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DU lVIÊME AUTEUR
Etre singulier
Galilée
© Éditions Galilée, 1996.
9, rue Linné, 75005 Paris.
En application de la loi du 11 mars 1957, il est interdit de reproduire intégralement
ou partiellement le présent ouvrage sans autorisation de l'éditeur ou du Centre
français d'exploitation du droit de copie (CFC), 3, rue Hautefeuille, 75006 Paris.
Ainsi parlait Zarathoustra, Première partie, "De la vertu qui donne ", 2,
traduction Henri Albert, révisée par Jean Lacoste, Œuures, Il, Paris, Robert Laf-
font, 1993, p. 342.
Cette épigraphe est choisie en toute conscienceo Je prends le risque de lui
voir prêter cet accent chrétien, idéaliste et humaniste, à quoi on reconnaît sans
peine les bien-pensants dont les vertus et les valeurs, aveugles et complices à
la fois, ont laissé se déchaîner, tout ce qui aura conduit l'humanité de notre
siècle à désespérer d'elle-même. Et sans doute, Nietzsche lui-même aura parti-
cipé, à sa façon, de cette douteuse piété moralisante. Cependant, le mot de
" sens" est bien rare chez lui, et plus rare encore son usage positif: on fera donc
bien de ne pas en précipiter ici l'interprétation. Ce texte en appelle à " un sens
humain", mais c'est en affirmant que l'homme reste à découvrir. Pour que
l'homme soit découvert, et pour que "sens humain" prenne un sens, il faut
d'abord que soit défait tout ce qui prétendait à la vérité sur la nature, sur l'es-
sence ou sur la destination de " l'homme ". Autrement dit, il faut qu'il n'y ait plus
rien de ce qui, au titre du sens, rapportait la terre et l'homme à un horizon
désignable. Nous sommes désormais, c'est encore Nietzsche qui l'avait dit, "sur
l'horizon de l'infini", c'est-à-dire là où " il n'y a plus de ., terre" " - et " il n'y a
rien de plus terrible que l'infini l . "
Allons-nous enfin entendre cette leçon, sommes-nous peut-être enfin devenus
capables de l'entendre - ou bien, nous est-il désormais impossible d'entendre
autre chose qu'elle? Et pouvons-nous penser une terre et un homme qui soient
ce qu'ils sont, c'est-à-dire rien que terre et homme, mais qui ne soient donc
aucun des horizons cachés sous ces noms, aucune des "perspectives" ou des
" vues" en vue desquelles nous avons désespéré et défiguré les hommes?
" L'horizon de l'infini ", c'est: plus d'horizon du tout, mais le "tout" (tout ce
qui est) partout reporté, repoussé au dehors comme au dedans de " soi "0 Plus
de ligne tracée ni à tracer pour orienter et pour recueillir le sens d'une marche
ou d'une navigation. C'est la brèche ou l'écartement de l'horizon lui-même, et
sur la brèche, nous. Nous comme la brèche elle-même, tracé hasardeux d'une
rupture 0
Je veux souligner la date à laquelle j'écris ceci : en cet été 1995, rien ne s'im-
pose plus (à vrai dire, comment l'éviter ?), pour désigner la terre et les hommes,
qu'une énumération sans ordre de noms propres tels que ceux-ci: Bosnie-Her-
zégovine, Herzeg-Bosna, Tchétchénie, Rwanda, Serbes de Bosnie, Tutsis, Hutus,
Tigres de libération de l'Eelam Tamoul, Serbes de Krajina, Casamance, Chiapas,
Jihad islamique, Bengladesh, Armée secrète pour la libération de l'Arménie,
Hamas, Kazakhstan, Khmers rouges, ETA militaire, Kurdes (UPK!PDK), Monta-
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Que nous veut cette prolifération, qui n'a d'autre sens visible que la multipli-
cation indéfinie des sens centripètes, des sens fermés sur eux-mêmes et sursa-
turés de signification - des sens qui n'ont plus de sens dès lors, du moins, qu'ils
ne renvoient plus à rien d'autre qu'à leur propre clôture, à leur horizon d'ap-
propriation, et ne propagent au dehors que la destruction, la haine et le déni
d'existence ?
Si elle voulait nous annoncer, cette multiplicité autistique, déchirante et déchi-
rée, que nous n'avons pas commencé à découvrir ce qu'il en est de l'être-à-
plusieurs, alors même que" la terre des hommes" n'est rien d'autre que cela?
Si elle voulait donc nous annoncer qu'elle est elle-même la première mise à nu
d'un monde qui n'est que le monde, mais qui l'est absolument et sans réserve,
n'ayant aucun sens hors de cet être même: singulièrement pluriel et plurielle-
ment singulier?
