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Hamid Tibouchi
L’infini palimpseste
Collection « Singularités »
Hamid Tibouchi
L’infini palimpseste
Petite boule
Acrylique et papier sur carton et cadre en bois, 29 x 24 cm, 2008
Po rté es ( notes d’atelier )
Hamid Tibouchi
Georges Braque
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1. Mes petits papiers ont une ombre portée : la mienne.
2. Je travaille avec des matériaux trouvés. Plus ils sont pauvres, plus ils sont
riches.
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4. Je m’inscris en porte-à-faux. Ou plutôt je suis inscrit.
Le Jeu de la Tentation
Technique mixte et collage sur carton, 92 x 72 cm, 1992
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7. Je tire un trait sur le superflu. Enfin, j’essaie.
9. Le fil a de multiples usages, qui sont parfois salutaires : Thésée lui doit
la vie.
Faille 1
Technique mixte et agrafage sur papier, 60 x 40 cm, 1994
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11. Je rends hommage à l’araignée qui, en un rien de temps, produit un
ouvrage — une œuvre ? — admirable. Je rends également hommage à
Pierrette Bloch, Marinette Cueco et Claudie Hunzinger, ses émules,
pour avoir su transposer son enseignement à l’échelle humaine.
Faille 3
Technique mixte et agrafage sur papier, 60 x 40 cm, 1994
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13. Quand on trait une vache, on obtient à chaque pression un trait blanc.
À quelle vache enragée (ou folle) a-t-on affaire quand on dessine et que
tous les traits que l’on fait sont noirs ?
14. Les oiseaux ne sont pas catholiques. Ils ne sont ni musulmans, ni juifs,
ni même bouddhistes. Cela ne les empêche pas d’être plus près du ciel.
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15. Ce dimanche, nous avons installé des rideaux aux fenêtres qui jusque-là
n’en avaient pas. Des voiles transparents pour nous protéger de la barbarie.
16. Et si les mots n’étaient plus que des taches ? Et si les lignes devenaient
des sentiers ? Les pages des paysages, les chapitres des géants de pierre
de l’île du Silence et les livres de grands oiseaux sauvages annonçant la
venue du printemps ?
Strates et craquelures
Technique mixte sur toile libre, 198 x 142 cm, 1996
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Écritures blanches
Technique mixte sur tissu d’ameublement, 149 x 134 cm, 1997
(Collection British Museum)
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17. Il est vain de tenter de capter l’essence d’une chose, comme ça en un
instant, rien qu’en s’asseyant en face d’elle et en la regardant. Il me sem-
ble que les choses ne se livrent pas aussi facilement. Comme en amour,
elles ne nous donnent que ce qu’elles veulent bien nous donner, au jour
le jour, au terme d’une longue fréquentation, pour peu qu’on prenne
non pas la peine mais le temps de les visiter assidûment et de les aimer
simplement comme des êtres vivants. Car toute chose est vivante,
jusqu’au fétu de paille ou au grain de sable.
L’Anneau acajou
Technique mixte sur canevas, papier, carton et toile de parachute (montée sur toile et châssis),
120 x 116 cm, 1997
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DésÉcritures 1
Technique mixte sur toile de jute (marouflée sur panneau), 120 x 78 cm, 2000
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DésÉcritures 6
Technique mixte sur toile de jute (marouflée sur toile et montée sur châssis), 120 x 78 cm, 2000
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18. Dans certains de mes travaux, il m’arrive d’être plus concret, plus près
encore de la nature, du végétal et du minéral. Mais beaucoup n’y voient
que du feu. Car je ne peins pas au premier degré. Ce que le commun des
mortels perçoit quand il regarde une feuille morte, c’est d’abord sa forme.
Si je reproduis son contour, sa silhouette, chacun la reconnaîtra et l’on
me collera l’étiquette de figuratif. Mais comme je ne m’intéresse — en
transposant, bien évidemment — qu’à ses nervures, sa texture, ses
Faire signe 3
Lavis d’encre de Chine et brou de noix sur papier, 29,7 x 21 cm, 2000
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couleurs cuivrées allant du rouge au jaune, ses craquelures, ainsi qu’au
petit son craquant qu’elle produit quand on la froisse, toutes ces choses
auxquelles j’offre la totalité de l’espace de mon support, alors on ne
reconnaîtra plus la feuille morte qui a servi de prétexte à ma peinture, et
l’on me collera l’étiquette d’abstrait. Pour contenter tout le monde, je
dirai que je ne suis ni abstrait ni figuratif, mais les deux à la fois. Mais en
vérité cela n’a pas la moindre importance.
Faire signe 5
Lavis d’encre de Chine et brou de noix sur papier, 29,7 x 21 cm, 2000
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19. J’envisage sérieusement de m’inscrire au PLPQ (Parti libre de la poésie
du quotidien), parti d’ailleurs inexistant à ce jour, que je fonderais bien
(en veillant scrupuleusement à en être le seul et unique membre) si je me
sentais suffisamment de force pour l’entretenir et s’il y avait en moi un
tant soit peu de militantisme. Par conséquent, et comme de toute façon
il faut bien s’occuper à quelque chose, je prépare patiemment, en retrait,
en silence et en secret, un grand voyage dans le Minéral et le Végétal.
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20. Je peins et je dessine (je dé-signe ?) depuis ma plus tendre enfance. Sur
les murs, la terre, le sol en pisé de la maison natale, sur le sable, dans la
neige, et même dans l’eau. Mais je n’invente rien. Je ne fais qu’imiter
l’oiseau qui sautille dans la neige, le reptile qui serpente sur le sable, le
vent qui ride la surface de l’eau, la plante qui prend la pose, l’arbre qui
fait des signes, Dahviya la potière qui décore une ruche…
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21. Je peins mais n’ai rien à dire de précis. Si je ne cesse de peindre, c’est
sans doute pour justement tenter de saisir ce pour quoi je peins.
À moins que ce ne soit pour essayer d’éviter que ne se comble le fossé
qui me sépare de la mort. Oui, je crois que je peins pour rester en vie, un
peu comme la sentinelle dans la nuit fait les cent pas pour rester éveillée.
22. Je peins pour parler moins et, modestement, tenter de dire davantage.
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23. Strates : écriture du Temps.
25. Le papier, le carton, la toile, c’est toujours moi qu’ils supportent, certains
jours poids plume, d’autres poids lourd.
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26. La toile. Étendue à même le sol. Tantôt je la piétine, tantôt je tourne
autour. Parfois encore on peut m’y voir dans la position de la prière.
