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Peter Dronke, „The Phoenix and the Turtle”, Orbis litterarum, Volume 23, Issue 3,
(September 1968): 199–220
da daca is despartiti, trebuie sa si-o aprinda singur, daca is casatoriti, trebuie sa si-o
stinga.
cavalerii isi aleg o anumită o domnita de departe, neaparat intangibila, uneori nici nu o
cunosc, numa au auzit de ea.
dar ei oricum is la razboi si nu o pot contacta.
deci e departe si se poarta ca si cum le-ar fi aproape, iar insuratii - e aici si tre sa se poarte
ca si cum le-ar fi departe.
Lombardi, Elena, Wings of the Doves: Love and Desire in Dante and Medieval Culture,
McGill-Queen's Press - MQUP, 2012 - 365 pages
In The Wings of the Doves, Elena Lombardi undertakes a detailed reading of Dante's
Inferno V - the canto of Francesca da Rimini and her doomed love for her brother-in-law,
Paolo Malatesta, a richly layered episode within the Divine Comedy, which continues to
challenge readers today, blurring the distinction between poetry and doctrine, pity and
condemnation, and literature and reality. Lombardi plays on the complex nature of the
canto in order to shed light on a larger and much-debated theme in medieval culture - the
relation between spiritual and erotic forms of love and desire. Eschatology and law,
pilgrimage and beauty, the role of affective practices in the religious and social spheres,
intertextuality and the medieval culture of reading are just some of the themes that come
together to unravel this tale of adultery and its bordering with the soul's search for God.
The Wings of the Doves examines the flexibility of the medieval notion of desire to
unearth the hidden meanings of this complex story of lust and love and the radical nature
of medieval love poetry.
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Sissa, Giulia, Sexe et Sensualité. La culture érotique des anciens, Paris: Odile Jacob,
2011.
« Oui, les Anciens étaient sensuels. Autant que nous, autrement que nous. D’abord à
Athènes et ensuite à Rome éclôt une véritable culture érotique qui réunit l’art d’aimer, la
recherche du plaisir, la civilité du désir, l’amour homosexuel, l’ironie phallique et
l’importance exemplaire du féminin. Tantôt idéalisé dans une distance infranchissable,
tantôt pillé hors contexte, le monde classique reste mal connu. Il nous faut refaire le
voyage à Cythère avec un bon guide amoureux. Le voici. » G. S.
Sur le désir et le plaisir, la différence des sexes et la fluidité des genres, la discipline
sentimentale et le savoir-faire voluptueux, les Anciens ont encore tant à nous apprendre !
Où mieux que dans l’Ithaque de Pénélope, la salle de banquet platonicienne et la Rome
d’Ovide pourrait-on être initié de façon aussi magistrale à toutes ces stratégies
d’enchantement qui transforment le sexe en sensualité ?
Pour un nouvel art d’aimer, plus libre, plus inventif, plus complice, plus raffiné, qui,
comme en Grèce et à Rome, fait la part belle aux sens et aux corps désirants, sans figer de
manière rigide les rôles, les genres et les identités.
Giulia Sissa est professeur de théorie politique et de civilisations de l’Antiquité à UCLA,
en Californie. Chercheuse au CNRS, elle a notamment publié Le Plaisir et le Mal.
Philosophie de la drogue et L’Âme est un corps de femme.
Bloch, R. Howard, Medieval Misogyny and the Invention of Western Romantic Love,
Chicago; London: University of Chicago Press, 1991.
Table of contents
Frontmatter
Acknowledgments
Introduction
ONE Molestiae Nuptiarum and the Yahwist Creation
TWO Early Christianity and the Estheticization of Gender
THREE "Devil's Gateway" and "Bride of Christ"
FOUR The Poetics of Virginity
FIVE The Old French Lay and the Myriad Modes of Male Indiscretion
SIX The Love Lyrics and the Paradox of Perfection
SEVEN Heiresses and Dowagers: The Power of Women to Dispose
Notes
Pour l'Eglise, l'amour est une passion inquiétante qui fait perdre la tête. D'ailleurs, Saint-
Augustin qui eut une jeunesse orageuse en parlait en connaissance de cause... Entre les
époux ne doit régner qu'une tendre affection, sans place pour le plaisir physique, et le
mariage n'a d'autre but que le procréation. Pourtant, les oeuvres littéraires nous parlent
d'amour, de sexe aussi. Les troubadours proposent un 'art d'aimer'. Une 'carte du tendre'
élabore et la sexualité n'est pas si mal connue, d'autant que les Arabes tout proches en
élabore une culture raffinée. Au vrai, le sentiment amoureuxexiste même à l'intérieur du
mariage. D'Alcuin, dans la première moitié du IXe siècle, ne cache pas son immense
douleur après la mort de son épouse. Des rapts ont lieu, avec le consentement des
jeunes femmes, pour permettre des unions que refusent les familles. Hors mariage,
l'amour triomphe aussi ; ainsi le concubinage de St-Augustin ou la passion
éprouvée par Héloïse et Abélard. Tristan et Iseut, Héloïse et Abélard - le sentiment
amoureux a divinement inspiré les auteurs du Moyen Age. Mais, fait moins connu, si au
quotidien la libido reste sous étroite surveillance, le sexe et les plaisirs de l'amour
physique ne sont pas interdits. D'Héloïse à Juliette, Jean Verdon dresse un amusant et très
sérieux panorama de l'amour, avec le mode d'emploi...
