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2.

THÉORIE
Le modèle actantiel, l'isotopie et le carré sémiotique sont sans doute les propositions théoriques les
plus célèbres de ce que l’on a appelé l'École de Paris, gravitant autour de Greimas. Comme le modèle
actantiel et le carré véridictoire, le carré sémiotique se veut à la fois un réseau de concepts et une
représentation visuelle de ce réseau, généralement sous forme d’un « carré » (qui est plutôt un
rectangle!). Courtés le définit comme la présentation visuelle de l'articulation d'une opposition (cf.
Courtés, 1991: 152). Le carré sémiotique permet en effet de raffiner les analyses par oppositions en
faisant passer le nombre de classes analytiques découlant d’une opposition donnée de deux (par
exemple, vie/mort) à quatre (par exemple, vie, mort, vie et mort : un mort-vivant, ni vie ni mort : un
ange), huit voire dix. Voici un carré sémiotique vide.
Structure du carré sémiotique

5. (=1+2)
TERME COMPLEXE

1. TERME A 2. TERME B
7. (=1+3) 8. (=2+4)
DÉIXIS POSITIVE 9. DÉIXIS NÉGATIVE
(=1+4)
10.
(=2+3)

3. TERME NON-B 4. TERME


NON-A

6. (=3+4)
TERME NEUTRE

LÉGENDE:
+: unit les termes qui composent un métaterme (un terme composé), par exemple 5 résulte de la
combinaison de 1 et 2
2.1 ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS
Le carré sémiotique implique principalement les éléments suivants (nous escamotons les relations
constitutives du carré : contrariété, contradiction, complémentarité ou implication):
1. termes
2. métatermes (termes composés)
3. objet(s) (classé(s) sur le carré)
4. sujet(s)-observateur(s) (qui procède(nt) au classement)
5. temps (de l’observation)
2.1.1 TERMES
La carré sémiotique est constitué de quatre termes :
 Position 1 (terme A) ;
 Position 2 (terme B) ;
 Position 3 (terme non-B) ;
 Position 4 (terme non-A).
Les deux premiers termes forment l’opposition (relation de contrariété) à la base du carré et les deux
autres sont obtenus par la négation de chaque terme de cette opposition.
2.1.2 MÉTATERMES
Le carré sémiotique comporte six métatermes. Les métatermes sont des termes composés à partir des
quatre termes. Certains de ces métatermes reçoivent des noms (malgré leur nom, le terme complexe et
le terme neutre sont bien des métatermes) :
 Position 5 (terme 1 + terme 2) : terme complexe ;
 Position 6 (terme 3 + terme 4) : terme neutre ;
 Position 7 (terme 1 + terme 3) : déixis positive ;
 Position 8 (terme 2 + terme 4) : déixis négative ;
 Position 9 = terme 1 + terme 4 : pas de nom ;
 Position 10 = terme 2 + terme 3 : pas de nom.
2.2 EXEMPLE DE CARRÉ SÉMIOTIQUE
Nous sommes maintenant en mesure de présenter un exemple de carré sémiotique rempli, et ce, à
partir de l’opposition masculin/féminin :
Exemple de carré sémiotique

Masculin + Féminin
« androgyne »
« hermaphrodite »

Masculin Féminin
« homme » « femme »
Masculin + Féminin +
Non-féminin Non-masculin
9
« vrai homme » « femme ultra-féminine »
?
« macho » « vamp? »
1
0
?

Non-féminin Non-
« hommasse » masculin
« macha » « efféminé
»

Non-féminin
+ Non-masculin
« ange »

