NOUVELLES FORMES
D'ORGANISATION DU TRAVAIL
Mario ROY1, Madeleine AUDET2
Résumé
Le texte qui suit propose un cadre de référence qui permet de situer les formes diverses
d’organisation du travail qui ont émergé et qui transforment le visage de nos
organisations. L’élaboration d’un tel cadre se justifie, d’une part, par l’abondance de la
documentation qui traite de la question sous divers angles et par le manque de modèles
intégrateurs permettant de contraster les diverses tendances de réorganisation adoptées
par les entreprises.
Les structures mécanistes sont lentement évincées par des formes d’organisation qui
accordent une attention accrue aux processus transversaux qui permettent de mieux
répondre besoins individualisés de clients et citoyens bien informés et exigeants. Le
texte qui suit vise à présenter aux décideurs et spécialistes de l'organisation du travail un
1
Titulaire de la Chaire d’étude en organisation du travail, Faculté d'administration, Université de
Sherbrooke, 2500, boul. Université, Sherbrooke (Québec) J1K 2R1 Canada, mroy@adm.usherb.ca
2
Étudiante au DBA, Faculté d'administration, Université de Sherbrooke, 2500, boul. Université,
Sherbrooke (Québec) J1K 2R1 Canada, madeleine.audet@hermes.usherb.ca
cadre de référence qui permet de classifier les diverses formes d'organisation qui sont
apparues pour répondre aux nouvelles demandes de l'environnement actuel.
Une fois le travail réparti entre ceux qui doivent le réaliser, une seconde question émerge
en ce qui concerne la coordination des efforts et le contrôle des activités. Est-il
préférable que l'encadrement des activités et l'évaluation du travail soient réalisées par
ceux-là même qui exécutent le travail ou par les niveaux hiérarchiques supérieurs à
ceux-ci ? Les organisations qui privilégient le contrôle hiérarchique considèrent que la
meilleure façon de gérer consiste à épurer les processus jusqu’à leur plus simple
expression (e.g. réingénierie) et à mettre en place des indicateurs de mesure tout au long
de la chaîne de valeur de façon à maintenir le flot des activités à l’intérieur de
paramètres stricts préalablement établis. Celles qui privilégient l’autonomie considèrent
que la meilleure façon de gérer consiste à développer les compétences distinctives de
ceux qui réalisent le travail, de façon à ce que ceux-ci ajustent leurs actions les uns les
autres au fur et à mesure que les circonstances l’exigent et à contrôler eux-mêmes les
opérations.
Le croisement des deux axes permet de situer les formes d’organisation que les
entreprises ont tendance à adopter pour accroître leur flexibilité. La figure 1, ci-dessous
présente les configurations typiques des transformations organisationnelles que nous
pouvons observer : l’organisation allégée, l’organisation en réseau, l’organisation
virtuelle et l’organisation en équipes. Ces prototypes se retrouvent à l'extrémité des
continuums ce qui permet de les contraster les uns les autres à partir des dimensions
retenues par le modèle.
Flexibilité externe
Organisation Organisation
Autonomie
Contrôle réseau virtuelle
Organisation Organisation
allégée en équipe
Flexibilité interne
Les équipes semi-autonomes ont le droit de prendre des décisions sur une grande variété
de sujets allant de la simple assignation des tâches jusqu’à la révision des règles de
fonctionnement et la modification des procédés de fabrication (Roy et al., 1998 ; Yeatts
et Hyten, 1998).
Discussion
Le cadre de référence proposé permet de contraster diverses formes organisationnelles
que les entreprises tendent à adopter de façon à gagner en flexibilité dans un
environnement turbulent. Cette classification ne signifie pas cependant que les formes
d'organisations présentées sont mutuellement exclusives pour une même entreprise. En
fait la plupart des organisations adopteront des configurations qui recoupent plusieurs
formes selon la tâche à accomplir, les contraintes de l'environnement, les compétences
du personnel, la technologie utilisée, les valeurs des dirigeants etc..
