques (c’est de tels bénéfices qu’il vivra plus tard). Il mourra d’ailleurs, dans
l’un de ses prieurés des bords de la Loire, à Saint-Cosmelez-Tours.
Cependant, Ronsard lui-même, faute de devenir capitaine ou diplomate au service du roi,
choisit la poésie. Il suit les cours de Daurat au collège de Coqueret, il parfait sa
connaissance des langues anciennes en même temps qu’avec ses compagnons de travail,
ceux qu’il appelle “la Brigade”, il élabore de nouvelles doctrines poétiques.
Œuvre littéraire
1550 : Cette année marque son entrée dans la littérature: Ronsard publie ses premières
Odes qui suscitent l’enthousiasme des uns et la réprobation des autres. D’année en année
sa réputation s’impose.
De façon à peu près ininterrompue, il ne cesse de publier jusqu’à sa mort, le 27 décembre
158556.
En 1555, Ronsard publie un premier livre d’Hymnes, suivi d’un second en 1556: ces
somptueux poèmes graves, où désormais prédomine l’alexandrin, développent les grands
thèmes de la pensée humaniste, la mort, l’éternité, les astres, mais aussi – car Ronsard
est un homme du XVIe siècle – les démons.
Ronsard, fidèle sujet du roi Charles IX, défend évidemment le point de vue de son maître,
celui des catholiques dans une série de poèmes.
Contemporain de Joachim Du Bellay, ils suivent les mêmes études, et fondent ensemble
le groupe poétique de La Pléiade qui s’incline devant le personnage hégémonique de
Ronsard. «Prince des poètes et poète des princes», Ronsard se distingue par la grande
56
Dans cette production abondante et variée, les tons, les rythmes, les thèmes, les procédés
s’enrichissent constamment, les sonnets suivent les odes, les chansons et les madrigaux précèdent
les grands hymnes philosophiques, les discours politiques paraissent en même temps que les
divertissements de cour, églogues ou mascarades. Ronsard ne cesse de se reprendre, de se
corriger, de remanier ses poèmes déjà publiés.
93
57
« C’est plus grand que Virgile et ça vaut Goethe », disait Flaubert de l’œuvre de Ronsard
58
Les poètes qui se réunissent autour de Pierre de Ronsard, Joachim Du Bellay, Jean-Antoine
de Baïf et Jean Dorat sont Jacques Peletier du Mans, Rémy Belleau, Pontus de Tyard, Étienne
Jodelle, Guillaume des Autels et Nicolas Denisot.
59
Pompeux, emphatique
60
Le poète Clément Marot (1496-1544) était le poète officiel de François Ier. Il fut exilé en Suisse
et en Italie à cause de ses sympathies pour la Réforme et pour Luther.
94
chantait son amoureuse Laure, il fait de Cassandre un symbole célébrant un amour tout
imaginaire.
Le Second Livre des Amours sera dédié en partie à Cassandre et en partie à Marie. Dans
son recueil Les Amours de Marie (1555-1556), écrit en alexandrin, Ronsard évolue vers
un lyrisme plus familier et s’oriente vers une expression poétique plus simple et claire.
Amoureux d’une paysanne modeste, Marie Dupin, il lui dédie des sonnets et chansons
en langue familière par un style naturel qui souligne la sincérité de ses sentiments et la
force de son désir. Par sa délicatesse et son élégance cette « pastourelle » représente le
meilleur de la poésie amoureuse du poète. En 1574, le poète ajoutera dans ce Second
Livre des Amours des sonnets Sur la mort de Marie qui font référence à la mort de Marie
de Clèves, favorite d'Henri III, en réunissant, ainsi, son inspiration sur l’amour de ces
deux femmes. Il chante avec émotion le regret de l’amant qui perd sa maitresse, mais,
malgré la toute-puissance de la Mort, c'est la joie d'aimer et l'allégresse qui l'emportent.
C’est durant cette période que Ronsard commence à gagner la cour royale et qu’il affirme
sa réputation en tant que maître parmi les autres jeunes poètes. Ses succès littéraires lui
apportent la gloire, mais il continue à chercher d’acquérir des prieurés61 pour avoir un
revenu régulier et à chercher des protecteurs. La mort de Saint-Gelais et de Du Bellay le
placent au premier rang à la cour. En 1554, il est soutenu par le roi Henri II dans son
projet de La Franciade. Ronsard travaillera longtemps sur ce vaste poème avec
l’ambition de ressusciter l’épopée antique. Il a pour projet de raconter ses aventures et
l'histoire des rois de France de Charles Martel jusqu'au roi actuel, mais il s’épuise à cette
tâche et il abandonne après la publication de quatre premiers volumes en 1572. Outre le
manque d’inspiration poétique, le décasyllabe imposé par Charles IX au lieu d’alexandrin
n’arrivera pas à donner l’ampleur et la grandeur d’une épopée. Ce récit, qui relève plus
de la mythologie que de l'histoire, ne réussit pas à toucher le sentiment national dans cette
période critique où la France déchirée par le conflit entre protestants et catholiques
s’intéresse plus au présent qu’à la glorification de ses ancêtres.
Ronsard se sent chargé d'une responsabilité envers la France, ses intérêts et son unité
qu'il défend avec éloquence dans une série de Discours (1562-1563) principalement
écrits à l'accession de Charles IX au trône et durant les guerres de religion. Il occupe
désormais la place privilégiée de poète et aumônier62 du roi. Outre les discours, il
organise les fêtes, écrit des élégies et des poèmes de circonstances63. Lorsque les guerres
de religions éclatent, il prend le parti du roi et de l’église catholique en s’écrivant des
pamphlets violents contre les protestants, tout en condamnant le massacre de la Saint-
Barthélemy de 1572. En récompense de ses services il reçoit une pension importante et
de nouveaux prieurés de la part du roi.
