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IS-LM (le modèle IS-LM)

Définition
En avril 1937, John Hicks publie un article dans la revue Econometrica intitulé "Keynes
and the classics : a suggested interpretation" (Keynes et les classiques : une interprétation
possible), dans lequel il explique le modèle IS-LM, son interprétation de la Théorie
Générale (TG). L'article de Hicks tente de faire une synthèse des analyses keynésienne et
classique ; Hansen reprendra et diffusera l'idée plus tard, en 1952, dans son livre Théorie
Monétaire et Politique Fiscale.

Le modèle IS-LM est considéré comme une version formalisée des idées de Keynes, une
représentation algébrique et graphique d'un certain nombre de relations posées plus ou
moins explicitement par Keynes dans la TG. Cependant, certains keynésiens réfutent cette
idée de synthèse dont ils nient le caractère keynésien. Ainsi le débat autour du modèle IS-
LM reflète le débat sur l'interprétation de la TG.

Analyse
Le principal apport du modèle original réside dans la détermination simultanée, en
économie fermée, du revenu national et du taux d'intérêt à partir d'une interaction entre les
marchés des biens et des services (IS) et le marché de la monnaie (LM).

La courbe IS

La courbe IS représente l'ensemble des combinaisons de taux d'intérêt (i) et de revenus (Y)
qui assurent l'équilibre sur le marché des biens et des services. Sur ce marché, le niveau
général des prix étant donné, l'offre (Y) correspond au revenu, qui se partage entre la
consommation (C) et l'épargne (S). Y = C + S

- La demande globale (D) se décompose en consommation (C) et investissement (I),


(D=C+I), et l'équilibre entre l'offre et la demande dépend donc de l'équilibre entre
l'investissement et l'épargne (I=S implique Y=D).

- L'investissement est une fonction décroissante du taux d'intérêt (car la hausse des taux
d'intérêt, en augmentant le coût de financement pour les entreprises, réduit le montant des
investissements rentables). L'épargne est une fonction croissante du revenu.

Ainsi, la courbe IS représente les couples de valeur (Y, i) compatibles avec la réalisation
de l'équilibre sur le marché des biens et des services (I=S) ; la pente de IS et négative : si i
diminue, I augmente, alors S doit augmenter aussi (I=S) ; cela présuppose que Y augmente
également, donc i et Y varient en sens inverse (cette pente est d'autant plus forte que
l'investissement est moins sensible aux variations du taux d'intérêt).

La courbe LM

La courbe LM représente l'ensemble des combinaisons de taux d'intérêt (i) et de revenu


(Y) qui assurent l'équilibre sur le marché monétaire. Sur ce marché, l'offre M est
déterminée par la politique de la Banque centrale. La demande, L (pour liquidité), se
partage en une demande d'encaisses de transaction (L1) et de spéculation (L2).

La demande d'encaisse de transaction est une fonction croissante du niveau du revenu


(plus on est riche, plus on dépense… et plus on a besoin de moyens de paiement).

La demande d'encaisse de spéculation L2 s'explique ainsi : les spéculateurs conservent


leurs encaisses monétaires lorsque les cours des titres financiers sont élevés, car ils
anticipent alors une baisse. Ils les utilisent au contraire pour acheter des titres quand les
cours sont bas, espérant réaliser une plus-value. L2 est une fonction décroissante du taux
d'intérêt car le cours des titres varie en sens inverse du taux d'intérêt, L2 = L2 (i). La
condition d'équilibre est donc donnée par M = L1 (Y) + L2 (i).

La courbe LM représente les couples de valeur (Y,i) compatibles avec cet équilibre. Sa
pente est positive dans la "phase normale". La partie horizontale de la courbe correspond à
la "trappe à liquidité" (le taux d'intérêt est tellement faible que la monnaie est thésaurisée)
et la partie verticale à la "phase classique" (il n'y a plus de thésaurisation, toute la monnaie
est placée).

L'équilibre IS-LM

L'intersection des courbes IS et LM donne le couple de valeurs (Y,i) compatible avec


l'équilibre sur le marché des biens et des services et sur le marché de la monnaie.

L'équilibre IS-LM
Dès lors que le marché du travail ne participe pas à la détermination de l'équilibre global,
on peut imaginer que le couple (Y,i) corresponde à un "équilibre de sous emploi". C'est du
moins la conclusion qui intéresse les concepteurs du modèle IS-LM. Hicks visait
clairement à construire un modèle qui pose la question de l'intervention publique : quelles
politiques peuvent nous rapprocher du plein-emploi ?