A titre d'exemple une entreprise du monde artistique comme le Cirque du soleil pourrait
adopter le mode virtuel pour la conception de ses spectacles, le mode réseau pour la
fabrication des costumes, le mode allégé pour la gestion logistique et le mode en équipe
pour l'installation matérielle des sites de spectacles. Dans le secteur manufacturier, la
division des produits récréatifs de Bombardier par exemple adopte une forme allégée
dans ses usines d'assemblage tout en développant un réseau important de sous-traitants
pour la fabrication des composantes de ses produits.
Des études sont requises pour déterminer quelles configurations organisationnelles sont
les mieux adaptées à divers types d'environnements. On ne peut statuer à ce stade-ci sur
l'efficacité et l'efficience d'une forme par rapport à une autre. L'exemple du constructeur
automobile américain GM qui utilise à la fois le modèle allégé (NUMMI) et le modèle
en équipes (SATURN) est une bonne illustration de la difficulté à départager les
avantages et inconvénients des diverses formes.
Les organisations prises en exemples dans le cadre de cet article ont toutes connu du
succès en adoptant une forme d’organisation appropriée aux contingences dans
lesquelles elles évoluent. L'état actuel des connaissances accroît le défi du gestionnaire
qui doit choisir la configuration organisationnelle la plus appropriée à la nature du
travail à réaliser pour offrir les biens ou les services requis par ses clients.
S’il peut sembler difficile de statuer ou d’établir les avantages d’une forme par rapport à
une autre au plan de l’efficacité et de la rentabilité, il nous apparaît toutefois pertinent de
s’interroger sur l’impact humain de ces formes d’organisation. Chacune d'entre elles
comporte des attraits mais aussi des dangers auxquels il faut porter attention si l'on ne
veut pas qu'elles engendrent des difficultés aussi importantes que celles associées au
taylorisme du siècle dernier.
L'organisation allégée peut à la fois créer des milieux de travail satisfaisants comme le
démontrent les sondages d'employés dans le secteur automobile ou encore être
oppressante tel que décrié par les employés de plusieurs centres d'appels qui se plaignent
du contrôle abusif de la technologie sur leur travail. L'entreprise réseau permet
l'émergence de plusieurs petites et moyennes entreprises mais elle est aussi hantée par
l'exploitation de travailleurs par des sous-traitants peu scrupuleux dans certains pays en
voie de développement. L'organisation virtuelle permet la réalisation de projets
impensables sous une autre forme mais peut accroître la précarité de l'emploi.
Finalement l'organisation en équipe peut engendrer un milieu de travail humainement
satisfaisant grâce à la richesse de la vie en groupe ; elle peut aussi être contraignante à
cause du contrôle par les pairs. Il s'agit ici encore de ne pas perdre de vue la composante
humaine dans la conception des nouvelles formes d'organisation si nous voulons que la
quête de flexibilité dans les milieux de travail soit viable pour ceux qui la rendent
possible.
Références :
Appelbaum, E., Batt, R. (1994). The New American Workplace :Transforming Work
Systems in the United States, ILR Press, Ithaca, New York, 279 p.
Mohrman, S.A., Cohen, S.G., Mohrman, A.M. Jr, (1995). Designing Team-based
Organizations : New forms for Knowledge Work, Jossey-Bass Publishers, San Francisco,
389 p.
Roy, M., Guindon, J.-C., Bergeron, J.-L., Fortier, L., Giroux, D. (1998). Équipes semi-
autonomes de travail : Recension d’écrits et Inventaire d’expériences québécoises.
(Rapport No. A252), Étude et recherche IRSST, 82 p.
Spreitzer, G.M., Mishra, A.K. (1999). Giving up control without losing control : Trust
and its substitutes effects on managers involving employees in decision making. Group
& Organization Management Thousand Oak, 24 (2), 155-187.
Yeatts, Dale E., Hyten, Cloyd (1998). High-Performing Self-Managed Work Teams : A
comparaison of Theory to Practice. Sage Publications, 379 p.