^
^ des ^
SCIENCES
HUMAINES
Problèmes
de linguistique
générale
par
EMILE BEIVVEIVISTE
npf
Emile Benveniste
PROBLÈMES
DE LINGUISTIQUE
GÉNÉRALE
Problèmes
de linguistique
générale
nrf
GALLIMARD
Tous droits de reproduction, d'adaptation et de traduction
réservés pour tous pays, y compris l'U.R.S.S.
Les études réunies dans cet ouvrage ont été choisies entre
beaucoup d'autres, plus techniques, que l'auteur a publiées au
long de ces dernières années. Si on les a présentées ici sous la
dénomination de « problèmes », c'est qu'elles apportent dans
leur ensemble et chacune pour soi une contribution à la grande
problématique du langage, qui s'énonce dans les principaux
thèmes traités on y envisage les relations entre le biologique
:
II
du langage.
Transformations de la linguistique 25
Le langage
re-produit la réalité. Cela est à entendre de
la manière la plus littérale la réalité est produite à nouveau
:
le signal et le symbole.
Un signal est un fait physique relié à un autre fait phy-
sique par un rapport naturel ou conventionnel éclair annon-
:
^
Saussure après un demi-siècle
— dualité articulatoire/acoustique
— dualité du son et du sens
;
(paradigmatique) et du syntag-
matique
— dualité de
;
l'identité et de l'opposition
— du synchronique et du diachronique, etc.
dualité
;
Et, encore une fois, aucun des termes ainsi opposés ne vaut
par lui-même et ne renvoie à une réalité substantielle chacun ;
dire, qu'il n'y a jamais rien qui puisse résider dans ww terme,
par suite directe de ce que les symboles linguistiques sont
sans relation avec ce qu'ils doivent désigner, donc que a est
impuissant à rien désigner sans le secours de b, celui-ci de
\. Ibid., p. 58 .
Transformations de la linguistique 41
temps la place que devaient lui valoir ses dons géniaux ^... »
Et il terminait sur ce regret poignant « Il avait produit le
:
La comm un ication
CHAPITRE IV
Communication animale
^
et langage humain
I. Diogène, I (1952).
La communication 57
tifiables et distinctifs.
L'ensemble de ces observations fait apparaître la différence
essentielle entre les procédés de communication découverts
chez les abeilles et notre langage. Cette différence se résume
dans le terme qui nous semble le mieux approprié à définir
le mode de communication employé par les abeilles; ce n'est
pas un langage, c'est un code de signaux. Tous les caractères
en résultent la fixité du contenu, l'invariabilité du message,
:
Catégories de pensée
*
et catégories de langue
(« être disposé »), moyen; Ix-'-^ (" ^^re en état »), parfait;
subir »), passif.
TtoiELv (« faire »), actif; Tràaxsi-v («
Enélaborant cette table des « catégories », Aristote avait
en vue de recenser tous les prédicats possibles de la propo-
sition, sous cette condition que chaque terme fût signifiant à
l'état isolé, non engagé dans une CTUfXTrXoxyj, dans un syntagme,
dirions-nous. Inconsciemment il a pris pour critère la néces-
sité empirique d'une expression distincte pour chacun des
prédicats. Il était donc voué à retrouver sans l'avoir voulu
les distinctions que la langue même manifeste entre les
principales classes de formes, puisque c'est par leurs diff"é-
rences que ces formes et ces classes ont une signification
linguistique. Il pensait définir les attributs des objets; il ne
pose que des êtres linguistiques c'est la langue qui, grâce à
:
dans une qualité » e-le nyuie, « il est bien »; e-le a fi, « il est
ici »; e-le ho me, « il est à la maison ». Toute détermination
spatiale et temporelle s'exprime ainsi par le. Or, dans tous
ces emplois, le n'existe qu'à un seul temps, l'aoriste, qui
remplit les fonctions d'un temps narratif passé et aussi d'un
parfait présent. Si la phrase prédicative comportant le doit
être mise à un autre temps, tel que le futur ou l'habituel, le
est remplacé par le verbe transitif no, « demeurer, rester »;
c'est-à-dire que, suivant le temps employé, il faut deux
verbes distincts, le intransitif ou no transitif, pour rendre la
même notion.
Un verbe wo, « faire, accomplir, produire un effet » avec
certains noms de matière, se comporte à la manière de notre
« être » suivi d'un adjectif de matière wo avec ke, « sable »,
:
« j'ai de l'argent ».
