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Bruno Communal
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Photographies de l’auteur
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Copyright © 2018 Bruno Communal
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À mes parents,
et à ma famille au grand complet.
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SOMMAIRE
Générique ! ............................................12
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Un rituel centenaire : l’enregistrement et la synchronisation de la
musique avec le film. Jean-Claude Petit dirige l’Orchestre National de
France à la Maison de la Radio (Le Hussard sur le Toit, 1995).
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GÉNÉRIQUE !
Le lecteur trouvera dans cet ouvrage 357 bandes originales qui ont partici-
pé à l’histoire du cinéma et de la télévision de 1930 à 2000. La sélection non ex-
haustive opérée parmi des milliers de titres découle bien entendu de plusieurs cri-
tères et d’une question centrale : qu’est-ce qu’une bonne ou grande musique de
film ? Si, devant la variété des styles et des genres, il apparaît difficile de répondre
avec certitude, on peut toutefois considérer qu’une réussite notable en la matière
relève d’un dialogue ouvert entre deux auteurs aux intérêts divergents : un réalisa-
teur aux prises avec la dimension collective de son art qui rêve d’une paternité
totale, et un musicien qui, tout en servant la cause commune, souhaite exister au-
delà du contexte cinématographique. Au mieux, dans la mêlée, le premier laisse
au second le soin d’interpréter en toute liberté « son » œuvre filmique. Au pire, le
metteur en scène ferme le dialogue et prescrit la voie esthétique ou quantitative à
suivre. À l’aune des nombreux témoignages cités en aval, il semblerait que les
bons scores issus de mésententes avérées soient assez rares et confirment qu’un
climat de confiance réciproque est garant d’un certain accomplissement.
À partir de ce constat, nous avons pris soin de retenir les B.O. les plus
emblématiques de cette tendance marquée. Des scores aux identités bien trem-
pées, distingués par les pairs de la discipline, et reconnus des médias spécialisés.
Parmi tous les grands classiques évoqués, nous avons aussi veillé à glisser quantité
de travaux moins célébrés, mais dont la portée, le charme ou l’aspect précurseur
se sont confirmés avec les ans. En outre, le choix limité des titres retenus émane
d’un second parti pris raisonné : l’exclusion du cinéma asiatique et de la comédie
musicale – deux entités nécessitant, selon nous, de copieuses explorations indivi-
duelles. Sur le plan formel, le classement par ordre alphabétique a été retenu afin
de faciliter la consultation des titres présentés. Pour chaque film, le lecteur trouve-
ra les informations additionnelles suivantes : le titre original, le réalisateur, le pro-
ducteur, le distributeur, le compositeur, et l’année de sortie en salle. Enfin, sur le
plan rédactionnel, la priorité a été donnée aux témoignages des artistes mention-
nés dont certaines paroles, issues d’interviews, d’articles ou de biographies en
langues étrangères, ont été traduites pour la première fois en français.
*score (partition ou bande musicale) : mot d’origine anglaise, très largement utilisé
par les professionnels et les mélomanes francophones.
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1. Les Conflits de la Musique Française, 1940-1965 – François Porcile, éd. Fayard, 2001.
2. Musique et Cinéma, Le Mariage du Siècle ? – N.T. Binh, éd. Acte Sud / Cité de la
Musique, 2013.
3. Main Title / Musique à l’Écran n°2, décembre 1992.
4. Analyse faisant suite à un témoignage de Maurice Jarre (Les Conflits de la Musique
Française).
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Petites Histoires
de A à Z
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ADIEU À VENISE Anonimo Veneziano
Réalisé par Enrico Maria Salerno - Production : Turi Vasile (Ultra film / MGM)
Musique de Stelvio Cipriani - 1970
L'AFRICAIN
Réalisé par Philippe de Broca - Production : Claude Berry, Pierre Grunstein
(Amlf)
Musique de Georges Delerue - 1983
Sans crier gare, le départ de Georges Delerue pour Hollywood met fin au duo
flamboyant qu'il forme avec Philippe de Broca. « Entre Georges et moi, il n'y a
pas eu de rupture, avoue le metteur en scène, simplement un éloignement progres-
sif. J'habitais Paris, lui Los Angeles... On avait chacun nos vies, séparées par
quelques milliers de kilomètres. On s'est toutefois retrouvé sur deux films, L'Afri-
cain et Chouans ! Pour le premier Georges était revenu en France : on a donc
renoué avec nos vieilles habitudes. Car mon bonheur c'était d'aller chez lui, près
du lac d’Enghien, l'écouter me proposer des thèmes... Là, je lui avais dit : "Je
voudrais une ouverture qui coule comme un grand fleuve africain, vaste, boueux,
irrémédiable…" Il s’est mis à son clavier et, déjà, je visualisais sa musique. » Cette
proximité de Broca ne la retrouvera pas sur Chouans !, pourtant formidable parti-
tion, et se tournera ensuite vers d'autres musiciens. L'Africain apparaît du coup
comme la somme d'une collaboration. Une bande originale qui résume trente ans
de cinéma échevelé où l'aventure rime avec la comédie, l'amour avec la mélanco-
lie. L'émouvant Face to face qui ouvre l'album en chanson, demeure l'un des plus
beaux thèmes composés par Delerue pour le cinéaste.
L'Africain : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).
AIRPORT Airport
Réalisé par George Seaton - Production : Ross Hunter (Universal Pictures)
Musique d’Alfred Newman - 1970
Le 5 octobre 1959, Dimitri Tiomkin rejoint le tournage d’Alamo avec deux chan-
sons sous le bras (Here’s to the ladies /Tennessee babe), afin de superviser leurs inter-
prétations sur le plateau. John Wayne souhaite donner à son premier film une
imposante dimension musicale, et permettre à Frankie Avalon ou Ken Curtis de
chanter lors des séquences festives. Il demande également à Tiomkin de réutiliser
El Deguello (composé pour Rio Bravo) comme thème d’ouverture. Quelques mois
après cette immersion sur le plateau, le musicien livre une partition mammouth
estimée à 2h20 qui, malgré sa magnificence, ne sauvera pas le film de son échec
commercial. « Pour apprécier l’effet d’une musique sur un film et estimer ce
qu’elle lui apporte, déclare Tiomkin, il faudrait le visionner avant et après l’ajout
du score. Non seulement tous les effets dramatiques sont rehaussés, mais, dans la
plupart des cas, les visages, les voix et même les personnalités des acteurs sont
altérés par la musique… Je suis toujours malheureux quand un réalisateur insiste
pour avoir de la musique tout au long du film. Il y a des scènes où elle est dispen-
sable, et lorsqu’il insiste pour en rajouter, cela m’afflige. J’en tremble même, me
demandant si je dois assister à la projection au milieu des spectateurs qui ont mal
aux oreilles. Qu’arriverait-il s’ils me reconnaissaient ? » Malgré ses angoisses de
créateur, Tiomkin sera le grand vainqueur de la bataille d’Alamo avec ce clas-
sique du western moult fois réédité en vinyle* et cd.
The Alamo : éd. Sony (cd) et Tadlow (réenregistrement complet, cd).
*À l’origine, la compagnie Columbia Records avait prévu un double 33 tours,
mais devant les mauvais résultats des projections tests, l’album définitif ne com-
portera qu’un seul disque.
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1961.
ALEXANDRE LE BIENHEUREUX
Réalisé par Yves Robert - Production : Danièle Delorme, Yves Robert
(Warner Bros.)
Musique de Vladimir Cosma - 1968
À quelques semaines de son grand départ pour l'Amérique, Michel Legrand reçoit
un coup de fil d'Yves Robert. Le cinéaste envisage de lui confier la musique de
son nouveau film. Hélas, le planning est trop serré et Legrand décline l'offre. Té-
moin de la conversation, son arrangeur Vladimir Cosma tente sa chance : « J’ai
timidement osé dire : "Michel, je suis disponible pendant trois mois avant de vous
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rejoindre en Amérique, ne pourriez-vous pas essayer de le rappeler ? Ce serait une
belle chance pour moi de composer la musique d'un film..." Après deux secondes
de réflexion et sans me dire un mot, il appelle Yves Robert sur le tournage du film
en question. "Allo Yves ! Je vais te faire un grand cadeau…" » Ainsi naissent l'une
des plus longues collaborations du cinéma français et le premier succès d'un com-
positeur incontournable. Cosma aborde Alexandre le Bienheureux avec l'idée de
symboliser les personnages par des instruments solistes. Le musicien choisit la
cithare pour accompagner les frasques de Philippe Noiret et l'ocarina basse pour
celles de son petit chien. Ce principe dérivé de Prokofiev se poursuivra au fil de
nombreux films, dont ceux de Pierre Richard. Mention spéciale pour la splendide
chanson Le ciel, la terre et l'eau interprétée par Isabelle Aubret. Une B.O. empreinte
de poésie.
Alexandre le Bienheureux : éd. Larghetto music (cd).
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La postproduction d’Alien amorce son ultime chapitre à la fin de l’année 1978.
Sur les recommandations de Lionel Newman*, chef du département musique de
la Fox, Jerry Goldsmith est convié au visionnage d’un montage non définitif de
127 minutes : « J’étais tout seul dans la salle de projection et complètement terri-
fié. J’avais beau me répéter : "ce n’est qu’un film, ce n’est qu’un film…", j’étais
terrifié au plus haut point… Ce qui était plutôt bon signe, car cela allait m’aider à
écrire la partition. » Peu enclins au dialogue, Ridley Scott et son monteur Terry
Rawlings préparent un programme de musiques temporaires, afin de guider le
travail de Goldsmith. « En plaçant sur plusieurs séquences des extraits orches-
traux de mon travail sur Freud (1962), ils pensaient me faire plaisir, poursuit le
musicien, mais en fait j’ai détesté. J’aurais préféré qu’ils utilisent des morceaux de
quelqu’un d’autre. » Le compositeur passe outre ces indications et crée une grande
symphonie spatiale mi-romantique, mi-avant-gardiste, trouée de sonorités tradi-
tionnelles (didgeridoo, conque indienne, serpent médiéval). « J’ai proposé d’écrire
une ouverture très romantique, très lyrique, afin que les premiers chocs émergent
du déroulement de l’intrigue. Une manière de dire : "Ne dévoilez pas tout dès le
générique !" Mais cela ne s’est pas très bien passé. Ridley et moi étions en désac-
cord à ce sujet. » Finalement, Goldsmith sera contraint de réécrire une partie du
score et le réalisateur conservera les extraits de Freud dans la bande-son du film.
Alien : éd. Intrada (cd).
*Également chef d’orchestre de la B.O. et d’autres musiques de Goldsmith néces-
sitant un important travail de mixage en cabine.
ALPHAVILLE
Réalisé par Jean-Luc Godard - Production : André Michelin (Athos Films)
Musique de Paul Misraki - 1965
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AMICALEMENT VÔTRE The Persuaders
Série britannique produite par Robert S. Baker (ITC)
Thème musical de John Barry - 1971
Michel Magne arrive dans le cinéma des années soixante tel un boulet de canon.
Manipulant tous les genres musicaux avec la même vélocité (jazz, classique, va-
riété, musique contemporaine...), il devient vite le compositeur à la mode au sein
des productions grand public. Le cycle des Angélique représente assurément la
quintessence de sa capacité à capter le cœur des spectateurs. Construit autour d'un
grand thème romantique, son score lorgne volontiers le Classicisme hollywoodien
et ses élans emphatiques. Au fur et à mesure des intrigues, Magne multiplie ses
variations, ses ambiances (parfois exotiques), sans jamais trop s'éloigner de son
intention mélodique. « Ma musique du sirop ? Disons que le sirop que je compose
je l'aime bien, je ne cracherais pas dessus, déclarait-il en 1977. D'abord, le public
me le rend bien et ce ne sont pas des mélodies que je refuse, au contraire, je les
aime bien. C'est très difficile de faire une mélodie, c'est souvent plus difficile que
de faire une musique contemporaine... Mon souci est de plaire à un grand
nombre. Plaire à deux mille personnes ne m'intéresse pas. » Plusieurs fois réédi-
tées ou réutilisées (spectacles, remake), la musique d'Angélique, Marquise des
Anges continue de séduire toutes les générations.
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Angélique, Marquise des Anges : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(cd).
Bien disparu le temps où la télévision avait une fin. Nos petites lucarnes ne rever-
ront sans doute jamais les dessins de Folon prendre vie sur la musique de Michel
Colombier, auteur méconnu de ces apartés poétiques. « Je me suis fait à l’habitude
de rester dans l’ombre, avoue le compositeur, le manque de notoriété ne m’a ja-
mais frustré. Le générique de fin de programme d’Antenne 2 ou celui de Salut les
copains, personne n’a jamais su que c’était de moi. J’ai été le nègre de Michel
Magne à mes débuts, j’ai grandi comme ça. Mon père avait des principes très
stricts, il était très pur. Il disait que l’artiste est au service de l’Art et non
l’inverse. » Malgré cette relative discrétion, le compositeur participe à l’esthétisme
musical des années 70 ; il écrit le thème Emmanuel en hommage à son jeune fils
disparu (l’album Wings - 1971), signe plusieurs B.O. notables (Un Flic, L’Héri-
tier…), puis s’envole pour l’Amérique. « J’ai su me plier aux contraintes d’Hol-
lywood, faire le caméléon, me comporter parfois comme une éponge. C’est pour
ça que ça a marché très vite et très bien. » En 1982, Michel Colombier reviendra
en France pour écrire la partition-fleuve du drame musical Une Chambre en Ville
de Jacques Demy.
Wings : éd. A&M (cd).
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chanceux de m’en être si bien tiré. Après cette expérience, j’étais beaucoup plus
confiant. »
Antony and Cleopatra : éd. Polydor (lp) et JOS (réenregistrement, cd).
Réduire la bande originale d'Apocalypse Now à The end (The Doors) ou La che-
vauchée des Walkyries (Richard Wagner) est omettre l'excellence du travail des
Coppola et du sound designer Walter Murch. La musique électronique d'Isao
Tomita, très à la mode en 1978, influence le concept sonore originel du film*. Le
réalisateur demande tout d’abord à Carmine Coppola de composer une partition
de forme classique, orchestrée pour divers pupitres, qu'il fait ensuite interpréter sur
une batterie de synthétiseurs et de percussions. Puis, l'avènement du son Dolby
Stéréo offrant désormais de nouvelles possibilités en matière de mixage, Francis
Coppola ajoute une dimension inédite au travail de son père : « Comme je souhai-
tais démontrer la puissance discrète du son quadriphonique, j’ai invité quelques
amis parmi lesquels Walter Murch et Georges Lucas. J’ai éteint les lumières et ils
se sont assis dans le noir en écoutant les effets de spatialisation et la vitalité de
l’expérience quadriphonique. C’était les débuts du Dolby Split – Surround (le
format 5.1) qui fut développé par Walter Murch et utilisé pour la première fois
dans Apocalypse Now… » Outre l'aspect novateur du processus, on est surtout
frappé aujourd'hui par l'indémodable musicalité de cette B.O. dans laquelle le
bruit devient musique et vice-versa.
Apocalypse Now : éd. Elektra (2lp et 2cd avec effets sonores et dialogues - score,
lp, cd - 1979).
Apocalypse Now Redux : éd. Nonesuch (score version longue, cd - 2001).
*David Shire composera également une première B.O. rejetée qui laissera des
traces notables dans le travail des Coppola.
Durant l’automne 1972, George Roy Hill découvre les compositions de Scott Jo-
plin par l’intermédiaire de son fils ainé, grand amateur de l’artiste autodidacte. Il
échafaude alors l’accompagnement musical de L’Arnaque. « Bien que les rag-
times aient été écrits avant l’époque du film, vers le début du XXe siècle, remarque
le cinéaste, je gardais en tête la connexion entre l’humour merveilleux, la grande
spiritualité de ces "rags", et l’esprit que j’envisageais de donner à notre histoire.
