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© COPYRIGHT GÖTTINGER MISZELLEN 187 (2002)

GÖTTINGEN, ALLEMAGNE

DISCORDANCE ENTRE TEXTE ET IMAGE


Deux exemples de l'Ancien et du Nouvel Empire
Valérie ANGENOT

S'il est vrai que les deux principaux moyens d'expression des Égyptiens étaient le texte
et l'image, ceux-ci n'utilisaient pas l'un et l'autre de la façon dont nous le faisons aujourd'hui.
Bien souvent, dans nos sociétés occidentales, nous usons de l'image pour illustrer un propos,
pour en “concrétiser” les données en conjoignant aux lexèmes —ou du moins à certains
d'entre eux— une sorte d'équivalent sémiotique directement accessible à la vue. Inversement,
nous utilisons le texte comme “explication” d'une image, c'est la fonction des légendes
apposées aux reproductions imagées. Dans ce cas, des lexèmes viennent se superposer à
certains éléments de la semiosis et en procurent une identification verbale que l'image ne
comporte pas. Ainsi, souvent, les deux font partiellement double emploi, l'un explicitant
l'autre, l'image n'ayant souvent valeur que d'illustration, puisque des équivalences terme à
terme sont censées s'établir entre des secteurs ou des plages de la représentation visuelle et les
lexèmes de l'énoncé verbal. Ce mode de correspondance, propre à ce que nous dénommons
l'Occident et acquis dès l'époque grecque, a longtemps empêché les chercheurs —souvent des
philologues classiques— de percevoir les productions imagées égyptiennes autrement que
comme de simples ornements clarificateurs du sacro-saint texte, ou du moins régis par sa
prédominance cognitive.
Pourtant, plusieurs articles1 ont montré, au cours de ces dernières années, les liens
étroits tissés entre ces deux moyens d'expression, leur complémentarité et leur signification
propre.
Le présent article tentera d'apporter un peu d'eau à ce moulin, à travers deux
spécimens puisés dans l'iconographie funéraire privée des Ancien et Nouvel Empires.
Ce que je trouve à retenir et à analyser dans les deux cas —mais il n'y a guère de doute
que l'on pourrait multiplier les exemples— tient à une discordance entre le texte et l'image qui
s'écarte résolument de l'emploi que peut en faire notre société. Les deux cas retenus ici ne
sont pas de nature identique dans la mesure où le phénomène se manifeste au niveau du
contenu dans le premier cas, de celui de l'énonciation dans le second. Nous tâcherons de
comprendre et de dégager les raisons de cette dissemblance et les nuances qu'elle peut
apporter au message global.
Le premier exemple provient du mastaba de Ptahhotep et Akhethotep à Saqqarah2 qui
date de la cinquième dynastie (Isesi – Ounas) et se situe sur le mur droit de la paroi ouest,
salle large de la chapelle d'Akhethotep (Fig. 1).

1
Voir entre autres Pascal Vernus, «Des relations entre textes et représentations dans l'Égypte pharaonique»,
Écritures II, p. 45-66 et Roland Tefnin, «Discours et iconicité dans l'art égyptien», G.M. 79 (1984), p. 55-69.
2
Norman de Garis Davies, The Mastaba of Ptahhetep and Akhethetep at Saqqareh. Archæological Survey of
Egypt, 8th and 9th Memoirs, II, Londres, 1900-1901, p. 16, pl. XVIII-XIX.
Fig. 1: plan du mastaba de Ptahhotep et Akhethotep