Peindre : peut-être au fond ma façon à moi de prier.
27. Combien sont-ils à travailler pour les musées et pour la gloire ? À côté
de la plaque, à côté de la vie.
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28. Le rêve : peindre quelque chose de grand, quelque chose de fort, à partir
de rien ou presque. Un condensé de vie dans quatre mètres carrés de
voilage : économie de moyens, légèreté maximale, plénitude optimale.
29. L’évidence est ce que personne ne voit et qui reste caché jusqu’au moment
où quelqu’un l’exprime, le plus simplement du monde, comme un citron.
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India
Technique mixte sur toile de jute sur carton monté sur panneau, 204 x 103 cm, 2004
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30. Mes peintures ne sont que des fragments d’une peinture inachevée,
toujours la même malgré les apparences. Il me plaît de penser qu’après
moi elle restera inachevée. Comme un infini palimpseste.
33. L’authenticité en art suppose une ouverture aux autres. Aux autres
cultures, aux autres modes de vie, de pensée. C’est en prenant ses
distances par rapport à ses racines qu’on y voit plus clair, qu’on
s’enracine plus solidement dans sa propre culture et qu’on peut, par là
même, prétendre à l’universel.
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38. Il n’y a rien à dire. Tout est à voir.
39. Trois fois rien. C’est ce que je vous offre. Je dis bien « trois fois rien » et
non pas « rien ».
43. À cet enfant, donnez donc un crayon. Donnez-lui une feuille de papier.
Et laissez-le tracer son chemin.
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Élément de la série Rythme aléatoire
Acrylique et collage sur bois, 50 x 31 cm, 2004
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Élément de la série Rythme aléatoire
Acrylique et collage sur bois, 47 x 36 cm, 2004
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Élément de la série Rythme aléatoire
Enduit et acrylique sur toile, 33 x 22 cm, 2004
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48. Écrire, c’est tracer des lignes. À l’inverse, tracer des lignes, c’est aussi
écrire d’une certaine manière.
49. Le véritable artiste n’est pas le capitaine au long cours qui navigue sur
l’océan étroit des certitudes, mais le batelier modeste qui vagabonde sur
les multiples affluents du doute, jonchés de surprises et de découvertes
de toutes sortes.
Usure féconde
Acrylique blanche sur coco tressé monté sur toile et châssis, 81 x 65 cm, 2004
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Signe de fer
Morceau de ferraille sur fragment de voilage partiellement
peint à l’acrylique blanche et tendu sur cagette de bois, 55 x 27 cm, 2005
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50. J’ai toujours peint comme je respire. Cependant, ma respiration peut être
imperceptible ou bruyante, régulière ou saccadée. Si ma peinture change,
c’est pour être en accord avec ma respiration du moment.
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52. Si ma peinture peut paraître abstraite, voire hermétique à certains, elle
est loin d’être le résultat de projets purement intellectuels. Elle est au
contraire l’expression de mon moi le plus profond, de ma sensibilité
nourrie de toutes mes expériences du quotidien le plus banal. Elle
n’exclut pas le profane qui est invité à y entrer, de préférence comme
dans une auberge espagnole.
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53. Matisse, métis. Paul Klee, pôle clef.
55. La source serait-elle tarie, qui nulle part n’affleure ? Il arrive que l’eau
demeure au secret, couvant la surprise d’un geyser.
56. Parmi les choses qui ne s’inventent pas, les racines. Chacun les siennes,
immuables. C’est avec elles que l’on avance, claudiquant dans le monde.
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Cagette en croix (recto)
Ficelle et acrylique blanche sur cagette de bois trouée, 77 x 53 cm, 2006
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Élément de la série Traces
Technique mixte sur toile de jute sur bois, 20 x 20 cm, 2007
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59. Écrire et peindre un pays revient à s’écrire et se peindre soi-même en tant
que palimpseste vivant.
61. Pourquoi ce besoin irrésistible de laisser des traces, alors même qu’au
fond je n’aspire qu’à une chose ultime : disparaître sans laisser de traces ?
62. La peinture (la poésie visuelle) est amour. Ou absence d’amour. Elle dit
l’amour que l’on porte en soi, celui que l’on donne et celui que l’on
reçoit. Elle dit aussi le manque d’amour, cette vacuité que chaque
individu a en lui, cette vasque qui ne demande qu’à être emplie.
64. Vers six, sept ans, j’ai fréquenté l’école coranique de mon village natal.
Une expérience qui a peut-être duré à peine une semaine, mais qui m’a
marqué de façon indélébile. En effet, le souvenir de la planchette
coranique, du calame et de l’encre brune (smakh) me poursuit toujours, à
tel point que mon travail en tant que peintre en porte encore les marques :
simili-écriture empruntée à la gestuelle de la calligraphie, prédilection
pour le blanc vinylique ou acrylique (en souvenir du kaolin dont on
badigeonnait les planches coraniques) et pour le brou de noix qui
ressemble beaucoup au smakh. Les multiples « expériences » de l’enfance
sont décidément primordiales dans la vie d’un homme.
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65. Les vacances sont une obsession pour tous ceux qui travaillent à heures
fixes à longueur d’année. Pour moi qui ne travaille pas « comme tout le
monde », les vacances sont synonymes de mouvements de foules, ce que
je déteste par-dessus tout. N’étant pas du genre laborieux, je cultive une
certaine forme de vacuité afin de recevoir sans effort les « choses de
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l’intérieur » et l’énergie nécessaire à leur réalisation, si bien que je suis
souvent dans une apparente inactivité qui donne à croire à ceux qui me
côtoient que je ne travaille jamais et que par conséquent je suis
éternellement en vacances…
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66. J’écris des toiles et je peins des livres.
67. Certains de mes amis ont des idées bien arrêtées sur la poésie et la
peinture. Ce que je fais ne correspond pas exactement à l’idée qu’ils se
font de ces deux activités. Mais cela ne me dérange en aucune façon. Je
continue de faire ce qui me plaît, quand ça me plaît, sans me soucier le
moins du monde de ce que les uns et les autres peuvent penser de ce que
je fais. Car bien malin celui ou celle qui peut dire précisément ce que
sont la poésie ou la peinture.
68. Après avoir beaucoup lu, je m’applique à « délire ». Ayant pas mal écrit,
je passe mon temps à « désécrire ».
