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L’Afrique face aux enjeux de l’immigration clandestine

L’immigration clandestine demeure un phénomène qui ne cesse d’attirer l’attention de l’opinion.


Selon l’organisation internationale pour la migration, plus 150.000 immigrés africains sont arrivés sur
le sol européen en 2017. Pour l’Europe, il est question de réduire à tout prix les flux migratoires.
Mais, l’acte de bravoure posé par le malien Mamoudou Gassama vient changer la donne et relance
ainsi le débat sur les enjeux de la question migratoire.

Réagissant sur l’affaire Gassama, le président Français Emmanuel Macron a écrit sur sa page
Facebook: « Avec M. Gassama qui a sauvé samedi la vie d’un enfant en escaladant 4 étages à mains
nues. Je lui ai annoncé qu’en reconnaissance de cet acte héroïque il allait être régularisé dans les plus
brefs délais, et que la brigade des sapeurs-pompiers de Paris était prête à l’accueillir. Je l’ai
également invité à déposer une demande de naturalisation. Car la France est une volonté, et M.
GASSAMA a démontré avec engagement qu’il l’avait ! ».

Il revient alors de se demander si tous ces hommes et femmes qui continuent de braver la mort alors
que d’autres coulent sur des navires en haute mer, n’ont pas de cette « volonté » ? Des acteurs
Togolais ont accepté se prêter à notre jeu de 3 questions à un Africain.

Interview de Samir Abi, Secrétaire Permanent de l’Observatoire Ouest Africain des Migrations

Journal Africa Top Success: Qui sort finalement gagnant de ce phénomène, l’Afrique ou l’Europe ?

Samir ABI : L’Humanité. C’est notre humanité qui sort grandement perdante du drame qui se passe
aussi bien en mer méditerranée, dans les pays d’Afrique du Nord et dans les déserts de la Mauritanie
au Soudan en passant par le Mali, le Niger ou le Tchad. Chaque homme, femme ou enfant qui perd sa
vie dans son parcours migratoire est un être humain dont l’intelligence, la force physique et la valeur
est perdue pour toute l’humanité. Imaginez que Mamadou Gassama soit mort dans le désert ou dans
la mer ? Qu’en serait – il de cet enfant français suspendu dans le vide ? N’oublions pas également
que chaque migrant en situation irrégulière ou régulière, chaque demandeur d’asile contribue à la
vie économique dans son pays d’accueil tout au long de son processus d’intégration mais également
assiste sa famille dans son pays d’origine par ses transferts de fonds et ses conseils. Donc un migrant
qui meurt est une perte économique pour le pays de départ et pour le pays de destination.

Mais le drame humain que constituent les morts liés à l’immigration dépasse la simple question
économique. L’argent, la richesse, le PIB d’un pays ne sont pas tout dans la vie. Ce qui fait un pays ce
n’est pas la richesse de son sol et son sous-sol mais la valeur des hommes et des femmes épris de foi,
de solidarité et de justice qui y vivent. Face à cette situation dramatique liée à la migration, les
grands perdants sont donc ces hommes politiques et ces citoyens qui assistent impuissants à la mort
de milliers d’Hommes dans les déserts et les mers. Et les gagnants sont ceux qui, par leur travail
sauvent ces vies en mer, dans les montagnes des Alpes italiennes et françaises, dans les déserts, aux
frontières et dans les villes de par le monde où les migrants ont de la peine à trouver un
hébergement ou un travail.

Je voudrais pour finir souligner qu’à force de se focaliser sur la migration entre l’Afrique et l’Europe,
on oublie que ce n’est pas seulement dans la mer méditerranée qu’il y a des morts de migrants
africains. Il y en a dans le Golfe de Guinée pour ceux et celles qui essaient de rejoindre le Gabon ou la
Guinée Équatoriale en prenant des embarcations du Nigeria. Il y a des morts de migrants africains
dans la mer rouge pour ceux et celles qui veulent rejoindre les pays du Moyen Orient. On compte
aussi des morts de migrants africains dans le Sinaï. Mais ceux-là, on n’en parle jamais car l’Europe
veut faire de ce problème spécifique qui lui est propre, un problème mondial.

