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Petites Histoires des Grandes


Musiques de Films

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Bruno Communal

Petites Histoires des Grandes


Musiques de Films

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Photographies de l’auteur

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Copyright © 2018 Bruno Communal

Photographies : Copyright © Bruno Communal

Tous droits réservés.


ISBN : 9781728908182

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À mes parents,
et à ma famille au grand complet.

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SOMMAIRE

Générique ! ............................................12

Petites Histoires de A à Z ...……………. 17

Index des Compositeurs ……............... 251

Index des Titres de Films cités ….......... 257

Sources et Bibliographie ………………. 269

Remerciements ………………………… 295

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Un rituel centenaire : l’enregistrement et la synchronisation de la
musique avec le film. Jean-Claude Petit dirige l’Orchestre National de
France à la Maison de la Radio (Le Hussard sur le Toit, 1995).

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GÉNÉRIQUE !

La musique de film est née avec le XXe siècle. En 1908, le compositeur


Camille Saint-Saëns écrit la première partition originale pour le cinéma –
L’Assassinat du Duc de Guise, une pièce filmée de la Comédie-Française – sans
imaginer qu’il amorce une union séculaire entre deux arts désormais complémen-
taires. D’un côté, émerge une industrie innovante qui se dote sous peu de moyens
financiers considérables. De l’autre, bouillonne un panel de musiciens en quête
d’aventures inédites, voire de revenus substantiels. Car le compositeur du nou-
veau siècle se heurte régulièrement à la précarité de son statut ; à l’exception de
quelques chanceux, l’œuvre concertante ne nourrit pas son homme. Dans
l’Hexagone, Arthur Honegger encourage ses collègues, dont Maurice Jaubert et
Miklós Rózsa, à envisager le Septième art comme un authentique terrain
d’expérimentation, mais aussi comme une alternative au mécénat public ou pri-
vé : « Un compositeur de musique symphonique, quelle que soit sa réputation, ne
peut vivre que s’il accepte une situation à côté. Ceux qui ne sont ni directeurs de
conservatoire, ni professeurs, ni journalistes, ni chefs d’orchestre au théâtre ou à la
radio n’ont qu’un seul et unique débouché : le cinéma. »1 De ce fait, des noms
prestigieux tels Darius Milhaud ou Francis Poulenc embrassent la pellicule avec
plus ou moins de ferveur, tandis que d’autres, Georges Auric en tête, délaissent
leur écriture concertante au profit d’un engagement heureux pour l’écran.
Quelques décennies après ce mariage arrangé, la Seconde Guerre mondiale oblige
nombre d’artistes européens à trouver refuge à Hollywood. La capitale de
l’industrie cinématographique garantit à tout-va protection et traitements confor-
tables, sous réserve d’une certaine productivité. Sur place, Alfred Newman, Hugo
Friedhofer, Max Steiner, Bernard Herrmann, Dimitri Tiomkin, et bien d’autres
sont rejoints par les immigrés Franz Waxman, Miklós Rózsa, et surtout Erich
Wolfgang Korngold, élève de Mahler et initiateur d’un esthétisme symphonique
fondamental au sein de la communauté hollywoodienne.

En toute logique, les protagonistes du médium naissant s’inspirent des


écoles nationales du XIXe siècle. On extrapole par conséquent la musique à pro-
gramme des maîtres romantiques et postromantiques, afin de suivre au plus près
les sentiments exprimés à l’écran. Si le modèle wagnérien ou l’usage du leitmotiv
s’impose dans les productions américaines, l’influence de Claude Debussy et
Maurice Ravel pénètre bientôt le cinéma international. Au Japon, Fumio Haya-
saka calque le motif de Rashomon sur l’imparable Boléro. Outre-Atlantique, la
nouvelle garde pioche chez Béla Bartók, Igor Stravinsky, instaure le sérialisme sur
les drames en technicolor… Cependant, ces impérieuses références n’entament en
rien la créativité des musiciens confrontés à l’image, leur argument premier se
situant ailleurs, dans un geste identitaire dominé par le charbon ardent des scores*
du XXe siècle : la mélodie. Au-delà des modes, des genres, des cultures, elle figure
la grande préoccupation des créateurs et des producteurs. Car un air marquant est
non seulement la garantie d’une personnalisation de l’œuvre filmique, mais cons-
titue par la même un merveilleux objet publicitaire. En plus des enjeux artistiques,
« Hollywood comprend très vite l’intérêt de publier des 78 tours des bandes origi-
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nales, écrit l’historien Stéphane Lerouge, à la fois comme support promotionnel
au film et débouché commercial supplémentaire. Rapidement, plusieurs studios
créent leur propre label discographique (MGM, Disney, Columbia, United Ar-
tists), afin de garder le contrôle sur l’exploitation musicale de leurs productions. »2
Ainsi, de façon indirecte, le film se propage hors de la salle de spectacle, s’affiche
en magasin, se collectionne. Le marché du disque, poussé par l’industrie du Sep-
tième art, est promptement inondé de scores à succès qui côtoient les pop-stars
dans les charts internationaux. Maurice Jarre témoigne : « Lorsque l’album du
Docteur Jivago est sorti aux États-Unis, il est monté en flèche sur Billboard pour
se retrouver à la première place devant les Beatles ! Pour moi, c’était bien plus
gratifiant qu’un Oscar ! »3

Le cinéma fait donc vendre des disques et inversement. L’échange de bons


procédés s’amplifie dans les années soixante avec les parutions en vinyle de
Quatre Garçons dans le Vent ou Le Lauréat, véritables mètre-étalons de la B.O.
à succès. On notera toutefois que ce plébiscite concerne plus rarement les scores
instrumentaux qui s’éternisent volontiers dans les bacs des disquaires. Il faudra
d’ailleurs attendre les thèmes sifflés d’un Ennio Morricone, les fameux réenregis-
trements RCA dirigés par Charles Gerhardt ou les quatre millions d’exemplaires
vendus du double 33 tours de La Guerre des Étoiles pour sortir les partitions or-
chestrales de leur confidentialité.

Dans l’Hexagone, en parallèle de ces faits d’armes, quelques précieux dé-


fenseurs tels Alain Lacombe, Claude Rocle, François Porcile, Bertrand Borie,
s’activent à mettre en avant le talent des compositeurs pour l’image et encoura-
gent l’édition discographique. À partir des années 90, la musique de film s’affiche
sur des fanzines, des revues professionnelles. On organise des concerts, des festi-
vals – plutôt rares jusqu’alors – puis l’offre discographique s’élargit. Les studios
Warner, Universal, Paramount, et divers ayants droit autorisent la publication de
trésors enfermés dans leurs archives depuis les enregistrements. L’historien Sté-
phane Lerouge déploie ainsi une collection d’albums d’une richesse inédite en
France. À l’étranger, même engouement avec les sorties régulières des labels Va-
rèse Sarabande, Intrada, Film Score Monthly, Quartet, GDM... L’âge d’or de la
B.O. arrive enfin au grand dam de collectionneurs quelque peu fatigués d’avoir
attendu si longtemps la sortie d’un disque de Georges van Parys, la partition reje-
tée de 2001, l’Odyssée de l’Espace, l’intégrale de Ben-Hur, etc. Du côté de la
profession, ces redécouvertes tardives permettent à des maestros vétérans de trou-
ver de jeunes collaborateurs, à l’exemple d’Éric Demarsan ou Philippe Sarde, et
influencent au passage une nouvelle génération d’artistes. La nostalgie s’invite
dans la bande-son d’un cinéma mondial qui, faute d’audace, se tourne vers son
passé.

Cependant, au gré des œuvres produites, plusieurs questions (re) surgis-


sent et non des moindres : comment concilier les recettes musicales du Septième
art d’antan avec le réalisme croissant des longs-métrages contemporains ? La mu-
sique n’est-elle pas l’ennemie du cinéma-vérité ? Quelle est la place du composi-
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teur face à l’image désacralisée ? Celle d’un véritable créateur ? Celle d’un techni-
cien au service des ambiances à pourvoir ? Et plus généralement, doit-on faire
table rase des références culturelles du XXe siècle pour avancer vers de nouveaux
horizons ? Devant ces interrogations, un vieux postulat littéraire frappe à la porte
des futurs prétendants : on n’écrit pas de livres sans en avoir lu ! Autrement dit,
quelles que soient les directions à prendre, la nécessité de visiter, voire d’assimiler
les œuvres d’hier apparaît fondamentale pour les apprentis sorciers de demain. À
ce titre, nos rencontres régulières avec les étudiants en audiovisuel ont pleinement
encouragé l’écriture de cette anthologie. Depuis la révolution numérique, l’accès
instantané au patrimoine a transformé durablement le rapport à la culture.
L’immédiateté propre aux réseaux mondiaux de communications représente une
avancée indéniable sur le terrain de l’apprentissage. Mais devant la somme des
contenus mis à disposition, quid des choix à opérer ? Comment discerner la portée
artistique ou socioculturelle d’une référence sans se perdre au détour d’un extrait
vidéo, d’un téléchargement ou d’un avis dithyrambique ?

Le lecteur trouvera dans cet ouvrage 357 bandes originales qui ont partici-
pé à l’histoire du cinéma et de la télévision de 1930 à 2000. La sélection non ex-
haustive opérée parmi des milliers de titres découle bien entendu de plusieurs cri-
tères et d’une question centrale : qu’est-ce qu’une bonne ou grande musique de
film ? Si, devant la variété des styles et des genres, il apparaît difficile de répondre
avec certitude, on peut toutefois considérer qu’une réussite notable en la matière
relève d’un dialogue ouvert entre deux auteurs aux intérêts divergents : un réalisa-
teur aux prises avec la dimension collective de son art qui rêve d’une paternité
totale, et un musicien qui, tout en servant la cause commune, souhaite exister au-
delà du contexte cinématographique. Au mieux, dans la mêlée, le premier laisse
au second le soin d’interpréter en toute liberté « son » œuvre filmique. Au pire, le
metteur en scène ferme le dialogue et prescrit la voie esthétique ou quantitative à
suivre. À l’aune des nombreux témoignages cités en aval, il semblerait que les
bons scores issus de mésententes avérées soient assez rares et confirment qu’un
climat de confiance réciproque est garant d’un certain accomplissement.

De manière éclatante, le XXe siècle aura été le pourvoyeur de formidables


duos interactifs, jugez plutôt : Bernard Herrmann et Orson Welles ou Alfred Hit-
chcock, Georges Delerue et François Truffaut, Jerry Goldsmith et Franklin
Schaffner, Michel Legrand et Jacques Demy, John Williams et Steven Spielberg,
Alex North et John Huston, Maurice Jarre et David Lean ou Peter Weir, Nino
Rota et Federico Fellini, Francis Lai et Claude Lelouch, Philippe Sarde et Claude
Sautet, Ennio Morricone et Sergio Leone… pour ne citer qu’un petit florilège de
fameuses alliances. En les écoutant au plus près, on remarque que ces associations
mettent en évidence un processus partagé par la majorité des convives : la mise à
mal progressive, mais non définitive, de la tapisserie sonore des premiers feux de
l’image en mouvement. Car pour la plupart des cinéastes modernes, l’enjeu est de
rompre avec les techniques du Mickeymousing, de lutter contre le pléonasme ou le
déjà entendu, bref, d’ouvrir le champ des possibles. Le fait est qu’une collabora-
tion totale avec le dernier intervenant du film peut également prendre des allures
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de lâcher-prise, « le compositeur se place dès lors dans une perspective délibéré-
ment contraire à toute idée de commentaire et d’illustration, remarque François
Porcile. La musique ne soutient pas l’image, elle lui ajoute du sens, la propre lec-
ture du musicien. »4 En conséquence, la bande originale influe sur la perception
du film auprès du public ; elle prolonge, transforme, les intentions originelles des
auteurs du projet cinématographique.

À partir de ce constat, nous avons pris soin de retenir les B.O. les plus
emblématiques de cette tendance marquée. Des scores aux identités bien trem-
pées, distingués par les pairs de la discipline, et reconnus des médias spécialisés.
Parmi tous les grands classiques évoqués, nous avons aussi veillé à glisser quantité
de travaux moins célébrés, mais dont la portée, le charme ou l’aspect précurseur
se sont confirmés avec les ans. En outre, le choix limité des titres retenus émane
d’un second parti pris raisonné : l’exclusion du cinéma asiatique et de la comédie
musicale – deux entités nécessitant, selon nous, de copieuses explorations indivi-
duelles. Sur le plan formel, le classement par ordre alphabétique a été retenu afin
de faciliter la consultation des titres présentés. Pour chaque film, le lecteur trouve-
ra les informations additionnelles suivantes : le titre original, le réalisateur, le pro-
ducteur, le distributeur, le compositeur, et l’année de sortie en salle. Enfin, sur le
plan rédactionnel, la priorité a été donnée aux témoignages des artistes mention-
nés dont certaines paroles, issues d’interviews, d’articles ou de biographies en
langues étrangères, ont été traduites pour la première fois en français.

*score (partition ou bande musicale) : mot d’origine anglaise, très largement utilisé
par les professionnels et les mélomanes francophones.
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1. Les Conflits de la Musique Française, 1940-1965 – François Porcile, éd. Fayard, 2001.
2. Musique et Cinéma, Le Mariage du Siècle ? – N.T. Binh, éd. Acte Sud / Cité de la
Musique, 2013.
3. Main Title / Musique à l’Écran n°2, décembre 1992.
4. Analyse faisant suite à un témoignage de Maurice Jarre (Les Conflits de la Musique
Française).

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Petites Histoires
de A à Z

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ADIEU À VENISE Anonimo Veneziano
Réalisé par Enrico Maria Salerno - Production : Turi Vasile (Ultra film / MGM)
Musique de Stelvio Cipriani - 1970

Éternel second couteau de la musique de film italienne, Stelvio Cipriani débute sa


carrière comme pianiste de variété, puis découvre le cinéma via de nouveaux en-
gagements : « Lorsque j’ai signé avec l’orchestre Unione Musicisti Di Roma, ra-
conte le maestro, j’ai commencé à jouer dans des sessions d’enregistrement… À
cette époque, je travaillais dans des studios liés à la musique de film. J’ai joué sur
plusieurs bandes originales de Nino Rota pour Fellini et je fus témoin de leurs
échanges en la matière ; idem avec le tandem Giovanni Fusco / Antonioni. De ce
fait, quand ce fut mon tour de composer, je savais de quoi il retournait… » La
mélodie au piano d’Adieu à Venise fait vite le tour du monde et proclame la verve
sentimentale de son auteur. « Toutefois, ce n’est pas moi mais Arnaldo Graziosi
qui interpréta le thème principal. C’est un grand pianiste et une personne merveil-
leuse. Quand il fut accusé d’avoir tué sa femme, la télévision italienne me deman-
da mon avis. Je leur fis alors entendre le disque d’Adieu à Venise en m’excla-
amant : "Voilà Arnaldo Graziosi !" Il est très sensible et d’une rare courtoisie.
C’est un ami précieux et bien qu’il ait passé très injustement quinze ans en prison,
je n’ai jamais douté de son innocence. » Outre ses ritournelles aux frontières de la
variété, Stelvio Cipriani signera des scores remarquables pour quelques longs-
métrages oubliés (Les Émotions d’un Jeune Voyeur, Blondy, entre autres).
Anonimo Veneziano : éd. Digitmovies (cd).

L'AFFAIRE THOMAS CROWN The Thomas Crown Affair


Réalisé par Norman Jewison - Production : Hal Ashby, Norman Jewison, Walter
Mirisch (United Artists)
Musique de Michel Legrand - 1968

La genèse musicale de L'Affaire Thomas Crown est à l'image de Michel Le-


grand : imprévisible, virtuose, hors norme. Le musicien s'installe à Los Angeles en
1967 avec l'intention d'échapper au ronronnement avéré d'un certain cinéma fran-
çais. Passé quelques premières productions mineures, il se retrouve plongé au
cœur de la machine hollywoodienne grâce à Henry Mancini* qui le recommande
au réalisateur. Pour l’artiste français, l'aventure commence par une longue projec-
tion : « C'est un coup de massue : le bout à bout dure cinq heures, se souvient Le-
grand. Tout de suite, Norman et Hal essayent de me rassurer : "Ne t'inquiète pas !
Il nous reste encore deux mois. Dès demain, on commence vraiment le montage,
bien que l'on ne sache pas exactement par où l'entamer..." À cet aveu, je réalise
que le nœud de l'intrigue, c'est-à-dire les cambriolages de Thomas Crown, occupe
uniquement vingt minutes du film. Et que tout le reste est lié indirectement à
l'intrigue et peut avoir une durée variable (...) Brusquement, j'ai un flash. Sans
vraiment réfléchir, je lance à Norman et Hal : "Prenez six semaines de vacances
avant d'entamer le montage ! Pendant ce temps-là sans jamais revoir une seule
image, je vous écris une heure et demie de musique..." » Un pari fou, quasi im-
probable dans un tel contexte. Pourtant, Legrand rafle la mise avec une partition
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jazz / baroque vissée à l'esprit du film. Tout chauvinisme mis à part, The windmills
of your mind** serait-elle la plus belle chanson d'amour de l'histoire du cinéma ?
The Thomas Crown Affair : éd. Quartet (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1969.
Oscar de la meilleure chanson originale 1969.
*Indisponible pour écrire le score, mais fair-play !
**La chanson du film sera adaptée en français par Eddy Marnay sous le titre :
"Les Moulins de Mon Cœur".

L'AFRICAIN
Réalisé par Philippe de Broca - Production : Claude Berry, Pierre Grunstein
(Amlf)
Musique de Georges Delerue - 1983

Sans crier gare, le départ de Georges Delerue pour Hollywood met fin au duo
flamboyant qu'il forme avec Philippe de Broca. « Entre Georges et moi, il n'y a
pas eu de rupture, avoue le metteur en scène, simplement un éloignement progres-
sif. J'habitais Paris, lui Los Angeles... On avait chacun nos vies, séparées par
quelques milliers de kilomètres. On s'est toutefois retrouvé sur deux films, L'Afri-
cain et Chouans ! Pour le premier Georges était revenu en France : on a donc
renoué avec nos vieilles habitudes. Car mon bonheur c'était d'aller chez lui, près
du lac d’Enghien, l'écouter me proposer des thèmes... Là, je lui avais dit : "Je
voudrais une ouverture qui coule comme un grand fleuve africain, vaste, boueux,
irrémédiable…" Il s’est mis à son clavier et, déjà, je visualisais sa musique. » Cette
proximité de Broca ne la retrouvera pas sur Chouans !, pourtant formidable parti-
tion, et se tournera ensuite vers d'autres musiciens. L'Africain apparaît du coup
comme la somme d'une collaboration. Une bande originale qui résume trente ans
de cinéma échevelé où l'aventure rime avec la comédie, l'amour avec la mélanco-
lie. L'émouvant Face to face qui ouvre l'album en chanson, demeure l'un des plus
beaux thèmes composés par Delerue pour le cinéaste.
L'Africain : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).

AGNÈS DE DIEU Agnes of God


Réalisé par Norman Jewison - Production : Norman Jewison (Columbia Pictures)
Musique de Georges Delerue - 1985

« Je ne me décrirais pas comme quelqu’un de religieux, déclare Delerue dans les


années quatre-vingt, ceci dit, même avant d’écrire pour le cinéma, pas mal de gens
trouvaient que ma musique avait un côté mystique. Je ne peux pas vraiment me
l’expliquer… Cela provient peut-être d’une partie de ma personnalité qui m’est
inconnue. » À l’aune de cette spiritualité présente dans grand nombre de ses parti-
tions, Norman Jewison choisit Delerue en l’incitant à écrire pour la voix : « Je l’ai
encouragé à composer des morceaux pour chœurs que nous pourrions mélanger à
l’orchestre ou utiliser a cappella. Georges pensait aussi que suite au miracle, la
partition devait gagner en lyrisme… Sans sa musique, mon film serait demeuré
trop théâtral. Delerue l’a rendu très réel, l’a humanisé. Il soutenait les scènes en
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douceur plutôt que d’y entrer par effraction. Son travail est d’une grande délica-
tesse d’une grande sensibilité au jeu des comédiennes, à la lumière, au mouve-
ment de caméra… J’ai le sentiment que, pour écrire et diriger cette œuvre,
Georges Delerue a trouvé au fond de lui-même une profonde inspiration reli-
gieuse. »
Agnes of God : éd. Varèse Sarabande (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1986.

L’AIGLE DES MERS The Sea Hawk


Réalisé par Michael Curtiz - Production : Hal B. Wallis (Warner Bros.)
Musique d’Erich Wolfgang Korngold - 1940

La dernière contribution d’E.W. Korngold au film d’aventure hollywoodien – ou


swashbuckler – relève de l’exploit : 115 minutes de musique particulièrement com-
plexe (bande-annonce incluse !), composées et enregistrées en moins sept se-
maines. « Lorsque nous avons ouvert nos partitions, nous avons été éberlués, se
souvient Eleanor Aller, premier violon du Warner Bros. Orchestra. La page était
noircie de notes… Pour nous tous, L’Aigle des Mers fut vraiment quelque chose
de différent. Cela équivalait au Don Juan de Richard Strauss ! C’était vraiment
très difficile, chaque instrument était traité comme un virtuose. » Par la même, la
mouvance de cette partition unique dessine un esthétisme qui influence toute une
communauté : « À l’époque, Korngold était le meilleur compositeur de musique
de film, remarque André Previn. Et nombre de ses confrères se mirent à le copier.
C’est ainsi que le son qu’il avait créé devint une espèce de synonyme
d’Hollywood, et que rapidement ce terme fut utilisé pour dénigrer sa musique. En
vérité, ce n’est pas Korngold qui sonnait façon Hollywood, mais une grande par-
tie de la musique de film qui commençait à sonner comme du Korngold. » De
Max Steiner à John Williams, en passant par David Raksin, la plupart des grands
symphonistes du cinéma américain ont subi l’influence des vingt bandes originales
écrites par le musicien autrichien.
The Sea Hawk : éd. Varèse Sarabande et Naxos (réenregistrements, cd).

AIRPORT Airport
Réalisé par George Seaton - Production : Ross Hunter (Universal Pictures)
Musique d’Alfred Newman - 1970

Figure paternaliste du système musical hollywoodien, Alfred Newman ne cessera


de clamer haut et fort la passion de son métier. Il ne composera du reste que pour
le cinéma en prenant soin d'éviter tout systématisme. L'énergie contenue dans
cette ultime B.O. laisse pantois. Airport s'ouvre sur un générique endiablé aux
allures de mambo symphonique, enchaine avec des romances jazzy (Love theme,
Inez' theme), une marche pleine d'humour (Ada Quonsett, stowaway), pour atterrir
dans une extrême tension orchestrale (Emergency landing). À l'orée d'une décennie
mouvementée, tout est déjà là pour définir un genre en pleine explosion : le film-
catastrophe. John Williams s'en souviendra pour ses futurs travaux (La Tour In-
fernale, Tremblement de Terre), idem pour John Cacavas (747 en péril, Les
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Naufragés du 747) et accessoirement Lalo Schifrin (Airport 80 : Concorde). At-
teint d'un emphysème pulmonaire, Alfred Newman ne pourra pas diriger l'album
du film, confié à Ken Darby et Stanley Wilson. Il décèdera un mois avant son
soixante-dixième anniversaire.
Airport : éd. Decca / MCA (réenregistrement d’époque, lp, cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1971.

ALAMO The Alamo


Réalisé par John Wayne - Production : John Wayne (United Artists)
Musique de Dimitri Tiomkin - 1960

Le 5 octobre 1959, Dimitri Tiomkin rejoint le tournage d’Alamo avec deux chan-
sons sous le bras (Here’s to the ladies /Tennessee babe), afin de superviser leurs inter-
prétations sur le plateau. John Wayne souhaite donner à son premier film une
imposante dimension musicale, et permettre à Frankie Avalon ou Ken Curtis de
chanter lors des séquences festives. Il demande également à Tiomkin de réutiliser
El Deguello (composé pour Rio Bravo) comme thème d’ouverture. Quelques mois
après cette immersion sur le plateau, le musicien livre une partition mammouth
estimée à 2h20 qui, malgré sa magnificence, ne sauvera pas le film de son échec
commercial. « Pour apprécier l’effet d’une musique sur un film et estimer ce
qu’elle lui apporte, déclare Tiomkin, il faudrait le visionner avant et après l’ajout
du score. Non seulement tous les effets dramatiques sont rehaussés, mais, dans la
plupart des cas, les visages, les voix et même les personnalités des acteurs sont
altérés par la musique… Je suis toujours malheureux quand un réalisateur insiste
pour avoir de la musique tout au long du film. Il y a des scènes où elle est dispen-
sable, et lorsqu’il insiste pour en rajouter, cela m’afflige. J’en tremble même, me
demandant si je dois assister à la projection au milieu des spectateurs qui ont mal
aux oreilles. Qu’arriverait-il s’ils me reconnaissaient ? » Malgré ses angoisses de
créateur, Tiomkin sera le grand vainqueur de la bataille d’Alamo avec ce clas-
sique du western moult fois réédité en vinyle* et cd.
The Alamo : éd. Sony (cd) et Tadlow (réenregistrement complet, cd).
*À l’origine, la compagnie Columbia Records avait prévu un double 33 tours,
mais devant les mauvais résultats des projections tests, l’album définitif ne com-
portera qu’un seul disque.
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1961.

ALEXANDRE LE BIENHEUREUX
Réalisé par Yves Robert - Production : Danièle Delorme, Yves Robert
(Warner Bros.)
Musique de Vladimir Cosma - 1968

À quelques semaines de son grand départ pour l'Amérique, Michel Legrand reçoit
un coup de fil d'Yves Robert. Le cinéaste envisage de lui confier la musique de
son nouveau film. Hélas, le planning est trop serré et Legrand décline l'offre. Té-
moin de la conversation, son arrangeur Vladimir Cosma tente sa chance : « J’ai
timidement osé dire : "Michel, je suis disponible pendant trois mois avant de vous
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rejoindre en Amérique, ne pourriez-vous pas essayer de le rappeler ? Ce serait une
belle chance pour moi de composer la musique d'un film..." Après deux secondes
de réflexion et sans me dire un mot, il appelle Yves Robert sur le tournage du film
en question. "Allo Yves ! Je vais te faire un grand cadeau…" » Ainsi naissent l'une
des plus longues collaborations du cinéma français et le premier succès d'un com-
positeur incontournable. Cosma aborde Alexandre le Bienheureux avec l'idée de
symboliser les personnages par des instruments solistes. Le musicien choisit la
cithare pour accompagner les frasques de Philippe Noiret et l'ocarina basse pour
celles de son petit chien. Ce principe dérivé de Prokofiev se poursuivra au fil de
nombreux films, dont ceux de Pierre Richard. Mention spéciale pour la splendide
chanson Le ciel, la terre et l'eau interprétée par Isabelle Aubret. Une B.O. empreinte
de poésie.
Alexandre le Bienheureux : éd. Larghetto music (cd).

ALEXANDRE NEVSKI Александр Невский


Réalisé par Sergueï M. Eisenstein - Production et distribution : Mosfilm
Musique de Sergueï Prokofiev - 1938

L’œuvre concertante et cinématographique de Prokofiev constitue un repère mu-


sical qui traverse les générations. De John Williams à James Horner ou Hans
Zimmer*, la grande majorité des compositeurs confrontés à l’imagerie spectacu-
laire du Septième art lui sont redevables. L’un de ses apports les plus discrets dans
l’art de la bande musicale intervient de manière prophétique. Plongé dans le film
d’époque, Prokofiev déroge aux règles des partitions historiques et choisit
l’anachronisme : « L’action située au XIIIe siècle, est bâtie sur deux éléments op-
posés : d’un côté les Russes et de l’autre les croisés teutons. La tentation naturelle
était d’employer de la musique de l’époque, mais l’étude des chants catholiques a
montré que, durant sept siècles, ils s’étaient tellement éloignés de nous, et que leur
contenu émotif nous était devenu si étranger, qu’ils ne suffisaient plus à satisfaire
l’imagination du spectateur. Voilà pourquoi il était beaucoup plus intéressant de
les interpréter non pas comme ils l’avaient été à l’époque de la bataille sur la glace,
mais ainsi que nous les ressentons actuellement. » Une conception validée et sa-
luée par Sergueï Eisenstein : « Prokofiev sait si joliment rendre en musique le
temps jadis, sans recherche d’archaïsme, sans pastiche, en recourant à ce qu’il y a
de plus extrême, de plus risqué, de plus abrupt dans la musique ultra moderne. »
Cet acte salutaire participera à l’évolution de la musique à l’écran.
Alexander Nevski : éd. RCA / BMG (dirigé par Yuri Temirkanov, cd).
*On retrouve l’influence de Prokofiev dans des B.O. telles que la trilogie Star
Wars, Superman le film (cf. Pierre et le loup), Willow (cf. Roméo et Juliette), Gladia-
tor (cf. Lieutenant Kijé)…

ALIEN, LE HUITIÈME PASSAGER Alien


Réalisé par Ridley Scott - Production : Gordon Carroll, David Giler, Walter Hill
(20th Century Fox)
Musique de Jerry Goldsmith - 1979

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La postproduction d’Alien amorce son ultime chapitre à la fin de l’année 1978.
Sur les recommandations de Lionel Newman*, chef du département musique de
la Fox, Jerry Goldsmith est convié au visionnage d’un montage non définitif de
127 minutes : « J’étais tout seul dans la salle de projection et complètement terri-
fié. J’avais beau me répéter : "ce n’est qu’un film, ce n’est qu’un film…", j’étais
terrifié au plus haut point… Ce qui était plutôt bon signe, car cela allait m’aider à
écrire la partition. » Peu enclins au dialogue, Ridley Scott et son monteur Terry
Rawlings préparent un programme de musiques temporaires, afin de guider le
travail de Goldsmith. « En plaçant sur plusieurs séquences des extraits orches-
traux de mon travail sur Freud (1962), ils pensaient me faire plaisir, poursuit le
musicien, mais en fait j’ai détesté. J’aurais préféré qu’ils utilisent des morceaux de
quelqu’un d’autre. » Le compositeur passe outre ces indications et crée une grande
symphonie spatiale mi-romantique, mi-avant-gardiste, trouée de sonorités tradi-
tionnelles (didgeridoo, conque indienne, serpent médiéval). « J’ai proposé d’écrire
une ouverture très romantique, très lyrique, afin que les premiers chocs émergent
du déroulement de l’intrigue. Une manière de dire : "Ne dévoilez pas tout dès le
générique !" Mais cela ne s’est pas très bien passé. Ridley et moi étions en désac-
cord à ce sujet. » Finalement, Goldsmith sera contraint de réécrire une partie du
score et le réalisateur conservera les extraits de Freud dans la bande-son du film.
Alien : éd. Intrada (cd).
*Également chef d’orchestre de la B.O. et d’autres musiques de Goldsmith néces-
sitant un important travail de mixage en cabine.

ALPHAVILLE
Réalisé par Jean-Luc Godard - Production : André Michelin (Athos Films)
Musique de Paul Misraki - 1965

Les réalisateurs de la Nouvelle Vague n’attirent guère les icônes de l’arrière-garde


musicale dans leur création. « Les temps changent, remarque l’historien Stéphane
Lerouge, une profonde mutation s’instaure, y compris pour des musiciens comme
Georges Auric, Joseph Kosma ou Georges van Parys : associés au cinéma
"d’avant" et sévèrement négligés par les jeunes metteurs en scène ; l’époque sonne
leur chant du cygne. De cette génération, Paul Misraki sera le seul compositeur à
franchir le barrage de la Nouvelle Vague. » Et l’épreuve du feu se révèle fructueuse
pour l’auteur de Comme tout le monde. Après Claude Chabrol, Jean-Luc Godard le
choisit pour une B.O. dramatique écrite au premier degré. « J’ai composé Alpha-
ville sans voir une seule image du film, note Misraki, uniquement sur lecture du
scénario. Dès cette étape, j’ai compris l’importance du cadre, une ville froide,
inhumaine, détraquée… D’où cette partition plutôt effrayante : je me souviens
d’une valse tellement triste qu’elle en devient tragique. Le mixage du film fut as-
sez drôle (…) Godard avait poussé la musique si fort qu’on ne comprenait plus le
dialogue ! » On peut regretter que le cinéaste ait morcelé le splendide générique du
film, dont la verve rappelait celle de Miklós Rózsa pour Le Monde, La Chair et
Le Diable.
Alphaville : éd. Pomme music / Sony (cd).

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AMICALEMENT VÔTRE The Persuaders
Série britannique produite par Robert S. Baker (ITC)
Thème musical de John Barry - 1971

L’instrumentiste globe-trotter John Leach* fournit à John Barry de quoi étancher


sa soif de sonorités nouvelles. « Pour le générique d’Amicalement Vôtre, je vou-
lais un son étrange, raconte le compositeur. Je me suis donc rendu chez Leach,
qui habitait à Fulham dans une maison pleine d’instruments bizarres. On pouvait
à peine entrer ! Il me présenta un kantele, une vieille cithare de Finlande, qu’il
m’encouragea à utiliser pour doubler le son du cymbalum. Ce n’était pas un ins-
trument chromatique, il avait une échelle musicale particulière que j’aimais beau-
coup. J’ai donc écrit le thème en fonction de ses possibilités. » Afin de compléter
ces sonorités traditionnelles, Barry inscrit Amicalement Vôtre dans la modernité
à l’aide d’un synthétiseur Moog et d’une section rythmique. « J’ai enregistré le
morceau au studio de George Martin** à Oxford Circus. Il était avec nous dans la
pièce et nous a fait une ou deux suggestions concernant la balance et quelques
gadgets. Là-bas, il était comme un gamin devant un château de sable. Nous avons
utilisé beaucoup de réverbération et d’effets de studio. » John Barry s’étonnera
toujours de la popularité de son thème : « C’est surprenant car il est en 3/4 de
temps, alors que tout le rock n’roll est en 4/4. Je suppose que les gens apprécient
son entrainante ligne de basse et la simplicité de la mélodie. »
The Persuaders : éd. Columbia (cd).
*Spécialiste britannique du cymbalum, interprète de nombreuses B.O. (La Fille de
Ryan, Gandhi, etc.)
**Producteur des Beatles.

