Vous êtes sur la page 1sur 4

Algérie: les dessous de l’ascension fulgurante de

l’industriel Issad Rebrab


La première fortune du pays a disposé d’un compte offshore au début des années 1990, à
l’époque où la loi algérienne l’interdisait.

Publié le 26 juillet 2016 à 11h28 - Mis à jour le 26 juillet 2016 à 11h28

Issad Rebrab, le PDG de CEVITAL pose en janvier 2014 dans son bureau à Alger. AFP /
FAROUK BATICHE

Le patron du groupe Cevital, Issad Rebrab, compte parmi les plus anciens clients algériens du cabinet
d’avocats panaméen Mossack Fonseca, mis en cause dans le scandale des « Panama papers ». En
juin 1992, alors que le pays s’enfonçait dans la tourmente de la « décennie noire » entre l’Etat et les
terroristes djihadistes, Issad Rebrab, importateur du rond à béton à l’époque, a recouru au service de
Mossack Fonseca pour créer une société offshore, Dicoma Entreprises Ltd. Cette société, domiciliée
aux îles Vierges britanniques, était destinée à gérer un portefeuille placé chez l’Union de banques
suisses (UBS) à Genève. A l’époque, Rebrab n’avait pas d’activités à l’étranger. La loi algérienne interdit
la possession à l’étranger d’avoirs issus d’une activité en Algérie.

Lire aussi | Ali Benflis : « Le régime utilise les vieilles recettes des régimes autoritaires »

Selon les documents obtenus par le Consortium international des journalistes d’investigation et le
quotidien allemand Süddeutsche Zeitung, Issad Rebrab restera l’ayant droit de cette société au capital
de 50 000 dollars jusqu’au mois de mars 1996, date à laquelle elle sera dissoute à sa demande. « Je
soussigné, M. Issad Rebrab, actionnaire unique de la société Dicoma Entreprises Ltd., vous prie de bien
vouloir procéder à la liquidation de cette dernière, après paiement des frais », a recommandé Issad
Rebrab dans un courrier adressé en date du 15 décembre 1995 à l’antenne genevoise de Mossack
Fonseca.
LA SUITE APRÈS CETTE PUBLICITÉ

ANNONCE

Immigrer au Portugal via le programme Golden Visa du


Portugal
Ce programme requiert un investissement de 350,000 EUR et
donne accès à la Citoyenneté
CONSULTER

En fait, le cabinet panaméen a transféré les activités – en particulier la gestion du compte à l’UBS – de
la société dissoute à une autre structure offshore, Anilson Management Ltd., domiciliée dans un autre
paradis fiscal, l’île de Niue, dans le Pacifique sud.

Lire aussi | « Panama papers » : comment l’élite algérienne a détourné l’argent du pétrole

Contacté par son secrétariat, et aussi directement par téléphone, Issad Rebrab n’a pas souhaité
commenter l’information. Jointe par téléphone, sa chargée de communication, Soraya Djermoun, a
nié l’existence de cette société : « M. Rebrab vous dit qu’il n’a jamais eu de société aux îles Vierges
britanniques. »

Activité d’import-export

Première fortune d’Algérie, Issad Rebrab est à la tête d’un groupe dont le chiffre d’affaires a dépassé
3 milliards de dollars (2,7 milliards d’euros) en 2015. Les acquisitions qu’il a réalisées ces dernières
années – les groupes français Oxxo et Brandt, l’usine espagnole d’aluminium Alas et les aciéries
italiennes Lucchini – lui donnent une envergure résolument internationale.

Un continent de secrets : une nouvelle série sur les « Panama


papers » en Afrique
Le Consortium international de journalistes d’investigation (ICIJ), dont Le
Monde est partenaire, publie dès lundi 25 juillet une nouvelle série d’articles
à partir des documents « Panama papers » sur l’évaporation des ressources
en Afrique.

La présentation (en anglais) de cette série est à trouver ici.

Les 11,5 millions de documents issus du cabinet panaméen Mossack Fonseca


mettent en lumière le rôle des sociétés offshore dans le pillage du continent,
qu’il s’agisse de l’industrie du diamant en Sierra Leone, des structures de
dissimulations du milliardaire nigérian Kolawole Aluko, propriétaire d’un
yacht sur lequel Beyonce a passé des vacances et lié à l’ancienne ministre du
pétrole nigériane Diezani Alison-Madueke, ou le recours systématique aux
paradis fiscaux par l’industrie extractive.

