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LE VIF DE LA CRITIQUE
1. WALTER BENJAMIN
Rainer Rochlitz
COLLECTION ESSAIS LA LETTRE VOLÉE
Tous les articles reproduits dans ce volume
ont fait l’objet d’une première publication
dans la revue Critique (Éditions de Minuit).
Ils représentent, avec ceux réunis dans les
volumes II et III, la totalité des contributions
de Rainer Rochlitz à cette revue.
Rainer Rochlitz
PRÉAMBULE ÉDITORIAL 7
II
sayiste est un Schopenhauer qui écrit ses parerga avant son ouvrage prin-
cipal. En attendant, deux essais suffisent à esquisser la possibilité du système.
Plus que le destin d’un penseur qui fut en somme broyé entre deux guerres
mondiales, ce refus du tragique donne à la figure de Benjamin sa stature
exemplaire : il vécut les pires angoisses, mais jamais ne s’avisa de faire
de l’angoisse une catégorie constitutive de l’existence humaine. Plutôt
que le vecteur d’une expérience contingente, ou que l’instance d’une subjec-
tivité transcendantale, le « je » devient ici un instrument d’optique braqué
sur le monde historique. Dans cette fonction, il tend vers l’anonymat 1.
Rochlitz met en lumière cette qualité particulière du « je » benjaminien
jusque dans l’évocation des souvenirs d’enfance, portés par l’exigence
de « renoncer à l’autobiographie pour ne retenir que la topographie 2 ».
La sociologie et la mystique constituent à cet égard des principes complé-
mentaires de mortification de la subjectivité.
Les textes de critique littéraire, qui étaient peut-être ceux que Rochlitz
pouvait admirer le plus entièrement, montrent la fécondité herméneutique
de cette méthode. Benjamin expérimente littéralement sur lui-même l’effi-
1. Sur la fonction de l’anonymat chez Benjamin, je me permets de renvoyer à mon article : PIERRE
RUSCH, « Le Piège du nom », in RAINER ROCHLITZ et PIERRE RUSCH (s.l.d.), Walter Benjamin.
Critique philosophique de l’art, Paris, PUF, « Débats philosophiques », 2005, p. 91 sq.
2. Cf. infra, « Le Berlin de Benjamin », p. 165.
cacité des œuvres, il s’expose à leur puissance pour en révéler le contenu
de vérité. C’est pourquoi il est si difficile de distinguer chez lui entre la
dénonciation et l’approbation. La critique consiste à libérer le pouvoir
cristallisateur d’un texte, d’une idée, bien plus qu’à adhérer à un projet.
Adorno, « le meilleur disciple de Walter Benjamin », reprendra ce
programme d’interprétation objective d’une « réalité dépourvue d’inten-
tions 1 », qu’on maîtrisera d’autant mieux qu’on se débarrassera plus complè-
tement de toute « conviction » personnelle. « Dans le cas idéal, il [le
critique] oublie de juger 2. »
À ce désengagement méthodologique s’ajoute une réserve qu’on pour-
rait dire morale : de même que ses affinités avec Proust obligeaient Benjamin
à travailler autrement la matière du souvenir, on a parfois l’impression
18 que l’intelligence du projet benjaminien a pour effet premier d’interdire
à Rochlitz de repasser par les mêmes voies. Cette pudeur, imposée par
une biographie dramatique, a aussi des racines philosophiques : la pensée
de Benjamin s’inscrit dans une époque et une situation spécifiques, qui
à la fois en déterminent et en limitent la validité. On cherchera d’autant
moins à la reproduire qu’on la comprendra plus exactement.
Voilà quelques-unes des raisons pour lesquelles il est si difficile d’être
benjaminien. Voilà pourquoi Rochlitz envisageait avec suspicion la gloire
tardive de Benjamin, où l’empathie et le mimétisme tendent à remplacer
l’exigence de compréhension. Quant à lui, qui ne se voulait pas le disciple
de Benjamin, mais qui se sentait singulièrement responsable de sa mémoire,
il pouvait sans état d’âme se retrouver dans le rôle de son plus fidèle
critique 3.
1. Voir, entre autres, RAINER ROCHLITZ, Le Désenchantement de l’art, op. cit., « Avant-propos »,
p. 9 ; WALTER BENJAMIN, Œuvres, I, op. cit., « Présentation », p. 20 sq ; cf. infra, « Poétique
de la traduction », p. 125 n. 3, où la dernière période est décrite comme une « esthétique de la
“fin de l’art” ».
2. Cf. infra, « Walter Benjamin : paradoxes d’une consécration », p. 139 et « Benjamin écrivain :
la fidélité de Pierre Missac », p. 109-110.
3. WALTER BENJAMIN, « Sur le programme de la philosophie qui vient », in Œuvres, I, op. cit.,
p. 193 sq. Cf. infra, « Walter Benjamin : poétique de la traduction », p. 118 sq.
démarche analytique et constructive 1. » Comme, à l’inverse, aucune reli-
gion révélée ne permet de fonder un concept rigoureux d’universalité, il
s’agira pour Rochlitz de « sauvegarder la critique du concept kantien d’ex-
périence sans adhérer à ce retour à la théologie 2 » ; il s’agira en particu-
lier de remettre le langage au centre du rapport de l’homme avec son
environnement, sans ouvrir la porte à l’institution divine – c’est-à-dire
sans reprendre la théorie dénominative du langage. C’est bien l’axe central
de la réflexion benjaminienne qui se trouve remis en question.
De même, l’opposition entre connaissance et vérité posée par Benjamin
dans Origine du drame baroque allemand se trouve clairement récusée :
« Cette opposition ne va pas de soi. Elle procède d’une définition restric-
tive de la connaissance, et elle soustrait la vérité à l’épreuve de l’argu-
20 mentation ; elle la livre à une contemplation respectueuse de ses objets,
mais aussi à l’affirmation autoritaire de celui qui prétend être dans le secret 3. »
Rochlitz tente certes de réduire l’écart en situant cette thèse dans une pers-
pective génétique : « D’ailleurs tout l’effort de Benjamin, dans ses écrits
ultérieurs, va dans le sens d’une démarche au moins apparemment plus
exotérique, d’une théorie capable de justifier ses choix. » Mais la tenta-
tive est tellement fragile que Rochlitz explore quasi simultanément (les
deux articles paraissent à un an d’intervalle) une autre piste : repérer dans
le concept benjaminien de vérité, tel qu’il est formulé dans ces années-
là (1920-1925), le germe d’une approche intersubjective et pragmatique :
« Un fragment de 1920-1921 apporte une précision : “La vérité réside dans
l’à-présent de la connaissance possible”. Et ce concept [...] “est le temps
logique qu’il s’agit de fonder au lieu de la validité intemporelle” (VI, 46).
Benjamin souligne par là le caractère énergétique, temporel et intersub-
jectif de la vérité, sans remettre en question sa validité universelle. Si la
vérité réside dans l’à-présent de la connaissance possible, c’est qu’elle a
un effet, un pouvoir propre (Austin parlera d’une force illocutoire) : elle
peut intervenir dans des processus individuels ou collectifs et en changer
1. Cf. infra, « Benjamin écrivain : La fidélité de Pierre Missac », p. 113. Dans le même esprit :
« Benjamin — et d’autres — n’ont pas suffisamment distingué entre modernité et totalitarisme. »
(« Walter Benjamin : poétique de la traduction », op. cit., p. 125.)
2. Cf. infra, « Walter Benjamin et la critique », p. 102.
3. Cf. infra, « Walter Benjamin : esthétique de l’allégorie », p. 79.
les orientations. Dans les “Thèses sur [la philosophie de] l’histoire”, l’à-
présent est associé aux moments du danger dans lesquels la vérité atteint
son efficacité maximale. La vérité est intersubjective, parce que son opéra-
tion suppose qu’elle apparaisse à un sujet et qu’elle puisse être défendue,
non seulement par l’évidence, mais aussi par des arguments. Elle en dépend
à tel point qu’elle reste toujours sujette à révision. Et la vérité est tempo-
relle, du moins pour autant qu’il s’agit d’enjeux concernant des sujets
humains et l’histoire, dans la mesure où elle est liée à des processus d’ap-
prentissage, à des expériences qui ont leur temps et leur lieu, sans lesquels
la validité universelle reste abstraite et inapplicable 1. »
Passer ainsi d’une historicisation de la vérité à un rapport fondé sur
l’intersubjectivité, l’argumentation et l’apprentissage, ne va pas non plus
de soi. Car Benjamin vise ici un autre temps que le temps domestiqué du 21
Le destin de Walter Benjamin est d’une cruelle ironie ; lui qui vécut d’au-
mônes et qui eut le plus grand mal à se faire reconnaître, qui se suicida
dans des circonstances tragiques, sans pouvoir achever la plupart de ses
projets, dispose aujourd’hui d’un public passionné dans de nombreux pays
et d’une des éditions modernes les plus soignées.
1. [Cet ouvrage a été traduit en français par Jean Lacoste en 1989 (Paris, Le Cerf) sous le titre
Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des passages (cf. « Notice bibliographique », p. 195-210
et « Walter Benjamin : paradoxes d’une consécration », p. 127-144). Dans le texte qu’on va lire,
et dans tous ceux qui suivent, antérieurs à 1989, le titre Das Passagen-Werk est, par anticipa-
tion, diversement traduit en français : Livre des passages, Passages parisiens, ou tout simple-
ment [Les] Passages. Nous avons conservé ces différents titres approchés, au demeurant conformes
aux usages du temps et aux ébauches de Benjamin. (N.D.É.)]
On mesure l’isolement de l’exilé, en mai 1939, à la prudence avec
laquelle il s’adresse à un public français, à Pontigny, avant de parler de
Baudelaire, en présentant sa méthode de lecture : « L’étude d’une œuvre
lyrique fréquemment se propose pour but de faire entrer le lecteur dans
certains états d’âme poétiques, de faire participer la postérité aux trans-
ports qu’aurait connus le poète. Il semble, toutefois, admissible de conce-
voir pour une telle étude un but quelque peu différent. Pour le définir de
façon positive, on pourrait avoir recours à une image. Mettons qu’une science
attachée au devenir social soit en droit de considérer certaine œuvre poétique
– monde se suffisant à soi-même en apparence – comme une sorte de clé,
confectionnée sans la moindre idée de la serrure où un jour elle pourrait
être introduite. Cette œuvre se verrait donc revêtue d’une signification
26 toute nouvelle à partir de l’époque où un lecteur, mieux, une génération
de lecteurs nouveaux, s’apercevait de cette vertu-clé. Pour eux, les beautés
essentielles de cette œuvre iront s’intégrer dans une valeur suprême. Elle
leur fera sentir, à travers son texte, certains aspects d’une réalité qui sera
non tant celle du poète défunt que la leur propre. Certes, ces lecteurs ne
se priveront pas de cette utilité suprême dont, pour eux, l’œuvre en ques-
tion fera preuve. Ils ne se priveront donc pas non plus des démarches de
l’analyse qui vont les familiariser avec elle » (I, 2, 740 1).
Les essais et fragments de Benjamin sur Baudelaire 2 sont issus du projet
immense des Passages qui aurait été l’un des textes décisifs de la philo-
sophie du XXe siècle et qui, même à l’état de projet inachevé, représente
l’une des conceptions les plus grandioses et les plus novatrices de la pensée
contemporaine. En effet, la publication de ces fragments en 1982, attendue
1. Les références entre parenthèses renvoient à l’édition allemande des Gesammelte Schriften de
Benjamin, lorsqu’elles sont précédées d’un chiffre romain qui en indique le tome ; précédées de
CB, elles renvoient à la traduction française du Baudelaire ; précédées de PR, elles renvoient à
WALTER BENJAMIN, Poésie et Révolution, traduit par Maurice de Gandillac et paru aux éditions
Denoël (Paris, 1971). Les traductions ont souvent été modifiées. [Voir la correspondance (cf.
« Notice bibliographique », p. 195-210) entre les textes de Poésie et Révolution et, notamment,
l’édition des Œuvres en trois volumes, établie par Rainer Rochlitz (avec la collaboration de Pierre
Rusch) pour la collection « Folio essais » (Gallimard, 2000). L’édition la plus récente du Charles
Baudelaire traduit par Jean Lacoste (Paris, Payot & Rivages, 2002) est pour l’essentiel identique
à celle présentée ici. (N.D.É.)]
2. L’édition française n’en réunit qu’une partie, celle qui fut publiée en 1974.
depuis longtemps, a été un événement d’actualité 1. À l’intérieur de cette
actualité, plusieurs aspects sont à distinguer. Indépendamment de la puis-
sance indéniable de la pensée et même de la poésie qui s’y exprime, la
mode dont jouissent actuellement les écrits et le personnage de Benjamin
renferme des tendances au moins aussi contradictoires que celles qui déchi-
raient le penseur lui-même; il suffit de penser au concept de modernité
chez Benjamin, qui est à la fois, sociologiquement, la quintessence de la
fausse conscience, des fantasmagories dont s’entoure la société bourgeoise
et, esthétiquement, la vraie conscience des artistes qui la contestent, de sorte
que partisans et adversaires de la modernité peuvent également se réclamer
de lui. D’une part, se rattache à lui une nostalgie de la situation politique
peu complexe à laquelle Benjamin était confronté à l’époque des fascismes.
En effet, certains textes de Benjamin permettent de justifier la résurgence 27
1. Le tome V des Gesammelte Schriften contient les deux « Exposés » * du projet (de 1935 et de
1939, le second en français), les liasses de fragments et de notes de lecture que Benjamin lui-
même avait classées par sujets et qui, pendant l’Occupation, furent cachées par Georges Bataille à
la Bibliothèque Nationale. Ces liasses sont intitulées : A) Passages ; B) La mode ; C) Paris antique ;
D) L’ennui, l’éternel retour; E) Haussmannisation, combats de barricades; F) La construction en fer;
G) Les expositions, la réclame, Grandville ; H) Le collectionneur ; I) L’intérieur, la trace ; J) Baudelaire
(200 pages), etc. Plusieurs liasses contiennent des notes sur les luttes sociales au XIXe siècle et leurs
théoriciens (Saint-Simon, Fourier, Marx); d’autres traitent des inventions et des techniques; un impor-
tant ensemble de notes traite de la théorie de la connaissance et du progrès. Ces notes, qui forment
la partie principale du tome V (900 pages sur 1350), sont suivies des premières esquisses et de la
documentation sur la genèse des textes, selon le principe de toute l’édition des œuvres de Benjamin.
[* Le plus souvent ces « Exposés » ont été publiés sous le titre de l’ouvrage à venir « Paris, capitale
du XIXe siècle ». Il s’agit d’une présentation de l’ouvrage à venir destinée à l’Institut de Recherche sociale
de Francfort (en exil) auprès duquel Benjamin pouvait espérer une aide financière (cf. infra, p. 31 sq.).
L’« Exposé » de 1935 a été traduit par Maurice de Gandillac sous le titre « Paris, capitale du XIXe
siècle » (Poésie et Révolution, op. cit., p. 123 sq.) et repris sous le même titre dans une traduction
revue par Pierre Rusch (Œuvres, III, op. cit., p. 44 sq). La version de 1939 a fait, par ailleurs, l’objet
de deux éditions séparées (WALTER BENJAMIN, Paris, capitale du XIXe siècle : exposé, Paris, Alia,
2003 et Paris, L’Herne, 2007) (cf. « Notice bibliographique », p. 195-210). (N.D.É.)]
sociologiques et politiques à une tradition et une espérance religieuses,
subjectives, qui servent de refuge dans l’hibernation actuelle des certitudes
marxistes. Or, s’il est indéniable que l’espoir révolutionnaire de Benjamin
ne peut être dissocié de son messianisme, celui-ci était pour lui une source
d’inspiration, jamais un refuge. Troisième aspect de l’actualité, la dimen-
sion littéraire, que Benjamin désignait lui-même comme l’aspect de « poésie
illicite » dans le premier projet des Passages. Devant la faillite actuelle des
concepts critiques, cette dimension sert à son tour de refuge à un roman-
tisme qui s’attache aux aspects poétiques et pittoresques de Benjamin, faisant
l’économie des rigueurs de la réflexion conceptuelle. Par rapport à ces
utilisations de Benjamin dans différentes formes de fuite devant une réalité
ingrate, il convient de rétablir, autant que possible, la cohérence de sa pensée,
28 mais aussi d’en montrer les contradictions et la mobilité constante. Plus de
quarante ans après la mort tragique du philosophe, la question se pose de
savoir quelle est l’actualité véritable de sa pensée, la signification de son
œuvre qui nous est destinée, à nous, au sens où il voyait dans sa lecture
de Baudelaire une connaissance dont la possibilité était rigoureusement histo-
rique, datée. Plutôt que dans une nostalgie de l’aura perdue, cette actua-
lité réside dans l’idée de la modernité dont Benjamin a retracé la genèse
et dont l’héritage doit être assumé aujourd’hui, en face des néo-conser-
vatismes de tout bord.
Le livre sur les passages parisiens devait faire pendant à l’ouvrage sur
l’Origine du drame baroque allemand et comme lui projeter une nouvelle
lumière sur un siècle en attirant l’attention sur des phénomènes jusque-là
inaperçus. Insatisfait des distinctions conceptuelles abstraites du néokan-
tisme et de la phénoménologie, Benjamin poursuit l’idéal d’une philo-
sophie concrète. « L’affirmation provocatrice selon laquelle un essai sur
les passages parisiens contient plus de philosophie que des considéra-
tions sur l’être de l’étant, écrit Adorno, saisit le sens de l’œuvre benja-
minienne avec plus de précision que la recherche d’un squelette conceptuel
toujours identique, chose qu’il avait reléguée au débarras 1. » Le fait que
1. THEODOR W. ADORNO, Prismen, Francfort-sur-le Main, Suhrkamp, 1955, p. 287. [in Gesammelte
Schriften, X, 1. Kulturkritik und Gesellschaft, I, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1977, p. 241.
En français : Prismes, trad. Geneviève et Rainer Rochlitz, Paris, Payot, 1986, p. 204. (N.D.É.)]
Benjamin n’ait pu achever son livre, qu’il soit mort en fuyant le nazisme,
a été d’une importance décisive pour la philosophie de l’après-guerre ;
c’est Heidegger, son antipode philosophique et politique, qui devait dominer
ces années. Dans les fragments pour une méthodologie des Passages,
Benjamin propose d’abandonner le concept d’une « vérité atemporelle » ;
la vérité est, selon lui, « liée à un noyau temporel, commun à l’objet et
au sujet de la connaissance. Cela est si vrai, ajoute-t-il, que l’éternel est
en tout cas plutôt la ruche d’une robe qu’une Idée » (V, 1, 578). La mode
d’une époque dans son caractère historique et éphémère, c’est là l’absolu
par rapport auquel l’Idée au sens traditionnel est une abstraction impuis-
sante ; elle cristallise les rêves, l’utopie concrète d’un moment historique
qui n’est éternel qu’en son unicité, en son historicité. C’est déjà en ce sens
que Benjamin avait appelé le drame baroque une Idée : une forme histo- 29
rique qui n’a de valeur atemporelle que dans son caractère temporel unique.
Par son envergure et son importance théorique, le travail de Benjamin
sur Baudelaire est comparable à la grande étude que Sartre a consacrée
à Flaubert. L’un et l’autre ont travaillé pendant plus de dix ans sur leur
sujet; l’un et l’autre y ont conjugué leur première philosophie et une théorie
de la littérature avec une philosophie de l’histoire, qu’ils ont l’un et l’autre
dégagée du marxisme et de la théorie de la réification 1.
Baudelaire a accompagné Benjamin pendant toute sa vie d’écrivain :
dès 1914-1915, il traduit certains poèmes des Fleurs du Mal ; en 1923,
1. En 1946, six ans seulement après la mort de Benjamin, Sartre a publié son Baudelaire qui
annonce certains thèmes de son Flaubert : contrairement à l’opinion la plus courante, Baudelaire
a choisi sa vie, parce qu’elle était la condition de sa création poétique. Comme Benjamin, Sartre
oppose Baudelaire à Hugo, la poésie maudite à la littérature du progrès et de l’engagement ; mais
Benjamin est solidaire de Baudelaire dans sa méfiance à l’égard du progrès, qui dissimule selon
lui la simple extension du capital et de la technique. Par ailleurs, les analyses de Benjamin et de
Sartre se rejoignent sur de nombreux points : le dandy et son « héroïsme » moderne, les thèmes
proustiens, la « signification » comme clé des correspondances, la référence à Matière et Mémoire
de Bergson, l’importance du thème de la grande ville et de la négation de la nature, de la stéri-
lité et de la perversion liées à cette anti-nature. Ce qui sépare cependant Benjamin et Sartre, c’est
l’importance que le premier accorde aux Tableaux parisiens, à leur caractère novateur et prophé-
tique, à la forme allégorique et à la « beauté moderne », désenchantée. L’analyse de Sartre reste
traditionnelle en plaçant au centre de l’œuvre de Baudelaire, le thème des correspondances. Benjamin
cherche à résoudre le problème de la tension chez Baudelaire entre l’allégorie et les correspon-
dances. Mais surtout Benjamin ne cherche pas le sens existentiel de l’œuvre de Baudelaire ; il y
déchiffre une signification objective.
il publie sa traduction des Tableaux parisiens, précédée de l’essai sur « La
Tâche du traducteur ». Quatre ans plus tard, il entreprend des recherches
pour les Passages parisiens dont le Baudelaire écrit en 1938-1939 devait
être le « modèle en miniature » et en fait la seule partie réalisée. Presque
tous les travaux des dix dernières années de Benjamin sont issus de ces
recherches : l’essai sur « Le Surréalisme » et celui sur « L’Œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique », « Le Narrateur » et les « Thèses
sur le concept d’histoire » 1. À l’origine du projet des Passages, il y a la
découverte du surréalisme et celle de la ville de Paris à travers la lecture
du Paysan de Paris qui s’ouvre sur la « Préface à une mythologie moderne ».
Benjamin écrit alors un certain nombre d’esquisses dans le style de Sens
unique : « Traumkitsch » (kitsch onirique), dès 1926; « Passages », qui
30 date de 1927; « Passages parisiens », écrit avant 1930; « Le Retour du
flâneur », en 1929. Selon sa première idée, il s’agissait d’un petit article,
mais en 1928 (lettre du 24 mai), Benjamin soupçonne déjà qu’il pourrait
prendre des dimensions considérables, et dès 1930, les Passages pari-
siens sont « le théâtre de tous mes combats et de toutes mes idées ». Repris
en 1934 à l’instigation d’Adorno et de Horkheimer, l’étude prend un carac-
tère plus sociologique.
Au début, le projet portait le sous-titre « Une féerie dialectique » (lettre
du 30 janvier 1928). À l’époque des « becs de gaz », les passages étaient
les « palais féeriques » (V, 2, 1009) de la flânerie, de la mode, des pano-
ramas, etc., de tout un univers de l’enfance, univers en train de dispa-
raître sous les coups de la modernisation qui en fait apparaître le caractère
historique. L’architecture est « le témoignage de la mythologie latente »
d’une société, et c’est de ce rêve collectif que Benjamin veut réveiller les
hommes de sa génération. L’architecture, la mode, les objets d’usage, les
comportements d’une époque sont des symptômes dont Benjamin déchiffre
le sens objectif, comme Freud interprète le sens subjectif du rêve et du
langage des individus. La lecture d’un passé récent demande des tech-
1. [L’ensemble des essais mentionnés ici figurent dans les recueils traduits par Maurice de Gandillac :
Mythe et Violence, Paris, Denoël, 1971 et Poésie et Révolution, op. cit. ; ils seront repris dans
Essais, I et II (Paris, Denoël-Gonthier, 1983) et figurent aujourd’hui dans l’édition établie par
Rainer Rochlitz (Paris, Gallimard, « Folio essais », 3 vol., 2000). Pour plus de précisions, voir la
correspondance (cf. « Notice bibliographique », p. 195-210). (N.D.É.)]
niques différentes de celle de textes anciens. Pour ceux-ci, Benjamin avait
développé la théorie de la mortification des contenus, laissant apparaître
la structure des œuvres en sa vérité. L’éveil d’un passé récent nécessite
l’emploi de la ruse et de la présence d’esprit (V, 2, 1058) ; ici, le temps
n’a pu dégager la signification de l’image. Comme chez Proust, le réveil
est associé au souvenir : lorsque le narrateur se réveille dans une chambre
à laquelle il n’est pas habitué, il opère une réordonnance de l’espace pour
se souvenir où il se trouve. La ruse nécessaire pour se détacher du rêve
est celle même qui appartient à l’univers des contes de fées. Benjamin
en a développé la théorie dans son essai sur « Le Narrateur » : « L’ensei-
gnement que le conte de fées livre depuis toujours aux hommes, celui
qu’il continue de dispenser aux enfants, c’est que le plus opportun, pour
qui veut faire face aux violences de l’univers mythique, est de combiner 31
1. [L’usage, en 1983, était encore de nommer ainsi, en français, l’ouvrage de Martin Heidegger,
conformément aux traductions partielles alors disponibles (par Henry Corbin : MARTIN HEIDEGGER,
Qu’est-ce que la métaphysique ?, Paris, Gallimard, 1937, et par Rudolf Boehm et Alphonse de
Waelhens : MARTIN HEIDEGGER, L’Être et le Temps, Paris, Gallimard, 1964) ; les traductions
d’Emmanuel Martineau et François Vezin sont postérieures (MARTIN HEIDEGGER, Être et Temps,
[s. l.], Authentica, 1985, et Paris, Gallimard, 1986). (N.D.É.)]
II
Comme le livre sur le drame baroque, l’étude sur les passages devait
comporter un chapitre introductif sur la théorie de la connaissance ; non
pas une théorie conçue d’avance, selon l’usage traditionnel, mais la formu-
lation théorique des principes et des expériences qui se dégagent de la
recherche historique 1. Le royaume des passages en tant qu’objet histo-
rique est ce que Benjamin appelle une monade, un microcosme qui renferme
tout le processus intérieur du XIXe siècle, tel qu’il se révèle à nous : en
tant qu’image dialectique. Le passage est objet de la philosophie de l’his-
toire, parce que, en tant que monade, il est une telle image, conjonction
fulgurante du passé révolu et du présent actuel. Il ne s’agit de rien de moins
que d’un renversement copernicien (V, 1, 490) dans la lecture de l’his- 33
1. Une série de fragments (V, 1, 570-611) et les « Thèses sur le concept d’histoire » (PR, 277-
288) en donnent une idée assez précise.
2. Le concept de sauvetage apparaît déjà dans le livre sur le drame baroque. Il s’y autorise de
Platon (sozein ta phainomena) et désigne l’élévation des phénomènes empiriques au rang de l’Idée
(I, 1, 214) ; conception traditionnelle de la philosophie qui n’innovait que par le caractère marginal
des phénomènes dont Benjamin construisait ainsi l’Idée, le précurseur de l’image dialectique. On
peut voir une affinité entre Benjamin et Baudelaire dans leur élargissement respectif du champ
des objets – jusque-là considérés comme indignes – de la philosophie et de la poésie.
comme tout intérêt, n’est rationalisable qu’après coup, sans pour autant
être irrationnelle – doit avoir la présence d’esprit de saisir cet instant actuel
de la connaissance et de déchiffrer l’image du passé. Ainsi perçue et construite,
la structure monadologique de l’image dialectique inclut son passé et son
avenir : l’image de l’œuvre baudelairienne renferme, dans la construc-
tion de Benjamin, l’héritage de l’allégorie médiévale et baroque et l’an-
ticipation de l’Art nouveau, dont la fleur, la figure végétale, est la forme
caractéristique.
Pour illustrer le phénomène de l’image dialectique – en vérité très
courant, surtout dans la tradition des grands essais, mais qui est ici élevé
au rang de concept – Benjamin cite un historien français du préroman-
tisme : « Le passé a laissé de lui-même dans les textes littéraires des images
34 comparables à celles que la lumière imprime sur une plaque sensible.
Seul l’avenir possède des révélateurs assez actifs pour fouiller parfaite-
ment de. tels clichés » (V, 1, 603-604). La mémoire involontaire de Proust
repose sur un principe analogue : là aussi, l’essentiel se révèle dans un
instant fulgurant, fugitif et qu’il importe de saisir immédiatement – sinon
l’image entrevue est perdue pour toujours ; il s’agit donc de sauver pour
et par la connaissance une image menacée de disparition, de l’isoler par
une saisie à première vue brutale, de la continuité d’une histoire. L’idée
de danger est associée à l’image dialectique : danger de l’oubli, mais aussi
de la perte d’une chance pour agir sur le cours de l’histoire. Sans les images
dont Proust a l’intuition fulgurante, tout son édifice perd sa substance la
plus précieuse ; sans les images qu’entrevoit Benjamin dans le milieu du
XIXe siècle, toute sa construction de l’histoire serait sans fondement. L’image
dialectique, discontinue et révélatrice, projette une vive lumière sur la
« réification » ordinaire de notre conscience et de ce que Proust appelle
la mémoire volontaire : l’essentiel de l’expérience historique échappe à
ce système mutilé dont la continuité, la foi au progrès, la paresse et le
manque de présence d’esprit sont les caractéristiques. Ce n’est pas un
hasard s’il s’agit d’une image et non d’un concept, à la fois parce qu’elle
apporte la dimension d’évidence concrète que ne peut assurer le concept
seul, et parce que c’est sous forme d’images, et non d’abord de concepts,
que le passé lance son appel à la connaissance. Il y a image lorsque « le
passé révolu et le maintenant forment une constellation fulgurante et instan-
tanée. En d’autres termes : l’image est la dialectique au repos. Car tandis
que la relation du présent au passé est purement temporelle, continue,
celle du passé au présent est dialectique : n’est pas déroulement mais image :
abrupte. Seules les images dialectiques sont des images authentiques (c’est-
à-dire non archaïques) ; et le lieu où on les trouve est le langage » (V, 1,
576-577).