Les mots entre guillemets correspondent à des exemples de phénomènes classables dans un terme ou
un métaterme. Ces phénomènes peuvent être représentés par les mêmes mots que ceux employés ici ou
d’autres (par exemple, le phénomène « androgyne » peut être manifesté, dans un texte, par le mot «
androgyne » mais aussi par « il était aussi masculin que féminin »). Les points d’interrogation
indiquent la difficulté de trouver des phénomènes correspondant à ces métatermes. Nous donnerons
plus loin quelques précisions sur ce carré.
2.3 TROIS NIVEAUX D’ANALYSE
En définitive, il convient de distinguer trois niveaux d’analyse :
(1) L’existence ou non dans le réel de ce que recouvre une position donnée d’un carré (ainsi dans le
réel, on ne peut être mort et vivant simultanément, ce qui est le cas, pour notre plus grande frayeur, du
vampire).
(2) La possibilité de lexicaliser plus ou moins adéquatement une position du carré, c’est-à-dire de la
nommer par un mot ou une expression existant dans la langue employée. Par exemple, le terme neutre
ni euphorique ni dysphorique (c’est-à-dire ni positif ni négatif) peut être lexicalisé par « indifférent »
ou, mieux, mais avec un néologisme technique, par « aphorique ». Le terme neutre ni vie ni mort n’a
pas de véritable lexicalisation, du moins en français, et les mots « zombie » ou « mort-vivant »
renvoient à des cas particuliers entrant dans cette classe (« mort-vivant » s’applique sans doute
davantage au terme complexe) plutôt que qu’ils ne constituent des lexicalisations satisfaisantes.
(3) La réalisation d’une position d’un carré donné dans un texte donné. Généralement, un texte ne
réalise que quelques-unes des positions possibles ; notre carré du masculin/féminin est construit dans
l’abstrait et ne décrit pas un texte donné.
2.4 PRINCIPE D’HOMOGÉNÉITÉ DU CARRÉ
Un carré sémiotique, comme tout dispositif, doit répondre à une cohérence de préférence explicitée (le
carré doit organiser un univers homogène (Floch, 1985: 200)).
Par exemple, dans notre carré du masculin/féminin (inspiré de celui de Floch), nous avons choisi de ne
représenter que les états «naturels», « spontanés » de la masculinité/féminité (au sens général, c'est-à-
dire non uniquement biologique), dussent-ils s’appliquer à des êtres irréels (les anges). Pour diminuer
ou augmenter le nombre de phénomènes qu’il recouvre, un carré pourra être particularisé ou
généralisé. Ainsi, une généralisation permettra d’inclure le phénomène de la transsexualité. Un
transsexuel qui était à l’origine un homme est passé, ensuite, par l’état de non-homme (castration, etc.)
pour atteindre celui de femme. Selon les postures descriptives requises, on pourra considérer que ce
transsexuel est une femme à certains égards (juridique, par exemple), mais un homme à d'autres
(chromosomique, par exemple). Dit autrement, on pourra faire varier le classement en passant de la
partie au tout ou d’une partie à une autre.
2.5 CARRÉ SÉMIOTIQUE ET MODALITÉS VÉRIDICTOIRES
Dans l’analyse, il est possible, et parfois nécessaire, de faire intervenir les modalités véridictoires
(vrai/faux) et donc les sujets observateurs. Pour les apôtres (sujets observateurs), Jésus (objet observé)
est vraiment passé de vie à mort puis à vie (nous verrons plus loin que le parcours est en réalité plus
complexe). Pour les non-croyants (sujets-observateurs), s’il a existé, le Christ est passé simplement de
vie à mort, comme tout le monde.
En conséquence, on distinguera entre positionnements et parcours qui sont de référence, c’est-à-dire
définis par le sujet-observateur qui stipule la vérité ultime du texte (en général, le narrateur), et
positionnements et parcours d’assomption, c’est-à-dire susceptibles d’être contredits par les éléments
de référence. Par exemple, tout en rapportant la thèse des croyants (sujet d’assomption) et celle des
non-croyants (sujet d’assomption), le narrateur (sujet de référence) d’un essai chrétien validera la
première et invalidera la seconde.
REMARQUE : ÊTRE/PARAÎTRE ET TRANSSEXUALITÉ
Autre exemple du jeu des modalités véridictoires. En recourrant au carré des modalités
véridictoires, il serait possible de considérer que l'être du transsexuel n'est pas modifié et que
son parcours, comme celui du travesti (lequel peut jouer bien sûr sur un paraître ambigu, femme
et homme à la fois), touche seulement le paraître. On voit ici que l’analyse avec un carré
véridictoire fait intervenir le passage d’une partie (l’être) à l’autre (le paraître) de l’objet
observé.
2.6 PRÉCISIONS SUR LES MÉTATERMES
2.6.1 MÉTATERMES 9 ET 10
Les métatermes 9 et 10 ne sont pas reconnus dans la sémiotique classique, sans doute pour respecter le
principe aristotélicien de non-contradiction. Toutefois, la simple possibilité de proférer, à propos d'un
zombie, des assertions comme «Il était mort et non mort», plutôt que «Il était mort et vivant » invite,
du moins dans une perspective théorique et déductive, à réfléchir sur l’existence possible de ces
métatermes.
Quoi qu’il en soit, dans plusieurs énoncés « absurdes », la contradiction apparente se résorbe par
dissimilation de sens (cf. Rastier, 1987 : 143 et suivantes). Ainsi en va-t-il, croyons-nous, par exemple,
de l'exorde habituel des contes majorquins : «Axio era y no era» (cela était et n'était pas) (cf.
