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BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN (I)

André Paul et Katell Berthelot

Centre Sèvres | Recherches de Science Religieuse

2005/4 - Tome 93
pages 597 à 618

ISSN 0034-1258

Article disponible en ligne à l'adresse:


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http://www.cairn.info/revue-recherches-de-science-religieuse-2005-4-page-597.htm
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Pour citer cet article :
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Paul André et Berthelot Katell, « Bulletin de Judaïsme ancien (I) »,
Recherches de Science Religieuse, 2005/4 Tome 93, p. 597-618.
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BULLETIN

BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN (I)


par André PAUL, Paris
et Katell BERTHELOT, Université d’Aix

C’est avec reconnaissance et confiance que nous accueillons Mme Katell Berthe-
lot, de l’Université d’Aix-en-Provence, pour tenir la partie du Bulletin du Judaïsme
ancien sur le Judaïsme hellénistique. Devant le nombre croissant d’ouvrages
relevant de ce Bulletin, M. André Paul a lui-même demandé qu’il soit scindé, se
réservant, en particulier, le domaine de Qumrân, et nous recommandant pour le
Judaïsme hellénistique Mme Berthelot. Le présent Bulletin sera donc suivi, dans la
première livraison de 2006, par le Bulletin sur les manuscrits de la Mer Morte,
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assuré, comme il se doit, par M. A. Paul.
P.G.

I. Histoire du judaïsme
A. Histoire du judaïsme à l’époque hellénistique et romaine (1-6)
B. Le Judaïsme hellénistique (7-16)
par Katell BERTHELOT

1. Inscriptiones Judaicae Orientis, Tübingen, Mohr SIEBECK, 2004, 3 vol. : vol. I


Eastern Europe, éd. par David Noy, Alexander Panayotov et Hanswulf
Bloedhorn, xv + 397 p. ; vol. II Kleinasien, éd. par Walter Ameling, xviii
+ 650 p. ; vol. III Syria and Cyprus, éd. par David Noy et Hanswulf Bloedhorn,
xiv + 284 p.
2. Eric GRUEN, Diaspora. Jews amidst Greeks and Romans, Harvard University
Press, Cambridge, 2002, 386 p.
3. Tessa RAJAK, The Jewish Dialogue with Greece and Rome. Studies in Cultural
and Social Interaction, Brill, Leiden — Boston — Köln, 2001, xix + 579 p.
4. Ernst BALTRUSCH, Die Juden und das Römische Reich. Geschichte einer
konfliktreichen Beziehung, Wissenschaftliche Buchgesellschaft, Darmstadt,
2002, 223 p.
5. Peter SCHÄFER (éd.), The Bar Kokhba War Reconsidered. New Perspectives
on the Second Jewish Revolt against Rome, Mohr Siebeck, Tübingen, 2003,
xx + 313 p.
6. Peter SCHÄFER, The History of the Jews in the Greco-Roman World, Rout-
ledge, London — New York, 2003, xxi + 243 p.

1. Voici trois volumes remarquables, Inscriptiones Judaicae Orientis, qui


reprennent et poursuivent l’œuvre de Jean-Baptiste FREY (Corpus Inscriptio-

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num Judaicarum, 2 vol. publiés en 1936 et 1952), en rassemblant toutes les


inscriptions juives d’Orient (à l’exception de la Palestine et de l’Arabie) datées
d’avant 700 ap. J.-C. Depuis la parution de l’ouvrage de Frey, de nombreuses
découvertes avaient en effet rendu nécessaire une nouvelle synthèse. Les
volumes I et III sont dûs à Hanswulf Bloedhorn et David Noy, avec, pour le
volume I, la collaboration d’Alexander Panayotov, qui travaillait en parallèle
sur les inscriptions juives d’Europe orientale ; ils sont rédigés en anglais. Le
volume II est dû à Walter Ameling et est rédigé en allemand.
En ce qui concerne les volumes I et III, les critères retenus pour définir une
« inscription juive » sont les suivants : l’utilisation de l’hébreu ; la présence de
symboles juifs (comme la menorah ou le loulav) ; l’utilisation d’une termino-
logie juive ; l’utilisation de noms juifs, dans un contexte où cet usage est plus
probablement juif que chrétien ; le fait de provenir d’une synagogue ; une
référence à des Juifs célèbres (comme Hérode) ; une référence aux Sama-
ritains. Aux inscriptions ainsi retenues s’ajoutent quelques textes d’affranchis-
sement d’esclaves, qui ressemblent aux textes juifs du même genre déjà
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connus. Le volume I, qui traite de l’Europe orientale, aborde successivement

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les différentes provinces romaines telles qu’elles existaient vers 100 ap. J.-
C. : Pannonie, Dalmatie, Mésie, Thrace, Macédoine, Achaïe (divisée en
quatre parties : Thessalie, Athènes et le Pirée, le centre de la Grèce et les îles
grecques), Crète. S’y ajoute une section consacrée à la côte nord de la mer
Noire, et deux appendices rassemblant des inscriptions probablement mé-
diévales et des inscriptions qui ne sont pas considérées comme juives. Le
volume est en outre doté d’une bibliographie (considérable), d’une concor-
dance avec le CIJ et d’indices détaillés, permettant de faire des recherches
par nom de lieu, de personnage, par date, par symbole, ou encore de
manière thématique. Deux cartes clôturent le volume. Après une brève
introduction sur la présence juive dans la région étudiée, chaque inscription
(désignée par une abréviation relative à sa région d’origine et par un numéro)
fait l’objet d’une présentation détaillée, comprenant une bibliographie (en
particulier, toutes les éditions antérieures de l’inscription sont mentionnées),
les indications sur la provenance, la date et la langue, le texte, des notes de
critique textuelle, une traduction anglaise et un commentaire. Dans la mesure
du possible, des photos ou dessins de l’inscription accompagnent la notice.
Le volume III, qui traite des inscriptions de Syrie (à l’exception de quelques
inscriptions du Nord de la Syrie qui figurent dans le volume II) et de Chypre,
s’organise de la même façon. L’ensemble est riche, clair et précis, et son
utilisation aisée. On regrettera simplement que les cartes ne soient pas plus
nombreuses, que le volume I ne contienne pas de carte des provinces
romaines, par exemple, ou qu’une localité comme Almyros ne se trouve pas
sur la carte p. 397. Les auteurs renvoient au TAVO (Tübingen Atlas des
Vorderen Orients), mais le lecteur ne dispose pas nécessairement de cet
ouvrage. Par ailleurs, on s’interroge parfois (assez rarement tout de même)
sur le caractère juif de l’inscription. Dans le vol. I, p. 25 (Dal3), une épitaphe
en latin du 4e siècle exhorte le passant à respecter la tombe en rappelant la
règle d’or, « ne fais pas à autrui ce que tu ne voudrais pas que l’on te fasse ».
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Cette règle était largement répandue dans le monde méditerranéen depuis


l’époque hellénistique, et ne suffit pas, en l’absence d’autres éléments
probants, à conclure à l’origine juive de l’inscription, même si elle ne l’exclut
pas non plus.
En ce qui concerne le volume II, consacré aux inscriptions juives d’Asie
Mineure, l’auteur retient comme critères de définition : l’utilisation de noms
juifs ; la référence à une institution spécifiquement juive (comme la synago-
gue) ; le fait de provenir d’un lieu juif ; la présence de symboles juifs ; l’usage
de l’hébreu. Il est plus réticent vis-à-vis des noms de personnes. L’ouvrage
aborde successivement l’Asie, la Thrace, la Carie, l’Ionie, la Lydie, Troas, la
Mysie, le Pont et la Bithynie, la Galatie, la Phrygie, la Pisidie, la Pamphylie,
la Lycie, la Lycaonie, la Cilicie, la Cappadoce et l’Arménie (où l’on ne trouve
pas d’inscriptions). Un dernier chapitre est consacré à cinq inscriptions
magiques. Ce volume diffère légèrement des deux autres en ce qu’il propose
une introduction plus générale sur la diaspora juive (et tout particulièrement
celle d’Asie Mineure), et des commentaires souvent plus détaillés des
inscriptions. À l’inverse, il contient peu d’illustrations, aucune carte ni
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bibliographie finale, et les indices sont conçus différemment. Un premier
index rassemble les sources anciennes citées dans la discussion sur la
diaspora juive d’Asie Mineure, un second index recense les inscriptions qui
n’ont pas été retenues, et un troisième index, subdivisé en sections théma-
tiques, concerne essentiellement les termes grecs (de manière non exhaus-
tive). Le volume est un peu moins commode à utiliser que les deux autres,
tout en représentant lui aussi un outil précieux pour lequel on ne peut qu’être
reconnaissant à l’auteur.
C’est en effet un ensemble de documents importants qui est ainsi mis à la
disposition des étudiants et des chercheurs. Même si les épitaphes, les vœux
et les inscriptions commémorant des donations (en général à des synago-
gues) constituent la grosse majorité des inscriptions, le corpus est néanmoins
très diversifié, et concerne des champs d’investigation aussi divers que les
prosélytes et les « craignants-Dieu », les Samaritains, la magie, l’histoire du
texte biblique (voir entre autres vol. III, pp. 70-75, Syr44 à 47, les textes du
Deutéronome gravés autour de la porte d’une maison de Palmyre), l’organi-
sation des communautés juives de diaspora (notamment la fonction d’archi-
synagôgos, un titre parfois attribué à des femmes — cf. vol. II, p. 188, no 43),
les procédures d’affranchissement des esclaves, la fréquentation du cirque et
du théâtre par les Juifs, la croyance à une vie après la mort (cf. vol. II,
pp. 155-159, nos 32 et 33), et même la perception du judaïsme par les
épicuriens, si du moins l’on accorde quelque crédit au témoignage de
Diogène d’Œnoanda, qui fit inscrire dans la pierre un exposé de la doctrine
épicurienne (cf. vol. II, pp. 472-477, no 222).