L'image représente Akhethotep debout face à six registres de personnages et


d'animaux, prolongés dans son dos par différents scribes ou fonctionnaires (Pl. 1b). Le texte
µòµ
HUUÁs‘É “9 «Regarder le don en animaux du désert». En balayant la
annonce: u
paroi du regard, on s'aperçoit qu'effectivement, les quatre registres périphériques, en haut et
en bas, exposent différentes espèces de caprins, mais qu'aux deux registres centraux, des
personnages s'avancent, porteurs de plantes et d'animaux aquatiques. Or quelles espèces
sommes-nous le moins susceptibles de rencontrer dans le désert si ce ne sont canards, oies,
tiges de papyrus ou fleurs de lotus, propres aux régions palustres?
En marquant un tel décalage entre le texte et l'image —décalage qui ne peut se
subsumer ni en terme d'“illustration” ni en celui d'adjonction de légende— le concepteur de
cette tombe manifeste là une intention dont je vais tenter de saisir le fondement.
La discordance s'exprime au niveau du contenu: l'image apporte, a priori, une
information supplétive à celle que fournit le texte.
Quelle est la raison de ce contraste et quelle peut en être l'interprétation? Nous avons
vu que l'Égyptien aime à jongler avec ses deux moyens d'expression et que l'un est rarement
l'illustration de l'autre; la dichotomie nous donne ici l'indice de la nécessité d'un
déchiffrement.
Rappelons qu'en sémiotique, il existe deux faits observables: l'aspect notifiant d'un
artefact qui se signale d'abord comme sème à interpréter, puis intervient le code qui indique
de quel sens cet objet est porteur. C'est ce qui se passe dans ce cas, la discordance entre texte
et image nous indique «Attention, ici, vous chercherez un sens supplémentaire à celui qui se
manifeste de prime abord!» et nous invite à voir au-delà d'une simple inspection d'animaux du
désert.
On pourrait, à ce niveau, à la fois m'objecter et rapprocher le phénomène de telle toile
de Magritte ou autre surréaliste, où l'intention provocatrice de la discordance qu'ils ménagent
n'a de sens que par la volonté de se distinguer de ce qui, pour nous, est la logique élémentaire,
et se pose, de ce fait même en indication d'abord notifiante, puis significative d'un certain état
d'esprit (Pl. 3a). Ce n'est évidemment pas le cas chez les Égyptiens.
Tâchons de voir, tout d'abord, s'il existe une raison pour laquelle l'élément adventice
se trouve au centre de la composition. Il n'est pas rare de constater ce phénomène dans les
tombes de l'Ancien Empire, mais un tel agencement peut obéir à diverses nécessités.
On peut faire, par exemple, un rapprochement entre cette paroi et celle du mastaba de
Néfer (5ème et 6ème dynasties) que j'ai analysée antérieurement3 (Fig. 2). Dans cette tombe, les
éléments discordants par rapport au texte sont également intégrés au centre de la composition.
Les hiéroglyphes annoncent «Regarder labourer et moissonner», or les travaux agricoles sont
rejetés à la périphérie de la paroi.

Fig. 2: paroi avec scène de travaux des champs dans le mastaba de Néfer

La partie centrale, quant à elle, semble former une métaphore de la carte géographique
de l'Égypte partant du Nil (bateaux), en passant par les régions marécageuses (oiseaux
aquatiques) et les zones agricoles (bovidés), jusqu'au désert (animaux du désert).
Ne pourrait-on pas voir, chez Akhethotep le même genre d'allusion? Deux axes
ressortent de cette composition: horizontalement, les produits des marais procèdent, dans la
géographie interne de la tombe, du nord au sud (précisément dans l'axe [inversé] du cours du
Nil!), et le défunt debout se pose lui-même en axe vertical.
La topologie interne stricte et construite de cette chapelle, déterminée par la présence
des points cardinaux va dans le sens d'une interprétation géographique de cette paroi (Fig. 3).
Elle pose, du nord au sud, quelque chose qui évoquerait les marécages autour du Nil, opposés
paradigmatiquement à ce qui leur est extérieur de part et d'autre: le désert. Le défunt se place
comme axe de convergence des quatre directions, à la fois vie (orient) et mort (occident), ou
matérialisant son passage de l'un à l'autre.