L’image dialectique des passages parisiens surgit au moment de leur
disparition 1 ; elle fait apparaître dans le passé un aspect téléologique qui
est le fondement objectif du messianisme de Benjamin. Les passages annon-
cent le grand magasin moderne, tout comme les panoramas et l’inven-
tion de la photographie annoncent le cinéma, tout comme le Second Empire
est l’archétype d’autres dictatures, et dans les destructions de Haussmann
transparaît la fragilité des grandes villes vouées aux bombardements. Mais 35
1. « Le grand instinct américain », lit-on dans Le Paysan de Paris d’Aragon (1926), l’une des
sources des Passages de Benjamin, « importé dans la capitale par un préfet du Second Empire,
qui tend à recouper au cordeau le plan de Paris, va bientôt rendre impossible le maintien de ces
aquariums humains déjà morts à leur vie primitive, et qui méritent pourtant d’être regardés comme
les receleurs de plusieurs mythes modernes, car c’est aujourd’hui seulement que la pioche les
menace, qu’ils sont effectivement devenus les sanctuaires d’un culte de l’éphémère, qu’ils sont
devenus le paysage fantomatique des plaisirs et des professions maudites, incompréhensibles hier
et que demain ne connaîtra jamais » (LOUIS ARAGON, Le Paysan de Paris, Paris, Gallimard,
[1926, 1953], 1972, p. 21).
Au premier sens, les passages sont la nouveauté architecturale du XIXe
siècle, à laquelle s’attachent des rêves et des fantasmagories : à l’époque
de Louis-Philippe, la bourgeoisie rêve de faire de la ville de plus en plus
inhumaine à la fois un paysage et un intérieur ; Fourier, lui, imagine des
phalanstères sous la forme d’une ville de passages, ventre maternel qui
hébergerait le pays de Cocagne, le paradis retrouvé du communisme primitif.
L’image est ici dialectique, parce qu’elle renferme à la fois une compo-
sante archaïque et une composante moderne, utopique. Au second sens,
les passages apparaissent comme les ancêtres du grand magasin et de
l’architecture en fer et en verre. Le sauvetage est le complément de l’image
dialectique au second sens, de l’image objective ; celui de l’image dialec-
tique au premier sens, de l’image subjective de rêve, est le réveil. Pour
36 Benjamin, en 1935, « l’utilisation au réveil des éléments du rêve est le
paradigme de la pensée dialectique. C’est pourquoi la pensée dialectique
est l’organe du réveil historique (V, 6, 59 ; PR, 138). Le lien entre les
deux définitions de l’image dialectique apparaît dans un fragment du manus-
crit des Passages : « Dans l’image dialectique, le passé révolu que constitue
une époque déterminée est pourtant en même temps le « passé ances-
tral ». Or, il n’apparaît comme tel qu’à une époque tout à fait déterminée :
celle à laquelle l’humanité reconnaît, en se frottant les yeux, le caractère
onirique précisément de cette image de rêve. C’est en cet instant que l’his-
torien se charge de la tâche d’une science des rêves appliquée à cette
image » (V, 1, 580).
III
C’est dans l’« Exposé » du livre Paris, capitale du XIXe siècle – c’est l’un
des titres des Passages – qu’apparaît pour la première fois, en 1935, la
conception benjaminienne de Baudelaire. Elle s’intègre dans le cadre d’une
vaste étude sur la modernité dont il situe la naissance autour de 1850, et
où Baudelaire n’occupe pas encore une place privilégiée. Ce qui inté-
resse Benjamin dans cette recherche est l’action du fétichisme de la marchan-
dise sur l’imagination et sur la pensée. La poésie de Baudelaire apparaît
comme l’une des formes d’expression fantasmagoriques de la société du
Second Empire, dans lesquelles le nouveau et l’ancien s’interpénètrent
de façon caractéristique, sans aboutir à une claire conscience de la situa-
tion sociale. Tout comme les premières machines sont en bois, l’une des
premières locomotives ayant des pieds qui rappellent ceux d’un cheval,
la production artistique crée des structures à la fois modernes et archaïques
où s’expriment des « images de souhait ». La modernité s’efforce de
« prendre ses distances par rapport à ce qui est vieilli – c’est-à-dire le
plus récent. Ces tendances renvoient l’imagination, sous l’impulsion du
neuf, au plus ancien passé. Dans le rêve où chaque époque se représente
en images l’époque suivante, celle-ci apparaît mélangée d’éléments venus
de l’histoire primitive, c’est-à-dire d’une société sans classes. Déposées
dans l’inconscient collectif, les expériences de cette société, en liaison
réciproque avec le neuf, donnent naissance à l’utopie, dont on retrouve
la trace en mille figures de la vie, depuis les édifices durables jusqu’aux 37
1. D’ailleurs, l’idée de « sauvetage » est incompatible avec celle de préservation : elle implique une
rupture avec la tradition, afin de lui arracher une signification qui n’a pu être aperçue aux époques
antérieures.
2. Manifestement, l’inconscient collectif n’a pas ici la signification jungienne d’un dépôt hérédi-
taire d’images archétypiques comme dans la première apparition du terme, où il s’agit de réminis-
cences du communisme primitif. Ici, il s’agit de phénomènes de conscience, ou plutôt d’inconscience
sociale, liés aux transformations de la production. L’exigence de nouveauté est l’aspect des objets
qui les entoure d’une apparence trompeuse que la conscience immédiate ne peut percer à jour.
liée à la concurrence de l’économie de marché par opposition à l’éco-
nomie traditionnelle, reproductive, est immanente à la production de
marchandises, et elle est apparence, faux-semblant, parce que la mode
qui veut que les produits soient toujours nouveaux, est en même temps
le mécanisme de l’éternel retour du même, de l’identité sous la fausse
apparence de la diversité et du changement ; la mode, Baudelaire le savait,
est l’envers bigarré de la mort, l’une et l’autre complices dans le sex-appeal
de l’inorganique. Les phénomènes les plus humbles de la vie quotidienne
communiquent ici avec les spéculations de la philosophie et de la poésie,
qui ne se situent qu’en apparence dans un autre monde qui serait celui
d’un esprit absolu. La nouveauté et l’éternel retour du même sont deux
faces d’une même fantasmagorie culturelle dont tous les produits, de la
40 mode à la pensée, sont soumis à la loi du marché. Baudelaire, c’était là
la première critique de Benjamin, en témoignait sans pouvoir accéder à
une claire conscience de cette transformation de l’expérience. Son œuvre
apparaît comme l’une des fantasmagories, un exemple héroïque de la fausse
conscience du XIXe siècle.
« L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique », écrit en
1935, est le point culminant de cette tendance critique de Benjamin, celle,
proche de Brecht, de liquider la tradition culturelle au nom des progrès
techniques de l’art et d’une politisation de l’esthétique opposée à l’esthé-
tisation de la politique par les Marinetti et les Riefenstahl. Il n’y est pas
question de Baudelaire, mais le texte est écrit en fonction du projet des
Passages : « J’ai découvert », écrit Benjamin dans une lettre (V, 2, 1148,
octobre 1935), « le caractère structurel caché de l’art actuel – dans la
situation actuelle de l’art –, grâce auquel nous pouvons comprendre l’as-
pect pour nous essentiel, actuellement décisif, du “destin” de l’art au XIXe
siècle. » Et Benjamin explique qu’il s’agit là d’une démonstration de sa
théorie de la connaissance, du concept central du maintenant de la possi-
bilité de la connaissance : « J’ai découvert, écrit-il, l’aspect de l’art du
XIXe siècle qui ne peut être saisi qu’“actuellement”, qui n’a jamais pu
être saisi auparavant et qui ne le sera jamais par la suite. » Selon une autre
lettre (V, 2, 1149), le texte sur la reproductibilité désigne « le lieu précis
dans le présent auquel se réfère ma construction historique comme à son
point de fuite ». La crise actuelle de l’art, en 1935, au moment où tous
les arts doivent se redéfinir par rapport à la marche triomphale du cinéma,
permet de comprendre – et se comprend à partir de – la crise de l’art
autour de 1850, le conflit entre l’art utile et l’art pour l’art, entre photo-
graphie et peinture, entre l’aura, la technique et la mission sociale de l’ar-
tiste. Cette crise est définie, selon Benjamin, par le « déclin de l’aura »,
de la dimension cultuelle de l’art, liée à la tradition.
Le terme d’aura apparaît pour la première fois chez Benjamin en 1931,
dans la « Petite histoire de la photographie ». Il la définit alors comme
« un tissu singulier d’espace et de temps : unique apparition d’un loin-
tain, si proche soit-il. Reposant l’été, à l’heure de midi, suivre la ligne
d’une chaîne de montagne ou une branche qui jette son ombre sur celui
qui la contemple, jusqu’à ce que l’instant ou l’heure ait part à leur mani-
festation – c’est respirer l’aura de ces montagnes, de cette branche » (PR, 41
IV
En 1938, dans la maison danoise de Brecht, mais sans lui en parler, Benjamin
écrit l’étude sur Baudelaire dont le cinquième chapitre du projet des Passages
n’était qu’une première approche : « Le Paris du Second Empire chez
42 Baudelaire ». Ce texte ne représente que le tiers du livre que Benjamin
pensait consacrer à Baudelaire et qui devait être un « modèle en minia-
ture » des Passages 1. Les trois chapitres devaient se suivre comme la posi-
tion du problème, l’introduction des éléments nécessaires à la solution,
et cette solution elle-même.
Baudelaire comme allégoriste aurait développé l’un des concepts
centraux de l’œuvre de Benjamin : celui d’allégorie. Le livre sur l’Origine
du drame baroque allemand lui est en grande partie consacré : l’allégorie
est « l’essence dont le sauvetage me tenait ici à cœur » (I, 3, 881, lettre
à Scholem du 22 décembre 1924). Il s’agissait de rendre à l’allégorie son
rôle de pendant et de correctif du symbole, dont le concept aplati avait
usurpé, depuis le romantisme, la place centrale de l’esthétique. Selon ce
concept de symbole, commun au classicisme et au romantisme, le divin
s’intègre sans faille au beau, l’univers éthique étant représenté dans l’in-
dividu comme belle âme. L’unité paradoxale du sensible et du suprasensible,
telle qu’elle constitue le concept de symbole dans sa puissance primitive,
se réduit à une plate conformité de l’apparence et de l’essence. Or, l’al-
légorie est le correctif de cette conception. Elle rappelle que la totalité
1. Plus précisément, il s’agit de la deuxième partie de ce livre qui devait se composer d’un chapitre
introductif sur « Baudelaire comme allégoriste » et d’un chapitre final sur « La Marchandise comme
objet poétique ». Les deux chapitres manquants peuvent en partie être reconstitués à partir des frag-
ments réunis sous le titre « Zentralpark » ou retrouvés dans les manuscrits des Passages (liasse J).
bienheureuse du symbole est fugitive, que la face transfigurée de la nature
s’y manifeste un instant seulement, tandis que l’allégorie présente dura-
blement le faciès mortuaire de l’histoire, paysage primitif immobilisé,
tête de mort qui exprime tout ce que l’histoire a de prématuré, de doulou-
reux et de manqué (I, 1, 343). À la totalité organique du symbole, l’allé-
gorie oppose les fragments amorphes de son écriture. Elle n’est pas
illustration d’une idée, mais rébus, une forme d’expression à part entière,
dans laquelle la signification prime la beauté sensible et où l’image n’est
que la signature de l’essence. C’est pourquoi l’allégorie a des affinités
naturelles avec la destruction moderne de l’aura; elle s’apparente au refus
de l’harmonie, de la belle apparence, de la totalité achevée, qui est consti-
tutif de la création moderne. Elle a par ailleurs des affinités avec la critique :
pour les œuvres symboliques, c’est la critique qui accomplit la désinté- 43
1. Dans un curieux passage des Paradis artificiels (CHARLES BAUDELAIRE, Œuvres complètes, I
[1932], texte établi et annoté par Yves-Gérard Le Dantec, édition révisée, complétée et présentée
par Claude Pichois, Paris, Gallimard, « Bibliothèque de la Pléiade », 1961, p. 376), que Benjamin
connaissait (cf. V, 2, p. 1009 sq), mais qu’il ne commente pas, Baudelaire identifie l’allégorie et
les correspondances. Mais il ne mesure pas toujours, dans ses textes théoriques, la portée de sa
propre technique poétique, ici de l’allégorie.
à la méthode du montage, Benjamin espère aboutir à une construction
tout à fait objective, dans laquelle la subjectivité de l’historien aurait pour
seul rôle de trouver la place de chaque pierre dans la mosaïque. Les cita-
tions sont montées de telle façon que chacune d’entre elles semble être
conçue en fonction de la théorie qu’elles composent.
Ce dont Baudelaire fait lui-même la théorie, ce n’est pas là l’innova-
tion centrale de son œuvre. D’ailleurs, Benjamin réfléchit plus générale-
ment « sur le rapport qui existe chez les poètes entre leurs œuvres et leurs
travaux théoriques en prose. Ils ouvrent dans leurs poèmes un domaine
de leur propre intérieur qui n’est pas d’ordinaire accessible à leur réflexion »
(I, 2, 689 ; CB, 249). Les affirmations théoriques de Baudelaire sont en
général catégoriques et trouvent leur contradiction diamétrale dans une
autre affirmation, antérieure ou postérieure, tout aussi catégorique. Elles 45
1. D’une façon générale, tout ce qui est ici introduit – c’était là la critique d’Adorno – de façon
thématique, en tant que témoignage sociologique de l’époque, devait recevoir un sens plus média-
tisé dans d’autres parties du livre. Pour Benjamin, chaque phénomène – social ou littéraire – est
significatif à plusieurs niveaux. Le vin des bistrots de la bohème devait recevoir une interpréta-
tion plus poussée dans une analyse des fantasmagories de l’époque, en tant que source d’ivresse
et de fausse conscience, tel qu’il apparaît aussi dans les Paradis artificiels de Baudelaire.
2. Baudelaire se reconnaissait lui aussi dans le chiffonnier : « On voit un chiffonnier qui vient,
hochant la tête, buttant, et se cognant aux murs comme un poète. » (CHARLES BAUDELAIRE,
« Le vin des chiffonniers », Les Fleurs du Mal, in Œuvres complètes, I, op. cit., p. 106).
privilège des loisirs n’est même plus reconnu aux classes dirigeantes, désor-
mais attelées aux affaires. Mais le flâneur est une figure de transition : il
sera le client des grands magasins ou l’homme-sandwich de la publicité,
et l’oisiveté sera prise en charge par l’industrie des spectacles et des sports.
C’est pourquoi le flâneur, qui reste au seuil de la société marchande, se
rapproche d’une figure héroïque, dans la mesure où il se refuse encore
aux devoirs du consommateur.
Alors que les Lamartine, les Dumas, les Eugène Sue triomphèrent dans
les feuilletons, Baudelaire avait beaucoup de mal à placer ses manuscrits.
Conscient de sa situation sur le marché littéraire, il compare lui-même le
poète aux prostituées : il écrit « La muse vénale » ; dans l’introduction
« Au lecteur » des Fleurs du Mal, il parle des poètes qui se font « payer
grassement (leurs) aveux », et dans un de ses premiers poèmes, on trouve 47
ce vers : « Moi qui vends ma pensée et qui veux être auteur » (CB, 53) 1.
L’architecture des passages semble avoir été créée pour la flânerie ;
en réalité, c’est elle qui prépare le grand magasin, en même temps qu’elle
transforme la rue en un intérieur. C’est ainsi qu’elle contribue à la fantas-
magorie du XIXe siècle : elle cherche à familiariser l’homme avec l’univers
glacial de la marchandise. Il en est de même pour la littérature des “physio-
logies” fort répandue à l’époque, et qui divise les hommes de la rue en
une infinité de types originaux, tout en dissimulant l’angoisse devant l’uni-
formisation de la foule. Baudelaire n’a jamais été dupe du monde fami-
lier des physiologies. « Qu’est-ce que les périls de la forêt et de la prairie
auprès des chocs et des conflits quotidiens de la civilisation, écrit-il dans
son journal. Que l’homme enlace sa dupe sur le boulevard, ou perce sa
proie dans des forêts inconnues, n’est-il pas l’homme éternel, c’est-à-dire
l’animal de proie le plus parfait ? » (CB, 61). Par sa traduction d’Edgar
Poe, Baudelaire a contribué au succès d’un nouveau genre littéraire, le
roman policier ; la foule y apparaît comme « l’asile qui protège l’asocial
1. Il jugeait le marché littéraire avec une grande lucidité et calculait son succès futur. « Depuis
toujours, écrit Benjamin, l’une des tâches essentielles de l’art fut de susciter une demande, en
un temps qui n’était pas mûr pour qu’elle pût recevoir pleine satisfaction », et « selon le mot
d’André Breton, l’œuvre d’art n’a de valeur que dans la mesure où elle frémit des réflexes de
l’avenir » (PR, 201-202). [WALTER BENJAMIN, Œuvres, III, op. cit., p. 306 ; cf. « Notice biblio-
graphique », p. 195-210. (N.D.É.)]
de ses poursuivants » (CB, 62-63), et le flâneur, s’il n’est pas journaliste,
justifie son oisiveté par sa fonction de détective incognito.
À propos de cette forme littéraire, qui contribue elle aussi à la fantas-
magorie de la grande ville, en faisant d’elle un terrain de chasse fabuleux
et en glorifiant le pouvoir de la ratio, Benjamin introduit sa théorie de la
trace : « Le contenu social initial du roman policier, écrit-il, est l’efface-
ment des traces de l’individu dans la foule de la grande ville » (I, 2, 546 ;
CB, 67). Cette théorie, l’une des clés de l’analyse de la fantasmagorie
dans la société marchande, établit un rapport de complémentarité entre
la foule anonyme des clients, dans laquelle l’individualité se perd et qui
devient l’asile du réprouvé, et l’intérieur bourgeois. « On perçoit depuis
Louis-Philippe dans la bourgeoisie un effort pour se dédommager du peu
48 de traces que laisse la vie privée dans la grande ville. Elle cherche ce
dédommagement entre ses quatre murs. Tout se passe comme si elle mettait
un point d’honneur à sauver de la disparition dans l’éternité des siècles,
sinon la trace de son existence terrestre, du moins celle de ses articles
d’usage courant et ses accessoires. Elle prend infatigablement l’empreinte
d’une foule d’objets ; elle cherche des fourreaux et des étuis pour les
pantoufles et pour les montres, pour les thermomètres et pour les coque-
tiers, pour les couverts et les parapluies. Elle préfère les housses de peluche
et de velours qui conservent l’empreinte de chaque contact » (CB, 70-71).
L’appartement devient une sorte de gaine de l’homme, qui l’entoure, lui
et ses accessoires, « gardant ainsi fidèlement sa trace comme la nature
conserve dans le granit celle d’une faune disparue » (CB, 71).
Tout comme la transformation de la rue en un intérieur dans les passages
éclairés au gaz, à la fois humanisation de l’espace extérieur, protection
contre les intempéries et les dangers de la circulation urbaine, et précur-
seur du grand magasin qui n’admet plus que le client payant, la protec-
tion des objets d’usage dans l’intérieur a elle aussi deux aspects. En abritant
la sphère privée, elle la soustrait « au regard profane de celui qui n’en est
nous fait voir d’où viennent les procédés ici mis en œuvre par Poe. Ils
viennent du répertoire des clowns, et Poe les emploie comme le fera plus
tard la pantomime. » Prophétique, « la description de Poe préfigure ce
que le lunapark, qui transforme en clown le petit homme, fit naître plus
tard dans ses autos tamponneuses et autres attractions de ce genre. Les
gens chez Poe se comportent comme s’ils ne pouvaient plus s’exprimer
que par réflexes » (CB, 80).
La foule n’est pas seulement l’asile du réprouvé; c’est aussi une drogue
du flâneur et, plus précisément : « l’ivresse à laquelle le flâneur s’aban-
donne, c’est celle de la marchandise que vient battre le flot des clients »
(CB, 83). Le flâneur qui se laisse porter par la foule, prend la place de la
marchandise en quête d’acheteur et comme elle se tient prêt à s’incarner
dans chaque homme qui vient à sa rencontre. « Comme ces âmes errantes
qui cherchent un corps », écrit Baudelaire dans le poème en prose « Les
foules », le poète « entre, quand il veut, dans le personnage de chacun »
(CB, 83). Prenant la place de la marchandise, Baudelaire s’identifie à la
prostituée, mais s’il ne perd jamais sa lucidité – c’est là l’héroïsme qui
le distingue du flâneur ordinaire – il ne peut pourtant analyser objecti-
vement l’horreur de la ville qui le fascine. L’image de cette ville est pour
lui recouverte d’un voile. La foule est ce voile.
Dans l’évocation de la foule, Baudelaire rivalise avec Hugo qui a décou-
vert ce sujet pour la littérature. C’est à Hugo qu’il dédie trois poèmes des
Tableaux parisiens. Mais pour Hugo la foule est objet de contemplation
tout comme l’océan ou le grouillement de la forêt ; pour Baudelaire, c’est
la bousculade menaçante et la masse des lecteurs qui lui refusent la recon-
naissance. Hugo exilé communique avec les foules en s’adonnant au spiri-
tisme ; Baudelaire s’enivre au milieu de la foule tout en aiguisant sa
conscience. L’un et l’autre ont une intuition de la véritable essence de la
foule, mais ni l’un ni l’autre n’ont percé à jour la fausse apparence qui
s’en dégage.
Du point de vue sociologique, inaccessible aussi bien à Hugo qu’à
Baudelaire 1, Benjamin détermine la foule comme une monstruosité : « Une
rue, un incendie, un accident de la circulation rassemblent des gens qui,
en tant que tels, ne sont pas définis par leur classe sociale. Ils sont asso-
50 ciés dans des attroupements concrets, mais ils demeurent socialement
abstraits, dans la mesure où ils sont pris dans la sphère de leurs intérêts
privés » (CB, 92). Leur existence est purement statistique et dissimule
l’aspect monstrueux de ces attroupements : « concentration de personnes
privées, en tant que telles, réunies par le hasard de leurs intérêts privés.
Mais lorsque ces rassemblements sautent aux yeux – ce qui est le cas
avec les États totalitaires, dans la mesure où ils font de la concentration
massive de leurs clients la condition permanente et obligatoire de tous
leurs projets – leur caractère ambigu devient manifeste, surtout pour ceux
qui sont ainsi réunis. Ils rationalisent alors le hasard de l’économie de
marché qui les rassemble en évoquant un « destin » où « la race » se
retrouve. Ils donnent ainsi libre cours à l’instinct grégaire et au compor-
tement réflexe » (I, 2, 565 ; CB, 92-93).
La foule moderne, telle qu’elle apparaît pour la première fois chez
Hugo et chez Baudelaire, devient chez Benjamin une image dialectique,
1. Chez Hugo, Benjamin distingue deux faces : celle du visionnaire génial et celle de l’homme poli-
tique naïf et plus superficiel. Le visionnaire perçoit dans la foule une sorte de promiscuité entre la
nature et le surnaturel : « dans la foule, ce qui est au-dessous de l’homme entre en relation avec
ce qui règne au-dessus de lui » (CB, 92). Baudelaire occupe la place du moi grisé, affaibli mais
qui lutte héroïquement pour sa différence et sa vigilance ; Hugo s’attribue la place du génie qui
harangue les foules, sa clientèle, ses électeurs, et qui les rassemble à son enterrement. Il est confiant
en l’avenir ; il croit au progrès et à la démocratie ; Baudelaire perçoit la menace qui se dégage de
ce mélange de surnaturel et de nature et s’y oppose en tant que « héros » de la modernité.
rencontre fulgurante du passé et de l’actuel, qui permet d’opérer un réveil
historique dans un moment de danger imminent. Il en est de même pour
l’image de la modernité, telle qu’elle se mêle à l’antiquité dans l’esprit
de Baudelaire. C’est à l’antiquité qu’il emprunte d’abord son idée du héros,
au nom de laquelle il s’isole de la foule. Il faut être un héros (antique)
pour vivre la modernité, et rien ne se rapproche autant de la tâche du
héros antique que de donner forme à la modernité (CB, 118). Le héros
prend chez Baudelaire des formes multiples : celle de l’artiste, de l’apache,
du dandy. Mais toutes ces incarnations ne sont que des rôles. « Car le
héros moderne n’est pas un héros – il tient le rôle du héros. La moder-
nité héroïque se révèle être un drame (Trauerspiel) où le rôle du héros est
à distribuer » (CB, 139). D’où la physionomie de Baudelaire que Benjamin
désigne comme celle du mime démaquillé (V, 1, 406). À l’antiquité théâ- 51
1. Haussmann « a réalisé ce bouleversement du paysage urbain avec les moyens les plus modestes
qu’on puisse imaginer : des bêches, des pioches, des barres et autres outils de ce genre. Quelle masse
de destruction ces modestes instruments n’ont-ils pas déjà provoqué ! Et comme ont crû depuis,
avec les grandes villes, les moyens de les raser! Quelles images du futur évoquent-ils! » (CB, 124).
« Ce que l’on sait devoir bientôt disparaître de notre vue, devient image »,
écrit Benjamin (CB, 126). La modernisation de la ville fait apparaître son
antiquité et la rend allégorique.
Le chapitre consacré à « La marchandise comme objet poétique », tel
qu’on peut le reconstituer à partir des fragments conservés, aurait montré
dans la valeur d’échange une puissance destructrice analogue et même
supérieure à l’allégorie. Opposée à la tentative bourgeoise pour huma-
niser la marchandise de façon sentimentale, en l’entourant d’étuis et de
gaines, « l’entreprise de Baudelaire consista à mettre en évidence dans
la marchandise l’aura qui lui appartient en propre. II a cherché à huma-
niser la marchandise de façon héroïque » (CB, 228). La figure humaine
de la marchandise chez Baudelaire est en premier lieu celle de la prosti-
52 tuée, à laquelle, on l’a vu, il s’assimile lui-même. Elle est l’incarnation
de l’allégorie ; les accessoires de la mode sont ses emblèmes. Elle est en
même temps l’objet de la destruction allégorique : « Dans le corps inanimé
et qui pourtant s’offre encore au plaisir, écrit Benjamin, l’allégorie s’allie
à la marchandise. »
Au spleen écrasant de l’éternel retour du même, Baudelaire oppose
enfin le nouveau absolu. Ici encore, il rencontre Blanqui. Dans L’Éternité
par les astres, que le vieux Blanqui écrit en prison, Benjamin découvre
l’équivalent du spleen baudelairien, de l’univers figé dans un éternel retour
du même, malgré l’apparence du changement permanent. Il y découvre
une fantasmagorie cosmique, une vision d’enfer, dans laquelle le progrès
apparaît comme l’illusion où se bercent les hommes du XIXe siècle (V,
1, 75-76). De cette résignation finale du grand révolté, Benjamin donne
l’explication suivante : « L’activité du conspirateur professionnel, comme
le fut Blanqui, ne suppose nullement la foi dans le progrès. Elle ne suppose
tout d’abord que la résolution d’éliminer l’injustice présente. Cette réso-
lution d’arracher au dernier moment l’humanité à la catastrophe qui la
menace en permanence, a été capitale pour Blanqui plus que pour tout
autre homme politique révolutionnaire de cette époque » (CB, 247). Le
nouveau baudelairien pourrait bien être lui aussi cet enfer. Les hérauts
de la modernité que sont les « Sept vieillards » sont à la fois le nouveau
effroyable et la répétition éternelle de la damnation. La nouveauté que
revendique toute marchandise est intimement liée à l’identité des articles
de masse dont la mode change perpétuellement l’apparence : « la mode,
écrit Benjamin, est l’éternel retour du nouveau » (CB, 236) ; toute l’im-
puissance de la révolte baudelairienne, en quête de quelque chose de radi-
calement autre, s’exprime dans le fait qu’il s’en remet à la fantasmagorie
du nouveau.
1. Jacques Lacan, en revanche, encore quelque peu culturaliste en 1948, parlera de « l’absence
croissante de toutes ces saturations du sur-moi et de l’idéal du moi qui sont réalisées dans toutes
sortes de formes organiques des sociétés traditionnelles, formes qui vont des rites de l’intimité
quotidienne aux fêtes périodiques où se manifeste la communauté » (JACQUES LACAN, Écrits,
Paris, Le Seuil, 1966, p. 121).
maternelle. « Le cinéma, écrit Benjamin, est la forme d’art qui corres-
pond à la vie de plus en plus dangereuse promise à l’homme d’aujour-
d’hui. Le besoin de s’exposer à des effets de choc est une adaptation de
l’homme aux périls qui le menacent. Le cinéma correspond à des modi-
fications profondes de l’appareil perceptif, celles mêmes que vivent aujour-
d’hui, à l’échelle de la vie privée, le premier passant venu dans une rue
de grande ville, à l’échelle de l’histoire, n’importe quel citoyen d’un État
contemporain » (PR, 204, n. 2).
Si la poésie de Baudelaire répond à l’expérience vécue du choc, la
conscience, pour autant qu’elle s’oppose selon Freud à la mémoire durable
et actualisable, doit y jouer un rôle prépondérant. En effet, avec Poe et
Valéry, Baudelaire est l’un des poètes modernes qui calculent le plus savam-
56 ment leurs effets. Le prix de cette lucidité est la réduction de l’expérience
durable (Erfahrung) à l’expérience vécue (Erlebnis) instantanée, et l’ef-
fort héroïque de Baudelaire consiste à transformer cette expérience vécue
du choc en expérience authentique, matière de poésie 1.