2. Diaspora. Jews amidst Greeks and Romans. Eric GRUEN, qui enseigne
à l’Université de Californie à Berkeley, est un spécialiste reconnu de l’histoire
du monde hellénistique et de la Rome républicaine. Après avoir étudié
comment les Romains s’approprièrent l’hellénisme, il se consacre depuis
quelques années à une enquête similaire à propos des Juifs, de leur rapport
600 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

à la culture grecque, et du rôle que joua celle-ci dans l’élaboration de la


culture et de l’identité juives dans l’Antiquité. Après un premier ouvrage sur ce
sujet intitulé Heritage and Hellenism. The Reinvention of Jewish Tradition
(University of California Press, 1998), il publie maintenant un livre sur la
diaspora juive, depuis le début de l’époque hellénistique jusqu’à la destruc-
tion du second temple en 70 ap. J.-C. Remettant en question la vision
communément admise d’une diaspora constamment en butte à l’hostilité des
païens, E. Gruen défend l’idée que jusqu’en 70, les Juifs vécurent généra-
lement en diaspora de manière sereine et ouverte, tant dans leurs rapports
avec leurs voisins non-juifs (Grecs, Égyptiens, Romains ...) que dans leur
relation avec les Juifs de Judée, vis-à-vis desquels ils n’auraient ressenti nul
décalage, ni éprouvé le besoin de se justifier. Cette thèse audacieuse
s’appuie sur une argumentation vigoureuse et bien documentée ; l’enquête
est enlevée et convaincante, et rédigée de surcroît dans un anglais cha-
toyant. Une première partie, consacrée à l’étude des realia, des aspects
politiques et sociaux de la situation des Juifs de diaspora, passe en revue les
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cas de Rome, d’Alexandrie et de plusieurs cités d’Asie Mineure, et se termine

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par l’analyse des institutions juives de diaspora, en particulier celle de la
synagogue, véritable passage obligé compte tenu du sujet. Plusieurs clarifi-
cations importantes émergent de ces chapitres, comme le caractère rhétori-
que des décrets d’expulsion des Juifs de Rome en 139 av. J.-C. et en 19
ap. J.-C. (sous Tibère), qui ne doivent pas masquer la réelle intégration des
Juifs à Rome. En définitive, pour Gruen, « Rome did not have a ‘Jewish
problem’ » (p. 29) ; l’attitude des pouvoirs romains vis-à-vis des Juifs ne fut
pas dictée par des considérations religieuses ou idéologiques, ni par une
hostilité particulière (ou a contrario par une sorte de philosémitisme), mais
uniquement par le souci de l’intérêt de Rome. Cela se vérifie, d’après Gruen,
même en ce qui concerne l’épisode du pogrom d’Alexandrie en 38 ap. J.-C.
Celui-ci s’expliquerait non tant par un antijudaïsme invétéré que par le conflit
entre le préfet d’Égypte, Flaccus, et les dirigeants alexandrins antiromains
comme Isidore et Lampon, ainsi que par l’hostilité de la population égyp-
tienne vis-à-vis des élites alexandrines, qu’elles soient grecques ou juives.
Quant à l’attitude de Caligula, plutôt que de l’hostilité, elle reflète selon Gruen
un mépris moqueur (cf. le témoignage de Philon dans la Legatio ad Caium,
§§ 359-367) (pp. 60-67). Dans tous les cas, le pogrom de 38 reste un
événement isolé, dû à des circonstances très particulières, et il n’est pas
représentatif du vécu de la diaspora juive en Égypte (pp. 67-68). L’examen
renouvelé d’un certain nombre de sources conduit ainsi Gruen à conclure que
les Juifs de diaspora n’ont pas souffert de persécutions systématiques, ni
subi une hostilité latente, ni bénéficié d’une tolérance ou d’une protection
(impériale) particulière. Il souligne aussi qu’ils jouissaient d’une certaine
autonomie dans l’organisation de leurs communautés, tout en participant
eux-mêmes, dans bien des cas, à la vie politique des cités païennes au sein
desquelles ils vivaient. La seconde partie du livre est consacrée à la
perception que les Juifs de diaspora avaient d’eux-mêmes et de leur vécu
diasporique, à travers l’analyse d’œuvres littéraires produites pour la plupart
K. BERTHELOT 601

en diaspora. L’analyse de Gruen, qui porte entre autres sur l’humour et le


sentiment de confiance en soi (« self-confidence ») perceptibles dans ces
œuvres, tend à montrer que les Juifs de diaspora ne se considéraient ni
comme des victimes, ni comme de « mauvais Juifs », infidèles à la tradition
de leurs pères. Ils conjuguaient harmonieusement sentiment d’appartenance
à leur lieu de vie diasporique et attachement traditionnel au temple de
Jérusalem et à la « terre promise », sans y voir une source de tension.
Comme tous les livres à thèse, celui-ci comporte quelques exagérations, et
passe un peu rapidement sur certains points, qui mériteraient une discussion
plus approfondie. Ainsi, l’affirmation selon laquelle la référence à un certain
Chrestus, dans un texte de Suétone (Divus Claudius 25.4), ne désigne pas le
Christ, repose sur une lecture discutable du texte (pp. 38-39). Le caractère
tendancieux de certains propos de Philon ou de Josèphe n’est pas toujours
pris en compte (par exemple en ce qui concerne le discours de Philon sur les
Égyptiens dans l’In Flaccum ; pp. 63-64). Les problèmes posés par le
papyrus CPJ II, no 151, qui soulève la question de l’accès à la citoyenneté
alexandrine pour les Juifs de cette cité, sont balayés un peu vite (pp. 74 et
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286-287). La promesse que fait le roi Antiochus IV, dans 2 Maccabées 9, 15,
de rendre les Juifs égaux aux Athéniens, doit vraisemblablement être
comprise comme une référence à l’évergétisme d’Antiochus vis-à-vis d’Athè-
nes dans sa jeunesse, plutôt que comme un simple effet d’ironie (p. 179).
Mais par-delà quelques points discutables, qui n’affectent pas l’ensemble de
la démonstration, l’ouvrage de Gruen a l’immense mérite de déconstruire un
certain nombre d’idées reçues dont l’inexactitude est aujourd’hui patente.
Entre autres, il faut comprendre une fois pour toutes que les Grecs et les
Romains s’intéressaient fort peu aux Juifs (cf. pp. 48, 52), et que les lecteurs
modernes n’ont que trop longtemps lu ces textes avec un regard judéo- ou
christianocentré. Ou encore, que réduire la vie diasporique juive à une série
de persécutions constitue, en ce qui concerne la période antérieure au
christianisme (et même pour des périodes ultérieures), une erreur manifeste.
Ou, enfin, que les Juifs de diaspora n’étaient pas acculés à choisir entre
assimilation et isolationnisme, mais qu’ils pouvaient préserver leur identité
juive tout en s’appropriant la culture de leur temps. On ne peut que savoir gré
à Eric Gruen de nous aider à appréhender ces réalités anciennes dans une
plus juste perspective, à travers ce livre à la fois important et passionnant.

3. Tessa RAJAK enseigne au département de Lettres Classiques de l’Uni-


versité de Reading (UK). Elle est une spécialiste renommée de Flavius
Josèphe et du judaïsme hellénistique en général, avec un intérêt marqué
pour les questions politiques et sociales. Le volumineux ouvrage paru chez
Brill sous le titre The Jewish Dialogue with Greece and Rome regroupe 24
articles de Rajak parus entre 1973 et 1999, mais publiés pour la plupart
durant les années 90, ainsi que trois articles inédits (1, 7 et 22). Le livre se
compose de quatre parties. La première s’intitule « Grecs et Juifs », et traite
de questions liées au rapport des Hasmonéens avec l’hellénisme, du siège
séleucide de Jérusalem sous Jean Hyrcan, de l’idéologie du martyre pour la
Loi, etc. Un article inédit, « Judaism and Hellenism Revisited », propose une
602 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

réflexion générale sur la façon dont les Juifs de la période du second temple
se sont référés aux Grecs et à l’hellénisme pour construire leur propre
identité. La seconde partie est consacrée à Flavius Josèphe, autour de sujets
comme le discours d’Agrippa II dans la Guerre (II.345-401), Josèphe et Juste
de Tibériade, le Contre Apion et la pensée politique de Josèphe, la définition
des Antiquités comme archaiologia, la présentation que donne Josèphe des
Esséniens, sa vision des Parthes, etc. Un second article inédit, intitulé
« Ethnic Identities in Josephus », ouvre cette partie ; Rajak s’y interroge
surtout sur ce que représentent les « Grecs » dans l’œuvre de Josèphe. La
troisième partie réunit des articles portant sur la diaspora juive et les apports
de l’épigraphie. Rajak y étudie la place de la synagogue dans la cité
gréco-romaine, la fonction d’archisynagôgos, l’évergétisme dans les milieux
juifs de diaspora, les catacombes juives de Rome, la nécropole de Beth
She’arim, différents types d’interactions entre Juifs, chrétiens et païens, etc.
Cette partie comporte un troisième article inédit, consacré aux relations entre
Juifs, païens et chrétiens à Sardes, dans l’Antiquité tardive. Enfin, une
quatrième partie, ou épilogue, regroupe une étude du Dialogue avec Tryphon
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de Justin, une discussion de la présentation des Juifs et des Sémites dans
l’ouvrage de Fergus Millar Roman Near East, et un article sur l’invention et
l’exploitation de la polarité Juifs/Grecs au 19e siècle. Ce dernier éclaire la
genèse de l’opposition conceptuelle entre hellénisme et judaïsme qui prédo-
mine jusqu’à nos jours, et que l’ensemble du recueil de Rajak nous invite à
repenser, grâce à des analyses à la fois nuancées et percutantes.