ANGÉLIQUE, MARQUISE DES ANGES


Réalisé par Bernard Borderie - Production : Francis Cosne (SN Prodis)
Musique de Michel Magne - 1964

Michel Magne arrive dans le cinéma des années soixante tel un boulet de canon.
Manipulant tous les genres musicaux avec la même vélocité (jazz, classique, va-
riété, musique contemporaine...), il devient vite le compositeur à la mode au sein
des productions grand public. Le cycle des Angélique représente assurément la
quintessence de sa capacité à capter le cœur des spectateurs. Construit autour d'un
grand thème romantique, son score lorgne volontiers le Classicisme hollywoodien
et ses élans emphatiques. Au fur et à mesure des intrigues, Magne multiplie ses
variations, ses ambiances (parfois exotiques), sans jamais trop s'éloigner de son
intention mélodique. « Ma musique du sirop ? Disons que le sirop que je compose
je l'aime bien, je ne cracherais pas dessus, déclarait-il en 1977. D'abord, le public
me le rend bien et ce ne sont pas des mélodies que je refuse, au contraire, je les
aime bien. C'est très difficile de faire une mélodie, c'est souvent plus difficile que
de faire une musique contemporaine... Mon souci est de plaire à un grand
nombre. Plaire à deux mille personnes ne m'intéresse pas. » Plusieurs fois réédi-
tées ou réutilisées (spectacles, remake), la musique d'Angélique, Marquise des
Anges continue de séduire toutes les générations.
24
Angélique, Marquise des Anges : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(cd).

ANTENNE 2, DÉBUT ET FIN DE PROGRAMME (Emmanuel)


Génériques mis en image par Jean-Michel Folon.
Musique de Michel Colombier - 1975

Bien disparu le temps où la télévision avait une fin. Nos petites lucarnes ne rever-
ront sans doute jamais les dessins de Folon prendre vie sur la musique de Michel
Colombier, auteur méconnu de ces apartés poétiques. « Je me suis fait à l’habitude
de rester dans l’ombre, avoue le compositeur, le manque de notoriété ne m’a ja-
mais frustré. Le générique de fin de programme d’Antenne 2 ou celui de Salut les
copains, personne n’a jamais su que c’était de moi. J’ai été le nègre de Michel
Magne à mes débuts, j’ai grandi comme ça. Mon père avait des principes très
stricts, il était très pur. Il disait que l’artiste est au service de l’Art et non
l’inverse. » Malgré cette relative discrétion, le compositeur participe à l’esthétisme
musical des années 70 ; il écrit le thème Emmanuel en hommage à son jeune fils
disparu (l’album Wings - 1971), signe plusieurs B.O. notables (Un Flic, L’Héri-
tier…), puis s’envole pour l’Amérique. « J’ai su me plier aux contraintes d’Hol-
lywood, faire le caméléon, me comporter parfois comme une éponge. C’est pour
ça que ça a marché très vite et très bien. » En 1982, Michel Colombier reviendra
en France pour écrire la partition-fleuve du drame musical Une Chambre en Ville
de Jacques Demy.
Wings : éd. A&M (cd).

ANTOINE ET CLÉOPÂTRE Antony and Cleopatra


Réalisé par Charlton Heston - Production : Peter Snell
(The Rank Organisation, Warner Bros.)
Musique de John Scott - 1972

Monteur son, puis image, de quelques classiques du cinéma britannique, Eric


Boyd-Perkins conserve un souvenir superlatif du score d’Antoine et Cléopâtre :
« Je me rappelle vivement John Scott dirigeant sa partition magique à la tête du
London Philharmonic Orchestra au grand complet… L’orchestre tout entier se
levant et applaudissant après la première prise du générique est quelque chose
dont je n’avais jamais été témoin auparavant, et auquel je n’ai jamais assisté de-
puis. » Le chef-d’œuvre de John Scott a de quoi surprendre en effet ; à l’heure où
le péplum n’est plus – l’échec du film sera sans appel – le compositeur ravive la
flamme des grands maîtres d’antan. « Certaines parties de la partition ont été
écrites à la bougie durant les pannes d’électricité londoniennes de mars 1972, pré-
cise Scott. J’étais très nerveux en composant la bande originale d’Antoine et
Cléopâtre. Peter Snell, le producteur, avait rejeté un premier score qui n’avait pas
donné satisfaction. Il s’agissait d’un film très long, avec beaucoup de musiques
différentes, et j’avais très peu de temps, environ un mois. C’était aussi la première
fois que je travaillais avec un orchestre de cette taille et des chœurs. Je m’estime

25
chanceux de m’en être si bien tiré. Après cette expérience, j’étais beaucoup plus
confiant. »
Antony and Cleopatra : éd. Polydor (lp) et JOS (réenregistrement, cd).

APOCALYPSE NOW Apocalypse Now


Réalisé par Francis Ford Coppola - Production : Francis Ford Coppola
(United Artists)
Musique de Carmine Coppola et Francis Coppola - 1979

Réduire la bande originale d'Apocalypse Now à The end (The Doors) ou La che-
vauchée des Walkyries (Richard Wagner) est omettre l'excellence du travail des
Coppola et du sound designer Walter Murch. La musique électronique d'Isao
Tomita, très à la mode en 1978, influence le concept sonore originel du film*. Le
réalisateur demande tout d’abord à Carmine Coppola de composer une partition
de forme classique, orchestrée pour divers pupitres, qu'il fait ensuite interpréter sur
une batterie de synthétiseurs et de percussions. Puis, l'avènement du son Dolby
Stéréo offrant désormais de nouvelles possibilités en matière de mixage, Francis
Coppola ajoute une dimension inédite au travail de son père : « Comme je souhai-
tais démontrer la puissance discrète du son quadriphonique, j’ai invité quelques
amis parmi lesquels Walter Murch et Georges Lucas. J’ai éteint les lumières et ils
se sont assis dans le noir en écoutant les effets de spatialisation et la vitalité de
l’expérience quadriphonique. C’était les débuts du Dolby Split – Surround (le
format 5.1) qui fut développé par Walter Murch et utilisé pour la première fois
dans Apocalypse Now… » Outre l'aspect novateur du processus, on est surtout
frappé aujourd'hui par l'indémodable musicalité de cette B.O. dans laquelle le
bruit devient musique et vice-versa.
Apocalypse Now : éd. Elektra (2lp et 2cd avec effets sonores et dialogues - score,
lp, cd - 1979).
Apocalypse Now Redux : éd. Nonesuch (score version longue, cd - 2001).
*David Shire composera également une première B.O. rejetée qui laissera des
traces notables dans le travail des Coppola.

L’ARME FATALE Lethal Weapon


Réalisé par Richard Donner - Production : Richard Donner, Joel Silver
(Warner Bros.)
Musique de Michael Kamen, Eric Clapton et David Sanborn - 1987

Un travail d’équipe sans frontière. Durant la postproduction de L’Arme Fatale, le


chef monteur Stuart Baird propose à Richard Donner de donner à son film une
couleur particulière. « Il avait utilisé comme musique temporaire Edge of darkness,
précise Michael Kamen, un morceau que j’avais écrit avec Clapton pour un télé-
film anglais. Cela plaisait beaucoup au réalisateur qui aimait le son de la guitare
avec l’orchestre. Richard Donner voulait savoir si Eric Clapton souhaitait faire la
musique avec moi. On m’a donc fait parvenir le script que j’ai trouvé trop vio-
lent… Mais Eric m’a appelé en me disant : "Écoute, j’aimerai bien faire ça, car
j’adore Mel Gibson." » À la vision du film terminé, Kamen est séduit par l’hu-
26
Michael Kamen (1948-2003) 27
mour et l’osmose du duo de comédiens : « Il y a un dialogue constant entre Mel et
Danny Glover, très énergique, très drôle. J’ai aimé immédiatement et donc j’ai
signé. Là-dessus, le monteur me dit : "J’ai la guitare pour le personnage de Mel,
mais je voudrais un saxo pour celui de Danny." J’aimais cette idée de contraste et
nous avons choisi le meilleur saxophoniste : David Sanborn. » Situés à différents
endroits du globe, les trois musiciens enregistreront séparément chacune leur par-
tie (l’orchestre à Los Angeles, la guitare à Londres, le saxo à La Barbade) pour un
mixage final détonant !
Lethal Weapon : éd. La-La Land (cd).

L’ARMÉE DES OMBRES


Réalisé par Jean-Pierre Melville - Production : Jacques Dorfmann (Valoria Films)
Musique d’Éric Demarsan - 1969

Jean-Pierre Melville remarque Éric Demarsan lors de l’enregistrement du Samou-


raï au studio Davout, en 1967. Le jeune musicien dirige la partition de François
de Roubaix et suscite l’intérêt du cinéaste. Deux ans plus tard, il est appelé pour
composer le score de L’Armée des Ombres avec un minimum d’indications :
« Melville m’a donné très peu de directives, je lui ai apporté la musique thème par
thème, sans avoir vu la moindre image. Pour le thème de Gerbier (Lino Ventura),
il m’a juste demandé d’écrire quelque chose de grave, ample, dépouillé, mais
néanmoins lyrique. Quant à l’ambiance du film, il m’a dit qu’il ne s’agissait pas
d’un film de guerre avec des combats, mais d’un film sur la résistance, sur des
hommes discrets… pour lui, c’était un film discret et la musique ne devait pas être
emphatique. » Satisfait des compositions originales du musicien, Melville lui de-
mande toutefois de s’inspirer du Spirituals for orchestra de Morton Gould pour la
séquence de la prison. « Comme il avait tourné puis monté la scène en rythme
avec cette musique, il m’a incité à écrire quelque chose de ressemblant, mais
j’étais convaincu qu’il ne conserverait pas mon morceau. Et c’est ce qui s’est pas-
sé… La musique de Gould a un tel souffle, une telle vie par elle-même, que c’était
impossible à refaire. » Souvent crédité à Demarsan, le Spirituals for orchestra réap-
paraîtra à la télévision sur le générique de l’émission Les dossiers de l’écran.
L’Armée des Ombres : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).

L’ARNAQUE The Sting


Réalisé par George Roy Hill - Production : Tony Bill, Julia Philips et Michael
Philips (Universal Pictures)
Musique de Scott Joplin, adaptée par Marvin Hamlisch - 1973

Durant l’automne 1972, George Roy Hill découvre les compositions de Scott Jo-
plin par l’intermédiaire de son fils ainé, grand amateur de l’artiste autodidacte. Il
échafaude alors l’accompagnement musical de L’Arnaque. « Bien que les rag-
times aient été écrits avant l’époque du film, vers le début du XXe siècle, remarque
le cinéaste, je gardais en tête la connexion entre l’humour merveilleux, la grande
spiritualité de ces "rags", et l’esprit que j’envisageais de donner à notre histoire.
J’élaborai donc le montage de diverses séquences afin de pouvoir utiliser les mor-
28
ceaux de Joplin. Dans un élan d’enthousiasme, je décidai de créer seul la B.O. en
interprétant moi-même au piano tous les "rags". Ce que je fis pour le premier bout
à bout des rushs. Mais en écoutant le résultat, le sentiment général des studios
Universal fut que j’avais pris une sage décision en abandonnant ma carrière de
pianiste au profit de celle de metteur en scène. Ils m’encourageaient d’ailleurs à
persévérer dans cette voie… C’est ainsi que je fis appel à Marvin Hamlisch. » Épa-
té par la qualité du film, le musicien adapte sans difficulté les titres choisis, dont le
fameux The entertainer : « Je n’ai pas mis plus de six ou sept jours pour mettre en
forme l’intégralité du score. Tous les morceaux correspondaient parfaitement aux
images, un peu comme si Joplin les avait écrits pour le film. Par ailleurs, je crois
que sa musique a vraiment allégé la dureté latente de L’Arnaque. »
The Sting : éd. MCA (cd).
Oscar de la meilleure adaptation musicale 1974.

ASCENSEUR POUR L’ÉCHAFAUD


Réalisé par Louis Malle - Production : Jean Thuiller
(Lux Compagnie Cinématographique de France)
Musique de Miles Davis - 1958

Louis Malle termine à la hâte le montage de son second long-métrage afin de con-
courir au prestigieux prix Louis-Delluc 1957. Dans le même temps, il imagine un
dispositif inédit : proposer au trompettiste Miles Davis, en concert à Paris,
d’improviser une session sur les images de son film. Boris Vian lui permet de ren-
contrer le jazzman qui accepte, à condition de pouvoir préparer thèmes et grilles
d’accords en amont de l’enregistrement. Le 4 décembre 1957 à dix heures du soir,
la B.O. d’Ascenseur pour l’Échafaud prend forme au studio du Poste Parisien.
« On s’est mis au travail très lentement, raconte Louis Malle, comme le font les
musiciens de jazz… Je passais les séquences sur lesquelles on voulait mettre de la
musique, et il commençait à répéter avec ses musiciens… On est resté là jusqu’à
huit heures du matin. En une nuit, on a tout enregistré, et, en cela, je pense que la
musique d’Ascenseur est unique. C’est l’une des rares musiques de film qui ait été
entièrement improvisée. » Au total, 18 minutes de session figureront dans le polar
en noir et blanc, avec l’impact que l’on sait. « Le film en était métamorphosé… il
a soudain semblé décoller », constatera Louis Malle lors du mixage.
Ascenseur pour l’Échafaud : éd. Universal Jazz (cd).

L’ATALANTE
Réalisé par Jean Vigo - Production : Jacques-Louis Nounez (Gaumont)
Musique de Maurice Jaubert - 1934

Considéré comme l’un des pères fondateurs de la musique de film, Maurice Jau-
bert s’oppose très tôt aux diverses tendances héritées du muet (le 100% musique
ou Mickeymousing*) et envisage des alternatives originales à la tradition sympho-
nique. Sa rencontre avec Jean Vigo entérine une collaboration tendue vers
l’expérimentation, l’échange : « Jaubert a assez de talent, constate le réalisateur de
Zéro de Conduite, pour permettre qu’à l’occasion les hurlements des gosses cou-
29
vrent sa musique. » En prise avec les intentions du musicien, L’Atalante devien-
dra l’emblème d’un cinéma poétique bercé d’idées nouvelles : « Au début du film,
remarque François Porcile, le cortège nuptial s’arrête devant la péniche où les
mariés embarquent. Le moteur mis en route, le bateau glisse doucement le long de
la berge où la noce reste immobile, pétrifiée. Jaubert installe, presque impercepti-
blement, la présence musicale en lui faisant épouser le rythme du moteur. Au
bruit réel de la machine se superposent batterie, alto et violoncelle, qui, se déta-
chant progressivement, vont permettre la naissance du thème d’amour au saxo-
phone solo. » Avec cette séquence représentative, « Jaubert définit la place de la
musique dans le film, son rôle de passage. "C’est précisément le rôle du musicien
de film, disait-il, de sentir le moment précis où l’image abandonne sa réalité pro-
fonde et sollicite le prolongement poétique de sa musique." »
Maurice Jaubert, L’Atalante et autres musiques de films : éd. Milan (réenregis-
trement, cd).
*L'oreille doit entendre ce que l'œil voit.

AU SERVICE SECRET DE SA MAJESTÉ On her Majesty’s Secret Service


Réalisé par Peter Hunt - Production : Albert R. Broccoli, Harry Saltzman
(United Artists)
Musique de John Barry - 1969

George Lazenby n’est pas la seule nouveauté de ce James Bond intermédiaire.


Cas unique depuis Docteur No : aucune chanson n’illustre le traditionnel géné-
rique animé par Maurice Binder. En lieu et place, John Barry introduit un thème
sombre, irrésistible – cuivres et synthétiseurs saillants – comme une marche vers la
tragédie nuptiale qui clôt le film. Le compositeur transgresse la franchise pour
mieux mettre en exergue We have all the time in the world, la grande ritournelle ro-
mantique située plus en aval. « J’ai suggéré à Cubby Broccoli et Harry Saltzman
que Louis Armstrong serait idéal pour chanter notre chanson, révèle Barry. De
façon tragique, il allait s’agir de son dernier enregistrement. Louis était la per-
sonne la plus adorable qui soit, mais, comme il était resté alité pendant plus d’un
an, il n’avait presque plus de force. Il ne pouvait même plus jouer de sa trompette.
Il rassembla cependant assez d’énergie pour interpréter notre chanson. À la fin de
l’enregistrement, à New York, il est venu me voir et m’a dit : "Merci pour ce bou-
lot". » Si le titre ne rencontra pas le succès attendu (sauf en Italie), il n’en demeure
pas moins, à l’instar de la B.O. tout entière, un repère incontournable dans
l’univers de 007.
On her Majesty’s Secret Service : éd. EMI (cd).

AUTANT EN EMPORTE LE VENT Gone with the Wind


Réalisé par Victor Fleming - Production : David O. Selznick (United Artists)
Musique de Max Steiner - 1939

Les impérieux mémos de David O. Selznick ouvrent certains pans sur la fabrica-
tion musicale d’Autant en Emporte le Vent. Comme le précise Alain Lacombe,
ces notes font office « d’ordres et d’indications précisées d’une manière sommaire,
30
et déterminent la théorie cinématographique du Seigneur et Maître. » Ils peuvent
être contradictoires mais influent sur tous les ateliers de création. Concernant la
bande originale, le premier d’entre eux arrive en avril 1937 : « Je crois que celui
qui composera la musique du film devrait être prévenu dès à présent, écrit
Selznick, afin qu’il puisse étudier la musique d’époque et préparer son travail…
Mon premier choix est Max Steiner, et je suis certain qu’il donnerait n’importe
quoi pour le faire. » Le musicien viennois accepte effectivement la tâche mais ap-
prend bientôt qu’il n’a que trois mois pour illustrer les 3h40 de projection. Un
véritable marathon placé sous la haute autorité d’un producteur qui définit chaque
inflexion musicale : « Pour le grand plan général où Scarlett recherche le docteur
Meade parmi les victimes, utilisez un medley pathétique de vieilles chansons du
Sud que vous dramatiserez. Cela donnera l’impression d’un Sud saigné à mort,
tout comme les soldats morts ou blessés… Surtout pas de musique originale. » Steiner
doit ainsi jongler avec les nombreux morceaux folkloriques réclamés par Selznick
(une quinzaine) et ses propres compositions. Durant le processus, certaines mélo-
dies originales s’imposent sans réserve : « Je suis dingue des thèmes de Mammy,
Mélanie et Tara… (15 novembre 1939) », mais le Classicisme hollywoodien en
marche suscite aussi des réprimandes : « Arrêtez d’écrire de la musique qui nous
raconte la même chose que les dialogues. Utilisez-la pour ce qu’elle est censée
apporter à la scène, c’est-à-dire un climat. Arrêtez de faire du Mickeymousing, sauf
lorsque l’on vous le demande (1er décembre 1939). » À coups de nuits sans som-
meil, de piqures de vitamines et avec l’aide d’une batterie d’orchestrateurs, Steiner
terminera son chef-d’œuvre dans les temps, sous l’œil ému de l’auteure Margaret
Mitchell : « Je n’ai jamais pu entendre la musique d’Autant en Emporte le Vent
sans ressentir à nouveau les émotions vécues lors de la première du film à Atlan-
ta… S’il m’est difficile de les décrire avec justesse, je peux cependant affirmer que
je ne doutais pas un instant de la grandeur du spectacle que j’allais découvrir. »
Gone with the Wind : éd. Rhino Movie Music (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1940.

AVALON Avalon
Réalisé par Barry Levinson - Production : Mark Johnson, Barry Levinson
(TriStar)
Musique de Randy Newman - 1990

Héritier d'une fratrie hollywoodienne très influente*, Randy Newman s'est imposé
dans la vie musicale américaine en creusant un sillon aux multiples couleurs.
George Gershwin, le jazz de La Nouvelle-Orléans (où il est né), le cinéma, consti-
tuent ses influences directes. Auteur / interprète de chansons à succès, il se dirige
vers le cinéma à partir de 1980 avec Ragtime, dans lequel il recrée les harmonies
des années dix. Après plusieurs albums solos, il revient aux longs-métrages en
composant Avalon, son score le plus personnel à ce jour. « Randy est arrivé très
rapidement sur le film, précise Barry Levinson. Bien sûr, j’avais déjà travaillé avec
lui sur Le Meilleur, mais je pensais qu’il serait également parfait pour cette his-
toire. Comme le piano était un élément central de la maison familiale – il arrive
au foyer par la rue, durant un gros orage, et permet ainsi au grand-père d’en jouer
31
régulièrement – j’ai pensé "piano". Et quand j’écrivais le script, c’est Randy
Newman qui me venait à l’esprit. » Valse boston, rag, séquence de cirque (clin
d'œil à Nino Rota), le musicien alterne les figures sans jamais perdre le fil de son
inspiration. Il retrouvera cette authenticité un an plus tard avec L'Éveil, mélo
médical transcendé par la patte du compositeur. Quelles que soient leur forme, ses
mélodies cinématographiques renvoient souvent à ses meilleures chansons, telle I
think it's going to rain today écrite en 1968. « Faire des musiques de films m'a permis
d'améliorer l'écriture de mes chansons », déclare-t-il en 2002. Et inversement, car
avec Randy, la pluie n'est jamais très loin.
Avalon : éd. Reprise / Warner (cd).
*Ses trois oncles sont : Alfred Newman, Emil Newman et Lionel Newman.
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1991.

L’AVENTURE DE MADAME MUIR The Ghost and Mrs. Muir


Réalisé par Joseph L. Mankiewicz - Production : Fred Kohlmar
(20th Century Fox)
Musique de Bernard Herrmann - 1946

Qualifiée de score à la "Max Steiner" par son auteur, L’Aventure de Mme Muir
est l’une des rares B.O. de Bernard Herrmann où le leitmotiv prévaut. « Il consi-
dérait cette musique comme son meilleur travail pour l’écran, remarque Steven C.
Smith. Une partition poétique, unique et hautement personnelle. L’essence de son
idéologie romantique y est contenue – sa fascination pour la mort, l’extase roman-
tique et la beauté du sentiment de solitude. Elle rappelle un peu des œuvres du
passé : les marines impressionnistes de La mer de Debussy ou Peter Grimes de Brit-
ten (…) L’Aventure de Mme Muir est non seulement devenu le film préféré du
compositeur, mais également le compagnon de son opéra Les hauts de Hurlevent.
Dans ses deux créations, on retrouve ces héroïnes autonomes pour lesquelles
Herrmann avait de l’empathie, des femmes mues par une puissante volonté ; leur
contexte est également similaire, ces histoires se déroulent dans l’Angleterre du
passé où les turbulences des décors naturels – la mer et la lande – se reflètent dans
les protagonistes. Enfin, on y trouve la promesse d’une purification spirituelle
après les déceptions de la vie. Dans l’esprit d’Herrmann, ces deux œuvres sont
unies l’une à l’autre… » En outre, le compositeur réutilisa plusieurs motifs de son
opéra dans la musique du film de Mankiewicz, comme le révélera en 1975, le
splendide réenregistrement dirigé par Elmer Bernstein.
The Ghost and Mrs Muir : éd. Varèse Sarabande (cd) et Film Score Monthly (ré-
enregistrement, cd).

LES AVENTURES DE PINOCCHIO Le Avventure di Pinocchio


Réalisé par Luigi Comencini - Production : Attilio Monge
(RAI / ORTF / Nef Diffusion)
Musique de Fiorenzo Carpi - 1972

Le cinéma est un champ d’activité secondaire pour Fiorenzo Carpi. Cofondateur


du Piccolo Teatro de Milan, l’artiste se révèle avant tout un homme des arts scé-
32
niques. « Mes créations théâtrales sont tenues par les notes de Carpi, avoue le
grand metteur Giorgio Strehler. Très souvent sa musique a apporté, lors des pré-
mices ou durant le travail, la "clarification" intérieure dont j’avais besoin,
"l’éclairage" d’un tout que je ne saisissais pas. » Cette pratique du spectacle vivant
(et son économie implicite) transparaît dans la plupart de ses bandes originales.
Les équations instrumentales du musicien y sont souvent modestes, les mélodies
franches, directes, populaires. Comme le souligne Alain Lacombe, « Carpi est
sans doute le compositeur italien de cinéma dont le projet est le plus clair. » Sur
Les Aventures de Pinocchio, son premier mérite est de ramener l’enveloppe mu-
sicale du conte dans sa Toscane natale, loin des couleurs américaines de Disney.
Le score de Carpi s’accorde avec l’imagerie d’une Italie rurale, emprunte sa théâ-
tralité (La tempesta da Pinocchio) à l’opéra du XIXe siècle, mais surtout se place en
permanence à hauteur de l’enfance : l’une des grandes préoccupations du cinéma
de Comencini. Cela explique sans doute le succès international de cette série et de
sa B.O. constamment rééditée.
Le Avventure di Pinocchio : éd. Digitmovies (cd).

LES AVENTURES DE ROBIN DES BOIS The Adventures of Robin Hood


Réalisé par Michael Curtiz - Production : Jack L. Warner, Hal B. Wallis, Henry
Blanke (Warner Bros.)
Musique d’Erich Wolfgang Korngold - 1938

L’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler entraine E.W. Korngold vers de nouveaux


horizons professionnels. Contraint d’abandonner son domicile viennois occupé
par la Gestapo, le compositeur sauve sa famille du nazisme en s’installant de ma-
nière permanente à Hollywood. Il accepte malgré lui un Robin des Bois qu’il juge
dans un premier temps très éloigné de ses préoccupations : « Ce n’est pas un film
pour moi, confie-t-il avant l’invasion de l’Autriche à Hal Wallis. Je suis un musi-
cien du cœur, de la passion et de la psychologie. Je ne suis pas l’illustrateur musi-
cal d’un film constitué à 90% d’action. » Mais l’Occupation bouleverse la situation
politique et Korngold revient non sans mal sur sa décision. « Je n’oublierai jamais,
évoque son fils George*, ses protestations angoissées, ses "Je ne peux pas le faire",
que j’entendais au milieu de la nuit à travers le mur de ma chambre. Il souffrait
tout en produisant l’une de ses plus belles partitions (…) Par manque de temps, il
décida d’utiliser le thème héroïque d’une de ses pièces de concert comme motif
pour Robin des Bois. Ainsi la première scène de bataille au château de Not-
tingham est inspirée de cette ouverture musicale (Sursum corda, op.13, 1920). Mais
à l’inverse, mon père réutilisa parfois ses thèmes de films dans des pièces concer-
tantes. »
The Adventures of Robin Hood : éd. Varèse Sarabande et Naxos (réenregistre-
ments, cd).
*George Korngold produisit un grand nombre de réenregistrements de musiques
de films, dont la série Classic Film Scores chez RCA.
Oscar de la meilleure musique originale 1939.

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LES AVENTURIERS
Réalisé par Robert Enrico - Production : Gérard Beytout, René Pignières (SNC)
Musique de François de Roubaix - 1967

Le triomphe du film d’aventure à la française. Entamée deux ans plus tôt avec Les
Grandes Gueules, l'association Robert Enrico / François de Roubaix trouve ici sa
pleine vitesse de croisière. Les Aventuriers, film d'extérieur en Cinémascope, est
avant tout une odyssée sur l'amitié, une fable intime à trois voix : le trio Delon /
Ventura / Shimkus. Le musicien perçoit immédiatement la volonté d'Enrico d'ex-
plorer l'intériorité des personnages. Il compose un générique complexe scindé en
deux mélodies qui s'alternent : le piano amorce le mouvement, l'action, puis fait
place au beau thème sifflé de Laetitia. Le tout interprété par une petite formation
instrumentale. Car François de Roubaix n'est pas l'homme du grand orchestre
symphonique. Sa force, il la puise dans la mélodie, la modulation : « François
avait une façon particulière de moduler, de passer sans transition d'une tonalité à
une autre pour ensuite retomber sur ses pieds, confie l'arrangeur Bernard Gérard.
Avec Les Aventuriers, il commençait à s'affranchir et à prendre en main l'orches-
tration. Je l'ai beaucoup poussé dans ce sens, car finalement, je ne faisais que re-
prendre ses idées sans rien ajouter. » L’un des temps forts du film sera l'enterre-
ment sous-marin vocalisé par l'incomparable Christiane Legrand. La séquence
évoque Vingt mille lieues sous les mers de Jules Verne, l'orgue du Capitaine Nemo...
Un pied dans l’océan, l'autre dans l'onirisme, voilà bien un monde parfait pour
l'immense François de Roubaix.
Les Aventuriers / Le Samouraï : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(cd).

LES AVENTURIERS DE L’ARCHE PERDUE Raiders of the Lost Ark


Réalisé par Steven Spielberg - Production : Frank Marshall (Paramount Pictures)
Musique de John Williams - 1981

En plein travail sur la partition des Aventuriers de l’Arche Perdue, John Wil-
liams hésite entre deux thèmes pour personnaliser le héros du film de Steven
Spielberg. « Pourquoi ne pas assembler les deux mélodies ? », interroge le cinéaste.
Williams acquiesce après une longue gestation : « Un morceau tel que celui-ci est
d’une simplicité trompeuse, révèle le maestro, il s’agit de trouver les notes justes
qui identifieront, par l’intermédiaire d’un leitmotiv adéquat, le personnage
d’Indiana Jones. Je me souviens avoir travaillé des jours et des jours sur ce thème,
en changeant telle note, en modifiant ci, en inversant ça, en essayant d’obtenir
quelque chose qui me semblait bien approprié. Je ne peux pas parler au nom de
mes collègues, mais pour moi, des choses qui apparaissent très simples ne le sont
pas du tout. Elles sont simples après les avoir trouvées. » L’autre morceau de bra-
voure sera la poursuite des camions dans le désert. Un mouvement symphonique
de huit minutes envisagé comme une chorégraphie. « Sur ces séquences, et parti-
culièrement avec Steven, je raisonne toujours en termes de ballet. Je la regarde
comme un numéro dansé, avec un début, un milieu et une fin, j’essaye de calculer
une série de tempos… La musique peut sembler grave, mais elle ne l’est pas vrai-
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ment. C’est plus conçu de manière théâtrale, toujours avec l’espoir d’y voir
poindre un aspect amusant, voire cabotin. »
Raiders of the Lost Ark : éd. Concord (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1982.

L’AVVENTURA L’Avventura
Réalisé par Michelangelo Antonioni - Production : Amato Pennasilico
(Cino del Duca)
Musique de Giovanni Fusco - 1960

« Dans la vie, les hommes peuvent en général se trouver dans des "situations mu-
sicales" beaucoup plus rarement que dans les films. » Cette petite phrase d’Anto-
nioni donne un indice tangible sur son rapport avec la musique à l’écran. Durant
le tournage de L’Avventura, le cinéaste fait enregistrer les bruits du vent et de la
mer afin d’illustrer de manière naturaliste son odyssée insulaire. Une décision
esthétique qui influe sur les choix instrumentaux de Giovanni Fusco : une petite
formation comprenant clarinette, flûte, violoncelle et cuivres. « La première règle
pour un musicien qui entend collaborer avec Antonioni est d’oublier qu’il est mu-
sicien, confie le compositeur. Il déteste la musique et ne peut s’en passer… La
répugnance qu’il éprouve à son égard est le fruit d’une longue méditation… Il est
nécessaire que la musique d'un film soit très incisive et mesurée. Une expérience
assez longue me permet d'affirmer que les résultats les plus efficaces peuvent être
obtenus avec les orchestres les moins importants. Pour ma part, en particulier
lorsque je rencontre un réalisateur de l'envergure d'Antonioni, j'élimine l'orchestre
tout à fait. » À l’exemple de son célèbre Bolereo avventura, la force de Fusco sera de
parvenir à exister au sein d’un espace musical très restreint.
L’Avventura : éd. Quartet (cd).

BARRY LYNDON Barry Lyndon


Réalisé par Stanley Kubrick - Production : Stanley Kubrick (Warner Bros.)
Musiques classiques et traditionnelles adaptées par Leonard Rosenman - 1975

Stanley Kubrick n'a jamais caché sa préférence pour l'usage de musiques préexis-
tantes dans ses longs-métrages. Cette autonomie relative ne lui évite cependant
pas certains dilemmes concernant les morceaux choisis. Pour Barry Lyndon, le
cinéaste butte sur la scène de séduction entre Ryan O' Neal et Marisa Berenson :
« J'avais d'abord voulu m'en tenir exclusivement à la musique du XVIIIe quoi qu'il
n'y ait aucune règle en ce domaine (...) Malheureusement, on n'y trouve nulle
passion, rien qui, même lointainement, puisse évoquer un thème d'amour ; il n'y a
rien dans la musique du XVIIIe qui ait le sentiment tragique du Trio de Schubert.
J'ai donc fini par tricher de quelques années en choisissant un morceau écrit en
1814. Sans être absolument romantique, il a pourtant quelque chose d'un roma-
nesque tragique. » Le grand thème du film est également l'objet d'un compromis :
« En fait, quand j'ai entendu jouer cette sarabande à la guitare, c'était ce qui se
rapprochait le plus d'Ennio Morricone ! Sans jurer avec le reste de l'histoire. On
l'a, en fait, très simplement orchestrée et elle n'évoque pas d'époque particulière. »
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Les arrangements de cette B.O. agencée sans transition – Haendel, Mozart, Bach,
face aux Chieftains – vaudront au compositeur Leonard Rosenman son premier
Oscar.
Barry Lyndon : éd. Warner Bros. WEA (cd).
Oscar de la meilleure adaptation musicale 1976.

LA BATAILLE D’ALGER La Battaglia di Algeri


Réalisé par Gillo Pontecorvo - Production : Antonio Musu, Yacef Saadi (Magna)
Musique d’Ennio Morricone et Gillo Pontecorvo - 1966

« L’un des grands regrets de ma vie est de ne pas être devenu compositeur, confie
Gillo Pontecorvo en 2004. La partie de mon travail que je préfère est lorsque
j’arrive à la fin du montage. Je m’enferme avec ma Moviola et je regarde à nou-
veau le film en sifflant les thèmes musicaux que je souhaiterais utiliser. C’est
vraiment le moment où je commence à aimer le film... Sur La Bataille d’Alger,
j’avais besoin d’un vrai compositeur et j’en ai trouvé un qui avait une très forte
personnalité. » Tout juste sorti de ses premiers westerns à succès, Ennio Morri-
cone trouve ainsi un nouveau cinéaste fidèle, doublé d’un musicien actif. « À cette
époque, j’étais plutôt fier, raconte le maestro, et je ne voulais pas que le réalisateur
ait le contrôle de la musique. Cela dit, Gillo comprenait, de manière intuitive, le
type de musique dont le film avait besoin. » Les deux artistes construisent donc à
quatre mains cette B.O. moderne et évocatrice, sans pour autant baisser leur garde
respective. « En général, il y a de la tension entre nous, précise Pontecorvo, car
lorsque je propose un motif et qu’Ennio ne l’aime pas, je sais qu’il n’acceptera pas
de l’inclure dans le score, et vice-versa ! Nous nous bagarrons jusqu’à trouver un
thème que nous aimons tous les deux. » Morricone composera seul leur second
film Queimada, une œuvre forte pour orchestre, chœur, et percussions ethniques.
La Battaglia di Algeri : éd. Quartet (cd).