71. Chaque jour, j’écris comme on jardine, comme on plante des pousses, en
rangs serrés. Comme on tisse une toile, une tapisserie à la fois régulière
et pleine de défauts. Comme on tricote, maladroitement de préférence,
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une maille à l’envers, une maille à l’endroit. Maille à partir avec la parole,
avec le langage conventionnel, tout ce fatras codé à l’origine de tant de
malentendus et de discordes. Sans sou ni maille, faire quand même, avec
juste un pinceau chinois trempé dans un peu d’encre de Chine, mes
lignes d’écritures quotidiennes, gratuites, n’ayant aucune signification
particulière et en même temps tous les sens possibles. (À propos de la
série d’encres « Jardinages ».)
Mécanique Kuba
Technique mixte sur toile de bâche libre, 196 x 125 cm, 1992
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72. Mes « Hétérographies », que je pratique presque quotidiennement, sont
une forme d’écriture automatique, à l’aveugle, qui s’apparente à mes
« Jardinages » méditatifs. Elles sont produites modestement avec une
grande économie de moyens (l’usage du noir seul), en empruntant au
support préimprimé ce que j’ai beaucoup de mal à aborder de front :
Point de rencontre
Lavis d’encre de Chine sur papier, 43 x 33 cm, 2008
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la couleur. Il arrive que l’acrylique blanche remplace l’encre de Chine ou
vienne se joindre à elle dans certains de mes travaux. Ce que je raconte à
travers ces « Hétérographies », Dieu seul le sait, mais cela me fait le plus
grand bien.
Articulation
Lavis d’encres sur papier, 43 x 33 cm, 2008
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73. Le blanc. Toujours présent, prêt à tout submerger. Envahissant. Mais
c’est parfois le noir qui le premier arrive et tente de s’emparer de toute la
place. L’un ou l’autre appelle toujours peu de couleur, juste assez pour
que la vie chante contre le néant. C’est parfois la ville, la nuit, parsemée
de lumières. C’est la campagne en neige piquée de noires brindilles et de
plaintes d’oiseaux rares. L’un comme l’autre – à tort ou à raison – nous
Passage
Lavis d’encre de Chine sur papier, 34 x 44 cm, 2008
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renvoie à l’essentiel, nous parle de Présence dans l’Absence. C’est
pourquoi beaucoup réclament encore du bleu, pour ne pas faire face aux
questions fondamentales. Comme s’il suffisait de l’appeler pour qu’il
vienne. Imprévisible bleu qui arrive toujours à l’improviste, comme une
récompense, et dont il convient d’user avec parcimonie.
Voyage de nuit
Lavis d’encre de Chine sur papier, 34 x 44 cm, 2008
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74. Le blanc, le noir : il faudrait parler de blancs et de noirs, au pluriel, tant
il existe de variétés de nuances de blancs et de noirs.
75. Le blanc (mais quel blanc, sous quelle lumière et quel point de vue ?)
peut s’accompagner d’un peu de noir, ou d’un peu d’une autre couleur,
et cela change la perception que l’on peut en avoir lorsqu’il se présente
absolument seul. Absolument ? Cela reste à voir, car il suffit d’un pli,
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d’une simple égratignure ou d’un infime changement de lumière pour
qu’il ne soit déjà plus le même. On pourrait dire la même chose du noir.
76. Le blanc et le noir peuvent être à égalité. Difficile équilibre, l’un tentant
à sa manière d’avoir une hégémonie sur l’autre. Ils peuvent aussi se
mélanger à des proportions diverses et quasi infinies, ce qui donne alors
des nuances de gris qu’il est bien difficile de répertorier.
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77. Rien n’est jamais complètement noir ni complètement blanc.
78. La part extérieure — ce qui est montré — est si peu de chose. Si vérité il
y a, c’est à l’intérieur qu’il convient de la chercher, au revers de ce qui
paraît et qui n’est qu’en partie visible.
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79. Ut pictura poesis. Fragments de matières du monde. Terra incognita.
Prélèvements de territoires. Et, dans ces portions de paysages, des
univers entiers ! Des rides, des craquelures, des boursouflures, des
vallonnements, des cratères… Des signes, traces laissées par quels êtres
vivants ? Si une fourmi venait à s’y promener, quels canyons franchirait-
elle ? Quelles collines, quelles montagnes escaladerait-elle ? Dans quels
sables, quels déserts se perdrait-elle ? Quelle nourriture y trouverait-elle ?
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80. Dans mon travail, je ne me refuse rien. D’où je viens, j’ai tellement été
confronté aux interdits. C’est tous les jours qu’il fallait braver ces interdits.
C’était fatigant à la fin. Maintenant, devant mon support, j’y vais tout de
go, sans me soucier de rien. Tout peut y arriver sans qu’il n’y ait jamais
mort d’homme.
81. Surtout éviter le style. S’enfermer dans un style, c’est ronronner dans des
conventions héritées de quelques-uns ou que l’on s’est soi-même créées.
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Mieux vaut vagabonder à son aise. C’est tellement plus enrichissant.
Le style, c’est la mort.
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84. Je suis un grand casanier qui voyage beaucoup dans sa tête et dans ses
papiers. Dans toutes sortes de papiers. Ceux des livres, bien évidemment,
mais aussi tous les autres, des plus précieux tels ceux à la cuve en
provenance des derniers moulins de France et de Navarre, aux plus
pauvres comme les papiers et cartons d’emballage, en passant par les
faussement riches papiers publicitaires. L’atelier est comme un dépôt de
papiers en tous genres. Tout un attirail indispensable, mon gréement à
moi, mes voiles, mon nécessaire de navigation.
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85. Pour arriver à faire quelques peintures, à ce résultat somme toute
modeste, que de riches heures passées tout d’abord à rêver à partir des
matières des différents papiers, à voyager à travers les méandres de leurs
textures, leurs coloris, leurs fibres, leurs aspects — brillant, satiné ou
mat — , leurs grammages, du plus fin au plus épais. Ces rêveries ne sont
pas du « temps perdu » comme d’aucuns pourraient être portés à le croire.
Elles sont au contraire nécessaires et fécondes. Elles préparent en quelque
sorte à la plongée. Cela ne peut se faire que dans la solitude de l’atelier.
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On est seul face à soi-même et face à la matière. C’est là que surgissent
progressivement les palimpsestes enfouis. C’est là qu’affleurent, à notre
grand étonnement, les matières du monde minéral et végétal.