Dans
la mesure où la psychanalyse veut se poser en science,
on fondé à lui demander compte de sa méthode, de ses
est
démarches, de son projet, et à les comparer à ceux des
« sciences « reconnues. Qui veut discerner les procédés
de raisonnement sur lesquels repose la méthode analytique
est à une constatation singulière. Du trouble constaté
amené
jusqu'à guérison, tout se passe comme si rien de matériel
la
n'était en jeu. On ne pratique rien qui prête à une vérifica-
tion objective. Il ne s'établit pas, d'une induction à la sui-
vante, cette relation de causalité visible qu'on recherche
dans un raisonnement scientifique. Quand, à la différence
du psychanalyste, le psychiatre tente de ramener le trouble
à une lésion, du moins sa démarche a-t-elle l'allure clas-
sique d'une recherche qui remonte à la « cause » pour la
traiter. Rien de pareil dans la technique analytique. Pour
qui ne connaît l'analyse que dans les relations que Freud
en donne (c'est le cas de l'auteur de ces pages) et qui consi-
dère moins l'efficacité pratique, qui n'est pas en question
ici, que la nature des phénomènes et les rapports où on
I. La Psychanalyse, I (1956).
Les références aux textes de Freud seront faites sous les abrévia-
tions suivantes G. W. avec le numéro du volume pour les Gesam-
:
ont séduit Freud. Ici nous avons affaire, non plus à des
manifestations psychopathologiques du langage, mais aux
données concrètes, générales, vérifiables, livrées par des
langues historiques.
Ce n'est pas un hasard si aucun linguiste qualifié, ni à
l'époque où Abel écrivait (il y en avait déjà en 1884), ni
depuis, n'a retenu ce Gegensinn der Urzvorte dans sa méthode
ni dans ses conclusions. C'est que si l'on prétend remonter
le cours de l'histoire sémantique des mots et en restituer
la préhistoire, le premier principe de la méthode est de
considérer les données de forme et de sens successivement
attestées à chaque époque de l'histoire jusqu'à la date la
plus ancienne et de n'envisager une restitution qu'à partir
du point dernier où notre enquête peut atteindre. Ce prin-
cipe en commande un autre, relatif à la technique compa-
rative, qui est de soumettre les comparaisons entre langues
à des correspondances régulières. K. Abel opère sans souci
de ces règles et assemble tout ce qui se ressemble. D'une
ressemblance entre un mot allemand et un mot anglais
ou latin de sens différent ou contraire, il conclut à une
relation originelle par « sens opposés », en négligeant toutes
les étapes intermédiaires qui rendraient compte de la diver-
gence, quand il y a parenté effective, ou ruineraient la possi-
bilité d'une parenté en prouvant qu'ils sont d'origine diffé-
rente. Il est facile de montrer qu'aucune des preuves allé-
guées par Abel ne peut être retenue. Pour ne pas allonger
cette discussion, nous nous borneons aux exemples pris
aux langues occidentales qui pourraient troubler des lecteurs
nno linguistes.
Abel fournit une série de correspondances entre l'anglais
et l'allemand, que Freud a relevées comme montrant d'une
langue à l'autre des sens opposés, et entre lesquels on consta-
terait une « transformation phonétique en vue de la sépara-
tion des contraires ». Sans insister pour le moment sur la
grave erreur de raisonnement qui se dissimule dans cette
simple remarque, contentons-nous de rectifier ces rappro-
chements. L'ancien adverbe allemand bass, « bien », s'appa-
rente à besser, mais n'a aucun rapport avec bôs, « mauvais »,
de même qu'en vieil anglais bat, « bon, meilleur », est sans
relation avec badde (aujoud'hui bad), « mauvais ». L'anglais
cleave, « fendre », répond en allemand non à kleben, « coller »,
comme le dit Abel, mais à klieben « fendre » (cf. Kluft).
L'anglais lock, « fermer », ne s'oppose pas à l'allemand
Lticke, Loch, il s'y ajuste au contraire, car le sens ancien
de Loch est « retranchement, lieu clos et caché ». L'allemand
La communication 8i
Structures et analyses
CHAPITRE VIII
*
« Structure » en linguitique
maticale ».
ist: sind, fr. e ^ô, etc., suppose à la fois des équations phoné-
:
Vokalharmonie).
En takelma non plus, l'harmonie vocalique ne fait l'objet
d'aucune mention.
2. Le consonantisme de Vinitiale n'est pas plus pauvre que
celui de l'intérieur ou de la finale (Der Konsonantismus des
Anlauts ist nicht armer als der des Inlauts und des Auslauts).
En takelma, après avoir donné le tableau complet des
consonnes, Sapir note expressément (§ 12) « Every one
:
Academy, 1942.
112 Problèmes de linguistique générale
[q0] est impossible, alors que [g] fait partie de la classe des
phonèmes finaux et que [6i] et [ig] sont également admis.
Le sens est en effet la condition fondamentale que doit
remplir toute unité de tout niveau pour obtenir statut linguis-
tique. Nous disons bien de tout niveau : le phonème n'a de
valeur que comme discriminateur de signes linguistiques, et
le trait distinctif, à son tour, comme discriminateur des
phonèmes. La langue ne pourrait fonctionner autrement.