61
« Un prieuré est un monastère, le plus souvent subordonné à une abbaye plus importante ; il
est placé sous l'autorité d'un prieur, lui-même dépendant d'un abbé plus important. On appelle
également prieuré le bénéfice paroissial, c'est-à-dire le revenu d'une paroisse »,
https://fr.wikipedia.org/wiki/Prieur%C3%A9
62
Personnage ecclésiastique, attaché à un établissement, chargé, d'assurer les services liturgiques.
63
Il s’agit d’un poème officiel écrit sur demande royale.
95
65
Ce sont surtout le poète du classicisme François Malherbe par sa tendance à épurer la langue
et le théoricien de la poésie Nicolas Boileau qui lui réservent des critiques sévères pendant le
XVIIème et le XVIIIème siècles.
66
1555-1556 apportent deux nouveaux recueils amoureux, la Continuation des amours et la
Nouvelle continuation des amours.
96
Il faudrait citer bien d’autres traits de cet “amour d’automne”, où Ronsard déplore sa
vieillesse, la cruauté du temps et celle d’un amour qui n’a plus guère de points communs
avec l’éblouissement des poèmes de 1552 à Cassandre:
Car l’amour et la mort n’est qu’une même chose.
(…)
Je sentis dans le cœur deux diverses douleurs,
97
La mort et l’immortalité
Si l’amour est finalement incapable de surmonter la mort, le poète possède d’autres
ressources. L’ambition qu’il ne cesse d’afficher tout au long de son œuvre, au point
qu’elle en constitue l’un des lieux communs, c’est de conquérir la gloire posthume.
Mais il y a un autre thème qui, paradoxalement, évoque l’immortalité en même temps
qu’il signale la mort, c’est celui du tombeau.
Parfois associé à l’amour, le tombeau abolit la réalité qu’il semblait devoir accuser:
toujours situé en pleine nature, entouré de nymphes et de faunes qui symbolisent la toute-
puissance de la vie, adoré dans des rites inspirés des antiques et fort païennes croyances
panthéistes, le Tombeau devient ainsi signe de survie.
Le célèbre “Hymne de la mort” de 1555 vient affirmer que la mort est l’issue normale de
toute existence: aimer la vie, c’est donc d’une certaine manière accepter la mort. En outre,
pour un chrétien, la mort apporte la délivrance des misères humaines et elle introduit à la
vraie vie. Cette exhortation à soi-même, que rien ne permet de croire insincère, mène le
poète au solennel salut final:
Je te salue, heureuse et profitable Mort,
Des extrêmes douleurs médecin et confort…
La comparaison entre la beauté des jeunes femmes et celle des fleurs fanées conduit
immanquablement à l’exhortation si souvent répétée: “Cueillez votre jeunesse”,
“Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie”, ou, comme dans l’un des plus beaux
poèmes de la Continuation des amours de 1555:
Pour Ronsard la poésie est une “fureur”, c’est-à-dire une folie sacrée, un don et une
mission de caractère divin.
Érudit, philologue, philosophe, sollicité par les rois et par les papes, d’abord ami, puis
adversaire de Luther, en relation épistolaire avec toute l’Europe lettrée, lié à l’helléniste
français Guillaume Budé (1468- 1540), au savant anglais Thomas Morus (1480-1535),
maître à penser de toute une génération: “Je vous ai nommé mon père, je vous appellerais
encore ma mère si votre indulgence me le permettait”, lui écrivait Rabelais en 1532.
Unanimement reconnu par ses contemporains comme “le prince des poètes”, méprisé
ensuite par Malherbe, accusé par Boileau de parler grec et latin en français, oublié
pendant deux siècles, restauré à mi-hauteur et non sans condescendance par Sainte-
Beuve…
- Défense : Il affirmait d’abord que le français valait bien les autres langues, que
les Modernes n’étaient pas inférieurs aux Anciens, qu’il n’y avait, par
conséquent, aucune raison pour que la littérature en France n’égalât pas un jour,
ne surpassât même, ce qu’elle avait été en Grèce et à Rome, ce qu’elle était en
Italie.
- Illustration : Mais il fallait pour cela enrichir la langue “par l’imitation des
anciens auteurs grecs et romains”, puis par le même moyen, “l’illustrer”, c’est-à-
dire rénover la poésie en abandonnant évidemment les vieux genres médiévaux,
rondeaux, ballades, et en “pillant” (les termes sont de du Bellay) les Grecs, les
Latins et les Italiens.
“le naturel n’est suffisant à celui qui en poésie veut faire œuvre digne de l’immortalité”.
L'Olive
En même temps que son pamphlet, du Bellay publiait un recueil de sonnets amoureux,
l’Olive
– 50 sonnets en 1549, 115 dans la deuxième édition de 1550.
Il y courtisait une certaine Olive, personne fictive ou réelle, on ne sait, dans le style des
néopétrarquistes italiens.
Séduit par l’éclat de l’école pétrarquiste, Du Bellay produit une œuvre artificielle,
chargée des figures de rhétorique souvent incohérentes. Le recueil est également inspiré
d’un idéal néoplatonicien mêlé à la foi chrétienne, puisqu’à l’idée de l’amour purement
physique se substitue un amour chaste et pur d’origine divine.
Mais le remaniement de 1550 transformait l’itinéraire amoureux de la première édition
en itinéraire spirituel, influencé par le néo-platonisme et s’achevant sur un appel à Dieu
– inspiration qu’on trouve rarement chez les autres poètes de la Pléiade.
Des diverses publications qui suivent l’Olive entre 1550-1553,
Le poète passa à Rome quatre ans agités, fertiles en événements politiques, diplomatiques
et militaires, et riches pour Joachim de déceptions, de tracas et d’amertume.
Les Antiquités de Rome et les Regrets
Les Antiquités de Rome (33 sonnets, alternativement en décasyllabes et en alexandrin)
sont suivies d’un Songe – série de visions apocalyptiques en 15 sonnets.
