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JP Gaudillère MO Barcelo
INRA INA PG, laboratoire de chimie biologique et de photophysiologie, 78850 Thiverval-Grignon, France
Résumé — Les paramètres principaux régissant la croissance en longueur des talles de blé : potentiel hydrique, os-
motique et de turgescence, ainsi que certains constituants de l’osmolarité ont été étudiés en conditions contrôlées et
au champ. L’influence de ces paramètres sur la régression des talles observée généralement au cours de la montai-
son a été recherchée. On observe une compartimentation stricte de l’eau entre les zones adultes et en croissance
d’un limbe. Le potentiel hydrique des zones en croissance est peu dépendant des fluctuations des conditions agrocli-
matiques. Le maître brin (MB) et la talle 3 (T
) présentent des stratégies différentes de maintien de leur croissance en
3
cas de déficit hydrique : le maître brin peut garder plus longtemps une turgescence positive avec un potentiel osmoti-
que systématiquement plus bas que celui de la T . Par contre, celle-ci peut croître à des pressions de turgescence
3
plus faibles, car le potentiel seuil de croissance est plus faible que celui du maître brin. Ces caractéristiques peuvent
contribuer à l’homogénéisation de la taille des talles dont la date de début d’allongement varie avec le rang. La popu-
lation de T3 qui régresse au cours de la montaison n’a pas pu être caractérisée précocement par les paramètres hy-
driques impliqués dans les modèles décrivant l’allongement. On note cependant que les talles en régression sont plus
pauvres en sucres et plus riches en nitrates.
Triticum aestivum / potentiel hydrique / potentiel osmotique / turgescence
Summary — The effects of water potential and osmotic potential on wheat tiller growth. The main growth pa-
rameters, water, osmotic and turgor potential of wheat tillers are studied in controlled and field-grown plants. The ob-
jective of the study was to analyse the decline of the tiller during shoot elongation.
Between the growing and the adult part of blades, there is a compartmentation of water. Water potential of the
growing parts is not so dependent on variations in the environment.
There are different biomechanical properties between the main and the 3rd tiller. The osmotic potential of the main
tiller is lower than that of the 3rd tiller. Accordingly, the main tiller can maintain a positive turgor for longer periods. The
turgor threshold of the 3rd tiller is lower and requires a lower turgor to maintain the same relative growth rate as the
main tiller. These properties could lead to growth compensation between tillers.
The 3rd tiller population which declines during the fast growing phase cannot be sorted at an early stage with the
growth parameters we studied, as these parameters change when the decline is obvious. At that time, a decrease in
sugar content and a relative increase in nitrate content are measured in declining tillers.
Correspondance et tirés à part. Adresse actuelle : INRA, centre de Bordeaux, station de physiologie végétale, BP 131, 33140 Pont-
de-la-Maye, France
Cependant, à forte densité de peuplement, on des modifications du pH apoplasmique (Mat-
observe des arrêts de croissance et des régres- thews et al, 1984; Fry, 1986; Barlow, 1986).
sions de talles pendant la montaison. Westoby La relaxation de la paroi sous l’effet de la pres-
(1984) a observé que les compétitions entre indi- sion de turgescence s’accompagne d’une dimi-
vidus au sein d’un peuplement en croissance nution du potentiel hydrique, ce qui crée le gra-
conduisent à la disparition de certains d’entre dient nécessaire à l’entrée d’eau dans les
eux. L’évolution de la densité du peuplement cellules et permet leur changement de volume.
(auto-éclaircissage) suit une loi générale, valable La seconde équation de Lockhart (1965), refor-
pour un grand nombre d’espèces et pour diffé- mulée par Cosgrove (1986) décrit le mécanisme
rentes conditions d’environnement où s’exerce d’entrée de l’eau :
cette compétition. Chez le blé, ainsi que chez la
plupart des graminées fourragères, l’auto-
éclaircissage entraîne rarement la disparition en-
tière de plantes. La régulation de la densité se
fait au niveau du nombre de talles. L est la conductance hydraulique volumétrique
La régression des talles, telle qu’elle a été ca- ).