Tristan et Iseut, Héloïse et Abélard - l'amour a divinement inspiré les auteurs du Moyen
Age. Les troubadours proposent un art d'aimer et une « carte du tendre » s'élabore. Les
oeuvres littéraires nous parlent d'amour, et la sexualité n'est pas si mal connue, d'autant
que les Arabes tout proches ont une culture raffinée de l'art amoureux... Même si, pour
l'Eglise, l'amour est une passion inquiétante qui fait perdre la tête, le lien amoureux existe
à l'intérieur du mariage. D'Alcuin, dans la première moitié du ixe siècle, ne cache pas son
immense douleur après la mort de son épouse. Des rapts ont lieu, avec le consentement
des jeunes femmes, pour permettre des unions que refusent les familles. Hors mariage,
l'amour triomphe aussi : ainsi le concubinage de saint Augustin ou la passion éprouvée
par Roméo et Juliette... Historien du Moyen Age, spécialiste de la vie quotidienne, Jean
Verdon a pris un plaisir évident à composer ce manifeste de l'amour au temps des
troubadours et parvient avec finesse à montrer comment les hommes vivaient réellement
un sentiment qui met en jeu à la fois le corps et l'esprit.
Professeur émérite d'histoire du Moyen Age à l'université de Limoges, Jean Verdon a
publié plusieurs ouvrages chez Perrin, dont deux couronnés par l'Académie française,
parmi lesquels : La Nuit au Moyen Age, Le Plaisir au Moyen Age, Voyager au Moyen
Age, Boire au Moyen Age, Le Moyen Age. Ombres et lumières.
Nygren, Anders, Agape and Eros, Part I: A Study of the Christian Idea of Love; Part II:
The History of the Christian Ideas of Love, translated by Philip S. Watson, New York and
Evanston: Harper & Row, Publishers, 1969.
Love: A Very Short Introduction (Very Short Introductions) by Ronald de Sousa, Oxford
University Press; 1 edition (February 1, 2015), 152 pages
Although there are many kinds of love, erotic love has been celebrated in art and poetry
as life's most rewarding and exalting experience, worth living and dying for and bringing
out the best in ourselves. And yet it has excused, and even been thought to justify, the
most reprehensible crimes. Why should this be? This Very Short Introduction explores
this and other puzzling questions. Do we love someone for their virtue, their beauty, or
their moral or other qualities? Are love's characteristic desires altruistic or selfish? Are
there duties of love? What do the sciences - neuroscience, evolutionary and social
psychology, and anthropology - tell us about love?
Many of the answers we give to such questions are determined not so much by the facts
of human nature as by the ideology of love. Ronald de Sousa considers some of the many
paradoxes raised by love, looking at the different kinds of love - affections,
affiliation, philia, storage, agape, but focusses on eros, or romantic love. He considers
whether our conventional beliefs about love and sex are deeply irrational and argues that
alternative conceptions of love and sex, although hard to formulate and live by, may be
worth striving for.
Eros, Agape and Philia: Readings in the Philosophy of Love by Alan Soble, Paragon
House; 1st edition (August 6, 1998), 330 pages
The philosophy of love
For centuries, popular writers and respected scholars have written about and analyzed the
phenomenon of love without exhausting its potential for contemporary debate. By
representing the three major traditions in the philosophy of love--Platonic eros, Christian
agape, and Aristotelian philia--editor Alan Soble has not only examined the intellectual
problem of what "love" is, but has designed a dialogue among the three traditions in
genuine philosophical style. "Eros is acquisitive, egocentric or even selfish; agape is a
giving love. Eros is an unconstant, unfaithful love, while agape is unwavering and
continues to give despite ingratitude. Eros is a love that responds to the merit or value of
its object; while agape creates value in its object as a result of loving it... Finally, eros is
an ascending love, the human's route to God; agape is a descending love, GodÆs route to
humans... Philia is caught between eros and agape."--From the Introduction to Eros,
Agape and Philia Issues explored: --What is the state of love today as seen through the
eyes of Plato, Aristotle, and Paul? --How do relations between the sexes illustrate the
difficulties of love? --What are the nature and effects of exclusivity, reciprocity, and
constancy? --What are the conceptual and psychological ties between sex and love?
--Does it make any sense to think of love in moral terms?