La seconde partie de l’essai introduit une nouvelle réflexion inspirée
de Marx, tentative d’expliquer les transformations de l’expérience par les
changements de structure dans la sphère du travail, par l’action des inven-
tions techniques qui remplacent des opérations complexes par un mouve-
ment rapide de la main, dont le déclic photographique est le modèle, par
opposition au dessin. On pourrait soupçonner ici l’attitude d’un critique
qui, comme beaucoup d’autres, refuse la technique moderne et la rend
responsable de l’inhumanité de nos sociétés. Mais à ces chocs que subit
tout homme moderne, s’ajoutent des chocs plus spécifiques, ceux qui sont
à la base de la destruction de l’expérience. Il s’agit du travail à la chaîne
d’usine, le paradigme de tout travail moderne avant l’automation. Selon
Marx, le travail de l’artisan est caractérisé par la fluidité de la connexion
entre ses moments. « Chez l’ouvrier d’usine, grâce au travail à la chaîne,
écrit Benjamin, cette connexion s’est, au contraire, durcie et réifiée. La
1. Benjamin montre la présence de chocs jusque dans la structure du vers de Baudelaire, qui
connaît des secousses sous lesquelles il s’effondre, jusque dans le rythme de sa prose qui s’efforce
de rendre cette expérience, celle de la « fréquentation des villes énormes », comme le dit la préface
au Spleen de Paris.
pièce à travailler entre dans le rayon d’action de l’ouvrier indépendam-
ment de son vouloir. Et elle lui échappe par ce même mouvement auto-
nome » (CB, 180). Les conditions de travail dominent l’ouvrier qui devient
le « spécialiste » d’un geste toujours répété, se voyant privé de la dignité
et de « l’exercice » de l’artisan, de l’expérience. C’est à la table de jeu
que Baudelaire, qui ignorait tout du travail à l’usine, pouvait étudier « l’en-
semble de réflexes mécaniques que la machine met en jeu chez le travailleur »
(CB, 182). Comme les joueurs, qui n’ont en prime que « la saveur de
l’aventure », le mirage du gain fabuleux, les travailleurs à l’usine connais-
sent « la vanité, le vide, l’inachèvement », et « ce qui est “saccade” dans
le mouvement de la machine s’appelle “coup” dans le jeu de hasard »
(CB, 183). Ce qui unit le joueur et l’ouvrier, c’est le comportement réflexe.
Chez Baudelaire, le jeu est le véritable pendant moderne de l’héroïsme 57
défaut, Baudelaire, et c’est là son génie, réussit à créer des poèmes tout
aussi achevés. À l’expérience des correspondances s’oppose le spleen,
l’expérience du temps vide, « réifié » (CB, 194). « Le Printemps adorable
a perdu son odeur », c’est là pour Benjamin, le modèle d’une expérience
extrême, associée à l’extrême discrétion, caractéristiques de la poésie de
Baudelaire. « L’odorat, écrit-il, est le refuge inaccessible de la mémoire
involontaire » (CB, 193), comme le goût chez Proust. Ce printemps qui
n’a plus aucune « correspondance » exprime la perte de l’expérience.
« Le spleen et la vie antérieure, écrit Benjamin, sont les fragments disjoints
d’une véritable expérience historique » (CB, 195), alors que la durée berg-
sonienne, qui ignore la mort, n’est selon lui qu’un succédané d’expérience
et que même la réussite de Proust témoigne en toute honnêteté de l’ap-
pauvrissement de l’expérience, dans la mesure où il ne cesse de rappeler
au lecteur que sa rédemption, due au hasard de ses souvenirs, est son
affaire personnelle. Ce qui manque à Bergson et à Proust, à la différence
de Baudelaire, c’est la révolte contre la perte de l’aura.
L’aura perdue est le dernier mot de l’essai de Benjamin ; elle intro-
duit à l’aspect le plus novateur de Baudelaire, à sa dissonance. Par rapport
aux textes antérieurs, la définition de l’aura est ici enrichie de détermi-
nations nouvelles : elle est d’abord liée à « l’exercice ». Benjamin entend
par là toute familiarité, acquise par le travail artisanal ou la fréquentation,
avec la nature et les objets d’usage. Les appareils modernes permettant
d’élargir la mémoire volontaire, comme la photographie et toute la pano-
plie de la vidéo, de magnétoscopes et d’informatique que Benjamin igno-
rait encore –, sont essentiels à « une société qui fait de moins en moins
de place à l’exercice » (CB, 197). Les techniques de la reproduction limi-
tent, selon Benjamin qui se rapproche ici encore d’une réaction roman-
tique, le champ d’action de l’imagination, si celle-ci est définie comme
« un pouvoir de former des vœux d’un genre particulier, ceux dont la
réalisation serait quelque chose de beau ». Ce qui opposerait la peinture
à la photographie, c’est le caractère inépuisable de l’œuvre d’art, l’expé-
rience accumulée, étrangère à la photographie.
« La crise de la représentation artistique » que déclenche la photo-
graphie, n’est selon Benjamin, qui reprend ici les thèses de l’essai sur la
60 reproductibilité technique tout en adoptant l’attitude contraire, « qu’un
aspect d’une crise plus générale, qui concerne la perception elle-même »
(CB, 198). Ce qui disparaîtrait dans la reproduction technique est le beau
au sens fort, pour autant qu’il plonge ses racines dans le monde primitif
dont se souvient encore Baudelaire. « Si l’on admet que les images surgies
de la mémoire involontaire se distinguent des autres parce qu’elles possè-
dent une aura, il est clair que, dans le phénomène qu’on peut appeler “le
déclin de l’aura”, la photographie aura joué un rôle décisif » (CB, 199).
Adorno déjà, l’un des premiers lecteurs de ce texte, avait critiqué l’oppo-
sition peu dialectique entre l’aura et la reproductibilité technique, en rappe-
lant les observations de Benjamin lui-même sur la présence de l’aura dans
les premières photographies 1. Et pourtant, c’est à ce point le plus contes-
table de son argumentation, à ce point où il semble adhérer au discours
heideggérien de « l’oubli de l’être », que Benjamin introduit lui-même la
dialectique de l’art moderne : la dissonance positivement intégrée à l’œuvre.
Son refus intime de la modernité permet à Benjamin de lui rendre sa violence
primitive, devenue banale et imperceptible pour ceux qui s’y sont habitués.
instincts. C’est sous l’empire d’un tel regard que la sexualité s’est disso-
ciée chez Baudelaire de l’érotisme » (CB, 201-202). II ne peut résister
aux yeux sans regard et va jusqu’à trouver du plaisir à la dégradation du
charme des lointains. Comparant des décors de théâtre à la peinture roman-
tique de paysage, Baudelaire écrit : « Ces choses, parce qu’elles sont fausses,
sont infiniment plus près du vrai, tandis que la plupart de nos paysagistes
sont des menteurs, justement parce qu’ils ont négligé de mentir » (CB, 204).
La modernité de Baudelaire est dans ce refus du recours à l’aura de substi-
tution de la peinture romantique, dans cette préférence surréaliste pour
les peintures des boutiques foraines. C’est grâce à cette modernité que
Baudelaire est devenu le dernier poète lyrique d’envergure européenne 1.
1. « L’art est moderne, écrira Adorno à la suite de Benjamin, grâce à la mimèsis de ce qui est
durci et aliéné. C’est ainsi, et non par la dénégation du mutisme, qu’il devient éloquent. C’est
pour cela qu’il ne tolère plus aucune innocence. Baudelaire ne vitupère pas contre la réification,
il ne la reproduit pas non plus ; il proteste contre elle dans l’expérience de ses archétypes, et le
médium de cette expérience est la forme poétique » (THEODOR W. ADORNO, Théorie esthétique,
trad. Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 1974, p. 36). [La Théorie esthétique a fait l’objet d’une
nouvelle édition – traduction revue de Marc Jimenez (avec la collaboration d’Éliane Kaufholz pour
les « Paralipomena » et l’« Introduction première »), Paris, Klincksieck, 1989 –, puis d’une édition
dite « nouvelle, revue et corrigée » (qui est, à vrai dire, une reprise de la précédente dans une
nouvelle composition), Paris, Klincksieck, 1995, réimp. 2004 ; la citation se trouve à la page 40
de l’édition de 1989, et à la page 43 des suivantes. (N.D.É.)]
Un poème en prose intitulé « Perte d’auréole » sert de démonstration
finale à cette modernité. « Le poète nimbé d’une auréole lui semble une
vieillerie » (CB, 205-206). L’ayant perdue dans la boue en évitant des
voitures, il ne l’a pas ramassée. « Je puis maintenant me promener inco-
gnito, dit le poète, faire des actions basses, et me livrer à la crapule comme
les simples mortels. » Et « d’ailleurs la dignité m’ennuie. Ensuite je pense
avec joie que quelque mauvais poète la ramassera et s’en coiffera impu-
demment. Faire un heureux, quelle jouissance ! » (CB, 206). C’est de la
perte de l’aura que Baudelaire fait une expérience authentique ; c’est cette
absence qui acquiert chez lui une aura héroïque. « Il a désigné, écrit Benjamin,
le prix qu’il faut payer pour connaître la sensation de la modernité : l’ef-
fondrement de l’aura dans l’expérience vécue du choc » (CB, 207). C’est
ici sans doute qu’il faut situer, dans la suite du travail inachevé, la théorie
de l’allégorie comme une opération poétique par laquelle Baudelaire se
charge lui-même de mettre en œuvre le « déclin de l’aura », la destruc-
tion de tout faux-semblant, de toute apparence organique et harmonieuse.
Cet emploi de l’allégorie va donc bien au-delà de l’esprit conspirateur de
Baudelaire. Son satanisme consiste à imiter, par une ironie désespérée
aussi bien que par une profonde tendance de ses pulsions, l’œuvre destruc-
trice de la marchandise et d’en exagérer les effets, en guise d’avertisse-
ment, tout comme Sade, en s’abandonnant à ses penchants pervers, parodiait
cruellement, par le moyen de l’écriture, les libertés nouvellement acquises
de la bourgeoisie triomphante.
Critique, n° 455, avril 1985, p. 410-411
DE WALTER BENJAMIN 1
1. [Ce texte fut publié dans la section des « Notes de lecture » de la revue Critique. (N.D.É.)]
a su dépister maint texte difficilement repérable; pour certains livres critiques,
on trouve jusqu’aux références des comptes rendus qui leur furent consa-
crés. Il s’agit là d’un instrument de travail indispensable pour tout amateur
des écrits de Benjamin, d’autant plus que cette œuvre foisonnante, trésor
de citations passe-partout, favorise l’illusion de la découverte originelle :
chaque critique s’approprie tyranniquement sa part de Benjamin, en igno-
rant – à de rares exceptions près – les autres commentateurs. Grâce à des
ouvrages comme celui de Momme Brodersen, le pirate est désormais obligé
de tenir compte de l’existence d’autres corsaires. On apprend également
que l’Origine du drame baroque allemand (dont on attend d’ailleurs avec
impatience, en 1985, la traduction française, tout comme celle du Concept
de critique d’art dans le romantisme allemand) ne fut nullement ignorée
au moment de sa parution, et que des chercheurs infatigables découvrent
un peu partout des manuscrits et des lettres que l’on croyait perdus ou
qui ont échappé à la vigilance des « Francfortois » jalousés : MM. Tiedemann
et Schweppenhäuser, éditeurs des Gesammelte Schriften. Prenant le relais
des Berlinois qui se méfiaient d’Adorno, les Italiens, Giorgio Agamben
notamment, on le savait, ont beaucoup de mérite en ce domaine. Ce n’est
pas un hasard non plus si cette bibliographie est publiée à Palerme. La
France, pourtant le pays d’adoption de Benjamin pendant la période d’exil,
a beaucoup de retard à combler. Un nouveau début serait fait avec la publi-
cation, annoncée pour ce printemps, des textes du Colloque Benjamin,
organisé par M. Heinz Wismann au Goethe-Institut, en 1983.
Critique, n° 459-460, août-septembre 1985, p. 803-811
1. Les textes de Walter Benjamin sont cités d’après la réédition récente des traductions de Maurice
de Gandillac, Essais, I et II, Paris, Denoël-Gonthier, « Médiations », 1983. [La traduction de ../..
La réflexion sur la photographie se développe chez lui en deux temps,
ambigus tous deux mais accentués en sens inverse, selon son interpréta-
tion du « progrès » technique et historique : il l’accueille d’abord avec
enthousiasme et y voit un moteur de l’émancipation et de la sécularisation
(1931-1936) ; le prix à payer : la liquidation de la tradition, paraît alors
acceptable au nom d’une tradition nouvelle, d’ordre politique. La seconde
étape est placée sous le signe du doute quant à l’issue du combat poli-
tique (1936-1940) ; le progressisme est aveugle et par là obscurantiste ;
la tradition – en un sens particulier est un bien trop précieux pour lui être
sacrifiée : il s’agit de la sauver, de sauvegarder les potentiels sémantiques
que l’histoire des vainqueurs a toujours occultés.
La plupart des idées sur la photographie se trouvent dès 1931 dans la
66 « Petite histoire… ». Benjamin y part de la thèse de quelques publica-
tions récentes, selon laquelle « la plus belle période de la photographie
– celle des Hill et des Cameron, des Hugo et des Nadar – coïncide avec
les dix premières années de cet art. Or ce sont justement les dix années
qui ont précédé son industrialisation » (I, 149). La période suivante de la
commercialisation aurait en outre empêché toute réflexion théorique sur
la photographie, jusqu’à la crise économique qui aurait incité à se souvenir
des chefs-d’œuvre de la période préindustrielle, à produire de nouveau
des photographies importantes et des réflexions théoriques.
Or, en quoi consiste le mérite de ces premiers photographes ? Qu’est-
ce qui nous fascine toujours dans leurs images ? La réponse de Benjamin
est double : ce qui nous y attire, c’est d’abord la révélation par laquelle
la photographie se distingue radicalement de la peinture, le réel et la mort
qui s’y trouve inscrite ; mais c’est surtout l’adéquation entre technique et
objet dans une phase du développement irrémédiablement révolue. À propos
du portrait d’un photographe (le père du poète Dauthendey) et de sa fiancée,
../.. « Petite histoire de la photographie » par Maurice de Gandillac se trouve désormais, revue
par Pierre Rusch in WALTER BENJAMIN, Œuvres, II, op. cit., p. 295-321 et « L’Œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique », in Œuvres, III, la version de 1935 traduite par Rainer
Rochlitz, p. 67-113 et la dernière version, traduite par Maurice de Gandillac, revue par Rainer
Rochlitz, p. 269-316 (pour toutes les références à Essais, I et II, cf. « Notice bibliographique »,
p. 195-210. (N.D.É.)]
dont on sait qu’elle s’est suicidée après la naissance de son sixième enfant,
Benjamin observe ceci : « la plus exacte technique peut conférer à ses
produits une valeur magique que ne saurait plus avoir pour nous aucune
image peinte. Malgré la maîtrise technique du photographe, malgré le
caractère concerté de l’attitude imposée au modèle, le spectateur est malgré
lui forcé de chercher dans une pareille image la petite étincelle de hasard,
d’ici et de maintenant, grâce à laquelle le réel a pour ainsi dire brûlé le
caractère d’image ; et il lui faut trouver le lieu imperceptible où, dans la
façon d’être singulière de cette minute depuis longtemps révolue, niche
encore aujourd’hui l’avenir, et si éloquent que, par un regard rétrospectif,
nous pouvons le retrouver » (I, 152-153). C’est cette expérience que Roland
Barthes appellera le punctum, souvent lié au « retour d’un mort », au
temps irréversible fixé dans une image. La photographie nous montre un 67
1. ROLAND BARTHES, La Chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard/Le Seuil,
« Cahiers du cinéma », 1980, p. 120.
et la longue durée de la pose, il fallait en effet un lieu tranquille – un
cimetière dans le cas de David Octavius Hill – pour permettre au modèle
de se concentrer, de réaliser une « synthèse de l’expression » (I, 155).
« Le procédé lui-même faisait vivre les modèles, non hors de l’instant
mais en lui » (I, 155). De plus, la même faiblesse des premières plaques
créait un « continuum absolu de la plus claire lumière à l’ombre la plus
obscure » : on voit « la lumière se frayer malaisément un chemin à travers
l’ombre » (I, 158). L’effet de ces conditions techniques – Benjamin emploie
ici peut-être pour la première fois le terme qu’il a rendu célèbre c’est
l’aura (I, 158). Cette qualité de l’objet de culte, que « L’Œuvre d’art à l’époque
de sa reproductibilité technique » applique aux productions magiques de
l’art primitif, a été découverte à propos des débuts de la reproduction
68 technique. Dans le texte sur « L’Œuvre d’art… », cette genèse troublante
du concept d’aura devient invisible : le portrait photographique « souvenir
dédié aux êtres chers », y apparaît brutalement comme le dernier refuge
de la « valeur de culte » devant la « valeur d’exposition introduite par la
photographie : « Dans l’expression fugitive d’un visage humain, les
anciennes photographies font place à l’aura, une dernière fois. C’est ce
qui leur donne cette mélancolique beauté, qu’on ne peut comparer à rien
d’autre » (II, 100). D’après la « Petite histoire… », ce serait plutôt pour
la première fois ; le concept d’aura en son évanescence immatérielle, halo
d’authenticité là où la notion d’authenticité cesse de s’appliquer, ne serait
adéquat qu’à l’impression produite par la perte de l’original. Car s’il y a
aura dans ces premières photographies, y en a-t-il une dans la peinture
de Manet, de Cézanne ? En revanche, on retrouve l’effet de l’aura en
écoutant les premiers disques dont la mauvaise qualité produit une émotion
particulière : celle de la musique qui « se fraie malaisément un chemin »
à travers le bruit, et celle de penser que ces voix merveilleuses auraient
pu s’éteindre sans jamais être enregistrées ; faute d’être bien audibles,
elles acquièrent la valeur inestimable de l’authenticité.
Ainsi l’aura désigne une qualité de l’image apparemment fondée sur
une insuffisance technique, mais qui demeure une valeur recherchée lorsque
ces insuffisances sont surmontables l’aura devient l’objet d’un trucage :
« les photographes de la période postérieure à 1880 se crurent forcés d’en
recréer l’illusion par tous les artifices de la retouche, notamment par ce
qu’on appelle le gommage. Ainsi, du temps du “modern style”, la mode
fut surtout aux tons crépusculaires » (I, 159). L’adéquation entre tech-
nique et objet disparaît : fausse aura, fausses attitudes sans concentration
expressive; dans un atelier typique, parmi les draperies et les plantes vertes,
les tapisseries et les chevalets, à la frontière ambiguë « entre la chambre
de torture et la salle du trône », le jeune Kafka jette sur le monde « un
regard désolé, abandonné des dieux » (I, 157-158). Benjamin s’associe
ici, avec Brecht et le modernisme, aux tendances qui réclament la destruc-
tion de l’aura : elle appartient à un moment historique irrémédiablement
perdu ; la restaurer serait un mensonge. Atget, le photographe de rues
désertes, « introduit cette libération de l’objet par rapport à l’aura, qui
est le mérite le moins contestable de la plus récente école photographique »
(I, 160). 69
1. THEODOR W. ADORNO, Théorie esthétique, trad. Marc Jimenez, Paris, Klincksieck, 1974, p.
51-52. [Cf. supra les références actualisées, p. 61, n. 1. (N.D.É.)]
graphie d’intérêt « artistique », portant la marque de « grands » photo-
graphes reconnaissables selon des critères formels et thématiques.
Mais, comme le souligne Susan Sontag à la suite de Benjamin : « La
photographie n’est pas primordialement une discipline artistique. Ainsi
que le langage, elle est un moyen d’expression qui peut, entre autres,
permettre de réaliser des œuvres d’art 1. » La contingence du réel fait que
les clichés des grands photographes ne sont pas forcément les plus frap-
pants ; souvent, ils ne laissent aucune trace dans la mémoire, ne sont qu’in-
téressants. Par leur enjeu, en témoignant de l’insoutenable, des images
de reporters restent en revanche inoubliables : le réel contingent y est
saturé de signification, et parfois elles n’ont même plus besoin de légende
explicative. Ici, punctum et studium peuvent coïncider.
Benjamin a esquissé toutes ces modalités de la photographie dans sa
« Petite histoire… » qui reste l’un des textes fondamentaux sur ce sujet
insaisissable. En leur contradiction même, ses prises de position tiennent
compte de la tension persistante entre une culture de masse qu’il refuse
de mépriser globalement et l’ésotérisme des recherches qui ne font pas
de concession au goût du public. La photographie elle-même connaît cette
dualité.
1. SUSAN SONTAG, La Photographie [1977], trad. Gérard-Henri Durand et Guy Durand, Paris,
Le Seuil, « Fiction & Cie », 1979, p. 166-167.
Critique, n° 463, décembre 1985, p. 1190-1197
1. Benjamin le souligne dans un recueil de réflexions sur son livre ; cf. WALTER BENJAMIN,
Gesammelte Schriften, I, 3, p. 953-954. [La formulation de Rainer Rochlitz est ici quelque peu
équivoque. En fait de « recueil », il s’agit d’une page volante, retrouvée dans les manuscrits de
Benjamin, et intitulée « Nachträge zum Trauerspielbuch » (Additions au livre sur le drame baroque),
dans laquelle avait été consigné un ensemble de corrections et d’addenda, en vue, semble-t-il,
d’une nouvelle édition. Il est à noter que la note relative au phénomène originel a été reprise inté-
gralement dans Le Livre des passages (WALTER BENJAMIN, Gesammelte Schriften, V, 1, [N 2,
a, 4], p. 577 ; en français : Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre des passages, trad. Jean Lacoste,
Paris, Le Cerf, 1989 (réimp. 1997), p. 479. Voir également sur ce point SUSAN BUCK-MORSS,
Dialectics of Seeing. Walter Benjamin and The Arcades Project, Cambridge (Ma), The MIT Press,
1989, p. 56-57 et 71-74. (N.D.É.)]
bien qu’étant une catégorie tout à fait historique, n’a pourtant rien à voir
avec la genèse des choses. L’origine ne désigne pas le devenir de ce qui
est né, mais bien ce qui est en train de naître dans le devenir et le déclin »
(44). Le sens historique de cet anhistorisme se concrétise dans l’interpré-
tation progressive de la forme considérée : « Chaque fois que l’origine se
manifeste, on voit se définir la figure dans laquelle une Idée ne cesse de
se confronter au monde historique, jusqu’à ce qu’elle se trouve achevée
dans la totalité de son histoire » (44). Le caractère « originel » d’une
configuration de langage se manifeste donc dans son authenticité, dans
son essentialité, unique malgré la répétition historique. Et l’achèvement,
la totalité de l’histoire, sont l’horizon nécessaire à l’anéantissement théo-
logique de l’histoire empirique.
80 Les Idées, les grandes formes sont des monades dont chacune donne
une image complète du monde ; ensemble, elles constituent un système
monadologique qui est selon Benjamin la vérité, accessible à la seule contem-
plation (34). Le drame baroque est une telle Idée, une telle forme origi-
nelle, distincte de la tragédie 1. Benjamin tente de reconstruire cette Idée
à partir de sa théorie de l’allégorie.
Aux trois parties du livre, correspondent ainsi trois grandes distinc-
tions conceptuelles entre : essai ésotérique et système ; tragédie et drame
baroque; symbole et allégorie. Système, tragédie et symbole sont les piliers
de la pensée classique de l’idéalisme allemand jusque dans ses prolon-
gations romantiques. L’essai ésotérique, le drame baroque et l’allégorie sont
les modes d’expression d’une pensée critique fondamentalement théo-
logique, destructrice des harmonies apparentes, de ce que Benjamin appel-
lera « l’aura » : dans ce monde, le Messie n’est pas encore venu. La théologie
critique de Benjamin rappelle que progrès et lumières n’ont pas réalisé
1. Benjamin développe ici une distinction introduite par le jeune Lukács dans la Théorie du roman
et dans certains textes sur le drame non tragique. Voir la référence à Lukács in WALTER BENJAMIN,
Essais sur Bertolt Brecht, trad. Paul Laveau, Paris, Maspéro, 1969 *, p. 13 ; voir également RAINER
ROCHLITZ, « De la philosophie comme critique littéraire : Walter Benjamin et le jeune Lukács »,
Revue d’esthétique, « Benjamin », n° 1, 1981, p. 41-59. [* La traduction de Paul Laveau se
fondait sur l’édition allemande de la « première » période (cf. « Notice bibliographique », p. 195-
210) de 1966 (Versuche über Brecht, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1966) ; une nouvelle
traduction augmentée, et comportant la postface de Rolf Tiedemann, existe désormais : WALTER
BENJAMIN, Essais sur Brecht, trad. Philippe Ivernel, Paris, La Fabrique, 2003. (N.D.É.)]
leur projet de réconcilier les hommes avec l’immanence du monde, projet
au nom duquel l’histoire littéraire allemande a oublié l’infinie tristesse
du drame baroque. Benjamin n’ignore pas les faiblesses de cette littérature
et va jusqu’à lui opposer les charmes du « rococo », véritable délivrance
de la lourdeur baroque : « Dans l’œuvre d’art véritable, le plaisir sait se
faire insaisissable, vivre dans l’instant, s’évanouir, se renouveler. L’œuvre
d’art baroque ne veut rien que durer et s’accroche de tous ses organes à
l’éternel. Cela seul peut faire comprendre l’agréable sentiment de soula-
gement qu’éprouvent les lecteurs séduits par les “badineries” du siècle
suivant » (194).
*
81
Selon Benjamin, dans l’un des passages centraux de son livre, l’allégorie
révèle l’essence même de l’écriture. Elle se situe dans la tension entre la
langue révélée, utopie inaccessible, et l’écriture alphabétique, profane :
« Il n’y a en effet aucune contradiction à penser un usage libre et vivant
de la langue révélée, qui ne lui ferait rien perdre de sa dignité. Il n’en est
pas de même pour l’écriture de cette langue, ce que l’allégorie voulait
être » (188). Cette vaine volonté la condamne : dans l’écriture alphabé-
tique, « combinaison d’atomes scripturaires » (188) aux antipodes des
hiéroglyphes sacrés, elle s’efforce sans succès de restituer une langue sacrée.
« Si l’écriture veut maintenir son caractère sacral – elle sera toujours
concernée par le conflit entre sa valeur sacrée et la nécessité profane d’être
comprise –, elle tend à la formation de systèmes complexes, à la hiéro-
glyphique. C’est ce qui se produit dans le baroque. Extérieurement et stylis-
tiquement – dans sa typographie violemment expressive comme dans la
surcharge métaphorique –, l’écrit tend à s’imposer comme image. On ne
peut rien imaginer qui contraste plus brutalement avec le symbole artis-
tique, le symbole plastique, image de la totalité organique, que ce frag-
84 ment amorphe qu’est l’écrit allégorique » (188). En cela, le baroque n’est
pas seulement « la contrepartie souveraine du classicisme » (188), mais
rien de moins que le correctif de l’art lui-même (189), de toute transfi-
guration du réel par l’image. Au lieu d’élever les images parfaites à leur
plus haute puissance, leur idée, comme le fait la critique romantique, « le
regard aigu de l’allégorie transforme d’un seul coup les choses et les œuvres
en un écrit stimulant ». Or, « dans le champ de l’intuition allégorique,
l’image est fragment, ruine. Dès qu’elle est touchée par la lumière de la
science théologique, sa beauté se volatilise. Le faux-semblant de la tota-
lité se dissipe » (189). Même si Benjamin oublie peut-être la présence
des ombres dans la Renaissance même : le baroque découvre l’impensé
de la beauté renaissante. « La nature même du classicisme lui interdisait
de percevoir l’absence de liberté, le caractère inachevé et brisé de la physis
sensible et belle. Mais c’est ce caractère que l’allégorie présente, caché
sous sa splendeur extravagante, avec une vigueur jusque-là insoupçonnée »
(189). Sur le visage de la nature, l’allégorie inscrit le mot « histoire » :
tout est éphémère, tout retombe en poussière. D’où le culte baroque des
ruines, de leur écriture historique dans le paysage.
Le style du drame baroque allemand est d’une lourdeur, d’une « enflure »,
d’une emphase sans équivalent dans la littérature. « Ne prendre dans le
langage, comme dans la vie, que les traits typiques du mouvement de la
créature, mais en même temps exprimer la totalité de l’univers culturel,
de l’Antiquité à l’Europe chrétienne – telle est l’extraordinaire ambition
qui n’est jamais absente des drames baroques. Leur mode d’expression
incroyablement artificiel repose donc sur la même nostalgie extrême de
la nature que les comédies pastorales » (226). De cette tension, Benjamin
déduit la naissance de l’opéra, où la signification et avec elle la tristesse,
n’auront plus qu’une part réduite. Selon une théorie romantique, c’est la
musique qui relie langage phonétique et langage écrit, la musique : « dernier
langage commun de tous les hommes après la construction de la tour de
Babel » (231).
L’art moderne ne dispose plus d’aucune convention qui puisse donner
à son expression un caractère authentiquement allégorique. Les écritures
de Klee, les productions de l’art conceptuel, ne sont pas des allégories.
Allégorie et fragment, ces concepts par lesquels on tente de réduire les
expériences de la modernité à des schèmes connus, toujours identiques,
ne rendent pas compte des langages singuliers dont se compose l’art contem-
porain. Baudelaire – Benjamin le souligne lui-même – est à cet égard un
retardataire, et non un innovateur 1. La force de Benjamin est d’avoir refusé
de faire de l’allégorie un schème explicatif universel. Son livre suivant
s’appelle Sens unique et remet tout en question. La forme de l’Origine
du drame baroque allemand est un d’un genre expérimental. « Lire ce
qui ne fut jamais écrit » – au nom de cette maxime, l’art benjaminien de
l’interprétation s’élève au-dessus de ses objets et transforme les traditions
dont il se nourrit.
1. Cf. WALTER BENJAMIN, Charles Baudelaire, trad. Jean Lacoste, Paris, Payot, 1982, p. 251.
[Cf. supra, références actualisées, p. 30, n. 1. (N.D.É.)]
Critique, n° 475, décembre 1986, p. 1182-1197
87
1. [Paris, Flammarion, « Champs » 2002, 2008. Réédition in Œuvres et Inédits, III, avec apparat
critique établi par Uwe Steiner (d’après l’exemplaire personnel de Walter Benjamin) traduit par Alexandra
Richter (Paris, Fayard, 2009, 573 p.) (cf. « Notice bibliographique », p. 195-210). (N.D.É.)]
de premier ordre, les actes du colloque tenu en 1983 à l’Institut Goethe,
un an après la publication des Passages parisiens en Allemagne 1, donnent
une idée de la diversité des intérêts et des attitudes suscités par l’œuvre
de Benjamin. Des différents thèmes proposés pour les cinq demi-jour-
nées du colloque, tous ne recouvrent pas réellement un champ particu-
lier de la recherche actuelle (« Enfance et exil », « Littérature et critique »,
« Esthétique et politique », « Mythe et histoire », « Temps et texte ») ;
mais on distingue nettement, à côté de l’intérêt plutôt biographique ou
historique, de quelques études à caractère littéraire et d’une série de rappro-
chements avec d’autres auteurs, 1) l’intérêt politique, y compris l’utopie
et la critique sociale, 2) les développements de la « psychanalyse de l’his-
toire » esquissée par Benjamin (théorie du mythe, du rêve collectif, de
88 l’éveil et du seuil), et 3) les réflexions philosophiques sur les concepts
benjaminiens de temps et d’histoire. Ces trois approches peuvent se recouper,
mais elles se distinguent dans la plupart des cas par l’intensité décrois-
sante de l’engagement politique. On peut dire schématiquement que la
réflexion politique et sociale reprend de façon plus circonspecte ce qui a
été dit depuis une vingtaine d’années ; que la « psychanalyse de l’his-
toire » (y compris les rapprochements entre la théorie des passages et
l’idée de l’enfance ou encore avec l’œuvre de Proust) prend ici des contours
plus nets, en même temps que l’on discerne des doutes au sujet de sa
pertinence ; mais que c’est surtout la théorie de la temporalité, champ
relativement peu exploré, qui a donné lieu à des contributions originales,
approches ambitieuses pour saisir l’évolution complexe de Benjamin.