Toutes les opérations qu'on doit pratiquer au sein de cette
chaîne supposent la même condition. La portion [r)9i] n'est
recevable à aucun niveau; elle ne peut ni être remplacée
par aucune autre ni en remplacer aucune, ni être reconnue
comme forme libre, ni être posée en relation syntagmatique
complémentaire aux autres portions de l'énoncé; et ce qu'on
vient de dire de [r)6i] vaut aussi pour une portion découpée
dans ce qui le précède, par exemple [i:vi] ou ce qui le suit,
[r)z]. Ni segmentation ni substitution ne sont possibles. Au
hie en /i/; — fr. eau, en /o/; fr. eu, en /y/; — fr. où en /u/;
Gt k ; s ; V.
Les relations sont moins aisées à définir dans la situation
inverse, entre le mot et l'unité de niveau supérieur. Car
cette unité n'est pas un mot plus long ou plus complexe :
rangés par exemple les verbes auxiliaires, qui sont pour nous
« autonomes », déjà en tant qu'ils sont des verbes et surtout
— à manger ; —
de bains... /so/ est un signe parce qu'il fonc-
tionne comme intégrant de
;
—
à charbon; un
: d'eau; et —
/sivil/ est un signe parce qu'il fonctionne comme intégrant
de : — ou militaire ; état — guerre —
; . Le modèle de la
« relation intégrante » est celui de la « fonction proposition-
nelle » de Russell ^.
indéterminé, elle n'est ni vraie ni fausse ; mais, dès que Ton assigne
un sens à x, elle devient une proposition vraie ou fausse. »
126 Problèmes de linguistique générale
mière (et le reste suit) » praegnas, litt. « dans l'état qui précède
;
prae illo parvi futuros (Nep., Eum., 10). Nous avons ici de^
emplois de prae que pro ne présente pas et dont on ne saurai^
chercher l'origine ailleurs que dans le sens même de prae-
Mais la genèse n'en apparaît pas au premier regard et il
faut bien dire qu'aucune des interprétations fournies jusqu'ici
n'aide si peu que ce soit à les comprendre. B. Kranz croit
se tirer d'affaire en imaginant que le prae causal serait
pour prae (sente), ce qui est l'invraisemblance même. Selon
Brugmann, il faut partir du sens local « Etwas stellt sich
:
vor etwas und wird dadurch Anlass und Motiv fur etwas ^. »
Ne voit-on pas ici l'erreur où conduit une définition ambiguë ?
Que veut dire « » ? On croirait que prae peut signi-
vor etwas
fier d'un événement par rapport à un autre
l'antériorité
et donc la cause, mais cela est impossible. Le vice du raison-
nement se montre dès qu'on l'applique à la traduction d'un
exemple concret. Voici chez Plante prae laetitia lacrimae
:
tnacie (Lucr., IV, 11 60); prae iracundia non sum apud ine,
« à l'extrême de ma colère, je ne me possède plus » (Ter.,
haute stature est un objet de mépris » {B.G., II, 30, 4). C'est
ici aussi de la notion d'« extrême » que résulte la fonction
comparative de prae, câr prae magnitudine signifie « à l'extrême
de leur grandeur =^si haute est leur taille (que nous leur
semblons petits) ». Etendant son emploi, prae pourra alors
se joindre à n'importe quel genre de nom et même de pro-
nom pour mettre en relief une supériorité omnium unguen- :
tum prae tuo nauteast (PL, Cure, 99); sol occaecatust prae
huius corporis candoribus (PL, Mén., 181); pithecium est prae
illa (PL, Mil. y 989); te... volo adsimulare prae illius forma
quasi spernas tuam (id., 1170); soient prae multitudine iaculorum
non videhitis (Cic); omnia prae divitiis humana spernunt
(Liv., III, 26, 7). Et enfin on atteint la réalisation de l'expres-
sion comparative : non sum dignus prae te (PL, Mil., 1140).
Tout cela sort de la condition propre à prae et ne diffère
en réalité du (prétendu) prae causal que par un trait alors :
en cinq catégories :
V. Indépendant :
I. De Groot, p. 32.
Structures et analyses 143
1. Ihid., p. 56.
2. Synt. lat. p. 135.
'',
P- 154-
5. G. Devoto, Tabulae Iguvinae ^, p. 519.
î44 Problèmes de linguistique générale
numerare pecus ; —
est miserorum ut invideant bonis;
constat virorum esse fortium toleranter dolorem pati ; —
Gallicae consuetudinis est..., etc. Le trait sémantique (« qualité
typique d'une classe de personnes ») n'est pas une donnée
primaire; il nous paraît un produit de la construction prédi-
cative du génitif, qui est le trait principal. Cela met sur la
voie d'une autre interprétation. Le génitif prédicat de esse
dénote 1' « appartenance » haec aedes régis est, « cette maison
:
2. Ibid., p. 52.
Structures et analyses 147
Fonctions syntaxiques
CHAPITRE XIII
^
La phrase nominale
vtov kcTi T^ç MuxàXTjç x^P°<î '^P°'?" "^ ^^ MuxàXy; èart. tv]?