Journal Africa Top Success: Quelles sont les causes de l’immigration clandestine?

Samir ABI : Avant de répondre, je voudrais vous faire remarquer qu’il faut faire la part des choses
entre l’immigration et l’immigration clandestine. L’immigration comme l’émigration est un
phénomène universel et un fait humain naturel. Dans tous les pays du monde, il y a des personnes
qui décident un jour de quitter leur terre natale pour aller vivre ailleurs. On parle alors d’émigration.

Plusieurs raisons peuvent conduire une personne à quitter son pays natal. Il peut s’agir d’un désir de
quitter une situation critique liée au changement climatique (sécheresse, inondations, dégradation
des terres, pertes des récoltes, mort du bétail, etc.) comme il peut s’agir d’une conjoncture socio-
économique ou d’un conflit politique. On peut également quitter son pays natal pour aller faire des
études, apprendre un métier ou simplement parce qu’on a envie de découvrir ce monde qui
appartient à tous. On peut enfin décider d’émigrer de son pays vers un autre pays parce qu’on tombe
amoureux d’une personne qui y vit. C’est normal et c’est humain. Ainsi, il y a des millions
d’Européens qui vivent hors de leur pays d’origine. Et chaque année ils sont des milliers de personnes
à quitter l’Europe pour s’installer en Afrique, en Amérique et en Asie.

Mais là où le problème se pose c’est qu’il est plus difficile pour un Africain qui désire émigrer de son
pays pour un autre de le faire que pour un Européen. Les Hommes ne sont pas égaux face à la
migration. Et c’est cette injustice qui fait qu’un Africain a plus de peine à migrer légalement et à
voyager par des moyens sûrs pour aller vers son pays de destination. Pour avoir un visa de travail ou
une carte de résident, un Africain aura plus de difficultés qu’un Européen. C’est cela la vraie cause de
l’immigration clandestine que ce soit en Europe, aux Etats Unis ou dans les pays africains qui sont
peu ouverts aux migrants. Ce sont les politiques d’immigration restrictives, les complications, qui
empêchent d’avoir facilement les papiers et visa pour migrer légalement, qui poussent les personnes
à migrer clandestinement avec les risques de mort que cela entraine.

Journal Africa Top Success: Est-ce que le flux migratoire va augmenter dans les années à venir ?

Samir ABI : On ne cesse de le répéter et les statistiques le montrent, les Africains migrent
principalement vers d’autres pays africains. Selon les données de la Commission Économique pour
l’Afrique des Nations Unies basée à Addis Abeba en Éthiopie, 80 % des migrants africains restent sur
le continent africain, seuls les 20% restants gagnent les autres continents. Et ces 20% restants se
retrouvent aussi bien aux États Unis, au Canada, au Brésil, au Koweït, en Arabie Saoudite, en Chine,
en Inde, en Australie que dans les pays européens. L’Europe n’a pas le monopole des émigrations
africaines même si elle est le premier continent qui accueille le plus de migrants internationaux
africains.

A l’ère de la mondialisation, où les pays sont si proches grâce aux moyens de transport, où l’on
dispose de technologies rapides d’information et de communication, dans un monde où l’argent
circule librement d’un bout à l’autre de la terre, où les animaux aussi migrent librement, les flux
migratoires ne peuvent qu’augmenter aussi bien d’Afrique vers l’Europe que d’Europe vers l’Afrique.
En effet, si des jeunes Africains migrent vers l’Europe, il faut également noter que des retraités et des
jeunes Européens viennent s’installer dans les pays africains soit pour profiter du soleil, soit pour fuir
le mode de vie en Europe, soit pour trouver un emploi. Donc ce n’est pas un mouvement à sens
unique.

