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MERCREDI 26 JUIN 2019

75E ANNÉE– NO 23158


2,80 € – FRANCE MÉTROPOLITAINE
WWW.LEMONDE.FR ―
FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY
DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

SCIENCE & MÉDECINE ­ SUPPLÉMENT  GÉNÉRATIONS ZAPPING, OU COMMENT LE NUMÉRIQUE ACCÉLÈRE NOS VIES

Jeu dangereux entre Téhéran et Washington  
▶ Donald Trump a signé, ▶ Téhéran a qualifié ▶ Alors que les incidents ▶ Téhéran semble prêt à ▶ La société civile ira­
lundi, un décret imposant cette réaction de « stérile » dans le détroit d’Ormuz se risquer à l’escalade. Et nienne est prise entre
de nouvelles sanctions à et a dénoncé une volonté font craindre un dérapage entend montrer à l’admi­ deux feux. La montée des
l’Iran, visant cette fois les de « fermer de façon vers une confrontation mi­ nistration Trump que sa tensions rend inaudibles
actifs financiers des princi­ permanente la voie de la litaire, l’Iran s’installe dans politique de « pression ses revendications
paux dirigeants du régime diplomatie » une logique de tension maximale » a un coût PAG E S 2 - 3

Royaume Uni  GRAND PARIS LA RÉVOLUTION DES TRANSPORTS Déficit La Cour 


Boris Johnson,  des comptes met 
un dilettante  ▶ Les 200 kilomètres
en garde le
aux portes 
de lignes du métro du Grand
Paris devraient changer la vie gouvernement
du pouvoir quotidienne de millions
de voyageurs Après un hiver de crise sociale
marqué par le mouvement des
Correspondant à Bruxel­ « gilets jaunes », alors que Bercy
les, doté d’un aplomb phé­ ▶ Les nouvelles lignes et Matignon s’efforcent de bou­
noménal, il inventait des risquent cependant d’être cler le budget 2020 qui sera pré­
histoires contre l’UE. Mal­ aussitôt saturées, et des senté à la rentrée, la juridiction fi­
nancière fronce les sourcils.
gré ses frasques, ses gaffes milliers de logements La compensation des baisses
et son goût de la provoca­ ne seront pas desservis d’impôts et des nouvelles dépen­
tion, il est aujourd’hui ses annoncées en avril (notam­
bien placé pour succéder PAG E S 1 4 - 1 5 ment la réindexation des petites
à Theresa May. Portrait pensions) « reste incertaine »,
avertissent les magistrats dans
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leur rapport sur la situation des
finances publiques. Pour la Cour,
ces mesures pourraient « dégra­

Nantes der la prévision de déficit public


pour 2020 ».

Un disparu
PAG E S 8 - 9

après une 
charge policière 1
ÉDITO R I A L
Quatorze personnes sont
tombées dans la Loire lors Tunnelier dans
le chantier de la gare
PALESTINE :
de la dispersion, samedi
22 juin, d’une soirée d’Arcueil­Cachan de la UN PLAN AMÉRICAIN
ligne 15, en février.
techno de la Fête de la mu­ CHRISTOPHE RECOURA/FOTORESO. NI FAIT NI À FAIRE
sique. L’IGPN a été saisie PAGE 30
PAGE 11

Environnement
LRM se divise
Canicule
Les épreuves du
Technologies
Capgemini, en
Fin de vie ARGENTINE, 1975.
FERMER LES YEUX EST LE PREMIER DES CRIMES.

sur la lutte contre brevet des collèges rachetant Altran, La Cour de


les « passoires reportées devient un leader cassation face à 
thermiques » aux 1er et 2 juillet mondial
PAGE 6 PAG E 1 2 PAG E 1 6 l’affaire Lambert SAN SEBASTIAN 2018
MEILLEUR RÉALISATEUR
MEILLEUR ACTEUR

L’assemblée plénière
de la haute juridiction
LE REGARD DE PLANTU devrait rendre, vendredi
28 juin, sa décision sur
l’arrêt de la cour d’appel
ordonnant la reprise des
traitements de Vincent
Lambert, dans le coma
depuis dix ans
PAG E 7

Cinéma
« Toy Story 4 »,
un road trip 
enchanté
Le quatrième volet, bâti UN FILM DE BENJAMÍNNAISHTAT
autour d’un jouet fabriqué
à partir de déchets, n’a
rien perdu de sa fraîcheur, LE 3 JUILLET
après vingt­quatre ans
PAG E 1 9
Algérie 220 DA, Allemagne 3,50 €, Andorre 3,20 €, Autriche 3,50 €, Belgique 3,00 €, Cameroun 2 300 F CFA, Canada 5,50 $ Can, Chypre 3,20 €, Côte d'Ivoire 2 300 F CFA, Danemark 35 KRD, Espagne 3,30 €, Gabon 2 300 F CFA, Grande-Bretagne 2,90 £, Grèce 3,40 €, Guadeloupe-Martinique 3,20 €, Guyane 3,40 €,
Hongrie 1 190 HUF, Irlande 3,30 €, Italie 3,30 €, Liban 6 500 LBP, Luxembourg 3,00 €, Malte 3,20 €, Maroc 20 DH, Pays-Bas 3,50 €, Portugal cont. 3,30 €, La Réunion 3,20 €, Sénégal 2 300 F CFA, Suisse 4,20 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 3,80 DT, Afrique CFA autres 2 300 F CFA
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L A   C R I S E   E N T R E   L’ I R A N   E T   L E S   É TAT S ­ U N I S  

A Téhéran, une stratégie de tension calculée
Les autorités iraniennes semblent prêtes à se risquer durablement dans l’escalade en cours avec les Etats­Unis

L
e nouveau volet de sanc­
tions décrété par Donald
Trump, lundi 24 juin,
contre l’Iran et son Guide
suprême, Ali Khamenei, a été qua­
lifié de « stérile » par Téhéran, qui
dénonce une volonté de « fermer
de façon permanente la voie de la
diplomatie avec le gouvernement
prêt à tout de Trump ». M. Trump a
promis des sanctions contre le
chef de la diplomatie, Moham­
mad Javad Zarif, un modéré. « En
même temps que vous appelez à
des négociations, vous cherchez à
sanctionner le ministre des affai­
res étrangères ! Il est évident que
vous mentez », a déclaré, mardi, le
président, Hassan Rohani.
Mais Téhéran semble prêt à se
risquer durablement dans l’esca­
lade en cours avec les Etats­Unis.
Jusqu’à provoquer un sentiment
de vertige dans la population ira­
nienne, en laissant craindre un
dérapage vers une confrontation
militaire. Alors que les incidents
se multiplient autour du détroit
d’Ormuz, et que l’Iran a annoncé
sa volonté de rompre ses engage­
ments nucléaires de juillet 2015, le
pays s’installe dans une logique
de tension, risquée mais calculée.
La presse conservatrice en
donne la mesure, en moquant,
depuis le 20 juin, la pusillanimité Le Guide iranien Ali Khamenei,
du président des Etats­Unis, Do­ tenant une arme pendant
nald Trump, qui s’était résolu in son sermon de l’Aïd­el­Fitr,
extremis à ne pas répliquer par le 5 juin à Téhéran, sur une
des frappes aériennes à la des­ photo de propagande.
truction d’un drone américain HO/AFP
au­dessus du golfe Arabo­Persi­
que. Téhéran a revendiqué ce tir,
en affirmant que l’engin avait pé­
nétré son espace aérien. aiguillonnés par leurs alliés ré­ semble peu crédible. Une telle dé­ comme pour le commerce vée des sanctions américaines,
gionaux, l’Arabie saoudite, les cision relève d’instances d’Etat « L’IRAN CHERCHE  maritime international et le mar­ sans illusion. C’est lui qui avait di­
Prévenir « une surenchère »
Depuis la mi­mai, Washington ac­
Emirats arabes unis et Israël.
Mais à en juger par les déclara­
collégiales, qui fixent les orienta­
tions stratégiques, et auxquelles
À SE DONNER LES MOYENS  ché pétrolier.
Cette démarche ne ferme ce­
rigé les négociations de l’accord
de Vienne, qui n’avaient effacé les
cuse l’Iran d’avoir saboté six navi­ tions martiales des forces ira­ participe la hiérarchie des gar­ D’ARRIVER UN JOUR À LA  pendant pas la voie à la diploma­ précédentes sanctions interna­
res pétroliers dans ces eaux stra­ niennes, Téhéran paraît s’accom­ diens de la révolution, la princi­ tie. « Les Iraniens cherchent à se tionales que plusieurs mois après
tégiques. Le Conseil de sécurité moder de ces tensions. pale force du pays. TABLE DES NÉGOCIATIONS  donner les moyens d’arriver un sa signature, en janvier 2016.
de l’ONU a condamné ces atta­
ques, lundi, sans désigner de cou­
« Les dernières semaines mon­
trent que l’Etat iranien est assez Guerre économique
LA TÊTE HAUTE » jour à la table des négociations la
tête haute : ils pourront affirmer Tenir jusqu’à 2020
pable. Le Royaume­Uni avait tolérant au risque. Le Pentagone Jouant cartes sur table, le gouver­ ARIANE TABATABAI qu’ils n’ont pas plié face à la pres­ Pour l’heure, la République
quant à lui pointé Téhéran du perçoit cela comme une énorme nement iranien assume dans le spécialiste de l’Iran sion américaine », note Mme Ta­ islamique cherche surtout à tes­
doigt dès le 20 juin, comme, peu erreur : les Iraniens surjouent leur même temps d’accélérer une batabai. La semaine passée, en ter la détermination de la Maison
après, la chancelière allemande, main, ils sous­estiment la capa­ autre crise, d’une plus large am­ conseil des ministres, le prési­ Blanche. « Les Iraniens parient
Angela Merkel, avec plus de dis­ cité de réponse américaine », es­ pleur. Il a planifié et engagé une Il y a là une logique : l’Iran fait dent modéré, Hassan Rohani, a que Trump n’ira pas au conflit. S’il
crétion. Paris ne s’est pas pro­ time Ariane Tabatabai, spécia­ escalade sur le dossier nucléaire, face depuis le retrait américain ainsi dévoilé une liste de condi­ bluffe, ils estiment qu’ils trouve­
noncé, disant chercher à prévenir liste de l’Iran à la Rand Corpora­ en annonçant qu’il commence­ de l’accord, en mai 2018, à une tions à l’adresse de Washington. ront bien une sortie quelque part :
« une surenchère ». tion, un cercle de réflexion lié à rait à se dégager de ses obliga­ guerre économique. Ses exporta­ Il exigeait une reconnaissance une voie de négociation qui ne les
L’Iran voit dans ces incidents l’armée américaine. tions en la matière d’ici au tions de pétrole se sont réduites à du régime, déjà en partie accep­ condamnerait pas à la guerre ou
une manipulation des « fau­ Si l’Iran a bien orchestré les 7 juillet. Il promet de relancer ses 300 000 barils par jour, selon tée par Donald Trump, qui a sou­ à l’isolement, à devenir un
cons » au sein de l’administra­ attaques de tankers en mer centrifugeuses, de façon graduée deux compagnies spécialisées. haité voir le peuple iranien nouveau Cuba ou la Corée du
tion américaine, partisans d’un d’Oman – ce qui reste à démon­ et réversible, si les autres signa­ Téhéran entend montrer à l’ad­ « prospérer » sous sa direction ac­ Nord », note un bon connaisseur
changement de régime à Téhé­ trer –, l’hypothèse d’une provoca­ taires de l’accord de 2015 ne mo­ ministration Trump et à ses alliés tuelle si un dialogue venait à du régime.
ran. Ils chercheraient un prétexte tion perpétrée par des éléments dèrent pas l’effet des sanctions que sa politique de « pression aboutir. M. Rohani s’est égale­ Téhéran note que Donald
à provoquer une guerre, isolés au sein des forces armées américaines. maximale » a un coût, tout ment risqué à demander une le­ Trump a cessé de mentionner
une liste de douze demandes
maximalistes lancées par son ad­
Washington lance de nouvelles sanctions contre l’Iran ministration en 2018. Le prési­
dent américain dit se soucier
avant tout d’un dialogue sur la
la sanction est symbolique. Donald noise de télécoms ZTE avant de se raviser, Sur le fond, le temps joue pour les Etats­ iranien, a déclaré l’envoyé spécial du dé­ question nucléaire… soit tout
Trump a annoncé, lundi 24 juin, dans le au grand dam du Congrès. Unis : c’est la thèse exposée de l’éditoria­ partement d’Etat pour l’Iran Brian Hook. l’enjeu du « deal » honni de 2015.
bureau Ovale de la Maison Blanche des L’expert du Carnegie Endowment for liste du Washington Post David Ignatius Ils savent où nous trouver. » Certes, mais Par ces provocations et ces
sanctions pour geler les actifs finan­ International Peace, Karim Sadjadpour, mais aussi de Ray Takeyh, expert du en 2018, les négociations avec la Corée du appels du pied, Téhéran cherche,
ciers du Guide suprême Ali Khamenei compare la stratégie iranienne de Trump Council on Foreign Relation. Selon lui, Nord avaient donné lieu à des voyages in fine, à masquer un attentisme
et contre huit commandants militaires à une peinture de Jackson Pollock, inco­ l’administration Trump ne s’est pas re­ secrets du patron de la CIA d’alors, Mike désespéré. Les réserves de la ban­
iraniens. Les mesures seraient financiè­ hérente, comme en attestent ses Tweet : trouvée isolée lorsqu’elle est sortie unila­ Pompeo. Les contacts seront compliqués que centrale iranienne, estimées
rement peu opérantes, la presse améri­ « Si l’Iran veut combattre, cela sera la fin téralement de l’accord nucléaire avec si le ministre des affaires étrangères, à 110 milliards de dollars (96 mil­
caine estimant que le Guide dispose officielle de l’Iran », a ainsi tweeté un jour l’Iran en 2018. Les entreprises européen­ Mohammad Javad Zarif, qui incarne l’aile liards d’euros), dont 50 milliards
d’un empire financier considérable Donald Trump, avant d’écrire que l’Iran nes ont décidé de facto d’appliquer les modérée du régime, est à son tour sanc­ de dollars en cash, autorisent
placé à l’abri. « a une chance d’être un grand pays avec le sanctions américaines et ont renoncé à tionné comme l’a annoncé le secrétaire encore au moins deux ans d’im­
L’enjeu est de savoir si ces nouvelles même leadership ». investir en Iran. Enfin, son PIB est en au Trésor, Steven Mnuchin. portations d’Etat, malgré les
mesures hypothèquent l’avenir. Oui, si chute tandis que ses exportations de pé­ L’agenda américain reste toutefois in­ sanctions, et des distributions de
l’on considère que les sanctions accumu­ Le temps joue pour les Etats-Unis trole se tarissent. certain. « La requête américaine pour biens de première nécessité aux
lées sont dures à lever et qu’il faudra alors En renonçant in extremis à bombarder Etranglé, le pays chercherait à s’en sor­ l’Iran est très simple : pas d’armes nucléai­ plus pauvres.
se justifier (par exemple pour retirer les l’Iran pour éviter la mort de 150 person­ tir. « L’Iran a bien plus à gagner à une né­ res et fin du soutien au terrorisme », a ré­ C’est assez pour tenir jusqu’à la
gardiens de la révolution de la liste des or­ nes, M. Trump aurait fait preuve de fai­ gociation avec les Etats­Unis qu’à poursui­ pété Donald Trump, qui dit ne pas mettre présidentielle américaine de
ganisations terroristes) même en cas de blesse et révélé qu’il est maintenu dans vre une confrontation », écrit Ray Takeyh, de préconditions à des discussions 2020, seul horizon de l’Etat ira­
changement de locataire de la Maison l’ignorance, à en croire l’ancien conseiller qui estime que l’Iran doit d’abord afficher bilatérales et veut créer une coalition nien. Les factions iraniennes es­
Blanche. Non, si l’on observe le compor­ sécurité d’Obama Ned Price. Ce dernier des victoires avant de retourner à la table pour sécuriser le détroit d’Ormuz. Son pèrent l’arrivée à la Maison Blan­
tement passé de M. Trump. Le président a estime contraire aux usages que le prési­ des négociations. Téhéran n’a donc cessé propos reste plus modéré que le plan en che d’un démocrate, plus sensi­
affiché en 2018 sa meilleure entente avec dent n’ait pas été informé en amont du de provoquer les Etats­Unis mais à n’a pas douze points de Mike Pompeo qui exige, ble à leurs vues. Elles laissent à la
le président nord­coréen Kim Jong­un raid des pertes potentielles. Ses commis l’irréparable – ils n’ont pas battu de facto, un désengagement iranien total population le temps de se rési­
après l’avoir traité de « rocket­man ». conseillers répètent au contraire qu’il un avion espion américain. « Il n’y a pas de la région.  gner, dans le cas contraire, à un
En 2018, le président avait aussi provoqué convient de ne pas prendre la retenue de de négociations en coulisses entre le gou­ arnaud leparmentier acte II de Donald Trump. 
la cessation d’activité de la société chi­ Trump pour de la faiblesse. vernement américain et le gouvernement (new york, correspondant) louis imbert
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La société civile iranienne prise entre deux feux


La montée des tensions internationales rend inaudibles les revendications sociales et politiques dans le pays