BATMAN Batman
Réalisé par Tim Burton - Production : Peter Guber, Jon Peters (Warner Bros.)
Musique de Danny Elfman - 1989

C’est en parcourant les imposants décors de Gotham City que Danny Elfman
imagine les premières mesures du score de Batman. Mais le compositeur est in-
quiet, il s’agit de son premier blockbuster et la production est hésitante. « Sur un
tel projet, pas mal de monde avait son mot à dire sur la musique, se souvient
Elfman. Ils souhaitaient que je collabore et coécrive la partition avec Prince. J’ai
refusé tout net. Ce fut la décision la plus difficile de ma carrière. Potentiellement,
je n’ai jamais été aussi près de passer à côté de la plus grande opportunité de ma
vie. » Une maquette du thème principal est présentée au producteur qui
s’enthousiasme spontanément : « Jon Peters a bondi de sa chaise en mimant la
direction de l’orchestre. Après des mois de scepticisme, j’étais enfin parvenu à le
convaincre. Dès cet instant, Peters est devenu l’un de mes principaux alliés. » Par
ailleurs, le musicien puise son inspiration symphonique chez ses idoles. « J’ai été
beaucoup influencé par des compositeurs comme Korngold, Tiomkin, Steiner et
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je pense qu’eux-mêmes ont fortement été influencés par Wagner. Je le suis donc
aussi mais de manière indirecte. La plupart de mes influences sont de factures
classiques, mais elles ont d’abord été filtrées par d’autres compositeurs avant
moi. »
Batman : éd. La-La Land (cd).

BEAU-PÈRE
Réalisé par Bertrand Blier - Production : Alain Sarde (Parafrance Films)
Musique de Philippe Sarde - 1981

Les compositions pour piano de Philippe Sarde incarnent l’une de ses grandes
marques de fabrique. Mille Milliards de Dollars, Chère Inconnue, Qui c’est ce
Garçon ?, Les Mois d’Avril sont Meurtriers… des B.O. élégantes, parfois dis-
crètes, toujours justes. Lors de l’écriture de Beau-Père, Bertrand Blier songe à des
plages musicales s’inspirant de Bud Powell ; une manière de prolonger la patine
jazzy de ses précédents films. « Pour l’enregistrement, se souvient le cinéaste,
Sarde a réuni des solistes épatants : Maurice Vander, Eddy Louiss et Stéphane
Grappelli, mon compositeur des Valseuses. Le son du violon de Stéphane était
magnifique notamment pour les scènes d’amour. J’adore la légèreté, la finesse de
ce merveilleux sirop. Ce que font les Américains avec soixante-dix cordes, nous
en France on l’obtient avec un seul bonhomme, le meilleur violoniste jazz du
monde. Et le résultat est incomparable ! Le jour où j’ai vu débouler en studio le
batteur américain Kenny Clarke, avec son matos, je me suis souvenu avec émo-
tion des heures passées à écouter ses disques. » Couvert par le monologue de Pa-
trick Dewaere, le thème principal est un véritable concentré de mélancolie.
Beau-Père : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).

BEAUCOUP DE BRUIT POUR RIEN Much Ado about Nothing


Réalisé par Kenneth Branagh - Production : Kenneth Branagh, Stephen Evans,
David Parfitt (The Samuel Goldwyn Company)
Musique de Patrick Doyle - 1993

« J’ai écrit nombre des thèmes principaux de Beaucoup de Bruit pour Rien bien
en amont de mon travail de composition sur le film, révèle Patrick Doyle. J’étais
sur le tournage en Toscane (comme acteur, NDLR)*, et cela a rendu le processus
vraiment intime et aisé… En conséquence, Kenneth Branagh et moi, nous nous
sommes mis d’accord pour considérer l’atmosphère de ces lieux merveilleux
comme un élément crucial pour créer l’ambiance voulue. » Passée la mise au
point de chansons interprétées sur le plateau, Doyle retourne en Angleterre pour
achever une partition dont l’ouverture devient la pièce maîtresse : « Elle est com-
posée d’un petit morceau avec juste quelques instruments et des cordes, puis il y a
un montage de quatre minutes où intervient un orchestre énorme, constamment
massif… Quand j’ai visionné les images, je me suis dit : "Oh là, je vais devoir
écrire la musique !" C’est purement orchestral et assez inhabituel. » La direction
du score est confiée à l’Anglais David Snell, mais instinctivement Patrick Doyle
se saisit du bâton. « Le chef d’orchestre n’était pas à fond "dedans", donc j’ai diri-
37
38Le compositeur écossais Patrick Doyle.
gé les parties avec le plus grand nombre de musiciens. D’ailleurs, ils ont applaudi
et dit : "Bravo ! Enfin !" J’en avais mal au bras tellement j’en faisais trop. » Le duo
Branagh / Doyle dans toute sa splendeur shakespearienne.
Much Ado about Nothing : éd. Epic Soundtrax (cd).
*À ses débuts, Doyle partage son temps entre l’art dramatique et la composition.

LA BELLE ET LA BÊTE
Réalisé par Jean Cocteau - Production : André Paulvé (DisCina)
Musique de Georges Auric - 1946

Membre de l’incontournable Groupe des Six, Georges Auric gagne la confiance


de Jean Cocteau dès leur première collaboration sur Le Sang d’un Poète (1930).
Le cinéaste considère la musique comme un élément moteur de ses films*, mais
laisse le soin à son compositeur d’en saisir l’essence de manière impressionniste.
Le synchronisme parfait est abandonné au profit des atmosphères, des ambiances,
quitte à bouleverser la propre vision du cinéaste. « Voici le jour de la Musique,
écrit Cocteau dans son journal de La Belle et la Bête. J’ai refusé d’entendre ce
que Georges Auric composait. J’en veux recevoir le choc sans préparatifs. Une
longue habitude de travailler ensemble m’oblige à lui faire une confiance absolue.
Nous enregistrons de neuf heures du matin à cinq heures dans la Maison de la
Chimie. Cette opération est la plus émouvante de toutes. Je le répète, ce n’est que
sur l’élément musical que le film peut prendre le large… Et voici l’image et voici
le prodige de ce synchronisme qui n’en est pas un puisque Georges Auric l’évite, à
ma demande, et qu’il ne doit se produire que par la grâce de Dieu. Cet univers
nouveau me trouble, me dérange, me captive. Je m’étais fait une musique sans
m’en rendre compte et les ondes de l’orchestre la contredisent. Peu à peu Auric
triomphe de ma gêne absurde. Ma musique cède la place à la sienne. Cette mu-
sique épouse le film, l’imprègne, l’exalte, l’achève. » Une partition "repère" où
l’on reconnaîtra l’influence conjointe de Maurice Ravel et Claude Debussy.
La Belle et la Bête : éd. Naxos Film Music Classics (réenregistrement, cd).
*Selon Bernard Herrmann : « Je crois que Cocteau disait qu’une bonne musique
de film pouvait donner l’impression de ne plus savoir si c’était la musique qui
poussait le film en avant ou si c’était le film qui entrainait la musique. »

LA BELLE ET LE CAVALIER More than a Miracle


Réalisé par Francesco Rosi - Production : Carlo Ponti (MGM)
Musique de Piero Piccioni - 1967

Avec Kenner et Le Phare du Bout du Monde, La Belle et le Cavalier est l’un des
rares films américano-italiens auxquels participe Piero Piccioni. Le musicien
autodidacte entame sa carrière dans l’Italie post-mussolinienne via un fameux big
band, puis travaille pour la plupart des grands noms du cinéma transalpin. Fran-
cesco Rosi sera son collaborateur privilégié avec treize films en commun, dont
cette production de la MGM. Comme le montrent ses compositions Easy lis-
tening variées, Piccioni a le sens de la mélodie populaire mais s’avère tout aussi
doué dans le registre néoromantique en technicolor. « Sa musique pour ce film est
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glorieuse, commente John Bender* – un chef-d’œuvre de cinématique et de mani-
pulation des spectateurs – le thème associé à Rodrigo (Omar Sharif) est l’un des
pinacles de sa filmographie. Il est non seulement puissant sur le plan mélodique,
mais son arrangement dense et chargé d’émotions sous-entendues est aussi très
complexe. Ce motif lui a demandé beaucoup d’attention… Plus que toute autre
chose, le score du film apporte chaleur et intégrité à la narration. » Par la même,
Francesco Rosi témoigne : « Retrouver Piero dans le studio d’enregistrement était
un plaisir et une satisfaction finale que je me réservais pour chaque film. Passer
avec lui de la langue des images à celle de la musique était un moment privilégié
et magique… »
More than a Miracle : éd. Film Score Monthly (cd).
*Journaliste américain spécialiste du cinéma européen et italien de genre.

BEN-HUR Ben-Hur
Réalisé par William Wyler - Production : Sam Zimbalist (MGM)
Musique de Miklós Rózsa - 1959

La longue gestation de Ben-Hur autorise Miklós Rózsa à travailler près d’un an et


demi sur sa partition. Durant l’été 1958, il profite d’un séjour en Italie pour assis-
ter au tournage et régler les différents ballets africains du film. Le musicien con-
naît le perfectionnisme de William Wyler, mais n’imagine pas influer sur sa mise
en scène. Pourtant, lors de la séquence de l’arrestation de Ben-Hur par Messala
(Stephen Boyd), le réalisateur se tourne vers Rózsa avec une question inattendue :
« Pourriez-vous exprimer musicalement ce qui se passe dans la tête d’un homme
qui est prêt à sacrifier son meilleur ami et sa famille sur l’autel de son ambition
personnelle ?" Je lui ai répondu par l’affirmative, se souvient le compositeur. Puis,
durant la pause-déjeuner, il m’annonça qu’il allait retourner la scène afin de don-
ner plus importance à son interprétation musicale. Le soir même, je reçus un ap-
pel du directeur de production qui m’informa que ma présence ce jour-là sur le
plateau avait couté 10 000 dollars. Donc, si je repointais une fois de plus le bout
de mon nez, ils me renverraient dare-dare à Rapallo, mon lieu de villégiature. »
De retour à Hollywood en janvier 1959, Miklós Rózsa compose la B.O. en paral-
lèle d’un montage titanesque de neuf mois (supervisé par Margaret Booth), et ins-
crit son nom dans la légende du péplum. « J’ai remporté mon troisième Oscar
pour cette partition et c’est celui que je chéris le plus, écrira le musicien dans son
autobiographie. La musique de Ben-Hur est très proche de mon cœur. »
Ben-Hur : éd. MGM / Rhino et Film Score Monthly
(intégrale des enregistrements de l’époque, cd).
Oscar de la meilleure musique de film 1960.

BLADE RUNNER Blade Runner


Réalisé par Ridley Scott - Production : Michael Deeley (Warner Bros.)
Musique de Vangelis - 1982

Les compositions électroniques et instrumentales de Vangelis intègrent l’univers


de Blade Runner avec une indéniable théâtralité : « Durant le tournage, Ridley
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Scott faisait quelque chose que je n’avais jamais vécu, se souvient le comédien
Edward James Olmos. Il avait disposé d’énormes enceintes tout en haut des dé-
cors, si bien que lorsqu’il amorçait une séquence et commençait à percevoir la
réalité du moment, il jouait la musique du film. Vangelis lui avait déjà donné des
morceaux temporaires et il mettait ça à fond dans la rue. Résultat, nous travail-
lions dans un environnement complet, continu, de son et d’effets spéciaux… Le
décor était vivant. » Pour le cinéaste, la fusion entre le score et la réalisation de
Blade Runner s’amplifie encore davantage lors de mémorables sessions noc-
turnes : « Travailler sur la bande-son avec Vangelis fut l’une des grandes expé-
riences de ma carrière. Chaque soir, je le retrouvais seul dans son studio de Mar-
ble Arch. Il y avait parfois un assistant, mais guère plus. Quand j’arrivais, il me
disait : "Viens, écoute ça et regarde", tout en jouant lui-même le score. J’observais
cette superbe musique évoluer ainsi que sa grande maîtrise artistique face à
l’écran. C’était un vrai fan de cinéma, il regardait chaque cadrage en disant : "Re-
garde l’acteur, ce clignement, je peux partir de là." Vangelis avait cette proximité
avec l’image… Le résultat final a été bien au-delà de mes attentes. Sa musique
souligne le film en lui donnant une cadence sombre et magnifique. »
Blade Runner : éd. Universal (cd).

BLOW OUT Blow Out


Réalisé par Brian De Palma - Production : George Litto (Filmways Pictures)
Musique de Pino Donaggio - 1981

« Lors de mes premières collaborations avec Brian De Palma, raconte Pino Do-
naggio, il est arrivé qu’il m’applaudisse en découvrant ma musique sur ses
images… Sur Pulsions, où il m’avait laissé carte blanche, je me souviens qu’après
l’enregistrement de la scène du musée, il m’a dit : "Bravo Pino, c’est très beau." »
Cette entente magistrale entre les deux artistes culmine avec Blow Out, une troi-
sième collaboration placée sous le signe de la multiplication des points de vue et
des instrumentations. « Dans la scène de l’accident, quand on voit la voiture cou-
lée, j’ai opté pour l’alternance de deux thèmes. Le premier quand John Travolta
est dans l’eau, le second, plus optimiste, quand il refait surface avec des explo-
sions musicales. De même pour la scène de la parade, on a opté avec Brian pour
une alternance de thèmes : on a l’orchestre et la musique jouée lors de la parade…
Elle change quand John roule à vive allure dans la ville. À ce moment-là,
l’orchestre cède la place à une musique pop qu’on retrouve dans d’autres scènes
du film. On avait préalablement étudié toutes les scènes où il fallait ou non un
orchestre, ainsi que tous les sons qu’il rajouterait par la suite… Comme le disait
Gene Kelly, il faut laisser de la place aux effets sonores ainsi qu’à la musique, et
savoir travailler en équipe. Bien sûr, l’ultime créateur est Brian De Palma et c’est
lui qui gère tout ça au moment du mixage. »
Blow Out : éd. Intrada (cd).

BLUE VELVET Blue Velvet


Réalisé par David Lynch - Production : Fred C. Caruso
(De Laurentiis Entertainment Group - DEG)
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Musique d’Angelo Badalamenti - 1986

Durant le tournage de Blue Velvet, David Lynch est dans l'impasse : Isabella
Rossellini doit interpréter une chanson en direct sur le plateau, mais l'actrice ne
parvient pas à trouver la bonne tonalité. Le producteur Fred Caruso propose alors
les services d'un ami musicien inconnu du cinéaste: « Angelo est arrivé assez vite,
se souvient Lynch, mais je ne l'ai pas rencontré tout de suite. Isabella habitait un
petit hôtel avec un piano dans le hall. Ainsi vers dix heures du matin, Angelo est
venu rencontrer Isabella et ils se sont mis à travailler. Vers midi, on tournait dans
le Jardin de Beaumont (...) Angelo me dit alors : "Ce matin, on a fait une cassette
avec Isabella ; la voici, écoutez-la !" J'ai mis un casque et j'ai écouté Angelo ac-
compagnant Isabella au piano. Quand j'ai retiré le casque, je lui ai dit: "Angelo,
on pourrait mettre ça dans le film. C'est tellement beau ! C'est fantastique !" Ange-
lo avait réussi du premier coup. » Par la suite, Lynch invite Badalamenti à écrire
une chanson originale (avec Julee Cruise) et le reste de la B.O. « Au départ, ra-
conte le musicien, il voulait utiliser une des symphonies de Chostakovitch, et il
m'a proposé d'écrire quelque chose dans son style. Je lui ai répondu que je pouvais
lui fournir un peu de pseudo Chostakovitch et un peu de Badalamenti... Ce fut le
début de notre collaboration et de notre amitié. » Construite autour de chansons
anciennes, la bande-son du film inaugure une nouvelle direction dans l'univers de
Lynch.
Blue Velvet : éd. Varèse Sarabande (cd).

LE BON, LA BRUTE ET LE TRUAND The Good, the Bad and the Ugly
Réalisé par Sergio Leone - Production : Alberto Grimaldi
(Produzioni Europee Associati - PEA)
Musique d’Ennio Morricone - 1966

L’ultime chapitre de la trilogie des dollars installe définitivement Ennio Morri-


cone comme scénariste musical de Sergio Leone. « Pour la première fois, la parti-
tion fut écrite avant le film, raconte le cinéaste. La musique avait une importance
permanente dans Le Bon, la Brute et le Truand. Elle pouvait être l’élément
même de l’action. C’est le cas de la séquence du camp de concentration. Un or-
chestre de prisonniers doit jouer pour couvrir les cris de torturés (…) Parfois,
j’envoyais la musique sur le plateau. Cela donnait l’atmosphère de la scène. Le jeu
des comédiens en était influencé. Clint Eastwood appréciait beaucoup cette mé-
thode. » En misant sur une utilisation inattendue de la voix, Morricone explose
par la même les codes instrumentaux de l’Ouest américain. « Tous les films ne se
prêtent pas à ces sophistications vocales, précise le compositeur. Mais dans les
westerns de Leone, j’ai beaucoup travaillé sur les phonèmes. Dans ce film en par-
ticulier, j’ai fait imiter à la voix humaine des bruits d’animaux, de coyote. Récu-
pérer avec la voix humaine des bruits de la vie, des sons d’animaux ou
d’instruments de musique m’a toujours intéressé. » Un coup d’éclat légendaire.
The Good, the Bad and the Ugly : éd. Capitol (cd).

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BOOM Boom
Réalisé par Joseph Losey - Production : John Heyman, Norman Priggen
(Universal Pictures)
Musique de John Barry - 1968

Trois compositeurs se succèdent sur cette production anglo-américaine conçue


pour le couple Taylor / Burton. Michel Legrand témoigne : « Joseph Losey était
un metteur en scène magnifique, mais il ne travaillait que dans le conflit… Il m’a
invité sur le plateau de Boom en me disant : "Viens assister au tournage en Sar-
daigne, il faut que tu sentes le parfum du film" (…) Un après-midi, il réalisait une
scène avec Liz Taylor qui lui demanda : "Jo, comment veux-tu que je joue ?",
Losey lui répondit : "De toute façon, toi, ou tu murmures ou tu cries, alors fais ce
que tu as envie !" C’était toujours comme ça… » Legrand laisse finalement sa
place au jazzman Johnny Dankworth*, lui-même remercié après ses sessions au
profit de John Barry. « Il compléta la partition originale en trois semaines, enregis-
trement inclus, raconte le trio Leonard / Walker / Bramley dans leur livre The
man with the midas touch. Selon Barry, le scénario "ressemblait plus à un cauche-
mar qu’à autre chose" et en dépit de ses efforts, le film fut très mal reçu. Le studio
Universal sortit malgré tout la B.O. en 33 tours qui devint l’un des albums les plus
recherchés par les collectionneurs. » John Barry usera en effet de tout son talent
pour faire de Boom une fantastique expérience mélodique et instrumentale (ma-
gique cymbalum !).
Boom : éd. MCA (lp) et Harkitt (copie correcte de 33 tours, cd).
*La chanson Hideway composée par Dankworth sera cependant conservée dans la
bande-son finale.

BORSALINO
Réalisé par Jacques Deray - Production : Alain Delon, Henri Michaud
(Les Films Paramount)
Musique de Claude Bolling - 1970

Marseille, les années 30, la pègre : le décor est planté ! Encore faut-il trouver le
compagnon musical des aventures de Siffredi et Capella, alias Alain Delon et
Jean-Paul Belmondo. Curieux des talents de Claude Bolling, Jacques Deray
l’encourage à lui envoyer quelques travaux divers. « Avec un ami éditeur, on avait
eu l’idée de faire un disque de piano bastringue, confie le compositeur, un truc
rigolo, pour la variété… Les bandes de l’album étaient parmi les extraits que
j’avais proposés à Deray et lorsqu’il m’a recontacté, il m’a dit : "Ce qui me plaît
pour le film, c’est cet enregistrement de piano mécanique" – "Très bien, donc je
vais vous faire quelque chose dans le même genre", il m’a alors répondu : "Non,
non, pas quelque chose dans le même genre, c’est ce morceau que je veux !" –
"Écoutez c’est impossible, il appartient à l’éditeur et le disque va sortir la semaine
prochaine…" Mais il n’y a rien eu à faire, Alain Delon et Deray ont voulu que ce
soit le thème de Borsalino. » Claude Bolling enregistra de nouvelles compositions
pour étoffer sa bande originale, dont la chanson Prends-moi matelot, interprétée par
Odette Piquet. L’un des grands succès de la musique de film française.
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Borsalino : éd. Frémeaux et Associés (cd).

BOULEVARD DU CRÉPUSCULE Sunset Boulevard


Réalisé par Billy Wilder - Production : Charles Brackett (Paramount Pictures)
Musique de Franz Waxman - 1950

« Bien que ma mère fût présentée à mon père par Billy Wilder, et qu’ils étaient très
proches, remarque John Waxman, c’est Hal Wallis* qui le proposa à la Para-
mount pour la musique de Boulevard du Crépuscule… Mon père a d’abord re-
gardé le film tout seul et ce fut pour lui une étape cruciale. Il put ainsi songer à la
texture de l’œuvre, au type d’orchestration, et à l’ambiance globale de sa partition.
Il vit ensuite le film en compagnie de Billy Wilder, afin de partager quelques idées
et déterminer ses interventions. » Après discussion avec le cinéaste, Franz Wax-
man élabore sa partition autour de trois motifs principaux : un thème de pour-
suite, un be-bop pour William Holden, et un tango torturé. « Ce dernier découle
d’une scène où Gloria Swanson fait référence aux premiers temps d’Hollywood,
précise Waxman, l’époque du tango de Rudolph Valentino. C’est l’atmosphère
dans laquelle son personnage continue de vivre en 1950. J’ai pris cette petite ca-
ractérisation comme inspiration pour le thème de Norma. » La musique originale
satisfait tant Billy Wilder qu’il renonce au morceau préexistant envisagé pour le
final : « Sur le tournage, lorsque Swanson descend les escaliers et sombre dans la
folie, nous utilisions la Dance des sept voiles de Richard Strauss. En discutant du
score avec Waxman, je lui ai dit : "Donne-moi quelque chose d’aussi bon ou de
meilleur !" Ça ne l’a pas du tout ébranlé. Il s’en est acquitté avec noblesse. C’était
un pro et fier de l’être. »
Sunset Boulevard : éd. Counterpoint (cd) et Varèse Sarabande (réenregistrement,
cd).
*Producteur semi-indépendant, affilié à la Warner Bros. où il travailla avec Franz
Waxman.
Oscar de la meilleure musique de film 1951.

BOULEVARD DU RHUM
Réalisé par Robert Enrico - Production : Alain Poiré (Gaumont)
Musique de François de Roubaix - 1971

Musicien multi-instrumentiste, François de Roubaix conçoit et enregistre la


grande majorité de ses compositions dans son appartement parisien. « Les grands
compositeurs de musique de film travaillent de façon traditionnelle, remarque-t-il
en 1975, Sarde, Legrand, Magne, Lai, Bolling, écrivent leur musique puis la font
jouer par des musiciens de studios. Ceux qui travaillent seuls comme moi, ce sont
les gens de la variété et de la chanson. C'est de là que viennent les innovations
techniques... Ce n'est ni la musique contemporaine, ni la musique de film qui ont
créé les guitares électriques, les pianos électriques, les synthétiseurs. » Avant
même les premières prises de vue de Boulevard du Rhum, de Roubaix offre ainsi
à Robert Enrico un thème fait main qui deviendra la chanson de l’héroïne (Bri-
gitte Bardot). « J’adore la version du générique de début, remarque le réalisateur.
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Ventura échoué sur la plage au milieu des bouteilles, avec le thème au banjo sou-
tenu par les chœurs. Car François cherchait toujours un instrument qui soit
l’emblème du film, qui lui donne une coloration spécifique. Dans Boulevard du
Rhum, c’est donc le banjo. » Sur la séquence de la bataille navale, le musicien
dérogera tout de même à ses habitudes avec l’emploi d’un orchestre élargi, mali-
cieusement mixé à divers effets sonores (sirènes, mitraillettes, explosions).
Boulevard du Rhum : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).

BRAINSTORM Brainstorm
Réalisé par Douglas Trumbull - Production : Douglas Trumbull (MGM / UA)
Musique de James Horner - 1983

L'efficience de James Horner jaillit dans cette partition aux moult influences. Du
Spem in alium de Thomas Tallis, au Requiem de Ligeti, en passant par la Première
symphonie de Rachmaninov, sans oublier La truite de Schubert (jouée à l'image par
Natalie Wood), le musicien parvient à réunir un improbable ensemble de réfé-
rences au sein d’un même score original. « Bien qu'elle sonne atonale, précise
Horner, une bonne partie de la partition est en fait une combinaison de différents
types de musiques. Je les ai toutes écrites dans des styles différents en les jouant
simultanément. Cela donne cet effet bizarre. Vous entendez un accord, puis vous
ne l'entendez plus. Vous entendez un faible grognement, un rugissement, puis l'on
passe à un autre accord. C'est difficile à décrire, mais c'est ce que j'ai essayé de
faire, de donner le sentiment d'un retour en arrière. » Lors de l'enregistrement de
l'album, quelques problèmes surgissent : « Certains patriarches du London Sym-
phony Orchestra refusaient de suivre mes remarques. Je ne supporte pas l'indisci-
pline et j'ai dû hurler pour que l'on me respecte... J'ai lancé de mon pupitre "Se-
riez-vous aussi indisciplinés avec John Williams ou serait-ce mon jeune âge qui
vous gêne ?" Le soir même tout le LSO se levait suite à l'exécution du morceau
Lilian's heart attack. » James Horner avait tout juste 30 ans.
Brainstorm : éd. Varèse Sarabande (cd).

LE BRASIER
Réalisé par Éric Barbier - Production : Jacques Fiorentino (Warner Bros.)
Musique de Frédéric Talgorn - 1991

La carrière cinématographique de Frédéric Talgorn débute en Amérique où il


s’installe en 1987. Il compose ses premières B.O. pour des séries B fantastiques ou
d’action (Docteur Jekyll et Mr Hyde, Robojox, Delta Force 2), avant de re-
joindre un cinéma français plus ambitieux. Le Brasier est une énorme production
de 100 millions de francs qui nécessite une partition aux résonances hollywoo-
diennes. « À ce moment-là, j'étais aux États-Unis, se souvient le musicien. C'était
mon deuxième film français, et le dernier d'ailleurs avant de retrouver Chantal
Lauby pour Laisse tes Mains sur mes Hanches, une dizaine d'années plus tard.
Le Brasier fut une expérience très touchante avec le réalisateur Éric Barbier… J'ai
écrit la partition dans un hôtel à Paris, le Regina, je me souviens m'être un peu

45
46
Le grand studio anglais Abbey Road. Créé en 1931, ce lieu
mythique accueillit notamment Sir Edw ard Elgar, les Beatles,
Pink Floyd, Sir Neville Marriner, et les compositeurs de cinéma
John Barry, Vladimir Cosma, James Horner, Philippe Sarde47 ,
John W illiams, Gabriel Yared…
"battu" avec le réalisateur : il ne voulait pas trop d'émotion dans l'histoire d'amour
entre les personnages, tandis que moi je voulais en mettre un peu plus. J'ai donc
refait certains morceaux. Mais c'était vraiment un film magnifique, c'est dommage
qu'il n'ait pas marché." Avec 40 000 entrées sur Paris, Le Brasier tombe aux ou-
bliettes en quelques semaines. Seule survivra la partition éloquente de Talgorn,
croisement réussi entre l’héritage de Georges Delerue et celui de John Williams.
Le Brasier : éd. Alhambra (cd).

BRAVEHEART Braveheart
Réalisé par Mel Gibson - Production : Bruce Davey, Mel Gibson, Alan Ladd Jr.
(Paramount Pictures)
Musique de James Horner - 1995

« J’ai toujours été proche de la musique celtique, confie James Horner. Musicale-
ment, c’est un monde dans lequel j’aime travailler, la couleur du langage, les ins-
truments que je choisis, les mélodies… Dans Braveheart, la cornemuse irlandaise
(uilleann pipe) s’oppose à la grande cornemuse écossaise. Ce sont des subtilités
perdues pour beaucoup de gens. Tout est affaire de couleurs et c’est ce qui fait
naître l’émotion. » Réalisateur passionné, Mel Gibson ne plébiscite pas son com-
positeur par hasard. Leur premier film en commun (L’Homme sans Visage) lui
révèle un précieux allié qu’il convie au casting de ses films. Durant la postproduc-
tion de Braveheart, le maestro adoucit la destinée violente de William Wallace et
bouleverse l’auditoire. « Sur la scène finale d’éventrement, précise Horner, ils
avaient d’abord essayé différents types de musiques mais la séquence repoussait
les spectateurs lors des projections préventives. Mel essaya de refaire le montage.
Je lui dis : "Laisse-moi traiter ça de façon différente, comme une berceuse." Le
chœur émerge dans la partition et soudain le caractère du final change. Cela de-
vient pensif… Au lieu de rejeter la scène, le public pleurait. Mel pleurait. C’est si
formidable lorsqu’un cinéaste autant impliqué dans sa création est capable de
prendre de la distance, et de regarder son film avec un autre état d’esprit. »
Braveheart : éd. London et La-La Land (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film 1996.

BRAZIL Brazil
Réalisé par Terry Gilliam - Production : Arnon Milchan (Universal Pictures)
Musique de Michael Kamen - 1985

Précieux conseiller artistique de Terry Gilliam, le percussionniste Ray Cooper


remarque Michael Kamen au détour d’un enregistrement. « Il avait entendu la
bande-son originale de Dead Zone, se souvient le cinéaste. Il m’a dit : "Écoute ça,
c’est vraiment excellent, ce n’est pas de la musique de film habituelle. Elle est
extraordinaire et couvre vraiment l’intégralité du spectre sonore, du plus haut au
plus bas. On ressent à la fois le danger, la mélancolie. Il faut que l’on rencontre ce
gars." Notre premier contact a été très bon et je l’ai choisi pour écrire le score…
Au départ, Michael était réticent à l’idée d’utiliser la chanson d’Ary Barroso, mais
je lui ai dit : "C’est la règle à respecter. Cette mélodie brésilienne doit être centrale,
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pour le reste, fais ce que tu veux." » Kamen confectionne alors un mélange de
diverses influences allant d’Une vie de héros de Richard Strauss au Typewriter de
Leroy Anderson (orchestre et machine à écrire). Un melting-pot construit quasi-
ment en temps réel, à même les séquences. « Nous diffusions le film sur un moni-
teur, Michael avait un enregistreur et jouait sur les images tel un pianiste de
l’époque du muet. En parallèle, je le dirigeais en lui donnant des indications du
genre : "Non, plus doucement ici – par contre là, plus fort LA LA DA DAAM !
(…) Et quand on écoutait le résultat, c’était très bon. »
Brazil : éd. Milan (cd).

BREEZY Breezy
Réalisé par Clint Eastwood - Production : Robert Daley (Universal Pictures)
Musique de Michel Legrand - 1973

L’année de son premier Oscar à Hollywood (1969), Michel Legrand est victime
d’une grave dépression. Il quitte définitivement la cité qui, selon lui, « avale et
broie les compositeurs », sans pour autant renoncer au cinéma d’outre-Atlantique.
« Mon idée est simple : continuer à écrire pour des films américains, note le musi-
cien, mais en me déplaçant ponctuellement… Ce fonctionnement me convient
parfaitement d’autant que j’ai pris le pli d’écrire en avion. Il me faut simplement
trois places pour éparpiller mes partitions. » La B.O. pop et romantique de Breezy
se situe dans le feu de cette nouvelle méthode de travail. Legrand visionne le film
à Hollywood et enregistre le score en France, avec les compliments de Clint
Eastwood : « Ce film avait besoin d’une musique aussi simple et débordante
d’amour que le script, remarque le cinéaste. Michel sait que les émotions intenses
n’ont pas à s’imposer à l’aide d’un marteau de forgeron. Elles peuvent vous effleu-
rer telle une brise. Cette sagacité, peut-être instinctive chez lui, est présente dans
toute sa musique. La question suivante était : notre histoire allait-elle l’émouvoir
autant que nous l’espérions ? Ses larmes à l’issue de la projection nous donnèrent
la réponse. Je crois que Michel a distillé toutes ses émotions dans sa musique. »
Breezy : éd. MCA (lp) et Universal Music France / Écoutez le Cinéma (extraits,
cd).

LES BRIGADES DU TIGRE


Série réalisée par Victor Vicas - Production : Etienne Laroche, Serge LeBeau,
Robert Velin (Antenne 2)
Musique de Claude Bolling - 1974

"Incognito, vos flics maintenant sont devenus des cerveaux...", quatre décennies
plus tard, La complainte des apaches chantée par Philippe Clay est toujours aussi
présente dans la mémoire collective. Écrit par Claude Desailly, la série réinvente
les Brigades mobiles de Clemenceau en liant des personnages hauts en couleur
(Blériot, la bande à Bonnot...), des faits sociétaux (le vote des femmes) à des in-
trigues policières rondement menées par le réalisateur Victor Vicas. Côté musique,
Claude Bolling est retenu en raison du succès de son score rétro pour le film Bor-
salino. Les moyens sont limités, mais Vicas souhaite une partition spécifique pour
49
Compositeur de renommée mondiale, Claude
Bolling est également un pianiste de jazz virtuose
(ici en répétition, lors d’un concert avec son big
band).