Avertissement
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1. Que nous sommes le sens
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(Disant nous POUl' tout l'étant, c'est-à-dire pour tout étant, pour tous
les étants un par un, chaque fois au singulier de leur pluriel essentiel.
Pour tous, à leur place, en leur n0117 y compris ceux qui n'ont peut-
être pas de norn -, le langage parle pour tous et de tous, il dit ce qu'il
en est du monde, nature, histoire et hornme, et aussi il parle pour eux
comme en vue d'eux, pour mener celui qui parle, celui par qui le lan-
gage arrive et passe (" l'honune ':) vers ce tout de l'étant qui ne parle pas
mais qui n'en est pas moins pierre, poisson, fibre, pâte et fissure, bloc
et souffle. Le parlant parle pour le monde, ce qui veut dire vers lui, en
direction de lui, en ftweur de lui, donc afin de le faire " 1nonde)), et
ainsi "à sa place)), et « à sa mesure)), comme son représentant, mais
aussi, du rnême coup (toutes les valeurs du pro latin), au-devant de lui,
devant lui, exposé à lui comme à sa plus propre et plus intime consi-
dératiorL Le langage dit le monde, c'est-à-dire se perd en lui, et expose
comment « en lui)) il s'agit de se perdre pour être de lui, avec lui, pour
être de son sens qui est tout le sens).
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peut « vouloir dire », mais que tout dire dit: l'être même comIne
valoir absolu en soi de tout ce qui est: mais ce valoir absolu
C01nme l'être-avec de tout ce qui est, lui-même nu et inévaluable.
Ni vouloir-dire, ni dire-valoir, mais la valeur en tant que telle,
c'est-à-dire « le sens» qui n'est celui de l'être que parce qu'il est
l'être lui-même: son existence, sa vérité. Or l'existence est avec:
ou bien rien n'existe.
La circulation - ou l'éternité - va dans tous les sens, mais elle
n'y va que pour autant qu'elle aille d'un point à un autre: l'es-
pacement est sa condition absolue. De place en place et d'instant
en instant, sans progression, sans tracé linéaire, au coup par coup
et au cas par cas, accidentelle par essence, elle est singulière et
plurielle en son principe n1êtne. Pas plus que de remplisseInent
final elle n'a de point d'origine. Elle est la pluralité originaire des
origines et la création du monde en chaque singularité: création
continuée dans la discontinuité de ses occurrences discrètes. Nous
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Tout se passe donc entre nous: cet «entre», comme son nom
l'indique, n'a ni consistance propre, ni continuité. Il ne conduit
pas de l'un à l'autre, il ne fait pas tissu, ni ciment, ni pont. Peut-
être même n'est-il pas juste de parler de «lien» à son sujet: il
n'est ni lié, ni délié, en deçà des deux, ou bien, c'est ce qui est
au cœur d'un lien, l'entrecroisement des brins dont les extrémités
restent séparées jusque dans leur nouage. L'« entre» est la disten-
sion et la distance ouvertes par le singulier en tant que tel, et
comme son espacement de sens. Ce qui ne se tient pas à distance
d'" entre» n'est rien qu'immanence effondrée en soi, et privée de
sens.
D'un singulier à l'autre, il y a contiguïté, mais sans continuité.
Il y a proxünité, mais dans la mesure où l'extrême du proche
accuse l'écartement dont il se creuse. Tout l'étant touche à tout
l'étant, mais la loi du toucher, c'est la séparation, et plus encore,
c'est l'hétérogénéité des surfaces qui se touchent. Le contact est
par·-delà le plein et le vide, par-delà le lié et le délié. Si " entrer
en contact», c'est cominencer à faire sens l'un pour l'autre, cette
" entrée» ne pénètre dans rien, dans aucun" milieu» intermédiaire
1. «Entre le " nous tous" de l'universalisme abstrait et le " moi, je " de l'in-
dividualisme misérable, il yale" nous autres" de Nietzsche, une pensée du cas
singulier qui déjoue l'opposition du particulier et de l'universel. "François Warin,
Nietzsche et Bataille. La parodie à l'infini, Paris, PUF, 1994, p. 256.
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3. Accéder à l'origine
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nus, d'un autre en général con1me l'étranger par essence qui s'op-
pose au propre, n1ais d'un alter, c'est-à-dire de «l'un de deux» :
cet « autre », ce « petit autre », est 1'« un » de plusieurs en tant qu'ils
sont plusieurs, c'est chaque un et c'est chaque fois un, l'un d'entre
eux, l'un d'entre tous et l'un d'entre nous tous. De même, et réci-
proquement, «nous», c'est toujours forcément «nous tous», dont
pas un n'est «tout» et dont chacun est à son tour - des tours
simultanés autant que successifs, des tours dans tous les sens-
l'autre origine du même n10nde.