7]7t£tpou àxpT] (I, 148). De pareilles phrases se présentent à
tout instant chez l'historien, parce qu'il est historien; le
dictionnaire de Powell enregistre 507 exemples de iai'i en
cette fonction. Que trouvons-nous en fait de phrases nomi-
nales ? Une lecture étendue (mais non exhaustive) nous en
a livré moins de dix exemples, qui figurent tous dans des dis-
cours rapportés et qui sont tous des « vérités générales » :
sv Se Ifi T0[X7J r][j,èv xaxoç 7)Sè xal ecrôXoç (I, 318) — où yap è[xol
^lu^^'/jç àvrà^tov (I, 401) —oùyàpTTco toi, [xolpa Bavésiv (H, 52)
— crot To yépaç ttoXi!) [xsi^cov (A, 167, attribution de droit et
tient » (A, 300) — zGTi Se (jLot. [xàXa TioXXà (I, 364) — oùS' si'
\ioi SotT] ôacrà ts ol vùv scjti, « même s'il me donnait tout ce
preuve, dit-il, est fournie par le fait que, dès qu'on voudrait rem-
placer l'infectum par l'autre aspect, le présent par un autre temps,
ou l'indicatif par un autre mode, l'expression changerait nécessai-
rement du même coup » (op. cit., p. 259). C'est là justement l'opé-
ration que le sens de la phrase nominale nous paraît interdire.
M. Hjelmslev soutient que, entre la phrase nominale omnia praeclara
rara et une phrase verbale telle que omnia praeclara sunt rara, il
n'y a qu'une diflFérence d'emphase ou de relief (p. 265). Nous avons
au contraire tenté d'établir que ce sont là deux types à fonctions
distinctes. Par suite, il n'y a pas de commutation possible de l'un
à l'autre, et il devient illégitime de chercher une expression impli-
cite de temps, de mode et d'aspect dans un énoncé nominal qui
par nature est non-temporel, non-modal, non-aspectuel.
Fonctions syntaxiques 167
(skr. gachati, gr. (^aivet); vivre (skr. jïvati, lat. vivit); couler
(skr. sravati, gr. peï); ramper (skr. sarpati, gr. êpmi); plier
(bhujati, gr, cpsuyei); souffler (en parlant du vent, skr. vàti,
gr. ôciqct); manger (skr. atti, gr. ëSeï); boire (skr. pibati, lat.
bibit); donner (skr. dadâti, lat. dat).
II. — Sont
seulement moyens naître (gr. ytY^o[i,a!,, lat.
:
couché (skr. sete, gr. xetfxat); être assis (skr. âstey gr. v)[xat,),
moyen. Mais, cette fois, c'est par les formes du même verbe
et dans la même expression sémantique que le contraste
s'établit. L'actif alors n'est plus seulement l'absence du
moyen, c'est bien un actif, une production d'acte, révélant
plus clairement encore la position extérieure du sujet rela-
tivement au procès; et le moyen servira à définir le sujet
comme intérieur au procès Swpa cpépsi, « il porte des dons »
: :
La construction passive
du parfait transitif^
ima tya manâ krtam, « voilà ce que j'ai fait » (B. I, 27; IV,
^' 49);
utàmaiy vasiy astiy krtam, « j'ai encore fait beaucoup (de
choses) » (B. IV, 46);
tya manâ krtam (B. IV, 49; rest. NRb 56), tyamaiy krtam
(NRb 48; X. Pers. b 23; d 19), « ce que j'ai jfait »;
Il est curieux que ces exemples, les seuls qui renseignent sur
1.
la construction du passif, ne soient même pas mentionnés chez
Kent, Old Persian, § 275, dans le paragraphe, très indigent, où
il du passif.
traite
Pour la traduction du tau[h]mâ, cf. B.S.L. XLVII, p. 37.
2.
3. La trad. Kent « other sons of Darius there were » {Old Persian,
:
est arrivé »; Yisus ekeal ér, « Jésus était venu », etc. Rien
dans cette syntaxe n'appelle un commentaire, tout y est
conforme aux normes des langues qui ont une forme péri-
phrastique du parfait intransitif.