M
ettre en œuvre vert donné à Donald Trump pour vent, quant à eux, porter des che­ dénoncer en même temps des gens la politique de détente avec l’Oc­
« l’ordre militaire ». qu’il attaque l’Iran. C’est pareil pour mises à manches longues. comme Massih Alinejad », une mi­ « EN CE MOMENT, LES  cident, entreprise par le prési­
Cette expression,
lancée par le Guide
toute revendication concernant les
droits des ouvriers. La réponse n’est
Mais les manifestants et les étu­
diants les plus actifs politique­
litante résidant aux Etats­Unis, qui
anime, via Internet, un mouve­
“DURS” QUALIFIENT  dent Rohani, est dans l’impasse.
D’autant plus que l’économie ira­
suprême iranien, Ali Khamenei, que la tension et la confrontation », ment demeurent ostracisés. Ils ment de lutte contre le port obliga­ TOUTE CONTESTATION  nienne souffre, avec une infla­
revient sans cesse, depuis des se­ regrette cet étudiant de 21 ans. sont qualifiés ouvertement d’« élé­ toire du voile. « Peut­être que nous tion autour de 40 % et une chute
maines, dans les discours offi­ ments de gauche radicale » et de avons une cause commune, la levée DE FEU VERT DONNÉ  des ventes de pétrole (première
ciels en Iran. Cette injonction est
adressée avant tout à la popula­
« Eléments de gauche radicale »
Certes, les employés de l’université
« pantins des ennemis étrangers »
du pays et réprimés pour « atteinte
de l’obligation du voile, mais mille
choses nous séparent. Nous vou­
À DONALD TRUMP POUR  ressource du pays), à cause de
l’embargo américain. Le prési­
tion, invitée à montrer un front ont, depuis la mi­mai, cessé de s’en à la sécurité nationale ». lons marquer la frontière entre elle QU’IL ATTAQUE L’IRAN »,  dent Rohani, qui achèvera son se­
uni dans « les circonstances criti­ prendre aux étudiants, surtout Quand les faucons au sein de et nous », ajoute­t­il. cond et dernier mandat en 2021,
ques actuelles », plutôt que d’expri­ aux filles, qui portent des vête­ l’administration américaine ap­ Sepideh, 20 ans, également étu­ AFFIRME UN ÉTUDIANT semble ne plus souhaiter s’oppo­
mer ses revendications ou de s’op­ ments jugés insuffisamment cou­ pellent à un « changement de ré­ diante à l’université de Téhéran, ser à ses adversaires de l’aile dure
poser aux politiques de l’Etat. vrants. Les menaces de convoca­ gime » en Iran, certains mouve­ porte un tchador, un vêtement de la République islamique, au
Alors que les incidents suscepti­ tions auprès de la direction de ments politiques en exil se sen­ strict qui la range a priori parmi des journalistes. La presse interna­ risque de se mettre à dos sa base
bles de provoquer une escalade l’université n’ont plus cours. En Ré­ tent pousser des ailes. Les voix les conservateurs. Mais cela ne tionale en fait elle­même les frais : électorale, avide de libertés poli­
avec les Etats­Unis se multiplient publique islamique, les femmes critiques à l’intérieur du pays pré­ l’empêche pas de s’opposer aux le correspondant du New York Ti­ tiques et individuelles.
dans la région, les voix critiques sont tenues de se couvrir le corps, fèrent prendre leurs distances. pressions exercées contre les mes, le Néerlandais Thomas Erd­ Le retour des menaces de guerre
sont systématiquement accu­ sauf le visage et les mains, mais « En nous opposant à des nouvelles « mal voilées ». Elle aussi est gê­ brink, l’une des plus anciennes fait planer beaucoup d’inquiétu­
sées de collusion avec les « enne­ dans les faits, cette règle n’est pas mesures de rétorsion de la police née par le militantisme des exi­ voix étrangères dans le pays, s’est des en Iran, particulièrement chez
mis de l’étranger ». appliquée à la lettre. Dans certai­ des mœurs dans l’université, expli­ lés. « Nous sommes pris entre les vu retirer son autorisation de tra­ ceux qui espèrent des réformes.
A la mi­mai, des étudiants de nes universités, les hommes doi­ que Amin, nous prenons garde de deux camps des “durs” [en Iran et vail depuis le mois de février, ainsi « Ceux qui font battre les tambours
l’université de Téhéran, établisse­ à l’étranger]. Notre espace d’ex­ que sa femme, la photographe de la guerre à l’étranger, notam­
ment d’élite et vivier de militan­ pression se réduit. Regardez les ré­ Newsha Tavakolian. « La pression ment les groupes iraniens d’oppo­
tisme politique, ont tenté de se Macron évoquera le dossier avec Trump seaux sociaux : tout le monde est monte, explique un avocat qui re­ sition, ne font qu’affaiblir les forces
mobiliser. Ils manifestaient con­ crispé. Même les services de ren­ présente de nombreux clients ac­ démocratiques et indépendantes à
tre la surveillance redoublée Emmanuel Macron a annoncé, le 24 juin, qu’il rencontrerait « en seignement n’échappent pas à cusés dans des dossiers “sécuritai­ l’intérieur du pays, regrette Sa­
qu’exerce la police des mœurs aparté » Donald Trump pour évoquer le dossier iranien, en marge cela », déplore­t­elle. res”. Cette pression est un signal degh, journaliste et militante. Les
dans l’établissement, où règne tra­ du sommet du G20, qui doit se tenir en fin de semaine au Japon. La justice iranienne a multiplié, clair à la société civile que, désor­ gens en Iran, malgré leur fatigue
ditionnellement un relatif laisser­ Paris s’active pour tenter d’apaiser les tensions croissantes entre ces derniers mois, les condamna­ mais, l’heure est à la sévérité. » et leur pessimisme, détestent les
faire. Amin (les prénoms ont été les Etats-Unis et l’Iran. Le conseiller diplomatique du chef de l’Etat, tions à de lourdes peines pour des Depuis le retrait de Washington changements abrupts, parce qu’ils
modifiés), constate, dépité, que le Emmanuel Bonne, s’est rendu à Téhéran et a rencontré plusieurs écrivains, des avocats comme de l’accord international sur le ont été témoins du résultat des
mouvement n’a guère porté ses dirigeants iraniens. De son côté, le premier ministre, Edouard Nasrin Sotoudeh et Narges Mo­ nucléaire iranien, en mai 2018, et “printemps arabes” dans la région
fruits. « En ce moment, les “durs” Philippe, a « longuement évoqué » l’Iran avec son homologue russe, hammadi, dont l’état de santé en le retour des sanctions américai­ et de la guerre en Syrie. » 
qualifient toute contestation de feu Dmitri Medvedev, lors d’une rencontre, lundi, au Havre. prison inquiète, ainsi que contre nes de pleine force contre le pays, ghazal golshiri

Embarrassés, les Européens


tentent de rassurer Téhéran
Le mécanisme mis en place pour permettre aux entreprises
de commercer avec l’Iran n’a pour l’instant produit aucun effet

bruxelles ­ bureau européen qu’ils lui ont faites : la fin des sanc­ cléaire, les répliques de Washing­

I
tions doit se traduire par un béné­ ton : tout cela fait craindre à la di­
ls seront trois Européens, des fice économique, en échange de plomatie européenne un déra­
représentants français, alle­ l’abandon du programme nu­ page aux conséquences ravageu­
mand et britannique, au côté cléaire, qui pourrait faire peser ses. Et les appels à la raison du
d’un Chinois, d’un Russe et une menace directe. Mi­mai, les service diplomatique de l’UE sem­
d’un Iranien, vendredi 28 juin, à Iraniens lançaient un ultimatum blent résonner dans le vide.
Vienne, pour une mission de plus de soixante jours à l’UE : il faut des L’UE en appelle presque quoti­
en plus complexe: sauver l’accord résultats concrets ou ce sera le re­ diennement à «un maximum de
sur le nucléaire iranien, signé tour au programme nucléaire, dé­ réserve » et, même si la plupart de
en 2015 dans la capitale autri­ crétaient­ils. « Pas convenable », ses dirigeants gardent le silence,
chienne, et apaiser les tensions en­ jugeait le ministre français Jean­ elle ne cache plus son inquiétude.
tre Washington et Téhéran. « Il Yves Le Drian. Au service diplomatique de l’UE
s’agit d’examiner les moyens de re­ Problème : la marge d’action des comme à Paris, on prône, faute de
lever les défis découlant du retrait Européens est faible, depuis l’ins­ mieux, « la désescalade par voie ex­
et de la réimposition de sanctions tauration des sanctions américai­ clusive de la diplomatie », seule ga­
par les États­Unis, ainsi que des ré­ nes. Et leur promesse d’œuvrer rantie pour éviter un « accident »,
centes annonces de l’Iran concer­ « pour le peuple iranien » en instau­ comme le dit une source. Les nom­
nant la mise en œuvre de ses enga­ rant un commerce et des investis­ breux appels à un retour à la négo­
gements nucléaires », indique le sements légitimes avec Téhéran ciation sont toutefois restés sans
service diplomatique de l’Union par le biais d’Instex – une sorte de suite jusqu’ici.
européenne (UE). Les Etats­Unis, bourse d’échanges avec un sys­ « Trump a heureusement annulé
qui se sont retirés en mai 2018 de tème de paiements alternatifs – la mission de ses bombardiers juste
l’accord et ont imposé plusieurs produit des résultats quasi nuls. à temps, la semaine dernière, mais
trains de sanctions, mettant fin Les échanges ne concernent que la leçon de cet épisode, c’est que
aux exemptions d’abord accor­ des biens alimentaires et des mé­ tout peut basculer d’une minute à
dées aux pays qui importent du dicaments fournis par des PME, en l’autre », s’inquiète un diplomate
pétrole iranien, seront évidem­ quantité insuffisante. bruxellois. A Bruxelles, on se rac­
ment absents de cette réunion, au croche à l’idée qu’au­delà de son
résultat incertain. La crainte d’un dérapage côté définitivement imprévisible,
Ballottée entre son souhait de Les échanges UE­Iran ont fondu. le président américain s’en tiendra
maintenir l’accord, sa volonté de Peu de pays de l’Union participent à sa promesse de ne pas engager
ne pas rompre avec Washington à Instex et, hormis quelques fir­ son pays dans une nouvelle
et la menace des Iraniens de dé­ mes françaises et allemandes qui guerre. Les ministres européens
passer la limite de 300 kg d’ura­ pourraient y adhérer, rares sont de la défense, réunis à l’OTAN mer­
nium faiblement enrichi que leur celles qui songent à prendre le ris­ credi et jeudi, ne manqueront pas
octroie le plan de 2015, la haute re­ que de défier Washington. Dans d’approcher les diplomates améri­
présentante, Federica Mogherini un récent communiqué, le conseil cains pour vérifier cette analyse.
– qui présidera la réunion de des ministres des affaires étrangè­ « Notre seul succès notable aura
Vienne –, marche sur un fil. Elle res de l’UE n’a pu que lancer un ap­ été de préserver notre unité face à
refuse, expliquait­elle récem­ pel aux « pays qui ne sont pas par­ Trump, alors qu’il a tout fait pour la
ment, de blâmer quiconque : ties au plan d’action global com­ détruire », souligne un diplomate à
« Nous n’avons jamais fait mystère mun ». En clair, les Etats­Unis, Bruxelles. Une conférence tenue à
du fait que préserver l’accord n’est « priés de s’abstenir de toute action Varsovie en février visait, en effet,
pas un exercice facile. Mais notre qui fait obstacle à la capacité des à convaincre une partie des Euro­
but n’est pas de chercher les res­ autres parties à respecter pleine­ péens de s’allier à une sorte
ponsables d’un possible échec. » ment leurs engagements ». d’« OTAN arabe » mobilisable con­
L’administration Trump accen­ Les incidents maritimes dans le tre Téhéran. La tentative a échoué,
tue, en tout cas, les pressions sur golfe d’Oman, le drone américain au grand dam de M. Trump et du
les Européens, et l’Iran exige la abattu, les menaces de Téhéran de vice­président Mike Pence. 
concrétisation des promesses relancer son programme nu­ jean­pierre stroobants
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En Algérie, undurcissement pour les délits d’opinion


Avocats et défenseurs des droits humains s’inquiètent après l’arrestation de 17 manifestants, le 21 juin

D
u délit d’opinion au
délit de drapeau, un
« Il y a encore
nouveau pas, inédit, a des détenus
été franchi par la jus­
tice algérienne. Au moins 17 mani­
politiques dans
festants, interpellés vendredi ce pays. C’est
21 juin, lors des marches hebdo­
madaires contre le régime, ont été
intolérable »
placés en détention provisoire, di­ KARIM LABCHRI
manche, à l’issue de leur garde à cadre du Parti des travailleurs
vue. Leur « crime » ? Avoir brandi
ou « dissimulé » des drapeaux ber­
bères. « Ils ont été incarcérés et sont contexte d’affrontements com­
poursuivis au titre de l’article 79 du Des munautaires entre Mozabites et
code pénal », explique l’avocate manifestants Chaambi (Arabes sunnites) dans
Aouicha Bekhti, qui défend plu­ brandissent la région de Ghardaïa, s’est égale­
sieurs interpellés. Un article qui un drapeau ment achevée derrière les bar­
punit de un à dix ans de prison amazigh reaux, en 2015 et 2016.
« quiconque a entrepris, par quel­ (berbère), « Et il y a sans doute des cas dont
que moyen que ce soit, de porter at­ à Alger, personne n’a entendu parler »,
teinte à l’intégrité du territoire na­ le 21 juin. poursuit l’avocat Salah Dabouz,
tional ». RYAD KRAMDI/AFP ancien défenseur de Kamel Ed­
Le chef d’état­major de l’armée, dine Fekhar, expliquant que « les
Ahmed Gaïd Salah, avait menacé, familles subissent des pressions ».
mercredi 19 juin, ceux qui portent « Dans les prisons algériennes, les
le drapeau berbère dans les mani­ conditions de détention sont indi­
festations : « Brandir d’autres dra­ gnes. Certains détenus sont trans­
peaux que l’emblème national lors férés vers des hôpitaux à peine
des manifestations est une ques­ quelques semaines après leur in­
tion sensible […]. Il a ainsi été pro­ carcération », conclut­il.
cédé à des instructions et des or­
dres aux forces de sécurité. » En ré­ Des pressions
ponse, côtoyant le drapeau algé­ C’est le cas du général à la retraite
rien, des forêts de drapeaux aux Hocine Benhadid, âgé de 75 ans.
trois bandes ont accompagné les bles, qui peuvent attenter à la co­ tout le monde. » Les défenseurs Tartag, ex­chefs des services de mois de grève de la faim. Il avait Souffrant de pathologies chroni­
cortèges de manifestants descen­ hésion nationale et à la stabilité des droits humains s’inquiètent renseignement. Ses proches y été arrêté le 31 mars après la publi­ ques, l’ancien officier, incarcéré le
dus dans les rues du pays tandis du pays. C’est une provocation qui d’autant plus que les 17 manifes­ voient plutôt une vengeance cation d’une vidéo dans laquelle 12 mai après une lettre ouverte au
que nombre de slogans ciblaient risque de radicaliser les gens. tants arrêtés vendredi s’ajoutent après qu’elle s’en est vivement il dénonçait des pratiques « ségré­ chef d’état­major, Gaïd Salah, est
le patron de l’armée et sa tenta­ Même s’ils ont jusqu’ici compris à la trentaine de cas de militants prise au chef d’état­major de l’ar­ gationnistes » à l’encontre des hospitalisé depuis le 31 mai après
tive de « diviser le peuple ». les enjeux et le sens de cette emprisonnés répertoriés par le mée, le général Gaïd Salah. Mozabites (des Berbères de rite une chute à la prison d’El­Harrach.
« C’est aberrant de sortir un mo­ manœuvre ». Réseau de lutte contre la répres­ « Il y a encore aujourd’hui, ibadite, minoritaire en Algérie). Cinq mois après son arrestation,
tif pareil après trente ans de con­ sion, pour la libération des déte­ en 2019, des détenus politiques Depuis 2015, au moins quatre le « premier prisonnier du Hirak »
sécration de l’identité amazigh en Quatre morts nus d’opinion, et pour les liber­ dans ce pays. C’est intolérable », a autres détenus sont morts dans (le mouvement populaire), reste,
Algérie », s’indigne Saïd Salhi, vi­ « Ahmed Gaïd Salah ne désespère tés démocratiques créé à Alger, dénoncé, au début du mois, Ka­ les prisons algériennes après y lui, également en prison. Arrêté
ce­président de la Ligue algé­ pas : semaine après semaine, il début juin, à l’initiative d’avocats rim Labchri, membre de l’exécutif avoir été incarcérés pour des rai­ en janvier à Mascara, dans l’ouest
rienne pour la défense des droits tente une nouvelle diversion pour et de militants de l’opposition et du PT : « Depuis l’avènement du sons politiques. Condamné en du pays, Hadj Ghermoul, 37 ans, a
humains (Laddh) qui rappelle casser la révolution. Il y a assez de de la société civile. multipartisme dans notre pays, juillet 2016 à deux ans de prison été condamné à six mois de pri­
que « la dimension amazigh est ressources dans les cercles du Parmi eux, Louisa Hanoune, la en 1988, et en dehors de l’arresta­ ferme pour « atteinte au prési­ son ferme pour « outrage à corps
aujourd’hui institutionnalisée et pouvoir pour résister et tenter de secrétaire générale du Parti des tion de deux responsables du Front dent de la République » en raison constitués » après s’être affiché
constitutionnalisée ». « Ils cher­ trouver une faille », appuie Salah travailleurs (PT), dont la mise en islamique du salut (FIS) en 1991, de contenus publiés sur sa page sur les réseaux sociaux avec une
chent à diviser un mouvement qui Dabouz, avocat et ancien prési­ liberté provisoire a de nouveau aucun chef de parti n’avait été ar­ Facebook, où il s’attaquait à des pancarte exprimant son refus
a justement consolidé une com­ dent de la Laddh. « La seule chose été rejetée, mercredi 19 juin. In­ rêté. Il y a par contre eu des mili­ responsables politiques, le jour­ d’un cinquième mandat d’Abdela­
munion nationale. Le drapeau qui m’inquiète, c’est la violence. carcérée par la justice militaire le tants politiques, des activistes qui naliste Mohamed Tamalt, 42 ans, ziz Bouteflika. Quelques semai­
amazigh n’a jamais posé pro­ Demain, si ce système que protège 9 mai, Mme Hanoune est poursui­ ont été interpellés. Et puis le cas de a perdu la vie en décembre, après nes plus tard, des millions d’Algé­
blème dans les marches. Il est Gaïd Salah est désespéré – car vie pour « complot contre l’auto­ Kamel Eddine Fekhar, que le gou­ trois mois de grève de la faim. Il riens descendaient dans les rues
adopté par le peuple algérien », pour l’instant il n’est que têtu –, il rité de l’armée » dans le cadre vernement a laissé mourir… » avait affirmé avoir subi des vio­ pour pousser l’ancien président
poursuit­il. Pour le vice­prési­ pourrait parvenir à la conclusion d’une enquête qui implique Saïd Ce médecin et militant des lences de la part des gardiens de vers la sortie et réclamer un chan­
dent de la Laddh, le pouvoir qu’il ne lui reste que la violence. Ce Bouteflika, le frère de l’ex­prési­ droits de l’homme est mort à l’âge prison. La vie de trois autres gement de régime. 
« joue sur des questions très sensi­ qui serait catastrophique pour dent, et les généraux Médiène et de 55 ans, le 28 mai, après deux hommes, emprisonnés dans le madjid zerrouky

