ARATÉ SPORT (JEU RITUEL) FACE AU KARATÉ
TRADITIONNEL (MARTIAL, SURVIE)
N
ous ne pourrons jamais nous
comprendre dans ces
Chroniques, ni saisir la diffé-
rence fondamentale qui existe entre
le karaté-sport populaire et le karaté-
traditionnel authentiquement martial,
si nous ne faisons pas un peu d’étho-
logie (la science du comportement
des animaux, dont nous faisons partie
en tant que primates mammifères).
C’est là, certainement, le plus grand
secret du karaté, et la raison pour la-
quelle des Chinois s’inspirèrent de la
façon de combattre des animaux.
On n’en parle jamais, car là réside bien
le fond de l’efficacité suprême (qui se
dit kung­fu, en chinois).
Je serai le premier à vous en parler.
Vous pouvez chercher dans tous les
ouvrages qui existent sur le karaté et
les arts martiaux, aucun n’en parle, et
pour cause. À la fois parce que la
source du vrai karaté y existe, et qu’en
conséquence cela ne se révèle qu’à
quelques initiés, et par ailleurs, parce
que cette révélation est assez cho-
quante. Prendre conscience que l’on
se comporte en animal … comme les
autres, tout n’étant axé en définitive
que sur la nourriture et la reproduc-
tion, au travers des mêmes rituels que
les autres animaux, ne peut pas plaire
à tout le monde. Il faut y être préparé,
et être décidé à devenir un homme
digne de ce nom.
La nature n’a pas d’état d’âme, de
pitié, ni de cruauté inutile. Elle fait ce
qui doit être fait, sans plus, ni moins,
pour la poursuite de la vie et
l’amélioration des espèces vivantes.
Lorsqu’elle ne le fait plus, pour une
raison quelconque, l’espèce disparaît.
C’est peut-être ce qui nous arrivera,
mais ce ne sera pas l’homme qui le
fera, avec sa pollution ou sa science :
même si l’homme est devenu le plus
grand prédateur de la terre, il n’est
pas impossible que la nature décide
son élimination.
Or, pour revenir au karaté, dans le
règne animal, il existe une loi fonda-
mentale, qui n’est jamais transgres-
sée : on ne tue pas son semblable. On
tue d’autres espèces pour survivre, si
l’on est carnivore (ce que l’on appelle
être prédateur), mais jamais la même
espèce. Il peut y avoir accident ou
folie meurtrière (folie exceptionnelle
chez l’animal, plus fréquente chez
l’homme).
Entre bêtes à cornes, cerfs par exem-
ple, lorsqu’il y a combat rituel (pour
conserver son territoire vital, pour
désigner le mâle dominant, pour fé-
conder la meilleure femelle), les mâles
s’attaquent en duels de front, très vio-
lemment. Si violemment, même, que
parfois, un crâne éclate, mais c’est un
accident. Par contre, si un cervidé
affronte un prédateur, disons un félin,
il attaquera de côté, afin de l’éventrer,
ce qu’il ne fera jamais avec quelque
autre cervidé. Tous les animaux font
de même, avec quelques petites va-
riantes.
Nos rituels sont les mêmes que ceux
de nos cousins singes : comme eux,
nous essayons de nous grandir, de
lever les épaules, nous montrons les
dents et crachons des insultes, mais
nous n’attaquons jamais les yeux, la
gorge, le cœur, les parties génitales
(en règle générale, l’axe ventral).
La loi de la Nature est, premièrement,
d’éliminer les mal fichus, les faibles,
qu’ils soient bébés ou vieux, les mala-
des (les microbes, les virus et les pré-
dateurs s’en chargent dans la nature),
et, deuxièmement, de sélectionner le
meilleur mâle pour féconder la meil-
leure femelle. À part cela, tout le reste
est de la dentelle.
Dans ce but, génétiquement, sont
programmés des rituels entre mâles
(rarement entre femelles) d’une mê-
me espèce : rituel de provocation, ri-
tuel d’affrontement, rituel de soumis-
sion, rituel de séduction, sont les qua-
tre principaux. Nous les appliquons
presque quotidiennement, sans mê-
me nous en rendre compte. Notre
conscient est une minuscule barque
flottant sur une mer d’inconscient.