50
chaque épisode, enrichie à l'occasion de chansons originales telles La pension des
dames du Plantin ou L'Italienne. Mélodiste orfèvre, le musicien imprime sa marque
sur toutes les intrigues : « Je me souviens avoir utilisé des petites formations à
instruments variés : flûte, clarinette, basson ou saxophone, trompette, trombones,
deux cordes, parfois un quatuor... Grâce à une bonne prise de son, au studio Phi-
lips rue des Dames ou à la Comédie des Champs-Élysées, j'ai réussi à donner
l'impression de densité quand l'action le réclamait. C'est souvent dans la con-
trainte que l'on réussit. » Le thème musical de Bolling passera du petit au grand
écran avec la version cinéma de 2005.
Les Brigades du Tigre : éd. Frémeaux et Associés (cd).

BRISBY ET LE SECRET DE N.I.M.H. The Secret of N.I.M.H.


Réalisé par Don Bluth - Production : Don Bluth, Gary Goldman, John Pomeroy
(United Artists)
Musique de Jerry Goldsmith - 1982

Le compositeur d'Alien chez Disney ou presque ! Évadés du géant de l'animation,


Don Bluth, John Pomeroy et Gary Goldman frappent un grand coup sur la table
avec ce conte champêtre inattendu. Un pari fou pour l’United Artists qui, en
l’absence du grand Walt durant l’été 1982, tente l’impossible face à E.T. L’Extra-
terrestre. Contre toute attente, l'équipe choisit un musicien vierge d’expérience en
la matière. « J’ai été très flatté de la réaction de John Pomeroy à la fin de la pre-
mière session d’enregistrement, raconte Jerry Goldsmith. Il est venu vers moi très
enthousiaste, en me disant que ma musique faisait date dans l’histoire de
l’animation et qu’aucun autre dessin animé n’avait été mis en musique de cette
façon. Pour ma part, mes intentions ont été claires dès le début de la production.
Je n’ai jamais envisagé de faire un score à la Disney, où tout serait parfaitement
synchronisé avec l’action. J’ai souhaité composer une musique comme je l’aurais
fait pour un "vrai" film, en estimant que cela permettrait de renforcer la continuité
et d'accroître la sensation de réalisme. Bien sûr, quelques scènes de comédies
étaient davantage dans l’esprit Mickey Mouse, mais je les aurais composées de la
même manière sur un long-métrage réel. Tout cela a été très amusant à écrire. »
Une partition merveilleuse dans tous les sens du terme.
The Secret of N.I.M.H. : éd. Varèse Sarabande (lp, cd) et Intrada (médiocre trans-
fert de bandes dbx, cd).

BULLITT Bullitt
Réalisé par Peter Yates - Production : Philip D’Atoni (Warner Bros.)
Musique de Lalo Schifrin - 1968

« Steve McQueen est venu me rendre visite, raconte Lalo Schifrin. Il ne s’occupait
pas des choses d’ordre artistique. Mais il était l’un des producteurs. Il m’a juste
dit : "Bullitt est un gars très simple." Et je lui ai répondu : "Oui, et je vais écrire un
score très simple." Je lui ai également précisé que la musique serait basée sur le
blues. Et je n’ai pas menti. La texture du thème est complexe mais totalement
blues... J’avais en tête la guitare, la flûte alto, quelque chose de simple. Je voulais
51
éviter les clichés du saxophone, un instrument souvent associé à ce type de thril-
lers. » À l’issue du tournage, le compositeur argentin rencontre Peter Yates et lui
annonce son intention de ne pas mettre en musique la poursuite centrale du film :
« Selon moi, c’était inutile car il y allait avoir beaucoup d’effets sonores, des bruits
concrets comme ceux de la Mustang et de la Dodge. J’ai écrit la musique de la
filature dans un tempo lent favorisant l’expression du suspense. La tension monte,
monte… Quand Steve McQueen enclenche la vitesse, après s’être retrouvé der-
rière la voiture qui le filait, la poursuite commence. C’est là que j’ai choisi
d’interrompre la musique. » Une pierre angulaire des années soixante.
Bullitt : éd. Film Score Monthly (cd).

BUNNY LAKE A DISPARU Bunny Lake is Missing


Réalisé par Otto Preminger - Production : Otto Preminger (Columbia Pictures)
Musique de Paul Glass - 1965

Compositeur américain naturalisé suisse, Paul Glass est invité par Otto Preminger
à suivre au quotidien le tournage de Bunny Lake a disparu. Une pratique habi-
tuelle pour le cinéaste, voire sine qua non*. « À Londres, durant plus de quatre
mois, précise Michael Barclay (Decca records), Glass travaillait presque 24 heures
sur 24, plusieurs fois par semaine, en prenant soin de noter toutes ses idées, avant
qu’elles ne lui échappent. Selon lui, ses échanges journaliers avec Preminger se
sont révélés inestimables pour l’écriture de la B.O. » Les nombreux faux-
semblants de ce thriller psychologique autorisent le compositeur à multiplier les
approches ; passée la longue ouverture mélodique – une séquence de 7 minutes –
le score glisse perceptiblement vers le sérialisme. « La musique de Bunny Lake
couvre un large éventail de catégories, remarque Glass, mais elle s’attache tou-
jours à suivre le point de vue de la mère dont l’enfant a disparu. De manière sub-
jective, nous restons toujours au plus près de ses sentiments, comme si nous en
faisions l’expérience, y compris lorsque la jeune femme n’apparaît pas à l’image. »
Dans un style très personnel, le musicien réussit une partition psychotique pleine
d’humanité, entrecoupée de quelques chansons pop rock du groupe anglais The
Zombies.
Bunny Lake is Missing : éd. Intrada (cd).
*Dans un livre sur James Bernard (Composer to Count Dracula, éd. McFarland
& Co Inc, 2005), le musicien Philip Martell raconte son expérience avec le ci-
néaste. Sur Sainte Jeanne, comme il refusait d’assister au tournage, Preminger lui
lança : « Soit vous faites ce que je veux, soit vous êtes viré du film ». Martell quitta
le plateau…

C’ÉTAIT DEMAIN Time after Time


Réalisé par Nicholas Meyer - Production : Herb Jaffe (Warner Bros.)
Musique de Miklós Rózsa - 1979

À la fin des années soixante-dix, la résurgence des partitions symphoniques dans


le cinéma de genre amène Miklós Rózsa à sortir de sa semi-retraite. Il rencontre
une nouvelle génération de cinéastes admiratifs de l’âge d’or d’Hollywood.
52
« Même si la musique de film n’était pas soudainement devenue en vogue*, précise
Nicholas Meyer, j’aurais tué pour voir le score de C’Était Demain, mon premier
film, composé par Miklós Rózsa. » En outre, l’objet du scénario conforte le réali-
sateur dans son choix : « Je voulais que la musique reflète la sensibilité – ou tout
du moins l’époque – de son protagoniste : un homme du XIXe siècle. En consé-
quence, j’envisageai une bande originale symphonique plutôt que pop. Ainsi,
lorsque la musique pop surgirait dans le film, à l’instar de toutes les choses de ce
bon vieux XXe siècle dans lequel Wells débarque, elle serait perçue comme étran-
gère et relevant davantage de la science-fiction. Bref, comme une manifestation de
la différence entre l’époque victorienne de Wells et la nôtre. » Entrecoupé d’une
inoubliable valse du temps (The time machine waltz), C’Était Demain retrouve
toute l’énergie des grandes heures du maestro.
Time after Time : éd. Film Score Monthly (cd) et Entr’act / Southern Cross (réen-
registrement anglais de 1979, cd).
*En français dans le texte.

CAMILLE CLAUDEL
Réalisé par Bruno Nuytten - Production : Bernard Artigues (Gaumont)
Musique de Gabriel Yared - 1988

Benjamin Britten et Anton Bruckner sont les choix musicaux préalables de Bruno
Nuytten durant le montage de Camille Claudel. Faute de droits d’auteurs acces-
sibles, Gabriel Yared entre en lice alors qu’il débute sa carrière aux États-Unis :
« J’étais à Los Angeles, en 1987, pour enregistrer la musique de mon premier film
américain Retour à la Vie de Glenn Gordon Caron, lorsque je reçus un appel de
l’actrice Isabelle Adjani et du réalisateur me proposant de composer la partition…
J’avais sept à huit semaines pour écrire et orchestrer 90 minutes de musique. J’ai
tout de suite accepté. J’ai visionné un montage de quatre heures et me suis immé-
diatement mis au travail. Vu le peu de temps dont je disposais, je décidai alors de
composer trois thèmes, de les explorer et de les développer sous la forme de trois
suites orchestrales pour grand orchestre à cordes, sextuor et quatuor à cordes,
harpes et percussions. Le choix de ne pas utiliser de bois, ni de cuivres était déli-
béré : seules les cordes pouvaient exprimer les nuances et la complexité de cette
passion, amoureuse et créatrice, entre deux artistes hors du commun. » Influencé
par Mahler, Schönberg (La nuit transfigurée) et Richard Strauss, le travail achevé de
Yared sera dirigé de main de maître par le chef Harry Rabinowitz.
Camille Claudel : éd. Virgin et Cinéfonia (cd).
Nominée au César de la meilleure musique originale 1989.

LA CANONNIÈRE DU YANG-TSÉ The Sand Pebbles


Réalisé par Robert Wise - Production : Robert Wise (20th Century Fox)
Musique de Jerry Goldsmith - 1966

Après l'échec relatif de Cléopâtre, La Canonnière du Yang-Tsé se doit de ren-


flouer les caisses de la Twentieth Century Fox. Robert Wise engage Alex North
pour écrire la partition et rassurer le studio déficitaire, mais le vétéran décline
53
l'offre en raison d’importants problèmes de santé. Il lui recommande alors un
jeune musicien éclectique, dont la renommée commence à poindre : « J'ai reçu un
coup de fil à 17h, se souvient Goldsmith, je me suis rendu au studio à 20h pour
voir le film cette nuit-là. C'était vraiment le premier grand film que je faisais. Bob
Wise était un peu nerveux que je compose la musique. C'était un vrai blockbuster
pour l'époque et il était très controversé. Le film était clairement antimilitariste
alors que nous étions engagés au Vietnam. » Wise sera vite rassuré. Dès le géné-
rique, le talent de Goldsmith explose ; sa science innée de l’intimisme, savamment
mêlée à la fresque militaire, introduit l’idéologie avérée d’un récit sans héros, ni
fanfare. Maîtrise des rythmes – on sent l'influence de Ravel, de la musique espa-
gnole – multiplicité des sonorités traditionnelles (angklung, gamelan, crotales,
cymbalum...), densité des cordes (intense séquence du supplice de Po-Han),
thème d'amour inspiré : pas de doute, un formidable musicien de cinéma est né !
The Sand Pebbles : éd. Intrada (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1967.

LES CANONS DE NAVARONE The Guns of Navarone


Réalisé par Jack Lee Thompson - Production : Carl Foreman (Columbia Pictures)
Musique de Dimitri Tiomkin - 1961

L’art de la guerre selon Dimitri Tiomkin ou comment contourner la martialité via


l’usage du folklore. Carl Foreman rencontre le musicien ukrainien durant la Se-
conde Guerre mondiale, alors qu’ils travaillent tous deux au département cinéma
des armées. Leur admiration mutuelle scelle une amitié responsable de quelques
grands classiques, dont ces Canons de Navarone inspirés de la bataille de Leros.
Tiomkin reçoit 50 000 dollars* des mains de Foreman pour écrire sa partition et,
bien qu’il s’en défende, s’active à rejoindre l’emphase du récit : « Le problème
avec ce film, précise-t-il à l’époque, était de composer une musique qui ne dimi-
nue pas le réalisme et l’aspect tragique de cette aventure légendaire. » Selon ses
habitudes, il opte pour la forme symphonique, ici augmentée de plusieurs pu-
pitres, pimentée de quelques instrumentations traditionnelles. Faute de bouzoukis
disponibles, Tiomkin colore ses thèmes principaux de mandoline, de guitare (The
legend of Navarone / Yassou) et s’éloigne un tant soit peu des marches militaires à la
sauce hollywoodienne. Il enregistre la B.O. en Angleterre sous l’œil amical du
producteur : « Dimitri est un inlassable perfectionniste qui épuise ses musiciens
pour obtenir l’effet qu’il désire… À Londres, durant l’enregistrement, je l’ai vu
pousser à bout le London Sinfonia au point que je pensais une grève inévitable.
Mais lorsque tout fut terminé, ils le prièrent de diriger l’orchestre pour un concert.
Un hommage plutôt rare. »
The Guns of Navarone : éd. Sony (cd) et Tadlow (réenregistrement, cd).
*Un record salarial dans les années soixante.
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1962.

LES CAPRICES D'UN FLEUVE


Réalisé par Bernard Giraudeau - Production : Jean-François Lepetit
(Pyramide Distribution)
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Musique de René-Marc Bini - 1996

Les années 90 sont fécondes pour Bernard Giraudeau qui signe plusieurs fictions
et documentaires aux allures vagabondes. Film d'époque, récit d'aventures, ré-
flexion humaniste sur la colonisation, Les Caprices d'un Fleuve est film métis
dans tous les sens du terme. « J'ai voulu, précise le cinéaste, conter le destin excep-
tionnel d'un homme exilé par le roi vers un comptoir d'Afrique de l'Ouest, peu
avant la Révolution française... Comment découvre-t-il le peuple noir ? Mais plus
important que tout, qui est Amélie Maimouna Ba l'esclave peule ? Confronté aux
doutes, à la contradiction, il s'initie à la sensualité, au métissage. Il va vivre
l'Afrique comme peu de blancs l'ont vécue à cette époque. » Réné-Marc Bini in-
tervient très tôt dans le projet : « Les principaux thèmes furent conçus avant le
tournage, raconte le musicien, lors des repérages, de nos recherches patientes, de
nos rencontres... Des instruments baroques, des instruments symphoniques et des
instruments africains : voilà les ingrédients. » Sans oublier la voix, celle de Cathy
Renoir en particulier, composante lumineuse d'une B.O. située à la croisée de
Vivaldi (Nisi Dominus pour l’inspiration) et des traditions musicales du continent
noir.
Les Caprices d'un Fleuve : éd. France 2 Music / Polygram (cd).

CAPRICORN ONE Capricorn One


Réalisé par Peter Hyams - Production : Paul N. Lazarus III (Warner Bros.)
Musique de Jerry Goldsmith - 1978

« Sur Capricorn One, je souhaitais surprendre le public, avoue Peter Hyams.


Lorsque la musique arrive, elle se déploie avec tous les instruments de l’orchestre.
Le tempo du générique est en 3/4 et 5/8, ce qui est suffisant pour donner une
double hernie à n’importe qui ! » Derrière cet ultime thriller paranoïaque des an-
nées soixante-dix, le cinéaste dissimule un film d’action auquel répond impecca-
blement Jerry Goldsmith. Le score de Capricorn One progresse au fil de climats
mêlés : des plages tendues, voire désespérées (les cordes en avant), bousculées par
de rutilantes échappées cuivrées, le tout enrichi d’électronique. Selon le réalisa-
teur, « le plus gros souci concernant les scores de cette époque, c’est que vous ne
pouviez pas entendre le rendu global des morceaux avant l’enregistrement final.
On découvrait toutes les parties mêlant orchestre, synthétiseur et voix, le jour J,
dans le studio. Ceci dit, lorsque Jerry me jouait les thèmes pour la première fois,
j’étais toujours estomaqué. Ils étaient merveilleux. » Peter Hyams collaborera à
nouveau avec Goldsmith sur Outland, belle réussite de la science-fiction inspirée
par le western Le Train Sifflera Trois Fois.
Capricorn One : éd. Intrada (cd) et Perseverance (album d’époque réenregistré à
Londres, cd).

CARRIE AU BAL DU DIABLE Carrie


Réalisé par Brian De Palma - Production : Paul Monash (United Artists)
Musique de Pino Donaggio - 1976

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En 1975, Brian De Palma perd son partenaire musical idéal. Bernard Herrmann
décède à l'issue d'une longue maladie, après deux remarquables partitions pour le
jeune cinéaste (Sœurs de Sang, Obsession). Ce dernier se met en quête d'un com-
positeur proche de sa sensibilité et repère Pino Donaggio, un musicien vénitien
issu de la variété. « Brian est tombé amoureux de ma musique pour le film Ne
Vous retournez Pas ! de Nicolas Roeg, raconte Donaggio, car il trouvait qu’elle
ressemblait à celle d’Herrmann… Et que nous utilisions les instruments à cordes
de façon similaire. » Carrie révèle cette parenté dès le générique : un long ralenti
sans dialogue qui, selon les souhaits du producteur, devait être couvert par une
chanson. « Je me souviens m'être rendu à une projection très remonté, raconte De
Palma. Je leur ai dit : "Vous ne pouvez pas faire ça, c'est une erreur… ça va gâ-
cher tout le début du film. Je ne vais pas mettre une chanson sur le générique alors
que j'ai ce merveilleux morceau composé par Pino Donaggio." J'ai finalement
obtenu que la chanson soit déplacée et on l’entend maintenant dans la scène du
bal. » Le film fera un triomphe au box-office et scellera la collaboration entre les
deux artistes.
Carrie : éd. Kritzerland (cd).

CASINO ROYALE Casino Royale


Réalisé par Ken Hughes, John Huston, Joseph McGrath, Robert Parrish, Richard
Talmadge - Production : Charles K. Feldman, Jerry Bresler (Columbia Pictures)
Musique de Burt Bacharach - 1967

« Travailler sur un film nécessite un investissement considérable. C’est la raison


pour laquelle je n’ai pas beaucoup travaillé pour le cinéma, remarque Burt Bacha-
rach. Il faut que quelque chose m’accroche vraiment dans le projet. » Après plu-
sieurs disques à succès et son mariage avec l’actrice Angie Dickinson, l’auteur de
What the world needs now is love entame une carrière de musicien de cinéma via
quelques comédies, dont ce pastiche de James Bond. Les cinq cinéastes de Casino
Royale ne s’impliquent guère dans la bande-son et laissent Bacharach seul face au
film. « J’ai écrit le thème The look of love en travaillant sur une Moviola. Il y avait
une bobine consacrée à Ursula Andress qui me fascinait. Elle était si magnifique,
si séduisante que je n’arrêtais pas de visionner ses images en boucles. Tout ce que
j’avais à faire était de traduire cela en musique… Pour ma part, c’est souvent ma
seule façon de faire : regarder le film encore et encore… Au départ, ce ne devait
être qu’un morceau instrumental. Je suis vraiment partie du personnage d’Ursula
et ce qu’on entend correspond à ce que je voyais. Cela a donné une section ryth-
mique, un saxophone et une sorte d’ersatz de guitare brésilienne. » Après une
remarque judicieuse d’un des réalisateurs, The look of love deviendra une chanson
culte interprétée par Dusty Springfield, et l’album un pressage audiophile de réfé-
rence.
Casino Royale : éd. Quartet (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure chanson originale 1968.

LE CAUCHEMAR DE DRACULA The Horror of Dracula


Réalisé par Terence Fisher - Production : Anthony Hinds
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(J. Arthur Rank Film Distributors)
Musique de James Bernard – 1958

Le thème principal du Cauchemar de Dracula naît d’une idée singulière : « Le


climat musical lié à ce mythe était quelque chose de nouveau pour moi, raconte
James Bernard. Avec mon ami scénariste Paul Dehn, nous avions l’habitude de
discuter de nos projets respectifs et lorsque que je lui ai parlé de ce Dracula des
productions Hammer, il m’a fait remarquer que le nom Dracula devait sans doute
suggérer musicalement quelque chose. C’est ainsi que ce thème m’est venu. Lors-
que vous l’écoutez, vous pouvez entendre "DRAC – U – LA" ! » Pour James Ber-
nard, cette partition symphonique revêt une dimension libératoire ; son entrée
dans les productions Hammer n’étant pas exsangue de restrictions instrumentales.
« Sur les trois premiers films, je ne pouvais utiliser qu’une section de percussions
et des cordes. Je pense qu’avant de me lâcher avec un orchestre complet, le direc-
teur musical voulait voir comment je me débrouillais avec un tel effectif. » À partir
de 1957 (Frankenstein s’est échappé), Bernard dispose donc de nouveaux
moyens et collabore régulièrement, mais à distance, avec le réalisateur vedette du
genre Terence Fisher. « Il ne venait jamais aux enregistrements des scores. Te-
rence disait toujours que la musique n’était pas son domaine et qu’il était très con-
tent de mon travail. »
The Horror of Dracula : éd. Silva America (réenregistrement, cd).

LE CERCLE ROUGE
Réalisé par Jean-Pierre Melville - Production : Robert Dorfmann
(Les Films Corona)
Musique d’Éric Demarsan - 1970

La dernière collaboration d’Éric Demarsan avec Jean-Pierre Melville se noue par


défaut. Le compositeur accepte de composer la B.O. du Cercle Rouge après le
rejet d’un premier score de Michel Legrand. « Je n’ai pas écouté la musique de
Michel, précise Demarsan, et Melville n’en a pas fait état. D’ailleurs, il ne m’a
même pas dit que c’était Michel Legrand. Je l’ai appris deux ou trois jours après…
Je suis parti dans une direction pas totalement opposée à la sienne car ma mu-
sique était aussi un peu jazzifiante, mais sur le plan instrumental c’était complè-
tement différent. Pour ce film, Melville m’a fait visionner plusieurs fois Le Coup
de l’Escalier (musique de John Lewis), car il souhaitait que j’aille dans cette di-
rection musicale. J’ai donc employé un quartet dans l’esprit du Modern Jazz
Quartet de l’époque… En fait, il s’agissait d’un quintette car j’y ai ajouté une gui-
tare électrique. J’ai également mis des cordes, par moments des cuivres, des bois,
et surtout un piano qui faisait partie de ce quintette et qui est omniprésent dans le
film. » Reconnaissant du travail accompli, le cinéaste remercie Demarsan à sa
façon : « À la fin du mixage, Melville s’est tourné vers moi : "Vous savez Éric, j’ai
pris une décision : cette fois vous serez au générique du début." De sa part, c’était
une récompense, un honneur insigne… Mon exploit n’était pas mince : j’étais (et
je suis toujours) le seul compositeur à avoir travaillé avec lui à deux reprises. »
Le Cercle Rouge : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).
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Éric Demarsan

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LA CHAIR ET LE SANG Flesh + Blood
Réalisé par Paul Verhoeven - Production : Gijs Versluys (Orion Pictures)
Musique de Basil Poledouris - 1985

« Je suis un grand fan de Miklós Rózsa, avoue Basil Poledouris. Je crois qu'il a
influencé mes attitudes musicales, ma façon de composer. La période historique
de ses films est semblable à celle de Conan et La Chair et le Sang. En plus, je
pense que la grande force de Rózsa provient de la façon dont il s'inspire des mélo-
dies folkloriques, et pour moi la musique traditionnelle est une grande source
d'idées mélodiques. » La parenté avec le compositeur d'Ivanhoé frappe immédia-
tement l'auditeur de cette bande originale. À la tête du London Symphony Or-
chestra, Poledouris parvient à retrouver la puissance des partitions du maître hon-
grois en imposant une patte désormais reconnaissable. Mais à l'inverse de Conan,
le film de Paul Verhoeven investit une période historique déterminée : « La Chair
et le Sang se situe au début du XVIe siècle ; c'est très proche de la Renaissance. Je
pense que j'ai fait appel à un certain style de musique provenant de cette époque,
mais je ne l'ai pas trouvé assez dramatique pour répondre au besoin d'une mu-
sique de film. Donc, je me suis principalement inspiré de chants grégoriens en
essayant d'insuffler un côté "cape et d'épée". Car c'est aussi un film d'aventure et je
devais tenir compte de cet aspect. »
Flesh + Blood : éd. La-La Land (cd).

CHAIR POUR FRANKENSTEIN Flesh for Frankenstein


Réalisé par Paul Morrissey - Production : Andrew Braunsberg
(Bryanston Distributing)
Musique de Claudio Gizzi - 1974

Coproduits en Italie par Andy Warhol, Chair pour Frankenstein et Du Sang


pour Dracula sont deux curiosités quasi improvisées par Paul Morrissey : « Le
premier film fut filmé au Studio Cinecittà en trois semaines et demie, raconte le
cinéaste, et terminé un jour à midi, juste à temps pour la pause déjeuner. Durant
cette pause, les trois acteurs principaux changèrent de costume, se firent couper
les cheveux et l’après-midi nous commençâmes le tournage de Dracula (…) Je me
suis engagé sur ces deux films sans l’ombre d’un script, avec juste quelques pages
esquissant l’histoire ». Pour ses premières et uniques musiques à l’écran*, Claudio
Gizzy écrit deux partitions en opposition avec les tendances psychédéliques du
moment : « Ce fut pour moi une très bonne expérience, Paul m’a laissé toute liber-
té en faisant confiance à mes intuitions, remarque le musicien. Il savait aussi que
j’avais travaillé avec Visconti… J’ai pu réaliser toutes mes idées musicales dans le
style (orchestral) que j’avais choisi initialement. Lorsque je lui ai joué le thème de
Frankenstein au piano, il a été impressionné. Quant à celui de Dracula, il est né
spontanément sur les magnifiques images du générique. La tristesse, le calme et
l’élégance d’Udo Kier face à son miroir m’ont frappé. Cela a vraiment guidé mon
travail. » Et Morrissey de conclure : « Ces beaux scores, tous deux conçus de ma-
nière élaborée, sont apparus comme le contrepoint à l’absurdité de ces objets ci-
nématographiques… »
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Il Mostro e' in Tavola... Barone Frankenstein /
Dracula cerca Sangue di Vergine... e mori' di Sete : éd. Digitmovies (cd).
*Claudio Gizzi fera carrière dans l’Easy listening sous le pseudonyme de Jean-
Pierre Posit !

CHAPEAU MELON ET BOTTES DE CUIR The Avengers


Série créée par Sidney Newman, Leonard White, John Bryce, Julian Wintle, Al-
bert Fennell, Brian Clemens (ITV)
Musique de Laurie Johnson - 1964

La quatrième saison de Chapeau Melon et Bottes de Cuir convie Laurie Johnson


à succéder au jazzman Johnny Dankworth*. Désormais, la série bénéficie d’un
générique spécialement mis en scène et en musique. « Lorsque je suis arrivé sur la
série en 1965, raconte Johnson, les épisodes étaient filmés pour la première fois
sur pellicule. Avant cela, ils tournaient sur bandes vidéo… Chaque film était traité
de façon individuelle. Les scores étaient écrits comme s’il s’agissait de longs-
métrages. Bien sûr, on réutilisait parfois des musiques, mais la grande majorité
des 85 épisodes a été composée spécifiquement. » Rompu à toutes les exigences
du cinéma (des centaines de B.O.), le musicien est rapidement victime de son suc-
cès. « Au départ, notre calendrier de travail était très "civilisé", puis lorsque la
série a décollé aux États-Unis sur le réseau ABC, tout s’est accéléré. Il m’arrivait
parfois de visionner un montage le lundi et d’enregistrer le score le lundi suivant,
en sachant que sa durée pouvait atteindre 35 minutes. De plus, l’instrumentation
variait en fonction de chaque épisode, elle pouvait passer de 12 à 27 musiciens. »
Laurie Johnson composera l’intégralité de la deuxième série (The New Avengers),
ainsi qu’un nouveau thème parfaitement raccord avec le précédent générique.
The Avengers : éd. Starlog / Varèse Sarabande (réenregistrement, cd).
*Auteur des musiques des trois premières saisons.

CHARADE Charade
Réalisé par Stanley Donen - Production : Stanley Donen (Universal Pictures)
Musique de Henry Mancini - 1963

Situé quelque part entre James Bond et Alfred Hitchcock, Charade se révèle une
étape importante dans la carrière de Henry Mancini. Le casting est prestigieux,
Audrey Hepburn au sommet de sa gloire, et le tournage en Europe a des consé-
quences directes sur la musique. « Stanley voulait que j’écrive la musique en An-
gleterre, se souvient Mancini, je me suis donc rendu à Londres, ne sachant pas à
quoi m’attendre. Pour moi, cela représentait un enjeu important. J’avais bien eu
quelques succès, mais j’étais plutôt en début de carrière. Je n’avais que 39 ans. Je
me suis installé dans une belle suite du Mayfair Hotel, à deux pas de Berkeley
Square où j’avais loué un piano, et je me suis mis au travail… La partition ache-
vée, nous avons été au studio pour l’enregistrer. Mes inquiétudes sur les orchestres
britanniques s’estompèrent immédiatement. Je fus même très impressionné par la
qualité des musiciens… » Le thème principal mêlant cymbalum, guitare élec-
trique, rythmes Tamouré, allié au générique de Maurice Binder, fait éclater le
60
talent du musicien. Car Mancini n’est pas uniquement l’homme des comédies
légères ; la musique dramatique de Charade nourrit les scènes de suspense avec
une réelle maîtrise des effets. Il est fort probable qu’Hitchcock s’en soit souvenu
pour Frenzy* – le réalisateur lui proposera de composer la B.O. de son avant-
dernier film tourné en Grande-Bretagne.
Charade : éd. RCA et Intrada (cd).
*Jugé trop macabre (!?), le score de Mancini sera finalement rejeté par le maître
du suspense, au profit d’une partition de Ron Goodwin.
Nominée à l’Oscar de la meilleure chanson originale 1964.

LES CHARIOTS DE FEU Chariots of Fire


Réalisé par Hugh Hudson - Production : David Puttnam (Warner Bros.)
Musique de Vangelis - 1981

Les documentaires animaliers de Frédéric Rossif (L’Apocalypse des Animaux,


Opéra Sauvage) délivrent une nouvelle identité au Grec Vangelis Papathanassíou.
Quelques années après la séparation des Aphrodite’s Child, il se découvre musi-
cien pour l’image : « C’était totalement différent de tout ce que j’avais fait avant,
avoue le compositeur, comme de s’évader du monde du show-business… Cette
collaboration avec Rossif a pris des proportions que je n’imaginais pas. » Le suc-
cès de ces premières B.O. traverse La Manche et Hugh Hudson imagine Vangelis
sur les olympiades de 1924. « Afin de donner un sentiment de modernité aux
Chariots de Feu, remarque le cinéaste, je pensais qu’il était nécessaire d’avoir une
partition anachronique. C’était risqué, mais nous avons préféré aller dans cette
direction plutôt que de choisir une musique symphonique traditionnelle. » Ne
sachant pas transcrire les notes, Vangelis conçoit son travail spontanément, en
réaction directe avec les images. « À l’aide d’une technique particulière et sans
recours à l’informatique, précise le musicien, j’ai inventé un système qui me per-
met de produire le son final d’une composition symphonique. Je considère ce
processus de création comme la plus grande réussite de ma vie. » Le thème
d’ouverture des Chariots de Feu faillit cependant ne jamais exister : « Ils avaient
choisi un morceau tiré d’un de mes précédents albums*. Ils souhaitaient le con-
server et ce n’est que le tout dernier jour qu’ils m’ont laissé essayer autre chose. »
Ouf !
Chariots of Fire : éd. Universal (cd).
*Il s’agissait de L’Enfant (Opéra Sauvage)
Oscar de la meilleure musique originale 1982.

LE CHEVALIER DES SABLES The Sandpiper


Réalisé par Vincente Minnelli - Production : Martin Ransohoff (MGM)
Musique de Johnny Mandel - 1965

À la demande du couple vedette Richard Burton / Elizabeth Taylor, et après


l'abandon du projet par William Wyler, Vincente Minnelli prend en charge la
mise en scène du Chevalier des Sables. Si l'argument du scénario paraît un peu
faible (calqué sur Miss Thompson de Somerset Maugham), l'inventivité du cinéaste
61
combinée à la maestria du chef opérateur Milton Krasner assure au film une jolie
photogénie. La suavité du score de Johnny Mandel fait le reste, en gravant dans
les annales The shadow of your smile, un standard créé dans l'insomnie : « Pendant
je ne sais pas combien de temps, j'ai écrit çà et là en déchirant tout sans résultat, se
souvient Mandel. À la fin, j'étais au bord du désespoir et je me suis dit : "Au
diable cette musique !", je suis sorti pour aller voir un film. Je ne me souviens plus
ce que c'était, mais ça n'avait aucun rapport avec l'histoire du Chevalier des
Sables. Cela m'a permis d'oublier mes soucis de composition. J'ai fini la nuit dans
un coffee shop et d'un seul coup la mélodie est sortie, "boom !", en un seul bloc. »
Un coup de génie interprété par l'élite des studios de L.A., dont Bud Shank, Plas
Johnson (saxos), Artie Kane (piano), Jack Sheldon et Uan Rasey (trompettes).
The Sandpiper : éd. Film Score Monthly (cd).
Oscar de la meilleure chanson originale 1966.

LES CHIENS DE PAILLE Straw Dogs


Réalisé par Sam Peckinpah - Production : Daniel Melnick
(Cinerama Releasing Corporation)
Musique de Jerry Fielding - 1971

Face à la montée en violence des Chiens de Paille, Jerry Fielding s’interroge :


comment intervenir dès le générique sans révéler l’hypertension à venir ? « Le film
commence comme une carte postale, vous ne pouvez deviner ce qui va se passer,
remarque le compositeur. Et la musique ne doit en aucun cas vous donner
d’indice… Il se trouve que le générique a été conçu tardivement, l’intégralité du
score était déjà écrite (dans l’esprit de L’Histoire du soldat de Stravinsky, un choix
approuvé par Sam Peckinpah, NDLR). Le matin du départ pour l’enregistrement
à Londres, j’ai commencé à paniquer, je me demandais : "Que vais-je faire ? Puis
soudain, en un éclair, une idée m’a traversé l’esprit, un genre de fanfare, comme
une annonce théâtrale du genre : "Votre attention s’il vous plaît ! Vous allez assis-
ter à une pièce de théâtre sérieuse mais pas mortelle !" Cette fanfare ne révèle en
rien le contenu du drame. Elle ouvre le champ des possibles et se termine par un
fondu. Ce ne sont que des cuivres, il y a peu d’émotion, rien de sirupeux. C’est
une petite fanfare de 40 secondes qui se termine en imitant la sonorité d’un vrai
clocher anglais. » Pour la longue scène de viol, Fielding composera l’un des plus
troublants mouvements symphoniques de sa carrière. Une suite orchestrale de
huit minutes (The infamous appasionata) construite autour d’une manipulation très
personnelle de la vitesse d’enregistrement*.
Straw Dogs : éd. Intrada (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1972.
*Notamment celle des trombones enregistrés à demi-vitesse, puis mixés avec
l’orchestre à vitesse normale.