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96
THE INDIVIDUAL AS AN OBJECT OF LOVE IN PLATO
Gregory Vlastos
I
"LET ϕιλεἶν BE DEFINED," writes Aristotle in the Rhetoric, "as wishing for someone
what you believe to be good things--wishing this not for your own sake but for his—and
acting so far as you can to bring them about." 1 The same thing is said about ϕι + ἱλος in
the essay on friendship in the Nicomachean Ethics: "They define a ϕι + ἱλος as one who
wishes and acts for the good, or the apparent good, of one's ϕι + ἱλος, for the sake of one's
ϕι + ἱλος; or as one who wishes for the existence and life of one's ϕι + ἱλος, for that man's
sake." 2 In the standard translations of these passages ϕι + ἱλος comes through as "friend,
"ϕιλεἶν as "friendly feeling," and ϕιλι + ἱ α as "friendship." This blunts the force of Aristo
tle's
____________________
"The Individual as an Object of Love in Plato" and Appendix II of that essay ("Sex inPlat
onic Love") are taken from Gregory Vlastos, Platonic Studies. Copyright © 1973 byGreg
ory VlastosCopyright © 1973 by Gregory Vlastos.Excerpts, pp. 3-34 and 38-
42,reprinted with permission of Princeton University Press. This is the complete andunalt
ered text of the essay and Appendix II, which below is called 'Appendix." TheBibliograp
hy that appears after the Appendix is based on Vlastos' more completeBibliography in Pla
tonic Studies. Professor Vlastos was born in 1907 ( Istanbul),received his Ph.D. at Harvar
d University, and has had a 'long and distinguished career,holding positions at Cornell Un
iversity, Princeton University, and Berkeley. Followingthe Bibliography is a guide prepar
ed for this volume by Edward Johnson; the guidetransliterates and translates the Greek th
at occurs in Vlastos' text, and also translatesthe French. Professor Johnson was born in 19
50 in Lincoln, Nebraska, received hisPh.D. from Princeton University, and now teaches a
t The University of New Orleans.
-96-
Elizabeth Abbott, Istoria celibatului, Editura: Lider, Orizonturi Traducator: Octav Ciuca,
2005 Numar pagini: 509: 510 Editura Orizonturi
Flamenca est un roman en occitan du xiiie siècle, composé entre 1250 et 1270 à la cour
des seigneurs de Roquefeuil1 par un troubadour inconnu. Considéré comme le prototype
du roman d'amour courtois, il n'existe que par un seul manuscrit, auquel manquent le
début, une partie au milieu, et la fin. Ce manuscrit est conservé à la Bibliothèque
Municipale de Carcassonne.
Synopsis
L'action se déroule autour du triangle qui deviendra classique : le mari, la femme,
l'amant. Le mari est Archambaut, seigneur de la ville de Bourbon-l'Archambault, son
épouse Flamenca (« Flamboyante »), et l'amant, un jeune chevalier nommé Guillaume.
L'action, du moins dans ce qui nous en est resté, commence par le mariage somptueux
d'Archambaut et de Flamenca. Mariage de convention, dans lequel il n'est pas question
d'amour. Archambaut est un mari jaloux, qui va tout faire pour soustraire son épouse aux
regards et aux convoitises. Personnage conventionnel, récurrent dans les romans et
nouvelles qui en ont créé un genre, le castia-gilos, ou châtiment du jaloux. Le jeune
homme, lui, va suivre le parcours de l'amour courtois : il apprend l'existence de la Dame
par sa seule réputation, en conçoit un grand amour, et décide de tout mettre en œuvre
pour parvenir jusqu'à elle. Tâche de longue haleine, car de multiples obstacles s'opposent
à son projet. Bien que les péripéties soient longues entre la première rencontre et la
conclusion logique, l'union charnelle et spirituelle des deux amants, on considère que
l'auteur a quelque peu «brûlé les étapes» par rapport à la norme (toute théorique) du
processus très codifié de l'amour courtois.
Lorsqu'on aime Dieu comme s'il pouvait être une personne, il s'agit de religion. Lorsqu'on
aime une personne comme s'il était Dieu, il s'agit tout uniquement et tout simplement
d'amour. N'est-il pas alors vraisemblable que nous ne soyons si généralement capables
d'amour qu'en étant tout aussi généralement et tout aussi spontanément capables de
religion?
Qu'il y ait une analogie ou même une équivalence de la vie religieuse et de l'expérience
amoureuse, en témoignent aussi bien l'identité de leur vocabulaire que la réversibilité de
leur dévotion. L'une et l'autre ont en effet leur révélation, leur culte, leurs rites, leurs
sacrifices, leurs sacrements, leurs célébrations et leurs adorations. Aussi est-ce la même
attente, la même expérience du vide et de la solitude, la même disposition à trouver hors
de soi le centre de sa vie qui inspirent la foi religieuse comme la dilection amoureuse. "Le
coeur a les mêmes ingénuités que la foi, remarquait Fromentin. Tous les cultes passionnés
commencent ainsi." Ainsi était-ce "une vénération idolâtre" qu'Adolphe éprouvait pour
Ellénore. "Je la considérais, se rappelle-t-il, comme une créature céleste. Mon amour
tenait du culte." Parce que la religion peut, tout comme l'amour, accaparer toutes nos
pensées, mobiliser tous nos soins, retenir toute notre attention, occuper notre coeur,
obséder notre existence, Balzac la considérait comme "le premier amour des jeunes
âmes". Ainsi attribuait-il le zèle religieux de Véronique Graslin à son désespoir de n'avoir
personne à aimer, faute de pouvoir aimer son mari. Et parce que l'amour est si absolu, si
total, si exclusif, qu'il tient lieu de religion, il comprenait que celle-ci fût lettre morte pour
un homme si passionnément amoureux qu'il avait "trouvé son paradis ici-bas". (...)