MEXIQUE
Quinze mille soldats
antimigration à déployer
Un nouveau président mauritanien issu du sérail
Pour lutter contre les flux de
migrants clandestins à la fron­ Mohamed Ould Ghazouani a fait toute sa carrière aux côtés du président sortant, Mohamed Ould Abdelaziz
tière avec les Etats­Unis,
Mexico dit avoir à déployer

C
près de 15 000 hommes dans
le nord du pays. Selon l’accord e jour­là, le 1er mars, le pré­ d’attaque choisie par l’opposition M. Ghazouani riche et le plus puissant de ce pays commerçants. « Le tout – famille,
conclu début juin avec sident sortant de la Mauri­ durant la campagne électorale. multiethnique, est en effet régi par religion, affaires – lui donne accès
Washington, le Mexique dis­ tanie, Mohamed Ould « Ce sont les mêmes, issus du même
n’a pas été promu un algorithme complexe, mou­ à un puissant réseau international
pose de 45 jours pour démon­ Abdelaziz, a dû se demander s’il système militaro­affairiste », expli­ que parce qu’il a su vant et raffiné destiné à trouver un étendant ses branches en Turquie,
trer l’efficacité de ses mesures avait bien choisi son dauphin. La quait alors Mohamed Ould Mao­ point d’équilibre, souvent tempo­ Tunisie, Arabie saoudite, Emirats,
contre les migrants venus campagne électorale n’était pas loud, l’un des six candidats à la
rester dans l’ombre raire, entre les intérêts des diffé­ Jordanie… Et comme ministre de la
d’Amérique centrale. – (AFP.) encore officiellement lancée, mais présidentielle. Une lecture rapide du chef. Sa rentes tribus. Un jeu savant d’al­ défense, il a su se faire apprécier
Mohamed Ould Cheikh Moha­ de son CV pourrait laisser penser liance (et de trahison), de lutte des Occidentaux », énumère un de
med Ahmed, plus communément que la victoire de Mohamed Ould
légitimité a des pour accéder ou conserver le pou­ ses proches.
appelé Mohamed Ould Gha­ Ghazaoui est un simple remplace­ racines profondes voir qui se règle moins le jour du Elle aussi issue de la noblesse
zouani, était déjà dans la peau du ment poste pour poste, un général vote qu’il se négocie, avant, sous la maure, Aminetou Mint El­Mokh­
candidat du pouvoir pour l’élec­ chassant l’autre. Les deux hom­ tente et dans les mosquées. tar, infatigable défenseuse des
- CESSATIONS DE GARANTIE tion présidentielle du 22 juin, qu’il mes, nés à onze jours d’intervalle bre 2012, « son » président est droits humains, ne partage pas le
a remportée dès le premier tour en décembre 1956, passés par l’Aca­ blessé par balles à Nouakchott. Il Sérieux atouts souffle d’optimisme que l’on sent
LOI DU 2 JANVIER 1970 - DECRET
D’APPLICATION N° 72-678 DU 20 avec 52 % des voix face à cinq démie royale militaire de Meknès, assure alors l’intérim pendant les Mohamed Ould Ghazouani pos­ frémir au sein de sa communauté
JUILLET 1972 - ARTICLES 44 autres candidats. au Maroc, ont bien participé à quarante jours de convalescence sède, là, de sérieux atouts. Né dans à propos de Mohamed Ould Gha­
QBE EUROPE SA/NV, sis Cœur Défense Devant des milliers de person­ deux coups d’Etat, dont celui de présidentielle, en France. le département de Boumdeid zouani. Un souffle alimenté par
– Tour A – 110 esplanade du Général de
Gaulle – 92931 LA DEFENSE CEDEX nes réunies au stade Cheikha­ 2008 qui mit un terme précoce à la Dans ce pays qui connut plu­ (centre­sud mauritanien), il est l’espoir d’un changement de style,
(RCS NANTERRE 842 689 556), suc- Ould­Boïdya, de Nouakchott, le fu­ première transition démocratique sieurs coups d’Etat, d’autres que issu de la prestigieuse tribu mara­ de l’ouverture d’un système qui
cursale de QBE EUROPE SA/NV, dont le
siège social est à 37, Boulevard du Régent, tur président avait rendu hom­ mauritanienne. lui auraient profité de l’occasion. boutique maure des Ideiboussat. s’était progressivement recroque­
1000 BRUXELLES - BELGIQUE, fait mage à tous ses prédécesseurs de­ « C’est un moment­clé qu’Aziz n’a ja­ Son père était le chef spirituel de la villé autour du président sortant.
savoir que, la garantie financière dont béné- puis l’indépendance de 1960 en Postes stratégiques mais oublié », affirme Mohamed Chadhiliyya, puissante confrérie Selon elle, « il a entretenu par cal­
ficiait la :
SARL ARPEGE précisant : « Je ne dirai pas que cha­ Une fois élu président en 2009, Fall Omeir Beye, rédacteur en chef soufie. Mohamed Ould Abdelaziz, cul électoral le côté le plus archaï­
149 bis rue Saint Charles cun d’entre eux a totalement réussi Mohamed Ould Abdelaziz a confié de l’hebdomadaire La Tribune. lui, est né dans une tribu guerrière, que et traditionnel de la Mauritanie
75015 PARIS car, si tel était le cas, nous n’aurions à son ami les plus hautes respon­ « Pour cette dernière élection, il non moins influente. Le premier en s’appuyant sur les puissants
RCS: 403 920 481
depuis le 01/01/2004 pour ses activités de : pas constaté les dysfonctionne­ sabilités au sein du système de sé­ n’existait donc pas d’autre choix est décrit comme discret, diplo­ chefs de tribu et de clan. Il leur sera
TRANSACTIONS SUR IMMEUBLES ET ments et les insuffisances qui sont curité nationale. L’ex­directeur gé­ que Ghazouani pour Aziz, ajoute le mate et réfléchi, là où l’on qualifie redevable ». Elle s’inquiète notam­
FONDS DE COMMERCE cessera de por-
ter effet trois jours francs après publication en réalité le propre de toute œuvre néral des services de renseigne­ journaliste. Il peut lui assurer ses le président sortant de sanguin, ment des concessions qu’il pour­
du présent avis. Les créances éventuelles humaine. » Ce qui fut immédiate­ ment devient chef d’état­major de arrières après son départ et il est le solitaire et autoritaire. rait être amené à faire aux islamis­
se rapportant à ces opérations devront ment interprété comme une prise l’armée puis ministre de la dé­ garant que la sécurité de la Mauri­ « Il aurait pu rester un religieux tes alors que l’espace de liberté, no­
être produites dans les trois mois de cette
insertion à l’adresse de l’Établissement de distance vis­à­vis de son men­ fense. Des postes éminemment tanie ne sera pas en jeu. » riche et admiré, mais il a pris le ris­ tamment pour les femmes, ne
garant sis Cœur Défense – Tour A – 110 tor qui a dirigé le pays d’une main stratégiques dans la lutte contre Mais Mohamed Ould Ghazouani que d’épouser le métier des armes. cesse de se réduire sous leur pres­
esplanade du Général de Gaulle – 92931
LA DEFENSE CEDEX Il est précisé qu’il
de fer pendant dix ans. les groupes djihadistes établis n’est pas qu’un fidèle ni un Il a réussi et il n’en est que plus puis­ sion. « Il devra desserrer l’étreinte
s’agit de créances éventuelles et que le pré- Cet épisode recouvre une évi­ juste de l’autre côté de la frontière homme promu parce qu’il a su res­ sant », analyse Mohamed Fall sur la société et l’emprise du clan
sent avis ne préjuge en rien du paiement dence. Les deux hommes sont avec le Mali et qui ont, un temps, ter dans l’ombre du chef. Sa légiti­ Omeir Beye. Ce lignage irrépro­ présidentiel sur l’économie. Sinon, il
ou du non-paiement des sommes dues et
ne peut en aucune façon mettre en cause proches mais Mohamed Ould menacé la stabilité du pays. mité a des racines profondes. Le chable dans un pays profondé­ y aura de sérieux problèmes », aver­
la solvabilité ou l’honorabilité de la SARL Ghazouani n’est pas une marion­ Mohamed Ould Ghazouani a aussi système politique maure (com­ ment croyant se double de la ri­ tit Mohamed Ould Maoloud. 
ARPEGE. nette, même si c’était la ligne prouvé sa fidélité. Le 13 octo­ munauté dominante), le plus chesse de sa famille de grands christophe châtelot
international | 5
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MERCREDI 26 JUIN 2019

A Istanbul, le philanthrope A Hongkong, Carrie Lam


de plus en plus isolée
Osman Kavala devant les juges La chef de l’exécutif subit des pressions
pour retirer son projet de loi d’extradition
Assimilés à des putschistes, seize intellectuels risquent la perpétuité
hongkong ­ correspondance Ces déclarations illustrent la

I
istanbul ­ correspondante plomates étrangers et des obser­ gouvernement turc de l’époque – prise de distance de Pékin vis­à­
La fine fleur

G
vateurs du Parlement européen. vingt­sept personnes –, ainsi que l ne reste désormais plus vis de la chef de l’exécutif à l’ap­
rande comme un ter­ Malgré la pesanteur de la situation de l’intelligentsia son chef, Recep Tayyip Erdogan. grand monde à Hongkong proche du sommet du G20
rain de football, la – la perpétuité a été requise par les Au tribunal de Silivri se joue pour soutenir la chef de d’Osaka, le 28 et le 29 juin, auquel
salle d’audience du procureurs –, le juge a laissé l’assis­
turque l’équivalent des grands procès de l’exécutif, Carrie Lam, et son pro­ participera le président chinois,
procès des seize intel­ tance applaudir à plusieurs repri­ se retrouve Moscou orchestrés par Staline jet de loi d’extradition qui a semé Xi Jinping. On savait déjà, à la
lectuels turcs qui s’est ouvert, ses avant de la prier courtoise­ en 1937­1938. Autant le décorum la tourmente dans la région ad­ suite d’une indiscrétion – un mi­
lundi 24 juin, au tribunal de la pri­ ment de cesser son chahut.
sur le banc impressionne – salle gigantes­ ministrative spéciale de Chine cro resté accidentellement al­
son de haute sécurité de Silivri, à des accusés que, forte présence policière, jus­ depuis plusieurs semaines. Le lumé – que Carrie Lam s’était fait
la périphérie d’Istanbul, révèle à Autoritarisme croissant tice rendue sous l’effigie d’Ata­ plus grand parti, le DAB (Alliance vertement insulter, samedi
quel point cette affaire judiciaire, Une détente attribuée par cer­ türk – autant l’acte d’accusation, démocratique pour le progrès et 15 juin, par une autre députée du
suivie bien au­delà des limites tains à l’élection, la veille, 2013. A l’époque, 3,5 millions de auquel Le Monde a pu avoir accès, l’amélioration de Hongkong), camp pro­Pékin, Alice Mak, pour
d’Istanbul, est surdimensionnée, d’Ekrem Imamoglu, le candidat Turcs étaient descendus dans la est vide. Accusés, entre autres, qui passe pour l’émanation lo­ sa mauvaise gestion de cette
théâtrale, irréelle. La fine fleur de de l’opposition qui a ravi la mairie rue pour s’élever contre l’autori­ d’avoir « fomenté une insurrec­ cale mais non officielle du Parti crise, les deux femmes termi­
l’intelligentsia turque se retrouve d’Istanbul aux islamo­conserva­ tarisme croissant de Recep Tayyip tion organisée » par le biais communiste chinois, a fait sa­ nant la réunion en pleurs.
sur le banc des accusés, entre teurs, leur fief depuis vingt­cinq Erdogan, alors premier ministre, d’« une manipulation organisée voir, dimanche 23 juin en fin de
autres le philanthrope Osman Ka­ ans. Sa victoire, son assurance aujourd’hui président. Partie depuis l’étranger », les seize sont journée, qu’il ne s’opposerait pas Violences policières
vala et Yigit Aksakoglu, le repré­ tranquille, sa libre parole ont con­ d’un projet d’urbanisme contro­ les victimes d’un procès fabriqué à la chef de l’exécutif, Carrie Lam, L’incident a surtout révélé l’im­
sentant de la fondation néerlan­ tribué à estomper la peur qui s’est versé consistant à couper des ar­ de toutes pièces. si celle­ci « retirait » le projet de patience grandissante au sein du
daise Bernard van Leer en Tur­ emparée de la société turque ces bres dans le centre d’Istanbul, la « En juillet 2012, Osman Kavala loi sur l’extradition. camp censé soutenir le gouver­
quie, tous deux écroués depuis dernières années. Il n’est pas cer­ contestation, appelée « mouve­ et des représentants d’Open So­ Ce texte est au cœur du plus nement, qui s’inquiète des con­
des mois à la prison de Silivri. tain que ce moment de grâce ait ment de Gezi », s’est rapidement ciety [l’ONG du milliardaire amé­ grand mouvement de contesta­ séquences politiques de ce fiasco
Les autres prévenus compa­ un effet réel sur ce procès. propagée à l’ensemble du pays, ricain d’origine hongroise tion qu’a jamais connu la ville. sur les résultats des prochaines
raissent libres, dont l’architecte Auditionné, Osman Kavala, visi­ jusqu’à devenir la première George Soros] ont voyagé pen­ Malgré l’annonce de sa suspen­ élections, à commencer par les
Mucella Yapici, l’urbaniste blement amaigri après six cents grande manifestation organisée dant vingt­cinq jours en Belgique, sion, le 15 juin, 2 millions de per­ élections municipales (District
Tayfun Kahraman et la docu­ jours de détention, a réfuté toutes contre la gestion autoritaire du en Allemagne, aux Etats­Unis sonnes étaient descendues dans la Councils) de novembre et les
mentariste Cigdem Mater. Réfu­ les accusations portées contre lui. numéro un turc. Violemment ré­ puis à nouveau en Allemagne, ce rue le lendemain, vêtues de noir, élections législatives de 2020.
giés en Europe, les artistes Meh­ Non, il n’a jamais cherché à « ren­ primé – neuf morts, des milliers qui établit un lien entre ces voya­ pour en exiger le retrait total. Lors Par ailleurs, 36 anciens hauts
met Ali Alabora et Ayse Pinar Ala­ verser le gouvernement », comme de blessés –, le mouvement prit ges et la coordination des événe­ d’une interview télévisée diman­ fonctionnaires et personnalités
bora, ainsi que le journaliste on le lui reproche. « Je n’ai jamais fin après quelques semaines. ments de Gezi », stipule l’acte che 23 juin, Starry Lee, la chef de de la vie politique ont cosigné un
d’opposition Can Dündar sont été, de ma vie, partisan du change­ d’accusation. Réitérées à lon­ file du DAB, a indiqué que « si le appel au « retrait total » du projet
jugés en leur absence. ment de gouvernements autre­ Procès fabriqué de toutes pièces gueur de pages, ces élucubra­ gouvernement [pensait] que cela de loi. Ils demandent une com­
L’audience de lundi a été consa­ ment qu’à travers des élections li­ Pour avoir tenté de jouer les inter­ tions n’ont fait que confirmer la aiderait à garder la société unie, mission d’enquête sur les violen­
crée aux auditions d’une partie bres », a­t­il rappelé. Yigit Aksako­ médiaires entre les autorités et dérive de l’appareil judiciaire nos partisans comprendraient ». ces policières suspectées lors de
des accusés, ponctuées par les ap­ glu, son co­accusé, a demandé les contestataires, les seize sont en Turquie, surtout depuis la Elle a ajouté que le choix de « sus­ la manifestation du mercredi
plaudissements, les éclats de rire pour sa part à retrouver sa liberté désormais assimilés à des puts­ tentative de coup d’Etat du pendre » le projet de loi s’était ré­ 12 juin, qui a tourné à l’émeute
et les clameurs de la salle remplie au plus vite, afin d’« aller chercher chistes. Le procureur réclame la 15 juillet 2016, qui fut prétexte à vélé « confus et inapproprié », un alors que l’immense majorité des
par les amis, la famille, des dépu­ les enfants à l’école ». perpétuité. Son intransigeance une vaste purge, entre autres désaveu de Mme Lam et une incita­ participants, des jeunes pour la
tés turcs de l’opposition, des mili­ Les crimes qui leur sont repro­ s’explique par l’identité des par­ parmi les magistrats.  tion à mettre un terme, de toute plupart, étaient paisibles. 
tants des droits humains, des di­ chés remontent au printemps ties civiles, soit l’ensemble du marie jégo urgence, à cette crise majeure. florence de changy

Le Conseil de l’Europe lève


ses sanctions contre la Russie

bellross.com
L’Assemblée parlementaire de l’institution avait privé le pays

Instruments de mesure du temps du cockpit au poignet


de ses droits de vote en 2014, après l’annexion de la Crimée

moscou ­ correspondant nir l’unité d’une organisation qui sident de la Douma (la Chambre