Le « dehors» de l'origine est « dedans » - dans un dedans plus
intérieur que l'extrême intérieur, c'est-à-dire plus intérieur que
l'intimité du n10nde et de chaque « moi ». Si l'intin1ité doit se défi-
nir comn1e l'extrémité de la coïncidence avec soi, alors ce qui
excède l'intünité en intériorité, c'est l'écartelnent de la co-ïnci-
dence elle-rnêlne : c'est une co-existence de l'origine «en» elle-
même, c'est-à-dire une co-existence des origines - et ce n'est pas
par hasard que nous employons le mot d'« intimité» pour désigner
un rapport entre plusieurs plus souvent qu'un rapport à soi. Notre
être-avec, en tant qu'être-à-plusieurs, n'est en rien fortuit, il n'est
en rien la dispersion secondaire et aléatoire d'une essence pri-
mordiale : il forme le statut et la consistance propres et néces-
saires de l'altérité originaire en tant que telle. La pluralité de
l'étant est au fonde1nent de l'être.
Un étant unique est une contradiction dans les termes. Un tel
étant, en effet, qui serait à lui-même son fondement, son origine
et son intimité, resterait incapable de l'être, dans tous les sens que
l'expression peut prendre ici. «Être» n'est pas un état, ni une qua-
lité, mais cette action/passion selon laquelle a lieu (<< est ») ce que
Kant appelle «la sin1ple position d'une chose» 1. Or la sirnplicité
n1ême de la «position» n'implique rien de plus - mais rien de
moins - que sa discrétion, au sens Inathématique, ou sa distinc-
tion d'avec d'autres positions (au moins possibles) ou entre
d'autres positions. On pourrait dire: pas de position qui ne soit
dis··position, et de manière corrélative, en considérant l'apparaître
qui a lieu de et dans la position, pas de parution qui ne soit com-
1. Critique de la raison pure, « Idéal de la raison pure ", 4<: section. On pré-
suppose ici aussi La thèse de Rant sur l'être de Heidegger.
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récusant ainsi ce que par ailleurs il prétend affirmer de l'" envoi de l'être. Sur
n
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coup d'envoi d'un processus orienté, 111aïs qui est passé sur le
l110de d'une « bizarrerie» Oongte111ps déll0111rnée « llliracle
grec »... ) qui s'intrigue elle-ll1ê11le et pour cela reste encore « à
venir». C'est cette dis-position de l'histoire qui fait qu'il y a bien
une histoire, et pourtant pas un processus (ici COl11111e ailleurs,
le 11lodèle hégélien se révèle délivrer la vérité par son exact
revers). C'est ainsi qu'on peut comprendre 1'« histoire de l'être»
de Heidegger - et conlprendre C011lnlent notre rapport à cette
histoire est nécessairenlent celui de sa Destruktion ou de sa
déconstruction: c'est-à-dire, de la 11lise au jour de sa singularité
C0111nle loi désassenlblante de son unité, et de cette loi elle-
mênle C011l111e loi du sens.
Ce qui suppose, évidenmlent, cette tâche aussi inlpérieuse et
urgente qu'il1lpossible à l1lesurer : cOl1lprendre conl11lent l'histoire
en tant qu'accident occidental singulier est « devenue» celle qu'on
nonlnle « 1110ndiale » ou « planétaire» sans pour autant s'engendrer
COl1lnle celle qu'on appelait « universelle»; conlprendre, par
conséquent, conlnlent l'Occident disparaît, non pas, C0111nle on
le répète de 111anière sonlnanlbulique, dans sa généralisation uni-
fornle, 11lais dans l'expansion, sous cette « unifornlité » et par elle,
d'une singularité plurielle qui est et qui n'est pas, à la fois, le
« propre» de cet « o/accident». On le conlprend, cette question
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requête de l'origine, la cité est son problème, loin d'être son sujet
ou son espace. Ou bien, elle est son sujet ou son espace sur le
mode du problèn1e, voire de l'aporie. 1VIais la philosophie, pour sa
part, n'est la requête de l'origine que sous la condition de la dis-
position du logos (c'est-à-dire de l'origine en tant que raison rendue
et discourue) : le logos est l'espacen1ent au lieu n1êIne de l'origine.
Dès lors, la philosophie est le problèn1e de la cité: elle lui dérobe
le sujet attendu comme « con1n1unauté ».
C'est bien pourquoi, très régulièren1ent, la politique philoso-
phique et la philosophie politique viennent achopper sur l'es-
sence de la con1n1unauté, ou sur la con1n1unauté comine origine.