Dans l'expérience religieuse comme dans la passion amoureuse, la vie de chacun est
suspendue à une autre, et chacun ne sent de la sienne que ce qu'il voudrait en donner.
Dans la foi comme dans l'amour, le désir de chaque conscience est d'être si
indissolublement unie à l'être aimé qu'elle s'en voudrait inséparable. (...)
Quelque don qu'on veuille faire, il ne suffit pas toutefois de l'offrir pour qu'il soit accepté.
Avec quelque abnégation et quelque dévotion qu'on souhaite se vouer à une personne,
peut-on jamais être assuré de ne pas l'importuner, ou qu'elle ne s'en lassera pas ? Même
en ayant ensemble communié dans l'absolu, suffit-il d'en garder le souvenir pour que ce
qui avait été dût être encore? Il n'y à là-dessus serment ni fidélité qui vaillent. C'est parce
qu'on aime qu'on s'engage à aimer toujours. Mais c'est un engagement qu'il ne dépend pas
de nous de tenir. C'est ce qui fait de tous les serments de fidélité une assez vaine
rhétorique. Tant qu'on aime, on se sent en effet si indissolublement lié à la personne
aimée qu'on ne pourrait pas même imaginer de lui être infidèle. Pour que la fidélité devînt
une vertu, il faudrait donc qu'on eût en fait cessé d'aimer.
LIVRE
Nicolas Grimaldi métamorphose l'amour
Camille Tassel - publié le 27/01/2011
"C'est vous, mon prince? Vous vous êtes fait bien longtemps attendre", tel est le fantasme
messianique de l'amour. Le dernier livre du cavalier philosophe, lui, ne s'est pas fait
attendre: Les Métamorphoses de l'amour transfigurent plus qu'elles ne cristallisent nos
existences.
Obsession la mieux partagée, la moins partageable! Sans raison ni pourquoi, l'amour nous
envoûte au point de nous métamorphoser. L'attente insoutenable, la solitude, intolérable,
la révélation injustifiable, mais encore le désir fusionnel ou la frénésie possessive, sont,
selon Nicolas Grimaldi, autant de philtres de l'amour qui rendent "toutes les amours
semblables sans qu'aucun ne soit jamais pareil aux autres". Car le paradoxe de l'amour est
de nous rendre nécessaire ce qu'il y a de plus contingent, unique la plus banale personne.
Dès lors, tout lui est assujetti. Si bien que dans la double vie que nous menons tous,
écartelés entre celle sociale - que nous soyons plombier, psychanalyste ou proxénète - et
celle amoureuse, nous choisirons toujours la seconde pour fusionner dans cette "identité
à deux".
Mirage de l'amour
Pour combler l'attente de nos vies suspendues à notre finitude, nous tentons de les unir
pensant leur épargner la morosité de la solitude, la banalité de l'ennui. Or, rien n'est plus
illusoire que d'attendre d'autrui la danse de notre vie. A plus forte raison, nous ne
connaissons rien de cet autre dans lequel nous souhaiterions vivre. Son caractère, ses
humeurs, ses pensées impénétrables, nous les ignorons d'autant plus que nous lui prêtons
toutes les nôtres."Notre ravissement le ravit." Et nous en sommes ravis! Comment dans
ce mirage de l'amour pouvons-nous ne pas nous tromper? Irrésistible plaisir de croire aux
fantasmes qu'on attribue à l'aimé, irrépressible désir de l'amant de croire à nos
projections. Ce que l’aimé finit par aimer, "c'est donc moins celui qui l'aime, que la façon
dont il l'aime, au point de se résigner à l'aimer pour qu'il ne se lasse pas de le faire". Ce
qu’on aime, c’est donc moins celui qui nous aime que la manière dont il nous aime.
Un cercle carré
le cercle de l'amour semble à jamais carré. Et c'est justement pour ne pas tourner en rond
que Nicolas Grimaldi sans briser la circularité de l'amour, l'ouvre par et vers sa
transfiguration. D'une plume acérée, il fend les contre-sens sur et de l'amour.
Réquisitionnant Pascal comme Constant, louant Claudel comme Autant-Lara, Grimaldi a
le souci d'un détail, exemplaire, qui donne vie à ses métamorphoses. Sollicitant
Simondon, il fait le récit d'un artisan flamand jeté sur les routes lors de l'exode de 1940
qui rencontre une inconnue, jusqu'à "sa chair entrouverte". Prime"révélation de l'amour
'quoique l'artisan ne l'eût pas encore vraiment regardé'' toute l'humanité lui paraissant
pourtant s'être résumée en elle".