Imprégné de culture latine, accablé par le spectacle de l’ancienne Rome détruite, du
Bellay pratique ici excellemment “l’imitation” qu’il recommandait dans La défense, en
empruntant pour chanter la déchéance de la ville les mots et les images par lesquels les
poètes latins avaient célébré la grandeur de la ville. Sonnet après sonnet, il oppose des
contrastes entre Rome et le pays natal, entre songe et réalité, entre grandeur et décadence,
destruction universelle à laquelle est inéluctablement voué tout ce qui vit.
Dans ces 191 sonnets d’alexandrins, du Bellay annonce qu’il ne chantera désormais que
ses malheurs, sa désillusion, sa nostalgie du pays natal, en un mot ses “Regrets”, et il est
convenu à ce propos de parler de poésie personnelle. Mais la poésie de du Bellay n’est
pas une poésie de la confidence, de l’effusion, à la manière romantique.
100
Si elle est personnelle, c’est en reprenant les usages et les conventions de la poésie néo-
pétrarquiste pour chanter des malheurs qui n’ont rien d’amoureux. C’est ainsi que du
Bellay exilé, dans un de ses plus célèbres sonnets “France, mère des arts, des armes et
des lois” interpelle la patrie lointaine comme un amant dédaigné s’adresse à sa maîtresse:
Sonnet IX
France, mère des arts, des armes et des lois,
Tu m’as nourri longtemps du lait de ta mamelle;
Ores, comme un agneau qui sa nourrice appelle,
Je remplis de ton nom les antres et les bois.
De tous les poètes de la Pléiade, la postérité a exaucé du Bellay mieux que la plupart de
ses compagnons. On le cite, on le connaît – mais on le connaît mal. De toute son œuvre,
on n’évoque guère que quelques citations des sonnets, tels que
“Heureux qui comme Ulysse a fait un beau voyage”,
Joachim du Bellay - Les Regrets (1558)
Introduction
La littérature française du XVI siècle est marquée par l’établissement de la langue
française comme une grande langue littéraire et par d’importants créateurs qui fondent
les principaux genres de la littérature moderne. En pleine effervescence, la prose
française du XVIe siècle porte deux noms exceptionnels et important à tout jamais :
François Rabelais en est le premier. Rabelais plus que tout autre a joué un rôle de premier
plan pour l’illustration de la langue française (rappelez-vous le titre de l’œuvre de Du
Bellay), puisqu’il a fait entrer dans le français des centaines de mots, et que plusieurs de
ses proverbes et de ses expressions sont encore connus aujourd’hui et repris dans les
dictionnaires pour illustrer l’utilisation de certains mots.
Curieux de tout et libre-penseur comme tant d’humanistes de la Renaissance, passionné
de grec et de latin, Rabelais prône l’usage du français et lui offre plein de mots. Il est tout
aussi savant que provocateur, au point d’être censuré et condamné par l’Église.
Coluche67 et Charlie Hebdo sont les héritiers de ce génie comique et provocateur.
Biographie en bref
L'écrivain naît à la Devinière, dans le val de Loire. Son enfance se déroule probablement
de manière similaire aux bourgeois aisés de son temps, bénéficiant de l'enseignement
médiéval. François Rabelais entame dans la suite de longues études monastiques. Il
devient moine au couvent franciscain de Fontenay-le-Comte, en 1520 (il a déjà 26 ans),
il découvre avec bonheur les auteurs de l'Antiquité et correspond avec l'humaniste
Guillaume Budé.
Mais les franciscains, à l'instigation de la Faculté de théologie de Paris (la Sorbonne),
interdisent l'apprentissage du grec. Ils retirent à Rabelais ses livres… Rabelais ne peut
pas supporter cette interdiction. Âgé de 35 ans (en 1528), il se rend à Paris où il fréquente
l’Université et jette son froc aux orties.
Il entretient une liaison amoureuse avec une veuve, et lorsque son troisième enfant meurt
en bas-âge, il parvient à légitimer les deux autres. Désormais libre de ses mouvements,
il entame un tour de France et étudie la médecine dans les livres. En 1530, Rabelais
s'inscrit à la Faculté de médecine de Montpellier, où il est reçu bachelier six semaines
après !! (le baccalauréat, correspondant alors au premier grade universitaire, suppose
généralement plusieurs années de formation).
L'originalité de Rabelais ne tient pas dans le choix de auteurs médicaux comme
Hippocrate et Gallien (Ιπποκράτης και Γαληνός), qui font autorité, mais dans la
préférence qu'il accorde aux manuscrits grecs plutôt qu'à la traduction latine découlant
souvent de traductions arabes découlant du grec. Il s'intéresse également à la botanique
67
Coluche, comédien et personnalité extraordinaire (1944-1986)m
https://www.youtube.com/watch?v=2Kq2JuElvUw
103
Pantagruel (1532)
Un jour, le savant docteur, qui a des ennuis d’argent, découvre sur un marché un roman
à succès: L'idée lui vient d'écrire une suite à ce récit qui semble très bien se vendre, et
ainsi d'arrondir ses fins de mois.
C'est ainsi qu'à près de 40 ans, l'humaniste publie les Horribles et Espouvantables Faicts
et Prouesses du très renommé Pantagruel, roy des Dipsodes, fils du grant Gargantua.
Rabelais, le professeur, se cache sous un savant pseudonyme : Alcofribas Nasier (un
anagramme de son nom et prénom). Son livre, qui se veut seulement drôlatique, est mis
en vente le 3 novembre 1532 à la foire de Lyon. Il recueille de suite un grand succès
auprès du public populaire.
Publié en 1532, Pantagruel raconte sur un mode burlesque la vie du héros éponyme,
reprenant la trame des romans de chevalerie :
naissance, éducation, aventure et exploits guerriers.