Tels sont, pour se limiter à eux, les achoppeinents exen1plaires
de Rousseau et de Marx. Le pren1ier soulève l'aporie d'une
communauté qui devrait se précéder pour se constituer: le
« contrat », par son concept n1ême, est la dénégation, ou la forclu-
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on veut lui garder ce n0111). Telle est sans doute l'indication don-
née par le Inot qui suit l'égalité dans la devise républicaine:
la fraternité" veut être la solution de l'égalité (ou de
«
L André Tosel, Démocratie et libéralismes, Paris, Kimé, 1995, p. 203. Cf. tout
le chapitre" L'égalité, difficile et nécessaire ",
2. Étienne Balibar, La proposition de l'égali berté, Les conférences du Perro-
quet, n° 22, Paris, novembre 1989.
3. J'accorde donc à Jacques Derrida sa critique de la fraternité, dans Politiques
de l'amitié, Paris, Galilée, 1994. Non sans lui faire observer que j'ai aussi, à
l'occasion, mis en cause la fraternité chrétienne. Par aillems, j'ai réservé et je
réserve encore, malgré tout, la possibilité d'examiner si la fraternité est néces-
sairement générique et congénitale",
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1. Cf" L'insacrifiable H, clans J-L. Nancy, Une penséeftnie, Paris, Galilée, 1990.
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jour son commentaire). Au fond, c'est dans la même navigation que sont
embarqués Agamben d'un côté, Badiou de l'autre, même si ce dernier veut la
mener sous forme d'opposition, en jouant la multiplicité contre le Un. Tout cela
conduit surtout à prouver combien nous ne pensons que les uns avec les autres
(par, contre, malgré, près de, loin de, à se toucher, à s'éviter, à s'évider).
L L'Unique fondenzent possible d'une preuve de l'existence de Dieu, l, .3, § 4.
2. Encyclopédie des sciences philosophiques, § 20, trad. B. Bourgeois, Paris.
Vrin, 1970, p. 288.
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en tant que la propriété d'essence d'un l'être qui n'est que l'un-
avec-l'autre.
L'un/l'autre: ni "par", ni "pour", ni "en", ni "malgré", Inais
" avec ". Moins et plus à la fois que le " rapport» ou que le " lien ",
surtout si le rapport ou le lien présupposent chacun la préexis-
tence des ternles qu'ils relient: car l'" avec" est l'exact conten1-
porain de ses ternles, il est en fait leur contemporanéité. "Avec ",
c'est le partage de l'espace-telnps, c'est l'en-n1ênle-tenlps-au-
Inênle-lieu en tant que lui-lnênle, en lui-mêtne, écarté. C'est le
principe d'identité instantanément dénltlltiplié : l'être est en nlênle
temps au nlême lieu sous l'espacenlent d'une pluralité indéfinie
de singularités. L'être est avec l'être, il ne se recouvre pas lui-
n1êtne nlais il est auprès de soi, à côté de soi, à même soi, à se
toucher, dans le paradoxe de la proxinlité où l'éloignenlent et
l'étrangeté se révèlent. Nous: chaque fois un autre, chaque fois
avec d'autres. "Avec» n'indique pas plus le partage d'une situa-
tion commune que la juxtaposition de pures extériorités (un banc
avec un arbre avec un chien avec un passant).
La question de l'être et du sens de l'être est devenue la question
de l'être-avec et de l'être-ensemble (du sens du nl0nde). Voilà ce
que signifie une inquiétude moderne qui révèle moins une" crise
de société» qu'une injonction que la " socialité » ou la " sociation "
des hommes s'adresse à elle-Inêtne, ou qu'elle reçoit du Inonde:
d'avoir à n'être rien d'autre que ce qu'elle est, nlais d'avoir enfin
à être elle-même l'être en tant que tel. Une telle fonnule est
d'abord d'une abstraction tautologique désespérante - et c'est
pourquoi nous sommes tous inquiets -, Inais notre tâche est de
briser la coque dure de cette tautologie: qu'est-ce que l'être-avec
de l'être?
En un sens, c'est toujours la situation initiale occidentale
qui se répète, c'est toujours le problème de la cité, celui
dont la répétition a déjà scandé notre histoire pour le meil-
leur et pour le pire. Aujourd'hui, cette répétition se produit
comnle une situation dont les deux données nlajeures
conlposent une sorte d'antinolnie: d'une part l'étalenlent d'un
monde, d'autre part la fin des représentations du monde.
Cela ne veut pas dire nloins qu'une Inutation dans le rapport
" politique-philosophie". D'une part il ne peut plus s'agir d'une
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1. On sait que c'est une formule chère à Bataille. On pourrait même dire que
ce fut sa formule, absolument.
2. Cf. Toni Negri, "La crise de l'espace politique", et l'ensemble du
numéro 27, " En attendant l'empire ", de Futur antérieur, Paris, l'Harmattan, jan-
vier 1995.
