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- Éditions OUSIA

LE TOUCHER CHEZ ARISTOTE


Author(s): Simon Byl
Source: Revue de Philosophie Ancienne, Vol. 9, No. 2 (1991), pp. 123-132
Published by: EURORGAN s.p.r.l. - Éditions OUSIA
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/24353874
Accessed: 23-03-2019 23:04 UTC

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LE TOUCHER CHEZ ARISTOTE

Avant le Stagirite, d'autres hommes de science, philosophes


et médecins du Ve siècle a.C., avaient établi la liste des cin
sens. C'est ainsi que Démocrite proclamait qu'"il y a de
formes de connaissance (γνώμης), l'authentique ( = légitime) e
l'obscure ( = bâtarde); et à l'obscure appartient tout ceci:
vue (δψις), l'ouïe (άκοή), l'odorat (όσμή), le goût (γεΰσνς),
toucher (ψαΰσις); la forme de connaissance authentiqu
( = légitime) est séparée de l'autre... Quand la connaissanc
obscure ( = bâtarde) n'est plus capable de voir un objet tro
petit, ni d'entendre, ni de sentir, ni de goûter, ni de percevo
par le toucher, mais que l'objet à examiner est trop fin,
connaissance authentique prend la relève1". (Les deux der
nières lignes du texte constituent une conjecture de H. Diels).
Malgré cela, les médecins hippocratiques allaient attacher
énormément d'importance aux données des sens (ce qui ser
une constante de la médecine antique). C'est ainsi que deu
auteurs disent à peu près la même chose; le premier écrivant:
"Il importe de soumettre le corps à l'examen: vue (οψις), ouïe
(άκοή), odorat ((>iç), toucher (άφή), goût (γλώσσα), intelligenc
(λογισμός)2". L'auteur du traité De l'officine du médecin,
tient le même discours que celui des Épidémies VI: "Rech
cher ce qui peut se voir, se toucher, s'entendre; ce qu'on peut
percevoir en regardant (όψει), en touchant (άφή), en écoutant
(άκοή), en flairant (£>ινί), en goûtant (γλώσση) et en appliquan

1. Démocrite, 68 Β 11.
2. Épidémies VI, 8e section, 17 (L V, 350). Cf. Louis Bourgey,
Observation et expérience chez les médecins de la Collection hippocrati
que, Paris, Vrin, 1953, p. 194.
3. L III, 272.

REVUE DE PHILOSOPHIE ANCIENNE IX, 2, 1991

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l'intelligence (γνώμη); enf


par tous nos moyens de c
do-hippocratique Du Rég
cite sept structures qui pr
il se révèle en ce passage
sation de l'homme se pro
rentes: l'ouïe pour le brui
pour l'odeur, la langue p
pour la conversation, le c
les passages extérieurs et
froid4".
Dans le Corpus hippocratique dans lequel les traités gynéco
logiques occupent à peu près un quart de l'ensemble, il n'est pas
surprenant que les mots exprimant le toucher vaginal soient par
ticulièrement nombreux; il y a ψαΰειν5, ψηλαφάν6, έπαφάν7,
απτειν et κατάπτεσθαι τω δακτύλω8. Tous ces verbes sont for
més sur les deux substantifs, ψαϋσις et άφή, qui désignent le
sens du toucher en général et ils révèlent donc toute l'impor
tance attachée par les médecins aux données des sens. Chez
Aristote, άφή a une connotation médicale lorsqu'il s'applique à
la masturbation féminine (G. Α. I, 20, 728 a 31-33, τήν ήδονήν
τή άφή : se toucher).
Héritier des Présocratiques et des médecins hippocratiques,
Aristote va distinguer les cinq sens traditionnels dans le petit
traité De la sensation : "Comme les sensations sont en nombre
impair et que le nombre impair a un milieu, la sensation de
l'odorat semble tenir elle-même une place moyenne entre les
sens qui ont la propriété de toucher leur objet, par exemple le
toucher et le goût d'une part, et, d'autre part, ceux qui agissent

4. Du Régime I, 23 (L VI, 494 = p. 140 éd. R. Joly - S. Byl).


5. Cf. e.a. Maladies des femmes II, 156 (L VIII, 330), 157 (L VIII,
332)...
6. Cf. e.a. Maladies des femmes I, 40 (L VIII, 98)...
7. Cf. e.a. Maladies des femmes II, 163 (L VIII, 342)...
8. Cf. e.a. Nature de la femme, 13 (L VII, 330), Maladies des femmes
II, 155 (L VIII, 330)...