Le géant, fils de Gargantua et de Badebec, vient au monde lors d'une période de s
écheresse qui lui donne son nom :
car Panta en grec, vault autant a dire comme tout, et Gruel, en langue Hagarène, vault
autant dire comme altéré... »
Pantagruel, chapitre II.
Après une enfance placée sous le signe d'une faim insatiable et d'une force démesurée, il
entreprend le tour des universités françaises. La lettre de Gargantua rend un hommage
vibrant à la renaissance du savoir par-delà le Moyen Âge, exhortant son fils à devenir
un « abysme de science ».
Puis apparaît Panurge, qui devient le fidèle compagnon de Pantagruel.
Ce personnage fourbe multiplie les farces cruelles, les tours pendards et les
bouffonneries. Pantagruel prouve son talent de juge dans l'inintelligible procès entre
Humevesne et Baisecul avant que Panurge ne montre sa propre habileté dans un
simulacre de controverse en langue des signes avec Thaumaste. Les Dipsodes, gouvernés
par le roi Anarche, envahissent le pays des Amaurotes, à savoir l'Utopie sur lequel règne
Gargantua. Pantagruel part donc en guerre. Lui et ses compagnons triomphent de leurs
ennemis par des ruses invraisemblables
Peu après, Pantagruel triomphe de Loup Garou et de trois cents géants. Epistémon, soigné
après une décapitation, raconte son séjour aux Enfers, où toute la hiérarchie terrestre est
inversée. Les combats terminés, Pantagruel prend possession des terres des Dipsodes. Le
narrateur explore ensuite le corps du géant, découvrant un autre monde. Il conclut
l'ouvrage en promettant de raconter d'autres prouesses extraordinaires tout en invitant le
lecteur de se garder des nuisibles hypocrites hostiles aux livres pantagruéliques.
Le succès du livre est total. L'auteur est comblé. Comme un bonheur n'arrive jamais seul,
voilà que son nouveau protecteur, l'évêque de Paris Jean du Bellay, oncle du poète
Joachim du Bellay, est envoyé par le roi François I en ambassade auprès du pape. Il
105
Quand Pantagruel fut né, qui fut bien ébahi et perplexe? Ce fut Gargantua son père. Car,
voyant d'un côté sa femme Badebec morte, et de l'autre son fils Pantagruel né, tant beau
et tant grand, ne savait que dire ni que faire, et le doute qui troublait son entendement
était à savoir s'il devait pleurer pour le deuil de sa femme, ou rire pour la joie de son fils.
D'un côté et d'autre, il avait arguments sophistiques qui le suffoquaient car il les faisait
très bien in modo et figura , mais il ne les pouvait souldre , et par ce moyen, demeurait
empêtré comme la souris empeigée , ou un milan68 pris au lacet.
« Pleurerai-je ? disait-il. Oui, car pourquoi ? Ma tant bonne femme est morte, qui était
la plus ceci, la plus cela qui fût au monde. Jamais je ne la verrai, jamais je n'en recouvrerai
une telle : ce m'est une perte inestimable. O mon Dieu que t'avais-je fait pour ainsi me
punir ? Que n'envoyas-tu la mort à moi premier qu'à elle ? car vivre sans elle ne m'est
que languir. Ha ! Badebec, ma mignonne, m'amie — mon petit con (toutefois elle en
avait bien trois arpents et deux sexterées ), ma tendrette, ma braguette, ma savate, ma
pantoufle, jamais je ne te verrai. Ha ! pauvre Pantagruel, tu as perdu ta bonne mère, ta
douce nourrice, ta dame très aimée ! Ha, fausse mort, tant tu m'es malivole, tant tu m'es
outrageuse, de me tollir celle à laquelle immortalité appartenait de droit ! »
Et, ce disant, pleurait comme une vache; mais tout soudain riait comme un veau, quand
Pantagruel lui venait en mémoire.
« Ho, mon petit fils, disait-il, mon couillon, mon peton, que tu es joli et tant je suis tenu
à Dieu de ce qu'il m'a donné un si beau fils, tant joyeux, tant riant tant joli. Ho, ho, ho,
ho ! que je suis aise ! Buvons, ho ! laissons toute mélancolie ! Apporte du meilleur, rince
les verres, boute la nappe, chasse ces chiens, souffle ce feu, allume la chandelle, ferme
cette porte, taille ces soupes, envoie ces pauvres, baille-leur ce qu'ils demandent ! Tiens
ma robe, que je me mette en pourpoint pour mieux festoyer les commères. »
Ce disant, ouït la litanie et les Mementos des prêtres qui portaient sa femme en terre,
dont laissa son bon propos, et tout soudain fut ravi ailleurs, disant :
« Seigneur Dieu, faut-il que je me contriste encore ? Cela me fâche, je ne suis plus
jeune, je deviens vieux, le temps est dangereux, je pourrai prendre quelque fièvre; me
voilà affolé. Foi de gentilhomme, il vaut mieux pleurer moins et boire davantage ! Ma
femme est morte, et bien, par Dieu ! (da jurandi ), je ne la ressusciterai pas par mes
68
Milan est un nom vernaculaire ambigu désignant en français certains rapaces de la famille
des Accipitridae. Ce sont des oiseaux de proie tout comme les aigles, les faucons et les vautours.
106
pleurs : elle est bien, elle est en paradis pour le moins, si mieux n'est; elle prie Dieu pour
nous, elle est bien heureuse, elle ne se soucie plus de nos misères et calamités. Autant
nous en pend à l'œil. Dieu garde le demeurant ! Il me faut penser d'en trouver une
autre.
PERSPECTIVES
Pour ce premier document, nous suivons une démarche qui restera valable pour les autres
:
Il convient d'abord de déterminer quelle est la cause du dilemme (et son référent moral),
puis de cerner précisément les deux branches de l'alternative qui divise le personnage :
la mort de sa femme Badebec incline Gargantua aux larmes cependant que la naissance
de son fils le comble de joie. Plus que d'un parti à prendre par la raison, il s'agit donc
pour lui de se déterminer entre deux réactions naturelles qui ressortissent au sentiment
plus qu'à la morale.