Parmi les interrogations politiques, l’article de Philippe Ivernel est peut-
être le plus incisif par son souci d’actualisation conséquente. Opposé à
toute interprétation théologisante, Ivernel dégage avec une partialité déran-
geante ce qui reste « irrécupérable » dans la démarche politique de l’exilé
solitaire : sa clairvoyance incorruptible et sa théorie du couple archétypique
de mythe et de révolte qui a fait de Paris la « capitale du XIXe siècle ».
Plus historiques, les textes de Miguel Abensour et d’Arno Münster évoquent
1. Voir le compte rendu de cette publication in Critique, n° 431, avril 1983. [Cf. supra, « Walter
Benjamin : une dialectique de l’image », p. 25-103. (N.D.É.)]
celui qui fut aux yeux de Benjamin la figure-phare de ce siècle politique :
Auguste Blanqui et sa théologie de l’enfer qu’est selon lui la société moderne.
D’autres participants, comme Irving Wohlfarth ou Michael Löwy, tentent
de sauver la force de l’espoir messianique, condensé dans l’image du chif-
fonnier, modèle de l’historien attentif aux déchets de l’histoire mais aussi,
en tant qu’exclu, la « pierre de touche de la révolution » (568) 1 ; espoir
contenu, selon Löwy, dans l’idée d’une communication dialectique entre
le passé précapitaliste et l’avenir postcapitaliste (638), idée qui a parfois
été associée au « conservatisme » de Benjamin. Prenant le penseur de
très haut, comme un représentant de sa génération en Allemagne, Wolfgang
Fietkau nous livre un grand fragment d’une réflexion plus vaste sur le
« conflit de socialisation » des intellectuels juifs allemands, fils de commer-
çants, de banquiers ou d’industriels (292). On devine une critique du « dépas- 89
1. Les chiffres entre parenthèses renvoient, à chaque fois, aux pages des ouvrages présentés.
Barbara Kleiner observe que « Benjamin transpose, par analogie, le modèle
pulsionnel de Freud, des phénomènes individuels aux phénomènes collec-
tifs. La force de production collective apparaît comme pulsion… » (506).
« Dans son rapport au collectif, écrit Mario Pezzela, la tâche de l’histo-
rien peut rappeler celle que Freud assignait à l’analyse personnelle » (519).
Un doute se glisse bien souvent dans la présentation de ce type de trans-
position. Néanmoins, le rôle d’un tel historien éveilleur est très sédui-
sant ; il confère à ses adeptes une supériorité certaine, et il est difficile
d’y renoncer sans être frappé par le terrible réquisitoire de Benjamin contre
le réformisme; c’est ici que se rencontrent les « politiques » – « Interrompre
le cours du monde » est le titre d’Ansgar Hillach, très significatif de cette
impulsion anarchiste – et les « psychanalystes de l’histoire ». « Science
90 des seuils » – l’article de Winfried Menninghaus entre temps devenu un
petit livre, est l’une des tentatives les plus réfléchies et les plus subtiles
de ce courant : « Dans la critique qu’il fait, en Aufklärer, du mythe faux
et de l’identification de la vérité et du mythe, Benjamin introduit subrep-
ticement dans les concepts mêmes de l’Aufklärung un sens qui transcende
la pensée de l’Aufklärung sur le mythe » (534). Comme Adorno, Menninghaus
insiste sur la réconciliation avec le mythe, condition de l’émancipation.
Beaucoup plus mimétique par rapport aux textes de Benjamin qu’il cite
en virtuose, l’article de Norbert Bolz fait coïncider la veine surréaliste et
le messianisme de Benjamin dans l’idée du réveil : « l’image d’un état
d’alarme permanent est le véritable visage du surréalisme : la politique
consiste à s’être réveillé du cauchemar de la modernité » (484).
Ce texte sur l’expérience historique associe encore la notion de l’éveil
et la théorie politique de Benjamin. Paradoxalement, mais aussi signe du
temps, les études les plus approfondies du recueil font éclater l’unité des
intérêts de Benjamin. Ainsi, Jacques Leenhardt met fin à l’alliage entre
surréalisme et philosophie de l’histoire en opposant les recherches d’Aragon
à la lecture – selon lui plus classique – qu’en fait Benjamin. Henri Meschonnic
croit devoir faire remarquer, non sans quelque ressentiment, que le colloque
de l’Institut Goethe oublie le juif chez Benjamin ; au fond, il semble cher-
cher la seule dimension du penseur qui reste inassimilable, qui garde son
potentiel de choc notamment pour les très nombreux benjaminiens alle-
mands. En même temps, si cette revendication met mal à l’aise, ce n’est
pas seulement en raison de « l’oubli » suspecté par Meschonnic ; c’est
qu’il met le doigt sur le rôle de Benjamin à la fois pour un certain nombre
d’intellectuels juifs et pour beaucoup de jeunes Allemands qui s’identi-
fient à la victime et y trouvent un père idéalisé. Cette double identifica-
tion contient en germe une rivalité narcissique, chacun prétendant mieux
comprendre le maître. Pour Meschonnic, c’est le caractère indéfini de
Benjamin, le fait qu’il ne peut pas même adhérer au judaïsme, qui fait de
lui le type même du Juif. Plus problématique est l’idée d’un « rythme »
d’une « écriture » judaïque chez Benjamin, qui relève d’un vitalisme assez
ambigu.
Dans quelques-unes des meilleures contributions, c’est la dimension
politique de Benjamin qui passe au second plan pour faire place à une
réflexion philosophique sur la temporalité ; c’est le cas notamment des 91
*
93
1. À côté de la théorie de l’aura, on trouve également déjà des éléments de celle de la traduction
qui sera développée peu après, en 1921, dans « La Tâche du traducteur », introduction à une série
de traductions de Baudelaire. Si toute œuvre est inachevée au regard de sa propre Idée absolue, la
critique et la traduction sont deux façons de l’achever ou de la rapprocher de l’idéal (113). On
voit ici que l’une des sources du messianisme benjaminien est la pensée romantique. D’ailleurs,
il oppose déjà explicitement ce messianisme à l’idée de progrès, comme il le fera encore, en
1940, dans ses thèses sur l’histoire.
La forme qui, aux yeux des romantiques, représentait à leur plus haut
degré les puissances de la réflexion, c’est le roman. Libre de toute contrainte
extérieure, il n’est limité que par l’autoréflexion et devient par là le genre
qui incarne le mieux le « romantisme » ou la modernité : « Le roman est
la plus haute de toutes les formes symboliques, la poésie romantique est
l’Idée de la poésie elle-même » (149).
Malgré son essai sur « Les Affinités électives de Goethe » et sa traduc-
tion de Proust, le roman n’est pas pour Benjamin la forme-clé qu’elle
avait été pour Friedrich Schlegel, puis pour le jeune Lukács ; d’ailleurs
Benjamin n’ajoute rien ici aux réflexions de ses prédécesseurs. Le roman
est trop lié à l’individualisme et à la solitude pour intéresser Benjamin
dans sa quête d’une doctrine d’essence collective et traditionnelle; le lyrisme
et la narration préromanesque s’accordent mieux à un tel esprit. Il n’en 97
est pas de même pour une autre idée, étroitement liée à celle du roman
dans la théorie romantique et qui sera développée dans « La Tâche du
traducteur »; il s’agit de la prose comme Idée de la poésie. « C’est sur cette
base, écrit Benjamin à propos de la prose, que reposent aussi bien la philo-
sophie romantique de l’art dans son ensemble que, en particulier, son concept
de critique » (150). Car la prose comprend toutes les formes poétiques,
tous les rythmes ; comme la critique, elle les achève et les réfléchit dans
une unité supérieure. Aux yeux de Benjamin, ce n’est pas Schlegel, ni
Novalis, qui en ont saisi le caractère, mais Hölderlin, le théoricien et le
poète de la littérature moderne ; Hölderlin dont les traductions inspirent
« La Tâche du traducteur » et dont les réflexions sur la césure sont au centre
de l’essai sur « Les Affinités électives de Goethe ». Comme lui, Benjamin
considère que le principe du moderne, incarné par la prose, est la sobriété,
« idée pour l’essentiel absolument neuve et encore agissante aujourd’hui
à perte de vue ; la plus grande époque, peut-être de la philosophie occi-
dentale de l’art en porte la marque » (154). La sobriété de la prose est le
contraire de l’extase, c’est l’essence même de la réflexion lucide ; la poésie
moderne est donc œuvre d’intelligence et de calcul, non d’enthousiasme.
L’ironie participe de cette lucidité a laquelle ne résiste que le noyau indes-
tructible de l’œuvre qui ne repose pas sur l’extase. En dernière instance,
une telle esthétique est amenée à rompre avec l’idée même de belle appa-
rence, de beauté en général qui est incompatible avec la « sobriété » moderne.
La sobriété est cette « absence d’expression » qui désigne, dans l’essai
sur « Les Affinités électives de Goethe », la limite imposée à l’apparence
dans les œuvres d’art. Le Concept de critique esthétique va plus loin, à
cet égard, que les essais sur Goethe et sur Baudelaire qui rendront au beau
et à l’apparence leur droit, celui d’être l’étincelle de l’espoir, promesse
de bonheur. Dans le livre sur le romantisme, Benjamin souligne à quel
point l’esthétique de la sobriété anticipe les recherches de Flaubert et de
la poésie moderne ; qu’elle n’est pas « romantique » au sens courant du
terme.
En confrontant, dans une postface qui fait apparaître le projet extra-
universitaire de l’ouvrage, la théorie esthétique du premier romantisme
avec celle de Goethe, Benjamin laisse entrevoir le programme de travail
98 qu’il mettra en œuvre dans ses études sur Goethe, sur le drame baroque,
sur Kafka, sur Baudelaire… « La question du rapport entre les théories
esthétiques de Goethe et des romantiques se confond avec celle du rapport
entre pur contenu et pure forme (c’est-à-dire forme rigoureuse). […] L’Idée
de l’art est l’Idée de sa forme, comme l’Idéal de l’art est l’Idéal de son
contenu » (174). « Seule une pensée systématique » (175), poursuit Benjamin,
peut résoudre le problème de cette opposition. Par le terme d’Idéal ou
« pur contenu » de l’art, Benjamin désigne des archétypes ou des « phéno-
mènes originaires », tels que les Grecs avaient tenté de les définir par le
nombre limité des Muses, tels que Goethe les avait cherchés dans la nature.
Dans l’introduction de son livre sur le drame baroque, ces archétypes
réapparaîtront – d’où un certain risque de confusion – sous le nom plato-
nicien des Idées ; il s’agit de configurations qui ne cessent de se réin-
carner au cours de l’histoire : « Chaque fois que l’origine se manifeste,
on voit se définir la figure dans laquelle une idée ne cesse de se confronter
au monde historique, jusqu’à ce qu’elle se trouve achevée dans la tota-
lité de son histoire 1. » Le Trauerspiel, le drame baroque, est l’une de ces
Idées ; elles sont en nombre fini.
En comparaison de ces Idées où prend forme « l’Idéal » goethéen de
l’art, les œuvres sont évidemment contingentes : « Cet Idéal, en effet,
1. Cf. WALTER BENJAMIN, Origine du drame baroque allemand, trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion,
1985, p. 44. [Cf. supra, références actualisées, p. 77, n. 1. (N.D.É.)]
n’est pas le produit d’une création mais […] une Idée au sens platoni-
cien » (169-170). L’œuvre d’art singulière n’est pour Goethe qu’un « torse »,
« un effort isolé pour présenter l’archétype » (170). Le critiquer est par
conséquent impossible et inutile. Pour les romantiques, au contraire, les
œuvres sont des « fragments » au sens plein, c’est-à-dire les objets d’une
réflexion infinie ; la critique les achève en leur frayant un chemin vers
l’Idée qui leur est inhérente. Hors d’atteinte pour Goethe, les Idées ne
sont pas inaccessibles pour les romantiques ; elles sont le milieu même
dans lequel évolue la pensée du critique – conception qui heurte le fond
théologique de la pensée benjaminienne.
Cette opposition entre Goethe et le romantisme d’Iéna, Benjamin veut
la conduire à son terme. S’il dénonce chez le premier la confusion entre
l’Idéal et la nature, il rejette l’illusion romantique d’une conscience toute- 99
1. Voir l’essai sur « Les Affinités électives de Goethe », in Essais, I, trad. Maurice de Gandillac,
Paris, Denoël-Gonthier, 1983, p. 26. [Cf. la correspondance des éditions in « Notice bibliogra-
phique », p. 195-210. (N.D.É.)]
ce qui concerne la philosophie du langage. Elle n’est sans doute compré-
hensible que si l’on fait de la fonction poétique du langage son fonde-
ment même. « Le nom, écrit Benjamin, est l’analogon de la connaissance
de l’objet, dans l’objet même » (VI, 14). Pour la plupart des objets, le
langage ne connaît que des mots, « dans lesquels les noms sont cachés.
C’est par le nom que les mots visent l’objet ; par le nom ils en partici-
pent. En eux le nom n’est pas pur mais lié à un signe » (VI, 14). Une telle
conception du langage ne peut être qu’« auratique », religieuse ou poétique;
c’est dans la magie ou dans le poème seulement que le rapport entre le
mot et la chose peut être soustrait à l’arbitraire du signe et à la commu-
nication. C’est dans cette perspective que Benjamin oppose la significa-
tion (magique ou originelle) à la désignation (conventionnelle) (15) ; c’est
en raison de cette conception que Scholem voyait en Benjamin un philo- 101
1. Cf. WALTER BENJAMIN, Correspondance, II, trad. Guy Petitdemange, Paris, Aubier-Montaigne,
1979, p. 46.
historique dans une remémoration actualisante. Ce faisant, Benjamin reven-
dique pour l’expérience libérée du logocentrisme scientiste un caractère
théologique : selon lui, la pauvreté de l’expérience des Lumières n’est
pas due au privilège de la raison instrumentale, mais à son caractère athée
(VI, 37). Il est sans doute possible de sauvegarder la critique du concept
kantien d’expérience, sans adhérer à ce retour à la théologie.
La théorie benjaminienne de la vérité peut illustrer à la fois l’impul-
sion critique à l’égard de l’ancienne théorie de la connaissance et sa limi-
tation à l’esthétique. Dans l’Origine du drame baroque allemand, Benjamin
oppose radicalement connaissance et vérité. La vérité ne peut être acquise
de manière intemporelle par un sujet de la connaissance ; elle est d’ordre
ontologique et comporte une dimension temporelle. Un fragment de 1920-
102 1921 apporte une précision : « La vérité réside dans “l’à-présent de la
connaissance possible”. » Et ce concept, dont on connaît l’importance
dans les derniers écrits de Benjamin, « est le temps logique qu’il s’agit
de fonder au lieu de la validité intemporelle » (VI, 46). Benjamin souligne
par là le caractère énergétique, temporel et intersubjectif de la vérité, sans
remettre en question sa validité universelle. Si la vérité réside dans l’à-
présent de la connaissance possible, c’est qu’elle a un effet, un pouvoir
propre (Austin parlera d’une force illocutoire) : elle peut intervenir dans
des processus individuels ou collectifs et en changer les orientations. Dans
les « Thèses sur [la philosophie de] l’histoire », l’à-présent est associé
aux moments du danger dans lesquels la vérité atteint son efficacité maxi-
male. La vérité est intersubjective, parce que son opération suppose qu’elle
apparaisse à un sujet et qu’elle puisse être défendue, non seulement par
l’évidence mais encore par des arguments. Elle en dépend à tel point qu’elle
reste toujours sujette à révision. Et la vérité est temporelle, du moins pour
autant qu’il s’agit d’enjeux concernant des sujets humains et l’histoire,
dans la mesure où elle est liée à des processus d’apprentissage, à des expé-
riences qui ont leur temps et leur lieu, sans lesquels la validité univer-
selle reste abstraite et inapplicable.
Dans ses fragments, Benjamin limite cependant cette idée en lui donnant
un caractère esthétique : « Les œuvres d’art sont le lieu des vérités. Autant
d’œuvres authentiques, autant de vérités ultimes » (47). L’idée du carac-
tère topique de la vérité risque ainsi de se réduire à un relativisme esthé-
tique, alors que la relation de l’œuvre d’art à la vérité est sans doute bien
plus complexe.
À côté de réflexions sur la morale, l’anthropologie et l’histoire, avec
une étonnante esquisse sur « Le Capitalisme comme religion » dont Freud,
Nietzsche et Marx officieraient le culte, une série importante de fragments
très divers sont consacrés à l’esthétique et à la critique. Certains apho-
rismes rappellent le tournant politique que connaît le concept benjami-
nien de critique, notamment dans Sens unique. Vers 1930, Benjamin
travaillait au projet d’un essai sur la « Tâche du critique ». On retrouve
ici la distinction entre la conception de Schlegel pour qui l’œuvre est criti-
quable, et celle de Goethe pour qui elle ne l’est pas, idée qui apparaît
encore dans une note sur le beau, dans le dernier essai sur Baudelaire.
Selon Benjamin, la critique polémique et le commentaire exégétique sont 103
des oppositions qui disparaissent dans une critique « dont le seul médium
est la vie des œuvres, leur survie » (170), notamment la survie de celles
qui ont été oubliées ou écartées et dont il s’agit de « sauver » le poten-
tiel sémantique et critique. La vie des œuvres se manifeste dans la critique
et dans les traductions (pour les œuvres littéraires). L’idée la plus déci-
sive qui manque encore dans le livre sur Le Concept de critique esthé-
tique, est sans doute celle de la stratégie du critique, plus importante que
son « opinion ». Le critique – Benjamin pense ici à Karl Kraus à qui il
consacre alors un essai – doit faire savoir ce qu’il défend ; son opinion,
en revanche, devra se fondre à sa compréhension de l’œuvre. « Dans le
cas idéal, écrit Benjamin, il oublie de juger » (172). La critique – c’est
encore un rappel de la théorie romantique – « est inhérente à l’œuvre :
l’art n’est qu’un stade transitoire des grandes œuvres. Elles ont été autre
chose (dans leur genèse), et elles seront à nouveau autre chose (dans la
critique) » (172). L’art, selon Benjamin, n’est pas un domaine à part.
En 1920 comme en 1930, Benjamin pense qu’il n’y a plus réellement
de critique esthétique : il y a des sectaires et des chevaliers d’industrie (163).
Les universitaires disposent d’un savoir précis qui ne leur permet pas de
réagir à l’art de leur temps ou à celui du passé qu’il s’agit de sauver aujour-
d’hui ; les sectaires sont les appendices des modes sans être capables de
connaissance. S’il est trop facile de vouloir porter un jugement aussi global
sur la situation actuelle, il n’est pas exagéré de dire que la critique, dont
les fondements philosophiques sont des plus hétéroclites et des plus incer-
tains, a tout intérêt à tenir compte de ce rappel des origines de la critique
moderne.
Critique, n° 480, mai 1987, p. 363-371
1. [« C’est avec émotion que je profite de l’occasion que m’offre la publication du texte de Rainer
Rochlitz pour évoquer le souvenir de Pierre Missac (de son nom d’origine Pierre Bonnasse), préma-
turément enlevé à l’affection des siens alors qu’il poursuivait ses recherches assidues sur l’œuvre
de Walter Benjamin. Depuis de longues années collaborateur de Critique, il apportait à notre revue
un concours aussi fidèle que talentueux. » (Jean Piel)]
Du bon usage de Walter Benjamin
1. Pierre Missac ne cite pas HANNAH ARENDT qui, comme lui, oppose aux lectures politiques
et théoriques le don qu’avait Benjamin de « penser poétiquement » (Vie politiques, trad. collectif,
Paris, Gallimard, 1974, p. 305 [Paris, Gallimard, « Tel », 1986. (N.D.É.)]). Pour une approche
rigoureusement philosophique, cf. ROLF TIEDEMANN, Études sur la philosophie de Walter Benjamin,
trad. Rainer Rochlitz, Arles, Actes Sud, 1987. Rolf Tiedemann a par ailleurs rendu hommage à
Pierre Missac, « Ein Mittler Benjamins », Frankfurter Rundschau, n° 254, 1er novembre 1986, p. 7.
2. Les chiffres entre parenthèses renvoient, à chaque fois, aux pages de l’ouvrage présenté.
d’écrire un livre personnel, « l’histoire d’une amitié », mais surtout de
tomber dans les défauts du livre de Max Brod sur Kafka, dénoncés par
Benjamin (voir 10, 24).
Fruit d’une longue fidélité intellectuelle à celui que tous ses amis ont
regretté de n’avoir pu sauver, c’est une réflexion sans cesse relancée par
les textes dans lesquels il survit. L’amitié intellectuelle et le commentaire
qui s’y substitue sont en quelque sorte la religion profane de Pierre Missac.
À propos des « choses fines et spirituelles » – que Benjamin voyait
survivre comme foi, courage, ruse et persévérance dans un monde de luttes
sans merci –, Pierre Missac écrit : « avec les glissements nécessaires subsis-
tera la trace de ce qui les fondait et que l’on nomme sacré ou Aura. […]
Sans elle, sans quelque mystère, laïc, disait Cocteau, […] le profane à
tout prix devient profanation de quelque dieu absent » (195). 107
1. C’est ainsi que Pierre Missac a analysé les « Thèses sur la philosophie de l’histoire » d’un point
de vue purement formel. Cf. PIERRE MISSAC, « Ce sont des thèses. Sont-ce des thèses ? », Revue
d’esthétique, « Adorno », 1985, n° 8, p. 199-209 (texte d’abord paru en allemand, en 1975).
« Cette modestie peut fort bien constituer l’attitude la plus concrète,
si le souci d’aller plus loin débouche sur le sectarisme et l’utopie » (41-42).
Lecture littéraire, c’est en même temps le moyen d’« aborder Benjamin
de façon indirecte et partielle, presque par ruse » (29), « ne pas aborder
Benjamin de front » (92) ; c’est lire des textes profanes comme des textes
sacrés : « prendre une distance respectueuse par rapport à celui que l’on
entend étudier » (24).
Structures et architectures
Cette lecture formelle, l’auteur l’applique par avance à son propre livre
qui avance de manière réflexive, méditant sur le titre à donner (« le titre
108 pris au mot »), puis sur la manière d’« Écrire sur Benjamin ». Ces précau-
tions nous conduisent insensiblement au cœur du livre qui ne changera
guère de ton, mais dont l’attitude évolue pour se durcir à l’égard de Benjamin.
Il nous présente sa physionomie en collectionneur, en lecteur, en écri-
vain, en joueur. C’est alors seulement qu’il aborde, non pas le système –
selon lui introuvable – mais les « lignes de force » de la pensée benja-
minienne : le temps, la dialectique, l’architecture de verre.
S’accommoder du temps, être patient, laisser venir les choses à soi –
mais aussi l’impatience, « le geste de Josué » (92 sq.), la volonté anar-
chiste d’arrêter le cours du temps, telles sont les deux attitudes contra-
dictoires et complémentaires de Benjamin à l’égard du temps. Il en est
de même pour la dialectique revendiquée, puis abandonnée pour des expo-
sitions linéaires ; pour la transparence du verre, qui cède le pas à des tech-
niques de dissimulation. Ce sur quoi Pierre Missac met l’accent dans ces
analyses thématiques, c’est « l’équivocité », c’est-à-dire l’impossibilité
de dégager une doctrine claire et univoque chez Benjamin – et donc la
nécessité de s’en tenir à la forme littéraire.
C’est ici que Pierre Missac abandonne l’attitude respectueuse pour
une sévérité parfois aiguë (176), qui juge une opinion sans la rapporter à
un système de pensée virtuel. Il reste que, si les hésitations de Benjamin
sont incontestables et si certaines images peuvent être diversement inter-
prétées, l’ambition théorique chez Benjamin est pourtant indéniable et
doit être davantage prise au sérieux que ne le fait Missac. D’ailleurs,
Benjamin a lui-même expliqué pourquoi il a abandonné le projet initial
de son livre sur les passages parisiens, celui d’une « féerie dialectique » :
il ne permettait « immédiatement aucune sorte de mise en forme, sauf un
illicite traitement « poétique 1 », incompatible avec une démonstration
philosophique. Pierre Missac le sait et le cite (148), et pourtant il va jusqu’à
désigner de « métaphores surréalistes » (118) les concepts d’« image dialec-
tique » et de « dialectique au repos ».
La lecture de Pierre Missac obéit à sa propre logique, qui consiste à
opposer l’écrivain au philosophe. Ce qu’il dénonce tout particulièrement
chez Benjamin, c’est la passion de la « dialectique », où il ne voit qu’un
malheureux désir de satisfaire aux exigences de ses amis marxistes : « en
transposant dans la durée réelle le choc provoqué grâce à l’écriture par
l’historien matérialiste et en faisant ainsi de ce dernier un agent efficace 109
de l’action politique, Benjamin cède une fois encore aux démons de l’oc-
cultisme et de la magie qui venaient parfois le relancer. Aussi bien, dans
ce comportement de caractère archaïque, la dialectique classique a une
part de responsabilité » (128). Le chapitre sur la « disposition » dialec-
tique de certains textes de Benjamin va dans le même sens. Riche en obser-
vations sur la technique de composition des grands essais, le texte tente
surtout de montrer le caractère artificiel de la triade que présentent à la
fois l’essai sur Goethe et le premier texte sur Baudelaire : « Tout se passe
plus ou moins comme si Benjamin n’invoquait le principe de la compo-
sition dialectique que, pour ainsi dire, in abstracto, en se référant à des
projets qui ne sont pas encore rédigés, et qui ne le seront jamais, en l’uti-
lisant en somme comme une sorte d’alibi » (141-142).
Pierre Missac touche ici un problème réel, celui de l’emploi peu
rigoureux du concept de dialectique chez Benjamin, mais il en tire des
conséquences radicales : il relativise une fois de plus l’enjeu philosophique
des recherches sur la disposition, pour voir dans le Livre des passages
l’utopie d’un livre à construire par le lecteur (155). Or, s’il est certain que
la pensée de Benjamin n’est pas dialectique au sens de Hegel ou de Marx,
Les récits rassemblés sous le titre prometteur Rastelli raconte… nous réser-
vent la surprise de nous être souvent familiers. Dans « Le Mouchoir »,
nous trouvons une première formulation des réflexions sur « Le Narra-
teur » ; « La Signature » et « Le Souhait » ont été intégrés à l’essai sur
Kafka (et se trouvaient déjà dans Traces d’Ernst Bloch). « La Main heu-
reuse » illustre des idées sur le jeu qui réapparaîtront dans l’essai « Sur
quelques thèmes baudelairiens… ». Applications des théories de l’aura ou
du narrateur, récits de voyage que l’on retrouve dans les écrits autobio-
graphiques (par exemple, Espagne 1932), ces textes occasionnels du début
des années 1930 sont souvent des écrits alimentaires, mais qui portent
toujours la marque de celui qui écrivit à la même époque Enfance berlinoise. 111
Rastelli raconte… semble être une variante de l’une des paraboles les
plus célèbres de Benjamin : celle du nain théologique caché dans l’auto-
mate joueur d’échecs. Si cette machine – symbole, selon Benjamin, du
matérialisme historique – est infaillible, c’est parce qu’elle est habitée
par l’esprit de la théologie ou plutôt du messianisme, par l’étincelle d’es-
poir sans laquelle aucune entreprise humaine ne peut réussir et qui est le
partage des vaincus et des opprimés de toujours.
Or, dans l’histoire racontée par le jongleur Rastelli – qui date de 1935,
l’année de l’essai sur « L’Œuvre d’art… » Benjamin semble être parvenu
à une perspective rigoureusement athée. De même que l’essai sur « L’Œuvre
d’art… » accepte le déclin de l’aura, Rastelli décrit un jongleur dont l’art
parvient à se passer de tout secours extérieur; le ballon auquel il fait accom-
plir des mouvements époustouflants grâce à un nain caché qui en règle
les ressorts, fonctionne à vide. C’est, en effet, l’année ou Benjamin adhère
totalement au matérialisme brechtien.
Il reste que le jongleur ne sait pas que son ballon est vide. C’est en
comptant sur la présence du nain qu’il accomplit ses miracles. Il se peut
que, fort de cette expérience, il soit désormais capable de s’en passer.
Deux ou trois autres récits sont d’une intensité comparable. Dans la
plupart, raconter est un jeu de société, un passe-temps d’intellectuels émigrés
ou d’écrivains en voyage. La narration suppose l’ennui, lit-on dans « Le
Mouchoir » et dans « Le Narrateur » ; or, « l’ennui n’a plus sa place dans
notre vie », et « les histoires ne fleurissent que là où il y a travail, ordre
et subordination » (60), dans un contexte artisanal, archaïque.
Que Benjamin le veuille ou non, ses œuvres littéraires sont des para-
boles de philosophe, des contes philosophiques dans le style des Lumières.
La narration, chez lui, n’est guère une fin en soi. Il en est de même pour
ses pièces radiophoniques 1, qui sont des exercices de vulgarisation litté-
raire ou des essais sur le média radiophonique.
