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En Grèce antique, l’Iliade et l’Odyssée sont considérées comme les deux

principales épopées composées par le poète Homère. Des Vies


d'Homère rapportent diverses versions des grandes étapes de sa vie et les
auteurs qui s'appuient sur ces textes les tiennent pour plus ou moins crédibles,
mais personne en Grèce antique ne remet en cause l'existence même
d'Homère. Les auteurs antiques considèrent le plus souvent qu'il a écrit lui-
même ses poèmes, voire qu'il a aidé à diffuser l'écriture et la lecture en Grèce.
De rares auteurs supposent en revanche qu'il n'a composé que des poèmes
épars et a laissé à d'autres le soin de les rassembler.

Mais en dépit de l'affirmation unanime de l'existence d'Homère, plusieurs


auteurs s'interrogent déjà sur la façon dont l’Iliade et l’Odyssée ont été
composées et se demandent même parfois si elles sont du même auteur. Selon
le philosophe romain Sénèque, qui écrit au Ier siècle, « c’était la maladie des
Grecs de chercher quel était le nombre des rameurs d’Ulysse ; si l’Iliade fut
écrite avant l’Odyssée, si ces deux poèmes étaient du même auteur. »

L'époque alexandrine, à partir du IIIe siècle av. J.-C., voit l'apparition des
premières éditions annotées des épopées homériques et de leurs premiers
grands commentaires savants à la faveur des activités de la bibliothèque
d'Alexandrie. Des disciplines comme la grammaire ou la philologie connaissent
de grands progrès en Grèce à ce moment. Les savants alexandrins cherchent à
s'assurer qu'ils disposent bien du texte correct de l’Iliade et de l’Odyssée et non
pas d'un texte contenant des fautes ou des altérations tardives. Il leur arrive
ainsi d'athétiser, c'est-à-dire de supprimer, quelques vers au motif qu'ils
semblent incohérents ou moins bons et ne sont donc pas dignes d'avoir été
écrits par le grand Homère en personne. Ce type de problème est abordé dans
les commentaires aux épopées homériques et les traités de grammaire
composés par des auteurs alexandrins comme Zénodote, Aristophane de
Byzance, Aristarque de Samothrace et d'autres.

À l'époque romaine, l'orateur romain Cicéron suppose dans son traité De


oratore (Sur l'orateur) que c'est le tyran grec Pisistrate qui, le premier, a
rassemblé et mis en ordre les poèmes d'Homère, qui étaient jusque là en
désordre3. L'auteur grec Lucien de Samosate, qui écrit au IIe siècle, met en
scène une rencontre imaginaire entre le narrateur de ses Histoires vraies et le
fameux Homère, sur le mode parodique : le voyageur, avide de connaître enfin
les réponses à ces questions savantes, demande au poète où il est réellement
né, s'il a réellement écrit les deux épopées, s'il est bien l'auteur des vers que
certains auteurs jugent mauvais et suppriment du texte, et pourquoi il a choisi
de commencer tel poème par tel ou tel mot, ce à quoi Homère répond des
choses déconcertantes (il est né à Babylone, s'appelle en réalité Tigrane, n'est
pas du tout aveugle comme le prétend la légende et a choisi de commencer
l’Iliade par la colère d'Achille sans trop y penser)4.

À l'époque byzantine, la Souda, sorte d'encyclopédie anonyme, garde une


vision des choses assez voisine : elle affirme qu'Homère n'a écrit que des
rhapsodies dispersées qui ont été rassemblées dans un second temps par
plusieurs personnes, dont Pisistrate5.

Émergence de la question homérique au XVIIIe siècle

L'idée qu'Homère a existé et est l'auteur des deux épopées n'est pas réellement
remise en cause jusqu'au XVIIIe siècle. Le premier auteur à remettre en cause
l'existence même du poète est l'abbé d'Aubignac, dans Conjectures
académiques ou Dissertation sur l'Iliade, composé en 1664 et publié à titre
posthume en 17156. En Italie, Giambattista Vico émet également des doutes
sur l'existence du poète. De son côté, le Britannique Robert Wood insiste sur le
fait que l'écriture n'existait probablement pas encore en Grèce à l'époque de la
composition de l’Iliade et de l’Odyssée6.

La question homérique au XIXe siècle

Les Prolegomena ad Homerum de Wolf

À la toute fin du XVIIIe siècle, en 1795, le philologue allemand Friedrich August


Wolf publie en latin des Prolegomena ad Homerum qui déclenchent une vive
controverse et marquent le début de la « question homérique » au sens étroit :
un débat savant riche et passionné qui dure pendant tout le XIXe siècle.