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la découverte de contrées inconnues que l’on ne peut appréhender qu’avec
des moyens rudimentaires et dont on est le premier spectateur, parfois
ébloui, souvent déçu. Elle colle, déchire, griffe, lacère le papier dont elle
nourrit les strates d’encres et de pigments liés à l’œuf. Elle « écrit » comme
serpentent les ruisseaux et rivières à travers les accidents du relief. Elle
érode les messages publicitaires, efface leurs mensonges éhontés pour
rendre au papier sa vivante pureté ligneuse. C’est ainsi qu’elle fait naître
de nouvelles cartographies, qu’elle dresse pas à pas la carte du Tendre.
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87. Je crois pouvoir avancer sans trop risquer de me tromper que la peinture
est ce qui reste lorsqu’on a tout oublié, tous les enseignements et toutes
les recettes qui les accompagnent. Jean Degottex lance cette affirmation
comme une boutade : « Rien avant, rien après, tout en faisant ». Il s’agit
de faire le vide au moment de peindre, de partir léger en exploration,
sans idées préconçues, tout en étant attentif à ce qui se passe. Tout en
faisant confiance à l’œil et la main, ces gardiens de la mémoire.
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Série Traité de Navigation (9)
Pigments, encres et papiers collés, 65 x 45 cm, 2009
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Série Traité de Navigation (23)
Pigments, encres et papiers collés, 25 x 18,5 cm, 2009
La tentation des signes
Pierre-Yves Soucy
Montaigne
Francis Ponge
Hamid Tibouchi
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Une œuvre tient tout autant par ce qu’elle inaugure que par ce qui la distingue.
Mais ne serait-ce pas une seule et même chose ? Ou mieux, deux modalités
d’une même dynamique ? L’identité d’une œuvre transparaît dans l’énergie de
ce qu’elle affirme et dans l’écart qu’elle entretient par rapport à toute autre
œuvre. Des sonorités sensibles et expressives inédites la fondent, qui la
confrontent — autant qu’elles l’en dissocient — à toute autre démarche pictu-
rale. Les œuvres de Hamid Tibouchi sont de celles, rares, qui cherchent sans
répit ce qui les fonde, en s’écartant autant que possible de toute référence anec-
dotique. Pour les situer, dans un premier temps du moins, on peut parler de
figurations abstraites : entendons par là la mise en place de dispositifs abstraits
dont la syntaxe affiche une certaine stabilité. Celle-ci se révèle lorsque nous
pouvons prendre de ses œuvres une vision sur le long terme.
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maître ? S’approcher de l’œuvre — des travaux, comme il persiste à les nom-
mer — de Tibouchi, c’est tout autant interroger la perception des choses et du
monde que retrouver l’esprit de ce qu’il y a à dire et à montrer, à nouveau. Et
d’abord, à réinventer tout ce qui tient de la vision que nous avons de l’espace,
et de la lumière qui ordonne ce qui l’habite. Tout un ensemble de rapports fai-
sant irruption lorsque ceux-ci se trouvent disposés, ou plutôt, projetés dans le
sillage et la circulation des traits et des signes, des formes et des couleurs. Et
la prolifération de tous ces éléments signale chaque fois leur destin infini, un
lieu et un horizon où viennent se déployer à la fois l’écart et la tension qui font
tenir ensemble des fragments du visible : reconstituer l’espace de la vision des
choses et du monde, recréer une totalité qui, de geste en geste, vient irriguer
un espace pictural afin de garantir son déploiement et sa plénitude. Se jouant
des tracés de frontières, cette traversée du dehors devient découverte sans fin.
Elle multiplie expériences et rencontres, s’arrête et s’entête sur chaque chose qui
aiguise et renouvelle le regard, jusqu’à extraire le vif de ce qui aura été laissé à
l’abandon, par déplacements, permutations ou transpositions, pour atteindre
à la fois le continu autant que l’aléatoire de ce dispositif abstrait.
Sans exception, ces trames mouvantes, ces configurations insaisissables ont des
antécédents. Ceux-ci ne sont pas étrangers aux premières sources de la création
qui trouvèrent dans la parole poétique une voie possible pour son expression.
La poésie de Tibouchi ne semble pas leur être étrangère ; elle vient alimenter
ces trames et configurations, de loin en proche, pour laisser surgir la vivacité
de leurs affirmations et la force de leurs indéterminations. Tibouchi poète pré-
serve toute la fraîcheur des rythmes de la voix incrustés dans ses visions. Il
maintient son souffle à l’élan qui accompagne les figures et les formes. On ne
saurait même pas dire que peinture et poésie s’accompagnent comme s’il s’agis-
sait de deux solitudes en mal de compagnonnage. Elles prennent appui l’une
sur l’autre et elles se relaient en permanence au point de se confondre au sein
d’un mouvement sensible qui les entraîne lorsqu’il s’agit d’exprimer émotions
et pensées. En ce sens, peinture et poésie s’originent d’un même fond, elles
prennent place sur un même tremplin. Elles s’enracinent communément dans
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cette béance du vide pur, attentif à ce qui engage aussi bien la voix portant les
mots que les formes projetées qui déploient l’espace sous l’improvisation et
l’incertitude des gestes ou de la parole, comme pour mieux s’ouvrir à l’indéfi-
nissable. Non pas deux mondes mais un seul réseau de représentations ou de
figurations abstraites se heurtant au réel pour lui opposer un autre univers sen-
sible, un horizon poétique insoupçonné à la surface des mots ou des signes
graphiques, au découvert des formes, des figures et des variations infinies des
couleurs qui s’en emparent et les accompagnent.
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Tout ce qui semble dissimulé, tout ce qui cède sous l’attention, cependant,
livre place à la multiplicité des agencements, à la diversité des formes d’expres-
sion qui font surface de façon à laisser voir autant de configurations inédites,
comme pour résister à toute illusion, tout en soutenant, irrémédiablement, les
incertitudes qui accompagnent une œuvre en sa singularité. C’est que ces mises
en formes, ces compositions, attaquent de front l’opacité des apparences, pré-
cisément à cette intersection où le réel peut être convoqué et appréhendé dans
sa diversité. La passion de l’hétérogénéité qui s’y attache est au cœur de la re-
cherche des formes dans l’œuvre de Tibouchi. Mais cette hétérogénéité sem-
ble bien n’être qu’un détour, ou plutôt une voie de passage, afin de mieux
centrer le propos. Certes, les travaux isolés ne manquent pas, qui tiennent par
eux-mêmes, et sont comme livrés à leur propre solitude. Mais c’est l’attention
quasi permanente aux variations, aux écarts mesurés, aux innovations aiguil-
lées, sur la base, ou à partir, d’une composition structurante, qui décide si sou-
vent du travail de l’artiste. Il est très vraisemblable que les formes récurrentes
guident les mutations pour faire place aux oscillations. Elles dégagent à la fois
les brèches et les marges indispensables afin de dresser l’œuvre, sa constitu-
tion, en fragmentations variées qui, chacune en soi, tout comme l’ensemble
pour lui-même, signalent une composition complète en même temps qu’une
dynamique de formes en expansion libérant les changements de configuration
dans l’invention soumise à une mobilité permanente et inaliénable.