4. Le livre d’Ernst BALTRUSCH, Die Juden und das Römische Reich, se veut
une analyse des causes profondes qui ont conduit aux affrontements entre
Juifs et Romains de 66-70, 116-117 et 132-135 (auxquels l’auteur ajoute en
introduction (p. 11) la crise de 38 à Alexandrie, qui n’est pourtant pas un cas
de soulèvement juif). Ces causes profondes seraient à chercher dans les
siècles qui précèdent la prise de Jérusalem par Pompée en 63 av. J.-C.,
période sur laquelle se clôt l’enquête historique entreprise par Baltrusch. Ce
dernier considère que si la révolte juive ne se déclencha qu’un siècle plus
tard, ce fut à cause de la guerre civile à Rome et du rôle joué par Hérode (on
pourrait toutefois lui faire observer que le soulèvement de 66-70 est large-
ment postérieur à la mort d’Hérode). Selon l’auteur, les ingrédients condui-
sant à l’explosion étaient déjà réunis à partir de 63 av. J.-C. Il estime que les
causes profondes du conflit (à distinguer des circonstances immédiates, sur
lesquelles il ne revient pas) sont, d’une part, le lien étroit entre religion et
autonomie politique qui caractérise la religion d’Israël depuis Ezékias et
Josias, lien qui fut mis à mal par la politique romaine à un degré encore
jamais atteint auparavant (même sous les Séleucides), et, d’autre part, la
nature de la domination romaine, laquelle, en imposant aux élites juives une
relation de type client/patron, allait à l’encontre de la conception juive du
rapport à une puissance dominante (fondée sur le modèle de l’empire perse,
dont l’image est largement positive dans la tradition biblique). Alors que les
relations entre Juifs et Romains, initiées en 164 av. J.-C., avaient commencé
sous d’heureux auspices, chacun voyant dans l’autre un allié objectif, elles
K. BERTHELOT 603

reposaient en réalité sur une profonde méconnaissance de l’autre, sur une


méprise qui rendait à terme le conflit inévitable, puisque c’étaient deux
visions irréconciliables des relations entre une puissance dominante et ses
sujets qui s’opposaient.
La thèse de Baltrusch est originale et mérite considération. Elle permet de
re-situer les événements des 1er et 2e siècles dans une perspective histori-
que longue, et d’analyser de manière comparée deux univers culturels très
différents, en soulignant leurs divergences. Plusieurs aspects de la démons-
tration sont toutefois criticables, au point que la thèse d’ensemble peine à
convaincre. Ainsi, son analyse de la situation des Juifs de diaspora (pp. 49-
58, 120-123), qui s’oppose radicalement à celle proposée par E. Gruen dans
le livre présenté supra (no 2), est erronée, car elle accorde par trop d’impor-
tance aux épisodes de conflit, au détriment de la documentation qui illustre
l’intégration des Juifs dans le monde gréco-romain. On voit mal, de surcroît,
pourquoi la revendication d’autonomie politique en Judée aurait empêché les
Juifs de diaspora de s’intégrer au monde hellénistique (p. 58). L’idée selon
laquelle l’alliance entre les Romains et les Hasmonéens reposait sur un
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sentiment commun d’hostilité au monde grec (p. 112) est fantaisiste. Celle
selon laquelle les Romains cessèrent leur soutien à l’état hasmonéen et
envisagèrent son intégration à l’empire romain dès lors que celui-ci devint un
royaume hellénistique comme un autre (p. 113), est sans fondement. Enfin, la
thèse générale selon laquelle l’opposition structurelle entre visions politico-
religieuses juive et romaine, telle qu’elle se manifeste dès 63 av. J.-C., rend
intelligibles des conflits postérieurs d’un ou deux siècles, doit être nuancée
pour mieux tenir compte des facteurs postérieurs. Aussi stimulante qu’elle
puisse être, la réflexion d’Ernst Baltrusch gagnerait à être affinée.

5. Peter SCHÄFER (éd.), The Bar Kokhba War Reconsidered. New Pers-
pectives on the Second Jewish Revolt against Rome. La révolte dite de Bar
Kokhba (132-135 ap. J.-C.) représente un épisode important de l’histoire du
judaïsme, puisque c’est la dernière tentative de secouer le joug romain en
Palestine. Elle s’avère aussi malheureuse que la guerre contre Rome de
66-70, et se conclut par la destruction de Jérusalem et sa reconstruction par
les Romains sous le nom d’Aelia Capitolina, une ville dont les Juifs sont
exclus. À la différence de la guerre de 66-70, à laquelle Flavius Josèphe
consacra sa Guerre des Juifs, cet épisode n’a cependant pas fait l’objet d’un
compte-rendu détaillé par un historien juif, ce qui rend son analyse plus
difficile, et ce, malgré les importantes découvertes documentaires effectuées
aux alentours de la mer Morte, au Wadi Murabba’at et au Nahal Hever. De
nombreuses questions demeurent posées, à propos de la chronologie et du
déroulement exacts de la révolte, de son extension géographique, de ses
causes, et de la personnalité de son chef, Simon Bar Kosiba.
Le présent volume tente de fournir quelques éléments de réponse à ces
questions. Il regroupe les contributions de plusieurs spécialistes réunis à
Princeton en novembre 2001 pour établir un nouvel état des lieux scientifique
de l’histoire de la révolte. Après une introduction présentant l’ensemble des
contributions, l’ouvrage débute par un article de Peter Schäfer consacré aux
604 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

relations entre Bar Kosiba et le judaïsme rabbinique, dans lequel il affirme


que le chef de la révolte, appelé Nasi (« prince »), s’inscrit dans la continuité
du modèle des Maccabées plutôt que dans la proximité du courant rabbini-
que. Plusieurs articles s’attachent ensuite à analyser les causes de la révolte.
Martin Goodman estime qu’Aelia Capitolina fut fondée par Hadrien en 130
ap. J.-C., et constitue l’aboutissement d’une longue politique romaine anti-
juive ; cet épisode, loin de clore la révolte, en constituerait à l’inverse le
déclencheur. Yoram Tsafrir, à l’inverse, considère que les données numisma-
tiques vont dans le sens de l’interprétation traditionnelle, qui voit dans la
construction d’Aelia C. une conséquence de la révolte. En ce qui concerne
l’interdiction de la circoncision — une autre hypothèse avancée pour expli-
quer la révolte —, un consensus relatif semble voir le jour. Pour Benjamin
Isaac, l’hypothèse d’une interdiction généralisée de la circoncision doit être
rejetée, puisque le problème auquel la législation romaine tentait de répondre
était celui de la conversion au judaïsme. Pour Aharon Oppenheimer, l’exa-
men des sources rabbiniques montre que l’interdiction de la circoncision doit
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être considérée comme une mesure punitive prise après la révolte, et non

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l’inverse. Enfin, Ra‘anan Abusch estime pour sa part que c’est le successeur
d’Hadrien, Antonin le Pieux, qui légiféra le premier sur cette question, mais
uniquement pour protéger les esclaves contre d’éventuelles mutilations qui
leur auraient été infligées par leurs maîtres. Les mesures contre la circonci-
sion juive dont on trouve la trace dans les sources rabbiniques seraient le fait
du gouverneur de la province, Tineius Rufus, et auraient par conséquent été
limitées dans le temps et l’espace. Hanan Eshel aborde quant à lui le
problème de la chronologie de la révolte, et conclut qu’elle débuta soit durant
l’été 132, soit au cours du mois de Tishri (septembre/octobre) de la même
année. Menahem Mor se penche sur la question disputée de l’extension
géographique de la révolte, et met en garde contre une utilisation abusive de
la documentation, en particulier l’inscription de Tel Shalem, qui ne prouve
nullement, selon lui, que des combats aient eu lieu près de Scythopolis, et
que la Galilée ait été impliquée dans la révolte (on regrettera ici l’absence de
carte). Hannah Cotton fournit un éclairage complémentaire sur cette question
en analysant plusieurs documents du désert de Judée (P. Murabba‘at 29 et
30 — qui concernent la guerre de 66-70 —, P. Murabba‘at 114 — qu’elle date
d’avant 132 —, P. Se‘elim 4 et P. Yadin 52) et en montrant que le P. Yadin 52
prouve la participation des Nabatéens à la révolte, une participation qui selon
elle pourrait résulter d’une vision politique et culturelle commune aux Juifs et
aux Nabatéens. Les deux articles suivants, par Werner Eck et Glen
W. Bowersock, proposent deux interprétations divergentes de l’inscription
monumentale gravée sur l’arc de triomphe de Tel Shalem, en l’honneur
d’Hadrien. Pour le premier, cette inscription date d’après la victoire contre les
insurgés juifs, et l’initiative en revient au sénat romain, tandis que pour le
second, l’arc fut érigé durant la visite d’Hadrien en Orient en 130, par la légion
romaine stationnée à proximité du site. Dans un second temps, Bowersock
apporte de nouveaux arguments en faveur d’un engagement des Nabatéens
aux côtés des insurgés juifs, et conclut qu’il faut inclure le nord-ouest de la
K. BERTHELOT 605