J’élaborai donc le montage de diverses séquences afin de pouvoir utiliser les mor-
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ceaux de Joplin. Dans un élan d’enthousiasme, je décidai de créer seul la B.O. en
interprétant moi-même au piano tous les "rags". Ce que je fis pour le premier bout
à bout des rushs. Mais en écoutant le résultat, le sentiment général des studios
Universal fut que j’avais pris une sage décision en abandonnant ma carrière de
pianiste au profit de celle de metteur en scène. Ils m’encourageaient d’ailleurs à
persévérer dans cette voie… C’est ainsi que je fis appel à Marvin Hamlisch. » Épa-
té par la qualité du film, le musicien adapte sans difficulté les titres choisis, dont le
fameux The entertainer : « Je n’ai pas mis plus de six ou sept jours pour mettre en
forme l’intégralité du score. Tous les morceaux correspondaient parfaitement aux
images, un peu comme si Joplin les avait écrits pour le film. Par ailleurs, je crois
que sa musique a vraiment allégé la dureté latente de L’Arnaque. »
The Sting : éd. MCA (cd).
Oscar de la meilleure adaptation musicale 1974.
Louis Malle termine à la hâte le montage de son second long-métrage afin de con-
courir au prestigieux prix Louis-Delluc 1957. Dans le même temps, il imagine un
dispositif inédit : proposer au trompettiste Miles Davis, en concert à Paris,
d’improviser une session sur les images de son film. Boris Vian lui permet de ren-
contrer le jazzman qui accepte, à condition de pouvoir préparer thèmes et grilles
d’accords en amont de l’enregistrement. Le 4 décembre 1957 à dix heures du soir,
la B.O. d’Ascenseur pour l’Échafaud prend forme au studio du Poste Parisien.
« On s’est mis au travail très lentement, raconte Louis Malle, comme le font les
musiciens de jazz… Je passais les séquences sur lesquelles on voulait mettre de la
musique, et il commençait à répéter avec ses musiciens… On est resté là jusqu’à
huit heures du matin. En une nuit, on a tout enregistré, et, en cela, je pense que la
musique d’Ascenseur est unique. C’est l’une des rares musiques de film qui ait été
entièrement improvisée. » Au total, 18 minutes de session figureront dans le polar
en noir et blanc, avec l’impact que l’on sait. « Le film en était métamorphosé… il
a soudain semblé décoller », constatera Louis Malle lors du mixage.
Ascenseur pour l’Échafaud : éd. Universal Jazz (cd).
L’ATALANTE
Réalisé par Jean Vigo - Production : Jacques-Louis Nounez (Gaumont)
Musique de Maurice Jaubert - 1934
Considéré comme l’un des pères fondateurs de la musique de film, Maurice Jau-
bert s’oppose très tôt aux diverses tendances héritées du muet (le 100% musique
ou Mickeymousing*) et envisage des alternatives originales à la tradition sympho-
nique. Sa rencontre avec Jean Vigo entérine une collaboration tendue vers
l’expérimentation, l’échange : « Jaubert a assez de talent, constate le réalisateur de
Zéro de Conduite, pour permettre qu’à l’occasion les hurlements des gosses cou-
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vrent sa musique. » En prise avec les intentions du musicien, L’Atalante devien-
dra l’emblème d’un cinéma poétique bercé d’idées nouvelles : « Au début du film,
remarque François Porcile, le cortège nuptial s’arrête devant la péniche où les
mariés embarquent. Le moteur mis en route, le bateau glisse doucement le long de
la berge où la noce reste immobile, pétrifiée. Jaubert installe, presque impercepti-
blement, la présence musicale en lui faisant épouser le rythme du moteur. Au
bruit réel de la machine se superposent batterie, alto et violoncelle, qui, se déta-
chant progressivement, vont permettre la naissance du thème d’amour au saxo-
phone solo. » Avec cette séquence représentative, « Jaubert définit la place de la
musique dans le film, son rôle de passage. "C’est précisément le rôle du musicien
de film, disait-il, de sentir le moment précis où l’image abandonne sa réalité pro-
fonde et sollicite le prolongement poétique de sa musique." »
Maurice Jaubert, L’Atalante et autres musiques de films : éd. Milan (réenregis-
trement, cd).
*L'oreille doit entendre ce que l'œil voit.
Les impérieux mémos de David O. Selznick ouvrent certains pans sur la fabrica-
tion musicale d’Autant en Emporte le Vent. Comme le précise Alain Lacombe,
ces notes font office « d’ordres et d’indications précisées d’une manière sommaire,
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et déterminent la théorie cinématographique du Seigneur et Maître. » Ils peuvent
être contradictoires mais influent sur tous les ateliers de création. Concernant la
bande originale, le premier d’entre eux arrive en avril 1937 : « Je crois que celui
qui composera la musique du film devrait être prévenu dès à présent, écrit
Selznick, afin qu’il puisse étudier la musique d’époque et préparer son travail…
Mon premier choix est Max Steiner, et je suis certain qu’il donnerait n’importe
quoi pour le faire. » Le musicien viennois accepte effectivement la tâche mais ap-
prend bientôt qu’il n’a que trois mois pour illustrer les 3h40 de projection. Un
véritable marathon placé sous la haute autorité d’un producteur qui définit chaque
inflexion musicale : « Pour le grand plan général où Scarlett recherche le docteur
Meade parmi les victimes, utilisez un medley pathétique de vieilles chansons du
Sud que vous dramatiserez. Cela donnera l’impression d’un Sud saigné à mort,
tout comme les soldats morts ou blessés… Surtout pas de musique originale. » Steiner
doit ainsi jongler avec les nombreux morceaux folkloriques réclamés par Selznick
(une quinzaine) et ses propres compositions. Durant le processus, certaines mélo-
dies originales s’imposent sans réserve : « Je suis dingue des thèmes de Mammy,
Mélanie et Tara… (15 novembre 1939) », mais le Classicisme hollywoodien en
marche suscite aussi des réprimandes : « Arrêtez d’écrire de la musique qui nous
raconte la même chose que les dialogues. Utilisez-la pour ce qu’elle est censée
apporter à la scène, c’est-à-dire un climat. Arrêtez de faire du Mickeymousing, sauf
lorsque l’on vous le demande (1er décembre 1939). » À coups de nuits sans som-
meil, de piqures de vitamines et avec l’aide d’une batterie d’orchestrateurs, Steiner
terminera son chef-d’œuvre dans les temps, sous l’œil ému de l’auteure Margaret
Mitchell : « Je n’ai jamais pu entendre la musique d’Autant en Emporte le Vent
sans ressentir à nouveau les émotions vécues lors de la première du film à Atlan-
ta… S’il m’est difficile de les décrire avec justesse, je peux cependant affirmer que
je ne doutais pas un instant de la grandeur du spectacle que j’allais découvrir. »
Gone with the Wind : éd. Rhino Movie Music (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1940.
AVALON Avalon
Réalisé par Barry Levinson - Production : Mark Johnson, Barry Levinson
(TriStar)
Musique de Randy Newman - 1990
Héritier d'une fratrie hollywoodienne très influente*, Randy Newman s'est imposé
dans la vie musicale américaine en creusant un sillon aux multiples couleurs.
George Gershwin, le jazz de La Nouvelle-Orléans (où il est né), le cinéma, consti-
tuent ses influences directes. Auteur / interprète de chansons à succès, il se dirige
vers le cinéma à partir de 1980 avec Ragtime, dans lequel il recrée les harmonies
des années dix. Après plusieurs albums solos, il revient aux longs-métrages en
composant Avalon, son score le plus personnel à ce jour. « Randy est arrivé très
rapidement sur le film, précise Barry Levinson. Bien sûr, j’avais déjà travaillé avec
lui sur Le Meilleur, mais je pensais qu’il serait également parfait pour cette his-
toire. Comme le piano était un élément central de la maison familiale – il arrive
au foyer par la rue, durant un gros orage, et permet ainsi au grand-père d’en jouer
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régulièrement – j’ai pensé "piano". Et quand j’écrivais le script, c’est Randy
Newman qui me venait à l’esprit. » Valse boston, rag, séquence de cirque (clin
d'œil à Nino Rota), le musicien alterne les figures sans jamais perdre le fil de son
inspiration. Il retrouvera cette authenticité un an plus tard avec L'Éveil, mélo
médical transcendé par la patte du compositeur. Quelles que soient leur forme, ses
mélodies cinématographiques renvoient souvent à ses meilleures chansons, telle I
think it's going to rain today écrite en 1968. « Faire des musiques de films m'a permis
d'améliorer l'écriture de mes chansons », déclare-t-il en 2002. Et inversement, car
avec Randy, la pluie n'est jamais très loin.
Avalon : éd. Reprise / Warner (cd).
*Ses trois oncles sont : Alfred Newman, Emil Newman et Lionel Newman.
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1991.
Qualifiée de score à la "Max Steiner" par son auteur, L’Aventure de Mme Muir
est l’une des rares B.O. de Bernard Herrmann où le leitmotiv prévaut. « Il consi-
dérait cette musique comme son meilleur travail pour l’écran, remarque Steven C.
Smith. Une partition poétique, unique et hautement personnelle. L’essence de son
idéologie romantique y est contenue – sa fascination pour la mort, l’extase roman-
tique et la beauté du sentiment de solitude. Elle rappelle un peu des œuvres du
passé : les marines impressionnistes de La mer de Debussy ou Peter Grimes de Brit-
ten (…) L’Aventure de Mme Muir est non seulement devenu le film préféré du
compositeur, mais également le compagnon de son opéra Les hauts de Hurlevent.
Dans ses deux créations, on retrouve ces héroïnes autonomes pour lesquelles
Herrmann avait de l’empathie, des femmes mues par une puissante volonté ; leur
contexte est également similaire, ces histoires se déroulent dans l’Angleterre du
passé où les turbulences des décors naturels – la mer et la lande – se reflètent dans
les protagonistes. Enfin, on y trouve la promesse d’une purification spirituelle
après les déceptions de la vie. Dans l’esprit d’Herrmann, ces deux œuvres sont
unies l’une à l’autre… » En outre, le compositeur réutilisa plusieurs motifs de son
opéra dans la musique du film de Mankiewicz, comme le révélera en 1975, le
splendide réenregistrement dirigé par Elmer Bernstein.
The Ghost and Mrs Muir : éd. Varèse Sarabande (cd) et Film Score Monthly (ré-
enregistrement, cd).
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LES AVENTURIERS
Réalisé par Robert Enrico - Production : Gérard Beytout, René Pignières (SNC)
Musique de François de Roubaix - 1967
Le triomphe du film d’aventure à la française. Entamée deux ans plus tôt avec Les
Grandes Gueules, l'association Robert Enrico / François de Roubaix trouve ici sa
pleine vitesse de croisière. Les Aventuriers, film d'extérieur en Cinémascope, est
avant tout une odyssée sur l'amitié, une fable intime à trois voix : le trio Delon /
Ventura / Shimkus. Le musicien perçoit immédiatement la volonté d'Enrico d'ex-
plorer l'intériorité des personnages. Il compose un générique complexe scindé en
deux mélodies qui s'alternent : le piano amorce le mouvement, l'action, puis fait
place au beau thème sifflé de Laetitia. Le tout interprété par une petite formation
instrumentale. Car François de Roubaix n'est pas l'homme du grand orchestre
symphonique. Sa force, il la puise dans la mélodie, la modulation : « François
avait une façon particulière de moduler, de passer sans transition d'une tonalité à
une autre pour ensuite retomber sur ses pieds, confie l'arrangeur Bernard Gérard.
Avec Les Aventuriers, il commençait à s'affranchir et à prendre en main l'orches-
tration. Je l'ai beaucoup poussé dans ce sens, car finalement, je ne faisais que re-
prendre ses idées sans rien ajouter. » L’un des temps forts du film sera l'enterre-
ment sous-marin vocalisé par l'incomparable Christiane Legrand. La séquence
évoque Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, l'orgue du Capitaine Nemo...
Un pied dans l’océan, l'autre dans l'onirisme, voilà bien un monde parfait pour
l'immense François de Roubaix.
Les Aventuriers / Le Samouraï : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(cd).
En plein travail sur la partition des Aventuriers de l’Arche Perdue, John Wil-
liams hésite entre deux thèmes pour personnaliser le héros du film de Steven
Spielberg. « Pourquoi ne pas assembler les deux mélodies ? », interroge le cinéaste.
Williams acquiesce après une longue gestation : « Un morceau tel que celui-ci est
d’une simplicité trompeuse, révèle le maestro, il s’agit de trouver les notes justes
qui identifieront, par l’intermédiaire d’un leitmotiv adéquat, le personnage
d’Indiana Jones. Je me souviens avoir travaillé des jours et des jours sur ce thème,
en changeant telle note, en modifiant ci, en inversant ça, en essayant d’obtenir
quelque chose qui me semblait bien approprié. Je ne peux pas parler au nom de
mes collègues, mais pour moi, des choses qui apparaissent très simples ne le sont
pas du tout. Elles sont simples après les avoir trouvées. » L’autre morceau de bra-
voure sera la poursuite des camions dans le désert. Un mouvement symphonique
de huit minutes envisagé comme une chorégraphie. « Sur ces séquences, et parti-
culièrement avec Steven, je raisonne toujours en termes de ballet. Je la regarde
comme un numéro dansé, avec un début, un milieu et une fin, j’essaye de calculer
une série de tempos… La musique peut sembler grave, mais elle ne l’est pas vrai-
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ment. C’est plus conçu de manière théâtrale, toujours avec l’espoir d’y voir
poindre un aspect amusant, voire cabotin. »
Raiders of the Lost Ark : éd. Concord (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1982.
L’AVVENTURA L’Avventura
Réalisé par Michelangelo Antonioni - Production : Amato Pennasilico
(Cino del Duca)
Musique de Giovanni Fusco - 1960
« Dans la vie, les hommes peuvent en général se trouver dans des "situations mu-
sicales" beaucoup plus rarement que dans les films. » Cette petite phrase d’Anto-
nioni donne un indice tangible sur son rapport avec la musique à l’écran. Durant
le tournage de L’Avventura, le cinéaste fait enregistrer les bruits du vent et de la
mer afin d’illustrer de manière naturaliste son odyssée insulaire. Une décision
esthétique qui influe sur les choix instrumentaux de Giovanni Fusco : une petite
formation comprenant clarinette, flûte, violoncelle et cuivres. « La première règle
pour un musicien qui entend collaborer avec Antonioni est d’oublier qu’il est mu-
sicien, confie le compositeur. Il déteste la musique et ne peut s’en passer… La
répugnance qu’il éprouve à son égard est le fruit d’une longue méditation… Il est
nécessaire que la musique d'un film soit très incisive et mesurée. Une expérience
assez longue me permet d'affirmer que les résultats les plus efficaces peuvent être
obtenus avec les orchestres les moins importants. Pour ma part, en particulier
lorsque je rencontre un réalisateur de l'envergure d'Antonioni, j'élimine l'orchestre
tout à fait. » À l’exemple de son célèbre Bolereo avventura, la force de Fusco sera de
parvenir à exister au sein d’un espace musical très restreint.
L’Avventura : éd. Quartet (cd).
Stanley Kubrick n'a jamais caché sa préférence pour l'usage de musiques préexis-
tantes dans ses longs-métrages. Cette autonomie relative ne lui évite cependant
pas certains dilemmes concernant les morceaux choisis. Pour Barry Lyndon, le
cinéaste butte sur la scène de séduction entre Ryan O' Neal et Marisa Berenson :
« J'avais d'abord voulu m'en tenir exclusivement à la musique du XVIIIe quoi qu'il
n'y ait aucune règle en ce domaine (...) Malheureusement, on n'y trouve nulle
passion, rien qui, même lointainement, puisse évoquer un thème d'amour ; il n'y a
rien dans la musique du XVIIIe qui ait le sentiment tragique du Trio de Schubert.