Il nous faut ensuite observer l'organisation du texte, de laquelle on peut attendre
beaucoup de rigueur, puisque le monologue délibératif s'emploie à examiner tour à tour
les données du problème avant de choisir une issue :
- les deux solutions contradictoires se trouvent en effet mises en parallèle : un paragraphe
entier est consacré à chacune d'elles, où le discours direct nous confronte à des
lamentations puis à des exclamations de joie. Ce discours signale la spontanéité du
personnage, tout entier livré à ses émotions. On repérera dans ces paragraphes le réseau
des oppositions lexicales qui mélange comiquement les niveaux de langue et les registres.
- l'élément déclencheur de la décision : nous constatons qu'il intervient après que
Gargantua a entendu les prières des prêtres ("et tout soudain fut ravi ailleurs"). Ce sursaut
se manifeste immédiatement par un discours beaucoup plus rationnel dans lequel,
posément, Gargantua se convainc de l'inutilité de ses larmes. Les futurs simples, les
cadences désormais plus régulières de la phrase nous en avisent.
- la solution choisie : elle est conforme ici à l'épicurisme rabelaisien ("il vaut mieux
pleurer moins et boire davantage") et à la tonalité générale du roman (l'étymologie
fantaisiste du nom Pantagruel donnerait à peu près : celui qui a toutes les soifs).
107
Gargantua
À son retour à l'Hôtel-Dieu de Lyon, Rabelais se met à l'écriture d'un nouveau livre : La
Vie très horrifique du grant Gargantua, père de Pantagruel.
Comme le précédent, ce livre est une énorme farce, «pour ce que rire est le propre de
l'homme». Il est écrit dans un style parlé inhabituel pour l'époque. Il est également servi
par une langue d'une richesse incomparable où l'auteur réussit la synthèse des parlers
populaires et de sa propre érudition.
C'est aussi une critique acérée des mœurs éducatives, politiques et religieuses de son
temps. Et l'auteur lui-même nous invite à dépasser le stade de la farce, «mordre l'os et
sucer la substantifique moelle».
À la fin de Gargantua, l'humaniste développe l'utopie d'une éducation libérée de toute
contrainte en faisant la description de l'abbaye idéale de Thélème dont la devise
est : «Fays ce que voudras».
Quelques mots sur cette œuvre
108
69 La Grand Jument (ou grant jument, grand'jument) est une jument de taille
gigantesque qui sert de monture aux géants dans plusieurs œuvres de la Renaissance. Issue de
traditions médiévales, elles-mêmes inspirées de la mythologie celtique, elle apparaît dans Les
grandes et inestimables chroniques du grant et énorme géant Gargantua, rédigées en 1532, et
dans lesquelles Merlin la crée sur une montagne à partir d'ossements.
Ces Chroniques inspirent Rabelais, lequel reprend en grande partie ce récit et la jument comme
monture de Gargantua dans La vie très horrifique du grand Gargantua, père de Pantagruel,
publié cinq ans plus tard. Affublée d'une description parodique, la jument venue d'Afrique noie
ses ennemis sous son urine et rase tous les arbres de la Beauce, transformant la région en plaine.
Cet animal est issu d'un dragon primitif modeleur du paysage, ou de la monture de plusieurs
dieux celtes. Il partage la même origine que le cheval Bayard, d'après Henri
Dontenville et Claude Gaignebet. Des toponymes lui sont dédiés, sans qu'un lien avec les écrits
de la Renaissance ne soit forcément connu.
109
70
Affaire des placards: Le roi François 1er, indigné que des protestants aient pu placarder des
protestations antipapistes jusque sur la porte de sa chambre, sévit contre les impudents. La
Sorbonne en profite pour dénoncer et pourchasser les esprits anticonformistes.
110
plante aux vertus miraculeuses, qui n'est autre que le chanvre (cannabis… 😊), . Le
narrateur lui-même intervient dans le récit, le décrivant d'abord minutieusement comme
un naturaliste (n’oublions pas que Rabelais est médecin, donc fin connaisseur des plantes
médicinales) puis développant ses qualités avec un lyrisme nourri d'allusions
mythologiques.
Le Quart Livre (1548, 1552)
Pour cette raison, mon fils, je te conjure d'employer ta jeunesse à bien profiter en étude
et en vertu. Tu es à Paris, tu as ton précepteur Epistémon : l'un, par de vivantes leçons,
l'autre par de louables exemples, peuvent bien t'éduquer. J'entends et veux que tu
apprennes parfaitement les langues, d'abord le grec, comme le veut Quintilien, puis le
latin et l'hébreu pour l'Écriture sainte, le chaldéen et l'arabe pour la même raison ; pour
le grec, forme ton style en imitant Platon, et Cicéron pour le latin. Qu'il n'y ait aucun fait
historique que tu n'aies en mémoire, ce à quoi t'aidera la cosmographie établie par ceux
qui ont traité le sujet. Des arts libéraux, la géométrie, l'arithmétique et la musique, je t'ai
donné le goût quand tu étais encore petit, à cinq ou six ans : continue et deviens savant
dans tous les domaines de l'astronomie, mais laisse-moi de côté l'astrologie divinatrice et
l'art de Lulle qui ne sont que tromperies et futilités. Du droit civil, je veux que tu saches
par cœur tous les beaux textes, et me les commentes avec sagesse. Quant à la
connaissance de la nature, je veux que tu t'y appliques avec soin : qu'il n'y ait mer, rivière
ou source dont tu ne connaisses les poissons ; tous les oiseaux de l'air, tous les arbres,
arbustes et buissons des forêts, toutes les herbes de la terre, tous les métaux cachés au
111
ventre des abîmes, les pierreries de tout l'Orient et du Midi. Que rien ne te soit inconnu.