province d’Arabie dans la zone touchée par la révolte. Deux autres articles
abordent le sujet des réseaux de cachettes souterraines découverts en
Judée et en Galilée. Amos Kloner et Boaz Zissu proposent une classification
de ces réseaux en douze catégories, et montrent que si ces réseaux se
développent dès l’époque hellénistique, ils ne prennent leur forme finale qu’à
l’époque de la révolte. L’étude de ces réseaux les amène aussi à conclure
que toute la Judée prit part à la guerre, et fut à un moment sous l’adminis-
tration de Bar Kosiba. Yuval Shahar étudie pour sa part les réseaux
souterrains de Galilée, qu’il estime similaires à ceux de Judée ; selon lui, ces
réseaux ne sont pas des résidus de la guerre de 66-70, mais furent
aménagés en vue de la révolte de 132 ; cependant, l’absence de monnaies
frappées lors de la révolte signifie qu’ils ne furent pas utilisés. Un article, dû
à Yaron Eliav, est consacré au dispositif urbain d’Aelia Capitolina. L’auteur
montre que le mont du Temple resta en-dehors de la nouvelle agglomération,
qui était de taille réduite, et se démarquait dans son organisation spatiale de
la Jérusalem antérieure (non pour des raisons idéologiques, mais pratiques).
Enfin, Yael Zerubavel étudie la réception de la révolte dite de Bar Kokhba
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dans le courant sioniste (qui en fit un chef charismatique et un héros) et dans
la société israélienne moderne (où des lectures plus critiques se font jour,
même si l’appréciation positive perdure). Trois indices (des sources, des
auteurs modernes, des noms et des thèmes) complètent l’ouvrage.
Ce volume, qui réunit des contributions de qualité, de surcroît très
complémentaires, faisant appel à l’épigraphie, à la numismatique, à l’archéo-
logie, etc., fait indéniablement progresser notre connaissance des événe-
ments de 132-135 (et au-delà). Certes, il ne permet pas de résoudre tous les
problèmes posés par la révolte de Bar Kosiba. Quelques conclusions
importantes émergent néanmoins, qu’il vaut la peine de souligner : la cause
de la révolte ne saurait être l’interdiction de la circoncision, et réside
vraisemblablement dans la transformation de Jérusalem en Aelia Capitolina ;
la Galilée, si elle s’est préparée à se révolter, n’a en réalité pas participé à la
révolte, tandis que le nord-ouest de l’Arabie (avec les Nabatéens) a été
largement concerné par celle-ci ; l’ampleur de la révolte, qui fut longtemps
sous-estimée, est maintenant reconnue, de même qu’est mieux prise en
compte la continuité entre les épisodes de 66-70 et 132-135, tant en ce qui
concerne l’hostilité romaine vis-à-vis des Juifs qu’en ce qui concerne
l’importance des préparatifs juifs à la seconde révolte.

6. Ce livre de Peter SCHÄFER, fut initialement publié en allemand en 1983,


sous le titre Geschichte der Juden in der Antike, puis fut traduit en français
(Histoire des Juifs dans l’Antiquité, 1989) et en anglais (The History of the
Jews in Antiquity, 1995). Il est aujourd’hui réédité par Routledge, avec pour
seul ajout le tableau chronologique présent dans les éditions allemande et
française, mais absent de la première édition anglaise. Cette histoire des
Juifs dans le monde gréco-romain concerne pour l’essentiel le judaïsme de
Palestine. Mais l’ouvrage s’intéresse moins au judaïsme comme système
culturel et religieux qu’à l’histoire politique des Juifs en Palestine, des
conquêtes d’Alexandre le Grand (à la fin du 4e siècle av. J.-C.) à la conquête
606 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

musulmane (au 7e siècle ap. J.-C.). Une attention particulière est portée aux
aspects économiques et sociaux de cette histoire politique. Compte tenu des
sources disponibles pour les différentes périodes du millénaire envisagé ici,
et de la difficulté pour l’historien d’utiliser les sources rabbiniques, la période
qui va de la révolte de Bar-Kokhba à la conquête musulmane ne fait l’objet
que d’un survol. Le livre de P. Schäfer, déjà largement connu en France grâce
à la traduction de Pascale Schulte (dans la collection Patrimoines Judaïsme
des Éditions du Cerf, 1989) constitue une bonne introduction à l’histoire des
Juifs dans l’Antiquité, utile aux étudiants comme à un large public.

B. Le judaïsme hellénistique (7-16)

7. Takamitsu MURAOKA, A Greek-English Lexicon of the Septuagint, Chiefly of


the Pentateuch and the Twelve Prophets, Peeters, Louvain — Paris —
Dudley (MA), 2002, 613 p.
8. Jean-Marie AUWERS, Concordance du Siracide (Grec II et Sacra Parallela),
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avec la collaboration d’Églantine Proksch-Strajtmann, Gabalda, Paris, 2005,
93 p.
9. Françoise VINEL, La Bible d’Alexandrie. L’Ecclésiaste, Cerf, Paris, 2002,
186 p.
10. Sylvie HONIGMAN, The Septuagint and Homeric Scholarship in Alexandria : A
Study in the Narrative of the Letter of Aristeas, Routledge, London — New
York, 2003, 240 p.
11. Rieuwerd BUITENWERF, Book III of the Sibylline Oracles and its Social Setting,
with an Introduction, Translation and Commentary, Brill, Leiden — Boston,
2003, 443 p.
12. Pieter W. VAN DER HORST, Philo’s Flaccus. The First Pogrom, Brill, Leiden —
Boston, 2003, 284 p.
13. Étienne NODET, Flavius Josèphe. Les Antiquités Juives, vol. IV : Livres VIII et
IX, Cerf, Paris, 2005, xxxii + 417 p.
14. Steve MASON, Josephus and the New Testament, Hendrickson Publishers,
Peabody, 2003 (2de édition), 318 p.
15. Serge BARDET, Le Testimonium Flavianum. Examen historique, considéra-
tions historiographiques, Cerf, Paris, 2002, 280 p.
16. Dale C. ALLISON, Testament of Abraham, Walter de Gruyter, Berlin — New
York, 2003, 527 p.

7. T. MURAOKA est un éminent spécialiste des langues sémitiques, mais


aussi du grec de la LXX. Le lexique, A Greek-English Lexicon of the
Septuagint, qu’il vient de publier répond à la demande, formulée depuis
longtemps, d’un lexique scientifique moderne du vocabulaire de la LXX, qui
intégrerait l’apport, sur le plan philologique, des papyri et des inscriptions
découverts durant les dernières décennies. Il représente donc un instrument
de travail précieux pour tous ceux qui étudient la LXX, le Nouveau Testament,
les textes du judaïsme hellénistique ou le grec d’époque hellénistique. Le
texte grec de référence est l’édition critique de Göttingen (qui améliore celle
K. BERTHELOT 607

de Rahlfs). Chaque entrée comporte quelques informations morphologiques,


et indique quelles sont les acceptions du terme dans la LXX, avec renvoi aux
versets correspondants et citation du texte grec, souvent accompagnés d’une
traduction ; des références bibliographiques sont parfois données, et le
lecteur est aussi invité à consulter les entrées correspondant à des termes
grecs voisins ; enfin, les mots hébreux que traduit le terme grec étudié sont
indiqués, accompagnés du nombre d’occurrences.
Dans un travail aussi considérable, quelques erreurs ou imprécisions sont
inévitables. Ainsi, le mot koinônia ne figure pas en Lv 6, 2 mais en Lv 5, 21.
Ou encore, traduire anathema par « that which or he who has been
consigned by cursing to destruction », et anathematizô par « to consign by
cursing to destruction » (p. 29), est contestable. En effet, la notion de
« malédiction » (« curse ») n’apparaît que dans les textes chrétiens. Par
ailleurs, le terme anathema (ou le verbe anathematizô) renvoie parfois,
comme dans la littérature et les inscriptions grecques (où il est généralement
orthographié anathèma), à l’idée de consécration, et donc au sens d’objet
consacré à la divinité (même s’il est détruit par la suite) (voir Lv 27, 29 ; Jos 6,
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18-19). Enfin, le terme anathema peut désigner, comme en Lv 27, 28 ou
Nb 18, 14, une chose consacrée qui n’est pas détruite (mais plutôt utilisée ou
consommée par les prêtres). Cet exemple pose le problème passionnant, et
fondamental pour la lexicographie de la LXX, de la place respective accor-
dée, dans la détermination du sens d’un mot grec, au sens que revêt le mot
hébreu ou araméen qu’il traduit, au sens que revêt le mot grec dans d’autres
contextes (textes littéraires, inscriptions, etc.), et au sens qu’il est raisonnable
d’attribuer au terme de la LXX dans le contexte du passage traduit. Par-delà
ces remarques, la critique principale que l’on peut formuler à l’encontre de ce
livre tient au caractère partiel du champ recensé (même s’il est déjà plus
étendu que dans la première version, publiée en 1993, qui ne concernait que
les douze petits prophètes). Comme l’indique le titre, le lexique publié en
2002 n’inclut que le vocabulaire du Pentateuque et des douze petits
prophètes. Cet inconvénient est en partie compensé par le fait que, pour un
terme figurant à la fois dans un texte du corpus retenu ici, et dans un ou
plusieurs texte(s) qui lui sont extérieur(s) (comme Isaïe ou Sagesse, par
exemple), toutes les occurrences sont néanmoins données (à la condition
qu’elles ne soient pas trop nombreuses). Il reste que les termes ne figurant ni
dans le Pentateuque, ni dans les douze petits prophètes, n’ont pas été inclus
dans le lexique. De plus, même dans le cadre du corpus choisi, les
occurrences d’un terme donné ne sont pas toujours recensées. S’il faut donc
se réjouir de cette publication, qui est de grande qualité, il faut aussi espérer
que le travail déjà effectué sera repris dans un ouvrage plus exhaustif.

