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La petite fille et la poupée

Tous les soirs


Tous les soirs sans exception
Il entre à pas de loup
Dans sa chambre

Tous les soirs


A pas de loup
Il faut qu'il entre dans sa chambre
A pas de loup

Non finalement
Pas à pas de loup
Il n'est pas un loup
A pas de velours

Il n'est pas un loup


Tous les soirs
Il doit absolument entrer dans sa chambre
A pas de velours

A pas de velours
Pour ne pas la réveiller
Il ne désire pas qu'elle sorte de ses rêves
De miel et de lait

Où elle vole avec ses ailes transparentes


Au-dessus de mers irisées
Qui respirent au rythme de sa respiration
Tandis qu'elle rejoint les îles enchantées

Les îles enchantées


Où elle retrouve des oiseaux bariolés
Qui lui chantent leurs chansons douces
Qui lui caressent le coeur

Oui
Tous les soirs
Il entre
A pas de velours
Dans sa chambre
Où elle rêve
Des rêves
D'oiseaux bariolés qui lui chantent des chansons douces qui lui caressent le coeur

Oui tous les soirs il entre à pas de velours dans sa chambre


Tandis qu'elle rêve qu'elle est arrivée aux îles enchantées
Où des oiseaux bariolés lui caressent le coeur avec des chansons douces
Qui font émaner de son visage une aura de bonheur

Qu'il n'a garde d'effacer par son intrusion dans sa chambre


Emplie de sa vie ténue
Dans la nuit noire
Qui rayonne vers d'infinis lointains

Parce qu'il ne peut s'empêcher


Avant d'aller se coucher
De venir vérifier
Oui vérifier

Dans sa chambre emplie de sa vie si ténue


Si elle dort
Si elle continue de respirer
De vivre

Si elle est bien partie pour les îles enchantées de ses rêves
Si elle dort
Si elle respire
Si elle continue de vivre de sa vie si ténue

De sa vie si ténue
Dans la nuit
Qu'elle ne tient qu'à un fil
Craint-il

Et qu'il faut qu'il vérifie


Si elle vit
Si elle dort
Si elle respire

Oui tous les soirs


A pas de velours
Il doit vérifier
Que sa vie si ténue la nuit ne s'est pas interrompue

Est-ce qu'elle respire


Est-ce qu'elle vit
Est-ce qu'elle rêve
Est-ce que l'aura mystérieuse qui émane de son visage apaisé est là

Tous les soirs


Il doit s'assurer qu'elle continue sa vie si ténue la nuit
Il doit se rassurer
A pas de velours dans sa chambre qui flotte dans la nuit noire vers d'infinis lointains

Il doit se rassurer
Pas à pas de loup il n'est pas un loup
A pas de velours
Qu'elle respire qu'elle vit qu'elle rêve

Il faut qu'il constate qu'elle vit


Que sa poitrine se soulève bien au rythme de la respiration
De la mer de ses rêves
A pas de velours dans sa chambre emplie de sa vie si ténue

Dans cette nuit qui s'agrandit vers d'infinis lointains


Qui pourrait l'emporter
A jamais
Loin ailleurs dans une vie sans vie il faut qu'il vérifie

Puis il peut lui poser


Un court baiser
Très lent
Un baiser qui effleure

Un baiser qui effleure son front


Un baiser plume
Un baiser aile
un baiser souffle

Mais chaud
Comme du lait chaud
Sur son front
Qui peut parfois briller fugacement à la lumière d'un rai d'étoile

Un baiser plume
Sur son front doux
Sur sa peau tiède comme
Doit être tiède le lait d'une agnelle

Puis il est rassuré


Elle respire
Elle vit
De sa vie ténue

Il peut aller se coucher


Son père peut aller se coucher
Elle respire
Elle vit de cette vie ténue des enfants la nuit

Son front est doux


Sa respiration est calme
Sa fille vit
Elle dort

Elle vit
Elle dort
Elle vit
Elle rêve

Elle dort
Elle respire
Elle vit
Elle vit elle vit elle dort elle dort elle respire elle vit elle dort elle rêve elle soupire