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grâce à un intermédiaire, par exemple la vue


frappant de constater qu'en H. Α. IV, 8, 5
qualifie le toucher de "cinquième sens", ή
dans un passage dans lequel il avait déclaré :
mum (des sens)... est de cinq." et dans lequ
que parmi les animaux "les uns... ont tous
n'en ont que quelques-uns". (H. Α. IV, 8, 5
La physiologie sensorielle d'Aristote supp
que chose de sensible (τό αισθητό ν) et de l'au
vivant qui, à travers un milieu (τό μεταξύ, τ
sensible au moyen d'un organe sensoriel (τ
Stagirite propose aussi du nom grec du touch
mologie que confirmerait un linguiste conte
cher (ή δ'άφή)... consiste dans le contact (άπτ
objets - aussi bien est-ce de là qu'il tire son n
À d'innombrables reprises, dans son œuv
tote proclame que le toucher est chez l'animal
absolument indispensable et il en donne la ra
un corps doué d'une âme; or tout corps est t
perceptible au toucher: il est donc nécessai
l'animal lui aussi possède le tact pour que
propre conservation. Les autres sens, en effe
vers des milieux extérieurs: tels l'odorat, la v
entre en contact avec autre chose, l'animal d
sibilité tactile ne pourra fuir certains objets
autres. Dans ces conditions la conservation de l'animal devien
dra impossible12". Ce texte, extrait du traité de l'Ame, révèle la

9. Aristote, De la sensation, 5, 445 a 4-8. Dans le traité De l'Ame,


II, 11, 423 b 7, Aristote écrit: "Nous percevons toutes choses à travers
un milieu".
10. Cf. Pierre Chantraine, Dictionnaire étymologique de la langue
grecque, Paris, 1968, s.v. άπτω.
11. De l'Ame III, 13, 435al7-18.
12. De l'Ame III, 12, 434bll sqq.

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finalité qu'Aristote acco


de l'animal - et il expli
tact est le plus indispen
possèdent tous les sen
d'autres enfin n'en ont
τάτην), le toucher13". "
le seul dont la privation
il n'est ni possible qu'u
mal, ni nécessaire pour
que celui-là... le tangib
détruira... le toucher pa
toucher... l'animal ne pe
qui appartienne nécessai
sens, ils sont dévolus à
ter absolument (ου του
(άλλά τοΰ εύ),4".
Dans un autre texte, A
tant à celle-ci celle de
chacun en particulier, p
goût, le toucher d'apr
l'âme, le goût, pour la
discerne, par lui-mêm
agréable et ce qui est dé
recherche l'autre15".
Le caractère indispensa
les traités proprement
pages de Y Histoire des
est le seul à être commun à tous les animaux, c'est le

13. De l'Ame II, 2, 414a2-4.


14. Ibid. III, 13, 435b4-25 (passim).
15. De la sensation, 1, 436bl2-17.
16. Histoire des animaux I, 3, 469 a 17 sqq. L'affirmation est reprise
telle quelle en H.A. IV, 8, 535a4-5.

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LE TOUCHER CHEZ ARISTOTE 127

toucher...16". Plusieurs textes nous révèle


tote en ce qui concerne le siège du touche
de constater que le Stagirite semble ne pa
fessé à ce sujet les mêmes opinions, sans
tingue l'organe immédiat et l'organe d'é
tion. En effet, il semble d'abord avoir con
était la chair. Dans Y Histoire des animaux
revenir au toucher, il a son siège dans une
comme la chair ou une partie de ce genr
des animaux: "L'organe qui reçoit ces s
froid, sec et humide), la chair ou son é
corporel (σωματωδέστατον) des organes se
Par contre, dans le traité De l'Ame écr
Aristote est d'avis que la chair n'est qu
toucher19 et dans l'opuscule De la Jeuness
fera du cœur le siège de toutes les sensati
dans le cœur qu'est le principe souverain
tous les animaux qui ont du sang, car c'est
réside l'organe commun à tous les organes
voyons que deux d'entre eux aboutissent
savoir le goût et le toucher; par suite, il e
autres y aboutissent aussi20". Cette valori
que par la valorisation du juste milieu, de
dans les Parties des animaux, Aristote déc
le devant et dans la partie médiane (èv τφ
placé le cœur, où nous disons que se trouv
ainsi que de toute sensation21". Dans un p