8. Jean-Marie AUWERS, Concordance du Siracide (Grec II et Sacra Paral-


lela). L’histoire du texte du Siracide est complexe, et il existe en particulier
deux formes textuelles de la tradition grecque, une brève (éditée par
A. Rahlfs en 1935) et une longue (éditée par J. Ziegler en 1965), qui contient
135 stiques supplémentaires. Dans la première édition de la concordance de
la Septante publiée par Ed. Hatch et H. A. Redpath en 1897, seuls 13 de ces
608 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

stiques sont pris en compte. Dans le supplément à cette concordance publié


en 1906, l’équivalent hébreu des termes grecs est ajouté, et le nombre de
stiques du texte long pris en compte s’élève à 34. Par conséquent, 101
stiques sont encore absents de la concordance de Hatch et Redpath. C’est
pour combler cette lacune que J.-M. Auwers a établi une concordance
complémentaire, portant sur les 135 stiques additionnels de la version longue
(d’après l’édition de Ziegler), et incluant des lemmes issus des variantes qui
présentent un intérêt lexicologique (ceux-ci figurent en italique). Il a en outre
intégré à ce corpus les lemmes contenus dans les versets du Siracide
attestés par les Sacra Parallela attribués à Jean Damascène, soit 28 stiques
supplémentaires inconnus de la tradition directe, mais dont 15 sont attestés
par la tradition latine. Dans la concordance, ces stiques sont précédés de la
mention SP. Enfin, sur le modèle du supplément de 1906, les termes hébreux
correspondants sont indiqués lorsque c’est possible. Au total, 26 lemmes
(plus 2 noms propres) sont inconnus de la concordance de Hatch et
Redpath. On ne peut donc qu’être reconnaissant à J.-M. Auwers de mettre à
la disposition de ceux qui étudient le Siracide un outil commode qui permette
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de prendre en compte l’ensemble de la tradition grecque.

9. Françoise VINEL, La Bible d’Alexandrie. L’Ecclésiaste. Cette traduction


de l’Ecclésiaste (LXX) vient s’ajouter aux douze autres volumes parus dans
la collection de la Bible d’Alexandrie, et l’on ne peut que s’en féliciter. Quand
il s’agit d’un livre hébreu — Qohélet — à propos duquel on évoque souvent
une date tardive et des influences grecques, l’analyse de sa traduction en
grec revêt a priori un intérêt particulier. De surcroît, on connaît le style
provocateur du livre et son caractère ambigu, qui lui valurent quelques
hésitations quant à sa incorporation dans le canon. Mais la traduction
grecque de Qohélet, qui est tardive (début du 2e siècle ap. J.-C.), et
vraisemblablement due à Aquila (pp. 26-29), se caractérise par le littéralisme,
ce qui en limite l’intérêt. On ne sait pas de quel texte hébreu disposait le
traducteur, mais il semble avoir été proche du texte massorétique (TM), sauf
en quelques occasions, comme en 5, 5b (cf. pp. 35 et 134), où ha’elohim
(Dieu) aurait été remplacé dans le TM par hamal’ak (l’ange). Malgré le
littéralisme de la traduction, celle-ci utilise parfois avec habileté les ressour-
ces de la langue grecque, comme lorsque l’hébreu pah (piège) est traduit par
le grec pagis (2, 8), ou l’adjectif sakal (insensé) par le grec sklèros (endurci)
(7, 17), ce qui relève davantage de l’interprétation. Par ailleurs, l’homogénéité
des choix lexicaux débouche aussi, selon Françoise Vinel, sur une forme
d’intertextualité, en particulier avec les livres des Règnes. L’Ecclésiaste
contiendrait ainsi, outre une méditation puissante sur la vanité (ou « folie »)
de toutes choses et une réflexion sur le temps, une critique implicite de
l’histoire de la royauté.
La traduction française, très littérale elle aussi, frise parfois l’inintelligible.
Ainsi, on lit p. 136 : « Et l’avantage de la terre existe en tout : un roi du champ
travaillé » (5, 8), là où l’hébreu peut être traduit « (même) le roi est tributaire
(du produit) du champ ». Le traducteur grec a visiblement traduit la racine
hébraïque ‘bd (au nifal dans le TM) par « travailler » plutôt que par « servir,
K. BERTHELOT 609

être esclave » (qui, au sens métaphorique, donne « être tributaire de »). Il


n’est pas sûr qu’il faille y voir une allusion à Mefibosheth et à 2 R 9, 6-10 (cf.
pp. 68-69 et 136), ni, par conséquent, une critique de la royauté. Dans un
autre cas de traduction peu compréhensible, « Qui aime l’argent n’aura pas
abondance d’argent ; et qui a aimé en abondance son produit ? » (5, 9), le
grec s’explique probablement par un texte hébreu défectueux. En bref, on ne
peut attribuer la responsabilité de l’inintelligibilité du texte à Françoise Vinel,
car le grec, qui traduit le plus souvent l’hébreu de manière littérale, est
lui-même obscur, et le texte hébreu (qu’il s’agisse du TM ou d’un autre)
présente également un certain nombre de difficultés. Mais il aurait été
souhaitable d’ajouter dans les notes (par ailleurs très détaillées et érudites)
quelques explications portant sur le sens, comme à propos de 7, 3 (qui n’est
pas du tout commenté) : « Bonne chose que l’emportement, plus que le rire
/ parce que, dans la méchanceté du visage, le cœur sera bonifié » (p. 142),
qui demanderait quelques éclaircissements, en particulier à cause du mot
« méchanceté » (en grec kakia et en hébreu ro‘a). Mais il est vrai que si le
traducteur interprète, il ne se substitue pas à l’exégète.
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10. Ce livre, The Septuagint and Homeric Scholarship in Alexandria : A
Study in the Narrative of the Letter of Aristeas, est écrit par une historienne du
monde hellénistique et romain (Sylvie HONIGMAN, de l’Université de Tel-Aviv),
et la thèse principale, le fil directeur de l’ouvrage, consiste à dire que la Lettre
d’Aristée est un écrit représentatif de la littérature alexandrine en général, à
laquelle il est apparenté tant par les concepts et le vocabulaire que par le
genre littéraire. Il ne se distingue d’autres écrits grecs de la même époque
que d’un point de vue thématique, par le sujet qui y est abordé (celui de la
traduction des cinq premiers livres de la Bible hébraïque en grec, à
Alexandrie, sous Ptolémée II, par une équipe de traducteurs venus de
Jérusalem). Dans un premier temps, Sylvie Honigman, qui met l’accent sur
l’analyse littéraire du texte, se penche sur la question du genre auquel
appartient la Lettre d’Aristée, pour conclure que les nombreuses et longues
digressions qui ont conduit certains commentateurs à douter de l’unité de la
composition, s’expliquent en fait par le goût des Grecs d’époque hellénistique
pour la poikilia, la diversité thématique et stylistique à l’intérieur d’une œuvre
donnée. De surcroît, chaque digression correspond à un genre littéraire grec
précis, connu par les listes des manuels de rhétorique. Une fois les
digressions expliquées, Sylvie Honigman poursuit l’analyse littéraire du texte
en distinguant deux « paradigmes » ou lignes narratives, l’une qui a trait au
roi et à la bibliothèque (la traduction est entreprise grâce au patronage du
roi, et en vue de prendre place dans sa bibliothèque), et l’autre qui constitue
une sorte de contre-Exode (le roi libère les esclaves juifs en Égypte et se
comporte donc en anti-Pharaon ; la traduction de la Loi en grec correspond
alors au don de la Torah au Sinaï). Pour Honigman, l’entrelacement de ces
lignes narratives a pour but de créer un mythe fondateur des origines de la
LXX. Mais il ne faudrait pas entendre ici, par « mythe », quelque chose de
faux ; l’enjeu est celui de l’autorité de la traduction et du prestige de la Loi des
Juifs. Comme elle le montre au chapitre 4, l’auteur de la Lettre d’Aristée
610 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

cherche par tous les moyens dont disposait un historien de cette époque à
rendre son récit crédible, et il serait anachronique de lui prêter l’intention de
tromper le lecteur. Enfin, dans les chapitres 5 et 6, Sylvie Honigman propose
de rattacher la genèse de la LXX d’une part à une forme de patronage royal,
et d’autre part à l’influence des travaux d’édition critique entrepris à la
Bibliothèque d’Alexandrie sur l’œuvre d’Homère et d’autres auteurs grecs
classiques. Parmi plusieurs scénarios envisagés, il serait possible qu’une
première traduction ayant été faite sous Ptolémée II, la dégradation de la
qualité des copies ait conduit à une révision au 2e siècle, soit en conformité
avec un exemplaire existant dans la bibliothèque, soit en remplacement de
celui-ci (à partir de manuscrits hébreux), ou encore indépendamment de lui
(en particulier si aucun exemplaire n’avait été déposé dans la bibliothèque
royale au 3e siècle). Il est difficile de trancher entre toutes ces hypothèses,
mais le lien établi entre les travaux sur Homère et le propos de la Lettre
d’Aristée semble pertinent.
L’analyse proposée par Sylvie Honigman est à la fois documentée, érudite
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et sophistiquée. On regrettera simplement qu’elle n’ait pas toujours suffisam-