La "cristallisation"
C'est par cette philosophie nourrie d'expériences que Grimaldi démythifie toute la
tradition intellectualiste qui fait de l'amour l'Idée d'une beauté. Or selon lui, l'amour n'est
pas attiré par les perfections de l'amant, comme une fleur par le soleil. Plus encore,
l'amour, irréductible à toute connaissance, persiste à nous envouter malgré les défauts que
nous connaissons de l'être aimé. A rebours de la cristallisation stendhalienne, l'amour ne
nous fait pas apparaître l'autre autrement qu'il n'est: petit, chauve, bedonnant, il le restera
à nos yeux, quand bien même aveuglés. La cristallisation consiste seulement à fantasmer
l'adoration d'une existence qu'elle partagerait."Notre amour ne transfigure donc pas la
personne aimée, mais nous fait imaginer notre existence transfigurée par elle."
L'amour, cet Absolu
Si l'amour semble donc la chose au monde la plus naturelle, le fait même d'aimer nous
fait cependant éprouver le plus "surnaturel". Car quoi de plus sur-rationnel que cet amour
qui nous soustrait à la contingence de notre existence? "Parce que le propre de l'attente
est de porter originairement en elle le sens de ce qui ne laisserait plus rien à attendre,
toute attente pose au-devant d'elle-même, comme son horizon, le sens de l'infini, de
l'éternité, de la perfection, de la béatitude, c'est-à-dire de l'absolu". Voilà pourquoi dans
l'amour chacun se sent uni à l'autre du même lien qui le relit à l'Absolu, au re-ligere. Que
ce soit l'expérience religieuse et amoureuse, elles ont par analogie "leur révélation, leur
culte, leurs rites, leurs sacrifices, leurs sacrements, leur célébrations et leurs
adorations." Deux expériences creusées par la même solitude, le même vide, la même
attente à trouver hors de soi, son soi, d'exister, de s'extasier. Si Balzac considérait la
religion comme "le premier amour des jeunes âmes"; quelle vérité de la conscience
cherche-t-on dans la foi comme dans l'amour? A cette énigme, ce petit livre tel un
codicille à la vie, ouvre des possibles inattendus, dans un bric-à-broc jouissif.
"Laissez-moi vous aimer"
La foi comme l'amour ne sont-ils pas ce désir d'accomplir en soi la volonté d'un autre, de
n'exister qu' "in manus tuas"? En sorte que plus la conscience religieuse sent le don
qu'elle fait d'elle-même à Dieu, plus elle ressent son union. De même la conscience
amoureuse sent sa vie "fusionnée"d'autant plus intensément qu'elle la "transfuse" dans
celle de l'aimé. "Avoir la foi, c'est donc comme se sentir aimé." Que ce soit la prière de
l'amant ("Laissez-moi vous aimer") ou celle du croyant ("Acceptez que je vous serve"),
elles supplient moins de recevoir que de donner. Or, si dans l'expérience religieuse et
amoureuse, l'homme se donne à un autre ou un Autre, comment être soi sans être absorbé
dans ces altérités? Contre cet engloutissement du moi, Nicolas Grimaldi tente de
préserver la singularité du soi, en distinguant deux amours.
Un amour tout autre
Comme le premier cherche à avaler l'autre, jusqu'à digérer son altérité, on attendrait que
l'autre devienne réciproquement un double de nous-même, jusqu'à pouvoir se retrouver
en lui. Spinoza soulignait déjà que notre amour pour Dieu n'est qu'une des manières que
celui-ci a lui-même de s'aimer. Un tel amour malheureux de soi, "nous ferait alors
attendre du regard d'un autre l'image à laquelle nous voudrions nous identifier". A
l'inverse, le second amour s'exalte de ce qui fait de l'autre "un tout autre" que moi.
Un "autre style d'humanité"
De même que l'on apprécie une musique selon son style, de même cet amour nous invite
à découvrir en l'autre un "autre style d'humanité". Si notre joie ou mélancolie résonne en
un air de musique, nous ne voulons pas tant les reconnaître que les découvrir, d'une autre
oreille. Pareillement, nous nous éprenons d'une personne, selon la musicalité que tout son
style exprime."En ce sens, aimer quelqu'un, ce serait être tellement bouleversé par sa
musicalité qu'on ne désirât rien tant que l'accompagner, tant on voudrait qu'il ne pût être
aussi parfaitement lui-même qu'en l'étant avec nous." Dans La Mouette, Tchekhov fait
état de cette dévotion, à travers Nina qui donna sa vie à autrui pour servir son
existence: "Si jamais tu avais besoin de ma vie, viens et prends-là."
Repères
1933 Naissance à Paris.
1958 Agrégation de philosophie.
1978 L'expérience de la pensée dans la philosophie de Descartes (Vrin).
1983 Professeur à la Sorbonne.
1998 Bref traité du désenchantement (PUF, Livre de Poche, 2004).
2003 Traité des solitudes (PUF).
2005 Traité de la banalité (PUF).
2008 Proust, les horreurs de l'amour (PUF).
2011 Les métamorphoses de l'amour (Grasset).
On n’en aura jamais fini de parler de l’amour. La force du livre de Nicolas Grimaldi,
Métamorphoses de l’amour, est de ne proposer aucune définition de ce sentiment ni
aucune théorie, mais d’amener plutôt le lecteur vers une multiplicité d’interprétations.