D
fête ses 70 ans d’existence. basse du Parlement russe) et
eux cent vingt­deux « Ici, nous ne traitons pas de géo­ membre de la délégation. Celle­ci
amendements déposés, politique, les valeurs que nous dé­ devrait être en mesure de partici­
plus de neuf heures de fendons sont les valeurs des droits per dès mercredi à l’élection du
débats, des groupes politiques di­ de l’homme », a fait valoir la secré­ nouveau secrétaire général.
visés et des noms d’oiseaux taire d’Etat aux affaires européen­ Parmi les dix­huit membres de
échangés dans une Assemblée nes, Amélie de Montchalin, en cette délégation, quatre font l’ob­
d’ordinaire habituée aux discus­ ouverture de séance, alors que jet de sanctions de la part de
sions feutrées menées dans un re­ Paris occupe la présidence tour­ l’Union européenne et sont donc
latif anonymat. Certes attendu, le nante du Conseil. «Il ne s’agit pas théoriquement interdits d’entrée
vote entérinant le retour de la d’un débat pour ou contre la Rus­ sur le sol européen. Non encore
42mm

Russie au sein de l’Assemblée par­ sie. (…) Les sanctions n’ont pas été dévoilée, la liste des suppléants
lementaire du Conseil de l’Europe efficaces », l’a appuyée la rappor­ pourrait contenir des élus repré­
(APCE), lundi 24 juin, a ébranlé teuse du texte, la sénatrice belge sentant la Crimée annexée,
Automatique

cette institution consacrée à la Petra De Sutter. confirme au Monde M. Tolstoï :


défense des droits humains et de « Comment examiner les droits
l’Etat de droit, distincte de l’Union Guérilla institutionnelle humains en Crimée sans ses repré­
européenne, où se côtoient les En face, la guérilla institution­ sentants ? L’empêcher reviendrait
BR 03-92 Diver Blue

parlementaires envoyés par nelle des opposants à cette levée à interdire les élus venant des terri­
47 Parlements nationaux. des sanctions (pour l’essentiel toires de l’ex­RDA. »
La motion préparant le retour au ukrainiens, britanniques et repré­ Le texte adopté lundi rend aussi
sein de l’Assemblée de la déléga­ sentants de l’est du continent) n’a plus difficile, à l’avenir, l’imposi­
tion russe – délestée des sanctions fait que retarder l’échéance. Le dé­ tion d’éventuelles futures sanc­
adoptées contre elle en 2014, à la pit des représentants ukrainiens tions contre des pays membres.
suite de l’annexion de la Crimée et n’a pas plus pesé. Leur chef de file, La responsabilité d’une telle me­
de la guerre dans le Donbass – a fi­ Volodymyr Ariev, a dénoncé un sure serait à l’avenir partagée par
DIVER 300M

nalement été adoptée dans la nuit « festival d’hypocrisie » et rappelé différents organes du Conseil de
par 118 voix contre 62 (10 absten­ que Moscou n’applique que rare­ l’Europe, et non plus par la seule
tions). Ces sanctions sans compo­ ment les jugements de la CEDH ; Assemblée parlementaire. Selon
sante économique (comme la pri­ un autre prévenait que l’APCE per­ Konstantin Kosatchev, chef du
vation des droits de vote des re­ dait sa crédibilité, après avoir elle­ comité aux affaires internationa­
présentants russes) avaient con­ même fixé par le passé les condi­ les du Conseil de la Fédération,
duit la Russie à suspendre sa tions pouvant conduire à un as­ l’APCE « reconnaît ainsi ses erreurs
participation à l’Assemblée ainsi souplissement des sanctions passées vis­à­vis de la Russie ».
qu’à cesser de verser sa cotisation. – conditions non remplies en Dans la même tonalité, les mé­
Moscou menaçait aussi régulière­ Crimée comme dans le Donbass. dias russes évoquaient eux aussi
ment de quitter définitivement Sans attendre le résultat des vo­ une « victoire » symbolique, qui
l’institution strasbourgeoise. tes, la délégation russe a décollé pourrait en préfigurer d’autres.
C’est principalement ce risque, de Moscou dans la soirée. « Nous Moins triomphaliste, Piotr Tols­
avec comme conséquence celui de allons à Strasbourg pour aider nos toï assurait lundi soir : « Quand le
priver les citoyens russes d’accès à partenaires à surmonter la crise dialogue est renoué, il n’y a pas de
la Cour européenne des droits de qui mine l’institution, qui semble perdant. » Ce qui n’empêchait pas
l’homme (CEDH), organe lié au s’ennuyer de nous, sans pays à ac­ le député de répondre à ceux qui
Conseil de l’Europe, qui a été mis
en avant par les orateurs favora­
cuser de tous les maux… Aucune
question en Europe ne peut être ré­
demandent désormais un geste à
la partie russe, comme une libéra­ TIME INSTRUMENTS
bles au retour russe. De même que solue sans le pays le plus grand », tion de prisonniers ukrainiens : FROM THE COCKPIT TO THE WRIST
le vide financier créé par son éven­ commentait, sur le chemin de « Notre retour est déjà un geste. » 
tuel départ ou le besoin de mainte­ l’aéroport, Piotr Tolstoï, vice­pré­ benoît vitkine
6 | planète 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

La lutte contre les « passoires thermiques » divise


Des députés LRM veulent interdire la location des logements énergivores, contre l’avis du gouvernement

L
e premier ministre,
Edouard Philippe, l’a pro­
« Les sommes
mis lors de son discours consacrées au
de politique générale, le
12 juin : l’acte II du quinquennat
crédit d’impôt
sera écologique. Le projet de loi transition
relatif à l’énergie et au climat qui
arrive, mardi 25 juin, en première
énergétique
lecture à l’Assemblée nationale, ont été divisées
est l’occasion de concrétiser ce
propos. Le texte, à l’origine com­
par deux »
posé de huit, puis de douze arti­ MATTHIEU ORPHELIN
cles, en compte finalement, à l’is­ député non inscrit, ex-LRM
sue du travail en commissions,
une trentaine de plus, et il est as­
sorti de 750 amendements. dans le flou juridique et financier
L’article premier affirme, ou actuel, rien ne se fera.
réaffirme, l’objectif de parvenir, Le gouvernement propose, en
avant 2050, à la neutralité car­ guise de lot de consolation, d’in­
bone entre émission et absorp­ tégrer dans les critères qui défi­
tion de gaz à effet de serre. Cela re­ nissent le logement décent sa per­
vient à diviser ces émissions par formance énergétique, avec un
six au lieu de quatre, tel qu’inscrit seuil minimal de consommation
dans la précédente loi relative à la au­dessous duquel soit il n’est pas
transition énergétique pour la possible de le louer, soit le loca­
croissance verte, du 17 août 2015. taire peut faire baisser son loyer
ou exiger des travaux. « C’est une
Enjeu climatique et social vieille idée qui remonte à 2009, se
Or, les immeubles de tous types souvient Manuel Domergue, de la
consomment, à eux seuls, 45 % de Fondation Abbé Pierre, déjà ins­
l’énergie du pays et émettent 25 % crite dans la loi de 2015 mais affa­
des gaz à effet de serre. Le résiden­ die par son décret d’application de
tiel représente 31 % de la consom­ mars 2017, puisque avait disparu le
mation et 10 % des émissions et sa critère de “seuil de consomma­
rénovation massive, programmée tion” pour celui, assez vague,
de plan en plan depuis 2012, prend “d’étanchéité à l’air” ».
du retard. L’objectif de mettre aux
normes 500 000 logements par Seuls les bailleurs sociaux font (LRM), emmené par Marjolaine La députée compte cependant nieuse et pas si coûteuse que cela, Mesure improvisée
an, dont 120 000 logements so­ le travail sur leur propre parc, Meynier­Millefert (Isère), coani­ revenir à la charge dans l’hémicy­ puisqu’il se renfloue au fil des ven­ « Toutes les “passoires énergéti­
ciaux et 150 000 « passoires ther­ dont il ne reste que 20 % des loge­ matrice du plan de rénovation cle et elle a signé, lundi 24 juin, tes qui interviennent, en moyenne, ques” F et G ne sont pas des loge­
miques », n’a jamais été atteint. ments à réhabiliter, mais ce n’est énergétique des bâtiments, a pris avec 34 de ses collègues et une tous les sept ans. Il faut une mise ments indécents, un qualificatif
En 2018, seuls 290 000 chan­ pas le cas du parc privé, notam­ le premier ministre au mot et veut quinzaine d’institutions – la Fon­ de départ, à inscrire au budget que l’on peut réserver à ceux qui
tiers de rénovation étaient enga­ ment locatif, dont 43 % des passer à l’action. Leur amende­ dation Nicolas­Hulot pour la na­ 2020, mais où la trouver ? Il y a de consomment plus de 700 kWh
gés, dont 90 000 vraiment per­ 7,2 millions de logements sont ment propose d’interdire pure­ ture et l’homme, la Fondation quoi s’inquiéter du fait que, au par mètre carré annuel, soit envi­
formants et faisant gagner deux des « passoires thermiques ». ment et simplement la location Abbé Pierre, le Secours catholi­ nom de l’équilibre budgétaire, les ron 200 000 », rectifie­t­on au
grades dans l’échelle des consom­ C’est un enjeu non seulement cli­ des passoires thermiques, d’ici à que, le syndicat CFDT, le think sommes consacrées au crédit ministère de la transition écolo­
mations d’énergie. Reste à traiter matique, mais aussi social, puis­ 2025 dans les zones tendues et tank Terra Nova –, une lettre d’impôt transition énergétique gique et solidaire. Pour Manuel
en priorité 7,4 millions de loge­ que ces appartements énergivo­ 2028 ailleurs. Mais, bien qu’adopté ouverte au premier ministre qui aient, dans le budget 2019, été divi­ Domergue, « on se battra pour
ments étiquetés F et G, c’est­à­dire res sont habités par des ménages en commission du développe­ rappelle les propositions du can­ sées par deux », déplore­t­il. faire baisser ce seuil, s’il est voté,
qui consomment plus de 350 ki­ modestes ainsi soumis à des ni­ ment durable, il a dû être retiré à la didat Emmanuel Macron, qui pro­ Quant aux professionnels de mais c’est un premier pas ».
lowattheures (kWh) par mètre veaux de charges insupportables. demande du chef du gouverne­ mettait, en 2017 : « Nous allons l’immobilier, ils regimbent : Face à l’exigence imprévue de
carré et par an – les fameuses Un groupe d’une vingtaine de ment, inquiet des risques de bou­ lancer un grand plan Marshall de « Cette mesure hérisse les bailleurs ses députés, le gouvernement
« passoires thermiques ». députés La République en marche leversement du marché locatif. la rénovation du bâtiment (…). Les au moment où l’offre locative est semble improviser. Une mesure
passoires énergétiques seront in­ déjà insuffisante dans les zones spectaculaire a ainsi été intro­
Flou juridique et financier terdites à la location à partir de tendues, plaide Frédéric Verda­ duite in extremis. Elle vise en­
Des bailleurs pas si pauvres « La majorité est très divisée sur 2025 (…). A cette fin, via un fonds vaine, directeur général délégué core les passoires thermiques F
cette question, entre ceux préoccu­ public, nous prendrons intégrale­ de Nexity, premier promoteur, et G. Lors de leur vente, et après
Les associations de propriétaires mettent souvent en avant le pés d’écologie, qui ne veulent pas ment en charge les travaux des gestionnaire et syndic de France. un audit chiffrant les travaux
cas des propriétaires impécunieux, par exemple celui d’un agri- voir sans arrêt repousser les propriétaires les plus précaires, On risque de freiner la fluidité du à réaliser, 5 % du prix serait sé­
culteur qui aurait hérité d’une maison familiale qu’il n’a pas les échéances, et les élus plus proches avec un remboursement au mo­ marché locatif. » questré pour financer la mise
moyens de rénover… Si certains bailleurs ont, en effet, des diffi- du monde du logement, explique ment de la vente du bien. » Les trois quarts des logements aux normes. Une idée sédui­
cultés financières, ce n’est pas le cas de tous : un rapport de l’Ins- Mme Meynier­Millefert. J’ai cons­ « Traiter les passoires thermi­ concernés sont situés dans des sante, mais qui soulève des ques­
pection générale des finances et du Conseil général de l’environ- cience que bloquer la location de ques est l’un des leviers essentiels copropriétés et leurs propriétai­ tions : qui réalise l’audit ? Chez
nement et du développement durable, paru en juillet 2018, ces biens jusqu’à ce qu’ils soient pour agir et il serait incongru que res n’ont donc pas, seuls, le pou­ qui consigner la somme ? Com­
révèle que 218 000 « logements passoires » sont détenus par des mis aux normes peut être anxio­ rien ne figure à ce sujet dans le voir de décider de lourds tra­ ment contrôler la bonne fin des
propriétaires « très modestes », et 200 000 par des propriétaires gène. » La divergence existe aussi texte », estime Matthieu Orphe­ vaux : c’est à la copropriété de les travaux ? Dans quel délai les réa­
« modestes», mais la grande majorité, soit 2,8millions, par des au sein du gouvernement, entre le lin, député (non inscrit, mais LRM entreprendre. Cet obstacle de­ liser ? Des questions qui devront
bailleurs « aisés », parmi les 30 % de Français les plus riches. Plus ministre de la transition écologi­ jusqu’en février) du Maine­et­ vrait être levé par une ordon­ être tranchées au moins en par­
du tiers d’entre eux, 36 %, sont même multipropriétaires et 9 % que, François de Rugy, et celui du Loire, proche de Nicolas Hulot. nance visant à simplifier ce pro­ tie lors du débat parlementaire. 
détiennent, à eux seuls, 31 % du parc. logement, Julien Denormandie. « L’idée de ce fonds public est ingé­ cessus de décision. En attendant, isabelle rey­lefebvre

Mieux isoler les habitations, une alternative à la climatisation


Pour faire face aux vagues de chaleur, le recours aux climatiseurs, polluants et gros consommateurs d’énergie, est en augmentation

F roid l’hiver, chaud l’été : les


températures extérieures
traversent les murs des lo­
gements avec une intensité varia­
ble, fonction de la qualité de l’isola­
en 2050, soit 10 climatiseurs ven­
dus par seconde pendant les
trente prochaines années, selon
le rapport The Future of Cooling
de l’agence internationale de
gorigènes qui sont un puissant
gaz à effet de serre. Calorifique, elle
est en partie responsable de la
« surchauffe urbaine », en aug­
mentant de 1 à 1,5 °C la température
En séchant,
le linge
et la terre cuite
Sous les toitures de zinc, ils sont
particulièrement efficaces : « La
chaleur du soleil qui tape sur les
toits à midi mettra entre dix et
douze heures avant d’entrer dans
beaucoup d’électricité. Seule con­
trainte : la hauteur de plafond du
logement doit atteindre au
moins 2,80 mètres, sans quoi les
pales peuvent vite devenir op­
tion du bâtiment. Alors que les ca­ l’énergie, publié en mai 2018. Aux des îlots de chaleur en ville. Sur­ humides le logement, et elle sera atténuée pressantes.
nicules, dont un épisode est en Etats­Unis, 90 % des ménages tout, « les climatiseurs portables dégagent de l’eau de 60 %, soit un surplus de chaleur
cours, sont appelées à se multi­ sont équipés d’un climatiseur. La sont intrinsèquement inefficaces, final de un ou deux degrés maxi­ Refroidissement naturel
plier, avec des pics de chaleur à consommation électrique de ces car il est nécessaire de laisser une évaporée, mum », illustre Stéphane Mer­ Il est aussi possible de créer un re­
50 °C, voire davantage, selon les appareils équivaut à celle du con­ fenêtre ouverte pour qu’ils fonc­ ce qui crée une laud. Bémol : l’effet d’atténuation froidissement naturel avec les
scénarios les plus pessimistes, les tinent africain entier. « En France, tionnent, ce qui est une aberration ne se vérifie que si l’épaisseur du moyens du bord. Par exemple, en
permis de construire et devis pour selon les estimations de l’étude puisque l’air chaud de l’intérieur est climatisation mur atteint 30 à 40 centimètres. faisant sécher du linge très hu­
travaux intègrent de plus en plus préparatoire à la révision de la ré­ évacué à l’extérieur, souligne Léo naturelle Ce qui peut être problématique, mide à l’intérieur des pièces ou
le « confort d’été», au même titre glementation européenne “Eco­ Pardo. En outre, entre un réglage à quand la surface de toiture est encore en humidifiant un pot de
que « le confort d’hiver » du bâti. conception des climatiseurs”, envi­ 28 °C et à 26 °C, vous consommez restreinte, notamment en milieu terre cuite préalablement arrosé
« Les vagues de chaleur vont ron 500 000 unités sont vendues deux fois plus d’électricité. Entre ouvertures d’une maison. Sous les urbain, où les logements sont de dans une bassine.
doubler ou tripler de fréquence. Il par an, et on devrait atteindre les 28 °C et 24 °C, c’est quatre fois plus. » toits, « la plupart des isolants utili­ taille réduite. Quant au coût, la En séchant, le linge et la terre
est donc urgent d’adapter nos ha­ 1 250 000 ventes en 2050 », détaille sés sont efficaces uniquement en demande d’isolants biosourcés cuite dégagent de l’eau évaporée,
bitudes, mais aussi les formes ur­ Leo Pardo, responsable du suivi Ventilateurs plafonnés hiver », relève Stéphane Merlaud, croissant, la ouate de cellulose ce qui crée une climatisation natu­
baines », observe Charlotte Izard, énergétique des appareils électro­ Reste que, dans une majorité de conseiller info énergie climat à (qui n’est autre que du papier relle, recommande Julien Dossier,
responsable climat et territoire ménagers au réseau CLER. Soit un villes de France, en particulier cel­ l’Agence parisienne du climat. Tel journal recyclé) est aussi bon directeur du cabinet de conseil
au Réseau action climat. passage de 4,8 millions à 5,5 mil­ les situées au nord de la Loire, peu le polystyrène qui, en été, laisse marché qu’un isolant comme le Quattrolibri : « En Inde, la méthode
Pour faire face aux assauts de lions d’unités entre 2011 et 2015… d’habitations ont été conçues passer la chaleur au bout d’une polystyrène et la laine de verre. du beehive cooling, qui consiste à
chaleur, la tendance mondiale est et à 13 millions en 2050. pour affronter la chaleur. Le béton heure. Les deux meilleurs isolants En attendant de se lancer dans empiler des pots en terre cuite de­
actuellement à l’achat intensif de Energivore, la climatisation re­ est omniprésent, des murs jusque sont la ouate de cellulose et la fibre ces travaux d’isolation, les venti­ vant les maisons, crée un différen­
climatiseurs. On passerait ainsi présente 10 % de la consomma­ dans les terrasses, véritables gouf­ de bois, qu’il est possible de souf­ lateurs plafonnés sont aussi un tiel de température de plus de 10 °C
de 1,6 milliard d’appareils instal­ tion électrique mondiale. Pol­ fres d’air chaud emmagasiné le fler dans les combles en panneaux bon parti, brassant l’air faute de entre l’extérieur et l’intérieur. » 
lés dans le monde à 5,6 milliards luante, elle rejette des fluides fri­ jour et renvoyé la nuit sur les ou en rouleaux. le refroidir, sans consommer soazig le nevé
FRANCE | 7
0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