Il en est presque sûr


Assez pour aller se coucher
Assez pour être à peu près assuré
Qu'il la retrouvera demain matin

Soulagé quand même au matin


De vérifier
Oui que c'est vrai
Elle a franchi cette nuit cette nouvelle nuit après toutes les autres nuits

Mais il n'y en a pas eu encore assez


Assez pour lui de nuits
Pour qu'il soit absolument certain
A son gôut pas assez encore
Pour qui'il soit certain
Qu'elle puisse continuer de vivre
De cette vie si ténue
La nuit

Voilà
Sa fille dort
Elle vit
Elle rêve

Elle rêve
Au milieu de ses îles enchantées
Qu'elle survole avec ces oiseaux
Qui lui chantent des chansons douces

Elle vit
Elle dort
Elle rêve
Il pose sur son front son baiser plume

Puis tout s'écroule


Ce soir-là
A pas de velours
Dans sa chambre

Lorsqu'il pose son baiser aile


Dans la pénombre silencieuse
Dans la pénombre silencieuse
Sur front

Pourquoi pense-t-il
Dans cette pénombre silencieuse
Pourquoi pense-t-il dans cette pénombre silencieuse
Comme un tombeau

Pourquoi pense-t-il dans la pénombre qu'elle est devenue


Silencieuse
Comme un tombeau
lorsqu'il dépose son baiser souffle très court très doux

Sur son front


Parce qu'il n'est pas chaud
Parce que sa peau est celle d'un parchemin
Rêche

Que sa poitrine ne se soulève pas au rythme des mers de ses rêves


Il vérifie
Dans son visage il n'y a plus cette aura
Ce qu'il constate à la lumière d'un rai de lune

Mais elle a les yeux ouverts


Elle vit
Elle vit
Les yeux ouverts elle vit

Elle vit
Mais elle ne respire plus
Mais son front est froid
Sa peau est rêche

Voilà
C'est fini
Ce qu'il craignait depuis des mois
Ce qu'il craignait depuis des mois

Est arrivé
Son coeur de battre
Son coeur de battre
S'est arrêté

Son coeur de battre s'est arrêté


Ce qu'il appréhendait depuis des mois
Est arrivé
Tu es fou

Tu es fou
Cesse de penser à ça
Tu me fais peur aussi
D'un coup

D'un coup tu me fais peur


Si peu de temps quoi
Si peu de temps qu'elle vit
Ta fille a trois ans maintenant
Dors
Oui va vérifier
Je vais vérifier
Tu vois elle dort elle respire elle vit elle rêve

Mais ce soir-là
Elle ne dort plus
Elle ne respire plus
Elle ne vit plus

Il savait que sa vie était si ténue la nuit


Qu'un rien pouvait l'arrêter
Voilà c'est arrivé
Elle a cessé sa vie si ténue

C'était inespéré
Qu'elle continue de vivre
De respirer
De rêver

Q'elle continue de voler vers les îles enchantées


Au loin
Au-dessus de ces mers sans limites
Aux reflets d'or et d'argent

Qu'elle continue chaque soir


De partir vers ses îles enchantées
Et de revenir
Voilà ce soir c'est fini

Elle n'est pas revenue


Elle a arrêté de vivre
De respirer
Elle est restée dans ses îles enchantées

Son coeur aussi s'arrête de battre


Son sang s'arrête de couler dans ses veines
Il est une statue glacée
Avec au plus profond une brindille de vie qui grésille

Assez pour penser que ce qu'il craignait


Tous les soirs
Est arrivé
Elle est morte

Sa fille est morte


Son front est froid
Sa peau est du parchemin
Son coeur ne bat plus

Elle est morte il meurt aussi


De battre son coeur à lui aussi s'est arrêté
Ses mains sont glacées comme
Celles de sa fille

Son âme à lui s'envole avec la sienne


Il est mort elle est morte
Dans la pénombre silencieuse
De cette chambre devenue tombeau

Il a embrassé sa fille endormie


Il a posé sur son front son baiser plume
Pourquoi ne s'est-il pas souvenu
Pourquoi ne s'est-il pas souvenu de cette poupée très grande très belle