Au parfait transitif, la construction reste pareille et se
compose des mêmes éléments. La différence est que cette
fois le sujet n'est plus au nominatif, mais au génitif, avec une
rection transitive de l'objet à l'accusatif nora bereal ë, « il a
:
Ko, « qu'as-tu fait ? », litt. « quelle action (ace.) as-tu (Ko gén.)
agie ? » oroc^ teseal ër zna, « ceux qui l'avaient vu » (litt. oroc,
« de ceux », gén.); zpayn im ac'awK teseal ë, «j'ai vu le payn
na kin, « qui des sept aura la femme ? tivoç tcov eTcxà iaxcci
yuvT); », litt. « duquel (oyr) des sept sera la femme? »;
Le VI, 32; zinc' snorh ê jer, « quelle gratitude en avez-vous?
TTota x)[dv /àpiç scttiv; », litt. « quelle gratitude est de vous
(jer) ? »; Le VII, 41 erku partapank' ëin uritmn p'oxatui,
:
1. On
trouvera d'autres exemples chez Meillet, M.S.L., XII,
p. 411, etdans l'étude de G. Cuendet sur la traduction de gr. ë/etv
en arménien classique, Rev. Et. Jndo-europ., I (1938), p. 390 sq.
2. [Ces pages étaient imprimées quand je me suis aperçu que
M. J. Lohmann, K.Z., LXIII (1936), p. 51 sq., était arrivé à la
même interprétation de parfait arménien par une voie différente,
en partant des faits géorgiens.]
184 Problèmes de linguistique générale
« Etre » et « avoir »
si souvent ? Et s'il n'en est pas un, d'où vient qu'il en assume
le statut et les formes, tout en restant ce qu'on appelle un
« verbe-substantif » ? Le fait qu'il existe une « phrase nomi-
nale », caractérisée par l'absence de verbe, et qu'elle soit un
phénomène universel, semble contradictoire avec le fait,
très général aussi, qu'elle ait pour équivalent une phrase à
verbe « être ». Les données paraissent éluder l'analyse, et tout
le problème est encore si pauvrement élaboré qu'on ne trouve
rien sur quoi s'appuyer. La cause en est probablement qu'on
raisonne, implicitement au moins, comme si l'apparition d'un
verbe « être » faisait suite, logiquement et chronologiquement,
à un état linguistique dépourvu d'un tel verbe. Mais ce rai-
sonnement linéaire se heurte de toutes parts aux démentis
de la réalité linguistique, sans satisfaire pour autant à aucune
exigence théorique.
A la base de l'analyse, tant historique que descriptive,
il faut poser deux termes distincts que l'on confond quand
L
i88 Problèmes de linguistique générale
singulier on
dirait littéralement « Je lui son serviteur » :
sàn yas sân, « tu es jeune » (litt. « moi jeune moi, toi jeune
toi »). Cette construction apparaît dès le vieux-turc et persiste
largement dans les dialectes conservateurs; on peut dire
que l'expression « normale » du rapport prédicatif à la 3^ sg.
consiste dans l'emploi du pronom ol, « il, lui », postposé à un
terme nominal v. turc àdgii ol, « il est bon » (bon lui) màniy
: ;
k
192 Problèmes de linguistique générale
B.S.L.,
1. LU
1956), p. 289-306.
y aura peut-être lieu de revoir au point de vue de la distinc-
2. Il
tion indiquée ici les données complexes relatives à « être » en indo-
aryen, qui ont été étudiées par R. L. Turner, B. S.O.S., VIII (1936),
p. 795 sq., et H. Hendriksen, B.S.O.A.S., XX
(1957), p. 331 sq.
194 Problèmes de linguistique générale
liaires temporels.
2. Ni être ni avoir ne sont susceptibles d'une forme
passive.
Être et avoir sont admis l'un et l'autre comme auxi-
3.
liaires temporels des mêmes verbes, selon que ces verbes
sont ou non réfléchis, c'est-à-dire selon que le sujet et l'objet
désignent ou non la même personne : être quand sujet et
objet coïncident (« il s'est blessé) », avoir quand ils ne coïn-
cident pas (« il m'a blessé »).
4. Autrement, les auxiliaires être et avoir sont en répar-
tition complémentaire; tous les verbes ont nécessairement
l'un ou l'autre (« il est arrivé: il a mangé »), y compris être
ment à gr. « oXç, oùx 'éazvj Tafjiistov, ils n'ont pas de cellier »
(Le XII, 24). Le nom ou pronom, ici le relatif au dâtiï romelta,
« auxquels », peut être accompagné, au génitif ou au datif,
de tana, « avec » ara ars cuen tana uprojs xut xueza puri,
:
« nous n'avons pas plus de cinq pains », litt. « n'est pas nous-
avec (cuen tana) plus que cinq pains, oî»x eîctIv rnxZv kKzZov
ri TOVTs àpToi ». —
Sur le domaine africain on pourra
citer, en ewe (Togo) ^, l'expression de « avoir » par « être
dans la main » avec le verbe le, « être, exister », asi, « dans
la main » ga le asi-nye, « argent (ga) est dans ma (-nye)
:
existe (?bz), j'ai une tête », de l'autre ken ?bz m 'bolo, « ma-
son (ken) existe dans ma main (m ^bolo), j'ai une maison »•
De même en kanuri « j'ai » se dit nânyîn mhéji, litt. « moi-
avec (nânyîn) il y a (mbéji) » ^.