Si l’essai sur « Le Narrateur 2 » a été repris ici en complément des
récits, c’est aussi parce qu’il est l’aboutissement des « essais » littéraires
et le véritable apport de Benjamin. Ce qui frappe, chez ce théoricien des
avant-gardes – et c’est là peut-être une des mauvaises raisons de la mode
qui se développe autour de son nom – c’est une conception de la littéra-
112 ture aussi nostalgique du récit oral que les nouvelles classiques du XIXe
siècle qui commencent par exposer la situation dans laquelle l’histoire a
été transmise : au coin du feu, au cours d’un voyage, en rencontrant un
inconnu : « Celui qui raconte une histoire incline toutjours à rapporter
d’abord des circonstances qui lui ont permis d’apprendre ce qu’il va répéter,
quand il ne la présente pas tout simplement comme une aventure qu’il a
lui-même vécue » (157).
Le traducteur de Proust, le commentateur de Kafka (qui préfère ses
paraboles à ses trois grands livres dont il parle peu) avoue ne pas aimer
les romans. Ses propres récits sont d’un classicisme qui n’a rien de moderne;
tout au plus pourrait-on y déceler un pressentiment de Borges. Ce sont
des récits de philosophe parce qu’ils rectifient la perception erronée ; la
pointe finale nous détrompe, nous révèle brusquement le secret d’une exis-
tence ou la vérité que connaissent les sages : « La mort est la sanction de
tout ce que peut rapporter le narrateur » (160). Ses histoires renvoient à
« l’histoire de la nature ». Mais contrairement à ce qui se passe dans le
drame baroque – et dans le roman –, il n’y a pas ici d’écart entre l’image
et le sens ; la marque de la modernité est absente. C’est bien pourquoi
Benjamin souligne que « l’art de raconter est en voie de se perdre » (145).
1. WALTER BENJAMIN, Trois pièces radiophoniques, trad. Rainer Rochlitz, Paris, Christian Bourgois,
1987.
2. In Essais, II, Paris, Denoël-Gonthier, 1983, p.55-85. [Cf. références actualisées, p. 30, n. 1, et
la correspondance des éditions in « Notice bibliographique », p. 195-210. (N.D.É.)]
Nul doute aussi que la narration est un art de « l’aura » que Benjamin
venait de « liquider » quelques mois plutôt, dans son essai sur « L’Œuvre
d’art… ». En effet, « le narrateur est un homme qui revient de très loin »
(147) ou qui raconte des histoires des temps reculés ; la narration est affaire
de tradition et de transmission. Le romancier, au contraire, le moderne,
« se tient à l’écart » (150) et ses personnages ignorent la sagesse. La moder-
nité est l’époque du roman qui s’adresse au lecteur solitaire, et de la presse
qui informe et explique au lieu de raconter ; ce que Benjamin refuse, c’est
la rationalisation de l’expérience, qui détruit le mythe sans en sauver la
substance. Dès que l’information n’est plus nouvelle, elle perd tout intérêt,
tandis qu’un récit est inépuisable. Mais ce n’est là que l’aspect destructeur
de la modernité ; Benjamin fait abstraction de la conscience universelle
qu’elle rend possible par sa démarche analytique et constructive. Ce qu’il
avait saisi dans le cinéma – une chance tout autant qu’un danger – il s’est
refusé à l’envisager pour la presse et pour la littérature d’avant-garde : la
possibilité de sauver ou de produire du sens. « Ne pas pleurer », écrit-il
dans ses notes pour l’essai sur « Le Narrateur », mais l’essai n’en tient
pas compte.
Rien de plus facile aujourd’hui que d’invoquer Benjamin – qui a réel-
lement vécu l’apocalypse à la frontière franco-espagnole pour médire de
l’Occident, de la raison, de la technique et des sciences, tout en bénéfi-
ciant de tous les avantages quotidiens que nous leur devons. Qu’on le
veuille ou non, contrairement à Heidegger, Benjamin est un héritier des
Lumières jusque dans ses contes philosophiques, un moderne jusque dans
ses doutes sur la modernité. L’essai sur le narrateur contient cet éloge du
conte de fées : « Son charme libérateur ne met pas la nature en jeu sur
un mode mythique, il la présente plutôt comme complice de l’homme
libéré » (170). Et contrairement à Heidegger qui prétend occuper un no
man’s land entre le rationnel et l’irrationnel, c’est avec la « hache de la
raison » que l’auteur du Livre des passages se propose de se frayer un
chemin à travers les broussailles mythologiques du XIXe siècle, en explo-
rant sur les traces de Freud l’impensé de l’histoire. Quelles que soient ses
contradictions et ses hésitations, l’enjeu de tous ses écrits est la critique
et la connaissance du présent.
Critique, n° 497, octobre 1988, p. 786-796
1. Les chiffres entre parenthèses renvoient, à chaque fois, aux pages des ouvrages présentés.
De telles certitudes coupent le souffle. Les thèses de Benjamin posent
bien des problèmes ; ce n’est pas de cette façon, ce n’est pas dans le cadre
d’une biographie sans discussion approfondie des enjeux théoriques, que
l’on peut remettre à sa place une pensée de cette envergure. L’absence
de tact philosophique est le principal défaut de ce livre par ailleurs bien
informé et qui a l’avantage d’être le premier de son genre en langue fran-
çaise. On y trouve par ailleurs une analyse approfondie et bienveillante
(162-183) d’Enfance berlinoise 1.
II
1. Ibid., p. 105.
linguistique permettra d’aboutir à un concept corrélatif de l’expérience
qui englobera aussi des domaines que Kant n’a pas réussi à faire entrer
dans un véritable ordre systématique. Au sommet de ces domaines il faut
nommer celui de la religion 1. » La théologie de Benjamin lui tient ainsi
lieu d’herméneutique ; il en tirera sa théorie du langage et de l’inter-
prétation, de la tradition et de la transmission, de la lecture et de la traduc-
tion. Cette herméneutique – qui gardera toujours des traces de dogmatisme
– lui sert en même temps d’orientation transcendantale : c’est le point
fixe qui lui permet de résister à l’historicisme de la théorie matérialiste.
Inspirée d’un judaïsme déjà pris dans la dialectique du débat occidental,
cette pensée ne s’adresse pas – quoiqu’en dise Scholem – aux seuls lecteurs
juifs 2. Même si la plupart des autres lecteurs étaient aveugles du vivant
de Benjamin, il reste qu’il est mort pour avoir voulu être lu par eux. En 119
III
1. Voir à ce sujet WINFRIED MENNINGHAUS, Walter Benjamins Theorie der Sprachmagie (Théorie
de la magie du langage chez W.B.), Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1980.
2. Cf. FRIEDRICH WILHELM JOSEPH SCHELLING, Ausgewählte Schriften, V, Francfort-sur-le-
Main, Suhrkamp, 1985, p. 111, sur la Genèse, l’origine des langues, la crise de l’humanité provo-
quée par la confusion des langues ; p. 124, sur l’unité qui subsiste entre les langues.
3. WALTER BENJAMIN, Le Concept de critique esthétique dans le romantisme allemand, trad.
Philippe Lacoue-Labarthe et Anne-Marie Lang, Paris, Flammarion 1986; cf. Critique n° 475, décembre
1986 *. Théoriciens et praticiens de la critique littéraire, les romantiques d’Iéna furent aussi de
grands traducteurs : leurs traductions de Shakespeare et de Cervantès sont restées classiques.
[* Cf. « Walter Benjamin et la critique », p. 87-104. (N.D.É.)]
4. WALTER BENJAMIN, « La Tâche du traducteur », Mythe et Violence, op. cit., p. 267-270.
[Voir la correspondance des éditions in « Notice bibliographique », p. 195-210. (N.D.É.)]
5. Ibid., p. 275.
Benjamin illustre aussi par une citation de Mallarmé (270) et dont se
rapproche la tour de Babel assumée par Finnegans Wake.
IV
1. WALTER BENJAMIN, « Pour le portrait de Proust », Essais, I, trad. Maurice de Gandillac, Paris,
Denoël-Gonthier, 1983, p. 136. [« L’Image proustienne », Œuvres, II, op. cit., p. 135-155, ici
p. 149-150. Voir la correspondance des éditions in « Notice bibliographique », p. 195-210. (N.D.É.)]
2. WALTER BENJAMIN, « Le Pouvoir d’imitation », Poésie et Révolution, trad. Maurice de Gandillac,
Paris, Denoël, 1971, p. 52. [Voir la correspondance des éditions in « Notice bibliographique »,
p. 195-210. (N.D.É.)]
3. Id.
4. WALTER BENJAMIN, « Pour le portrait de Proust », op. cit., p. 129.
5. WALTER BENJAMIN, Charles Baudelaire. Un poète lyrique à l’apogée du capitalisme, trad.
Jean Lacoste, Paris, Payot, 1982, p. 190.
voit en Proust, dans sa reconstitution « synthétique » de l’expérience au
moyen de la « mémoire involontaire », le témoin de cette perte irrémé-
diable. Pourtant, ce n’est pas sans quelque ironie qu’il évoque la manière
dont Proust – contrairement à Baudelaire fait de sa rédemption une affaire
privée 1.
Cette expérience du beau n’est plus la nôtre ; le sacré de l’aura a cessé
d’être l’horizon de la modernité esthétique. Même si tous ne l’admettent
pas encore, le « déclin de l’aura » dont témoignent les œuvres de Baudelaire
et de Proust, et dont Benjamin a fait la théorie inégalable, n’est pas en
lui-même la catastrophe qu’évoque « l’expérience du choc ». L’anonymat
de la ville, la foule, la technique ne sont pas en eux-mêmes ces facteurs
de destruction que Benjamin y voyait à l’époque du nazisme et dont seule
une révolution pourrait nous délivrer. Pour des raisons bien compréhen- 125
1. Ibid., p. 196.
2. WALTER BENJAMIN, « Le Pouvoir d’imitation », op. cit., p. 52.
3. L’esthétique hölderlinienne et baroque du sublime – de la « prose », de l’« inexpressif », de
l’« allégorique » – développée notamment dans l’essai sur Goethe et dans Origine du drame baroque
allemand ; l’esthétique des avant-gardes et de l’engagement politique, de l’essai sur le surréa-
lisme et de Sens unique à l’étude sur « L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique » ;
et l’esthétique de la « fin de l’art » sans compensation aucune, du « Narrateur » au dernier essai
sur Baudelaire.
critique compensée par un sauvetage de la beauté essentielle au nom d’une
promesse de bonheur : c’est pour avoir connu la beauté des correspon-
dances que Baudelaire pouvait « pleinement mesurer ce que signifie en
réalité la catastrophe dont il était lui-même, en tant qu’homme moderne,
le témoin 1 ». Lorsque cette beauté, lorsque l’art lui-même disparaît dans
l’industrie culturelle, la poétique de la traduction cède sa place à la prose
de l’historiographie.
I. Passage sarcophage
« Longtemps, écrit Benjamin à propos des passages, ils resteront une attrac-
tion pour les touristes » (Paris, capitale…, 48). Ils le sont redevenus. Et
ce qui devait arriver arrive : la capitale du XIXe siècle aura un passage
« Walter-Benjamin ». La mairie de Paris prend cette initiative 1 après avoir
subventionné l’édition française des Passages. L’intention ne peut guère
être suspectée : la ville exprime là sa reconnaissance envers un penseur
qui, comme peu d’autres, a réfléchi, sur son histoire ; elle rend ainsi un
hommage qu’elle a elle-même reçu.
1. [Cette « initiative » ne s’est, en fait, jamais concrétisée. Strasbourg est, à notre connaissance,
la seule ville française où l’on trouve un passage Walter-Benjamin – à proximité de l’Opéra du
Rhin. (N.D.É.)]
Néanmoins, le geste laisse rêveur. L’esprit de ce livre inachevé, l’au-
teur qui y a consacré l’essentiel de ses efforts au cours des treize dernières
années de son existence, en retardant son départ au mépris de toute prudence,
sont-ils compatibles avec une telle promotion officielle ? N’y a-t-il pas,
dans ces « poèmes en prose », dans ces « fragments » au style tant vanté,
trop de matière explosive pour que tiennent en place les plaques commé-
moratives ? « La barbarie est cachée dans le concept même de culture »
(485) 1 – cela ne devrait-il pas faire hésiter les services culturels ? Classé
parmi les trésors de la culture, neutralisé en monument historique, le livre
de Benjamin ne risque-t-il pas de perdre son sens, sa substance provo-
catrice? Mais, après tout, il y a bien à Paris un boulevard Auguste-Blanqui,
alors pourquoi pas un passage Walter-Benjamin ? C’est que les passages,
128 qui assurément le fascinaient, Benjamin les considérait comme le symbole
même de l’aberration qu’était à ses yeux le XIXe siècle ; l’y enfermer,
c’est un contresens.
Lui qui, avant Foucault, avait développé une sorte d’« ontologie de
l’actualité », certes plus métaphysique, empreinte d’une philosophie messia-
nique de l’histoire, est aujourd’hui rattrapé par une curieuse actualité. Pendant
qu’il est hissé sur les socles de la consécration, que l’on célèbre unani-
mement son magnum opus enfin traduit, que paraissent en Allemagne à
la fois le dernier tome des Œuvres complètes (financées par de grandes
entreprises comme Volkswagen ou Thyssen) et une brochure de Rolf
Tiedemann accusant l’éditeur allemand de Benjamin de fraude sur les
droits d’auteur, il est singulier d’observer que nul n’est plus choqué par
les idées du penseur. Alors même que l’Europe centrale, avec la béné-
diction de Moscou, secoue la chape de plomb des régimes staliniens, que
Berlin, la ville natale de Benjamin, s’ouvre à nouveau à la flânerie, parmi
les ruines des deux côtés d’un mur transformé en passoire ; que
l’Allemagne s’apprête à se réconcilier avec elle-même, tandis que beau-
coup se demandant si elle en est digne et si elle est digne de confiance,
– il ne se trouve personne pour s’étonner de la gloire posthume dont jouit
un auteur dont les écrits ne renient pas leur inspiration marxienne. C’est
1. Les chiffres entre parenthèses renvoient, à chaque fois, aux pages de l’ouvrage présenté.
à croire que le destin tragique de Benjamin l’a immunisé contre toute
critique et que, inversement, transformé en fétiche de la culture, embaumé,
il a perdu la faculté d’irriter qui était pourtant essentielle à son travail.
Rien ne serait plus stérile et plus faux que de s’abstenir aujourd’hui de
toute réflexion critique sur Benjamin ; mais rien non plus ne serait plus
déloyal que d’émousser l’aiguillon de sa critique, là où il fait encore mal.
« À côté de la position ouverte de la philanthropie, lit-on dans les deux
« Exposés » de 1935 et de 1939 (Paris, capitale…, 45 et 58), la bour-
geoisie a de tout temps assumé la position ouverte de la lutte des classes. »
Peu originale, une telle observation se lit aujourd’hui avec une condes-
cendance apathique envers un théoricien prisonnier d’une idéologie de
sa génération, mais qui sait par ailleurs écrire intelligemment sur la photo-
graphie, l’architecture ou les correspondances de Baudelaire. En face de 129
Avec les passages et les intérieurs du XIXe siècle disparaît aussi l’appa-
rence esthétique dont la fantasmagorie était un dernier avatar. Réfléchissant
sur les passages et sur le destin de l’art à l’ère de la marchandise, Benjamin
est tout naturellement conduit à élaborer une théorie de « L’Œuvre d’art
à l’ère de sa reproductibilité technique ». Le dernier tome (VII) des Œuvres
complètes de Benjamin publiées dans leur langue originale 2, en offre une
1. C’est ce que méconnaît GIORGIO AGAMBEN dans son livre Enfance et Histoire, trad. Yves
Hersant, Paris, Payot, 1989, p. 145.
2. À côté des écrits radiophoniques de Benjamin, conservés dans les archives de l’Académie des
Beaux-Arts en R.D.A., le tome VII contient toutes sortes de compléments et de rectifications,
d’index et de notes, la liste des écrits lus par Benjamin, de 1917 environ jusqu’en 1939, ainsi
que celle des écrits de Benjamin publiés de son vivant.
nouvelle version – en fait la première version dactylographiée – récem-
ment retrouvée parmi les documents des archives Max Horkheimer. Cette
version est proche de celle que Benjamin lui-même, aidé par Pierre
Klossowski et Raymond Aron, traduisit en français pour la publication
dans la Zeitschrift für Sozialforschung, en mai 1936, et qui ne fut jamais
republiée en France ; mais elle comporte également des passages qui ne
se trouvent nulle part ailleurs. On y découvre notamment une théorie de
la technique, d’inspiration fouriériste et qui éclaire l’interprétation benja-
minienne du cinéma. Cette théorie est fondée sur la distinction entre deux
types de technique, « la première engageant l’homme autant que possible,
la seconde le moins possible. L’exploit de la première, si l’on ose dire,
est le sacrifice humain, celui de la seconde s’annoncerait dans l’avion
132 sans pilote dirigé à distance par ondes hertziennes » (Gesammelte Schriften,
I, 717, trad. Benjamin/Klossowski). Le problème qui se pose à Benjamin
est le suivant : cherchant à proposer une esthétique matérialiste, il lui faut
donner à la technique un sens qui ne soit pas purement instrumental; sinon,
la « production », le concept qui sert de base normative au matérialisme
d’inspiration marxienne, ne peut aboutir qu’à un contrôle instrumental
de type différent, ou exercé par un sujet différent, mais qui laisse subsister
la « domination de la nature » jusque dans le domaine de l’art. Benjamin
réserve la finalité de la « domination des forces naturelles » à la première
technique, tandis que la seconde viserait « à une harmonie de la nature et
de l’humanité »; elle aurait donc une fonction réconciliatrice. Si l’art en
général « est solidaire de la première comme de la seconde technique, « la
fonction décisive de l’art actuel consiste en l’initiation de l’humanité à ce
jeu “harmonien”. Cela vaut surtout pour le film » (I, 717). Ainsi, l’art moderne
joue un rôle décisif dans une transformation de la technique dont la portée
dépasse de loin la sphère artistique : « Le film sert à exercer l’homme à
l’aperception et à la réaction déterminées par la pratique d’un équipe-
ment technique dont le rôle dans sa vie ne cesse de croître en importance.
Ce rôle lui enseignera que son asservissement momentané à cet outillage
ne fera place à l’affranchissement par ce même outillage que lorsque la
structure économique de l’humanité se sera adaptée aux nouvelles forces
productives mises en mouvement par la seconde technique » (I, 717). Cette
utopie qui, comme telle, ne présente guère plus d’intérêt, dans la mesure
où l’évolution technique, même si elle tend effectivement à éviter le sacri-
fice humain, ne s’oriente pas spontanément vers le jeu réconciliateur, mais
n’emprunte une telle direction que contrainte et forcée par une volonté
politique, est instructive uniquement quant aux difficultés conceptuelles
du paradigme de la « production », qu’elle tente vainement de résoudre.
La théorie de la technique, qui ne figure plus dans les versions les plus
connues de l’essai sur « L’Œuvre d’art… », éclaire également la théorie
esthétique de Benjamin. Il établit un rapport direct entre les deux concepts
de technique et deux pôles constitutifs de tout art ; l’apparence et le jeu,
qui sont liés dans la mimèsis : « Celui qui imite ne fait qu’apparemment
ce qu’il fait. Autrement dit, il le joue. On découvre ainsi la polarité qui
règne dans la mimèsis » (VII, 1, 368, n. 10). L’apparence et le jeu sont
engagés dans la confrontation entre la première et la seconde technique 133
1. WALTER BENJAMIN, Œuvres, I. Mythe et Violence, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël,
1971, p. 246 (traduction modifiée) ; Essais, I, Paris, Denoël-Gonthier, 1983, p. 110. [Cf. « Notice
bibliographique », p. 195-210. (N.D.É.)]
2. WALTER BENJAMIN, Origine du drame baroque allemand, trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion,
1985, p. 191. [Cf. supra, références actualisées, p. 77, n. 1. (N.D.É.)]
Dans le dernier essai sur Baudelaire, le beau est, de façon sibylline,
« l’objet de l’expérience dans l’état de ressemblance 1 ». Or l’expérience
c’est, selon le même texte, la « conjonction, au sein de la mémoire, entre
des contenus du passé individuel et des contenus du passé collectif. Les
cérémonies du culte, ses festivités – absentes de l’univers proustien –
permettaient, entre ces deux éléments de la mémoire, une fusion toujours
renouvelée. Elles provoquaient la remémoration à certaines époques déter-
minées et lui donnaient ainsi l’occasion de se reproduire tout au long
d’une vie » (Charles Baudelaire, 155). Comme dans l’essai sur « L’Œuvre
d’art… », le beau est en dernière instance défini par la tradition. Le déclin
de l’aura est lié au déclin de la tradition. L’attitude ambivalente de Benjamin
envers le beau pourrait donc s’expliquer par son rapport ambivalent à la
tradition. 135
1. WALTER BENJAMIN, Poésie et Révolution, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël, Les
Lettres Nouvelles, 1971, p. 179 ; Essais, II, Paris, Denoël-Gonthier, 1983, p. 95. [Voir la corres-
pondance des éditions in « Notice bibliographique », p. 195-210. (N.D.É.)]
2. MAX WEBER, Essais sur la théorie de la science, trad. Julien Freund, Paris, Plon, 1965, p. 451.
[Une édition de poche a été publiée en 1992 (Paris, Presses Pocket, « Agora »). (N.D.É.)]
révolutionnaire, tantôt nostalgique, l’attitude de Benjamin vis-à-vis de
l’aura oscille entre ces deux aspects d’un concept dont le déclin n’est
donc peut-être pas une perte irrémédiable.
1. WALTER BENJAMIN, Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise, trad. Jean Lacoste,
Paris, Maurice Nadeau, 1978, 1988, p. 122.
l’adulte semblent se décider au cours de ces années d’expériences primi-
tives. Les parents sont omniprésents, mais comme masqués par les objets
dans lesquels ils s’incarnent et dont la présence est obsédante. D’ailleurs,
le père de Benjamin fut antiquaire et lui-même, collectionneur. Le monde
des objets symboliques et mystérieux lui tient lieu de société humaine.
La mythologie règne dans les contes philosophiques d’Enfance berli-
noise, tout comme elle domine les personnages des Affinités électives de
Goethe dans lesquels se reconnaît Benjamin. L’écriture, chez lui, a pour
fonction de conjurer la magie de l’existence. C’est pourquoi il s’oppose
au surréalisme d’Aragon qui « persiste à rester dans le domaine du rêve »,
au lieu de « trouver la constellation du réveil. Tandis qu’un élément impres-
sionniste – la “mythologie” – demeure chez Aragon […], il s’agit ici de
dissoudre la mythologie dans l’espace de l’histoire » (Paris, capitale…, 139
1. L’excellente traduction de Jean Lacoste ne comprend ni l’appareil critique établi par Rolf Tiedemann,
qui reconstitue notamment, dans l’édition originale, la genèse et l’histoire du projet à travers la corres-
pondance de Benjamin (Gesammelte Schriften, V, 2, 1067-1205), ni la bibliographie des ouvrages
consultés par Benjamin, qui auraient évidemment alourdi une publication déjà volumineuse.
de citations pittoresques ou instructives. Mais il y a malgré tout trop de
« système » dans cette poussière de textes ; le lecteur des « Exposés », du
Baudelaire, de « L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique »
et des « Thèses sur [la philosophie de] l’histoire » ne peut s’empêcher de
deviner la place que chaque notation aurait pu occuper dans une œuvre
imaginaire. Ramené à un ensemble de « poèmes en prose » brillamment
formulés, les Passages se transformeraient à leur tour en un sarcophage
littéraire.
Critique, n° 531-532, août-septembre 1991, p. 655-680
1. WALTER BENJAMIN, Sens unique, précédé de Une enfance berlinoise vers mil neuf cent, suivi
de Paysages urbains, trad. Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1978 ; édition revue, ibid., 1988.
2. WALTER BENJAMIN, Berliner Kindheit um neunzehnhundert (dernière version), in Gesammelte
Schriften (désormais GS), VII, 1, Francfort-sur-le-Main, Suhrkamp, 1989, p. 385.
3. WALTER BENJAMIN, « Chronique berlinoise », Écrits autobiographiques, trad. ChristopheJouanlanne
et Jean-François Poirier, Paris, Christian Bourgois, 1990, p. 241-328.
4. WALTER BENJAMIN, Berliner Kindheit…, GS, VII, 1, op. cit., p. 385.
5. Id.
6. Voir les contributions de BURCKHARDT LINDNER (« Le Passagen-Werk, Enfance berlinoise
et l’archéologie du « passé le plus récent », p. 13 sq), BERND WITTE (« Paris-Berlin-Paris. Des
corrélations entre l’expérience individuelle, littéraire et sociale dans les dernières œuvres de Benjamin »,
p. 49 sq) et HANS THIES LEHMANN (« Remarques sur l’idée d’enfance dans la pensée de Walter
Benjamin », p. 71 sq), in HEINZ WISMANN (s.l.d.) Walter Benjamin et Paris, Paris, Le Cerf, 1986.
indirecte – et beaucoup sur l’expérience de l’enfant qui y a vécu une époque
historique déjà archaïque pour l’adulte. L’ironie du texte signale la distance
entre l’esprit prisonnier de l’époque révolue et la conscience qui recons-
truit la vision d’autrefois. C’est une vision d’objets et de lieux trop grands
autour desquels se cristallisent les mythologies de l’enfance et d’une époque
elle-même enfantine, proche du conte de fées. Le plus souvent, il ne s’agit
pas d’événements précis, mais de gestes et d’expériences répétées comme
les fêtes de Noël et les cadeaux sous le sapin décoré. « Longtemps je me
suis couché de bonne heure » ; à Berlin aussi, l’enfant choyé attendait le
baiser de sa mère habillée en tenue de soirée 1.
Dans les années 1920, après l’échec de ses projets universitaires,
Benjamin devient l’un des intellectuels dominants de la scène berlinoise.
Ami de Brecht, il est associé à la littérature d’avant-garde et aux combats 147
Naissance 149
À l’époque où naît Benjamin, en 1892, Berlin est engagé dans une méta-
morphose rapide : d’une ville résidentielle des rois de Prusse, elle se trans-
forme en métropole moderne, commerciale, industrielle et administrative ;
de 800 000 habitants en 1870, elle passe à 2 000 000 en 1905, lorsque
Benjamin s’apprête à quitter Berlin pour deux ans de pensionnat (aujour-
d’hui, elle en a 3 400 000, Berlin-Ouest et Berlin-Est réunis). Capitale
depuis 1871, la ville connaît des changements comparables aux grandes
percées de Haussmann, qui inspirent ses urbanistes.
Avec sa femme et ses trois enfants, le père de Benjamin, commerçant
né à Cologne, occupe divers appartements à Berlin, toujours dans les parties
occidentales de la ville – de plus en plus à l’Ouest, à mesure que l’« ancien
Ouest » de Berlin se transforme en centre-ville commerçant – pour finir
par construire une maison en dehors des limites traditionnelles de la ville,
à Grunewald, le Neuilly de Berlin, d’où Benjamin écrira encore des lettres
en 1929. Commissaire-priseur, puis actionnaire de nombreuses sociétés,
Emil Benjamin investit notamment dans le jardin zoologique de Berlin,
permettant ainsi à ses enfants de fréquenter quotidiennement le zoo sans
avoir à payer d’entrée 1. Le père sera aussi à l’origine de la fascination
1. Cf. WERNER FULD, Walter Benjamin, Zwischen den Stühlen. Eine Biographie, Munich et
Vienne, Hanser, 1979 ; Francfort-sur-le-Main, Fischer, 1981, p. 33.
ambivalente de Benjamin pour les prostituées. Ayant acheté des parts d’une
patinoire de luxe, le Eispalast, il y emmène son fils de dix-huit ans. « Les
numéros sur la piste, se souviendra-t-il, me captivèrent bien moins que
les apparitions au bar que je pouvais suivre tranquillement depuis une
loge quelconque de la galerie. Parmi celles-ci se trouvait cette putain en
costume marin blanc très moulant qui, sans que j’aie pu échanger un mot
avec elle, détermina mes fantasmes érotiques pour de nombreuses
années 1. »
Pas plus que le père de Scholem, celui de Benjamin ne partage les
intérêts religieux, philosophiques et littéraires de son fils. Les juifs alle-
mands de cette génération, à Berlin et ailleurs, n’étaient pas loin d’avoir
oublié qu’ils étaient juifs. C’est contre cet oubli de leur identité que se
150 révolteront les fils, à l’époque du renouveau nationaliste autour de la Première
Guerre mondiale. Scholem quittera Berlin pour Jérusalem, en 1923, époque
où Benjamin s’efforce encore – en vain – de passer sa thèse d’État à Francfort 2.
Il annoncera cent fois son départ imminent pour Jérusalem ; il promettra
d’apprendre l’hébreu et commencera même à s’y appliquer à Berlin, mais
il aura toujours des choses plus urgentes à faire, philosophiques, poli-
tiques, voire amoureuses. Scholem ne cessera jamais de souligner à quel
point Benjamin, tout en s’intéressant vivement aux recherches de son ami,
ignorait tout du judaïsme 3.
L’un des principaux philosophes berlinois de l’époque, à côté des néo-
kantiens Ernst Cassirer et Hermann Cohen : Georg Simmel, suspect en
tant que sociologue, avait dû quitter Berlin pour Strasbourg, afin d’ac-
céder à un poste de professeur. Benjamin a encore pu suivre à Berlin les
cours de Simmel et de Cassirer 4. Il fait une grande partie de ses études
ailleurs qu’à Berlin : à Fribourg, chez Rickert, à Munich, chez Geiger, et
à Berne, chez Herbertz, où il passe sa thèse sur Le Concept de critique
Cafés
C’est à Berlin, au Prinzess-Café, qu’il écrit une grande partie de son prin- 151
cipal ouvrage : « J’y restais assis des soirées entières », écrit-il dans
« Chronique berlinoise », « à proximité de quelque orchestre de jazz et
travaillais, en consultant discrètement mes feuilles et mes fiches, à mon
Origine du drame baroque allemand 2. »
Dans une salle du café Tiergarten, Scholem voit pour la première fois
Benjamin, en 1913, lors d’une rencontre entre de jeunes sionistes (Jung-
Juda, dont Scholem fait partie) et des membres du Mouvement de la Jeunesse
dont Benjamin est l’un des principaux porte-parole. C’est dans ces clubs
de débats (Sprechsäle) que se réunissent les jeunes intellectuels, juifs notam-
ment. Benjamin y tient un discours que Scholem se rappelle et qui préfi-
gure en quelque sorte ce versant de leur relation : « Il fit un exposé assez
tortueux, ne rejetant pas le sionisme a priori, mais l’évacuant en quelque
sorte 3. » Scholem et Benjamin feront connaissance en 1915, lorsqu’une
époque de la vie berlinoise de Benjamin aura pris fin avec l’éclatement
de la guerre et le suicide de son ami le plus proche.
