DOCUMENTS:
EDITORIAL
Editorial 4 plusieurs voix
L'UNIFICATION
ALLEMANDE
UNE CHANCE
POUR L'EUROPE
ommencons par le commencement : ici, 4 Documents, nous som-
mes totalement favorables a I'unité allemande. D’abord parce que
le droit d’un peuple a décider de lui-méme est un de ces droits
fondamentaux pour lesquels les fondateurs de cette revue se sont battus,
contre Hitler d’abord et, dans un combat différent, différé si l'on veut,
contre Staline et ses successeurs. Celui qui ne salue pas la libération des
peuples de l'Est, y compris les Allemands de l'Est, avec une joie immense,
se dresse contre toutes nos raisons d’étre. Ensuite, parce que les Fran-
gais, les gouvernements francais successifs - et c’est a leur honneur —
n‘ont cessé de dire a leurs alliés allemands que leur cause était aussi la
ndtre. Si nous avions I'air aujourd’hui de revenir sur nos promesses et
Nos assurances, nous donnerions raison a ceux qui en Allemagne, disent
que nous leur avons toujours menti, et qu’un peuple n‘a d’ami que lui-
méme.
Or, si nous sommes a fond pour le rétablissement de |'unité allemande
c'est aussi, et méme avant tout, parce que nous sommes ici des Euro-
péens, des militants de IEurope unie, ce qui signifie que nous sommes
convaincus que penser aujourd’hui en termes d’Etats nationaux, c’est
condamner 4 la servitude d'ici quelques années les nations séparées du
Vieux continent. Dans |’Europe unie, dans I'Union européenne, dans la
Fédération européenne, c'est de |’Allemagne tout entire que nousDOCUMENTS
avons besoin. Comment imaginer un seul instant qu’on pourrait amener
les Allemands 4 y rester avec les trois quarts de leur peuple, maintenant
que les obstacles qui se dressaient sur le chemin de leur unité sont tom-
bés ? En vérité, nous ferons l'Europe avec tous les Allemands, ou nous
ne la ferons jamais. C’est ce que veulent les égarés qui s’accrochent aux
ruines de |’Etat national : en accumulant craintes et réserves a |'égard de
Allemagne, dans un état d’esprit qui n'a pas changé depuis 1914, c'est
l'intégration européenne qu’ils espérent pouvoir atteindre, comme si sou-
vent par le passé.
oF
Nous sommes ici en faveur de I’unification allemande aussi rapide et aussi
compléte que possible. Nous ne croyons pas 4 l'efficacité des solutions
différées. La RDA ne tenait debout que dans le systéme stalinien et post-
stalinien. A présent elle se liquéfie. Il faut faire trés vite pour que ce pays
ne sombre pas dans une sorte de chaos contagieux dont les effets désas-
treux se communiqueraient a la RFA (si, par exemple, I'exode a raison de
2.500 personnes par jour ne se trouvait pas rapidement arrété).
{I faut favoriser l’assimilation des mentalités et aider tout un peuple 4
sortir des scories laissées par deux dictatures successives, dans l’espace
de soixante ans.
Vite et complet, ces deux mots doivent dominer |’action a mener en
Allemagne et en Europe, dans les semaines et les mois 4 venir. Pour
\'Allemagne, cela doit bien entendu comporter le rétablissement des
Lander historiques sur le territoire de l’ancienne RDA, et la création d’un
Land uni de Berlin, afin que le systéme fédéral qui a si bien fonctionné en
RFA et qui sert de modéle a l'Europe des Régions (voir ci-dessous notre
dossier consacré a ce théme, p. 109), puisse subsister et se développer
encore. Les amis du peuple allemand peuvent, sans se méler de ce qui
ne les regarde pas directement — mais en Europe tout regarde tout le
monde — estimer que la meilleure constitution de I Allemagne unie serait
la Loi fondamentale de 1949, et que l’adhésion des Lander de I’ex-RDA
& cette constitution, prévue a Iarticle 3, serait la maniére la plus élégante
et la plus rapide, d’effectuer I'unification. Car nul ne met en doute qu'il
s’agisse la de la meilleure constitution que le peuple allemand se soit
jamais donnée.
3.
L’unification allemande doit servir de moteur a une nouvelle accélération
de I'unification européenne. La raison politique I’emportant sur les raison-
nements économiques, I’union monétaire des deux Allemagnes, c’est-a-
dire l'entrée de I’ex-RDA dans la zone Deutschemark, est 4 présent chose
décidée,DOCUMENTS
En effet, il faut stopper I'hémorragie tout de suite. Entre le 1 janvier et
le 15 février, 100.000 personnes ont abandonné la RDA pour venir a
l'Ouest encombrer les centres d'accueil et les offices de l'emploi. Mainte-
nant il faut racheter 4 toute vitesse I’ex-Etat en déconfiture. Au rythme
actuel des migrants, I'ordre social de la RFA risque lui-méme de se défaire,
Il faut donc a tout prix et a toute vitesse faire ce que la raison économique,
a juste titre, considére comme contraire a la raison économique mais que
la raison politique impose : donner aux habitants de la RFA la possibilité
de transformer en DM leurs avoirs et économies en Ostmark. Peu importe
que la contre-valeur existe ou qu’il s‘agisse d’un cadeau. Cela est d’ailleurs
moralement acceptable quand on pense aux réparations prélevées par
l'URSS, et aux souffrances endurées pendant quarante-cing ans de tyran-
nie. La raison politique dit qu'il faut un choc psychologique et tout de
suite. C’est ce qu’avait compris un Ludwig Erhard en 1948, dans des
circonstances différentes mais devant une urgence similaire.
-4-
Dans |'état d‘avancement de |'unification économique des Douze il va de
soi que les objectifs et les moyens de cette opération exigent la coopéra-
tion active de la Communauté. L'Allemagne dans cette vaste opération
inoule, sans exemple dans l'histoire économique et monétaire, a besoin
de l'aide de ses partenaires, mais ceux-ci, et en premier lieu la France,
n’en sont que mieux fondés pour demander que tous ensemble, nous
progressions plus vite sur la voie de l'Union monétaire européenne, vers
la Banque d’émission commune et la monnaie commune, ce qui implique
une politique financiére et économique commune. Les grands pas en
avant ne se font que sous |'empire de la nécessité, L' unification allemande
crée une nécessité de cette urgence.
ll en va de méme de |'Union politique. Les craintifs et les « nationaux »
attardés font valoir I"étrange argument que I’Europe serait dominée
demain par 80 millions d’Allemands et que pour cette raison il ne faut
pas faire |'Europe (sans doute s‘imaginent-ils que leur réserve naturelle
francaise serait mieux protégée contre le monde extérieur si les 56 mil-
lions de Francais (parmi lesquels 5 millions d’étrangers) seraient seuls &
la défendre ! !) Nous pensons au contraire que le poids spécifique des uns
et des autres ne sera véritablement compensé que dans I’Union, que
\‘Alliance pour nous vitale avec les Etats-Unis d’Amérique ne subsistera
et ne se modernisera efficacement que si |'Europe forme un partenaire
uni, et que notre sécurité face a une Russie qui de toute maniére restera
ou redeviendra un jour une puissance militaire énorme, ne sera garantie
que si nous formons cette Europe intégrée que M. Gorbatchev combat
avec toutes les ressources de son intelligence et de son don des « public
relations »,
C'est pourquoi nous pensons qu'il faut demander aux amis allemands de
se joindre a nous pour faire avancer la coopération politique, c’est-a-dire
la politique extérieure commune, dont la premiére étape pourrait étre la
création a Bruxelles d’un Conseil permanent des ministres nationaux des