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ment illustré son propos (par exemple à propos des genres littéraires grecs
auxquels sont censées appartenir les différentes digressions de L.A., dans le
chapitre 2), ou qu’elle ne connaisse pas toujours le dossier qu’elle traite de
première main (comme par exemple dans le cas des manuscrits de Qumrân
qui documentent l’histoire des traductions grecques de la Bible, cf. p. 124).
En ce qui concerne l’histoire de la LXX et le contexte dans lequel la Lettre
d’Aristée a été écrite, le « paradigme homérique » introduit par l’auteur est
intéressant et convaincant, même si l’enquête ne débouche que sur des
hypothèses que l’auteur ne parvient pas à démontrer (ce qu’elle reconnaît
avec lucidité). En définitive, l’étude de Sylvie Honigman montre qu’en
l’absence de données extérieures à la Lettre d’Aristée, permettant de
confirmer ou d’invalider les informations qu’elle contient, celle-ci est presque
inutilisable pour la reconstitution des événements « réels » de l’Alexandrie
des 3e et 2nd siècles av. J.-C. Cependant l’auteur souligne à juste titre que la
Lettre d’Aristée nous renseigne sur le climat intellectuel régnant à Alexandrie
au 2e siècle av. J.-C.
Dans sa conclusion, l’auteur plaide pour l’abolition de la catégorie « litté-
rature juive hellénistique », qui ne serait selon elle qu’une invention des pères
de l’Église. Du point de vue de l’historien du monde grec, et compte tenu des
affinités indéniables entre la Lettre d’Aristée et d’autres ouvrages alexandrins
ou grecs (malgré des différences tout aussi évidentes), cette thèse est
compréhensible. Néanmoins, elle fait fi d’un autre point de vue, qui est celui
de l’historien du judaïsme ou du spécialiste de la littérature juive, pour qui la
littérature judéo-hellénistique représente une catégorie particulière, distincte,
par exemple, des manuscrits de la mer Morte ou des commentaires rabbini-
ques (et pas seulement sur le plan linguistique). Il serait sans doute plus juste
de définir la littérature juive hellénistique comme une littérature de l’entre-
deux, une littérature qui fait dialoguer des cultures différentes (juive, grecque
et éventuellement romaine). Par-delà ces remarques, le livre de Sylvie
K. BERTHELOT 611

Honigman, écrit avec beaucoup de finesse et de recul historiographique,


représente une lecture indispensable pour tous ceux qui s’intéressent au
judaïsme alexandrin et en particulier à la LXX.

11. Rieuwerd BUITENWERF, Book III of the Sibylline Oracles and its Social
Setting. Les oracles attribués à une ou des Sibylle(s) furent mis par écrit et
rassemblés dans des collections dès l’Antiquité. Fait notable, des Juifs et des
chrétiens s’approprièrent ce genre littéraire et rédigèrent des oracles pseu-
dépigraphiques, censés avoir été prononcés par une Sibylle païenne, la-
quelle chantait les louanges ou confirmait la vérité de l’une ou l’autre religion.
C’est le cas, en particulier, du livre III des Oracles sibyllins, dont l’origine juive
est aujourd’hui incontestée. Le point de départ du commentaire que lui
consacre Rieuwerd Buitenwerf le situe dans une perspective voisine de celle
de Sylvie Honigman et d’Eric Gruen (voir supra). En effet, l’auteur part de
l’idée qu’il n’existe pas d’antagonisme radical entre Juifs et monde gréco-
romain, que les Juifs sont une composante de celui-ci et qu’ils y participent
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activement. En particulier, Buitenwerf estime que le livre III des Oracles

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Sibyllins témoigne de la convergence de vues et d’intérêts entre les Juifs et
les Grecs d’Asie Mineure, unis contre les Romains lors des guerres de
Mithridate contre Rome, dans les années 88-85, 83-81 et 74-63 av. J.-C.
L’objectif de Buitenwerf est donc de réexaminer la question du contexte
socio-politique dans lequel le livre III a été produit. La première partie retrace
l’histoire de la recherche et aborde la question de la date et du lieu de
rédaction. Rappelons que les deux grands savants qui ont écrit des mono-
graphies sur les Oracles sibyllins juifs, Valentin Nikiprowetzky (La Troisième
Sibylle, Mouton, Paris — La Haye, 1970) et John J. Collins (The Sibylline
Oracles of Egyptian Judaism, Society of Biblical Literature, Missoula, 1974),
se sont prononcés en faveur d’une origine égyptienne, bien qu’avec des
datations différentes (42 av. J.-C. dans le premier cas, le milieu du 2e siècle
av. J.-C. dans le second). Buitenwerf propose pour sa part de situer le(s)
auteur(s) juif(s) du livre en Asie Mineure, entre 80 et 40 av. J.-C., remettant
même en question l’interprétation traditionnelle du « septième roi d’Égypte »
(vv. 192-193, 318, 608-610 ; voir pp. 127-129, 265), selon laquelle il s’agit
d’une référence à Ptolémée VI ou VIII. La deuxième partie consiste en une
analyse structurelle, une nouvelle traduction et un commentaire détaillé des
fragments du 3e livre des Oracles Sibyllins considérés comme authentiques
(frag 1 et 3 et vv. 93-829, moins le v. 776), dont Buitenwerf cherche à montrer
qu’ils forment un tout cohérent, et ne se limitent pas à une compilation sans
projet d’ensemble. La troisième et dernière partie est consacrée à l’analyse
du contexte social dans lequel a été produit le livre, à l’étude des idées
religieuses et éthiques qu’il véhicule, et à une réflexion sur le choix du genre
de l’oracle sibyllin, largement répandu dans le monde ancien (Varron recense
dix sibylles, une persique, une égyptienne ou lybienne, une chaldéenne, une
italique, etc.). Le choix du genre des oracles sibyllins par un auteur juif
s’adressant à un public juif apparaît lié à la popularité de ce type de littérature
dans le monde hellénistique en général, et en Asie Mineure en particulier. Il
612 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

est révélateur d’un rapport d’appropriation critique des Juifs vis-à-vis de leur
environnement culturel grec.
Pour autant, la démonstration de la thèse d’ensemble pèche à bien des
égards. Elle repose en premier lieu sur l’hypothèse de l’unité du livre, un
problème déjà abordé par les prédécesseurs de Buitenwerf, qui ont tous
conclu à une pluralité de sources ; lui-même n’exclut pas l’utilisation de
sources antérieures. Mais alors, on comprend mal pourquoi il serait exclu
qu’une partie de l’ouvrage ait été rédigée en Égypte. Même si la référence au
7e roi égyptien devait être comprise de manière symbolique et non historique,
comme le veut Buitenwerf, cela n’empêcherait pas les nombreuses référen-
ces à l’Égypte de poser problème dans le contexte de la thèse de l’auteur.
Enfin, on peut s’interroger sur la virulence des attaques contre les Grecs
contenues dans la dernière partie (vv 489-829). Cette difficulté n’a pas
échappé à Buitenwerf, qui l’explique en distinguant, d’une part, une conver-
gence entre Grecs et Juifs sur le plan politique, et, d’autre part, un désaccord
de fond quant au mode de vie, les Juifs condamnant le polythéisme grec et
l’immoralité qui selon eux s’y rattache. Mais la convergence politique n’est
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perceptible que dans un discours anti-romain très général, qui, s’il est lié aux
guerres d’Asie Mineure dans certains cas, peut aussi être motivé par d’autres
facteurs. En particulier, la condamnation de l’avidité romaine, si elle est
effectivement pertinente dans le contexte de la politique de Rome en Asie
Mineure, ne l’est pas moins dans d’autres régions. En définitive, il semble que
le caractère flou des prophéties, qui relèvent parfois d’images convenues,
doive mettre en garde l’historien contre une analyse qui verrait systémati-
quement, dans les oracles sibyllins, des références à des événements ayant
réellement eu lieu, ou contemporains de l’auteur (même si c’est parfois le
cas). Quant à l’appréciation de la relation de l’auteur des Oracles à la culture
grecque, elle semble excessivement irénique. La violence du discours
eschatologique tenu par la « Sibylle » (qui demeure avant tout un discours de
jugement) est minimisée. Par ailleurs, l’absence de référence aux détails de
la Loi mosaïque est surinterprétée (après tout, elle s’explique par la conven-
tion littéraire qui fait d’une femme non-juive contemporaine de Noé le
porte-parole de la divinité). La thèse selon laquelle, pour l’auteur des Oracles,
les Grecs et les Juifs partagent les mêmes valeurs et ne se distinguent que
du point de vue de leur mise en pratique (qui est l’apanage des Juifs),
demanderait donc à être nuancée. Mais en dépit de la fragilité de la thèse
d’ensemble, ce livre érudit, qui représente le seul commentaire détaillé et
quasi-linéaire du troisième livre des Oracles Sibyllins, sera lu avec profit par
tous ceux qui souhaitent étudier cette œuvre originale, ainsi que le judaïsme
de diaspora en général.