Avec les Prolegomena ad Homerum, Friedrich August Wolf aborde les épopées
homériques d'un strict point de vue scientifique, en historien et en philologue.
Selon lui, l’Iliade et l’Odyssée ont été composées à une époque où l'on ignorait
encore l'écriture en Grèce. Ce sont à l'origine des poèmes oraux, et l'épopée
orale, selon Wolf, n'est pas un tout organique dont la structure serait pensée
pour être inamovible : il est possible de la commencer ou de l'interrompre à tout
moment. Ce n'est que dans un second temps que les deux épopées
homériques ont été fixées par écrit par plusieurs auteurs. Ceux-ci, au passage,
ont harmonisé le contenu des poèmes pour le faire mieux correspondre aux
réalités de leur propre époque. Et ce sont aussi eux qui ont conféré aux
épopées leur unité de composition. Wolf affirme donc que l’Iliade et
l’Odyssée n'ont pas du tout été composées telles qu'elles nous sont
parvenues : le texte qui nous est parvenu est le résultat d'un processus de
composition long, dû à plusieurs auteurs. Les différentes parties d'une même
épopée peuvent remonter à des époques variées et non pas au projet initial
d'un poète unique. Wolf écrit ainsi7 : « L'Homère que nous tenons dans nos
mains n'est pas celui qui fleurissait sur les lèvres des Grecs de son temps, mais
un Homère altéré, interpolé, corrigé depuis l'époque de Solon jusqu'aux
Alexandrins. » Les modifications ont été si nombreuses, estime Wolf, qu'il est
devenu à peu près impossible de nous faire une idée de ce à quoi
ressemblaient les poèmes originels tels qu'Homère les avait composés.

L'ouvrage de Wolf déclenche un scandale, car, à l'époque, de très nombreux


artistes et gens de lettres considèrent l’Iliade et l’Odyssée comme les œuvres
d'un auteur unique, d'un poète de génie qui constitue un modèle incontournable
en matière d'art poétique. Aux yeux de ces lecteurs, affirmer que ces poèmes
sont faits de pièces rapportées d'époques variables et ne sont pas le résultat
d'un projet poétique d'ensemble revient à remettre en cause leur valeur
esthétique. Des poètes comme Schiller et Goethe réagissent avec
indignation8 et Goethe revendique le droit de « penser le texte comme un tout
[et] à en jouir comme tel ». La question a beau relever de débats historiques et
philologiques assez techniques, elle implique un grand nombre de savants et
d'artistes en raison de l'importance de ses enjeux esthétiques. Ainsi un écrivain
comme Benjamin Constant inclut-il une longue digression sur la question
homérique dans son ouvrage final De la religion (cinq volumes publiés en partie
à titre posthume entre 1824 et 1831)9. Constant se fonde sur la lecture des
auteurs antiques et d'ouvrages savants (dont celui de Wolf), mais aussi sur ses
propres recherches à la lecture des deux épopées. Il remarque que l'image qui
y est donnée de la religion diffère notablement entre l’Iliade et l’Odyssée, ce qui
l'amène à conclure que les deux épopées ne datent pas de la même époque et
ne sont pas du même auteur.

Analystes et unitaristes

Les travaux de Wolf divisent les savants en deux camps : les unitaristes et les
analystes. Les unitaristes restent convaincus de l'unité esthétique des deux
épopées, donc de l'existence d'un auteur unique qui les aurait conçues et
composées d'une façon proche de l'état dans lequel elles nous ont été
transmises. Les analystes, de leur côté, acceptent et prolongent les analyses
de Wolf et se mettent en devoir de distinguer les différentes étapes de la
composition et de la transformation des épopées jusqu'au texte que nous avons
conservé10,11.

La première moitié du XIXe siècle voit la parution d'un grand nombre de travaux
par les analystes. Ceux-ci s'attachent à distinguer, dans le texte des épopées
homériques, des « strates » qui remonteraient à tel ou tel moment de l'histoire
du texte et auraient été ajoutés ou modifiés plus ou moins tardivement. Comme
les commentateurs alexandrins dans l'Antiquité, ces savants mettent en avant
le concept d'interpolation, c'est-à-dire l'idée que certains vers, certains
passages, voire des chants entiers au sein d'une épopée, peuvent ne pas
appartenir au texte de départ mais avoir été ajoutés par un autre auteur plus
tard. L'espoir de ces savants est de retrouver ainsi un « noyau originel » du
texte qui serait bel et bien de la main du premier auteur, tandis que les
passages interpolés sont, selon les besoins, corrigés, déplacés voire supprimés
du texte principal (et cantonnés à des notes de bas de page) dans les éditions
analystes des épopées12. Les passages qui éveillent les soupçons des savants
analystes sont en général des doublets (des vers répétés deux fois dans un
même passage), des digressions et plus généralement tous les passages qui
semblent peu cohérents avec leur contexte.