J'ai donc fini par tricher de quelques années en choisissant un morceau écrit en
1814. Sans être absolument romantique, il a pourtant quelque chose d'un roma-
nesque tragique. » Le grand thème du film est également l'objet d'un compromis :
« En fait, quand j'ai entendu jouer cette sarabande à la guitare, c'était ce qui se
rapprochait le plus d'Ennio Morricone ! Sans jurer avec le reste de l'histoire. On
l'a, en fait, très simplement orchestrée et elle n'évoque pas d'époque particulière. »
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Les arrangements de cette B.O. agencée sans transition – Haendel, Mozart, Bach,
face aux Chieftains – vaudront au compositeur Leonard Rosenman son premier
Oscar.
Barry Lyndon : éd. Warner Bros. WEA (cd).
Oscar de la meilleure adaptation musicale 1976.
« L’un des grands regrets de ma vie est de ne pas être devenu compositeur, confie
Gillo Pontecorvo en 2004. La partie de mon travail que je préfère est lorsque
j’arrive à la fin du montage. Je m’enferme avec ma Moviola et je regarde à nou-
veau le film en sifflant les thèmes musicaux que je souhaiterais utiliser. C’est
vraiment le moment où je commence à aimer le film... Sur La Bataille d’Alger,
j’avais besoin d’un vrai compositeur et j’en ai trouvé un qui avait une très forte
personnalité. » Tout juste sorti de ses premiers westerns à succès, Ennio Morri-
cone trouve ainsi un nouveau cinéaste fidèle, doublé d’un musicien actif. « À cette
époque, j’étais plutôt fier, raconte le maestro, et je ne voulais pas que le réalisateur
ait le contrôle de la musique. Cela dit, Gillo comprenait, de manière intuitive, le
type de musique dont le film avait besoin. » Les deux artistes construisent donc à
quatre mains cette B.O. moderne et évocatrice, sans pour autant baisser leur garde
respective. « En général, il y a de la tension entre nous, précise Pontecorvo, car
lorsque je propose un motif et qu’Ennio ne l’aime pas, je sais qu’il n’acceptera pas
de l’inclure dans le score, et vice-versa ! Nous nous bagarrons jusqu’à trouver un
thème que nous aimons tous les deux. » Morricone composera seul leur second
film Queimada, une œuvre forte pour orchestre, chœur, et percussions ethniques.
La Battaglia di Algeri : éd. Quartet (cd).
BATMAN Batman
Réalisé par Tim Burton - Production : Peter Guber, Jon Peters (Warner Bros.)
Musique de Danny Elfman - 1989
C’est en parcourant les imposants décors de Gotham City que Danny Elfman
imagine les premières mesures du score de Batman. Mais le compositeur est in-
quiet, il s’agit de son premier blockbuster et la production est hésitante. « Sur un
tel projet, pas mal de monde avait son mot à dire sur la musique, se souvient
Elfman. Ils souhaitaient que je collabore et coécrive la partition avec Prince. J’ai
refusé tout net. Ce fut la décision la plus difficile de ma carrière. Potentiellement,
je n’ai jamais été aussi près de passer à côté de la plus grande opportunité de ma
vie. » Une maquette du thème principal est présentée au producteur qui
s’enthousiasme spontanément : « Jon Peters a bondi de sa chaise en mimant la
direction de l’orchestre. Après des mois de scepticisme, j’étais enfin parvenu à le
convaincre. Dès cet instant, Peters est devenu l’un de mes principaux alliés. » Par
ailleurs, le musicien puise son inspiration symphonique chez ses idoles. « J’ai été
beaucoup influencé par des compositeurs comme Korngold, Tiomkin, Steiner et
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je pense qu’eux-mêmes ont fortement été influencés par Wagner. Je le suis donc
aussi mais de manière indirecte. La plupart de mes influences sont de factures
classiques, mais elles ont d’abord été filtrées par d’autres compositeurs avant
moi. »
Batman : éd. La-La Land (cd).
BEAU-PÈRE
Réalisé par Bertrand Blier - Production : Alain Sarde (Parafrance Films)
Musique de Philippe Sarde - 1981
Les compositions pour piano de Philippe Sarde incarnent l’une de ses grandes
marques de fabrique. Mille Milliards de Dollars, Chère Inconnue, Qui c’est ce
Garçon ?, Les Mois d’Avril sont Meurtriers… des B.O. élégantes, parfois dis-
crètes, toujours justes. Lors de l’écriture de Beau-Père, Bertrand Blier songe à des
plages musicales s’inspirant de Bud Powell ; une manière de prolonger la patine
jazzy de ses précédents films. « Pour l’enregistrement, se souvient le cinéaste,
Sarde a réuni des solistes épatants : Maurice Vander, Eddy Louiss et Stéphane
Grappelli, mon compositeur des Valseuses. Le son du violon de Stéphane était
magnifique notamment pour les scènes d’amour. J’adore la légèreté, la finesse de
ce merveilleux sirop. Ce que font les Américains avec soixante-dix cordes, nous
en France on l’obtient avec un seul bonhomme, le meilleur violoniste jazz du
monde. Et le résultat est incomparable ! Le jour où j’ai vu débouler en studio le
batteur américain Kenny Clarke, avec son matos, je me suis souvenu avec émo-
tion des heures passées à écouter ses disques. » Couvert par le monologue de Pa-
trick Dewaere, le thème principal est un véritable concentré de mélancolie.
Beau-Père : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).
« J’ai écrit nombre des thèmes principaux de Beaucoup de Bruit pour Rien bien
en amont de mon travail de composition sur le film, révèle Patrick Doyle. J’étais
sur le tournage en Toscane (comme acteur, NDLR)*, et cela a rendu le processus
vraiment intime et aisé… En conséquence, Kenneth Branagh et moi, nous nous
sommes mis d’accord pour considérer l’atmosphère de ces lieux merveilleux
comme un élément crucial pour créer l’ambiance voulue. » Passée la mise au
point de chansons interprétées sur le plateau, Doyle retourne en Angleterre pour
achever une partition dont l’ouverture devient la pièce maîtresse : « Elle est com-
posée d’un petit morceau avec juste quelques instruments et des cordes, puis il y a
un montage de quatre minutes où intervient un orchestre énorme, constamment
massif… Quand j’ai visionné les images, je me suis dit : "Oh là, je vais devoir
écrire la musique !" C’est purement orchestral et assez inhabituel. » La direction
du score est confiée à l’Anglais David Snell, mais instinctivement Patrick Doyle
se saisit du bâton. « Le chef d’orchestre n’était pas à fond "dedans", donc j’ai diri-
37
38Le compositeur écossais Patrick Doyle.
gé les parties avec le plus grand nombre de musiciens. D’ailleurs, ils ont applaudi
et dit : "Bravo ! Enfin !" J’en avais mal au bras tellement j’en faisais trop. » Le duo
Branagh / Doyle dans toute sa splendeur shakespearienne.
Much Ado about Nothing : éd. Epic Soundtrax (cd).
*À ses débuts, Doyle partage son temps entre l’art dramatique et la composition.
LA BELLE ET LA BÊTE
Réalisé par Jean Cocteau - Production : André Paulvé (DisCina)
Musique de Georges Auric - 1946
Avec Kenner et Le Phare du Bout du Monde, La Belle et le Cavalier est l’un des
rares films américano-italiens auxquels participe Piero Piccioni. Le musicien
autodidacte entame sa carrière dans l’Italie post-mussolinienne via un fameux big
band, puis travaille pour la plupart des grands noms du cinéma transalpin. Fran-
cesco Rosi sera son collaborateur privilégié avec treize films en commun, dont
cette production de la MGM. Comme le montrent ses compositions Easy lis-
tening variées, Piccioni a le sens de la mélodie populaire mais s’avère tout aussi
doué dans le registre néoromantique en technicolor. « Sa musique pour ce film est
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glorieuse, commente John Bender* – un chef-d’œuvre de cinématique et de mani-
pulation des spectateurs – le thème associé à Rodrigo (Omar Sharif) est l’un des
pinacles de sa filmographie. Il est non seulement puissant sur le plan mélodique,
mais son arrangement dense et chargé d’émotions sous-entendues est aussi très
complexe. Ce motif lui a demandé beaucoup d’attention… Plus que toute autre
chose, le score du film apporte chaleur et intégrité à la narration. » Par la même,
Francesco Rosi témoigne : « Retrouver Piero dans le studio d’enregistrement était
un plaisir et une satisfaction finale que je me réservais pour chaque film. Passer
avec lui de la langue des images à celle de la musique était un moment privilégié
et magique… »
More than a Miracle : éd. Film Score Monthly (cd).
*Journaliste américain spécialiste du cinéma européen et italien de genre.
BEN-HUR Ben-Hur
Réalisé par William Wyler - Production : Sam Zimbalist (MGM)
Musique de Miklós Rózsa - 1959
« Lors de mes premières collaborations avec Brian De Palma, raconte Pino Do-
naggio, il est arrivé qu’il m’applaudisse en découvrant ma musique sur ses
images… Sur Pulsions, où il m’avait laissé carte blanche, je me souviens qu’après
l’enregistrement de la scène du musée, il m’a dit : "Bravo Pino, c’est très beau." »
Cette entente magistrale entre les deux artistes culmine avec Blow Out, une troi-
sième collaboration placée sous le signe de la multiplication des points de vue et
des instrumentations. « Dans la scène de l’accident, quand on voit la voiture cou-
lée, j’ai opté pour l’alternance de deux thèmes. Le premier quand John Travolta
est dans l’eau, le second, plus optimiste, quand il refait surface avec des explo-
sions musicales. De même pour la scène de la parade, on a opté avec Brian pour
une alternance de thèmes : on a l’orchestre et la musique jouée lors de la parade…
Elle change quand John roule à vive allure dans la ville. À ce moment-là,
l’orchestre cède la place à une musique pop qu’on retrouve dans d’autres scènes
du film. On avait préalablement étudié toutes les scènes où il fallait ou non un
orchestre, ainsi que tous les sons qu’il rajouterait par la suite… Comme le disait
Gene Kelly, il faut laisser de la place aux effets sonores ainsi qu’à la musique, et
savoir travailler en équipe. Bien sûr, l’ultime créateur est Brian De Palma et c’est
lui qui gère tout ça au moment du mixage. »
Blow Out : éd. Intrada (cd).
Durant le tournage de Blue Velvet, David Lynch est dans l'impasse : Isabella
Rossellini doit interpréter une chanson en direct sur le plateau, mais l'actrice ne
parvient pas à trouver la bonne tonalité. Le producteur Fred Caruso propose alors
les services d'un ami musicien inconnu du cinéaste: « Angelo est arrivé assez vite,
se souvient Lynch, mais je ne l'ai pas rencontré tout de suite. Isabella habitait un
petit hôtel avec un piano dans le hall. Ainsi vers dix heures du matin, Angelo est
venu rencontrer Isabella et ils se sont mis à travailler. Vers midi, on tournait dans
le Jardin de Beaumont (...) Angelo me dit alors : "Ce matin, on a fait une cassette
avec Isabella ; la voici, écoutez-la !" J'ai mis un casque et j'ai écouté Angelo ac-
compagnant Isabella au piano. Quand j'ai retiré le casque, je lui ai dit: "Angelo,
on pourrait mettre ça dans le film. C'est tellement beau ! C'est fantastique !" Ange-
lo avait réussi du premier coup. » Par la suite, Lynch invite Badalamenti à écrire
une chanson originale (avec Julee Cruise) et le reste de la B.O. « Au départ, ra-
conte le musicien, il voulait utiliser une des symphonies de Chostakovitch, et il
m'a proposé d'écrire quelque chose dans son style. Je lui ai répondu que je pouvais
lui fournir un peu de pseudo Chostakovitch et un peu de Badalamenti... Ce fut le
début de notre collaboration et de notre amitié. » Construite autour de chansons
anciennes, la bande-son du film inaugure une nouvelle direction dans l'univers de
Lynch.
Blue Velvet : éd. Varèse Sarabande (cd).
LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND The Good, the Bad and the Ugly
Réalisé par Sergio Leone - Production : Alberto Grimaldi
(Produzioni Europee Associati - PEA)
Musique d’Ennio Morricone - 1966
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BOOM Boom
Réalisé par Joseph Losey - Production : John Heyman, Norman Priggen
(Universal Pictures)
Musique de John Barry - 1968
BORSALINO
Réalisé par Jacques Deray - Production : Alain Delon, Henri Michaud
(Les Films Paramount)
Musique de Claude Bolling - 1970
Marseille, les années 30, la pègre : le décor est planté ! Encore faut-il trouver le
compagnon musical des aventures de Siffredi et Capella, alias Alain Delon et
Jean-Paul Belmondo. Curieux des talents de Claude Bolling, Jacques Deray
l’encourage à lui envoyer quelques travaux divers. « Avec un ami éditeur, on avait
eu l’idée de faire un disque de piano bastringue, confie le compositeur, un truc
rigolo, pour la variété… Les bandes de l’album étaient parmi les extraits que
j’avais proposés à Deray et lorsqu’il m’a recontacté, il m’a dit : "Ce qui me plaît
pour le film, c’est cet enregistrement de piano mécanique" – "Très bien, donc je
vais vous faire quelque chose dans le même genre", il m’a alors répondu : "Non,
non, pas quelque chose dans le même genre, c’est ce morceau que je veux !" –
"Écoutez c’est impossible, il appartient à l’éditeur et le disque va sortir la semaine
prochaine…" Mais il n’y a rien eu à faire, Alain Delon et Deray ont voulu que ce
soit le thème de Borsalino. » Claude Bolling enregistra de nouvelles compositions
pour étoffer sa bande originale, dont la chanson Prends-moi matelot, interprétée par
Odette Piquet. L’un des grands succès de la musique de film française.
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Borsalino : éd. Frémeaux et Associés (cd).
« Bien que ma mère fût présentée à mon père par Billy Wilder, et qu’ils étaient très
proches, remarque John Waxman, c’est Hal Wallis* qui le proposa à la Para-
mount pour la musique de Boulevard du Crépuscule… Mon père a d’abord re-
gardé le film tout seul et ce fut pour lui une étape cruciale. Il put ainsi songer à la
texture de l’œuvre, au type d’orchestration, et à l’ambiance globale de sa partition.
Il vit ensuite le film en compagnie de Billy Wilder, afin de partager quelques idées
et déterminer ses interventions. » Après discussion avec le cinéaste, Franz Wax-
man élabore sa partition autour de trois motifs principaux : un thème de pour-
suite, un be-bop pour William Holden, et un tango torturé. « Ce dernier découle
d’une scène où Gloria Swanson fait référence aux premiers temps d’Hollywood,
précise Waxman, l’époque du tango de Rudolph Valentino. C’est l’atmosphère
dans laquelle son personnage continue de vivre en 1950. J’ai pris cette petite ca-
ractérisation comme inspiration pour le thème de Norma. » La musique originale
satisfait tant Billy Wilder qu’il renonce au morceau préexistant envisagé pour le
final : « Sur le tournage, lorsque Swanson descend les escaliers et sombre dans la
folie, nous utilisions la Dance des sept voiles de Richard Strauss. En discutant du
score avec Waxman, je lui ai dit : "Donne-moi quelque chose d’aussi bon ou de
meilleur !" Ça ne l’a pas du tout ébranlé. Il s’en est acquitté avec noblesse. C’était
un pro et fier de l’être. »
Sunset Boulevard : éd. Counterpoint (cd) et Varèse Sarabande (réenregistrement,
cd).
*Producteur semi-indépendant, affilié à la Warner Bros. où il travailla avec Franz
Waxman.
Oscar de la meilleure musique de film 1951.