Il semble bien que l’une des parts décisives de l’œuvre de Tibouchi se décline
en séries. Rappelons quelques titres de ces suites, presque au hasard : Élémen-
taires, Émergences, Jardinages, Traces, Écorces griffées, Nervures, Failles, Fragments
minéraux, Talismans, Pelagos, Rythmes aléatoires, ou encore l’une de ses toutes
dernières suites intitulée Traité de navigation. Ces enchaînements ne sont pas
de l’ordre de la déduction. Mais alors, serait-ce que rien ne peut être tenu pour
acquis ? Et que par conséquent toute œuvre singulière ouvre une voie centrale
d’où peuvent partir, imprévisibles, plusieurs sentes et chemins, pour engager,
simultanément, plusieurs directions ? Serait-ce aussi que l’élaboration d’une
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œuvre est toujours sujette à se faire tâtonnante ? Qu’est-ce qu’une série sinon
une manière d’arpenter les infinies facettes du réel, celles mêmes de son abîme ?
Toute série est une remontée dans l’expression par approximations successives,
et qui, au moment où cette remontée s’opère, cherche à devancer l’événement
sensible qui la motive, comme si son identité était sans cesse compromise.
L’exécution de ces suites assigne par la force des choses une parenté aux thèmes
et aux styles qui s’y trouvent impliqués. Ce qui demande alors une grande ri-
gueur dans leur réalisation, appelant les mêmes matériaux et jouant sur des
décalages ou des déclinaisons d’écarts plus ou moins affirmés. Si tel est bien le
cas, le point de départ (la première exécution) et le point d’arrivée (la dernière
exécution) semblent alors se croiser ; ou mieux, se retrouver et se reconnaître,
avec en perspective cette volonté de dire plus qu’une seule exécution le per-
mettrait : une vision panoptique, des coups de projecteur qui tournent autour
puis entrent à l’intérieur de leur objet.
Plus encore, toutes les pièces d’une série s’offrent les unes aux autres sans ja-
mais se confondre. Chacune montre ce qu’elle a à montrer tout en sachant ne
pouvoir tout montrer en une seule expression. Elles semblent se relayer et se
recouper parce qu’elles participent toutes au déploiement d’un événement sen-
sible ancré dans un même élan, une même coulée, bien qu’imprévisible dans
ce qu’elles sont en mesure d’affirmer puisque chacune des pièces affiche clai-
rement sa singularité tout en étant très proche des autres. Chaque fragment,
chacune des pièces de Tibouchi porte en elle-même, en quelque sorte, sa pro-
pre logique, et la totalité de la logique d’ensemble de cet événement. Le par-
cours de chaque série — et de l’ensemble des séries — permet de voir
clairement combien, les découvrant, nous ne sommes jamais conduits à la ré-
pétition des mêmes formes et des mêmes signes. Dès lors, chacune des œuvres
offre la possibilité d’ouvrir sur un événement inédit, sur une fulguration inouïe
qui survient dans et par les formes, la composition, les matériaux mobilisés à
cette fin, afin de rendre visible le plus essentiel, y compris ce qui s’offre sous des
apparences dérisoires : tout ce à côté de quoi l’on passe à chaque instant sans
le voir simplement par habitude, car l’habitude finit par émousser le regard.
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Pour tout travail engagé, pour toute série inaugurée, un dispositif à la fois ly-
rique et instinctif d’improvisation se met en place. Ce dispositif s’affirme bien
plus comme attente et disposition que comme procédé à reconvoquer. Cette
appropriation devient, en effet, une attente désirée. Une telle attitude conduit
Tibouchi à se définir d’abord comme artisan expérimental et non comme artiste-
peintre. Il fait de sa recherche un engagement permanent vers ce qui résiste et
demeure inconnu. Refusant toute recherche d’effet, jamais il ne s’enferme dans
quelque habitude acquise. Les variations, même les plus infimes, s’écartant de
toute répétition, de tout ce qui à déjà été exécuté, laissent surgir non ce qui se
dissimulait, mais ce qui était imprévu et devient possible par l’improvisation
de nouvelles traces inscrites sur le support. La tension qui l’anime conduit
Tibouchi à proposer chacun de ses travaux comme un objet imprévisible et ra-
dicalement inaliénable. L’itinéraire suivi déroge à toute prévision précise.
L’étonnement est ce qui apparaît au terme de sa course : les peintures ou les
dessins, agents et témoins, en sont le corollaire.
Si elle devait être saisie dans toute sa trajectoire, depuis les premiers dessins de
jeunesse jusqu’aux travaux les plus récents, cette œuvre signalerait combien
Tibouchi a cherché et cherche toujours à se tenir, avec une extrême obstination,
au plus près des sensations, des émotions même, de ces dimensions sensibles
qui se produisent à l’extrémité du geste pour nous convier au centre des im-
pulsions originelles de ses travaux. La sensibilité affûtée aux matières qu’il mo-
bilise donne à cet aspect une tournure particulière. Elle pourrait être approchée
sous bien des angles, sans écarter l’aspect proprement biographique. Algérien,
Berbère, ayant passé son enfance dans un milieu où les rapports à la nature
sont primordiaux, cette proximité éclaire une disponibilité revendiquée aux
matières brutes, aux couleurs naturelles, minérales et végétales, aux formes des
signes portés par la langue et la culture, aux rythmes tenus par la vie, aussi di-
vers soient-ils. Mais aussi à l’attention dirigée vers le moindre détail, aussi in-
signifiant qu’il puisse paraître.
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Tout aussi significatif : le fait que son apprentissage n’ait transité en aucune ma-
nière par le classique passage obligé, celui des contraintes et des exigences d’une
formation strictement académique. Qu’au contraire, il se soit inventé — au-
todidacte — selon une démarche autonome et personnelle qui, dès ses pre-
mières avancées, n’a répondu que d’elle-même. La distance le séparant de son
objet s’en trouve d’autant plus précisée qu’il ne saurait être question de tout
simplement répercuter un langage codifié, des configurations apprises, éprou-
vant ainsi une liberté de décision qui atteste son efficacité, sans devoir afficher
l’arrogance des créations figées dans leurs certitudes. Tibouchi demeure
conscient que toute œuvre nouvellement initiée engage de nouveaux liens, de
nouvelles trajectoires, et autant d’incertitudes. Que chaque pas gagné en cha-
cune des œuvres exécutées fait figure de limite temporaire, et l’instant d’après,
celle d’une cassure.