Dans un style clair et classique, Grimaldi nous interroge sur la part de trouble et de
mystère de l’amour, en le dissociant des clichés dont il est habituellement chargé. Ce
n’est pas dans ce livre qu’on trouvera les certitudes de l’optimisme ; la pensée de
Grimaldi est plutôt celle de l’inquiétude. En cela il cherche à nous tenir éveillés : pour lui,
l’objet de la philosophie est de nous apprendre à vivre dans l’inconnu. Il oppose ainsi aux
consolations de la philosophie spéculative le doute de la philosophie existentielle. Et pour
tenter d’élucider les expériences paradoxales issues du sentiment amoureux, il procède
comme faisaient les cliniciens à la fin du XIXème siècle : en faisant comparaître des cas.
Prendre dans la littérature des situations concrètes, observer les comportements, décrire
les symptômes, faire des comparaisons, mettre en évidence les différences. Pour cela,
l’auteur s’appuie essentiellement sur des romans de Simenon et les Journaux intimes de
Benjamin Constant, avec par petites touches quelques retours à Stendhal. C’est une
originalité de s’en être tenu à ces trois auteurs français, alors que la littérature universelle
contient une infinité d’exemples. Si le style de Simenon est souvent discutable (je veux
dire : par sa neutralité de ton), Stendhal et Constant sont assurément les deux
grands psychologues du début du XIXème siècle – mais attention, ce mot de psychologie,
tel que Nietzsche l’avait bien compris en son temps, n’a plus grand-chose à voir avec ce
qu’on en fait aujourd’hui.
Celui qui fut un grand professeur à la Sorbonne réside aujourd’hui, presque retiré, sur la
Côte basque. Cherchant la vérité dans la solitude, il brasse dans son œuvre des thèmes
atemporels – le désir, le temps, l’amour… Et cultive une éthique de la joie comme
communion avec les autres.
À quelques mètres en contrebas, les vagues de l’océan Atlantique se brisent sur
d’étranges feuilletés de schiste et répandent leur embrun. De l’autre côté, derrière un
flanc de collines verdoyantes, c’est l’Espagne. Nous sommes à l’extrême pointe de la
Côte basque. Plus précisément, sur les hauteurs de Ciboure, commune mitoyenne de
Saint-Jean-de-Luz, dont la baie s’offre au regard. Hôte exquis, Nicolas Grimaldi nous
reçoit dans son singulier repère, un ancien sémaphore qu’il a aménagé et dans lequel il vit
depuis plus de quarante ans. La bâtisse est solide, austère, dominée par sa petite tour
caractéristique. L’horizon, ciel et mer confondus, s’étend directement en face, si bien que
le sentiment d’être à l’écart de tout s’impose inexorablement. C’est là que cet ancien
grand professeur d’université – il a notamment été onze ans en poste à la Sorbonne –
construit en solitaire son œuvre, où la métaphysique dialogue avec les arts et la littérature.
Comme en écho avec l’endroit où il habite, Nicolas Grimaldi arpente inlassablement des
thèmes atemporels : la conscience, le désir, le temps, l’imaginaire, l’amour, le sens de la
vie… L’entretien se déroule d’abord dans un salon élégant avec vue, dont les murs sont
recouverts de certaines de ses toiles – « Peindre me fatigue en me reposant »,confie-t-il,
en amateur de paradoxes. Après une escapade en voiture dans l’arrière-pays, la discussion
se poursuit dans un restaurant de fruits de mer, côté espagnol, à Pasajes. Le philosophe ne
s’y était pas rendu depuis un moment et il est effaré de voir à quel point l’environnement
urbain a changé, s’est bétonné : « Je ne me reconnais plus dans ce monde. » Mais trêve de
mélancolie. Où qu’il soit, Nicolas Grimaldi s’exprime dans une langue très élaborée,
parfois délicieusement surannée – à en rappeler l’existence de l’imparfait du subjonctif…
Si l’expression « parler comme un livre » lui va comme un gant, nous sommes néanmoins
face à un volcan. À chaque question posée, il commence sa réponse par un murmure
caressant, presque hésitant, qui bute, se cherche ; puis trouvant la voie, il s’embrase,
incandescent, comme possédé. L’un de ses essais s’intituleSocrate, le sorcier et montre en
quoi le maître de Platon envoûtait ses interlocuteurs. Même devant une langouste grillée,
tel est Nicolas Grimaldi : un sorcier, un mage consumé par la pensée. Et l’incendie de se
propager à ceux qui l’écoutent.