BOULEVARD DU RHUM
Réalisé par Robert Enrico - Production : Alain Poiré (Gaumont)
Musique de François de Roubaix - 1971
BRAINSTORM Brainstorm
Réalisé par Douglas Trumbull - Production : Douglas Trumbull (MGM / UA)
Musique de James Horner - 1983
L'efficience de James Horner jaillit dans cette partition aux moult influences. Du
Spem in alium de Thomas Tallis, au Requiem de Ligeti, en passant par la Première
symphonie de Rachmaninov, sans oublier La truite de Schubert (jouée à l'image par
Natalie Wood), le musicien parvient à réunir un improbable ensemble de réfé-
rences au sein d’un même score original. « Bien qu'elle sonne atonale, précise
Horner, une bonne partie de la partition est en fait une combinaison de différents
types de musiques. Je les ai toutes écrites dans des styles différents en les jouant
simultanément. Cela donne cet effet bizarre. Vous entendez un accord, puis vous
ne l'entendez plus. Vous entendez un faible grognement, un rugissement, puis l'on
passe à un autre accord. C'est difficile à décrire, mais c'est ce que j'ai essayé de
faire, de donner le sentiment d'un retour en arrière. » Lors de l'enregistrement de
l'album, quelques problèmes surgissent : « Certains patriarches du London Sym-
phony Orchestra refusaient de suivre mes remarques. Je ne supporte pas l'indisci-
pline et j'ai dû hurler pour que l'on me respecte... J'ai lancé de mon pupitre "Se-
riez-vous aussi indisciplinés avec John Williams ou serait-ce mon jeune âge qui
vous gêne ?" Le soir même tout le LSO se levait suite à l'exécution du morceau
Lilian's heart attack. » James Horner avait tout juste 30 ans.
Brainstorm : éd. Varèse Sarabande (cd).
LE BRASIER
Réalisé par Éric Barbier - Production : Jacques Fiorentino (Warner Bros.)
Musique de Frédéric Talgorn - 1991
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Le grand studio anglais Abbey Road. Créé en 1931, ce lieu
mythique accueillit notamment Sir Edw ard Elgar, les Beatles,
Pink Floyd, Sir Neville Marriner, et les compositeurs de cinéma
John Barry, Vladimir Cosma, James Horner, Philippe Sarde47 ,
John W illiams, Gabriel Yared…
"battu" avec le réalisateur : il ne voulait pas trop d'émotion dans l'histoire d'amour
entre les personnages, tandis que moi je voulais en mettre un peu plus. J'ai donc
refait certains morceaux. Mais c'était vraiment un film magnifique, c'est dommage
qu'il n'ait pas marché." Avec 40 000 entrées sur Paris, Le Brasier tombe aux ou-
bliettes en quelques semaines. Seule survivra la partition éloquente de Talgorn,
croisement réussi entre l’héritage de Georges Delerue et celui de John Williams.
Le Brasier : éd. Alhambra (cd).
BRAVEHEART Braveheart
Réalisé par Mel Gibson - Production : Bruce Davey, Mel Gibson, Alan Ladd Jr.
(Paramount Pictures)
Musique de James Horner - 1995
« J’ai toujours été proche de la musique celtique, confie James Horner. Musicale-
ment, c’est un monde dans lequel j’aime travailler, la couleur du langage, les ins-
truments que je choisis, les mélodies… Dans Braveheart, la cornemuse irlandaise
(uilleann pipe) s’oppose à la grande cornemuse écossaise. Ce sont des subtilités
perdues pour beaucoup de gens. Tout est affaire de couleurs et c’est ce qui fait
naître l’émotion. » Réalisateur passionné, Mel Gibson ne plébiscite pas son com-
positeur par hasard. Leur premier film en commun (L’Homme sans Visage) lui
révèle un précieux allié qu’il convie au casting de ses films. Durant la postproduc-
tion de Braveheart, le maestro adoucit la destinée violente de William Wallace et
bouleverse l’auditoire. « Sur la scène finale d’éventrement, précise Horner, ils
avaient d’abord essayé différents types de musiques mais la séquence repoussait
les spectateurs lors des projections préventives. Mel essaya de refaire le montage.
Je lui dis : "Laisse-moi traiter ça de façon différente, comme une berceuse." Le
chœur émerge dans la partition et soudain le caractère du final change. Cela de-
vient pensif… Au lieu de rejeter la scène, le public pleurait. Mel pleurait. C’est si
formidable lorsqu’un cinéaste autant impliqué dans sa création est capable de
prendre de la distance, et de regarder son film avec un autre état d’esprit. »
Braveheart : éd. London et La-La Land (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film 1996.
BRAZIL Brazil
Réalisé par Terry Gilliam - Production : Arnon Milchan (Universal Pictures)
Musique de Michael Kamen - 1985
BREEZY Breezy
Réalisé par Clint Eastwood - Production : Robert Daley (Universal Pictures)
Musique de Michel Legrand - 1973
L’année de son premier Oscar à Hollywood (1969), Michel Legrand est victime
d’une grave dépression. Il quitte définitivement la cité qui, selon lui, « avale et
broie les compositeurs », sans pour autant renoncer au cinéma d’outre-Atlantique.
« Mon idée est simple : continuer à écrire pour des films américains, note le musi-
cien, mais en me déplaçant ponctuellement… Ce fonctionnement me convient
parfaitement d’autant que j’ai pris le pli d’écrire en avion. Il me faut simplement
trois places pour éparpiller mes partitions. » La B.O. pop et romantique de Breezy
se situe dans le feu de cette nouvelle méthode de travail. Legrand visionne le film
à Hollywood et enregistre le score en France, avec les compliments de Clint
Eastwood : « Ce film avait besoin d’une musique aussi simple et débordante
d’amour que le script, remarque le cinéaste. Michel sait que les émotions intenses
n’ont pas à s’imposer à l’aide d’un marteau de forgeron. Elles peuvent vous effleu-
rer telle une brise. Cette sagacité, peut-être instinctive chez lui, est présente dans
toute sa musique. La question suivante était : notre histoire allait-elle l’émouvoir
autant que nous l’espérions ? Ses larmes à l’issue de la projection nous donnèrent
la réponse. Je crois que Michel a distillé toutes ses émotions dans sa musique. »
Breezy : éd. MCA (lp) et Universal Music France / Écoutez le Cinéma (extraits,
cd).
"Incognito, vos flics maintenant sont devenus des cerveaux...", quatre décennies
plus tard, La complainte des apaches chantée par Philippe Clay est toujours aussi
présente dans la mémoire collective. Écrit par Claude Desailly, la série réinvente
les Brigades mobiles de Clemenceau en liant des personnages hauts en couleur
(Blériot, la bande à Bonnot...), des faits sociétaux (le vote des femmes) à des in-
trigues policières rondement menées par le réalisateur Victor Vicas. Côté musique,
Claude Bolling est retenu en raison du succès de son score rétro pour le film Bor-
salino. Les moyens sont limités, mais Vicas souhaite une partition spécifique pour
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Compositeur de renommée mondiale, Claude
Bolling est également un pianiste de jazz virtuose
(ici en répétition, lors d’un concert avec son big
band).
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chaque épisode, enrichie à l'occasion de chansons originales telles La pension des
dames du Plantin ou L'Italienne. Mélodiste orfèvre, le musicien imprime sa marque
sur toutes les intrigues : « Je me souviens avoir utilisé des petites formations à
instruments variés : flûte, clarinette, basson ou saxophone, trompette, trombones,
deux cordes, parfois un quatuor... Grâce à une bonne prise de son, au studio Phi-
lips rue des Dames ou à la Comédie des Champs-Élysées, j'ai réussi à donner
l'impression de densité quand l'action le réclamait. C'est souvent dans la con-
trainte que l'on réussit. » Le thème musical de Bolling passera du petit au grand
écran avec la version cinéma de 2005.
Les Brigades du Tigre : éd. Frémeaux et Associés (cd).
BULLITT Bullitt
Réalisé par Peter Yates - Production : Philip D’Atoni (Warner Bros.)
Musique de Lalo Schifrin - 1968
« Steve McQueen est venu me rendre visite, raconte Lalo Schifrin. Il ne s’occupait
pas des choses d’ordre artistique. Mais il était l’un des producteurs. Il m’a juste
dit : "Bullitt est un gars très simple." Et je lui ai répondu : "Oui, et je vais écrire un
score très simple." Je lui ai également précisé que la musique serait basée sur le
blues. Et je n’ai pas menti. La texture du thème est complexe mais totalement
blues... J’avais en tête la guitare, la flûte alto, quelque chose de simple. Je voulais
51
éviter les clichés du saxophone, un instrument souvent associé à ce type de thril-
lers. » À l’issue du tournage, le compositeur argentin rencontre Peter Yates et lui
annonce son intention de ne pas mettre en musique la poursuite centrale du film :
« Selon moi, c’était inutile car il y allait avoir beaucoup d’effets sonores, des bruits
concrets comme ceux de la Mustang et de la Dodge. J’ai écrit la musique de la
filature dans un tempo lent favorisant l’expression du suspense. La tension monte,
monte… Quand Steve McQueen enclenche la vitesse, après s’être retrouvé der-
rière la voiture qui le filait, la poursuite commence. C’est là que j’ai choisi
d’interrompre la musique. » Une pierre angulaire des années soixante.
Bullitt : éd. Film Score Monthly (cd).
Compositeur américain naturalisé suisse, Paul Glass est invité par Otto Preminger
à suivre au quotidien le tournage de Bunny Lake a disparu. Une pratique habi-
tuelle pour le cinéaste, voire sine qua non*. « À Londres, durant plus de quatre
mois, précise Michael Barclay (Decca records), Glass travaillait presque 24 heures
sur 24, plusieurs fois par semaine, en prenant soin de noter toutes ses idées, avant
qu’elles ne lui échappent. Selon lui, ses échanges journaliers avec Preminger se
sont révélés inestimables pour l’écriture de la B.O. » Les nombreux faux-
semblants de ce thriller psychologique autorisent le compositeur à multiplier les
approches ; passée la longue ouverture mélodique – une séquence de 7 minutes –
le score glisse perceptiblement vers le sérialisme. « La musique de Bunny Lake
couvre un large éventail de catégories, remarque Glass, mais elle s’attache tou-
jours à suivre le point de vue de la mère dont l’enfant a disparu. De manière sub-
jective, nous restons toujours au plus près de ses sentiments, comme si nous en
faisions l’expérience, y compris lorsque la jeune femme n’apparaît pas à l’image. »
Dans un style très personnel, le musicien réussit une partition psychotique pleine
d’humanité, entrecoupée de quelques chansons pop rock du groupe anglais The
Zombies.
Bunny Lake is Missing : éd. Intrada (cd).
*Dans un livre sur James Bernard (Composer to Count Dracula, éd. McFarland
& Co Inc, 2005), le musicien Philip Martell raconte son expérience avec le ci-
néaste. Sur Sainte Jeanne, comme il refusait d’assister au tournage, Preminger lui
lança : « Soit vous faites ce que je veux, soit vous êtes viré du film ». Martell quitta
le plateau…
CAMILLE CLAUDEL
Réalisé par Bruno Nuytten - Production : Bernard Artigues (Gaumont)
Musique de Gabriel Yared - 1988
Benjamin Britten et Anton Bruckner sont les choix musicaux préalables de Bruno
Nuytten durant le montage de Camille Claudel. Faute de droits d’auteurs acces-
sibles, Gabriel Yared entre en lice alors qu’il débute sa carrière aux États-Unis :
« J’étais à Los Angeles, en 1987, pour enregistrer la musique de mon premier film
américain Retour à la Vie de Glenn Gordon Caron, lorsque je reçus un appel de
l’actrice Isabelle Adjani et du réalisateur me proposant de composer la partition…
J’avais sept à huit semaines pour écrire et orchestrer 90 minutes de musique. J’ai
tout de suite accepté. J’ai visionné un montage de quatre heures et me suis immé-
diatement mis au travail. Vu le peu de temps dont je disposais, je décidai alors de
composer trois thèmes, de les explorer et de les développer sous la forme de trois
suites orchestrales pour grand orchestre à cordes, sextuor et quatuor à cordes,
harpes et percussions. Le choix de ne pas utiliser de bois, ni de cuivres était déli-
béré : seules les cordes pouvaient exprimer les nuances et la complexité de cette
passion, amoureuse et créatrice, entre deux artistes hors du commun. » Influencé
par Mahler, Schönberg (La nuit transfigurée) et Richard Strauss, le travail achevé de
Yared sera dirigé de main de maître par le chef Harry Rabinowitz.
Camille Claudel : éd. Virgin et Cinéfonia (cd).
Nominée au César de la meilleure musique originale 1989.
Les années 90 sont fécondes pour Bernard Giraudeau qui signe plusieurs fictions
et documentaires aux allures vagabondes. Film d'époque, récit d'aventures, ré-
flexion humaniste sur la colonisation, Les Caprices d'un Fleuve est film métis
dans tous les sens du terme. « J'ai voulu, précise le cinéaste, conter le destin excep-
tionnel d'un homme exilé par le roi vers un comptoir d'Afrique de l'Ouest, peu
avant la Révolution française... Comment découvre-t-il le peuple noir ? Mais plus
important que tout, qui est Amélie Maimouna Ba l'esclave peule ? Confronté aux
doutes, à la contradiction, il s'initie à la sensualité, au métissage. Il va vivre
l'Afrique comme peu de blancs l'ont vécue à cette époque. » Réné-Marc Bini in-
tervient très tôt dans le projet : « Les principaux thèmes furent conçus avant le
tournage, raconte le musicien, lors des repérages, de nos recherches patientes, de
nos rencontres... Des instruments baroques, des instruments symphoniques et des
instruments africains : voilà les ingrédients. » Sans oublier la voix, celle de Cathy
Renoir en particulier, composante lumineuse d'une B.O. située à la croisée de
Vivaldi (Nisi Dominus pour l’inspiration) et des traditions musicales du continent
noir.
Les Caprices d'un Fleuve : éd. France 2 Music / Polygram (cd).
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En 1975, Brian De Palma perd son partenaire musical idéal. Bernard Herrmann
décède à l'issue d'une longue maladie, après deux remarquables partitions pour le
jeune cinéaste (Sœurs de Sang, Obsession). Ce dernier se met en quête d'un com-
positeur proche de sa sensibilité et repère Pino Donaggio, un musicien vénitien
issu de la variété. « Brian est tombé amoureux de ma musique pour le film Ne
Vous retournez Pas ! de Nicolas Roeg, raconte Donaggio, car il trouvait qu’elle
ressemblait à celle d’Herrmann… Et que nous utilisions les instruments à cordes
de façon similaire. » Carrie révèle cette parenté dès le générique : un long ralenti
sans dialogue qui, selon les souhaits du producteur, devait être couvert par une
chanson. « Je me souviens m'être rendu à une projection très remonté, raconte De
Palma. Je leur ai dit : "Vous ne pouvez pas faire ça, c'est une erreur… ça va gâ-
cher tout le début du film. Je ne vais pas mettre une chanson sur le générique alors
que j'ai ce merveilleux morceau composé par Pino Donaggio." J'ai finalement
obtenu que la chanson soit déplacée et on l’entend maintenant dans la scène du
bal. » Le film fera un triomphe au box-office et scellera la collaboration entre les
deux artistes.
Carrie : éd. Kritzerland (cd).
LE CERCLE ROUGE
Réalisé par Jean-Pierre Melville - Production : Robert Dorfmann
(Les Films Corona)
Musique d’Éric Demarsan - 1970
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LA CHAIR ET LE SANG Flesh + Blood
Réalisé par Paul Verhoeven - Production : Gijs Versluys (Orion Pictures)
Musique de Basil Poledouris - 1985
« Je suis un grand fan de Miklós Rózsa, avoue Basil Poledouris. Je crois qu'il a
influencé mes attitudes musicales, ma façon de composer. La période historique
de ses films est semblable à celle de Conan et La Chair et le Sang. En plus, je
pense que la grande force de Rózsa provient de la façon dont il s'inspire des mélo-
dies folkloriques, et pour moi la musique traditionnelle est une grande source
d'idées mélodiques. » La parenté avec le compositeur d'Ivanhoé frappe immédia-
tement l'auditeur de cette bande originale. À la tête du London Symphony Or-
chestra, Poledouris parvient à retrouver la puissance des partitions du maître hon-
grois en imposant une patte désormais reconnaissable. Mais à l'inverse de Conan,
le film de Paul Verhoeven investit une période historique déterminée : « La Chair
et le Sang se situe au début du XVIe siècle ; c'est très proche de la Renaissance. Je
pense que j'ai fait appel à un certain style de musique provenant de cette époque,
mais je ne l'ai pas trouvé assez dramatique pour répondre au besoin d'une mu-
sique de film. Donc, je me suis principalement inspiré de chants grégoriens en
essayant d'insuffler un côté "cape et d'épée". Car c'est aussi un film d'aventure et je
devais tenir compte de cet aspect. »
Flesh + Blood : éd. La-La Land (cd).
