Volume 29
MYTHE ET
CONTRADICTION
ANALYSE DE LA Vile OLYMPIQUE DE PINDARE
Notes de l'introduction:
1: Sur ce point, voir J. - P. Vernant et P. Vidal-Naquet, Mythe et tragédie en Grèce
ancienne.
2: L'ode fut composée en la 79 0 Olympiade. Cf. scholies Vllo 01., introduction.
3: Cf. Pindare] Olympiques, éd. trad. A. Puech, Les Belles Lettres, Coll. Univ. de
France, 20 ed., Paris, 1931, notice introductive à la Vllo 01., p. 91.
4: W. Durrant, Histoire de la civilisation, trad. fr., V, Lausanne, 1962, p. 228.
5: Br. Snell, Pindari carmina cum fragmentis, Leipzig, 50 éd., 1-11, 1971-1975.
Néanmoins, les références aux autres odes et fragments pindariques sont données
dans l'édition de A. Puech, plus accessible au public français. Les scholies aux
œuvres de Pindare sont toujours tirées de l'ouvrage de A. B. Drachmann, Scholia
vetera in Pindari Carmina, 1 - III, Leipzig, 1903-1927.
6: Les premiers chapitres de cet ouvrage ont constitué une thèse pour le Doctorat
de 30 cycle, soutenue à Besançon en juin 1977. Nous remercions les membres du
jury, M. les Professeurs P. Levêque, F. Vian et P. Briant pour toutes les remarques
qu'ils ont bien voulu nous faire. En outre, nous tenons à exprimer tout particuliè-
rement notre gratitude à P. Briant, qui a relu les par~aphes consacrés à la monnaie,
ainsi qu'à P. Levêque et M. Hugounenq-Bresson, qw nous ont fait part si souvent
de leurs observations.
TRADUCTION
VIIo OLYMPIQUE
1
Comme on prendrait, tendue par une main généreuse, une coupe
bouillonnant de rosée de vigne, pièce d'or massif de la plus haute valeur,
pour la donner, après avoir bu à la santé de sa maison, à un jeune fiancé,
6 afin de rehausser l'éclat du banquet et de surcroît d'honorer sa parenté en
la faisant envier des amis présents pour un mariage si bien accordé,
moi aussi j'apporte un fluide nectar, don des muses, doux fruit de
l'esprit, aux mâles vainqueurs chargés des prix conquis à Olympie et à
10 Pythô, et j'implore pour eux la faveur divine. Bienheureux celui qu'envi-
ronne une renommée glorieuse. Le regard de la grâce vivifiante se pose
tour à tour sur l'un et sur l'autre, au double accompagnement de la
phorminx aux sons mélodieux et du concert des flûtes.
II
20 Je veux - en commençant à l'origine, avec TIépolème - redres.~r dan!!
mon message l'histoire qui leur est propre, à eux, la forte race d'Héraclès.
Pour l'ascendance paternelle, ils se flattent de remonter à Zeus, et, Amyn-
torides, à Astydamie pour l'ascendance maternelle. Mais sur l'esprit des
25 hommes planent les fautes innombrables, et il est impossible de trouver
14 Mythe et contradiction
III
C'est alors que le dieu qui donne aux mortels la lumière, le ms
d'Hypérion, plein d'affection pour eux, recommanda à ses enfants de
40 prendrê soin de la tâche qu'ils se préparaient à accomplir, pour pouvoir,
les premierS,.élever à la déesse un autel bien en évidence, et, ainsi, réjouir
le cœur de la 'Vierge à la lance frémissante et celui de son père en faisant
un sacrifice auguste. Le respect de Prométhée est pour les hommes source
de vigueur et de joie.
IV
v
C'est là qu'est dévolue à Tlépolème la douce rançon de sa déplorable
infortune : au chef des colons tirynthiens revient la grasse fumée dell
80 bêtes solennellement sacrifiées et le jugement des Jeux. A ce concours,"
deux fois Diagoras a été couronné de fleurs; quatre fois il a connu le
succès dans l'Isthme glorieux; deux fois, l'une après l'autre, à Némée,
vainqueur aussi dans la rocheuse Athènes.
cet homme qui à coups de poing s'est gagné une réputation; accorde
90 lui le respect bienveillant de ses concitoyens; car il emprunte sans dévier
un chemin hostile à la démesure, explicitement instruit de ce qu'une âme
droite, issue de nobles ancêtres, lui a fait savoir. Ne plonge pas dans l'obs-
curité la descendance qui leur est commune, à eux et à Kallianax. Certes,
en l'honneur desEratides, la cité elle-même est en fête; pourtant, en un
95 seul instant, les brises peuvent souffler dans un sens, puis dans un autre.
CHAPITRE PREMIER
LA TERRE ET L'EPOUSE
2
18 Mythe et contradiction
LE PROBLEME DU PARTAGE
se considérant comme lésé, vient se plaindre. C'est lui qui a autorité pour
proposer un nouveau tirage au sort:
61 : /ollJaulJélJTl liè Zeuc; a/ol7faMIJ /oléll.·
lI.elJ lJé/olélJ.
"li en réclama un, et Zeus était sur le point de faire un nouveau tirage." On
remarque que la proposition de Zeus confirme bien que le partage initial
était censé avoir été opéré par tirage au sort, puisqu'il s'agit de faire procéder
de nouveau (ana) à cette opération (pallô signifie en particulier "tirer au
sort") (7).
que la revendication en était très pressante. Les sources montrent qu'à Sparte
à la fin du yn o siècle, à Corinthe au VIo, à Athènes à l'époque de Solon, à
Cumes à la fin du VIo siècle, à Crotone à la méme époque, aussi bien qu'à
Syracuse ou à Héraclée du Pont au IYo siècle, et de nouveau à Sparte au 1110
et no siècles, cette liste n'étant donnée qu'à titre indicatif, la revendication
de l'anadasmos, du nouveau partage remettant en cause l'ordre établi, était
le spectre qui hantait les grands propriétaires (13). Au besoin, l'ordre pouvait
être maintenu par le recours à la violence la plus brutale : selon Platon, la
répression la plus efficace consiste à tuer ou à exiler les indigents (14).
Mais pour autant, les aspects idéologiques n'étaient pas négligés, comme
le montre la formule d'imprécation qui termine la loi provenant de Locride :
l'ordre social est consacré comme institution divine, et mis sous la protec-
tion des dieux (lS).
Ainsi se trouve justifié le refus d'Hélios: accepter un nouveau tirage au
sort (ampalon, v. 61), c'est accepter qu'on annule le partage précédent, qu'on
fasse œuvre révolutionnaire. La lelion est claire: chez les dieux, méme lorsque
l'un d'eux se trouve sans terre, fût·il Hélios, le "dieu pur", le partage origi·
naire n'est pas remis en question. En outre, c'est celui·là méme qui se trouve
sans terre qui le veut ainsi, trouvant un autre moyen pour résoudre le problè-
me qui est le sien.
On trouve là un bon exemple de ce qu'est la lutte de classe comme pra-
tique idéologique (16). Le monde idéal - le monde des dieux - est conliu à
l'image du monde réel. Mais ce monde idéal, vécu comme plus réel que la
réalité même, devient dans la réalité un instrument de répression effectif. On
remarque la différence entre la loi, que ce soit celle provenant de Locride, ou
celle de Corcyre Noire, et le mythe. Dans la loi, si un magistrat, ou un simple
citoyen, propose un anadasmos, il est passible de l'exil ou de la mort: ce sont
les indigents qui réclament l'anadasmos, tandis que les magistrats sont chargés
de faire respecter l'ordre social. Dans le mythe, c'est exactement l'inverse:
c'est Zeus, en tant que géônomos, qui propose l'anadasmos, et Hélios,
dépourvu de klèros, qui le refuse. En fait, la loi et le mythe se complètent.
Tandis que la loi prévoit concrètement la répression contre les partisans de
l'anadasmos, le mythe, quant à lui, opère sur le plan idéologique. Hélios offre
un modèle de conduite: dépourvu de klèros, alors méme qu'on lui propose de
procéder à un anadasmos - et n'est-ce pas normal, puisque, tout de même, il
s'agit d'un dieu, et non d'un vulgaire ouvrier agricole -, il le refuse. La conclu-
sion s'impose : si méme dans le cas où un dieu est lésé on ne procède pas à un
anadasmos, de quel droit ceux qui n'ont pas de terre peuvent-ils en réclamer
une ? C'est aussi ce qui justifie que, dans la formule d'imprécation qui
termine la loi provenant de Locride, comme dans bien des textes similaires,
l'ordre social soit placé sous la protection des dieux, en l'occurrence Apollon
et ses parèdres (17).
Au reste, le mythe devait convenir parfaitement aux aristocrates
rhodiens qui s'étaient faits les éommanditaires de la VIlo Dl. Ainsi, des
siècles plus tard, Dion Chrysostome, s'adressant aux Rhodiens, peut encore
leur rappeler : "Deux pratiques ont également mérité de faire l'objet de la
plus grande vigilance dans vos lois, ainsi que de l'exécration publique et des
peines les plus extrêmes, à savoir proposer de supprimer les dettes, ou de
convenir de faire un nouveau partage de la terre." Il signale en outre que de
ces deux mesures, la première n'avait jamais été adoptée par cette cité, et que,
en ce qui concerne la seconde, l'anadasmos révolutionnaire, "nous n'avons
21
pas la moindre preuve qu'elle ait jamais été prise." Et Dion Chrysostome
poursuit en montrant le scandale que constitue le nouveau partage des terres:
"Si la terre faisait l'objet d'un nouveau partage, la pire conséquence en serait
que l'ancien propriétaire se retrouverait à égalité avec celui qui n'en possédait
pas" (18). Effectivement, qu'il s'agisse de la cité unifiée postérieure à 408/407,
ou des trois cités indépendantes antérieurement à cette date, aucune source
ne fait état d'un nouveau partage des terres à Rhodes, ce qui ne signifie pas,
bien entendu, que le problème ne s'étant jamais posé, mais, au contraire, que
l'extréme vigilance des propriétaires de l'ile n'avait pas été vaine. A lui seul, ce
simple détail de la VIIo 01., qui montre Hélios refusant l'anadasmos, suffirait
à expliquer que l'ode de Pindare ait été gravée en lettres d'or dans le sanc-
tuaire d'Athana Lindia, si l'on en croit l'historien rhodien Gorg6n (19).
L'enseignement du poète-prophète, rendu plus solennel encore par ce cadre,
pouvait d'autant mieux subjuguer les fidèles de toute condition qui venaient
nombreux dans le sanctuaire 'de l'une des plus grandes divinités rhodiennes.
Mais il va de soi que le mythe avait une portée qui dépassait largement le cas
de Rhodes, et que, dans les autres cités, les propriétaires fonciers auraient pu
tout aussi bien le reprendre à leur compte.
22 Mythe et contradiction
se trouve ici privilégié, que ce soit comme terre, et non comme enfant, que
Rhodes voie le jour. Ainsi, s'agissant de Rhodes, l'alternance terre-femme
tout au long du récit n'est pas sans raison. En revanche, c'est l'autre aspect de
Rhodes, la jeune mIe, la femme, qui pennet de reconstruire la seconde procé-
dure mise en œuvre par le discours.
du kMros par décision légale, et non directement de son père. C'est pourquoi
Rhodes peut être qualifiée de nomos du dieu solaire.
Ainsi, la diversité des termes désignant Rhodes n'est pas sans signification.
Ahribuer cette pluralité à une "imprécision" de la "pensée" de l'auteur ne
serait qu'une solution de facilité. La manière dont est présentée la réparation
du dommage subi par Hélios correspond à une double procédure. L'une fait
appel à la valeur personnelle, et a pour corollaire l'attribution d'un géras.
L'autre est proprement une procédure juridique courante dans les cités grec-
ques, puisqu'il s'agit de celle permettant d'obtenir en mariage une jeune fille
épidère.
Le mythe porte donc la marque de la domination exercée par les aristo-
crates dans la polis, tout particulièrement dans les cités doriennes, comme
celles de Crète ou de Rhodes : là, les nobles sont tout à la fois dans et au
dessus de la cité, dont les lois ne sont, pour l'essentiel, qu'un instrument leur
servant à exercer leur domination de classe, comme l'a montré le paragraphe 1.
De même, la complémentarité entre la loi et le mythe trouve sa confirmation.
L'attitude d'Hélios refusant l'anadasmos pouvait bien être donnée en exemple:
en elle-même, elle n'offrait bien sûr aucune solution, puisqu'il fallait être un
basileus, comme Hélios, pour s'offrir la possibilité d'obtenir comme géras un
kléros et une femme, ou, comme épouse, une jeune épiclère liée à une terre,
en l'absence de tout parent mâle. Ainsi, le modèle proposé était parfaitement
aliénant pour tous ceux qui n'étaient pas de grands propriétaires nobles.
26 Mythe et contradiction
rapports sociaux qui leur sont liés: cette séparation est totale entre le travail-
leur salarié et le capital, elle n'existe qu'à un degré beaucoup moindre dans le
cadre de la formation économique et sociale grecque antique (42).
Telles sont donc les conditions générales qui rendent possible l'assimi-
lation d'un être humain à un bien de production, la terre. Mais, naturellement,
s'en tenir là serait insuffisant : il faut en outre analyser les caractéristiques
spécifiques de la Grèce archaïque et classique. L'appropriation de la terre
était alors censée provenir de l'appartenance à une communauté. Réciproque-
ment, la communauté était conçue comme "communauté de propriétaires".
En ce qui concerne le rapport entre individu et communauté, Marx notait:
"La communauté (antique), - en tant qu'Etat - est d'une part la relation
qu'entretiennent entre eux ces propriétaires privés libres et égaux, leur union
contre l'extérieur, et c'est en même temps leur garantie. La structure commu-
nautaire repose ici tout autant sur le fait que ses membres se composent de
propriétaires fonciers qui travaillent, de paysans parcellaires, que sur le fait
que leur autonomie subsiste grâce à leurs relations mutuelles en qualité de
membres de la communauté, la sauvegarde de l'ager publicus pour les besoins
collectifs et la gloire collective, etc. L'appropriation du sol implique donc ici
encore que l'individu particulier soit membre de la communauté mais, en sa
qualité de membre de la communauté, il est propriétaire privé. Mais la
relation qu'il entretient avec sa propriété privée, sa terre, est en même temps
une relation à son être en tant que membre de la communauté et, en cher-
chant à se conserver lui-même comme tel, il conserve la communauté et vice
versa, etc" (43).
L'analyse de Marx fournit un cadre théorique utile. Mais, utilisant
l'image idyllique d'une cité composée de propriétaires - exploitants - citoyens,
elle a le défaut de sous-estimer la différenciation de la société en classes dans
la Grèce ancienne. La communauté, en tant qu'Etat, tout au moins dans les
cités doriennes (44), est autant un instrument tourné contre l'intérieur que
contre l'extérieur (45) : le propriétaire d'un klèros, c'est·à-dire d'un grand
domaine (46), ne travaillait pas lui-même de ses mains, mais vivait de l'exploi-
tation de dépendants ou d'esclaves. Le chant dllybrias le Crétois (47), qui
date peut-être du VIo siècle, présente ce rapport social d'exploitation sous
la forme la plus brutale, et montre que le pouvoir de l'aristocratie foncière
reposait sur la violence (48).
Or, cette communauté qui joue le rôle d'Etat, c'est en se reproduisant
individuellement, c'est-à-dire en ayant un ou plusieurs fils qui lui succèderont
sur son bien que le propriétaire foncier la reproduit, la maintient comme telle,
et réciproquement, c'est parce que la communauté se maintient comme telle,
que le propriétaire foncier, individuellement, peut se reproduire comme
possédant. Ainsi, si la communauté se restreint en nombre, la cité n'est plus
en mesure d'assurer ce "grand travail collectif qui est exigé soit pour occuper
les conditions objectives de l'existence vivante (i. e. le terroir), soit pour pro-
téger et perpétuer cette occupation" (49). Il convient d'ajouter qu'elle n'est
plus capable non plus d'assurer la domination de classe des propriétaires
fonciers sur leurs dépendants et esclaves. En résumé, elle n'est plus alors
capable de mener une guerre extérieure, non plus que de maintenir l'ordre à
l'intérieur.
Le maintien de l'autonomie du propriétaire foncier, son existence en
tant que propriétaire, suppose donc l'existence de la communauté, et vice
versa. Dans ces conditions, puisque c'est le fait d'avoir des enfants qui permet
28 Mythe et contradiction
L'ABSENCE DU PERE
3
34 Mythe et contradiction
fleur (64). Si l'on désirait attribuer à Hélios une ne réelle, et non plus une ne
imaginaire comme Thrinakie ou Aiaié, Rhodes pouvait de ce fait paraître
toute désignée : son nom évoquait la couleur rose de l'Aurore, elle·méme
nécessairement liée au soleil, et, de ce fait, présentée comme telle par Homêre
et Hésiode.
Est~e à Pindare qu'il faut attribuer cette innovation? La réponse est
négative. En effet, le poête n'a pas pu prendre l'initiative d'attribuerle culte
d'Hélios aux Rhodiens : il n'y a guêre que les habitants de l'ne qui aient pu
faire une innovation culturelle de cette importance. En outre, on ne saurait
soutenir que la VlIo 01. fait référence à la couleur rose de l'aurore. fi est plus
probable que, lorsque Pindare fait de Rhodes la propriété d'Hélios, il utilise
une légende locale s'inscrivant dans la tradition mythique d'Homêre et d'
Hésiode, comme on vient de le voir. C'est \lraisemblablement à ces sources
rhodiennes qu'il faut rapporter l'allusion aux "antiques traditions des
hommes" des v. 54·55 (65). .
35
1: Sur le partage des terres en général, voir D. Asheri, Distribuzioni di te"a ne//'
antica Grecia, Turin, 1966 et E. Lepore, ProbMmes de la te~ en Gr~ce ancienne,
sous la direction de M. 1. Finley, Paris, 1973, p. 15-'U, "Problemi dell'organiz-
zazione della chora coloniale".
3: Dans la Théogonie, à la suite de leur victoire sur les Titans, les Olympiens procè-
dent à un noUveau partage des honneurs (v. 885, Cl 6e roiolll M.ç 6LE6daaaro
7'I1Uiç), sans tenir compte de l'état de chose ancien. Zeus ne fait une exception que
pour les dieux ayant combattu avec lui (v. 389-396), et pour Hécate, qui, par une
faveur toute spéciale, conserve le bien qui était le sien (v. 423-425) :
oÎJ6É Tl /olill Kpolll6T1Ç èl3n\aaro oÎJ6è T' d7Mlvpa
ilaa' lJo.axell nrlfal ./oleTà rrpoTépolal 8eo'lo1l~,
iiÀÀ' (xel wç ro rrp(:Jroll drr' dpx'rç (rrÀero 6aap.dç •
"Le ms de Cronos même s'est envers elle abstenu de violence; il ne lui a pas arra-
ché ce qu'clle avait obtenu parmi les premiers dieux Titans: elle conserve ce que
lui avait donné au début le premier partage".
6: Cf. supra, n. 4; selon la Théogonie, c'est à Zeus, en tant que chef et roi des dieux,
que revient la prérogative de procéder au partage des rimai parmi les Olympiens.
7: L'intervention de Lachésis (v. 64) est également tout à fait significative. A. Puech
note à juste titre qu'elle est "celle des Parques à laquelle il convient d'intervenir à
propos· d'un partage qui a été fait par tirage au sort (lanchanein)" (Olympiques,
p. 98, n. 1).
.8: La "pureté" d'Hélios est liée à sa nature de dieu de la lumière, cf. par exemple'
Sophocle, Electre, 86 : 0 phaos hagnon "0 pure lumière ..."
9: Pour l'époque archaïque, cf. Ed. Will, Deuxième conférence internationale d'his-
toire économique (Aix en Provence, 1962), Paris - La Haye, 1965, I, p. 46-91, "La
Grèce archaïque".
10: Ou du moins présenté comme tel. Il ne faut pas être dupe de formules stéréotypées
comme isomoira ou isonomia; cf. E. Lepore, op. cit. p. 23-24.
12: Syll.3, 141, 1. 10-15 (cf. D. Asheri, op. cit., p. 22). A Itanos, en Crète, au tout
début du IlIo sièCle, les citoyens doivent prêter serment de ne pas procéder à un
anadasmos (Syll.3, 526,1. 21-24, = lC, III, 4,8; cf. H. Van Effenterre,La Crète
et le monde grec de Platon à Polybe, Paris, 1948, p. 168-69; R. F. Willetts,
An'stocratic Society in Ancient Crete, Londres, 1955, p. 128 sq. et 184 sq.; D.
Asheri, op. cit., p. 114).
13: Cf. D. Asheri, op. cit., p. 74-108. L'anadasmos dont il est ici question est bien
entendu celui remettant en cause et annulant l'ancienne répartition des terres,
et non celui consistant à attribuer des terres demeurées indivises. Sur ce second
sens, cf. Ed. Will, REA, 59, 1957, "Aux origines du régime foncier grec", p. 5-50,
et en particulier l'. 11, n. 4. Pour un exemple d'anadasmos dans cette seconde
acception, cf F. Chamoux, Cyrène sous la dynastie des Battiades, Paris, 1953,
p. 135, à propos d'Hérotode, IV, 159 : les terres destinées à l'anadasmos gès sont
prises aux indigènes libyens voisins. L'ambiguité de l'inscription de Locride citée
supra, n. Il, tient justement au fait que le premier partage est appelé andaithmos,
1. 2, puisqu'il s'agit du partage de terres jusque là tenues en réserve. En con!lé-
quence, puisque le mot a déjà été employé, ce qui est appelé ailleurs anadasmos,
dans un sens révolutionnaire, apparaît ici sous le vocable de daithmos (1. 10);
cf. supra n. 11, D. Asheri, loc. cit.; il est clair que ce qui fait l'objet d'innombrables
témoignages de réprobation et condamnations est bien l'anadasmos révolution-
naire.
15: Cf. Platon, Lois, 741 b, ho neimas kléros ôs théos;' le sort qui a fait le partage et
qui est un dieu".
16: Cf. L. Althusser, Positions, Paris, 1976, p. 67-125, "Idéologie et appareils idéolo-
giques d'Etat", particulièrement p. 81 sq. et 101 sq.
17: Cf. K. Marx, L'idéologie allemande, trad. fr., Ed. Soc., Paris, 1968, p. 75 : "Les
pensées dominantes ne sont pas autre chose que l'expression idéale des rapports
matériels dominants, elles sont ces rapports matériels dominants saisis sous forme
d'idées, donc l'expression des rapports qui font d'une classe la classe dominante;
autrement dit, ce sont les idées de sa domination".
19: Historien du lIo siècle av. J.- C., souvent cité par Timachidas (auteur de la Chroni·
que du Temple de Lindos, Lindos, 2). Cf. scholies Pindare, VIIO 01., introduction:
ravnw -mv etJ61W dval<e1DOaL c/YrloL rOP1wV ~v ~ "ft; /l..w6lat; 'AOrwalat;
ie~ )(pvooTt; 'YPaj.lj.laoLV.
21: Od., XI, 534 : "Avec sa part de butin (moira) et sa prime d'honneur (géras)
il remonta sur son navire."
23: L'épisode est bien connu. Agamemnon a enlevé la jeune Chryséis à son père,
prêtre d'Apollon. Sur les prières de ce dernier, le dieu envoie la peste à l'armée
achéenne, et Agamemnon se voit donc contraint de rendre la jeune fille. Le roi
se retrouve sans géras.
37
26: Le sens de sun, v. 67, n'est pas "avec" (Zeus), ce qui pourrait laisser entendre que
le ftls de Cronos lui aussi prête serment, mais "selon la volonté de" (Zeus), comme
c'est fréquemment le cas pour cette préposition, et comme le veut la logique:
Zeus accorde le géras, et Lachésis devra en témoigner. Cf infra et n. 36, ainsi que
supra, n. 7, et Théogonie, 218-19 et 905-906.
27: Sur le mariage en général, et plus particulièrement sur le cas du mariage des épicIè-
res, avec des sources athéniennes pour l'essentiel, cf M. Collignon, DA, s. v.
"Matrimonium"; L. Gernet, REG, 34, 1921, p. 337-379, "Sur l'épiclérat"; A. R.
Harrison, The Law of Athens, l, Oxford, 1968, p. 9-12 et 132-162; W. R. Lacey,
The family in C1assical Greece, Londres, 1968, p. 139-145; J. P. Vernant, MS, p.
57-81, "Le mariage"; sur l'ordre de succession des ayants droit, voir Platon, Lois,
924 e sq. et J.- P. Vernant,MP, l, "Hestia-Hermès", p. 145-47.
29: Sur l'épiclérat en Crète, cf R. F. WiUetts, The Law Code of Gortyn, éd. trad.
comm., Berlin, 1967, p. 23-27; id., Aristocratic Society in Ancient Crete, p.
69-84; sur les dikastai de Gortyne, cf Code, p. 32.
30: Sur l'épiclérat à Sparte, cf Hérodote, V, 57; voir également le point de vue
d'Aristote, Pol., Il, 8,13-15, 1270 a.
31: R.F.Willetts,Code,p.ll-12.
36: R. F. Willetts, Code, p. 74; voir IX, 32; XI, 16 et 53; loi d'Halicarnasse sur les
conflits de propriété, citée dans R. Meiggs et D. Lewis, Selection, No 32, 1. 20-26
en part.; loi des Locriens Opontes, citée ibid., No 20, 1. 41-45.
38 bis: Sur la parenté existant entre la structure sociale des cités de Rhodes et celles des
cités du Péloponnèse et de Crète, cf. K. M. Kolobova, Géras, Studies presented to
George Thomson, Prague, 1963, p. 141-47, "Les sunnamtli.rJtQdiennes" (en russe).
39: Ce point de vue est soutenu notamment par M. Godelier, Horizons, trajets marxis-
tes en anthropologie, Paris, 1973, p. 367-92, "Mythe et histoire: réflexions sur les
fondements de la pensée sauvage", p. 371 et 382-83 en particulier.
40: Citation extraite du chapitre intitulé Formes qui préc~dent la production capita-
liste (en abrégé Formen), publiées à part dans le volume collectif Sur les sociétés
précapitalistes, "Textes choisis de Marx Engels Lénine", Paris, 1970, p. 193. Le
chapitre fait partie des caltiers de Marx connus sous le nom d'Esquisse de la
critique de l'économie politique (en ail. Grundrisse. ..), publiées dans la trad. fr.
de R. Dangeville éd. Anthropos, Paris, 1968, I-lI, sous le titre Fondements de la
critique de l'économie politique.
43: Ibid., p. 186; sur la valeur toujours actuelle de cette problématique, cf. J. - P.
Vernant, MS, p. 11-29, "La lutte des classes", p. 14-15 en particulier.
44: Si dans bien des cités, à Athènes par exemple, les propriétaires de klèros de petite
ou moyenne dimension, tout en ayant recours à la main d'œuvre servile, si possi-
ble, devaient travailler la terre de leurs mains, il n'en était pas. de même dans des
cités comme Sparte ou Gortyne, où l'exploitation non pas principalement d'escla-
ves, mais de dépendants de statut divers, permettait aux propriétaires de vivre
largement sans travailler. Au reste, entre ces derniers, les différences de fortune
étaient sans doute importantes. Sur les cités conservatrices au VO siècle, cf. Ed.
Will, Le monde grec et l'Orient, cit., p. 433-444 (Crète, Sparte, Corinthe, Thèbes,
Locres, etc., avec biblio.); voir également la mise au point de D. M. Pippidi,
Probl~mes de la te"e en Gr~ce ancienne, cit., p. 63-82, "Le problème de la main
d'œuvre agricole dans les colonies grecques de la Mer Noire" : tout en insistant
sur les différences entre cités, l'auteur remet en cause l'idée de l'importance du
travail proprement servile dans les exploitations agricoles, mais souligne l'impor-
tance que pouvait prendre l'exploitation de dépendants indigènes.
45: Sur les révoltes de dépendants à Sparte ou en Crète, cf. Aristote, Pol., 11, 10, 16,
1972 b.
47: Voir C. M. Bowra, Greek Lyric Poetry, 20 éd., Oxford, 1961, p. 398-403; cf.
R. F. Willetts, Geras, Studies presented to George Thomson, Prague, 1963, p. 257-
271, "The servile system of Ancient Crete: a re-appraisal of the evidence."
Hybrias se flatte de ce que sa lance, son épée, et son bouclier remplacent les outils
du paysan: vivant du travail de ses dépendants, lui-même n'a pas à travailler.
50: IbUi.,p.194.
53: Même si, à l'époque classique, la bâtardise est une notion beaucoup plus floue
encore pour les aristocrates en général que pour les simples citoyens des cités
démocratiques, il n'en reste pas moins qu'il existait une hiérarchie de fait entre les
unions contractées par un noble (cf. J.-P. Vernant, ibUi., p. 63-{j9).
54: C'est donc d'abord le klèros, et non '1a terre en général", qui est assimilé à la
femme, et plus exactement à l'épouse. Il n'y a pas d' "analogie spontanée" entre
la fécondité de la femme et celle de la terre. Lorsque Gaïa, la Terre, est qualifiée
de mater (v. 38), il ne s'agit pas d'une allusion à la maternité biologique; le terme
a ici le sens de "mère tutélaire", héritage de l'ancien vocabulaire de parenté clas-
sificatoire (sur le double sens de pater et mater en grec classique, et sur le passage
de la parenté classificatoire à la parenté descriptive, cf. E. Benveniste, VocabulJzire,
J, p. 209-215 et 255-272). La preuve en est qu'ici, comme il est normal dans la
tradition mythologique grecque, Ouranos n'est pas qualifié de pater, alors que
dans les textes provenant d'autres peuples ind~uropéens,le Ciel-Père et la Terre-
Mère forment un couple (cf. E. Benveniste, ibUi., p. 212). C'est que, dans la
mythologie grecque, Ouranos a été détrôné par son fils Cronos, et lui-même à son
tour par Zeus (cf. la Théogonie d'Hésiode). C'est Zeus, et non Ouranos, qui, dans
la VIIo 01. est désigné comme pater (cf. v. 87), en tant que chef de la famille
divine. De même, lorsqu'Hélios, v. 70-71, est désigné comme
... o~e'·
{lI' Q 'YevÉ8~,oç aKrwwv 1raTrjp,
mJp 1I'veoIJTwv àpxoç f1r1rwv· ,
ce n'est pas de paternité physique qu'il s'agit, mais de paternité tutélaire. Hélios,
généthlios . •. pater, est le "père qui préside à la naissance des rayons per<;ants".
De même, dans la VIIIo 01., 16, Zeusgénéthlios est le Zeus tutélaire, protecteur
des Blepsiades. Il n'est nul besoin de faire de Zeus leur ancêtre (cf. A. Puech, 01.•
p. 106, n. 3 : "Les Blepsiades prétendaient sans doute descendre de Zeus"). C'est
le destin potmos. v. 15) qui a mis les Blepsiades sous la protection de Zeus, et
c'est cette protection qui vaut à Alcimédon ses victoires (v. 16-18). Dans la VlIo
01., ce n'est qu'aux vers 71 sq. qu'Hélios apparaît effectivement en tant que père
biologique, ce qui signifie que, pour les descendants du dieu, Rhodes soit bien leur
gaian . .. patrdïan.v. 75 (pour le sens de patroïos, s'appliquant à ce qui vient du
père personnel, par opposition à patrios. ce qui vient des pères, ce qui est ances-
tral, voir E. Benveniste, ibid., p. 270-274). Au reste, dans la 90 Péan de Pindare,
1-3, la lumière est qualifiée ainsi: "Lumière solaire (Aktis aéliou), toi qui vois
tant de choses, qu'as-tu fait, mère des regards (0 mater ommatdn), le plus sublime
des astres, quand tu t'es dérobée en plein jour? "Plus loin, au vers 7, la lumière
solaire apparaît comme une "aurige impétueuse"(hipposoa thoas), ce qui rappelle
lev. 71 de la VIIo 01. où Hélios est qualifié de "maître des chevaux qui souffient
40 Mythe et contradiction
le feu". Dans les deux cas, qu'il s'agisse d'Hélios pater, ou de la lumière solaire
mater, c'est de parenté tutélaire dont il est question (cf. encore la VIIIo 01., l,
où Olympie est qualifiée de "mère des jeux", car les concours d'Olympie sont les
plus grands de la Grèce.
