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"Que l'on propose à tous les hommes de choisir, entre les coutumes qui existent celles qui
sont les plus belles et chacun désignera celles de son pays — tant chacun juge ses propres
coutumes supérieures à toutes les autres. Il n'est donc pas normal, pour tout autre qu'un fou
du moins, de tourner en dérision les choses de ce genre. Tous les hommes sont convaincus
de l'excellence de leurs coutumes, en voici une preuve entre bien d'autres : au temps où
Darius régnait, il fit un jour venir les Grecs qui se trouvaient dans son palais et leur demanda
à quel prix ils consentiraient à manger, à sa mort, le corps de leur père : ils répondirent tous
qu'ils ne le feraient jamais, à aucun prix. Darius fit ensuite venir les Indiens qu'on appelle
Calaties, qui, eux, mangent leurs parents ; devant les Grecs (qui suivaient l'entretien grâce à
un interprète), il leur demanda à quel prix ils se résoudraient à brûler sur un bûcher le corps
de leur père : les Indiens poussèrent les hauts cris et le prièrent instamment de ne pas tenir
de propos sacrilèges. Voilà bien la force de la coutume, et Pindare a raison, à mon avis, de la
nommer dans ses vers la reine du monde."
Hérodote, Enquêtes, III, 38, Ve siècle avant J.C., tr. fr. Andrée Barguet, 1985.
"Or je trouve, pour revenir à mon propos, qu'il n'y a rien de barbare et de sauvage en cette
nation, à ce qu'on m'en a rapporté, sinon que chacun appelle barbarie ce qui n'est pas de son
usage. Comme de vrai, il semble que nous n'avons d'autre mire de la vérité et de la raison
que l'exemple et idée des opinions et usances du pays où nous sommes. Là est toujours la
parfaite religion, la parfaite police, parfait et accompli usage de toutes choses. Ils sont
sauvages, de même que nous appelons sauvages les fruits que nature, de soi et de son
progrès ordinaire, a produits : là où, à la vérité, ce sont ceux que nous avons altérés par notre
artifice et détournés de l'ordre commun, que nous devrions appeler plutôt sauvages. [...]
Ils ont leurs guerres contre les nations qui sont audelà de leurs montagnes, plus avant en
la terre ferme, auxquelles ils vont tout nus, n'ayant d'autres armes que des arcs ou des épées
de bois, apointées par un bout, à la mode des langues de nos épieux. C'est chose
émerveillable que la fermeté de leurs combats, qui ne finissent jamais que par meurtre et
effusion de sang ; car, de déroutes et d'effroi, ils ne savent ce que c'est. Chacun rapporte
pour son trophée la tête de l'ennemi qu'il a tué, et l'attache à l'entrée de son logis. Après
avoir longtemps bien traité leurs prisonniers, et de toutes les commodités dont ils se peuvent
aviser, celui qui en est le maître, fait une grande assemblée de ses connaissants ; il attache
une corde à l'un des bras du prisonnier, par le bout de laquelle il le tient éloigné de quelques
pas, de peur d'en être offensé, et donne au plus cher de ses amis l'autre bras à tenir de même
; et eux deux, en présence de toute l'assemblée, l'assomment à coups d'épée. Cela fait, ils le
rôtissent et en mangent en commun et en envoient des lopins à ceux de leurs amis qui sont
absents. Ce n'est pas, comme on pense, pour s'en nourrir, ainsi que faisaient anciennement
les Scythes ; c'est pour représenter une extrême vengeance. [...] Je ne suis pas marri que
nous remarquons l'horreur barbaresque qu'il y a en une telle action, mais oui [je le suis] bien
de quoi, jugeant à point de leurs fautes, nous soyons si aveugles aux nôtres. Je pense qu'il y
a plus de barbarie à manger un homme vivant qu'à le manger mort, à déchirer par tourments
et par géhennes un corps encore plein de sentiment, le faire rôtir par le menu, le faire mordre
et meurtrir aux chiens et aux pourceaux (comme nous l'avons non seulement lu, mais vu de
fraîche mémoire, non entre des ennemis anciens, mais entre des voisins et concitoyens, et,
qui pis est, sous prétexte de piété et de religion), que de le rôtir et manger après qu'il est
trépassé."