Comment en êtes-vous venu à vivre dans cet ancien sémaphore ? Sans être totalement
coupé du monde, ce lieu dégage une impression d’isolement. Dans votre œuvre, vous
décrivez la solitude comme la situation fondamentale de l’homme…
Nicolas Grimaldi : Il me faut en référer à mon histoire familiale. Mon grand-père, né en
1880, fut enrôlé dans la marine lors de son service militaire. Après avoir navigué quatre
ans sur l’océan Indien, il fut affecté au fort de Socoa, qui ferme la baie de Saint-Jean-de-
Luz. Au début de la monarchie de Juillet, on avait construit, le long de la Côte basque,
des sémaphores. Celui-ci faisait office de bureau télégraphique : des signaux visuels y
étaient envoyés aux navires, qui répercutaient les messages aux destinataires. En 1922-
1923, il a été jugé mal situé, et un nouveau sémaphore a été édifié plus en avant dans les
terres. Il a ensuite été laissé à l’abandon, puis vendu par la Marine. Ayant passé des pans
de mon enfance à Saint-Jean-de-Luz, j’ai fait l’acquisition de cette ruine en 1968 et l’ai
rendue habitable. Ce lieu est en effet une sorte d’ermitage, de refuge, qui a une fonction
d’ascèse. Il me rappelle que nous sommes nés et que nous mourrons seuls, et que ce n’est
que dans la solitude que nous pouvons découvrir la vérité. De la même manière que chez
Descartes, ce n’est qu’en se retirant de tout, en doutant de l’existence de l’Univers tout
entier, que s’acquiert la certitude fondatrice, le cogito, à partir duquel le reste prend sens.
Ainsi, ce lieu, parce qu’il est une solitude, peut être considéré comme propice, je ne dirais
pas à la méditation à la façon de Descartes, mais tout du moins à la réflexion et à
l’épreuve de la vérité.
Dans une page de Préjugés et Paradoxes, vous faites remonter l’éveil de votre vocation
philosophique à une expérience que vous avez eue enfant, à Saint-Jean-de-Luz. Pourriez-
vous nous la raconter ?
Je devais avoir 3-4 ans. Je contemplais le monde depuis ma chambre. Dehors, c’était
l’été. Les constructions étaient rares, les champs partout. Les maïs ondulaient dans le
vent, sous le soleil. Tout dans la nature allait paisiblement à sa destination. Cependant, je
voyais aussi des hommes qui semblaient accablés de tourments dont, alors, je n’étais pas
en mesure de bien caractériser la cause. Alors que tout au sein de la nature se produisait
dans une spontanéité innocente, les hommes paraissaient en proie au souci, comme
meurtris de leur propre condition. L’expérience la plus originaire, la plus prégnante, a
donc été pour moi celle de la séparation de la conscience par rapport au monde. Comment
rendre compte de ce hiatus, de cette scission entre esprit et nature ? Comment se fait-il
que l’homme seul soit cette espèce paradoxale qui, au lieu de poursuivre simplement sa
vie, s’interroge sans relâche sur sa signification ? Adolescent, j’ai commencé à m’occuper
de philosophie pour élucider ces questions. Ma première relation à cette discipline a été
de type religieux. Comme les croyants espèrent de leur foi le salut, j’attendais de la
philosophie, cette religion profane, qu’elle enseignât comment accomplir en nous le sens
de l’existence, pour ne pas s’en sentir écarté, pour ne pas s’en dévoyer.
Au cours de votre formation, au lycée puis à l’université, quels sont les professeurs qui
ont compté pour vous ?
En six dates
1933Naissance à Paris
1958Agrégation de philosophie
1968Il fait l'acquisition de l'ancien sémaphore de Socoa
1971Nommé professeur à l'université de Brest. Il rejoint ensuite Poitiers puis Bordeaux.
1983 Professeur à la Sorbonne. Il occupe successivement les chaires d'histoire de la
philosophie et de métaphysique
2012 Parution de L'Effervescence du vide (Grasset), où il revient sur Mai 68 et critique
l'art contemporain
J’en évoquerai deux, mais pour en parler avec justice et justesse, ils étaient, plutôt que
des professeurs, des artistes sans semblables. Le premier fut mon professeur de khâgne au
lycée Henri-IV, Maurice Savin [1894-1973]. Savin était le successeur d’Alain. Lorsqu’il
débarquait en classe, avec son pull kaki à col roulé et sa veste de tweed enfilée à la hâte,
il se mettait à improviser et soudain le prodige se réalisait : dans sa bouche, c’était
comme si le philosophe qu’il invoquait se substituait à lui, comme si Platon apparaissait
devant nos yeux et parlait de Platon, Spinoza de Spinoza, etc. Quant au second, il était en
chaire à la Sorbonne, et ses cours passaient le lundi après-midi à la radio. Rien ne
m’aurait détourné d’écouter sa voix. C’était Vladimir Jankélévitch. D’une prodigieuse
subtilité, il nous montrait ce que peut et doit être un philosophe, à savoir un homme qui
ne dit rien qu’il n’ait longuement pensé et qui ne pense rien qu’il n’ait profondément
vécu. Jankélévitch m’a administré la preuve de ce que l’on peut enseigner sans ennuyer,
de ce que les vérités les plus impersonnelles peuvent être transmises de manière aussi
évidente, aussi sensible qu’une brûlure. Je lui suis redevable de ce qui a été mon exigence
aussi longtemps que j’ai moi-même donné cours : faire vivre la pensée, la rendre aussi
contagieuse qu’une émotion.
Après une carrière dans l’enseignement secondaire, vous avez rejoint l’Université en
1971. Trois ans auparavant, c’était Mai 68. Vous jetez un regard très négatif sur cet
événement, notamment dans votre dernier essaiL’Effervescence du vide. Pourquoi ?