55: Cf. CI. Lévi-Strauss, Les structures élémentaires de la parenté, 20 éd., Paris, 1967,
p. 49-60 par exemple.
56: Selon Tzetzès, Chiliades, 4, 360, Rhodes est la fille de Poséïdon et d'Aphrodite.
Selon Diodore, 5, 55, elle est la fiUe de Poséïdon et d'Halia.
57: Sur la fondation de Rhodes, voir Chr. Blinkenberg, Hermes, 48,1913, p. 236-49,
"Rhodou kttstai".
59: Les "neufs vaisseaux de Rhodiens altiers" de l'Iliade n'annoncent-ils pas la struc-
ture politique ultérieure de l'île ? Les trois anciennes cités de Rhodes étaient
chacune divisées en trois tribus. C'est du moins ce qu'on peut inférer d'après les
inscriptions postérieures à l'unification politique de l'fie, en 408/407 : les trois
anciennes cités conservaient leur autonomie; les listes de prêtres conservées
montrent l'existence d'une règle triennale d'accès aux prêtrises les plus impor-
tan tes : voir pour Lindos la liste des prêtres d'A théna Lindia, Chr. Blinkenberg,
Lindos· Fouilles de l'Acropole (1902.1914). II, Inscriptions, t. l, No l, liste
complétée par M. Segre, pp, 3, 1948, p. 64-80, "Un nuovo frammento dei cata-
logo dei sacerdoti di Atena Lindia"; pour Camiros, M. Segre et G. Pugliese Carra-
telli, ASAA, n. s., 11-13, 1949-51, p. 139-318, "Tituli Camirenses" No 3-4. Sur
le problème de la répartition des dèmes en trois tribus dans les anciennes cités,
voir aussi P. M. Fraser, Eranos, 51, 1953, p. 23-47, "The tribal cycles ofepony-
mous priests at Lindos and Camiros".
60: Sur l'histoire de Rhodes archaïque, cf. H. Van Gelder, Geschichte der alten
Rhodier, La Haye, 1900, p. 63-84; F. Hiller von Gaertringen, RE, suppl. V, s. JI.
Rhodos, col. 738-742 et 755-759 en particulier. Sur Rhodes au VO siècle, cf. ibid.
col. 759-763, et infra, chap. VIII. Les trois cités rhodiennes faisaient partie d'une
confédération regroupant six, puis cinq cités doriennes voisines, qui possédaient
un sanctuaire commun au cap Triopion, près de Cnide; cf. Hérodote, l, 144.
61: Telle est peut-être l'une des raisons pour lesquelles l'unification politique ultérieu-
re de l'île en 408/407 fut si aisée, semble-t-i1 (cf. Diodore, 13,75 et Strabon, 14,
655). On peut rappeler que le culte suprême de l'état rhodien unifié fut celui
d'Hélios.
63: Voir sch. Od., 12, 129 (DindorO (l!lTTà ~IJ b:yÉÀat) 'AptuTOTÉÀl1Ç q,vUIJ(Wç
Tàç KaTà ueÀl1lJf/1J fllJÉpaç aVTOIJ ÀÉ-yetlJ rJnlul w' ot'Juaç.
Cf W. H. Roscher, Die Sieben· und Neunzahl im Kultus und Mythus der Griechen
( = Abdhandlungen der K6niglich siichsichen Gese/lschalt der Wissenschalten, 24,
1), Leipzig, 1906, p. 20, qui considère que, dans l'Odysée, 7 (hardes) x 50 (têtes)
est une construction poétique pour 50 (semaines) x 7 (jours) de l'année lunaire.
Au reste, le chiffre sept joue le rôle de nombre parfait. Il y a sept archégètes à
Platées (Plutarque, Vie d'Aristide, c Il), sept également à Lesbos (Plutarque,
Banquet des Sept Sages. 20), sept dèmouchoi. "chefs du peuple", à Thespies
(Diodore, 4, 29), etc. (cf W. H. Roscher, op. cit., p. 41 sq; pour les rapports entre
Hélios et le chiffre sept, voir ibid., p. 20 sq; voir en outre 1. Gemet et A. Boulan-
ger, Le génie grec dans la religion. 20 éd., Paris, 1970, p. 82). On ne saurait
oublier de rappeler que, selon la légende, la Grèce comptait sept Sages, tandis que
les sept ms d'Hélios sont "dotés des ressources d'esprit et du talent les plus grands
(sophôtata noèmata) parmi les premiers hommes" (v. 72). Cependant, dans le
premier cas, il s'agit d'une conception moralisante de la sophia, alors que dans le
second, chez Pindare, il s'agit de connaissance technique. Sur le lien entre le chif-
fre cinquante et les troupeaux (qui se comptent par cinquantaines), cf G. Germain,
la mystique des nombres dans l'épopée homérique et sa préhistoire, Paris, 1954, p.
21.
64: Sur ce point, cf F.H. von Gaertringen, RE, Suppl. V, s. v. "Rhodos", col. 740.
65: Cf v. 54-55 : eJ>alJTl li' dlJ(JpWlTWIJ lTaÀata{ Priuteç ... Selon les scholiastes
(sch. Pd, 01. VII, 100 a - 101), Pindare n'aurait pas eu de source littéraire à sa
disposition, et aurait eu recours à des témoignages oraux; sur ce point, voir les
remarques de D. C. Young, Three Odes 01Pindar, Leyde, 1968, p. 87.
CHAPITRE Il
Un sacrifice sans feu est tout à fait étonnant dans la tradition grecque,
scandaleux même. Dans l'Antiquité, c'est sans doute Philostrate qui exprime
le mieux cette incompréhension: "Deux peuples sacrifient déjà à Athéna,
sur deux acropoles, les Athéniens et les Rhodiens, les uns sur le continent,
les autres au milieu des eaux, (les uns nés dans la mer), les autres sur la terre;
les premiers offrent des sacrifices sans feu et incomplets, mais les Athéniens
offrent le feu et la saveur de la chair grillée. La fumée a une bonne odeur, et
monte avec la saveur des offrandes. Aussi la déesse est-elle allée chez les
Athéniens, les plus sages des deux, eux qui font des sacrifices selon les nor·
mes" (1). Philostrate signale ensuite que Zeus a envoyé aux Rhodiens une
nuée d'or qui remplit leurs maisons et leur ruelles. C'est la raison pour laquel·
le, selon lui, ils honorent aussi Ploutos sur leur acropole. Outre que ce témoi·
gnage, parmi d'autres (2), laisse supposer l'existence effective de sacrifices
sans feu à Rhodes, il a l'avantage de mettre en évidence ce qui pouvait choquer
un Grec: les viandes consacrées ne sont pas brûlées sur l'autel, la fumée ne
vient pas flatter les narines des dieux. On remarque que Philostrate se garde
bien d'expliquer avec précision pourquoi Zeus et Athéna récompensent les
enfants d'Hélios.
Alors Prométhée vole le feu pour les hommes en·av., 89). Pour compenser
ce nouveau dolos, Zeus donne un mal en échange de ce bien (Thzv., 57). Ce
mal, c'est Pandôra, la femme, l'épouse, avec tous les maux qui lui sont atta-
chés. Chez Hésiode le feu est donc lié au sacrifice et à la consommation
humaine de la viande, comme le confirme une remarque de la Théogonie,
556-7 : "Et aussi est-ce bien pourquoi, sur la terre, les ms des hommes bn1lent
aux Immortels les os nus des victimes sur les autels odorants."
Les dieux, quant à eux, se "nourrissent" de fumée, comme le montre
l'Hymne homérique à Hermès. Hermès fait rôtir deux vaches, et divise les
chairs "en douze parts qu'il tire au sort, mais en donnant à chacune la valeur
d'un hommage parfait. Alors, le glorieux Hermès eut envie de gol1ter à l 'hosiè
kréaôn". Le texte poursuit : "Leur odeur agréable (celle des viandes) le
troublait, tout Immortel qu'il fOt : mais, malgré la force de ce désir, dans son
généreux cœur, il ne put se résoudre à la faire passer dans son gosier sacré
(hierès /cata deirès)" (v. 128-133).
En précisant le sens de l'adjectif hosios, E. Benveniste donne une expli-
cation qui éclaire la signification du mythe : "On doit en conclure que hosiè
dénote rigoureusement l'opposé de hiéros. Il ne signifie ni "offrande" ni
"rite", mais bien le contraire: c'est l'acte qui rend le ''sacré'' accessible, qui
transforme une viande consacrée aux dieux en une nourriture que les hommes
peuvent consommer (mais qu'Hermès, étant dieu, ne peut se permettre à
lui-même), l'acte de désacralisation. Dans le contexte cité, "hosiè kréaôn" est
à entendre "la consommation (désacralisée) des viandes" (4).
La face positive de l'impossibilité, pour les dieux, de se nourrir de
viande grillée, c'est la possibilité offerte aux hommes de la consommer.
Comme l'a montré J ..p. Vernant (5), le sacrifice creuse une distance entre les
hommes et les dieux. Ce que définit le mythe de fondation du sacrifice, c'est
le statut même de l'homme.
La VIIo 01. montre que les Héliades devaient eux aussi accomplir une
semnan thusian (v. 42), c'est-à-dire un sacrifice utilisant le feu, puisque le
verbe thuô, originellement, signifie "produire de la fumée" (6). On comprend
mieux maintenant l'indignation de Philostrate. Un sacrifice sans feu pouvait
être considéré comme un véritable sacrilège, une remise en 'cause du statut de
l'homme, du rapport entre les dieux et les êtres humains.
C'est pourtant en inscrivant le mythe des Héliades dans la tradition
hésiodique que l'on peut trouver une des clés du problème.
devaient monter à l'acropole avec le feu : "Or, le feu n'est-il par le don de
Prométhée ? Le poète n'a-t-il pas toute raison de préciser que les mortels
doivent respecter - aidôs - l'être divin qui leur fit ce don ?" (8). C'est bien le
respect de Prométhée qui est source de joie (charmata) et d'efficacité (arétan),
car il s'accompagne d'un festin de viandes cuites.
Certes. J. Duchemin n'explique pas pourquoi les Héliades sont récom-
pensés. Mais son intuition sur le rôle de Prométhée est tout à fait fondée.
C'est ce que l'on peut montrer, si l'on revient sur la traduction de l'ensemble
du passage.
En effet , les v. 43-44 ne sont pas sans lien avec les précédents. Selon A.
Puech, c'est Hélios qui a prescrit à ses enfants d'élever un autel et d'instituer
un sacrifice :
39 TOTe Kal q,avoilll)poroç Ilaillwv 'Tlreptovillaç
IlÉ~MV ëVTel.Àev IPv~dta06at xpÉoç
'll'ato Iv IP iMtÇ.
wç iW8e4 'II'/X03TO\ KTWateV
I)w/olàv èvap'YÉa. Kal oelllJàv 6voiav 6ÉIlelJOt
43 'll'aTpi Te 6v/olàv ldvat·
. ev KOP'I T' è'YXetl)pollltl. KT~.
Si Hélios requiert la vigilance de ses fils, c'est parce que ces derniers
vont devoir se hâter, du fait de la compétition entre les hommes pour déter-
miner lesquels seront les premiers à faire un sacrifice commun à Athéna et à
son père, et à jouir ainsi de la faveur spéciale de ces deux divinités. Cette
vigilance doit s exercer sur deux points. D'une part, il faut que l'autel qu'ils
se proposent d'élever soit ''bien en évidence". D'autre part, cela fait, ils doivent
instituer une semnan thusian, c'est-à-dire un sacrifice avec combustion
(thusia), qui soit semnos, saint, conforme aux règles établies, donc vénérable.
Telles sont les conditions requises pour qu'Athéna et Zeus soient satisfaits. La
construction de la phrase hôs an ... ktisaién ... kai ianaién est analogue à
celle de l'R., 19, 328 sq. : c'est la réalisation de l'action indiquée dans la
première subordonnée qui conditionne la réalisation éventuelle de l'action
indiquée dans cette dernière.
Il est aisé de montrer que, traduit de cette façon, le passage s'insère
parfaitement entre l'épisode précédent et l'épisode suivant. Les v. 39·43 sont
en effet la suite logique des vers précédents. La sœne où l'on voit Hélios faire
sa recommandation à ses ms est introduite au v. 39 par toté kai ... La
particule toté indique un moment précis, avec une idée de succession dans le
temps, en particulier une idée de succession immédiate. Ce sens se trouve
renforcé dans l'expression toté kai, "justement alors", attesté chez Homère
(R., 21, 40), chez Hésiode et les Tragiques, etc. Toté s'oppose à poté, qui
signifie "jadis", "autrefois", donc avec un sens général déterminé ou indéter-
miné, mais sans idée de succession, comme "il était une fois" du conte popu-
laire français. C'est cette opposition qu'on trouve dans la VIIO 01. Au v. 34,
poté introduit le récit de la naissance d'Athéna. Au v. 39, toté indique au
contraire un moment précis dans le cours des évènements rapportés depuis le
v. 34 : "c'est alors que ..." Juste après la naissance d'Athéna, qui vient de
faire frissonner Ouranos et Gaïa, alors Hélios recommanda à ses enfants la
vigilance. Cette précision se justifie par la compétition entre les hommes pour
l'instauration du nouveau sacrifice, comme on l'a vu. En consé~uence, phula-
xasthai chréos ne saurait avoir le sens de "guetter l'événement' , puisque cet
évènement, la naissance d'Athéna, a déjà eu lieu, ainsi qu'il est indiqué avec
la plus grande clarté. C'est après la naissance d'Athéna qu'Hélios fait sa
recoriunandation à ses fils (13).
En outre, le sens des v. 39-42 correspond pleinement à celui de l'épi-
sode suivant. Au v. 42, Hélios recommande à ses fils de faire une semnan
thusian. Les v. 43-44 viennent commenter cette inJonction. Pour que le sacri-
fice soit semnos, "vénérable", "auguste", il faut qu il soit conforme aux règles
établies par Prométhée, et c'est la raison pour laquelle les v. 43-44 rappellent:
"Le respect de Prométhée est pour les hommes source de vigueur et de joie."
Le mythe d'Hésiode était universellement connu en Grèce, et le Prométhée
dont il est question est bien le Titan de la Théogonie et des ']}avaux. On ne
saurait donc voir là une allusion à Hélios. Outre qu'il s'agirait vraiment
d'une allusion fort subtile, alors que tous les Grecs pouvaient identifier
Prométhée comme le fils de Japet, on ne voit pas en ~uoi le respect d'Hélios
donnerait aux hommes noblesse et joie. En revanche, s il s'agit de Prométhée,
tout est clair. Le respect des normes de sacrifice donne satisfaction aux dieux,
et procure aux hommes le plaisir de manger de la viande avec la bénédiction
de la divinité. L'aidôs due par les Héliades est également parfaitement logique.
L'R., 24,111, fournit une bonne illustration de cette notion d'aidôs. Zeus
assure Thétis de son estime pour Achille: "(Je veux) pour l'avenir garder ton
48 Mythe et contradiction
Le texte ne dit rien du partage des victimes. Il peut donc être considéré
comme normal, conforme aux rêgles établies à Mékônê, lesquelles avaient été
avalisées par Zeus, dans la mesure où il avait pris, sans être dupe, le lot que
Prométhée lui destinait. Sur ce point, donc, les Héliades ne remettent pas en
cause leur dette à l'égard de Prométhée. Ce n'est que pour ce qui concerne
le feu volé pour les hommes que les Héliades ne manifestent pas l'aidôs due
à Prométhée. Or, il se trouve que les Héliades doivent également honorer
Zeus, alors que les deux divinités sont en conflit. Mais les Héliades peuvent-ils
"choisir" entre l'Olympien et le fils de Japet ? C'est inconcevable dans
l'idéologie pindarique. Pour Pindare, l'homme n'est rien. En tout état de
cause, les êtres humains ne peuvent avoir qu'un rôle passif (16); ils peuvent
recevoir des dons, obéir à des ordres, mais, d'eux-mêmes, ils ne peuvent
4
50 Mythe et contradiction
à naître, épouser, puis avaler Mètis (et non Thétis). Car, outre Athéna, Mètis
devait enfanter un fils plus puissant que son père. Aussi est-ce Zeus seul qui
donne naissance à Athéna (28). On comprend donc qu'Eschyle, se plaçant au
moment où se pose encore le problème de la succession, ne puisse en aucune
façon faire allusion à Athéna à propos du vol du feu: à la phase correspon-
dante du récit hésiodique, cette dernière n'est pas encore née. C'est la raison
pour laquelle, de toute manière, le Prométhée enchaîné ne pouvait montrer
Prométhée volant le feu qu'au seul Héphaïstos. Pour autant, cela n'interdit
pas de penser que d'autres récits mythiques, contemporains de celui d'Eschyle,
pouvaient montrer Prométhée volant le feu à Héphaïstos et à Athéna.
Grâce au don d'Athéna, les Héliades produisaient des œuvres qui n'avaient pas
leurs pareilles.
A la suite de Chr. Heyne (29), on a le plus souvent interprété la
mention d'une sophia adolos comme une allusion aux Telchines, en pensant
que Pindare voulait justifier les Héliades de la réputation de sorcellerie
("zauberei" dit E. Thummer (30)) qu'on leur aurait faite. Selon H. Herter
(31), il s'agissait seulement d'opposer l'art adolos des Héliades à l'art fraudu-
leux des Telchines, ces "métallurges au regard délétère, magiciens toujours
malfaisants, puissances primordiales dans les traditions rhodiennes", tels que
les définissent J ..p. Vernant et M. Detienne (32).
En fait, pour expliquer le rôle d'Athéna, le cadeau qu'elle fait aux
Héliades, il est indispensable encore une fois de situer le mythe dans le
prolongement du vol du feu par Prométhée, mais du feu techni~ue cette fois.
En outre, c'est seulement dans le cadre de cette explication qu on peut faire
la synthèse d'éléments apparemment disparates. On a vu que le Titan, chez
Eschyle et plus tard chez Platon, est connu pour avoir donné aux hommes les
technai en même temps que le feu. Mais, en ce qui concerne les Héliades,
Pindare précise: .
" ... cependant que la déesse aux yeux brillants elle-même leur accordait
d'exceller dans toutes les techniques de leurs mains d'une habileté sans
égale parmi les mortels" (32bis). Auta, "elle·même", est mis en relief. Ainsi
est marquée l'opposition avec le don fait par Prométhée: Athéna donne aux
Héliades une sophia qui est supérieure à celle qui a été donnée auparavant par
le fils de Japet. Cette explication trouve sa confirmation au v. 53. En effet,
tous les hommes ont bénéficié du cadeau prométhéen, y compris les Héliades,
donc. C'est pourquoi le texte précise: daenti dé kai ... , "même pour qui est
(déjà) instruit ..." (33). Avec le feu prométhéen, les Héliades, tout comme
Prométhée et le sacrifice sans feu 53
les autres hommes, avaient déjà acquis l'habileté technique (34). Mais, grâce à
la fille de Zeus, les fIls d'Hélios ont une sophia qui se trouve grandie (meizôn)
par rapport à celle qu'ils possédaient auparavant, et cela précisément dans la
mesure où la leur est adolos, parce qu'elle a été donnée par Athéna, et qu'elle
n'est pas le fruit du larcin de Prométhée.
Ainsi, il n'y a pas d'opposition entre l~ v. 53 et les précédents. C'est
pourquoi (daenti) dé ne peut être traduit par "mais" (35). Il faut donc
comprendre: ''Même pour celui qui est compétent dans son domaine, ce n'est
que pur de toute fraude que son talent atteint sa plénitude." Il n'est fait
aucune référence aux Telchines (36). En revanche, c'est bien à Prométhée
comme voleur du feu technique qu'il est fait allusion ici. Loin de vouloir jus-
tifier en quoi que ce soit les Héliades, le texte affirme que leur savoir est
d'origine "divine" et non "prométhéenne". Le texte de Pindare n'associe pas
Athéna et Prométhée, comme le veut J. Duchemin. Bien au contraire, il les
oppose (37).
La récompense donnée par Athéna s'explique donc facilement. En se
présentant devant Athéna au moment du sacrifice sans avoir le feu, les
Héliades montrent qu'ils sont implicitement dans une situation de refus du
don prométhéen. Ils s'opposent aux autres hommes, qui acceptent le feu, et
donc les technai. C'est pourquoi le texte précise que les enfants d'Hélios sont
les premiers (prôtoi, v. 42) à faire le sacrifice. Comme dans le concours
gymnique, où le meilleur arrive en tête, ils ont une habileté manuelle sans
pareille parmi les humains (aristoponois épichtoniôn). Le qualificatif prôtoi
permet d'effectuer une séparation entre les premiers et les autres, en l'occu-
rence la "foule" des prométhéens. En considérant que les opérations mythi-
ques obéissent à des règles logiques, et non aux lois de la "chronologie",
on peut dire qu'il y a équivalence entre se présenter sans avoir le feu et refuser
les technai données par Prométhée (38).
Le texte s'insère donc dans une tradition mythique qui nous est connue
grâce à Eschyle et Platon. A partir de là, si Athéna donne les technai pour
faire pièce à Prométhée, on peut imaginer plusieurs hypothèses, très voisines
d'ailleurs, pour reconstruire les présupposés du mythe des Héliades. La
première est que le vol du feu a dépouillé Héphaïstos seul: une fois née de Zeus,
Athéna apparaît à son tour comme divinité maîtresse des technai et vient
compenser le dolos commis à l'égard du dieu forgeron; la deuxième hypothèse
est que le feu volé par Prométhée appartenait à la fois à Héphaïstos et à
Athéna: en ce cas, la fille de Zeus compense un dolos qui l'a elle-même lésée.
Mais, on l'a vu, les liens entre Héphaïstos et Athéna sont si étroits dans toute
la tradition mythologique depuis Homère et Hésiode, y compris dans la VIIo
01. (39), que le vol du feu à l'une des deux divinités ou aux deux à la fois est
tout aussi admissible, et que la logique du mythe admet n'importe laquelle
des solutions précédemment évoquées.
Notes du chapitre // :
Philostrate, Les statues, II, 27. Ainsi, à l'époque de Philostrate (11_111 0 siècles
ap. J.- C.), le caractère scandaleux des sacrifices sans feu demeurait toujours aussi
marqué.
2: Cf aussi Sch. Pd., 86 b; Diodore de Sicile, V, 56; chez les modernes, l'archéologue
danois E. Dyggve, Lindos. Fouilles de l'Acropole (1901·1914 et 1952), III,
"Le sanctuaire d'Athéna Lindia et l'architecture ündienne", Berlin.{:openhague,
1960, p. 176-180, doute de l'existence réelle des apura hiera. Il pense en tout
cas que, s'ils existaient effectivement, ces sacrifices n'avaient pas lieu sur l'acropole
de Lindos, comme on le pense généralement. Pour une opinion analogue sur ce
dernier point, cf G. Konstantinopoulos, 0 RODIAKOS KOSMOS, l, LINDOS,
Athènes, 1972, passim, P. Von der Mühll, MH, 20, 1963, p. 197-202, "Weitere
pindarische Notizen (Die rhodische Sagen in der siebenten Olympie)", part. p.
199, n. 9a, arguant de la valeur panrhodienne du culte d'Athéna Lindia, s'en
tient à l'ancien point de vue. Le problème de la localisation du sanctuaire où
étaient accompüs les sacrifices sans feu est donc encore mal éclairci.
3: Voir J.- P. Vernant, MS, "Le mythe prométhéen chez Hésiode", p. 177-194. Les
citations d'Hésiode sont empruntées à la traduction de P. Mazon (Hésiode,
Oeuvres, éd. trad. P. Mazon, Les Belles Lettres, Coll. Univ. de France, Paris 1928).
5: Cf J.- P. Vernant, art. cit., p. 191-94; voir aussi ibid., "Entre bêtes et dieux. Des
Jardins d'Adonis à la mythologie des aromates", p. 141-176, et en part. p. 146-47
et 168-69.
8: J. Duchemin, Prométhée, Paris, 1975, p. 50-51".4,. Puech, lui aussi, avait opté
pour la mention du personnage de Prométhée. Mais l'argument qu'il donne,
l'apparition du frère de Prométhée, Epiméthée, dans la VO Py., 27, n'est pas
décisif. D'autres auteurs ont adopté to promothés: M. Fernandez-L1orens, Helman-
56 Mythe et contradiction
tica, 7, 1956, p. 357-77, en part. p. 370, n. 21, polir qui Promathéos Aidds est
une personnification de la prévision; G. Perotta, Pindaro, Rome, 1958, p. 230;
C. A. P. Ruck et W. H. Matheson, Arion, IV, 1965, p. 404-414, "For Diagoras of
Rhodes. Victory in boxing (Pindar, Olympia Vll)", qui traduisent: "Reverence
But Forethought"; W. J. Verdenius, Commentary, p. 111: "Reserve which keeps
at a respectful distance"; J. Defradas, art. cit., p. 44: "Le respect de la prévo-
yance."
10: Cf. P. Chantraine, op. cit., p. 272, et F. Vian, RPh, 47,1974, p. 335.
11: Phüois est ici traduit par "plein d'affection pour eux" (i. e. "ses enfants", paisin),
et non par un simple possessif. Sur philos, cf. E. Benveniste, Vocabulaire, l, p. 345:
"Une valeur affective s'attache à philos, qui devient épithète ou terme d'adresse à
l'égard de ceux qui vivent au foyer, que ce soit comme parents: père, mère, femme,
enfants, ou comme familiers ...". Au reste, E. Benveniste démontre (ibid., p.
346-52) que, dans tous les cas, même quand il s'agit de notions abstraites liées à
la personne ou de parties du corps, philos garde une valeur particulière, dans le
cadre de la philotès.
12: L'autel est énargéa parce qu'il est construit sur l'acropole (cf. v. 49). Le sens est
donc: "bien à la vue", "en évidence", cf. W. J. Verdenius, Commentary, p. 110.
13: F: Vian, art. cit., p. 335: "11 leur ordonna de guetter l'évènement à venir (i. e.
la naissance d'Athéna) ..."
14: Sur la philotès et ses liens étroits avec l'aidôs, cf. E. Benveniste, Vocabulaire, 1,
p. 340-44. Sur l'aidds chez Homère, voir plus particulièrement C. E. von Erffa,
AIDOS, Leipzig, 1937 ( = Philologus, suppltbd. 30), p. 4-43, et W. J. Verdenius,
Mnemosyne, 30 s., 12, 1944, p. 47-60, "Aidds bei Homer", part. p. 48: "Nicht
"Schamm" sondern "Scheu" ist daher die Grundbedeutung, an der man in jedem
einzelnen FaU so viel wie môglich festzuhalten hat". Sur l'aidôs chez Pindare, cf
C. E. von Erffa, Ibid., p. 74-84: les remarques sur la IVo Py., 216 sq. sont justi-
fiées (l'aidôs à l'égard des parents signifie pietas, plutôt que pudor) , mais l'auteur
commet une erreur sur la Vllo DI., 43 sq., car il refuse de voir là la mention de
Prométhée.
18: Epiméthée apparaît chez Pindare sous le même jour que chez Hésiode: voir VO
Py., 27, la mention de "l'obtus Epiméthée".
21: On pense généralement que le Protagoras est une œuvre de jeunesse; cf Platon,
Protagoras, trad. A. Croiset, Les Belles Lettres, Coll. Univ. de France, Paris, 1923,
p. 3-4. L'œuvre peut donc être datée du début du IVO siècle.
23: Ibid., 321 d-e; cf L. Brisson, QUCC, 20, 1975, p. 7-37, "Le mythe de Protagoras",
part. p. 7-10.
24: Sur les liens entre Héphaïstos et Athéna, cf M. Delcourt, Héphaïstos ou la légen·
de du magicien, Paris, 1957, en part. p. 56-57 et 193-95; voir également L. Séchan
et P. Lévêque, GDG, p. 257-60.
25: M. Detienne et J.- P. Vernant, Ruses, "Les combats de Zeus", p. 65; cf Promé·
thée enchaîné, 761-68.
29: Chr. Heyne, Pindari Carmina, Gottingen, 1773; cf également F. Dornseiff, Pindar,
Leipzig, 1921, p. 188; U. von Wilamowitz, Pindaros, Berlin, 1922, p. 36;A. Puech,
Olympiques, p. 97, n. 4; C. M. Bowra,Pindar, Oxford, 1964, p. 339;W. J. Verde-
nius, Commentary, p. 114-15, selon lequel Pindare identifie les Héliades aux
Telchines, etc.
32: M. Detienne et J.- P. Vernant, Ruses, "Les pieds d'Héphaïstos", p. 242. Mais les
auteurs n'indiquent pas que les Telchines jouent un rôle quelconque dans la Vllo
01.
33: Voir une construction analogue à celle du v. 53 dans Sophocle, Oedipe Roi, 316-
17 :
Tirésias <t>eii </>eD, </>poveTv wç 6et vov ËvOa Il';' TÉÀf/
Mli </>POIJOIJVTL'
"Hélas! hélas! qu'il est terrible de savoir, quand le savoir ne sert de rien à celui
qui le possède" (Sophocic, Oeuvres, Il, éd. A. Dain, trad. P. Mazon, Les Belles
Lettres, Coll. Univ. de France, Paris, 1958).
58 Mythe et contradiction
34: Dans un article resté relativement peu connu, F. Ribezzo, RIGI, 9, 1925, p. 92,
"Ad Pind. 01. VII 43-44", suggère que l'aventure des Héhades précède le vol du
feu par Prométhée, mais est postérieure à la séparation intervenue entre les
hommes et les dieux à Mékônè, à la suite de laquelle Zeus cache aux hommes le
feu (telle est du moins, bien que l'auteur ne l'expose pas explicitement, la chrono-
logie des faits qui sous-entend le raisonnement de F. Ribezzo). Hélios aurait
suggéré à ses ms d'emprunter - les premiers - le feu sur la terre, sans demander la
permission à Zeus: "Ispiro quindi (énébalén) nei giovanetti inconsci ed innocenti
un gesto ardito (arétan) e, come consequenza, negli uomini la gioia, (ragione) dei
culto che hanno per Prometeo ..." Fort heureusement, l'innocence et l'oubli les
auraient préservé de l'impiété: Zeus satisfait (de même qu'Athéna) les aurait
récompensés. Cette explication se heurte à des difficultés insurmontables. Tout
d'abord, le texte ne dit pas que les Héliades doivent apporter le feu sur la terre:
tout au contraire, il est admis que les Héliades le possèdent déja, et ils l'oublient
au moment de monter sur l'acropole. En outre, si les hommes honorent Prométhée,
c'est parce qu'il leur permet de consommer la viande cuite, parce que, non content
d'avoir fait un partage inégal, il a également volé pour eux le feu: telle est l'origine
de la dette que, tous, ils ont à son égard. L'interprétation proposée par F. Ribezzo
pour les v. 43·44 est difficilement soutenable: la construction de la phrase n'est
pas respectée. De plus, rien ne permet d'affirmer qu'Hélios conseille à ses Iïls de
tromper Zeu~ et Athéna, bien au contraire. En fait, la récompense offerte par les
Olympiens ne se trouve toujours pas justifiée. Enfin, la traduction proposée du v.
53, "per chi ha ingegno naturale anche la scienza, senza l'inganno, riusce piu
grande", n'est pas davantage satisfaisante: il n'est pas question ici de "génie
naturel."