1. [Der Begriff der Kunstkritik in der deutschen Romantik a été traduit sous le titre Le Concept
de critique esthétique dans le romantisme allemand par Philippe Lacoue-Labarthe et Anne-Marie
Lang (Paris, Flammarion, 1986). Cf. « Walter Benjamin et la critique », p. 87-104. (N.D.É.)]
2. WALTER BENJAMIN, « Chronique berlinoise », Écrits autobiographiques, op. cit., p. 273.
3. GERSHOM SCHOLEM, Walter Benjamin. Histoire d’une amitié, op. cit., p. 12.
Dans les souvenirs de Benjamin, les cafés berlinois jouent un rôle
important. À l’angle de la Friedrichstrasse et d’Unter den Linden, se trou-
vait le Viktoria-Café qui « se distingue par toute la magie de l’époque
des lustres, de la mode des miroirs et du confort peluche 1 ». Les cafés
n’étaient pas alors des lieux de sieste, mais des positions stratégiques. le
Café des Westens « a été jusqu’aux premières années de la guerre le quar-
tier général de la bohème 2 ». Benjamin y fréquente un jeune poète, Heinle,
auquel le lie une amitié mêlée de vives tensions. Sous le signe de Hölderlin,
c’est alors une vision exaltée et idéaliste qui anime les discussions des
jeunes intellectuels berlinois : « La ville même de Berlin, écrit Benjamin,
n’a jamais, à aucune époque ultérieure, pénétré avec autant de force dans
mon existence qu’à cette époque lorsque nous pensions pouvoir la laisser
152 elle-même intacte, et ne faire qu’y améliorer les écoles, porter un coup à
l’inhumanité des parents et leurs élèves et y donner leur place aux mots
de Hölderlin ou de George. C’était une tentative extrémiste, héroïque de
changer l’attitude des êtres humains sans s’attaquer à leur situation. Nous
ne savions pas qu’elle devait échouer mais l’aurions-nous su, il ne se serait
trouvé personne parmi nous pour changer d’avis 3. »
Au Café des Westens, Benjamin et Heinle, émanations des « clubs de
débats », sont des étrangers parmi la bohème expressionniste, avec laquelle
ils n’ont que des contacts éphémères : « Franz Pfemfert, l’éditeur de Die
Aktion, a été durant un moment un intermédiaire ; nos rapports avec lui
étaient du plus pur machiavélisme. Else Lasker-Schüler me fit également
une fois venir à sa table ; on pouvait y voir Wieland Herzfelde, alors jeune
étudiant 4. » Jamais Benjamin, malgré les apparences, ne s’intègre tout à
fait aux milieux intellectuels berlinois. Le pathos expressionniste et le
réalisme social de l’entre-deux-guerres lui sont étrangers. Benjamin gardera
lorsque vinrent les jours où ceux d’entre nous qui étaient les plus
étroitement liés avec les morts ne voulaient plus se séparer jusqu’à
ce que ceux-ci fussent enterrés, nous avons alors senti (les limites 153
des rassemblements de l’intelligentsia bourgeoise) dans l’humi-
liation de ne pouvoir trouver refuge que dans un hôtel de gare
louche de la Stuttgarterplatz. Le cimetière lui-même nous rappe-
lait l’existence de ces limites posées par la ville sur tout ce qui
nous tenait à cœur; il était impossible de trouver pour deux personnes
mortes ensemble une tombe dans un seul et même cimetière. Mais
ce furent des jours, conclut Benjamin, qui firent mûrir en moi
cette idée que j’ai rencontrée plus tard et qui me donnèrent la convic-
tion que la ville de Berlin, elle non plus, ne serait pas épargnée
par les cicatrices d’un combat pour un ordre meilleur 2.
Le monde littéraire
1. Ibid., p. 271.
2. Cf. WALTER BENJAMIN, Sens Unique, op. cit., p. 152-161.
3. WALTER BENJAMIN, Correspondance, I, op. cit., p. 348.
diques paraissant alors régulièrement 1. Die literarische Welt atteindra un
tirage de plus de 20000 exemplaires, frôlant les 30000 vers 1929. Benjamin
collabore à cette revue d’octobre 1925 jusqu’en février 1933, date à laquelle
il quitte l’Allemagne ; il y a publié plus de cent contributions sur les sujets
les plus divers. En 1925 encore, Benjamin annonce avoir « conclu un
contrat pour la traduction de l’œuvre principale [du] grande cycle roma-
nesque À la recherche du temps perdu 2 » en collaboration avec Franz
Hessel, l’auteur des Promenades dans Berlin 3.
La culture berlinoise s’engage résolument dans la modernité interna-
tionale. Benjamin y fait connaître le Surréalisme. En 1928, après de longues
péripéties éditoriales, il publie chez Rowohlt Sens Unique et Origine du
drame baroque allemand. En 1930, il signe avec Rowohlt un contrat pour
un recueil d’essais littéraires. La même année, il peut écrire à son ami 155
1. Cf. MOMME BRODERSEN, Spinne im eigenen Netz. Walter Benjamin, Leben und Werk, Bühl-
Moss, Elster Verlag, 1990, p. 174.
2. WALTER BENJAMIN, Correspondance, I, op. cit., p. 361.
3. FRANZ HESSEL, Promenades dans Berlin (1928), trad. de l’allemand par Jean-Michel Beloeil,
précédé de « Le Flâneur de Berlin » par JEAN-MICHEL PALMIER, suivi de « Le Retour du flâneur »
par WALTER BENJAMIN, Grenoble, Presses Universitaires de Grenoble, 1989.
4. WALTER BENJAMIN, Correspondance, II, op. cit., p. 28.
5. WALTER BENJAMIN, « Le Retour du flâneur », in FRANZ HESSEL, Promenades dans Berlin,
op. cit., p. 255.
6. Ibid., p. 256.
7. WALTER BENJAMIN, Paris capitale du XIXe siècle. Le Livre des passages, trad. Jean Lacoste,
Paris, Le Cerf, 1989, p. 875.
Pour les gens de la masse – et le flâneur vit avec elle – les étin-
celantes enseignes émaillées des sociétés ne sont ni plus ni moins
qu’un ornement mural, comme l’est, au salon, une peinture à l’huile
pour le bourgeois; les murs coupe-feu sont leur pupitre, les kiosques
à journaux leurs bibliothèques, les boîtes à lettres leurs bronzes,
les bancs leur boudoir et la terrasse de café l’encorbellement d’où
ils observent leur foyer. Là où, à la grille, les ouvriers de l’as-
phalte ont suspendu leur veste, c’est leur vestibule, et, de l’ali-
gnement des cours qui s’enchaînent, le porche qui conduit à l’air
libre donne accès aux chambres de la ville 1.
1. WALTER BENJAMIN, « Krisis des Romans. Zu Döblins Berlin Alexanderplatz », GS, III, p. 233
sq. [« La Crise du roman. À propos de Berlin Alexanderplatz de Döblin », trad. Rainer Rochlitz,
II, op. cit., p. 189-197 ; ici, p. 194. Voir la correspondance des éditions in « Notice bibliogra-
phique », p. 195-210. (N.D.É.)]
2. Ibid., p. 233. [Œuvres, II, p. 193. (N.D.É.)]
3. WALTER BENJAMIN, Correspondance, II, op. cit., p. 38.
Döblin, Hanns Eisler, Kracauer, Korsch, Lukács, Marcuse, Musil,
Piscator, Sternberg, Weill et Wiesengrund-Adorno. Benjamin mène de
longues discussions avec Brecht, dans l’atelier que ce dernier occupe près
du zoo, dans la Hardenbergstrasse. Il doit s’agir d’une publication dans
laquelle les intellectuels bourgeois s’expliquent sur leur situation, compte
tenu d’une crise sociale qui semble devoir déboucher sur une révolution.
Dans le même cadre, Heidegger, qui vient de publier Être et Temps, doit
être soumis à une critique sévère – qui ne sera pas mise en œuvre.
Elias Canetti et Peter Weiss ont fait le portrait de Brecht déguisé en pro-
létaire. Benjamin, qui refusera tout mimétisme, traduira sa pensée en y voyant
un plaidoyer pour la « pauvreté » nécessaire de cet homme nouveau qui
commence à reconstruire, avec un minimum de moyens, un monde en ruines.
Cette « pauvreté » qui répond à l’appauvrissement de l’expérience depuis 159
Radio Berlin
1. WALTER BENJAMIN, Lumières pour enfants, trad. Sylvie Muller, Paris, Christian Bourgois, 1988.
2. WALTER BENJAMIN, « Wat hier jelacht wird, det lache ick », GS, IV, 1/2, p. 537.
ville, les cent variantes de l’argot demeurent la véritable pépinière du
dialecte 1. » Mais cette explication ne satisfait pas tout à fait. Le dialecte
berlinois, parlé jusque dans les classes cultivées – Scholem, de son propre
aveu, en était un exemple – indique le caractère « provincial » que conserve
cette ville qui n’est capitale que depuis quelques décennies ; la moderni-
sation rapide la bouleverse d’autant plus violemment. D’ailleurs, Benjamin
observe que les Berlinois ne sont pas blasés comme les habitants de Londres
ou de Paris. À la différence de l’argot parisien qui ne s’étonne de rien,
l’insolence du dialecte berlinois est liée à un étonnement incessant, à une
attitude un peu naïve d’observation et de contemplation. Selon Benjamin,
le Berlinois est en ce sens « philosophe ». Au client qui, en 1922, à l’époque
de l’inflation, s’étonne que la tasse de café a encore augmenté de quelques
160 millions de marks depuis la veille, le garçon berlinois du Romanisches
Café répond : « N’essayez pas de comprendre ; soyez philosophe. » Et
Benjamin énumère une série d’expressions berlinoises de l’étonnement 1.
Ces textes berlinois improvisés à la radio ou dictés à toute vitesse témoi-
gnent d’un attachement de Benjamin à sa ville natale et d’une affinité
avec l’esprit des enfants, attachement et affinité qui ne sont jamais complai-
sants ni populistes. Berlin est pour lui la ville de l’enfance. Lorsqu’il parle
des souvenirs de Rellstab sur son enfance à Berlin, il pense aussi à lui-
même : « Qu’un enfant ait pu tisser des liens avec une grande ville, si
heureux et si harmonieux que l’homme mûr aime à évoquer cette enfance,
n’est pas si fréquent 2. » À propos du « Théâtre de marionnettes à Berlin »,
il est question du texte philosophique de Kleist à ce sujet 3. À propos des
« Marchands ambulants et des marchés du vieux et du nouveau Berlin »,
il commence par évoquer les contes de fées de Hauff et de Hoffmann 4,
ce dernier étant « le seul écrivain qui popularisa Berlin à l’étranger, […]
aimé et lu par les Français, à une époque où en Allemagne et à Berlin,
on le traitait comme un chien », lit-on dans le « Berlin démoniaque 5 »,
1. Ibid.
2. Ibid., p. 541 sq. Voir aussi WALTER BENJAMIN, « Le Dialecte berlinois », Lumières pour
enfants, op. cit., p. 11-20.
3. WALTER BENJAMIN, Lumières pour enfants, op. cit., p. 48.
4. Ibid., p. 34.
5. Ibid., p. 21.
tandis qu’une note des Passages explique cet engouement des Français
par le fait que le regard de Hoffmann est déjà celui du flâneur 1. Benjamin
l’appelle « le père du roman berlinois », le précurseur de Döblin. Dans
« Sur quelques thèmes baudelairiens », Hoffmann annonce le flâneur pari-
sien, à travers sa « Fenêtre d’angle du cousin », la fenêtre de son appar-
tement près du Gendarmenmarkt : « C’est d’en haut qu’il procède à
l’investigation systématique de la foule 2 » ; le flâneur, lui, s’y mêlera.
« Si Hoffmann avait habité Paris ou Londres, poursuit Benjamin, s’il avait
voulu décrire la foule comme telle, la vue d’un marché ne lui aurait pas
suffi 3. » Le fantastique de Hoffmann préfigure néanmoins ce que la foule
de la grande ville bourgeoise a d’inquiétant. Plus tard, il ne sera plus néces-
saire d’imaginer ce fantastique ; Hoffmann, quant à lui, n’avait pas d’autre
moyen à sa disposition. Selon Benjamin, il voulait « montrer que dans le 161
Berlin banal, prosaïque, rationnel et raisonnable, il n’y a pas que les recoins
moyenâgeux, les rues isolées, les maisons désertes qui soient riches de
choses stimulantes pour un conteur mais que sa population active, de toutes
conditions et de tous quartiers, en recèle tout autant, qu’il suffit de dépister,
de reconnaître 4 ».
Deux émissions sont consacrées aux jouets que l’on peut trouver à
Berlin ; c’était là une des grandes passions de Benjamin, à côté des vieux
livres d’enfants dont il avait constitué une collection. Contrepoint de sa
réflexion critique sur le passage et les grands magasins, dès qu’il regarde
la ville par les yeux de l’enfant, elle lui présente un aspect féerique ; « vous
voyez où se trouvent ces longues galeries de jouets sans fée et sans magi-
cien, en plein cœur de Berlin. Dans les grands magasins 5 ». De même,
lorsque Benjamin visite les immenses usines Borsig ou une fabrique de
laiton, il met toute critique sociale entre parenthèses pour présenter aux
enfants les merveilles et le gigantisme de la technique moderne :
1. Ibid., p. 78 sq.
2. Ibid., p. 82.
3. Ibid., p. 89 sq. Voir aussi WALTER BENJAMIN, « Ein Jakobiner von heute. Zu Werner Hegemanns
Das steinerne Berlin », GS, III, p. 260-265.
À cette époque, Benjamin voit dans la technique une alliée libératrice
de l’humanité qu’il faut savoir mettre au service de son émancipation, pour
l’empêcher d’exercer sa puissance destructrice à l’encontre des hommes.
II
Origines
1. WALTER BENJAMIN, « Chronique berlinoise », Écrits autobiographiques, op. cit., p. 246 sq.
(traduction légèrement modifiée).
2. Ibid., p. 247 sq.
La seconde forme sera celle d’Enfance berlinoise : elle consiste à
renoncer à l’autobiographie pour ne retenir que la topographie exemplaire
de l’enfance dans une ville comme Berlin : « une sorte de tête-à-tête d’un
enfant avec la ville de Berlin aux environs de 1900 1 » écrit-il à Jean Selz
– avec qui il traduira quelques-uns de ces textes 2 –, au mois de septembre
1932. La plus grande satisfaction de Benjamin fut d’apprendre en 1933
que Scholem, en lisant ces textes, y avait parfois reconnu sa propre enfance.
« Pour la première fois », c’est là une des formules les plus employées
dans Enfance berlinoise. Dans « Tiergarten », le premier de ces « poèmes
en prose » 3, Benjamin désigne Franz Hessel comme un « familier du
pays », un « paysan de Berlin » qui se joignit à lui pour reconquérir Berlin
après une longue absence commune, à Paris :
165
Les petits escaliers, les vestibules portés par des colonnes, les péri-
styles, les frises et les architraves des villas près du Tiergarten –
nous les prîmes pour la première fois au mot. Mais nous prîmes
surtout au mot les cages d’escalier qui, avec leurs vitraux, restaient
les mêmes qu’autrefois, même si l’intérieur qui était habité avait
beaucoup changé. Je sais encore les vers qui, après l’école, remplis-
saient les intervalles des battements de mon cœur, lorsque je m’ar-
rêtais en montant les escaliers. Ils venaient à moi de l’obscurité
du vitrail […]. Levant avec les pouces, pour soulager mes épaules,
les courroies de mon cartable, je déchiffrais : « Le Travail est la
Parure du Citoyen, La Prospérité est le Salaire de la Peine » 4.
Mais cette « première fois » est encore celle des adultes qui inaugu-
rent une nouvelle recherche. Elle dissimule une origine plus lointaine,
celle, inaccessible, des gestes répétés qui sont enfouis dans notre corps.
Aussi la plupart des « premières fois » désignent-elles des expériences
1. Ibid., p. 78.
2. Ibid., p. 103.
3. WALTER BENJAMIN, « Paris, capitale du XIXe siècle » (exposé), in Paris, capitale du XIXe siècle.
Le Livre des passages, op. cit., p. 47.
4. Ibid., p. 49.
5. Ibid., p. 53.
6. Cf. STÉPHANE MOSÈS, « L’Idée d’origine chez Walter Benjamin », in HEINZ WISMANN (s.l.d.),
Walter Benjamin et Paris, Paris, Le Cerf, 1986, p. 809-826.
7. Ibid., p. 812.
8. WALTER BENJAMIN, Origine du drame baroque allemand, trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion,
p. 43.
ne se confond pas avec la genèse. L’origine, toujours inachevée et de ce
fait en quête de son achèvement, se reproduit à travers l’histoire : « Chaque
fois que l’origine se manifeste, on voit se définir la figure dans laquelle
une idée ne cesse de se confronter au monde historique, jusqu’à ce qu’elle
se trouve achevée dans la totalité de son histoire 1. » Il en sera de même
dans la période « matérialiste » de Benjamin. Les techniques et les inven-
tions ont leurs précurseurs : les passages annoncent les grands magasins,
tout comme on connaissait, avant le cinéma, « ces collections de photos
qui, sous la pression du pouce, se succédaient rapidement devant les yeux
et qui donnaient l’image d’un match de boxe ou de tennis 2 ». C’est toujours
une aspiration authentique qui se reproduit comme origine, aspiration à
un bonheur associé à la connaissance. Ainsi, l’enfance retrouvée, l’ins-
tant inaugural où se forme une expérience authentique, est une source de 167
Mais le retour à l’origine, Proust l’avait montré, est interdit par toutes
sortes de blocages qui font de Berlin vers mil neuf cent un coffre-fort
1. Ibid., p. 44.
2. WALTER BENJAMIN, « L’Œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique », trad. Maurice
de Gandillac, in Essais, II, Paris, Denoël-Gonthier, 1983, p. 118, n. 1 [Voir la correspondance
des éditions in « Notice bibliographique », p. 195-210 ; voir aussi Une enfance berlinoise, op. cit.,
p. 134. (N.D.É.)]
3. WALTER BENJAMIN, « Chronique berlinoise », Écrits autobiographiques, op. cit., p. 323.
4. WALTER BENJAMIN, Une enfance berlinoise, op. cit., p. 51 sq.
bien gardé. La force obsédante des lieux, des topographies, tient préci-
sément à ce caractère fermé. Un soir, le père de Benjamin vient au chevet
de son fils pour lui parler du décès d’un parent lointain. « Il décrit, à ma
demande, ce qu’était une attaque cardiaque et il fut prolixe. Je ne retins
pas grand-chose de son récit. Mais je me suis bien imprégné de l’image
de ma chambre et de mon lit, comme on prête davantage attention à un
endroit dont on pressent qu’on devra un jour y aller chercher quelque
chose d’oublié 1. » Des années plus tard, Benjamin apprendra que son
cousin était mort de syphilis. C’est là peut-être une indication qui explique
les nombreuses descriptions de lieux : Benjamin en a retenu l’image parce
qu’il devait y chercher plus tard quelque chose d’oublié, de déformé, comme
ces noms de l’enfance au sens enrichi par des malentendus : « Mumme-
168 rehlen », « Mark-Thalle », « Blume-zoof », « Brauhausberg », la gare
« Anhalter », etc., dont le sens prosaïque, échappe totalement à l’enfant 2.
Comme pour les objets dont il ne sait pas se servir, comme pour les histoires
incompréhensibles qu’on lui raconte pour lui dissimuler la vérité, les noms
se dressent devant l’enfant impuissant et confèrent une réalité mytholo-
gique à ce qu’ils désignent, mais cette obscurité due à l’impuissance à la
fois déforme la réalité prosaïque la rend poétique et révèle une vérité. Le
regard et l’oreille de l’enfant, en lui rendant la réalité étrange, font aussi
apparaître ce qu’elle a de réellement étrange. Du thème romantique de
l’enfance, Benjamin fait ainsi un instrument de connaissance poétique.
1. Ibid., p. 54.
2. [« Mummerehlen », que Jean Lacoste traduit par « commerelle », se substitue à Muhme Rehlen
(la commère Rehlen, personnage de comptine) chez Benjamin enfant, qui en fait alors une sorte
d’esprit (Une enfance berlinoise, op. cit., p. 67 sq). Le mot composé Markt-Halle (Marché couvert,
halle) se transforme en Mark-Thalle, dont Benjamin ne dit pas précisément ce que cela évoque
(« vallée de moëlle » ?, « vallée du mark » ?, ou connotations marines – à partir de Thalassa,
comme le croit BERND WITTE, « Bilder der Erinnerung. Walter Benjamins Berliner Kindheit »,
Der Blaue Reiter, n° 18, 2004, p. 96). Toujours est-il que cela achève d’éroder les mots émoussés
Markt et Halle et que le sens se recompose dans le mot nouveau à partir du caractère primaire,
moite et matriciel du lieu (54 sq). Blumeshof, lieu-dit de la rive sud du Tegeler See près de Berlin,
évoque pour le jeune Benjamin une fleur qui s’ouvre brusquement (« Blume-zoof ») (62 sq).
Brauhausberg, lieu-dit de Postdam où la famille Benjamin allait en villégiature, est compris litté-
ralement par l’enfant « Brauhaus-Berg » (le Mont de la Brasserie) (41 sq). Enfin, l’Anhalter Bahnhof,
qui tire son nom de l’ancien duché d’Anhalt (composante aujourd’hui du Land de Saxe-Anhalt),
suggère la gare « où-l’on-s’arrête », du verbe « anhalten » (44). On pourrait encore évoquer la gravure
en taille-douce (Kupferstich) qui se transforme en jeu de cache-cache (Kopfverstich) (67). (N.D.É.)]
Symboles détournés
fiaient ces fûts de canon dont elle était faite : est-ce que les Français étaient
partis en guerre avec des canons en or, ou bien était-ce nous qui avions
fondu des canons avec l’or que nous leur avions pris 2 ? ». À partir de là,
le jeune Berlinois perd confiance dès qu’il tombe sur des dorures : « C’était
comme avec mon beau livre, la chronique illustrée de cette guerre, qui,
comme je ne la finissait jamais, était un tel poids pour moi. Elle m’inté-
ressait : les plans de ses batailles m’étaient familiers; et pourtant le malaise
que faisait naître en moi sa couverture aux impressions d’or ne cessait de
croître 3. » De même, le cycle de fresques dorées du portique symbolisait
à ses yeux l’Enfer de Dante tel qu’il le connaissait par les illustrations de
Gustave Doré. À cela s’opposait le « nimbe de grâce qui entourait en haut
la Victoire rayonnante ».
Sous l’effet du hachich, cet ange, habitant du « ciel au-dessus de Berlin » 4,
inspirera à Benjamin l’épigraphe d’Enfance berlinoise : « Ô colonne de
la victoire, dorée comme un biscuit glacé par la neige des jours de l’en-
fance 5. » Les gens qui montaient là-haut, avec leurs silhouettes noires,
1. Ibid., p. 36.
2. Ibid., p. 37.
3. Id.
4. [Allusion à Der Himmel über Berlin, le film de Wim Wenders, que celui-ci intitulera en fran-
çais Les Ailes du désir. (N.D.É.)]
5. Ibid., p. 29 (traduction légèrement modifiée).
lui rappellent les figurines de ses planches à découper ; l’éternel dimanche
qui les entourait, l’éternelle fête de la Victoire n’avait plus rien à voir
avec l’événement historique. Ce sont là les images du bonheur que l’en-
fant confectionne en détournant les symboles d’une nation guerrière ; à
partir du monument d’une histoire meurtrière il se compose une marche
militaire mozartienne, ou encore une valse de Vienne, telle qu’elle accom-
pagne, depuis l’« île Rousseau », les patineurs sur le lac du Tiergarten 1.
C’est dans ce même esprit que Benjamin évoque la chasse aux papillons
à proximité de la résidence d’été de ses parents à Potsdam, près des châteaux
des rois de Prusse : « L’été, écrit Benjamin, me rapprochait des Hohen-
zollern 2 » ; d’ailleurs, à l’époque où Benjamin était enfant, ils régnaient
encore.
170
Interdits et frontières
1. Ibid., p. 87.
2. Ibid. p. 125 ; cf. p. 41 sq.
3. WALTER BENJAMIN, « Chronique berlinoise », Écrits autobiographiques, op. cit., p. 280.
4. WALTER BENJAMIN, Enfance berlinoise, op. cit., p. 108.
deux régions maudites, à Berlin peut-être encore plus qu’ailleurs, en raison
de leur proximité menaçante. La sexualité est associée à l’animalité sauvage,
à tel point que le jeune Benjamin – qui rencontre ici sa « Passante » –
s’interdit de voir ce qu’il désire le plus :
1. Ibid., p. 86 sq.
2. Ibid., p. 109.
3. Id.
Dans le même esprit, le jeune Benjamin fuit les contraintes des céré-
monies religieuses. Un texte – que Scholem, sans doute choqué, lui avait
conseillé d’écarter (ce qu’il fit dans les dernières versions) – évoque l’« éveil
du sexe », un jour du Nouvel An juif, lorsqu’il doit retrouver un parent
éloigné pour l’accompagner à la synagogue. Mais Benjamin se perd :
1. Ibid., p. 53.
2. Ibid., p. 122.
de l’homme. Ce bruit des tapis battus, c’était l’idiome de la classe infé-
rieure, de vrais adultes 1 ». Benjamin est convaincu que les cariatides de
la loggia, sur lesquelles s’appuie celle de l’étage supérieur, ont chanté à
son berceau. C’est dans l’air de ces cours, pense-t-il dans ce texte « Loggias »
qu’il considérait comme un autoportrait, « que baignent les images et les
allégories qui règnent sur ma pensée comme les cariatides des loggias
sur les cours du vieil Ouest de Berlin 2 ». Il applique à son enfance l’idée
de sa théorie mimétique du langage ; c’est dans ce cadre de la ville de
Berlin qu’il a commencé à la fois à lire les signes du monde et à être lu
par un environnement auquel il s’est mis à ressembler, auquel il doit l’es-
sentiel de son être et de ses dons.
S’il a échoué dans sa vie, c’est, croit-il, non seulement en raison des
circonstances, mais aussi parce qu’il a oublié une part essentielle de son 173
1. Ibid., p. 85.
2. Ibid., p. 119.
3. WALTER BENJAMIN, « Franz Kafka », in Essais, I, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Denoël-
Gonthier, 1983, p. 198. [« Franz Kafka. Pour le dixième anniversaire de sa mort », trad. revue
par Pierre Rusch, Œuvres, III, op. cit., p. 445-446. Voir la correspondance des éditions in « Notice
bibliographique », p. 195-210. (N.D.T.)]
4. Ibid., p. 197.
oubliant ses origines, elle perd sa présence d’esprit et son initiative, subis-
sant dès lors les événements. C’est aussi le cas de Benjamin, tel qu’il se
peint dans Enfance berlinoise. Là où il voit apparaître le petit bossu, cet
avertisseur de l’oubli, il n’a « plus qu’à contempler les dégâts 1 ».
1. [En français : Correspondance Adorno-Benjamin, trad. Philippe Ivernel, avec une présentation
d’Enzo Traverso, Paris, La Fabrique, 2002, 450 p.; édition revue (avec l’aide de Guy Petitdemange),
Paris, Gallimard, « Folio essais », 2006, 412 p. (N.D.T.)]
surprises, et l’on perçoit mieux la relation très singulière entre ces deux
philosophes si proches par leur idéal philosophique et qui, sans doute
pour cette raison même, les a souvent si passionnément opposés.
Un incident du début de leur correspondance est révélateur de leur
rivalité. Dans son cours inaugural à l’université de Francfort sur
« L’Actualité de la philosophie » (1931), Adorno avait développé une
idée dont certains amis de Benjamin, notamment Ernst Bloch, considé-
raient qu’elle était profondément benjaminienne. La tâche de la philoso-
phie, avait écrit Adorno, « n’est pas d’étudier les intentions cachées, présentes
dans la réalité, mais d’interpréter la réalité dépourvue d’intentions, en
dégageant, par la construction de figures, d’images, à partir des éléments
isolés de la réalité les questions qu’il incombe à la science de formuler
176 de façon précise ».
« Je souscris à cette phrase, écrit Benjamin dans sa lettre du 17 juillet
1931. En revanche, je n’aurais guère pu l’écrire, sans renvoyer du même
coup à l’introduction à l’Origine du drame baroque allemand, livre dans
lequel cette idée, tout à fait incomparable et, dans le sens relatif et modeste
dans lequel on peut dire de telles choses, neuve, a été énoncée. À ma place,
je n’aurais pu omettre ici une référence à l’Origine du drame baroque
allemand. Ne me faut-il pas ajouter maintenant : encore moins à votre
place ? » (Briefwechsel, 18). Benjamin ajoute cependant qu’il « souhaite
préserver notre camaraderie philosophique aussi pure et vive qu’elle l’était
jusqu’ici » (18).
La lettre suivante de Benjamin, en réponse à une lettre perdue d’Adorno,
n’est pas encore tout à fait dépourvue d’aigreur : « Je crois que nous voyons
la fin. Que votre ouvrage paraisse, c’est là mon souhait sincère et même
pressant. Comment pourrais-je m’opposer à la manifestation program-
matique d’une idée qui est à tel point la mienne » (21). Visiblement, Adorno
lui a entre-temps suggéré deux formes de reconnaissance de dette : une
dédicace ou une épigraphe ; Benjamin poursuit en effet : « J’espère que
vous ne voyez pas d’inconvénient à ce que je préfère une dédicace à une
épigraphe. » – Finalement, l’ouvrage ne sera pas publié du vivant d’Adorno;
quant au manuscrit posthume, il ne porte ni dédicace ni épigraphe.
À ce stade de leur « camaraderie », Benjamin marque donc un point.