CHINATOWN Chinatown
Réalisé par Roman Polanski - Production : Robert Evans (Paramount Pictures)
Musique de Jerry Goldsmith - 1974

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En 1969, la disparition tragique du jazzman Krzysztof Komeda laisse Roman
Polanski comme orphelin. Les deux compatriotes polonais partageaient leur fil-
mographie depuis Deux Hommes et une Armoire, premier court-métrage du réalisa-
teur. Durant le tournage de Chinatown, Polanski invite le musicien Philip Lam-
bro sur le plateau pour qu'il s'imprègne du sujet. Le cinéaste apprécie ses travaux
concertants et souhaite lui confier la partition du film. Lambro accepte puis en-
tame une composition mêlant fausse musique de source et plages orchestrales
avant-gardistes. La B.O. semble collée au plus près des enjeux de l'intrigue, mais
les projections tests s'avèrent catastrophiques et Lambro est remercié. Le produc-
teur Robert Evans engage alors Jerry Goldsmith pour sauver son film d'un dé-
sastre annoncé. « Quand je vis le film pour la première fois, raconte ce dernier, j’ai
toute de suite eu un flash concernant la structure orchestrale que je désirais. Musi-
calement je n’avais aucune idée de ce que j’allais faire, mais j’avais un son à
l’esprit et je souhaitais utiliser des cordes, quatre pianos, deux harpes, deux per-
cussionnistes et une trompette solo*. » Neuf jours plus tard, Evans exulte. Si
l'ambiguïté et la noirceur sont là, Goldsmith mise tout sur un thème d'amour so-
laire qui inonde le film d'une patine romanesque inattendue. Considérée comme
l'une des meilleures B.O. jamais composées, Chinatown représente aussi l'em-
prise d'un musicien sur une œuvre filmique, sa participation directe à l'intronisa-
tion d'un classique.
Chinatown : éd. Intrada (cd).
*le trompettiste Uan Rasey
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1975.

LE CHOIX DES ARMES


Réalisé par Alain Corneau - Production : Alain Sarde (Parafrance Films)
Musique de Philippe Sarde - 1981

Premier film français mixé en Dolby Stéréo, Le Choix des Armes permet à notre
cinéma hexagonal de franchir un cap. Dorénavant, la perception de la bande mu-
sicale n'est plus tributaire des ambiances, des dialogues et autres éléments sonores.
Philippe Sarde trouve là matière à quelques innovations : « Quand Alain Corneau
m’a dit : "Je me pose la question d’utiliser soit deux contrebasses, soit un or-
chestre symphonique", je lui ai répondu : "On prend les deux !" Simplement les
contrebasses (Ron Carter et Buster Williams) seront en haut et joueront les parties
mélodiques, et l’orchestre sera en dessous. » Avant le début du tournage, une suite
instrumentale est enregistrée aux studios Abbey Road afin d’être utilisée sur le
plateau. « C'était de l'inédit pur, se souvient Alain Corneau, avec atterrissage sur
une planète inconnue. On se disait aussi : sans analyser ce qui se passe, le specta-
teur moyen va ressentir musicalement quelque chose de bizarre, de décalé. Car on
prenait en otage des instruments, on les dérivait de leur fonction habituelle. Et là,
il se produit un phénomène dramatique… très fort, si bien manipulé. » Sarde
adoucit le parti pris formel à l'aide d'une longue mélodie lyrique et d’un mixage
idéalement équilibré. La mise en avant du score lors de la séquence irlandaise
servira admirablement l'intention du compositeur. Fort Saganne, la B.O. sui-
vante, sera plus classique (en partie inspirée par la Symphonie pour orgue de Saint-
63
64
Hubert Bougis (orchestrateur) et Philippe Sarde aux studios Abbey Road de Londres. Music Box, Pour
Sacha, La Fille de d’Artagnan, Alice et Martin, sont quelques fleurons de leur belle collaboration.
Saëns), mais tout autant réussie.
Le Choix des Armes / Fort Saganne : éd. Universal music France / Écoutez le
cinéma (cd).

LES CHOSES DE LA VIE


Réalisé par Claude Sautet - Production : Jean Bolvary, Raymond Danon, Roland
Girard (Compagnie Française de Distribution Cinématographique - CFDC)
Musique de Philippe Sarde - 1970

À 18 ans, Philippe Sarde entame son parcours au cinéma par la réalisation de


courts-métrages en 35mm. Ses talents musicaux remarqués l’amènent très vite à
privilégier la composition pour l’image. Il rencontre son mentor Claude Sautet
durant la dernière étape de son quatrième film, et saisit immédiatement les préoc-
cupations du cinéaste. « Quand j’ai visionné la première fois Les Choses de la
Vie, raconte Sarde, j’ai parlé de tout mais l’accident ne m’intéressait pas vraiment.
Ça me semblait idiot de dire à Claude : "L’accident est formidablement filmé."
Cela aurait été ridicule. Je lui ai dit : "Ce que Romy Schneider est bien !" Et là, il
avait les larmes aux yeux. En fait, je pense que beaucoup de gens lui ont parlé de
l’accident, oubliant pour lui l’essentiel : Romy. Parce que le film, comme beau-
coup des films de Claude, tient essentiellement par le personnage qu’il est et qu’il
projette, en l’occurrence sur Romy Schneider ou Michel Piccoli. Tous deux ont
été les grands "transferts" de Claude sur un acteur ou une actrice. » Icône mélo-
dique de leur collaboration, La chanson d’Hélène est aussi celle d’un certain cinéma
français des années soixante-dix.
Le Cinéma de Claude Sautet : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(cd).

LES CHUCHOTEURS The Whisperers


Réalisé par Bryan Forbes - Production : Michael S. Laughlin, Ronald Shedlo
(United Artists)
Musique de John Barry - 1967

« La musique de cithare écrite par Anton Karas pour Le Troisième Homme de


Carol Reed est l’une des meilleures partitions que j'ai jamais entendues. » À l'évi-
dence, cet aveu du réalisateur Bryan Forbes met en lumière son goût pour une
forme de minimalisme musical. Le score discret des Chuchoteurs rejoint en tout
point l'idée de dépouillement : un instrument traditionnel prédominant – ici, le
cymbalum remplace la cithare – au service d'un climat sonore intimiste. Selon le
cinéaste, John Barry est intervenu sur le film en amont de la postproduction :
« Nous avions décidé que John écrirait sa musique en même temps que le tour-
nage. Cela signifiait qu'à l'instant où je terminerais le film, John finirait d'écrire sa
partition complète. Il lut le script en même temps que les acteurs. À intervalles
réguliers, il consulta les premières séquences montées et passa beaucoup de temps
sur le plateau des studios à observer notre travail. De cette façon, il prit part à la
production dès le tout début. Nous enregistrâmes sa partition en un seul bloc et
non pas par petits morceaux pour coller aux images. J'ai toujours voulu qu'il
65
puisse s'exprimer en musique sans entrave, comme je pouvais le faire moi-même
avec le film. » Méconnus du grand public, leurs cinq longs-métrages en commun
sont à redécouvrir.
The Whisperers : éd. Ryko et Kritzerland (cd).

LA CHUTE DE L’EMPIRE ROMAIN The Fall of the Roman Empire


Réalisé par Anthony Mann - Production : Samuel Bronston (Paramount Pictures)
Musique de Dimitri Tiomkin - 1964

Deux ans après son beau travail sur Les 55 Jours de Pékin, Dimitri Tiomkin re-
trouve le producteur Samuel Bronston pour cette ultime pierre à l’édifice du pé-
plum babylonien. La Chute de l’Empire Romain est tout à la fois sa dernière
B.O. fleuve (2h30), un adieu au genre, mais aussi la fin d’une certaine expressivité
musicale. Car Tiomkin n’est l’homme d’aucune Nouvelle Vague en marche, il
intervient en imposant une stylisation dénuée de réalisme. Sa grande préoccupa-
tion est de créer un continuum soudé à l’argument narratif. « Après avoir vu et
étudié le film, témoigne le compositeur, puis discuté avec Bronston et Anthony
Mann, on m’a donné la liberté complète de choisir ma propre interprétation…
Afin d’être honnête et pour trouver l’inspiration, j’ai écarté toute idée de donner à
La Chute de l’Empire Romain une musique de style quasi documentaire. Mon
seul projet était de réagir spontanément à la dramaturgie du film que je découvrais
et appréciais graduellement. Les personnages me sont apparus étonnamment vi-
vants, proches de moi, et donc les mélodies ont commencé à poindre. Au début,
j’eus l’étrange désir de développer ces thèmes de manière plus complexe et inté-
ressante, mais les scènes déjà montées imposèrent leur loi et devinrent sources
d’inspiration. Je pense avoir été influencé non seulement par les séquences qui
nécessitaient mon intervention, mais aussi par celles qui n’avaient pas de musique
– comme la mort de Marc Aurèle, joué par l’incomparable Alec Guinness – car
pour moi, il y avait de la musique dans sa voix. »
The Fall of the Roman Empire : éd. La-La Land (cd).
Nominée à l'Oscar de la meilleure musique originale 1965.

LE CID El Cid
Réalisé par Anthony Mann - Production : Samuel Bronston (Allied Artists)
Musique de Miklós Rózsa - 1961

À la suite d’un accord passé avec la MGM, le producteur indépendant Samuel


Bronston débauche Miklós Rózsa des Révoltés du Bounty (le scénario est jugé
sans profondeur par ce dernier) pour l’inviter en Espagne sur sa nouvelle grosse
production. Le Cid intéresse d’autant plus le compositeur qu’il va lui permettre
d’étudier sur place la musique médiévale espagnole, en compagnie du spécialiste
Ramon Menendez Pidal. « Comme toujours, précise Rózsa, j’ai essayé d’absorber
toute cette matière brute authentique et de la transposer dans mon propre langage
musical. L’Espagne elle-même a influencé la partition, comme Quo Vadis et Ben-
Hur ont été influencés par Rome. Je n’aurais pas pu écrire une telle musique dans
un autre endroit… Je considère Le Cid comme ma dernière grande partition pour
66
l’écran, et, à l’exception de Providence, comme mon dernier film important. Bien
que j’aie toujours fait de mon mieux avec les films suivants, peu d’entre eux
avaient une véritable stature. À ce titre, j’envisage 1961 comme le sommet et le
tournant de ma carrière cinématographique. » Idem pour le réalisateur Martin
Scorsese, grand fan du film, qui rajoute : « C’est l’un des meilleurs scores jamais
écrits pour le cinéma. On peut réécouter à foison cette musique aussi bien seule
que sur les images majestueuses d’Anthony Mann. »
El Cid : éd. Film Score Monthly (Miklós Rózsa Treasury box, cd) et Tadlow
(réenregistrement complet, cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film 1962.

LE CINÉMA DE MINUIT
Musique de Francis Lai - 1976

Rendons ici hommage à l'un des plus anciens génériques de la télévision française.
Créé en 1976 par l'historien du cinéma Patrick Brion, Le Cinéma de Minuit
s'ouvre depuis plus de 40 ans sur l'indémodable jingle de Francis Lai. Si le musi-
cien a peu travaillé pour le petit écran, sa participation à l'identité sonore de la
troisième chaine laisse une belle empreinte dans la mémoire collective. « Je pense
que la longévité de ce générique, commente Francis Lai, vient surtout de sa
forme. Le thème est joué par un violoncelle et une guitare classique, ce qui le rend
intemporel. Et puis, il y a aussi ce côté un peu grave du Cinéma de Minuit, d'au-
tant qu'à l'origine, il s'agissait du générique cinéma de la chaine (arrangé diffé-
remment). La création de tous ces jingles a été pour moi une grande aventure. On
m'a d'abord proposé le générique d'ouverture de chaine sans me dire qu'il y avait
d'autres compositeurs sur le coup. Je l'ai appris plus tard. J'ai donc fait deux ou
trois thèmes et j'ai donné mes maquettes. Un jour, on m'appelle en me disant :
"J'ai une mauvaise nouvelle pour vous, votre générique a été retenu (!?) – oui,
mais vous allez devoir faire tous les génériques de la chaine !" J'ai donc écrit une
dizaine de génériques pour les actualités, les enfants, etc. Cela m'a pris pas mal de
temps, car il fallait être efficace en 30 secondes ! Jean Musy était à mes côtés
comme arrangeur, on a passé quelques nuits sur ces jingles. »
Francis Lai / Cinéma : éd. Play Time (cd).

CINÉMA PARADISO Nuovo Cinema Paradiso


Réalisé par Giuseppe Tornatore - Production : Franco Cristaldi,
Giovanna Romagnoli (Cristaldifilm / Miramax)
Musique d’Ennio Morricone et Andrea Morricone (thème d’amour) - 1988

Ennio Morricone serait-il la chance du cinéaste Giuseppe Tornatore ? Héritier


d’un Septième art italien moribond, ce dernier met en scène Cinéma Paradiso en
plein sacre télévisuel de Berlusconi. La plupart des grands maîtres de Cinecittà se
sont tus, et le jeune réalisateur choisit la nostalgie comme second acte d’une car-
rière en dents de scie. Les mélodies de Morricone, généreuses, imparables, répon-
dent à l’appel et façonnent le paradis de Tornatore : « C’est l’un des grands mi-
racles de ma vie professionnelle, confie-t-il. Ennio n’est pas seulement un grand
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musicien, mais c’est aussi l’une des personnalités les plus faciles à vivre. Il ne tra-
vaille pas avec vous comme un artiste capricieux, mais plutôt comme un charpen-
tier. Si je lui demande : "Ennio, j’ai besoin d’une table à six pieds", il me di-
ra : "Bien sûr" et j’obtiendrai la plus magnifique et parfaite table à six pieds de la
planète. Avec tout le respect que je lui dois, si je lui dis : "Ennio, bien que j’ai
conscience du travail qu’ils vous ont demandé, je n’aime pas vraiment les mor-
ceaux que vous avez écrits ici", il les mettra de côté et me dira : « Très bien, re-
commençons ! » Quand vous travaillez avec Morricone, vous pouvez lui faire
absolument confiance. Il vous donne tout son talent. Il est très accessible, c’est un
vrai collaborateur. Cinéma Paradiso ne serait pas le même film sans la musique
d’Ennio. »
Nuovo Cinema Paradiso : éd. GDM (cd).

LA CITÉ DE LA VIOLENCE Citta’ Violenta


Réalisé par Sergio Sollima - Production : Arrigo Colombo, Giorgio Papi
(Universal Film / International Coproductions)
Musique d’Ennio Morricone - 1970

À défaut d’être virtuose, le film de Sergio Sollima ne ment pas sur la marchandise.
La Cité de la Violence est un "Bronson" pur jus additionnant faits d’armes, pour-
suites de voitures et romance machiste. La mise en scène est peu inspirée mais
Morricone rehausse le goût du polar bis comme personne. Le thème central, avec
ses guitares électriques distordues, est un concentré d’urbanité sauce seventies :
l’époque furibarde du Casse et de Peur sur la ville. Lors du mixage, Sollima re-
jette l’ouverture musicale prévue au profit d’un silence pré-générique. Du coup,
l’arrivée brutale du score de Morricone claque comme une ode hargneuse à un
cinéma de série qu’il défend sans rougir. « En travaillant pour le cinéma popu-
laire, j’ai accepté d’être populaire, précise le maestro. Dans le cinéma d’auteur,
j’ai tout mis en œuvre pour que le film devienne plus accessible au grand public…
Je considère comme une banalité de chercher à simplifier le discours du cinéma
intellectuel, de rester à l’écoute du public, et d’élever artistiquement le cinéma
populaire. Autrement, ça voudrait dire que je me contente de composer de la mu-
sique banale pour le cinéma commercial et une musique très difficile, filtrée, pour
le cinéma d’auteur. Le fait d’avoir réussi cet équilibre, ça fait partie de mon travail
et de ma mission. »
Citta’ Violenta : éd. GDM (cd).

CITIZEN KANE Citizen Kane


Réalisé par Orson Welles - Production : Orson Welles (RKO)
Musique de Bernard Herrmann - 1941

L’expérience conjointe d’Orson Welles et de son compositeur à la radio améri-


caine pourvoit aux particularismes musicaux de Citizen Kane. Comme le re-
marque Herrmann : « Dans les dramatiques radiophoniques, on se doit d’établir
un pont entre chaque scène par l’intermédiaire d’un dispositif sonore. De ce fait,
cinq secondes de musiques peuvent devenir un instrument vital pour informer
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l’auditeur que l’on passe à une autre séquence. Dans ce film, où les contrastes
photographiques sont souvent marqués et soudains, j’ai senti qu’un bref motif,
même de deux ou trois accords, pourrait accroître l’effet de manière incommensu-
rable. » Tel un puzzle, Bernard Herrmann compose une partition bigarrée, domi-
née par de courts leitmotive, et dont la forme rompt avec le style viennois en vi-
gueur depuis les années 30. La structure instrumentale de l’orchestre est égale-
ment modifiée par le maestro : « Puisqu’une musique de film est écrite dans
l’optique d’une seule interprétation en studio, je ne pourrai jamais voir de logique
dans la règle qui promulgue l’emploi d’une formation symphonique standard.
Comme je l’ai fait tout au long de ma carrière, une partition pour l’écran peut être
composée pour différents groupes d’instruments, avec à la clef de fantastiques
combinaisons. » Ainsi, douze flûtes (quatre altos, quatre basses), une contrebasse,
un ensemble de clarinettes, tubas, trombones, percussions, et un vibraphone inter-
prèteront l’énigmatique première scène de Citizen Kane.
Citizen Kane : éd. Varèse Sarabande (réenregistrement, cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1942.

LE CLAN DES SICILIENS


Réalisé par Henri Verneuil - Production : Henri Verneuil, Jacques-Éric Strauss
(20th Century Fox)
Musique d’Ennio Morricone - 1969

Le Clan des Siciliens marque la deuxième collaboration entre Morricone et Henri


Verneuil, mais la première dans l’Hexagone après La Bataille de San Sebastian.
Une guimbarde, un thème sifflé, de la guitare : la B.O. impose en quelques me-
sures l’univers musical du western italien sur les silhouettes citadines du trio Ga-
bin / Ventura / Delon. Des sonorités iconoclastes soutenues par un cinéaste con-
quis. « Morricone est arrivé au Studio de Billancourt avec cinq thèmes déjà enre-
gistrés sur une cassette, se souvient Verneuil. Car souvent, lorsqu’il terminait un
film, il profitait de l’orchestre pour enregistrer des morceaux pour le film suivant.
Ils étaient tous très beaux, et thème après thème, j’ai commencé à en éliminer un,
puis deux, puis trois… Il me restait deux thèmes, mais là je n’arrivais plus à me
décider. Je les ai joués tout l’après-midi sans pouvoir choisir. Morricone qui at-
tendait toujours me dit alors : "Tu aimes les deux, n’est-ce pas ? Et bien je vais les
mélanger pour créer un seul thème." Le résultat est ce qu’on entend dans le film et
c’est superbe. » Quelques années plus tard, le maestro avouera un hommage caché
à J. S. Bach. « J’ai élaboré ce thème en superposant une première mélodie inspirée
d'un de ses préludes pour orgue, et une seconde que je me suis amusé à composer
à partir des lettres B, A, C, H, qui, en allemand, correspondant à nos si, la, do, si.
C'est un remerciement à un compositeur que j'aime beaucoup. »
Le Clan des Siciliens : éd. Cam / Sugar (cd).

CLÉOPÂTRE Cleopatra
Réalisé par Joseph Mankiewicz - Production : Walter Wanger (20th Century Fox)
Musique d’Alex North - 1963

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« Il y a là assez de musique pour une symphonie de Bruckner ! », remarque l’ami
David Raksin devant le copieux score de Cléopâtre. Et quelle symphonie ! Dans
une veine tout aussi moderne que Spartacus, Alex North réitère l’exploit
d’extraire le péplum de ses gongs et sauve le film d’une débandade annoncée.
Joseph Mankiewicz reconnaît d’ailleurs sans détour l’importance de son travail :
« Si l’assassinat de César fonctionne à l’écran, c’est en grande partie grâce à la
vivacité et l’intelligence de la collaboration de monsieur North. En utilisant les
trois thèmes fondamentaux de César, Cléopâtre et César-Cléopâtre, il clôture la
scène de façon aussi terrifiante et funeste que la mort de César lui-même… En
outre, je pense ne jamais avoir écrit et mis en scène un épisode aussi dramatique
que la fin d’Antoine, qui fut autant enrichi et soutenu par une contribution musi-
cale. À l’instant où les trompettes bouchées crient l’ultime souhait d’Antoine de
gagner une mort honorable, elles hurlent une angoisse impossible à écrire, et qui,
selon moi, ne peut être exprimée par aucun acteur. » La grande entrée de Cléo-
pâtre dans Rome amènera également le compositeur à se surpasser. « L’ambition
n’est pas une chose aisée à exprimer musicalement, remarque North. Pour cette
séquence, je voulais un thème non romantique qui exprime la progression. J’ai
employé des cuivres, des bois, des percussions, mais aucun instrument à cordes. »
Cléopâtre sera la première B.O. hollywoodienne à utiliser l’énorme saxophone
contrebasse.
Cleopatra : éd. Varèse Sarabande (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1964.

LES COMPLICES DE LA DERNIÈRE CHANCE The Last Run


Réalisé par Richard Fleischer - Production : Carter DeHaven (MGM)
Musique de Jerry Goldsmith - 1971

« Si l’on remarque quelque chose de stimulant et d’agité chez Jerry Goldsmith au


début des années soixante-dix, remarque Lukas Kendall, cela pourrait bien venir
du changement radical de grammaire musicale à Hollywood. L’émergence de la
contre-culture, l’effondrement du système des studios et la retraite, voire la dispa-
rition de toute une génération de compositeurs, ont abouti à l’apparition d’un
style de bandes originales inenvisageables quelques années plus tôt. Intervenant de
façon éparse, cette nouvelle voix, résolument moderne dans sa couleur pop et ses
dissonances orchestrales, était du moins adaptée aux préoccupations de
Goldsmith. » Les Complices de la Dernière Chance illustre bien ce courant éga-
lement influencé par la B.O. romantico-baroque de Love Story, l’immense succès
de Francis Lai. On y retrouve la même mélancolie, le même clavecin "bachien",
agrémentés ici du cymbalum, fidèle représentant de la vieille Europe* à Holly-
wood. Mais au cœur de ces arrangements typés, sucrés diront certains, Jerry
Goldsmith contre-attaque et perce la partition de trouées avant-gardistes (La Pla-
nète des Singes n’est pas loin) qui figurent autant la violence désespérée du film,
que les exigences progressistes du compositeur. Difficile de trouver meilleure re-
présentation d’une époque…
The Last Run : éd. Film Score Monthly (cd).
*Le film se situe en Espagne.
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CONAN LE BARBARE Conan The Barbarian
Réalisé par John Milius - Production : Raffaella De Laurentiis, Buzz Feitshans
(Universal Pictures)
Musique de Basil Poledouris - 1982

Crom, le dieu des Cimmériens, a certainement dû se pencher sur le berceau de


cette B.O. tant elle apparaît fidèle à l'univers de Robert E. Howard. Plus sérieu-
sement, Basil Poledouris emprunte ici un chemin peu fréquenté depuis la dispari-
tion des compositeurs de l'âge d'or. Partition pour chœur et grand orchestre, Co-
nan Le Barbare relie la musique médiévale (Las cantigas de Santa Maria) aux ca-
nons musicaux d'Hollywood avec la fougue du débutant. « C'était la troisième
musique de film que j'écrivais pour mon ami John Milius, se souvient Poledouris.
Il avait beaucoup d'idée et cela m'a aidé. J'étais terrifié, les chants étaient en latin,
on allait à Rome pour l'enregistrer... Et John voulait utiliser Carmina Burana. À
l'époque, il était en tournage en Espagne, il m'appelait sans cesse pour écouter le
thème principal. Comme Excalibur* venait de sortir, j'ai attiré son attention sur ce
film et il m'a alors demandé d'écrire quelque chose de ressemblant. J'ai repris la
structure de base, c'est un rythme en six mesures qui se répètent, sur lequel j'ai
ajouté ma propre mélodie. » Malgré le mixage mono du film, le thème Riders of
Doom deviendra vite incontournable pour tous les amateurs d'Heroic fantasy, et
l'intégralité du score un standard pour les béophiles. « Les producteurs n'ont pas
voulu payer les 30 000 dollars supplémentaires pour mixer la bande-son en sté-
réo ! John Milius et moi nous nous sommes battus contre ça. C'était fou ! »
Conan The Barbarian : éd. Milan et Intrada (enregistrements stéréo !).
*Carmina Burana de Carl Orff et des extraits de Wagner figurent dans la bande
originale d'Excalibur.

LA CONQUÊTE DE L’OUEST How the West was won


Réalisé par John Ford, Henry Hathaway, George Marshall, Richard Thorpe -
Production : Bernard Smith (MGM)
Musique d’Alfred Newman, en association avec Ken Darby – 1962

Avec raison, le producteur discographique et spécialiste Didier C. Deutsch pointe


une injustice : « Alfred Newman fut l’un des musiciens les plus sous-estimés parmi
les grands compositeurs hollywoodiens. Il n’a jamais atteint la popularité vertigi-
neuse de ses pairs, tels Erich W. Korngold, Max Steiner, Miklós Rózsa ou Dimitri
Tiomkin. Pourtant, les cinéphiles du monde entier connaissent la fanfare de la
Twentieth Century Fox, l’une de ses créations le plus populaires… » De même
que le thème principal de La Conquête de L’Ouest, véritable icône du western*
américain. 18 mois de travail et 125 heures d’enregistrement seront nécessaires
pour mettre en boîte cette somme de la tradition musicale d’outre-Atlantique. De
la chanson traditionnelle Greensleeves à Shenandoah, Alfred Newman trouve dans
le folklore matière à imprégner sa partition d’authenticité, sans perdre de vue qu’il
s’agit là d’un spectacle en Cinérama**. Un travail de synthèse d’autant plus com-
plexe que le film multiplie à foison les récits et leurs contextes géographiques.
« L’objectif principal d’Al Newman était d’élargir la scène, de la rendre plus ré-
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elle, souligne son associé Ken Darby (chef des chœurs). La musique venait
s’ajouter aux images avec l’intention de ne pas détourner les spectateurs de
l’histoire et des personnages… » Une forme d’humilité représentative d’un com-
positeur à la ligne mélodique claire, aussi doué pour l’introspection que le grand
spectacle.
How the West was won : éd. Rhino (cd).
*En guise d’hommage, Alan Silvestri reprendra la musique d’Alfred Newman sur
la séquence d’ouverture du film À la Poursuite du Diamant Vert (Robert Zemeck-
is, 1984).
**Ancêtre de l’IMAX, multipliant le format standard 35mm par trois.
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1964.

LES CONTREBANDIERS DE MOONFLEET Moonfleet


Réalisé par Fritz Lang - Production : John Houseman (MGM)
Musique de Miklós Rózsa - 1955

Non contents de révéler le panel des talents en présence, les glorieux génériques
d’antan embrasaient bien souvent l’imagination des spectateurs, voire celle de
compositeurs en quête d’inspiration. « Les personnages de Moonfleet me faisaient
énormément penser aux aquarelles de Rowlandson que ma femme collectionnait,
remarque Rózsa, mais l’histoire était tiède et inconséquente. Malgré cela, je me
suis débrouillé pour tirer parti du générique (sur fond de ressac, NDLR) avec une
marine musicale assez mouvementée. » Une manière humble d’évoquer l’une des
plus belles ouvertures de sa carrière, comme le détaille son dernier assistant Chris-
topher Palmer* : « La base mélodique de ce prélude possède la saveur d’une ro-
buste ballade folklorique, mais ici le vrai protagoniste est le tumultueux fracas des
violons et des bois qui s’associe, telle une déferlante figurative, aux glissandos à
effet de vagues des harpes et du piano. La musique est si vive – comme en té-
moigne l’aspect très pictural des notes sur la partition – qu’elle rend complètement
superflu l’ajout ultérieur des bruits de l’océan dans la bande-son. »
Moonfleet : éd. Film Score Monthly (cd).
*Arrangeur et orchestrateur de renom qui accompagna des compositeurs tels Ber-
nard Herrmann ou Maurice Jarre, et contribua à de remarquables réenregistre-
ments dans les années soixante-dix et quatre-vingt.

LE CONVOI DE LA PEUR Sorcerer


Réalisé par William Friedkin - Production : William Friedkin
(Universal / Paramount)
Musique de Tangerine Dream - 1978

« Quand Bud Smith et moi avons commencé à monter Le Convoi de La Peur, le


résultat était plutôt prometteur, confie William Friedkin. Tous les problèmes ren-
contrés sur le tournage se sont évanouis dans la salle de montage, et nous avions
assez de plans pour accélérer ou ralentir le rythme des scènes à notre guise. » Un
optimisme consolidé par l’apport musical du groupe allemand Tangerine Dream,
découvert lors d’un concert situé au cœur de la Forêt-Noire : « Ils étaient à
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l’avant-garde des sons de synthétiseurs électroniques qui commençaient à pénétrer
la musique commerciale. Le concert avait débuté à minuit et ils avaient joué de
longs morceaux, rythmés et sensuels… J’étais comme hypnotisé. Par la suite, j’ai
fait leur connaissance et je leur ai dit que j’aimerais leur faire parvenir le script de
mon prochain film. Lorsque le scénario de Wally fut prêt, je l’ai envoyé par la
poste à Edgar Froese, leur leader, et je lui ai expliqué comment je voyais le film
(…) Des mois plus tard, alors que je me trouvais dans la jungle d’Oaxaca, une
cassette audio de deux heures me parvint d’Allemagne. Ce fut pour nous une
source d’inspiration : en sélectionnant des passages au hasard, la musique nous a
servi de base pour monter le film. » Sans permettre aux musiciens de voir une
seule image du Convoi de la Peur, Friedkin créera toute la bande originale à par-
tir de cette unique cassette.
Sorcerer : éd. MCA (cd) et Eastgate Music (réenregistrement, cd).

COSMOS : 1999 Space : 1999


Série créée par Gerry Anderson et Sylvia Anderson (ITC)
Musique de Barry Gray - 1975

« Ce que je préfère plus que tout, c’est composer et orchestrer pour de grands or-
chestres symphoniques, avoue Barry Gray. Ceci dit, à plusieurs reprises dans ma
carrière, j’ai dû emprunter les chemins de la musique électronique… Mais j’ai
bien peur que ce type de sonorité convienne surtout à des séquences situées dans
l’espace, dans des laboratoires, ou sur des scènes bizarres ou astrales. » Qu’il en
soit ainsi ! Pour sa seizième collaboration avec Gerry Anderson, le compositeur
convie une dernière fois les synthétiseurs dans son univers orchestral. Si le géné-
rique introduit chaque épisode par un montage d’images ultra-serrées (rythmé par
la guitare électrique de Vic Elmes*), les dialogues de la série abondent et restrei-
gnent le travail de Barry Gray : « Mes interventions dans Cosmos : 1999 étaient
très très minces. En raison du budget alloué aux sessions d’enregistrement, on
enregistrait seulement le nombre de morceaux requis par l’union des musiciens.
En conséquence, le monteur Alan Willis avait l’habitude de piocher dans ce que
nous avions déjà fait pour couvrir les différents épisodes. Et lorsqu’il était à court
de scores, il était autorisé à utiliser d’autres musiques que j’avais écrites pour Ger-
ry Anderson. C’est pourquoi on retrouve divers extraits des Sentinelles de l’Air
ou Joe 90 dans Cosmos : 1999. » Ultime opus de Barry Gray, l’album 33 tours de
l’époque reprendra l’essentiel de ses compositions originales.
Space : 1999 : éd. RCA (lp).
*Coauteur du thème de la première saison.

LE CRÉPUSCULE DES AIGLES The Blue Max


Réalisé par John Guillermin - Production : Christian Ferry (20th Century Fox)
Musique de Jerry Goldsmith - 1965

Talent précoce de la télévision américaine, Jerry Goldsmith fait ses classes sur
plusieurs séries de la chaine CBS au côté de Bernard Herrmann et Franz Wax-
man. Cette expérience formatrice le pousse rapidement vers des productions de
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grande envergure, dont plusieurs films de guerre (Première Victoire, L’Express
du Colonel Von Ryan, Moritury). La B.O. du Crépuscule des Aigles est d'abord
confiée au musicien anglais Ron Goodwin, grand spécialiste du genre. Débordé,
ce dernier renonce et la production retient in fine Jerry Goldsmith, qui fait face à
des musiques temporaires intimidantes de Richard Wagner et Richard Strauss.
« Je dois reconnaître que cela fonctionnait plutôt bien, se souvient le compositeur
en 1979, aussi ma première réaction a été de laisser tomber. Je leur ai dit : pour-
quoi ne demandez-vous pas à un arrangeur d'adapter ces musiques sur le film ? »
La Fox insiste et donne tous les moyens à Goldsmith pour œuvrer. Il écrit alors
une vaste partition symphonique interprétée par 100 musiciens et une machine à
vent, dans laquelle l'héroïsme croise le fer avec la dissonance. « Je crois que John
Guillermin n'aime pas trop ces dissonances, déclare-t-il durant les sessions, mais
bon Dieu ! il s’agit de scènes de guerre, et elles nous montrent que tout cela est
horrible ! Je ne peux pas écrire de la musique noble sur de telles images... » Un des
chefs-d’œuvre du musicien.
The Blue Max : éd. La-La Land (cd).