35: Trad. de E. Thummer, op. cir., ibid.: "Der Ruhm war tief. Dem Verstiindigen ist
aber grôssere Kunst frei von List und Trug." Trad. de J. Sandys, The Odes of
Pindar, coll. Loeb Class. Libr., Londres, 1919: "Yet, to the wise man, even
surpassing art is no magic power" (avec référence aux Telchines). C'est nous qui
soulignons "aber" et "yet". Signalons encore la trad. de W. J. Verdenius, Com-
mentary, p. 115: "ln a skilled artist, even superior skill is honest", dont le sens
est peu clair.
36: On ne fait mention des Telchines que dans des textes tardifs. Cf l'article de H.
Herter, cit. supra n. 31, et celui de M. Detienne et J.- P. Vernant, cit. supra n. 32.
38: Voir J.- P. Vernant, MP, l, p. 42-79, "Le mythe hésiodique des races; sur un essai
de mise au point", en part. p. 43-47. Les remarques à caractère théorique faites
à propos d'Hésiode restent valables pour Pindare.
39: Héphaïstos assiste Zeus lors de la naissance d'Athéna, 01. VII, 35-36; cf infra
chap. III. Voir également la XlIo Péan (éd. A. Puech); à Delphes, selon la tradi-
tion rapportée par Pausanias (X, 5, 12), furent construits successivement trois
temples, avant celui de pierre, construit par Trophonios et Agamède. Le premier
était fait de laurier, le second de plumes et de cire, le troisième de bronze: ce
dernier était l'œuvre d'Héphaïstos. Or, Pausanias cite Pindare, selon lequel, au
dessus du fronton, étaient placées six chanteuses d'or. Un fragment de papyrus
(Papyr. Oxyrhynch., No 1791, vol. 15) a permis de compléter cette citation.
Si la reconstitution est juste, ce qui paraît hautement probable, il faut faire figurer
Athéna aux côtés d'Héphaïstos pour la construction du temple:
Prométhée et le sacrifice sans feu 59
40: Cf P. Vidal-Naquet, RHR, 157, 1960, p. 55-80, "Temps des dieux et temps des
hommes"; voir en particulier les remarques concernant Hésiode, p. 59-{j0: chez ce
dernier, outre que le temps des hommes diffère de celui des dieux, l'évolution
chronologique correspond à une dégradation, marquée par la succession de races,
différentes, de la race d'or à la race de fer. De manière analogue, on peut dire que,
chez Pindare, le temps des origines diffère du temps présent.
ATHENA ET RHODES
sortait du membre divin. De cette écume, une fille se forme, qui toucha
d'abord à Cythère la divine, d'où elle fut ensuite à Chypre qu'entourent
les flots." Comme sa mère, donc, Rhodes est sortie des flots. Certes, si
Aphrodite est issue de la semence de son père, rien de tel ne nous est dit
pour Rhodes: cependant, si la mère est issue d'une ''blanche écume" (leukos
aphros, Théog., 190-91), la fille grandit "au sein de la mer blanchissante"
(polias endon thalassas, VIIO 01., 61-62). D'autre part, si le domaine
d'Aphrodite est "Chypre qu'entourent les flots" (péri"uton Kupron, Théog.,
193), si bien que dès l'Riade (5, 330; 442, etc.) ou l'Hymne homérique à
Aphrodite, 2, elle porte le nom de Kupris "la Chypriote", Rhodes quant à
elle s'identifie à l'île du même nom, qualifiée par Pindare de "domaine entouré
par la mer" (amphithalasson nomon, VIIo 01., 33). S'il n'y a donc pas identité
entre le récit fait par Hésiode de la naissance d'Aphrodite et celui de Pindare
sur celle de Rhodes, on aperçoit néanmoins entre eux une grande similitude:
c'e~t qu'une fois de plus, le discours de Pindare porte la marque de celui
d'Hésiode.
Outre les circonstances de sa naissance, par son mariage ultérieur et sa
fécondité comme épouse aussi bien que comme terre (Il), Rhodes est la
digne fille de sa mère, "qui faisait autour d'elle, sous ses pieds légers, croître
le gazon" (Théog., 194-95), déesse à laquelle Amour et Désir font cortège
(ibid., 201), qui a pour privilège "les babils de fillettes, les sourires, les
piperies ... le plaisir suave, la tendresse, la douceur" (ibid., 205-206, celle
aussi à qui Zeus, dans l'Riade, 5,428-30, donne le conseil suivant: "Ce n'est
pl:'.s à toi, ma fille, qu'ont été données les œuvres de guerre. Consacre-toi, pour
ta part, aux douces œuvres d'hyménée. A toutes celles-là Athéné et l'ardent
Arès veilleront" (12). L'opposition entre Rhodes et Athéna dans la VIIO 01.
correspond donc à celle qui était mentionnée dans l'Riade entre Aphrodite et
la fille de Zeus (13).
Ainsi, c'est la logique interne du texte qui montre que l'image de la rose
n'a pas sa place ici, et que le sens du texte est tout autre que celui que G.
Norwood y voyait, ce que confirme pleinement la suite de l'analyse. A la
différence de Rhodes, en effet, Athéna, dont on a vu les attributs guerriers,
reste vierge, (kora, VIIo 01., 43). Le cadeau qu'elle fait aux Héliades, la
supériorité dans le domaine de la technè, leur permet de produire des œuvres
qui "ressemblaient à des êtres vivants" (v. 52). Avec Athéna, on est donc du
côté de la naissance artificielle. Sa naissance, rendue possible grâce à l'inter-
vention de la technè d'Héphaïstos, est le prototype des naissances artificielles
que constituent les créations artisanales et artistiques.
64 Mythe et contradiction
5
66 Mythe et contradiction
()u la nécessité de les lier pour qu'ils ne s'échappent pas, qui peut rendre
compte du caractère de parfaite mobilité attribué dès l'Diade ou l'll:iyssée
à des objets non cultuels, comme les servantes d'Héphaïstos ou les chiens
d'Alcinoos.
Ainsi, de quelque façon qu'on aborde l~ problème des "statues vivantes",
il faut distinguer deux aspects: d'une part, les "promenades" effectuées
par les xoana, qui sont à situer dans la perspective de l'identification de la
statue et de la divinité; d'autre part, le mythe du mouvement donné à
certaines statues par une technè exceptionnelle, s'opposant en cela aux êtres
vivants, créés par union sexuelle. Cette opposition entre sexualité et création
par des procédés relevant d'une technè permet de comprendre pourquoi le
don d'Athéna aux Héliades consiste précisement en ce pouvoir de produire
des œuvres semblables à des êtres vivants. Les caractéristiques de la déesse;
dont la venue au monde s'oppose fondamentalement à une naissance natu-
relle, et qui refuse le mariage et la procréation, correspondent au patronage
qu'elle exerce sur les activités artisanales, considérées comme créations à la
fois à l'image d'une naissance et sans intervention de la sexualité. Il va de soi
que toutes les interrogations suscitées par la mise en évidence de cette
opposition ne sauraient trouver une réponse immédiate (c'est l'objet des
prochains chapitres). Du moins permet-elle, nous semble-t-il, de s'engager
dans la bonne direction de recherche, et d'éviter les piéges du comparatisme
(33).
Zeus lui·même, qui a fait cadeau de l'or. En effet, c'est bien l'or qui est
qualifié de "dompteur de la force sauvage", et non le mors lui-même, comme
on aurait pu s'y attendre. la forme particulière revêtue par l'or, celle d'un
objet, et plus spécialement d'un mors, relevant du champ d'action propre à
Athéna, expliquerait que ce soit la déesse elle·même qui ait fait le don. Ainsi,
on constate qu'une nouvelle fois se trouvent associés l'or, la tecW, et Athéna,
la déesse vierge.
Athéna et RhodeS 69
3: Tel semble être le sens précis de boa, très fréquemment attesté dans cette acœpta-
tion. Cette précision peut s'appuyer sur le v. 43, où il est question de la Vierge
"à la lance frémissante". On trouve la même association entre clameur et guerre
dans le récit hésiodique de la naissance d'Athéna, Théog., 926. En ce qui concerne
"'équipement" de la déesse, les représentations fJlUlées (sur céramique, ou
sculptées) montrent que 18 lance est son "arme favorite", cf. F. Vian, La guerre
deI Géants, Paris, 1952, p. 58-60; parmi les nombreux cas cités, voir en particulier
le fronton ouest du temple d'Apollon à Delphes, dit des Alcméonides, cf. P. de la
Coste-Messelière, FouUlel de Delphu, IV, 3, p. 15-32, et spécialement fig. 7,
l'essai de reconstitution dont le dessin est dû à F. Courby. C'est par référence à
la Théog., 891 Iq., qu'on peut expliquer le v. 38 de la Vilo 01., "Elle donna le
frisson à Ouranos ainsi qu'à la Terre-Mère." En effet, c'est sur les conseils de
Gaïa et d'Ouranos que Zeus a avalé Métis, enceinte d'Athéna, puisque l'enfant à
naitre devait détrôner son père, cf. mpra, chap. Il, et n. 27 et 28; voir N. Brown,
TAPhA, 1952, p. 130lq., "The birth of Athena"; H. Jeanmaire,RA,juiJ. - sept.
1956, p. 12-39, "La naissance d'Athéna et la royauté magique de Zeus"; M.
DetieMe et J.- P. Vernant, RUlel, p. 104·124, "L'union avec Mètis et la royauté
du ciel". On comprend donc que, dans la Vil o 01., Ouranos et Gaïa manüestent
une sorte d'angoisse rétrospective, lorsque retentit le cri de la déesse.
4: Il faut souligner que cette remarque ne doit rien aux théories de O. Rank, Le
traunuzmme de la nIlillilnce, trad. fr., Paris, 1968, et de S. Ferenczi, Thaliluo.
PIYcha1llllYle deI originel de lil Ille lexuel/e, trad. fr., Paris, 1966.
6: G. Lawall, RF/C, n. s. 39, 1961, p. 33-47, "The cup, the Rose and the winds
in Pindar's seventh Olympian."
9: G. Norwood, ibid.
10: Cf. P. Chantraine, Diet. étym.,I. Il. hall. Au masc., "sel"; au féminin, hall désigne
toujours la mer ("Le genre féminin s'explique soit parce qu'il s'agit d'un collectü,
soit plutôt par l'analogie de thalauo"). Au masc., hais peut également parfois
signifier "mer", mais le cas inverse (hau au fém. pour "sel") ne se rencontre
jamais.
70 Mythe et contradiction
Il: Rhodes est dotée d'une remarquable fécondité. Comme terre (galan, v. 63), eUe
est "nourricière pour une multitude d'hommes et favorable aux troupeaux"
(v. 63). Comme femme, eUe est l'épouse (numphan, v. 14) prolifique d'Hélios:
"Là, un jour, il s'unit à Rhodes et engendra sept fm" (v. 71·72); cf. mpra, chap.1.
15: Dd., 8, 312; Il., l, 578. Sur les différentes versions de la naissance d'Héphaïstos,
cf. M. Delcourt, op. cit., p. 31-33; l'auteur remarque qu'Homère est la seule
source qui présente l'union sexuelle comme étant à l'origine de la naissance du
dieu.
16: Sur les ouvrages d'Héphaïstos, cf. M. Delcourt, ibid., p. 48-64, et en part. p. 53
sq. sur les œuvres dotées des qualités des êtres vivants. Sur les ouvrages d'Héphaïs-
tos, cf. également F. Frontisi-Ducroux, Dédale. Mythologie de l'artisan en Grèce
ancienne, Paris, 1975, p.45-5I.
17: Il.,18,373.
24: Il, 18,418; il n'est pas abusif de considérer que les servantes sont bien l'œuvre du
maître.
25: F. Frontisi-Ducroux, op. cit., p. 100 sq. Selon la sch. 01. VII, 66 a-b, certaines
sources attribuent à Palamaon le mérite d'avoir fendu la tête de Zeus. Or, selon
Pausanias, 9, 3, 2, Palamaon n'est autre que le père de Dédale, le nom de Palamaon
semblant n'être qu'un doublet d'Eupalamos, lui aussi désigné comme père
de Dédale, selon d'autres sources; sur ce problème de la paternité de Dédale,
cf. F. Frontisi-Dueroux, op. cit., p. 89-90; cet auteur note à propos de
Athéna et Rhodes 71
Palamaon et Eupalamos que ces "deux noms sont explicitement formés à partir
de palamè - "paume" ... Le terme palamè met l'accent sur les qualités d'adresse
et d'habileté créatrice de la main. Les palamai ce sont "Ies mains d'un charpentier
expert", celles de potier, ou encore celles d'Héphaïstos; ce sont les mains de
l'artisan"; cf. aussi supra, chap. II, n. 39, les palamai d'Héphaïstos et d'Athéna
dans le 12 0 Péan. On doit rappeler que le v. 51 montre les Héliades excellant dans
les activités techniques aristoponois chersi, "de leurs "''lin~ d'une habileté sans
égale" parmi les autres hommes. La sch. 01. VII, 95 a indique aussi que, selon
Aristarque, c'est aux artisans de Rhodes que devrait revenir le mérite attribué à
Dédale.
28: F. Frontisi-Ducroux, ibid., p. 159; sur la mort de Talos, cf. Apollodore, 3,65,8.
32: Sur les origines intellectuelles de cette méthode, cf. J.- P. Vernant, MS, p. 220-21.
34: Sur ce problème, voir M. Detienne et J.- P. Vernant, Ruses, p. 176-200, "Le mors
éveillé": Cet article reprend le mythe de la XIIIo 01., et entend lui donner un
éclairage nouveau en fonction du contexte culturel dans lequel s'inscrit la maîtrise
des chevaux. Nous empruntons à l'auteur la traduction des vers cités.
35: Eschyle, Prométhée enchaîné, 462-66: "Le premier aussi, je liai sous le joug des
bêtes soumises soit au harnais, soit à un cavalier, pour prendre aux gros travaux la
place des mortels, et je menai au char les chevaux dociles aux rênes, dont se pare
le faste opulent" (Eschyle, J, éd. trad. P. Mazon, Les Belles Lettres, Coll. Univ.
de France, Paris, 1921). On doit noter qu'il n'est pas fait explicitement référence
à la technique du mors.
CHAPITRE IV
L'OR ET LA MONNAIE
Nous comprenons: "L'eau tient le premier rangfor, comme une flamme qui
s'élève dans la nuit, efface toutes les richesses de la fière opulence." Dans
la traduction proposée ici, la belle image de la "flamme qui s'élève dans
la nuit" est empruntée à A. Puech. Mais l'ensemble du passage est interprété
différemment. En effet, A. Puech traduit : "L'or, étincelant comme une
flamme ...", ce qui a pour effet d'affaiblir la comparaison entre le feu et l'or
d'une part, la nuit et les autres richesses d'autre part, en insistant sur l'éclat
de l'or. Dans la logique de la traduction de A. Puech, c'est l'éclat du métal,
comparable à celui d'une flamme dans la nuit, qui lui permet d'effacer
"tous les trésors de la fière opulence". C'est sa valeur esthétique qui expli-
querait la prééminence de l'or sur les autres "trésors", ce mot suggérant
des formes d'accumulation analogues à celles de l'or (pierreries, tissus pré-
cieux, etc.). En revanche, si l'on comprend ce vers de la manière qui a été
indiquée plus haut, l'image de Pindare retrouve toute sa force. En fait, l'or
ne saurait avoir un quelconque rival, toutes les autres formes de richesses
disparaissant en face de lui, de même que, lorsqu'elle s'élève dans la nuit,
une flamme ne laisse qu'ombres autour d'elle.
La traduction proposée s'oppose donc également à celle de J. Duche-
min : "L'or, semblable à un feu flamboyant, répand son éclat dans la nuit,
effaçant de bien loin la richesse orgueilleuse" (2). Outre qu'est définitive-
ment perdu cette fois le parallèle entre les deux images, le feu dans la nuit
et l'or face à la richesse, on ne voit pas comment il est possible de parvenir
à cette interprétation, à moins de supposer que "répand son éclat (dans
la nuit) "correspond à diaprépei. Mais une telle traduction n'est pas admis-
sible. Diaprép6 signifie "se faire remarquer", ''l'emporter sur quelqu'un",
"briller" - mais au sens figuré -. Ce verbe est un composé de prép6, qui
a un sens proche de diaprép6, et signifie "se faire reconnaître", ou "conve-
nir", mais jamais "répandre son éclat". Prép6 e.st précisément employé
par Pindare à propos de l'or, XO Py., 67-68 :
ne,p<;:lIIn 6È Kai XPIIUO( ~II jjaodll4J ll'péll'e' IKai roO( dpBo(.
A. Puech traduit à juste titre : "L'or se fait reconnaître à la pierre de touche
et les âmes droites se révèlent à l'épreuve." Dans ce cas, prép6 n'a rien à voir
avec l'éclat de l'or, de même que son composé diaprép6 dans la VIIo 01.,
ce que A. Puech avait bien vu, puisqu'il traduisait diaprépei par "efface".
Le sens proposé ici nous paraît donc seul compatible avec la construc-
tion de la phrase. Ainsi, A. Puech, en ce qui le concerne, doit attribuer à
l'or le qualificatif d' "étincelant", qui n'est pas présent dans le texte : haté
relie directement chrusos et pur ("l'or, comme un feu ..."). En fait, le sim-
ple parallèle entre le feu et l'or suffit à suggérer une correspondance entre
l'éclat de l'un et de l'autre, sans toutefois qu'il soit possible d'affirmer que la
mise en relation des deux termes se réduit à cet aspect : ce serait négliger
la portée de la comparaison, qui, en elle-même, ne porte pas sur l'éclat de
l'or et du feu. La suite de la 10 01. montre un fonctionnement analogue:
3-7 el 6' lJ.eBÀa 'Yapuell
~Mea" r/JlÀOII ~TOP,
j.lT)KéB' aÀlolI CJKoll'e'
lJ.ÀÀO BaÀll'lIoTepOIi ~II ~é·
pq r/Jaelllld" lJ.uTPO" ~pr,.
j.lat; 6,' a1Bépo(.
1lT)6' 'OÀIIllll'la( 4'YWlla
r/JépTepoli aV6duollel"
L 'or et la monnaie 75
"Veux-tu chanter les jeux, ô mon âme? ne cherche pas, au ciel désert quand
le jour brille, un astre plus ardent que le soleil, et n'aspire pas célébrer une
lice plus glorieuse qu'Olympie" (trad. A. Puech). Pour J. Duchemin, 'les
vers suivants, évoquant le soleil, rapprochent sans ambiguïté l'éclat de l'or
de celui de l'astre du jour, selon l'indiscutable analogie de deux images
employées ~ dépeindre un même aspect d'un même objet. L'essentiel est
ici la notio~, ,je l'éclat, commun dénominateur de l'or et de la lumière" (3).
En fait, les sept premiers vers de la 10 01. présentent une double compa-
raison : d'une part entre le feu et l'or, puisque l'or efface toutes les autres
richesses, de même qu'un feu dans la nuit ne laisse autour de lui que néant;
d'autre part entre le soleil et les concours d'Olympie, puisque ces derniers
n'ont pas leur égal parmi les concours du monde grec (cf également Thucy-
did.e, V, 49-50), de même que le soleil, quand il brille, ne saurait dès lors
avoir de rival. Le parallèle entre le feu et l'or annonce donc le parallèle entre
le soleil et Olympie. Les deux comparaisons ont une construction identique:
ici comme là, il s'agit d'afnrmer une idée abstraite d'infinie S\1périorité;dans
les deux cas c'est une image de lumière qui l'introduit. Mais c'est une image
inversée, en quelque sorte : la première fois, il est question du contraste
entre une flamme et l'obscurité de la nuit où aucun objet n'est plus visible;
la seconde, de la nécessaire solitude du soleil dans le ciel où, dès lors qu'il
est apparu, on ne peut plus voir les autres astres. Il y a donc une corres-
pondance terme à terme entre les deux comparaisons qui forment l'ouver-
h,re de la 10 01., ce qu'on pourrait résumer schématiquement de la façon
suivante:
Feu / Objets dans la nuit <l t> Or / Autres richesses
Soleil / Autres astres le jour <J i> Olympie / Autres concours
Cet emploi d'images de lumière n'est pas sans exemple. En l'occurren·
ca, on peut faire un parallèle avec Héraclite, dont certains fragments, sur
plusieurs points, offrent de grandes similitudes avec la 10 01. Il s'agit d'abord
du début du fragment 26 O.K., qui peut être rapproché des deux premiers
vers de l'ode:
H.vlJpuJ1ror;: Èv ei)(/lpolITJ (/lMr;: ti7ln;Tat. ÈlWTt;I dll'olJavwv. dll'oa{JealJel<; &velr;: ...
"L'homme touche la lumière dans la nuit, quand il est mort pour lui, la vue
éteinte" (4). Selon J. Bollack et H. Wismann, 'le premier membre pose
les contraires absolus de la nuit et de la lumière. L'homme saisit par les
yeux dans les ténèbres l'éclat que cache le jour, quand il est frappé par
le contraste du brillant et du noir. S'il joint les termes inconciliables, dans
l'éblouissement de la perception intégrale, c'est que, privé des sensations
qui, le jour, émoussent la lumière, remplissent le monde d'objets obscur-
cissants, il est par cette mort des sens, rendu à lui-même" (5). Ainsi, chacun
dans la perspective qui leur est propre, Pindare et Héraclite utilisent l'image
du contraste absolu produit par une flamme dans la nuit, aux fins de mon-
trer une différence radicale entre les deux termes (6). De même, l'idée d'in-
finie supériorité du soleil sur les autres astres se retrouve dans le fragment
d'Héraclite 99 O.K. :
T,?-..lov IJlI OlJTor;:. ëve"a TWI1 H.?-..?-..WI1 IlaTPWI1 elx/lpol1r/ «111 r,11.
"Si le soleil n'était pas, les autres astres feraient la nuit." Pour J. Bollack
et H. Wismann, la nuit n'est pas produite par l'absence de soleil - c'est-à
dire {le lumière -, mais par les autres astres, eux aussi lumineux (7). C'est
76 Mythe et contradiction
Le problème posé par les vers introductifs de la 10 01. peut être résu-
mé en ces termes : si l'analyse grammaticale conduit à y voir une allusion
à la fonction monétaire de l'or, ce métal avait·il effectivement dans la so·
ciété du temps un rôle monétaire? Dans le cas où la réponse à cette ques·
tion serait positive, la traduction serait donc défmitivement établie. Pin-
dare aurait construit une image avec des éléments empruntés à la réalité
de son époque, alors que la chose aurait été impossible quelques siècles
plus tôt, de même que c'est seulement avec la Renaissance que les peintres
ont pu représenter une image sphérique de la terre, comme l'a souligné
P. Francastel: "L'idée d'une ronde de figures qui se posent au sommet de
L'or et la monnaie 77
porte quelle marchandise joue ce rôle-là. D~ait, quelle que soit la société
considérée, il se produit une spécialisation : ce rôle d'équivalent général est
rempli par une marchandise servant de référence, et il se produit donc une
inversion du phénomène décrit précédemment. Au lieu que chaque mar-
chandise serve à la mesure de la valeur de toutes les autres marchandises,
"ici inversement, toutes les marchandises mesurant leur valeur d'échange
dans une marchandise particulière, la marchandise exclue devient le mode
d'existence adéquat de la valeur d'échange, son mode d'existence comme
équivalent général" (15). A l'origine, c'est la marchandise s'échangeant le
plus souvent qui devient argent, le sel, les peaux, les esclaves, etc., comme
on a pu le vérifier dans les sociétés indigènes d'Afrique, d'Amérique du
Sud ou d'Océanie. Mais plus tard, c'est l'inverse : "La marchandise qui sa-
tisfait le moins directement la consommation ou la production satisfera
le mieux les besoins de l'échange proprement dit" (16).
S'agissant de cette première fonction, il est bien évident qu'au VO siè-
cle, dans la presque totalité du monde grec, on ne compte plus en boeufs,
comme dans l'Odyssée (17), non plus qu'en broches de fer, trépieds ou
autres objets. Ce sont maintenant les métaux précieux qui servent d'étalons
monétaires. On peut noter par exemple que les comptes du trésor de la
Ligue de Délos ne font apparaître que des poids de métaux précieux comme
instruments comptables. C'est à la fois en talents d'argent et en talents
d'or (poids) que Périclès comptabilise le trésor d'Athènes (18). Comme on
le sait, le talent, de même que la mine, n'était qu'une unité de compte, et
il ne pouvait en être autrement du fait du poids important que représen-
taient ces deux unités de mesure.
La seconde fonction de la monnaie est conditionnée par la première.
Elle n'eXiste vraiment qu'avec comme présupposé la fIXation des prix des
marchandises effectuée par l'argent dans sa première fonction. En outre,
l'échange commercial suppose la "métamorphose" de la marchandise en
argent. Si on appelle M la marchandise et A l'argent, l'échange commercial
peut s'écrire: M - A-M. La séparation du mouvement M - A et du mou-
vement A - M suppose l'existence effective de l'argent qui convertit la
valeur d'échange, puisque le vendeur de M doit entrer en possession d'un
équivalent concret, effectif. C'est dans sa fonction de moyen de circula-
tion que la monnaie, sous sa forme métallique en particulier, peut devenir
numéraire : l'Etat monnaye le métal selon l'étalon de la monnaie du compte.
Cette seconde fonction de la monnaie, celle d'instrument de circu-
lation, s'est pleinement développée au VO siècle. Dans de très nombreuses
cités, l'Etat monnaye le métal selon l'étalon de la monnaie de compte, ce
qui donne à la monnaie "un caractère local et politique" (19). Si, selon
certains historiens, le numéraire avait été peu utilisé à l'origine dans les
transactions commerciales, il n'en était plus de même en tout cas, du moins
pour tout achat ou vente de quelque importance, dès la fm du Vlo siècle,
et a fortiori au VO siècle, comme le prouvent les émissions massives de piè-
ces d'argent, à Athènes en particulier. Les salaires des ouvriers et employés
étaient alors ordinairement payés en numéraire (20). Dans la pratique,
la plupart des cités n'émettaient plus au VO siècle que des pièces d'argent.
Ainsi, les cités rhodiennes cessèrent l'émission de pièces d'électrum (alliage
d'or et d'argent) au début du VO siècle. Certaines cités cependant, telles
celles d'Asie Mineure, en particulier Ephèse, Milet, Cyzique, Chios et Lamp-
saque s'en tinrent jusqu'au No siècle à la frappe de l'électrum (21). L'ima-
L'or et la monnaie 79
qui leur pennet de contrôler la région (47). Depuis leur victoire sur Thasos
en 463, les Athéniens disposaient des mines d'or de cette île (48). Surtout,
ils purent ainsi mettre la main sur les mines d'or de la côte thrace, aupara-
vant sous contrôle thasien, dont la richesse dépassait celle de l'île (49).
Bien évidemment, c'est pour saisir les sources de métal-monnaie que les
Athéniens manifestèrent une telle activité dans cette région, et non au pre-
mier chef pour satisfaire les besoins d'une clientèle éprise de luxe. Panni
bien d'autres épisodes qui montrent l'intérêt d'Hérodote et de Thucydide
pour tout ce qui touche à l'or, on peut rappeler l'aventure survenue aux
Athéniens, encore une fois, avec l'affaire des subsides promis par la cité sici-
lienne d'Egeste afin d'amener Athènes à soutenir leur cause. En 416/415
l'ambassade athénienne chargée de vérifier les ressources des Egestains se
laissa berner : "(Les Egestains) les avaient emmenés dans le sanctuaire
d'Aphrodite à Eryx, et ils avaient étalé devant eux les offrandes, des coupes,
des flacons, des brûle-parfums, quantité d'autres objets, qui, étant en ar-
gent, faisaient à voir un grand effet pour une valeur réelle assez mé-
. diocre" (50). Ce que sous-entend Thucydide, c'est naturellement que, si ces
objets avaient été en or, ils auraient eu réellement une grande valeur (quator-
ze fois plus importante !). Les ambassadeurs athéniens n'ont donc pas fait
preuve de sens critique sur ce qu'on leur montrait. Mais le stratagème des
Egestains pouvait aussi leur laisser croire qu'ils possédaient de l'or. En effet,
Thucydide poursuit : "En même temps, les particuliers organisaient des
réceptions pour les équipages des navires, et, soit qu'ils rassemblassent dans
Egeste même les vases à boire en or et en argent qui s'y trouvaient, soit qu'ils
s'en fissent prêter par les villes du voisinage, tant phéniciennes que grecques,
ils les produisaient dans les banquets, chacun comme s'ils lui appartenaient.
Comme tous se servaient en général des mêmes et qu'on en voyait partout
une profusion, cela frappait vivement les Athéniens des trières, et, de retour
à Athènes, ils avaient raconté à droite et à gauche qu'ils avaient vu des
trésors" (51). Les coupes d'or, métal si rare, avaient donc su impressionner
les Athéniens, qui savaient bien tout de même que la puissance d'une cité
reposait sur ses réserves de métal précieux. A propos de Carthage, Thucydide
prête à Alcibiade les paroles suivantes: "Personne n'a plus qu'eux amassé
d'or et d'argent, ce qui, à la guerre comme en tout, est la clef du succès" (52).
Ainsi, les métaux précieux, et en particulier l'or, avaient bien effecti-
vement un rôle monétaire, cela dès la fin du VlO siècle au moins, et a fortio-
ri au VO siècle. La présence d'images monétaires dans l'œuvre de Pindare,
et d'abord dans la 10 Dl., se trouve donc confortée par des analyses sur le
rôle de l'or dans la vie économique et sociale du temps. Mais on pourrait
avancer un dernier argument contre la thèse avancée ici. Marx lui-même
indique en effet : "L'étalage barbare de l'or, etc., était naïf, comparé à
celui des temps modernes, car autrefois l'or n'avait pas autant le caractère
de monnaie. C'était alors le simple éclat de l'or qui fascinait. Il brillait de
mille feux, et la monnaie n'y avait pas de part. Dans l'or moderne, l'essen-
tiel c'est son antagonisme à l'égard de la circulation" (53). N'est-ce pas là
rejoindre l'analyse de J. Duchemin sur l'éclat de l'or? Tout d'abord, il
convient de noter que Marx ne songe pas à la Grèce classique, lorsqu'il indi-
que dans les Grundrisse qu'autrefois c'était le simple éclat de l'or qui comp-
tait . Toutes ses analyses sur l'Antiquité classique dans les paragraphes pré-
cédents en témoignent. Il écrit par exemple : "A Rome et en Grèce, etc.,
l'argent apparut tout d'abord ingénument et sous une forme peu développée
84 Mythe et contradiction
1bis:J. Duchemin, ibid., p. 225 pour l'incorruptibilité de l'or;sur les propriétés physi-
ques de l'or, cf. infra chap. V, dernier paragraphe.
9: On peut dire aussi que la simple mention de l'or évoque les jeux, puisque, par
exemple dans la 10 ['thm., 20, on voit les vainqueurs ramener chez eux des
trépieds, des chaudrons et des phiales d'or.