La place manque ici pour s’étendre sur
le sujet, pour faire des parallèles
étonnants entre hommes et singes.
Choquants. Il existe de gros ouvrages
spécialisés sur ce sujet fabuleusement
intéressant. Si vous les lisez autre-
ment que par curiosité, vous pouvez
en tirer un bénéfice remarquable pour
votre karaté … et votre évolution.
Ce qu’il faut absolument savoir et
conserver à l’esprit, c’est que l’hom-
me est à la fois Homme (avec un
grand H) et une bête fauve. Dr Jekyll
et Mr Hyde : à vous de choisir.
Qu’il soit homme (avec un petit h =
homme de la rue, métro-boulot-dodo-
baiso) ou Homme (avec un grand H =
homme supérieur conscient), ou bé-
bête, s’il doit se battre contre un autre
homme, il est toujours en rituel. À
l’agressivité, on répond vite par
l’agressivité, on a envie de « faire une
grosse   tête », d’écraser le nez (le
premier sang est une règle du rituel),
mais on est toujours étonné et navré
s’il y a accident grave ou mortel, dans
un affrontement rituel. Du moins,
chez l’homme normal.
Lorsque l’homme est une bête fauve,
un tueur, alors il n’est plus un homme,
mais un prédateur, c'est-à-dire un
animal décidé à tuer. Nous avons des
qualités supérieures à celles de
l’animal, dans notre tête … mais notre
tête est également beaucoup plus
fragile.
Le prédateur animal ne tue habituel-
lement que pour se nourrir, jamais
pour le plaisir. Comme je l’ai dit,
l’homme « sapiens » (« pensant »,
mais en pourrait aussi dire « l’homo
ça pionce ») a quelque chose en plus
par rapport à l’animal, qui fait que,
parfois pour un rien, il devient infé-
rieur à l’animal le plus inférieur. Sa va-
nité le perd. Il tue ou se fait tuer. C’est
comme ça.
L’ennui dans la vie, c’est que
lorsqu’une rixe commence (toujours
un affrontement rituel de domina-
tion), on peut difficilement savoir si
« l’homme­rituel » ne va pas devenir
brusquement un « homme­préda­
teur » (un tueur), notamment si l’on
se montre plus fort que lui (« domi­
nant »). Les faibles d’esprit et les per-
turbés vont presque toujours en ban-
des, avec des armes dans la poche, à
sortir en cas d’infériorité.
Il faudrait atteindre l’évolution suf-
fisante pour ne pas répondre à une
provocation (rituel de provocation) ; il
faudrait donc toujours être capable de
faire face à un rituel par un rituel (le
karaté-boxe de compétition par exem-
ple), et si l’affrontement dégénère en
combat de survie, de pouvoir passer
immédiatement en karaté-tradition-
nel-martial, c'est-à-dire en « survie
contre prédateur ». Plus facile à dire,
qu’à faire.
C’est même presque impossible sans
exercices particuliers. Car l’homme est
un mammifère un peu dégénéré ;
inutile de faire faire des exercices de
survie à votre brave toutou berger
allemand, super apprivoisé et domes-
tique. C’est pourquoi je ne suis pas du
tout opposé au karaté-boxe, c'est-à-
dire au karaté populaire de compéti-
tion. On pourrait d’ailleurs dire, tout
aussi bien, karaté-sport, ou karaté de
compétition, ou karaté non-martial ou
karaté non-traditionnel. Je pense,
peut-être parce que j’y suis passé, qu’il
faut apprendre à faire face à un com-
bat rituel, ne serait-ce que pour se
sentir bien dans son corps, et pour
sentir ce qu’est le rituel et ses pièges.
Une expérience qui n’est pas inutile.
Mais il faut aussi maîtriser le combat
de survie, c'est-à-dire le combat
guerrier (martial). On peut l’appeler
karaté traditionnel, ou karaté authen-
tique, ou même karaté antique,
comme on dit au Japon. À ce propos,
certains nomment « traditionnels »,
des arts martiaux d’où a été expurgé
tout ce qui est dangereux, horrible,
donc efficace. Ils ne sont donc plus
martiaux, même si on les présente
comme tels. C’est un détournement
habile, et finalement, très drôle. Ceux
qui se laissent piéger … le méritent
bien.