Les travaux des analystes proposent ainsi différents modèles hypothétiques


pour expliquer l'état actuel du texte des épopées et proposent des
transformations plus ou moins importantes du texte. Dans Homère et
l’Odyssée, Suzanne Saïd présente plusieurs exemples d'analyses de cette
épopée. Le modèle de W. Schadewalt distingue deux auteurs, le second auteur
ayant ajouté à l'épopée les chants I à IV, une partie du chant VIII et le chant
XXIV. Les modèles proposés par P. Von der Mühll, F. Focke et plus tard
par Reinhold Merkelbach supposent l'existence de trois auteurs, deux ayant
composé des poèmes indépendants (l'un, supposé « héroïque », aurait
composé les voyages d'Ulysse, tandis que l'autre, qualifié de « bourgeois »,
aurait composé la Télémachie) et un troisième, « l'unificateur », qui aurait
combiné les deux poèmes préexistants. W. Theiler, quant à lui, distingue même
quatre auteurs : le poète héroïque et le poète bourgeois, mais aussi un poète
bucolique qui serait l'auteur des chants XIV et XV montrant le séjour d'Ulysse
chez le porcher Eumée, et enfin un unificateur ayant soudé les trois poèmes
préexistants avec plus ou moins d'adresse13.

La démarche des analystes est alors avant tout philologique : il s'agit de savoir
quel est le statut exact des textes des épopées que nous avons conservés et
comment en produire des éditions scientifiques pertinentes. Les raisonnements
utilisés pour discerner différentes couches au sein des textes emploient des
arguments stylistiques (par exemple, certains passages n'ont pas le même style
que d'autres et sont donc peut-être d'un autre auteur) et narratologiques (par
exemple, le fait qu'un personnage se fasse tuer mais soit ensuite mentionné
encore vivant quelques chants plus loin constitue une incohérence, donc, dans
une perspective analytique, l'indice d'une fusion entre deux textes à l'origine
distincts). Mais d'autres arguments sont de nature historique, à commencer par
ceux de Wolf, notamment celui selon lequel l'écriture n'était pas encore
répandue en Grèce au temps d'Homère. L'étude attentive de l'univers décrit par
les épopées homériques conduit les chercheurs, au XIXe puis au XXe siècle, à
tenter d'abord de reconnaître quelle époque historique réelle et précise peuvent
bien décrire les deux épopées ; on se rend compte progressivement que les
textes brassent en réalité des éléments renvoyant à des époques diverses et
incompatibles entre elles, et forment un mélange plutôt que le reflet d'une
époque précise. Au fil du XIXe siècle s'ajoutent aussi aux débats des arguments
de type linguistique : les études successives montrent que la langue
homérique n'est pas homogène mais brasse des mots, des formes et des
tournures appartenant à plusieurs stades de la langue grecque.
Les unitaristes, de leur côté, tentent de montrer la cohérence du texte des
épopées telles qu'elles nous sont parvenues. Leurs raisonnements s'appuient
sur des critères narratifs (des effets de composition dans la structure des
épopées), stylistiques (des effets littéraires expliquant les répétitions) et
linguistiques (des études lexicales destinées à montrer qu'une même épopée a
bien été composée dans son ensemble à la même époque)14.

Renouvellements de la question homérique au XXe siècle[]

Vers un apaisement de la controverse au début du XXe siècle[

Les premières décennies du XXe siècle voient se prolonger le débat entre


analystes et unitaristes, avant et après la première guerre mondiale. Du côté
des unitaristes, l'affirmation de l'existence d'Homère et de la singularité de son
travail considérée comme une libre création poétique (plutôt que comme un
simple travail de compilation de poèmes antérieurs) se retrouve chez des
chercheurs comme Scott aux États-Unis (The Unity of Homer, 1921), Drerup en
Allemagne (Der Homer problem in den Gegenwart, 1921) et J.T. Sheppard au
Royaume-Uni (The Pattern of the Iliad, 1922). Du côté des analystes, les
hypothèses démembrant complètement les deux épopées laissent peu à peu la
place à des hypothèses moins agressives quant aux textes conservés et
supposant moins d'auteurs et de textes préexistants.

The homerical theory of the begotten of an epic poesy is very complex for this
reason the exsistence of Homer is very complicated, however thanks to
Aubignac we can decoubert this

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