Presqu'aussi grande que sa fille


Avec laquelle sa fille dort
Sans qui sa fille ne peut s'endormir
Parce que sans elle elle ne peut voler jusqu'aux îles enchantées affirme-t-elle

Donc il vient d'embrasser la poupée


De poser son baiser aile sur le front de la poupée
Il ne le sait pas encore
Pour le moment il meurt

Il meurt
Il se glace
Il se fige
Pour le moment

Il meurt
Que peut-il faire d'autre
Que peut-on faire quand on perd un enfant
Ce n'est pas normal

Nous ne sommes pas nés pour voir mourir nos enfants


C'est une erreur une injustice lorsque cela arrive
Peut-il donner toute sa vie pour revenir en arrière
Pour entrer plus tôt dans sa chambre silencieuse

A pas de velours
Pour vérifier plus tôt
Qu'elle continuait de vivre de respirer
Dans sa chambre silencieuse flottant dans la nuit enfuie jusqu'aux infinis confins

Vérifier plus tôt si sa fille si peu installée dans la vie


Vivant de cette vie si ténue la nuit
Avait besoin de lui
Et peut-être aurait-il pu inverser tout le processus

Aurait-il pu sauver sa fille


Donner en échanger sa vie
Vendre son âme au diable
Prier Dieu que

Tout s'est écroulé


C'est fini
Il n' y a plus rien à faire
Ce n'est pas possible

Ce n'est pas possible


Puis
Puis
Il y a ce soupir

Ce n'est pas possible


Puis il y a ce soupir
Qui ne vient pas de sa fille
Ce soupir qui ce soupir qui suit ce soupir

Qui vient du dessous de la couverture


Ce soupir qui suit ce soupir et encore ce soupir puis cet autre soupir
Qui vient du dessous
Du dessous de la couverture

Soulève la
Ce soupir qui suit ce soupir puis cet autre soupir
Tu le connais
Tu les connais
Ce soupir qui suit ce soupir et encore ce soupir puis cet autre soupir
Ces soupirs tu les connais
Ce sont ceux de ta fille
De ta fille

Soulève la couverture
Elle s'est enfouie dessous
Elle est en boule elle vit
Elle respire elle rêve elle dort

Il a soulevé la couverture
Il découvre sa fille
Elle vit elle rêve elle respire elle dort elle vit elle rêve
A côté de sa poupée très grande très belle

Les yeux grands-ouverts


Qui sourit
Sa fille les yeux grands-fermés qui rêve
Qui ne sourit pas

Mais avec son aura sur son visage


Qui dort
A droite de sa poupée les yeux grands-fermés
Au contraire de l'habitude

D'habitude la poupée très grande très belle qui sourit toujours est à droite dans le lit
De l'autre côté de la porte
Sa fille du côté de la porte
Pas ce soir là

Il a compris
Il revit
Son sang recoule dans ses veines
Il dépose son baiser plume sur le front de sa fille si doux si chaud

Sa fille qui vit qui respire qui dort qui rêve qui vit qui respire
Avec ce soupir qui suit ce soupir puis cet autre soupir
Et encore ce soupir un peu plus long plus profond plus long plus court plus profond
Au rythme de la houle qui parcourt les mers qu'elle survole dans son rêve vers les îles enchantées

Puis à pas de velours


A regret il quitte la chambre
Pour revenir presque aussitôt
A pas de velours

Pour vérifier qu'il ne s'est pas trompé


La poupée est bien à la place qu'occupe d'habitude sa fille
D'où sa méprise
Et cette angoisse

Cette angoisse
Dont il n'arrive pas à se défaire
Qui le pousse à quitter sa chambre pour revenir vérifier
Que sa fille vit respire rêve

Pourquoi cette nuit est interminable


Pourquoi le temps ne passe pas
Pourquoi le jour ne vient pas
Lève-toi lève-toi

Va vérifier
Va vérifier une nouvelle fois
On ne sait jamais
Elle vit elle dort elle rêve elle respire

Lève-toi
Va vérifier
Pourquoi cette nuit est-elle interminable
Comme si le temps de battre s'était arrêté

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