La Cour de cassation face à l’affaire Lambert
Réunie en assemblée plénière lundi, la haute juridiction doit rendre sa décision vendredi 28 juin

C LES DATES
omment mettre un traitements au nom du droit à la privée n’en font pas partie. La citoyens. « La cour d’appel a pris la
terme à ce marathon vie, tandis que la femme et la plu­
Le procureur CEDH, qui consacre le droit à la seule décision qui n’avait pas un ef­
devant les tribunaux ? part des frères et sœurs appuient général vie, a d’ailleurs considéré que les fet irréversible », a­t­elle plaidé.
Après trente­quatre dé­ la décision de l’équipe médicale modalités de la décision de l’arrêt Mais les conditions de cette dé­
a demandé aux
cisions juridictionnelles concer­
nant Vincent Lambert, c’est
prise au nom de la non­obstina­
tion déraisonnable inscrite dans magistrats de la
des soins de M. Lambert ne le vio­
laient pas et respectaient au con­
cision ont été critiquées. « Ce pro­
cès a été inéquitable », a ainsi ac­ 4 AVRIL 2018
maintenant au tour de la Cour de la loi Claeys­Leonetti de 2016. traire le droit à la dignité. « La cour cusé Madeleine Munier­Apaire, Pour la troisième fois, après
cassation de se pencher sur le cas A l’issue de deux heures de dé­
haute juridiction d’appel a créé une catégorie de li­ avocate d’une partie des frères et 2013 et 2014, l’équipe du CHU
de cet homme de 42 ans, main­ bats, le procureur général Fran­ de casser l’arrêt berté suprême qui n’a aucun fonde­ sœurs et d’un neveu. « Où était le de Reims décide, selon la procé-
tenu en état végétatif irréversible çois Molins, qui a choisi cette af­ ment », a souligné le procureur contradictoire ? », a­t­elle inter­ dure prévue par la loi Leonetti
depuis plus de dix ans. faire pour « monter à l’audience »
de la cour d’appel général. Le juge judiciaire n’était rogé, alors que seuls les parents de 2005, l’arrêt des traitements
Dans sa formation la plus solen­ pour la première fois depuis son donc pas compétent, conclut­il. de M. Lambert et une association de Vincent Lambert.
nelle, l’assemblée plénière, com­ arrivée quai de l’Horloge, en no­ L’autre débat que va devoir tran­ pro­vie étaient présents, et que
posée de dix­neuf magistrats,
l’institution judiciaire suprême
vembre 2018, a tenu à circonscrire
la question soumise à la Cour.
par le docteur Sanchez. Pour s’es­
timer légitimes sur ce dossier, les
cher la Cour de cassation porte
sur la nature juridique des mesu­
les juges ont visionné une vidéo
montrant le patient, sans rapport 24 AVRIL 2019 
va rendre, vendredi 28 juin, sa dé­ « Elle n’est pas saisie de la question juges des référés de la cour d’ap­ res conservatoires, en l’occur­ avec la question de droit qu’ils Le Conseil d’Etat, qui avait déjà
cision sur les pourvois de l’Etat et de la fin de vie de Vincent Lambert, pel ont invoqué une « voie de fait » rence la suspension de l’arrêt des avaient à trancher. validé le 24 juin 2014 l’arrêt
de l’hôpital de Reims contre l’ar­ ni du bien­fondé des décisions mé­ de l’administration, autrement soins, demandées le 3 mai par le M. Molins a solennellement de­ des traitements, rejette le
rêt de la cour d’appel de Paris du dicales prises à son égard. Ce pro­ dit une violation manifeste d’une Comité des droits des personnes mandé aux dix­neuf magistrats de recours des parents du patient.
20 mai ordonnant la reprise des cès n’est pas non plus celui de la loi liberté individuelle par l’Etat. handicapées des Nations unies la haute juridiction de casser, sans
traitements. Quelques heures
plus tôt, l’équipe du docteur Vin­
Leonetti », a­t­il souligné. C’est la seule exception qui per­
met au juge judiciaire d’aller sur
(ONU). Ce comité d’experts, qui
n’est pas une juridiction, deman­
renvoi, c’est­à­dire sans nouvel
examen, l’arrêt de la cour d’appel. 3 MAI
cent Sanchez, chef de l’unité de Marathon de procédures le terrain du juge administratif. dait ces mesures le temps d’exa­ Sinon, a­t­il prévenu, « cela remet­ Le comité des droits des person-
patients cérébrolésés du centre Ce procès est seulement celui de L’arrêt estime que le droit à la miner la requête déposée in ex­ trait en cause notre ordonnance­ nes handicapées de l’ONU de-
hospitalier universitaire (CHU) de l’arrêt de la cour d’appel du vie a été violé par l’Etat. M. Lé­ tremis par les parents du patient. ment juridique », sans parler de la mande de prendre des mesures
Reims, avait commencé le proto­ 20 mai, où trois juges saisis en cuyer y voit un « raisonnement Or, les « recommandations » ou « remise en question immédiate de conservatoires le temps d’exami-
cole avec une sédation profonde référé avaient tenu une audience anthropomorphique spécieux « avis » de ce comité ne s’impo­ la loi Leonetti ou de la loi sur l’inter­ ner la requête des parents.
accompagnant l’arrêt de l’alimen­ après 17 heures avant de rendre basé sur l’idée que s’il n’y a pas de sent pas aux pays signataires. ruption volontaire de grossesse ». La France répond ne pas être
tation et de l’hydratation, devant leur décision le soir même, sem­ vie, il n’y a pas de liberté ». Selon Claire Le Bret­Desaché, avocate L’avocat du CHU de Reims, Do­ engagée par cette demande.
mener à la mort du patient. blant prendre le contre­pied de Patrice Spinosi, avocat de Rachel des parents de Vincent Lambert, a minique Foussard, a demandé de
Dans cette affaire qualifiée de
« vertigineuse » par Guillaume
toutes les décisions de justice
précédentes, jusqu’à celles du
Lambert, la femme de Vincent
Lambert, la cour d’appel a « tota­
demandé « quelles raisons excep­
tionnelles pouvaient empêcher de
ne pas oublier le médecin, « le pi­
vot en droit et en fait. C’est lui qui a 20 MAI
Lécuyer, avocat de l’Etat, la mère Conseil d’Etat et de la Cour euro­ lement dénaturé la voie de fait, de prendre ces mesures conservatoi­ la responsabilité écrasante de faire Le CHU de Reims arrête les trai-
et la femme, également tutrice, de péenne des droits de l’homme façon grossièrement contraire à res pour Vincent Lambert ? Il n’y a la conciliation entre le droit à la tements. Mais le même jour,
Vincent Lambert se sont retrou­ (CEDH). Le raisonnement retenu toutes les jurisprudences ». aucune urgence à le tuer, son état vie, le droit à la dignité, et celui de la cour d’appel de Paris ordonne
vées assises l’une derrière l’autre par la cour d’appel a été mis à mal. M. Molins a ainsi rappelé la juris­ est stabilisé, il respire seul, il ne souf­ ne pas subir une obstination dérai­ la reprise des traitements.
sous les ors de la Grand’chambre. Jusqu’ici, les juridictions admi­ prudence du Conseil constitu­ fre pas ». L’avocate souligne tout sonnable. A côté, il y a le juge, qui
Mais c’est par la voix de leurs avo­ nistratives avaient été reconnues tionnel cantonnant la liberté indi­ simplement que le non­respect doit débusquer les erreurs ou les
cats respectifs que les membres compétentes dans ce marathon viduelle, dont l’autorité judiciaire des mesures conservatoires em­ insuffisances dans le processus de
de cette nombreuse famille s’af­ de procédures pour discuter, et est la gardienne, à la question de la pêcherait l’examen du recours par décision du médecin. Mais ensuite,
frontent depuis des années. Les en l’occurrence valider, la déci­ détention arbitraire. Le droit à la le comité de l’ONU, ce droit à sai­ le juge doit rester en retrait ». 
parents s’opposent à l’arrêt des sion d’arrêt des traitements prise vie ou le droit au respect de la vie sine que la France a reconnu à ses jean­baptiste jacquin

Sursollicitation, manque de moyens :


les pompiersen grève cet été Shirtmakers since 1899
Le mouvement, annoncé du 26 juin au 31 août, n’aura pas d’impact

19
sur la prise en charge des personnes, selon le ministère de l’intérieur

E S É T É 2 0
A l’initiative de sept syndi­
cats, qui ont envoyé leur
« On nous appelle taux d’incendie et de secours], ou
la limitation du temps d’attente SOLD MERCRE DI 26 JUIN
À PARTIR DUy, the more discount you get* »
préavis directement à trop souvent des pompiers aux urgences. »
Christophe Castaner, les sapeurs­ Pas de « recrutement massif » au
pompiers doivent commencer,
pour des choses programme, cependant. « La so­
qui ne sont pas
mercredi 26 juin, une grève pré­ lution consiste plutôt à ne faire
ou bu
vue pour durer jusqu’au 31 août.
Au ministère de l’intérieur, on se
dans notre sortir les pompiers que quand
c’est nécessaire, estime Olivier « The more y
veut rassurant : « Le mouvement périmètre » Richefou, président de la Confé­

de -- 30 % à -- 60 %
n’aura pas d’impact sur la prise en rence nationale des SDIS, et re­
SÉBASTIEN DELAVOUX
charge de nos concitoyens. » Tenus présentant de l’Assemblée des
syndicaliste CGT
d’assurer un service minimum, départements de France – les­
les grévistes se contenteront quels paient les salaires des pom­
d’inscriptions sur les casernes, les piers. La mise en place d’un nu­
véhicules et les tee­shirts, ou de personnes » représente 84 % des méro unique et de plates­formes
brassards lors des interventions. interventions, contre à peine plus d’appels départementales com­
Les signataires – qui représen­
tent 85 % des 40 500 pompiers
professionnels de France, et ap­
de 50 % au début des années 2000.
« On nous appelle trop souvent
pour des choses qui ne sont pas
munes aux acteurs de l’urgence
(SAMU, pompiers, police et gen­
darmerie) permettrait de réduire
Sur chemises, cravates, pyjamas,
pellent les 195 000 pompiers vo­
lontaires à les soutenir – récla­
dans notre périmètre, déplore Sé­
bastien Delavoux. Parce que si
le nombre d’interventions. »
L’augmentation de la prime de robes de chambre, chemises de nuit
ment notamment « le retrait du vous appelez le 18, il y aura toujours feu ne semble pas plus à l’ordre
projet de loi de transformation de
la fonction publique », « une reva­
quelqu’un pour vous répondre. » du jour, six mois après les aug­
mentations consenties aux poli­
et de nombreux autres articles
dont les chapeaux BATES
lorisation de la prime de feu à Hausse des violences ciers et gendarmes lors du mou­
28 % » – comme la prime de risque « En cas d’ivresse sur la voie publi­ vement des « gilets jaunes », et
des gardiens de la paix –, contre que, par exemple, la police devrait quelques jours après le déblocage
19 % actuellement, et un « recrute­ verbaliser l’individu et le placer en de 70 millions d’euros en faveur
ment massif » pour combler les dégrisement, expose André Go­ des urgentistes en grève. « Cela
retti. Mais comme la police man­ coûterait 130 millions d’euros, cal­
DIMANCHE 30 JUIN
besoins. Les 12 500 pompiers de
Paris et de Marseille, ayant le sta­ que d’effectifs, on nous appelle cule Olivier Richefou, et les dépar­
tut de militaires, ne sont pas pour emmener l’individu aux ur­ tements n’ont pas 130 millions

7 & 21 JUILLET
concernés par le mouvement. gences. » Les syndicats dénoncent d’euros pour cela. »
« Il s’agit surtout d’exprimer le en chœur une « sursollicitation » Les pompiers attirent par
ras­le­bol général, explique André due aux « carences de l’Etat », révé­ ailleurs l’attention sur les violen­
Goretti, président de la Fédéra­ latrice des déserts médicaux, du ces à leur encontre, qui connais­
tion autonome des sapeurs­pom­ vieillissement de la population, et sent une hausse inquiétante :
piers professionnels (FA/SPP­ d’une organisation défaillante en­ en 2015, 1 939 déclaraient avoir été
PATS), premier syndicat du mé­
tier. On nous demande chaque an­
tre le SAMU, qui dépend du minis­
tère de la santé, et les pompiers.
victimes d’une agression. Ils
étaient 2 813 en 2017, selon l’Obser­ 252, rue de Rivoli (place de la Concorde)
née d’assurer de plus en plus de Place Beauvau, on assure « par­ vatoire national de la délinquance
missions avec de moins en moins tager » ce constat : « Des groupes et des réponses pénales. Le minis­
d’effectifs. Le service public de se­
cours est malade. »
« De 2003 à 2018, rappelle Sébas­
de travail réfléchissent aux
moyens de faire baisser la pres­
sion au niveau de la prise en
tère de l’intérieur a demandé, en
mars, à tous les préfets « d’établir
un diagnostic sur la sécurité des
Tél. : 01.42.60.36.09
tien Delavoux (CGT), on est passé charge des personnes, comme le pompiers », et lancera en septem­
de 3,5 à 4,6 millions d’interventions rapprochement entre les ARS bre « une campagne nationale de
*plus d’achat, plus de remises.
par an », un chiffre en hausse de [agences régionales de santé] et sensibilisation » sur le sujet. 
7 % chaque année. Le « secours aux les SDIS [services départemen­ henri seckel
8 | france 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

FINANCES  PUBLIQUES

Bruno
Le Maire,
ministre
des finances,
et Gérald
Darmanin,
ministre
de l’action et
des comptes
publics,
à l’Assemblée
nationale,
le 5 juin.
CHRISTOPHE
MORIN/IP3

Baisses d’impôts, déficit en surchauffe


La Cour des comptes met en garde l’exécutif contre le dérapage des finances publiques, dans un rapport publié mardi