Adorno lui restera obligé et, par sincère amitié, fera beaucoup pour le
soutenir, matériellement et moralement, au cours de la difficile période
de l’exil français. Mais, intellectuellement, il montrera qu’il a assimilé la
leçon de son ami et maître, non seulement au point de voler de ses propres
ailes, mais au point de réaliser à sa place, ou de façon plus parfaite que
lui, l’idée philosophique qui leur est commune. C’est la raison pour laquelle,
peu d’années plus tard, Adorno répondra aux manuscrits et aux publica-
tions de Benjamin par deux stratégies : l’une consiste à exalter leur accord
en renvoyant à ses propres écrits qui expriment déjà des idées très proches,
l’autre à contester les développements de Benjamin en soulignant à quel
point il reste en deçà de ce que l’on pouvait attendre de lui.
Avant ces échanges ardus, souvent embarrassants pour Benjamin qui
doit parfois admettre la justesse des objections adorniennes et qui, d’autres
fois, renonce à se défendre, peut-être pour ne pas aller jusqu’à la rupture 177
II
III
1. THEODOR W. ADORNO, Dialectique négative, trad. Collège de philosophie, Paris, Payot, 1978,
p. 162 sq.
catégorie du sacrifice, au moyen de laquelle le système se surmonte lui-
même, maintient, en même temps et dans une complète absurdité, la philo-
sophie de Kierkegaard sous la forme du système en tant qu’unité
compréhensive, par l’abstraction sacrificielle à même tous les phénomènes
rencontrés. C’est dans le sacrifice intellectuel que le fondement mythique
du sacrifice apparaît de la façon la plus pure et sa fonction historique de
la façon la plus spontanée ; tous deux se rencontrent sur la scène de l’es-
prit et rendent l’idéalisme dialogique, en tant que drame historique de la
pensée mythique. Mais l’idéalisme se révèle finalement comme mythique,
étant incapable, au moment où il se surmonte lui-même, de remplir pour-
tant de façon immanente la prétention à la réconciliation qu’il émet »
(181 sq).
186 Une telle réconciliation, telle que le jeune Benjamin l’avait décrite
dans son essai sur Hölderlin, n’est donnée qu’à une pensée qui renonce
au sacrifice : « Là où la nature, sans renoncement, persévère comme pouvoir
pulsionnel désirant et comme conscience parlante, elle est capable de
subsister, tandis qu’elle succombe à elle-même dans le sacrifice – la nature
qu’on ne peut en vérité chasser avec une fourche et qui revient jusqu’à
ce que le génie se réconcilie avec elle » (205 sq). Cela dit, Adorno croit
découvrir – c’est une réponse à la quatrième question – une ébauche de
réconciliation dans le parti pris de Kierkegaard pour l’imagination. Celle-
ci est « l’organon d’un passage sans rupture de l’historico-mythique à la
réconciliation » (230 sq). C’est ce qui lui permet de sauver Kierkegaard :
« Dans l’imagination, la nature elle-même se surpasse ; la nature qui, en
elle, a l’intuition d’elle-même ; la nature qui, dans le plus minime dépla-
cement par l’imagination, se présente comme nature sauvée. Dans un dépla-
cement : car l’imagination n’est pas intuition, laquelle laisse l’étant comme
il est ; dans l’intuition, elle pénètre imperceptiblement dans l’étant pour
accomplir son ordonnancement en image. Kierkegaard a perçu le modèle
de cet accomplissement, au-dessous de toute “forme” esthétique auto-
nome, dans le comportement de l’enfant qui découpe des illustrations »
(231 sq). Un tel travail de l’imagination dans l’infiniment petit est pour
Adorno la véritable « construction de l’esthétique » que la théorie ambi-
tieuse de Kierkegaard a manquée, mais que quelques-unes de ses images
d’écrivain anticipent.
La démarche adornienne, presque parfaitement mise en place dès le
Kierkegaard, est donc un enchevêtrement spéculatif assez difficile à démêler.
Ce qui a pu heurter nombre de ses lecteurs, c’est le fait que Adorno n’en-
gage pas réellement une argumentation avec les auteurs qu’il critique. Les
textes philosophiques sont lus comme des œuvres littéraires. Leurs argu-
ments sont une chose, d’ailleurs le plus souvent rapidement écartés comme
abstraits ou apologétiques. Ce qui importe surtout, c’est, d’un côté, la dimen-
sion idéologique qui permet de rattacher la pensée à des tendances inavouables
de la société, et, de l’autre, la dimension métaphorique par laquelle la pensée
trahit ses plus profonds ancrages et penchants, mais aussi offre des moyens
qui permettent dans certains cas de la sauver. Ce qui peut provoquer le
rejet d’une telle lecture, c’est l’aspect irrationnel du partage entre le pire
soupçon et le sauvetage, qui peut se rattacher aux mêmes propos, à travers, 187
IV
Les articles qui composent ce recueil furent La lecture suffirait à elle seule à nous re- 195
rédigés entre 1982 et 1996, dans une période pérer dans les méandres éditoriaux si quatorze
d’effervescence des études benjaminiennes, coïn- années supplémentaires ne nous séparaient dé-
cidant exactement avec, d’une part, la publica- sormais du dernier des articles ici repris.
tiondesinéditsdeBenjaminenallemandet,d’autre Or le paysage a beaucoup changé en une
part, celle de ses chefs d’œuvre en français – et, décennie et demie, et dans des proportions très
bien entendu, avec des décalages et des effets différentes de part et d’autre du Rhin.
de non-contemporanéité toujours significatifs. En Allemagne, après les deux premières
L’objet de ces articles était toujours multiple : vagues de publications (1950-1970, 1972-1995),
faire état de la recherche allemande et témoi- qui ont permis, si l’on ose dire, la naissance
gner en avant-garde de ce qu’elle révélait de « posthume » de l’œuvre benjaminienne, une
l’œuvre benjaminienne ; préparer ce faisant la troisième vague s’est désormais levée. Lente,
voie, et contribuer sans plus attendre à l’actua- elle s’est, il y a peu, suffisamment gonflée pour
lisation de la recherche française; enfin, constater prétendre emporter tout ce qu’ont déposé les
– déplorer, le cas échéant – les décalages, par deux vagues précédentes. Elle tire sa dynamique,
une évaluation sans concession de leurs causes, semble-t-il, de la volonté de plus en plus affir-
et imaginer si possible des moyens à leur mée d’affranchir désormais, autant que possible,
comblement. Dans tous les cas, il s’agissait, à l’œuvre de Benjamin des marques profondes
la lumière des matériaux les plus récents, de qu’ont laissé les « obstétriciens » – Gershom
faire chatoyer aux yeux du lecteur l’œuvre de Scholem, Theodor et Gretel W. Adorno et Rolf
Benjamin au meilleur de son sens. Tiedemann. Ainsi, après la publication, tout à
Des quelques 525 textes achevés et 193 fait bien venue, de la correspondance complète
fragments que compte l’œuvre, plus d’un quart de Walter Benjamin (1995-2000) établie par
est ici convoqué, et toujours dans la situation Christoph Gödde et Henri Lonitz, les actuels
éditoriale du moment, allemande ou française directeurs du Theodor W. Adorno-Archiv
– allemande et française –, de sorte qu’un même (dont dépend désormais le Walter Benjamin-
texte peut fort bien être cité, au fil des quatorze Archiv), c’est une nouvelle publication inté-
années qui séparent le premier article du dernier, grale des œuvres et inédits de Benjamin qui
à partir de trois ou quatre recueils différents. est engagée depuis 2008 chez le même éditeur !
Que l’édition Tiedemann ne soit pas parfaite, recueil et qui appartiennent à différentes
on peut en convenir ; que nous disposions de époques.
moyens techniques, voire théoriques, d’une Malgré son relatif volume, cette note
meilleure approche textologique, on peut l’ad- bibliographique n’a pas vocation à l’exhaus-
mettre, mais, en ces temps de disette éditoriale, tivité, son noyau n’étant composé que des textes
une pareille gageure, si elle laisse rêveur, offre de Benjamin qui sont ici mentionnés de
aussi à méditer. Quel autre auteur que Benjamin manière directe ou indirecte (III).
peut susciter une telle ferveur qu’il « engendre » Ces textes sont rangés dans l’ordre alpha-
de manière posthume deux éditions intégrales bétique strict (article compris), numérotés et datés.
de ses œuvres en moins de quarante ans ? Sous leur occurrence, nous avons indiqué,
En France, les études benjaminennes ne supra, leur situation dans l’édition des Gesam-
se sont certes pas encore enfiévrées de pareille melte Schriften et, infra, dans l’ordre chrono-
manière. La dernière décennie fut même de logique, leur situation dans les différents recueils
vaches un peu maigres, de sorte qu’à l’entrée français qui les contiennent – les abréviations
de la décennie suivante on peut dire que ce sont, étant indiquées plus haut (I. 2 et II), en préalable
196 en fin de compte, les non-contemporanéités qui à chaque occurrence des recueils concernés.
paraissent l’emporter. Si la troisième vague alle- En effet, nous livrons en amont, pour
mande a peut-être débordé du Rhin pour attein- mémoire, les principales éditions allemandes
dre la Seine, c’est sans tambour ni trompette antérieures aux Gesammelte Schriften (I. 1) ;
– une version française de l’édition intégrale de puis, la composition de ces mêmes Gesammelte
Gödde et Lonitz est, semble-t-il, engagée si l’on Schriften (I. 2) ; enfin (I. 3), les références aux
en juge à la parution en 2009 de son tome 3 volumes parus (à l’automne 2010) des Werke
mais l’initiative n’est pas l’objet d’une publi- und Nachlass. Kritische Gesamtausgabe (pour
cité tous azimuts ; par ailleurs, le seul recueil information, nous fournissons en note le
paru en 2010 est celui initié par Michaël Löwy, programme de parution de cette nouvelle
Romantisme et Critique de la civilisation (cf. édition).
infra), qui puise dans le fonds mis à jour par Nous proposons ensuite (II), l’ensemble
la seconde vague allemande de publications, des éditions françaises. Sous chaque occurrence,
tout en prolongeant ou réactualisant un débat précédée de son abréviation usuelle, on trou-
engagé outre-Rhin à la fin des années 1960, vera, indiqués par leur numéro, les textes issus
au terme de la première vague… de la liste établie en III.
Dans ce contexte, les analyses de Rainer Enfin, en aval (IV), nous donnons l’en-
Rochlitz ne perdent rien de leur actualité si l’on semble des références relatives à la corres-
est à même d’effectuer les nécessaires trans- pondance, éditions allemandes et françaises.
lations. Sachant à quel point il admirait le travail Dans le corps du recueil, l’ensemble des
éditorial de Tiedemann, chaque article de ce références renvoient à l’édition des Briefe de
recueil en atteste, nous ne pouvons que regretter 1966 dans la traduction de Guy Petitdemange
de ne jamais devoir connaître son appréciation (Paris, Aubier, 1979), sauf lorsqu’elles sont issues
de l’évolution actuelle des études benjaminiennes de l’appareil critique des Gesammelte Schriften,
et d’être contraint de poursuivre ces analyses ou – dans un seul cas (voir le dernier article du
à nos propres frais. Pour rendre cette tâche moins recueil) – d’une édition séparée (en l’occur-
ardue à partir des éléments contenus dans ce rence, Correspondance Adorno-Benjamin).
recueil nous avons donc cru bon de réunir ici
les éléments bibliographiques qui émaillent ce C. B.
I. 1. Principales éditions allemandes [Traités], 1974, 1275 p.
antérieures aux Gesammelte Schriften GS II.1, II.2, II.3 : Gesammelte Schriften II en
trois volumes (II.1, II.2, II.3), Aufsätze,
Berliner Kindheit um Neunzehndert [Enfance Essays, Vorträge [articles, essais, confé-
berlinoise autour de 1900], postface de rences], ibid., 1526 p. 1977.
Theodor W. Adorno, Francfort-sur-le-Main, GS III : Gesammelte Schriften III, Kritiken und
Suhrkamp, 1950. Rezensionen [Critiques et recensions],
Schriften [Écrits], texte établi par Theodor W. 1972, 727 p.
Adorno et Gretel Adorno avec la collab. GS IV.1, IV.2 : Gesammelte Schriften IV en
de Friedrich Podszus, postface de Th. W. deux volumes (IV.1, IV.2), Kleine Prosa.
Adorno, ibid., 1955, XXVIII et 656 p., et Baudelaire-Übertragungen [Petits textes
544 p. en prose. Translation de Baudelaire],
Illuminationen. Ausgewählte Schriften 1 1972, 1178 p.
[Illuminations. Textes choisis 1], texte GS V.1, V.2 : Gesammelte Schriften V en deux
établi par Siegfried Unseld, ibid., 1961. volumes (V.1, V.2), Das Passagen-Werk
Deutsche Menschen [Allemands], éd. et post- [Sur les passages (parisiens)], 1982, 1354 p. 197
face de Theodor W. Adorno, ibid., 1962. GS VI : Gesammelte Schriften VI, Fragmente.
Ursprung des deutschen Trauerspiel [Origine Autobiographische Schriften [Fragments.
du drame baroque allemand], texte établi Écrits autobiographiques], 1985, 840 p.
par Rolf Tiedemann, ibid., 1963. GS VII.1, VII.2 : Gesammelte Schriften VII en
Charles Baudelaire. Tableaux parisiens, texte deux volumes (VII.1, VII.2), Nachträge
français et allemand, ibid., 1963. [Addenda], 1989, 1024 p.
Versuche über Brecht [Essais sur Brecht], éd. GS Sup1 : Gesammelte Schriften – Supplement
et postface de Rolf Tiedemann, ibid., 1966 ; I (Sup1), Kleinere Übersetzungen : Tristan
nouvelle éd. revue et augmentée par R. Tzara, D’Annunzio, Aragon, Proust, Léon
Tiedemann, ibid., 1978. Bloy, Adrienne Monnier, Saint-John Perse,
Angelus Novus. Ausgewählte Schriften 2 Balzac, Jouhandeau [Traductions de textes
[Angelus Novus. Textes choisis 2], ibid., brefs…], 1999, 457 p.
1966. GS Sup2 : Gesammelte Schriften – Supplement
Charles Baudelaire. Ein Lyriker im Zeitalter II (Sup2), Marcel Proust, „Im Schatten der
des Hochkapitalismus [Charles Baudelaire. jungen Mädchen“ [Marcel Proust, À
Un poète lyrique à l’apogée du capita- l’ombre des jeunes filles en fleurs], 1987,
lisme], deux fragments, édition et postface 535 p.
de Rolf Tiedemann, ibid., 1969. GS Sup3 : Gesammelte Schriften – Supplement
Berliner Chronik, édition et postface de III (Sup3), Marcel Proust, „Guermantes“
Gershom Scholem, ibid., 1970. [Marcel Proust, Le Côté de Guermantes],
1987, 596 p.
I. 2. Gesammelte Schriften, sous la direction
de Rolf Tiedemann et Hermann I. 3. Werke und Nachlass. Kritische Gesamt-
Schweppenhäuser, Francfort-sur-le-Main, ausgabe [Œuvres et inédits. Édition critique
Suhrkamp, 1972-1999. intégrale], sous la dir. de Christoph Gödde
et Henri Lonitz, Francfort-sur-le-Main,
GS I.1, I.2, I.3 : Gesammelte Schriften I en trois Suhrkamp, (2008-2018)
volumes (I.1, I.2, I.3), Abhandlungen
Voici le programme de publication de cette édition, XIXe siècle], sous la dir. de Christoph Gödde
tel qu’il fut publié au moment du lancement (un (Francfort/M.) et Henri Lonitz (Francfort/M.) –
certain retard — d’un an environ — semble déjà avoir (paraîtra en 4 volumes, à la fois au format de lecture
été pris sur ces prévisions initiales) : tome 1 : in-8° et au format in-4° avec un fac-similé quadri-
Jugendschriften [Écrits de jeunesse], sous la dir. de chrome du manuscrit), entre 2016 et 2018 ;
Ralf Konersmann et Johann Kreuzer (Oldenburg), tome 18 : Charles Baudelaire. Ein Lyriker im Zeitalter
2010/2 ; tome 2 : Philosophische und ästhetische des Hochkapitalismus [Charles Baudelaire. Un poète
Schriften [Écrits philosophiques et esthétiques], sous lyrique à l’apogée du capitalisme], sous la dir. de
la dir. de Ralf Konersmann et Johann Kreuzer Christoph Gödde (Francfort/M.) et Henri Lonitz
(Oldenburg), 2010/2 ; tome 4 : Goethes Wahl- (Francfort/M.) – (paraîtra, en même temps, au format
verwandtschaften [Les Affinités électives de Goethe], de lecture in-8° et au format in-4° avec un fac-similé
sous la dir. d’Ursula Marx (Berlin) et Uwe Steiner quadrichrome du manuscrit), 2013/1 ; tome 20 :
(Houston), entre 2016 et 2018 ; tome 5 : Gedichte Notizhefte und Notizblocks [Cahiers et blocs de notes],
und Erzählungen [Poèmes et contes], sous la dir. sous la dir. de Christoph Gödde (Francfort/M.) et Henri
de Chryssoula Kambas (Osnabrück), 2014/1 ; Lonitz (Francfort/M.) – (paraîtra en deux volumes,
tome 6 : Ursprung des deutschen Trauerspiels en même temps, au format de lecture in-8° et au
[Origine du drame baroque], sous la dir. de Klaus format in-4° avec un fac-similé quadrichrome du
198 Garber (Osnabrück), 2013/2 ; tome 7 : Charles manuscrit), entre 2016 et 2018 ; tome 21 :
Baudelaire, Tableaux Parisiens, sous la dir. de Laure Manuskriptkonvolute, Einzelblätter, Lichtenberg-
Bernardi (Paris) et Gérard Raulet (Paris) – (accom- bibliographie [Manuscrits épars, feuilles volantes,
pagné d’un CD-ROM comprenant l’ensemble des bibliographie de Lichtenberg], sous la dir. de Christoph
traductions de Benjamin avec l’original français en Gödde (Francfort/M.) et Henri Lonitz (Francfort/M.),
vis-à-vis), 2015/2 ; tome 9 : Arbeiten für und über entre 2016 et 2018.
den Rundfunk [Travaux sur et pour la radio], sous
la dir. de Thomas Küpper (Francfort/M.), 2011/2 ; La version française de cette édition, sous la
tome 11 : Berliner Chronik / Berliner Kindheit um direction de Gérard Raulet, est annoncée
neunzehnhundert [Chronique berlinoise / Enfance
chez Fayard, (Œuvres et inédits. Édition
berlinoise aux alentours de 1900], sous la dir. de
critique intégrale). Une première livraison
Burkhardt Lindner (Francfort/M.) – (paraîtra, en même
(le tome 3) a paru à l’automne 2009.
temps, au format de lecture in-8° et au format in-
4° avec un fac-similé quadrichrome du manuscrit),
2012/1 ; tome 12 : Essays zur Literatur [Essais sur Tome 3 : Der Begriff der Kunstkritik in der deut-
la littérature], sous la dir. d’Erdmut Wizisla (Berlin), schen Romantik, Uwe Steiner (s.l.d.),
2014/2 ; tome 13 : Kritiken und Rezensionen ibid., 2008, 398 p.
[Critiques et recensions], sous la dir. de Heinrich Tome 10 : Deutsche Menschen, Momme
Kaulen (Marbourg), 2010/1 ; tome 14 : Aufsätze und Brodersen (s.l.d.), ibid., 2008, 542 p.
Feuilletons [Articles et points de vue], sous la dir. Tome 8 : Einbahnstraße, Detlev Schöttker
de Klaus Reichert (Francfort/M.), 2015/1 ; tome 15 :
(s.l.d.), ibid., 2009, 610 p.
Autobiographische Schriften und Protokolle zu
Tome 19 : Über den Begriff der Geschichte,
Drogenversuchen [Écrits autobiographiques et proto-
avec facsimilé quadrichrome, Gérard
coles de prises de drogue], sous la dir. d’Alexander
Honold (Bâle), entre 2016 et 2018 ; tome 16 : Das Raulet (s.l.d.), 2010, 380 p.
Kunstwerk im Zeitalter seiner technischen
Reproduzierbarkeit [L’œuvre d’art à l’époque de sa II. Éditions françaises
reproductibilité technique], sous la dir. de Burkhardt
Lindner (Francfort/M.), 2011/1 ; tome 17 : Pariser Œc : Œuvres choisies, trad. Maurice de
Passagen / Paris, die Hauptstadt des XIX. Gandillac, Paris, Julliard, 1959.
Jahrhunderts [Passages parisiens / Paris, capitale du [34, 44, 84, 93, 103, 113, 172]
EsB69 : Essais sur Brecht, trad. Paul Laveau, le Romantisme allemand, trad. Philippe
Paris, Maspéro, 1969 [trad. de Versuche Lacoue-Labarthe et Anne-Marie Lang,
über Brecht, 1966]. Paris, Flammarion, 1986.
[30, 55, 57, 77, 106, 109, 136, 156, 157, [98]
180] Rr : Rastelli raconte et autres récits, trad.
MV : 1. Mythe et violence, trad. Maurice de Philippe Jaccottet et Maurice de Gandillac,
Gandillac, Paris, Denoël, 1971. Paris, Le Seuil, 1987.
[32, 34, 44, 45, 58, 63, 78, 79, 93, 95, 110, [10, 11, 50, 65, 89, 90, 91, 102, 103, 112,
113, 168, 169] 131, 143, 158, 159, 185]
PR : 2. Poésie et révolution, trad. Maurice de TPr : Trois pièces radiophoniques, trad. Rainer
Gandillac, Paris, Denoël, 1971. Rochlitz, Paris, Christian Bourgois, 1987.
[22, 59, 64, 84, 103, 123, 141, 144, 150, [26, 27, 125]
152, 166, 169, 172] LpE : Lumières pour enfants, trad. de Sylvie
HLC : L’Homme, le langage et la culture, trad. Muller, Paris, Christian Bourgois, 1988.
Maurice de Gandillac, Paris, Denoël- [21, 23, 25, 42, 80, 85, 86, 87, 88, 96, 99,
Gonthier, 1974. 100, 101, 111, 115, 116, 117, 118, 119, 199
[34, 84, 95, 144, 150, 152, 166] 120, 122, 132, 153, 154, 155, 173, 175,
Su78 : Sens unique précédé de Enfance berli- 182, 187]
noise et suivi de Paysages urbains, trad. Su88 : Sens unique précédé de Enfance berli-
Jean Lacoste, Paris, Maurice Nadeau, 1978. noise et suivi de Paysages urbains, trad.
[51, 163] Jean Lacoste, éd. revue, Paris, Maurice
All. : Allemands. Une série de lettres, préf. de Nadeau, 1988.
Theodor W. Adorno, trad. Georges- [51, 163]
Arthur Goldschmidt, Paris, Hachette, coll. PLP : Paris, capitale du XIXe siècle. Le Livre
« P.O.L. », 1979. des Passages trad. Jean Lacoste, Paris, Le
[17] Cerf, 1989.
CB : Charles Baudelaire. Un poète lyrique à [144, 145, 146, 147, 148]
l’apogée du capitalisme, trad. Jean Lacoste, Éa : Écrits autobiographiques, trad. Christophe
Paris, Payot, 1979. Jouanlanne et Jean-François Poirier, Paris,
[105, 180, 189] Christian Bourgois, 1990, 1994.
E1 : Essais 1, trad. Maurice de Gandillac, Paris, [14, 15, 29, 36, 37, 38, 39, 40, 41, 54, 68,
Denoël-Gonthier, 1983. 70, 71, 72, 126, 129, 130, 133, 134, 135,
[59, 64, 79, 113, 141, 149, 150] 136, 137, 138, 140, 151, 160, 171, 188]
E2 : Essais 2, trad. Maurice de Gandillac, Paris, Éf : Écrits français, intro. et notices de Jean-
Denoël-Gonthier, 1983. Maurice Monnoyer, Paris, Gallimard,
[84, 103, 123, 144, 152, 166, 172] 1991, 2003 [nos références renvoient à cette
JdM : Journal de Moscou, trad. Jean-François dernière édition].
Poirier, Paris, L’Arche, 1983. [12, 18, 53, 66, 81, 104, 139, 145, 160,
[69] 166]
ODb : Origine du drame baroque allemand, Œ1 : Œuvres I [1914-1925], trad. Maurice de
trad. Sibylle Muller, Paris, Flammarion, Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Rochlitz,
1985. Paris, Gallimard, 2000.
[92, 142, 178] [19, 34, 44, 45, 58, 78, 93, 95, 113, 165,
CCe : Le Concept de critique esthétique dans 168, 170]
Œ2 : Œuvres II [1926-1934], trad. Maurice GS VI, 14.
de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer FPPCL, 13.
Rochlitz, ibid., 2000. 2. < Fr. 5, Le squelette du mot > (< Fr. 5,
[13, 22, 31, 32, 33, 56, 59, 60, 61, 62, 63, Das Skelett des Wortes >) [1920-1921].
64, 67, 73, 74, 75, 76, 79, 94, 97, 110, 141, GS VI, 15.
149, 150, 161, 164, 169, 177, 184] FPPCL, 14.
Œ3 : Œuvres III [1935-1940], trad. Maurice 3. < Fr. 19, Sur la perception > (< Fr. 19,
de Gandillac, Pierre Rusch et Rainer Über die Wahrnehmung >) [1917].
Rochlitz, ibid., 2000. GS VI, 33-38.
[30, 49, 82, 84, 103, 121, 123, 144, 152, FPPCL, 35-40.
156, 166, 172] 4. < Fr. 25, Théorie de la connaissance >
FPPCL : Fragments philosophiques, politiques, (< Fr. 25, Erkenntnistheorie >) [≈1920-
critiques, littéraires, trad. Christophe 1921].
Jouanlanne et Jean-François Poirier, Paris, GS VI, 45-46.
PUF, 2001. FPPCL, 47-48.
200 [1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9] 5. < Fr. 26, Vérité et vérités — Connaissance
EsB03 : Essais sur Brecht, trad. Philippe et connaissances > (< Fr. 4, 26, Wahrheit
Ivernel, Paris, La Fabrique, 2003 [trad. de und Wahrheiten — Erkenntnis und
Versuche über Brecht, 1978]. Erkenntnisse >) [≈1920-1921].
[20, 30, 57, 77, 106, 109, 126, 133, 136, GS VI, 46-48.
156, 157, 174, 180] FPPCL, 49-50.
RCC : Romantisme et Critique de la civilisa- 6. < Fr. 74, Le capitalisme comme religion >
tion, textes choisis et présentés par Michaël (< Fr. 19, Kapitalismus als Religion >) [mi-
Löwy, trad. Christophe David et Alexandra 1921 au plus tard].
Richter, Paris, Payot, 2010. GS VI, 100-103.
[16, 24, 35, 46, 47, 48, 92, 107, 114, 162, FPPCL, 110-114.
178, 179, 181, 183, 186] 7. < Fr. 132, Programme de la critique litté-
Œ&I 3 : Œuvres et inédits. Édition critique raire > (< Fr. 19, Programm der literari-
intégrale, éditée par Christoph Gödde et schen Kritik >) [1920-1930].
Henri Lonitz, édition française sous la GS VI, 161-167.
responsabilité de Gérard Raulet. Tome 3 : FPPCL, 201-207.
Le Concept de critique esthétique dans le 8. < Fr. 136.1, « Première forme de la
romantisme allemand, édition préparée par critique, celle qui se refuse à juger » > (< Fr.
Uwe Steiner, traduction de l’allemand par 136.1, „Erste Form der Kritik…“ >) [ap.
Philippe Lacoue-Labarthe, Anne-Marie juin 1930].
Lang [cf. supra CCe] et Alexandra Richter GS VI, 170.
pour l’appareil critique, Paris, Fayard, 2009. FPPCL, 211.
[98] 9. < Fr. 138, « Presque tout ce qui existe en
matière d’histoire matérialiste de la
III. Textes mentionnés dans le recueil nature » > (< Fr. 138, „Es kommt doch
bei fast allem…“ >) [≈1931].
1. < Fr. 4, « À propos de VI, V et IV… » > GS VI, 172.
(< Fr. 4, Gegenstand = Dreieck >) [1916- FPPCL, 212.
1917]. 10. « Dem Staub, dem beweglichen, einge-
zeichnet » („Dem Staub, dem beweglichen, 20. Bert Brecht (Bert Brecht).
eingezeichnet“) [1929]. GS II.2, 660-667.
GS IV.2, 780-788. EsB03, 8-17.
Rr, 131-142. 21. Borsig (Borsig) [1930].
11. À la minute (Auf die Minute) [1934]. GS VII.1, 111-117.
GS IV.2, 761-763. LpE, 73-81.
Rr, 97-102. 22. Brèves ombres [I et II] (Kurze Schatten)
12. À propos de quelques motifs baudelairiens [1933].
[résumé en français, sans doute de W. B.] GS IV.1, 368-373 et 425-428.
[1939]. PR, 53-62 ; Œ2, 340-354.
GS I.3, 1187-1188. 23. Cagliostro (Cagliostro) [1931].
Éf, 316-318. GS VII.1, 188-194.
13. Adrienne Mesurat („Adrienne Mesurat“) LpE, 179-187.
[1928]. 24. Carl Albrecht Bernoulli, Johann Jacob
GS III, 153-156. Bachofen et la symbolique de la nature
Œ2, 109-112. (Carl Albrecht Bernoulli, „Johann Jacob 201
14. Agesilaus Santander. Deuxième version Bachofen und das Natursymbol“) [1926].
(Agesilaus Santander. Zweite Fassung) GS III, 43-35.
[1933]. RCC, 113-115.
GS VI, 521. 25. Caspar Hauser (Caspar Hauser) [1930].
Éa, 335. GS VII.1, 174-180.
15. Agesilaus Santander. Première version LpE, 159-167.
(Agesilaus Santander. Erste Fassung) 26. Ce que les Allemands lisaient à l’époque
[1933]. où leurs auteurs classiques écrivaient
GS VI, 520. (Was die Deutschen lasen, während ihre
Éa, 333. Klassiber schrieben) [1932].
16. Albert Béguin, L’Âme romantique et le rêve GS IV.2, 641.
(Albert Béguin, „L’Âme romantique et le TPr, 7-48.
rêve“) [1939]. 27. Chahut autour de Polichinelle (Radau um
GS III, 557-560. Kasperl) [1932].