Même s’il est très probable que les mouvements migratoires vont augmenter sur l’ensemble de la
planète, il est difficile de conjecturer que les Africains vont envahir l’Europe à cause de différents
facteurs à prendre en compte. Le premier de ces facteurs est la volonté manifeste des États africains
d’aller vers plus d’intégration. L’adoption de l’accord sur la Zone de Libre Échange Continentale en
Afrique et surtout du protocole sur la libre circulation des personnes en Afrique est une étape assez
importante pour permettre que les Africains s’établissent plus en Afrique. Nombreux sont les
Africains qui croient en leur continent et sont convaincus de pouvoir y prospérer grâce à leur
capacité d’innovation et d’entreprenariat. Et avec les ressources immenses dont dispose le continent,
la tendance à vouloir s’installer en Afrique va de plus en plus augmenter.
Le deuxième facteur est la question de la résolution des conflits sur le continent et l’adaptation au
changement climatique. Les conflits politiques ou les guerres civiles sont à l’origine de nombreux
déplacements de population. Bien souvent les conflits naissent de l’appui des pays européens à des
gouvernements oppressifs, corrompus et qui appliquent des politiques économiques en faveur des
banques et des entreprises transnationales contre le bien être de leur peuple. Et le bénéfice de ces
conflits revient aux pays vendeurs d’armes qui profitent de la situation pour faire valoir leur
production auprès de l’ensemble des groupes en conflits. Donc tant que perdureront les conflits sur
le continent, il faut s’attendre à des mouvements de population à l’intérieur comme vers les autres
continents. Il en est de même des catastrophes liées aux changements climatiques qui engendrent
un grand nombre de mouvements des populations des campagnes vers les villes que la prédiction et
les mesures d’’adaptation pourront permettre d’éviter.

Le dernier facteur à prendre en compte est l’automatisation des sociétés européennes. En effet, le
recours aux machines pour remplacer les Hommes dans tous les aspects de la vie quotidienne en
Europe a pour conséquence de créer plus de chômage et d’appauvrir une grande majorité
d’Européens au profit d’une poignée d’industrielles, de spéculateurs et de cadres. La situation de
précarité qui s’intensifie en Europe ne peut que renforcer son dépeuplement qui combiné au
vieillissement de sa population amènent les chercheurs à tirer la sonnette d’alarme sur les problèmes
démographiques futurs du vieux continent. Au même moment la population africaine est censée
doubler d’ici à 2050 pour atteindre 2,5 milliards de personnes majoritairement jeunes. Difficile
cependant à partir de ces données, d’envisager une invasion de l’Europe par les Africains dans les
prochaines décennies.

Certes la nature a horreur du vide, mais comme dans tous les pays dans le monde, l’arrivée de
migrants en Europe suscite de la crainte, des débats clivant et des actes discriminants. Certains
citoyens européens ont peur de perdre l’identité blanche et chrétienne de l’Europe avec l’intégration
des migrants venant des pays musulmans ou du continent africain. Cela explique d’ailleurs le succès
des partis d’extrême droite un peu partout sur le vieux continent. D’où la nécessité d’appeler les
hommes politiques quelque soit le pays à avoir le courage de proposer des projets de sociétés
favorisant le vivre ensemble au lieu de conquérir le pouvoir en attisant les conflits inter raciaux, inter
religieux ou inter ethniques.
Les conséquences de l'immigration clandestine sont diverses selon qu'il
s'agisse des pays d'origine ou des pays d'accueil des immigrants. Dans une
certaine mesure l'immigration ne peut être bénéfique que si elle contribue
au comblement de déficit observé dans un domaine ou dans un autre. Elle
n'est pas désirée quand elle se constitue en une charge sociale et
contribue à la montée de l'insécurité.

Ils et elles n'ont plus rien à perdre : retourner au pays c'est décevoir la
famille qui les a envoyés, se retrouver condamné(e)s à un mariage forcé, à
l'excision de leurs filles, à la répression, à la misère.