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Ainsi, l'être ne coïncide pas avec lui-mên1e sans que cette co-
incidence ne se rernarque aussitôt et essentiellement elle-n1ên1e
selon la co-structure de son événen1ent (incidence, rencontre,
angle de déclinaison, choc, accord discordant). L'être co-ïncide
avec l'être: c'est-à-dire qu'il est l'espacelnent, et la survenue
- l'espacen1ent survenant - du co-, singulier pluriel.
On pourrait demander pourquoi il faut encore nomn1er « être»
cela dont l'essence se réduirait à un préfixe de l'être, à un co- en
dehors duquel il n'y aurait rien, rien que les étants ou les exis-
tants, n1ais aucune substance ou consistance propre de 1'« être"
en tant que tel. Et c'est bien, en effet, de cela qu'il s'agit. L'être
ne consiste en rien d'autre qu'en l'existence de tous les existants.
Toutefois, cette consistance elle-rnên1e ne s'évanouit pas en une
poussière d'étants juxtaposés. Ce que j'essaie d'indiquer en par-
lant de la « dis-position" n'est ni une position sin1ple, ni une jux-
taposition. Le co- définit bien l'unité et l'unicité de ce qui est en
général. Ce qui est à comprendre, c'est précisément la constitution
en {( co- " de cette unique unité: le singulier pluriel.
(Au delneurant, on n10ntrerait sans peine que c'est une ques-
tion déjà portée et répétée par une longue tradition, celle de la
rnonadologie de Leibniz aussi bien que celle de toutes les formes
de la « division originaire", et plus largen1ent encore, toutes les
formes de la différence de l'un en lui-n1ême ou pour lui-même.
Ce qui in1porte, c'est précisément cette répétition: la concentra-
tion et le creusement de la question - ce qui ne signifie pas néces-
sairement un progrès, ni son contraire, un appauvrissement, mais
plutôt sans doute lIn déplacement, une dérive, un elnportement
vers autre chose, vers une autre posture philosophique.)
À tout le moins, et par provision, on essaiera de dire ceci: pas
plus que d'une unité originaire et de sa division il ne s'agit d'une
multiplicité originaire et de sa corrélation (ni le Un se divisant lui-
mên1e, archi-dialectiquelnent, ni les aton1es et le clinan1en). Dans
l'un et l'autre cas, il faut penser une antériorité de l'origine sur
quelque événen1ent qui lui survient (n1ên1e s'il provient d'elle). Il
faut donc penser l'unité originairement plurielle: et c'est bien là
penser le pluriel comlne tel.
Plus, en latin, est le comparatif de multus. Ce n'est pas {( nom-
breux", c'est « plus ". C'est un accroisselnent ou un excès d'ori-
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7. Co-existence
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condition: la co-existence.
Si l'espoir" socialiste ", COlnme tel, a dù se cornprendre comrne
illusion ou comn1e leurre, le sens qui le portait - le sens qui faisait
signe, violeinment, à travers lui - n'en a que 111ieux été n1is en
lumière. Il ne s'agissait pas de substituer au règne des uns le règne
des autres, la don1ination des" masses" à celle de leurs n1aîtres.
Il s'agissait de substituer à la domination en général une souve-
raineté partagée, qui fùt celle de tous en étant celle de chacun -
mais une souveraineté con1prise, non pas, précisément, comme
l'exercice d'un pouvoir et d'une don1ination, Inais con1n1e une
praxis du sens. Dès lors que les souverainetés traditionnelles
(l'ordre théologico-politique) .perdaient, non le pouvoir (qui ne
faisait que se déplacer), mais la possibilité de faire sens, le sens
lui-mên1e, c'est-à-dire « nous ", exigeait son dù - si on peut le dire
ainsi. Ce que Marx cOlnprenait con1me l'aliénation, et dont il ne
faut surtout pas oublier qu'elle était pour lui conjointement l'alié-
nation du prolétariat et l'aliénation de la bourgeoisie (au fond,
une aliénation du "nous ", mais dissymétrique, inégale), c'était en
dernière instance l'aliénation du sens. Mais Marx laissait encore
en suspens la question de l'appropriation ou de la réappropriation
du sens - par exemple, en laissant ouverte la question de ce qu'il
faudrait entendre par le "travail libre". Ce suspens ouvrait, à
terme, sur l'exigence d'une autre ontologie de l'" être générique"
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toute « association ", pour ne rien dire des « comn1unautés " et des
« fraternités" dont on forgeait les scènes prin1itives (la scène pri-
n1itive en général étant elle-luême avérée COlun1e scène du fan-
tasule) ce qui reste, donc, paraît n'être rien de plus que la dite
« société" face à elle-luên1e, l'être-social lui-111ême défini par ce
jeu de glaces, et se perdant dans les éclats scintillants de son
rniroiten1ent. Ni l'Autre, ni les autres, n1ais un singulier pluriel
dont l'asson1ption se fait par sa propre curiosité pour lui-n1êlue,
dans une équivalence généralisée de toutes les représentations de
soi qu'il se donne à conson1mer.