Montaigne, Essais (15801595), livre Ier, chapitre XXXI.
"L'attitude la plus ancienne, et qui repose sans doute sur des fondements psychologiques
solides puisqu'elle tend à réapparaître chez chacun de nous quand nous sommes placés dans
une situation inattendue, consiste à répudier purement et simplement les formes culturelles,
morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles auxquelles
nous nous identifions. « Habitudes de sauvages », « cela n'est pas de chez nous », « on ne
devrait pas permettre cela », etc., autant de réactions grossières qui traduisent ce même
frisson, cette même répulsion en présence de manières de vivre, de croire ou de penser qui
nous sont étrangères. Ainsi l'antiquité confondaitelle tout ce qui ne participait pas de la
culture grecque (puis grécoromaine) sous le même nom de barbare ; la civilisation
occidentale a ensuite utilisé le terme de sauvage dans le même sens. Or, derrière ces
épithètes se dissimule un même jugement il est probable que le mot barbare se réfère
étymologiquement à la confusion et à l'inarticulation du chant des oiseaux, opposées à la
valeur signifiante du langage humain ; et sauvage, qui veut dire « de la forêt », évoque aussi
un genre de vie animal par opposition à la culture humaine. [...]
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux
qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus
marquante et la plus instinctive de ces sauvages mêmes. […]
L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du
village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent elles
mêmes d'un nom qui signifie les « hommes » (ou parfois dironsnous avec plus de
discrétion ? les « bons », les « excellents », les « complets »), impliquant ainsi que les
autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus ou même de la nature
humaine, mais qu'ils sont tout au plus composés de « mauvais », de « méchants », de «
singes de terre » ou « d'oeufs de pou ». On va souvent jusqu'à priver l'étranger de ce dernier
degré de réalité en en faisant un « fantôme » ou une « apparition ». Ainsi se réalisent de
curieuses situations où deux interlocuteurs se donnent cruellement la réplique. Dans les
Grandes Antilles, quelques années après la découverte de l'Amérique, pendant que les
Espagnols envoyaient des commissions d'enquête pour rechercher si les indigènes avaient ou
non une âme, ces derniers s'employaient à immerger des Blancs prisonniers, afin de vérifier,
par une surveillance prolongée, si leur cadavre était ou non sujet à la putréfaction. [...]
C'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et
les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier. En
refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de
ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare,
c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie."
Claude LéviStrauss, Race et histoire, 1952, Éd. DenoëlGonthier, coll. Médiations, 1968,
pp. 1922.
"Il semble que la diversité des cultures soit rarement apparue aux hommes pour ce quelle
est : un phénomène naturel, résultant des rapports directs ou indirects entre les sociétés ; ils y
ont plutôt vu une sorte de monstruosité ou de scandale. [...]
L'attitude la plus ancienne [..] consiste à répudier purement et simplement les formes
culturelles morales, religieuses, sociales, esthétiques, qui sont les plus éloignées de celles
auxquelles nous nous identifions. […]
Cette attitude de pensée, au nom de laquelle on rejette les « sauvages » (ou tous ceux
qu'on choisit de considérer comme tels) hors de l'humanité, est justement l'attitude la plus
marquante et la plus distinctive de ces sauvages mêmes. On sait, en effet, que la notion
d'humanité, englobant, sans distinction de race ou de civilisation, toutes les formes de
l'espèce humaine, est d'apparition fort tardive et d'expansion limitée. [...]
C'est dans la mesure même où l'on prétend établir une discrimination entre les cultures et
les coutumes que l'on s'identifie le plus complètement avec celles qu'on essaye de nier. En
refusant l'humanité à ceux qui apparaissent comme les plus « sauvages » ou « barbares » de
ses représentants, on ne fait que leur emprunter une de leurs attitudes typiques. Le barbare,
c'est d'abord l'homme qui croit à la barbarie."
Claude LéviStrauss, Race et Histoire, 1952, 1ère partie, UNESCO, 1952.
"Un joueur qui ne parierait jamais que sur les séries les plus longues (de quelque façon qu'il
conçoive ces séries) aurait toute chance de se ruiner. Il n'en serait pas de même d'une
coalition de parieurs jouant les mêmes séries en valeur absolue, mais sur plusieurs roulettes
et en s'accordant le privilège de mettre en commun les résultats favorables aux combinaisons
de chacun. Car si, ayant tiré tout seul le 21 et le 22, j'ai besoin du 23 pour continuer ma
série, il y a évidemment plus de chances pour qu'il sorte entre dix tables que sur une seule.