CHARADE Charade
Réalisé par Stanley Donen - Production : Stanley Donen (Universal Pictures)
Musique de Henry Mancini - 1963
Situé quelque part entre James Bond et Alfred Hitchcock, Charade se révèle une
étape importante dans la carrière de Henry Mancini. Le casting est prestigieux,
Audrey Hepburn au sommet de sa gloire, et le tournage en Europe a des consé-
quences directes sur la musique. « Stanley voulait que j’écrive la musique en An-
gleterre, se souvient Mancini, je me suis donc rendu à Londres, ne sachant pas à
quoi m’attendre. Pour moi, cela représentait un enjeu important. J’avais bien eu
quelques succès, mais j’étais plutôt en début de carrière. Je n’avais que 39 ans. Je
me suis installé dans une belle suite du Mayfair Hotel, à deux pas de Berkeley
Square où j’avais loué un piano, et je me suis mis au travail… La partition ache-
vée, nous avons été au studio pour l’enregistrer. Mes inquiétudes sur les orchestres
britanniques s’estompèrent immédiatement. Je fus même très impressionné par la
qualité des musiciens… » Le thème principal mêlant cymbalum, guitare élec-
trique, rythmes Tamouré, allié au générique de Maurice Binder, fait éclater le
60
talent du musicien. Car Mancini n’est pas uniquement l’homme des comédies
légères ; la musique dramatique de Charade nourrit les scènes de suspense avec
une réelle maîtrise des effets. Il est fort probable qu’Hitchcock s’en soit souvenu
pour Frenzy* – le réalisateur lui proposera de composer la B.O. de son avant-
dernier film tourné en Grande-Bretagne.
Charade : éd. RCA et Intrada (cd).
*Jugé trop macabre (!?), le score de Mancini sera finalement rejeté par le maître
du suspense, au profit d’une partition de Ron Goodwin.
Nominée à l’Oscar de la meilleure chanson originale 1964.
CHINATOWN Chinatown
Réalisé par Roman Polanski - Production : Robert Evans (Paramount Pictures)
Musique de Jerry Goldsmith - 1974
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En 1969, la disparition tragique du jazzman Krzysztof Komeda laisse Roman
Polanski comme orphelin. Les deux compatriotes polonais partageaient leur fil-
mographie depuis Deux Hommes et une Armoire, premier court-métrage du réalisa-
teur. Durant le tournage de Chinatown, Polanski invite le musicien Philip Lam-
bro sur le plateau pour qu'il s'imprègne du sujet. Le cinéaste apprécie ses travaux
concertants et souhaite lui confier la partition du film. Lambro accepte puis en-
tame une composition mêlant fausse musique de source et plages orchestrales
avant-gardistes. La B.O. semble collée au plus près des enjeux de l'intrigue, mais
les projections tests s'avèrent catastrophiques et Lambro est remercié. Le produc-
teur Robert Evans engage alors Jerry Goldsmith pour sauver son film d'un dé-
sastre annoncé. « Quand je vis le film pour la première fois, raconte ce dernier, j’ai
toute de suite eu un flash concernant la structure orchestrale que je désirais. Musi-
calement je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, mais j’avais un son à
l’esprit et je souhaitais utiliser des cordes, quatre pianos, deux harpes, deux per-
cussionnistes et une trompette solo*. » Neuf jours plus tard, Evans exulte. Si
l'ambiguïté et la noirceur sont là, Goldsmith mise tout sur un thème d'amour so-
laire qui inonde le film d'une patine romanesque inattendue. Considérée comme
l'une des meilleures B.O. jamais composées, Chinatown représente aussi l'em-
prise d'un musicien sur une œuvre filmique, sa participation directe à l'intronisa-
tion d'un classique.
Chinatown : éd. Intrada (cd).
*le trompettiste Uan Rasey
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1975.
Premier film français mixé en Dolby Stéréo, Le Choix des Armes permet à notre
cinéma hexagonal de franchir un cap. Dorénavant, la perception de la bande mu-
sicale n'est plus tributaire des ambiances, des dialogues et autres éléments sonores.
Philippe Sarde trouve là matière à quelques innovations : « Quand Alain Corneau
m’a dit : "Je me pose la question d’utiliser soit deux contrebasses, soit un or-
chestre symphonique", je lui ai répondu : "On prend les deux !" Simplement les
contrebasses (Ron Carter et Buster Williams) seront en haut et joueront les parties
mélodiques, et l’orchestre sera en dessous. » Avant le début du tournage, une suite
instrumentale est enregistrée aux studios Abbey Road afin d’être utilisée sur le
plateau. « C'était de l'inédit pur, se souvient Alain Corneau, avec atterrissage sur
une planète inconnue. On se disait aussi : sans analyser ce qui se passe, le specta-
teur moyen va ressentir musicalement quelque chose de bizarre, de décalé. Car on
prenait en otage des instruments, on les dérivait de leur fonction habituelle. Et là,
il se produit un phénomène dramatique… très fort, si bien manipulé. » Sarde
adoucit le parti pris formel à l'aide d'une longue mélodie lyrique et d’un mixage
idéalement équilibré. La mise en avant du score lors de la séquence irlandaise
servira admirablement l'intention du compositeur. Fort Saganne, la B.O. sui-
vante, sera plus classique (en partie inspirée par la Symphonie pour orgue de Saint-
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Hubert Bougis (orchestrateur) et Philippe Sarde aux studios Abbey Road de Londres. Music Box, Pour
Sacha, La Fille de d’Artagnan, Alice et Martin, sont quelques fleurons de leur belle collaboration.
Saëns), mais tout autant réussie.
Le Choix des Armes / Fort Saganne : éd. Universal music France / Écoutez le
cinéma (cd).
Deux ans après son beau travail sur Les 55 Jours de Pékin, Dimitri Tiomkin re-
trouve le producteur Samuel Bronston pour cette ultime pierre à l’édifice du pé-
plum babylonien. La Chute de l’Empire Romain est tout à la fois sa dernière
B.O. fleuve (2h30), un adieu au genre, mais aussi la fin d’une certaine expressivité
musicale. Car Tiomkin n’est l’homme d’aucune Nouvelle Vague en marche, il
intervient en imposant une stylisation dénuée de réalisme. Sa grande préoccupa-
tion est de créer un continuum soudé à l’argument narratif. « Après avoir vu et
étudié le film, témoigne le compositeur, puis discuté avec Bronston et Anthony
Mann, on m’a donné la liberté complète de choisir ma propre interprétation…
Afin d’être honnête et pour trouver l’inspiration, j’ai écarté toute idée de donner à
La Chute de l’Empire Romain une musique de style quasi documentaire. Mon
seul projet était de réagir spontanément à la dramaturgie du film que je découvrais
et appréciais graduellement. Les personnages me sont apparus étonnamment vi-
vants, proches de moi, et donc les mélodies ont commencé à poindre. Au début,
j’eus l’étrange désir de développer ces thèmes de manière plus complexe et inté-
ressante, mais les scènes déjà montées imposèrent leur loi et devinrent sources
d’inspiration. Je pense avoir été influencé non seulement par les séquences qui
nécessitaient mon intervention, mais aussi par celles qui n’avaient pas de musique
– comme la mort de Marc Aurèle, joué par l’incomparable Alec Guinness – car
pour moi, il y avait de la musique dans sa voix. »
The Fall of the Roman Empire : éd. La-La Land (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1965.
LE CID El Cid
Réalisé par Anthony Mann - Production : Samuel Bronston (Allied Artists)
Musique de Miklós Rózsa - 1961
LE CINÉMA DE MINUIT
Musique de Francis Lai - 1976
Rendons ici hommage à l'un des plus anciens génériques de la télévision française.
Créé en 1976 par l'historien du cinéma Patrick Brion, Le Cinéma de Minuit
s'ouvre depuis plus de 40 ans sur l'indémodable jingle de Francis Lai. Si le musi-
cien a peu travaillé pour le petit écran, sa participation à l'identité sonore de la
troisième chaine laisse une belle empreinte dans la mémoire collective. « Je pense
que la longévité de ce générique, commente Francis Lai, vient surtout de sa
forme. Le thème est joué par un violoncelle et une guitare classique, ce qui le rend
intemporel. Et puis, il y a aussi ce côté un peu grave du Cinéma de Minuit, d'au-
tant qu'à l'origine, il s'agissait du générique cinéma de la chaine (arrangé diffé-
remment). La création de tous ces jingles a été pour moi une grande aventure. On
m'a d'abord proposé le générique d'ouverture de chaine sans me dire qu'il y avait
d'autres compositeurs sur le coup. Je l'ai appris plus tard. J'ai donc fait deux ou
trois thèmes et j'ai donné mes maquettes. Un jour, on m'appelle en me disant :
"J'ai une mauvaise nouvelle pour vous, votre générique a été retenu (!?) – oui,
mais vous allez devoir faire tous les génériques de la chaine !" J'ai donc écrit une
dizaine de génériques pour les actualités, les enfants, etc. Cela m'a pris pas mal de
temps, car il fallait être efficace en 30 secondes ! Jean Musy était à mes côtés
comme arrangeur, on a passé quelques nuits sur ces jingles. »
Francis Lai / Cinéma : éd. Play Time (cd).
À défaut d’être virtuose, le film de Sergio Sollima ne ment pas sur la marchandise.
La Cité de la Violence est un "Bronson" pur jus additionnant faits d’armes, pour-
suites de voitures et romance machiste. La mise en scène est peu inspirée mais
Morricone rehausse le goût du polar bis comme personne. Le thème central, avec
ses guitares électriques distordues, est un concentré d’urbanité sauce seventies :
l’époque furibarde du Casse et de Peur sur la ville. Lors du mixage, Sollima re-
jette l’ouverture musicale prévue au profit d’un silence pré-générique. Du coup,
l’arrivée brutale du score de Morricone claque comme une ode hargneuse à un
cinéma de série qu’il défend sans rougir. « En travaillant pour le cinéma popu-
laire, j’ai accepté d’être populaire, précise le maestro. Dans le cinéma d’auteur,
j’ai tout mis en œuvre pour que le film devienne plus accessible au grand public…
Je considère comme une banalité de chercher à simplifier le discours du cinéma
intellectuel, de rester à l’écoute du public, et d’élever artistiquement le cinéma
populaire. Autrement, ça voudrait dire que je me contente de composer de la mu-
sique banale pour le cinéma commercial et une musique très difficile, filtrée, pour
le cinéma d’auteur. Le fait d’avoir réussi cet équilibre, ça fait partie de mon travail
et de ma mission. »
Citta’ Violenta : éd. GDM (cd).
CLÉOPÂTRE Cleopatra
Réalisé par Joseph Mankiewicz - Production : Walter Wanger (20th Century Fox)
Musique d’Alex North - 1963
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« Il y a là assez de musique pour une symphonie de Bruckner ! », remarque l’ami
David Raksin devant le copieux score de Cléopâtre. Et quelle symphonie ! Dans
une veine tout aussi moderne que Spartacus, Alex North réitère l’exploit
d’extraire le péplum de ses gongs et sauve le film d’une débandade annoncée.
Joseph Mankiewicz reconnaît d’ailleurs sans détour l’importance de son travail :
« Si l’assassinat de César fonctionne à l’écran, c’est en grande partie grâce à la
vivacité et l’intelligence de la collaboration de monsieur North. En utilisant les
trois thèmes fondamentaux de César, Cléopâtre et César-Cléopâtre, il clôture la
scène de façon aussi terrifiante et funeste que la mort de César lui-même… En
outre, je pense ne jamais avoir écrit et mis en scène un épisode aussi dramatique
que la fin d’Antoine, qui fut autant enrichi et soutenu par une contribution musi-
cale. À l’instant où les trompettes bouchées crient l’ultime souhait d’Antoine de
gagner une mort honorable, elles hurlent une angoisse impossible à écrire, et qui,
selon moi, ne peut être exprimée par aucun acteur. » La grande entrée de Cléo-
pâtre dans Rome amènera également le compositeur à se surpasser. « L’ambition
n’est pas une chose aisée à exprimer musicalement, remarque North. Pour cette
séquence, je voulais un thème non romantique qui exprime la progression. J’ai
employé des cuivres, des bois, des percussions, mais aucun instrument à cordes. »
Cléopâtre sera la première B.O. hollywoodienne à utiliser l’énorme saxophone
contrebasse.
Cleopatra : éd. Varèse Sarabande (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1964.
Non contents de révéler le panel des talents en présence, les glorieux génériques
d’antan embrasaient bien souvent l’imagination des spectateurs, voire celle de
compositeurs en quête d’inspiration. « Les personnages de Moonfleet me faisaient
énormément penser aux aquarelles de Rowlandson que ma femme collectionnait,
remarque Rózsa, mais l’histoire était tiède et inconséquente. Malgré cela, je me
suis débrouillé pour tirer parti du générique (sur fond de ressac, NDLR) avec une
marine musicale assez mouvementée. » Une manière humble d’évoquer l’une des
plus belles ouvertures de sa carrière, comme le détaille son dernier assistant Chris-
topher Palmer* : « La base mélodique de ce prélude possède la saveur d’une ro-
buste ballade folklorique, mais ici le vrai protagoniste est le tumultueux fracas des
violons et des bois qui s’associe, telle une déferlante figurative, aux glissandos à
effet de vagues des harpes et du piano. La musique est si vive – comme en té-
moigne l’aspect très pictural des notes sur la partition – qu’elle rend complètement
superflu l’ajout ultérieur des bruits de l’océan dans la bande-son. »
Moonfleet : éd. Film Score Monthly (cd).
*Arrangeur et orchestrateur de renom qui accompagna des compositeurs tels Ber-
nard Herrmann ou Maurice Jarre, et contribua à de remarquables réenregistre-
ments dans les années soixante-dix et quatre-vingt.
« Ce que je préfère plus que tout, c’est composer et orchestrer pour de grands or-
chestres symphoniques, avoue Barry Gray. Ceci dit, à plusieurs reprises dans ma
carrière, j’ai dû emprunter les chemins de la musique électronique… Mais j’ai
bien peur que ce type de sonorité convienne surtout à des séquences situées dans
l’espace, dans des laboratoires, ou sur des scènes bizarres ou astrales. » Qu’il en
soit ainsi ! Pour sa seizième collaboration avec Gerry Anderson, le compositeur
convie une dernière fois les synthétiseurs dans son univers orchestral. Si le géné-
rique introduit chaque épisode par un montage d’images ultra-serrées (rythmé par
la guitare électrique de Vic Elmes*), les dialogues de la série abondent et restrei-
gnent le travail de Barry Gray : « Mes interventions dans Cosmos : 1999 étaient
très très minces. En raison du budget alloué aux sessions d’enregistrement, on
enregistrait seulement le nombre de morceaux requis par l’union des musiciens.
En conséquence, le monteur Alan Willis avait l’habitude de piocher dans ce que
nous avions déjà fait pour couvrir les différents épisodes. Et lorsqu’il était à court
de scores, il était autorisé à utiliser d’autres musiques que j’avais écrites pour Ger-
ry Anderson. C’est pourquoi on retrouve divers extraits des Sentinelles de l’Air
ou Joe 90 dans Cosmos : 1999. » Ultime opus de Barry Gray, l’album 33 tours de
l’époque reprendra l’essentiel de ses compositions originales.
Space : 1999 : éd. RCA (lp).
*Coauteur du thème de la première saison.