17. H.A. I, 3, 489a23 sqq. Les homéomères son


tels que la chair, les os: on n'y trouve pas d
diverse.
18. P.A. II, 1,167al9-21. Même affirmation en P.A. II, 5, 651b4-5.
19. Cf. De l'Ame II, 11, 423b26.
20. De la Jeunesse et de la Vieillesse, 3, 469al0 sqq.
21. P.A. III. 3. 665al0-13. Cf. aussi P.A. TI. 10. 655b36-37.

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té, le Stagirite écrit que:


ment en rapport avec le
jours dans ce même trait
premier du toucher n'est
mais que cet organe est in
le traité Des parties des an
l'organe du toucher, Pierr
Traité des Parties apparaît
composé d'un seul jet, ma
giquement distinctes24".
Selon Aristote, c'est l'ho
sède le toucher le plus fin
nous pouvons lire cette
toucher atteint chez l'hom
aux autres sens, en effet,
nimaux, mais pour le to
acuité. Aussi est-il le plu
maux. La preuve en est qu
l'organe de ce sens, et auc
bien et mal doués: ceux q
sont mal doués intellectu
tendre (μαλακόσαρκοι) so
En vérité, ces affirmation
textes dans lesquels le Sta
tion est devenue chez lui
une série d'affirmations b

22. P.A. II, 10, 656a28-29.


23. P.A. II, 10, 656b32-657
24. Pierre Louis, Aristote. L
Lettres, 1956, p. XXVII.
25. De l'Ame II, 9, 421al9-26
d'après Aristote, voyez J.I. B
gnition, Oxford, 1906, pp. 1
26. Cf. mon livre Recherche

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Dans l'opuscule De la sensation, 4, 441 a 2-


pète que le toucher humain est très délicat (άκ
rapport aux autres animaux; il répétera encore
au livre I de ïHistoire des animaux27, en em
adjectif, toujours au superlatif, άκριβεστάτην.
l'avons déjà vu, estime que le toucher de l'ho
délicat, car il possède la chair la plus molle (
dira aussi que l'homme est de tous les anima
peau est la plus mince (λεπτότατον)28 et la p
τον)29.
Pour résumer en une phrase la pensée du biologiste,
"l'homme est de tous les êtres le plus sensible (αίσθητικώτατον)
aux impressions du toucher30". Remarquons encore une fois
l'accumulation des superlatifs pour caractériser le toucher de
l'homme. Comme le note Rémi Brague, "L'homme est l'animal
qui possède au plus haut point le sens qui est au plus haut point
commun à tous les animaux. Sa place au sommet de l'échelle
des vivants tient à une réalisation plus parfaite de ce que pos
sède chaque vivant en tant que vivant31".
À six reprises32 au moins, le biologiste proclame que le goût
est une sorte de toucher. L'explication de cette affirmation est
fournie dans un texte du traité de Y Ame: "... le goût est lui
aussi une sorte de toucher. Par contre le son, la couleur, l'odeur
ne nourrissent ni ne font croître ou dépérir l'animal. Par consé

tote: sources écrites et préjugés, Bruxelles, Palais des Académies, pp.


304-315.
27. Cf. H.A. I, 16, 494M6-17.
28. Cf. H.A. III, 11, 517b27-28. Voir aussi P.A. III, 10, 673a7-8;
G.Α. V, 5, 785b8-9.
29. Cf. H.A. VIII, 2, 583a6.
30. Cf. P.A. II, 16, 660al2-13.
31. Rémi Brague, Aristote et la question du monde, Paris, P.U.F.,
1988, pp. 260-261.
32. Cf. De l'Ame II, 9, 421al8, III, 12, 434bl8, De la sensation,
438b30-439al; 441a3; P.A. II, 10, 657al; 17, 660a21.

