Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Guillaume Budé
Freu Jacques. L'arrivée des Indo-Européens en Europe. In: Bulletin de l'Association Guillaume Budé, n°1, mars 1989. pp. 3-
41;
doi : https://doi.org/10.3406/bude.1989.1378
https://www.persee.fr/doc/bude_0004-5527_1989_num_1_1_1378
Bulletin Budé 2
1» J. FREU
qu'à la côte de l'Adriatique (Hvar, Korcula). De là certains
éléments ont gagné la Grèce (catacombe de Hagios Marnas en
Chacidique, trouvailles de «haches de combat», poteries
cordées... à Athènes, Corinthe, Zygouriès...), la Crète (double-
haches et poterie de type Vuèedol), l'Italie du sud (Bari,
Tarente, Paestum...), la Sardaigne, Malte et même Chypre
(Kalopsidha) et la Palestine. Ces mouvements expliquent la
destruction de Troie II. 5 et de nombreux sites anatoliens
(2700-2400).
Mais en Europe du nord et en Europe centrale le
développement de sociétés indo-européennes converties à l'économie
agricole a été beaucoup plus tranquille et régulier. Dans toute la
région des Karpathes et en Bohême l'exploitation des ressources
minières a joué un rôle prépondérant dans la naissance d'une
brillante civilisation du Bronze : cuivre de Slovaquie, or de
Transylvanie, étain de Bohême qui ont alimenté un commerce
actif le long de la « route » qu'empruntait aussi l'ambre de la
Baltique. La naissance d'un «marché» européen a été favorisé par
l'emploi, de plus en plus fréquent de chariots attelés, tirés par des
bovins, puis des chevaux. A la fin du 3e millénaire et au début du
second la mise au point d'un char léger donnera une arme
redoutable aux éleveurs de chevaux, gens du Proche-Orient et Indo-
Européens, et fera du « bellator eqvos » l'animal de guerre par
excellence.
Le grand centre de la civilisation du Bronze en Europe
centrale, Unetice, au sud de Prague a donné son nom à un vaste
ensemble s'étendant sur la Bohême et la Moravie, la Basse-
Autriche, la Saxe, la Thuringe et la Silésie. Les dates fournies
par les sites les plus anciens s'échelonnent de 2400 à 1900 et des
liens évidents unissent l'Uneticien et la civilisation plus ancienne
des «Cordées» (haches de combat), en particulier le groupe de
Marschwitz en Silésie et les « Campaniformes » de Moravie.
Leur métallurgie a plus particulièrement imité les techniques
du complexe de Nitra en Slovaquie (2500-2000). Les recherches
récentes faites en Tchécoslovaquie insistent sur le rôle de la
«poterie cordée» dans la formation de l'Uneticien initial. En
Petite Pologne et en Slovaquie le groupe Mierzanowice-Nitra-
Kostany plonge lui-même ses racines dans le complexe « épi-
cordé » de Ch^opice-Vesele. Il n'y a donc pas eu de large
migration en Europe centrale au début de l'Age du Bronze. Ce sont les
Indo-Européens du groupe occidental, eux-mêmes en partie
descendants des Proto-Indo-Européens de la civilisation des
« amphores globulaires » qui, ayant assimilé les indigènes agricul-
L'ARRIVÉE DES INDO-EUROPÉENS EN EUROPE 19
teurs et métallurgistes des pays Karpatho-Danubiens, ont enrichi
les techniques de la culture « cordée » et l'ont transformée en un
véritable Age du Bronze. L'époque du Bronze Moyen (2000-
1600) a d'ailleurs été marquée par un morcellement des groupes
danubiens. Loin d'être isolée la civilisation d'Unetice qui dans sa
phase finale a été contemporaine de Mycènes, entre dans un
ensemble plus vaste de civilisations apparentées : Straubing en
Bavière, Adlerberg en Rhénanie, Glina-Schneckenberg en
Muntenie-Olténie, Perjamos dans la vallée du Mures, Otomani
en Transylvanie, Tei en Valaquie, Toszeg en Hongrie
orientale... Partout des «tells» sont la preuve de la longue durée
d'occupation des divers sites. Des chevaux et des bovins, des
chars aux roues munies de rayons, des vases à vernis métalliques
et de grandes quantités d'objets de métal ont été enterrés dans
des tombes sous tumulus, parfois avec cairn ou cercle de pierres.
Certaines, très riches, abritaient des «princes» et leurs trésors:
barres et lingots, torques, armes et en particulier «hallebardes»,
bijoux d'or et restes de sacrifices animaux et humains (Leky
Maie, Helmsdorf, Leubingen, Straubing).
Vers le milieu du second millénaire, alors que les centres
urbains de la Crète et de la Grèce développent leurs relations
commerciales et « diplomatiques » avec les pays de la
Méditerranée orientale, une nouvelle génération de tombes kourganes est
apparue dans les steppes, les «Timber Graves» (Srubnaya, type
Sabatinovka). Cette évolution des traditions funéraires a
coïncidé avec une forte poussée de semi-nomades en direction du
delta du Danube. L'arrivée de ces nouveaux éléments a obligé les
Indo-Européens sédentaires de Sarata-Monteoru à fortifier puis
à abandonner leurs villages. Comme lors des vagues précédentes
une économie pastorale va prédominer. Les bourgades
permanentes sont remplacées par des sites temporaires, les Zolnicki,
aux constructions de clayonnage et de torchis, avec foyer central.