Jakobson, 1963: 239) et de la maxime confucéenne «Ton fils n'est pas ton fils», où les dissimilations
portent, respectivement, sur l’opposition imaginaire/réel et filiation/propriété.
2.6.2 MÉTATERMES 7 ET 8
Il y a deux grandes façons de concevoir les déixis positives et négatives (métatermes 7 et 8). D’une
part, on peut les concevoir comme un renforcement par affirmation d'une valeur sémantique et
simultanément négation de l'opposé de cette valeur (par exemple, blanc et non-noir). C’est dans cette
optique que nous avons conçu notre carré du féminin/masculin (ainsi un « macho » surdétermine en sa
personnalité les traits dits virils tout en sous-déterminant les traits réputés féminins).
D’autre part, dans la mesure où on intègre une dimension quantitative dans l’analyse, on considérera
que, de la même façon que la négation d’un terme peut être interprétée en termes d'affaiblissement de
l'intensité (ainsi, la non-vie c'est toujours la vie mais à une intensité inférieure, par exemple dans
l'agonie), les déixis correspondent à une intensité supérieure du terme A ou B qui les constitue (par
exemple vie + non-mort correspondrait à un état de vie intense, par exemple la vitalité prodigieuse de
certains personnages dans Cent ans de solitude de Gabriel Garcia Marquez).
2.6.3 MÉTATERME 6
En vertu du principe d'homogénéité du carré sémiotique, le terme neutre (métaterme 6) ne contient que
ce qui est marqué comme étant ni l'un ni l'autre, et non ce qui simplement appartient à la classe
résiduelle du carré (par exemple, généralement un concept comme richesse échappera tout simplement
à un carré comme vie/mort et n’a pas à figurer dans son terme neutre). La classe «résidu» du carré
sémiotique englobera tous les éléments se rangeant dans des positions du carré sémiotique autres que
celles retenues par l'analyste et, bien sûr, tous les éléments autres.
2.6.4 MÉTATERMES ET SUCCESSIVITÉ/SIMULTANÉITÉ
L'utilisation des métatermes est liée à l'appréhension successive/simultanée de deux phénomènes jugés
distincts et différents. Ainsi l'oxymore «soleil noir» (Nerval) peut être considéré comme un terme
complexe lumière + obscurité par l’effet de la prédication (il existe un soleil qui est noir); à l'opposé
dans la construction linéaire (tactique) du sens, il s'agit de deux termes contraires en succession.
2.7 UTILISATIONS SÉMANTIQUE ET SYNTAXIQUE DU CARRÉ
On peut distinguer l'utilisation sémantique, « statique », du carré de son utilisation syntaxique, «
dynamique », au fil de la succession des positions des objets. La sémiotique greimassienne appelle
syntaxe l'enchaînement, la succession des valeurs sémantiques. L’utilisation syntaxique rendra compte
des successions de positions d’un même objet ou de plusieurs objets.
2.7.1 UTILISATION SÉMANTIQUE
Pour l’utilisation sémantique, il faut :
1. Poser une opposition quelconque, c’est-à-dire les contraires (par exemple: vie/mort).
2. Projeter les subcontraires (par exemple: non-vie/non-mort).
3. Créer les différents métatermes (vie + mort, non-vie + non-mort, etc.) en leur trouvant si
possible des lexicalisations satisfaisantes (par exemple: masculin + féminin = « hermaphrodite »).
4. Chercher dans le texte les 10 possibilités sémantiques (4 termes et 6 métatermes). Placer dans
chacune des 10 classes les éléments qui réalisent ces possibilités. Une production sémiotique, même
étendue (un roman, par exemple), n'exploitera pas nécessairement les 10 possibilités de classement.
Les plus courantes demeurent: les deux termes contraires (l'un ou l'autre), le métaterme appelé terme
complexe (l'un et l'autre) et le métaterme appelé terme neutre (ni l'un ni l'autre).
Dans l’analyse des textes, on ne sera pas prisonnier des lexicalisations : par exemple, un élément peut
être indexé dans la classe mort sans pour autant être manifesté par ce mot (« décès », « dernier voyage
», etc., feront tout aussi bien l’affaire) ; inversement, une expression figurée comme « mort de fatigue
» (ou « à demi-mort de fatigue ») n'a pas à loger sous mort, à moins - ce qui est fréquent en littérature -
que le texte ne joue sur un double sens.
2.7.2 UTILISATION SYNTAXIQUE ET TEMPS
Dans l’utilisation syntaxique, il s’agit d’étudier la succession des positions des objets sur un carré. On
indiquera par des chiffres croissants les différentes positions occupées successivement (par un même
objet donné ou d’un objet à un autre).
Comme dans n’importe quelle analyse, trois sortes principales de temporalités sont susceptibles d’être
prises en compte ici : la temporalité de l’histoire racontée, la temporalité du récit (l’ordre de
présentation des événements de l’histoire), la temporalité tactique (l’enchaînement linéaire des unités
sémantiques, par exemple, d’une phrase à l’autre).
Proposons également une représentation du carré sémiotique par tableau. Elle permet de rendre
compte très simplement et des déplacements sur le carré en fonction de la temporalité retenue et du jeu
possible entre des sujets observateurs (narrateur, personnages, etc.) susceptibles de voir différemment
les choses.
Exemple de carré sémiotique en tableau
OPPOSITION DU CARRÉ :
_______/______
No Temps Objet (élément Position de l'objet Sujet JUSTIFICATION,
placé sur le
sur le carré (1-10) observateur COMMENTAIRE
carré)

3. APPLICATION : LA PASSION DU CHRIST

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