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ARTICLE DE PAUL RICOEUR :

La première chose que fait le philosophe dans son article est qu’il distingue la
souffrance de la douleur. Pour lui, on va réserver le terme de douleur a des affectes ressentis
sur des organes du corps. Tandis que la souffrance va toucher le langage, le rapport à autrui
et à nos sens. La souffrance a donc un panel plus large et va toucher un ensemble de réseaux
affectant notre personnalité. Mais la douleur pure, purement physique, reste un cas limite,
comme l'est peut-être la souffrance supposée purement psychique. Ce chevauchement
explique les hésitations du langage ordinaire : nous parlons de douleur à l'occasion de la perte
d'un ami, mais nous déclarons souffrir d'un mal de dents.
Mais il ajoute en plus qu’il y a une autre difficulté qui consiste à répartir les
phénomènes du souffrir sur deux axes :
✓ Le rapport soi/autrui : quand nous souffrons, le rapport que nous avons à nous-
mêmes et à autrui est perturbé.
✓ L’agir et le pâtir (action/passion) : la souffrance consiste dans la diminution de
la puissance d’agir. Ici on voit la théorie d’Aristote avec l’activité et la passivité.
Cet axe regroupe finalement l’axe soi/autrui dans un sens.
Il va réserver la troisième partie de son travail sur la question du sens de la souffrance
(Pourquoi moi ? Pourquoi suis-je un sujet de souffrance ?).
L’axe soi/autrui
C'est d'abord à un paradoxe que nous semblons confrontés. D'un côté le soi paraît
intensifié dans le sentiment vif d'exister, ou mieux dans le sentiment d'exister à vif. Lorsque
l’on souffre, il y a une sorte d’exaltation du sentiment d’exister. Si je souffre, je suis. Quand
nous souffrons, il n’y a pas de place pour un doute. Le rapport du sujet à la souffrance est un
rapport d’immédiateté. Dans cet axe, il y a le fait que nous souffrons (immédiateté) mais le
fait que nous pouvons aussi représenter la souffrance (la peindre, la crier, l’exprimer, …).
D'un autre côté, il n'est pas faux de diagnostiquer une intensification d'un genre spécial
du rapport à autrui ; cela se passe sur le mode négatif, à la façon d'une crise de l'altérité qu'on
peut résumer par le terme de séparation. Esquissons quelques figures de la séparation dans
la souffrance. Il y a différents degrés du plus bas au plus intense :
-Au degré le plus bas, c’est ce qu’il appelle le degré de l'expérience vive de
l'insubstituable. Càd qu’il n’y a que moi qui souffre et qui peut souffrir, que je ne peux pas
passer cette souffrance. Elle me montre que je suis vivant. Le souffrant est unique.
-Ensuite, il y a le degré incommunicable : l'autre ne peut ni me comprendre, ni m'aider
; entre lui et moi, la barrière est infranchissable : solitude du souffrir ...
-Le dernier degré est que l’autre dans la souffrance est mon ennemi. C’est autrui qui
me fait souffrir. Nous allons imputer la souffrance à un autre que nous.