Il: Selon une première théorie, le numéraire aurait été émis par l'Etat à la deman-
de des marchands, voire par les marchands eux-mêmes, pour faciliter leurs échan-
ges. A la suite de Hasebroek est apparu un nouveau modèle mettant en cause
les liens directs entre les nécessités du commerce, intérieur aux cités ou "inter-
national", et l'apparition du monnayage. Il faudrait plutôt mettre au premier
plan les besoins, sans cesse en extension, propres à l'Etat. Le commerce aurait
eu sa part dans ce développement, avec par exemple la levée de droits de douane,
mais il faudrait y ajouter la nécessité de lever des mercenaires, d'entreprendre
des travaux publics, de faire payer des amendes, de lever des impôts, etc. Pour
Ed. Will, la monnaie aurait même été à l'origine un instrument, aux mains de
l'Etat, destiné à évaluer et à répartir la richesse, afin de maintenir la justice
dans les relations sociales, et elle n'aurait rien eu à voir avec le négoce propre-
86 Mythe et contradiction
ment dit. Sur l'ancienne théorie, voir en particulier G. Thomson, Les premiers
philorophes, trad. fr., Paris, 1973, p. 205-208 tout spécialement. Sur la théorie
la plus récente, voir J. Hasebroek, T'rade and Politics in Ancient Greece, Londres,
1933 ;Ed. Will, communication in Actes de la deuxième conférence internationale
d'histoire économique (Aix-en-Provence, 1962), Paris, 1965, t. I;RH, 212, 1954,
p. 209-231, "De l'aspect éthique de l'origine grecque de la monnaie";RN, 17,
1955, p. 5-23, "Réflexions et hypothèses sur les origines du monnayage";cf
Korinthillka, Paris, 1955, p. 495-502;cette thèse peut, dans une certaine mesure,
s'appuyer sur C. M. Kraay, lBS, 84, 1964, p. 76-91, "Hoards, Small Change
and the Origin of Coinage", et Greek coins and history - Some cu"ent pro-
blems, Londres, 1969;voir aussi la mise au point de P. Vidal-Naquet, AESC, 23,
1968, p. 206-208. Selon la première théorie, la monnaie, sous la forme du numé-
raire, telle qu'elle est apparue dans le monde grec à la fin du 70 siècle, aurait
eu d'emblée les caractères de ce que Marx appelle la première et la deuxième
fonction de la monnaie, c'est-à-dire que la monnaie aurait eu pleinement le carac-
tère d'étalon et d'instrument d'échange. Selon la seconde, les métaux précieux
auraient certes pu avoir le caractère d'étalon dès le 70 siècle (cf J. Hasebroek, op.
cit., p. 71), mais la deuxième fonction n'aurait pas été vraiment développée, les
métaux précieux"y compris sous leur forme de numéraire, étant davantage une
marchandise privilégiée qu'un véritable instrument d'échange. Ce n'est que plus
tard - mais tout le problème serait de savoir à quel moment - que les métaux
précieux auraient pleinement acquis le caractère de monnaie.
12: Ces analyses ont été émises d'une part dans la Contribution à la Critique de
l'Economie Politique, publiée en 1859 (trad. fr., Ed. Soc., Paris, 1957), ainsi
que dans les fragments de la version primitive du même ouvrage, datés de 1858
- ces textes sont publiés en annexe dans l'édition précitée de la Contribution,
et sont également disponibles dans la traduction des Grundrisse· publiée aux
éditions Anthropos sous le titre Fondements de la critique de l'économie poli-
tique, Paris, 1968, t. II (cf supra, chap. l, n. 38);d'autre part, dans Le Capital,
l, 10 section, ch. 1II (trad. fr., Ed. Soc., depuis 1950);i1 faut également se repor-
ter aux textes publiés dans les Grundrisse, regroupés dans le "Chapitre de l'argent",
éd. précitée, l, p. 45-180.
13: S. de Brunnhoff, La monnaie chez Marx, 20 éd., Paris, 1973, présente un exposé
commode des thèses de Marx. Sur la façon dont il faut entendre "lois générales
de la circulation monétaire", voir en particulier ibid., p. 13-24, et la postface
de l'édition 1973, p. 193-94.
16: Fondements, p. 103. Sur cette évolution, cf infra l'analyse des caractéristiques
des métaux précieux.
20: Sur les salaires payés à différentes professions, cf par exemple la série des ins-
criptions des trésoriers publics athéniens, IG 12, 335-374, passim. La période
couverte va des années 455/4 à la fin du siècle;cf aussi IG 12, 24 (a. 448) et
25 (- R. Meiggs et D. Lewis, Selection, nO 71, a. 424/3), qui mentionnent que
la prêtresse d'Athéna Nikè recevra un salaire de cinquante drachmes par an, etc.
L 'or et la monnaie 87
21: Cf. P. R. Franke ct M. Hirmer, La monTlllie grecque; trad. de l'allu; par J. Babelon,
Paris, 1966, p. 10-11 ;sur l'émission de monnaies d'électrum par les cités rhodien-
nes, cf. B. V. Head', Hist. Num. 2 , p, 636-37.
22: Cf. par exemple IG 12 , 352 (- R. Meiggs et D. Lewis, Selection, nO 59), 1. 13-16
et 38-41.
24: Cf. P.R. Franke et M. Hirmer, op. cit., p. 10;0. M. Lewis, Essilys ln Greek coiTlll'
nage presented to Stanley Robinson, publiés par C. M. Kraay ct G. K. Jenkins,
Oxford, 1968, p. 105-110, "New evidenee for the gold-silver ratio", d'après
IG 12, 355 (a. 440/39) et IG 12, 352 (a. 434/3). Sur le rapport entre la valeur
de l'argent ct celle du fer, par exemple, mais aux siècles précédents, cf. P. Cour-
bin, AESC, 14, 1959, p. 209-33,"Dans la Grèce archaïque. Valeur comparée
de l'argent et du fer lors de l'introduction du monnayage." L'au teur propose un
rapport de 2000 à 1 à la fin du Vllo siècle. Ce chiffre a été remis en cause par
B. d'Agostino, AESC, 32, l, p. 3-20, "Grees ct "indigènes" : J'acculturation des
élites", p. 11 en particulier. Il n'en reste pas moins que le rapport proposé par
P. Courbin donne, sinon effectivement un chiffre précis, du moins un ordre de
grandeur pour ce rapport: 1 : n(100), et que l'on attribue à n la valeur 10, 20
ou 30, on peut retenir ici, dans le cadre d'une étude d'idéologie, que le rapport
argent/fer était extrêmement grand. Le raisonnement est valable a fortiori pour
l'or. En revanche, si l'on se reporte à des périodes antérieures de l'histoire du
monde antique, on constate qu'il n'en avait pas toujours été ainsi. A l'époque
de la 1110 dynastie d'Ur (dernier siècle du 1110 millénaire), alors que le prix des
. métaux était déjà élevé par rapport à celui des produits agricoles, la "hiérar-
chie" des métaux est sensiblement différente. Le rapport cuivre/argent, fluc-
tuant, était de 1 à 150 à Mari. L'or, dont le cours était lui aussi très fluctuant,
avait une valeur inférieure à celle du fer, ct le rapport fer/argent était de 8 à 1.
En fait, le fer, du fait des difficultés liées à sa production ct compte tenu des
techniques du moment, resta très cher jusqu'à la fin du 11 0 millénaire (cf. D. Ar-
naud, Le Proche-Orient ancien, Paris, 1970, p. 38-39). Dans l'IlÜlde (23,833·35)
encore, le fer apparaît comme une marchandise relativement rare. D'une masse
de fer qu'il offre en prix au vainqueur pour le concours de lancer du disque,
Achille souligne le rareté, la difficulté de se procurer cc métal. En revanche,
pour la course à pied, c'est au dernier que revient le prix d'un demi-talent d'or.
Certes, c'est là une façon de souligner la qualité des prix donnés à tous les parti·
eipants. Il n'en reste pas moins que cette indication montre que l'or n'était pas
encore l'incarnation même de la richesse.
25: HippoTlllx, éd. crit. et comm. fr. par O. Masson, Paris, ]962, frgt. 38. Selon
O. Masson, ibid., p. 13, l'acmè du poète se situerait vers 540.
26: Hipponax, frgt. 32 Masson. Les statères dont il est question sont sans doute
des pièces lydiennes ou perses. Sur la base de 8,40 gr la darique, le poids d'or
demandé représenterait 504 gr.
30 : Hérodote, III, 96; cf. aussi Strabon, XV, 3, 21. Voir le commentaire de
D. Schlumberger, L'argent grec dans l'empire achéménide, Paris, 1953, p. 14.
31: Thucydide, II, 13. Sur les réserves constituées par les objets sacrés (phiales d'or
et d'argent, etc.), voir aussi les comptes du trésor d'Athéna Poliade, IG 12, 232-
255 (a. 434/3 - 407/6), ceux de l'Hécatompédon, IG 12, 256-275 (a. 434/3 -
407/6), ou Ceux du Parthénon, IG 12,276-292 (a. 434/3 - 407/6 1).
34: Il est possible que l'émission de petites pièces d'or frappées par certaines cités
sicilienne8 à la fin du VO siècle ait commencé dès la période de la guerre contre
Athènes;sur Syracuse, cf. ibid., p. 175;sur Géla, p. 14hur Camarina, p. 129.
35: Sur Thasos, cf. J. Pouilloux, Recherches sur l'histoire et les cultes de Thasos,
l, Paris, 1954, p. 148 et 216·18.
36: Athénée, VI, 231 f - 232 a-b. On a retrouvé à Delphes la base d'un trépied
offcrt par Gélon aprés la bataille d'Himère en 480 (cf. R. Meiggs et D. Lewis,
Selection, nO 28 (= 1. Pouilloux, Choix d'iQscrlptions'grecques, Paris, 1960,
nO 43). D'après Diodore, XI, 26, 7, ce trépied aurait eu une valeur de soixante
talents (sur l'or de Gélon, cf. également Hérodote, VII, 163-65). Pour la base
du trépicd d'Hiéron, voir F. Courby, Fouilles de Delphes, II, "La terrasse du
temple", p. 249·54. Les frères d'Hiéron et Gélon, Polyzalos et Thrasybule fi-
rcnt également dcs offrandcs de trépieds, si l'on en croit le couplet cité dans
schol. Pindare 10 Py., 152, cf. Suidas, s. v. Daretiou et Anth. Pal., VI, 214. Bac-
chylide, III, 17 sq., rappelle à Hiéron en 468 son offrande à Delphes : "L'or
resplendit au flamboiement des fines ciselures des trépieds dressés devant le
temple".
37: Athénée, VI, 231 b-c. Pour une image dePhilippe II plus conforme à la réalité,
cf. J. R. Ellis, Philipp Il and Macedonian Imperialism, Londres, 1976, et en
particulier p. 235-39 sur la frappe de monnaies d'or et d'argent.
38: Athénée, VI, 231 d. Cf. M. Cary, Mélanges Glotz, Paris, 1932, l, p. 133-42,
"The sources of silver for the Greek world", particulièrement p. 139-40, où l'au-
teur montre la chute de la valeur de l'or et de l'argent au début du IIIO s.
39: Sur la guerre sacrée, cf. CAH, VI (1927), p. 213 sq.;sur les pièces d'or phocidien-
nes, cf. CAH, vol. of Plates, II, p. 8, b-c.
40: Thucydide, l, 121 ct 143. La pratique de l'emprunt auprès des sanctUaires était
courante à Athènes. Aussi n'est-il pas étonnant de voir, en 362, le stratège athé-
nien Chabrias inspirer au jeune pharaon Tachôs (= Djedhor) un emprunt forcé
sur les métaux précieux (or et argent) des sanctuaires et des partieuliers;voir
L 'or et la monnaie 89
Ps-Aristote, Economique, II, 2, 25 a-b (1350 b 33 - 1351 a 17), cf Ed. Will, REA,
62,1960, p. 254-75, "Chabrias et les finances de Tachôs."
41: Voir Diodore, 27,4, 3# P. Lévêque, Py"hos, Paris, 1957, p. 499401;sur l'émis-
sion de pièces d'or en liaison avec les dépenses de guerre en Grande-Grèce, cf
P. Lévêque, Armées .et fiscalité dans le monde antique, Paris, 1977, p. 455-73,
"Monnaies et finances des cités italiotes engagées dans la guerre pyrrhique."
42: Voir R. Bogaert, Les origines antiques de la banque de dép6t, Leyde, 1966,
p. 130-31, avec bibliographie. Sur Délos, par exemple, voir IG 12, 377 (- R.
Meiggs et D. Lewis, nO 434-32).
44: Athénée, VI, 231 e. Sur la signification exacte de la phrase de Pindare, cf chap.
sq., dernier paragraphe.
50' Thucydide, VI, 46, 3 (cf ibid., VI, 6 et 8). La traduction de ce fragment et des
suivants est empruntée à La Guerre du Péloponnise, éd. crit. et trad. fr. par
J. de Romilly, L. Bodin et R. Weil1, Les Belles Lettres, Coll. Unlv. de France,
4 vol., Paris, 1953-70.
"Au prix du feu toute chose est échangée, et le feu au prix de toutes en·
semble, comme on échange avec l'or les marchandises, et avec les marchan·
dises l'or" (3). Si l'argent n'est d'abord qu'un moyen de circulation, une
contre·valeur niée par chacune des marchandises prise séparément, lui seul
peut prendre la fonne séparée de. cristallisation de la richesse, par la néga-
tion des autres marchandises qu'il résume toutes. La différence entre Héra-
clite et Pindare est que, chez le premier, c'est l'or qui fait image et pennet
de comprendre la séparation du feu et de toutes choses alors que, chez le
second, c'est le contraste du feu et de la nuit qui tient ce rôle, pennettant
de saisir la différence radicale entre l'or et les marchandises. Pour Héracli·
te, la mention de l'or est en l'occurrence un moyen, même s'il n'est pas
indifférent que ce soit précisément cette image qui ait été choisie. Chez
Pindare, du moins dans une première approche, il semble que c'est l'or,
en tant que monnaie, qui est immédiatement l'objet du discours : mais,
comme on l'a vu, l'image de l'or est mise en rapport avec une série d'autres
images, et sert en fait d'introduction à la différenciation entre les
jeux d'Olympie et les autres concours du monde hellénique.
Certes, on a contesté que, dans le fragment d'Héraclite mentionné,
il y ait à proprement parler une allusion à l'or en tant que monnaie, et
en particulier que l'or puisse être ici évoqué en tant que contre-valeur de
tous les autres biens (4). On a voulu voir là un anachronisme incompati·
ble avec l'œuvre du philosophe d'Ephèse. Ce dernier, rappelons·le, écrivait
à la tin du VIO et au début du VO siècle (5). Or, comme l'analyse du cha-
pitre précédent l'a montré, l'or avait pleinement, à cette date, une fonction
L 'or chez Pindare 93
On peut maintenant aller plus loin dans l'analyse. En effet, si l'or est
la richesse même, s'il est la cristallisation de la valeur d'échange, c'est donc
qu'il est du travail abstrait sous fonne d'objet. Posséder de l'or, c'est avoir
à sa disposition du travail abstrait, non tel ou tel travail produisant tel ou
tel objet particulier, et c'est donc pouvoir se procurer n'importe quel objet,
n'importe quel bien. Posséder de l'or équivaut donc à ne pas exercer un
94 Mythe et contradiction
travail, tout en ayant à sa disposition tous les biens possibles. C'est ce qui
permet d'expliquer la place de l'or dans la 110 Dl. Pindare souligne que
"l'opulence (ploutos) rehaussée de mérites apporte mainte et mainte jouis-
sance;elle nous permet de mettre au guet notre esprit aux desseins pro-
fonds (8). Mais cette richesse est une richesse "brillante" : elle est un astèr
arizèlos étumMaton andri phengos, v. 61-62, "un astre éblouissant, pour
l'homme la lumière la plus vraie" (il faut conserver à phengos son sens pre·
mier de "lumière", et ne pas prendre ce mot au sens figuré). Aussi est-il
possible de conclure :
v. 67-68 taa,~ 6è vo/(reaaUI aLel.
raa,~ 6' t41épa,~
l!lI.,ov I!xovre~ ...
"Pour éclairer des nuits toujours égales aux jours, les belles âmes possè-
dent leur soleil." Les 'belles âmes", ce sont bien entendu les nobles, les
riches.
Cette richesse "brillante", comment ne pas voir qu'elle a les carac-
téristiques de l'or, l'or qui précisément brille dans ce paradis réservé aux
"belles âmes:', aux esloi? Là, anthéma chrusou phlégei, "des fleurs d'or
flamboient." Or, Pindare précise ce que la richesse "brillante" apporte à
ceux qui en sont les détenteurs. Elle permet à la fois de ne pas se trouver
cantonné dans une activité précise, et, dans la mesure où l'on n'est attaché
à aucune activité particulière, de faire ce que l'on veut:
v.68-71 ... d1fovéarepov
èall.ol 6é/(ovra, IUorov. OV xl:lOva ra·
pdaaoVTe~ I!v xepà~ d/(Ilq
oÏJ6e 1fdvnov v6wp
/(eveàv 1fapà 6la'rav....
Pour les puissants, il n'est donc nul besoin de "tourmenter le sol, avec la
force de leurs bras, ni les eaux de la mer à la poursuite d'une existence vi-
de" (9). Dans la réalité, certes, les nobles ne travaillent pas de leurs mains.
Mais il semble bien que leur richesse ne consiste pas pour l'essentiel en or,
en valeurs mobilières, mais en terres (sur ce point, cf supra, ch. l, et infra,
ch. VI). Cependant, Pindare a choisi l'or comme signiFumt de la richesse,
car il est la richesse abstraite, celle dont la possession dispense d'exercer
une activité particulière et permet effectivement de faire tout ce qu'on
veut, dans la mesure où l'or est la cristallisation de la valeur d'échange,
c'est-à·dire du travail abstrait sous forme d'objet. Ainsi, c'est parce que
dans la réalité l'or joue le rôle d'équivalent général que Pindare peut faire
de l'or le signifiant de la richesse des nobles, dans la mesure où être noble
signifie ne pas travailler de ses mains, et alors même que la richesse des
nobles ne consiste pas dans la possession exclusive d'or.
On remarque en tout cas que ce passage fait écho, en sens opposé,
aux conceptions développées par le petit propriétaire qu'est Hésiode dans
les Travaux, où le leitmotiv est l'exhortation au travail à l'égard de Persès :
"Travaille, Persès, noble fils, pour que la faim ne te prenne en haine"
(v. 299-300). C'est le travail qui permet d'engranger le blé qui fait vivre
(biotos, v. 301, comme dans la 110 Dl., 69). Le complément au travail de
la terre, c'est la navigation de commerce, longuement décrite (Trav., 618·
694). On n'exerce cette activité que contraint paF la nécessité : tel était
déjà le cas du père d'Hésiode et de Persès (v. 633 sq.). Pour Hésiode, le
travail sous toutes ses formes est une malédiction, la marque de la déché-
L or chez Pindare 95
ance de l'homme. Il regrette l'âge d'or, le temps où, à l'égal des dieux,l'hom-
me n'avait pas à travailler (10). Pour Pindare, la possession de l'or évite tous
ces désagréments, puisqu'elle permet de se procurer à volonté tous les biens
que l'on désire.
La négation des valeurs hésiodiques est trop nette pour être fortuite.
On a vu que, dans la VIIo 01., la faute des Héliades avait permis d'infliger
à Prométhée un camouflet (II). Or, d'une certaine façon, le ms de Japet
est lié à la déchéance de l'homme. C'est à cause de lui que Zeus a puni
les hommes, cf Trav., 4246 : "C'est que les dieux ont caché ce qui fait
vivre les hommes;sinon sans effort, tu travaillerais un jour, pour récolter
de quoi vivre toute une année sans rien faire;vite, au dessus de la fumée,
tu pendrais le gouvernail, et c'en serait fini du travail des boeufs et des mules
patientes. Mais Zeus t'a caché ta vie, le jour où, l'âme en courroux, il se vit
dupé par Prométhée aux pensers fourbes. "Aussi peut-on se demander si
de la même façon, dans la VIIO 01., l'enjeu ne dépasse pas le cadre du conflit
apparemment anecdotique entre Zeus et Prométhée (12).
\ En fait, en même temps qu'est infligé à Prométhée l'affront du sa·
crifice sans feu s'opère un véritable renversement des valeurs hésiodiques,
renversement qui, du même coup, se trouve ainsi avalisé par Zeus. Il s'opère
par un jeu de signifiants, dans lequel l'or occupe une place centrale. Car,
dans cette analyse, il faut être particulièrement attentif au fait que cette
fois l'or n'est pas seulement le représentant de la richesse abstraite, mais
le signifiant d'un complexe de contradictions dans sa contradiction avec
le discours hésiodique. On peut distinguer plusieurs phases dans le mythe
des Héliades :
- Tout d'abord, les Héliades jouissent de la lumière donnée par leur
père Hélios (v. 39, plulusimbrotos daimôn Hupérionidas).
-- Mais ensuite, ils se trouvent dans une obscurité métaphorique à
cause du "nuage de l'oubli" (v. 45,latluls néphos). On peut par exem-
ple rapprocher ce nuage de l'oubli du nuage du sommeil, qui envelop-
pe l'aigle de Zeus dans la 10 Py., 7·8 (kélainôpin... néphélan... gléplul-
rôn Iuldu klaïstron, "un sombre nuage, doux fermoir de ses paupiè-
res"), et au contraire l'opposer à la "blonde nuée" envoyée par Zeus
peu après (xantluln néphélan, VIIo 01., 49 X13).
- Surtout, les enfants d'Hélios oublient la "semence du feu" (sperma
phlogos, v. 48). A ce stade, ils sont donc dans une obscurité méta-
phorique et sans feu.
- Cependant, outre la maîtrise des technai, ils reçoivent pour finir
une neige d'or (chruséais nipluldessi, v. 34) ou une pluie d'or (polun
husé chruson, v. 50).
Ainsi, tout se passe comme si les Héliades avaient éclulngé le feu contre
l'or. C'est bien en cela qu'il y a négation des valeurs hésiodiques. Chez Hésio-
de, en effet, la possession du feu volé a pour contrepartie Pandôra, synony-
me de fécondité. C'est un mal dans la perspective d'Hésiode, car l'homme
doit désormais travailler, besogner sa femme tout comme sa terre pour en
avoir des fruits, une descendance ou une récolte. La conjonction avec le
feu est donc l'équivalent de la conjonction avec la fécondité (sous ses deux
formes) et avec le travail (14). Chez Pindare, dans la VIIo 01., l'oubli du
feu a pour contrepartie un bien, la possession de J'or et la maîtrise des tech·
96 Mythe et contradiction
nai, qui rendent possibles les naissances artificielles. Cette fois-ci, ne pas
avoir le feu, c'est être conjoint à l'or, et aux technai qui lui sont liées.
On peut résumer en un tableau l'opposition entre le texte d'Hésiode
et celui de Pindare :
eux, comparables en cela aux nobles de 110 01. qui, eux, dominent la socié-
té de leur temps.
On comprend donc que le texte ne puisse pas être conçu comme
renvoyant à un réseau de signifiés qui constituerait le sens, les valeurs défi-
nies par le texte. L'enjeu du discours, c'est le travail sur le signifiant d'un
autre discours, et c'est dans ce jeu, qui consiste dans la reprise, la négation,
le déplacement, la condensation-- ou, si l'on préfère, la métonymie et la
métaphore - de signifiants, que se défmissent ce qu'on a appelé ici, faute
de mieux, des valeurs, celles d'Hésiode ou de Pindare en l'occurrence. Bien
entendu, ces valeurs ne forment pas un système en elles-mémes.
En ce qui concerne cette transformation d'un texte en un autre texte
par un jeu de signifiants, le mythe des Héliades présente l'avantage de pou-
voir en suivre le processus jusque dans le détail. Ainsi, "l'obscurité" produite
par le nuage de l'oubli annonce l'oubli du feu. Or, Zeus envoie une "blonde
nuée" : elle procure aux Héliades la richesse, mais elle leur apporte aussi
"la lumière". Pour nier les valeurs du petit paysan d'Hésiode dont le feu
est le représentant, puisque c'est le don du feu par Prométhée qui est à
l'origine de tous ses malheurs, et les remplacer par celles des aristocrates
symbolisées par l'or, le texte de la Vllo 01. utilise l'analogie entre le feu
et l'or. Mais, alors que l'image de l'éclat du feu dans la nuit sert dans la
10 01. à défmir l'idée abstraite de la supériorité infmie de l'or sur les autres
richesses, que dans la 110 01. l'or, "la plus vraie lumière de l'homme", défi-
nit une richesse "brillante", face à une nuit qui renvoie sans doute à la som-
bre existence des travailleurs, dans la Vllo 01. la fonction de l'analogie entre
le feu et l'or est encore autre. Le nuage d'or remplace le feu dans l'obscurité
métaphorique dans laquelle l'esprit de l'homme se trouve plongé. Ici, l'or
représente la richesse abstraite (cf infra, chap. VI), mais il est aussi le métal
qui brille : aussi peut-il jouer le rôle de remplaçant du feu. Le discours de
Pindare affirme qu'il vaut mieux être riche, ce qu'il traduit par "avoir de
l'or", qu'être pauvre et contraint au travail ;mais opérer la négation des va-
leurs d'Hésiode, c'est faire le détour par une constatation : "L'or et le feu,
en un sens, ont en Commun un certain éclat", c'est-à·dire faire un détour par
1e signifiant.
En résumé, l'or symbolise la richesse, car il est lui·même la richesse
sous sa forme abstraite, mais il apparaît en tant que tel après un jeu sur
le signifiant où il est "l'or qui brille."
tout comme les es/oi de Pindare? Mais l'or avait-il déjà dans le réelle rôle
d'équivalent général? Avait-il un rôle monétaire? La réponse négative appe-
lée par ces questions paraît aller contre la théorie proposée ici sur la place
de l'or chez Pindare. Pour lever cet obstacle, il faut examiner le rôle de l'or
dans le monde d'Hésiode et la place qu'il occupe dans son discours, tout
spécialement dans le mythe des races, au début des Travaux.
Hésiode décrit ainsi les hommes de l'âge d'or: "Tous les biens étaient
à eux : le sol fécond produisait de lui-même une abondante et généreuse
récolte, et eux, dans la joie et la paix, vivaient de leurs champs, au milieu
de biens sans nombre" (l8). Cette description des hommes de l'âge d'or
pourrait parfaitement s'appliquer aux basi/eis, aux grands propriétaires
fonciers détenteurs du pouvoir politique contemporains d'Hésiode, dans la
mesure où, pour eux, tout se passe comme si le sol fécond produisait de
lui-même des récoltes, puisqu'ils n'ont pas à travailler de leurs mains, Ainsi
s'explique qu'après leur mort, ils soient "par le vouloir de Zeus puissant, les
bons génies (esthloi) de la terre, gardiens (phu/akés) des mortels, dispensa-
teurs de la richesse (P/outodotai) : c'est le royal honneur (géras basi/èion)
qui leur fut départi" (19). En fait, tous ces qualificatifs s'appliquent aussi
aux basi/eis réels : esthloi désigne communément les nobles;ils sont aussi
phu/akés puisqu'ils rendent la justice, qui est à la fois un signe et un ins-
trument de leur domination politiquep/outodotai, les nobles le sont aussi
dans la mesure où ils se doivent d'être généreux, de redistribuer partielle-
ment les richesses qui leur ont été données à titre d'hommage ou de tribut;
quant au géras basi/eion, le terme est assez éloquent par lui-même. Aussi
doit-on conclure que les hommes de l'âge d'or sont la projection idéale des
basi/eis. C'est en raison de cette "fonction de souveraineté" idéale, conçue
à partir de la souveraienté réelle, qu'Hésiode peut les invoquer contre les
basi/eis réels qui auraient tendance à oublier la justice et à rendre des sen-
tences torses : "Trente milliers d'Immortels, sur la glèbe nourricière, sont
de par Zeus, les surveillants des mortels; et ils surveillent leurs sentences,
leurs œuvres méchantes, vêtus de brume, visitant toute la terre. "C'est à ce
processus queB. Brecht faisait allusion dans Meti : "Ka-meh démontrait
que ce n'est pas la justice qui a donné naissance au droit, mais que tout
ce qui existait en quelque temps que ce füt, en fait de règles juridiques, de
tribunaux, d'interdictions, etc. a fait naître des notions vagues et générales,
comme s'il existait un être divin qui ait inventé un quelque chose qui serait
la justice, ou s'il y avait en l'homme un sentiment du juste qui lui serait
naturel. Le droit doit tenir compte de besoins nombreux et contradictoires
de la sbciété, aussi est-il plein de contradictions et donne-t·il souvent des
résultats imparfaits. Cependant la justice, dont le droit prétend être l'incar-
nation, tandis qu'elle n'est que sa spiritualisation, efface toutes les contra-
dictions et le peut parce qu'elle n'est jamais obligée de se manifester à l'oc-
casion s'événements humains. Aussi paraît-elle plus parfaite que le droit.
(En Ka-meh on aura reconnu K. Marx) (20)."
Or, les basi/eis étaient beaucoup plus riches que les petits paysans
comme Hésiode, et ils étaient les seuls à pouvoir posséder de l'or. Ainsi,
les basi/eis étant les seuls à pouvoir posséder la marchandise la plus pré-
cieuse - l'or -, le fait de recevoir les fruits de la terre sans avoir à travail-
ler apparaît comme consubstantiel à la possession de l'or. Telle est la rai-
son pour laquelle la première race d'hommes, celle qui menait sur terre
une existence paradisiaque conçue à l'image de la vie des nobles contem-
L or chez Pindare 99
porains d'Hésiode, est une race d'or. Ici, le lien entre l'or et l'absence de
travail est donc médiatisé par la "souveraineté" : il n'est que second chez
Hésiode, alors qu'il est direct chez Pindare, dans -Hfmesure où, ail VO siècle,
l'or a effectivement un rôle monétaire. D'Hésiode à Pindare, trois siècles
se sont écoulés# développement des rapports d'échange et l'usage de la
monnaie pennettent de comprendre la différence existant quant à la place
de l'or dans leur discours. A l'époque d'Hésiode, l'or est encore une marchan-
dise panni d'autres, même s'il est déjà la marchandise la plus précieuse. Il
n'a pas encore de rôle monétaire, ou tout au plus celui-ci n'est encore qu'em-
bryonnaire. Hésiode range l'or panni les métaux (21). De même, l'or apparaît
dans l'fliade comme la richesse principale, mais panni d'autres richesses:
ainsi, Agamenon promet à Achille sept trépieds qui ne vont pas au feu, dix
talents d'or, vingt chaudrons qui vont sur les flammes, douze chevaux de
course vigoureux, et sept femmes de Lesbos (22). On pourrait multiplier les
exemples de ce type. Chez Pindare en revanche, l'or apparaît comme le Dieu
des marchandises, avec un caractère monétaire pleinement développé.
Aussi doit-on se garder de faire de Pindare un "attardé", reprenant
les valeurs ayant eu cours deux ou trois siècles auparavant. Chez Homère
ou Hésiode, la valeur "religieuse" prémonétaire de l'or s'explique par l'exclu-
sivité de son appropriation par les nobles (23). Il ne faut pas entendre par
là que l'or n'avait pas de valeur magique dans la conscience individuelle;
mais, si l'idéologie n'est pas le produit de la conscience individuelle, mais
la résultante de contradictions sociales, il convient d'expliciter le caractère
"religieux" de l'or dans sa fonction prémonétaire. En ce sens, on ne saurait
analyser la valeur "religieuse" de l'or à l'époque d'Homère ou d'Hésiode en
faisant abstraction des rapports sociaux et de la situation économique. De
fait, ce sont bien les structures économiques et sociales qui détenninent,
qui conditionnent la valeur symbolique ou le caractère "religieux" que l'or
peut revêtir. Ce sont elles, toujours, qui font que l'or est un bien séparé,
qui, comme tel, peut être considéré comme un attribut privilégié de la divi-
nité. Chez Pindare, l'or apparaît également avec une valeur religieuse, mais
l'origine de cette valeur n'est pas la même que chez Homère ou Hésiode:
entre le VIlla et le VO siècle, l'or a acquis dans le réel un rôle de monnaie
complètement développé, d'embryonnaire qu'il était à l'époque d'Hésiode.
Ce qui explique à la fois certaines analogies dans la fonction de l'or en tant
que signifiant chez Pindare et chez Hé~iode, mais aussi les différences, entre
autres le fait que l'or puisse être, en tant que monnaie et à lui seul, le signi-
fiant de la richesse. A l'époque de Pindare et d'Héraclite, l'or est, en tant
que monnaie, séparé des autres marchandises. En revanche, aux époques
antérieures, l'or est, en tant que bien de luxe, séparé du commun des mor-
tels, et ce n'est pas la même chose.