Pour résumer, on peut donc dire, sur
le plan éthologique, que le karaté
populaire est du rituel, et que le
karaté traditionnel est du combat de
survie, martial. Soit dit en passant, par
martial, on entend la guerre, et la
guerre n’est pas un sport. La vie non
plus. C’est d’ailleurs pour cela que
Clémenceau (le Père la Victoire) avait
dit : « La Guerre est une chose trop
sérieuse pour la confier à des mili­
taires », qui ont vite fait d’en faire un
rituel.
Je pense que maintenant, vous avez
tous les éléments pour ne plus con-
fondre sport de combat (ou sport
d’origine martiale) et arts martiaux.
Ces karatés sont les deux faces d’une
même médaille, mais ce sont des
karatés opposés … le premier, le
karaté rituel, est conventionnel, avec
ses censures mentales, ses règles,
contre un seul adversaire, presque
sans limite de temps (sa règle est la
« durée »). Et instinctivement, on fer-
me la main en poing, l’on sautille,
reste haut, grimace, les pupilles sont
normales ou dilatées, la bouche est
ouverte, etc.
Tandis que le second, le karaté
martial-survie, n’a comme règle que
de « survivre », même contre de mul-
tiples agresseurs. Plus question, dans
ce cas, de combattre quelques minu-
tes, ni même quelques secondes ! (sa
règle est l’instant). Et instinctivement,
en combat de survie, on ouvre les
mains, on se tasse, on s’accroupit très
bas. Le visage devient sérieux ou
dramatique. Les pupilles sont contrac-
tées, les lèvres serrées, et les « glan­
des » (adrénaline par exemple) cou-
lent à flot.
C’est très clair pour moi, mais je
reconnais qu’il m’a fallu beaucoup de
temps pour entrer en karaté martial.
Enseigner le karaté-sport et former
des champions ne facilite pas le travail
que l’on fait en secret pour sa propre
évolution.
Ce qui est dramatique et formidable à
la fois, tout dépend du côté où l’on se
trouve, c’est que lorsque l’affronte-
ment est commencé, il est extrême-
ment difficile de sortir du rituel face à
un autre homme, même menaçant, et
qu’il est alors d’une désarmante facil-
ité de faire tomber un autre homme
dans le rituel, et de l’y maintenir en-
glué. On peut alors le manipuler, et le
vaincre presque comme on le veut.
Même lorsque l’on est âgé. Je dirai
même qu’un karaté martial âgé peut
plus facilement piéger un jeune, parce
que ce dernier a un sentiment de su-
périorité, il est en plein dans l’âge du
rituel, et il réagit plus facilement aux
pièges qu’on lui tend (vous pensez
bien que je ne vais pas vous dire
lesquels, ben voyons !).
Comme vous le voyez, cela vaut le
coup, de maîtriser à la fois le karaté-
sport et le karaté-traditionnel-martial.
Faire du traditionnel, ce n’est pas se
regarder le nombril en faisant des ka-
tas (tous plus ou moins déformés et
châtrés), en se mettant en position
lotus. C’est connaître l’homme, se
connaître soi-même, et tirer le maxi-
mum de son potentiel latent. À ce
propos, en parlant du karaté-sport, j’ai
fait allusion au fait qu’instinctivement,
tous les poings se ferment dans ce
karaté-rituel, et restent fermés dans
tous les kūmite et shiaï. On met
même, en compétition, des protège-
poings. Si bien que l’on peut dire que
ce karaté populaire est devenu un
karaté-boxe, au même titre que la
boxe thaï, américaine, française, ou
full contact … qui n’est pas si full que
ça, puisqu’il est bourré d’interdictions
et de conventions.
Mais sur le plan éthologie, savez-vous
pourquoi on ferme les poings ?
Vous pensez sans doute : « pour être
plus fort, plus efficace ». C’est faux.