Et qu’il s’agit dès lors de reprendre le travail, comme si l’on entreprenait pour
la première fois une recherche aussi indécise, faisant de chacune de ces œuvres
un point de départ, jamais un point d’arrivée. Sachant de même que toute
œuvre comme toute série conduite à terme témoigne d’un point de non-retour.
Dans un même ordre d’idée, chaque suite est une courbe effectuée à l’intérieur
d’une courbe beaucoup plus ample, celle de l’ensemble de l’œuvre, qui appa-
raît chaque fois une manière d’ouvrir et de disposer à nouveau la perception
et la vision qui s’y rattachent.
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mais suffisamment expressifs, des surfaces abîmées mais prêtes à accueillir,
deviennent disponibles pour de nouvelles combinaisons. Vieilles toiles de pa-
rachute, sacs postaux abandonnés, cartons, papiers, enveloppes, livres, pages
recyclées, partitions de musique, agendas, cordes, tout ce qui peut s’offrir à
une nouvelle plasticité, des objets en partie détruits mais récupérables et tou-
jours à portée de main.
Cette disposition est peut-être ressentie par l’artiste comme un besoin de ma-
tières altérées pour recevoir celles — encre, teinture, peinture — qu’il imposera
au devenir de leur métamorphose. Tibouchi capte doublement les forces (celles
qu’il découvre déjà inscrites dans les matières et celles qu’il va proposer) en
utilisant ces supports déjà ébréchés, écornés, conduisant le spectateur, par son
travail, par ses interventions, en des lieux d’une insoupçonnable fraîcheur, of-
frant d’étonnants éclats, au point de densifier les sensations produites par son
travail. Il force ainsi l’ouverture sur l’opacité du réel que ses œuvres assaillent,
à chaque fois, comme un désir inextinguible. Ainsi, le geste à l’instant d’être
posé rencontre un matériau déjà altéré par une vie passée qui garde dans sa
matière la mémoire de ce passé révolu pour venir se fondre dans une nouvelle
constellation, multipliant ainsi les coïncidences inédites, découvrant alors un
champ infini de configurations abstraites, tout ce qui palpite et vacille à la li-
mite des apparences. Faire advenir de nouveaux signes, de nouvelles formes,
matérialisées et devenant de véritables objets de méditation tout comme les
pierres de rêve des Chinois, telle est la tâche que Tibouchi semble bien s’être
fixée.
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— ou même de faire voir — des strates non seulement au sein de l’espace ap-
préhendé, mais aussi bien par ce temps offert grâce à un matériau déjà habité,
signe d’un temps inscrit qui vient s’intercaler dans l’exécution de l’œuvre. Ces
matériaux vont se couvrir de nouvelles traces, de nouveaux signes, d’un nou-
veau temps, un temps précis qu’engage le geste et que recueille l’œuvre lorsque
celle-ci est conduite — d’une manière qui n’est peut-être que provisoire — à
son terme. Tibouchi construit, reconstruit — selon une liberté plus ou moins
altérée par les contraintes préalables inscrites dans le matériau, mais liberté
tout aussi opérante — par des jeux complexes des matières et des supports pré-
disposés aux opérations qu’ils sont appelés à subir. Il se donne ainsi la possi-
bilité d’une remise en scène engagée par un geste confiant, par une sensibilité
éprouvée, par une pensée à l’affût — même si, dans l’instant du geste, congé-
diée — en retrouvant à travers ou grâce aux jeux subtils de l’imaginaire l’éton-
nement d’un contact intime avec ces divers éléments, qu’il sait tendre jusqu’à
leur rupture, afin de venir les insérer dans un temps présent.
Sur un autre plan, il ne nous semble pas nécessaire de remonter aux premiers
travaux de Tibouchi pour être immédiatement frappé par la présence de signes,
tantôt discrets, tantôt puissamment affirmés, aussi dissemblables en leurs
formes que diversement appliqués et intégrés aux différents supports utilisés
pour les recevoir. Réminiscence d’une langue proche et pratiquée se prêtant à
la calligraphie. Réminiscence aussi d’un Orient plus lointain, ici approché à
travers la peinture et les idéogrammes fictifs donnant aux signes cet aspect de
légèreté dans leur délié. Réminiscence également des productions rituelles des
pygmées du Zaïre (les ntshaks, appliqués sur toile en raphia des Kuba ou les
peintures sur écorces battues des Mbuti), art pétri de symboles et de formes,
de signes et de figures abstraites, convoqués pour être transformés afin d’éveil-
ler et de faire vivre une rencontre qui n’aurait pas lieu autrement. Le fait d’ap-
partenir à une culture, peu importe le degré de concertation qu’on est conduit
à entretenir avec elle, implique inévitablement un rapport mobilisé à tout ins-
tant par une mémoire tantôt précise, tantôt diffuse. Et ce qui est mobilisé n’a rien
d’innocent. Et plus encore lorsqu’il est totalement détourné. Cette appartenance
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se trouve à modifier également le mode de réception de tout ce qui provient
d’autres cultures.
Cela n’est-il valable, toutefois, que pour les œuvres qui font essentiellement
appel à de tels signes ? Ce qui est emprunté, retenu sous cet angle de vue, ne
saurait être apprécié pour de simples imitations de signes déjà constitués. Et
encore moins pour de simples ajouts ornementaux. Entre les arabesques et les
idéogrammes, un large éventail de rapports pourrait être facilement établi. Ces
signes, que Tibouchi forge avec une application précise, tendent vers quelque
chose d’ineffable, tantôt émergeant de la blancheur d’un silence sans fond — le
papier blanc laissant surgir un signe qui s’impose alors avec force dans l’espace
de la feuille —, tantôt accompagnant une figuration abstraite dépouillée — ti-
rant parti des supports de récupération, cartons, papiers marqués, des déchi-
rures volontaires, ou encore des superpositions, etc. —, dans laquelle intervient
de manière énergique ou discrète une arabesque ou une composition idéo-
grammatique imaginaire. Plus nous fixons notre attention sur la diversité des
signes et sur le déploiement des formes qui en sont tributaires, plus se décou-
vre une spontanéité du geste conduisant à l’émergence de signes composés,
qu’il s’avère impossible de réduire à une préméditation systématique. Mieux,
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la rapidité apparente d’exécution devenue manifeste permet sans doute d’ac-
centuer la pureté de leur surgissement, l’inattendu de leur détonation, procu-
rant à la vision que nous en prenons, et à la connaissance que nous pouvons
en avoir, une unité d’impression et d’émotion qui témoigne plus que tout du
rayonnement d’une rencontre captée à sa source.