100 Mythe et contradiction
Chez Pindare, en effet, l'or apparaît avec une ïréquence tout à fait
exceptionnelle en tant qu'attribut divin, ou en liaison avec la divinité, trait
noté par tous les commentateurs (39). Ainsi, dans la VIIo 01., Apollon est
le dieu à la chevelure d'or (v. 32, ho chrusokomas). Zeus envoie une neige
ou une pluie d'or (v. 34 et 50). Lachèsis est la déesse au bandeau d'or (v. 64,
chrusampuka). On est donc en droit de s'interroger sur les raisons de cette
mention si fréquente de l'or. Spontanément, on serait tenté de distinguer
chez Pindare deux catégories, parmi les occurrences où l'or apparaît en liaison
avec la divinité : d'une part, celles où le poète fait explicitement allusion à
l'or en tant que monnaie, quintessence de la richesse;d'autre part, celles où
l'or semble être un qualificatif "banal" en quelque sorte. De fait, cette
distinction n'est pas sans fondement. Mais on ne saurait pourtant faire une
différence absolue entre ces deux types d'occurrences, ou, plus exactement,
on ne saurait analyser les secondes en faisant abstraction des caractéristiques
de l'or, telles qu'elles sont définies dans le premier type d'occurrences.
A différentes reprises, Pindare met l'accent sur le lien entre la puissan-
ce de l'or et la puissance divine. A cet égard, le cas de Zeus est particulière-
ment instructif. En effet, si l'or est un attribut qui convient à toutes les
divinités, il apparaît néanmoins qu'il est avant tout le bien de Zeus. C'est
lui qui envoie l'or aux Héliades dans la VIIo 01. S'il fallait une preuve sup-
plémentaire que c'est bien la richesse que Zeus envoie aux Héliades sous
la forme d'une pluie d'or, on pourrait la trouver dans l'Eloge que Pindare
envoie à Théron d'Agrigente:
"Je veux, aux enfants des Grecs... ils allèrent s'établir à Rhodes, de là, ils
partirent, pour habiter la haute ville, où ils offrent aux immortels des dons
innombrables, et où les a suivis une nuée de richesse éternelle" (trad. de
A. Puech). Il s'agit là incontestablement d'une allusion à l'abondance "ver-
sée" par Zeus dans l'Iljade, et transformée en pluie d'or par Pindare dans
la VIIo 01. (sur ce point, cf infra, chap. VI). Agrigente avait été fondée
par les Lindiens (40). C'est pourquoi Pindare précise que la "nuée de richesse
éternelle" les a suivis à Agrigente.
Il n'est donc pas étonnant de voir un fragement pindarique qualifier
l'or de la façon suivante:
... ~LO~ lI'ai~ à xpv116~·
KEivov av 11r,~ OUtiE Klç liall'TEL.
lial.LVaTaL lie I3pOTÉav i/>pÉvav Kapn·
l1TOV Kuavwv (41)
"L'or est un fIls de Zeus;ni termite ni vers ne le ronge, et il dompte l'es-
prit des hommes : c'est de tous leurs biens le plus puissant" (42). Le carac-
tère miraculeux de l'or qui "dompte l'esprit des hommes' tient bien sür
au fait qu'il est le dieu des marchandises, auquel aucun bien ne peut d'aucune
façon se comparer, de même que Zeus est le dieu auquel personne, ni hom-
me ni divinité, ne peut résister. Ce rôle, l'or le doit à ses caractéristiques
propres (43). Même sous un faible volume, il représente une grande quanti-
té de valeur d'échange, c'est-à-dire de temps de travail (44). C'est une des
104 Mythe et contradiction
raisons qui expliquent qu'il ait un aspect "miraculeux", mais aussi un aspect
inquiétant, incompréhensible. De plus, à la différence d'une marchandise
quelconque, la valeur d'échange de l'or ne s'épuise pas dans son usage -- c'est-
à-dire son utilisation en tant que moyen de circulation -, alors que la valeur
d'échange d'un vêtement ou d'un produit alimentaire disparaît dans l'usage
qui en est fait. Telle est aussi l'une des raisons pour lesquelles l'or est la mar-
chandise idéale pour servir de monnaie. En effet, l'or a l'avantage sur les
autres marchandises à la fois d'être indestructible et de qualité uniforme
(ces deux aspects étant liés) : en tant que mesure des valeurs et instrument
d'échange, les bœufs, les peaux ou les céréales ne peuvent lui être comparées,
car l'or est toujours identique à lui-même, à la fois divisible à l'infini et re·
composable à volonté, à la différence des bœufs de l'I1Ülde par exemple
- ce qui ajoute encore à son aspect miraculeux -. Seul, enfin, il peut être
accumulé sans aucun risque de détérioration, puisque "ni termite ni vers
ne le ronge", comme l'indique Pindare.
L'or, c'est donc en particulier l'éternité de la richesse, la richesse
non soumise aux vicissitudes du temps : telle est l'une des caractéristiques
fondamentales de sa puissance, de même que la puissance divine, et avant
tout celle de Zeus, consiste d'abord dans la maîtrise du temps, passé, pré-
sent, et avenir. C'est la raison pour laquelle l'or est par excellence attribut
divin, [t également un élément essentiel d~ paradis des Bienheureux. Dans
la 110 Ul., les Bienheureux, les makarés, sont aussi les esloi auxquels la riches-
se procurait déjà "mainte et mainte jouissance" dans leur vie terrestre,
puisqu'ils n'avaient pas à travailler : il est donc normal de voir l'or symbo-
liser ce paradis réservé aux riches, puisqu'il est déjà le symbole de leur vie
terrestre (45). Si l'or est le symbole du paradis des nobles, c'es.t qu'il éternise
leur vie terrestre, puisqu'il est le représentant de la richesse abstraite et de
l'éternité de la richesse. Ainsi, les caractéristiques propres à l'or, celles qui
lui ont donné son rôle de monnaie, sont utilisées en tant que signifiants
de valeurs religieuses. Lorsque, comme on vient de le voir, l'or apparaît
en tant que symbole d'une éternité paradisiaque, c'est non seulement à
sa caractéristique propre de métal que renvoie sa mention, mais aussi à
cette même caractéristique en tant que signifiant de l'éternité de la richesse,
puisque le paradis est en fait réservé aux riches.
En fait, isolément, aucune caractéristique de l'or, même son éclat,
ne suffit à expliquer sa valeur monétaire, et donc la valeur "magique" qu'il
peut prendre dans l'imaginaire. Il en est ainsi en particulier des qualités
esthétiques de l'or, auxquelles Pindare fait si souvent référence. Sa malléa-
bilité, sa ductilité, son inaltérabilité font de l'or le matériau idéal de lajoail-
lerie. Ses qualités esthétiques expliquent qu'il soit "le matériau naturel du
luxe, de la parure, de la somptuosité, des besoins des jours de fête, bref,
la forme positive du superflu et de la richesse" (46). L'éclat de l'or est très
particulier, puisque, à la différence de l'argent par exemple, il ne réfléchit
pas les couleurs, sauf le rouge. Son éclat annule les couleurs, il est "une
sorte de lumière dans sa pureté native" (47). L'éclat de l'or, ses qualités
esthétiques propres, sont donc contradictoirement consubstantielles à ses
qualités monétaires, puisque la forme de l'objet de luxe est la forme idéale
de la thésaurisation, l'or retrouvant ainsi ses qualités de marchandise parti-
culière.
C'est à cette propriété que renvoie la scène du début de la Vllo 01.,
avec le don de la coupe d'or : phÜllan... panchruson, koruphan ktéanôn
L or chez Pindare L05
frgt. 97, Zeus s'identifie à l'or, d'après le frgt. 13, il est également celui
dont l'habileté est inégalable. En Zeus s'unissent donc l'or et la maîtrise des
tec1mai, ce qui corrobore la VIIO 01., puisque le maître de l'Olympe fait
pleuvoir de l'or ("ms de Zeus", d'après le frgt. 13), pendant qu'Athéna,
sa fille, attribue aux Héliades la maîtrise des technai. Dans la VO Py.• le
premier vers mentionne cette fois : Ho ploutos eurusthénès, "La richesse
est toute puissante." li s'agit donc de la puissance sociale conférée par la
richesse, et non précisément de la "puissance de l'or" par rapport aux mar-
chandises. Cependant, l'or incarne la richesse sous sa forme abstraite, et,
de fait, la "puissance de l'or" est liée à celle de la richesse - sans que pour
autant elle se confonde avec elle -. C'est la raison pour laquelle, alors qu'il
traite des métaux précieux, Athénée évoque tout naturellement la formule
de Pindare.
Dans la VO lsthm., Théia, mère du Soleil, personnifie un des aspects
qui fondent la valeur monétaire de l'or. De même, ensuite, le texte précise
que c'est grâce à elle que les hommes peuvent admirer "les vaisseaux qui
rivalisent sur la mer" et "les chevaux attelés aux chars" (v. 5) (51). Ce n'est
pa:> elle qui est responsable de leur existence, elle n'est pas une divinité
créatrice du monde. Néanmoins, elle a un rôle important: c'est grâce à elle
qu.e les hommes peuvent jouir du magnifique spectacle que constitue une
ba.taille navale ou une course de chars (52). Comme dans la 10 01., l'or est
mis en rapport avec les jeux. Ici, la "victoire" de l'or sur les autres biens
annonce celle des athlètes dans les concours (v. 9). Théia participe à l'une
et à l'autre, soit en contribuant à donner à l'or son rôle de monnaie, soit
en permettant d'admirer le triomphe des vainqueurs (53).
Ainsi, à différentes reprises, et sous différents aspects, Pindare met
en parallèle la toute puissance de l'or et la toute puissance de la divinité,
ou montre comment la divinité contribue à lui donner cette caractéristique.
Dans bien d'autres cas, cependant, l'or paraît avoir une valeur à la fois plus
banale et plus abstraite, et il semble que ce soit seulement "l'éclat mystique
de l'or" qui intéresse Pindare. Certes, lorsque, comme par exemple dans
leVlo Péan, 92-93, on voit Zeus, maître des destins, siéger sur l'Olympe,
"!tur des cimes que couronnent des nuages d'or", il n'y a apparemment
aucun lien entre l'or des nuages et le rôle de l'or dans la réalité en tant que
monnaie. Cependant, s'il ne s'agissait que de couleur et de lumière, le poème
pourrait indiquer simplement que l'Olympe était entouré de nuages jaunes,
ce qui, à la limite, ferait le même effet. S'il n'est pas ainsi, c'est bien que la
mention de l'or donne une toute autre portée à la couleur jaune, à l'éclat
lumineux. Pour s'en tenir à la VIIO 01., on voit au v. 32 Apollon désigné
comme ho chrusokomas, le dieu "à la chevelure d'or." On trouve déjà cette
épithète chez Hésiode dans la Théogonie, 947, appliquée à Dionysos. Au
v. 64, Lachésis est la déesse au "bandeau d'or", attribut qui était déjà celui
des Muses dans la Théogonie, 916. 1l s'agit donc d'épithètes quasi rituelles
dans le vocabulaire religieux en Grèce ancienne. Cependant, leur emploi
dans le contexte de la VIIO 01. ne semble pas relever de la simple routine.
Appeler Apollon le dieu "à la chevelure d'or" est une façon de mettre en
valeur sa beauté. Mais le ms de Léto apparaît ici en tant que divinité oracu-
laire : du fait que l'or s'identifie à la maîtrise du temps, comme on l'a vu
à propos de Zeus, cet attribut est donc particulièrement à sa place. n en
est de même de Lachésis "au bandeau d'or" : à l'effet esthétique suggéré
par cette image s'ajoute la valeur de gage de maîtrise du temps, particuliè.
108 Mythe et contradiction
rement indiCluée dans le cas d'une déesse qui se porte garante des sennents
(cf 10 chap.). Bien évidemment, le poète ne songeait nullement à la "mon-
naie" lorsqu'il faisait de l'or l'attribut d'Apollon ou de Lachésis. De l'or,
le poète sélectionne un ou plusieurs aspects qui font image dans un cadre
particulier, mais cette image s'appuie toujours sur une logique symbolique
a priori dans laquelle, par l'ensemble de ses caractéristiques, l'or équivaut
à la toute puissance sociale et à la maîtrise du temps, passé et avenir, ce
. qu'on peut vérifier tout aussi bien dans le VIo Péan, où c'est en tant que
"maître des destins" que Zeus apparaît trônant sur les cimes de l'Olympe
couronnées de nuages d'or.
L or chez Pindare 109
Notes du chapitre V:
1: Voir les manuscrits de Marx dans l'édition générale de la Contribution. p. 179.
Marx suit-il une tradition déjà existante? Nous n'avons pu l'établir.
2: Fondements, p. 161-62.
3: Trad. J. Bollack et H. Wismann, op. cit.; voir le commentaire des auteurs, Ibid.•
p. 264-67.
4 : Cf. CI. Rammoux, Héraclite 011 l'homme entre les choses et les mots, 10 éd.•
Paris, 1959, app., p. 404-405 (voir aussi J.-P. Vernant, MP. Il, p. 120, n. 4).
L'auteur restreint l'analyse d'Héraclite à un modèle de la "thésaurisation".
inspiré des pratiques du sanctuaire artémisiaque d'Ephèse. Il s'agirait donc d'une
réflexion sur l'entrée et sur la sortie d'or d'un trésor. Or, aucun Indice, dans le
fragment en question ou dans les autres fragments d'Héraclite, ne permet de
restreindre ainsi cette formule à un modèle de "thésaurisation", conc;ue comme
relevant d'un stade prémonétaire de l'accumulation. L'auteur écrit en effet :
"La notion de valeur or de toutes les autres choses est solidaire d'une économie
plus avancée. De même, la notion d'une valeur feu de toutes les autres choses
dans le cosmos" (ibid., p. 405). Pourtant, le frgt. d'Héraclite est sans ambiguïté
à cet égard, puisqu'il précise bien qu'au prix du feu tOlite chose est échangée,
et le feu au prix de toutes les marchandises ensemble.
8: Cf. J. Bollack, RPh. 37, 1963, p. 234-254, "L'or des rois ".La traduction présen-
tée ici est celle de J. Bollack, partiellement modifiée toutefois. Sur le sens du
v. 60, bathéian hupéchôn mérimnan agrotéran, la critique faite par J Defradas,
REG, 84, 1971, p. 131-143, "Sur l'interprétation de la deuxl~me Olympique de
Pindare", paralt justifiée (voir en particulier I~argumentation développée sur
le sens de agrotéran);c'est donc la traduction de A. Puech qui doit être conservée:
"Elle nous permet de mettre au guet notre esprit aux desseins profonds", et
non: "Elle tient sous elle, subjugué, le souci grossier." Il va de soi cependant
que cette modüication ne remet pas en cause le reste de l'argumentation de
J. Bollack.
9: Le passage oppose: clairement dans la vie terrestre les es/ol (v. 69) d'une part,
c'est·à-dire les puissants, les nobles et les autres, ceux qui "endurent une épreu-
ve (ponos) sans avenir" (v. 74), c'est-à-dire les travailleurs (ponos désigne à la
fois la souffrance et le travail). Evidemment, cette opposition rec;oit une justi-
fication idéologique, comme l'a montré J. Bollack.
10: Sur ces regrets, cf. Trall., 90-91 et 176-178, et plus généralement l'ensemble du
mythe des races, v. 109-201.
110 Mythe et contradiction
14. Cf Théog., 565-612 et Trav., 49-105;voir J.-P: Vernant, MS, "Entre bêtes et
dieux. Des jardins d'Adonis à la mythologie des aromates", p. 141-176, et p. 177-
194, "Le mythe prométhéen chez Hésiode ".
15: Il s'agit bien entendu de relations entre des signifiants. On remarque au passage
que la conjonction avec le feu est chez Hésiode synonyme de travail de la terre,
de fécondité, etc.;chez Pindare, l'absence de feu équivaut à avoir une maîtrise
supérieure des technai;chez Eschyle, la conjonction avec le feu est synonyme
de maîtrise des technai (cf Prométhée enchaÎné;voir chapitres Il et III). Cela
montre bien que la conjonction avec le feu n'est pas en soi signifiante.
16: Cf Théo~., 599 et J.-P. Vernant, op. cit., "Le mythe prométhéen chez Hésiode",
p.188.
17: On trouve ici un bel exemple de ce qu'est la lutte de classes comme systçme de
représentations. Pour cette définition, cf L. Althusser, Pour Marx. Paris, 1965,
p.238.
19: Ibid., 121-126;cfJ.-P. Vernant, Mp, l, P 13-41, "Le mythe hésiodique des
races - Essai d'analyse structurale", en particulier p. 21-24. L'auteur montre
que la race d'argent est comme la contrepartie négative de la race d'or.
20: Trav., 253-255, à la suite de J .-P. Vernant, art cit., p. 23 :" ...Comment ne
pas reconnaître dans ces myriades d'Immortels qui sont, nous dit le poète au
vers 252, épi chthoni... phulakés thnètôn anthrôpôn, les daimonés de la race d'or
définis au vers 122 : épichthonioi, phulakés thnètôn anthrôpôn. ' Sur le processus
idéologique, voir B. Brecht, Meti- Livre des retournements, trad. fr., Paris, 1968,
p. 67, "Sur la justice."
24: Cf F. Daumas, RHR, 149, 1956, p. 1-18, "La valeur de l'or dans la pensée égyp-
tienne", p. 6. L'autèur ouvre son 'article en citant précisément les vers introduc-
tifs de la 10 01., et conclut en souhaitant savoir si,.en.Grèee, des penseurs comme
Platon n'ont pas utilisé les spéculations égyptiennes (ibid., p. 17). Pour ce qui
L'or chez Pindare 111
25: Cf. Ahmed Sadek Saad, Cahiers du CERM (Paris), 122, 1975, "L'Egypte pharao-
nique", p. 3-7.
26: Cf. A. Erman et H. Ranke, La civilisation égyptienne, trad. fr., Paris, 1963,
p. 662-{)3. Sur le problème théorique, cf. supra, chap. IV, et n. 14 (analyse de
la première fonction de la monnaie).
28: Cf. CAH, ibid., p. 390;A. Erman et H. Ranke, op. cit., p.162 et 664-65.
29. Cf. déjà le paiment d'impôts en or et en argent signalés dans la tombe du vizir
Rekhmire, sous la X1l10 dynastie (18 0 s. av. L-C.) cf CAH, ibid., p. 390. Les
métaux précieux, servant d'unité de compte, pouvaient donc aussi servir d'ins-
trument d'échange, au poids correspondant à la valeur en monnaie de compte.
Leur valeur n'était donc pas "purement conventionnelle", ce qui se comprend
aisément puisqu'eux-mêmes pouvaient faire l'objet d'un achat, au moyen de
grain par exemple (CAH, loc. cit.). Cet exemple permet donc de remettre en
cause le point de vue de M. 1. Finley, Le Monde d'Ulysse, trad. fr., Paris, 1969,
p. 65, à propos de la monnaie de compte mentionnée dans l'Odyssée (les bœufs
en l'occurrence, cf Gd., l, 430-1), selon lequel "une unité de mesure convention·
nelle n'est rien de plus qu'un langage artificiel, un symbole comme sont, en
algèbre, x, y, z;en elle-même cette mesure ne peut déterminer à combien de fer
ou de vin équivaut une vache."
32: Cf. A. Erman et H. Ranke, op. cit., p. 695-96. La correspondance entre le roi
de Chypre et Aménophis IV témoigne de "présents" consistant en cuivre brut
envoyé par le roi d'Alaschia à pharaon, qui en retour lui expédie des objets de
luxe produits par l'artisanat égyptien, et "de l'argent des dieux." Sur le mono-
pole royal sur le commerce extérieur, cf. G. Lafforgue, La Haute Antiquité,
Paris, 1969, p. 108-110.
36; Cf. M. Gérard-Rousseau, Les mentions religieuses dans les tablettes mycéniennes,
Rome, 1968, p. 21 et 109, n. 16, et P. Lévêque, Les syncrétismes dans les reli-
gions de l'Antiquité, Colloque de Besançon (oct. 1973) Leyde, 1975, "Le syncré-
tisme créto-mycénien", p. 27. Il est probable que la prêtresse avait la responsa-
bilité de ce trésor. Il est plus douteux que Poseïdon, le grand dieu de Pylos,
ait joué le rôle de protecteur des biens de l'Etat, de gardien du trésor, à l'instar
des divinités du monde proche-oriental, comme le voudrait M. Gérard·Rousseau,
ibid., p. 183;cf. contra P. Lévêque,art. cit., p. 27, n 29, et p. 36·37.
37: Cf. par exemple les navires chargés de blé qui venaient de mer Noire et franchis-
saient l'Hellespont à destination d'Egine (place commerciale importante) et
112 Mythe et contradiction
du Péloponnèse, voir Hérodote, YII, 147. Le fait peut être rapporté avec précision
à l'année 480.
38; Cf chap. précédent, n. 24, par exemple.
39: Par comparaison, la mention de l'argent en tant qu'attribut divin est relativement
rare: IXo 01.,32 (arc d'argent de Phoibos, cf. déjà Il., l, 37, argurotoxos);IX Py., 9
(Aphrodite aux pieds d'argent);II O Isthm., 8 (masque d'argent de Terpsichore;en
fait allusion à la nouvelle situation des poètes, qui vendent leurs œuvres);Ylo 01., 40
(mention de l'urne d'argent d'Evadné enceinte après son union avec Apollon).
Bien entendu, le problème n'est pas de faire le rapport du nombre total des men-
tions de l'or (très grand) et de celui des mentions de l'argent! Il est plus révélateur
de relever seulement que c'est l'or qui, chez Pindare, est l'attribut divin par excel-
lence. Les autres mentions de l'argent, peu nombreuses, le montrent comme la
matière dont sont faites des coupes gagnées en prix dans des concours gymniques
(IXO 01., 90~XoNém., 51;X0Ném., 43). Le frgt 46 Puech signale les cornes à
boire en argent des Phères.
41: Frgt. d'origine incertaine 97 Puech, d'après schol IYO Py., 407, et Plutarque,
dans Proclus, Ad Hesiod. Opp., 430;"origine incertaine" indique que le frag-
ment, dont il ne fait pas de doute qu'il est extrait d'une œuvre de Pindare, ne
peut être ramené à l'un (de nous connu) des types d'œuvres dues au poète, épi-
nicie, péan, thrène, etc.;la traduction de ce fragment est 'celle de A. Puech, légè-
rement modifiée. Cf également flUpra, chapt IY et n. 25, Hipponax, frgt. 38
Masson: il revient à Zeus, "roi des dieux", de donner de l'or, "roi de l'argent."
42; Cf 01., XlII, 77-78. C'est Athéna qui donne "l'or qui dompte la force sauvage"
(damQsiphroruz chruson, de damQz6, cf frgt. 97, damruztai, de damnèmi), mais
il est bien précisé qu'elle est la fille de Zeus. Yoir flUpra, chap. Ill, dernier par.
45: Cf J. BoUack, art. cit., p. 245-46 : l'au teur souligne que l'existence dans le paradis
des Bienheureux (cf IIO 01., 77-78) est une "forme parfaite et transposée de la
félicité que les nobles obtiennent sur terre, un pays où tout est don, justice,
ordre et agrément. Inversement, la grâce des rois préfigure cette félicité loin-
taine."
47: Ibid.,p.116.
48: La fouille des trésors scythes a permis de mettre au jour des phiales d'or particu-
lièrement belles;cf par exemple les représentations de phiales d'or de travail
grec du début du IYo siècle dans M. Artamonov, Les trésors d'art des Scythes,
Paris, 1968, pl. 157-59 ou pl. 207-210, ou dans Or des Scythes, Editions des
Musées Nationaux, Paris, 1975, pl. 65 et 94.
51. Pour une invocation analogue à celle de la VO Isthm., cf le lXO Péan, dédié aux
Thébains: "Lumière rayonnante du soleil, toi qui vois tant de choses, qu'as-tu
fait, mère des regards, le plus sublime des astres..." (v. 1-2, trad A. Puech). Sur
les.,liens entre la lumière solaire et le regard, voir également supra, chap. l, 20
dans un temple situé près d'une mine d'or, nous paraît davantage menacer direc-
tement ceux qui pourraient, sous une forme ou sous une autre, détourner ou voler
l'or produit - propriété du pharaon-dieu • qu'avoir une portée plus générale
d'interdiction d'un usage profane de l'or. Les menaces de sanction divine en cas de
vol ne sont pas surprenantes. Il s'agit là d'une manifestation de l'ordre établi (i. e.
l'appropriation de l'or par le roi et les sanctuaires) sous sa forme de pratique
idéologique, de même que, dans le mythe d'Hélios, le refus du dieu d'un nouveau
partage des terres ou, dans les textes de lois, les imprécations contre ceux qui
menaceraient l'ordre, cela dans la situation de la Grèce (cf supra, chap. 1). Quant
à l'absence de véritable monnaie, il s'agit, nous semble+il, d'un tout autre problè-
me. Ainsi, à défaut de le pouvoir avec l'or et l'argent, pourquoi les Egyptiens
n'auraient-ils pas fait une utilisation monétaire d'autres métaux, comme le bronze,
dont la valeur relative était élevée, sans être "excessive", si l'on admet que le
rapport de l'argent et de l'or au bronze était respectivement de 1 à 5 et de 1 à 10
à la,fm de la XVlIIo dynastie ? Le manque de métaux sur le sol égyptien ne
saurait être un élément de réponse suffisant. L'absence d'une véritable économie
d'échange nous paraît être un facteur autrement décisif, la monnaie, quelles que
soient ses origines, ne pouvant se développer que là où préexiste un réseau dense
d'échanges réguliets et diversifiés. Quant à l'absence d'une véritable économie
d'échange, elle est inhérente au fonctionnement même du mode de production de
l'Egypte antique, comme nous l'avons rappelé plus haut, et ce n'est pas le lieu
d'exposer ce problème en détail. Quoi qu'il en soit, il nous semble difficile de
ramener directement l'absence d'une véritable monnaie à une origine "métaphy-
sique", c'est-à-dire à un "blocage idéologique".
CHAPITRE VI
LA CONTRADICTION FONDAMENTALE
relations d'échange avaient pris une grande extension dans le monde grec.
Au VO siècle, artisans et commerçants forment des groupes sociaux nom-
breux, au moins dans certaines cités. Leur activité a ses exigences propres,
différentes de celles des agriculteurs. La production artisanale est devenue
importante, et elle est destinée non plus à une consommation immédiate,
dans le cadre de l'oikos, mais à la vente. Elle répond moins à des exigences
esthétiques qu'à des nécessités commerciales. Socialement, la technè n'est
plus le complément de l'activité de l'agriculteur ou du guerrier; elle est désor-
mais davantage liée aux rapports marchands (1). Aussi la contradiction entre
l'échange et l'appropriation de la terre joue-t-elle à plein.
Sur le plan des représentations, les rapports sociaux fondés sur l'échange
et ceux qui sont fondés sur l'appropriation de la terre correspondent néces-
sairement à des formations idéologiques différentes. Marx donne de précieu-
ses indications à ce sujet. En ce qui concerne les rapports sociaux fondés
sur l'appropriation et l'exploitation de la terre, il signale: "Avant d'être
transposée en valeur d'échange, chaque forme de la richesse naturelle impli-
que un rapport essentiel entre l'individu et l'objet : l'individu s'objective
dans la chose, et la possession de celle-ci représente à son tour un certain
développement de son individualité (s'il est riche en moutons, l'individu
devient pasteur; s'il est riche en céréales, il devient agriculteur, etc.)" (2).
C'est cet aspect qui est apparu au chapitre I.
Pour les rapports sociaux fondés sur l'échange, Marx souligne en revan-
che que, "étant un objet tangible et différencié, l'argent peut être cherché,
volé et découvert par hasard; la richesse générale peut tomber de la sorte
entre les mains de tel ou tel individu". Il précise en outre: "L'argent ...
devient sujet de la richesse générale à l'issue de la circulation : en tant que
résultat social, il représente uniquement ce qui est général, il n'implique
donc absolument aucun rapport individuel avec son propriétaire; sa pos-
session ne développe aucune qualité essentielle de son individualité; en
effet, ce rapport social existe en tant qu'objet tangible et extérieur que l'on
peut acquérir machinalement, et perdre de même. Son rapport n'est pas lié
à la personne mais à une chose inerte, et celle-ci investit l'individu de la
domination générale sur la société et le monde des jouissances, des travaux,
etc. C'est comme si la découverte d'une pierre me procurait, indépendam-
ment de ma personne, la maftrise de toutes les sciences. La possession de
l'argent me met en relation avec la richesse (sociale), comme la pierre philo-
sophale avec toute les connaissances" (3).
LA VIERGE OU L'EPOUSE
Les analyses du chapitre III ont montré que, si la fécondité était privi-
]]8 Mythe et contradiction
légiée dans le mythe d'Hélios, tel était aussi le cas dans le mythe des Hélia-
des, mais sous une fonne négative, pourrait-on dire. Ainsi s'explique la symé-
trie entre Rhodes et Athéna.
En premier lieu, on peut remarquer que Rhodes et Athéna symbo-
lisent ici deux fonnes d'allocation de la richesse, mais deux fonnes qui
s'opposent l'une à l'autre. En effet, si Rhodes a une mère, Aphrodite, son
père n'est pas mentionné, tandis que, si Athéna a un père, Zeus, elle n'a pas
de mère. Or, on a vu au chapitre 1 que c'est l'épouse, en tant que mère, qui
est le moyen de transmission du k/èros : Rhodes, en tant qu'épouse et mère
d'enfants légitimes, transmet effectivement un k/èros à sa descendance.
Athéna, en revanche, ne transmet pas une terre, mais attribue la sophia
dans le domaine de la technè. Ce don est radicalement différent de la trans-
mission d'un k/èros. En effet, les Héliades ne sont pas ses enfants, et, en ce
sens, on peut dire que pour eux l'acquisition de la maîtrise des technai
est purement fortuite. L'attribution de la technè étant l'antithèse de la trans-
mission du k/èros, il est logique qu'Athéna, elle-même née sans union sexuelle
n'ait pas de mère, puisque la mère s'identifie à un k/èros, et il est logique
également qu'elle soit la Vierge par excellence, celle qui refuse le mariage
et l'union sexuelle, puisqu'elle a non un k/èros à transmettre, mais les technai
à attribuer de manière purement fortuite (ce qui ne veut pas dire que cette
attribution soit sans raison, bien au contraire; sur ce point, cf chap. II et
infra, "Dette et propriété foncière").
En second lieu, il n'est pas étonnant de constater à la lumière de ce
qui vient d'être dit que Rhodes et Athéna correspondent à deux types de
richesse : la richesse "immobile" et la richesse "circulante". Rhodes, en
tant qu'épouse, n'est pas un "bien en circulation", de même que la terre
n'est pas un bien susceptible d'être échangé- du moins en théorie· -. Le
k/èros passant du père au fils par l'intennédiaire de l'épouse ne circule pas :
le fils prend la place du père, le bien reste dans la famille. La femme mariée,
comme le k/èros, appartient définitivement à son époux. Cependant, l'échan-
ge des 'femmes, en tant que tel, est la condition même de la survie de la
communauté (7). Si la femme mariée n'est pas (n'est plus) un bien d'échange,
la vierge, elle, est un instrument de communication entre familles. Ainsi
s'explique la nature du cadeau reçu par les Héliades. L'or est par excellence
le représentant de la richesse meuble, circulante, de la richesse sous sa fonne
abstraite, dont on a vu le lien avec la technè : le don de l'or accompagne
donc logiquement la naissance d'Athéna, prototype de la Vierge. Certes,
si l'or représente la richesse circulante, il est vrai qu'il ne circule pas ordinai·
rement : l'or est le bien le plus précieux, on l'enfouit dans des coffres. Mais
de même, si la jeune fille vit protégée dans la demeure de son père, elle n'en
est pas moins un instrument d'échange potentiel: à la différence de l'or tou-
tefois, qui reste valeur d'échange une fois échangé, la jeune fille devenue
épouse change radicalement de statut, elle n'est plus valeur d'échange.