Puis relis soigneusement les livres des médecins grecs, arabes et latins, sans mépriser
les talmudistes et cabalistes, et, par de fréquentes dissections, acquiers une parfaite
connaissance de cet autre monde qu'est l'homme. Et quelques heures par jour, commence
à lire l'Écriture sainte, d'abord en grec le Nouveau Testament et les Épîtres des Apôtres,
puis en hébreu l'Ancien Testament. En somme, que je voie en toi un abîme de science :
car maintenant que tu es un homme et te fais grand, il te faudra sortir de la tranquillité et
du repos de l'étude et apprendre la chevalerie et les armes pour défendre ma maison et
secourir nos amis dans toutes leurs affaires contre les assauts des malfaisants. Et je veux
que rapidement tu mettes tes progrès en application, ce que tu ne pourras mieux faire
qu'en soutenant des discussions publiques sur tous les sujets, envers et contre tous, et en
fréquentant les gens lettrés, tant à Paris qu'ailleurs.
Mais parce que, selon le sage Salomon, la sagesse n'entre jamais dans une âme
méchante, et que science sans conscience n'est que ruine de l'âme, il te faut servir, aimer
et craindre Dieu, et en Lui mettre toutes tes pensées et tout ton espoir, et, par une foi faite
de charité, t'unir à Lui de manière à n'en être jamais séparé par le péché. Prends garde
aux tromperies du monde, ne t'adonne pas à des choses vaines, car cette vie est passagère,
mais la parole de Dieu demeure éternellement. Sois serviable envers ton prochain, et
aime-le comme toi-même. Respecte tes précepteurs, fuis la compagnie des gens à qui tu
ne veux pas ressembler, et ne gaspille pas les grâces que Dieu t'a données. Et quand tu
t'apercevras que tu disposes de tout le savoir que tu peux acquérir là-bas, reviens vers
moi, afin que je te voie et te donne ma bénédiction avant de mourir. Mon fils, que la paix
et la grâce de notre Seigneur soient avec toi. Amen.
D'Utopie, le dix-sept mars,
ton père, Gargantua.
112
Biographie en bref
Michel de Montaigne est issu d'une famille anoblie de riches négociants bordelais, les
Eyquem. Son père, Pierre Eyquem, premier de la famille à naître au château de
Montaigne embrasse la carrière des armes et participe aux campagnes d'Italie. Reconnu
et considéré par ses concitoyens bordelais, il devient maire de Bordeaux en 1554. Père
cultivé et tendre, Pierre Eyquem donne à son fils de retour au château une éducation selon
les principes humanistes, en particulier inspirée du De pueris instituendis d’Érasme, se
proposant de lui donner le goût de l’étude
« par une volonté non forcée et de son propre désir ».
L’enfant est élevé sans contrainte.
Il a pour précepteur domestique un médecin allemand, qui doit lui enseigner les
humanités et entretenir l’enfant en latin seulement, règle à laquelle se plie également le
reste de la maison. La méthode réussit parfaitement et Michel apprend le latin (qui fut la
langue de toute l’élite européenne cultivée) au lieu du français comme langue maternelle.
De 7 à 13 ans, Montaigne est envoyé suivre le « cours » de grammaire et de rhétorique
au collège de Guyenne à Bordeaux, haut lieu de l'humanisme bordelais dont l’enfant
gardera le souvenir des souffrances et des déplaisirs subis. Il y fait cependant de solides
études et y acquiert le goût des livres (il lit Ovide, Virgile, Térence et Plaute), du théâtre
et de la poésie (latine), et des luttes rhétoriques.
Montaigne avait suivi des cours de philosophie dans le collège de Guyenne, puis fait des
études de droit probablement à l'université de Toulouse et de Paris. Son tempérament
nonchalant a peut-être déterminé Pierre Eyquem à orienter son fils vers la magistrature,
tandis que les fils aînés de la noblesse étaient traditionnellement dirigés vers la carrière
des armes, la diplomatie ou les offices royaux. Ainsi, de 1556 à 1570 Montaigne siège
comme magistrat d’abord à la Cour des aides de Périgueux puis, après sa suppression en
1557, au Parlement71 de Bordeaux. Malgré ses missions politiques pour Henri II,
François II et Charles IX, Montaigne reste trop indépendant pour devenir un courtisan et
faire une carrière dans le palais. ( …?)
Rencontre avec La Boétie
L’événement le plus marquant de cette période de sa vie est sa rencontre à 25 ans avec
La Boétie qui siège au Parlement de Bordeaux.
Quelques mots sur La Boétie :
71
Le Parlement ne se contente pas de rendre la justice. Il enregistre les édits et ordonnances du
roi qui sans cela ne sont pas exécutoires. Pendant la période des guerres de religion qui va durer
trente ans Montaigne collabore avec le gouverneur de la ville nommé par le roi et le maire élu
par la municipalité pour maintenir l’ordre public et peut lever des troupes.
113
En 1580, après la publication des deux premiers livres des Essais, Montaigne entreprend
un grand voyage de dix-sept mois à travers le royaume de France, la Lorraine, la Suisse,
l’Allemagne du Sud, le Tyrol et l’Italie, à la fois pour soigner sa maladie héréditaire – la
gravelle73 – dans diverses villes d’eaux, se libérer de ses soucis de maître de maison et
du spectacle désolant de la guerre civile.
Montaigne voyage pour son plaisir. Plus qu’aux chefs-d’œuvre de l’art ou aux beautés
de la nature, il s’intéresse aux rencontres et aux échanges intellectuels avec les autorités
des lieux visités qui le reçoivent souvent avec beaucoup d’égards : ce sont des «gens de
savoir » et des personnalités religieuses les plus diverses. Un des intérêts du voyage est,
d’ailleurs, de mener une vaste enquête sur les croyances.