UN CRIME DANS LA TÊTE The Manchurian Candidate


Réalisé par John Frankenheimer - Production : John Frankenheimer, George
Axelrod (United artists)
Musique de David Amram - 1962

En marge de la routine des grands studios, les compositions de David Amram


accostent le cinéma américain sans l’ombre d’une concession : « Lorsque le com-
plexe industriel contrôlait ce que le monde écoutait, remarque l’artiste, la musique
au cinéma se devait de sonner comme de la musique de film… Et lorsque les
longs-métrages sur lesquels j’ai eu la chance de travailler étaient proposés aux
maisons de disques, les rares qui acceptaient à contrecœur de les enregistrer indi-
quaient qu’il n’y avait aucun marché pour ce que je faisais. Car pour eux, ça ne
sonnait pas comme de la musique de film… Que ce soit au théâtre ou au cinéma,
mon objectif n’était pas d’être enregistré, et dans toutes mes bandes originales, je
n’ai jamais été contraint d’écrire une chanson à succès pour aider le film à se
vendre*. » Le score inaccoutumé d’Un Crime dans la Tête profile le pic de cette
approche, par ailleurs soutenue par un réalisateur aventurier : « Quand je suis
arrivé à L.A. pour commencer à travailler, Frankenheimer m’a dit : "David, garde
bien en tête qu’il ne s’agit pas d’un film de guerre chinois. M. Sinatra et moi
t’avons choisi, car nous ne voulions pas d’une équipe d’arrangeurs ressassant tou-
jours le même air. Je ne suis pas sûr de ce que je fais au jour le jour, et je ne suis
pas musicien, mais cette histoire est incroyable et tu pourras musicalement nous
venir en aide." » Une partition déviante portée par un thème principal de haute
volée.
The Manchurian Candidate : éd. Varèse Sarabande et Moochin’ About (cd).
*David Amram signera toutefois quelques standards, dont la mélodie du film La
Fièvre dans le Sang d’Elia Kazan.

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LE CRIME DE L’ORIENT-EXPRESS Murder on the Orient-Express
Réalisé par Sidney Lumet - Production : John Brabourne, Richard B. Goodwin
(Paramount / EMI)
Musique de Richard Rodney Bennett - 1974

Auteur de plusieurs longs-métrages sans musique (dont l’intense La Colline des


Hommes Perdus), Sidney Lumet change son fusil d’épaule avec cette luxueuse
adaptation d’Agatha Christie. « Parmi toutes les nominations aux Oscars qu’ont
reçues mes films dans diverses catégories, remarque le cinéaste, seule cette parti-
tion de Richard Rodney Bennett a été citée. Cela dit, il s’agit de mon unique réali-
sation où je souhaitais que la musique fasse des étincelles. » Carmen Cavallaro,
Eddy Duchin et les thés dansants des années 30, sont les références sélectionnées
par Lumet pour la bande-son. Mais lors de sa rencontre avec Rodney Bennett, ce
dernier lui propose de faire table rase. « En fait, je ne crois pas en ce genre de
montage musical, précise le musicien. J’avais été recommandé par Stephen Son-
dheim, et Sidney m’a en quelque sorte testé. Il m’a montré les rushs et m’a de-
mandé : "Qu’en pensez-vous ?" Dans pareil cas, ça passe ou ça casse. Vous dites
deux mots et vous pouvez être balayé. J’ai alors dit : "Eh bien, le générique doit
être théâtral. Ce n’est pas une ouverture de thriller, c’est un rideau de scène qui se
lève, cela tient de la farce, c’est drôle, excitant !" Tout est parti de là. » La valse du
départ de l’Orient-Express plaira tant au cinéaste, qu’il fera supprimer les divers
bruits de la locomotive afin de laisser le champ libre à son compositeur.
Murder on the Orient-Express : éd. Quartet (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique originale 1975.

CROIX DE FER Cross of Iron


Réalisé par Sam Peckinpah - Production : Wolf C. Hartwig, Pat Duggan
(AVCO Embassy Pictures)
Musique d’Ernest Gold - 1976

Au cœur des années 70, Sam Peckinpah file à grands pas vers l'autodestruction. Il
rejette coup sur coup deux grosses productions (King Kong, Superman le Film)
pour réaliser un film de guerre tapissé par ses obsessions. Trahison, refus de
l'autorité, anarchisme... Croix de Fer visite tragiquement des sentiments reliés à la
vie personnelle d'un cinéaste en proie à la drogue et l'alcool. La production anglo-
allemande impose un musicien d'origine européenne pour écrire la bande origi-
nale. Ernest Gold prend donc la place du comparse Jerry Fielding avec une parti-
tion d'une étonnante noblesse. En contrepoint de l'extrême violence des images, le
compositeur s'attache à dépeindre le caractère intérieur des personnages – à ten-
dance pacifique pour le héros Steiner / James Coburn – et l'humanité résiduelle
des combats. Il s'agit là du score le plus élégiaque composé pour le réalisateur.
Entre deux accords pastoraux, Gold fait toutefois surgir le malaise avec quelques
dissonances (Memories and hallucinations) et l'emploi d'une comptine germanique
qu'il juxtapose adroitement aux marches militaires. La séquence d'ouverture con-
sacrée aux jeunesses hitlériennes doit beaucoup à son intervention.
Cross of Iron : éd. Kritzerland (cd).
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CYRANO DE BERGERAC
Réalisé par Jean-Paul Rappeneau - Production : René Cleitman, Michel Seydoux,
André Szöts (UGC)
Musique de Jean-Claude Petit - 1990

« J’ai abandonné presque violemment le milieu de la variété française, confie


Jean-Claude Petit. D’ailleurs, j’en ai un peu bavé… Il est vrai que je gagnais une
fortune avec mes arrangements musicaux pour un peu tout le monde. Mais, en
1981, j’ai rompu brusquement car je n’avais plus rien à faire dans ce métier. »
Quelques films plus tard, le compositeur se retrouve au générique de l’événement
cinématographique de 1990. Le grand retour d’un cinéaste rare et exigeant :
« Avec Jean-Paul Rappeneau, on a longuement discuté. Il était très méfiant. De
plus, j’ai trouvé le thème très tardivement. J’avais déjà enregistré des musiques
pour divers playbacks obligatoires sur le tournage… Et puis, j’ai eu cette idée du
générique que j’ai joué à Jean-Paul et René Cleitman. Ils l’ont tout de suite beau-
coup aimé, mais il y avait une telle différence entre le thème au piano et sa version
orchestrale, que lorsque Jean-Paul est arrivé aux séances d’enregistrement, il ne
l’a pas reconnu. Il était un peu contracté, puis au fur et à mesure un sourire est
apparu sur son visage. Lors de la scène de la mort de Cyrano, il s’est mis à pleurer
et là j’ai su que c’était gagné. Le rapport avec un cinéaste n’est jamais facile et
parfois cela se déroule un peu de manière conflictuelle. Georges Delerue me di-
sait : "Je suis toujours terrorisé au moment de jouer le thème au piano pour le
metteur en scène", et bien moi aussi… »
Cyrano de Bergerac : éd. Trema (cd) et Universal (Le Cinema de Jean-Claude
Petit, extraits, cd).
César de la meilleure musique de film originale 1991.

DADDY NOSTALGIE
Réalisé par Bertrand Tavernier - Production : Adolphe Viezzy (UGC)
Musique d’Antoine Duhamel - 1990

Un cas d'école. Bertrand Tavernier pense d'abord à Philippe Sarde pour la B.O. de
ce film très personnel, puis se ravise : « Un soir Bertrand m'appelle, raconte An-
toine Duhamel, il me dit qu'il vient de terminer un long-métrage avec comme
sujet la mort du père. Sarde l'emmerde, du coup il souhaiterait me confier la mu-
sique. Seulement voilà, toutes les sessions et les musiciens, une petite formation
jazz, sont déjà réservés. J'ai donc quinze jours pour écrire la partition avec ces
contraintes instrumentales... Le soir même j'ai écrit un thème, le meilleur du film,
sans avoir vu une seule image. Après bien sûr, j'ai vu le montage final et composé
le reste de la musique en suivant les références de la musique temporaire. Mais
c'était un peu comme de rentrer dans des chaussons. » Difficile d'imaginer une
pire situation pour un compositeur de cinéma. Pourtant Duhamel parvient à si-
gner un score remarquable, situé quelque part entre le jazz et la musique baroque.
Tout est beau dans cette bande originale magnifiée par ses interprètes : Ron Car-
ter, Philip Catherine, Louis Sclavis, et Jimmy Rowles, le célèbre pianiste de Hen-
ry Mancini.
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Chronomètre en main, Jean-Claude Petit dirige l’enregistrement du Hussard sur le Toit.
Daddy Nostalgie : éd. Sony BMG (cd).

DAISY CLOVER Inside Daisy Clover


Réalisé par Robert Mulligan - Production : Alan J. Pakula (Warner Bros.)
Musique d’André Previn - 1965

Avec ses échappées dédiées à la comédie musicale, l’ultime partition hollywoo-


dienne d’André Previn prend des allures de rétrospective. Le jeune surdoué arrive
à la MGM en pleine adolescence pour embrasser une carrière exceptionnelle :
« André n’avait pas tout à fait seize ans et il pouvait seulement venir travailler
chez nous après trois heures de l’après-midi, témoigne Johnny Green*. Il était
fantastique. Après trois ans de travail en tant qu’arrangeur, nous lui avons confié
une première partition à écrire. » Un départ sur les chapeaux de roue qui converge
rapidement vers la direction musicale des productions d’Arthur Freed, le pape de
la comédie musicale à Hollywood. Beau Fixe sur New York, Gigi, l’Étranger au
Paradis, La Belle de Moscou, sont quelques-uns des triomphes du musicien, en-
trecoupés de superbes partitions dramatiques. Daisy Clover lui permet de réaliser
une brillante synthèse de ses talents, en composant une pantomime nostalgique
des grandes heures de l’âge d’or. « L’un des pièges périphériques du travail de
musicien de cinéma, déclare Previn à l’époque, c’est la répétition des visionnages
d’un film nécessaires à l’écriture de son score. Très peu de longs-métrages résistent
à une douzaine de projections successives. Daisy Clover fut une heureuse excep-
tion. À chaque fois, je l’aimais de plus en plus. Ce fut un acte d’amour pour tous
ceux qui participèrent à sa création, et je fus heureux d’en faire partie. »
Inside Daisy Clover : éd. Film Score Monthly (cd).
*Compositeur, arrangeur, chef d’orchestre et directeur musical de la MGM de
1949 à 1959.

DANS LA CHALEUR DE LA NUIT In the Heat of the Night


Réalisé par Norman Jewison - Production : Walter Mirisch (United Artists)
Musique de Quincy Jones - 1965

« Norman Jewison souhaitait que je compose la musique du film, et que Ray


Charles écrive les paroles et chante la chanson-titre, raconte Quincy Jones. Mais
des soucis d’emploi du temps ne permettaient pas à Ray de se charger des paroles,
donc j’ai fait appel à Alan et Marilyn Bergman qui habitaient en bas de ma rue. »
Ainsi débute l’aventure de cette fameuse B.O. rhythm and blues, la première à
fondre l’identité musicale du sud des États-Unis dans le langage symphonique du
cinéma. Sûr de lui, Quincy Jones conçoit une peinture sonore riche en nuances et
en confrontations : « Nous avons utilisé beaucoup de couleurs intéressantes. Il
s’agissait du sud profond, donc nous avions pas mal de guitare, de blues du del-
ta… J’ai écrit pour les cordes comme pour les saxophones, avec beaucoup de
nuances funky du sud – ce qui est très difficile à jouer, particulièrement pour des
violonistes classiques. J’avais fait beaucoup d’expérimentations à New York sur
les annotations, tout ça était donc rodé : les indications de doigté, les portamentos
(glissements sur le manche), bref, toutes les nuances ; ainsi les cordes pouvaient
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sonner comme un saxophone… Et pour donner un côté dépouillé, aride, j’ai utili-
sé un cymbalum qui exprime assez bien la solitude. À l’image de l’inspecteur Vir-
gil Tibbs, il reflète le fait d’être loin de chez soi, d’être hors de son élément. »
In the Heat of the Night : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma
(The Cinema of Quincy Jones, cd).

DAR L’INVINCIBLE The Beastmaster


Réalisé par Don Coscarelli - Production : Paul Pepperman (MGM)
Musique de Lee Holdridge - 1983

Les Mercenaires de l’Espace, Galactica, Starfighter... Les B.O. réussies aux cou-
leurs du Space opera ne manquent pas. Plus rares en revanche sont celles qui pui-
sent leur inspiration dans l’Heroic fantasy. Sur les conseils du label Varèse Sara-
bande, Don Coscarelli choisit un symphoniste remarqué pour composer cette
série B, produite en parallèle de Conan le Barbare. « C’est grâce à mon concerto
pour violon que l’on m’a demandé de composer la musique de Dar L’Invincible,
s’étonne Lee Holdridge. Le réalisateur était littéralement tombé amoureux de
cette pièce orchestrale, et voulait retrouver pour son film ce type de musique.
Honnêtement, je n’avais pas pensé que mon concerto pourrait illustrer un long-
métrage de ce genre. En fait, je crois qu’il a apprécié le caractère majestueux qui
s’en dégage. » L’engouement de Coscarelli réjouit le maestro, mais le délai de
composition est problématique. « Ce fut une épreuve car je devais écrire 80 mi-
nutes de score en seulement deux semaines et demie… Bien que normalement je
travaille seul, je savais que sur cette production j’aurais besoin d’aide sur
l’orchestration afin de réussir l’impossible. Je fus donc aidé par les brillants Greig
McRitchie et Alf Clausen… Aussitôt le score achevé, je pris l’avion et terminai
moi-même l’orchestration dans ma chambre d’hôtel à Rome*, un jour avant ma
première session d’enregistrement. » Avec Splash et Old Gringo, l’une des trois
meilleures musiques de Lee Holdridge pour le cinéma.
The Beastmaster : éd. Quartet (cd).
*Le score fut enregistré par les mêmes musiciens que la B.O. iconique de Conan
le Barbare.

DARK CRYSTAL The Dark Crystal


Réalisé par Jim Henson, Frank Oz - Production : Jim Henson, Gary Kurtz
(Universal Pictures)
Musique de Trevor Jones - 1982

L’impressionnante inventivité visuelle de Dark Crystal détermine le premier ai-


guillage de sa bande originale : « Initialement, nous sommes partis sur l’idée d’une
partition aussi innovante que les images, raconte Trevor Jones. Nous avons envi-
sagé d’utiliser des sons tels quels pour les fusionner dans un univers sonore fantas-
tique. Qu’ils proviennent d’instruments acoustiques, électroniques ou fabriqués
spécialement importait peu. Mais lorsque Gary Kurtz est arrivé sur le projet, il a
été décidé qu’en raison des particularités du film – tourné avec des marionnettes,
sans vrais acteurs à l’écran – de ses images différentes, si l’on écrivait une musique
79
non conventionnelle, on risquait de perdre les spectateurs en route. » Jones corrige
donc la trajectoire et compose une copieuse partition symphonique, dans laquelle
il fusionne des synthétiseurs Fairlight, de l’orgue, ou du folklore. « Pour la sé-
quence du petit peuple Polding, Jim Henson m’a dit : "Je veux une musique fes-
tive !" Je ne savais même pas à quoi ressemblaient ces personnages, puisque la
musique devait être enregistrée avant le tournage. J’ai alors produit une bande
démo dans un petit studio, malheureusement avec deux musiciens. Puis, j’ai joué
la cassette en lui demandant : "Suis-je dans la bonne direction ?" – "C’est exacte-
ment ça, j’adore !" Pour le film, je fus donc contraint d’utiliser cette démo qui
laisse un peu à désirer sur le plan technique. Mais lorsqu'une idée est bonne, Jim
le sait immédiatement, il saute dessus et me dit : "Ne change pas une note !" »
The Dark Crystal : éd. La-La Land (cd).

DEAD ZONE The Dead Zone


Réalisé par David Cronenberg - Production : Debra Hill, Dino De Laurentiis
(Paramount Pictures)
Musique de Michael Kamen - 1983

Dans sa première partie de carrière, Michael Kamen est surtout réputé pour ses
arrangements instrumentaux (l’album The Wall* notamment). En plein travail
avec les Pink Floyd sur le sol anglais, il reçoit un appel d’Hollywood : Dino De
Laurentiis souhaite lui confier la B.O. de Dead Zone, sa dernière production
adaptée de Stephen King. Malgré les souhaits de David Cronenberg, le composi-
teur Howard Shore a été écarté du projet en raison de sa proximité avec le ci-
néaste. De Laurentiis veut du sang neuf mais les délais sont courts. « J’ai écrit
cette musique très rapidement, raconte Michael Kamen, c’était l’un de mes pre-
miers efforts. Je l’ai composée de la façon dont je préfère travailler, c’est-à-dire
sans pression. Personne ne m’a appelé pendant ce temps. J’ai rencontré David
Cronenberg à Los Angeles très brièvement, et puis je suis revenu à Londres. J’ai
toujours aimé la musique angoissante et je l’ai écrite en dix jours, juste en
m’asseyant à mon piano et en écrivant, écrivant… c’est l’une des façons les plus
satisfaisantes, chez moi, d’utiliser mon cerveau pour écrire la B.O. d’un film hol-
lywoodien. » Interprété par le National Philharmonic Orchestra, ce score drama-
tique étonne par sa maturité et la justesse de ses effets contenus. Une vraie révéla-
tion.
The Dead Zone : éd. Milan (cd).
*Il dirigera également la version live à Berlin, le 21 juillet 1990.

LA DENTELLIÈRE
Réalisé par Claude Goretta - Production : Daniel Toscan du Plantier (Gaumont)
Musique de Pierre Jansen - 1977

Comme le remarquent Alain Lacombe et Claude Rocle en 1978, Pierre Jansen


n'est pas un compositeur à thème. Son association précoce avec Claude Chabrol
l'autorise à développer une écriture aux tendances contemporaines affirmées. Il
opère en précieux gardien d'une chapelle musicale peu fréquentée par le cinéma
80
français des années 70. Préoccupé par le romantisme latent de son sujet, le ci-
néaste suisse Claude Goretta envisage la B.O. de La Dentellière exsangue de tout
sentimentalisme. Il oriente Jansen vers les derniers feux de la Première école
viennoise. « Claude Goretta arriva avec un enregistrement de Schubert, se sou-
vient le compositeur. Je lui ai demandé ce que je pouvais faire de mieux que
Schubert et j'ai eu un mal de chien à faire cette musique parce que je n'avais pas
de direction précise... Il trouvait que la musique était trop envahissante mais il
n'expliquait jamais pourquoi. Il a même fallu refaire des enregistrements et au
final, à force de tout supprimer, il ne restait presque plus rien. » Ciselé pour une
petite formation instrumentale, son score évoque parfois la beauté impressionniste
de L’Aventure de Madame Muir de Bernard Herrmann.
La Dentellière : éd. Disques Cinémusique (cd).

LES DENTS DE LA MER Jaws


Réalisé par Steven Spielberg - Production : David Brown, Richard D. Zanuck
(Universal Pictures)
Musique de John Williams - 1975

« Quand j'ai montré Les Dents de la Mer à John pour la première fois, raconte
Steven Spielberg, je me souviens qu'il m'a dit : "C'est comme un film de pirates !
Je pense qu'il nous faut de la musique de pirate, car il y a dans tout ça quelque
chose de primitif – mais c'est aussi un peu fou et divertissant." » Si le thème sacca-
dé du requin identifie instantanément la bande originale de John Williams, ces
propos enthousiastes pointent l'importance des autres séquences de la partition.
« Mon morceau préféré a toujours été la scène de poursuite avec les barils, avoue
le musicien, lorsque le requin approche du bateau et que nos trois héros pensent
l'avoir capturé. La musique accélère et devient très excitante, héroïque. Et puis
soudain, au moment où le requin domine la situation et qu'il parvient finalement
à s'échapper, la musique se dégonfle et se termine par une chanson de marin inti-
tulée Spanish ladies. La partition illustre et ponctue musicalement toute cette es-
quisse dramatique (...) Ce film fut assurément un point de repère dans ma carrière.
À l'époque, j'avais déjà remporté l'Oscar pour les arrangements et la direction
orchestrale d'Un Violon sur le Toit. Mais Les Dents de la Mer fut le premier
Oscar que je reçu pour ma propre musique, ce fut donc un moment significatif
pour moi. »
Jaws : éd. MCA (cd) et Intrada (bandes remastérisées, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1976.

LE DERNIER TRAIN DU KATANGA Dark of the Sun


Réalisé par Jack Cardiff - Production : George Englund (MGM)
Musique de Jacques Loussier - 1968

En 1959, l'Angevin Jacques Loussier crée le trio Play Bach et élabore une relec-
ture jazz de la musique baroque qui fait le tour du monde des mélomanes (six
millions d'albums vendus). Lors d'un concert en Angleterre, le musicien rencontre
Jack Cardiff, un grand admirateur de sa discographie. Ce dernier vient tout juste
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de terminer un film d'aventure pour la MGM et lui propose d'en composer la mu-
sique. « À l'époque, la première version du Dernier Train du Katanga que j'ai vue
était excessivement violente, se souvient Loussier. La production a coupé de
nombreuses séquences qui, je pense, auraient accentué son impact auprès du pu-
blic. Je suis sorti de la projection de l'intégrale vraiment très impressionné, c'était
très fort. Mais, ils ont préféré supprimer les passages les plus durs. » Malgré ces
coupes sombres, le compositeur écrit une partition tendue à l'extrême, construite
autour de rythmes syncopés, de contretemps, avec une inoubliable mélodie en
mode mineur. « Dès le départ, j'ai eu envie d'écrire une marche comme thème
principal, dans laquelle la puissance et la violence seraient presque contenues,
mais aussi présentes comme des éléments sous-jacents de la musique... Les mor-
ceaux que j'ai écrits n'ont pas nécessairement été placés sur les scènes prévues,
mais la musique n'en a pas trop souffert. Elle reflète ma première vision du film et
conserve quelque part l'esprit du montage d'origine. »
Dark of the Sun : éd. Film Score Monthly (cd).

LA DÉROBADE
Réalisé par Daniel Duval - Production : Gérard Lorin, Benjamin Simon
(S.N. Prodis)
Musique de Vladimir Cosma - 1979

Daniel Duval dirige et interprète cette adaptation-choc du roman de Jeanne Cor-


delier. Durant la réalisation, il songe à son ami Maurice Vander pour écrire la
musique du film. La production rechigne et l'oriente vers un artiste plus connu du
grand public. « La Dérobade, se souvient Vladimir Cosma, fut en quelque sorte
l'aboutissement de toute une série de films différents, dont ceux d'Yves Boisset et
André Cayatte, qui m'éloignaient de l'étiquette "musicien de comédie". Daniel
Duval était un jeune acteur et metteur en scène autour duquel planait une légende
assez sulfureuse. On le disait violent, ancien détenu... Pour moi, il était surtout le
scénariste et le réalisateur d'un premier film très personnel que j'avais beaucoup
aimé, Le Voyage d'Amélie. » L'entente entre les deux hommes est immédiate et
permet à Cosma de créer en toute liberté une B.O. attachante, écrite selon un
mode de composition roumain issu du Banat*. Le thème principal, interprété par
un lyricon**, un ensemble de violoncelles et quelques cloches, apportera au film
une remarquable identité.
La Dérobade, Vladimir Cosma - 40 Bandes originales pour 40 films : éd. Larghet-
to music (cd).
*Région de l'ouest de la Roumanie dont la capitale est Timişoara.
**Instrument à vent électronique proche du saxophone soprano.
Nominée au César de la meilleure musique de film originale 1980.

LES DÉSAXÉS The Misfits


Réalisé par John Huston - Production : Frank E. Taylor (United Artists)
Musique d’Alex North - 1961

Pour Alex North, l’année triomphale de Spartacus s’accompagne d’une précieuse


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rencontre ; l’écrivain et scénariste Arthur Miller lui présente John Huston avec
l’idée d’enclencher une collaboration entre les deux artistes*. « Dès que j’ai ren-
contré John, je l’ai apprécié, révèle le compositeur. Il m’a invité sur le plateau du
film où j’ai eu le loisir de nouer une relation amicale avec Marilyn Monroe… Il
savait ce qu’il voulait sur le plan filmique et musical. Nous avons discuté du score
et je suis rentré à la maison. Quand nous nous sommes revus, le film était dans sa
phase finale, et John fut très spécifique sur les endroits où placer la musique. »
Afin de pouvoir concourir aux Oscars, la United Artists presse North de terminer
rapidement son travail mais Huston s’interpose. « John savait ce que signifiait
composer de la musique. Ainsi, j’ai obtenu plusieurs semaines supplémentaires
pour écrire le score. Il me dit qu’il avait une confiance infinie dans mon juge-
ment. » Dix ans après Un Tramway Nommé Désir, North s’empare à nouveau de
l’inconscient des personnages à l’écran et rejoint les cimes de sa première bande
originale. « Les Désaxés possède une qualité onirique faite de mouvements et
structures spasmodiques qui touchent les faiblesses de la nature humaine, re-
marque le musicien. Cela couvre toute la gamme des émotions : de la tendresse à
la frustration, en passant par la cruauté. La musique se devait de compenser le
pointillisme de Miller afin de lier ensemble ces petits traits… » Un extraordinaire
ballet de sentiments.
The Misfits : éd. MGM Ryko et Varèse Sarabande (cd).
*Alex North et John Huston collaboreront sur cinq films, dont le dernier du ci-
néaste : Les Gens de Dublin (1987).

LES DEUX ANGLAISES ET LE CONTINENT


Réalisé par François Truffaut - Production : François Truffaut, Marcel Berbert
(Valoria Films)
Musique de Georges Delerue - 1971

François Truffaut a toujours entretenu une relation passionnée avec la musique de


film. Dès son passage derrière la caméra, il a conscience de sa nécessité dans les
voies narratives qu'il emprunte – moins expérimentales que celles de Jean-Luc
Godard – tout en observant ses liens inévitables avec un cinéma traditionnel qu'il
a longuement critiqué. À la fin des années soixante, le compositeur Antoine Du-
hamel tente de l'orienter vers un langage plus atypique : des mélodies moins dis-
tinctes, moins sentimentales (La Sirène du Mississippi - 1969), une main tendue
vers Stravinsky (Domicile Conjugal - 1970), mais rien n'y fait. En 1971, le réalisa-
teur revient au galop vers Georges Delerue avec ce film littéraire, presque suran-
né. Musicalement, Les Deux Anglaises et le Continent est un sommet de roman-
tisme qui symbolise à merveille la collaboration entre les deux hommes. Delerue
apporte une flamme mélodique dans un cinéma en costume parfois distant, et
relie par la même Truffaut à ses spectateurs. « En fait, je crois qu'un film ne doit
pas innover sur tous les plans à la fois, il faut peut-être qu'il y ait dans un film
quelque chose qui le rattache au cinéma classique », affirmait le cinéaste en 1962.
Jules et Jim / Les Deux Anglaises et le Continent : éd. Universal music France /
Écoutez le cinéma (cd).

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2001, L’ODYSSÉE DE L’ESPACE 2001 : A Space Odyssey
Réalisé par Stanley Kubrick - Production : Stanley Kubrick (MGM)
Sélections classiques (Strauss, Ligeti, Khatchatourian…) /
Musique rejetée d’Alex North - 1968

« Je voulais que le film soit une expérience intensément subjective, révèle Stanley
Kubrick, quelque chose qui touche de l’intérieur, comme la musique. » L’histoire
épique de la B.O. de 2001 est étayée par de précieux témoignages. Selon Andrew
Birkin, la plupart des choix originels du réalisateur seraient plus ou moins dus au
hasard : « On passait des heures dans la salle de projection à regarder les rushs des
séquences dans l’espace. C’était très ennuyeux (…) Dans la cabine de projection,
il y avait une pile de vieux disques classiques qu’on mettait lors des avant-
premières. Le projectionniste les envoyait dans la sono… Vers le quatrième jour,
on regardait le plan d’un astronef et un vieux disque rayé du Beau Danube bleu se
fit entendre. Un peu plus tard, Stanley dit : "Ce serait une folie ou une idée de
génie de mettre cette musique dans le film ?" » Quelles que soient les circonstances
de ces trouvailles, le réalisateur rejette rapidement l’idée d’une musique originale ;
il imagine utiliser des extraits de Mahler, Mendelssohn, puis expérimente de nou-
velles sélections. De son côté, la MGM exige une partition officielle et incite Ku-
brick à collaborer avec Alex North, son compositeur de Spartacus. Kubrick ob-
tempère mais émet des réserves durant l’enregistrement : « Lors de la séquence
d’ouverture, se souvient l’orchestrateur Harry Brant, le cinéaste écouta attentive-
ment et déclara : "C’est un merveilleux morceau de musique, vraiment très beau,
mais il ne convient pas à mon film". » Au total, North enregistre 40 minutes de
score reléguées aux oubliettes par la production. Sans aucun préavis, il découvre
le rejet de son travail à l’occasion d’une projection new-yorkaise. « Ce fut le plus
gros choc de ma vie professionnelle, avoue le musicien dans les années 70. Mais je
suis très heureux de l’avoir fait car j’ai la partition. Et en ce qui me concerne, j’ai
écrit pour ce film des choses très nouvelles. Dans la plupart des cas, un réalisateur,
qui utilise des morceaux préenregistrés lors d’une projection préventive, est si at-
taché à ces musiques temporaires, qu’il ne peut s’habituer à un nouveau score. »
2001 : A Space Odyssey : éd. Sony (cd) et Intrada (musique originale d’Alex
North, cd).

LE DIABLE AU CORPS
Réalisé par Claude Autant-Lara - Production : Paul Graetz (Universal Films)
Musique de René Cloërec - 1947

Claude Autant-Lara sollicite pour la première fois René Cloërec en 1942. « Con-
naissant mes premiers succès dans la variété avec Piaf, se souvient le compositeur,
il me demanda une chanson pour son film Douce. Il accepta celle que je lui pré-
sentai et me proposa de composer la musique du film dans son intégralité. » S’en
suivra une fidèle collaboration s’étalant sur plus de vingt ans. « Elle fut excellente,
enrichissante et pleine d’enseignement pour moi. Car Autant-Lara était sensible à
l’apport de ma musique sur ses images. Sans être musicien, il savait utiliser intelli-
gemment ce que je lui composais. En plus, il avait l’habitude de planifier long-
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temps à l’avance ses différents projets. Du coup, j’étais impliqué très tôt dans
l’élaboration artistique des films et cela stimulait sans aucun doute ma créativité
musicale. » Parmi leurs dix-huit films en commun, Le Diable au Corps exprime
finement cette connivence au long cours. Les interventions de Cloërec sont ponc-
tuelles, significatives, et la musique diégétique d’une grande subtilité, à l’exemple
de la séquence du dernier dîner des amoureux Micheline Presle et Gérard Phi-
lippe. Un talent remarquable longtemps présent sur grand écran grâce à son jingle
pour Jean Mineur Publicité, aujourd’hui Mediavision.
Le Diable au Corps, Les Plus Belles Musiques de Films de René Cloërec : éd.
Play Time (cd).

DIAMANTS SUR CANAPÉ Breakfast at Tiffany's


Réalisé par Blake Edwards - Production : Martin Jurow, Richard Shepherd
(Paramount Pictures)
Musique de Henry Mancini - 1961

Moon river ou la chanson (presque) plus célèbre que le film de Blake Edwards !
Afin d’être raccord avec le contexte du scénario, les producteurs Martin Jurow et
Richard Shepherd envisagent d’engager un musicien de Broadway pour écrire la
ritournelle centrale de Diamants sur Canapé. Henry Mancini monte alors au cré-
neau, car selon lui, la chanson doit être le cœur de sa partition. Après un mois de
travail, il propose une démo qui met tous les décisionnaires d’accord. Tous, sauf
un : « La projection test s’était très bien passée », raconte Mancini dans ses mé-
moires. Mais lors d’une réunion de travail avec l’ensemble de l’équipe, Martin
Rackin, l’un des pontes de la Paramount, réagit violemment. « La première chose
que nous a dit Marty fut : "Bon, il va falloir virer cette putain de chanson". À cet
instant, je regardai Blake. Je vis son visage. Le sang lui monta à la tête comme un
thermomètre sur une flamme. On eût dit qu’il allait s’embraser. Audrey (Hep-
burn) bougea de son fauteuil, elle semblait sur le point de se lever et dire quelque
chose. Tous firent mouvement autour de Marty comme s’ils avaient l’intention de
le lyncher. La chanson resta dans le film. »
Breakfast at Tiffany’s : éd. Intrada (cd) et Sony (réenregistrement d’époque, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1962.
Oscar de la meilleure chanson originale 1962.

LES DIX COMMANDEMENTS The Ten Commandments


Réalisé par Cecil B. DeMille - Production : Cecil B. DeMille
(Paramount Pictures)
Musique d’Elmer Bernstein - 1956

Durant le montage des Dix Commandements, le désistement malheureux de Vic-


tor Young* astreint Cecil B. DeMille à dénicher un nouveau compositeur. Il audi-
tionne Elmer Bernstein en prenant soin d’explorer ses dernières bandes originales.
« Il m’a appelé de son bureau en me précisant qu’il avait écouté, la nuit dernière,
mon score d’orientation jazz pour L’Homme au Bras d’Or, raconte le musicien.
J’avais très peur de recueillir son opinion sur la chose… Finalement, il me dit :
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"C’est très bien, mais surtout n’écrivez rien de tel sur mon film !" » Face au vété-
ran, le jeune musicien use de sa formation classique et applique les préceptes du
romantisme allemand : « DeMille était wagnérien et croyait fermement au leitmo-
tiv. Il pensait que chaque personnage devait avoir un thème propre qui le suivait à
l’écran. C’était ma mission… Pour la scène de l’Exode, j’avais écrit un hymne
quasi hébraïque qui illustrait le lent mouvement des troupes. DeMille l’écouta
avec les images et me dit qu’il ne l’aimait pas. "Qu’est-ce qui ne va pas ?", lui de-
mandai-je. Il me reprocha sa lenteur. "Mais je ne fais que traduire ce que l’on voit
sur l’écran ! Ces milliers de personnes qui progressent pas à pas…" – "C’est bien le
problème, c’est trop lent" – "Mais cela ne va pas paraître bizarre si j’écris quelque
chose de plus rapide ?" – "Faites-moi confiance, ça marchera", conclut-il. Et il
avait raison, j’ai appris là une grande leçon. On peut rendre quelque chose plus
énergique qu’il ne l’est en réalité. Travailler avec Cecil B. DeMille fut l’un des
épisodes les plus exaltants de mon parcours à Hollywood. »
The Ten Commandments : éd. MCA et Intrada (cd).
*Le musicien tombe gravement malade durant la postproduction du film.