L
es mesures pour le pouvoir « La difficulté est double. Il faut trouver le avril à la Commission européenne], d’un rieur à celui de 2019 (3,1 %) et largement en
d’achat étaient utiles. Mainte­ moyen de baisser les dépenses demandées montant compris entre 0,1 et 0,3 point de PIB deçà du plafond des 3 % exigé par les règles
nant, il faut les payer. Et là, on ga­ par les ministres, tout en ayant moins de re­ [soit environ 2 à 6 milliards d’euros]. » européennes. La faiblesse des taux d’intérêt
lère. » Les propos de cette source cettes », résume cette source gouvernemen­ En cause, la réindexation des petites pen­ par rapport aux dernières prévisions offre
gouvernementale résument le tale. Aux côtés des ministères que des lois de AUX 10 MILLIARDS DE  sions et le relèvement du minimum contri­ également à Bercy un coussin de sécurité de
défi qui occupe l’exécutif en ce
début d’été. Après un hiver de crise sociale
programmation pluriannuelles préservent
de coupes claires comme la défense, certains
MESURES D’URGENCE  butif – c’est­à­dire de la pension minimale
versée pour une carrière complète – annon­
plusieurs milliards d’euros.
Pour la fin du quinquennat, les magistrats
marqué par le mouvement des « gilets jau­ reprennent les annonces du 25 avril pour ré­ ANNONCÉES FIN 2018  cés le 25 avril, qui vont coûter 1,5 milliard observent cependant « de nombreuses fragili­
nes », de Bercy à Matignon, conseillers et clamer davantage, à l’image de l’éducation d’euros en 2020. Ces mesures s’ajoutent à la tés » concernant l’évolution des dépenses pu­
ministres s’attellent au budget 2020, qui sera nationale. Selon nos informations, alors que PAR MACRON SONT  baisse de 5 milliards d’euros de l’impôt sur le bliques, dont le redressement est « repoussé
présenté fin septembre et débattu à l’Assem­
blée nationale jusqu’en décembre.
la loi de programmation des finances publi­
ques, votée en janvier 2018, prévoit une
VENUS S’AJOUTER  revenu et à la modification de la trajectoire
budgétaire déjà enregistrée en avril dans le
au­delà de 2020 et très incertain ». Le gouver­
nement a donné des objectifs de ralentisse­
Depuis dix jours, Gérald Darmanin, le mi­ hausse de 3,9 milliards d’euros des crédits LES 5 MILLIARDS DE  cadre du programme de stabilité envoyé à ment de hausse de la dépense en volume
nistre de l’action et des comptes publics, budgétaires en 2020, la première copie ren­ Bruxelles – la prévision de déficit 2020 y (+ 0,4 % en moyenne entre 2019 et 2022, con­
mène les entretiens avec ses homologues du due par les ministères revenait à réclamer BAISSE DE L’IMPÔT  était passée de 0,9 % à 2 % du PIB. En consé­ tre + 1,1 % entre 2012 et 2016), « sans que les
mesures permettant d’y parvenir aient été
gouvernement afin de préparer l’envoi, vers
la mi­juillet, des lettres plafonds. Elles déter­
une enveloppe gonflée de… 14 milliards.
SUR LE REVENU  quence, la trajectoire des finances publiques
est non seulement « moins ambitieuse » précisées », déplorent les auteurs du rapport.
mineront pour chaque ministère les crédits « NOMBREUX RISQUES » PROMISE LE 25 AVRIL qu’auparavant, mais aussi « affectée de nom­
et le nombre de postes qui lui seront alloués. Dans ce contexte tendu, le rapport de la Cour breux risques » pour la suite du quinquennat, UN OBJECTIF QUI S’ÉLOIGNE
Or, en six mois, l’équation s’est compli­ des comptes sur la situation et les perspecti­ estime la Cour. « Le processus de révision des dépenses publi­
quée. Aux 10 milliards de mesures d’ur­ ves des finances publiques, publié mardi « Il sera compliqué de tenir les 2 % de déficit ques, prévu par le programme Action publi­
gence annoncées en décembre 2018 par 25 juin, prend des allures de mise en garde. [prévus en avril]. On devrait être entre 2,1 % et que 2022 lancé fin 2017, a manifestement
Emmanuel Macron – dont la revalorisation La compensation des baisses d’impôts et des 2,3 % l’an prochain », confirme notre source perdu de l’élan », notent­ils. La baisse de la
de la prime d’activité et la défiscalisation des nouvelles dépenses annoncées en avril gouvernementale. Des propos à rebours de masse salariale de l’Etat, qui résulterait
heures supplémentaires – sont venues « reste incertaine », avertissent les magis­ ce qu’annonçait Bruno Le Maire le 2 mai, principalement de la réduction des effectifs,
s’ajouter la baisse de 5 milliards d’euros de trats. Pour la Cour, ces mesures pourraient dans un entretien aux Echos : « La baisse n’est ainsi pas assurée, souligne le rapport.
l’impôt sur le revenu promise le 25 avril par « dégrader la prévision de déficit public pour d’impôts ne sera pas financée à crédit », avait Et d’évoquer l’objectif de 120 000 suppres­
le chef de l’Etat ou encore la réindexation 2020 [par rapport à la prévision envoyée en assuré le ministre de l’économie. Le 19 juin, sions de postes de fonctionnaires, dont
sur l’inflation des petites retraites jusqu’à Gérald Darmanin indiquait lui aussi au 50 000 dans la fonction publique d’Etat,
2 000 euros en 2020. même quotidien économique viser « un dé­ alors que le président de la République a
Désireux de répondre à l’« exaspération Haro sur les impôts de production ficit autour de 2 % en 2020 ». semblé s’éloigner de ce chiffre après le grand
fiscale » des Français, Edouard Philippe a dé­ Dans la lettre adressée le 17 juin en réponse débat. « L’objectif de réduction nette de
taillé, dans son discours de politique géné­ C’est un serpent de mer, porté par le ministre des finances, aux magistrats financiers, les deux locatai­ 50 000 emplois dans la fonction publique
rale du 12 juin, les modalités de la baisse Bruno Le Maire, et le Medef, depuis le début du quinquennat. res de Bercy assurent que les économies qui d’Etat (…) supposerait des baisses d’emploi
d’impôts. Mais le premier ministre est resté Les impôts de production, ces prélèvements qui pèsent sur le restent nécessaires pour financer les mesu­ dans les ministères portant des missions prio­
très discret sur les économies nécessaires foncier, la valeur ajoutée ou les ventes des entreprises, « affectent res d’urgence de décembre (1,5 milliard ritaires », relève le rapport.
pour les mettre en œuvre. Quatre jours plus [leur] compétitivité », conclut une note du Conseil d’analyse éco- d’euros) seront « mises en œuvre au plus tard La Cour des comptes constate également
tard, Gérald Darmanin assurait que le nomique (CAE), à paraître le 25 juin. Pour les économistes de ce dans la loi de finances rectificative de fin de des incertitudes sur les dépenses d’assuran­
gouvernement comptait économiser un think tank rattaché à Matignon, le plus nocif serait la contribu- gestion », et que la trajectoire budgétaire ce­maladie et celles de l’assurance­chô­
milliard d’euros à travers la suppression de tion sociale de solidarité des sociétés (C3S), qui pèse sur le chif- globale sera actualisée dans le rapport pré­ mage. Enfin, elle brocarde l’effort croissant
niches fiscales, et 4 milliards sur les dépen­ fre d’affaires : elle réduit les exportations d’environ 1 % et aug- paratoire au débat d’orientation sur les fi­ de baisse des dépenses en volume, rappe­
ses publiques, citant pêle­mêle les réformes mente la probabilité de faillite. Le CAE suggère de la supprimer nances publiques. Il devrait être publié ven­ lant qu’il tient non pas à un ralentissement
en cours dans les secteurs du logement, des et de financer la perte de recettes pour l’Etat (3,8 milliards dredi 28 juin, avant une discussion mi­juillet de la dépense en valeur mais à une hausse
contrats aidés, de l’audiovisuel public ou le d’euros) en mettant un terme à l’allégement de 1,8 point de coti- à l’Assemblée. de l’inflation. L’acte II du quinquennat pas­
« champ social » (assurance­chômage). Une sations sociales dont bénéficient les employeurs sur les salaires La situation semble, il est vrai, moins criti­ sera à n’en pas douter par d’âpres discus­
manière de maintenir la pression sur les élevés, entre 1,6 et 3,5 smic. « On a déjà fait beaucoup pour les que qu’en 2018. Même avec un dérapage du sions budgétaires. 
intéressés ? entreprises. Ce ne sera pas dans le budget 2020 », dit-on à Bercy. déficit en 2020, ce dernier devrait être infé­ audrey tonnelier
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MERCREDI 26 JUIN 2019

Gilets jaunes: Le Maire et Darmanin, deux profils pour une sortie de crise
Après une année sociale mouvementée, les ministres de l’économie et des comptes publics ont avancé leurs pions depuis Bercy

RÉCIT matraquage fiscal du quinquennat comme la baisse des impôts des Début avril, la publication d’un bâcle de la droite, le projet est en­ d’exister alors que personne ne vou­

D
précédent », selon un conseiller. entreprises dans l’espoir qu’elles court livre politique sur l’Europe, terré. Les tensions autour de la fu­ lait en entendre parler ».
iscrets ou combatifs, Lui, le profil « social populaire » embauchent, n’ont pas été rete­ Le Nouvel Empire (Gallimard, sion Renault­Fiat, à laquelle il met Comme Darmanin, Le Maire a
toujours studieux, ils de Bercy, prônait déjà en décem­ nus. Mais la transformation du 112 p., 10 euros), permet opportu­ un coup d’arrêt brutal début juin, souvent été donné partant. « En
ont été en première ligne bre une solution proche de celle crédit d’impôt pour la compétiti­ nément à Bruno Le Maire de n’arrangent rien. La négociation à deux ans, on a prêté à Bruno des
tout l’hiver. Parce que la révolte finalement annoncée en avril par vité et l’emploi (CICE) en allége­ s’éloigner de l’actualité nationale, l’arraché d’un budget de la zone ambitions à l’intérieur, aux affaires
des « gilets jaunes » a placé la fis­ le chef de l’Etat : « On tient sur la ment de charges, un temps mena­ alors que certains prêtent à l’an­ euro est jugée peu ambitieuse. étrangères, même comme premier
calité au cœur des revendications, CSG et l’ISF, mais on accélère la cée, a tenu bon. cien secrétaire d’Etat aux affaires « Le ministre est fatigué. Ces der­ ministre ! Mais il est toujours à
et parce qu’ils sont deux des baisse d’impôt, on augmente cer­ Aujourd’hui, un conseiller mi­ européennes l’ambition de bri­ nières semaines, il a enchaîné un al­ Bercy, et il y est heureux », dit un
membres les plus politiques du taines prestations comme la prime nistériel assure que les deux têtes guer un poste à Bruxelles. ler­retour au Japon [où il a notam­ proche. Un poste de commissaire
gouvernement, Bruno Le Maire et d’activité et on prend quelques me­ de Bercy étaient, malgré les appa­ ment vu les dirigeants de Nissan], européen ? Son entourage botte
Gérald Darmanin ont été particu­ sures de justice sociale pour faire rences, au diapason sur l’essen­ « Le ministre est fatigué » une nuit de négociations à Luxem­ en touche : « Le ministre aime la
lièrement mobilisés durant la payer les riches », préconisait­il. tiel : « Il n’y a pas eu de friture en­ A la faveur de la campagne pour bourg [sur la zone euro]… », admet politique nationale, il veut être au
crise sociale qui a secoué la pre­ Avec la réussite du prélèvement tre eux. On s’est mis d’accord sur les élections européennes, son son entourage. Mais pas question service des Français. » La prépara­
mière moitié du quinquennat. à la source de l’impôt sur le re­ les scénarios sur lesquels on vou­ nom est évoqué pour remplacer de faire profil bas. Sur Renault, « le tion du budget 2020, priorité de
Les mesures d’urgence sur le venu, réalisée sans heurts au lait faire travailler l’administra­ Jean­Yves Le Drian au Quai d’Or­ ministre est convaincu d’avoir eu Bercy jusqu’en septembre, lui don­
pouvoir d’achat annoncées par 1er janvier, l’ex­sarkozyste a fait ses tion, et on a fait remonter. Même say en cas de remaniement. Mais, raison ». Quant au budget de la nera l’occasion de le confirmer. 
Emmanuel Macron, le 10 décem­ preuves en Macronie. L’Elysée ne si les ministres ont pu, aussi, faire après les bons scores de La Répu­ zone euro, décrié pour son man­ benoît floc'h
bre 2018, avaient donné lieu à l’a pas suivi sur le plafonnement des notes de leur côté. » blique en marche (LRM) et la dé­ que d’ambition, « il a le mérite et audrey tonnelier
une séquence de flottement, du­ des niches fiscales pour les parti­
rant laquelle les « technos » de culiers, ni sur la suppression de la
Bercy ont été accusés de ne pas redevance audiovisuelle, mais s’il
mettre assez rapidement en mu­ faut prendre un peu de liberté avec
sique le cap donné par l’Elysée. les comptes publics, ce n’est pas un
Puis, le brainstorming a agité les problème. En privé, Gérald Dar­
cabinets tout le début de l’année, manin n’a jamais caché qu’il
en vue de la sortie du grand débat n’était « pas un fétichiste budgé­
national. La baisse de 5 milliards taire ». De même, s’il faut forcer la
d’euros de l’impôt sur le revenu main des entreprises : il n’était pas
annoncée le 25 avril par le chef de opposé à l’idée de faire fortement
l’Etat et la suppression de la taxe pression sur elles pour qu’elles
d’habitation pour les 20 % de augmentent les salaires, en leur
Français les plus aisés entre 2021 rappelant la baisse de l’impôt sur
et 2023, rappelée par Edouard les sociétés dont elles bénéficie­
Philippe le 12 juin, n’en sont que ront d’ici à 2022. Quitte à augmen­
les derniers épisodes. ter le smic, d’autorité, si elles fai­
Pourtant, en ce début d’été, les saient la sourde oreille.
deux ministres semblent avoir la
tête ailleurs. Au cinquième étage Galvanisé par la crise
du ministère situé en bord de Au sixième étage de Bercy, Bruno
Seine, Gérald Darmanin, toujours Le Maire aussi a semblé galvanisé
premier adjoint à la mairie de par la crise. « Nous entrons dans
Tourcoing (Nord), n’a jamais fait une période difficile et brutale du
mystère de ses ambitions pour la quinquennat. Le président de la
métropole lilloise. Le 6 juin, le mi­ République doit savoir sur qui il
nistre des comptes publics a peut compter. C’est quand le politi­
donné une longue interview au que tutoie l’histoire que les choses
Point, dans laquelle il appelle la deviennent intéressantes », con­
majorité présidentielle à parler da­ fiait­il cet hiver avec l’emphase
vantage « au peuple », celui « des dont il est coutumier, un soir de
travailleurs, des classes laborieu­ neige dans un bistrot de la ban­
ses, des ouvriers, des employés ». Il y lieue parisienne, avant un débat
dénonce le « communautarisme », citoyen. A une période où, de l’Ely­
évoque le besoin de « sécurité » des sée à Matignon, les certitudes
classes populaires. Mais, sur la fis­ étaient vacillantes, l’animal poli­
calité ou les économies budgétai­ tique Le Maire paraissait ra­
res, pas un mot. « Darmanin n’a gaillardi. Les réunions en bras de
pas du tout envie de faire ce budget, chemise dans toute la France lui
il est déjà dans l’après. Il veut passer ont rappelé la primaire de la
à autre chose », décrypte un poids droite, en 2016, dont il était pour­
lourd de la majorité parlemen­ tant sorti grand perdant.
taire, en référence aux élections Il a su faire de sa taxe GAFA une
municipales de mars 2020. réponse aux demandes de jus­
Depuis deux ans, Gérald Darma­ tice fiscale et de démocratie par­
nin, qui a un temps lorgné le mi­ ticipative des « gilets jaunes ». Au
nistère de l’intérieur après le dé­ moment des annonces du 10 dé­
part de Gérard Collomb, a pris cembre pour le pouvoir d’achat,
garde de ne pas s’enfermer à Bercy. il propose une taxe franco­fran­
A l’instar de ses prédécesseurs Ni­ çaise, manière de reprendre la
colas Sarkozy et Emmanuel Ma­ main après son échec à rallier
cron, il ouvre sa table et son appar­ l’intégralité des pays européens.
tement privé pour enrichir son ré­ « L’enjeu, c’est de dire : on ne se sa­
seau et populariser ses idées. tisfait pas de l’Europe telle qu’elle
La crise des « gilets jaunes », le est, et on peut adapter sa fiscalité.
ministre l’a appelée « la crise des Il faut montrer à nos compatrio­
trente kilomètres » parce que les tes que nous ne sommes pas les
péages sont à trente kilomètres naïfs de l’Europe », affirme­t­il
des centres­villes. Une crise fis­ alors en privé.
cale, identitaire et sociale, analyse­ Mais, à l’inverse de son collègue
t­il, nourrie par le sentiment que Darmanin, l’ancienne figure des
travailler ne permet plus de s’en Républicains considère, comme
sortir. Pendant tout le grand débat, le premier ministre, qu’il faut mé­
il n’a cessé de fustiger « la folie du nager les entreprises et que la ré­
duction du déficit budgétaire
n’est pas négociable. « C’est bien
GÉRALD DARMANIN,  beau de se demander comment on
se partage le gâteau, d’avoir des
LE PROFIL « SOCIAL  débats infinis sur “à qui on va
prendre l’argent”. La vérité, c’est
POPULAIRE » DE  que le gâteau commence à se ré­
BERCY, PRÔNAIT DÉJÀ  trécir. La vraie solution, c’est de
produire plus de richesses en
EN DÉCEMBRE UNE  France, de créer des emplois, de
baisser les impôts des entreprises.
SOLUTION PROCHE On en a besoin si on veut mainte­
nir le même niveau de services pu­
DE CELLE ANNONCÉE  blics », martelait son entourage
EN AVRIL PAR en début d’année.
Les scénarios de sortie du grand
LE CHEF DE L’ÉTAT débat d’inspiration plus libérale,
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MERCREDI 26 JUIN 2019

Les tensions continuent


chez les « insoumis »
Manon Le Bretton, chargée de l’école de
formation, quitte à son tour le mouvement

L a France insoumise (LFI),


on la change ou on la
quitte. C’est en substance
ce que Manon Le Bretton, respon­
sable de l’école de formation du
vement ». Deux jours après, Char­
lotte Girard, ex­responsable du
programme, claquait la porte en
mettant en avant des dysfonc­
tionnements internes.
mouvement populiste, explique Sans jamais les nommer,
dans un texte publié sur Facebook M. Mélenchon les taxe de « nom­
après l’assemblée représentative brilisme » et leur adresse un mes­
qui s’est tenue les 22 et 23 juin à sage limpide : « Beaucoup de gens
Paris. Jean­Luc Mélenchon a con­ qui se sont plaints de ma préten­
clu ce rendez­vous annuel avec un due manière impérative s’en trou­
discours qui était très attendu, vaient fort contents au moment
près d’un mois après la cinglante [où ils étaient nommés à des pos­
défaite des élections européen­ tes à responsabilité]. (…) Quand ça
nes où la liste de Manon Aubry a va mal, toutes sortes de vocations
recueilli 6,3 % des suffrages. et d’audace apparaissent. »
Le discours de M. Mélenchon a
« Simagrée » agi comme un déclencheur chez
Le discours de M. Mélenchon Manon Le Bretton, responsable
était truffé de piques envers les de l’école de formation et an­
« frondeurs » de LFI. D’abord en di­ cienne candidate aux élections
rection de Clémentine Autain, la européennes, qui quitte donc, à
députée de Seine­Saint­Denis, qui son tour, LFI. Proche de Charlotte
critique ouvertement, et depuis Girard, elle fait partie de ces « lan­
plusieurs semaines, la stratégie ceurs d’alerte » à LFI qui souhai­
insoumise, trop clivante à son tent une refonte du fonctionne­
goût. Elle entend retisser les liens ment interne.