La « civilisation de Noua » a mis fin brutalement au groupe
Otomani-Monteoru de Transylvanie. Cette même «culture» de
pasteurs guerriers, baptisée Coslogeni en Muntenie et en
Dobruja, s'est avancée vers le sud, à travers la Bulgarie, de 1350
à 1200 environ (groupe Ziminicea-Plovdiv). Elle y a réintroduit
une économie fondée sur l'élevage transhumant.
La zone du bas-Danube et la vallée de la Morava serbe ont été
le point de départ des « barbares » apparentés à ces tribus qui ont
répandu leur poterie grossière dans de nombreux sites grecs et à
Troie VII b.
A Corinthe, Mycènes, Tirynthe, en Attique, en Eubée et en
20 J. FREU
Achaïe (Ageira), ces tessons étrangers à l'art mycénien (type de
Mediana) ont été retrouvés dans des niveaux archéologiques de
l'extrême fin de l'Helladique Récent III b ou du tout début du
HR III c (ca 1200-1190).
Nous avons là, malgré les hypothèses récentes faisant des
« Doriens » le petit peuple de Mycènes et l'acteur d'une «
révolution sociale» qui aurait ruiné le système palatial, la preuve
tangible des destructions opérées par les « peuples du nord et de la
mer » dont les expéditions ont ravagé les Balkans et le Proche-
Orient jusqu'aux frontières de l'Egypte, au tournant du XIIIe et
du XIIe siècles avant notre ère. Et ceci quelles que soient les
circonstances, famines, révoltes, excès de centralisation, défaillance
des princes, qu'on peut avancer pour expliquer que le monde
mycénien, l'empire hittite et les riches cités de la côte de Canaan
aient été incapables de résister à des hordes bien armées mais peu
nombreuses.
L'étude des événements survenus dans les pays de «grande
civilisation» à l'époque du Bronze Récent est incomplète si l'on
ne tient pas compte de l'évolution du vaste hinterland situé au
nord des Balkans, dans la zone karpatho-danubienne devenue un
foyer secondaire de dispersion des Indo-Européens. Le
développement des centres métallurgiques de cette région a alors atteint
un niveau technique remarquable avec le passage des procédés
de moulage à ceux de la forge des objets de bronze et de fer. Les
armes du Bronze Moyen, en particulier les haches à trou
d'enmanchement toujours en usage vont être concurrencées par
de nouveaux modèles, en particulier les épées longues, dotées
d'une poignée à collet qui remplacent les dagues. Cette
révolution de l'armement a imposé le port d'armure pectorale pour
protéger la poitrine des combattants. La demande venant du
« marché » mycénien a stimulé leur fabrication. L'exemple le plus
ancien de telles « armures » a été trouvé dans la tombe royale de
Caka en Slovaquie. Certains modèles trouvés en Grèce (épées de
type Ha à Mycènes, Cos, Naxos) ont sans doute appartenu à
des mercenaires barbares recrutés dans le nord par les rois de
Mycènes.
Les troubles de la fin de l'Age du Bronze ont donc eu pour
arrière plan des mouvements plus amples qui ont abouti à
l'installation dans leurs « territoires historiques » d'une vague dTndo-
Européens appartenant au groupe méridional, les Thraces (que
les traditions associent à la destruction du monde mycénien), les
Daces et les Illyriens, sans doute très proches à l'origine. En
Anatolie l'arrivée des Phrygiens et des Proto-Arméniens, qui
sera suivie, au nord-ouest de la péninsule, par celle de tribus
thraces, se rattache à ce mouvement.
L'ARRIVÉE DES INDO-EUROPÉENS EN EUROPE 21
Mais tous ces « glissements » de peuples ont été étalés sur
plusieurs siècles et ont revêtu des formes complexes : les Philistins,
sans doute originaires des Balkans ont été installés comme
mercenaires sur la côte de Palestine par leur vainqueur, le pharaon
Ramsès III, après être passés par la Crète et probablement
Chypre. Au début du XIIe siècle ni les Doriens ni les Phrygiens
ne sont identifiables parmi les « peuples » que nous font connaître
les textes hittites, ougaritiques et égyptiens : Lukka, Shardanes,
Shikala, Tursha, Ekwesh, Philistins... Doriens et Phrygiens ont
fait partie d'une seconde vague, celle que la légende grecque a
appelé le «retour des Héraclides», qu'on peut dater d'un siècle
plus tard environ.