12. Ce commentaire de l’In Flaccum de Philon d’Alexandrie, dû au savant


hollandais Pieter VAN DER HORST, représente le second volume d’une série
lancée par les éditions Brill (Philo of Alexandria Commentary Series) sous la
direction des professeurs Gregory E. Sterling et David T. Runia, en collabo-
ration avec une équipe internationale (le premier volume, réalisé par David
T. Runia et paru en 2001, commente le De opificio mundi). Ce projet,
K. BERTHELOT 613

essentiel pour les études philoniennes, vise à fournir une nouvelle traduction
anglaise et un commentaire détaillé de chacun des traités de l’exégète
alexandrin.
L’In Flaccum se distingue du reste de l’œuvre de Philon en ce qu’il s’agit
d’un traité historiographique et non exégétique ou philosophique. Cela
n’empêche pas le propos de Philon d’être aussi théologique et moral. Les
événements tragiques de l’an 38 ap. J.-C. (le premier « pogrom » attesté
dans l’histoire, celui des Juifs d’Alexandrie, confinés dans un ghetto, dé-
pouillés de leurs biens, battus et mis à mort en grand nombre) posent la
question de la théodicée et de la providence de Dieu à l’égard du peuple juif ;
mais la disgrâce et la mort de Flaccus, le préfet d’Égypte, sur qui Philon
rejette la responsabilité principale des événements, prouvent à ses yeux que
Dieu veille et châtie les ennemis des Juifs. Le thème de la providence divine
représente donc un véritable leitmotiv de l’ouvrage, même si c’est générale-
ment de manière implicite (p. 201).
L’introduction détaillée de Pieter van der Horst, dont la perspective reste
traditionnelle (par exemple en ce qui concerne la question de l’antijudaïsme
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dans l’Antiquité, pp. 24-32), représente un bon état de la question, nourri de
l’apport de travaux récents (comme le livre d’Eric Gruen présenté supra). La
nouvelle traduction anglaise qu’il propose (à partir de l’édition du texte grec
de S. Reiter) est agréable à lire même pour une personne non-anglophone.
De manière générale, le commentaire est bien documenté ; l’auteur renvoie
fréquemment aux travaux de ses prédécesseurs, tout en donnant les
informations essentielles. Il est également très complet, abordant tant les
aspects historiques à proprement parler (via une analyse critique du récit de
Philon — dont la vraisemblance est parfois douteuse —, ainsi que le recours
à l’onomastique, à la papyrologie, etc.), que les aspects philologiques (choix
entre des variantes manuscrites, problèmes de traduction, etc.) et théologi-
ques. Les rapprochements avec les autres traités de Philon ne sont pas
oubliés, en particulier avec la Legatio ad Gaium, son autre ouvrage historio-
graphique. Le livre de Pieter van der Horst fourmille d’éclairages intéressants
et de remarques pertinentes, comme par exemple lorsqu’il analyse la position
sociale de Philon (membre d’une élite), et l’influence de celle-ci sur la
manière dont Philon relate les événements (voir pp. 175, 198, 208-209).
En bref, voici un livre précieux, qui s’avérera particulièrement utile à ceux
qui s’intéressent à la pensée de Philon sur l’histoire, à l’antijudaïsme ancien
et à l’histoire du judaïsme alexandrin ou d’Alexandrie en général.

13. On ne peut que saluer la parution de ce quatrième volume des


Antiquités Juives, Livres VIII et IX, édité, traduit et annoté (de manière
abondante et érudite) par Étienne NODET, qui offre ainsi aux enseignants, aux
étudiants et aux lecteurs de Josèphe en général un outil indispensable. Les
livres VIII et IX des Antiquités Juives de Flavius Josèphe correspondent à la
période qui commence avec le règne de Salomon et prend fin avec la chute
du royaume d’Israël (de 1 R 2, 12 à 2 R 17, 41). Les informations non
bibliques fournies par Josèphe sont peu importantes, et l’intérêt de cette
partie des Antiquités réside surtout dans l’éclairage qu’elle apporte sur le type
614 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

de texte biblique utilisé par Josèphe. En effet, le texte hébraïque auquel se


réfère Josèphe diffère de manière significative du texte massorétique, et
pourrait correspondre à un texte ayant inspiré à la fois 1-2 Rois et 2
Chroniques. Les nombreux tableaux élaborés par É. Nodet rendent aisée
l’étude comparée des différents textes (texte massorétique, Septante, « re-
cension » lucianique, récit parallèle dans 1-2 Chroniques et texte des
Antiquités). Dans la mesure où les textes de Qumrân ne fournissent guère de
renseignements sur les livres des Rois, le témoignage de Josèphe est ici
particulièrement utile pour reconstituer l’histoire du texte biblique.

14. Ce livre de Steve MASON, Josephus and the New Testament, est la
réédition d’un ouvrage paru en 1992. Comme l’explique l’auteur dans la
préface, la nécessité d’une réédition résulte du développement considérable
des études sur Flavius Josèphe depuis cette date. Les projets éditoriaux, les
thèses et les monographies consacrées à Josèphe s’étant multipliés, plu-
sieurs aspects de l’étude de l’œuvre de Josèphe ou des rapports entre
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celle-ci et le Nouveau Testament méritaient d’être revus et corrigés. Le but de

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l’ouvrage demeure toutefois le même : permettre au lecteur non spécialiste
de Josèphe, et en particulier à ceux qui étudient le Nouveau Testament, de
découvrir et d’apprécier par eux-mêmes quel éclairage l’œuvre de Josèphe
projette sur celui-ci. En réalité, comme le souligne Steve Mason dans sa
conclusion (pp. 297-298), presque chaque ligne de Josèphe peut être utile à
l’étude du Nouveau Testament, si bien qu’il ne propose ici qu’un aperçu des
éclairages possibles.
Le premier chapitre rappelle quelles lectures de Flavius Josèphe ont été
faites en milieu chrétien, et expose en quoi ces lectures étaient biaisées. La
Guerre des Juifs, les Antiquités juives et le Contre Apion ont suscité l’intérêt
des chrétiens dès l’Antiquité, à cause de certaines remarques sur Jean le
Baptiste, Jésus ou Jacques, des informations concernant la première moitié
du 1er siècle, et des arguments apologétiques utilisés par Josèphe pour
défendre le judaïsme contre ses détracteurs, qui ont à l’occasion été
réutilisés pour la défense du christianisme. Mais l’œuvre de Josèphe — et en
particulier la Guerre — fut aussi détournée de ses fins, et sa description de
la destruction du temple de Jérusalem en 70 fut lue comme un témoignage
prouvant la culpabilité du peuple juif vis-à-vis du Christ. Associée à la doctrine
de la responsabilité collective et intemporelle du peuple juif, cette lecture a
causé les ravages que l’on connaît. Steve Mason insiste donc à juste titre sur
la nécessité de lire Flavius Josèphe avant tout pour lui-même, en essayant de
comprendre ses objectifs et son contexte propre. Cette lecture est une étape
indispensable à la comparaison de l’œuvre de l’historien juif avec les textes
du Nouveau Testament.
C’est pourquoi le chapitre 2 est consacré à la vie et à la carrière de
Josèphe, permettant ainsi au lecteur de se familiariser avec le personnage et
son milieu. Tout en relevant souvent du cliché rhétorique, les informations que
donne Josèphe sur son parcours permettent de mieux discerner quels sont
ses présupposés et ses préjugés. Steve Mason a mesuré toute l’importance
K. BERTHELOT 615

de la généalogie aristocratique (et même hasmonéenne) de Josèphe, ainsi


que son appartenance à un milieu sacerdotal.
Le chapitre 3, qui fait 90 pages, est une remarquable introduction aux écrits
de Flavius Josèphe, présentés dans l’ordre chronologique de leur rédaction.
Il est impossible de résumer ici une présentation aussi dense. De manière
générale, Steve Mason démontre avec force que Josèphe n’est ni un vulgaire
compilateur, ni un valet des Romains à qui on aurait commandé une apologie
de Rome. Il est auteur à part entière, et poursuit un projet cohérent, la
défense d’un peuple conquis et humilié, dont il veut montrer l’antiquité, la
valeur et la sagesse. Dans la Guerre, d’autres thèmes importants sont :
l’appartenance de Josèphe à l’aristocratie et la modération dont celle-ci fait
constamment preuve face aux rebelles ; la difficulté d’empêcher la guerre
civile, en Judée comme à Rome ; le fait que la chute de Jérusalem soit le
résultat d’une décision divine, et non de la seule puissance militaire de Rome.
Dans les Antiquités, Steve Mason distingue quatre thèmes principaux :
l’antiquité du peuple juif ; la perfection de la constitution juive (qui, pour
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Josèphe, doit correspondre à l’aristocratie, non à la monarchie) ; le judaïsme

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comme « philosophie » ; le commentaire moralisant d’un certain nombre de
grandes figures de l’histoire juive. Quant à l’Autobiographie, Mason propose
de la lire comme un essai sur la personnalité de Josèphe, ce qui permet de
clarifier quelques points obscurs. Josèphe modifie sa présentation des
événements d’une œuvre à l’autre, en fonction du but visé dans chaque
ouvrage. Mais ces variations témoignent aussi des pratiques d’écriture de
son époque, et du fait que la rhétorique l’emportait généralement sur la
précision. Une remarque pertinente aussi pour l’étude du Nouveau Testa-
ment.
Dans le chapitre 4, Steve Mason procède à une lecture comparée des
textes de la Guerre, des Antiquités et du Nouveau Testament, à propos de
quatre sujets : Hérode le Grand et sa famille ; les gouverneurs romains de
Judée ; les grands-prêtres du temple de Jérusalem ; les Pharisiens et les
Sadducéens. Il montre qu’il ne faut pas voir en Josèphe une simple source
d’informations, permettant de confirmer ou d’infirmer le témoignage des
évangiles (même si les écrits de Josèphe permettent parfois de se prononcer
sur la valeur historique de certains passages des évangiles), et que ce
qu’écrit Josèphe à propos d’Hérode, des grands-prêtres ou des Pharisiens
doit être replacé dans le contexte des objectifs rhétoriques et littéraires
poursuivis par Josèphe (cf. p. 209). Il en va d’ailleurs de même pour les
textes du Nouveau Testament.
Cette analyse se poursuit au chapitre 5, où Steve Mason examine les
passages de l’œuvre de Josèphe qui évoquent le Baptiste, Jésus et Jacques.
Dans le cas de Jean, il montre que le témoignage des évangiles nous aide à
comprendre le parti-pris de Josèphe, qui a adouci le message du Baptiste
pour le rendre « politiquement correct », tout comme le texte de Josèphe
nous permet de saisir comment les auteurs du Nouveau Testament ont
infléchi leur présentation du Baptiste dans un sens chrétien, en lui faisant
jouer le rôle de précurseur de Jésus (cf. pp. 222-225). En ce qui concerne le
616 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