68 marque une rupture qui m’a profondément ébranlé. J’aurais très bien pu accueillir
avec enthousiasme la perspective d’un mouvement ouvrier d’ampleur, d’un vaste coup de
pied dans la fourmilière. Las, 68 a très tôt sombré dans tout ce que j’abhorre : le désordre
permanent, le grand n’importe quoi. Dans le monde de l’Université, l’idée inepte s’est
répandue que le cours magistral était par essence fasciste, totalitaire. Les étudiants
désiraient se débarrasser des maîtres qui, selon eux, accaparaient indûment la parole – les
professeurs. Parallèlement, ces années-là, la noble tradition philosophique, qui remonte à
Platon et court jusqu’à Sartre et Merleau-Ponty, était attaquée par de nouveaux discours
abscons qui mettaient au ban la catégorie même de vérité et qui, ne posant aucune
question, ne s’estimaient tenus de ne répondre à aucune.
Venons-en donc à votre œuvre… L’un de ses sujets centraux est le temps, depuis votre
premier ouvrage Le Désir et le Temps (1971) jusqu’à votre Ontologie du temps(1993).
Comment abordez-vous cette question ?
Pour saisir la réalité du temps, son être, il m’a semblé nécessaire de revenir à l’expérience
concrète que nous en avons. La vie de l’esprit est immédiatement tissée, tramée par le
temps. Son étoffe est d’emblée temporelle. Aussitôt que nous naissons, nous avons le
sentiment du déjà-là et sommes aspirés par un futur dont nous ignorons la teneur. Le
temps est à la fois cette sédimentation du passé en nous et cette agitation de l’avenir dans
le présent. Privilégiant cette seconde dimension, j’ai défini la conscience
comme attente. Alors que, dans le souvenir, le temps est donné comme révolu, nous
passons notre vie à attendre quelque chose qui, parfois, ne vient pas. Le présent semble
insaisissable et déficitaire, en ce qu’il est saturé par l’attente, qu’il fait écran à ce qui va
advenir. Il n’existe que pour être dépassé. Ainsi, la conscience ne coïncide jamais avec
elle-même. Elle se projette sans cesse vers ce qu’elle n’est pas encore. C’est pourquoi le
désir et la volonté sont deux des figures de l’attente. Le désir est l’attente d’une
satisfaction qui comblerait celui qui l’éprouve. La volonté est la visée d’un but que nous
nous assignons ; elle entend inaugurer un avenir différent du passé. Néanmoins, au fil des
années, un déplacement s’est opéré. Un thème plus fondamental encore est venu
supplanter celui du temps, cette ombre qui me cachait la proie véritable.
Pour sonder cette ambivalence, et cette malédiction de l’amour, vous vous êtes tourné
vers l’œuvre de Proust.
Dans la Recherche, seules la grand-mère et la mère du narrateur me semblent portées par
cette abnégation, cette générosité qui signale l’amour authentique. Chez Swann, ou le
narrateur, c’est la jalousie qui suscite l’amour, et non l’inverse. Swann n’est pas
particulièrement attiré par Odette : il ne la trouve pas si jolie que cela, elle lui paraît
même un peu idiote. Mais lorsqu’un soir, elle ne vient pas chez les
«Souhaiter vivre dans l’absolu, c’est vouloir habiter l’horizon. L’horizon,
on y va, mais on n’y parvient jamais»
Verdurin où il la rencontre habituellement, Swann s’embrase et s’angoisse : où est-elle ?
Que fait-elle ? Et avec qui ? Il souffre le martyre de son absence, imagine qu’elle pourrait
se donner à un autre. Il s’en croit alors amoureux. Quand il se retrouve finalement avec
elle, elle l’ennuie, l’insupporte, et il n’a pas plus pressant désir que de s’en débarrasser.
S’il aimait vraiment Odette, sa présence devrait l’immerger de grâce. L’exact contraire se
produit ; ce n’est que par impropriété de langage que l’on peut parler ici d’amour. Les
personnages de Proust sont asphyxiés, intoxiqués par le déferlement de leur imagination.
Ils sont enfermés dans la geôle de la représentation, qui clôt le sujet sur lui-même et met à
distance l’autre dans ce qu’il est intrinsèquement.
On pourrait vous objecter que le travail est souvent perçu sous l’angle de l’aliénation.
Oui, j’avais souvent entendu cela, que le travail est une calamité, une ex-appropriation de
soi, un obstacle à l’épanouissement personnel. Or, que dit Marx ? Que le travail est un
besoin élémentaire de l’homme, qu’il est la forme la plus naturelle d’expression et de
communion. J’infuse tout mon être dans ce que je fais. Et quiconque utilise le produit de
mon activité le fait sien, et de fait m’assimile. Le travail est la figure de la
transsubstantiation, c’est-à-dire ce par quoi la substance d’un individu se diffuse au sein
de la communauté et du monde. La nature y est spiritualisée, et l’esprit s’y naturalise.
Alors certes, aujourd’hui, le travail est devenu beaucoup plus abstrait. L’effort lié à
l’action manuelle sur la nature a été court-circuité par l’avènement de l’informatique.
Pour les nouvelles générations, le virtuel tient désormais lieu de réel. Ce n’est plus le
monde où je suis né…