C'est à ce type de logique que renvoie le don de la coupe d'or au jeune
fiancé dans la scène de banquet sur laquelle s'ouvre l'ode. Outre que la ma-
tière dont elle est faite relève de la catégorie de l'échange en général, la
coupe d'or elle·même entre dans la série des aga/mata, vases de luxe, bijoux,
trépieds, etc. qui, dans la tradition des basileis d'Homère, fait l'objet d'une
circulation dans une série de dons et d'échanges. Au VO siècle, ce type
d'échange correspond à l'idéologie des nobles qui prennent pour modèle
La comradiction fondamentale 119
les comportements des héros mythiques, tels qu'ils apparaissent dans l'Iliade
et l'Odyssée. Certes, si une coupe d'or est alors, plus que jamais pourrait-
on dire, un cadeau d'une valeur exceptionnelle, cette pratique de l'échan-
ge noble n'a plus la valeur économique et sociale qu'elle peut avoir dans le
cadre d'une société où le don contre-don n'est pas qu'une survivance (8).
Mais, sur le plan du signifiant, on doit retenir que la coupe d'or est le type
même de ces objets qui font l'objet d'un échange et qui, en particulier,
circulent lors des mariages, à titre de dot (9).
On aperçoit ainsi la différence entre société réelle et mythe. Dans la
réalité, une jeune mIe devient épouse par le mariage. Mais ce qui est rela-
tion dialectique dans la réalité devient dichotomie, opposition dans le my-
the (l0).
Athéna, déesse tutélaire des jeunes filles, destinées au mariage, incarne
la Vierge. Elle ne se marie pas, elle ne circule pas, précisément dans la mesure
où elle symbolise le bien susceptible de circuler: déesse des futures épouses,
elle ne peut elle-même se marier, sans quoi elle n'incarnerait plus l'idéal
de la jeune mIe, instrument d'échange dont précisément la valeur s'épuise
dans le procès de circulation. C'est pourquoi, en fait, le don de l'or accom-
pagne parfaitement la naissance de la Vierge Athéna, puisque, comme elle,
il est l'éternité de la valeur d'échange (11).
Le cas de Rhodes est l'inverse de celui d'Athéna. Si cette dernière est la
Vierge éternelle, Rhodes, en revanche, est "épousée" dès avant sa naissance.
A aucun moment elle n'est instrument d'échange entre deux familles, comme
on l'a montré au chapitre J, en insistant sur la valeur revêtue par l'absence
du père de la déesse dans le mythe d'Hélios.
EAU ET OR
En premier lieu, on doit noter que l'eau n'est pas considérée comme
une: richesse. Il est seulement dit qu'elle "tient le premier rang" (01., l, 1 :
Ariston mén hud6r... ), ou qu'elle est l'élément noble (01., III, 42 :Eid'aris-
teuei mén hud6r... ). Il n'y a pas non plus d'antagonisme entre l'eau et l'or.
Dans la 10 et la 1110 01., on trouve une construction avec mén... dé, qui
oppose l'eau et l'or, mais sans que les deux termes s'excluent l'un l'autre (29).
En fait, le texte sépare l'eau et l'or, en tant que ce sont des réalités diffé-
rentes. L'or est expressément présenté comme effaçant les autres richesses,
c'est-à-dire dans son rôle de richesse meuble par excellence. Rien de tel n'est
dit sur l'eau, évidemment. Certes, il est vrai que l'eau est indispensable à la
vie, mais encore faut-il montrer la place qui lui est dévolue dans l'idéologie,
et en particulier chez Pindare.
La valeur fécondante de l'eau est un lieu commun en Grèce. La for-
mule d'Eschyle n'est que l'un des nombreux exemples que l'on pourrait
citer: OmbrOS...ékusé gaum (30), "la pluie féconda la terre". Chez Pindare,
c'est sous forme de rosée que l'eau apparaît le mieux dans son rôle fécondant,
ce qui n'est pas pour surprendre puisque c'est bien sous cette seule forme
que, pendant toute une partie de l'année, la terre reçoit de l'eau, dans un
pays comme la Grèce (31). Ainsi, dans la VIIIo Ném., 40, la rosée est pré-
sentée comme permettant la pousse d'un arbre: "Comme les fraîches rosées
font grandir un arbuste, la vertu croît ..." On sait qu'à Athènes, les Aglau-
rides, qui reçoivent d'Athéna l'enfant Erichthonios, né du vain désir d'Hé-
phaïstos, ont un nom qui "évoque la lumière (Aglauros) et la rosée (Hersé
et Pandrosos), c'est-à-dire les conditions indispensables à la vie humaine
et à la prospérité des champs" (32).
C'est précisément parce que la valeur fécondante de l'eau, en parti-
culier sous la forme de la rosée, est une notion aussi familière en Grèce
que le discours pindarique peut l'employer dans un sens métaphorique.
On en a vu un exemple avec la VIIIo Ném. Dans la VIIo 01., le don de coupe
"bouillonnant de rosée de vigne" (v. 2) accompagne une scène de mariage.
La rosée de la vigne désigne bien sür le vin, en tant que principe de vie (33).
L'emploi du terme drosos annonce aussi la comparaison de la seconde stro-
phe : la rosée est comparable au nektar kuton (v. 7), le fluide nectar que cons-
titue le poème de Pindare. De plus, l'ode est dédiée aux vainqueurs aux jeux,
ceux sur lesquels s'est posé le regard de Charis z6thalmios (v. II), la Grâce
qui fait vivre, qui fait croître les plantes (34). Or, on trouve dans la Vlo
Isthm. une métaphore qui associe directement la rosée et les Charites; les
hymnes en l'honneur des Psalychides ont répandu sur eux "la plus belle rosée
des Charites", v. 63-64. Les Charites, les Grâces, étaient en particulier les
divinités de la séduction amOureuse chez Hésiode (35). Elles étaient liées
au Désir, et à la déesse de l'Amour, Aphrodite, selon l'Hymne homérique
à Aphrodite (36). Le lien établi entre la rosée et les Charites confirme donc
le rôle fécondant de celle-là (37).
Il est maintenant possible de montrer que, dans la 10 et la IIIo 01.,
l'eau est une métonymie des rapports sociaux fondés sur la terre et sur la
femme mariée comme reproductrice de ces rapports sociaux.
L'eau est qualifiée d'ariston. Elle est "noble" par nature; le qualifica-
tif qui lui est attribué indique qu'il ne s'agit pas d'une suprématie fortuite:
c'est sa nature particulière qui fait de l'eau ce qu'il y a de meilleur, dans
l'absolu, de même que les grands propriétaires se qualifient eux-mêmes
124 Mythe et contradiction
"Les uns veulent de l'or, les autres des champs d'une étendue sans limite."
A. Puech traduit à juste titre pédion par "champs", car il ne s'agit pas de la
terre en général, mais de la terre cultivée, labourée, sens qu'on trouve par
exemple chez Hésiode, Trav., 388. Etre riche, c'est posséder des biens fon-
ciers, des terres, ou avoir de l'or, c'est-à·dire le représentant de la richesse
abstraite. Certes, dans la 10 et la IIIo 01., où il n'est pas question à propre-
ment parler de recherche de la richesse, Pindare met en parallèle non plus
l'or et la terre, mais l'or et l'eau. En fait, cependant, c'est à la même contra-
diction fondamentale entre les rapports sociaux fondés sur la terre et ceux
qui sont fondés sur l'artisanat et l'échange que font référence les deux 01.
et la VIIIo Ném., avec cette différence que, dans la 10 01., il s'agit non de
montrer deux formes d'acquisition de la richesse, mais d'introduire le thème
de la supériorité de l'or sur les autres richesses, sur lequel vont s'articuler
les vers suivants.
Pour ce faire, le texte met en parallèle l'eau, ce qu'il y a de meilleur
parmi les biens de la nature, et l'or, la richesse meuble par excellence. L'eau,
sous forme de pluie, est quant à elle le type de bien que l'homme ne peut
pas se procurer par lui-méme. Mieux encore que la terre elle-même, bien de
production naturel, certes, mais qui, s'il n'est pas produit, fait l'objet d'une
appropriation et est à la disposition de son propriétaire, l'eau n'entre pas
dans la série des biens susceptibles d'être échangés (39). La différence absolue
entre l'eau, irréductible à aucun autre élément, et l'or, qui nie tous les autres
biens dans la mesure où il peut s'égaler à tous, est précisément ce qui permet
de faire un parallèle entre eux : l'eau est ce qu'il y a de meilleur parmi les
biens naturels, et l'or est la quintessence de la richesse; chacun dans leur
domaine respectif, l'or et l'eau sont sans rival.
La contradiction fondamentale 125
LE PARADIS PINDARIQUE
"Des fleurs d'or flamboient, les unes à terre, sur des arbres resplendissants,
les autres que nourrissent les eaux; de ces branches, ils ornent leurs bras
et se tressent des couronnes ... " (trad. J. Bollack, cf supra, chap. IV, et
n.4041).
Les "chrysanthèmes" sont le symbole de cette vie si différente de la
vie terrestre. Les fleurs représentent la vie terrestre en ce qu'elle a d'éphé-
mère, l'or est un gage de permanence et d'incorruptibilité. Ils sont donc
tout à la fois symboles de vie et d'éternité. Or, de ces fleurs, les unes viennent
de la terre, les autres sont nourries par les eaux. Ainsi, l'eau, la terre et l'or
se trouvent combinés en une synthèse radicalement impossible dans le monde
des hommes. Le paradis des aristocrates est celui où les contraires opèrent
une véritable fusion, où l'unité des contraires, eau et or, métonymie de deux
types de rapports sociaux contradictoires, mais si heureusement complémen-
taires, dans la réalité, pour les aristocrates, devient interpénétration, identité
imaginaire. De même qu'en Zeus s'unissent puissance sexuelle et maîtrise
des technai, en une synthèse qui l'identifie comme la divinité suprême, le
La contradiction fondamentale 127
13: Il va de soi qu'un artisan, fréquemment, devait exercer le métier qui avait été
celui de son père, les "secrets" de· fabrication devant être jalousement conser-
vés au sein d'une même famille ou d'un même atelier (cf également la loi de
Solon, Plutarque, Vie de Solon, 22, prescrivant aux pères de familles d'appren-
dre une technè à leur fils, voir Ed. Will, Deuxième conférence, cit., p. 77). Il n'en
reste pas moins que le métier d'artisan suppose l'apprentissage d'une technique,
non la possession d'un bien hérité de son père.
14: L'article de CI. Bérard, Antike Kunst, 19, 1976,101-114, "Leliknon d'Athéna",
montre les rapports entre Athéna et la vannerie, et vient confirmer le lien entre
la déesse et les activités artisanales.
15: K. Marx, Fondements, l, p. 162 : "L'argent n'est donc pas seulement un objet du
désir d'enrichissement, c'est son objet même. C'est essentiellement l'arut meN
fames",et p. 163 : "Le goût de la possession peut exister sans l'argent; la soif
de s'enrichir est le produit d'un développement social déterminé, ene n'est pas
1IIlturelle, mais historique. D'où les récriminations des Anciens contre l'argent,
source de tout MaL"
17: Sophocle, Oeuvres, éd. trad. fr. A. Dain et P. Mazon, Les BeUes Lettres, CoU.
Univ. de France, 3 vol., Paris, 1955-60. La pièce serait datée de 441, et, à quel-
ques années près, serait donc contemporaine de la VIIo 01. Le fragment de So-
phocle est cité par Marx lui-même dans la version primitive de la Contribution
~ fIJ Critique de l'économie politique, cil., p. 202·203.
130 Mythe et contradiction
18: Trad. de P. Vidal-Naquet, op. cit., p. 358-59 ;èf: 'Xénophon, Ripublique des
Lacédérrwniens, 14; on peut déduire légitimement de Platon, Alcibiade, 122 e-
123 a, que l'enrichissement des Spartiates remonte au VO siècle (voir Ed. Will,
Le Monde grec et l'Orient, l, cil., p. 442); cf en outre République, VIIl, 548a-c.
19: Sur ce point, voir la législation sur les prêts selon la loi de Gortyne, IX, 43-54;
cf R. Dareste, B. Haussoulier, Th. Reinach, Recueil des inscriptions jUTidÏ/iues
grecques, 10 s., 10 fasc., Paris, 1891, p. 480 : "11 s'agit d'un contrat d'affaires '"
dont la nature, définie par le mot péra (ph'a, peira), est assez obscure, mais
semble bien résulter de l'ensemble du contexte : l'un des contractants
a fourni son travail, dirigé l'affaire; l'autre n'a fourni, "ajouté" (épithenti) que
de l'argent ou des marchandises : ce sera donc, par exemple, un changeur ou un
baiUeur de fonds. L'affaire terminée, ce dernier, - appelons-Ie : le comman-
ditaire - réclame son remboursement; le commandité refuse; de là procès."
Cf également les remarques de R. F. Willetts, The Law Code of Gortyn, cit.,
p.75.
21: Cf Il., Il, 668-70 : il est question ici non des enfants d'Hélios, mais bien de Tlé-
polème et de ses compagnons.
23: Le commentaire de O. Smith, Cl. Med., 28, 1967 (1970), p. 172-85, "An interpre-
tation of Plndar's Seventh Olympian Ode", ne tient pas compte des différences
entre Homère et Pindare: "Admitting that the poem aims at glving a more correct
version of the myth than the one found in Homer, we may be allowed to view
Pindar's account a~ an explanation of the shower of gold found in Homer, the
ploutos being a result of their techn~ given to them by Athena. Therefore the
poem couples Athena's birth with the shower of gold (a slightly veiled symbol
for wealth) (p. 179) ... This sequence must be regarded as meaning that Zeus
gavc wealth to the Rhodians through the techn~ formaUy given by Athena
(p. 180) ... The Rhodians obviously receive kléos because of their IiOphia. The
final gnome 1. 53 must therefore modify the causal relation techn~-kléos by
attributing IiOphia to the Rhodians, on the weU-known principle of superiorlty
of IiOphia in comparison with mere techn~ (p. 181)." Cette interprétation ap-
peUe quatre remarques. La première est que, contrairement à ce qu'affirme O.
Smith, il n'est pa~ question de pluie d'or chez Homère. En second lieu, ce ne sont
pas les Rhodiens, mais les Héliades qui, dans la VIlo DI., reçoivent la pluie d'or.
Troisièment, si les Héliades reçoivent à la fois l'or et la maîtrise des technai,
c'est d'abord parce que l'or et la technique n'entretiennent aucun lien essentiel
avec leur propriétaire (cf IiUpra le par. "L'or et la pierre philosophale"). Enfin, on
ne saurait affmner que, dans le mythe, la richesse est censée provenir de l'acti-
vité artisanale, même si, pour analyser le discours, on doit faire référence aux liens
existant dans la réalité entre l'argent et l'activité artisanale; sur la thèse de O.
Smith, voir également la remarque de WJ. Verdenius, Commentary, p. 21, lequel
semble cependant lui aussi, admettre qu'il s'agit ici des Rhodiens, et non des
Héliades. Quant à l'argument selon lequel il y auralt une opposition entre techn~
et IiOphia dans la:VIIo Dl., li tombe de lui-même si l'on se réfère à l'explication
qui a été donnée supra chap. Il du v. 53.
25: Voir l'analyse que fait J.-P. Vernant, MP, Il, "La formation de la pensée positive
dans la Grèce archaïque", p. 95-124, et en particulier p. 118, du mot tokos,
qui désigne l'intérêt de l'argent: " Rattaché à la racine ték-, "enfanter, engendrer"
il assimile le produit du capital au croît du bétail qui se multiplie, à intervalle
saisolÙlier, pàr une reproduction naturelle, de l'ordre de la phu6ls" ; cf. également
K. Marx, Le Capital, cit., 11I,2, p. 57.
28: Sur les rapports entre l'eau, le soleil et l'or dans cette perspective, cf U. von
Wilamowitz, ibid., p. 491-492.
29: On ne peut donc comprendre avec J. Duchemin, ppp, p. 195 : "Le bicn le plus
utile est l'eau; mais l'or....., en opposant les deux tcrmcs de telle sorte qu'ils
paraissent s'exclure l'un l'autre.
31: Sur la valeur fécondante de la rosée; voir les analyses de E. Benveniste; Vocabu-
Ùlire, l, .p. 21-25. L'auteur montre que la racine du mot éersè, ou hersè, est d'ori·
gine indo-européenne, et que la racine indo-européenne (wers) a une valeur de
fécondité (cf l'irlandais, l'avestique, le latin et le sanscrit). Pour le grec, hersè,
dans le sens de "rosée", n'est qu'une restriction d'une désignation plus générale
de "pluie" en indo-européen. Mais le rôle fécondant de la rosée n'est pas perdu
en Grèce. Hersai, pluriel de hersè, désigne dans f'Od., 9, 222, les animaux Ics plus
jeunes. On retrouve une association analogue entre drosos, "Ia goutte dc rosée",
et drosoi, le pluriel, qui, chez Eschyle, Agamemnon, 141, désigne les petits du
lion. Il en est de même avec psakas, la pluie fine, qui a pour dérivé psakalon,
"petit nouveau né d'un animal."
33: C'est ce principe de vie que les Grecs désignaient sous le nom de ganos; cf H.
Jeanmaire, Dionysos, Histoire du culte de Bacchus, Paris, 1951, p. 27, et L. Sé-
chan et P. Lévêque, ibid., p. 290 : "Le terme de ganos, qui n'a pas d'équivalent
en français, témoigne de l'association établie entre les idées d'éclat et de scintil-
lement, d'humidité vivifiante et de joie : la pluie, les eaux courantes, les prai-
ries arrosées, les fleurs, le miel, le lait ont du ganos et le vin est le ganos de la
vigne, le ganos de Dionysos." Pour mémoire, on peut rappeler que, chez Pindare,
la rosée se trouve associée métaphoriquement au lait et au miel, cf 11I 0 Ném.,
76·80, trad. A. Puech: "Salut ami! Je t'envoie le miel uni à la blancheur du lait,
mélange que l'écume couronne, breuvage mélodieux qui jaillit des flûtes éolien-
nes, envoi tardif." Le mot que A. Puech traduit par "écume", c'est éersa, la
rosée.
132 Mythe et contradiction
39: Ce n'est sans doute que de manière marginale que l'eau pouvait donner lieu à
un commerce. Ordillairement, on pouvait s'en procurer en dehors des circuits
de l'échange.
42: Sur Zeus en tant que dieu des phénomènes atmosphériques, cf. L. Séchan et
P. Lévêque. GDG, p. 81.
43: Sur ces concepts d'unité et d'identité des contraires. cf. Mao Tsé Toung, Cinq
e'1IIlit philoflOphique,. "ne la contradiction", Ed. en langues étrangères. trad.
fr.• Pékin. 1971. p. 114-122. M. Godelier, HOrizon" tra/et'.... op. dt., p. 211,
n. 48. affirme que Mao Tsé Toung "confond constamment" unité et identité
de la contradiction. On en jugera d'après cette simple citation : "Premièrement,
chacun des deux aspects d'une contradiction dans le processus de développe-
ment d·une· chose ou d'urt phénomène présuppose l'existence de l'autre aspect
qui est son contraire. tous deux coexistant dans l'unité; deuxièmement, chacun
des deux aspects contradictoires tend à se transformer en son contraire dans
des conditions déterminées. C'est ce qu'on appelle l'identité" (p. 114). Le texte
de Mao Tsé Toung est donc tout à fait clair et distingue nettement les deux
aspects. Quant à l'identité imaginaire. elle correspond à la conversion des contrai-
res l'un dans l·autre. sans que cela corresponde à des transformations concrètes.
Ce sont par exemple celles des mythes et des contes (ibid.• p. 124·25).
47: Platon. Loi'. 684 d-e; Démosthène. Contre Timocratè,. 24. 149-151; voir D.
Asheri. ibid., p.108. Bq.
48: Serment de citoyenneté exilé à ItlUios.IC. 111,4.8. 1. 21 Bq. (voir ,"pra, chap. 1.
La contradiction fondamentale 133
L'HOMME ET LA DIVINITE
LES HOMMES
En fait, Pindare précise que les fautes planent sur "l'esprit des hommes"
(v. 24, amphi d'anthrôpôn phrasin,), et que le destin est obscur pour l'homme
(and,:i, v. 26). Nulle part, en revanche, il n'est question de menace planant
sur "l'es~rit des dieux!" On aperçoit le paradoxe qui consiste pour les criti-
ques à soutenir à la fois que la VIIo 01. est une variation sur le thème du
néant de l'homme et qu'elle présente les dieux comme soumis aux mêmes
limitations que les humains, c'est-à-dire essentiellement aux limites tempo-
relles.
En réalité, dans ce texte comme dans les autres odes de Pindare, on re·
trouve la distinction faite entre les dieux et les hommes, telle qu'elle est défi-
nie par exemple dans la première strophe de la VIo Néméenne : "fi y a la
race des hommes, il y a la race des dieux. A la même mère nous devons de
respirer; mais nous sommes séparés par toute la distance du pouvoir qui nous
est attribué _ L'humanité n'est que néant, et le ciel d'airain, résidence des
dieux, demeure immuable. Cependant, nous avons quelque rapport avec les
Immortels par la sublimité de l'esprit et aussi par notre être physique, quoi-
que nous ignorions quelle voie le destin a tracée pour notre course, jour et
nuit" (4).
Dans la VIIo 01. également, les hommes sont soumis aux fautes (am-
plaidai, v. 24), à l'égarement (phrénôn tarachai, v. 30), à l'oubli (latha,
v. 45). fis ne maîtrisent pas l'avenir. C'est à leur propos qu'on peut dire:
25 ... TOiiTO li' àj.llixavov evpeiv.
lin viiv Év Kai TeAEVT4 l/JépTaTov d"lipi Tuxeiv·
"fi est impossible de trouver ce qui serait à la fois favorable dans l'immédiat
et heureux dans son issue." fi y a contradiction entre le présent et l'avenir,
car ce qui paraît bon dans l'immédiat (nun) peut se révéler c.atastrophique
lorsque les ultimes conséquences de l'action sont apparues (én téleuta).
Le nun én kai téleuta est précisément ce que l'homme ne peut appréhen·
der (5).
L'homme ne maîtrise pas ses propres actions : Tlépolème est un sage
(sophos, v. 31) : il commet pourtant un meurtre, c'est-à-dire une action non
confonne à ce qu'on pouvait attendre de lui. De même, les Héliades accom-
plissent un acte aberrant, scandaleux: un sacrifice sans feu. De plus, non seu-
lement ils ne sont pas maîtres d'eux·mêmes, mais ils ne peuvent même pas
prévoir les conséquences de leurs propres actions: alors que la violation de
la loi sur le sacrifice et le meurtre de Licymnios auraient dû être suivis de
punition, le châtiment attendu se transforme en récompense.
Ainsi, les hommes sont incapables d'une action volontaire, puisqu'ils
ne connaissent pas la cause véritable qui les fait agir. Par rapport aux dieux,
ils sont toujours en position hiérarchiquement inférieure. Donc, le manque-
ment à la règle du sacrifice ne trouve pas sa solution par un "acte libre"
des Héliades : ils ont la chance de se trouver pris dans une querelle entre les
dieux et Prométhée, querelle dans laquelle ils ne jouent que le rôle de tiers
passif. On a dit au chapitre II que ce n'était pas un hasard si le texte préci-
sait que c'était l'oubli qui permettait aux Héliades de violer la loi de Pro-
méthée, puisque par eux-mêmes, par définition, ils ne peuvent prendre ''l'ini-
tiative" d'une telle entreprise. De la même façon, après le meurtre de Licy·
mnios, Tlépolème remet son destin aux mains d'Apollon, qui décide pour
lui de ce qu'il doit faire. L'homme n'est rien, il doit s'en remettre à la divi·
nité, comme le rappelle la VIIIo Pythique: "Etres éphémères! Qu'est chacun
de nous, que n'est-il pas? L'homme est le rêve d'une ombre. Mais quand les
L 'homme et la divinité 137
dieux dirigent sur lui un rayon, un éclat brillant l'environne, et son existence
est douce" (6). Ainsi, si l'homme n'est rien, la divinité est tout.
LES DIEUX
Mais le mythe d'Hélios ne vient-il pas contredire cette vision des cho-
ses? Au v. 58, en effet, il est indiqué: "11 était absent; personne ne désigna
son lot." Ne peut~n pas considérer qu'il y a là un manquement de la part
des dieux, qui ne donnent pas à Hélios ce qui lui revient? N'est-<:e pas en
outre la preuve de la faiblesse d'Hélios, qui aurait ignoré que le partage avait
lieu? Sur le premier point, la réponse est aisée : que le partage s'effectue
entre les présents est en soi parfaitement normal. C'est la règle qui prévaut
lors d'un partage de colonisation, et surtout c'est ainsi qu'est justifiée dans la
société du temps l'inégalité sociale, comme on l'a vu dans le chapitre I. C'est
la demande d'un nouveau partage qui était condamnable, non le défaut de
k/eros pour certains. Au reste, le texte ne porte aucun jugement négatif,
et se contente de constater l'absence d'Hélios, avec sa conséquence logi-
que : personne ne désigna son lot.
Est-<:e néanmoins pour Hélios un aveu de faiblesse que cette absence
au moment du partage ? Le texte ne dit rien de tel non plus. Ce n'est pas
"l'oubli", ou "l'égarement, qui a empêché Hélios d'être présent: il était absent,
c'est tout (8). En fait, cet épisode n'est qu'une mise en scène, indispensable
pour fournir à Hélios l'occasion de montrer qu'il est maître de la Vérité,
la suite du récit mettant en évidence la puissance du dieu solaire.
Dans la mesure où il peut dire non (v. 61, a/la nin ouk éÛlsén), il se
constitue comme sujet, alors que, pour l'homme, le problème du choix ne se
pose même pas; Tlépolème ne peut qu'obéir à l'oracle d'Apollon: on ne
discute pas avec le dieu de Delphes. En revanche, après le refus signifié
à Zeus, c'est "par lui-même", par sa valeur propre qu'Hélios parvient à obte-
nir un k/èros (9). Le dieu est capable de voir ce qui est encore caché, et,
donc, de prévoir l'avenir. Ainsi, la Vérité est ainsi conçue comme adéquation
d'un jugement (/og6n koruphai. v. 68) et de la réalité: l'île émerge, comme il
l'avait prévu.
C'est la confrontation du jugement porté en un moment donné et de
la réalité effective ultérieure qui permet de dire si le jugement était fondé ou
non. Le jugement est vrai si la réalité correspond à ce qui avait été prévu.
Hélios était donc capable de voir (horan, v. 62) ce qui était encore caché
(kékruphtai, v. 57) : son jugement correspond à la réalité dévoilée, alathéÛl,
mot-à-mot ce qui est dévoilé, ce qui n'est plus caché (lanthanô, être ca-
ché){lO). Pour la divinité, dont Hélios n'est ici que le prototype, la réalité
n'est pas double : elle sait distinguer l'apparent du réel. C'est dans cette
mesure qu'elle est maîtresse de l'avenir :
68-69 ... TEÀEUTaiJEIJ liè ÀO'YWIJ KoplX/>ai
èlJ àÀallelq lTEToiual
Té/eutathén s'oppose très exactement à én té/euta du v. 26 : le dieu sait ce
qui, fmalement, se révèle être la réalité, tandis Que l'homme l'ignore. On
pourrait dire que la divinité vit sur le mode de l'Etre, l'homme sur celui du
Paraître.
L 'homme et la divinité 139
L'ETRE ET LE PARAITRE
Ces considérations sur les rapports entre les hommes et les dieux
peuvent paraître bien éloignées des développements des chapitres précédents
sur la terre et l'or. En fait, il n'en est rien, et, bien au contraire, on peut
.montrer que l'analyse des rapports entre les hommes et les dieux ne saurait
se concevoir que par référence à la relation entre l'appropriation de la terre
et l'échange : l'opposition entre l'être humain et la divinité correspond à
celle qu'on trouve entre le mythe des Héliades et le mythe d'Hélios.
Comme on l'a vu, le discours pindarique montre la supériorité des
dieux sur les hommes. Si les hommes, les Héliades en l'occurrence, trouvent
la félicité, c'est par hasard. Au reste, leur existence demeure toujours entre
les mains des dieux; en revanche, les dieux, dont Hélios est ici le représen-
tant, ne doivent qU'à eux-mêmes et à leur valeur propre d'atteindre les
objectifs qu'ils se fIxent. Or, dans la VIIo 01., les symboles de la précarité
de la condition humaine sont l'or et la maîtrise des technai, acquis par hasard
et grâce au bon vouloir de la divinité (11) : acquisitions fortuites, elles relè-
vent de la catégorie de l'échange, de la richesse abstraite, des valeurs circu-
lantes, c'est-à-dire de celles qui, dans la réalité, n'entretiennent aucun lien
essentiel avec leur détenteur, et qui, acquises fortuitement, peuvent être
perdues de même (12).
En revanche, dans le mythe d'Hélios, le dieu solaire obtient une terre,
un bien qu'on n'acquiert pas par hasard, mais par sa valeur propre, et qu'on
se transmet, de génération en génération, au sein d'une même famille. Dans
la réalité, la terre est le type de bien qui paraît être consubstantieUement
lié à son propriétaire, et c'est la raison pour laquelle, par un renversement
dont on pourrait donner bien d'autres exemples, les propriétaires ne sont
pas présentés comme supérieurs aux autres hommes parce qu'ils détiennent
les moyens de production, mais, au contraire, sont censés être détenteurs
des moyens de production parce que "par nature", ils seraient supérieurs
aux autres hommes.
Ainsi, les biens acquis par les hont.'lles apparaissent comme liés aux
valeurs de l'échange, ceux qui sont acquis par les dieux à celles de la terre.
En fait, le rapport entre les hommes et les dieux prend comme signifIant
la relation existant entre les valeurs de l'échange et celles de la terre. Le
monde des hommes - celui des Héliadell - est présenté comme n'étant
qu'un reflet de celui des dieux (13), de même que la pluie d'or et l'activité
artisanale sont conçues comme étant à l'image de la production terrienne
et de la reproduction biologique (14).
140 Mythe et contradiction
L'ARISTOCRATE ET LA CITe
En fait, la coupure entre les hommes et les dieux n'est pas séparable
de la fonction du discours pindarique dans les luttes idéologiques, au service
de l'aristocratie conservatrice bien entendu.
Ainsi, dans la Yllo 01., Pindare déclare adresser une prière à Zeus,
et, en même temps, délivrer un message (15). Les bénéficiaires de la demande
adressée au dieu supréme et les destinataires du message sont identiques :
il s'agit d'un aristocrate et de sa famille. Lorsque, aux v. 20 sq., Pindare si·
gnale qu'il destine son logos toisin... Hèrakléos eurusthénei genna, il s'agit
non des Rhodiens en général, mais du génos de Diagoras : on sait que les gran·
des familles de l'aristocratie dorienne se flattaient de descendre d'Héra-
clès. Les Eratides sont donc pourvus, grâce à Pindare, d'un logos qui est
leur "bien commun" (xunon... logon, v. 21), et qui doit le demeurer pour
leur descendance. fi va de soi que des œuvres comme les odes de Pindare
n'étaient pas destinées à rester connues des seuls commanditaires, ou d'un
cercle d'initiés. Bien au contraire, elles étaient promises à une large diffusion
dans toutes les couches de la société, et, en l'occurrence, à Rhodes et partout
ailleurs en Grèce, pour chanter les louanges des Eratides. fi n'en reste pas
moins que ce logos n'est pas destiné à devenir le bien de tout le monde,
entendons de toute la cité, sinon de manière indirecte, dans la mesure où les
Eratides jouaient un rôle dominant à Ialysos. fi s'agit d'un discours où le
citoyen ordinaire ne peut se reconnaître, sinon comme dominé.