Ouest

désert
d
é
f marécages
Sud u Nord
(Nil)
n
t
désert

Est
Fig. 3: interprétation géographique de la paroi du mastaba d'Akhethotep

3
«La marge de créativité de l'artiste dans l'ancienne Égypte. Code, écart, rhétorique», Recherches Poïétiques 6
(1997). Figuration de la paroi dans Hermann Junker, Gîza VI, Vienne-Leipzig, 12 volumes 1922-1959, p. 59-60,
fig. 14-17.
Cette disposition a pour effet de créer une opposition paradigmatique binaire entre les
éléments: marais vs désert, là où elle était quadruple chez Néfer: Nil vs marais vs cultures vs
désert.
Mais on pourrait encore aller plus loin dans l'analyse. Si on considère la paroi dans sa
totalité, à savoir les deux murs de part et d'autre de la porte (Fig. 1 a & b), on s'aperçoit que
sur le mur gauche qui fait pendant aux “dons d'animaux du désert”, une représentation
structurellement similaire pose le défunt face à six registres de bétail apportés en sacrifice
pour la fête du dieu Thot. Dans ce cas, il n'y a pas de discordance entre l'image et le texte, ce
dernier apportant cependant quelques informations non “imageables” qui est que ce bétail est
destiné au «Festival de Thot» et qu'il provient des «propriétés du ka appartenant à la tombe,
dans le nord et dans le sud». Cette paroi s'oppose paradigmatiquement à l'autre car elle
dissocie les animaux domestiques, objet de l'élevage, des animaux sauvages, produits de la
chasse.
Ainsi, par un simple décalage entre image et texte, l'artiste a su ajouter un sens
inattendu à son discours en portant l'attention sur la présence d'espèces animales de biotopes
différents. On obtient ainsi plusieurs niveaux de sens:

1. Le défunt inspecte les bœufs sacrificiels à gauche, les animaux du désert à droite:
animaux domestiques vs animaux sauvages
2. La discordance entre texte et image attire l'attention sur une opposition paradigmatique
interne au mur nord:
Ïanimaux du désert
animaux domestiques vs animaux sauvages Ì vs
Óanimaux des marais
3. La disposition des différentes unités engendre une métaphore géographique qui correspond
à la topographie interne de la tombe et pose le défunt comme point convergent de ces
éléments.
4. L'agencement des éléments permet aussi un équilibre entre les deux parties: les animaux
des marais occupent les registres centraux, mais ne sont pas énoncés dans le texte4.
Pour terminer, remarquons l'attention prêtée à la composition des deux registres
périphériques, la recherche rythmique et les attitudes variées des personnages et animaux,
typiques de ce que l'on appelle communément la symétrie égyptienne5:

4
Dans un tout autre registre, ce procédé évoque, pour moi, le poème de Catulle “ Odi et amo”: les deux verbes
sont formés de trois lettres, mais celui qui est placé en tête subit l'élision de la dernière voyelle à cause de la
présence du «et» (Od’ et amo). La puissance du “je hais”, placé en début de vers, est atténuée par son atrophie
tandis que le “j'aime” en est renforcé; l'équilibre est donc rétabli entre les deux, par le jeu de la position et de
l'étendue des mots.
5
Qui consiste à introduire des variations discrètes au sein de groupes d'apparence semblables. Voir sur le sujet
Sylvia Schoske, «Symmetrophobia. Symmetrie und Asymmetrie in der altägyptischen Kunst», in Symmetrie in
Kunst, Natur und Wissenschaft, 1, Darmstadt, 1986. Ce genre de phénomène n'est cependant pas exclusivement
propre à l'art égyptien, on le retrouve à peu près à toutes les époques et sur tous les continents.
le personnage tourne la tête vers l'avant
le personnage tourne la tête vers l'arrière
* il tient l'animal par les cornes
** il tient l'animal par le museau et les cornes
*** il tient l'animal en laisse

mA-HD: oryx gHs: gazelle niA: bouquetin


Ss: antilope imA.t: femelle du bélier des montagnes nwDw: antilope Mendès

* *
*

Le second exemple que j'analyserai appartient à la tombe thébaine numéro 100 de


Rekhmirê6 et concerne le mur gauche de la paroi ouest de la salle transversale. Vizir de
Thoutmosis III, Rekhmirê était —de par sa fonction— chargé de recevoir les tributs des
contrées étrangères. C'est la figuration de cette charge qui nous retiendra un moment.
La paroi présente quatre registres de tributaires étrangers et un de captifs (Pl. 2). Ces
derniers ont été ramenés «pour remplir les ateliers et être les serviteurs de l'offrande divine
d'Amon7». Le texte qui se trouve au-dessus de Rekhmirê énonce: « Recevoir le tribut du pays
9 µ ç◊ µ
µ ≈
du sudÃ5 ainsi que le tribut de Pount C9, le tribut du Retchenou (Syrie)
áC 9 í 9
Ä≥É et le tribut du Keftiou (monde égéen) °X , ainsi que les captifs des
différents pays, ramenés pour la gloire de sa majesté le roi d'Égypte, Menkheperrê, puisse-t-il
vivre éternellement».
La composition imagée s'étage sur cinq registres montrant, de haut en bas, les tributs et
ambassadeurs 1) de Pount, 2) du monde égéen, 3) de peuplades nubiennes, 4) de populations
syriennes et enfin 5) les captifs nubiens et syriens accompagnés de femmes et enfants.
On constate ainsi que, si les CONTENUS du texte et de l'image sont bien identiques,
c'est, cette fois, l'ordre d'ENONCIATION qui est bouleversé. Le texte annonce d'abord les pays
du sud puis ceux du nord, tandis que l'image les alterne.
Quel peut bien être l'intérêt, tout d'abord, d'une dichotomie entre les deux moyens
d'expression, et ensuite de cet arrangement-là en particulier?