On a non11ué cela la société spectacuIaire·-n1archande ", et la
« «
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pas autre chose que l'appropriation réelle de l'être social par lui-
n1ên1e. À un ordre structuré par une division visible de la société,
et ne trouvant de justification que dans un au-delà invisible de
cette division (religion, idéal) succède un ordre immanent qui
n1Ï1ne de toutes parts, con1n1e la visibilité même, son auto-appro-
priation. La société du spectacle est la société qui accon1plit l'alié-
nation par une appropriation imaginaire de l'appropriation réelle.
Le secret du leurre consiste en ceci, que l'appropriation réelle ne
doit consister en rien d'autre qu'en une libre itnagination créatrice
de soi, indissociablement individuelle et collective: la n1archan-
dise spectaculaire, sous toutes ses forn1es, consiste elle-n1êtne
essentiellen1ent dans l'iInaginaire qu'elle vend à la place de cette
imagination authentique. Ce dont il est fait comn1erce universel,
c'est d'une représentation de l'existence con1n1e invention et
comn1e événen1ent appropriant de soi. Un sujet de la représen-
tation - c'est-à-dire, un sujet réduit à la somn1e ou au flux des
représentations qu'il achète - tient la place et le rôle d'un sujet
de l'être et de l'histoire. (C'est pourquoi la réplique au spectacle
se forn1ltle COInn1e la libre création de « situation» : événement
appropriant dérobé, dans l'instant, à la logique du spectacle. C'est
aussi pourquoi le situationnisn1e, issu de mouven1ents artistiques,
renvoyait à un paradiglne de la création artistique, fùt-il sans
esthétisn1e et n1ên1e contre l'esthétislne.)
De cette manière, le situationnislne (dont je ne veux pas faire
ici l'étude, et que je considère à titre de symptôn1e 1) - et avec
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1. Publicité pour la marque" Nike ", dans le métro parisien en août 1995. Je
précise que, intentionnellement ou non, le mot" insignifiante" était en fait écrit
au masculin.
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9. Comparution
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une sorte de tic idéologique aussi bien dans les théories du « spec-
tacle» que dans celles de la {( comn1unication » n'est que l'effet lui-
n1ême mythique et n1ystifiant du désir éperdu d'une {( pure» sym-
bolisation (et une manifestation sYlnptonutique de la faiblesse de
la {( critique en général). Le seul critère de la symbolisation n'est
»
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1. Méditations cartésiennes, op. cit., § 60, p. 118. Ici plus qu'ailleurs sans
doute, Husserl montre comment la phénoménologie touche d'elle-même à sa
limite, et la transgresse: ce n'est plus un noyau égoïque, mais bien « le monde
en tant que sens constitué" (Ibid., § 59, p. 117) qui s'avère constituant. La consti-
tution est elle-même constituée: telle est sans doute, énoncée dans ces termes,
la structure ultime du «langage" et de 1'« avec ", du langage comme" avec ". Tout
le contexte immédiat de ce passage montre comment Husserl entend ici
répondre au plus près à Heidegger et à une pensée du Mitsein encore insuffi-
samment fondée dans la «nécessité essentielle" Cp. 116) du "monde objectif
donné" et de ses" communautés de différents degrés" (ibid.). Il se produit ici
un chiasme très remarquable entre deux pensées, qui se provoquent et se croi-
sent l'une l'autre selon ce qu'il faudrait appeler deux s(vles de l'essentialité de
l'avec. On pourrait dire, grossièrement, le style de la coappartenance (dans l'être
COl1une vérité, Heidegger) et le style de la corrélation (dans l'ego comme sens,
Husserl). Mais on pourrait aussi bien inverser des caractéristiques aussi sché-
matiques. L'important n'est pas là: il est dans un témoignage conunun de
l'époque (avec Freud, avec Bataille, avec. J, selon lequel l'ontologie doit être
désormais de 1'« avec ", ou de rien.
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n'est pas sortir d'UI1 être-en-soi pour venir vers les autres, ni pour
venir au monde. C'est être dans la si111ultanéité de l'être-avec, où
il n'y a aucun" en soi" qui ne soit i11l111édiate11lent « avec ".