En ce sens, Pindare s'oppose à toute une tradition qui, depuis le YIo
siècle au moins, faisait du logos l'instrument des débats publics, des discus-
sions de l'agora (16). Le discours de Pindare n'est pas mis én koinfJ, én
mésô. destiné à tout le monde. Au contraire, Pindare oppose le génos à la
polis. Ainsi, aux v. 92-93, il proclame: "En l'honneur des Eratides, la cité
elle-même (kai polis) est en fête. "Le succès de Diagoras honore sa famille,
et ce n'est que de façon seconde que la cité est concernée. De plus, signaler
que "la cité elle-méme est en fête" permet de mettre en valeur l'influence de
Diagoras et de son génos, de faire allusion au rôle politique dominant qu'ils
jouent à Ialysos. Ainsi, fondamentalement, la séparation entre génos aristo-
cratique et cité est la marque d'un univers inégalitaire, s'opposant à celui de
l'agora démocratique, où tous les citoyens sont isoi. homoioi. Le monde
pindarique s'oppose à cette société égalitaire - dont Athènes au yo siècle
est le type achevé décrite par J.-P. Yernant : "Nous voyons naître une
société où le rapport avec l'homme est pensé sous la forme d'une relation
d'identité, de symétrie, de réversibilité. Au lieu que la société humaine
forme, comme l'espace mythique, un monde à étages avec le roi au sommet
et au-dessous de lui toute une hiérarchie de statuts sociaux défmis en termes
de domination et de soumission, l'univers de la cité apparaît constituée
par des rapports égalitaires et réversibles où tous les citoyens se défmissent
les uns par rapport aux autres comme identiques sur le plan politique. On
peut dire qu'en ayant accès à cet espace circulaire et centré de l'agora, les
citoyens entrent dans le cadre d'un système politique dont la loi est l'équili-
bre, la symétrie, la réciprocité" (17).
L 7tomme et la divinité 141
jugement porté sur la condition humaine dans son rapport avec la divinité,
censé avoir une valeur universelle, n'est que relatif à un état momentané
des antagonismes sociaux.
PINDARE-ET ESCHYLE
C'est donc parce que Pindare est au service des aristocrates conser-
vateurs, parce qu'il vise à produire un discours susceptible de maintenir
la domination des grands génè qu'il est amené à avancer ces théories sur le
néant de l'homme. En cela, le discours pindarique s'oppose à celui d'Eschyle
et de la démocratie athénienne.
C'est à juste titre que les critique ont souligné le parallèle entre la vie
de Pindare et celle d'Eschyle (22). En effet, tous deux naquirent à quelques
années d'intervalle, Eschyle en 525, Pindare en 518. Ils connurent donc les
mêmes événements qui bouleversèrent la Grèce, les guerres médiques en
particulier. En outre, tous deux connurent le succès, voyagèrent beaucoup,
et, dans les années 470, se rendirent en Sicile à l'invitation du tyran de
Syracuse, Hiéron. C'est dire qu'a priori un essai de comparaison entre les
œuvres des deux poètes n'a rien d'artificiel. On s'attachera en particulier à
la place dévolue au Titan Prométhée dans leurs œuvres respectives, afin de
montrer à la fois les différences et la parenté de leurs discours. On sait qu'Es-
chyle a cons~cré à Prométhée trois tragédies dont une seule nous est par-
venue : Prométhée enchainé. Les deux autres, Prométhée délivré et Promé-
thée porte-feu ne nous sont guère connues que par les commentaires d'au-
teurs anciens (23).
La fin de cette trilogie, placée sous le signe de l'harmonie universelle,
paraît faire écho à la IVo Py. de Pindare (24). Avec Prométhée délivré et
Prométhée porte-feu, en effet, il y avait sans aucun doute réconciliation
entre les dieux, et Prométhée retrouvait la paix aprçs la mort de l'aigle qui
le tourmentait. Il est vrai que Pindare, dans la NO Py., montre lui aussi
la libération des Titans par Zeus, marque d'un stade final de paix (25).
La 10 Py. présente également l'harmonie voulue par Zeus, en opposition
avec le mouvement et l'agitation qui sont comme le châtiment de ses enne-
mis (26). Cependant, on doit remarquer que la libération des Titans et la fin des
tourments de Prométhée étaient déjà présentes chez Hésiode (27). La conver-
gence entre Pindare et Eschyle n'a donc rien de particulièrement significatif:
tous deux suivent sur ce point une tradition plus ancienne. En revanche,
on doit mettre en évidence les différences entre l'œuvre de Pindare et celle
d'Eschyle, différences qui tiennent à la fonction de l'œuvre, au public auquel
elle est destinée, à la place de son auteur dans la société. Encore faut-il ne
pas se contenter de dresser un bilan des convergences et des différences,
mais montrer que ces deux œuvres ne peuvent pas sé comprendre isolément.
Le discours de Pindare et celui d'Eschyle ne sont pas étrangers l'un à l'autre:
L 'homme et la divinité 143
dans l'Olympe et donné aux hommes l'espoir d'une éternelle équité" (33).
Il va de soi qu'une telle conception de la responsabilité individuelle et col-
lective ne pouvait apparaître que dans la démocratique Athènes, et c'est
la raison pour laquelle, en quelque sorte, '1'Attique était devenue le domaine
du révolté pardonné" (34). Une telle affmnation de la responsabilité de
l'homme, de l'importance de la loi humaine ne pouvait se concevoir que dans
une cité où l'arbitraire de l'aristocratie conservatrice avait été battu en brèche
depuis longtemps déjà, et à un moment où le rapport de force politique
penchait en faveur des partisans d'une démocratie plus grande encore (35).
Avec la manière dont Pindare présente le personnage de Prométhée,
on est en présence d'un discours strictement antagonique, d'un discours
qui est destiné à combattre celui des Athéniens. Ces derniers rendent un culte
solennel à Prométhée, et reconnaissent en lui le représentant de l'humanité
luttant pour sa dignité. (36). Or, le discours pindarique réaffirme les valeurs
aristocratiques, en montrant que les hommes prométhéens sont inférieurs
aux Héliades. Ces derniers, après avoir bafoué Prométhée, se trouvent dans
une situation supérieure aux autres hommes, comme on l'a vu au chap. II.
Ainsi, d'une part, le discours pindarique prend appui sur le discours de l'ad-
versaire, en admettant que Prométhée a. effectivement volé le feu et donné
aux hommes toutes les techniques; d'autre part, il place ceux qui reprennent
à leur compte ce discours, et particulièrement les Athéniens, dans une situa-
tion hiérarchiquement inférieure : le ms d'Hélios, le dieu de Rhodes ont
obtenu d'Athéna, directement, d'exceller dans toutes les techniques et de
se montrer supérieurs aux autres hommes en ce domaine. De surcroit, vu le
processus de cette attribution - c'est l'égarement qui a amené les Héliades
à oublier le feu··, Pindare montre bien que l'homme n'est rien: le thème
de l'irresponsabilité humaine, chère à l'aristocratie conservatrice, comme on
l'a vu, s'oppose ici radicalement à la dignité et à la capacité reconnues à
l'homme dans la démocratique Athènes, cette cité où, un peu plus tard,
Protagoras pourra affmner que '1'homme est la mesure de toutes choses."
Le Titan Prométhée, en qui, selon Eschyle, le commun des mortels peut se
reconnaître, est bafoué, et ce sont Zeus et Athéna qui décident en dernier
ressort du destin des hommes, soumis ordinairement aux caprices du hasard.
Le discours pindarique prend donc comme présupposé le discours de l'adver-
saire pour produire aussitôt, par négation, un discours qui lui est totalement
opposé.
La VIIo 01. est-elle seulement une réponse au discours tenu habituel-
lement par les Athéniens sur Prométhée, ou bien est-elle à proprement par-
ler une réplique directe au Prométhée encharné? Pour répondre à cette
question, il est indispensable d'aborder le problème de la chronologie. La
VIIo 01. a été composée à l'occasion de la victoire de Diagoras, en 464.
Il est plus difficle de préciser la date du Prométhée enchaîné (37): 470/469
selon E. Des Places, après 467 selon P. Mazon et la plupart des critiques,
soit entre les Sept (467) et l'Orestie (458) (38). Dans la mesure où Eschyle,
quoi qu'il en soit, est mort en Sicile en 456, on doit retenir que les deux
œuvres sont contemporaines. Est-il possible d'aller au delà?
Dans la mesure où, comme on l'a vu, le texte de Pindare vient contre-
dire formellement le propos d'Eschyle, on peut donc légitimement se deman·
der si la VIIo 01. n'est pas une réplique directe au Prométhée enchaîné.
En ce cas, la pièce d'Eschyle devrait être datée de 465 ou 464, et serait
strictement contemporaine de la VIIo 01.• mais antérieure de quelques mois.
L 'homme et la divinité 145
Certes, on ne saurait avoir aucune certitude sur un point aussi délicat, mais
cette hypothèse, parfaitement en accord avec la chronologie, nous paraît
néanmoins vraisemblable.
146 Mythe et contradiction
8 : Peut être faut-il voir là une allusion à l'absence temporaire du soleil pendant la
nuit, laquelle ne constitue en rien une faute, bien évidemment, mais rentre au
contraire dans l'ordre des choses. L'absence d'Hélios ne saurait être en aucun cas
considérée comme une faute. Le soleil est le dieu "pur", et si cette pureté est
celle de la lumière (cf supra, chap l, n 8). l'épithète vaut aussi pour la pureté
morale du dieu. Traduire hagnon (v. 60) par "pure of blame" comme le fait
J.H. Barkhuizen, AClass, Il, 1968, p. 25-37, "Structural Patterns in Pindar's
Seventh Olympian Ode" (p. 26), est donc excessif, mais on ne saurait réduire la
valeur du mot à une simple épithète conventionnelle comme le fait W. J. Ver-
denius, op. cit., "Supplementary comments", p 250.
10: Voir A. M. Komornicka, Eos, 60, 1972, p. 235-53, "Quelques remarques sur la
notion d'allltheitz et de pseudos chez Pindare", et particulièrement p. 239 sur
vérité et temporalité. Sur lèthè et alèthéitz, cf M. Detienne, Les maîtres de vérité
dans III Grèce archaïque, 20 éd., Paris, 1973.
13: C est ce que disent explicitement les premiers vers de la VIO Ném. cités plus
haut.
14: Cf supra, chap. IV, "Les aristocrates, la terre et l'échange" Le fait que les Hé-
Iiadcs, qui représentent ici l'humanité, ou du moins une partie de l'humanité,
soient les fils d'une divinité, ne doit pas surprendre, bien au contraire. La VIO
Ném., comme on l'a vu (cf aussi supra, n. 4), rappelle la parenté de la race des
hommes et de celle des dieux, et insiste néanmoins sur l'infranchissable barrière
qui les sépare.
16: Voir les analyses de J.-P. Vernant, MP, l, "Géométrie et astronomie sphérique
dans la première cosmologie grecque", p. 178-82.
22: Cf E Des Places, Pindare et Platon, Paris, 1949, p. 36-38 eU. H. Finley, Pindar
and Aeschylus, Cambridge (Mass.), 1955, p. 3 sq.·
24. Cf J. H. Finley, ibid., p. 231 : "If one considers the end of the trilogy, Aeschylus
and Pindar stand very close; if the beginning, very far."
35. Les réformes judiciaires d'Ephialtès, chef des démocrates avec Périclès, datent
de 462/461 (cf Aristote, Const. d'Ath., 25, 1-2).
37: Cf introduction, n. 1.
38: E. Des Places, op. cit., p. 37, P. Mazon, loc. cit., p 151. On sait qu'Eschyle lui-
même, en 472 vraisemblablement, écrivit un drame satyrique, Prométhée allu-
meur de feu : Pollux, X, 64 c (voir P. Mazon, p. 55 el' N' 2). Prométhé!l était
148 Mythe et contradiction
un personnage familier des fables et des pièces de théâtre, ainsi que des discours
philosophiques, cf. L. Séchan, Le mythe de Prométhée, Paris, 1951, p. 58-80
sur Prométhée après Eschyle, et J. Duchemin, Prométhée, op. cit., p 83-107.
CHAPITRE VIII
1
Diagoras Eukiès Peisirrhodos
(navarque à Aïgos Potamos, 405; (vainq. 01. à (vainq. 01. à
prêtre d'HaHos, 399/398; proba- la boxe, cal. h., la boxe, cat.
blement tué en 395) entre 420 enfants, art.
r
(Damagètos)
et 410) 395)
1
(Diagoras)
I.
Damagetos
(prêtre d'Halios
entre 321 et 315)
Pindare et les Eratides lS3
LES ERATIDES
ET LA VIE POLITIQUE RHODIENNE AU VO SIECLE
pie) comme étant de Thourioi, car ils avaient été expulsés de Rhodes par le
parti adverse (diôchthentés hupo tôn antistatiôtôn ék tès Rhodou) et s'étaient
renc~us à Thourioi." fi est donc probable que les démocrates, appuyés par
Athènes, eurent alors lt} dessu's à Ialysos et purent expulser les plus remuants
des Eratides.
Le témoignage de Ps-Xénophon, qui reniônte aux années 421-418
vraisemblablement, s'applique parfaitement à Ialysos et aux Eratides : "Quant
aux alliés, les Athéniens ont la réputation de passer la mer pour extorquer
les biens des honnêtes gens et les poursuivre de leur haine - ils savent qu'obli-
gatoirement celui qui domine est un objet de haine pour celui qui est dominé
et que, du moment où les riches et les honnêtes gens viendront à l'emporter
dans les cités, la domination du peuple athénien n'en aura plus pour très
longtemps;c'est pourquoi, donc, ils privent les honnêtes gens de leurs droits
civiques, les dépouillent de leurs richesses, les expulsent, les mettent à mort
et accroissent la puissance des méchants... (28). "La participation de contin-
gents rhodiens à l'expédition de Sicile aux côtés des Athéniens n'est qu'un
témoignage de plus de la sujétion des cités de l'île (29).
Cependant, devenu citoyen de Thourioi, Dorieus continua de prendre
une part active à la lutte contre Athènes à la tête de vaisseaux thouriens (30).
Il est très probable qu'il participa aux négociations secrètes avec les citoyens
rhodiens "les plus considérables", qui réclamaient l'intervention pélopon-
nésienne (31). A l'arrivée des forces dirigées par Sparte, le peuple, tenu à
l'écart des négociations, n'eut plus qu'à s'incliner devant le fait accompli. De
même plus tard, en 391, alors qu'ils avaient été chassés de nouveau par les
démocrates rhodiens, ce furent, selon Xénophon, "les plus riches" (hoi
plousiôteroi) qui firent appel aux Lacédémoniens pour rétablir l'oli-
garchie (32). Dans la mesure où Sparte était le prototype des cités conser-
vatrices et où elle se posait en champion de la liberté des cités grecques,
l'appel que lui lancèrent à deux reprises les oligarques rhodiens était tout
à fait naturel. C'est l'intervention péloponnésienne qui permit de mettre
en route le processus d'unification des trois cités de l'île (33), le synoecisme
étant définitivement réalisé en 408/407.
Néanmoins, les aristocrates rhodiens n'avaient pas intérêt à échanger
la domination d'Athènes contre celle de Sparte, même si celle-ci avait un ré-
gime oligarchique. Or, d'emblée, pour payer les frais de guerre, les Lacédé-
moniens exigèrent une contribution de trente-deux talents, presque aussi
lourde que celle qui était exigée par Athènes, et dont le montant était de
trente-quatre talents en 421/420 (34). L'incident survenu dès 411 entre le
navarque lacédémonien Astyochos et Dorieus montre de quelle manière les
Spartiates entendaient traiter leurs alliés. Selon Thucydide (35), Dorieus
défendait les doléances de ses marins, dont la solde n'avait pas été payée :
Astyochos le prit de haut, et n'hésita pas à lever son bâton sur lui. On songe
à Ulysse administrant une bastonnade à Thersite lorsque ce dernier avait osé
tenir tête à Agamemnon, alors qu'il n'était qu'un homme de basse naissan-
ce (36). Or, il est sûr que les contradictions entre Sparte et les oligarques
rhodiens ne pouvaient être ignorées des Athéniens, comme le montre le
récit de Thucydide lui-même. L'aventure survenue à Dorieus en 407 peut
laisser penser que ces derniers étaient prêts à tenter de tirer parti de l'an-
tagonisme latent existant chez leurs adversaires.
Cette année-là, en effet, les Athéniens parvinrent à se saisir de Dorieus.
Mais, selon Xénophon et Androtion (37), l'immense réputation de leur pri-
PindJIre et les Eratides 155
LA VIIO OLYMPIQUE
ET L'ACTION POLITIQl}E DES ERATIDES
2: Aristoménès serait lui-même allé à Rhodes, dans l'espoir de poursuivre son voyage
et de demander de l'aide à Ardys, fis de Gygès, roi de Lydie, et à Phraortès,
roi des Mèdes. Mais il aurait achevé ses jours dans l'Ile avant d'avoir pu mettre son
projet à exécution. Un culte aurait été établi à Rhodes en son honneur. Si les
projets de voyage paraissent sujet à caution, le dernier point du récit de Pausa-
nias concernant le culte établi en l'honneur d'Aristoménès semble confirmé par
l'inscription IG XII, l, 8, 1. 4, qui, selon F. Hiller von Gaertringen, mentionne un
prêtre d'Aristo (ménéos).
7: Sur les victoires remportées par les Diagorides et sur leurs dates, cf Pap. Oxy.,
222, qui mentionne la victoire de Damagètos au pancrace en 452 (1.17) et 448
(1.30), et d'Akousilaos à la boxe en 448 (1. 29).
8: Selon Pausanias, IV, 24, l, la deuxième guerre de Messénie prit fin la première
année de la 280 Olympiade, soit en 668. Aristoménès voulait rendre visite à
Ardys, roi de Lydie de 652 à 615 (cf Hérodote, l, 16; voir G. Radet : La Lydie et
le monde grec au temps des Mermnades, 1, Paris, 1893, p. 70-84), ainsi qu'à
Phraortès, roi de Mèdes, vaincu et tué par les Assyriens et les Scythes en 653
(cf A. T. Olmstead, History of the Persian Empire, Chicago, 1948, p. 29-31).
A supposer su'il faille prendre le texte de Pausanias à la lettre (sur ce point,
voir nos réserves supra, n. 2), le mariage aurait donc eu lieu vers 650.
9 : Les indications données par Pausanias sur les Diagorides aux VO et IVO siècles
recoupent le témoignage des papyrus et des inscriptions (cf infra. par. "Les Erati-
des et la vie politique au VO siècle").
11; Eratidai, Pindare, VIIo 01., 93; Diagoréioi, Pap. Oxy., 842, 10; Diagoridai, chez
Pausanias.
12: Paus., II, 36, 4 : "Les Argiens et leur roi Eratos"; cf O. Gruppe, Griechische
Mythologie, l, Munich, 1897, p. 267, et Escher, RE, s. v. "Eratos", qui ne donnent
aucune explication de ce détail.
15: On doit alors admettre la récurrence du nom d'Eratos dans le génos royal d'Ar-
gos, puisque, naturellement, la colonisation argienne à Rhodes est antérieure
à 750; selon la CA H, 3 0 éd., Cambridge, 1975, II, 2, p. 791, elle remonterait
au moins à 900.
16: Cf Paus., IV, 10, 1 et 7; II, l, etc. Les Messéniens exilés trouvent refuge à Argos,
Paus., IV, 14, 1.
17: Paus., IV, 15, 4. Sur l'aspect politique de telles unions matrimoniales, cf L. Ger-
net, Anthropologie, "Mariage de tyrans", p. 344-45.
19: Sur ce point, voir Van Gelder, op. cit., p. 72-73, d'après le témoignage du poète
ialysien Timocréon (sur le comportement de Thémistocle, voir Hérodote, VIII,
111-112); cf également H. T. Wade-Gery et aUi, A TL, III, 213, 224 et 191, n. 26.
21: Cf Thucydide, l, 98 pour Naxos, et ibid., l, 100-101 pour Thasos; sur cette der-
nière cité, voir J. Pouilloux, Recherches sur l'histoire et les cultes de Thasos,
l, Paris, 1954, p. 60~1.
22: Thucydide, l, 100. Cf H. T. Wade-Gery et aUi, op. cit., III, p. 160 et 175-79,
table chronologique. A vrai dire, une date de deux, voire trois années plus taro
dive, soit 467 ou 466, n'est pas impossible.
23: Paus., VI, 7, 1-8; scholies VIIO 01., intro; voir également Pap. Oxy., 222 (cf
supra, n. 7) et W. Dittenberger - K. Purgold, Inschrlften von Olympia, 151, 152
et 159 (l'attribution du nO 153 à Dorieus, admise par F. Jacoby, FHG, III, 324,
46, suppl. p. 139, n. 3, a été contestée, entre autres par J. Pouilloux, art. clt.,
p. 212, n. 3).
24: Syll.3, 110, n. 4 (: Lindos, 16 app.). Ce texte est à comparer avec Lindos, 16,
où il est questl0n cette fois de la nomination d'un proxène Rhodiôn pantôn
0.6). Cette dernière inscription date des années 411-408, c'est-à-dire de la pério-
de de transition qui précéda le synoecisme. Le formulaire est le suivant:
L. 1-2 ["E6o~E TâL illoÀâL bri lI"[p 1
[V'Taviwv r)wv dJJq,i ...
Le conseil et les prytanes sont ceux du nouvel Etat rhodien, qui n'était pas encore
organisé de manière définitive. A Lindos, le formulaire introductif des décrets,
après le synoecisme, est ordinairement le suivant: Edoxé mJlstrois kai Lindiois...
160 Mythe et contradiction
27: Paus., VI, 7, 1-8. En 428, Dorieus se fait encore proclamer à Olympie comme
étant de Rhodes, cf Thucydide, III, 8. Voir le commentaire de F. Jacoby, FHG,
III, 324,46, suppl., 139-140. Cf également Anthologie Pal., XIII, Il.
28: Ps-Xénophon, Const. d'Athènes, 1, 14, trad. Cl. Leduc; sur la date de composition
de cet opuscule, voir le commentaire de Cl. Leduc, op. cit., p. 198-201.
31: Ibid., VIII, 44. Les Péloponnésiens sont appelés apo tôn dUll/ltôtatôn andrôn.
33: Thucydide, loc. cit.; sur le tribut payé à Athènes en 421/0, cf infra, n. 51.
40: Cf Diodore, XIV, 79,6; Paus., VI, 7,6; Pap. Oxy., 842, X (col. XI, 1-34 et col.
III, 23-6) et le commentaire de B. P. Grenfell et A. S. Hunt.
41: 1. Morricone, ASAA, 27-29, 1949-51, p. 351-80, "1 sacerdoti di Halios"; voir
p. 354, col. 1, nO 10, et le commentaire de L. Morricone, p. 376.
44: 1. Morricone, ibid., p. 355, col. II, nO 13. L'hypothèse de 1. Morricone selon
laquelle Damagètos est l'arrière-petit-fils - et non le fils - du navarque d'Aïgos
Potamos nous paraît parfaitement justifiée.
48: Diodore, V, 59, 2; Apollodore, Bibliothèque, III, 13,2; cf carte de l'île de Rho-
des, F. Hiller von Gaertringen, RE, s. v. "Rhodos", col. 751-52.
51: Si l'on considère l'année 421/420, le phoros payé par les Rhodiens était distribué
comme ·suit :
Ielusioi 5T
Brikindorioi 1T
Kamires 10 T
Lmdioi 15T
D~krioi 2T
Pedies 1T
Total 34 T
Cf. H. T. Wade-Gery et alii, op. cit., l, S. v. Il semble que les Athéniens aient parti-
culièrement redouté la puissante cité de Lindos, lourdement imposée, où ils tail-
lèrent des circonscriptions fiscales comme celle des D~krioi et des Pedies, et à
un moment donné également celle des O~tai (cf. ATL, l, p. 361), ainsi que celle
de lalysos, dont était détachée du point de vue fiscal la circonscription des Brin-
kindarioi (orthographe attique). Les Brugindorioi (orthographe rhodienne) appa-
raissent ultérieurement en tant que dème ialysien, cf. G. P. Carratelli, SCO,
2, 1953, p. 69-78, "Sui domoi e le phylai di Rodi." Pour la localisation dc ces
diverses circonscriptions à l'intérieur des trois cités rhodiennes, voir la carte de
F. Hiller von Gaertringen, RE, s. v. "Pedieis" 2.
CHAPITRE IX
LE MESSAGER
LA PRIERE A ZEUS
comme prédicat de "tu"; cette forme est ainsi exceptée de la relation par
laquelle "je" et "tu" se spécifient. Dès lors, la légitimité de cette forme
comme "personne" se trouve mise en question" (27). La "troisième per-
sonne" ne peut donc être placée sur le même plan que les deux autres. A
proprement parler, elle est plutôt la "non-personne", l'absent des grammai-
riens arabes. "Je" et "tu" s'opposent comme mem~res d'une corrélation
de personnalité. alors Que "il" est un invariant non personnel. E. Benveniste
note que c'est de cette forme non personnelle que "la "troisième personne"
tire cette aptitude à devenir aussi bien une forme de respect qui fait d'un être
bien plus qu'une personne, qu'une forme d'outrage qui peut la néantiser en
tant que personne" (28).
C'est à l'aide de ces remarques théoriques qu'il est possible de préciser
le rôle d'intermédiaire dl!. poète, tel que le conçoit Pindare. Dans certaines
odes, comme la 10 01. par exemple, il s'adresse directement à un "tu" qui
est le dédicataire de l'ode, "il" étant alors la divinité au nom de laquelle
parle le poète. Ain~i, aux vers 106-108 de cette ode, il signale: "Un dieu
veille sur tes desseins, Hiéron; il se donne cette tâche, ete." Dans d'autres
odes, comme la VIIo 01., "je" s'adresse à "tu" qui est la divinité: le goète
adresse alors une prière en faveur de "ils", les hommes. Dans la VII 01.,
à aucun moment le poète ne s'adresse directement aux Eratides. Us ne sont
mentionnés que comme étant en dehors de la relation "je" - "tu", ceux
dont on parle, ceux pour qui l'on parle - donc ceux qui sont absents du
discours - : cf v. 7, "j'apporte aux mâles vainqueurs chargés de prix ..."
(andrasin);v. 13, "j'ai abordé avec Diagoras ..." (sun Diagora); v. 20-23,
"je veux leur expliquer, à eux, la forte race d'Héraclès" (toisin...Hèrakléos
enrusthénei genna); v. 23, "ils se flattent (euchontai) de remonter à Zeus";
et enfin, v. 80 à la fin, "à ce concours, deux fois Diagoras a remporté la cou-
ronne", etc. Il est clair en tout cas que le poète se réserve l'exclusivité de
l'adresse aux dieux. Lui seul peut s'adresser directement à la fois aux homo
mes et aux Immortels. Devant les dieux, il plaide pour les hommes, et à ces
derniers il indique la volonté diyine. Ce double rôle est magnifiquement
rendu dans les deux premières strophes de l'ode. Le poète est l'intermédiaire
indispensable entre ceux qui, alternativement selon les odes, sont "ils",
c'est-à-dire les dieux et les hommes, eux qui ne peuvent pas se trouver dans
une situation de discours de type "je" - "tu", et qui ne peuvent donc pas
communiquer directement.
il peut alors assurer à Zeus que Diagoras et les siens connaissent bien le mes-
sage qu'il était chargé de leur transmettre, comme le montre l'allusion à
Diagoras qui est "instruit de manière explicite" (sapha daeis, v. 9) des règles
qu'il doit suivre. En fait, c'est parce qu'il possède lui-même un esprit droit
(orthai phrénés, v. 91) qu'il est capable de redresser (diortMsai, v. 21) le lo-
gos des descendants d'Héraclès. C'est ce logos redressé qui peut constituer
pour Diagoras et les Eratides le moyen de continuer "d'emprunter sans dévier
(euthuporei, v. 91) un chemin hostile à la démesure", lui qui s'est déjà
montré un combattant "allant droit à l'adversaire" (euthumachan, v. 15).
Les Eratides ne doivent donc pas, à l'instar des Héliades, oublier la voie droi-
te, (orthan hodon, v. 46). Au contraire, il faut qu'ils se conforment stricte-
ment à ce logos pour rester dans le droit chemin, de même que Tlépolème
avait dû aller "tout droit" (euthun, v. 33) à Rhodes sur l'injonction de
l'oracle de Delphes.
Au reste, le rôle du poète est bien celui d'un prophète, dans la mesure
où, sans le concours des dieux, et en particulier des Muses, l'homme est
impuissant à trouver sa voie. Selon la XO Péan, 13·15, "l'esprit des hommes
est aveugle, quand ils veulent, sans le concours des vierges d'Hélicon, venir
explorer la route profonde de la connaissance" (trad. A. Puech, modifiée
pour le premier mot). Aussi, le fragment 32 indique-t-il clairement:
",avTeveo. MoLaa. frpol/Ja·
TeVl7W 6' è-yw
"Rends tes oracles, ô Muse, et je serai ton prophète" (29). C'est à ce rôle de
prophète, de messager des Muses que Pindare fait allusion, lorsqu'il souligne
son rôle de messager (angé16n, v. 21). La bonne réputation acquise par le
vainqueur grâce au poète lui est elle-même propice. La formule du v. 11,
"bienheureux celui qu'une renommée glorieuse environne", a 'bien une va-
leur de béatification (30), car, comme E. Benveniste l'a souligné, la phèmè
a une vertu propre (31). Mystérieuse, impersonnelle, elle est un avertissement
divin, et elle s'apparente à la parole oraculaire (32). Comme le dit Hésiode,
Travaux, 763-64 : "La réputation (phèmè) ne peut pas périr complètement
quand nombreux sont ceux qui la proclament; car elle est elle-même, de
quelque manière, une divinité. "Les vainqueurs doivent leur renommée aux
poètes, mais ces derniers, en chantant leurs louanges, accomplissent une mis-
sion divine: l'ode est en elle-même un signe divin, et elle ouvre la voie de la
félicité pour celui auquel elle est destinée. On comprend également la raison
pour laquelle Pindare pouvait comparer son ode à un "fluide nectar" (v. 7),
c'est-à-dire à un breuvage d'immortalité, dans la mesure où le message de
type oraculaire qu'il apporte est précisément un moyen d'accéder au paradis
des Bienheureux. Le karpos phrénos offert au vainqueur évoque le karpos
phrén6n que Rhadamanthe a reçu en partage (11 0 Py., 73), lui qui est pré-
cisément le gardien équitable du paradis des Bienheureux, ainsi que l'indique
la lI o 01. (boulais én orthaisin Rhadamanthuos, v. 83).
Les vers 90-92, qui, à notre sens, ont souffert d'une traduction inexac-
te, nous paraissent confirmer pleinement notre interprétation du prologue :
." èfrel VI3PIO~ èx8pav O6ov
eV8llfropei. aât{la 6ael~ li. Tf oi fraTépwv
6p8ai I/Jpéve~ lot a-ya8wv
ëxpeov.
Ainsi, A. Puech, par exemple, traduit : "Il (Diagoras) va droit sur sa route,
ennemie de l'insolence, et il sait bien pratiquer les sages leçons qu'il tient
Le Tn:esSl!ger 169
de ses nobles ancêtres." Selon lui, les orthai phrénés seraient à mettre en rap-
port avec les ancêtres de Diagoras, ce qui confmnerait, au vers suivant, la
mention de Kallianax, considéré comme l'ancêtre des Eratides. C'est donc
l'exeo1ple de ses ancêtres qui devrait inspirer Diagoras. Or, Kallianax n'est pas
l'ancêtre de Diagoras, mais son gendre (33). En outre, ék ne peut admettre le
sens indiqué. C'est la raison pour laquelle W. J. Verdenius et E. Thummer
considèrent qu'il s'agit ici des phrénés de Diagoras lui-même, et ce dernier
traduit: "sein von edlen Abnen erebter gerader Sinn", "son esprit droit hérité
de ses nobles ancêtres". La difficulté vient alors de échréon, que W. J. Ver-
deniu8 propose de traduire par "suggest", "as if it were an oracle" (34).
Mais en ce cas, on voit mal comment les ancêtres de Diagoras pourraient
avoir un quelconque rôle oraculaire. Enfm, on ne saurait se contenter de
l'opinIon de D. C. Young, qui, admettant la difficulté de la syntaxe et celle
qui consiste à rapporter phrénés à Diagoras ou à ses ancêtres, affirme :
"Either interpretation, it seems to me, is equally tenuous in the Greek, and
the difference does not affect the rather obvious essential meaning of the
sentence" (35).