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quence nécessaire, le goû


puisqu'il est le sens du t
l'homme qui a le goût le
aux qualités de sa lang
plus mobile, la plus moll
qu'elle puisse remplir se
(l'homme est, en effet,
la plus délicate [εύαισθη
titude à goûter: car elle
or le goût est une vari
d'être molle et large p
langage35".
Après avoir proclamé l'importance tout à fait fondamentale
du toucher, Aristote déclare que "toutes Jes autres parties exis
tent pour le toucher, je parle, par exemple, des os, de la peau,
des tendons, des vaisseaux, et aussi des cheveux, des ongles et
de toute autre partie du même genre. En effet, les os, qui sont
durs par nature, ont été fabriqués pour préserver les parties
molles chez les animaux qui possèdent des os...36".
Le Stagirite est aussi d'avis que le sens, responsable du som
meil et de la veille, est le toucher. En effet, il écrit ces lignes
dans l'opuscule Du Sommeil et de la Veille: "Il est... évident
que la veille et le sommeil sont des affections du toucher. C'est
pourquoi aussi il appartient à tous les animaux, car le toucher
existe seul pour tous37". Rémi Brague, dans un ouvrage récent,
a commenté ce texte de la façon que voici : "Il ( = le toucher)
est le sens fondamental en ce qu'il est celui dont l'entravement
produit le sommeil (Sommeil, 2, 455 a 22-27). La veille, en

33. De l'Ame III, 12, 434bl8-22.


34. Nous avons vu que la chair de l'homme était aussi la plus molle.
35. P.A. II, 17, 660al7-23.
36. P.A. II, 8, 653b30-35.
37. Du Sommeil et de la Veille. 2. 455a25-27.

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LE TOUCHER CHEZ ARISTOTE 131

revanche, est le libre fonctionnement du toucher


intermédiaire, de la sensation en général38".
Comme Aristote considère la dualité du corps co
ticle de foi, il affirme que chacun des organe
double39, mais il devra recourir à une véritable
bale, qui tient beaucoup plus à l'art du rhéteu
graphe qu'à la science pour "établir" que même le
goût sont doubles40. Aristote tient à rappeler la
affirmation: "Chaque organe des sens est doubl
corps est double, puisqu'il a une droite et une gau
Peut-être sous l'influence du traité pseudo-hipp
Régime pour qui le corps est la structure du touch
σνος)42, Aristote répète que "L'organe du toucher
du goût, est directement le corps (σώμα) ou u
corps des animaux43".
En conclusion, si Aristote n'a pas cessé de val
me, il n'a pas cessé en même temps de valorise
d'où cette accumulation de superlatifs: άναγκαιο
τωδέστατον, φρονιμώτατον, άκριβεστάτην, μαλα
τότατον, λειότατον, αίσθητικώτατον, εύαισθητό
τάτη... Ce simple fait grammatical - si important
des idées - n'avait, à ma connaissance, jamais été s

38. Rémi Brague, Aristote et la question du monde


1988, p. 259.
39. Cf. P.A. III, 7, 669b21-22.
40. Cf. P.A. II, 10, 656b34 - 657a2.
41. P.A. II, 10, 656b32 - 34.
42. Cf. Du Régime I, 23 (L VI, 494 = p. 140 éd. R. Joly -S. Byl).
43. G.Α. II, 6, 743b36-744al. Cf. aussi P.A. II, 1, 647a20-21; II, 8,
653b29-30.
44. Dans cette étude, j'ai utilisé - parfois en les modifiant légère
ment - les éditions et les traductions d'Aristote de la Collection des
Universités de France.

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132 Simon BYL

Mais les progrès en phy


commencer qu'avec la distin
moteurs, avec Hérophile
Au Ile siècle de notre èr
tium 378 Κ III: "La nature.
tion des nerfs : elle a voul
perception, le mouvemen
les autres la faculté de rec
Mais cinq siècles séparent
Simon Byl

45. Heinrich von Staden, Herophilus. The Art of Medicine in Early


Alexandria, Cambridge, 1989.

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