LE DOCTEUR JIVAGO Doctor Zhivago


Réalisé par David Lean - Production : Carlo Ponti (MGM)
Musique de Maurice Jarre - 1965

« Lorsque nous avons commencé à travailler sur la musique du Docteur Jivago,


David Lean tournait, se souvient Maurice Jarre. Il avait reconstitué la ville de
Moscou dans les environs de Madrid et m’avait demandé d’assister au tournage.
Il avait trouvé une vieille chanson russe et voulait l’utiliser pour le thème de Lara.
Au bout de deux mois, des responsables de la MGM sont venus nous dire qu’ils
ne parvenaient pas à trouver les auteurs de cette chanson. Il n’était plus possible
de l’utiliser. » Sollicité par la production, Jarre se met donc au travail et soumet un
premier thème de substitution au cinéaste : « En l’écoutant, David me dit : "Je
crois que tu peux faire mieux." Désappointé, je retravaille et lui joue un nouveau
thème ; "C’est trop triste !", me dit-il. Je lui en propose alors un troisième ; "C’est
trop rapide…" Finalement, il me conseille de prendre un week-end à la montagne,
avec ma petite amie, et rajoute : "Ne pense pas au film, mais simplement à un
thème d’amour, pas un thème russe." Le lundi matin, dans l’heure qui a suivi
mon réveil, j’ai bouclé mon thème. En fait, plus j’essayais d’imiter la chanson
russe, plus j’allais contre la conception du thème de Lara. J’ai compensé le fait
que ma mélodie n’avait rien de russe grâce à l’orchestration, en utilisant un en-
semble de vingt-quatre balalaïkas et des Ondes Martenot. » La genèse d’un succès
planétaire.
Doctor Zhivago : éd. Sony (cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1966.

LA DOLCE VITA La Dolce Vita


Réalisé par Federico Fellini - Production : Giuseppe Amato, Angelo Rizzoli
(Cineriz)
Musique de Nino Rota - 1960
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Maurice Jarre à Paris pour l’anniversaire de la Libération, le 21 août 1994.
« Je peux dire que Fellini n’est jamais allé ni à un opéra, ni à un concert, révèle
Nino Rota, et qu’il n’aime pas écouter de musique, qu’elle l’agace même, parce
qu’il y est très sensible et qu’il ne veut pas se laisser emporter… » Voilà bien le
paradoxe d’un réalisateur qui n’imagine pas un film sans musique. Succès critique
international, La Dolce Vita baptise l’irrévérence d’un duo qui brise toutes les
barrières musicales. Désormais, la bande-son peut s’appréhender tel un pot-pourri
de genres où se mêlent compositions orchestrales (souvent des motifs courts),
standards de jazz, fanfares de cirque, et chansons populaires. Les éléments peu-
vent s’enchainer, se chevaucher, en passant parfois d’un film à l’autre. Ainsi, Rota
évoque "La Douceur de Vivre"* (le thème Via veneto i nobili) dans les variations de
sa musique pour Roma, sous l’œil plus ou moins complice du cinéaste. « Il arrive
de temps en temps à Fellini, quand il est à la recherche de quelque chose, de se
souvenir de mes pièces, il les réécoute et me dit : "Celle-ci irait bien." (…) Il est
convaincu que je suis trop distrait pour comprendre quoi que ce soit à ce que je
vois dans ses films. Il va même jusqu’à penser qu’à ce moment-là, je crois voir un
passage d’un autre film ! Alors il me dit : "Attention, Nino, ce n’est pas La Dolce
Vita…" C’est pourquoi il m’arrive de mettre certains éléments dans un film sim-
plement parce qu’ils lui plaisent. »
La Dolce Vita : éd. Sugar / Cam et Quartet (cd).
*Titre français inusité de La Dolce Vita qui figurait sur la première affiche fran-
çaise de 1960.

LA DONNA INVISIBILE
Réalisé par Paolo Spinola - Production : Silvio Clementelli
(Euro International Film)
Musique d’Ennio Morricone - 1969

Parmi tous les maîtres occasionnels de l’Easy listening, Ennio Morricone est sans
nul doute l’un des grands champions du siècle passé. Entre 1965 et 1980, le maes-
tro écrit quantité de B.O. pour un Septième art italien avide d'expérimentations
sucrées. De la Bossa Nova au jazz, de la pop à la variété, l'éclectisme du musicien
nourrit l'univers sonore d'un large panel de films désormais oubliés. C'est le cas de
cette "femme invisible" porté par la voix érotique de la diva Edda Dell'Orso. Selon
Morricone lui-même, qu'importe le projet, il « donne toujours tout – une créativité
totale. » L'écoute de ce score moult fois réédité démontre clairement l’exigence du
maestro. Et chacune de ses interventions dans le cinéma romantico-psychédélique
pourrait figurer dans le présent ouvrage, tant elles frappent à l'unisson le cœur de
l'amateur éclairé. Impossible bien évidemment d'en dresser la liste complète, mais
citons quand même d'autres joyaux du genre : Disons, un Soir à Dîner, L'Asso-
luto Naturale, Veruschka ou encore Maddalena, dans lequel Belmondo et Laut-
ner puiseront le single Chi mai pour la B.O. du Professionnel.
La Donna Invisibile : éd. Verita Note Japan et GDM (cd).

DRACULA Bram Stoker’s Dracula


Réalisé par Francis Ford Coppola - Production : Francis Ford Coppola, Fred
Fuchs, Charles Mulvehill (Columbia Pictures)
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Musique de Wojciech Kilar - 1992

« Avant de découvrir la version de Coppola, je n’avais vu qu’un seul Dracula,


révèle Wojciech Kilar. C’était en 1959 ou 60, lorsque je faisais mes études à Paris
chez Nadia Boulanger. Le Cauchemar de Dracula (musique de James Bernard)
m’a fait terriblement peur, j’avais 26 ans. » Quelques décennies plus tard, le réali-
sateur du Parrain propose à l’artiste polonais de revisiter ses frayeurs de jeunesse.
Il le rencontre à Paris en l’invitant à écrire une partition éloignée des codes musi-
caux américains. « Coppola m’a choisi car il voulait un compositeur sympho-
nique, mais pas hollywoodien. Il aimait les sonorités de mes pièces orchestrales…
Nous avons parlé de musique en général, de Ravel en particulier. Il m’a dit :
"Faites ce que vous voulez !" J’ai écrit la musique en Pologne, chez moi en toute
tranquillité. Nous l’avons enregistrée à Los Angeles avec 100 musiciens, 50 voca-
listes et le studio ouvert pour deux semaines. Là-bas, je suis tombé malade
quelques jours après mon arrivée. Je vis en Pologne, je suis âgé, malade : tout
jouait contre moi ! À la question "Comment peut-on écrire de la musique de
film ?" Je réponds désormais qu’il faut trois choses : habiter en Pologne, être vieux
et malade. » Le succès de Dracula permettra à Kilar de travailler tardivement sur
plusieurs productions anglo-saxonnes.
Bram Stoker’s Dracula : éd. Columbia (cd) et La-La Land (musique intégrale, cd).

DU SANG POUR DRACULA Blood for Dracula


Réalisé par Paul Morrissey - Production : Andrew Braunsberg
(Bryanston Distributing)
Musique de Claudio Gizzi - 1974
(voir : Chair pour Frankenstein)

DU SILENCE ET DES OMBRES To kill a Mockingbird


Réalisé par Robert Mulligan - Production : Alan J. Pakula (Universal Pictures)
Musique d’Elmer Bernstein - 1962

Vers la fin des années 50, le partenariat créatif entre Robert Mulligan et Alan J.
Pakula s’enrichit d’un talent prometteur : « J’ai rencontré Alan juste après Les
Dix Commandements, se souvient Elmer Bernstein. Il était un peu l’homme à
tout faire chez Paramount. Nous sommes devenus amis et je lui ai dit : "un jour,
quand tu feras un film, j’en écrirai la musique !" Par la suite, il s’est allié avec Ro-
bert Mulligan et nous avons fait notre premier film ensemble (Prisonnier de la
Peur). Nous passions beaucoup de temps à parler du caractère de la musique,
mais tous deux n’interféraient jamais sur ce que je devais écrire… Pour Du Si-
lence et des Ombres, il m’a fallu presque six semaines avant de pouvoir écrire une
note. Je ne parvenais pas à saisir le vrai sujet du film... Certaines choses étaient
évidentes : le film parlait du racisme, de la Dépression, du Sud. Mais dès l’instant
où vous évoquez le Sud, vous êtes pieds et poings liés avec la région. Vous voulez
des banjos et du blues ? Je souhaitais éviter d’évoquer cet aspect géographique de
l’histoire. C’est alors que j’ai pris conscience que le film parlait de tous ces sujets
au travers les yeux des enfants. Ce fut la clef du score : leurs tâtonnements lors-
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qu’ils essayent de jouer quelque chose au piano avec un doigt. Ensuite sont venus
les effets de cloches, de boîtes à musique et les harpes. » La première grande parti-
tion intimiste du cinéma américain d’après-guerre.
To kill a Mockingbird : éd. Intrada (cd) et Varèse Sarabande
(réenregistrement, cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1963.

DUNE Dune
Réalisé par David Lynch - Production : Raffaella De Laurentiis
(Universal Pictures)
Musique de Toto - 1984

Soucieux de redéfinir l’univers symphonique du Space opera, David Lynch ren-


contre le leader du groupe Toto durant le tournage de Dune. « David Paich est
venu au Mexique et nous avons discuté, raconte le cinéaste. Lorsque vous parlez
avec les gens, vous commencez déjà à percevoir des choses. Chez David, j’ai senti
toute la musique qu’il voulait créer, et elle ne ressemblait pas à celle de Toto. Je
pense qu’il possède un talent musical extraordinaire qui n’est pas exploité. Beau-
coup de musiciens sont comme ça, ils se cantonnent à un style mais à l’intérieur
d’eux beaucoup de choses ne demandent qu’à sortir. » De formation classique,
Paich motive sa troupe afin de créer un score navigant au-delà des frontières du
rock : « Ce fut un vrai grand challenge pour le groupe ! Nous voulions vraiment
écrire la partition du film, et pas seulement des chansons qu’ils auraient placées à
des endroits choisis. Nous avons regardé toutes les séquences puis enregistré une
bonne heure et demie de musique. Certaines parties ont été orchestrées (pour le
Vienna Symphony Orchestra, NDLR), mais beaucoup de morceaux ont été joués
par le groupe, enregistrés en vingt-quatre pistes et mixés avec l’orchestre. Nous
avons uni nos efforts et, au bout du compte, nous avons obtenu le résultat que
nous souhaitions. » Du générique à la Bernard Herrmann au joli thème d’amour,
en passant par le rock FM des vers géants, le travail de Toto demeure le point
d’orgue de Dune.
Dune : éd. Polydor (cd).

E.T. L’EXTRA-TERRESTRE E.T. The Extra-Terrestrial


Réalisé par Steven Spielberg - Production : Steven Spielberg, Kathleen Kennedy,
Melissa Mathison (Universal Pictures)
Musique de John Williams - 1982

Selon John Williams : « Le Tempo est la première chose dont le compositeur doit
tenir compte. » Une règle savamment éprouvée lors du dernier quart d’heure
d’E.T. dans lequel s’enchainent des changements de rythme notables, dont plu-
sieurs poursuites, un envol, et une scène d’adieux. « J’ai écrit la musique de ma-
nière mathématique afin que toutes ces séquences soient correctement configurées
et qu’elles puissent toutes fonctionner… Mais durant l’enregistrement, je ne par-
venais jamais à obtenir une interprétation qui me semblait juste musicalement et
émotionnellement. Je ne cessais de recommencer les prises lorsque j’ai finalement
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dit à Steven : "Je ne pense pas que je vais y arriver, peut-être devrais-je essayer
autre chose ?" Il m’a alors répondu : "Pourquoi ne pas mettre le film de côté ? Ne
le regarde pas. Oublie le film et dirige l’orchestre de la même manière que tu le
ferais lors d’un concert. De cette façon, l’interprétation ne sera plus inhibée par
des mesures ou des considérations mathématiques." C’est ce que je fis et nous
fûmes tous d’accord pour dire que la musique était bien meilleure. Par la suite,
Steven remonta légèrement la dernière partie du film, afin de coller à
l’interprétation musicale que je trouvais la plus réussie sur le plan émotionnel. »
Un tour de force inspiré par les couleurs orchestrales de la symphonie n°2
d’Howard Hanson.
E.T. The Extra-Terrestrial : éd. La-La Land (cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1983.

EDWARD AUX MAINS D’ARGENT Edward Scissorhands


Réalisé par Tim Burton - Production : Tim Burton, Denise Di Novi
(20th Century Fox)
Musique de Danny Elfman - 1990

Changement de programme. Après la frénésie et l’action (Batman, Cabal et autres


Darkman), Danny Elfman se retrouve aux antipodes de ses premiers succès :
« Edward aux Mains d’Argent était volontairement traité à l’ancienne. Un gentil
conte de fées pour lequel j’ai composé aussi gentiment. La musique était très
simple mais aussi très romantique, chargée en émotion… Je n’ai pas cherché à
faire du religieux, mais je pense que l’aspect éthéré du genre conte de fées peut
prendre des teintes quasi religieuses. Cela remonte sans doute à mes premières
amours pour la musique de ballet... La première fois que j’ai fait écouter le score
du film à Tim Burton, j’étais très nerveux. Le film comporte deux thèmes princi-
paux au lieu d’un seul comme il est coutume de pratiquer. L’un des deux a une
résonnance très "Europe de l’Est", dans le genre hongrois. Je craignais qu’il ne me
rétorque que son personnage n’avait rien à voir avec cette partie du monde,
comme d’autres réalisateurs l’auraient souligné. Mais Tim n’a pas réagi ainsi. Il
avait compris que la musique faisait référence à un monde intérieur. Un monde
qui ne connaît ni frontière, ni limite. Tim réagit davantage avec ses tripes et ma
musique l’avait touché au point sensible. » Le meilleur d’un duo toujours en
phase.
Edward Scissorhands : éd. MCA et Intrada (cd).

ELEPHANT MAN The Elephant Man


Réalisé par David Lynch - Production : Jonathan Sanger, Mel Brooks
(Paramount Pictures)
Musique de John Morris - 1980

Fidèle collaborateur de Mel Brooks, le musicien John Morris rejoint en toute ami-
tié l'équipe d'Elephant Man, première production dramatique de la Brooksfilms.
David Lynch l'invite à écouter les sonorités du Polyphon, une énorme boîte à
musique allemande très en vogue à la fin du XIXe siècle. Autour de cette couleur
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instrumentale particulière, Morris écrit une belle partition élégiaque à tendance
victorienne, ponctuée de musiques de cirque. L’osmose avec les images de Fred-
die Francis est totale, mais la séquence de fin fait toutefois l'objet d'une diver-
gence : « Je voulais utiliser l'Adagio pour cordes de Samuel Barber, confie David
Lynch, et John Morris avait été engagé pour faire toute la musique. Il avait fait du
bon boulot, mais je voulais absolument avoir ce morceau de musique... J'ai donc
été forcé de faire une projection où Mel avait invité un tas de relations et où j'ai dû
projeter les deux versions, l'une avec l'Adagio et l'autre avec la musique de John
Morris (...) Après, il y eut un long silence, et je croyais que tout le monde allait
voter. Mais après ce silence, Mel s'est tourné vers John Morris et lui a dit très gen-
timent : "John, il faut que je te dise que j'aime l'Adagio. Ça marche mieux avec le
film." Et John a dit : "Bon!" Mais ce n'était pas moi qui avais gagné. C'est le film
qui avait gagné. » Les deux versions seront présentes sur l'album du film. Une
œuvre marquante.
The Elephant Man : éd. Milan (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1981.

L’ÉGYPTIEN The Egyptian


Réalisé par Michael Curtiz - Production : Darryl F. Zanuck (20th Century Fox)
Musique d’Alfred Newman et Bernard Herrmann - 1954

Le succès de La Tunique, premier film en Cinémascope de l’histoire, autorise


Darryl F. Zanuck à entreprendre un second péplum pharaonique. L’Égyptien est
une production de cinq millions de dollars rivée aux valeurs esthétiques du studio,
combinant son stéréophonique et nouveau format étendard. À la suite de plu-
sieurs révisions du montage, Alfred Newman revoit à la baisse son délai de com-
position désormais réduit à peau de chagrin : cinq semaines pour cent minutes de
score à pourvoir. C’est sans compter l’aide d’un précieux collègue. « J’ai proposé à
Alfred que nous collaborions, se souvient Bernard Herrmann. Fort heureusement,
le film avait trois histoires distinctes. Je lui ai offert de prendre en charge une por-
tion – l’épisode consacré à la cruelle séductrice Nefer-Nefer – et qu’il écrive les
deux autres. Nous nous faisions régulièrement parvenir ce que nous composions
afin d’accorder nos différents styles… Personne ne sait quoi que ce soit sur la mu-
sique de cette époque. Nous avons donc dû inventer et je suis très fier du résultat.
Si les Égyptiens ont eu de la musique, je pense que notre partition pourrait bien
lui ressembler. Cette pensée n’a rien d’intellectuel, elle est d’ordre purement émo-
tionnel. J’y crois si fortement que, d’une certaine façon, il ne peut en être autre-
ment. Alfred partageait également ce point de vue. » Une conviction qui inscrit le
travail des deux maîtres parmi les B.O. légendaires de l’âge d’or.
The Egyptian : éd. La-La Land (cd).

ENQUÊTE SUR UN CITOYEN AU-DESSUS DE TOUT SOUPÇON


Indagine su un Cittadino al di sopra di ogni Sospetto
Réalisé par Elio Petri - Production : Marina Cicogna, Daniele Senatore
(Euro International Film)
Musique d’Ennio Morricone - 1970
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La confiance renouvelée d’Elio Petri envers Ennio Morricone s’enclenche par un
avertissement : « Ce fut inoubliable, raconte le maestro, Petri m’a dit : "Mon cher
Morricone, j’ai réalisé plusieurs films et pour chacun d’eux j’ai changé de compo-
siteur… C’est donc votre premier et dernier film avec moi." Et ensuite, il n’y a eu
personne d’autre que moi, il m’a toujours rappelé*. » Second volet de leur colla-
boration, Enquête… est composé par Morricone avant même sa réalisation. « J’ai
lu le scénario et je m’en suis fait une idée. J’ai compris que je devais produire une
musique grotesque. Il fallait que ce soit en quelque sorte très populaire, dans le
sens "très accessible". J’ai donc écrit une musique pour instruments pauvres, des
instruments que les gens dénigrent ou connaissent mal. Mais je n’ai pas mis
d’accordéon. J’ai d’abord pensé à l’instrumentation, puis à la partition. Il y avait
une mandoline, un piano-forte, une guimbarde, un orchestre ordinaire et un syn-
thétiseur. Sur la seconde partie du thème, j’ai demandé au très talentueux clavié-
riste de reproduire comme un bruit de bouche. Il m’a trouvé ce petit bruit, évi-
demment mêlé aux autres instruments. C’était une idée assez originale. Petri m’a
permis d’écrire la musique dans une liberté totale… Il m’a dit qu’il était content
du résultat. À l’époque, il traversait une crise ; avec ce film il avait pris des risques.
D’ailleurs, il s’est réfugié en France à sa sortie, par peur des représailles. »
Indagine su un Cittadino al di sopra di ogni Sospetto : éd. Cinevox (cd).
*De 1969 à 1979, Petri et Morricone feront sept films ensemble.

LES ENSORCELÉS The Bad and the Beautiful


Réalisé par Vincente Minnelli - Production : John Houseman (MGM)
Musique de David Raksin - 1952

"Un chant de sirène", tel est le souhait énigmatique de John Houseman concer-
nant le thème principal des Ensorcelés. « En conséquence, s’amuse David Raksin,
je suis progressivement passé de l’état de compositeur à celui d’Ulysse solidement
attaché au mât de son yacht. Je dérivai au large des îles Catalina en tentant de
retranscrire sur quelques parchemins d’indescriptibles roulades vocales… Oh là, du
calme Homer ! En fait, je suis rentré chez moi et j’ai travaillé encore et encore. » À
l’issue du week-end, le musicien présente son générique à ses collègues André
Previn et Jeff Alexander, tous les deux guères emballés par sa version au piano.
« Comme ils étaient de superbes pianistes, ils ne pouvaient comprendre la difficul-
té de n’avoir que dix doigts. À la fin du morceau, André me fit l’honneur d’être
franc et s’exclama : "C’est l’heure du déjeuner !" (…) Quelques semaines plus
tard, il passa me voir durant l’enregistrement orchestral, et cette fois il fut dithy-
rambique à propos de ma mélodie. Je n’étais pas pour autant rassuré : "Allons
André, toi et Jeff fûtes les premiers à entendre ce thème, et il ne vous a fait aucune
impression – Et bien, me répondit-il, de la façon dont tu l’as joué, qui aurait pu
deviner ?" » Plusieurs écoutes seront également nécessaires pour convaincre Min-
nelli et Houseman des formidables qualités du score. « J’ai ainsi dû faire face à
une évidence, conclut David Raksin : aucune de mes musiques ne devrait être
jouée une première fois... »
The Bad and the Beautiful : éd. Rhino (cd) et RCA (réenregistrement, cd).

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L’ÉQUIPE COUSTEAU EN AMAZONIE Cousteau Amazon
Série documentaire produite par Jacques-Yves Cousteau, Mose Richards, John
Soh (WTBS)
Musique de John Scott - 1983

« Je l’ai dit bien des fois et ne cesse de l’affirmer, confie John Scott. Jacques Cous-
teau fut responsable d’un développement majeur dans ma musique et dans mon
assurance à composer. » Les deux hommes se rencontrent par l’intermédiaire de
John Soh, chef monteur de la série, puis très vite, le musicien sympathise avec le
commandant qui lui offre l’écrin du Royal Philharmonic Orchestra pour enregis-
trer ses partitions. « Cousteau me disait toujours : "Je ne veux pas de la musique
pour documentaires, et je pense que tu peux l’écrire." Il m’a donc poussé à écrire
une musique toujours meilleure. Jacques me disait : "Allez John, compose
quelque chose de spécial. Quels instruments voudrais-tu ?" Il était musicien, il
jouait de l’accordéon et rêvait de composer un jour la musique d’un de ses épi-
sodes, ce en quoi je l’ai toujours encouragé. Malheureusement, il n’en a jamais eu
l’occasion… Quand je lui rendais visite dans sa salle de montage située avenue
Wagram, il avait un pied-à-terre juste au-dessus. Nous nous y retrouvions et nous
parlions musique. Il me passait les derniers CD qu’il avait découverts et disait :
"John, que penses-tu de cette approche pour le prochain documentaire ?" Nous
étions très proches. » Un score symphonique, pop et folklorique, à la mesure
d’une aventure humaine exceptionnelle.
Cousteau Amazon : éd. JOS (cd).

L’ÉTAU Topaz
Réalisé par Alfred Hitchcock - Production : Alfred Hitchcock, Herbert Coleman
(Universal Pictures)
Musique de Maurice Jarre - 1969

L’Étau place Maurice Jarre dans une situation délicate : il s’engage pour la pre-
mière fois dans le film d’espionnage et Hitchcock, qui vient de rompre avec son
mentor musical, s’avère évasif sur le score à écrire. « J’étais inquiet, voire impres-
sionné à l’idée de travailler avec un tel monstre sacré, avoue le compositeur.
L’empreinte de Bernard Herrmann était tellement forte que je me demandais si
j’allais être capable de prendre la relève. Hitchcock s’est avéré adorable, très atta-
chant mais peu disposé à parler musique : "Cher monsieur Jarre, je vous ai choisi,
vous avez ma confiance, faites au mieux ! – Oui, mais je préférerais que nous
soyons d’accord, j’ai peut-être des idées qui ne fonctionneront pas ! – Aucune
importance, dans ce cas, on coupera la musique !" » Seul devant sa copie, le com-
positeur s’active à écrire un score aux couleurs européennes (cithare, accor-
déon…) qui s’ouvre, selon les souhaits du cinéaste, par une marche militaire. Du-
rant l’enregistrement, les deux hommes se font face le temps du générique :
« Grand sourire d’Hitchcock, se souvient jarre. "Très bien c’est exactement ça…"
J’attaque le deuxième morceau, je me retourne : Hitch avait disparu ! Sa présence
n’a pas excédé dix minutes… À l’arrivée la musique lui a plu. Il l’a intégralement
conservée au montage. » En 1973, l’artiste français retrouvera l’espionnage inter-
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national avec Le Piège de John Huston, une B.O. entêtante louée par un réalisa-
teur plus attentif : « Merci Maurice. Au moins, il y aura un truc de réussi dans ce
film », dira le vieux lion à l’issue des sessions.
Topaz : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).

UN ÉTÉ 42 Summer of 42'


Réalisé par Robert Mulligan - Production : Richard A. Roth (Warner Bros.)
Musique de Michel Legrand - 1971

De toutes les B.O. américaines de Michel Legrand, Un Été 42 est peut-être la plus
brève de sa carrière. Parsemées sur les images nostalgiques de Robert Mulligan,
les splendides variations du thème pour saxophone et cordes naissent d'une inspi-
ration fulgurante : « J'ai écrit la partition d'Un Été 42 en quelques heures, se sou-
vient le musicien. La Warner m'a appelé d'urgence, je suis arrivé à Los Angeles
un vendredi. Le film m'a bouleversé : à la fin de la projection, je suis resté plu-
sieurs minutes sans pouvoir parler… Robert Mulligan, le metteur en scène m'a
ramené à la réalité : "Nous mixons jeudi prochain, ta musique doit être prête mer-
credi. Tu as cinq jours!" Rien n'a été plus simple ! Un Été 42 m'avait transmis une
formidable émotion que j'ai aussitôt couchée sur mes portées. Ma plume glissait
sur le papier... Quand on est pressé, tout vient très vite, on est encore sous l'effet
immédiat du film. À l'inverse, lorsqu'on a du temps, on réfléchit, on cérébralise,
on trouve ses premières idées trop évidentes, trop instinctives. On essaye de les
améliorer et finalement, on les déforme. Au bout du compte, on se noie dans son
propre bain. Pour ma part, quand je n'ai pas le temps de chercher, je trouve ! »
Summer of 42' : éd. Warner (cd) et Intrada (intégrale, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1972.

L'ÉTOFFE DES HÉROS The Right Stuff


Réalisé par Philip Kaufman - Production : Robert Chartoff, Irwin Winkler
(Warner Bros.)
Musique de Bill Conti - 1983

À la veille d'un départ en vacances, Bill Conti se voit parachuter sur une épopée
américaine de 3h10 : « Mes bagages étaient fin prêts quand le téléphone sonna, se
souvient le musicien. C'était Al Bart, mon agent, qui me dit : "Tu dois aller à San
Francisco, ils viennent tout juste de rejeter le score de L'Étoffe des Héros "... À
cette époque, je n'avais pas de question à me poser, il me fallait travailler. » Conti
accepte la tâche avec un délai de quatre semaines pour écrire et enregistrer toute la
musique. Mais la principale difficulté pour le compositeur est de faire face à un
réalisateur qui ne veut pas de lui. Contrairement aux producteurs Robert Chartoff
et Irwin Winkler (Rocky), Philip Kaufman souhaite un score pianissimo et se
méfie de tout compositeur susceptible d'écrire une grande partition. « Ma première
obligation est envers le réalisateur, remarque Conti. Je suis là pour écrire ce qu'il
ou elle souhaite entendre sur son film... Mais là, il avait eu sa chance avec la pre-
mière musique et ça n'avait pas fonctionné. » Kaufman revoit donc ses ambitions
en suggérant un papier calque de la nouvelle musique temporaire tirée des Planètes
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96
Michel Legrand lors de la soirée hommage à Georges Delerue, le 12 novembre 1994 au Puy du Fou.
de Holst et The White Dawn, une B.O. de Henry Mancini. « Il me disait : "Vous
pouvez faire plus ressemblant", ce à quoi je répondais: "Si je fais encore plus
proche, je veux un désaveu !" » À la limite du plagiat (Holst et Mancini seront
cités au générique), le score de L'Étoffe des Héros demeure un brillant travail de
synthèse, fidèle aux préoccupations esthétiques de son auteur.
The Right Stuff : éd. Varèse Sarabande (bande originale et réenregistrement, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1984.

EXODUS Exodus
Réalisé par Otto Preminger - Production : Otto Preminger (United Artists)
Musique d’Ernest Gold - 1960

Dans les années soixante, le travail avec Otto Preminger n'est pas toujours un
long fleuve tranquille pour les divers musiciens qui le côtoient. D'humeur chan-
geante, il sélectionne le plus souvent des compositeurs en devenir, par définition
faciles à modeler. Exodus sera une expérience marquante à plus d'un titre pour
Ernest Gold. « Durant la première prise de l'enregistrement à Londres, se souvient
sa femme Marni Nixon, Otto hurla dans le micro de la cabine en direction d'Er-
nest et de l'orchestre : "Vat you do to my picture ? Shtop this at once !"* » Ap-
prouvée au piano, la version symphonique de la musique ne plaît plus au cinéaste.
Que faire ? Comment corriger le tir ? En quelques chuchotements à ses musiciens,
Gold trouve la solution. Il leur demande en toute discrétion plus de douceur, de
progression dans l'interprétation. Bingo ! « My god that boy is a Tchenius, an Ab-
solute Tchneeeeeeenius », s'exclame Preminger en se ruant sur le musicien pour
l'embrasser. « La suite des sessions se déroula très bien et pour le reste, c'est de
l'histoire. » Une belle histoire en l'occurrence, puisque la B.O. d'Exodus fera le
tour du monde des compilations du genre, et deviendra l'emblème imparable du
compositeur.
Exodus : éd. RCA (cd) et Tadlow Music (réenregistrement, cd).
*Preminger (avec l'accent) : « Qu'est que fou faîtes à mon film ? Arrêtez ça tout de
suite » et « Mon dieu ce garçon est un Tchénie, un Tchéééénie Absolu ! »
Oscar de la meilleure musique de film originale 1961.

FAHRENHEIT 451 Fahrenheit 451


Réalisé par François Truffaut - Production : Lewis M. Allen (Universal Pictures)
Musique de Bernard Herrmann - 1966

La création du score de Fahrenheit 451 s’amorce par une discussion entre deux
artistes réfractaires. « Quand Truffaut m’a proposé de faire la musique du film,
raconte Bernard Herrmann, je lui ai demandé : "Pourquoi voulez-vous que je vous
écrive la partition de Fahrenheit ? Vous êtes un grand ami de Boulez, Stockhausen
et Messiaen, et c’est un film qui se déroule dans le futur. Ce sont tous des compo-
siteurs avant-gardistes, pourquoi ne demanderiez-vous pas à l’un d’entre eux ?"
"Oh non, non," me rétorqua-t-il, "Ils me donneraient la musique du XXe siècle,
mais vous, vous me donnerez celle du XXIe !" » À partir de cette idée, le composi-
teur soumet à Truffaut une vision toute personnelle du futur : « J’ai senti que la
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musique du siècle prochain impliquerait une grande simplicité lyrique (…) Donc
je lui précisai : "Si je fais votre film, c’est le type de partition que je veux écrire –
des cordes, des harpes et quelques percussions. Je ne suis nullement intéressé par
toutes ces âneries que l’on présente comme étant la musique du futur. Je pense au
contraire que c’est la musique du passé." » Ray Bradbury sera le premier specta-
teur émerveillé par le travail de Bernard Herrmann. « À chaque fois que j’entends
la séquence finale que composa Benny, je fonds en larme », déclarait l’écrivain.
Fahrenheit 451 : éd. Varèse Sarabande et Tribute Film Classics (réenregistre-
ments, cd).

LES FÉLINS Joyhouse / The Love Cage


Réalisé par René Clément - Production : Jacques Bar (MGM)
Musique de Lalo Schifrin - 1964

L’unique collaboration de Lalo Schifrin avec un réalisateur français débute aux


États-Unis. « À cette époque, j’avais beaucoup de succès comme musicien de jazz,
raconte le maestro argentin. J’étais en contrat chez le label discographique Verve
qui appartenait à la MGM. Ils avaient confiance en moi et m’ont fait signer un
contrat pour deux films, dont Les Félins… J’avais déjà rencontré René Clément à
New York. Il ne parlait pas beaucoup anglais. Je crois que le fait que je sois fran-
cophone l’a sûrement influencé dans son choix. J’ai beaucoup appris avec lui.
Nous travaillions à son domicile parisien, l’appartement était très grand. Il y avait
des bancs de montage avec des Moviolas*. Clément parlait beaucoup de la philo-
sophie du cinéma et de façon très inhabituelle. Je n’ai jamais plus rencontré cela
et je le regrette d’ailleurs. Il parlait très poétiquement alors que les metteurs en
scène anglo-saxons vous disent : "ça doit être comme ceci ou comme cela", lui il
avait une approche très poétique. » Le cinéaste donnera au jeune Schifrin toute la
liberté nécessaire à ses désirs de jazz et de modernité orchestrale (l’influence
d’Olivier Messiaen). En prime, ce dernier créera un standard : The cat, une version
du générique customisée par l’organiste Jimmy Smith.
Les Félins : éd. Universal music France / Écoutez le cinéma (cd).
*Visionneuses pour film 35mm.

UNE FEMME CHERCHE SON DESTIN Now, Voyager


Réalisé par Irving Rapper - Production : Hal B. Wallis (Warner Bros.)
Musique de Max Steiner - 1942

Il faut redécouvrir ce somptueux mélo à tendance psychanalytique pour se con-


vaincre des biens faits de Max Steiner. D'un romanesque inouï, le film d'Irving
Rapper devance les leçons freudiennes de La Maison du Docteur Edwardes
(1945), et génère des torrents d'émotion digne d'un Douglas Sirk à son zénith (pé-
riode 1954 / 1959). Steiner saisit très vite les enjeux de l'histoire. Il introduit dès le
générique un thème sentimental puissant qui accompagnera Bette Davis, vieille
fille névrosée, vers son émancipation amoureuse. L'emphase est ici d'autant plus
efficace qu'elle s'avère ponctuelle, fulgurante et comme rivée au jeu de l'actrice.
« Ma théorie, affirmait Steiner, est que la musique doit être ressentie plutôt qu'en-
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tendue. On a souvent dit que les bonnes musiques de films sont celles que l'on ne
remarque pas. Cela m'interroge toujours : comment une chose peut-elle être
bonne si personne ne la remarque ? » Avec la même science de l'intervention mé-
lodique, le musicien fera des miracles sur quantité de films intimistes, dont Le
Rebelle en 1949.
Now, Voyager / The Classic Film Scores of Max Steiner : éd. RCA (réenregis-
trement, cd).
Oscar de la meilleure musique de film originale 1943.
Repris dans la chanson "It Can't Be Wrong", le thème d’Une Femme Cherche son
Destin sera un des hits de l'été 1942.