MPa
-1
(s
ractérisée par Masle-Meynard (1981 a et b), ré- s est le coefficient de réflection membranaire
sulte principalement d’une compétition entre les pour les solutés.
différentes zones en allongement de la plante i est la différence de pression osmotique entre
P
vis-à-vis des principaux facteurs trophiques : l’intérieur des cellules et l’apoplasme.
eau, carbone ou azote. Toutefois ces 2 derniers L’entrée d’eau tend à diminuer P , une accu-
i
facteurs ne semblent pas limitants dans les mulation active de molécules susceptibles d’aug-
conditions culturales habituelles (Kemp et Blac- menter le potentiel osmotique est donc néces-
klow, 1980, Kemp, 1981 a et b) et ne sont proba- saire pour entretenir le processus d’allongement
blement pas responsables de la différence de vi- en maintenant la turgescence. La nature des mo-
tesse de croissance entre talles (Kemp et lécules reflète des caractéristiques métaboliques
Whingwiri, 1980). Les paramètres hydriques du processus d’allongement (Handa et al, 1983).
pourraient donc avoir un rôle déterminant dans Ce modèle primitivement développé pour décrire
l’autoéclaircissage en cours de montaison. la croissance de cellules isolées a été appliqué à
Le rôle de l’alimentation hydrique et des pro- des tissus végétaux plus complexes. Ces équa-
priétés mécaniques des parois peut être étudié à tions sont donc empiriques mais elles permettent
l’aide du modèle de Lockhart (1965), décrivant cependant une analyse des paramètres physi-
l’allongement des cellules ou des tissus (Taiz, ques qui gouvernent la croissance (Tomos,
1984, Tomos, 1985). 1985).
L’allongement des cellules sous l’action de la Ce travail a entrepris pour étudier les rela-
été
pression de turgescence est déterminé par leurs tions entre quelques facteurs biophysiques et
propriétés mécaniques viscoélastiques. La pre- biochimiques et la croissance des talles de blé
mière équation de Lockhart (1965) traduit la rela- au cours du tallage et de la montaison. Nous
avons déterminé les potentiels hydrique et osmo-
tion entre la vitesse d’augmentation relative du
volume cellulaire (V) et la différence de pression tique, ainsi que la nature des principales molé-
cules responsables de ce potentiel, sur des
(T) entre la paroi et les cellules :
plantes cultivées au champ ou en conditions
contrôlées. Les caractéristiques des maîtres
3 ont été comparées pour vérifier si
brins et des T
elles peuvent contribuer à expliquer leur compor-
tement au champ.
Y est le seuil de pression de turgescence au-
delà duquel se manifeste un allongement.
m est un coefficient de proportionnalité qui ex-
prime l’extensibilité de la paroi. MATÉRIEL ET MÉTHODES
Ces 2 paramètres évoluent avec les change-
ments de structure de la paroi au cours de la Les observations ont été effectuées sur blé tendre, Tri-
maturation des tissus. Ils peuvent également va- ticum aestivum, variété Fidel, dont les potentialités de
rier à court terme, en particulier, en réponse à tallage sont importantes.
Expériences en conditions teur de déplacement linéaire (Iffelec, Paris) attaché à
de culture contrôlées la feuille et exerçant sur celle-ci une force de 0,1 N.
photopériode est de 15 h, la densité de flux de pho- ments de MB et de T 3 ont été effectués pendant le tal-
tons est de 180 μmol ·m -2 ·. -1 Les mesures en
s lage et la montaison à 7 dates correspondant aux
conditions contrôlées ont porté sur des plantes âgées sommes de température suivantes : 611, 695, 755,
d’environ 30 j et dont le stade foliaire varie entre 7 et 9 833, 900, 971 et 1 112 degrés-jours exprimés en
pour MB et 3 à 5 pour T .
3 base 0 °C à partir de la levée. Le stade foliaire du MB
est passé de 5 à 11 pendant la durée des observa-
tions.
Traitements expérimentaux
Deux types de traitements induisant une contrainte hy- Méthodes d’analyse
drique au laboratoire ont été appliqués :
3 apparaissent, T
T 3 est en général dans un état MB et T3 se retrouve au début de la croissance
hydrique plus favorable que MB. Aux 2 densités sous forme de différence de concentrations en
de culture, le potentiel osmotique de T 3 est tou- ions minéraux et à partir de la montaison sous
jours supérieur à celui de MB, de 0,2 MPa en forme de différence de teneur en sucres.
moyenne (tableau IV). L’analyse en composantes principales de ces
Les molécules dosées dans la sève extraite données montre que, du tallage à la montaison,
des limbes en croissance, expliquent 50 à 55% les variations de pression osmotique au cours de
la saison sont expliquées principalement par les
de la pression osmotique mesurée. Une analyse
variations des teneurs en ions minéraux. Inverse-
de covariance des pressions osmotiques et des
ment, à partir de la montaison, ces variations
molécules dosées sur la totalité de l’essai sont expliquées principalement par celle des
montre que la variabilité des pressions osmoti-
sucres. Le peuplement en densité faible pré-
ques est pratiquement totalement expliquée par sente le même comportement (Barcelo, 1987).
celle des concentrations des molécules choisies
(Barcelo, 1987). Leur évolution au cours de la Évolution de la population de T
3
saison est rapportée figure 2. en fin de montaison
Le potassium est l’élément
majeur (40% envi-
ron) expliquant la pression osmotique. Si l’on Au cours des 2 derniers prélèvements, nous
considère les anions qui doivent l’accompagner avons observé dans les parcelles à forte densité
de peuplement que des T 3 présentent des symp- 3 (tableau V). Par contre, on note un enrichis-
T
tômes de régression (jaunissement et flétrisse- sement très important en nitrates des talles en
ment). Ces symptômes accompagnent l’arrêt de régression, ce qui explique le maintien de la
croissance de certaines T 3 relativement aux MB pression osmotique.