6
Norman de Garis Davies, The Tomb of Rekh-mi-Re‘ at Thebes, Publications of the Metropolitan Museum of
Art, Egyptian Expedition XI, New York, the Museum, 1943, pour le détail; et N. de G. Davies, Paintings from
the Tomb of Rekh-mi-Re‘ at Thebes, Publications of the Metropolitan Museum of Art, Egyptian Expedition X,
New York, the Museum, 1935, pour une vue d'ensemble.
7
Bandeau horizontal au-dessus du registre inférieur.
Nous savons, par le système des déterminatifs hiéroglyphiques —principe
classificateur s'il en est— à quel point l'esprit taxinomique était exacerbé chez les Égyptiens8.
On pourrait multiplier les exemples de mots, tels que wnw.t Cµ% «l'heure» qui
׳.
appartiennent à deux catégories (en l'occurrence des notions de temps liées au jour % et à la
nuit.), et se voient ainsi parés de plusieurs déterminatifs. Un autre exemple parlant est celui
á
de ¡U µ |[ xAr.t «la veuve», à la fois inclus dans la catégorie «femme» [ et dans celle de
«chose mauvaise ou malheureuse» |9.
C'est un peu d'un tel principe que relève notre exemple, car les quatre pays énoncés
peuvent chacun à leur tour appartenir à deux groupes différents: d'une part les contrées du sud
et celles du nord, d'autre part celles qui étaient subordonnés à l'Égypte et celles qui ne l'étaient
pas (Fig. 4). Tous ces peuples entretenaient avec l'Égypte des relations diplomatiques, mais
seuls la Nubie —au sud— et la Syrie —au nord— étaient soumis au devoir de lui fournir des
familles de captifs, éduquées à l'égyptienne et destinées aux manufactures de l'offrande divine
d'Amon10. Ainsi:

Pays soumis

Nu e
bi ri N
S e Sy O
U Ke R
D t D
un
ft
P o io
u

Pays non-soumis
Fig. 4: ensembles auquels appartiennent les quatre pays énoncés

De quel moyen user pour exprimer cette double appartenance? La réponse était toute
trouvée: puisque l'on dispose de deux moyens d'expression simultanés, il suffisait de

8
Toutes les cultures ont forcément engendré une forme de taxinomie, mais celle-ci est particulièrement visible
en Égypte, notamment via le système hiéroglyphique. Sur la taxinomie en général, voir Michel Foucault, Les
mots et les choses, Paris, Gallimard, 1966, chapitre V «Classer», p. 137-177; Georges Vignaux, Le démon du
classement. Penser et organiser, Paris, Seuil, 1999.
9
Sur la valeur sémantique du catégorème |, voir l'ouvrage à paraître de Arlette David, De l'infériorité à la
perturbation. L'oiseau du “mal” et la catégorisation en Égypte ancienne. Sur la taxinomie des anciens
Égyptiens, voir l'étude à paraître sous la direction de Orly Goldwasser et son article préparatoire “The
Determinative System as a Mirror of World Organisation”, G.M. 170 (1999), p. 49 sqq.
10
Voir Davies, Rekhmire, p. 18 «Hence these two peoples (Pount and northeastern Mediterranean) are in a
different category from the conquered Nubians and Syrians…».
regrouper dans le texte les pays appartenant aux mêmes régions et dans l'image les contrées
soumises au même régime politique (Fig. 5). Cette manipulation de l'économie texte / image
contribue dès lors à apporter à l'ensemble un supplément d'information, tout en évitant la
simple redondance qui eût été lourde et inutile.
TEXTE IMAGE
sud non-soumis

nord soumis

pays du sud soumis pays du nord soumis

pays du sud non-soumis pays du nord non-soumis

Fig. 5: répartition des régions, dans le texte et l'image, en fonction de leur géographie et de leur régime politique