Talent précoce de la télévision américaine, Jerry Goldsmith fait ses classes sur
plusieurs séries de la chaine CBS au côté de Bernard Herrmann et Franz Wax-
man. Cette expérience formatrice le pousse rapidement vers des productions de
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grande envergure, dont plusieurs films de guerre (Première Victoire, L’Express
du Colonel Von Ryan, Moritury). La B.O. du Crépuscule des Aigles est d'abord
confiée au musicien anglais Ron Goodwin, grand spécialiste du genre. Débordé,
ce dernier renonce et la production retient in fine Jerry Goldsmith, qui fait face à
des musiques temporaires intimidantes de Richard Wagner et Richard Strauss.
« Je dois reconnaître que cela fonctionnait plutôt bien, se souvient le compositeur
en 1979, aussi ma première réaction a été de laisser tomber. Je leur ai dit : pour-
quoi ne demandez-vous pas à un arrangeur d'adapter ces musiques sur le film ? »
La Fox insiste et donne tous les moyens à Goldsmith pour œuvrer. Il écrit alors
une vaste partition symphonique interprétée par 100 musiciens et une machine à
vent, dans laquelle l'héroïsme croise le fer avec la dissonance. « Je crois que John
Guillermin n'aime pas trop ces dissonances, déclare-t-il durant les sessions, mais
bon Dieu ! il s’agit de scènes de guerre, et elles nous montrent que tout cela est
horrible ! Je ne peux pas écrire de la musique noble sur de telles images... » Un des
chefs-d’œuvre du musicien.
The Blue Max : éd. La-La Land (cd).
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LE CRIME DE L’ORIENT-EXPRESS Murder on the Orient-Express
Réalisé par Sidney Lumet - Production : John Brabourne, Richard B. Goodwin
(Paramount / EMI)
Musique de Richard Rodney Bennett - 1974
Au cœur des années 70, Sam Peckinpah file à grands pas vers l'autodestruction. Il
rejette coup sur coup deux grosses productions (King Kong, Superman le Film)
pour réaliser un film de guerre tapissé par ses obsessions. Trahison, refus de
l'autorité, anarchisme... Croix de Fer visite tragiquement des sentiments reliés à la
vie personnelle d'un cinéaste en proie à la drogue et l'alcool. La production anglo-
allemande impose un musicien d'origine européenne pour écrire la bande origi-
nale. Ernest Gold prend donc la place du comparse Jerry Fielding avec une parti-
tion d'une étonnante noblesse. En contrepoint de l'extrême violence des images, le
compositeur s'attache à dépeindre le caractère intérieur des personnages – à ten-
dance pacifique pour le héros Steiner / James Coburn – et l'humanité résiduelle
des combats. Il s'agit là du score le plus élégiaque composé pour le réalisateur.
Entre deux accords pastoraux, Gold fait toutefois surgir le malaise avec quelques
dissonances (Memories and hallucinations) et l'emploi d'une comptine germanique
qu'il juxtapose adroitement aux marches militaires. La séquence d'ouverture con-
sacrée aux jeunesses hitlériennes doit beaucoup à son intervention.
Cross of Iron : éd. Kritzerland (cd).
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CYRANO DE BERGERAC
Réalisé par Jean-Paul Rappeneau - Production : René Cleitman, Michel Seydoux,
André Szöts (UGC)
Musique de Jean-Claude Petit - 1990
DADDY NOSTALGIE
Réalisé par Bertrand Tavernier - Production : Adolphe Viezzy (UGC)
Musique d’Antoine Duhamel - 1990
Un cas d'école. Bertrand Tavernier pense d'abord à Philippe Sarde pour la B.O. de
ce film très personnel, puis se ravise : « Un soir Bertrand m'appelle, raconte An-
toine Duhamel, il me dit qu'il vient de terminer un long-métrage avec comme
sujet la mort du père. Sarde l'emmerde, du coup il souhaiterait me confier la mu-
sique. Seulement voilà, toutes les sessions et les musiciens, une petite formation
jazz, sont déjà réservés. J'ai donc quinze jours pour écrire la partition avec ces
contraintes instrumentales... Le soir même j'ai écrit un thème, le meilleur du film,
sans avoir vu une seule image. Après bien sûr, j'ai vu le montage final et composé
le reste de la musique en suivant les références de la musique temporaire. Mais
c'était un peu comme de rentrer dans des chaussons. » Difficile d'imaginer une
pire situation pour un compositeur de cinéma. Pourtant Duhamel parvient à si-
gner un score remarquable, situé quelque part entre le jazz et la musique baroque.
Tout est beau dans cette bande originale magnifiée par ses interprètes : Ron Car-
ter, Philip Catherine, Louis Sclavis, et Jimmy Rowles, le célèbre pianiste de Hen-
ry Mancini.
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Chronomètre en main, Jean-Claude Petit dirige l’enregistrement du Hussard sur le Toit.
Daddy Nostalgie : éd. Sony BMG (cd).
Les Mercenaires de l’Espace, Galactica, Starfighter... Les B.O. réussies aux cou-
leurs du Space opera ne manquent pas. Plus rares en revanche sont celles qui pui-
sent leur inspiration dans l’Heroic fantasy. Sur les conseils du label Varèse Sara-
bande, Don Coscarelli choisit un symphoniste remarqué pour composer cette
série B, produite en parallèle de Conan le Barbare. « C’est grâce à mon concerto
pour violon que l’on m’a demandé de composer la musique de Dar L’Invincible,
s’étonne Lee Holdridge. Le réalisateur était littéralement tombé amoureux de
cette pièce orchestrale, et voulait retrouver pour son film ce type de musique.
Honnêtement, je n’avais pas pensé que mon concerto pourrait illustrer un long-
métrage de ce genre. En fait, je crois qu’il a apprécié le caractère majestueux qui
s’en dégage. » L’engouement de Coscarelli réjouit le maestro, mais le délai de
composition est problématique. « Ce fut une épreuve car je devais écrire 80 mi-
nutes de score en seulement deux semaines et demie… Bien que normalement je
travaille seul, je savais que sur cette production j’aurais besoin d’aide sur
l’orchestration afin de réussir l’impossible. Je fus donc aidé par les brillants Greig
McRitchie et Alf Clausen… Aussitôt le score achevé, je pris l’avion et terminai
moi-même l’orchestration dans ma chambre d’hôtel à Rome*, un jour avant ma
première session d’enregistrement. » Avec Splash et Old Gringo, l’une des trois
meilleures musiques de Lee Holdridge pour le cinéma.
The Beastmaster : éd. Quartet (cd).
*Le score fut enregistré par les mêmes musiciens que la B.O. iconique de Conan
le Barbare.
Dans sa première partie de carrière, Michael Kamen est surtout réputé pour ses
arrangements instrumentaux (l’album The Wall* notamment). En plein travail
avec les Pink Floyd sur le sol anglais, il reçoit un appel d’Hollywood : Dino De
Laurentiis souhaite lui confier la B.O. de Dead Zone, sa dernière production
adaptée de Stephen King. Malgré les souhaits de David Cronenberg, le composi-
teur Howard Shore a été écarté du projet en raison de sa proximité avec le ci-
néaste. De Laurentiis veut du sang neuf mais les délais sont courts. « J’ai écrit
cette musique très rapidement, raconte Michael Kamen, c’était l’un de mes pre-
miers efforts. Je l’ai composée de la façon dont je préfère travailler, c’est-à-dire
sans pression. Personne ne m’a appelé pendant ce temps. J’ai rencontré David
Cronenberg à Los Angeles très brièvement, et puis je suis revenu à Londres. J’ai
toujours aimé la musique angoissante et je l’ai écrite en dix jours, juste en
m’asseyant à mon piano et en écrivant, écrivant… c’est l’une des façons les plus
satisfaisantes, chez moi, d’utiliser mon cerveau pour écrire la B.O. d’un film hol-
lywoodien. » Interprété par le National Philharmonic Orchestra, ce score drama-
tique étonne par sa maturité et la justesse de ses effets contenus. Une vraie révéla-
tion.
The Dead Zone : éd. Milan (cd).
*Il dirigera également la version live à Berlin, le 21 juillet 1990.
LA DENTELLIÈRE
Réalisé par Claude Goretta - Production : Daniel Toscan du Plantier (Gaumont)
Musique de Pierre Jansen - 1977
« Quand j'ai montré Les Dents de la Mer à John pour la première fois, raconte
Steven Spielberg, je me souviens qu'il m'a dit : "C'est comme un film de pirates !
Je pense qu'il nous faut de la musique de pirate, car il y a dans tout ça quelque
chose de primitif – mais c'est aussi un peu fou et divertissant." » Si le thème sacca-
dé du requin identifie instantanément la bande originale de John Williams, ces
propos enthousiastes pointent l'importance des autres séquences de la partition.
« Mon morceau préféré a toujours été la scène de poursuite avec les barils, avoue
le musicien, lorsque le requin approche du bateau et que nos trois héros pensent
l'avoir capturé. La musique accélère et devient très excitante, héroïque. Et puis
soudain, au moment où le requin domine la situation et qu'il parvient finalement
à s'échapper, la musique se dégonfle et se termine par une chanson de marin inti-
tulée Spanish ladies. La partition illustre et ponctue musicalement toute cette es-
quisse dramatique (...) Ce film fut assurément un point de repère dans ma carrière.
À l'époque, j'avais déjà remporté l'Oscar pour les arrangements et la direction
orchestrale d'Un Violon sur le Toit. Mais Les Dents de la Mer fut le premier
Oscar que je reçu pour ma propre musique, ce fut donc un moment significatif
pour moi. »
Jaws : éd. MCA (cd) et Intrada (bandes remastérisées, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1976.
En 1959, l'Angevin Jacques Loussier crée le trio Play Bach et élabore une relec-
ture jazz de la musique baroque qui fait le tour du monde des mélomanes (six
millions d'albums vendus). Lors d'un concert en Angleterre, le musicien rencontre
Jack Cardiff, un grand admirateur de sa discographie. Ce dernier vient tout juste
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de terminer un film d'aventure pour la MGM et lui propose d'en composer la mu-
sique. « À l'époque, la première version du Dernier Train du Katanga que j'ai vue
était excessivement violente, se souvient Loussier. La production a coupé de
nombreuses séquences qui, je pense, auraient accentué son impact auprès du pu-
blic. Je suis sorti de la projection de l'intégrale vraiment très impressionné, c'était
très fort. Mais, ils ont préféré supprimer les passages les plus durs. » Malgré ces
coupes sombres, le compositeur écrit une partition tendue à l'extrême, construite
autour de rythmes syncopés, de contretemps, avec une inoubliable mélodie en
mode mineur. « Dès le départ, j'ai eu envie d'écrire une marche comme thème
principal, dans laquelle la puissance et la violence seraient presque contenues,
mais aussi présentes comme des éléments sous-jacents de la musique... Les mor-
ceaux que j'ai écrits n'ont pas nécessairement été placés sur les scènes prévues,
mais la musique n'en a pas trop souffert. Elle reflète ma première vision du film et
conserve quelque part l'esprit du montage d'origine. »
Dark of the Sun : éd. Film Score Monthly (cd).
LA DÉROBADE
Réalisé par Daniel Duval - Production : Gérard Lorin, Benjamin Simon
(S.N. Prodis)
Musique de Vladimir Cosma - 1979
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2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE 2001 : A Space Odyssey
Réalisé par Stanley Kubrick - Production : Stanley Kubrick (MGM)
Sélections classiques (Strauss, Ligeti, Khatchatourian…) /
Musique rejetée d’Alex North - 1968
« Je voulais que le film soit une expérience intensément subjective, révèle Stanley
Kubrick, quelque chose qui touche de l’intérieur, comme la musique. » L’histoire
épique de la B.O. de 2001 est étayée par de précieux témoignages. Selon Andrew
Birkin, la plupart des choix originels du réalisateur seraient plus ou moins dus au
hasard : « On passait des heures dans la salle de projection à regarder les rushs des
séquences dans l’espace. C’était très ennuyeux (…) Dans la cabine de projection,
il y avait une pile de vieux disques classiques qu’on mettait lors des avant-
premières. Le projectionniste les envoyait dans la sono… Vers le quatrième jour,
on regardait le plan d’un astronef et un vieux disque rayé du Beau Danube bleu se
fit entendre. Un peu plus tard, Stanley dit : "Ce serait une folie ou une idée de
génie de mettre cette musique dans le film ?" » Quelles que soient les circonstances
de ces trouvailles, le réalisateur rejette rapidement l’idée d’une musique originale ;
il imagine utiliser des extraits de Mahler, Mendelssohn, puis expérimente de nou-
velles sélections. De son côté, la MGM exige une partition officielle et incite Ku-
brick à collaborer avec Alex North, son compositeur de Spartacus. Kubrick ob-
tempère mais émet des réserves durant l’enregistrement : « Lors de la séquence
d’ouverture, se souvient l’orchestrateur Harry Brant, le cinéaste écouta attentive-
ment et déclara : "C’est un merveilleux morceau de musique, vraiment très beau,
mais il ne convient pas à mon film". » Au total, North enregistre 40 minutes de
score reléguées aux oubliettes par la production. Sans aucun préavis, il découvre
le rejet de son travail à l’occasion d’une projection new-yorkaise. « Ce fut le plus
gros choc de ma vie professionnelle, avoue le musicien dans les années 70. Mais je
suis très heureux de l’avoir fait car j’ai la partition. Et en ce qui me concerne, j’ai
écrit pour ce film des choses très nouvelles. Dans la plupart des cas, un réalisateur,
qui utilise des morceaux préenregistrés lors d’une projection préventive, est si at-
taché à ces musiques temporaires, qu’il ne peut s’habituer à un nouveau score. »
2001 : A Space Odyssey : éd. Sony (cd) et Intrada (musique originale d’Alex
North, cd).
LE DIABLE AU CORPS
Réalisé par Claude Autant-Lara - Production : Paul Graetz (Universal Films)
Musique de René Cloërec - 1947
Claude Autant-Lara sollicite pour la première fois René Cloërec en 1942. « Con-
naissant mes premiers succès dans la variété avec Piaf, se souvient le compositeur,
il me demanda une chanson pour son film Douce. Il accepta celle que je lui pré-
sentai et me proposa de composer la musique du film dans son intégralité. » S’en
suivra une fidèle collaboration s’étalant sur plus de vingt ans. « Elle fut excellente,
enrichissante et pleine d’enseignement pour moi. Car Autant-Lara était sensible à
l’apport de ma musique sur ses images. Sans être musicien, il savait utiliser intelli-
gemment ce que je lui composais. En plus, il avait l’habitude de planifier long-
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temps à l’avance ses différents projets. Du coup, j’étais impliqué très tôt dans
l’élaboration artistique des films et cela stimulait sans aucun doute ma créativité
musicale. » Parmi leurs dix-huit films en commun, Le Diable au Corps exprime
finement cette connivence au long cours. Les interventions de Cloërec sont ponc-
tuelles, significatives, et la musique diégétique d’une grande subtilité, à l’exemple
de la séquence du dernier dîner des amoureux Micheline Presle et Gérard Phi-
lippe. Un talent remarquable longtemps présent sur grand écran grâce à son jingle
pour Jean Mineur Publicité, aujourd’hui Mediavision.
Le Diable au Corps, Les Plus Belles Musiques de Films de René Cloërec : éd.
Play Time (cd).
Moon river ou la chanson (presque) plus célèbre que le film de Blake Edwards !
Afin d’être raccord avec le contexte du scénario, les producteurs Martin Jurow et
Richard Shepherd envisagent d’engager un musicien de Broadway pour écrire la
ritournelle centrale de Diamants sur Canapé. Henry Mancini monte alors au cré-
neau, car selon lui, la chanson doit être le cœur de sa partition. Après un mois de
travail, il propose une démo qui met tous les décisionnaires d’accord. Tous, sauf
un : « La projection test s’était très bien passée », raconte Mancini dans ses mé-
moires. Mais lors d’une réunion de travail avec l’ensemble de l’équipe, Martin
Rackin, l’un des pontes de la Paramount, réagit violemment. « La première chose
que nous a dit Marty fut : "Bon, il va falloir virer cette putain de chanson". À cet
instant, je regardai Blake. Je vis son visage. Le sang lui monta à la tête comme un
thermomètre sur une flamme. On eût dit qu’il allait s’embraser. Audrey (Hep-
burn) bougea de son fauteuil, elle semblait sur le point de se lever et dire quelque
chose. Tous firent mouvement autour de Marty comme s’ils avaient l’intention de
le lyncher. La chanson resta dans le film. »
Breakfast at Tiffany’s : éd. Intrada (cd) et Sony (réenregistrement d’époque, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1962.