La présence des immigrants africains en occident est à la fois un gain, une


menace et une charge. Elle se constituerait en une main d'oeuvre à la
production, si elle est bien intégrée. C'est à ce niveau qu'apparaissent une
certaine discrimination entre le traitement des dossiers irréguliers venant de
l'Afrique subsaharienne et leurs homologues venant des autres régions du
monde. Le nombre croissant des personnes en situation irrégulière sans
emploi, associé à celui de leur progéniture, présente une menace pour la
sécurité en occident. La crainte est que ces personnes, en guise de pouvoir
gagner la vie peuvent se livrer facilement aux antivaleurs comme le trafic
de la drogue, le vol, le réseau de faire entre les immigrants irréguliers,
etc. Les dépenses sociales qu'occasionne souvent ce mouvement des
immigrants constituent une charge indésirable pour les pays occidentaux.

La plupart des immigrants clandestins intellectuels en occident se


retrouvent dans des situations irrégulières les empêchant ainsi de réaliser
leur rêve. Cette position sociale pousse bon nombre d'entre eux à
s'adonner aux travaux de basses classes par rapport à leur potentiel savoir.
Néanmoins ces travaux leur permettent de nouer les deux bouts du mois et
d'épargner quelque chose pour la grande famille restée en Afrique, chose
difficilement réalisable en étant sur le continent.

Il est à signaler que pour une famille africaine avoir un de ses membres en
Occident revient à avoir une source de financement du social. La présence
croissante des maisons de transfert des fonds dans la région en est une
preuve éloquente. Elle se constitue en une porte d'entrée de devises
étrangère. Cette source instable de financement du social est beaucoup
plus favorable à la subsistance qu'à l'existence. La fuite des cerveaux
constitue pour les pays africains une conséquence négative. Elle
occasionne un manque considérable des cadres qui pouvaient se mettre au
service du développement conduisant à l'existence d'un monde meilleur
pour tous, de même ses inconvénients se manifestent au niveau de la
désorganisation du tissu économique dans les régions qui organisent une
forte émigration sans oublier la perte de personnes jeunes, motivées à la
tâche qu'on peut exploiter.

Ces effets négatifs de l'émigration clandestine ne se limitent pas seulement


à ce degré car selon quelques auteurs occidentaux, perfides en leurs
opinions, la présence des émigrants (même en situation légale) constitue
une atteinte à l'identité nationale ,il s'agit en fait d une crainte d une couche
sociale vivant dans les périphéries urbaines et donc , éventuellement
occupée par les problèmes de la vie sociale quotidienne qui concernent
surtout : la précarité , le chômage...

Cette vision aussi raciste qu'elle pourrait l'être va encore plus loin et
considère que les émigrants volent le pain de la bouche des nationaux.

Cet argument, certes, ne correspond pas à la réalité parce que souvent les
immigrés sont mal payés et acceptent des travaux pénibles, celles qui
déplaisent, voire même, qui dégoûtent les nationaux, le cas échéant :
secteurs de bâtiments, agricoles....

Comme il est tout à fait logique que les causes de l'émigration ont donné
lieu à des conséquences, qui varient entre des avantages et des
inconvénients , il est aussi valable de déduire que ses conséquences
négatives ont , certes, donné lieu à des mesures prises par les Etas ,les
plus ciblés par ces mouvements migratoires, dont le but est surtout la
gestion de ce phénomène de manière judicieuse où la rationalité et l'équité
de ces décisions vont surtout à leur profit des Etas alors qu'ils refusent
d'avouer que l'émigration, même clandestine , n'est pas un jeu à somme
nulle en ce sens que l'un gagne tout et l'autre perd le tout.(voir cours de M.
zouitni).

Face à ces mouvements migratoires, l'ensemble des Etats d'accueils se


sont retrouvés obligés de prendre quelques mesures en vue de diminuer le
nombre qui ne cesse d'accroitre des immigrés.

Ces réformes successives ont un objectif quasi exclusif : diminuer


l'attractivité du pays d'accueil par l'abaissement des droits des migrants

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