testimonium flavianum (le fameux passage des Antiquités où Jésus est


présenté comme le Messie, à propos duquel voir infra la présentation du livre
de Serge Bardet), Mason conclut que Josèphe a certainement évoqué Jésus
(qui est mentionné par ailleurs dans le passage sur Jacques, Ant. XX.200),
mais pas dans les termes du texte dont nous disposons.
Enfin, le chapitre 6 traite des rapports étroits qui existent entre l’œuvre de
Josèphe et l’ensemble Luc-Actes. Les parallèles littéraires, les thèmes et les
termes en commun, ainsi que les allusions à des événements précis —
comme le recensement sous Quirinius (cf. pp. 273-277) — que l’on retrouve
d’une œuvre à l’autre, conduisent Steve Mason à affirmer que l’auteur de
Luc-Actes avait connaissance de l’œuvre de Josèphe, même s’il s’en est
inspiré librement.
Steve Mason conclut son livre en posant la question de la relation entre la
foi et l’histoire, et rappelle que « l’histoire » ne renvoie pas seulement à
l’arrière-plan historique des évangiles, mais que les textes du Nouveau
Testament (et en particulier Luc-Actes) sont eux-mêmes des textes qui
doivent être soumis à l’analyse historique.
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Cet ouvrage se distingue par la clarté et la précision de l’argumentation ; de
surcroît, les analyses sont toujours intelligentes et nuancées. Il émane d’un
fin connaisseur de l’œuvre de Josèphe. On lui doit de nombreux éclairages
pertinents, comme l’analyse de la structure concentrique qui caractérise
chacun des livres de Josèphe (cf. pp. 66-68, 99-100, 125-130 et 132), ou les
quelques pages que Steve Mason consacre à la question du public visé, en
rappelant que les œuvres littéraires étaient lues devant de petits cercles
composés d’amis, de protecteurs, etc., et que Josèphe a dû lui aussi
bénéficier d’un cercle de ce genre, sous le patronage d’Épaphrodite ou
d’autres (voir pp. 94-99, 135-138). Il s’agit en un mot d’un livre remarquable,
dont la lecture s’impose tant à ceux qui veulent découvrir l’œuvre de Josèphe
qu’aux chercheurs plus chevronnés.

15. L’ouvrage, Le Testimonium Flavianum, que Serge BARDET consacre au


passage des Antiquités Juives de Flavius Josèphe (XVIII.63-64) où Jésus est
qualifié de « Christ » — passage souvent considéré comme une interpolation
chrétienne —, a en réalité une double visée, comme l’indique d’ailleurs le
sous-titre : « Examen historique. Considérations historiographiques ».
L’auteur n’aborde pas seulement la question de l’authenticité du texte des
Antiquités, il procède aussi à un examen très détaillé des positions des
différents auteurs français qui se sont penchés sur le texte de Josèphe au
cours des 19e et 20e siècles (voire même à des époques antérieures). Cet
intérêt poussé pour l’historiographie moderne et contemporaine — qui
constituait l’objet même de sa thèse — ne sera sans doute pas partagé par
tous les lecteurs intéressés par l’œuvre de Josèphe, et pourra même
apparaître fastidieux à certains. L’étude de Bardet représente cependant une
bonne illustration du rôle joué par l’idéologie des chercheurs dans le
traitement de leur objet, et souligne en même temps le fait que l’apparte-
nance confessionnelle ou l’orientation théologique ne constitue pas un
facteur explicatif systématiquement pertinent. Ceci étant dit, que l’on n’aille
K. BERTHELOT 617

pas imaginer que le texte de Josèphe n’est ici qu’un prétexte à une enquête
purement historiographique. L’étude de Bardet, dont la réflexion est intelli-
gente et subtile, contient à la fois un récapitulatif et une analyse critique des
arguments avancés en faveur de l’authenticité du passage ou contre elle,
ainsi qu’une prise de position personnelle. Si le fil de l’argumentation se perd
parfois dans les méandres des analyses de détail, si l’on peine souvent à
déterminer quelle est la position de l’auteur (puisqu’il s’interroge surtout sur
celles des autres), la fin du chapitre II (5.3) et la conclusion permettent de
lever le doute : influencé par les travaux d’Étienne Nodet sur Josèphe, et de
Simon Mimouni sur le judéo-christianisme, Bardet penche pour l’authenticité,
dans ses grandes lignes, du passage des Antiquités. Il souligne le caractère
invraisemblable d’une interpolation chrétienne (en effet, à quelles attentes
répondrait-elle ? que prouverait-elle ? aux yeux de qui ?). Il se fonde surtout
sur l’hypothèse que, jusqu’au début du 2e siècle ap. J.-C., le christianisme
reste majoritairement juif, et que les chrétiens ne sont pour Josèphe qu’une
des sectes juives de l’époque, qu’il rapproche ou distingue d’autres groupes
de sensibilité messianique ou baptiste. On tombera d’accord avec lui sur le
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fait que la perception renouvelée des liens entre judaïsme et premières
communautés chrétiennes permet de réenvisager autrement la question de
l’authenticité du texte de Josèphe, dont le discours sur le Christ n’apparaît
plus nécessairement déplacé ni indûment apologétique. Mais on appréciera
également la prudence de la conclusion, dans laquelle Serge Bardet recon-
naît avec lucidité et honnêteté qu’une part de doute demeure.

16. Dale C. ALLISON, Testament of Abraham


Le Testament d’Abraham pose le même type de problèmes que le
testimonium flavianum, dans la mesure où il s’agit d’un texte transmis par des
églises chrétiennes d’Orient, et où l’original juif est difficile à dégager des
remaniements chrétiens successifs. L’ouvrage est toutefois une œuvre de
fiction, qui visait sans doute davantage le divertissement que l’édification. Le
scénario est simple : Dieu ayant décrété qu’Abraham avait atteint le terme de
son existence terrestre, il envoie l’archange Michaël prévenir le saint patriar-
che de se préparer et de rédiger son testament. Cependant, en flagrante
contradiction avec sa réputation d’obéissance parfaite, Abraham refuse de
suivre l’ange ; humain, trop humain, il refuse de mourir ! En rusant, il obtient
plusieurs reports de l’échéance, si bien que Dieu envoie la Mort elle-même
chercher l’âme du patriarche, et celle-ci doit user d’un mensonge pour venir
à bout de sa résistance. Comme l’écrit justement Dale Allison, Abraham ne se
résout en fait jamais à mourir, de telle sorte que ce livre mérite le nom
d’anti-testament (pp. 50-52) ! Il s’agit vraisemblablement d’une parodie.
Dale Allison propose de ce texte un commentaire détaillé, minutieux et
érudit. L’ouvrage se compose d’une introduction où sont abordées les
questions de transmission manuscrite, d’origine, de lieu de composition, de
datation, etc., complétée par une bibliographie ; du commentaire proprement
dit, qui suit la division en chapitres ; et de plusieurs index, s’élevant à
114 pages au total (le seul index des références aux textes anciens fait
environ 100 pages). Le Testament d’Abraham existe dans deux versions, une
618 BULLETIN DE JUDAÏSME ANCIEN

longue et une brève, qui ont été éditées et traduites en français par Francis
Schmidt (Le Testament grec d’Abraham : Introduction, édition critique des
deux recensions grecques, traduction, Mohr Siebeck, Tübingen, 1986).
D’après Allison, l’une ne dépend pas de l’autre, chacune d’entre elles
remontant à un original grec par le biais de deux versions intermédiaires
distinctes. Si la version courte a pu circuler assez tôt (entre le premier et le
2e siècle ap. J.-C.), la version longue, dans sa forme actuelle, serait quasi-
médiévale. Cependant elle remonte elle aussi à un original juif, et elle a
conservé une version plus cohérente de celui-ci, alors que la version courte,
qui abrège le texte original, a supprimé des éléments importants pour la
cohérence narrative du Testament. Allison considère comme probable une
origine égyptienne.
Le commentaire de chaque chapitre comporte successivement quelques
indications bibliographiques, une traduction anglaise de la version longue et
de la version courte (quand elle existe), des notes de critique textuelle, une
analyse générale de la structure du chapitre et (le cas échéant) des rapports
entre les deux versions, et enfin un commentaire détaillé de chaque verset.
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Une attention particulière est accordée au vocabulaire, qui est au cœur du
débat sur la datation et sur l’attribution juive ou chrétienne de l’œuvre. De
surcroît, le commentaire propose pour la plupart des expressions ou des
éléments narratifs significatifs une foule de parallèles avec la littérature juive
du second temple, la littérature rabbinique et la littérature chrétienne, en
particulier byzantine. Il est toutefois dommage qu’ils ne soient pas davantage
analysés. Il est utile de fournir au lecteur des listes de passages pouvant être
comparés à celui que l’on étudie, mais le rapport est parfois lointain, et il
aurait été plus intéressant de ne retenir que les parallèles les plus significa-
tifs, révélant la proximité du Testament avec d’autres textes ou au contraire
sa spécificité.
Tout comme Eric Gruen (voir supra), Dale Allison insiste à juste titre sur la
dimension humoristique du Testament d’Abraham (cf. pp. 42, 51-52, 77, 131,
174, 259). Le refus d’Abraham de suivre Michaël, alors que le patriarche
apparaît dans la tradition biblique comme un modèle de foi et d’obéissance à
Dieu, comporte un effet comique, qui est redoublé lorsqu’Abraham refuse une
seconde fois d’obtempérer, en dépit du délai qui lui a été accordé. L’auteur du
Testament exploite d’ailleurs fréquemment le comique de répétition.
Le Testament d’Abraham est un livre méconnu, qui mérite d’être lu pour
son originalité, et en particulier son approche désacralisante et humoristique
des personnages bibliques. Le commentaire de Dale Allison permettra à ceux
qui veulent l’étudier d’en saisir toute la richesse et l’intérêt.
(À suivre)

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