La Collectivité européenne avec la gauche, mais aussi le mi­


lieu associatif, culturel et syndical.
Une réunion au Cirque Romanès,
à Paris, doit se tenir dans ce sens
« Après [les] attaques ouvertes
[de M. Mélenchon] sur les réseaux
sociaux, la virulence avec laquelle
celles et ceux qui ont formulé des

d’Alsace, laboratoire territorial


le 30 juin. « [LFI] est une force, un critiques (…) en a glacé plus d’un.
point d’appui. Aucune simagrée, Nous voilà sommés d’aller voir
aucune autoflagellation de conve­ ailleurs, écrit Mme Le Bretton. Quel
nance tant à la mode dans la vieille que soit mon attachement à
gauche officielle mondaine ne l’Avenir en commun [le pro­
Le projet de loi, examiné à l’Assemblée depuis lundi, regroupe, au sein viendra jamais l’abattre », a ainsi gramme de LFI], il m’est devenu
tancé M. Mélenchon à l’adresse de impossible de le défendre au sein
de la région Grand­Est, les départements du Bas­Rhin et du Haut­Rhin Mme Autain et de ses amis. de La France insoumise dans de
Autres cibles de Jean­Luc Mélen­ telles conditions. »
chon, les cadres qui ont décidé de On le voit : il est toujours aussi

L’
quitter LFI et qui ont réclamé des difficile de questionner le fonc­
Assemblée nationale deux départements regroupés personne. « Il y a ceux qui gnon et d’« un processus d’élabo­ changements dans la démocratie tionnement de LFI. M. Mélenchon
a commencé, lundi forment la CEA, au sein de la voudraient obtenir tout, tout de ration spécifique ». Elle a cepen­ interne du mouvement. Début l’a rappelé : « [Son] rôle est
24 juin, l’examen du région Grand­Est, et disposent de suite, sachant que ce n’est pas pos­ dant exprimé son « embarras » juin, Le Monde se procurait une consubstantiel au mouvement. »
projet de loi relatif aux compétences supplémentaires sible. Ceux qui voudraient que l’Al­ vis­à­vis d’un amendement note interne, signée par une qua­ Critiquer La France insoumise
compétences de la Collectivité spécifiques, notamment pour le sace n’ait rien, au nom de l’unifor­ adopté en commission dotant les rantaine de cadres et de militants, revient donc à le mettre en cause
européenne d’Alsace (CEA). Un transfrontalier, le bilinguisme, les mité de la République. Et ceux qui conseillers de la future collecti­ dénonçant « un fonctionnement personnellement. 
texte de compromis qui est la axes routiers majeurs et l’attracti­ pensent que le texte est un vité du titre de « conseillers d’Al­ dangereux pour l’avenir du mou­ abel mestre
traduction de la déclaration com­ vité touristique. Une application compromis acceptable, parce qu’il sace ». « Je ne doute pas du
mune signée le 29 octobre 2018 à avant l’heure de la « différencia­ constitue une étape d’un chemin complet désintéressement de ceux
Matignon entre l’Etat, la région tion territoriale » qu’Emmanuel qui pourrait être encore long, pas qui en sont à l’origine, bien sûr, a­t­
Grand­Est et les départements du Macron souhaiterait voir inscrite trop j’espère, résume le député elle relevé. Mais je rappelle que la
Bas­Rhin et du Haut­Rhin, visant dans la Constitution. Olivier Becht (UDI et Indépen­ Collectivité européenne d’Alsace
à restituer une unité institution­
nelle au territoire alsacien. Les
Comme tout compromis,
celui­ci ne satisfait pleinement
dants, Haut­Rhin). Certains
auraient souhaité, moi le premier,
résulte de la fusion de deux dépar­
tements et qu’elle reste, ne vous en
Au Havre, Philippe joue
que ce soit clairement une collecti­
vité à statut particulier. Certains
déplaise, un département. Je veux
que cela soit clair. » Une mise au
les diplomates avec Medvedev
affirment qu’il s’agit d’un départe­ point qui montre combien ce

L
ment. La réalité est que, juridique­ projet de loi peut se prêter à di­
ment, il est probable que ce ne sera verses interprétations. undi 24 juin, le drapeau russe flotte sur la mairie du Ha­
ni complètement l’un ni complète­ Reste le contenu du projet lui­ vre. Dmitri Medvedev est en ville. Le premier ministre de
ment l’autre. Nous faisons donc ici même. La CEA sera compétente la Fédération de Russie est l’invité d’honneur de son ho­
de l’innovation politique, pour l’Al­ pour organiser, sur son territoire, mologue français, Edouard Philippe. Le locataire de Matignon a
sace et pour nous, Alsaciens. Il n’y un schéma alsacien de coopéra­ été chargé par Emmanuel Macron d’une mission d’envergure,
a pas lieu de bouder notre plaisir. » tion transfrontalière avec l’Alle­ de son propre aveu : « Ouvrir un nouvel espace de dialogue » en­
magne et la Suisse. Elle aura aussi tre la France et la Russie. Il n’y a plus eu de rencontre au sommet
« Une première étape » compétence pour renforcer la entre Paris et Moscou depuis la réception du président Vladimir
L’innovation, donc, reste limitée. politique de bilinguisme et Poutine par M. Macron à Versailles, le 29 mai 2017. Et les Russes
Trop aux yeux de Laurent Furst pourra recruter des personnels sont exclus du G8, devenu G7, depuis l’annexion de la Crimée
(LR, Bas­Rhin), qui, au nom de son enseignants. Elle se voit accorder en 2014. C’est la première fois qu’Edouard Philippe reçoit de la
groupe, a défendu une motion de la gestion de la promotion de son sorte un dirigeant étranger le temps d’une journée. Certes, il a
renvoi en commission. « Certes, territoire, de la coordination de la pu se faire la main en matière diplomatique depuis deux ans
avec cette loi, nous venons de loin politique touristique et du déve­ grâce à quelques déplacements officiels, en Chine, au Vietnam
mais, en définitive, nous n’allons loppement de la marque « Al­ ou au Qatar. Mais les affaires étrangères restent traditionnelle­
pas très loin », regrette le député. sace ». Enfin, en matière de trans­ ment le parent pauvre de Matignon. Sans doute peut­on voir
Le groupe LR devrait toutefois ports, elle se voit transférer l’A35 dans l’événement un peu de la magie de l’acte II du quinquen­
approuver le projet de loi à l’issue qui traverse son territoire du nord nat, à l’occasion duquel le président de la République a promis
des débats, qui se poursuivaient au sud ainsi que toutes les routes de déléguer plus de tâches à son premier ministre. « Ce qui n’est
mardi en séance. Pas très loin, nationales non concédées, sur pas normal, c’est de ne pas avoir ce
mais déjà trop pour Bastien La­ lesquelles elle pourra lever des type de contacts », souligne plutôt un
chaud (LFI, Seine­Saint­Denis),
qui s’en est pris avec virulence à la
ressources spécifiques.
gouvernement sera habilité à
Le
L’ACCENT A ÉTÉ MIS  conseiller de M. Philippe, comme
pour en atténuer la portée.
ministre de la cohésion des terri­ prendre par ordonnance les me­ SUR LA COOPÉRATION  L’ex­maire du Havre s’efforce d’ajou­
toires, Jacqueline Gourault, qui sures liées à ce transfert. ter à l’exercice sa « petite touche per­
avait présenté le projet de loi : Pour Brigitte Klinkert, prési­ ÉCONOMIQUE ENTRE LA sonnelle », comme dit son entourage,
« Vous détruisez la République, a­ dente (divers droite) du Haut­ en recevant son homologue dans
FRANCE ET LA RUSSIE « sa » ville. Chance, la cité portuaire
Illustration › Zep pour Partir en Livre 2019

t­il tonné. Vous vous employez à Rhin, qui, avec son homologue du
détruire méticuleusement ce dont Bas­Rhin, Frédéric Bierry (LR), a ar­ est jumelée avec Saint­Pétersbourg, la
est faite la République, ses princi­ demment milité à l’élaboration de ville natale de M. Medvedev. Les deux hommes déambulent
pes et son organisation. » ce compromis, « ce texte cocons­ dans les rues, tout sourire et en bras de chemise, visitent la bi­
La ministre, quant à elle, a tenu truit avec le gouvernement est une bliothèque Oscar­Niemeyer, se pressent à une exposition du
à rappeler « l’équilibre » du texte réponse républicaine à la de­ Havrais Raoul Dufy, puis dînent en privé dans un restaurant…
issu de la déclaration de Mati­ mande de collectivité alsacienne, Lors d’une conférence de presse organisée à l’hôtel de ville,
une première étape ». « Nous préfé­ l’accent a été mis sur la coopération économique des deux
rons avancer pas à pas plutôt que pays. « La France est le premier employeur étranger en Russie »,
de stagner, au risque d’une montée rappelle M. Philippe. Que pense­t­il des ingérences russes dans
On vous emmène ? « Nous faisons des extrémismes », ajoute­t­elle, se les élections européennes rapportées par la Commission euro­
› de l’innovation félicitant de « l’unité forte entre les péenne, ainsi que du rôle des médias pro­Kremlin RT et Sput­
www.partir-en-livre.fr deux départements, qui ont réussi nik, qualifiés en 2017 par M. Macron devant Vladimir Poutine
#PartirEnLivre
politique pour à convaincre au plan national ». d’« organes de propagande » ? « Tous les journalistes peuvent bé­
l’Alsace et pour « Nous préfigurons le droit à la dif­ néficier de la liberté de la presse, estime M. Philippe. Nous serons
férenciation, conclut­elle. Nous al­ intransigeants avec toute tentative qui viendrait à perturber de
En partenariat avec

nous, Alsaciens » lons être le laboratoire de l’Europe l’extérieur des processus démocratiques, qu’ils soient nationaux
OLIVIER BECHT pour la France. »  ou européens. » Diplomate. 
député du Haut-Rhin patrick roger olivier faye (le havre, envoyé spécial)
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Un disparu après une charge policière, à Nantes


Quatorze personnes sont tombées dans la Loire lors de la dispersion d’une soirée techno de la Fête de la musique

nantes ­ correspondant a aussi ouvert une enquête pour la musique s’arrête, selon l’horaire partie du groupe devant repartir 19 ans. Il n’y a pas d’habitation
« Steve ne sait

U
disparition inquiétante. convenu en début de soirée. Mais avec Steve Maia Caniço. La jeune autour. Le mouvement des free­
n jeune homme de Steve Maia Caniço, animateur la situation a rapidement dégé­ pas nager, femme a appelé son ami « à 4 h 59. parties est systématiquement ré­
24 ans porté disparu, périscolaire participant à cette néré. « Les policiers ont essuyé des Direct, ça a été messagerie ». « J’ai primé par les autorités. »
quatorze personnes fête, n’a plus donné signe de vie jets de bouteilles de verre et de pier­
il n’aurait peur qu’il se soit perdu avec la Les années précédentes, notent
tombées dans la Loire. depuis cette date. « Vers 3 heures, il res », indique Johann Mougenot, jamais sauté lacrymo, qu’il soit tombé dans les habitués, les façades de sons
Samedi 22 juin à l’aube, une inter­ a envoyé un message disant qu’il directeur de cabinet du préfet, qui l’eau », lâche Aliyal. « D’emblée, on « s’étendaient sur l’île de Nantes,
vention de policiers (compagnie était très fatigué, et il donnait l’en­ précise que « cinq fonctionnaires
de lui-même » a reçu le signalement d’une per­ dans un espace plus sécurisé ». La
départementale d’intervention, droit où il comptait attendre le ont été blessés ». Les lacrymogènes ANAÏS sonne ayant coulé, énonce un préfecture renvoie la responsabi­
brigade anticriminalité et CRS) groupe de potes avec qui il devait ont envahi la nuit nantaise et des amie du disparu homme qui était au cœur du dis­ lité de l’organisation de la Fête de
pour mettre fin à une soirée rentrer », confie Anaïs, 24 ans, une grenades de désencerclement ont positif d’intervention sur la Loire. la musique sur la ville. Laquelle
techno organisée le soir de la Fête amie. Son entourage craint que le été tirées. « Il y avait des gens qui Des gens tentaient d’éclairer l’eau fait valoir que les murs de sons
de la musique à Nantes, quai Wil­ jeune homme ait été réveillé en couraient dans tous les sens pour à presque 5 heure, alors qu’il y a des avec leurs téléphones, mais on n’y n’étaient pas autorisés dans le
son, a créé un mouvement de pa­ sursaut et pris dans le mouve­ échapper aux lacrymos, affirme gens bourrés et d’autres qui ont voyait rien. La confusion était à périmètre qu’elle avait défini : « Là
nique aux lourdes conséquences. ment de foule qui a suivi l’arrivée Aliyal, une étudiante. J’ai vu des peut­être pris des substances, ça son comble. Et il y avait aussi pas où elle était déployée, la free party
Faisant suite à la demande de des forces de l’ordre. Au plus fort personnes tomber à l’eau qui relève de la mise en danger. » Selon mal de gaz. Quand on récupérait relevait du ressort de l’Etat. »
Claude d’Harcourt, préfet de de la nuit, le rassemblement a criaient pour que les bateaux des le décompte de la préfecture, sept les gens, ça piquait les yeux. » Avec d’autres amis, Mathis
Loire­Atlantique et des Pays de la compté plus de 2 000 personnes. secours viennent les chercher. » personnes ont été secourues par Des patrouilles ont sillonné la affirme vouloir porter plainte
Loire, le ministre de l’intérieur, Steve Maia Caniço, jure son entou­ les pompiers, quatre par la Loire jusqu’à 8 heures, en vain. Les pour « mise en danger de la vie
Christophe Castaner, a saisi du rage, boit modérément et « ne tou­ « Confusion à son comble » Sécurité nautique Atlantique, une nouvelles recherches diligentées d’autrui ». « Une personne qui
dossier l’inspection générale de la che à aucun produit ». « La musique Le quai Wilson, relève­t­on, est association de sauvetage manda­ lundi n’ont rien donné. Le disparu tombe malencontreusement dans
police nationale (IGPN), lundi. lui suffit, note Mathis, technicien dénué de garde­corps. « On a cher­ tée par la ville de Nantes pour la ne s’est pas présenté à son travail. la Loire, ça peut arriver, dit­il. Mais
« [Celle­ci] est chargée d’établir le de surface âgé de 20 ans. Parfois, ché de la rubalise pour improviser soirée, et trois autres sont parve­ « Steve, c’est une crème, observe quatorze, là, il y a un grave pro­
déroulement des faits de la nuit et on peut le voir pleurer tellement il un semblant de barrière, mais on nues à regagner des échelles pour Anaïs. Il ne va jamais à la confron­ blème. Ces gens ne se sont pas jetés
de déterminer les conditions d’in­ aime les sons que sort un DJ. » n’a rien trouvé », se désole Caro­ s’extraire de l’eau. tation. Et il ne sait pas nager, il dans l’eau par plaisir. Ils fuyaient
tervention de la police », précise L’intervention a eu lieu aux line. « Il y a eu disproportion de la « On faisait la fête, on dansait, on n’aurait jamais sauté de lui­ quelque chose. Et à l’origine, on
Pierre Sennès, le procureur de la alentours de 4 heures. Les poli­ réponse, estime Aliyal. Charger ne voulait pas attaquer les CRS », même. » « Franchement, on déran­ était juste là pour s’amuser. » 
République de Nantes. Le parquet ciers étaient venus demander que comme ça sur un lieu aussi risqué, poursuit Dorine, 23 ans, qui faisait geait qui ?, demande Sébastien, yan gauchard

Affaire Legay : la prise de


distance des gendarmes
Un rapport détaille le refus d’un escadron
de charger les manifestants, le 23mars, à Nice

nice ­ correspondance aurait essayé de faciliter la fuite

L’
des personnes présentes avant
accusation vient cette l’arrivée des renforts. « En atten­
fois­ci des forces de l’ordre dant que les mecs de la BAC [bri­
elle­même. Un rapport de gade anticriminalité] arrivent, il a
la gendarmerie, mettant en cause tenté de nous aider et nous a chu­
la police, attesterait de la violence choté : “barrez­vous !”, mais per­
des opérations de maintien de l’or­ sonne n’a compris les ordres con­
dre, le 23 mars, à Nice, lors desquel­ tradictoires. Nous avons tous été
les une militante de 73 ans a été embarqués. » Les gendarmes ne
gravement blessée. sont pas les seuls à douter des mé­
Selon une information de Me­ thodes employées. Dans la four­
diapart, confirmée par Le Monde, gonnette de la BAC, le militant in­
un escadron de gendarmes a re­ terpellé laisse son téléphone al­
fusé de participer à la charge à l’ori­ lumé et filme la scène depuis sa
gine de la grave blessure à la tête de poche. Sur ces enregistrements,
Geneviève Legay, malgré les ordres on entend une fonctionnaire de
donnés par le commissaire Rabah police lancer, sur un ton navré : « Je
Souchi. Les militaires estimaient ne comprends pas pourquoi je vous
que cette action était excessive au embarque, franchement. Même
vu de la situation. Le document, eux [ses collègues de la BAC, qui
un compte rendu d’un comman­ procédaient encore à des interpel­
dant d’escadron donné à son supé­ lations] ne comprennent pas. »
rieur hiérarchique deux jours
après les faits, fait état d’« ordres Demande de dépaysement
reçus disproportionnés face à la Deux jours après les faits, le procu­
menace (foule calme) ». reur de la République de Nice,
Ce rapport vient confirmer les Jean­Michel Prêtre avait assuré
nombreux témoignages recueillis que la chute de la septuagénaire
sur place par Le Monde. Plusieurs n’avait pas été provoquée par un
photographes présents le 23 mars policier. Il avait ensuite changé de
et habitués aux manifestations version et reconnu, le 29 mars, que
des « gilets jaunes » attestent que « c’est bien le geste d’un policier qui
la charge policière a été ce jour­là est à l’origine de la chute de Mme Le­
d’une violence « totalement dis­ gay ». Le procureur avait, par
proportionnée ». « L’ambiance était ailleurs, chargé des investigations
très tranquille » et le groupe était sur les causes des blessures de la
« composé essentiellement de fem­ manifestante la compagne de
mes et de personnes âgées, sans M. Souchi elle­même, également
casse, sans projectiles », explique commissaire, alors que son con­
l’un d’entre eux, avant d’ajouter : joint était chargé des opérations le
« La force de la réponse était pres­ jour de la manifestation.
que criminelle. » Le document révélé par Media­
Un récit qu’appuient des street part jette encore plus le doute sur
medics interpellés sur les lieux de la conduite de l’enquête. Le défen­
l’incident, place Garibaldi. Ces mi­ seur de Mme Legay, Me Arié Alimi,
litants, qui s’occupent des blessés n’avait pour sa part jamais en­
au long des cortèges, évoquent tendu parler de ce rapport, qui
également le malaise de certains évoque un point central du dos­
membres des forces de l’ordre face sier, à savoir le bien­fondé ou non
aux consignes de leur hiérarchie. de la charge policière. « Soit le pro­
Alexander Samuel, un professeur cureur n’avait pas connaissance de
de mathématiques et doctorant en ce rapport et alors c’est une faute
biologie, très impliqué dans la professionnelle, soit il en avait con­
lutte contre les violences policiè­ naissance mais n’a rien dit et dans
res, avait décidé ce jour­là de suivre ce cas c’est une infraction pénale »,
un groupe de ces soigneurs. « Les estime l’avocat. Sa demande de dé­
street medics ont été appelés par paysement de l’instruction, ap­
un gendarme un peu paniqué après puyée par le parquet général d’Aix­
la chute de Mme Legay, il leur de­ en­Provence (Bouches­du­Rhône),
mandait d’intervenir », raconte­t­il. prend avec ce nouvel élément un
Son témoignage est corroboré par peu plus d’épaisseur, dans une af­
plusieurs de ces militants qui ar­ faire où les erreurs se cumulent
borent des croix rouges. depuis le premier jour. 
Alexander Samuel explique nicolas chapuis ( à paris)
comment un autre gendarme et sofia fischer
12 | france 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Canicule: les questions soulevées Une enquête sur le « vrai


coût » de l’école gratuite
par le report du brevet des collèges pour les parents d’élèves
Les écrits sont déplacés aux 1er et 2 juillet. L’examen et sa correction Fournitures, voyages… le Comité national
d’action laïque pointe ces frais parfois lourds
doivent désormais tenir dans un calendrier serré