Or cette situation ressemble beaucoup à celle des cultures qui sont parvenues à réaliser les
formes d'histoire les plus cumulatives [1]. Ces formes extrêmes n'ont jamais été le fait de
cultures isolées, mais bien de cultures combinant, volontairement ou involontairement, leurs
jeux respectifs, et réalisant par des moyens variés (migrations, emprunts, échanges
commerciaux, guerres) ces coalitions dont nous venons d'imaginer le modèle. Et c'est ici que
nous touchons du doigt l'absurdité qu'il il y a à déclarer une culture supérieure à une autre.
Car, dans la mesure où elle serait seule, une culture ne pourrait jamais être « supérieure »
[...]. Mais nous l'avons dit plus haut aucune culture n'est seule ; elle est toujours donnée
en coalition avec d'autres cultures, et c'est cela qui lui permet d'édifier des séries
cumulatives."
Claude LéviStrauss, Race et Histoire (1952), Denoël, Gallimard, coll. « Folio essais »,
1987, pp. 6970.
[1] L'expression histoires cumulatives renvoie, dans Race et Histoire, à l'histoire des sociétés qui nous semblent
progresser, par opposition aux sociétés prétendues "sans histoire" ("stationnaires").
"Si nous jugeons les accomplissements des groupes sociaux en fonctions de fins
comparables aux nôtres, il faudra parfois nous incliner devant leur supériorité ; mais nous
obtenons du même coup le droit de les juger, et donc de condamner toutes les autres fins qui
ne coïncident pas avec celles que nous approuvons. Nous reconnaissons implicitement une
position privilégiée à notre société, à ses usages et à ses normes, puisqu'un observateur
relevant d'un autre groupe social prononcera devant les mêmes exemples des verdicts
différents. Dans ces conditions, comment nos études pourraientelles prétendre au titre de
science ? Pour retrouver une position d'objectivité, nous devons nous abstenir de tout
jugement de ce type. Il faudra admettre que, dans la gamme des possibilités offertes aux
sociétés humaines, chacune a fait un certain choix et que ces choix sont incomparables entre
eux : ils se valent. Mais alors surgit un nouveau problème : car si, dans le premier cas, nous
étions menacés par l'obscurantisme sous forme d'un refus aveugle de ce qui n'est pas nôtre,
nous risquons maintenant de céder à un éclectisme qui, d'une culture quelconque, nous
interdit de rien répudier : fûtce la cruauté, l'injustice et la misère contre lesquelles proteste
parfois cette société même qui les subit. Et comme les abus existent aussi parmi nous, quel
sera notre droit de les combattre à demeure, s'il suffit qu'ils se produisent ailleurs pour que
nous nous inclinions devant eux ?
L'opposition entre deux attitudes de l'ethnographe : critique à domicile et conformisme en
dehors, en recouvre donc une autre à laquelle il lui est encore plus difficile d'échapper. S'il
veut contribuer à une amélioration de son régime social, il doit condamner partout où elles
existent, les conditions analogues à celles qu'il combat, et il perd son objectivité et son
impartialité. En retour, le détachement que lui imposent le scrupule moral et la rigueur
scientifique le prévient de critiquer sa propre société, étant donné qu'il ne veut en juger
aucune afin de les connaître toutes. À agir chez soi, on se prive de comprendre le reste, mais
à vouloir tout comprendre on renonce à rien changer.
Si la contradiction était insurmontable, l'ethnographe de devrait pas hésiter sur le terme de
l'alternative qui lui échoit : il est ethnographe et s'est voulu tel ; qu'il accepte la mutilation
complémentaire à sa vocation. Il a choisi les autres et doit subir les conséquences de cette
option : son rôle sera seulement de comprendre ces autre au nom desquels il ne saurait agir,
puisque le seul fait qu'ils sont autres l'empêche de penser,de vouloir à leur place, ce qui
reviendrait à s'identifier à eux. En outre, il renoncera à l'action dans sa société, de peur de
prendre position visàvis de valeurs qui risquent de se retrouver dans des sociétés
différentes, et donc d'introduire le préjugé dans sa pensée. Seul subsistera le choix initial,
pour lequel il refusera toute justification : acte pur, non motivé ; ou, s'il peut l'être, par des
considérations extérieures, empruntées au caractère ou à l'histoire de chacun."
Claude LéviStrauss, Tristes Tropiques (1955), Chapitre XXXVIII, Pocket, pp. 461462.
"Aucune société n'est parfaite. Toutes comportent par nature une impureté incompatible
avec les normes qu'elles proclament, et qui se traduit concrètement par une certaine dose
d'injustice, d'insensibilité, de cruauté. Comment évaluer cette dose ? L'enquête
ethnographique y parvient. Car, s'il est vrai que la comparaison d'un petit nombre de sociétés
les fait apparaître très différentes entre elles, ces différences s'atténuent quand le champ
d'investigation s'élargit. On découvre alors qu'aucune société n'est foncièrement bonne ;
mais aucune n'est absolument mauvaise. Toutes offrent certains avantages à leurs membres,
compte tenu d'un résidu d'iniquité dont l'importance paraît approximativement constante et
qui correspond peutêtre à une inertie spécifique qui s'oppose, sur le plan de la vie sociale,
aux efforts d'organisation."
Claude LéviStrauss, Tristes Tropiques (1955), Chapitre XXXVIII, Pocket, p. 462463.
"Mais surtout nous devons nous persuader que certains usages qui nous sont propres,
considérés par un observateur relevant d'une société différente, lui apparaîtraient de même
nature que cette anthropophagie qui nous semble étrangère à la notion même de civilisation.
Je pense à nos coutumes judiciaires et pénitentiaires. À les étudier du dehors, on serait tenté
d'opposer deux types de sociétés : celles qui pratiquent l'anthropophagie, c'estàdire qui
voient dans l'absorption de certains individus détenteurs de forces redoutables, le seul
moyen de neutraliser cellesci et même de les mettre à profit ; et celles qui, comme la nôtre
adoptent ce qu'on pourrait appeler l'anthropoémie (du grec émein, vomir) ; placées devant le
même problème, elles ont choisi la solution inverse, consistant à expulser ces êtres
redoutables hors du corps social en les tenant temporairement ou définitivement isolés, sans
contact avec l'humanité, dans des établissements destinés à cet usage. À la plupart des
sociétés que nous appelons primitives, cette coutume inspirerait une horreur profonde ; elle
nous marquerait à leurs yeux de la même barbarie que nous serions tentés de leur imputer en
raison de leurs coutumes symétriques."
Claude LéviStrauss, Tristes Tropiques (1955), Éd. Plon, 1993, pp. 447448, Pocket, p.
464.
"Georges Charbonnier Oui, j'ai été frappé de cela, moi nonanthropologue, en lisant vos
livres, les livres de l'anthropologue. Je ne sais plus de quelle société primitive il s'agissait,
mais je crois que cet oubli n'est pas important. Tout me paraissait se passer comme si
l'anthropophagie, la torture, devenaient en quelque sorte légitimes. En en comprenant les
raisons, le phénomène devient comme légitimé. Je ne veux pas dire que vous le légitimez ;
je veux dire que, pour moi lecteur, j'ai l'impression qu'il y a là un objet de connaissance, tout
aussi passionnant qu'un autre, davantage peutêtre, et où le prix de la souffrance a disparu.
Cl. LéviStrauss. J'irais presque jusqu'à dire que cela devrait être ainsi ; en fait, cela ne
l'est jamais. Nous sommes tous plus ou moins spécialisés, car nous ne pouvons pas prétendre
connaître les 3 ou 4 000 sociétés différentes qui existaient encore à la surface de la terre vers
la fin du XIXe siècle il y en aurait moins aujourd'hui, parce que beaucoup ont disparu.
Nous sommes donc obligés de choisir, et nous le faisons pour des raisons qui ne sont pas
proprement scientifiques. D'abord, nous choisissons pour des raisons de hasard, parce que
les circonstances de notre carrière nous ont engagés dans telle ou telle direction, et puis aussi
pour des raisons qui tiennent à des affinités ou à des antipathies personnelles.Je me souviens
que dans les derniers mois de son existence, mon illustre collègue américain Robert Lowie
[1] que je prends comme exemple parce qu'il n'y a pas d'oeuvre plus objective, plus calme,
plus sereine que la sienne : en le lisant, on a l'impression qu'il s'agit là d'un savant
complètement désintéressé, qui étudie ces sociétés en toute objectivité, sans introduire le
plus petit coefficient personnel eh bien, ce même Lowie me disait qu'il ne s'était jamais
senti parfaitement à l'aise dans certaines des sociétés qu'il a pourtant étudiées de façon
pénétrante, et qu'en réalité il ne croyait pas les avoir pleinement comprises ; ainsi,
poursuivaitil, les Indiens Crow qui sont de ces Indiens des Plaines, avec des coiffures de
plumes enfin, ceux qui sont tellement populaires encore auprès de nos enfants lui
inspiraient une sympathie sans réserve, mais il n'en était pas de même des Indiens Hopi ces
Indiens des pueblos du sudouest des EtatsUnis, où il a fait d'excellents travaux.
Et quand je lui demandais pourquoi, il répondait : Je ne sais pas, mais si un Indien Crow,
trompé par sa femme, lui coupe le nez, c'est une réaction que je peux comprendre, et qui, en
un sens, me semble normale. Tandis qu'un Indien Hopi, dans la même situation, entre en
prières, pour obtenir des dieux que la pluie cesse de tomber et que la famine s'abatte sur
toute la communauté ; ce qui me paraît une attitude incompréhensible, presque monstrueuse,
et qui me hérisse littéralement. »
Je le répète, cela n'empêche pas que Lowie ait fait d'excellentes, d'admirables études chez
les Crow et chez les Hopi, mais il n'était pas en même situation dans les deux groupes, l'un
exigeait de lui un effort supplémentaire. Tous les ethnologues font des expériences de ce
genre.
Je ne peux pas nier que, quand je lis certaines descriptions des tortures auxquelles
pouvaient se livrer, ou les Indiens du Mexique, ou bien ceux des Plaines des ÉtatsUnis, je
ne ressente un certain malaise. Mais celuici est sans commune mesure avec l'horreur et le
mépris illimités que m'inspirent des pratiques comparables dans notre société. Tandis que,
dans le premier cas, je m'efforce d'abord de comprendre quel est le système d'attitudes, de
croyances et de représentations au sein duquel de telles pratiques peuvent exister."
LéviStrauss, Entretiens avec Georges Charbonnier, (R.T.F. 1959), coll. 10 x 18, pp. 14
16, 1961, JulliardPlon.
[1] Robert H. Lovie, auteur de Primitive Sociology que découvre Cl. LéviStrauss en 1933, et qui déjà souligne le
caractère artificiel des règles de la parenté et du mariage.
"Quand nous comparons la pensée primitive et la pensée infantile, et que nous voyons
apparaître tant de ressemblances entre les deux, nous sommes donc victimes d'une illusion
subjective, et qui se reproduirait sans doute pour des adultes de n'importe quelle culture
comparant leurs propres enfants avec des adultes relevant d'une culture différente. La pensée
de l'enfant étant moins spécialisée que celle de l'adulte, elle offre, en effet, toujours à celui
ci, non seulement l'image de sa propre synthèse, mais aussi de toutes celles susceptibles de
se réaliser ailleurs et sous d'autres conditions. Il n'est pas surprenant que, dans ce «
panmorphisme », les différences nous frappent plus que les similitudes, si bien que, pour une
société quelconque, ce sont toujours ses propres enfants qui offrent le point de comparaison
le plus commode avec des coutumes et des attitudes étrangères. Les moeurs très éloignées
des nôtres nous apparaissent toujours, et très normalement, puériles. Nous avons montré la
raison de ce préjugé, qui ne mériterait d'ailleurs ce nom que dans la mesure où nous
refuserions de nous rendre compte que, pour des raisons aussi valables, nos propres
coutumes doivent apparaître sous le même jour à ceux qui les observent du dehors."
LéviStrauss, Les Structures élémentaires de la parenté, Mouton, 1967, p. 110.
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Date de création : 14/03/2007 @ 17:15
Dernière modification : 10/02/2012 @ 13:54
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