RCC, 231-235. GS IV.2, 674.
17. Allemands (Deutsche Menschen) [1936]. TPr, 83-113.
GS IV.1, 149-234. 28. Charles Baudelaire, Tableaux parisiens
Allemands, 21-125. („Tableaux parisiens“, französich und
18. Allemands de quatre-vingt-neuf [en fran- deutsch, pub. Richard Weißbach,
çais, avec le concours de Marcel Stora] Heidelberg, 1923) [1915-1922].
[1939]. GS IV.1, 7-82.
GS IV.2, 863-880. 29. Chronique berlinoise (Berliner Chronik)
Éf, 344-369. [1932].
19. Annonce de la revue Angelus Novus GS VI, 465-519.
(Ankündigung der Zeitschrift: „Angelus Éa, 241-328.
Novus“) [1922]. 30. Commentaires sur les poèmes de Brecht
GS II.1, 241-246. (Kommentare zu Gedichten von Brecht)
Œ1, 266-273. [1939].
GS II.2, 539-572. 40. Curriculum vitae V (Lebenslauf < V >)
EsB69, 57-94 ; Œ3, 226-269 ; EsB03 [1938].
[Commentaires de…], 77-116. GS VI, 222 ; Éa, 37.
31. Contre un chef-d’œuvre. À propos du livre 41. Curriculum vitae, Dr Walter Benjamin
de Max Kommerell, L’Écrivain comme (Curriculum Vitae Dr. Walter Benjamin
guide dans la littérature classique alle- < VI >) [1940].
mande (Wider ein Meisterwerk) [1930]. GS VI, 225 ; Éa, 40.
GS III, 252-259. 42. De vraies histoires de chiens (Wahre
Œ2, 216-227. Geschichten von Hunden) [1930].
32. Conversation avec André Gide (Gespräch GS VII.1, 243-249.
mit André Gide) [1928]. LpE, 258-267.
GS IV.1, 502-509. 43. Des livres qui sont restés vivants (Bücher,
MV, 277-285 ; Œ2, 30-40. die lebendig geblieben sind) [1929].
33. Crise du roman. À propos de Berlin GS III, 161-171.
Alexanderplatz d’Alfred Döblin (Krisis des RCC, 125-127.
202 Romans) [1930]. 44. Destin et caractère (Schicksal und
GS III, 230-236. Charakter) [1919].
Œ2, 189-197. GS II.1, 171-179.
34. Critique de la violence (Zur Kritik der Œc, 47-56 ; MV, 151-160 ; Œ1, 198-
Gewalt) [1921]. 209.
GS II.1, 179-203. 45. Deux poèmes de Friedrich Hölderlin (Zwei
Œc [Prolégomènes à une critique de Gedichte von Friedrich Hölderlin) [1915].
la violence], 15-46 ; MV [Pour une GS II.1, 105-126.
critique de la violence], 121-148 ; HLC, MV, 51-78 ; Œ1, 91-124.
23-55 ; Œ1, 210-243. 46. Dialogue sur la religiosité du temps présent
35. Critique théologique [À propos de Figures (Dialog über die Religiosität der
d e n o tr e te m p s d e W i l l y H a a s ] Gegenwart) [1912].
(Theologische Kritik) [1931]. GS II.1, 16-35.
GS III, 275-278. RCC, 25-49.
RCC, 131-135. 47. Du bourgeois cosmopolite au grand bour-
36. Curriculum vitae I (Lebenslauf < I >). geois (Vom Weltbürger zum Großbürger
GS VI, 215. [mit Willy Haas]) [1932].
Éa, 25. GS IV.2, 815-862.
37. Curriculum vitae II (Lebenslauf RCC, 153-207.
< II >)[1928]. 48. E.T.A. Hoffmann et Oscar Panizza (E.T.A.
GS VI, 216. Hoffmann und Oskar Panizza) [1930].
Éa, 27. GS II.2, 641-648.
38. Curriculum vitae III (Lebenslauf RCC, 137-145.
< III >)[1928]. 49. Eduard Fuchs, collectionneur et historien
GS VI, 215. (Eduard Fuchs, der Sammler und der
Éa, 30. Historiker) [1937].
39. Curriculum vitae IV (Lebenslauf GS II.2, 465.
< IV >)[1934]. Œ3, 170-225.
GS VI, 220 ; Éa, 33. 50. En regardant passer le corso (Gespräch
über dem Corso) [1935]. part.], 181-208 ; Œ2, 410-453.
GS IV.2, 763-771. 60. Franz Kafka, Lors de la construction de
Rr, 103-114. la Muraille de Chine (Franz Kafka „Beim
51. Enfance berlinoise vers mil neuf cent Bau der Chinesischen Mauer“) [1931].
[Version Adorno-Rexroth] (Berliner GS II.2, p.676-683.
Kindheit um Neunzehnhundert [Adorno- Œ2, 284-294.
Rexroth Fassung]). 61. Goethe (Goethe) [1928].
GS IV.1, 235. GS II.2, 705-739.
Su78, 29-145 ; Su88, 27-135. Œ2, 59-108.
52. Enfance berlinoise vers mil neuf cent 62. Gottfried Keller (Gottfried Keller) [1926].
[Version de dernière main] (Berliner GS II.1, 283-295.
Kindheit um Neunzehnhundert [Fassung Œ2, 11-29.
letzter Hand]) [1938]. 63. Hachisch à Marseille (Haschisch in
GS VII, 1, 385. Marseille) [1932].
53. Enfance Berlinoise. Cinq fragments GS IV.1, 409-416.
[traduction de W. B. avec la collab. de Jean MV, 287-296 ; Œ2, 48-58. 203
Selz) [1933]. 64. Histoire littéraire et science de la littéra-
GS IV.2, 979-986. ture (Literaturgeschichte und
Éf, 77-96. Literaturwissenschaft) [1931].
54. Espagne 1932 (Spanien 1932) [1932]. GS III, 283-290.
GS VI, 446-464. PR, 7-14 ; E1, 141-148 ; Œ2, 274-
Éa, 213-238. 283.
55. Études sur la théorie du théâtre épique 65. Histoires nées de la solitude (Geschichten
(Studien zur Theorie des epischen Theaters) aus der Einsamkeit) [1933].
[1930]. GS IV.2, 755-757.
GS II.3, 1380-1382. Rr, 83-88.
EsB69, 35-37. 66. Johann Jakob Bachofen [en français]
56. Expérience et pauvreté (Erfahrung und (Johann Jakob Bachofen) [1935].
Armut) [1933]. GS II.1, 219-233.
GS II.1, 213-219. Éf, 96-110.
Œ2, 364-373. 67. Johann Peter Hebel (Johann Peter Hebel)
57. Extrait du commentaire de Brecht (Aus dem [1929].
Brecht-Kommentar) [1930]. GS II.2, 635-640.
GS II.2, 506-510. Œ2, 162-169.
EsB69, 39-43 ; EsB03 [Extrait du 68. Journal de mon voyage de long de la Loire
Brecht-Kommentar], 48-53. (Tagebuch meiner Loire-Reise) [1927].
58. Fragment théologico-politique GS VI, 409-412.
(Theologisch-politisches Fragment) Éa, 151-157.
[1921]. 69. Journal de Moscou (Moskauer Tagebuch)
GS II.1, 203-204. [1927].
MV, 149-150 ; Œ1, 263-265. GS VI, 292-408.
59. Franz Kafka (Franz Kafka) [1934]. JdM, 13-216.
GS II.2, 409-438. 70. Journal de Pentecôte 1911 (Tagebuch
PR [trad. part.], 63-90 ; E1 [trad. Pfingsten 1911) [1911].
GS VI, 232-234. tion mécanisée [trad. franç. de W. B. avec
Éa, 52-57. la collab. de Pierre Klossowski] [1936].
71. Journal de Wengen (Tagebuch von GS I.2, 709.
Wengen) [1911]. Éf, 140-171.
GS VI, 235-241. 82. L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibi-
Éa, 58-69. lité technique [1ère version] (Das Kunstwerk
72. Journal du sept août mil neuf cent trente im Zeitalter seiner technischen
et un au Jour de [m]a mort (Tagebuch vom Reproduzierbarkeit. 1. Fassung) [1935].
siebenten August neunzehnhundertei- GS 1.2, 431-469.
nunddreißig bis zum Todestag) [1931]. Œ3, 67-113.
GS VI, 441-445. 83. L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibi-
Éa, 204-212. lité technique [2 ème version] (Das
73. Julien Green (Julien Green) [1929]. Kunstwerk im Zeitalter seiner techni-
GS II.1, 328-334. schen Reproduzierbarkeit. 2. Fassung)
204 Œ2, 170-178. [1936].
74. Karl Kraus (Karl Kraus) [1931]. GS VII.1, 350.
GS II.1, 334-367. 84. L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibi-
Œ2, 228-273. lité technique [3 ème version] (Das
75. Kierkegaard. À propos du Kierkegaard de Kunstwerk im Zeitalter seiner techni-
Theodor W. Adorno (Kierkegaard) [1933]. schen Reproduzierbarkeit. 3. Fassung)
GS III, 380-383. [1939].
Œ2, 355-358. GS 1.2, 471-469.
76. Kitsch onirique (Traumkitsch) [1926]. Œc [L’œuvre d’art au temps de ses
GS II.2, 620-622. techniques de reproduction], 193-236 ;
Œ2, 7-10. PR, 171-210 ; HLC, 137-181 ; E2, 27-
77. L’auteur comme producteur (Der Autor 126 ; Œ3, 269-316.
als Produzent) [1934]. 85. La Bastille, l’ancienne prison d’Etat fran-
GS II.2, 683-670. çaise (Die Bastille, das alte französische
EsB69, 107-128 ; EsB03, 122-144. Staatsgefängnis) [1931].
78. L’Idiot de Dostoïevski („Der Idiot“ von GS VII.1, 165-173.
Dostojewskij) [1917]. LpE, 147-156.
GS II.1, 237-241. 86. La catastrophe ferroviaire du Firth of Tay
MV, 115-120 ; Œ1, 166-171. (Die Eisenbahnkatastrophe vom Firth of
79. L’image proustienne (Zum Bilde Prousts) Tay) [1932].
[1929]. GS VII.1, 232-237.
GS II.1, 310-324. LpE, 242-249.
MV [« Pour le portrait de Proust »], 87. La chute d’Herculanum et de Pompéi
315-330 ; E1, 125-140 ; Œ2, 135-155. (Untergang von Herculanum und Pompeji)
80. L’incendie du théâtre de Canton [1931].
(Theaterbrand von Kanton) [1931]. GS VII.1, 214-220.
GS VII.1, 226-231. LpE, 217-225.
LpE, 234-241. 88. La folle journée (Ein verrückter Tag)
81. L’œuvre d’art à l’époque de sa reproduc- [1932].
GS VII.1, 306-315. 98. Le Concept de critique esthétique dans le
LpE, 268-280. Romantisme allemand (Der Begriff der
89. La haie de cactus (Die Kaktushecke) Kunstkritik in der deutschen Romantik)
[1933]. [1919].
GS IV.2, 748-755. GS I.1, 7-122.
Rr, 73-82. CCe, 27-177 ; Œ&I 3, 11-205.
90. La main heureuse (Die glückliche Hand) 99. Le dialecte berlinois (Berliner Dialekt)
[1935]. [1929].
GS IV.2, 771-777. GS VII.1, 68.
Rr, 115-124. LpE, 11-20.
91. La mort du père (Der Tod des Vaters) 100.Le Docteur Faust (Dr. Faust) [1931].
[1913]. GS VII.1, 180-188.
GS IV.2, 723-725. LpE, 168-178.
Rr, 27-32. 101.Le Mississippi et l’inondation de 1927 (Die
92. La signification du langage dans le Mississippi-Überschwemmung 1927) 205
Trauerspiel et la tragédie, (Die Bedeutung [1932].
der Sprache in Trauerspiel und Tragödie) GS VII.1, 237-243.
[1916]. LpE, 250-257.
GS II.1, 137-139. 102.Le mouchoir (Der Taschentuch) [1932].
ODb, 259-262 ; RCC, 65-68. GS IV.2, 741-745.
93. La tâche du traducteur (Die Aufgabe des Rr, 59-66.
Übersetzers) [1921]. 103.Le narrateur (Der Erzähler).
GS IV.1, 9-21. GS II.2, 438-465.
Œc, 57-74 ; MV, 261-276 ; Œ1, 244- Œc, 291-321 ; PR, 139-169 ; E2, 55-
262. 85 ; Rr, 145-178 ; Œ3 [Le conteur.
94. La Tour de Hugo von Hoffmansthal Réflexions sur l’œuvre de Nicolas
(Hugo von Hofmannsthal, „Der Turm“) Leskov] [1936], 114-151.
[1928]. 104.Le narrateur [traduction française de
GS III, 29-33. W. B.] [1936].
Œ2, 41-47. GS II.3, 1290.
95. La vie des étudiants (Das Leben der Éf, 264-298.
Studenten) [1915]. 105.Le Paris du second Empire chez Baudelaire
GS II.1, 75-87. (Das Paris des Second Empire bei
MV, 37-50 ; HLC, 7-22 ; Œ1, 125- Baudelaire) [1938].
141. GS I.2, 511.
96. Le Berlin démoniaque (Das dämonische CB, 21-145.
Berlin) [1930]. 106.Le pays dans lequel il n’est pas permis de
GS VII.1, 86-92. nommer le prolétariat (Das Land, in dem
LpE, 39-44. das Proletariat nicht genannt werden
97. Le caractère destructeur (Der destruktive kann) [1938].
Charakter) [1931]. GS II.2, 514-518.
GS IV.1, 396-398. EsB69, 45-49 ; EsB03 [Le pays où il
Œ2, 330-332. est interdit…], 59-64.
107.Le plus grand monstre, la jalousie de 116.Les Bootleggers (Die Bootleggers) [1930].
Calderón et Hérode et Marianne de Hebbel GS VII.1, 201-206.
(„El mayor monstruso, los celos“ von LpE, 197-205.
Calderon und „Herodes und Mariamne“ 117.Les cités-casernes (Die Mietskaserne)
von Hebbel) [1923]. [1930].
GS II.1, 246-276. GS VII.1, 117-124.
RCC, 69-106. LpE, 82-90.
108.Le retour du flâneur. À propos de 118.L e s e s c r o q u e r i e s e n p h i l a t é l i e
Promenades dans Berlin de Franz Hessel (Briefmarkenschwindel) [1930].
(Die Wiederkehr des Flaneurs) [1929]. GS VII.1, 195-200.
GS III, 194-195. LpE, 188-198.
Urbi n°3, mars 1980 ; en appendice 119.Les marchands ambulants et les marchés
à la traduction de Franz Hessel, du vieux et du nouveau Berlin
Promenades dans Berlin, PUG, 1989. (Strassenhandel und Markt in Alt- und in
109.Le Roman de Quat’ sous [de Bertolt Neuberlin) [1930].
206 Brecht] (Brechts „Dreigroschenroman“) GS VII.1, 74-80.
[1935]. LpE, 21-29.
GS III, 440-449. 120.Les Promenades à travers la Marche de
EsB69, 95-106 ; EsB03, 65-76. Brandebourg de Fontane (Fontanes
110.Le surréalisme (Der Sürrealismus) [1929]. „Wanderungen durch die Mark
GS II.1, 295-310. Brandenburg“) [1930].
MV, 297-314 ; Œ2, 113-134. GS VII.1, 137-145.
111.Le tremblement de terre de Lisbonne LpE, 109-121.
(Erdbeben von Lissabon) [1931]. 121.Les Régressions de la poésie par Carl
GS VII.1, 220-226. Gustav Jochmann („Die Rückschritte der
LpE, 226-233. Poesie“ von Carl Gustav Jochmann)
112.Le voyage de la Mascotte (Die Fahrt der [1939].
„Mascotte“) [1932]. GS II.2, 572-598.
GS IV.2, 738-741. Œ3, 391-426.
Rr, 53-59. 122.Les Tsiganes (Die Zigeuner) [1930].
113.Les Affinités électives de Goethe (Goethes GS VII.1, 159-165.
„Wahlverwandtschaften“) [1922]. LpE, 140-145.
GS I.1, 123-201. 123.Lettre de Paris (1). André Gide et son
Œc, 75-192 ; MV, 161-260 ; E1, 25- nouvel adversaire (Pariser Brief [1]. André
124 ; Œ1, 274-395. Gide und sein neuer Gegner) [1936].
114.Les armes de demain (Die Waffen von GS III, 482-495.
morgen) [1925]. PR [André Gide et…], 211-224 ; E2,
GS IV.1, 473-476. 127-142 ; Œ3, 152-169.
RCC, 107-111. 124.Lettre de Paris (2). Peinture et photogra-
115.Les bandes de brigands dans l’ancienne phie (Pariser Brief [2]. Malerei und
Allemagne (Räuberbanden im alten Photographie) [1936].
Deutschland) [1930]. GS III, 495.
GS VII.1, 152-159. 125.Lichtenberg. Un aperçu (Lichtenberg)
LpE, 131-139. [1933].
GS IV.2, 696. (Verstreute Notizen Juni bis Oktober
TPr, 49-82. 1928) [1928].
126.Mai-Juin 1931 (Mai-Juni 1931) [1931]. GS VI, 415-417.
GS VI, 422-440. Éa, 161-165.
Éa, 173-203 ; EsB03 [Le Lavandou], 136.Notes prises à Svendborg (Notizen
166-178. Svendborg Sommer 1934) [1934].
127.Marcel Proust, À l’ombre des jeunes filles GS VI, 523-531.
en fleurs („Im Schatten der jungen EsB69 [Entretiens avec Brecht], 129-
Mädchen“, trad. avec Franz Hessel ; pub. 149 ; Éa, 339-352 ; EsB03 [Svendborg,
Die Schmiede, Berlin, 1927) [1926-1927]. 1934], 179-193.
GS Sup2. 137.Notes sur Brecht (Notizen über Brecht)
128.Marcel Proust, Le Côté de Guermantes [1939].
(„Guermantes“, trad. avec Franz Hessel ; GS VI, 540.
pub. [sous le titre „Die Herzogin von Éa, 367-368.
Guermantes“] Piper, Munich, 1930) [1927- 138.Notes sur le voyage à Francfort du 30 mai
1929]. 1928 (Notizen von der Reise nach Frakfurt 207
GS Sup3. 30. Mai 1928) [1928].
129.M a t é r i a u x p o u r u n a u t o p o r t r a i t GS VI, 413-414.
(Materialien zu einem Selbstporträt) Éa, 158-160.
[1934]. 139.Notes sur les Tableaux parisiens de
GS VI, 532. Baudelaire [en français] [1939].
Éa, 353. GS I.2, 740-748.
130.Mon voyage en Italie, Pentecôte 1912 Éf, 303-315.
(Meine Reise in Italien Pfingsten 1912) 140.Notes sur un entretien avec Ballasz (Notiz
[1912]. über ein Gespräch mit Ballasz) [1929].
GS VI, 252-291. GS VI, 418.
Éa, 85-150. Éa, 166-167.
131.Myslowice – Braunschweig – Marseille 141.Œdipe ou : Le mythe rationnel (Oedipus
(Myslowitz – Braunschweig – Marseille) oder Der vernünftige Mythos) [1932].
[1930]. GS II.1, 391-395.
GS IV.2, 729-738. PR, 43-48 ; E1, 175-180 ; Œ2, 333-
Rr, 39-52. 340.
132.Naples (Neapel) [1931]. 142.Origine du drame baroque allemand
GS VII.1, 206-214. (Ursprung des deutschen Trauerspiels)
LpE, 206-216. [1925].
133.Notes de journal (Tagebuchnotizen 1938) GS I.1, 203-430.
[1938]. ODb, 23-254.
GS VI, 532-539. 143.Palais D…y (Palais D…y) [1929].
Éa, 355-366 ; EsB03 [Svendborg, GS IV.2, 725-729.
1938], 196-204. Rr, 33-38.
134.Notes de voyage (Reisenotizen) [1929]. 144.Paris, capitale du XIXe siècle [exposé 1]
GS VI, 419-421. (Paris, die Hauptstadt des XIX.
Éa, 168-172. Jahrhunderts) [1935].
135.Notes éparses de juin à octobre 1928 GS V.1, 45-59.
PR, 123-138 ; HLC, 117-136 ; E2, 154.Promenade des jouets dans Berlin I
37-54 ; PLP, 35-46 ; Œ3, 44-66. (Berliner Spielzeugwanderung I), [1930].
145.Paris, capitale du XIXe siècle [exposé II], GS VII.1, 98-105.
( Pa r is , d ie H a u p s t a d t d e s X I X . LpE, 55-63.
Jahrhunderts) [1939]. 155.Promenade des jouets dans Berlin II
GS V.1, 60. (Berliner Spielzeugwanderung II) [1930].
PLP, 47-59 ; Éf, 374-400. GS VII.1, 98-111.
146.Paris, capitale du XIXe siècle [projet égale- LpE, 64-72.
ment appelé Passages parisiens ou 156.Qu’est-ce que le théâtre épique ? [2] (Was
Passages] (Passagen-Werk ist das epische Theater? 2. Fassung)
[Aufzeichnungen und Materialien]) [1929- [1939].
1929, 1934-1940]. GS II.2, 532-539.
GS V.1, 79. EsB69, 25-34 ; Œ3, 317-328 ;
PLP, 65-821. EsB03, 38-47.
147.Passages (Passagen) [1927]. 157.Qu’est-ce que le théâtre épique ? [I] (Was
208 GS V.2, 1041-1043. ist das epische Theater ? [I]) [1931].
PLP, 867-868. GS II.2, 519-538.
148.Passages parisiens I (Pariser Passagen I) EsB69, 7-23 ; EsB03, 18-34.
[1930]. 158.Quatre histoires (Vier Geschichten aus der
GS V.2, 991. Einsamkeit) [1934].
PLP, 825-863. GS IV.2, 757-761.
149.Paul Valéry (Paul Valéry) [1931]. Rr, 89-96.
GS II.1 386-390. 159.Rastelli raconte… (Rastelli erzählt) [1935].
PR, 37-42 ; E1, 169-174 ; Œ2, 322- GS IV.2, 777-780.
329. Rr, 125-129.
150.Petite histoire de la photographie (Kleine 160.Rêve du 11/12 octobre 1939 [en français]
Geschichte der Photographie) [1931]. [1939].
GS II.1, 368-385. GS VI, 540.
PR, 15-36 ; HLC, 57-79 ; E1, 149- Éa, 369-370 ; Éf 406-409.
168 ; Œ2, 295-321. 161.Robert Walser (Robert Walser) [1929].
151.Poème triste (Trauriges Gedicht) [1933]. GS II.1, 324-328.
GS VI, 520. Œ2, 156-161.
Éa, 331. 162.Romantisme (Romantik) [1913].
[Pour le portrait de Proust, voir : L’image prous- GS II.1, 42-47.
tienne] RCC, 51-57.
152.Problèmes de sociologie du langage 163.Sens unique (Einbahnstraße) [1926].
(Probleme der Sprachsoziologie) [1935]. GS IV.1, 83-149.
GS III, 452-480. Su78, 147-243 ; Su88, 137-229.
PR, 91-122 ; HLC, 81-115 ; E2, 5- 164.Situation sociale actuelle de l’écrivain fran-
36 ; Œ3, 7-43. çais (Zum gegenwartigen gesellschaftlichen
153.Procès de sorcières (Hexenprozesse) Standort des franzosischen Schriftstellers)
[1930]. [1934].
GS VII.1, 145-152. GS II.2, 776-803.
LpE, 122-132. Œ2, 373-409.
165.Sur la peinture, ou Signe et tâche (Über Puppentheater) [1929].
die Malerei oder Zeichen und Mal) [1917]. GS VII.1, 80-86.
GS II.2, 603-607. LpE, 30-38.
Œ1, 172-177. 174.Théâtre et radio (Theater und Rundfunk)
166.Sur le concept d’histoire (Über den Begriff [1932].
der Geschichte) [1940]. GS II.2, 773-776.
GS I.2, 691. EsB03, 117-121.
PR [Thèses sur la philosophie de 175.Theodor Hosemann (Theodor Hosemann)
l’histoire], 277-288 ; HLC [Thèses…], [1930].
193-196 ; E2 [Thèses…], 195-207 ; Œ3 GS VII.1, 124-130.
[Sur le concept d’histoire], 427-443. LpE, 91-99.
167.Sur le concept d’histoire [traduction de 176.Théorie de la ressemblance (Lehre vom
W. B. revue par Pierre Missac] [1940]. Ähnlichen) [1933].
GS I.3, 1260-1266. GS II.1, 204.
Les Temps modernes, oct. 1947 Revue d’esthétique, n°1, 1981, 62-
[version de P. Missac, à partir de sa 65). 209
collab. avec W.B.] ; ÉF [version de 177.Théories du fascisme allemand. À propos
W. B., revue par P. Missac, avec des de l’ouvrage collectif Guerre et Guerriers
variantes traduites de l’allemand], 339- (Theorien des deutschen Faschismus)
356. [1930].
168.Sur le langage en général et sur le langage GS III, 238-250.
humain (Über Sprache überhaupt und über Œ2, 198-215.
die Sprache des Menschen) [1916]. [Thèses sur la philosophie de l’histoire, voir
GS II.1, 140-157. ci-dessus : Sur le concept d’histoire]
MV, 79-98 ; Œ1, 142-165. 178.Trauerspiel et tragédie (Trauerspiel und
169.Sur le pouvoir d’imitation (Über das Tragödie) [1916].
mimetische Vermögen) [1933]. GS II.1, 133-136.
GS II.1, 210-213. ODb, 255-259 ; RCC, 59-63.
PR, 49-52 ; Œ2, 359-363. 179.Trois livres. [À propos de Voyage senti-
170.Sur le programme de la philosophie qui mental à travers la Russie de Victor
vient (Über das Programm der kommenden Chklovski, Je suis témoin d’Alfred Pogar,
Philosophie) [1918]. et La Trahison des clercs de Julien Benda]
GS II.1, 157-171. (Drei Bücher) [1928].
MV, 99-114 ; Œ1, 179-197. GS III, 107-113.
171.Sur le voyage de l’été 1911 (Von der RCC, 117-124.
Sommerreise 1911) [1911]. 180.Un drame de famille sur le théâtre épique
GS VI, 242-251. (Ein Familiendrama auf dem epischen
Éa, 70-84. Theater) [1932].
172.Sur quelques thèmes baudelairiens (Über GS II.2, 511-514.
einige Motive bei Baudelaire) [1939]. EsB69, 45-49 ; EsB03 [Un drame de
GS I.2, 605. famille sur la scène du théâtre épique],
Œc, 237-290 ; PR, 225-276 ; E2, 54-58.
143-194 ; CB, 147-208 ; Œ3, 329-390. 181.Un exalté monte en chaire : Franz von
173.Théâtre de marionnettes à Berlin (Berliner Baader (Ein Schwarmgeist auf dem
Katheder: Franz von Baader) [1931]. sur-le-Main, Suhrkamp, 2 tomes, 1966.
GS III, 304-308. Gershom Scholem / Walter Benjamin.
RCC, 147-152. Briefwechsel. 1933-1940, ibid., 1980.
182.Un gamin des rues berlinois (Ein Berliner Theodor W. Adorno / Walter Benjamin.
Strassenjunge) [1930]. Briefwechsel. 1928-1940, éd. établie par
GS VII.1, 92-98. Henri Lonitz, ibid., 1994.
LpE, 47-54. Gesammelte Briefe, éd. établie par Christophe
183.Un institut allemand de recherche indé- Gödde et Henri Lonitz, ibid., 1995-2000.
pendante (Ein deutsches Institut freier Tome 1 : Briefe 1910–1918, 1995, 546 p.
Forschung) [1938]. Tome 2 : Briefe 1919–1924, 1996, 549 p.
GS III, 518-526. Tome 3 : Briefe 1925–1930, 1997, 594 p.
RCC, 209-218. Tome 4 : Briefe 1931–1934, 1998, 593 p.
184.Un marginal sort de l’ombre. À propos des Tome 5 : Briefe 1935–1937, 1999, 672 p.
Employés de Siegfried Kracauer (Ein Tome 6 : Briefe 1938–1940, 2000, 632 p.
Außenseiter macht sich bemerkbar) [1930]. Gretel Karplus-Adorno / Gershom Scholem.
GS III, 219-225. Briefwechsel. 1930-1940, éd. établie par
Œ2, 179-188. Christophe Gödde et Henri Lonitz, ibid.,
185.Un soir de départ (Der Reiseabend) [1932]. 2005.
GS IV.2, 745-748.
Rr, 73-82. 2. Éditions françaises
186.Une chronique des chômeurs allemands
[À propos du roman d’Anna Seghers, Le Correspondance, éd. établie et annotée par
Sauvetage (Die Rettung)] (Eine Chronik Gershom Scholem et Theodor W. Adorno,
der deutschen Arbeitslosen) [1938]. trad. G. Petitdemange, Paris, Aubier, 2
GS III, 530-538. tomes, 1979.
RCC, 219-229. Correspondance Adorno-Benjamin, éd. établie
187.Visite d’une fabrique de laiton (Besuch im par Henri Lonitz, trad. Philippe Ivernel,
Messingwerk) [1930]. Paris, La Fabrique, 2003 ; rééd. Paris,
GS VII.1, 131-137. Gallimard, 2006.
LpE, 100-108. Gretel Adorno-Walter Benjamin.
188.Voyage de Pentecôte à partir de Haubinda Correspondance. 1930-1940, éd. établie
(Pfingstreise von Haubinda aus) [1906]. par Christophe Gödde et Henri Lonitz, trad.
GS VI, 229-230. C. David, Paris, Gallimard, 2007.
Éa, 47-51. Gershom Scholem / Walter Benjamin. Théologie
189.Zentralpark (Zentralpark) [1939]. et utopie. Correspondance 1933-1940, trad.
GS I.2, 655. Didier Renault et Pierre Rusch, Paris-Tel
CB, 209-251. Aviv, 2010.
III. Correspondance
1. Éditions allemandes
CHRISTIAN BOUCHINDHOMME
Préambule éditorial . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 7
PIERRE RUSCH
Comment peut-on être benjaminien ? . . . . . . . . . . . . . . . . 15