Nous n'accumulerons pas ces preuves de fait, qui tour-
neraient vite au catalogue, tant il est facile à chacun de véri-
fier, en quelque domaine linguistique que ce soit, la pré-
dominance du type « mihi est » sur le type « habeo ». Et pour
peu qu'on soit renseigné sur l'histoire de la langue considérée,
on observe souvent que l'évolution se fait de « mihi est » à
« habeo », non à l'inverse, ce qui signifie que là même où
est mihi liber a été remplacé par habeô librum. Mais en français
on énonce deux rapports différents possession dans avoir
:
1. Lukas,
J. A
Study of the Kanuri Language, p. 28-9, § 72.
2. Cette distinction n'apparaît pas dans l'article de Meillet cité
ci-dessus. Elle a été indiquée pour le hittite dans Archiv Orientàlni,
XVII (1949), P- 44 sq.
Fonctions syntaxiques 197
gr. hom. Tou (se. Ai,6ç) yàp xpdcToç èaTt (jLéyicrTov, « à lui
appartient la force suprême » lat. Galliam potins esse Ario-
;
VI (i960), p. 169.
2. Le lemme aës- de Bartholomae, Air. Wb. s. v. est illusoire.
Un thème aës- pourrait à la rigueur être postulé pour le substantif
aêsâ -. Mais comme formes verbales, il n'existe que le parfait ise
(à lire Ise) et le participe isâna- (à lire Isâna-), identiques à véd. îée,
léânà-. On ne peut accorder aucun crédit aux formes iUe, ista, mal
attestées ou corrections d'éditeurs.
198 Problèmes de linguistique générale
sujet au génitif +
participe passif en ~eal +
forme de « être »
à la 3® sg. Ainsi sa ekeal ë, « il est venu », mais nora (gén. sg.)
il a vu
teseal é, « En
fait, à travers cette variation syntaxi-
».
La
notion d' « état » est si prégnante dans le tour péri-
phrastique « participe +
que si le sujet fait défaut,
être »
comme dans un parfait transitif non personnel, seule la
marque de l'objet (z-) permet de dire si la forme dénote
l'état de l'auteur de l'action ou l'état de la chose affectée.
On voit combien faible et étroite devient la marge de dis-
tinction entre les deux diathèses ^.
Il y a plus. On peut trouver des exemples où rien, hormis
le contexte, ne laisse décider si le parfait est actif ou passif.
Prenons Luc XIX, 15 ... (ezo koc'eal zcaraysn) oroc tuealër
:
qu'un »). On est sur une étroite marge entre les deux possi-
bilités.
Pour compléter le tableau de ces ambiguïtés, nées de la
forme analytique du parfait transitif avec « être », notons
celle qui, parallèlement, s'introduisait au passif, à mesure que
la forme compacte du parfait passif ancien était concurrencée
par la forme descriptive « participe passif +
être ». On ren-
contre les deux formes ensemble dans une curieuse opposi-
tion, par exemple J. XX, 30-31 : IloXXà [xàv oùv xal àXXa
cr/][jL£ta k-Koi'f\Gz^ ô 'lyjaoûç ... à oùx eariv yeypafxfxeva èv tco [3t.-
passives du verbe.
Fonctions syntaxiques 205
avec « être » +
participe. Ce n'est donc pas extrapoler trop
hardiment que de considérer au moins comme vraisemblable
que le gotique, au cours de son histoire ultérieure qui s'est
poursuivie pendant plus d'un millénaire après nos textes, a dû
produire aussi un parfait transitif avec haban ou aigan. En tout
cas les conditions structurales pour cette innovation étaient
réunies en germanique. L'ensemble des traits concordants en
nordique et en westique nous paraît mettre hors de doute
que l'acquisition d'un parfait transitif avec « avoir » est en
germanique un développement autonome et qui ne doit
rien à l'influence latine. A l'inverse, pour que l'action du
latin pût déterminer une transformation aussi profonde du
verbe germanique, il eût fallu des conditions historiques et
sociales qui n'ont jamais été remplies; notamment une
longue période de bilinguisme germano-latin. Pour prendre
un exemple clair, si l'on peut attribuer à l'action du turc la
naissance des formes de « perceptif » et d' « imperceptif » en
slave macédonien, c'est principalement à cause du bilin-
guisme slavo-turc que les circonstances ont imposé en Macé-
doine pendant cinq siècles ^. Mais l'influence du latin sur le
germanique a été seulement d'ordre littéraire. Le germanique
n'avait pas besoin d'un modèle étranger pour réaliser une
forme de parfait que sa propre structure devait produire.