Ce sont bien des signes devenus formes, signes sans significations immédiates
à livrer, signes sans paroles attenantes à l’instant saisi par la vision. C’est la
composition d’ensemble qui les situe, c’est l’œuvre dans toute sa portée qui
confère du sens pour les conduire aux limites de leur énigme, vers leur obscu-
rité, puisqu’ils ne signifient rien du côté où nous serions tentés de les attendre,
celui d’une lecture comme s’il s’agissait d’un simple texte. Pour Tibouchi, ces
signes s’écartent assurément de toute signification conventionnelle. Leur dé-
cryptage demande un tout autre mode d’approche ou d’appréhension par la
perception visuelle puisqu’il s’agit d’images imitant des signes construits pour
les formes qu’ils se trouvent à mettre en évidence, ne signalant que des res-
semblances alphabétiques ou idéogrammatiques et, de ce fait, déplaçant tota-
lement leur fonctionnement symbolique. Ces éléments, que l’on retrouve dans
bon nombre d’œuvres de Tibouchi, déclinés en diverses figures ou images, se
présentent comme autant d’énigmes, tout comme une parole qui s’écarte de la
simple objectivation apparaît ambiguë, duplice, comme sans appui, insonda-
ble puisque sans identité à première vue reconnaissable. Tout au plus peut-on
dire, rencontrant ces signes, qu’ils ressemblent à… Ces ressemblances ne sont
toutefois pas sans exercer une réelle fascination sur celui ou celle qui entre en
contact avec de telles configurations abstraites, du fait que se trouve engagée
une distance supplémentaire, pouvant produire un effet d’enchantement, sans
atténuer pour autant ce sentiment d’inquiétude qui accompagne ce qui se
donne comme autant d’énigmes.
La force de ces formes et de ces signes supporte les découpes et les contours
volontairement indécis même si très souvent ils parviennent à occuper un es-
pace majeur de la toile, du papier ou du carton. Cette façon de procéder, chez
70
Tibouchi, n’enlève rien, bien au contraire, à la plasticité ouverte des œuvres
dont certaines se révèlent à travers une matière crue, une pâte abondante et
compacte, des alluvions de matériaux composites appelant les contrastes et les
ombres par un jeu où le blanc conteste les couleurs sombres sous des couches
labourées, rendant sensibles les multiples variantes chromatiques en mutation.
Si le dessin et les tracés ressortent nettement de l’ensemble de ses travaux, très
souvent les couleurs dérivent vers des tonalités naturelles atténuées. Dans les tra-
vaux des dix dernières années, Tibouchi a su cependant introduire avec une cer-
taine exubérance des couleurs franches, vives, des bleus, des rouges, des jaunes,
parfois éclatants. Exubérance qui tranche par rapport aux couleurs de terre,
couleurs sombres : des bruns, des ocres, des gris tirant sur le noir, couleurs ja-
mais délaissées par lui, couleurs éprouvées, couleurs revenant même dans les ta-
bleaux, les dessins, les encres, les plus récents. En particulier lorsqu’il fait appel
— ce qui est récurrent dans toute son œuvre — aux techniques mixtes.
71
dans ce qui l’attache à des objets connus, et plus souvent encore, à ceux dès lors
imaginés. C’est aussi que Tibouchi accorde une place décisive aux propriétés
matérielles des matières qu’il utilise du fait qu’elles l’informent instantanément
sur leurs possibilités inédites.
Les traces d’une multiplicité de gestes donnant forme à ces œuvres laissent
soupçonner les incertitudes relevant de l’aléatoire — certains travaux de Tibouchi
signalés plus haut retiennent même en leur titre le mot aléatoire — dès que les
gestes viennent ajouter, ou mieux, épousent les résidus ou les marques déjà
présentes, bien qu’en apparence insensées ou perverties. Entendons qu’il ne
s’agit en rien de céder au chaos que ces résidus semblent imposer. D’autant
que les interventions vont engendrer de nouvelles combinaisons, l’élaboration
de jeux inédits de matière, de nouvelles interactions entre les signes comme
entre les formes de manière à garder ouvert l’espace sous le coup des inter-
ventions. La figuration de l’abstraction qui en résulte se veut signes se rap-
portant à des signes élémentaires. Ceux-ci ne se détachent à aucun moment de
la mémoire qui les porte, depuis l’expérience intérieure et cumulée de l’artiste
jusqu’à l’histoire des empreintes aux provenances improbables trouvées à même
les rebuts, tels des vestiges qui persistent à affirmer leurs reliefs. Ces stigmates
— ou traces — sont bien présents, ou plutôt, se trouvent bien maintenus dans
ce qui est ici récupéré, puis revisité et transformé, pour recevoir de nouveaux
signes tout en laissant reconnaissables les indices de ceux déjà inscrits. Quelque
chose de l’objet abandonné est ici ressaisi, qui se montre déjà comme habité,
ou mieux, habitable par et dans la reprise qui rehausse — ou se rehausse — non
pas selon ce qui s’y dissimule mais selon ce qui devient possible, un surplus de
sens injecté par ces interférences où viennent se croiser signes et formes. Se
découvre alors un mouvement qui s’installe non seulement entre les pièces
d’une série, mais à l’intérieur même de chacune de ces pièces.
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matiques soient-elles. C’est que le regard passe outre en même temps qu’il re-
tient tout ce qui concourt à définir les formes et les signes qui nous sont adres-
sés par l’utilisation de tous les moyens et de toutes les matières qu’il met en
œuvre. Le regard se porte au-delà de l’espace qui se déploie pour retenir les
formes et les signes cadrés par les formats souvent tributaires de ces matériaux
récupérés ou des choix des matériaux neufs, toiles ou papiers. Tibouchi semble
privilégier les formats intermédiaires ou même les petits formats plutôt que les
grandes surfaces. Les limites arbitrairement fixées perdent leur qualité d’in-
jonctions et se rendent alors disponibles à la transgression. Les œuvres, par
leur format, peuvent être qualifiées d’intimistes. Il est possible de les tenir en
main. Ces œuvres sont en quelque sorte à la mesure du corps, à la mesure du
plaisir de les tenir près du corps, et des yeux.