Mais « il11111édiatement avec" ne renvoie pas à une ünmé-
diateté au sens d'une absence d'extériorité. C'est au contraire
l'extériorité instantanée de l'espace-teI11ps (l'instant lui-111ême
connne extériorité: le sil11ultané). Et c'est ainsi que la C0I11-paru-
tion fonne une scène qui n'est pas un jeu de 111iroirs - ou bien,
que la vérité du jeu de 111iroirs doit être c0111prise com111e la vérité
de l'" avec ". En ce sens, la " société" est" spectaculaire ".
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1. Jusqu'à un certain point seulement. Car Rousseau a fort bien perçu la néces-
sité du spectacle qu'il condamnait, et c'est une sorte d'auto-dépassement de l'ex-
tériorité spectaculaire-représentative qu'il a voulu penser, aussi bien du côté de
la" religion civile" que du côté de la littérature. Ainsi, " littérature" d'une part (avec
" musique ", ou " art " en généra!), " religion civile" de l'autre (c'est-à-dire, figure
présentable d'une socialité laïque) sont les termes précurseurs de notre problème
comme problème du sens-avec. "NJontrer un homme à ses semblables ... ", d'une
part, et d'autre part, célébrer - à défaut de pouvoir en vivre l'événement -le pacte
instituteur de l'humanité elle-même. Le modèle est partout et nulle part, singulier
pluriel. C'est aussi pourquoi, d'emblée, le problème se construit selon une conver-
gence et une division entre" art" et " religion civile "...
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résultat), tnais bien plutôt au sens où l'" être », ici, tient tout
entier dans l'acte et dans l'exposition de l'acte. En ce sens, on
pourrait dire que le " contrat» de Rousseau n'a pas pour essence
la conclusion d'une convention, tnais la scène, le théâtre de la
convention.
1. Cela ne veut pas dire que tout spectacle, indifféremment, soit "bon à
prendre ". Au contraire, une société dont la forme spectaculaire n'est plus codi-
fiée pose, et doit se poser, les problèmes les plus difficiles quant au spectacle:
non seulement elle doit affronter à son sujet une multitude de décisions éthiques,
pratiques, économiques, esthétiques et politiques, mais elle doit d'abord
reprendre et fonder à nouveaux frais la pensée du "spectacle" comme tel. La
critique générale du " spectaculaire" - de la médiatisation, de la télévision, etc. -
sert le plus souvent d'alibi et d'écran à une idéologie très pauvre. Geignarde,
hargneuse ou hautaine, elle est intéressée à faire valoir qu'elle détient la clef de
ce qui serait illusion et de ce qui ne le serait pas. Elle prétend savoir, par
exemple, que " les gens" sont " abmtis " par" la télévision ", voire par la "télé-
cratie", alors qu'elle ne sait rien, au fond, ni du véritable usage que font" les
gens" de la télé - un usage peut-être beaucoup plus distancié qu'elle ne veut le
savoir -, ni de l'état réel, parfois bien" abmti ", des cultures populaires d'antan.
La critique du spectaculaire, depuis quelque temps, se fait son cinéma mais il
commence à vieillir.
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Cela ne veut pas dire que cette pensée doive nous arriver
denlain ou plus tard, COlnme par l'effet d'un progrès ou d'une
révélation. Car il ne s'agit peut-être pas d'un nouvel objet de pen-
sée qu'on pourrait identifier, définir et exhiber comnle tel. Nous
n'avons pas à nous identifier en tant que « nous», en tant qu'un
« nous ". Nous avons plutôt à nous dés-identifier de toute espèce
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l. Tout cela suppose, à l'évidence, une référence générale aux travaux sur la
mimésis de Derrida et de Lacoue-Labarthe, ainsi qu'au travail de Balibar sur La
philosophie de Jl1aJX (Paris, La Découverte, 1993), qui insiste sur le lien intrin-
sèque de " la nécessité de l'apparence" et du " rapport social ", et sur l'exigence
d'élaborer, dans ces conditions, une" ontologie de la relation".
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1. Sauf à se représenter, ainsi qu'on l'a fait à la Révolution et chez les Roman-
tiques allemands, une autre Rome, la Républicaine, comme un théâtre politique
immédiat et sans théâtre, celui de la toge et du Sénat.
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dans la mesure où il met cet être au jour en tant que teL Il n'est
pas, dans un processus historique continu, le négatif dialectique
d'une cOlnmunauté préalable, mais il expose une constitution ou
une configuration singulière-plurielle qui n'est, précisément, ni la
" communauté», ni 1'« individu». L'incalculable "plus-value», la
" valeur» COlnme accroissement indéfini, circulatoire et autoté-
lique, expose l'inaccessibilité d'une "valeur» prirnordiale ou
finale, et pose en son1lne directement, d'une 111anière paradoxale
et brutale, la question d'un" hors-valeur ou d'u11e " valeur abso-
»
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sont toutes égalen1ent les unes avec les autres. C'est une telle
Inesure qu'il nous revient de prendre.
