Histoire Epistémologie Langage VIII-2 (1986) 105
ACTES DE PENSEE ET ACTES
LINGUISTIQUES DANS LA GRAMMAIRE
GENERALE
Sylvain AUROUX
ABSTRACT : In so far as general grammar belongs to the class of
language-translation theories, it does not have a semantic theory that
enables it to define enunciative phenomena. However, it has made possible
various analyses of the phenomena, either by referring to acts of thought
(Port-Royal), or by using the indication of the act of speech (Beauzée),
or by reducing the assertion to the linguistic act of pronunciation
(Condillac). But, because it is unable to conceive self-reference, it cannot
define the concept of performaticity.
RESUME : Appartenant & la classe des théories du langage-traduction,
la grammaire générale ne dispose pas d'une théorie sémantique qui lui
permette de définir les phénomenes énonciatifs. Elle a permis cependant
une large gamme d’analyses de ces phénoménes, soit en partant des actes
de pensée (Port-Royal), soit en utilisant le repére de I'acte de parole
(Beauzée), soit en réduisant l'affirmation a lacte-linguistique de la
prononciation (Condillac). Faute de pouvoir comprendre la sui-référence,
elle ne peut toutefois pas dégager le concept de performativité.
Les théories classiques du langage appartiennent a la classe
des théories du langage-traduction, c’est-’-dire pour lesquelles la
séquence linguistique est avant tout l'image d'une séquence de
pensée. Ce qui les distingue généralement des théories tradition-
nelles du méme type (cf. Aristote, Int. 16a 4-5), c'est le réle de la106 Auroux: Actes de pensée et actes linguistiques
subjectivité. On peut ramener la notion de subjectivité 4 trois
conditions : 1) penser est le fait d'un individu hic et nunc;
2) l'esprit correspond a un certain nombre de facultés individuelles
(notamment la volonté) qui interviennent dans son fonctionne-
ment représentatif; 3) les représentations de la pensée n'ont
aucune communauté de nature avec le monde qu’elles
représentent.
Le fait que le langage soit l'image de la pensée peut se traduire
de multiples facons : a) on met simplement en correspondance
deux suites d’éléments, qui méme si elles ont des modes de
réalisation différents (l'une est simultanée, autre est successive),
d'une part se correspondent terme a terme, d’autre part sont
congues comme la description d’un état; b) les séquences sont
envisagées comme des processus ou comme comportant des
processus, c'est-a-dire des actes du sujet pensant et/ou parlant.
Dans cette derniére hypothése, il convient encore de faire des
distinctions. On peut avoir quatre cas : i) certains éléments de
Ténoncé sont des images de certains actes de pensée ; ii) les actes
de pensée définissent des propriétés des séquences linguistiques
sans qu’ils y soient nécessairement marqués ; iii) I’acte locutoire
est un paramétre pour définir la signification de certains éléments
de la séquence linguistique (par exemple temps verbal, pronoms
personnels); iv) I'acte locutoire donne naissance 4 des actes
impossibles sans lui. Il est évident que les cas (ii) 4 (iv) mettent
en difficulté hypothése du langage-traduction.
On peut difficilement considérer que les théories du type (a),
ont quelque chose d’intéressant a dire sur I’énonciation. C’est avec
les théories de type (b) que les théories linguistiques commencent
a accorder de l'intérét aux phénoménes énonciatifs. Dans la
grammaire générale cet intérét correspond d’abord & la théorie du
verbe et sa fonction assertive. Il est par la-méme lié au transfert
des concepts logiques dans le champ de la grammaire, en
particulier 4 la définition de la phrase (ou proposition) comme
signifiant un jugement. Cette définition n’a été que peu utilisée par
les grammairiens antérieurs (Padley 1985:299-300).
Toute théorie du jugement - qu'elle soit grammaticale ou
logique - ne prend pas nécessairement en considération les
paramétres énonciatifs. Pour qu'elle le fasse, il semblerait que la
clause (2) du subjectivisme joue un réle important, dans la mesure
ou elle 6te aux valeurs de vérité une dépendance exclusive a l'égardAuroux:: Actes de pensée et actes linguistiques 107
des contenus représentatifs. Ainsi pour Descartes « la volonté est
autant requise que l’entendement pour juger ; elle a plus d’étendue
que lui, et est cause de nos erreurs » (Principes de la philosophie, 1644,
§ 34-35). Leibniz, al’inverse, restera dans une théorie de type (a), par
refus du subjectivisme : « Errorum omnium origo eadem est, suo
quodam modo, quae errorum calculi ratio apud Arithmeticos obser-
vatur » (Animadversiones in Cartesium, ad locum).
Les théories classiques du verbe (cf. Delesalle/Désirat 1981,
Auroux 1984) ont pour caractéristique générale de soutenir la
décomposition canonique en /étre + participe présent/ (théorie
du verbe substantif). Elles offrent un choix entre trois valeurs (non
exclusives) du verbe substantif, et donc du fonctionnement
propositionnel : les deux valeurs que Benveniste (1966:154),
probablement inspiré par la grammaire classique, nomme cohésive
et assertive, et une valeur existentielle. Je pense qu’on peut
retrouver la source de ces trois valeurs chez Aristote (respective-
ment Int : 16b22, 17a17, 21b8). Encore faut-il pour obtenir une
théorie qui touche 4 I’énonciation, que certains éléments de
Yénoncé canonique soient interprétés comme signifiant des actes.
La encore il y a une longue tradition que Nuchelmans fait remonter
d'une pari a l’interprétation médiévale (xim1* siécle) des syncatégo-
rématiques (1983:101 s.) par l’opposition exercitus VS affectus (1),
dautre part au cartésianisme. La meilleure preuve de ce dernier
point est que la Logica fundamenta suis, a quibus hactenus collapsa
fuerunt, restituta (1662) de A. Geulinx, fortement influencé par
Descartes, distingue les mots (nota) qui expriment la réalisation
d'un acte (signum actus ut exerciti). Quant a la fonction cohésive
du verbe, Padley (1985:305-7) a montré qu'elle apparaissait chez
Campanella (1638), Scaliger (1540), Caramuel (1654), Dalgarno
(1661) et Wilkins (1668). Le courant de pensée qui s'inaugure avec
Port-Royal me parait apporter une discussion systématique de
certains phénoménes énonciatifs, en particulier I’affirmation. II ne
s'agit évidemment pas de théorie de I’énonciation au sens moderne,
en particulier parce que ces théories se répartissent sur le spectre
(i-iv), et que de surcroit, les théories de type (iii) semblent
indépendantes des autres, ce qui est évidemment trés paradoxal
anos yeux modernes. Je prendrai trois exemples pour illustrer cette
répartition : Port-Royal, Beauzée (en m’appuyant sur la derniére
forme de la théorie dans I'Encyclopédie Méthodique 1782-1786), et
Condillac (1775).
Alexandre Duchene - Ideologies Across Nations - The Construction of Linguistic Minorities at The United Nations (Language, Power and Social Process) (2008) PDF
(Palgrave Pivot) Coray, Renata - Duchêne, Alexandre - Flubacher, Mi-Cha - Language Investment and Employability - The Uneven Distribution of Resources in The Public Employment Service (2017, Palgr PDF