Oscar de la meilleure chanson originale 1962.
LA DONNA INVISIBILE
Réalisé par Paolo Spinola - Production : Silvio Clementelli
(Euro International Film)
Musique d’Ennio Morricone - 1969
Parmi tous les maîtres occasionnels de l’Easy listening, Ennio Morricone est sans
nul doute l’un des grands champions du siècle passé. Entre 1965 et 1980, le maes-
tro écrit quantité de B.O. pour un Septième art italien avide d'expérimentations
sucrées. De la Bossa Nova au jazz, de la pop à la variété, l'éclectisme du musicien
nourrit l'univers sonore d'un large panel de films désormais oubliés. C'est le cas de
cette "femme invisible" porté par la voix érotique de la diva Edda Dell'Orso. Selon
Morricone lui-même, qu'importe le projet, il « donne toujours tout – une créativité
totale. » L'écoute de ce score moult fois réédité démontre clairement l’exigence du
maestro. Et chacune de ses interventions dans le cinéma romantico-psychédélique
pourrait figurer dans le présent ouvrage, tant elles frappent à l'unisson le cœur de
l'amateur éclairé. Impossible bien évidemment d'en dresser la liste complète, mais
citons quand même d'autres joyaux du genre : Disons, un Soir à Dîner, L'Asso-
luto Naturale, Veruschka ou encore Maddalena, dans lequel Belmondo et Laut-
ner puiseront le single Chi mai pour la B.O. du Professionnel.
La Donna Invisibile : éd. Verita Note Japan et GDM (cd).
Vers la fin des années 50, le partenariat créatif entre Robert Mulligan et Alan J.
Pakula s’enrichit d’un talent prometteur : « J’ai rencontré Alan juste après Les
Dix Commandements, se souvient Elmer Bernstein. Il était un peu l’homme à
tout faire chez Paramount. Nous sommes devenus amis et je lui ai dit : "un jour,
quand tu feras un film, j’en écrirai la musique !" Par la suite, il s’est allié avec Ro-
bert Mulligan et nous avons fait notre premier film ensemble (Prisonnier de la
Peur). Nous passions beaucoup de temps à parler du caractère de la musique,
mais tous deux n’interféraient jamais sur ce que je devais écrire… Pour Du Si-
lence et des Ombres, il m’a fallu presque six semaines avant de pouvoir écrire une
note. Je ne parvenais pas à saisir le vrai sujet du film... Certaines choses étaient
évidentes : le film parlait du racisme, de la Dépression, du Sud. Mais dès l’instant
où vous évoquez le Sud, vous êtes pieds et poings liés avec la région. Vous voulez
des banjos et du blues ? Je souhaitais éviter d’évoquer cet aspect géographique de
l’histoire. C’est alors que j’ai pris conscience que le film parlait de tous ces sujets
au travers les yeux des enfants. Ce fut la clef du score : leurs tâtonnements lors-
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qu’ils essayent de jouer quelque chose au piano avec un doigt. Ensuite sont venus
les effets de cloches, de boîtes à musique et les harpes. » La première grande parti-
tion intimiste du cinéma américain d’après-guerre.
To kill a Mockingbird : éd. Intrada (cd) et Varèse Sarabande
(réenregistrement, cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1963.
DUNE Dune
Réalisé par David Lynch - Production : Raffaella De Laurentiis
(Universal Pictures)
Musique de Toto - 1984
Selon John Williams : « Le Tempo est la première chose dont le compositeur doit
tenir compte. » Une règle savamment éprouvée lors du dernier quart d’heure
d’E.T. dans lequel s’enchainent des changements de rythme notables, dont plu-
sieurs poursuites, un envol, et une scène d’adieux. « J’ai écrit la musique de ma-
nière mathématique afin que toutes ces séquences soient correctement configurées
et qu’elles puissent toutes fonctionner… Mais durant l’enregistrement, je ne par-
venais jamais à obtenir une interprétation qui me semblait juste musicalement et
émotionnellement. Je ne cessais de recommencer les prises lorsque j’ai finalement
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dit à Steven : "Je ne pense pas que je vais y arriver, peut-être devrais-je essayer
autre chose ?" Il m’a alors répondu : "Pourquoi ne pas mettre le film de côté ? Ne
le regarde pas. Oublie le film et dirige l’orchestre de la même manière que tu le
ferais lors d’un concert. De cette façon, l’interprétation ne sera plus inhibée par
des mesures ou des considérations mathématiques." C’est ce que je fis et nous
fûmes tous d’accord pour dire que la musique était bien meilleure. Par la suite,
Steven remonta légèrement la dernière partie du film, afin de coller à
l’interprétation musicale que je trouvais la plus réussie sur le plan émotionnel. »
Un tour de force inspiré par les couleurs orchestrales de la symphonie n°2
d’Howard Hanson.
E.T. The Extra-Terrestrial : éd. La-La Land (cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1983.
Fidèle collaborateur de Mel Brooks, le musicien John Morris rejoint en toute ami-
tié l'équipe d'Elephant Man, première production dramatique de la Brooksfilms.
David Lynch l'invite à écouter les sonorités du Polyphon, une énorme boîte à
musique allemande très en vogue à la fin du XIXe siècle. Autour de cette couleur
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instrumentale particulière, Morris écrit une belle partition élégiaque à tendance
victorienne, ponctuée de musiques de cirque. L’osmose avec les images de Fred-
die Francis est totale, mais la séquence de fin fait toutefois l'objet d'une diver-
gence : « Je voulais utiliser l'Adagio pour cordes de Samuel Barber, confie David
Lynch, et John Morris avait été engagé pour faire toute la musique. Il avait fait du
bon boulot, mais je voulais absolument avoir ce morceau de musique... J'ai donc
été forcé de faire une projection où Mel avait invité un tas de relations et où j'ai dû
projeter les deux versions, l'une avec l'Adagio et l'autre avec la musique de John
Morris (...) Après, il y eut un long silence, et je croyais que tout le monde allait
voter. Mais après ce silence, Mel s'est tourné vers John Morris et lui a dit très gen-
timent : "John, il faut que je te dise que j'aime l'Adagio. Ça marche mieux avec le
film." Et John a dit : "Bon!" Mais ce n'était pas moi qui avais gagné. C'est le film
qui avait gagné. » Les deux versions seront présentes sur l'album du film. Une
œuvre marquante.
The Elephant Man : éd. Milan (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1981.
"Un chant de sirène", tel est le souhait énigmatique de John Houseman concer-
nant le thème principal des Ensorcelés. « En conséquence, s’amuse David Raksin,
je suis progressivement passé de l’état de compositeur à celui d’Ulysse solidement
attaché au mât de son yacht. Je dérivai au large des îles Catalina en tentant de
retranscrire sur quelques parchemins d’indescriptibles roulades vocales… Oh là, du
calme Homer ! En fait, je suis rentré chez moi et j’ai travaillé encore et encore. » À
l’issue du week-end, le musicien présente son générique à ses collègues André
Previn et Jeff Alexander, tous les deux guères emballés par sa version au piano.
« Comme ils étaient de superbes pianistes, ils ne pouvaient comprendre la difficul-
té de n’avoir que dix doigts. À la fin du morceau, André me fit l’honneur d’être
franc et s’exclama : "C’est l’heure du déjeuner !" (…) Quelques semaines plus
tard, il passa me voir durant l’enregistrement orchestral, et cette fois il fut dithy-
rambique à propos de ma mélodie. Je n’étais pas pour autant rassuré : "Allons
André, toi et Jeff fûtes les premiers à entendre ce thème, et il ne vous a fait aucune
impression – Et bien, me répondit-il, de la façon dont tu l’as joué, qui aurait pu
deviner ?" » Plusieurs écoutes seront également nécessaires pour convaincre Min-
nelli et Houseman des formidables qualités du score. « J’ai ainsi dû faire face à
une évidence, conclut David Raksin : aucune de mes musiques ne devrait être
jouée une première fois... »
The Bad and the Beautiful : éd. Rhino (cd) et RCA (réenregistrement, cd).
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L’ÉQUIPE COUSTEAU EN AMAZONIE Cousteau Amazon
Série documentaire produite par Jacques-Yves Cousteau, Mose Richards, John
Soh (WTBS)
Musique de John Scott - 1983
« Je l’ai dit bien des fois et ne cesse de l’affirmer, confie John Scott. Jacques Cous-
teau fut responsable d’un développement majeur dans ma musique et dans mon
assurance à composer. » Les deux hommes se rencontrent par l’intermédiaire de
John Soh, chef monteur de la série, puis très vite, le musicien sympathise avec le
commandant qui lui offre l’écrin du Royal Philharmonic Orchestra pour enregis-
trer ses partitions. « Cousteau me disait toujours : "Je ne veux pas de la musique
pour documentaires, et je pense que tu peux l’écrire." Il m’a donc poussé à écrire
une musique toujours meilleure. Jacques me disait : "Allez John, compose
quelque chose de spécial. Quels instruments voudrais-tu ?" Il était musicien, il
jouait de l’accordéon et rêvait de composer un jour la musique d’un de ses épi-
sodes, ce en quoi je l’ai toujours encouragé. Malheureusement, il n’en a jamais eu
l’occasion… Quand je lui rendais visite dans sa salle de montage située avenue
Wagram, il avait un pied-à-terre juste au-dessus. Nous nous y retrouvions et nous
parlions musique. Il me passait les derniers CD qu’il avait découverts et disait :
"John, que penses-tu de cette approche pour le prochain documentaire ?" Nous
étions très proches. » Un score symphonique, pop et folklorique, à la mesure
d’une aventure humaine exceptionnelle.
Cousteau Amazon : éd. JOS (cd).
L’ÉTAU Topaz
Réalisé par Alfred Hitchcock - Production : Alfred Hitchcock, Herbert Coleman
(Universal Pictures)
Musique de Maurice Jarre - 1969
L’Étau place Maurice Jarre dans une situation délicate : il s’engage pour la pre-
mière fois dans le film d’espionnage et Hitchcock, qui vient de rompre avec son
mentor musical, s’avère évasif sur le score à écrire. « J’étais inquiet, voire impres-
sionné à l’idée de travailler avec un tel monstre sacré, avoue le compositeur.
L’empreinte de Bernard Herrmann était tellement forte que je me demandais si
j’allais être capable de prendre la relève. Hitchcock s’est avéré adorable, très atta-
chant mais peu disposé à parler musique : "Cher monsieur Jarre, je vous ai choisi,
vous avez ma confiance, faites au mieux ! – Oui, mais je préférerais que nous
soyons d’accord, j’ai peut-être des idées qui ne fonctionneront pas ! – Aucune
importance, dans ce cas, on coupera la musique !" » Seul devant sa copie, le com-
positeur s’active à écrire un score aux couleurs européennes (cithare, accor-
déon…) qui s’ouvre, selon les souhaits du cinéaste, par une marche militaire. Du-
rant l’enregistrement, les deux hommes se font face le temps du générique :
« Grand sourire d’Hitchcock, se souvient jarre. "Très bien c’est exactement ça…"
J’attaque le deuxième morceau, je me retourne : Hitch avait disparu ! Sa présence
n’a pas excédé dix minutes… À l’arrivée la musique lui a plu. Il l’a intégralement
conservée au montage. » En 1973, l’artiste français retrouvera l’espionnage inter-
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national avec Le Piège de John Huston, une B.O. entêtante louée par un réalisa-
teur plus attentif : « Merci Maurice. Au moins, il y aura un truc de réussi dans ce
film », dira le vieux lion à l’issue des sessions.
Topaz : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).
De toutes les B.O. américaines de Michel Legrand, Un Été 42 est peut-être la plus
brève de sa carrière. Parsemées sur les images nostalgiques de Robert Mulligan,
les splendides variations du thème pour saxophone et cordes naissent d'une inspi-
ration fulgurante : « J'ai écrit la partition d'Un Été 42 en quelques heures, se sou-
vient le musicien. La Warner m'a appelé d'urgence, je suis arrivé à Los Angeles
un vendredi. Le film m'a bouleversé : à la fin de la projection, je suis resté plu-
sieurs minutes sans pouvoir parler… Robert Mulligan, le metteur en scène m'a
ramené à la réalité : "Nous mixons jeudi prochain, ta musique doit être prête mer-
credi. Tu as cinq jours!" Rien n'a été plus simple ! Un Été 42 m'avait transmis une
formidable émotion que j'ai aussitôt couchée sur mes portées. Ma plume glissait
sur le papier... Quand on est pressé, tout vient très vite, on est encore sous l'effet
immédiat du film. À l'inverse, lorsqu'on a du temps, on réfléchit, on cérébralise,
on trouve ses premières idées trop évidentes, trop instinctives. On essaye de les
améliorer et finalement, on les déforme. Au bout du compte, on se noie dans son
propre bain. Pour ma part, quand je n'ai pas le temps de chercher, je trouve ! »
Summer of 42' : éd. Warner (cd) et Intrada (intégrale, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1972.
À la veille d'un départ en vacances, Bill Conti se voit parachuter sur une épopée
américaine de 3h10 : « Mes bagages étaient fin prêts quand le téléphone sonna, se
souvient le musicien. C'était Al Bart, mon agent, qui me dit : "Tu dois aller à San
Francisco, ils viennent tout juste de rejeter le score de L'Étoffe des Héros "... À
cette époque, je n'avais pas de question à me poser, il me fallait travailler. » Conti
accepte la tâche avec un délai de quatre semaines pour écrire et enregistrer toute la
musique. Mais la principale difficulté pour le compositeur est de faire face à un
réalisateur qui ne veut pas de lui. Contrairement aux producteurs Robert Chartoff
et Irwin Winkler (Rocky), Philip Kaufman souhaite un score pianissimo et se
méfie de tout compositeur susceptible d'écrire une grande partition. « Ma première
obligation est envers le réalisateur, remarque Conti. Je suis là pour écrire ce qu'il
ou elle souhaite entendre sur son film... Mais là, il avait eu sa chance avec la pre-
mière musique et ça n'avait pas fonctionné. » Kaufman revoit donc ses ambitions
en suggérant un papier calque de la nouvelle musique temporaire tirée des Planètes
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Michel Legrand lors de la soirée hommage à Georges Delerue, le 12 novembre 1994 au Puy du Fou.
de Holst et The White Dawn, une B.O. de Henry Mancini. « Il me disait : "Vous
pouvez faire plus ressemblant", ce à quoi je répondais: "Si je fais encore plus
proche, je veux un désaveu !" » À la limite du plagiat (Holst et Mancini seront
cités au générique), le score de L'Étoffe des Héros demeure un brillant travail de
synthèse, fidèle aux préoccupations esthétiques de son auteur.
The Right Stuff : éd. Varèse Sarabande (bande originale et réenregistrement, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1984.
EXODUS Exodus
Réalisé par Otto Preminger - Production : Otto Preminger (United Artists)
Musique d’Ernest Gold - 1960
Dans les années soixante, le travail avec Otto Preminger n'est pas toujours un
long fleuve tranquille pour les divers musiciens qui le côtoient. D'humeur chan-
geante, il sélectionne le plus souvent des compositeurs en devenir, par définition
faciles à modeler. Exodus sera une expérience marquante à plus d'un titre pour
Ernest Gold. « Durant la première prise de l'enregistrement à Londres, se souvient
sa femme Marni Nixon, Otto hurla dans le micro de la cabine en direction d'Er-
nest et de l'orchestre : "Vat you do to my picture ? Shtop this at once !"* » Ap-
prouvée au piano, la version symphonique de la musique ne plaît plus au cinéaste.