Bulletin Budé 3
34 J. FREU
être situé en Allemagne, à l'est du Rhin et au sud du Harz, et sur
le Haut-Danube. C'est là que les toponymes celtiques sont les
plus nombreux, en particulier oronymes (Gabreta Silva, Ercynia
silva) et hydronymes (Renus, Nicer, Maenus, Raura) qui, plus
que les noms de localités forment le fonds le plus ancien de toute
toponymie. Les Fùrstengrâber des chefs hallstattiens signalent
l'avance des tribus celtiques de la Hongrie et de la Croatie à l'est
aux causses du sud du Massif central et aux plaines du sud
aquitain vers le sud-ouest. Mais la concentration des tombes à char
en Bourgogne et en Franche-Comté prouve que ses régions ont
été le cœur de la Celtique hallstattienne. Trois tombes ont été
retrouvées au pied du mont Lassois qui contrôlait le passage d'un
gué de la Haute-Seine, sur la principale route commerciale
venant de la Méditerranée. La tombe de Vix qui contenait des
œuvres d'art étrusque et grecques, en particulier un cratère de
bronze géant et le diadème d'or de la princesse qui y était
enterrée est bien daté de 500 environ. La «phase de Vix» marque la
fin de l'ère hallstattienne. Plusieurs vagues celtes ont alors
franchi les Pyrénées occidentales et peuplé une partie importante de
la péninsule, Galice et Meseta centrale en particulier.
Au milieu du Ve siècle les pays celtiques ont connu une
profonde transformation. Un nouvel armement, entre autre le sabre
droit frappant de taille et un nouveau mode de sépulture ont
remplacé les modèles précédents. Les tombes plates alignées, les
Reihengràber, signalent l'arrivée de nouvelles tribus venant
d'Allemagne du sud. Pendant deux siècles l'expansion des Celtes
de la Tène (ca 450-250) a été formidable. Des groupes ont encore
franchi les Pyrénées alors que d'autre atteignaient la côte
languedocienne, pénétraient en Provence et menaçaient Marseille
(ca 400). Peu après Boïens, Lingons, Senons, Cenomans et In-
subres enlevaient aux Étrusques une grande partie de la plaine
du Pô et l'Emilie, d'où ils allaient piller Rome. Vers l'est la
grande tribu des Boïens occupait la Bohême et des avant-gardes
s'installaient en Silésie, en « Galicie » polono-ukrainienne et en
Transylvanie.
Dans la vallée du Danube les Scordisques et d'autres «Ga-
lates » ont refoulé les Illyriens vers la montagne dinarique à la fin
du IVe siècle et sont allés piller la Macédoine et la Grèce en 281-
279. De là ils ont poussé jusqu'en Thrace et en Anatolie centrale
(Galatie d'Ancyre) où ils se fixeront.
Les Celtes ne maintiendront pas très longtemps ce « front » de
colonisation. Dès le Ve siècle les Ibères ont occupé l'Aquitaine
au sud de la Garonne et rompu toute liaison entre les Celtes
d'Espagne et leurs frères de la Gallia comata. La conquête
L'ARRIVÉE DES INDO-EUROPÉENS EN EUROPE 35
romaine et la poussée germanique finiront par limiter à la
Celtique insulaire le territoire « gaulois » indépendant. La période de
la Tène (450-50 avant J.-C.) en Gaule et dans les îles britannique
a été celle de la « mise en place » définitive, consécutive à
l'installation des Belges, dernier ban venu de l'Outre-Rhin dans le nord
de la Gaule et le sud de l'Angleterre.
BIBLIOGRAPHIE
Recueils collectifs :
Indo-European and Indo-Europeans, éd. G. Cardona et alii,
Philadelphie, 1970.
Myth and Law among the Indo-Europeans, éd. J. Puhvel, Londres,
1970.
Antiquitates Indogermanicae (Ged. H. Gùntert), Innsbrûck, 1974.
Serta Indogermanica (Fest. G. Neumann), éd. J. Tischler, Innsbrûck,
1982.
Problématique proto-indo-européenne :
J. Mallory : « A short History of the Indo-European Problem »,
J. I. E. S. I, 21-65.
J. Mallory : « The Chronology of the early Kurgan Tradition »,
J. I. E. S. IV, 1976, 257-294; J. I. E. S. V, 1977, 339-368.
40 J. FREU
Articles importants (avec bibliographie) :
M. M. Radulescu: «Illyrian, Thracian, Daco-Mysian», J. I. E. S. XII,
1984, 77-131.
P. Harbison : « The Corning of Indo-Europeans to Ireland »,
J. I. E. S. III, 1975, 101-120.
M. Buchvaldek: «Corded Pottery Complex in Central Europe», VIII,
1980, 393-406.
R. Rimantiené : «The East-Baltic Area in the IV° and 111° mill. BC,
ibid., 407-414.
R. Adrados: «The Archaïc Structure of Hittite», J. I. E. S. X, 1982
1-36.
Compte rendu de la conférence de Dubrovnik : « The Transformation of
European and Anatolian Culture, ca 4500-2500 BC and its Legacy »
inj. I. E. S. X, 1980.
Synthèse générale :
J. Haudry: LTndo-Européen, «Que Sais-Je?», n° 1798, Paris, 1979.
J. Haudry: Les Indo-Européens, ibid. , n° 1965, Paris, 1981.
— éd. : Études Indo-Européennes de l'Institut indo-européennes,
Université Lyon III, n° 1, 1981.