En premier lieu, on doit admettre que ék signifie bien "issu de", comme
le montre le parallèle avec la VIIIo Py., 4445, to gennaion...ék patér~n...
lèma, "l'esprit généreux qu'ils tiennent de leurs pères". Le verbe chra~
employé ici signifie, pour un dieu ou son représentant, "faire savoir", ou
"rendre un oracle". Or, le représentant attitré de la divinité n'est autre que
Pindare lui-même, bien entendu, lui qui est l'intermédiaire obligé entre les
dieux et les hommes, et réciproquement. Chra~ fait écho à phama (v. 10),
autre terme oraculaire, comme on l'a vu (36). L'auteur de cette parole de
type oraculaire, c'est le poète, et lui seul. Orthai phrénés doit en conséquence
être rapporté à Pindare. Phrénés reprend l'allusion au "doux fruit de l'es-
prit'" (glukun karpon phrénos, v. 8), qui désignait son œuvre. Le passage
du singulier au pluriel, si fréquemment attesté par ailleurs, ne doit pas sur·
prendre, car le sens reste le même dans les deux cas : ainsi, au vers 47 de
l'ode, le pluriel phrénés désigne l'esprit (au singulier). Si les phrénés de Pin·
dare sont orthai, droites, c'est parce qu'il a lui-même de nobles ancêtres.
Au reste, pour ses origines, Pindare appartenait à l'aristocratie thébaine,
et, pius particulièrement, à la famille des Egides, du moins si l'on en croit
la VO Py., 75-76 :
... q,WTEÇ A!')'âllat.
É~ol 1raTÉpEç ....
"Les héros Egides, mes pères ..." On peut remarquer au passage que, bien
qu'offrant ses services contre salaire à de riches aristocrates, le poète n'en
revendique pas moins son origine illustre. Il tient à se distinguer d'un vul·
gaire technitès. De fait, ces derniers sont sous la protection d'Athéna et
d'Héphaïstos. Quant à lui - privilège des poètes, comme le proclamaient
déjà Hésiode et Solon -, il se place sous la protection des Muses (cf v. 7),
car sa fonction est profondément différente de celle des technitai. C'est cette
noble origine qui donne comme une garantie de valeur à sa parole, et qui
l'autorise à "redresser" l'histoire des Eratides. Le sens est donc : "Il em·
prunte sans dévier un chemin hostile à la démesure, explicitement instruit
de ce qu'une âme droite, issue de nobles ancêtres, lui a fait savoir."
Cependant, le contenu du message apporté par Pindare - la leçon à
tirer des mythes de la VIIo 01. peut paraître bien décevant, dans la mesure
où précisément il ne fait que rappeler l'infinie distance qui sépare les dieux
170 Mythe et contradiction
Notes àu chapitre IX
1: Sur la forme générale des odes pindariques, voir W. Schadewaldt, Der Aufbau
des pindarischen Epinikion, Halle, 1928, et surtout le travail exhaustif de R. Ha-
milton, Epinikion, La Haye - Paris, 1974.
1 bis: Cf le répertoire établi par V. K. Svoboda, Aegyptus, 32, 1952, p. 108-20, "Les
idées de Pindare sur la poésie".
2: D.C. Young, op. cit., p. 91, dresse une carte localisant les cités où Diagoras avait
remporté la victoire dans des concours gymniques. 11 insiste à juste titre sur les
dépenses entraînées par ces déplacements, qui supposaient une grande richesse
de la part des Eratides.
3: Pour cette traduction, voir déjà J. Péron, Les imllges mIIritimes de Pindore, Paris,
1974, p. 203-205.
4 : Cf en particulier J. Duchemin, PPP., p. 336·337.
5: C. M. Bowra, op. cit., p. 24-25; D. C. Young, op. cit., p. 70-71, W. J. Verdenius,
op. cit., p. 96-97.
6: Cf A. Puech : "Comme un homme opulent prend en main une coupe"; G. Nor-
wood, op. cit., p. 92, etc.
7: La conjecture de D. C. Young; op. cit., selon laquelle aphnélas apo cheiros dési-
gnerait un esclave est erronée; cf déjà le commentaire de W. J. Verdenius, op. cit.,
p.97.
8: Quant à dôrèsétai, W. J. Verdenius, op. cit., p. 97, S, V., considère, à l'inverse des
autres critiques, qu'il s'agit d'un subjonctif aoriste, et non d'une indicatif futur
(sur les subjonctifs à voyelle brève dans la langue homérique, cf P. Chantraine,
op. cit., II, p. 206-209, et 225·26). Mais ce mode indique bien ici un sens de vo-
lonté et d'éventualité; on ne saurait, à la différence de W. J. Verdenius (ibid,
n. 9), lui accorder une simple valeur descriptive.
9: C. M. Bowra, op. cit., p. 25; voir déjà le commentaire du scholiaste.
10: Trad. A. Puech.
11: L. R. Farnell, The Works of Pindor, II, p. 51; W. J. Verdenius, ibid., p. 100,
s. v.
12: G. Lawall, art. cit., p. 36, sq.
13: Cf supra, chap. VII.
14: Cf v. 90 par exemple, etc.
15: Cf par exemple II, 6, 380; Hésiode, Trav., 338.
16: C'est l'opinion de H. Frankel, Dichtung und Philosophie des fTÜhen Griechen-
tums, 20 éd., Munich, 1962, p. 490, et de J. B. Slater, Lexicon, s. v. ("ask the
god's blessing for"). Sur les emplois "profanes" relevés par W. J. Verdenius,
ibi., n. 22, p. 100, voir déjà le commentaire de F. Vian, art. cit., p. 335.
17: Hésiode, loc. cit. Pour W. J. Verdenius, loc. cit., l'ellipse de théous dans ce
cas n'est pas un argument recevable, car l'objet a été mentionné deux vers plus
tôt. On peut remarquer que, si l'on adopte la traduction de W. J. Verdenius,
172 Mythe et contradiction
"gagner leur faveur", il y a bien aussi ellipse d'un accusatif désignant les vain-
queurs, même si ceux-ci sont désignés dans la phrase (mais à un autre cas). Sur-
tout, on doit retenir que l'ellipse de l'objet - théoU8 en l'occurrence - est gram-
maticalement possible. Dans la mesure où les odes aux. vainqueurs comportent
ordinairement une invocation à la divinité, le sens de hilillkomai dans ces vers
qui sont censés présenter le schéma général des épinicies, ne peut donc faire aucun
doute. Rappelons qu'on trouve de même euchomai dans la XIVO 01., 5,Iissomai
dans la Xllo 01., l, etc.
18: C'est le vin qui est le liquide ordinaire de la libation. Faisant une libation d'eau,
faute de vin (ou de lait, ou encore de miel). les compagnons d'Ulysse qui ont tué
les bœufs du soleil commettent un nouveau sacrilège (Od., 12, 362-63). Cf
aussi infra, dans la VlO 18thm., l'offrande de vin faite par Héraclès, et l'allusion
au "cratère de chants" du poète, le cratère étant un vase spécial pour le vin.
21: Dans la 110 01., 76-77, l'île des Bienheureux, le "paradis" de Pindare, est située
"au bout de la route qui mène au château de Cronos". Une triple vie de pureté
est nécessaire pour y parvenir.
22: Le parallèle avec les premiers vers de la VIlO 01. est établi également par E.-M.
Voigt, op. cit., p. 137.
23: On voit donc l'erreur de D. C. Young, op. cit., p. 71, n. 3, selon qui ce serait
la coupe qui serait donnée oikothén oilcadé : cette interprétation gomme le point
essentiel, c'est-à-dire le rôle d'intermédiaire qui est aussi celui du poète, et fait
abusivement de la "main généreuse" celle du beau-père du jeune marié, alors que
rien ne permet d'apporter une telle précision (on retrouve la même inexactitude
chez A. Puech, G. Lawall, etc., et en dernier lieu chez B. K. Braswell, Mnemoayne,
29, 1976, p. 234-42, "Notes on the prooemium to Pindar's seventh olympian
ode").
24: D. C. Young, op. cit., p. 73, voit lui un parallèle entre propin6n (v. 4) etpempdn
(v. 8), et entre d6ri8étai (v. 3) et hila8komai (v. 9).
27: E. Benveniste, ibid., "Structure des relations de personne dans le verbe", p. 225-
36, p. 228 en l'occurrence.
28: E. Benveniste, ibid., p. 231. L'auteur montre que ce qui caractérise "je" et "tu"
est leur unicité : "le "je" qui énonce, le "tu" auquel "je" s'adresse sont chaque
fois uniques. Mais "il" peut être une infinité de sujets - ou aucun - ... Une se-
conde caractéristique est que "je" et "tu" sont inversibles: celui que "je" défi-
nis par "tu" se pense et peut s'inverser en "je", et "je" (moi) devient un "tu".
Aucune relation parallèle n'est possible entre l'une de ces deux personnes et "il",
Le messager 173
30: Cf. Hésiode, Théogonie, 96;954; 7Tav., 172, etc. Voir D. C. Young, op. cit..
p. 74, n.6 et 7.
32: Cf. par exemple Od., 20, 100-111 : pour Ulysse, la phèmè émise par Leus est un
sêma, un présage; Platon. Lois, 792 d, etc.
33 : Cf. supra, chap. VIII, généalog,ie des Eratides, et J. Pouilloux, RPh, 44, 1970,
p. 206-15, "Callianax, gendre de Diagoras de Rhodes". W. J. Verdenius, op. cit.,
"Supplementary comments", p 250, tient pour erronée l'hypothèse de J. Pouil-
loux pour qui, en outre, la victoire olympique de Diagoras coïncide avec le
mariage de sa filll'. Le savant hollandais considère que si le fils de Kallipateira et
de Kallianax a été victorieux à la boxe aux jeux d'Olympie entre 420 et 410, "he
would have been weil past forly if the marriage took place as early as in 464.
"Mais, cf. supra, chap. VIII, généalogie des Eratides, l'oncle d'Euklès, Dorieus,
remporta la victoire à Olympie en 432, 428 et 424, et on ne voit pas pourquoi le
neveu n'aurait pas pu remporter la victoire à la boxe entre 420 et 410. L'hypo-
thèse de J. Pouilloux est donc tout à fait fondée.
36 : q. supra et n. 32.
37 : Hésiode, 7Tav., 42.
12
178 Mythe. et contradiction
LA RHETORIQUE
cas, la narrativité est réduite à sa plus simple expression. Tout différent est le
discours narratif, tel qu'on le trouve dans les mythes, les contes, mais aussi
dans les formes anciennes ou contemporaines du théâtre, du roman, etc., avec
des modalités particulières pour chaque forme et chaque époque, bien enten-
du. fi se constitue alors un univers de personnages, dont l'identité et les
aventures forment la trame du monde imaginaire construit par le discours. La
construction de cet univers obéit à un certain nombre de caractéristiques
simples, qu'on vérifie pleinement dans la VIIo 01. (7). Ainsi, initialement, le
personnage connaît un manque, sous la forme du manque d'un objet - c'est
le cas pour Hélios, dépourvu de terre - ou sous la forme de la transgression
d'une règle - c'est le cas pour Tlépolème et pour les Héliades -. En consé-
quence, il s'introduit une tension entre le personnage et l'objet du manque,
dont le récit a pour but de montrer comment il est comblé, ou comment il ne
l'est pas, éventuellement. La nature de l'objet obtenu, et la manière dont le
manque est comblé sont en eux-mêmes constitutifs de l'identité du person-
nage. Ainsi, les Héliades obtiennent l'or et la maîtrise des technai, Hélios
obtient une terre et une épouse, ces deux types de biens étant en opposition
les uns avec les autres, et le rapport hiérarchique existant entre eux est un
des moyens d'établissement du rapport hiérarchique entre les dieux et les
hommes. Quant à la manière dont le manque est comblé, elle est radicalement
différente dans le cas des Héliades ou de TIépolème, d'une part, d'Hélios
d'autre part, puisque, pour les premiers, le manque est comblé par l'interven·
tion de personnages extérieurs (les dieux), dont le statut est le même que
celui du personnage qui parvient à combler par lui-même le manque dont il
est affecté, c'est-à'{!ire Hélios. Les hommes sont donc en situation de "des-
tinataires", les dieux en situation de "destinateurs". C'est précisément ce
rapport destinateur (divinité) - destinataire (homme) qui fonde le rôle du
poète, tel qu'il est défini dans l'ode. En tant qu'intermédiaire, le poète
apporte aux athlètes vainqueurs l'objet qu'ils ont mérité, l'ode elle-même, don
des dieux, et qui adresse en leur faveur une prière à Zeus, celle de faire en
sorte qu'ils ne s'écartent pas du droit chemin, donc qu'ils ne soient pas les
victimes d'un grave "manque". Si la narrativité a ses propres règles, comme on
vient de le voir, elle n'est donc pas "neutre" idéologiquement. Elle permet en
effet de présenter de manière apparemment "logique" l'établissement de
rapports hiérarchiques entre des valeurs ou des personnages, alors que ces
relations d'ordre, qui paraissent être le résultat qui doit être déduit à la fin du
récit, sont en fait le présupposé de la construction de la narration, de la
logique du récit. Ainsi, "par hasard", Prométhée se trouve bafoué par les
Héliades, et l'on a vu les implications idéologiques de cet épisode. Mais c'est
bien entendu le fait d'avoir assigné à Prométhée un rôle purement passif qui
permet de montrer ensuite la "victoire" de Zeus et d'Athéna.
Entre l'aspect narratif, la rhétorique suppose aussi la mise en place
d'un jeu de redondances et d'oppositions signifiantes (8) : dans la VIIo 01.,
la voie droite s'oppose sans cesse à l'erreur tortueuse, la lumière à l'obscuri-
té (absence de feu / blond nuage d'or), le sec et le dur à l'humide et au
fluide (le sceptre d'olivier sec et dur de TIépolème apporte la mort, le nectar
du poème vivifie), etc. Plus largement, on a vu la symétrie existant entre
le mythe des Héliades et le mythe d'Hélios, ou entre les deux premières
strophes du prologue. Mais la construction de l'ensemble de l'ode est elle
:aussi rigoureusement symétrique. On pourrait la résumer par le schéma
suivant:
180 Mythe et contradiction
hellénique, etc., expliquent donc la diversité des propos tenus dans chacune
des odes, même si bien évidemment on peut relever un certain nombre de
constantes. Ce travail d'élaboration extrêmement complexe suppose bien
évidemment le maniement conscient d'un certain nombre au moins des caté-
gories mentionnées précédemment, même si, pour Pindare, restait néanmoins
inconscient, non maîtrisé, le rapport de force qui détenninait ses propres
prises de position, ou le caractère contingent du jeu des contradictions qui
constituaient les contraintes de son discours. Dans sa forme rigoureuse, le
produit fmi, l'ode pindarique, frappait sans doute davantage l'imaginaire
individuel que bien des harangues (11).
LE MODELE IDENTIFICATOIRE
Par opposition, Hélios est, si l'on peut dire, le "Père Tout Puissant",
le symbole même de la virilité. En effet, il obtient par sa valeur une épouse
légitime (comme nous l'avons démontré au chapitre 1), qui est en même
temps un klèros, un domaine. Cette terre est féconde entre toutes: elle nour-
rit une multitude d'hommes, et elle est favorable aux troupeaux. En tant
qu'épouse, Rhodes met au monde sept fils, ce qui témoigne de la puissance
virile d'Hélios (v. 71-72). A propos de Rhodes, Pindare précise :
v.70-71 ... ëxel Té jllV otel-
av 0 oyevé6l..lo<: à/(Tlvwv lI'anlP,
lI'jjp lI'veollTwv àpxo<: ïll'lI'wv·
"C'est le père qui préside à la naissance des rayons perçants, le maître des
chevaux qui soufflent le feu qui la possède." Suit alors immédiatement la
mention : "Là, un jour, il s'unit à Rhodes et engendra sept fils." Nous avons
précisé au premier chapitre que pater, bien évidemment, désignait Hélios
non pas en tant que père biologique des rayons solaires, mais en tant que
père tutélaire, d'où notre traduction, "qui préside à la naissance de ..." (I5).
Mais, si l'on se place. cette fois sur le plan de la logique de l'inconscient,
c'est-à-dire sur le plan de ce qu'évoque la lettre du texte, on est amené à
constater que pater désigne aussi ordinairement la paternité physique. Or,
Hélios crée des "rayons perçants" : en l'occurrence, l'hypothèse de l'allu-
sion sexuelle se trouve confirmée au v. 71. En effet, il y est précisé qu'Hé-
lios est aussi le "maître des chevaux qui soufflent le feu" : le rôle du cheval
comme symbole de la puissance du mâle est extrêmement fréquent dans le
rêv'e, dans les arts en général, et tel est bien aussi le rôle qu'il joue ici. Pour
plus de clarté, il convient de préciser qu'il ne faut pas voir là une référence
à la théorie jungienne des archétypes, qui seraient inscrits dans notre "es-
prit" (16). Tout simplement, d'âge en âge, l'expérience concrète conduit
à faire de la vigueur de l'étalon le symbole de la sexualité mâle. Au reste,
selon une légende arcadienne, Poseïdon s'était accouplé, sous la forme d'un
étalon, à Déméter, qui s'était alors transformée en cavale pour le fuir. Néan-
moins, le dieu l'avait rejointe, et il avait eu d'elle deux enfants, le cheval
Areion, et une fille dont le nom, à ce qu'on disait, n'était connu que des
seuls initiés (I7). Outre le rôle du cheval dans la légende de Poseïdon, on
doit remarquer que ce dieu était également identifié au taureau, d'où le
qualificatif de Taureios, alternant avec celui d'Hippios (18). Il va de soi
que le taureau était lui aussi symbole de la sexualité mâle, comme le mon-
trent la légende du Minotaure et bien d'autres récits. Il est donc légitime
d'affirmer que les chevaux d'Hélios ont bien un rôle de symbole sexuel.
Or, ces chevaux "soufflent le feu", dont précisément les Héliades étaient
privés, eux qui avaient oublié la "semence de la flamme ardente", et qui
avaient donc été frappés d'impuissance. La lecture du mythe des Héliades
proposée précédemment se trouve ainsi corroborée par celle du mythe d'Hélios.
Par conséquent, dans cet univers de personnages, les fils sont impuis-
sants. Ils montent à l'acropole, mais échouent dans leur tâche. Pour employer
le langage cinématographique, on a donc là une image en contre-plongée,
un regard dirigé de bas en haut, symbole d'impuissance. En revanche, le
"Père Tout Puissant", Hélios, dirige son regard de haut en bas, en plongée,
et cette image renvoie à la symbolique du pouvoir, celui du prince sur ses
sujets, celui de l'adulte sur l'enfant, mais aussi celui du mâle dans l'acte
sexuel. En l'occurrence, la position d'Hélios évoque, dans la Théogonie
d'Hésiode, celle d'Ouranos, le Ciel, qui couvre entièrement la Terre-Mère
Conclusion 183
(v. 127), et lui e!lgendre une multitude d'enfants (v. 127 sq.). Mais Ouranos
empêche ses fils de voir le jour, en les repoussant dans le sein de Terre (Théog.,
154-60). C'est en châtrant son pêre que Cronos, à son tour, peut accéder au
pouvoir. Pour le conserver, il dévore ses enfants nouveaux-nés (ibid., 466-67),
ce qui ne l'empêche pas d'être plus tard renversé par Zeus qui a échappé à
sa vigilance, par les bons soins de Rhéia, son épouse. C'est enfin en avalant
sa propre épouse Mêtis que Zeus met un terme à la transmission du pouvoir
entre générations successives (19). Ainsi, chez Hésiode, le pouvoir du pêre
sur ses enfants est présenté sous une forme três brutale. Mais de telles abomi-
nations sont inacceptables pour Pindare, dont un des leitmotiv est qu'on ne
doit rien attribuer de condamnable aux dieux. C'est ainsi que, dans la 10 01.,
à propos de Pélops, dont les membres auraient été servis au festin des dieux,
il déclare : "li m'est impossible d'accuser de gloutonnerie quelque dieu que
ce soit! Je m'y refuse" (v. 52). De même, dans la IXO 01., il affirme: "Insul-
ter les dieux, c'est un art que j'abhorre finsolence importune accompagne
le chant de la folie. Silence à ces sottises! Ne souffre pas que jamais guerre
ou bataille approche des Immortels" (v. 3541, trad. A. Puech). Cette rêgle
est parfaitement logique au demeurant, puisque chez Pindare la divinité est
identifiée à la loi elle-même. Cette censure moralisante produit donc un
déplacement par rapport au texte d'Hésiode : dans la Vllo 01., en effet,
ce sont les Héli~de~ eux-mêmes qui, malgré les recommandations bienveil-
lantes de leur pêre, se rendent responsables de l'oubli de la "semence du
feu", donc de leur propre impuissance.
Ainsi, le rapport entre les dieux et les hommes est conçu sur le modêle
d'une relation pêre-fils, avec, sous-jacent, le problême de la prise du pouvoir,
entendu comme pouvoir sexuel. Dans la conception pindaiique, l'homme face
à la divinité est l'éterner mineur (20). Incapable de se diriger par lui-même,
toujours soumis à des forces irrationnelles qui peuvent lui faire commettre les
actes les plus aberrants, la colêre, qui suscite le meurtre, ou l'oubli, qui
entraîne l'acte impie, il connaît sans cesse l'angoisse de la faute. Dans la
plupart de ses odes, Pindare insiste sur cette menace pesant sur l'homme,
puisque ce dernier ne maîtrise pas les forces, intérieures ou extérieures à
lui-même, qui conditionnent son destin. Cette angoisse de la faute peut
néanmoins être provisoirement levée grâce à la toute-puissance de la divinité,
rassurante image du pêre. En effet,s'ils le veulent bien, les dieux peuvent
protéger l'homme contre lui-même et contre les dangers extérieurs qui le
menacent. C'est pourquoi l'ode se termine sur cette priêre à Zeus Pêre, le
Tout Puissant en qui l'on place tous ses espoirs. Mais cette situation est
tout à fait paradoxale en réalité, car la toute-puissance paternelle est en
fait ambivalente : elle rassure, mais elle est aussi source d'angoisse. Ainsi,
la faute des Héliades consiste d'abord dans le non-respect des conseils de
leur père, qui est le représentant de la loi divine. Quant à Tlépolême, il
tue Licymnios qui, lui, est représentant de l'ancienne génération. Frère
d'Alcmène, épouse d'Amphitryon, il est le substitut d'Héraclès, le "pêre
absent", qui n'est même pas mentionné dans l'épisode. Deux éléments en
portent témoignage. D'une part, on trouve encore en Grèce ancienne la
trace d'un ancien systême de parenté matrilinéaire, et il est donc logique
qu'en l'absence du père ce soit précisément au frère de la mêre (mètrôs)
que revienne l'autorité, comme l'ont montré les analyses de E. Benvenis-
te (21). D'autre part, tout comme Héraclês, Licymnios est marqué de. bâ-
tardise. -
184 Mythe et qontradiction
*
* *
Il peut paraître étonnant qu'un travail d'élaboration aussi complexe
ait été entièrement "spontané", et, bien évidemment, non théorisé. Mais
le XXo siècle nous a donné d'autres exemples - combien tragiques - de
travail sur l'inconscient de millions d'hommes et de femmes, sans que pour
autant leurs auteurs aient lu une seule ligne de S. Freud. Cette remarque
n'a d'autre but que de lever l'objection éventuelle selon laquelle "Pindare
n'aurait pas pu penser tout cela." En effet, il s'agit non de poser le pro-
blème du texte en terme de "conscience de l'auteur", mais de mettre en
évidence les processus de formation du discours. On ne saurait reprocher
à un linguiste la complexité des processus et des lois qu'il met en éviden-
ce, sous prétexte que le locuteur ne pourrait les mettre en œuvre lorsqu'il
parle. "Et pourtant nous parlons...", pourrait-on dire après Galilée, ou après
Yannis Ritsos.
186 Mythe et contradiction
Notes de la Conclusion
1: Cf supra, chap. I.
2: Ce furent les fonnalistes russes qui, les premiers, systématisèrent la notion d'inter-
textualité cf Théorie de la littérature, coll. "Tel Quel", textes des fonnalistes
réunis par Tzv. Todorov, Paris, 1965. L'ouvrage de M. Bakhtine, L 'œuvre de
François Rabelais, trad. fr., Paris, 1970, est une des tentatives les plus réussies
de mise en œuvre de cette méthode. Pour son application dans le domaine des
études anciennes, cf 1. P. Vernant et P. Vidal-Naquet, MT, p. 10.
10: C'est la raison pour laquelle CI. Lévi-Strauss compare la pensée mythique au bri-
colage, puisqu'elle prend pour matériaux des résidus d'autres mythes et des débris
d'événements, "odds and ends", dirait l'anglais, ou en fran<;ais, des bribes et des
morceaux, témoins fossiles de l'histoire d'un individu ou d'une société" (La Pen-
sée Sauvage, Paris, 1962, p. 32).
12: S. Freud, dans L'interprétation des rêves, op. cit., p. 305, signale: "Les sentiers
escarpés, les échelles, les escaliers, le fait de s'y trouver, soit que l'on monte, soit
que l'on descende, sont des représentations symboliques de l'acte sexuel" (cf
également ibid., n. l, pour les raisons qui permettent d'expliquer cette valeur
symbolique). En premier lieu, on doit noter que S. Freud ne croyait nullement
que les images ont un sens univoque dans les rêves. Les équivalences symboliques
qu'il propose n'ont qu'une valeur indicative (cf ibid., p. 303). Dans le contex te
particulier, l'hypothèse de l'allusion sexuelle, qui, au reste, concorderait parfai-
tement avec l'ensemble de la démonstration, ne peut être coniirmée par aucun
indice particulier. sinon la mention de la "voie droite" - soit la loi, et donc
peut-être le phallus (sur ce point, cf infra, et n. 24) - dérobée aux Héliades
précisément au moment où ils montent à l'acropole Ces indices prépareraient
donc l'évocation de l'impuissance sexuelle.
13: Cf Dd., 1,490; Platon, Timée, 56 b, etc et Pindare lui-même, 11\0 Py., 36-37
14: Sur la notion de déplacement, cf S. Freud, L'interprétation des rêves, op. cit.,
p. 263-67, et en particulier p 263 : "Le rêve est autrement centré, son contenu
est rangé autour d'éléments autres que les pensées du rêve (i. e. le contenu la-
tent)". Il suffit de remplacer "rêve" par "mythe" pour que le concept de S. Freud
soit applicable à notre objet d'étude. Le but du travail de condensation et de
déplacement est de masquer un élément qui serait inadmissible dans sa forme
"originaire" (bien entendu, cette formule commode ne doit pas laisser croire
qu'il existe "plusieurs étages" dans l'inconscient). Cf également J. Laplanche
et J .-B. Pontalis, op. cit., s. v. "Déplacement".
20: Pour E. R. Dodds, Les Grecs et l'irrationnel, trad. fr., Paris, 1965, p. 56 sq.,
ce serait la crise de l'autorité du père sur la famille à l'époque archaïque qui
expliquerait l'apparition des légendes de meurtre du père, comme celle d'Oedipe
par exemple. Ces récits seraient donc le reflet des tensions qui traverseraient
alors la famille dans le monde hellénique. Cette conception, qui relève d'une
sociologie mécaniste et évolutionniste, laisse entièrement de côté le problème
du fantasme. Elle réduit les mythes relatifs au meurtre du père à une simple
"phase d'évolution" de la société grecque, ce qui revient à dénier toute valeur
universelle à la découverte de S. Freud, faute d'en avoir compris la portée véri-
table.
23: L'ode précise que c'est seulement de l'un des sept fils d'Hélios que sont issus
lalysos, Camiros et Lindos. Ce sont ces derniers qui se partagent l'île de Rhodes.
A la différence de leur père et de leurs oncles, ils ont donc accès à un pouvoir
effectif. Cf supra, chap. IV.
25: J.-P. Vernant, MP, l, "Hestia - Hermès", p. 135, note à ce propos: "Le symbo-
lisme sexuel (Agamemnon qui plante dans le sein d'Hestia la jeune pousse qui va
y germer) n'est pas ici séparable du symbolisme social. Le skeptron est comme
l'image mobile de la souveraineté. Zeus l'a transmis par Hermès aux Atrides".
26: Le héros de ce conte, Jack, s'est procuré un bâton magique, qui lui permet d'ob-
tenir tout ce qu'il désire. Au moment où son père va chercher son gourdin pour
le rosser, car il n'a pas ramené d'argent à la maison, Jack utilise son bâton magi-
que, qui frappe son père jusqu'à ce qu'il lui demande grâce. Cet épisode marque
l'accession de Jack à l'indépendance. Sur les associations phalliques du bâton
dans cet épisode et dans l'ensemble du conte, cf B. Bettelheim, PsychaNllyse des
contes de fées, (titre anglais, beaucoup plus significatif: The uses of enchant-
ment), trad. fr., Paris, 1976, p. 234-44.
27: D'une certaine manière, on retrouve là le thème classique des contes de fées:
la séparation d'avec le foyer parental est indispensable pour parvenir à sa cons-
tituer une personnalité autonome.
192 Mythe et contradiction
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ABREVIATIONS
Pythiques:
l, 1-20: 142, 147 n. 26
7-8: 95
, 152: 88 n. 36
Il, 73: 168
III, 36-37: 187 n. 13
54·55 : 105
, 55-57: 79
IV, 193 sq. : 164-165
216 sq. : 56 n. 14
, 291: 142,147 n. 24-25
V, 1 :82,107
27 : 55 n. 8,56 n. 18
75-76 : 169
202 Mythe et contradiction
VIII,44-45 : 169
, 95·97: 136-137, 146 n. 6,147 n. 18
IX, 9: 112n. 39
X, 67-68: 74
XII, 16 : 125-126
Néméennes:
1,31:113n.52
III, 31 : 166
-, 76-80: 131 n. 33
VI, 1-7: 136, 146 n. 4
VII, 12-13 : 110 n. 13
-, 32: 85 n. 6
-, 38-40: 22-23
VIII,7 : 62
, 40: 123
IX, 51: 112 n. 39
X, 11: 125
-,43:112n.39
Isthmiques:
l, 20: 85 n. 9
, 67-68: 113 n. 52
II, 8: 112n. 39
IV, 62-66: 55 n. 6
V. 1-10: 105-107, 112 n. 50, 113 n. 51-52
VI, 42 sq. : 165, 172 n. 18
VII, 5 sq. : 125-126
Péans:
VI, 92-93: 107-108
IX, 1-2: 39 n. 54, 113 n. 51
X, 13-15: 168
XII, 3-9 : 58 n. 39,64,71 n. 25
Eloges:
1: 103
Fragments:
13 : 106-107
32: 168
46: 112n. 39
97: 105-107,112 n. 41
,
TABLE
INTRODUCTION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9
Notes, 12.
Deux naissances: Rhodes et Athéna, 61. Les technai dans le mythe, 64.
L'association de l'or et de la technè : première approche, 67. Notes, 69.
Pindare, Héraclite et l'or, 91. Pindare, Hésiode et l'or, 93. L'or chez
Hésiode, 97. L'or des dieux en Egypte ancienne, 100. Sur la valeur de l'or
chez Pindare, 103. Notes, 109.
204 Mythe et cotltradil.:tion
Les hommes, 135. Les dieux, 137. L'êtn et le paraftre, 139. L 'arIsto-
crate et la cité, 140. Plndan et Eschyle, 142. Notes, 146.
CONCLUSION. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 175
BIBLIOGRAPHIE 191
ABREVIATIONS. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 199
INDEX. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 201
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Cet ouvrage
a été achevé d'imprimer
sur les presses de l'Imprimerie
du Signe à Cergy le 19 mars 1979
Dépôt légal: 1er trimestre 1979
Imprimé en France
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