72
« Faire des voyages me semble un exercice profitable. L’esprit y a une activité continuelle
pour remarquer les choses inconnues et nouvelles, et je ne connais pas de meilleure école pour
former la vie que de mettre sans cesse devant nos yeux la diversité de tant d’autres vies, opinions
et usages. », Essais, Livre III, Chapitre IX.
73
Coliques néphrétiques
114
En septembre 1581, il reçoit aux bains de Lucques en Italie la nouvelle qu’il a été élu
maire de Bordeaux. Il prend alors le chemin du retour. Ce sont les qualités de négociateur
de Montaigne, sa modération, son honnêteté, son impartialité et ses bonnes relations avec
Henri III et Henri de Navarre, qui l’ont désigné pour ce poste. Montaigne déploie une
grande activité pendant son mandat de maire pour conserver la ville en paix alors que les
troubles sont incessants entre catholiques et protestants.
Montaigne, mûri par ses expériences multiples, s’est remis à la rédaction des Essais, et
commence le livre III dont la sensibilité s’est singulièrement enrichie. En janvier 1588,
à 55 ans, Montaigne part à Paris pour faire imprimer son livre, chargé aussi par le roi de
Navarre et le maréchal de Matignon d’une négociation avec Henri III. Le voyage est
mouvementé. Les autorités de la Ligue le font enfermer le 10 juillet à la Bastille. La reine
mère doit intervenir auprès du duc de Guise pour le faire libérer après une journée de
rétention.
C’est à Paris qu’il rencontre Marie de Gournay (1565-1645), jeune fille de vingt-deux
ans, lectrice fervente de ses Essais et admiratrice passionnée de son œuvre, à qui il
propose, charmé par sa fougue et son infatigable soutien, de devenir sa « fille d’alliance
». Après la mort de Montaigne, Marie de Gournay consacre sa vie et sa fortune à assurer
jusqu’à onze éditions posthumes74 des Essais. Elle transmettra aux philosophes érudits
du XVIIème siècle l'héritage dit « sceptique » de Montaigne, ainsi que des livres hérités
de son père d'élection.
Montaigne va désormais demeurer dans son château, perfectionnant, complétant les
Essais en vue d’une sixième édition jusqu’à sa mort en 1592 pendant une messe tenue
au château.
Les Essais
74
Qui se produit après la mort de la personne intéressée
115
75
En 1580 il confirme dans l’avant-propos de la première édition : « Je veux qu’on m’y voie dans
ma façon d’être simple, naturelle et ordinaire, sans recherche ni artifice : car c’est moi que je
peins. Mes défauts s’y liront sur le vif, ainsi que ma manière d’être naturelle, autant que le
respect humain me l’a permis (…) Ainsi, lecteur, je suis moi-même la matière de mon livre »,
Essais « Au lecteur »
76
« J’écris mon livre pour peu d’hommes et pour peu d’années. Si cela avait été une matière
destinée à durer, il aurait fallu la confier à une langue plus stable. D’après la variation
continuelle qui a accompagné la nôtre jusqu’à l’heure actuelle, qui peut espérer que sa forme
actuelle sera en usage dans cinquante ans d’ici ? Depuis que je vis elle a changé pour la moitié.
», Essais, Livre III, Chapitre IX.
116
de multiplier les citations latines pour orner et embellir ses réflexions, dans un livre aussi
personnel, et il explique avoir cédé au goût de ses contemporains. Tout ce qui vient de
l'Antiquité jouit alors d'une vogue considérable, un homme instruit doit faire des citations
pour prouver son érudition.
Son style s’est développé en même temps que sa pensée. Les premiers essais de 1580
laissent voir une certaine raideur. Quand il conçoit le dessein de se peindre, il trouve son
accent personnel. Pour l’analyse et pour la confidence il faut s’assouplir et se détendre.
Il a pris conscience de ce qu’il voulait faire, mais aussi de la manière de le faire. Son
style arrive à la perfection dans les Essais de 1588 (Livre III).
Montaigne écrit son livre comme il parle : « Le langage que j’aime, c’est un langage
simple et naturel, tel sur le papier qu’à la bouche. »77 Il tourne d'une pensée à l'autre sans
plan ou rigueur dans l’ordonnance d’ensemble. Son style est caractérisé par le naturel et
la simplicité, ainsi que par une grande intensité d’expression. Il veut une langue simple
mais aussi expressive. Sa langue abonde en emprunts au langage populaire (comme
Rabelais qu’il lit avec plaisir). L’emploi de comparaisons et d’images prises souvent dans
les faits de la vie quotidienne et les objets les plus familiers lui permet de concrétiser sa
pensée et de nuancer des sentiments et des impressions qu’il est difficile d’exprimer par
des mots.
L’écrivain revoit inlassablement ses Essais pendant les quatre dernières années de sa vie
pour atteindre ce style original. Les nombreuses corrections concernant le style ou le
vocabulaire que l’on relève sur l’Exemplaire de Bordeaux, resté sur sa table de travail
après sa mort, témoignent d’un idéal d’art très élevé et d’une extrême rigueur envers soi-
même.
Montaigne, qui subit l'influence du milieu littéraire, a pleinement partagé ce goût général,
mais il va faire une œuvre profondément originale. Bien que disciple de l'Humanisme,
Montaigne réussi à s'arracher à cette fascination pour la culture livresque qui alourdit
tous les beaux esprits de l’époque et la renie, lorsqu'elle conduit au pédantisme78 et au
dessèchement de l'être. Il oppose à ses confrères une méthode unique à l’époque :
77
Essais, Livre I, Chapitre XXVI
78
« Le pédantisme est une attitude caractérisée par […] un élitisme volontiers mondain et
orgueilleux, et à l'étalage d'une érudition académique (vraie ou simulée), reflétée par des «
travers physiques et langagiers » dont […] une hyperprécision du savoir, systématique et
exagérée, souvent jargonneuse et appuyée à l'excès sur les mots valises ou inventés (néologie) et
par une certaine incapacité à prendre en compte l'interlocuteur, rendant le discours ennuyeux
parce qu'obscur. Quand le savoir est simulé, ou volontairement détourné, le discours pédant tend
aussi à l'arbitraire et peut cacher le mensonge »
https://fr.wikipedia.org/wiki/P%C3%A9dantisme
117
exprimer sa pensée personnelle de manière libre et franche, qui, tout en s'éclairant par les
idées des anciens, reste néanmoins originale.