(fig 3) et du développement (mesuré par le stade
foliaire) (tableau V). Le processus régressif appa-
raît de façon brutale entre 900 et 970 °C ·j -1 DISCUSSION
pendant la montaison du MB (5 e et 6 e prélève-
ments, fig 3). La fréquence choisie des échan-
L’entrée de l’eau est 1 des facteurs déterminants
tillonnages n’a pas permis de mettre en évidence de la croissance des tissus. Elle se fait selon un
de façon anticipée, une population de T 3 desti-
née à régresser. Les potentiels hydrique et os- gradient de potentiel entre le xylème et les tis-
sus en croissance. Ce gradient a été mesuré ex-
motique ne varient pas lors de la régression des
périmentalement (Cavalieri et Boyer, 1982; Wes-
gate et Boyer, 1985; Riazi et al, 1985). Il est de
environ 0,3 MPa lorsque les tissus sont en équi-
libre hydrique et que la transpiration est nulle.
Son origine est controversée : peut-être essen-
tiellement une faible conductance hydraulique
des tissus en croissance (Nonami et Boyer,
1987) ou la relaxation des parois cellulaires (Co-
sgrove, 1986).
En conditions inductrices de transpiration, le
potentiel hydrique des tissus en croissance du
MB du blé est très stable (tableau la), alors que
celui des tissus adultes est beaucoup plus va-
riable. Il semble donc que les tissus engainés
qui montrent toujours, dans nos conditions d’ex-
périence, un potentiel hydrique plus élevé que
les limbes dégainés, aient une alimentation en
eau privilégiée, peut-être en raison d’une
conductance hydraulique élevée des tissus sé-
parant la racine des zones en croissance. Cette
répartition prioritaire de l’eau vers les zones en
croissance rend bien compte de l’indépendance
relative de l’allongement du limbe de blé par rap- tion est réduite à 0, alors que la turgescence des
port à la transpiration. L’allongement varie peu feuilles en croissance n’est pas encore significa-
en particulier, en fonction des alternances jour- tivement affectée. On peut conclure que si une
nuit (Christ, 1978), alors que la croissance certaine turgescence positive est une condition
diurne des limbes de dicotylédones est très ra- nécessaire à la croissance, d’autres phéno-
lentie(Bunce, 1977). mènes physiologiques peuvent la bloquer (Ma-
Néanmoins, nos résultats sont différents de thews et al, 1984). Cependant, la compartimen-
ceux de Michelena et Boyer (1982) qui, sur tation cellulaire de la pression de turgescence
maïs, observent un potentiel hydrique plus faible pourrait ne pas être détectée par nos méthodes
dans les zones en croissance. De même, Barlow globales de mesure du potentiel osmotique.
(1986) constate que les zones en allongement Enfin, il est possible que le stress hydrique appli-
ont des pressions de turgescence plus faibles qué pendant cette expérience de courte durée
que les zones adultes. (environ 1 h), ne permet pas de réaliser dans la
D’autre part, nous observons, comme Barlow plante un équilibre hydrique stable (Boyer et al,
(1986), une absence de gradient de potentiel os- 1985) et altère les mesures de pression de tur-
gescence.
motique le long de la feuille. Des différences de
potentiel hydrique entre zones engainées et dé- La croissance semble répondre instantané-
gainées sont donc dues à des différences de po- ment aux modifications des conditions hydriques
tentiel de turgescence entre ces même zones. des racines. La résistance au flux d’eau entre les
La zone dégainée de T racines et les feuilles serait donc faible. Les
3 est plus sensible à la conditions de culture hydroponique produisent
transpiration diurne, son potentiel hydrique dimi-
nue relativement plus que celui du MB. Cepen- des plantes à faible conductance hydraulique
dant la pression de turgescence au milieu de la (Morizet et al, 1988). Par contre, le gradient de
journée reste importante (1 MPa, tableau I) et potentiel hydrique entre tissus engainés et dégai-
semble suffisante pour maintenir la croissance. nés suggère une faible conductance hydraulique
On ne peut pas déterminer si cette différence de entre ces tissus.