Si donc le parfait passif analytique est déjà installé en gotique,
une nécessité interne appelait la création d'un parfait tran-
sitif symétrique, instaurant dans la conjugaison le jeu complé-
mentaire des auxiliaires « être » et « avoir ».
La phrase relative,
*
problème de syntaxe générale
ati si-a, « cet arbre », pi. ati si-à-zvô, « ces arbres » ati-nye
;
Demonstrativ si, und man kônnte si deshalb ebenso gut ein Demons-
trativpronomen des vorangehenden Substantiv nennen. »
2. Notre analyse est fondée sur la description de Mary R. Haas,
Tiinica, 1941, (H.A.I.L., IV). Nous combinons les § 4.843 et 7.45.
Fonctions syntaxiques 211
+
tdlahc, « du roseau », de t(a) «^«a;, « roseau », +
hc +
fém. sg. —
Avec préfixe possessif de parenté fesiku, « mon :
sg. + personne »,
?oni, « sema masc. pi. + ?uhk ?oni-
séman, « ses gens », avec ?uhk- préf. 3^ sg. masc. tisasi-
;
;
—
niman, « ses chiens (à elle) », de ti(hk)- préf. 3® sg. fém. sa, +
« chien », +
sinima fém. plur.
Or nous observons que les mêmes suffixes de genre et de
nombre peuvent être ajoutés à une forme verbale fléchie
pour la convertir en « phrase relative ». Cette suffixation
peut apparaître à la fois dans le nom antécédent et dans la
forme verbale, ou dans la forme verbale seule.
Pour le premier cas, un exemple sera tôniséman tdherit ?e :
article +
?ôni, « personne », -| sema masc. pi. tdherit ?e, ;
—
« le bateau », de ta- article +
herit ?e, « grand bateau »
—
;
qui avaient dansé », où cette fois toni, « les gens » (de t(a) +
?oni comme plus haut) ne porte pas de suffixe de genre et de
nombre ce suffixe est ajouté à la forme verbale hip?ontaséman
;
venu » =
« un homme qui est venu »; kaniadali '/ himâri
(darahtu) rajulan Jà ?a ; —
2^ adjectif déterminé al îimâmu :
masc. sg., -i^f fém. sg. -dàni masc. du.; -tânifém. du., etc.
;
1. Il est à peine besoin de dire que nous ne décrivons pas ici les
variétés indo-européennes de la phrase relative, mais seulement
la structure du type indo-européen. Nous nous sommes à dessein
borné à l'essentiel. L'accumulation des exemples, qui se trouvent
dans tous les manuels, eût facilement, et inutilement, gonflé cette
étude.
2. Voir Delbrûck, Vergl. Syntax, III, p. 304 sq. Wackemagel-
;
roi de tous, les dieux, ô Asura, ou les mortels » (II, 27, 10);
pasûn... vâyavyân âranyân gràmyâs ca yé, « les animaux
volatiles, les sauvages et les domestiques » (X, 90, 8); vi
jânîhy âryânyé ca dasydvah « distingue Aryens et les Dasyus »
, !
(I, 51, 8); antdr jâtésv utd yé jdnitvàh, « parmi ceux qui sont
(RV. V, 30, 14). Nous avons donc dans l'état ancien du slave
et du baltique les deux fonctions du pronom *yo- la fonction
:
allecti 6, 22; conscripti 36, 16). Nous avons dans qui patres qui
conscripti le même type de syntagme qu'on connaît avec
ya- en védique pour spécifier les termes d'une énumération,
par exemple yâ gungûr ya sinwàlî ya râkâ ya sdrasvatî
(II, 32, 8). Une autre formule, ancienne aussi, est rapportée
chez Varron {Lingu. Lat., V, 58) qui l'a trouvée dans les
Livres Auguraux « hi (se. dei) quos Augurum Libri scriptos
:
habent sic « divi qui potes » pro illo quod Samothraces Osol
SuvaToi ». L'archaïsme de la forme potes va de pair avec
l'archaïsme syntaxique de qui déterminant nominal, dans
une locution divi qui potes héritée du rituel des Cabires
(cf. Varr., ibid. : « hi Samothraces dii, qui Castor et Pollux »)
et qu'il ne faut absolument pas corriger en « divi potes »,
comme le font des éditeurs modernes ^. Nous trouvons un
troisième exemple, dans un texte littéraire cette fois, chez
Plante : salvete, Athenae, quae nutrices Graeciae « salut,
Athènes, nourrice de la Grèce! » {Stichus, 649). Qu'il y ait
ici imitation d'anciennes formules, ce qui est possible, ou
emploi occasionnel, la construction est certainement authen-
tique; qui rattache étroitement la qualification au nom invo-
qué, de sorte que Athenae, quae nutrices Graeciae fait pendant
à gâth. bwà... yëm asà vahistâ hazaosdm... yâsâ, « je t'implore,
toi, l'allié 2 d'Asa Vahistâ » (Y. 28, 8). Enfin nous trouvons,
plusieurs fois chez Plante encore, qui avec un participe pluriel
neutre en valeur de quasi-article ut quae mandata... tradam,
:
quae facta infitiare, « toi qui prétends nier les faits » (Amph.,
779) omnes scient quae facta, « tous vont connaître les faits »
;
[Ibid., 474); optas quae facta, « ton souhait est chose faite »
{Ibid., 575). Nous relevons jusque chez Virgile la construction
nominale de qui voisinant avec la construction verbale ainsi :
quique sacer dotes casti..., quique pii vates..., aut qui vitam
excoluere..., quique fecere... ^. Ces citations, qui ne prétendent
pas être complètes, inciteront peut-être quelque latiniste à
pousser plus loin l'enquête. Elles suffisent à montrer, jusqu'au
seuil de l'époque classique, la survivance d'une propriété
syntaxique certainement héritée, reproduisant en latin la
double capacité d'emploi que hitt. kuis possède de son côté
et que les langues à relatif *yo- connaissent aussi bien.