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-Enfin, au plus haut degré de virulence, se déchaîne le sentiment fantasmé d'être élu
pour la souffrance. On parlerait de cette malédiction comme d'une élection à l'envers ; c'est
de là que surgit la question : pourquoi moi ? pourquoi mon enfant ? Enfer du souffrir
Ensuite, dans cet axe il regarde aussi l’hétéro-souffrance, celle que l’on crée et que l’on
s’inflige à soi-même.
L’axe agir/pâtir
Lorsque nous souffrons, nous perdons notre pouvoir d’agir et nous sommes un être
diminué. Il distingue quatre niveaux où on peut être mis à l’épreuve :
-La parole : La souffrance se montre dans le corps entier, et surtout dans le visage (les pleurs,
…). Pour lui, il y a une faille entre « vouloir dire » et « l’impuissance à le dire », c’est ce qu’on
appelle la plainte (cela ne va pas, mais on ne sait même pas l’expliquer). La plainte est à la fois
exhalée de soi, arrachée du fond du corps, et adressée à l'autre comme demande, comme
appel à l'aide. Par-là se marque la différence avec la douleur qui bien souvent reste enfermée
dans le silence des organes.
-Le faire : Après, il y a un écart entre le fait de pouvoir et de vouloir. Il va donc apparaitre dans
la souffrance, quelque chose de lourd et d’impuissant. On souffre, on aimerait faire quelque
chose, mais on ne peut pas le faire (ex : bouger, manger, ...), souffrir c’est aussi endurer.
Sur le plan de l’axe soi/autrui, ce phénomène fait apparaitre cette idée que souffrir c’est se
sentir la victime de quelque chose, d’une violence que nous subissions. Donc, lorsqu’il y a de
la souffrance, il y a de la perturbation sur la façon dont nous communiquons.
-La narration, raconter (à autrui et à soi-même) : La plainte est à la fois exhalée de soi, arrachée
du fond du corps, et adressée à l'autre comme demande, comme appel à l'aide. Par-là se
marque la différence avec la douleur qui bien souvent reste enfermée dans le silence des
organes. La souffrance y apparaît comme rupture du fil narratif, à l'issue d'une concentration
extrême, d'une focalisation ponctuelle, sur l'instant. Il y a donc une grande perturbation sur
la faculté donc nous avons à nous raconter et nous comprendre nous-mêmes. Il y a une crise
de la narration. Par exemple, on ne trouve plus la raison pour laquelle on va pouvoir se
raconter d’une façon heureuse. Il y a un tissu inter-narratif qui est brisé.
-L’imputation moral, s’estimer : le fait que nous nous constituons comme cause et comme
effet de la souffrance. C’est lorsqu’on reconnait sa faute et ses actes. Lorsque nous souffrons,
nous ne sommes plus capables de s’estimer et de s’aimer soi-même. Quand le sujet souffre, il
est véritablement perturbé dans sa dignité. C'est en particulier à l'occasion de la perte d'un
être cher que l'on est porté à se dire à soi-même : je dois bien être puni pour quelque chose.
La parole de réconfort qui s'impose ici est de dire : « non, vous n'êtes pas coupable ;
précisément vous souffrez ; et c'est autre chose ».
Sur l'autre versant, celui de l'altérité, la perte de l'estime de soi peut être ressentie comme un
vol ou un viol exercé par l'autre. Mais, dans la réalité d'un monde violent, chacun peut être
amené à souffrir du faire-souffrir, réel ou fantasmé, manigancé par les « méchants ». En ce

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point, la plainte évoquée plus haut dépasse le simple gémissement et s'articule en plainte de
..., en plainte contre ...
Donc du côté du souffrir, on va toucher au pouvoir dire, au pouvoir faire, au pouvoir
raconter et se raconter et au pouvoir de se considérer comme une cause morale.
Chaque point de l’axe agir/pâtir peut être relié à celui de l’axe soi/autrui. Les quatre
effets de cet axe vont avoir des conséquences sur l’axe soi/autrui. Par exemple, quand on
applique cette impuissance à s’estimer à l’axe soi/autrui, cela mène à la culpabilité, on se sent
fautif (ex : si on perd un être cher, on croit qu’on doit être puni pour quelque chose).
Ricoeur pense que dans ce problème que l’on a avec la mésestime de soi, on peut aller
jusqu’à un cas limite : le jugement de condamnation que la personne qui souffre va porter
contre elle. Elle va se condamner. On peut aller jusqu’à une persécution de l’esprit
(traumatisme de l’esprit).
A l'intersection entre le rapport à soi, intensifié par la culpabilité, et le rapport à autrui,
altéré par le délire de persécution, se profile le visage terrifiant d'une souffrance que
quelqu'un s'inflige à soi-même au niveau même de sa propre estime. Les passions offrent une
illustration saisissante du « se faire souffrir soi-même. En effet, à la différence des émotions,
qui vont et viennent, des pulsions qui s'investissent dans des objets variables d'amour et de
haine, les passions consistent en des investissements du désir dans des objets érigés en absolu
; elles présentent ainsi un caractère de démesure.
Il dit que le passionné souffre deux fois :
- Une première fois, de viser ce qui est hors de son atteinte et dont le prix à payer
en jouissances sacrifiées, au bénéfice d'une seule chose désirée, peut être
incalculable.
- Une deuxième fois, de manquer inéluctablement son but : à cet égard, on ne
souffre pas moins de la désillusion que de l'illusion.
Je propose l'examen rapide de deux passions où la souffrance infligée à soi-même
bénéficie encore, si j'ose dire, d'une certaine clarté ou, dirait-on mieux, d'une certaine lucidité
: l'envie et la vengeance. L’envie est un sentiment de tristesse, d’irritation et de haine contre
qui possède un bien que l’on n’a pas. Je souffre de ce que l’autre a et que je n’ai pas. Quant à
la vengeance, elle consiste à se dédommager soi-même d’une offense en punissant son
agresseur. Nous entrons dans une régression de notre humanité.
Qu’est-ce que la souffrance pourrait donner à penser ?
Il faut être précautionneux avec ça, car la souffrance est quand même de l’ordre d’une
diminution. Du coup, il ne faut pas commencer à croire que la souffrance nous fait penser
quelque chose et différemment. Il ne faut pas tenir la souffrance comme une sorte de
positivité qui serait une sorte de sacrifice. Mais elle nous fait quand même penser certaines
choses par apport aux deux axes :
✓ Axe soi/autrui : La souffrance interroge, elle cherche une justification. Je
souffre, sans qu'il y ait un « quelque chose » que je souffre ; si la souffrance est