comportement hydrique de MB et T 3 peut inter- La technique de manipulation de la pression
venir sur leurs vitesses de croissance relative au de turgescence des tissus excisés en croissance
champ. de Cleland (1971) permet de mesurer une valeur
Le potentiel seuil de turgescence est une ca- moyenne du potentiel de turgescence seuil de
ractéristique déterminante de la vitesse de crois- 1 ± 0,2 pour le MB avec une bonne précision.
sance (Wesgate et Boyer, 1985). Il pourrait dé- Cette valeur est comparable à celles déjà pu-
terminer la répartition de la croissance entre les bliées (Glass, 1983). Elle est indépendante de
différentes parties de la plante. La diminution de l’âge du limbe en croissance. Par contre les T 3
la surface d’échange des racines avec la solu- présentent un potentiel seuil variable avec leur
tion nutritive (expérience 1) ne conduit à un arrêt âge ou leur taille. Les jeunes talles T
3 ont un po-
de croissance que lorsque la surface d’absorp- tentiel seuil faible qui augmente ensuite pour at-
teindre celui du MB lorsqu’ils atteignent 60% de voir. La pression osmotique des talles en cours
leur longueur finale. Cette caractéristique permet de régression n’est pas modifiée et les concen-
d’envisager un comportement différencié de MB trations en glucides restent saturantes pour la
. La croissance des jeunes T
et T
3 3 sera relative- croissance. Le fonctionnement des tissus en
ment moins sensible au déficit hydrique que celle croissance est donc bloqué par d’autres fac-
de MB. Ces différences devraient être confir- teurs, comme l’activité métabolique (systèmes
mées sur des plantes développées au champ enzymatiques inhibés, Claire et Arnaudet, 1984)
puisque Y dépend des conditions de culture ou les caractéristiques biomécaniques pariétales
(Tyree et Jarvis, 1982; Mathews et al, 1984; Bar- (Cosgrove, 1986). De telles modifications pour-
low, 1986). raient être liées à la position des limbes adultes
Dans les conditions variables du champ, la tur- de T3 placés dans un champ lumineux limitant et
gescence seuil serait plus souvent dépassée et dont les caractéristiques spectrales actives sur
permettrait la croissance de T3 et donc, la durée l’équilibre phytochrome sont modifiées (Bleiss et
de croissance autorisée sera plus longue. Cette al, 1987). Il est cependant clair que l’arrêt de
caractéristique pourrait contribuer à l’homogéni- croissance des talles T 3 à forte densité de cul-
sation pour une plante de blé de la taille de ses ture n’est pas dû à une limitation des apports
talles, dont la croissance ne démarre pas à la des principaux éléments de la croissance : les
même date (Masle-Meynard, 1981 a). molécules responsables de la pression osmoti-
Les des des que, l’eau ou les glucides.
mesures paramètres hydriques
MB et T3 au champ pendant la montaison mon-
trent que les talles T
3 en situation de compétition REMERCIEMENTS
(densité de semis : 300 plantes·m
) présentent
-2
des potentiels hydriques moyens plus élevés,
donc des potentialités de croissance supérieures Ce travail a été financé par le contrat
ou égales à celles du MB. Par contre, la pression 3«Écophysiologie du blé», ONIC, INRA, ITCF.
osmotique de MB est supérieure en moyenne à
celle de T
. Il est possible que ce soit un effet de
3 RÉFÉRENCES
l’âge de la talle ou de l’ordre de la feuille en crois-
sance (Morgan, 1984). Cette différence aug-
mente la capacité de résistance à un déficit hydri- Barcelo MO (1987) Facteurs physiologiques détermi-
que, de MB, en permettant le maintien de la nant la croissance des différentes talles de blé.
turgescence à des potentiels hydriques plus bas. Thèse Docteur-Ingénieur. INA PG
L’osmolarité est assurée en majorité par les Barlow EWR (1986) Water relations of expanding
ions minéraux, mais on note une importance leaves. Aust J Plant Physiol 13, 45-58
croissante des sucres au cours de la montaison Bleiss W, Lorbeer H, Göring H (1987) Rapid growth
response of dark-grown wheat seedlings to red
(fig 2).
light-irradiation. I. Kinetic studies on the short-term
Le faible rôle joué par les sucres dans l’osmo- growth responses of intact coleoptiles at different
larité des tissus en croissance peut s’expliquer seedling age. Plant Cell Physiol 28, 253-262
par le fait que ces tissus sont activement cons- Boyer JS, Cavalieri AJ, Schulze E (1985) Control of
ommateurs. On peut penser qu’il existe une com- the rate of cell enlargment : excision wall relaxation
pétition pour les sucres entre l’osmorégulation et on growth induced water potential. Planta 163,