LA FILLE DE RYAN Ryan’s Daughter


Réalisé par David Lean - Production : Anthony Havelock-Allan (MGM)
Musique de Maurice Jarre - 1970

En dépit des critiques assassines à sa sortie, La Fille de Ryan occupe une place de
choix dans la filmographie commune de David Lean et Maurice Jarre. Le compo-
siteur l’entrevoit même comme l’un de ses scores préférés ; un parfait exemple de
ses connexions avec l’écriture visuelle du maître anglais. « Dans ses scripts, David
notait précisément le moment où la musique commence en crescendo puis dispa-
raît en diminuendo, révèle Jarre. Il me disait toujours : il faut que le public ne
perçoive jamais le début de la séquence et la fin… je faisais donc attention d’aller
toujours dans le même sens que lui. » Dès son générique, La Fille de Ryan met en
évidence cette attention première : « Sur l’ouverture du film, lorsque j’ai entendu
le vent qui soufflait, je me suis dit qu’il serait intéressant que ce vent devienne
musique… Idem pour la scène d’amour dans les bois, mais cette fois, le vent de-
vient sensuel. Je me suis donc arrangé pour que l’orchestration exprime cette sen-
sualité. Avec David, il y avait toujours des moments où la musique devenait im-
portante sans souligner ce qui se passait à l’écran. » De surcroît, comme le réalisa-
teur lui interdit l’usage d’une instrumentation irlandaise traditionnelle, Jarre em-
prunte une autre voie : « J’ai pensé que la sonorité générale du score pourrait être
caractérisée par la harpe, mais pas de façon solitaire, isolée, plutôt comme une
grande harpe. J’en ai donc inclus huit dans l’orchestre. »
Ryan’s Daughter : éd. MGM (lp) et Chapter 3 / EMI (cd).

LA FIÈVRE AU CORPS Body Heat


Réalisé par Lawrence Kasdan - Production : Fred T. Gallo (Warner Bros.)
Musique de John Barry - 1981

« John Barry a su capturer le rythme physique de mon personnage. Il l'a renforcé à


un niveau tel qu'il est devenu un thème dominant. Aujourd'hui, il est difficile de
dire quel a été l'élément premier : la fièvre et le rythme créés par Kasdan, ou la
musique. Pour moi, ils sont inséparables », dixit Kathleen Turner, alias Matty, la
sculpturale femme fatale de La Fièvre au Corps. Envisagé comme un écho sen-
suel aux films noirs des années 40, le thriller de Lawrence Kasdan permet à John
Barry de briller à nouveau dans un jazz orchestral qu'il connaît bien (les James
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Bond, The Knack, Petulia, etc.). En outre, dans les années 80, cet ancien élève de
Bill Russo développe un traitement particulier des cordes – basé sur la répétition
de motifs – qui imprègne de nostalgie ses partitions pour l'écran. « J'ai juste songé
à tous ces films d'Humphrey Bogart, précise le musicien, ces merveilleux films
réalisés dans les années 30 et 40. Le thème principal est une ballade jazz. J'ai eu la
bonne fortune d'être entouré d'interprètes qui comprennent ce langage. Ils se sont
vraiment investis dans le morceau, cela m'a facilité la vie. » Un quartet de poin-
tures nommées Ronny Lang (le saxo de Peter Gunn et Taxi Driver), Mike Lang
(incontournable pianiste d'Hollywood), Chuck Dominaco (basse) et John Guerin
(batterie).
Body Heat : éd. Film Score Monthly (mixage d’origine, cd) et Varèse Sarabande
(réenregistrement, cd).

FIRELIGHT, LE LIEN SECRET Firelight


Réalisé par William Nicholson - Production : Brian Eastman (Miramax)
Musique de Christopher Gunning - 1998

Dans la grande majorité des cas, l’expression du mélodrame cinématographique


s’appuie sur les effluves de la bande musicale. Mais encore faut-il, à l’instar de
William Nicholson, doser et prévoir les interventions du compositeur pour ne pas
noyer le film dans l’emphase : « Quand j’ai conçu Firelight, je savais que la mu-
sique serait la clef de son efficacité, précise le cinéaste. Firelight est presque opé-
ratique dans ses thèmes – passion, perte, désir, réunion. Nombre de moments clefs
du film sont non verbaux et, par instants, la musique soutient des émotions qui
vont d’intenses désirs sexuels à l’amour d’une mère pour son enfant. Pour moi, la
réplique centrale du scénario est dite par l’héroïne : "Je n’aurais jamais imaginé
que le désir puisse être si puissant." C’est ce que la musique devait exprimer et
parfois elle-même créer. » Compositeur d’envergure, Christopher Gunning répond
superbement aux sentiments des personnages avec cette dernière grande B.O.
romantique du XXe siècle. « C’est l’une de mes musiques les plus demandées et
l’une de mes favorites, confie le maestro. Il y a beaucoup d’amour et de désirs
réprimés dans le film. Mais parce que des sentiments intenses de claustrophobie
s’y manifestent, j’ai essayé de créer le maximum d’effets avec un minimum de
notes. »
Firelight : éd. Silva Screen (cd).

FLASH GORDON Flash Gordon


Réalisé par Mike Hodges - Production : Dino De Laurentiis (Universal Pictures)
Musique de Queen et Howard Blake - 1980

Si l’univers du rock et celui de la musique de film ont peu de choses en commun,


leur fusion donne parfois quelques savoureuses réussites. Chargé d’imaginer la
bande-son globale de Flash Gordon, le groupe Queen concrétise son premier
round au cinéma sous la tutelle d’Howard Blake : « Je suis arrivé sur le projet du-
rant une situation de crise. Le musicien choisi par Queen n’avait pu écrire qu’une
minute de score*… Le temps alloué à la composition s’est alors réduit à dix jours,
100
et durant les quatre derniers jours d’enregistrement, je n’ai pas dormi. Cependant,
ma relation avec Queen a toujours été chaleureuse. Ils sont tous venus aux ses-
sions orchestrales et semblaient fascinés. Je me souviens de Freddy Mercury chan-
tant leur mélodie de Ride to Arboria avec sa haute voix de fausset. Je lui ai montré
comment je pouvais la développer dans la section orchestrale mixée sur le film, et
il semblait très heureux. Durant l’écriture du score, j’avais les cassettes de Brian
May avec ses idées de morceaux à la guitare. À l’enregistrement, j’écoutais au
casque ses solos en dirigeant l’orchestre afin de tout synchroniser. Quelques mois
plus tard, il est venu chez moi et nous avons écouté ensemble l’album terminé. »
Après Flash Gordon, les Queen brilleront à nouveau sur la B.O. de Highlander
(avec Michael Kamen) et Freddy Mercury sur celle de Metropolis (version 1986).
Flash Gordon : éd. EMI (cd) et HBCD (score, cd).
*Il s’agissait de l’arrangeur et compositeur Paul Buckmaster.

LES FLEURS DU SOLEIL Sunflower


Réalisé par Vittorio De Sica - Production : Carlo Ponti, Arthur Cohn
(Euro International Film)
Musique de Henry Mancini - 1970

Peut-on refuser un film de Vittorio De Sica ? Grand admirateur du cinéaste, Hen-


ry Mancini ne se pose pas la question : « Non seulement il figure parmi les vrais
grands réalisateurs, mais en plus il n’y a aucun acteur que j’apprécie autant voir
au cinéma. Pour moi, il est la quintessence de l’Italien, et je voulais apprendre à
mieux le connaître. » Le compositeur s’envole avec impatience pour Rome, sans
se douter qu’il va débarquer au cœur d’un conflit entre De Sica et son producteur
Carlo Ponti. Calibré pour Sophia Loren, Les Fleurs du Soleil ne satisfait nulle-
ment le cinéaste qui tente par tous les moyens de se réapproprier son film. « De
Sica se moquait de Ponti et réciproquement, se souvient Mancini. Quoi que l’un
dise, l’autre le ridiculisait dans son dos avec cet incroyable vocabulaire d’insultes
gestuelles qu’utilisent les Italiens. C’était hilarant mais je devais me contrôler. »
En outre, le manque de discipline des musiciens romains durant l’enregistrement
surprend le maestro : « Si l’un d’eux avait une envie pressante, il se levait et quit-
tait la salle – même en plein enregistrement – et vous restiez là sur le podium,
avec l’un de vos musiciens en moins. La seule chose à faire étant d’attendre qu’il
revienne. » Malgré ces difficultés, la belle partition du film sera l’un des grands
succès de l’année 1970.
Sunflower : éd. Quartet (cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1971.

LE FLINGUEUR The Mechanic


Réalisé par Michael Winner - Production : Robert Chartoff, Irwin Winkler
(United Artists)
Musique de Jerry Fielding - 1972

La longue introduction du Flingueur – treize minutes sans dialogues – traduit


d’emblée la confiance de Michael Winner en son musicien régulier. Via une écri-
101
ture résolument non mélodique, Jerry Fielding saisit le cœur de l’exposé filmique
en le mariant à ses préoccupations formelles : « La chose que j’apprécie le plus sur
une telle séquence, c’est que rien n’est dit. Tout est affaire de transmission senso-
rielle. Étant donné qu’il s’agit d’une expérience liée à notre société contemporaine
(un tueur à gages préparant méticuleusement un assassinat), la musique est consti-
tuée d’une série d’effets orchestraux, de couleurs, de dissonances extrêmes qui, je
pense, correspondent au monde d’aujourd’hui… Maintenant, pour une oreille
non entrainée cela peut ressembler à du bruit, mais je peux vous assurer que cela a
été conçu avec une telle attention, une telle méticulosité, que ces treize minutes
m’ont demandé environ cinq semaines de travail. De toutes les choses que j’ai
faites jusqu’ici, c’est vraiment ma partition préférée. Je sais que vous n’allez pas
sortir du cinéma en la sifflant, ça c’est certain, mais c’est la chose la plus difficile
que j’ai composée... » L’humanité contenue dans les recherches harmoniques de
Jerry Fielding apportera un supplément d’âme à nombre de thrillers.
The Mechanic : éd. La-La Land (cd).

LA FOLLE DE CHAILLOT The Madwoman of Chaillot


Réalisé par Bryan Forbes - Production : Ely A. Landau (Warner Bros.)
Musique de Michael J. Lewis - 1969

Une question bien placée décide de la carrière de Michael J. Lewis : « J’avais fait
un spectacle à Londres avec Bryan Forbes et Richard Attenborough, le show
s’intitulait "Please Sir"… Quelques années plus tard, Bryan me demanda : "Mis à
part écrire des comédies musicales, quel est ton rêve ?" Je lui répondis que je vou-
lais composer pour le cinéma. Il me dit alors : "Si un jour une occasion se présente
et que je peux t’aider, je le ferai." En 1968, il me rappela lorsque John Barry, trop
occupé sur Le Lion en Hiver, ne pouvait faire La Folle de Chaillot. Je lui dis
"oui" et ce fut le début d’une nouvelle vie. » Le film se tourne en France (aux Stu-
dios de la Victorine) et Lewis doit travailler sur place afin d’écrire un thème cor-
respondant aux prises de vue. « Durant une pause déjeuner, ils sont tous venus me
rendre visite, raconte le musicien. Il y avait autour de moi les producteurs et toute
la distribution en costume. J’ai joué mon morceau jusqu’au bout… Il y eut le tra-
ditionnel silence où chacun se regarde en se demandant qui va réagir le premier,
puis Bryan se retourna en lançant : "Je pense que c’est parfait !" Cela déclencha
l’approbation générale et signa mon intégration officielle dans la troupe. En fait,
comme il y a trois thèmes dans le film, je suis resté sur place durant un mois et ce
fut assez tumultueux ! » L’une des rares B.O. de Lewis couchées sur disque*.
The Madwoman of Chaillot : éd. Warner Bros. (lp).
*Deux albums vinyles en 20 ans de carrière.

LA FORÊT D'ÉMERAUDE The Emerald Forest


Réalisé par John Boorman - Production : John Boorman, Michael Dryhurst
(Embassy Pictures)
Musique de Junior Homrich avec Brian Gascoigne - 1985

Une petite révolution dans l'univers de John Boorman. Là où le réalisateur a pour


102
Spécialiste des claviers numériques, Brian Gascoigne a travaillé
pour Basil Poledouris, Jerry Goldsmith ou John Williams. Il est
également l’auteur du score de Phase IV (Saul Bass, 1975) et des
compositions électroniques de La Forêt d’Émeraude.

103
habitude de privilégier l'usage de musiques préexistantes dans l’élaboration de ses
bandes-son, La Forêt d'Émeraude emprunte le chemin opposé. « Junior Homrich
fut avec nous durant tout le tournage du film, note le réalisateur. Avec son sac
d'instruments sur le dos, il apporta ses sonorités au cœur de la jungle. Il répondait
aux appels des oiseaux et des insectes, et leurs sons devinrent les siens. Après le
tournage, sa musique hantait toujours mes pensées et je décidai de lui proposer
d'écrire la musique du film. Nous avons passé de merveilleuses semaines dans un
studio à Londres afin qu’il enregistre, instrument après instrument, le score com-
plexe et rythmé du film. » Boorman laisse une totale liberté à l’artiste brésilien
pour mettre en forme la bande-son et l'encourage volontiers à improviser sur les
images. Percussions, voix, claviers électroniques (le synthésiste Brian Gascoigne),
corps humain – Homrich est un instrument vivant – tout est bon pour coller aux
élans panthéistes de La Forêt d'Émeraude. « La musique est un élément fonda-
mental des peuples qui vivent dans les jungles brésiliennes, remarque ce dernier.
Elle est aussi naturelle que manger ou se baigner dans la rivière. Pour eux, chanter
et danser sont essentiels et correspondent à leurs idées de l’harmonie et du bien-
être. » Unique en son genre, ouvrant certaines perspectives, cette B.O. n'aura hélas
guère d'héritières. James Horner s’en rapprochera un tant soit peu avec son beau
score pour le film Quand la Rivière devient Noire.
The Emerald Forest : éd. Varèse Sarabande (cd).

FRANKENSTEIN JUNIOR Young Frankenstein


Réalisé par Mel Brooks - Production : Michael Gruskoff (20th Century Fox)
Musique de John Morris - 1974

Tous deux new-yorkais, Mel Brooks et John Morris se rencontrent à Broadway


dans les années cinquante. Ils participent au sauvetage de Shinbone Alley, un spec-
tacle à la dérive, puis arrive l’aventure des Producteurs : « Un jour Mel m’appelle,
raconte Morris, et me dit : "Je viens d’écrire une chanson pour le film que je pré-
pare, elle s’appelle Un printemps pour Hitler, et je voudrais que vous fassiez les ar-
rangements." J’ai alors répondu : "Un printemps pour Hitler ? Ok, je vais le faire
pour vous, mais soit cela va devenir un classique du répertoire, soit nous allons
être exilés du pays !" » L’anecdote est le point de départ d’une association qui cul-
mine avec Frankenstein Junior, chef-d’œuvre d’humour non privé d’émotions.
« Pour ce film, Mel me demanda d’écrire la plus belle berceuse d’Europe de l’Est
possible. Ce thème allait devenir en quelque sorte le cœur du monstre, son en-
fance. J’ai compris ce qu’il souhaitait car Mel cherche toujours à atteindre le cœur
émotionnel des choses. Ce n’est pas qu’il rejetait l’idée d’une partition aux allures
effrayantes mais, pour lui, Frankenstein Junior était un film différent, davantage
tourné vers l’émotion. En conséquence, la musique se devait d’être honnête. » Le
contrepoint idéal aux pantomimes hilarantes de Gene Wilder et Peter Boyle.
Young Frankenstein : éd. On Way / MCA (cd).

LA FUREUR DE VIVRE Rebel without a Cause


Réalisé par Nicholas Ray - Production : David Weisbart (Warner Bros.)
Musique de Leonard Rosenman - 1955
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« J’ai rencontré Jimmy Dean en 1953, lorsqu’un ami commun, le poète-
dramaturge Howard Sacler, nous a présentés, se souvient Leonard Rosenman.
Jimmy voulait étudier le piano avec moi et est devenu l’un de mes élèves. Je sen-
tais qu’il était doué et sensible, mais dans la pratique, il n’avait ni patience, ni
rigueur… Il a emménagé dans notre chambrée et nous sommes devenus de très
chers amis. » Grâce à cette proximité, le compositeur signe deux partitions impor-
tantes des années cinquante. La première pour À L’Est d’Éden d’Elia Kazan, où
il écrit la musique directement sur le tournage – en la jouant parfois au piano
avant une scène (!) – et la deuxième à la demande de Nicholas Ray. « La Fureur
de Vivre n’était pas un film indépendant, note le compositeur. C’était une produc-
tion Warner Bros. qui devait avoir de la musique du début à la fin… Beaucoup de
gens trouvent qu’elle sonne comme West Side Story de Leonard Bernstein. C’est
intéressant, car la comédie musicale est sortie trois ans plus tard ! Je me souviens
que j’avais l’habitude d’aller chez Lenny avec Aaron Copland qui s’exclamait en
entrant : "Eh bien ! Il écoute encore La Fureur !" Je ne sous-entends pas que Len-
ny m’ait volé quoi que ce soit, mais ça l’a beaucoup inspiré. Comme pas mal de
monde à Hollywood d’ailleurs, dont probablement Bernard Herrmann. Une fois,
Benny m’a demandé de le coacher. C’était à l’époque où il écrivait de la musique
concertante. » On en retrouvera quelques échos dans le score de Pas de Printemps
pour Marnie (1964).
A tribute to James Dean - Rebel Without a Cause / East of Eden / Giant : éd.
Sony music (cd).

FURIE The Fury


Réalisé par Brian De Palma - Production : Frank Yablans (20th Century Fox)
Musique de John Williams - 1978

Le grand hommage de John Williams au regretté Bernard Herrmann. Composé


entre quelques superproductions à succès, Furie s’inscrit dans l’agenda du musi-
cien grâce à son proche réseau : « Brian De Palma était un bon ami de Steven
Spielberg, précise Williams. Un jour, il entra dans mon bureau de la Twentieth
Century Fox et me lança : "Écoutez, nous sommes en train de faire un film intitu-
lé Furie et malheureusement notre pauvre Benny n’est plus là. Amy Irving (la
petite amie de Spielberg) tient le rôle principal. Voudriez-vous écrire la partition ?"
Je lui répondis très naturellement : "Avec grand plaisir !"… J’admirais beaucoup
Obsession et le score écrit par Herrmann. Je pensais également que Brian avait
utilisé sa musique mieux que quiconque depuis bien des années. » Dès la sortie du
film, les critiques remarquent la puissante partition de John Williams et
l’identifient comme le maillon unitaire d’une œuvre filmique quelque peu décou-
sue. La célèbre Pauline Kael parle d’une "B.O. appropriée et délicate, comme
aucun film d’horreur n’en a jamais eu." Et rajoute, "Williams donne le ton dès le
générique : c’est à la fois hors du commun, séduisant et effrayant." Durant son
séjour en Angleterre pour Superman, le compositeur réenregistrera sa partition
avec le London Symphony Orchestra et produira l’un des plus beaux albums de sa
discographie.
The Fury : éd. La-La Land (cd).
105
GOOD MORNING, BABYLONIA Good Morning, Babylonia
Réalisé par Paolo et Vittorio Taviani - Production : Giuliani G. De Negri
(Framax Film S.A. / Surf Films Distribucion)
Musique de Nicola Piovani - 1987

L’une des partitions les plus riches en mélodies de Nicola Piovani puise tout au-
tant son inspiration dans la dramaturgie imagée de Good Morning, Babylonia –
une vision des premiers feux d’Hollywood via le regard d’émigrés italiens – que
dans sa passion pour le Septième art : « Quand j’écris une musique pour le ciné-
ma, avoue le maestro, je suis bien sûr musicien mais avant tout cinéaste. C’est-à-
dire un homme qui travaille avec la musique dans le film, tout comme le décora-
teur, le monteur ou le photographe. Selon moi, un musicien doit essayer d’entrer
dans "la botiga" (lieu de l’artisanat où travaillent les menuisiers, les électriciens,
les peintres...). La poétique de cette "botiga", c’est celle du metteur en scène. C’est
pourquoi il faut oublier sa propre poétique. Pour cela, il y a les concerts ou
d’autres occasions. Il faut essayer avec la musique de donner l’émotion, com-
prendre l’esprit et la direction que le metteur en scène et les autres techniciens du
film essayent de rejoindre. C’est la méthode fondamentale que j’adopte quand je
travaille pour le cinéma. J’apprécie beaucoup la musique, mais j’aime énormé-
ment le cinéma. » Après Kaos et Good Morning, Babylonia, les frères Taviani
confiront la majorité de leurs longs-métrages aux bons soins de Nicola Piovani.
Good Morning Babylonia : éd. Milan et Emergency Music (cd).

GORKY PARK Gorky Park


Réalisé par Michael Apted - Production : Gene Kirkwood, Howard W. Koch
(Orion Pictures)
Musique de James Horner - 1983

Lors d'un entretien en 1992, Philippe Sarde nous avouait son vif intérêt pour le
travail de James Horner sur Gorky Park. Rien de surprenant à cela si l'on consi-
dère les points communs qu'ils partagent : un goût prononcé pour les mélanges
instrumentaux, la musique traditionnelle, et une culture tous azimuts du réper-
toire classique. Pour le film de Michael Apted, Horner choisit le contraste des
sonorités. Balalaïka, mandoline, cymbalum, oud, font face à l'électronique (EVI*,
Blaster Beam**, batterie) au sein d'une rutilante formation symphonique. « Quand
je compose pour un film, précise le musicien, je suis plus intéressé par les couleurs
orchestrales que par la mélodie elle-même... Je suis un coloriste. Je cherche des
projets qui se prêtent à des orchestrations intéressantes, uniques. » Au même titre
que Sarde, les talents de mélodiste de James Horner constituent aussi les clefs de
son succès. Le thème lié au personnage d'Irina est intrinsèquement l'élément fédé-
rateur d'un score qui renouvelle l'univers musical du polar urbain ; une démarche
entamée chez Walter Hill (48 heures) et poursuivie avec quelques ersatz (48
heures de plus, Double Détente, Commando...). En guise de clin d'œil, on notera
un piano-bar interprété par Horner (Stockholm salted peanuts), que n'aurait sans
doute pas renié le Sarde de Beau-père.
Gorky Park : éd. Kritzerland (mixage d’origine) et Intrada (musique intégrale
106
remixée, cd).
*Instrument à vent électronique inventé et interprété par Nyle Steiner, déjà utilisé
dans la bande-son du film Apocalypse Now, puis dans Witness.
**Long instrument électronique en métal créé dans les années soixante-dix par
John Lazelle et développé au cinéma par le synthésiste Graig Huxley (dans les
B.O. de Star Trek, Le Trou Noir, Meteor, 2010).

LE GRAND BLEU
Réalisé par Luc Besson - Production : Patrice Ledoux (Gaumont)
Musique d’Éric Serra - 1988

« Le premier contact que j’ai eu avec Le Grand Bleu fut un documentaire sur
Jacques Mayol et son record d’apnée, raconte Éric Serra. Luc me l’a montré en
me disant : "Regarde cette cassette, car nous allons faire un film sur ce sujet…" Je
me souviens avoir été totalement bouleversé par la dimension sportive et spiri-
tuelle de l’exploit. D’ailleurs, j’ai ensuite suivi moi-même un entrainement en
apnée pour connaître cette sensation à la fois zen et un peu angoissante… Je
pense que la musique que j’ai écrite provient des émotions fortes que j’ai ressenties
lors de ces plongées. » Fasciné par les grands scores du cinéma américain, Besson
désire donner au Grand Bleu une large dimension orchestrale. « Luc souhaitait
faire comme Spielberg, Lucas et tous les films que l’on adorait à l’époque. Il vou-
lait une grande musique symphonique… Évidemment, cela m’a un peu terrorisé
car je n’avais encore jamais écrit ça de ma vie. Du coup, je me suis plongé dans la
musique symphonique en écoutant trois heures par jour, au casque, Daphnis et
Chloé de Ravel, Petrushka de Stravinsky, Musique pour cordes, percussion et célesta de
Béla Bartók et Prélude à l'après-midi d'un faune de Debussy… Puis, au dernier mo-
ment, Luc m’a dit : "Finalement j’ai réfléchi, ce type de musique ce n’est pas notre
culture. On va faire quelque chose plus proche de ce qu’on écoute (pop, jazz-rock,
etc.)." Mon immersion dans la musique classique a cependant complètement
changé ma façon d’écrire. »
Le Grand Bleu : éd. Wagram Music (cd).
César de la meilleure musique originale 1989.

LE GRAND BLOND AVEC UNE CHAUSSURE NOIRE


Réalisé par Yves Robert - Production : Alain Poiré, Yves Robert (Gaumont)
Musique de Vladimir Cosma - 1972

Le grand blond… ou l'espion qui venait du froid ! C'est à partir de cette vision
toute personnelle du personnage campé par Pierre Richard, que Vladimir Cosma
envisage la musique de son troisième film pour Yves Robert. Roumain d'origine,
il souhaite utiliser la flûte de Pan et le cymbalum en opposition à la griffe "James
Bond" attendue dans la B.O. Le réalisateur accepte volontiers l'idée, mais se
heurte à la critique violente de son scénariste : « Quand la lumière de la projection
de travail s'est rallumée, se souvient Cosma, Francis Veber s'est levé en disant :
"Mais qu'est-ce qu'elle vient faire là cette musique ? Pourquoi une musique folklo-
rique ? Non seulement ça dérange les dialogues, mais surtout ça tue le comique du
107
film ! » Aussitôt dit, l'argument instaure le doute, perturbe le producteur Alain
Poiré et l’équipe Gaumont, mais Yves Robert soutient son compositeur :
« Puisque tu y crois, nous garderons cette musique ! » Interprété par le flûtiste
Gheorghe Zamfir (futur soliste d’Il Était une Fois en Amérique de Morricone) et
le cymbaliste Paul Stinga, le score du Grand Blond participa activement à la
bonne fortune du film en faisant le tour des radios. Quant à Francis Veber, il en-
gagera Cosma pour son premier long-métrage, quatre ans plus tard…
Le Grand Blond avec une Chaussure Noire : éd. Larghetto music (cd).

LA GRANDE ÉVASION The Great Escape


Réalisé par John Sturges - Production : John Sturges (United Artists)
Musique d’Elmer Bernstein - 1963

« Le thème musical de La Grande Évasion évoque l’indomptabilité, il représente


un état d’esprit et concerne le personnage interprété par Steve McQueen », dixit
Elmer Bernstein, le nouveau lieutenant de John Sturges depuis Les Sept Merce-
naires. « Ma collaboration avec lui fut pour moi très importante, remarque le
compositeur, car il aimait la musique. Je pense que John aurait été très heureux
d’élaguer tous les dialogues de ses films. Il avait une merveilleuse façon de travail-
ler… Sur La Grande Évasion, il ne souhaitait pas que je lise le script. Il m’invita
dans son bureau et me raconta lui-même toute l’histoire. C’était un grand conteur
et lorsque l’on sortait de la pièce, on savait exactement quoi faire. John aimait ce
qu’il faisait et vous accordait vraiment sa confiance. La plupart du temps, il ne
venait même pas aux sessions d’enregistrement. » Après son travail sur le film,
Bernstein se consacre à l’album du score, réenregistré pour l’occasion avec un
effectif réduit*. « Les musiques de films n’ont pas toutes un intérêt en disque…
Dans bien des cas, si l’on souhaite la publier, on réorganise la partition afin
qu’elle puisse exister par elle-même. Je l’ai fait avec beaucoup de mes composi-
tions, mais généralement elles se doivent de mieux fonctionner avec les images.
Cela dit, je suis peut-être le musicien de cinéma le plus enregistré de la période… »
En Angleterre, le succès sera tel que le générique de La Grande Évasion devien-
dra l’hymne des supporters de l’équipe nationale de football !
The Great Escape : éd. Intrada (cd).
*Pratique courante à l’époque, visant également à diminuer les taxes de réutilisa-
tion (re-use fees) qui doublaient les salaires des musiciens pour une parution en 33t.

LES GRANDS ESPACES The Big Country


Réalisé par William Wyler - Production : William Wyler, Gregory Peck
(United Artists)
Musique de Jerome Moross - 1958

Natif de Chicago, Jerome Moross arrive en 1936 à Hollywood où il revêt malgré


lui l’habit d’orchestrateur-arrangeur pour quelques grands noms de l’âge d’or
(dont Franz Waxman et Aaron Copland). « Mon père n’est parvenu à composer
son premier score qu’en 1948 pour Close Up, raconte sa fille Susanna. La décen-
nie suivante lui donna l’occasion de travailler sur quelques longs-métrages, mais
108
Les Grands Espaces fut son film le plus important. Il était enchanté d’y participer
et a toujours pensé que ce western n’avait pas reçu le soutien critique qu’il méri-
tait. » La partition est tout de même sélectionnée pour les Oscars, mais le compo-
siteur perd la statuette face à son rival Dimitri Tiomkin. « J’ai inventé l’archétype
du thème de western, remarque Moross, cependant, à l’époque, je n’ai pas antici-
pé la portée de mon travail. Une chose est sûre : je trouvais l’approche des autres
musiciens en la matière inappropriée et je ne souhaitais pas composer Les Grands
Espaces en suivant la mode de l’époque. La musique "western" des autres compo-
siteurs américains était en fait issue des steppes de Russie ou des plaines de Hon-
grie. Comme dans Alamo, où Tiomkin utilisa une chanson traditionnelle russe !
Je n’en revenais pas. J’ai donc écrit ce que je pensais être la musique de l’Ouest. »
The Big Country : éd. La-La Land (cd) et Silva Screen (réenregistrement, cd).
Nominée à l’Oscar de la meilleure musique de film originale 1959.

GREMLINS Gremlins
Réalisé par Joe Dante - Production : Michael Finnell (Warner Bros.)
Musique de Jerry Goldsmith - 1984

Joe Dante ne tarit pas d’éloges sur sa collaboration avec Jerry Goldsmith :
« J’aurais vraiment souhaité l’avoir à mes côtés sur tous mes films. C’était l’une
des relations artistiques que je chérissais le plus dans ma carrière. » La réciprocité
est de mise pour le musicien qui, à partir de leur rencontre, s’engage dans un pro-
cessus créatif fait d’humour noir et d’espièglerie : « J’ai eu l’idée de bâtir la mu-
sique de Gremlins en opposition avec leur nature véritable, souligne Goldsmith,
une espèce de ragtime à la sonorité ethnique. D’où cette scène bizarre où les
Gremlins tuent deux personnes avec un bulldozer, alors que ce thème un peu gro-
tesque joue en fond sonore. Ça donne une tournure d’esprit nouvelle au film… Si
je l'avais écrit de manière très dramatique cela aurait jeté une lumière différente
sur la scène. Là, elle n’est pas si horrible qu’en réalité. C’est un bon exemple de la
puissance de la musique au cinéma. Joe Dante et Steven Spielberg sont venus
chez moi et je leur ai joué ce thème. Joe a adoré dès le début mais Spielberg était
soucieux… ça voulait dire : "Qu’est-ce que tu essayes de faire avec ça ?" Finale-
ment, il s’est exclamé : "Écoutez les gars, faites ce que vous voulez !" »
Gremlins : éd. Retrograde (cd).

GREYSTOKE, LA LÉGENDE DE TARZAN


Greystoke, The Legend of Tarzan, Lord of the Apes
Réalisé par Hugh Hudson - Production : Hugh Hudson, Stanley S. Canter
(Warner Bros.)
Musique de John Scott - 1984

Après l’instrumentation électronique des Chariots de Feu, Hugh Hudson tire la


carte du tout orchestral dans l’espoir de transcender son Tarzan nouvelle généra-
tion. Un premier compositeur est engagé sans succès*, puis le Royal Philharmo-
nic Orchestra enregistre une sélection de musiques classiques qui ne convainc
guère la production. « C’était un film extrêmement difficile à mettre en musique,
109
se souvient John Scott. Le manager de l’orchestre a suggéré mon nom à Hudson
qui lui-même m’a recommandé à Warner Bros. J’avais entretenu de plaisantes
relations avec le RPO grâce à mes musiques pour Jacques Cousteau (…) La pre-
mière moitié de Greystoke ne comprenait aucun dialogue intelligible. Hudson
m’a informé qu’il souhaitait un score opératique à la Tristan et Isolde de Richard
Wagner. La Warner, pour sa part, voulait Superman dans la jungle, soit l’exact
opposé de la volonté du cinéaste. J’ai choisi de considérer Hugh Hudson comme
le patron... Par exemple, j’avais écrit un morceau pour la scène où Tarzan devient
roi des singes : tout l’orchestre applaudit, mais il me le fit réécrire de façon plus
primitive et menaçante. Il fut très heureux de la nouvelle version et les produc-
teurs exécutifs très déçus. » John Scott réutilisera le Royal Philharmonic sur de
nombreuses B.O. dont l’élégante Partie de Chasse d’Alan Bridges.
Greystoke, The Legend of Tarzan, Lord of the Apes : éd. La-La Land (cd).
*On parle de John Corigliano que Hudson retrouvera sur Révolution (1985).

LE GUÉPARD Il Gattopardo
Réalisé par Luchino Visconti - Production : Goffredo Lombardo (Titanus)
Musique de Nino Rota - 1963

« Visconti et moi, nous étions déjà amis avant de travailler ensemble, précise Nino
Rota. Nous avions des amis communs, il est milanais comme moi et nous nous
rencontrions. Mais lui n’est jamais descendu de son Olympe, il ne s’intéressait
presque qu’à la musique allemande. » Malgré ce goût prononcé pour le répertoire
classique, le cinéaste commande une partition originale à son compositeur des
Nuits Blanches*. « "Pour Le Guépard, m’a-t-il dit, je ne veux pas une musique de
commentaire, je veux une symphonie d