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d'une certaine façon sans « objet », elle n'est pas sans « pourquoi ? ». Elle
pourrait nous faire réfléchir au pourquoi nous souffrons. Cela aurait un rapport
à l’éthique. La souffrance va être jugée comme une figure du mal, nous allons
l’identifier dans sa cause. Si la souffrance peut être sans objet (organe), elle
n’est jamais sans pourquoi. D'où la question : pourquoi ce qui ne devrait pas
être existe-t-il ? La question morale se fait ici question métaphysique.

✓ Axe agir/pâtir : La souffrance peut apporter la compassion, càd le pouvoir de


souffrir avec. On fait ici l’expérience de la parcimonie (sentiment qui montre
qu’on est très démuni et qu’on ne peut pas). Mais elle nous fait comprendre
que le monde peut être amélioré, que nous devons être solidaire. La souffrance
apporte donc une certaine communion et solidarité. D'un côté, c'est moi qui
souffre et pas l'autre : nos places sont insubstituables ; peut-être même suis-je
« choisi » pour souffrir, selon le fantasme de l'enfer personnel ; de l'autre côté,
malgré tout, en dépit de la séparation, la souffrance exhalée dans la plainte est
appel à l'autre, demande d'aide — demande peut être impossible à combler
d'un souffrir-avec sans réserve ; une telle compassion est sans doute ce que
l'on ne saurait donner. Par exemple, dans une clinique et dans une salle
d’attente, on fait passer avant nous les personnes qui souffrent.
Le sens premier du terme « souffrir » est la persévérance en dépit de. En définitive,
nous connaissons des douleurs organiques et nous connaissons des souffrances sur le plan de
la réflexibilité, sur le langage, sur le rapport à nous-même et à autrui. Mais en dépit de tout
ça, nous avons toujours cette force dans l’existence qui nous pousse à continuer à vivre ou à
survivre. Paradoxalement, se donner la mort est une poursuite d’une finalité de vie. Les
personnes qui se suicident n’ont pas d’autres choix que de se donner la mort pour continuer
à vivre.

Question examen : Expliquez d’abord de façon synthétique la différence que fait Ricoeur
entre souffrance et douleur, puis expliquez dans le détail ce que Ricoeur - dans le cadre de
l’axe agir/pâtir – entend penser quand il parle d’une « impuissance à dire » et d’une
« impuissance à faire ».
La première chose que fait le philosophe dans son article est qu’il distingue la
souffrance de la douleur. Pour lui, on va réserver le terme de douleur à des affectes ressentis
sur des organes du corps. La souffrance a un panel plus large et va toucher un ensemble de
réseaux affectant notre personnalité. Donc la douleur pure est physique tandis que la
souffrance est psychique. Mais il ajoute en plus qu’il y a une autre difficulté qui consiste à
répartir les phénomènes du souffrir sur deux axes : l’axe soi/autrui et l’axe agir/pâtir.
Ensuite, ici nous allons nous concentrer sur le rapport agir/pâtir. Lorsque nous
souffrons, nous perdons notre pouvoir d’agir et nous sommes un être diminué.
Cela peut se produire sur la parole en partie. La souffrance se montre dans le corps
entier, et surtout dans le visage (les pleurs, …). Pour lui, il y a une faille entre « vouloir dire »

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et « l’impuissance à le dire », c’est ce qu’on appelle la plainte (nous n’allons pas bien, mais
nous allons tellement mal qu’on ne sait même pas l’expliquer). La plainte est à la fois exhalée
de soi, arrachée du fond du corps, et adressée à l'autre comme demande, comme appel à
l'aide. Par-là se marque la différence avec la douleur qui bien souvent reste enfermée dans le
silence des organes.
Finalement, cela diminue aussi l’action. Après, il y a un écart entre le fait de pouvoir et
de vouloir. Il va donc apparaitre dans la souffrance, quelque chose de lourd et d’impuissant.
On souffre, on aimerait faire quelque chose, mais on ne peut pas le faire (ex : bouger, manger,
...), souffrir c’est aussi endurer.

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