Selon l’ICIJ, des sociétés issues de 52 des 54 pays africains ont recouru à des
structures offshore, participant à l’évaporation de 50 milliards de dollars
d’Afrique chaque année. ICIJ, pour cette nouvelle série, s’est appuyé sur ses
partenaires habituels ainsi que sur des journalistes en Algérie, au Ghana, en
Tanzanie, au Niger, au Mozambique, à Maurice, au Burkina Faso et au Togo,
coordonnés par le réseau indépendant ANCIR.

Mais si le groupe Cevital, créé officiellement en 1998 est devenu ce qu’il est aujourd’hui, c’est parce
que son patron a bénéficié pendant très longtemps de monopoles sur les importations de produits de
grande consommation. D’abord le rond à béton, puis le sucre et l’huile. C’est cette activité d’import-
export qui a d’ailleurs alimenté ce compte suisse d’Issad Rebrab, mis au jour dans les « Panama
papers ». L’argent provisionnant ce compte proviendrait de l’importation de ronds à béton d’Italie et
de l’exportation de ronds à béton de l’usine de Metal Sider vers le Maroc et de déchets ferreux vers la
Russie.

C’est aussi ce flux d’argent qui a permis à Issad Rebrab de se lancer dans l’agroalimentaire en France
(Délice Mondial et Isla Mondial) où il s’est installé après le sabotage de l’usine de Metal Sider d’Ouled
Moussa par un groupe armé au milieu des années 1990. Et de financer les importations du sucre à
son retour en Algérie trois ans plus tard, en 1993.

Lire aussi | Issad Rebrab, le milliardaire qui dérange

En 1991, la SACE, organisme italien de couverture des exportations, a mis à la disposition de l’Algérie
une ligne de crédit de 300 millions de dollars pour l’exportation de rond à béton italien vers l’Algérie,
que le gouvernement Hamrouche avait répartis sur cinq banques. Metal Sider a obtenu à elle seule
deux quotas pour 100 millions de dollars. Les trois autres quotas ont bénéficié aux entreprises
publiques SNS (60 millions) et Cosider ainsi que le privé Koninef.

Une polémique avait éclaté à l’époque, lorsque les responsables de la SNS avaient accusé M. Rebrab,
qui achetait moins cher par le biais d’un trader algérien installé en Italie dont la société s’appelle
Prodeco, d’importer en fait de l’acier ukrainien irradié transitant par la Péninsule. Parallèlement,
Metal Sider a réalisé quelques opérations d’exportation de rond à béton vers Sonasid au Maroc,
en 1993.

Lire aussi | Issad Rebrab : en Algérie, « on veut tout museler, tout contrôler »

Les opérations de commerce extérieur de M. Rebrab ne se limitaient néanmoins pas au rond à béton à
cette époque-là. Au prétexte de les transformer en rond à béton, il achetait d’importantes quantités
de déchets ferreux. Puisque les quantités drainées dépassaient les capacités de l’usine, une bonne
partie de ces déchets était exportée, malgré l’arrêté interministériel du 24 mars 1992, interdisant
l’exportation de déchets ferreux et non ferreux.

Issad Rebrab s’est retrouvé en situation de monopole, aussi bien pour la récupération de ces déchets
que pour leur exportation, car il bénéficiait d’une dérogation. L’arrêté a été abrogé début 1994. Entre-
temps, Issad Rebrab a eu le temps de décoller, et même de gêner ceux qui, au sein du pouvoir, lui ont
donné d’indispensables coups de pouce.

Les « Panama papers » en trois points


• Le Monde et 108 autres rédactions dans 76 pays, coordonnées
par le Consortium international des journalistes d’investigation
(ICIJ), ont eu accès à une masse d’informations inédites qui
jettent une lumière crue sur le monde opaque de la finance
offshore et des paradis fiscaux.

• Les 11,5 millions de fichiers proviennent des archives du


cabinet panaméen Mossack Fonseca, spécialiste de la
domiciliation de sociétés offshore, entre 1977 et 2015. Il s’agit
de la plus grosse fuite d’informations jamais exploitée par des
médias.

• Les « Panama papers » révèlent qu’outre des milliers


d’anonymes de nombreux chefs d’Etat, des milliardaires, des
grands noms du sport, des célébrités ou des personnalités sous
le coup de sanctions internationales ont recouru à des
montages offshore pour dissimuler leurs actifs.

¶ Cette enquête de Lyas Hallas a été coordonnée par le Consortium international des journalistes
d’investigation (ICIJ), dont Le Monde est partenaire, sur la base des documents « Panama
papers » obtenus par la Süddeutsche Zeitung.

Vous aimerez peut-être aussi