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« « Il faut beaucoup d’imagination pour combattre le système comme il faut beaucoup de naïveté pour espérer
changer le monde et beaucoup de temps pour le penser poétiquement. Cela tombe bien, je n’ai rien de plus urgent
à faire. Notre tâche est de faire conspirer les événements pour donner de la force à tous les peuples en lutte. »
« « C’est une image irrattrapable du passé qui menace de disparaître avec chaque présent qui ne s’est
pas reconnu comme désigné en elle. »
— Georges Bataille »
III.
— Virginia Woolf »
Il n’y a pas les gilets jaunes, il y a de nombreux malheurs lexicaux dus à
certaines tendances dominantes de la sociologie et des médias. Il y a un
mouvement inédit caractérisé d’abord par sa diversité, et par là même, par
son indétermination, son intelligence, son imprévisibilité, sa longévité. Le
déferlement des gilets jaunes fissure l’histoire des vainqueurs. Pour la
première fois depuis longtemps, la nation est animée par le peuple et non
par l’identité. Malgré tout un problème majeur ne cesse de se poser : le fait
qu’un certain nombre de résistants revendique son racisme. Certes le
constat dérange la bona fides de l’anarchiste obsédé par une pureté qui lui
fera toujours défaut comme il remet en question la bonne conscience du
petit bourgeois alterno qui ne manifeste qu’avec les copains, ne sort de
chez lui que pour ressentir un vague sentiment de communauté. Cette
vérité sociologique - le racisme assumé de certains gilets jaunes - n’est en
rien étonnante pour peu que l’on considère que l’Europe pille les autres
continents depuis plus de cinq cents ans, autrement dit que la plupart de
ses citoyens considèrent leurs privilèges comme naturels, et par là même
se croient supérieurs, ne fut-ce qu’inconsciemment. Cette vérité
sociologique n’est pas étonnante si l’on arrive à se rappeler que
l’imagologie dominante impose une propagande anti-arabe depuis plus
de 20 ans, nouvelle figure de l’ennemi après la chute du mur de Berlin,
plus encore après les attentats du 11 septembre 2001. Ce constat ne doit
pas nous empêcher d’apprécier l’événement, du moins si l’on se souvient
que de Tromso à Séville, des supermarchés aux universités, partout le
fascisme se développe. Cette multiplicité du peuple ne doit pas nous
empêcher de prendre part au mouvement, du moins si l’on accepte l’idée
que tout le monde peut changer, si l’on se rappelle que la plupart des
étants humains ont choisi malgré leur positionnement en monde, l’ont si
peu décidé. Changer le monde ce n’est pas seulement faire proliférer des
mondes minoritaires, c’est aussi affronter tout ce qui se croit immuable.
IV.
— Thucydide »
Il fut un temps, pas si lointain, où chaque mot correspondait à un astre, où
chaque geste résonnait avec une puissance plus que personnelle, où
chaque homme avait sa manière de croire en l’infini. Ce temps, si la durée
de l’humanité a un sens, c’était hier. C’était hier et pourtant nous en
perdons la mémoire. Le désastre n’est pas tant notre milieu que le nom
des êtres y errant sans pouvoir l’influencer, incapables de se raconter.
Rien ne peut arriver à ceux qui ont perdu leur milieu et la capacité de
réciter, à ceux qui ont perdu, par là même, quelque cosmogonie ou
imaginaire propres. Le désastre est le résultat ontologique de ces pertes.
Que face à ces dépossessions la logique traditionnelle soit aveugle ou, au
mieux, qu’elle déclare forfait, n’a rien d’étonnant si on n’oublie pas qu’elle
aime croire en l’homme économico-rationnel, cet être au carrefour des
sujets smithiens et sartriens soi-disant libre de ses choix. Le désastre est
notre milieu signifie dès lors : à force d’y errer nous ne cessons d’y
prendre part comme il nous forme en nous traversant.
V.
« « L’absurde n’est pas tant l’absence de sens que l’absence d’efficace du sens dans le monde. »
— Un ami »
Il y a toujours dans les voix que nous écoutons un écho de celles qui se
sont tues. A deux nous sommes déjà nombreux, en atteste cet amant qui
murmure à l’oreille de sa bien-aimée : je suis attaché aux morts qui
portent ta voix comme aux disparus qui m’ont appris à trembler. A mille,
voire à dix mille, l’échange de paroles en vue de quelque finalité, ou juste
de quelques repères pour faire communauté devient plus difficile.
VI.
« « Nous sommes au bord du désastre sans que nous puissions le situer dans l’avenir : il est plutôt
toujours déjà passé. »
— Friedrich Holderlin »
X.
« « Est-ce la folie qui mène à l’absence d’issue ou l’absence d’issue qui mène à la folie ? »
— Emmanuel Levinas »
« « Pour l’aurore, la disgrâce c’est le jour qui va venir ; pour le crépuscule, c’est la nuit qui engloutit. Il
se trouva jadis des gens d’aurore. A cette heure de tombée, peut-être nous voici. Mais pourquoi
huppés comme des alouettes ? »
— René Char »
« « L’agir du policier professionnel (républicain) est porté par une puissance de pensée. Tout le
contraire donc de l’usage pur et simple de la force, c’est-à-dire de l’irruption à travers lui d’une toute-
puissance, d’un tout est permis. »
— C’est triste.
— C’est joyeux comme une puissance inarrêtable, pour autant
que le dernier espoir ait disparu. Un jeu sérieux et sans fin, pour prendre
ce que nous pouvons prendre et le partager. Comme dirait une voix venue
d’ailleurs...
Un suicidé de la société
de la Plaine de Massilia au cœur de Bruxelles
19-24 avril 2019
[1] Ce que nous nous permettons de nommer, au sein de cette société thérapeutique, le devoir-
être-un-peu-malade pour jouir du droit-de-pouvoir-se-plaindre.
[2] L’expression est de Juan Branco. « Révélations sur Assange, Macron et les gilets jaunes. »
[3] « Le citoyen libre des sociétés démocratico-technologiques est un être qui obéit sans cesse
dans le geste même par lequel il donne un commandement. » Giorgio Agamben, Qu’est-ce que le
commandement ?