C’est juste l’inverse. C’est pour ne pas
blesser. En fermant le poing, on
« neutralise » notre main comme on
« mouchète » la pointe d’un fleuret
pour l’entraînement. La main devient
moins dangereuse, selon la règle que
l’on ne doit pas blesser gravement
son semblable (même dans les pires
situations, étranglée ou violée, jamais
une femme n’a crevé des yeux, un
homme non plus d’ailleurs !). Car,
chose qui vous paraîtra peut-être
incroyable, le poing fermé est
beaucoup moins efficace que la main
ouverte. Et de beaucoup. Une pique
de doigts aux yeux ou à la gorge
termine le combat à l’instant. Un coup
de paume au front, au menton, à la
tempe, met K.O. sans problème. Alors
qu’il est courant de devoir frapper du
poing durant plusieurs rounds (des
heures même, à l’époque des poings
nus) avant d’y parvenir. C’est dingue,
non ? Il y a même une autre chose,
très peu connue, qui mérite réflexion.
Lorsque l’on serre le poing, la vitesse
maxi de l’attaque est au milieu du
mouvement … et elle se ralentit à
l’impact. Question à la fois de
contraction de l’avant-bras, et de
blocage psychique (« on  ne   tue  pas
son   semblable ! »). Alors que, si la
main est ouverte, la vitesse augmente
jusqu’après l’impact. Il est bien connu
qu’un manchot ayant la main coupée
au poignet met K.O. facilement ses
adversaires (« Capitaine Crochet, en attaque (comme si votre paume était
avant ! »). un plastron de frappe). Vous consta-
terez que la chose devient rapidement
Oui, le poing est un geste de rituel.
plus facile qu’il n’y paraît les premiers
Oui, il est beaucoup moins efficace
temps.
que la main ouverte. Bien sûr, le coup
de pot est possible, au menton ou à
l’estomac, mais c’est très rare. En rè-
gle générale, dur dur, le K.O. au poing.
Ceux qui se sont réellement battus
La pensée du mois
aux poings le savent. Si vous doutez
« « Être » est faire la chose juste, au
de ces histoires de ralentissement de
moment juste, avec la personne juste,
vitesse à l’impact, poing fermé, repor-
et le meilleur choix pour notre
tez-vous à l’étude scientifique qui se
développement spirituel. »
trouve à la fin de Dynamic karate
de feu maître Nakayama. Il y a des
messages comme ça, qui vous passent
sous le nez. Car ce secret (un par
Chronique, je vous l’ai dit) était sous
votre nez depuis quinze ans … Et ce
n’est pas le seul qui vous aura filé
entre les doigts … Difficile de saisir
quelque chose, les poings fermés, ou
avec des gants de boxe.

La suggestion du mois pour éviter les

effets pervers du karaté sport :
Si l’on y prend pas garde, en karaté
populaire sportif, que ce soit à l’entraî-
nement ou dans les assauts, on ferme
les poings du début à la fin.
Et il devient presque impossible de les
ouvrir. Alors qu’on ne ferme les
poings qu’exceptionnellement dans le
karaté traditionnel authentique.
En kihōn et dans les katas (en
public), ne faites pas d’originalité, fer-
mez les poings « comme   tout   le
monde ». Mais en kūmite, essayez
de conserver les mains ouvertes et
d’attaquer main ouverte. De même,
lorsque vous exécutez les katas pour
vous-mêmes, à vitesse de combat,
sans public (il faut le faire, c’est là où
se réalisent les plus profonds pro-
grès), essayez de ne pas fermer les
poings. Souvenez-vous que maître
Itōsū n’a fermé les poings en kata
qu’à partir des années 1900, pour
imiter la boxe. Avant, les mains res-
taient ouvertes … parce qu’elles
étaient beaucoup plus efficaces.
La preuve en est que dans les katas
super antiques non déformés du taï­
chi, les poings sont rarement fermés.
Et, en assauts, lorsque vous avez les
mains ouvertes, essayez de saisir au
vol, la manche, ou de votre paume,
essayez de contrôler, de dévier, de
saisir au vol le poing de celui qui vous