Le "trait d'union" entre les différents marchés est le taux d'intérêt car le taux d'intérêt joue
un rôle dans les fonctions de production (c'est lui qui détermine le seuil de rentabilité des
activités en deçà duquel les entreprises ne doivent plus investir) et sur le marché des
capitaux (puisque ce marché est le marché des "fonds prêtables" et que les détenteurs de
revenus peuvent arbitrer entre consommer ou épargner en fonction de la plus ou moins
grande rémunération qu'on leur propose sur ce marché en se privant d'une consommation
immédiate). C'est donc autour du taux d'intérêt, véritable "confluent" de l'économie réelle
et de l'économie des capitaux, que s'organise la synthèse que propose le modèle IS-LM.

Utilisations du modèle

1. La version de base consiste en une reformulation conjointe de la théorie néoclassique et


de la théorie keynésienne destinée à permettre leur comparaison terme à terme. Deux
oppositions apparaissent :

·- Contrairement à l'hypothèse dichotomique chère aux néoclassiques (sphère réelle/sphère


monétaire), il y a interaction entre le marché des biens et le marché de la monnaie

- Il n'existe pas de marché du travail pour garantir la réalisation du plein emploi, alors qu'il
s'agit là d'un pilier du modèle néoclassique.

2. Le modèle IS-LM est traditionnellement utilisé pour représenter les effets de la politique
économique. Avec ses diverses "boites" qui se connectent entre elles, le modèle IS-LM
procure en effet un cadre d'ensemble pédagogique si l'on est capable de discerner en quoi
la modification d'un paramètre ou la prise d'une mesure fait bouger les diverses courbes
qui le composent. C'est ainsi qu'il a été traditionnellement utilisé pour illustrer l'effet d'une
politique budgétaire expansive, d'une offre de monnaie plus accommodante, etc.

- Une politique d'augmentation de la masse monétaire se traduit par un déplacement de la


courbe LM vers la droite ; on constate qu'elle est d'autant plus efficace que l'on s'éloigne
de la "trappe à liquidité".

- Une politique budgétaire d'augmentation de la dépense se traduit par un déplacement


vers la droite de la courbe IS : cette fois, la politique menée est d'autant plus efficace que
l'on s'éloigne de la "zone classique" où il y éviction complète de l'investissement privé par
l'investissement public.

Et le marché du travail ?

Dans le modèle IS-LM l'équilibre se détermine sans faire appel au marché du travail. Ceci
peut surprendre mais reflète bien l'essence de la "percée Keynésienne".

Dans la vision classique, le marché du travail est le lieu où se déterminent les revenus des
salariés. Ces revenus entrent dans la détermination de leur consommation et par ce canal
s'effectue une connexion avec le marché du travail et le marché des biens, donc le niveau
de production.

Dans la vision keynésienne l'équilibre se détermine à partir de la demande globale. Celle-


ci comprend les revenus salariaux mais peut avoir une composante autonome ou exogène,
impulsée par la dépense publique par exemple. La demande globale est donc un concept
"englobant" et pour partie "pilotable" qui incorpore la contribution des salaires mais dont
le total peut être déconnecté des salaires. Il est logique, dans ces conditions, que le marché
du travail n'intervienne pas ex-ante, directement, dans la détermination de l'équilibre
général. Ex post en revanche, le niveau de production effectivement atteint influence le
nombre d'heures travaillées, donc l'équilibre sur le marché du travail. Au total, le marché
du travail est connecté aux autres, mais sous forme d'une relation de conséquence et non
de causalité réciproque.

Le modèle IS-LM est-il keynésien au sens des idées énoncées par Keynes dans sa
Théorie générale ?

Keynes connaissait Hicks et a reconnu son interprétation comme valable. Il l'a critiquée,
mais l'a trouvée assez vraisemblable pour une version pragmatique de sa Théorie
Générale. Hicks, de manière fidèle à la TG, offre une vue globale de l'économie. Il base
LM sur la préférence à la liquidité et les encaisses de précaution, de transaction et de
spéculation. Il respecte aussi le concept de trappe à liquidité. L'idée qu'une hausse de la
masse monétaire agit sur le niveau d'emploi est également keynésienne : pour les
classiques, la monnaie est un voile. De la découlent la possibilité, les moyens et les effets
de l'intervention de l'Etat, centrale dans la TG et le modèle IS-LM. Le modèle de Hicks est
valable en courte période et en économie fermée, perspective dans laquelle se situe
l'analyse de Keynes.

Qui critique l'interprétation de Hicks de la TG ? D'abord, la nouvelle école de Cambridge :


Joan Robinson dans ses Hérésies économiques(1972), Kaldor, Kalecki… Ensuite, les post-
keynésiens. On peut considérer qu'ils formulent deux types de critiques.

a. Le modèle IS-LM est réducteur

Hicks "oublie" des innovations importantes de Keynes, comme les anticipations. Robinson
souligne qu'"une chose qu'il (Keynes) n'a certainement jamais dite est qu'une baisse
définitive du taux d'intérêt entraînerait une hausse définitive du taux d'intérêt". Hicks
simplifie la mécanique de Keynes, il crée un modèle atemporel où tout se passe
simultanément : c'est négliger tous les effets de dépendance au temps chers à Keynes,
comme les prévisions, l'incertitude, les spéculations...

b. Le modèle IS-LM déforme les idées de Keynes pour pouvoir les concilier avec
l'approche néoclassique, walrasienne.