Une telle disposition permet ainsi un double catalogage des pays tout en formant un
chiasme —cher aux Égyptiens— par l'inversion des deux unités de chaque groupe.
J'ai déjà démontré précédemment11 le goût des Égyptiens pour les chiasmes entre le
texte et l'image. Ils pourraient provenir du fait que la règle première de lecture des registres
était —en général— de porter le regard de bas en haut. Ceci est particulièrement vrai pour le
Nouvel Empire, mais l'est beaucoup moins pour l'Ancien Empire12.
Dans cet exemple particulier, il y a une nette volonté d'enchevêtrer les quatre premiers
éléments qui composent l'énonciation. Ils s'opposent, formellement, à la régularité de
l'énonciation des captifs qui, elle, demeure stable13.

Cette composition est remarquablement pensée et elle prouve encore —si besoin
était— à quel point les Égyptiens maîtrisaient et jouaient de leurs deux moyens de
communication que sont le texte et l'image.

11
Valérie Angenot, «Lire la paroi. Les vectorialités dans l'imagerie des tombes privées de l'Ancien Empire
Égyptien», Annales d'Histoire de l'Art et d'Archéologie XVIII (1996), p. 7-21.
12
Valérie Angenot, «La vectorialité de la scène des travaux des champs chez Mérérouka. Étude sur le sens de
lecture des parois des mastabs de l'Ancien Empire», G.M. 176 (2000), p. 5-20
13
Notons que si l'on appréhende l'image en partant du bas, l'analyse que j'ai effectuée ci-dessus reste tout à fait
valable. La seule différence à noter serait un chiasme supplémentaire entre l'énonciation des captifs et la
représentation qui en est faite.
Un tel phénomène à notre époque, s'il est également observable —sur certaines
affiches cinématographiques, par exemple— répond à d'autres motivations que celles décrites
plus haut. Dans ces trois échantillons (Pl. 3b, c, d), on peut également observer un décalage
entre le texte et l'image. La discordance, qui se situe au niveau de l'ordre d'énonciation des
acteurs de ces films, est tout simplement due à la nature même des deux moyens d'expression,
qui usent de media différents pour la mise en valeur d'une ou l'autre de leurs composantes.
Ainsi, la photographie de l'acteur principal est-elle disposée au centre de l'image où elle est
mise en exergue, tandis que son nom apparaît en tête du texte —à savoir à gauche de
l'affiche— et sera, de ce fait, lu en premier14. Dans ces deux cas, il appert donc que
l'apparente discordance n'est aucunement significative, elle est purement redondante. Le texte
et l'image disent exactement la même chose, mais avec les moyens qui leur sont
cognitivement propres à chacun.
Je l'ai dit en commençant: les deux exemples de parois funéraires auxquels j'ai eu
recours, s'ils me paraissent probants tout en étant de procédés divers, ne sont que deux cas
parmi d'autres. L'hypothèse que j'ai cherché à argumenter est que l'Égyptien tire constamment
parti de la coprésence du texte et de l'image. Il aime y ménager une dissonance quelconque
qui permet une superposition de sens, sens que chacun dans son ordre ne pourrait produire
isolément. Dès lors, du premier degré de signification où le déchiffreur relève telle anomalie,
décalage ou discordance, celui-ci passe à un second niveau plus implicite où le message est
enrichi et complexifié.
Il y aurait lieu de tester cette hypothèse générale sur un plus grand échantillonnage et
de renoncer ainsi à la démarche banale et réductrice qui consiste à ne faire de l'image
égyptienne qu'un «usage documentaire» et à ne voir, dans de telles discordances que des
bizarreries ou des accidents contingents.

14
Dans le troisième exemple, les noms des acteurs sont, de plus, énoncés par ordre alphabétique, ce qui est
probablement fortuit, mais pourrait —dans certains cas— être la finalité première d'un tel arrangement. Les
affiches de cinéma ne sont évidemment pas toutes basées sur notre modèle, mais celles qui le sont répondent
vraisemblablement aux motivations que j'énonce ici.
Pl. 1a et 1b: chapelle du mastaba d'Akhethotep à Saqqarah

Pl. 2: tombe de Rekhmirê (TT 100)


(a) (b)

(c) (d)
Pl. 3: a) Magritte, La clef des songes (1932); affiches de cinéma b) Charlie's Angels, c)
Mickey Blue Eyes, d) Con Air.

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