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1. Lévitique, XlX, 18, repris dans Matthieu, XXII, 39, et Épitre de Jacques, II,
8, «agapéseis ton plésion sou ôs seautov", «diliges proxilnum tuum sicut tei-
psum" : tu chériras ton prochain comme toi-même - «loi royale", commande-
ment qui résume, avec celui d'aimer Dieu, « toute la loi et les prophètes ",
2. Je ne m'arrête pas sur l'intrication de notions dont cet « amour" est le nœud,
éros, agapé, caritas, non plus que sur l'intrication judéo-chrétienne de l'amour
et de la 10L On sait quel énorme champ d'investigation représente cette forma-
tion, qu'on ose à peine dire conceptuelle, et dont c'est peu de dire que toute
notre tradition - toute notre pensée de «nous" - aura pivoté sur elle. Décons-
truire la christianité - théologique et/ou sentimentale - du «Aimez-vous les uns
les autres ", telle est la tâche.
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1. Ibid., § 26, trad. Martineau modifiée. Umwillen peut être rendu par « pour ",
«en vue de ", « en fonction de ", « en faveur de ", « pour l'amour de" (um Gottes
Willen O.
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L " Langage, qu'il soit parlé ou tu, la première et la plus vaste humanisation
CVennenschung) de l'étant. À ce qu'il paraît. Mais c'est lui précisément la plus
originaire déshumanisation CEntmenschung) de l'homme en tant qu'être vivant
là-présent et " sujet !, et tout ce qu'on en a fait jusqu'ici. " Heidegger, Beitrage
zur Philosophie, Frankfurt-am-Main, Klostermann, 1989, p. 510.
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avec) qui sont tous et chaque fois les uns parrni les autres. Être
ne dit rien d'autre, et par conséquent, si le dire dit toujours l'être
d'une manière ou d'une autre, en retour l'être n'est exposé que
dans l'incorporel du dire.
Ce qui ne signifie pas que l'être « n'est qu'un mot» - mais bien
plutôt, que l'être est tout ce qu'est et tout ce que fait un Inot : à
savoir, être-avec à tous égards. Car un mot n'est ce qu'il est que
parn1i tous les mots, et une parole n'est ce qu'elle est que dans
l'« avec" des paroles. Le langage est essentiellement dans l'avec.
Toute parole est silnultanéité de deux paroles au moins, celle qui
est dite et celle qui est entendue - fût-ce par moi-même -, c'est-
à-dire celle qui est re-dite. Dès qu'une parole est dite, elle est re-
dite, et le sens ne consiste pas dans une transinission d'un émet-
teur à un récepteur, mais dans la simultanéité de deux (au n10ins)
origines de sens, celle du dire et celle de sa redite.
Le sens, c'est que ce que je dis ne soit pas simpleinent « dit ",
mais pour être dit, en vérité, me revienne redit. Mais en me reve-
nant ainsi - de l'autre - cela est aussi devenu une autre origine
de sens. Le sens est le passage et le partage d'origine en origine,
singulier pluriel. Le sens est l'exhibition du fond sans fond, qui
n'est pas un abîme, tnais simpleinent l'avec des choses qui sont,
en tant qu'elles sont. Le logos est dialogue, mais le dialogue n'a
pas pour fin de se dépasser en « consensus ", il a pour raison de
tendre, et de seulernent tendre, lui donnant ton et intensité, le
cunz-, l'avec du sens, la pluralité de son surgissen1ent.
Il ne suffit donc pas d'opposer le bavardage à l'authenticité
d'une parole pleine de sens. Il faut au contraire discerner dans le
bavardage l'entretien de l'être-avec con1n1e tel: c'est en
s'« entretenant", au sens de la discussion, qu'il s'« entretient", au
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est toujours déjà donné. Mais elle n'est pas « posée dessous », elle
ne préexiste pas aux positions, elle est leur simultanéité.
Le non-être de l'être - son sens - c'est sa dis-position. Le
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corporel en quoi les corps s'annoncent les uns aux autres en tant
que tels.
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1. Je suis ici les indications des Beitrage, op. cit., p.319 et suiv., pour
reprendre ensuite un ensemble d'indications connues de Sein und Zeit afin d'en
suggérer une recomposition dans laquelle le Mitsein serait effectivement co'·
essentiel et originaire. Il faut réécrire Sein und Zeit: ce n'est pas une prétention
ridicule, et ce n'est pas «la mienne H, c'est la nécessité des œuvres majeures, en
tant qu'elles sont nôtres. À cette nécessité appartient aussi, on le devine sans
peine, l'enjeu d'une réécriture politique.
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des occurrences d'un mê111e sujet: pour autant que « je" suis
« le rnême", encore faut-il toujours une autre fois où je 111e dis-
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