Que faire ? Comment corriger le tir ? En quelques chuchotements à ses musiciens,
Gold trouve la solution. Il leur demande en toute discrétion plus de douceur, de
progression dans l'interprétation. Bingo ! « My god that boy is a Tchenius, an Ab-
solute Tchneeeeeeenius », s'exclame Preminger en se ruant sur le musicien pour
l'embrasser. « La suite des sessions se déroula très bien et pour le reste, c'est de
l'histoire. » Une belle histoire en l'occurrence, puisque la B.O. d'Exodus fera le
tour du monde des compilations du genre, et deviendra l'emblème imparable du
compositeur.
Exodus : éd. RCA (cd) et Tadlow Music (réenregistrement, cd).
*Preminger (avec l'accent) : « Qu'est que fou faîtes à mon film ? Arrêtez ça tout de
suite » et « Mon dieu ce garçon est un Tchénie, un Tchéééénie Absolu ! »
Oscar de la meilleure musique de film originale 1961.
La création du score de Fahrenheit 451 s’amorce par une discussion entre deux
artistes réfractaires. « Quand Truffaut m’a proposé de faire la musique du film,
raconte Bernard Herrmann, je lui ai demandé : "Pourquoi voulez-vous que je vous
écrive la partition de Fahrenheit ? Vous êtes un grand ami de Boulez, Stockhausen
et Messiaen, et c’est un film qui se déroule dans le futur. Ce sont tous des compo-
siteurs avant-gardistes, pourquoi ne demanderiez-vous pas à l’un d’entre eux ?"
"Oh non, non," me rétorqua-t-il, "Ils me donneraient la musique du XXe siècle,
mais vous, vous me donnerez celle du XXIe !" » À partir de cette idée, le composi-
teur soumet à Truffaut une vision toute personnelle du futur : « J’ai senti que la
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musique du siècle prochain impliquerait une grande simplicité lyrique (…) Donc
je lui précisai : "Si je fais votre film, c’est le type de partition que je veux écrire –
des cordes, des harpes et quelques percussions. Je ne suis nullement intéressé par
toutes ces âneries que l’on présente comme étant la musique du futur. Je pense au
contraire que c’est la musique du passé." » Ray Bradbury sera le premier specta-
teur émerveillé par le travail de Bernard Herrmann. « À chaque fois que j’entends
la séquence finale que composa Benny, je fonds en larme », déclarait l’écrivain.
Fahrenheit 451 : éd. Varèse Sarabande et Tribute Film Classics (réenregistre-
ments, cd).
En dépit des critiques assassines à sa sortie, La Fille de Ryan occupe une place de
choix dans la filmographie commune de David Lean et Maurice Jarre. Le compo-
siteur l’entrevoit même comme l’un de ses scores préférés ; un parfait exemple de
ses connexions avec l’écriture visuelle du maître anglais. « Dans ses scripts, David
notait précisément le moment où la musique commence en crescendo puis dispa-
raît en diminuendo, révèle Jarre. Il me disait toujours : il faut que le public ne
perçoive jamais le début de la séquence et la fin… je faisais donc attention d’aller
toujours dans le même sens que lui. » Dès son générique, La Fille de Ryan met en
évidence cette attention première : « Sur l’ouverture du film, lorsque j’ai entendu
le vent qui soufflait, je me suis dit qu’il serait intéressant que ce vent devienne
musique… Idem pour la scène d’amour dans les bois, mais cette fois, le vent de-
vient sensuel. Je me suis donc arrangé pour que l’orchestration exprime cette sen-
sualité. Avec David, il y avait toujours des moments où la musique devenait im-
portante sans souligner ce qui se passait à l’écran. » De surcroît, comme le réalisa-
teur lui interdit l’usage d’une instrumentation irlandaise traditionnelle, Jarre em-
prunte une autre voie : « J’ai pensé que la sonorité générale du score pourrait être
caractérisée par la harpe, mais pas de façon solitaire, isolée, plutôt comme une
grande harpe. J’en ai donc inclus huit dans l’orchestre. »
Ryan’s Daughter : éd. MGM (lp) et Chapter 3 / EMI (cd).
Une question bien placée décide de la carrière de Michael J. Lewis : « J’avais fait
un spectacle à Londres avec Bryan Forbes et Richard Attenborough, le show
s’intitulait "Please Sir"… Quelques années plus tard, Bryan me demanda : "Mis à
part écrire des comédies musicales, quel est ton rêve ?" Je lui répondis que je vou-
lais composer pour le cinéma. Il me dit alors : "Si un jour une occasion se présente
et que je peux t’aider, je le ferai." En 1968, il me rappela lorsque John Barry, trop
occupé sur Le Lion en Hiver, ne pouvait faire La Folle de Chaillot. Je lui dis
"oui" et ce fut le début d’une nouvelle vie. » Le film se tourne en France (aux Stu-
dios de la Victorine) et Lewis doit travailler sur place afin d’écrire un thème cor-
respondant aux prises de vue. « Durant une pause déjeuner, ils sont tous venus me
rendre visite, raconte le musicien. Il y avait autour de moi les producteurs et toute
la distribution en costume. J’ai joué mon morceau jusqu’au bout… Il y eut le tra-
ditionnel silence où chacun se regarde en se demandant qui va réagir le premier,
puis Bryan se retourna en lançant : "Je pense que c’est parfait !" Cela déclencha
l’approbation générale et signa mon intégration officielle dans la troupe. En fait,
comme il y a trois thèmes dans le film, je suis resté sur place durant un mois et ce
fut assez tumultueux ! » L’une des rares B.O. de Lewis couchées sur disque*.
The Madwoman of Chaillot : éd. Warner Bros. (lp).
*Deux albums vinyles en 20 ans de carrière.
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habitude de privilégier l'usage de musiques préexistantes dans l’élaboration de ses
bandes-son, La Forêt d'Émeraude emprunte le chemin opposé. « Junior Homrich
fut avec nous durant tout le tournage du film, note le réalisateur. Avec son sac
d'instruments sur le dos, il apporta ses sonorités au cœur de la jungle. Il répondait
aux appels des oiseaux et des insectes, et leurs sons devinrent les siens. Après le
tournage, sa musique hantait toujours mes pensées et je décidai de lui proposer
d'écrire la musique du film. Nous avons passé de merveilleuses semaines dans un
studio à Londres afin qu’il enregistre, instrument après instrument, le score com-
plexe et rythmé du film. » Boorman laisse une totale liberté à l’artiste brésilien
pour mettre en forme la bande-son et l'encourage volontiers à improviser sur les
images. Percussions, voix, claviers électroniques (le synthésiste Brian Gascoigne),
corps humain – Homrich est un instrument vivant – tout est bon pour coller aux
élans panthéistes de La Forêt d'Émeraude. « La musique est un élément fonda-
mental des peuples qui vivent dans les jungles brésiliennes, remarque ce dernier.
Elle est aussi naturelle que manger ou se baigner dans la rivière. Pour eux, chanter
et danser sont essentiels et correspondent à leurs idées de l’harmonie et du bien-
être. » Unique en son genre, ouvrant certaines perspectives, cette B.O. n'aura hélas
guère d'héritières. James Horner s’en rapprochera un tant soit peu avec son beau
score pour le film Quand la Rivière devient Noire.
The Emerald Forest : éd. Varèse Sarabande (cd).
L’une des partitions les plus riches en mélodies de Nicola Piovani puise tout au-
tant son inspiration dans la dramaturgie imagée de Good Morning, Babylonia –
une vision des premiers feux d’Hollywood via le regard d’émigrés italiens – que
dans sa passion pour le Septième art : « Quand j’écris une musique pour le ciné-
ma, avoue le maestro, je suis bien sûr musicien mais avant tout cinéaste. C’est-à-
dire un homme qui travaille avec la musique dans le film, tout comme le décora-
teur, le monteur ou le photographe. Selon moi, un musicien doit essayer d’entrer
dans "la botiga" (lieu de l’artisanat où travaillent les menuisiers, les électriciens,
les peintres...). La poétique de cette "botiga", c’est celle du metteur en scène. C’est
pourquoi il faut oublier sa propre poétique. Pour cela, il y a les concerts ou
d’autres occasions. Il faut essayer avec la musique de donner l’émotion, com-
prendre l’esprit et la direction que le metteur en scène et les autres techniciens du
film essayent de rejoindre. C’est la méthode fondamentale que j’adopte quand je
travaille pour le cinéma. J’apprécie beaucoup la musique, mais j’aime énormé-
ment le cinéma. » Après Kaos et Good Morning, Babylonia, les frères Taviani
confiront la majorité de leurs longs-métrages aux bons soins de Nicola Piovani.
Good Morning Babylonia : éd. Milan et Emergency Music (cd).
Lors d'un entretien en 1992, Philippe Sarde nous avouait son vif intérêt pour le
travail de James Horner sur Gorky Park. Rien de surprenant à cela si l'on consi-
dère les points communs qu'ils partagent : un goût prononcé pour les mélanges
instrumentaux, la musique traditionnelle, et une culture tous azimuts du réper-
toire classique. Pour le film de Michael Apted, Horner choisit le contraste des
sonorités. Balalaïka, mandoline, cymbalum, oud, font face à l'électronique (EVI*,
Blaster Beam**, batterie) au sein d'une rutilante formation symphonique. « Quand
je compose pour un film, précise le musicien, je suis plus intéressé par les couleurs
orchestrales que par la mélodie elle-même... Je suis un coloriste. Je cherche des
projets qui se prêtent à des orchestrations intéressantes, uniques. » Au même titre
que Sarde, les talents de mélodiste de James Horner constituent aussi les clefs de
son succès. Le thème lié au personnage d'Irina est intrinsèquement l'élément fédé-
rateur d'un score qui renouvelle l'univers musical du polar urbain ; une démarche
entamée chez Walter Hill (48 heures) et poursuivie avec quelques ersatz (48
heures de plus, Double Détente, Commando...). En guise de clin d'œil, on notera
un piano-bar interprété par Horner (Stockholm salted peanuts), que n'aurait sans
doute pas renié le Sarde de Beau-père.
Gorky Park : éd. Kritzerland (mixage d’origine) et Intrada (musique intégrale
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remixée, cd).
*Instrument à vent électronique inventé et interprété par Nyle Steiner, déjà utilisé
dans la bande-son du film Apocalypse Now, puis dans Witness.
**Long instrument électronique en métal créé dans les années soixante-dix par
John Lazelle et développé au cinéma par le synthésiste Graig Huxley (dans les
B.O. de Star Trek, Le Trou Noir, Meteor, 2010).
LE GRAND BLEU
Réalisé par Luc Besson - Production : Patrice Ledoux (Gaumont)
Musique d’Éric Serra - 1988
« Le premier contact que j’ai eu avec Le Grand Bleu fut un documentaire sur
Jacques Mayol et son record d’apnée, raconte Éric Serra. Luc me l’a montré en
me disant : "Regarde cette cassette, car nous allons faire un film sur ce sujet…" Je
me souviens avoir été totalement bouleversé par la dimension sportive et spiri-
tuelle de l’exploit. D’ailleurs, j’ai ensuite suivi moi-même un entrainement en
apnée pour connaître cette sensation à la fois zen et un peu angoissante… Je
pense que la musique que j’ai écrite provient des émotions fortes que j’ai ressenties
lors de ces plongées. » Fasciné par les grands scores du cinéma américain, Besson
désire donner au Grand Bleu une large dimension orchestrale. « Luc souhaitait
faire comme Spielberg, Lucas et tous les films que l’on adorait à l’époque. Il vou-
lait une grande musique symphonique… Évidemment, cela m’a un peu terrorisé
car je n’avais encore jamais écrit ça de ma vie. Du coup, je me suis plongé dans la
musique symphonique en écoutant trois heures par jour, au casque, Daphnis et
Chloé de Ravel, Petrushka de Stravinsky, Musique pour cordes, percussion et célesta de
Béla Bartók et Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy… Puis, au dernier mo-
ment, Luc m’a dit : "Finalement j’ai réfléchi, ce type de musique ce n’est pas notre
culture. On va faire quelque chose plus proche de ce qu’on écoute (pop, jazz-rock,
etc.)." Mon immersion dans la musique classique a cependant complètement
changé ma façon d’écrire. »
Le Grand Bleu : éd. Wagram Music (cd).
César de la meilleure musique originale 1989.
Le grand blond… ou l'espion qui venait du froid ! C'est à partir de cette vision
toute personnelle du personnage campé par Pierre Richard, que Vladimir Cosma
envisage la musique de son troisième film pour Yves Robert. Roumain d'origine,
il souhaite utiliser la flûte de Pan et le cymbalum en opposition à la griffe "James
Bond" attendue dans la B.O. Le réalisateur accepte volontiers l'idée, mais se
heurte à la critique violente de son scénariste : « Quand la lumière de la projection
de travail s'est rallumée, se souvient Cosma, Francis Veber s'est levé en disant :
"Mais qu'est-ce qu'elle vient faire là cette musique ? Pourquoi une musique folklo-
rique ? Non seulement ça dérange les dialogues, mais surtout ça tue le comique du
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film ! » Aussitôt dit, l'argument instaure le doute, perturbe le producteur Alain
Poiré et l’équipe Gaumont, mais Yves Robert soutient son compositeur :
« Puisque tu y crois, nous garderons cette musique ! » Interprété par le flûtiste
Gheorghe Zamfir (futur soliste d’Il Était une Fois en Amérique de Morricone) et
le cymbaliste Paul Stinga, le score du Grand Blond participa activement à la
bonne fortune du film en faisant le tour des radios. Quant à Francis Veber, il en-
gagera Cosma pour son premier long-métrage, quatre ans plus tard…
Le Grand Blond avec une Chaussure Noire : éd. Larghetto music (cd).
GREMLINS Gremlins
Réalisé par Joe Dante - Production : Michael Finnell (Warner Bros.)
Musique de Jerry Goldsmith - 1984
Joe Dante ne tarit pas d’éloges sur sa collaboration avec Jerry Goldsmith :
« J’aurais vraiment souhaité l’avoir à mes côtés sur tous mes films. C’était l’une
des relations artistiques que je chérissais le plus dans ma carrière. » La réciprocité
est de mise pour le musicien qui, à partir de leur rencontre, s’engage dans un pro-
cessus créatif fait d’humour noir et d’espièglerie : « J’ai eu l’idée de bâtir la mu-
sique de Gremlins en opposition avec leur nature véritable, souligne Goldsmith,
une espèce de ragtime à la sonorité ethnique. D’où cette scène bizarre où les
Gremlins tuent deux personnes avec un bulldozer, alors que ce thème un peu gro-
tesque joue en fond sonore. Ça donne une tournure d’esprit nouvelle au film… Si
je l'avais écrit de manière très dramatique cela aurait jeté une lumière différente
sur la scène. Là, elle n’est pas si horrible qu’en réalité. C’est un bon exemple de la
puissance de la musique au cinéma. Joe Dante et Steven Spielberg sont venus
chez moi et je leur ai joué ce thème. Joe a adoré dès le début mais Spielberg était
soucieux… ça voulait dire : "Qu’est-ce que tu essayes de faire avec ça ?" Finale-
ment, il s’est exclamé : "Écoutez les gars, faites ce que vous voulez !" »
Gremlins : éd. Retrograde (cd).
LE GUÉPARD Il Gattopardo
Réalisé par Luchino Visconti - Production : Goffredo Lombardo (Titanus)
Musique de Nino Rota - 1963
« Visconti et moi, nous étions déjà amis avant de travailler ensemble, précise Nino
Rota. Nous avions des amis communs, il est milanais comme moi et nous nous
rencontrions. Mais lui n’est jamais descendu de son Olympe, il ne s’intéressait
presque qu’à la musique allemande. » Malgré ce goût prononcé pour le répertoire
classique, le cinéaste commande une partition originale à son compositeur des
Nuits Blanches*. « "Pour Le Guépard, m’a-t-il dit, je ne veux pas une musique de
commentaire, je veux une symphonie d