La philosophie de Montaigne
Le scepticisme représente un moment important de l'évolution de Montaigne. La devise
qu'il fait graver sur une médaille en 1576 « Que-sais-je ? » signifie la volonté de rester
en doute pour rechercher la vérité.
79
Essais, Livre I, Chapitre XXVI
80
Essais, Livre I, Chapitre XIV
81
« À quoi nous sert cette curiosité qui consiste à imaginer à l’avance tous les malheurs de la
nature humaine et de nous préparer avec tant de peine à l’encontre de ceux mêmes qui peut-être
ne sont pas destinés à nous atteindre ? […] Au contraire, le plus facile et le plus naturel serait
d’en délivrer même sa pensée? […] Il est certain qu’à la plupart des savants la préparation à la
mort a donné plus de tourment que n’a fait la souffrance même de la mort », Essais, Livre III,
Chapitre XII
118
La sagesse de Montaigne
Il aboutit ainsi peu à peu à une philosophie très personnelle qui est l’expression de sa
personnalité bien qu’elle soit faite de pièces empruntées à la grande philosophie grecque
dont il se sent si proche. Il n’y a pas de système chez Montaigne. Le seul lien qui unisse
entre elles toutes ses idées, c’est sa personne, ce sont ses goûts, ses besoins, ses habitudes.
Les idées de Montaigne sur la mort ont évolué depuis 1572 quand il pensait, en stoïcien,
que la grande affaire de l’homme est de se préparer à bien mourir. Il pense maintenant
en épicurien qu’il faut suivre la nature : « Nous troublons la vie par le souci de la mort
[…] La mort est bien le bout, non pas le but de la vie ; la vie doit être pour elle-même
son but, son dessein. »82 “Savoir mourir”, en somme, n’est plus que le dernier mot du
“savoir-vivre”.Et les Essais s’achèvent sur une invitation au bonheur de vivre : « C’est
une perfection absolue et pour ainsi dire divine que de savoir jouir de son être. »83
82
Essais, Livre III, Chapitre XII
83
Essais, Livre III, Chapitre XIII
119
Le thème de la mort est l’un des plus importants des Essais. Dans un chapitre du livre I,
Montaigne observe qu’il a “passé les termes accoutumés de vivre” (il a trente-neuf ans).
N’est-ce pas à trente-trois ans que moururent le Christ et Alexandre le Grand? L’âge,
cependant, n’atténue pas la peur qu’inspire la mort. D’où les grands principes stoïciens
du célèbre chapitre “ Que philosopher c’est apprendre à mourir”: le but de notre
carrière, c’est la mort”, “la préméditation de la mort est préméditation de la liberté”. On
sent ici l’influence des penseurs anciens, de Sénèque surtout. Ce n’est pas la mort qu’il
s’agit de vaincre mais la peur qui l’accompagne, si bien qu’au début des Essais la
réflexion sur la mort est largement une réflexion sur la peur.
Nature et univers
La religion de Montaigne
84
Empereur roman (IVe s. ap. J.-C.) qui s’efforça de rétablir le paganisme
120
première édition des Essais a été examinée par les Inquisiteurs du Saint Office85, il est
mort pendant une messe célébrée chez lui.
Contre la cruauté
En tant que magistrat il connaît particulièrement bien certaines pratiques telles que la
torture, procédure judiciaire normale à l’époque. Montaigne ne critique pas le but de la
justice (obtenir des aveux des coupables afin de les punir), mais il proteste contre les
moyens qu’elle utilise. Aussi s’élève-t-il contre l’absurdité et la cruauté des procès de
sorcellerie. Mais ce sont surtout ses pages indignées contre la colonisation de l’Amérique
qui surprennent par leur véhémence inhabituelle. Ici, les faits sont d’accord avec les
principes: la conquête est une “nouvelleté” haïssable parce qu’elle détruit les structures
des sociétés conquises et parce qu’elle est l’occasion de violences abominables.
Montaigne et l’éducation
Plutôt que de parler des matières d’enseignement, dont il n’est guère question dans les
Essais, il parle de la manière d’enseigner, et de la destination de cet enseignement: ne
pas se contenter des livres, mais visiter le vaste monde, ne pas se fier à la mémoire, mais
engager l’entendement, ne pas seulement “raidir l’âme”, mais aussi “raidir les muscles”.
Faire enfin de l’enfant “un très loyal serviteur de son prince”, mais en lui apprenant à ne
pas s’asservir: en d’autres termes, à ne pas devenir courtisan.
On voit la différence avec Rabelais qui établissait des programmes précis pour un géant,
dont il rêvait de faire “un abîme de science”. Cinquante ans ont passé et on a cessé de
croire aux vertus de l’encyclopédisme. Mais les points communs entre les idées de
Rabelais et Montaigne sur la pédagogie sont nombreux. Il s’agit d’une éducation
individuelle et aristocratique, visant à rendre un enfant heureux dans la société où il vivra.
Montaigne bannit le pédantisme, ainsi que Rabelais – la scolastique. En somme,
évoquant une éducation idéale, chacun des deux auteurs décrit plus ou moins la sienne:
Rabelais, celle qu’il s’est donnée malgré bien des obstacles; Montaigne, celle qu’un
admirable père (contemporain de Rabelais) lui a assurée.
85
Les Essais finirent par être mis à l’Index, mais en 1676