73
qui court à la surface de la toile, du carton ou du papier. Alors même que le
papier semble être le support — aussi fragile que sophistiqué en ses variantes
— privilégié par Tibouchi, entre autres dans ses collages, pour recevoir ce qu’il
tente de faire voir, ce qu’il cherche à montrer contre toute attente prévisible,
en accentuant à chaque fois la tension au cœur de cette attente.
Car cherchant à retenir autant qu’à approfondir notre attention, ces œuvres
suscitent et entretiennent une attente. Comme s’il s’agissait de propositions
chargées de virtualités éminemment actives appelant leurs trames secrètes. Elles
recourent à de nouveaux répertoires de signes, à de nouvelles fécondités des
formes, qu’elles font surgir, au point qu’il devient possible d’entrevoir, ou
mieux, d’anticiper, ce qui ne se répète pas, ce qui échappe à tout systématisme.
Car l’enchaînement que ces formes et signes appellent ne repose plus sur un dé-
roulé chronologique, mais déploie des liens transversaux. L’œuvre se révèle
mobilité irradiante saisie dans la précarité de ses compositions, non pas sous
la forme de signes ou de figurations abstraites achevées, mais bien comme au-
tant d’objets disposés à se prolonger et à se projeter, en quelque sorte, dans ce
renouvellement de la rencontre, afin de mieux nous retenir à elles.
Ces figurations abstraites sont autant d’objets singuliers qui attestent de leur
capacité expressive à associer et à réunir. Peut-être s’agit-il d’autant de chances
données par Tibouchi pour toucher le spectateur sur le terrain des correspon-
dances, en dehors de toute intention esthétique. Certes, chaque œuvre inscrit
son propre écart par rapport à toutes les autres puisque chacune d’elles se nour-
rit d’histoires parallèles des formes et des signes en leur qualité d’objet in-
constant. Cette singularité rend possible le dégagement du sens de ces œuvres
en les libérant, ne serait-ce qu’un instant, de toute circonstance ou toute si-
tuation. Elles pointent ainsi une latence de leur être tout en confortant nos ca-
pacités d’association du fait de leur ouverture et de leur disponibilité : un état
d’insurrection des formes et des signes dont la conséquence est d’engendrer
une écriture, celle-ci entendue dans le sens d’un corpus pictural non codifié
parce que revendiquant son insoumission et son autonomie.
74
À ce titre, un tel corpus appelle plusieurs itinéraires. Une multiplicité d’angles
d’attaque éclaire en effet le parcours de Tibouchi, sans pour autant faire écla-
ter ni la nature de l’œuvre ni le style qui en signale l’intuition, ce qui permet
d’en révéler la richesse. Toutes les voies explorées viennent nourrir chaque mo-
ment — et, par là même, la totalité — de l’œuvre en assurant doublement la
liberté qui s’y découvre à la fois dans la vision de l’artiste et dans l’imaginaire
reconquis du spectateur. Pas un seul instant cette liberté ne renonce à élargir
son champ d’action, son état de veille, sa capacité d’engendrement et l’étendue
de son horizon. Alors que c’est une même interrogation sur le monde qui s’af-
firme, une même sensibilité qui s’en détache et qui soutient ce langage pictu-
ral — par-delà son hétérogénéité ou son accueillante diversité —, langage d’une
cohérence irréductible dès lors qu’il s’attache obstinément à la justesse et à l’in-
tensité de l’expression, se sachant confronté à un monde infiniment mouvant
qui se tient hors de lui comme en lui. C’est aussi qu’il y a chez Tibouchi une
conscience vive de l’abîme des formes et des signes qui ont investi la part mar-
quante de son champ pictural. La conscience de cet abîme, par les percées ef-
fectuées au cœur de l’énigme du visible, et par le questionnement qu’elle
engage et renouvelle, n’est pas étrangère à cette perméabilité — sensibilité et
expressivité conjointes — devant tout événement qui le porte vers un monde
que l’on habite et qui nous habite. C’est ainsi que cette œuvre ouvre à tout
moment sur l’énigme illimitée qui nous entoure.
Tibouchi, nous le découvrons tout au long de son travail, demeure fort sensi-
ble à tous les apports culturels et artistiques auxquels il s’est donné les condi-
tions d’accès, si ce n’est d’abord par la lucidité de son attention, tel un dialogue
permanent avec de multiples héritages, qu’il renouvelle et transforme en les
intégrant à son propre dispositif pictural. Certaines affinités, ou mieux, cer-
taines complicités — bien présentes malgré la distance qu’il entretient — avec
des artistes dont l’importance demeure indiscutable, méritent d’être signalées.
D’autant que bien des résonances dans son œuvre, aussi discrètes soient-elles,
peuvent être établies. Il dira lui-même avoir été retenu, notamment, par les
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œuvres de Paul Klee et d’Antoni Tàpies, de Mark Tobey et de Robert Ryman.
Dans la proximité de Klee, ou même de Tàpies : les maillages des formes et des
signes chez Tibouchi ne sont pas des images de réalités qu’il chercherait à re-
présenter mais bien des tensions entre les unes et les autres conduisant à des
oppositions autant qu’à des rencontres. Chez Ryman : sans doute peut-on re-
tenir ces plages uniformes faites la plupart du temps d’infimes variations et qui
s’apparentent à une méditation sur l’espace et sur la manière de l’habiter.
Dans tout le travail de Tibouchi, les signes mobilisés par l’imaginaire viennent
rejoindre les traces relevant d’un enfoncement dans le chaos du réel, dans la ma-
tière vivante du monde, comme pour tenter d’en dégager un ordre, tout au
moins un rythme. Les correspondances sont autant de confrontations fébriles,
et chaque point de départ est un nulle part entre le continu et le discontinu.
Quelquefois pressenties à la confluence du réel et de l’imaginaire, elles rendent
plausibles ces figurations abstraites infiniment à venir. L’art engage une dispo-
nibilité… et une attitude. Mais l’art n’est-il pas expérience, expérience problé-
matique, certes, mais expérience d’abord, dont la part de l’aléatoire, souvent,
fomente la part de l’intentionnel, tel un véritable défi à nos certitudes ?
Achevé d’imprimer en février 2010
sur les presses de l’imprimerie Snel grafics (Vottem)
pour le compte des éditions de La Lettre volée
Il n’est plus de littérature possible,
face à la montée du sordide,
que rupestre ou héraldique.
Griffer la roche ou griffer le blason.
Georges Henein
ISBN 978-2-87317-360-9 - 17 €
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