On peut toutefois se demander si cette question de la fidélité à la pensée du maître, qui a


été tant débattue, a finalement une grande importance : Keynes lui-même n'a jamais été
très fidèle à ses propres intuitions. Ecoutons un spécialiste de la question, son vieil ami
(les deux hommes se connaissaient très bien sur le plan professionnel comme sur le plan
privé) F. A. von Hayek (dans un interview à Reason, 1977) : "(…) Il changeait tout le
temps. Il se tenait en quelque sorte sur une ligne médiane et s'intéressait toujours aux
remèdes de l'instant. Dans la dernière conversation que j'ai pu avoir avec lui (environ trois
semaines avant sa mort en 1945), je lui ai demandé s'il n'avait pas peur de ce que certains
de ses élèves faisaient avec ses idées. Il me répondit : "Oh, ce sont tout simplement des
sots. Ces idées étaient très importantes dans les années 1930, mais si elles devaient un jour
devenir dangereuses vous pouvez compter sur moi – je retournerai l'opinion publique
comme ça." Et il l'aurait fait. Je suis certain que, dans la période de l'après-guerre, Keynes
serait devenu un des grands adversaires de l'inflation".

Quelle postérité ?

L'approche IS-LM voit l'analyse de Keynes comme un cas particulier que Walras n'aurait
pas pris en compte, mais qui pourrait être incorporé dans la théorie néo-classique. La
théorie de la synthèse fait ainsi le pont entre deux mouvements a priori opposés. L'article
de Hicks est d'ailleurs le point de départ de ce courant d'interprétation de Keynes : le
courant dit de la "synthèse néoclassique". Ce courant part du modèle IS-LM mais
comprend bien d'autres éléments : le multiplicateur, par exemple. Il a été très présent et
même dominant aux Etats-Unis puisqu'il a servi de bases aux politiques économiques dites
keynésiennes des années 1960-1970. Aujourd'hui encore, le modèle IS-LM est un pilier
pédagogique important et il sert parfois encore aux économistes. Paul Krugman fonde son
analyse de la situation japonaise à la fin des années 1990 sur le concept de trappe à
liquidité et sur le modèle IS-LM.

Le modèle ISLM est-il encore un outil d'analyse pertinent ?

Un des plus célèbres néo-keynésiens actuels, G. Mankiw a listé les éléments constitutifs,
selon lui, du néo-keynésianisme ; il présente les articles de foi de ce courant par référence
à ce qu'il appelle le "keynésianisme douteux". C'est une attaque en règle contre la logique
du modèle IS-LM ; ce dernier "fait plus de mal que de bien".

D'une part, des éléments centraux de l'analyse économique moderne en sont absents : liens
avec la microéconomie, force de rappel que constitue le taux de chômage naturel, rôle du
banquier central. D'autre part, ce modèle repose implicitement sur l'idée (keynésienne)
d'un primat de la politique budgétaire sur la politique monétaire (le budget comme
instrument de stabilisation par excellence). Or, les valeurs estimées aujourd'hui pour les
multiplicateurs budgétaires sont très faibles et de nombreuses avancées de la science
économique depuis les années 1970 ont montré les dangers qu'il y a à considérer la
politique budgétaire comme plus efficace que la politique monétaire. Enfin, il faut rappeler
que le cadre originel de ce modèle est très étroit : économie fermée (il faudra attendre le
modèle de Mundell-Fleming et ses dérivés pour une extension), court terme (les prix sont
fixes)… et hypothèse de bienveillance des autorités (pas de cycle politico-économique, par
exemple). IS-LM date d'une période antérieure à l'"ère du soupçon", antérieure à l'école du
Public Choice par exemple, où l'on accordait toute confiance aux politiques pour "régler
finement" la conjoncture dans le sens de l'intérêt général. La plupart des praticiens de l
économie ne partagent plus cette vision optimiste.

Conclusion
Le modèle IS-LM vise à donner une représentation synthétique du jeu d'interactions entre
les trois grands marchés ; sa force vient de ce qu'il permet de présenter sur un seul
graphique en deux dimensions le résultat de l'interaction entre "l'économie réelle" et
"l'économie monétaire" : biens, revenus tirés du travail et capitaux. Cet aspect synthétique
fait à la fois son attrait et ses limites. C'est un instrument commode d'illustration ex-post à
des fins pédagogiques, mais il se prête mal à des simulations opérationnelles quantifiées,
ex-ante, en vue d'arrêter des mesures de politique économique. Par ailleurs, il est très
incomplet et offre sans doute aux débutants en économie une représentation biaisée dans le
sens de préconisations de politiques économiques particulières, interventionnistes.

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