Il ne peut plus être question, une fois considérées dans leur
ensemble ces concordances entre les formes anciennes de
l'indo-européen, de voir un développement secondaire dans
l'emploi du pronom comme déterminant du nom ou d'adjec-
tif. Bien plutôt c'est là, à l'origine même, sa fonction propre,
l'ordre des choses. Elle résume dans les trois relations qu'elle
institue l'ensemble des positions qui déterminent une forme
verbale pourvue d'un indice personnel, et elle vaut pour le
verbe de n'importe quelle langue. Il y a donc toujours trois
personnes et il n'y en a que trois. Cependant le caractère
sommaire et non-linguistique d'une catégorie ainsi posée
doit être dénoncé. A
ranger dans un ordre constant et sur
un plan uniforme des « personnes » définies par leur succes-
sion et rapportées à ces êtres que sont « je » et « tu » et « il »,
on ne fait que transposer en une théorie pseudo-linguistique
des différences de nature lexicale. Ces dénominations ne
nous renseignent ni sur la nécessité de la catégorie, ni sur le
contenu qu'elle implique ni sur les relations qui assemblent
les différentes personnes. Il faut donc rechercher comment
chaque personne s'oppose à l'ensemble des autres et sur quel
principe est fondée leur opposition, puisque nous ne pouvons
les atteindre que par ce qui les différencie.
you, but I shall not forgive you again » {Ibid., p. 97), signifie
plutôt, en remplaçant hagetta par handa : « (Je constate qu')il
te pardonne cette fois, mais il ne te pardonnera pas de nou-
veau », car le thème nominal et abstrait hagi ne convient
guère à la i''® personne. On doit effectivement comprendre /
san- son yl nwkkdni-wa irhdm yn mollasso, « although I eat this
fish, I don't know its name » {Ibid., p. 96), mais en substituant
mollatti à mollasso la phrase serait à la 2^ sg. « quoique:
1. Nous nous référons ici aux distinctions qui ont été énoncées
dans un articlede ce Bulletin, XLIII, p. i sq.; ci-dessus, p. 225.
2. On ne trouvera pas, espérons-le, d'inconvénient à ce que nous
appelions « aoriste » le temps qui est le « passé simple » ou le « passé
défini » de nos grammaires. Le terme « aoriste » n'a pas ailleurs de
connotations assez différentes et assez précises pour créer ici une
confusion, et il est préférable à celui de « prétérit » qui risquerait
d'être confondu avec « imparfait ».
3. Nous laissons entièrement de côté les formes modales du
verbe ainsi que les formes nominales (infinitif, participes). Tout ce
qui est dit ici au sujet des relations temporelles vaut pour ces formes
également.
240 Problèmes de linguistique générale
Quand Solon eut accompli sa mission, il fit jurer aux neufs archon-
tes et à tous les citoyens de se conformer à ses lois, serment qui
fut désormais prêté tous les ans par les Athéniens promus à la
majorité civique. Pour prévenir les luttes intestines et les révolu-
tions, il avait prescrit à tous les membres de la cité, comme une
obligation correspondant à leurs droits, de se ranger en cas de
troubles dans l'un des partis opposés, sous peine d'atimie entraînant
l'exclusion de la communauté il comptait qu'en sortant de la neu-
:
(simple et composé);
— dans renonciation de discours, sont admis tous les temps
à toutes les formes; est exclu l'aoriste (simple et composé).
Les exclusions sont aussi importantes que les temps admis.
Pour l'historien, le présent 1, le parfait et le futur sont exclus
parce que la dimension du présent est incompatible avec
l'intention historique le présent serait nécessairement alors
: