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SAÏD L’ÉPREUVE

SADI
DE VÉRITÉ
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L’ÉPREUVE DE VÉRITÉ

Cette contribution n’a d’autre objectif que


de livrer une analyse aussi claire que possible de
la situation algérienne avec, hélas, ses avatars
présents et ses sombres présages. L’auteur de ces
lignes n’est ni candidat à quelque poste que ce
soit ni partie prenante de l’une ou l’autre des
mises en scènes qui se profilent sous nos yeux
depuis maintenant plusieurs semaines.

Il est désormais superflu de rappeler un


constat admis par tous : l’Algérie a manqué son
départ d’après guerre. Afin de justifier une
candidature fantasque et humiliante, pour lui
même et la nation, le président à vie n’a rien
trouvé de mieux que de proclamer son ralliement
à l’idée de procéder aux réformes de fond
préconisées par l’opposition démocratique qu’il
a combattues pendant vingt ans d’un règne que
paieront, dans le meilleur des cas, deux sinon
trois générations.

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Le déni

Ce qui peut donc faire débat et mériter


réflexion pour envisager des alternatives, du reste
de plus en plus hypothétiques, à notre drame, ce
sont les raisons objectives et subjectives qui ont
fait d’un pays de cocagne une réplique africaine
du Venezuela dont un chef d’Etat, ivre de son
pouvoir et ignorant la détresse de son peuple, a
fini par provoquer la mise sous tutelle de son
pays.

Encore qu’à Caracas des millions de


personnes défilent dans les rues depuis des mois
pour signifier leur refus de la soumission pendant
qu’Alger bruisse de rumeurs nourrissant les
fantasmes du retour de l’imam el mahdi.

Dans ses repères symboliques, ses


fondements institutionnels et sa geste politique,
avec leur cortège de régression culturelle, de
délabrement social et de marasme économique,
l’Algérie que nous avons connue a vécu.
Et devant ce problème existentiel, la plupart des
acteurs politiques se réfugient dans le déni.

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Il est, en effet, assez rare d’entendre dire que le
naufrage qui arrive est la conséquence mécanique
et prévisible d’un système oligarchique qui a
confisqué, avant de les épuiser, les ressources
morales, humaines et physiques du pays.

Les propositions les plus audacieuses


assènent que le rejet d’un cinquième mandat, par
ailleurs loufoque, suffirait à redonner crédibilité,
stabilité et performance à l’Etat. Chaque clan
assure que la machine qui a détourné le fleuve de
l’espérance en 1962, broyant un destin promis à
toutes les ambitions, serait un outil de progrès et
une source de bonheur si les manettes lui en
étaient confiées.

On touche là au fond de la problématique


nationale. L’impasse algérienne n’est pas
seulement angoissante par sa profondeur, sa
complexité et ses implications, elle est aliénante
par le fait que la domestication culturelle et
politique des élites interdit la réflexion en dehors
du périmètre conceptuel dessiné par des rapports
de force historiquement régis par la violence et
l’opacité. Et depuis 1988 que le pluralisme est
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toléré, une rengaine, confondant les causes et les
effets, livre un verdict sans appel : l’Algérie ne
souffrirait pas d’une conception politique qui,
étouffant la vie publique, mène invariablement au
désastre mais de la gestion maléfique d’un
dirigeant, dénoncé a posteriori, c’est à dire à sa fin
annoncée ou après sa chute.

Au lieu d’explorer les issues, de plus en


plus étroites, qui pourraient encore s’ouvrir devant
les bonnes volontés, les différents intervenants
prétendent qu’en usant des mêmes procédures et
en agissant dans les mêmes instances, ils
pourraient contenir sinon bloquer une tectonique
des plaques dont le mouvement éloigne
inexorablement le citoyen du dirigeant. L’affaire
est pourtant sérieuse car l’amplitude de la faille
est désormais telle qu’elle menace l’ensemble du
sous-continent nord-africain.

Et à voir les maigres annonces faites ici et


là par les postulants à la magistrature suprême,
force est de relever que la gravité du diagnostic de
la lourde pathologie algérienne n’est ni vraiment
perçue ni a fortiori assumée.
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Le pays est déserté par la conviction et le
dévouement. L’engagement n’est consenti que s’il
est suivi par un retour sur investissement rapide et
vénal. L’Histoire longue est abolie. Tout se passe
comme si, tétanisé et fasciné par son bourreau, le
client politique, redoutant la responsabilité de la
vie libre préfère la sécurité de son incarcération.

Le positionnement politique est dicté par


l’instinct de survie et l’esprit est bridé par l’instant
sur lequel nul n’a la moindre prise. Chacun
cherche le parrain qui préserverait ses intérêts et,
si possible, assouvirait ses haines. Se sauver du
présent quitte à hypothéquer l’avenir de ses
propres enfants. Voir l’écume et ignorer la houle.
Nous en sommes là.

Spasmes et calculs

Il y a seulement quinze jours, l’Algérie


vivait une situation de lévitation
constitutionnelle. Un chef d’Etat inaudible et
invisible, un conseil de la nation sans président,
une assemblée nationale cornaquée par un
putschiste, une présidence du conseil

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constitutionnel vacante et…un chef d’Etat major
qui jurait ne pas vouloir faire de politique
constituaient l’invraisemblable virtualité
politico-administrative du pays.

Pour faire bonne mesure, un homme, parachuté à


la tête de l’agglomérat qui se présente comme la
colonne vertébrale de l’alliance présidentielle
décide seul de dissoudre toutes les structures du
parti.

Dans cet Etat sans âme ni visage, quatre


gredins, dont les bases militantes effectives ne
recouvriraient même pas leur propre famille,
sont affectés aux tâches ménagères, le temps de
permettre aux mentors de préparer le décor,
colmater leurs différends et, autant que faire se
peut, lustrer le poster-candidat.

Deux partis de l’opposition, le RCD et le


FFS - est-ce vraiment un hasard ? - ont opposé,
chacun à sa façon, un rejet catégorique à un
challenge électoral qu’ils disent n’être, dans les
faits, que la reconduction d’un potentat.

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Au delà, la classe politique est animée par
des bégaiements mimétiques où les
tergiversations fébriles spéculent sur un
renversement clanique de dernière minute qui
autoriserait un reclassement dans un moule
inamovible.

Exception qui confirme la règle: le parti


islamiste MSP. Adepte résolu et assumé du
mouvement des frères musulmans, il se place,
comme tous ses congénères et par principe, au
sein de systèmes dont ils connaissent
parfaitement la faille originelle : l’illégitimité.
Tactiquement, le frère musulman peut camper
conjoncturellement une posture d’opposant mais
sa stratégie reste intangible : l’entrisme est une
approche que rien ne viendra jamais démentir.
La démarche a sa logique et sa méthode.

La logique postule que tôt ou tard la


compétition autour du monopole de la religion
tourne en faveur de celui qui s’en prévaut
officiellement. La polémique sur la prière à
l’école où le MSP et ses ouailles demandent
l’application d’une constitution qui stipule en
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son article 2 que l’Islam est religion de l’Etat
vient rappeler les limites des ruses de
contorsionnistes quand on piège les valeurs et
principes qui structurent les nations.
Concrètement, la méthode consiste à occuper le
moindre espace disponible pour avancer ses
pions en attendant que le fruit tombe.

Pour le reste des prétendants, c’est le


brouillard où l’improvisation le dispute à la
précipitation. Paradoxalement, ce sont les
dizaines de candidats folkloriques, trop vite
brocardés, qui illustrent le mieux ce moment
historique singulier.

Leur grouillante présence dans cette


cabale est, au fond, l’expression la plus fidèle de
la décomposition du maelström politique
algérien. Pourquoi diable la candidature d’un
prescripteur d’amulettes (il y en a au moins
deux) serait-elle moins crédible que celle d’un
poster ?

Quant à ceux qui se présentent en assurant


la jouer sérieux, on est consterné par l’indigence

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des propositions qu’ils mettent sur la table.
Quelques bons sentiments, des caresses en
appelant au nif national et une ou deux idées
aussitôt contredites par une confession contraire
donnent la mesure de l’impréparation à
l’exercice d’une fonction aussi éminente que
celle dévolue à une présidence de la République.

La panne perpétuelle

Dans ce lot, un ancien officier supérieur,


probablement estimable en tant que personne,
assure détenir la solution aux tempêtes qui
s’accumulent au dessus de nos têtes. Comme il
peine à donner du contenu à ses intentions ou
avancer des méthodes à même d’esquisser une
feuille de route lisible, des voix spéculent sur des
soutiens massifs et actifs dont il bénéficierait
dans les rangs de l’armée. Une fois de plus et
faute d’être appelé à se déterminer sur des offres
politiques, le citoyen est invité à déléguer son
libre arbitre aux mystères des sectes qui lui
garantiraient ses droits et sa liberté.

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La roulette russe continue.
Outre que rien ne vient corroborer ces
allégations, il convient de redire, encore une fois,
que les tractations occultes dans les officines
militaires ne sont pas la solution mais la cause
du malheur national. Quand bien même ces
supposés soutiens seraient-ils réels et vérifiables,
celui qui en bénéficierait en serait
obligatoirement leur obligé, ce qui, en Algérie,
est la condition même du statu quo. On objecte
déjà qu’une fois au pouvoir, l’heureux adoubé
pourra toujours se libérer d’attaches
encombrantes et orienter le pays vers des
pratiques plus saines et plus transparentes. Si
l’on s’en tient aux expériences passées, le pari
est pour le moins risqué.

Ni Ben Bella ni Chadli ni Zeroual n’ont pu


s’émanciper des liaisons dangereuses qui les ont
portés au pouvoir. Bouteflika a survécu à ses
appuis parce qu’en bon artisan du clan d’Oujda,
groupe militariste s’il en est, il a assumé et
répondu à toutes les demandes des généraux
quand il ne les a pas devancées. Concéder une

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allocation de 12 milliards de dollars au secteur
militaire dans une conjoncture économique aussi
atone que celle que vit l’Algérie est la preuve
que le pouvoir est toujours régi par une doxa
militaire hégémonique.

D’aucuns, habités par l’illusion des


miracles immérités, se prennent à rêver d’un
Attaturk algérien. Ce n’est faire injure à
personne que de souligner les éléments qui
distinguent à tous égards l’armée turque de celle
de Boumediene, conçue et gérée de sorte
qu’aucune tête pensante ne dépasse. Avec
Attaturk, l’institution militaire a assumé la
séquence consacrant la fin de l’empire ottoman.

L’armée algérienne, pour ce qui la


concerne, a pris le pouvoir en 1962 pour imposer
l’islamo-socialisme comme matrice doctrinale,
marécage dans lequel ont prospéré les
malentendus les plus obscurs. On aura observé
que jusqu’à présent, tous ceux qui se sont
exprimé sont restés vagues et sommaires sur des
questions demeurées en suspens depuis
l’indépendance et qui appellent, pourtant, des
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réponses aussi urgentes que précises.
Dans des sociétés aussi paralysées que la notre,
la seule intervention de l’armée qui vaille eut été
celle qui mît un terme à ses propres turpitudes.
On voit mal l’avènement d’une révolution des
œillets, qui a dissous le salazarisme au Portugal,
advenir dans l’armée algérienne. Alors on tourne
en boucle.

Les fausses pistes

Appelant à l’insurrection armée pour la


libération nationale, la proclamation du premier
novembre ne pouvait pas, et ne devait pas, être
autre chose qu’un texte succinct, un passe
partout politique destiné à mobiliser dans
l’urgence le maximum d’Algériens dans un
moment historique où la question nationale était
encore en gestation conflictuelle, y compris
parmi les militants les plus radicaux.

N’engageant à rien en terme


programmatique et n’impliquant aucune
contrainte dans l’exercice du pouvoir, sa finalité
ou son contrôle, elle est invoquée par tous les

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prétendants qui ne veulent pas ou ne peuvent pas
assumer des choix institutionnels, sociétaux ou
géopolitiques qui sont la sève de toutes les
nations modernes. En aparté, les anciens
militants les plus vertueux déplorent cette
confusion et les abus qu’elle charrie mais ils sont
rares à exprimer publiquement leur
désenchantement et leur colère.

En la matière, chacun peut relever que la


plate forme de la Soummam qui a transformé
une révolte en révolution est totalement évacuée
du débat actuel. Ce document, qu’il ne faut ni
sacraliser ni diaboliser reste, pourtant, à ce jour,
le seul acte politique qui ait clairement formulé
avant l’indépendance les fondamentaux d’un
projet de société sur lequel se sont engagés les
Algériens.

Ce sont les structures et les orientations du


congrès d’août 1956 qui ont encadré et porté le
combat algérien jusqu’à son ultime consécration.
Il se trouve que ce compromis a été neutralisé
par un coup d’Etat perpétré au Caire en aout
1957. Et contrairement à ce qui se dit ou se
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suggère ici et là, les causes de ce putsch ne
sauraient être réductibles à une question de
tempéraments ou d’ambitions irréconciliables.
On sait aujourd’hui que ces données qui ont pu
jouer à la marge ont été exacerbées et
manipulées par des puissances étrangères pour
aspirer l’Algérie dans l’orbite de la pensée
unique et de la gestion de la force brutale,
déroutant ainsi un mouvement qui avait su
fédérer et intégrer en pleine guerre des
sensibilités nuancées et même franchement
différentes.

S’il faut veiller à rester mesuré et


disponible à l’écoute en ces temps
d’évanouissement avancé de la conscience
nationale algérienne, il convient aussi de ne pas
chercher à entretenir des leurres alternatifs en
cultivant des mœurs politiques qui sont à
l’origine de la congélation actuelle.

Refuser, par ruse politique ou paresse


intellectuelle, une mise à plat générale des faits
et évènements qui ont conduit à notre déchéance,
les refouler par peur ou culpabilité est la
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meilleure manière de précipiter une implosion
nationale que tout annonce. Et les forces
centrifuges sont déjà à l’œuvre. C’est dire si la
censure et les diversions sont vaines. L’époque,
la révolution numérique et la démystification de
la guerre ont libéré la parole. Les tabous peuvent
empêcher le pays de se construire mais ils sont
inopérants dans la transmission des vérités vers
de jeunes mémoires rétives à l’embrigadement.

Cette évidence n’a pas imprimé la pratique


politique ambiante. Ce qui fait que par manque
de courage ou incompétence, les bribes de
programme énoncées ne sont que de mièvres
déclinaisons des bouillies politiques de l’archéo-
FLN : vouloir s’immerger encore plus dans un
monde arabe déliquescent, invoquer la
dimension religieuse comme socle libérateur
exclusif de la collectivité, s’empaler sur des
revendications postcoloniales désuètes ou vanter
les mérites de la peine de mort alors que toutes
les études ont démontré la fatuité de son
caractère dissuasif est emblématique d’un
discours vaporeux, qui a de tout temps irrigué le

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système algérien. Ces idées qui ont parasité une
scène nationale stérilisée par le dirigisme
intellectuel sont maintenant toxiques en ce
qu’elles véhiculent une charge irrationnelle qui
préempte la raison et la liberté, seuls outils
permettant d’appréhender la réalité politique.

Pérenniser l’audace

En plus de la néantisation de la question


environnementale qui nous réserve un réveil
aussi brutal que douloureux, l’autre grand absent
du débat est le dossier, pourtant vital, de la
relance de la construction démocratique nord-
africaine. Alignés sur un bellicisme négateur de
règles économiques les plus élémentaires,
conditionnés par un terrorisme politique
entretenu par des parrains couvant des intérêts
maffieux, les postulants esquivent le principe
même d’une mise à l’ordre du jour d’un chantier
qui conditionne l’avenir d’une région dont nous
sommes un des constituants majeurs auquel il
revient, en premier, de dénouer les ligatures
mortifères.

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Dans ce climat délétère, la région qui fut
jusque là le meilleur laboratoire des initiatives et
projections politiques innovantes du pays se voit
assignée une mission à contre emploi. Figurée
par ses déchets, la Kabylie a servi de condiment
folklorique à la tambouille politique du pouvoir
et s’expose, présentement, comme le principe
actif d’une spoliation éhontée de la ressource
nationale, doublée d’une mission de pollution
d’un combat démocratique qu’elle a si souvent
amorcé. Boumediene a voulu museler la
Kabylie, Bouteflika s’est donné comme objectif
de la pervertir.

A voir la vitalité des cafés littéraires ou la


vigueur des comités de villages, il est aisé de
déduire que malgré la mobilisation de moyens
colossaux, les deux options ont fait long feu.
Plus généralement, les migrations de la jeunesse,
asservie par un système éducatif archaïque, vers
le Nord ou la permanence de ses contestations
dans le grand sud signent un échec patent du
modèle FLN.

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Enfin, la diaspora algérienne affiche
encore une disponibilité que n’ont pas
découragée les stigmatisations revanchardes et
des retours au pays peu stimulants. Par quelque
angle que l’on appréhende la situation, force est
de constater que les promesses réformatrices
lancées de l’intérieur du système se sont toutes
avérées illusoires et qu’en la circonstance, elles
ne figurent même pas dans l’agenda du pouvoir.
Jusqu’à preuve du contraire, toutes les énergies
positives naissent, s’organisent et s’expriment
dans des espaces autogérés.

On entend déjà les avocats des causes


perdues pointer du doigt la sévérité de la
présente analyse. Ce serait se méprendre sur la
vraie nature des problématiques qui pèsent sur
notre destin, l’intensité de leurs manifestations
sous-terraines et les conséquences de leurs
projections finales. Avec d’autres patriotes, le
rédacteur de cette contribution a participé à des
actions et compétitions inscrites dans les cadres
institutionnels en faisant preuve de la patience,
certains ont dit naïveté, qu’appelaient les

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difficultés qui pouvaient accompagner la
construction d’une jeune nation.

Il a bien fallu constater que le système


algérien est inamendable. Il a été récemment
rappelé, à juste titre, que l’exigence et
l’obtention des procès verbaux lors des
dépouillements n’ont pas empêché
l’administration de transmette d’autres
documents lors de la consolidation des résultats.

On se souvient que l’installation officielle


et publique des commissions des réformes de
l’école, de l’Etat et de la justice, mises comme
autant de conditions à l’intégration au
gouvernement, ne connurent aucune suite… Et
la liste des engagements reniés est longue.

Faut-il encore rappeler que la question du


pluralisme politique, le dossier de l’identité
nationale, celui des droits de l’homme, entre
autres, ne sont endossés par le pouvoir, avec
retard et malice, qu’au prix de longues et
douloureuses luttes ?

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Comme tout ce qui est consenti de
mauvaise foi, le traitement est généralement
artisanal voire, en certaines occasions, plus
dommageable que la répression. Il n’empêche,
grâce aux combats audacieux la nation évoque,
vaille que vaille, ce qui touche à son intimité
politique et sociétale. Ces avancées sont le fait
d’une militance autonome et offensive qu’il faut
savoir faire partager au plus grand nombre.
Dire aujourd’hui que la résurrection algérienne
doit se concevoir en dehors des carcans officiels
ne relève ni du dépit ni de la surenchère ni de la
radicalité.

Face au destin

La mise en perspective d’un nouveau


destin ne sera pas le fait du pouvoir. Il ne sait pas
et ne voudra pas le faire. Il peut, dans le meilleur
des cas, être associé à une sortie honorable
consacrant sa fin de vie. Aucun des acquis qui
viennent d’être rappelés n’a été le fruit d’une
décision du régime. Il en sera de même pour la
recherche d’une nouvelle configuration nationale
à laquelle appellent depuis des années les
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opposants les plus raisonnables. Sauf que si on
attend de voir le pouvoir s’y résoudre, ce sera
trop tard car, cette fois, le sujet tient du « one-
shot ».

On peut toujours rattraper un retard ou


corriger une trajectoire sur un chantier si lourd et
si complexe soit-il, mais l’Histoire n’offre pas
beaucoup d’exemples de nations ressuscitées
quand elles ont sombré. Or c’est bien la survie
de la nation qui se joue sous nos yeux.

L’inévitable menace islamiste qu’on ne


manquera pas de brandir ne vaut que s’il y a une
volonté du régime de l’instrumentaliser pour
justifier un maintien que son bilan condamne.
Imposer un cahier des charges où les principes
démocratiques seraient des postulats auxquels
doit souscrire tout compétiteur est une chose
faisable et éprouvée avec succès chez nos
voisins.

Face à l’enjeu du destin national,


l’échéance du 18 avril est, au fond, un
épiphénomène. Ceux qui, ignorant les

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enseignements du passé, ont, malgré tout, voulu
s’y engager vérifient quotidiennement, et à leurs
dépends, la vanité de disputer dans son antre la
victoire à un spectre représenté par son image.
Qu’ils se retirent au dernier moment ou qu’ils
crient leur indignation le soir des résultats est, en
vérité, anecdotique. L’essentiel et l’urgence sont
ailleurs.

Maintenant que nous nous sommes soumis


à des affronts que peu de peuples ont accepté de
supporter, maintenant que le fard par lequel nous
avons maquillé nos petitesses a fondu,
maintenant que l’orgueil mâtiné de racisme que
nous opposions à nos frères subsahariens nous
est interdit, nous sommes obligés de nous
regarder tels que nous sommes avant d’affronter
le regard de nos enfants.
Nous n’avons d’autres choix que de nous
repenser à travers de nouvelles valeurs et par des
mécanismes opérationnels étrangers à la
grammaire politique du système.

La bataille sera rude, ce qui ne veut pas


dire qu’elle ne sera pas loyale si nous nous
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donnons les moyens de la préparer avec clarté et
méthode. C’est bien connu, il n’y a de bataille
perdue que celle qui n’a pas été livrée.

A ceux qui seraient impressionnés par les


menaces d’apparatchiks vantant la capacité du
régime à contenir la rue, il faut rappeler cette
vérité. Les Algériens n’ont pas gagné leur
indépendance parce qu’ils disposaient d’une
force supérieure à celle de l’armée française. Ils
se sont libérés le jour où ils ont compris qu’il n’y
avait rien à espérer de l’ordre colonial.

Alger le 13 février 2019. Said SADI

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L’ÉPREUVE
DE VÉRITÉ
Les Algériens n’ont pas gagné leur indépendance
parce qu’ils disposaient d’une force supérieure
à celle de l’armée française.
Ils se sont libérés le jour où ils ont compris
qu’il n’y avait rien à espérer de l’ordre colonial.

SAÏD SADI
13 02 2019

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