C
eux qui voulaient partir
en vacances devront pa­
tienter. Initialement pré­
vues les jeudi 27 et ven­
Une certaine
« souplesse » sera
Réorganiser son accueil d’un jour
sur l’autre ne me paraît pas être une
opération énorme. »
A quelques détails près, toute­
d’établissement, entretiens qui con­
ditionnent d’autres affectations. »
Les parents, eux, oscillent entre
agacement devant tant de précau­
L’ école gratuite a un coût…
Cette information n’éton­
nera pas les parents d’élè­
ves, qui, rentrée après rentrée, ont
pris l’habitude de calculer l’évolu­
La mise à
contribution des
parents pour les
dredi 28 juin, les épreuves écrites
observée pour fois, selon les zones : à Bédarieux tions et soulagement de voir l’exa­ tion du prix des cahiers, classeurs sorties scolaires
du diplôme national du brevet les élèves qui (Hérault), en zone rurale, le provi­ men se dérouler dans de meilleu­ et autres fournitures scolaires.
pose problème
sont reportées aux lundi 1er et seur de la cité scolaire Ferdinand­ res conditions. Sophie Dupayrat, L’enquête que rend publique
mardi 2 juillet en raison de la cani­
ne pourraient Fabre, Pierre Fournier, doit ainsi mère d’élève à Bourg­en­Bresse, a mardi 25 juin, lors d’un colloque à pour plus de
cule, a annoncé le ministre de se présenter repenser le ramassage scolaire et appris le report des épreuves à la Paris, le Comité national d’action
8 répondants sur
l’éducation nationale, Jean­Michel la cantine pour ses collégiens qui radio. Et elle s’en félicite : « Quand laïque (CNAL), fédération de cinq
Blanquer, lundi 24 juin.
aux épreuves passeront les épreuves… Mais le on voit la chaleur qu’il fait dans les organisations impliquées de lon­ 10 au secondaire
Le report de l’examen, qui devait proviseur en convient lui­même, classes et qu’on sait qu’il y a déjà eu gue date sur le terrain de l’éduca­
se tenir au plus fort des jours de « déplacer le brevet en soi est moins deux malaises vendredi dernier au tion, montre que la rentrée n’est
chaleur, n’était d’abord prévu que cueillir « plus largement » les élè­ problématique que la question de collège… » Mais Amal, une mère en réalité qu’un avant­goût de ce Le chiffre fait réagir Jean­Paul
pour la France métropolitaine. Il a ves absents aux épreuves en juin, l’affectation ». d’élève à Chassieux (Rhône), qui a qui pèse, concrètement, sur les fa­ Delahaye. Cet inspecteur général
été élargi mardi matin à Mayotte assure le ministre. La date d’exa­ Traditionnellement, les élèves souhaité garder l’anonymat, milles tout au long de l’année. honoraire, ancien président du
et La Réunion, qui composeront men étant décalée à la dernière de 3e se voient remettre leur affec­ s’étonne de l’ampleur des mesures L’état des lieux du CNAL porte CNAL, avait prévu de s’en empa­
également les 1er et 2 juillet. Si la minute, une certaine « souplesse » tation au lycée par écrit, à l’issue de prises. « Ce sont des collégiens, pas sur le primaire (1 022 réponses) et rer en ouverture du colloque,
date change, les horaires, les lieux sera observée pour les élèves qui la dernière épreuve du brevet – les des tout­petits, s’agace­t­elle. Ils le secondaire (230 réponses). Il pour livrer un témoignage très
et l’ordre des épreuves restent les ne pourraient se présenter aux parents peuvent ensuite consulter peuvent prendre une bouteille s’adosse à un sondage de l’IFOP personnel. « Nous sommes
mêmes. La Guyane, la Guadeloupe épreuves. Un « titre de transport » la plate­forme Affelnet, qui trie les d’eau avec eux et se gérer. » centré, lui, sur les parents d’élèves en 1965, dans les classes de 4e d’un
et la Martinique composeront pourra être considéré comme un dossiers et délivre les résultats. Le (échantillon représentatif de 603 établissement, au début du
comme prévu les 27 et 28 juin. justificatif valable, a précisé Jean­ ministère a confirmé que les affec­ Bâti scolaire non adapté personnes). L’ensemble est éclec­ deuxième trimestre, une bonne
La mesure, qui se prévaut du Michel Blanquer mardi matin, fai­ tations seront maintenues au L’épisode a le mérite de poser la tique, il mêle des coûts réels, des moitié des élèves part en voyage
souci de rester « particulièrement sant directement référence aux 28 juin. Les collèges, qui avaient question des « passoires thermi­ estimations, du ressenti… Mais scolaire en Angleterre pour par­
vigilants à la santé des élèves », départs en vacances. En temps prévu de faire composer les élèves, ques », ces bâtiments scolaires « il éclaire une zone grise de faire des compétences en anglais,
n’est pas sans provoquer quelques normal, les textes ne tolèrent que ne savent pas encore quelle forme « absolument pas conçus pour l’école », souligne le secrétaire gé­ raconte­t­il. Ne partent que ceux
remous. Plusieurs chefs d’établis­ le cas de « force majeure » – en gé­ prendra l’accueil des 3e dans la s’isoler du froid en hiver et de la cha­ néral du CNAL, Rémy­Charles Sir­ dont les parents peuvent payer le
sement joints dans l’après­midi néral une raison de santé, certifi­ journée de vendredi pour leur re­ leur en été », résume Frédérique vent, par ailleurs secrétaire natio­ voyage. Ma mère était femme de
de lundi disaient avoir déjà reçu cat médical à l’appui. mettre cette affectation. Rolet, secrétaire générale du SNES, nal du syndicat SE­UNSA. ménage et élevait seule cinq en­
une dizaine d’appels de parents « C’est la question primordiale syndicat majoritaire dans le se­ Plus de la moitié des directeurs fants. J’ai fait partie de ceux qui
inquiets. Quid, par exemple, de Corrections sur deux jours pour les familles, car elles doivent cond degré. « Cet épisode nous d’école indiquent qu’une partici­ sont restés. »
ceux qui avaient pris leurs disposi­ Les questions organisationnelles aller inscrire leur enfant la semaine ouvre les yeux sur le fait que le bâti pation financière pour l’achat de En 2015, dans le rapport sur la
tions pour partir ? « Le cas de figure – surveillance et correction des co­ suivante au lycée », rappelle Pierre n’est pas adapté aux variations fournitures est demandée aux fa­ grande pauvreté et la réussite sco­
du parent qui aurait pris un billet pies – semblent avoir été rapide­ Fournier. Les lycées avaient prévu, thermiques », abonde Rodrigo Are­ milles. Dans le secondaire, ils laire qu’il a signé, il est revenu sur
d’avion le 1er juillet ne me paraît pas ment tranchées : le planning des pour la plupart, de faire démarrer nas, président de la FCPE. sont plus de neuf répondants sur ces exclusions qui perdurent et
tenable, prévient sévèrement Phi­ corrections sera resserré sur deux les inscriptions le 1er juillet, jour où Un constat partagé par l’ensem­ dix à le souligner. Cette contribu­ sur « l’humiliation ressentie de ne
lippe Vincent, le secrétaire général jours, mercredi 3 et jeudi 4 juillet, les élèves de 3e seront en train de ble de la communauté éducative, y tion s’établit à 25 euros en même pas pouvoir financer le
du SNPDEN (syndicat majoritaire alors qu’il devait s’échelonner sur composer. Audrey Chanonat, compris le ministère de l’éduca­ moyenne par enfant et par an à reste à payer d’une sortie scolaire
des chefs d’établissement). L’an­ trois jours, du lundi au mercredi. principale adjointe du collège Sa­ tion nationale, qui a concédé que l’école, contre 135 euros en collège d’une journée, et de devoir deman­
née scolaire se termine officielle­ Les dates de l’oral du brevet, elles, muel­de­Missy, à La Rochelle, l’épisode invitait « à regarder la si­ et lycée. Et elle peut placer des fa­ der pour cela une aide ».
ment le 5 juillet. » ne sont pas déplacées. « 95 % des ajoute : « Il faut penser aux élèves tuation des bâtiments » et que des milles en difficulté : plus du quart
Au ministère, cependant, le ton personnels qui gèrent le brevet sont qui n’obtiennent pas les lycées qu’ils travaux semblaient « nécessaires des répondants le disent au pri­ « Manque d’informations »
est plus conciliant. La session de issus du collège dans lequel il se dé­ ont demandés. Ceux­là doivent dans certains endroits ».  maire, plus de 8 sur 10 en collège De ces aides – coopérative,
septembre devrait pouvoir ac­ roule, rappelle Philippe Vincent. passer des entretiens avec les chefs violaine morin et lycée. bourse, fonds sociaux –, il est
Autre champ d’investigation, aussi question dans l’enquête.
ressenti peu différent : plus de Des principaux et proviseurs
4 directeurs d’école sur 10 témoi­ soulignent que des « familles
gnent d’une mise à contribution s’autocensurent dans leurs de­

L’opposition au président de la Fédération des parents pour les sorties sco­


laires (coût moyen : 13,50 euros
par écolier et par an). Dans le se­
mandes », « n’osant pas faire les
démarches ». « La gêne, le man­
que d’informations, les difficultés
condaire, ils sont plus de la moitié face à la numérisation des dos­

de rugby, Bernard Laporte, se met en place à le dire aussi (29 euros). La de­
mande pose problème pour près
de 4 répondants sur 10 au pri­
siers : tout cela peut contribuer à
les freiner, souligne M. Sirvent.
Les enseignants font de leur
La liste de Florian Grill, dirigeant de la Ligue d’Ile­de­France, veut « restaurer l’image du rugby français » maire, mais pour plus de 8 sur mieux, mais l’école n’a pas été pré­
10 dans le secondaire. « On parle vue pour jouer le rôle d’amortis­
de petits coûts, certes, mais accu­ seur social. » Selon ses calculs,

L
mulés, ils pèsent sur des enfants même le niveau de bourse le plus
a partie peut commencer. nement différent, qu’il fallait don­ taient leurs sièges au comité direc­ Mais un autre épisode l’a mar­ qui n’ont pas la réussite scolaire en élevé (453 euros sur dix mois) ne
En jeu, la prochaine élec­ ner une voix prioritaire à la partie teur pour occuper des postes ré­ qué. En août 2018, trois semaines héritage », résume M. Sirvent. compense pas le coût de la res­
tion, en 2020, à la prési­ cachée de l’iceberg, parce que c’est munérés, dans la mesure où la FFR après l’accident mortel d’un Voyages scolaires et « classes tauration scolaire quand celui­ci
dence de la Fédération française elle aussi qui redonnera du sens et avait déjà atteint son plafond de joueur après un plaquage, Ber­ transplantées » ont aussi été pas­ n’est pas « modulé » en fonction
de rugby (FFR), l’une des plus im­ des valeurs au rugby », explique la trois élus rémunérés : Serge Simon nard Laporte manquait la pre­ sés au crible des questions. Leur des revenus.
portantes organisations sporti­ tête de liste au Monde. (vice­président), Christian Dullin mière journée d’un séminaire sur prix est souvent « modulable » D’autres sources d’inégalités
ves du pays. Florian Grill, diri­ Ah, les proverbiales valeurs de (secrétaire général) et Alexandre la santé des pratiquants pour par­ (adapté aux revenus, au nombre sont mises en lumière par le CNAL
geant de la Ligue d’Ile­de­France, l’Ovalie ! Selon Florian Grill, la pré­ Martinez (trésorier général). ticiper à une séance de photos d’enfants), et, pourtant, même – aide aux devoirs, activités cultu­
devait annoncer, mardi 25 juin en sidence de Bernard Laporte les a Florian Grill, lui, a toujours siégé promotionnelles avec l’anima­ avec les subventions des collecti­ relles, etc. Elles perdurent, alors
fin de matinée, au stade Charléty, détériorées de façon « cataclysmi­ au comité directeur depuis dé­ teur Cyril Hanouna. « Tu te dis vités, il peut mettre des familles que l’éducation est le premier bud­
à Paris (13e), ce que beaucoup pres­ que » : « Il faut quand même s’en cembre 2016. Il compte parmi les qu’il y a une inversion des valeurs, à la peine. « Arrive­t­il que des élè­ get de l’Etat… et que l’angoisse pa­
sentaient déjà : c’est lui qui con­ rendre compte, l’image du rugby rares voix actives de l’opposition, une perte de sens, observe Florian ves ne participent pas à un voyage rentale ne faiblit pas : selon le son­
duira une liste d’opposition pour est battue en brèche. Je n’ai pas en­ avec Serge Blanco et Fabien Pe­ Grill. C’est quand même terrible. scolaire pour des raisons financiè­ dage IFOP, 4 parents sur 10, parmi
tenter de déloger Bernard Laporte, vie que l’on parle du rugby lous. Tous trois figuraient sur la Comment voulez­vous que l’image res ? » : dans le secondaire, plus ceux qui envisagent des études
élu président de la FFR en décem­ qu’autour des affaires et du “busi­ liste de Pierre Camou, ancien pré­ du rugby en sorte grandie ? » d’un participant à l’étude sur pour leurs enfants, ont commencé
bre 2016 et futur candidat à sa pro­ ness”, il y a un chantier absolu­ sident fédéral (2008­2016) auquel « Florian Grill, personne ne le con­ deux (59 %) a répondu par l’affir­ à épargner pour les financer. 
pre succession. ment monstrueux. » Bernard Laporte a succédé. naît à part sa mère, donc on s’en mative. mattea battaglia
Baptisée « Ovale ensemble », S’il a approuvé certaines réfor­ fout », a déclaré Bernard Laporte
cette liste entend « restaurer « Perte de sens » mes sportives engagées par la di­ dans un entretien au quotidien ré­
l’image du rugby français » pour Depuis décembre 2017, le Parquet rection actuelle, le Francilien a vite gional Le Bien public, début juin.
inscrire la gouvernance fédérale national financier se penche sur dénoncé le « fonctionnement très « Lui va parler de rugby avec moi ?
dans « une démarche primordiale un potentiel conflit d’intérêts en­ clanique » et « des choix plus sur la Je ne vois pas ce qu’il veut m’expli­ RELIGION FA I TS D I V ERS
d’éthique et d’exemplarité ». Elle tre Bernard Laporte et Mohed Al­ base d’amitiés que sur des compé­ quer », a ajouté l’ancien sélection­ Le pape François nomme Un homme roué
tire son nom d’un compte Face­ trad. Le second dirige le club de tences ». Entre autres « dérapa­ neur du XV de France (1999­2007) un administrateur de coups à Nancy
book actif depuis 2017. Son admi­ Montpellier, mais aussi une en­ ges », le candidat à la présidence et ancien secrétaire d’Etat aux apostolique à Lyon dans un état critique
nistrateur demeure anonyme, treprise internationale de maté­ dénonce les circonstances du li­ sports (2007­2009) du gouverne­ Le pape François a nommé, Six suspects, dont trois
mais Florian Grill, jure que ce riel de construction, avec laquelle cenciement de Guy Novès, ancien ment de François Fillon. lundi 24 juin, un administra­ mineurs, ont été interpellés
n’est pas lui. le premier avait conclu un contrat sélectionneur du XV de France Réponse du fils Grill : « Ce n’est teur apostolique pour le après avoir roué de coups,
Florian Grill, 53 ans, n’est pas en­ d’image ; jusqu’à ce que Le JDD en (« qu’il l’ait appris dans la presse, pas parce que je suis inconnu, au diocèse de Lyon, où le cardi­ dimanche 23 juin, à la gare de
core connu du grand public. Le ait révélé l’existence et l’ait con­ c’est d’une violence inouïe »). même titre que la majorité des nal Philippe Barbarin s’est Nancy, un homme de 62 ans.
23 juin, il signait une profession traint à y renoncer. quelque 1 900 présidents de club, mis en retrait « pour quelque La victime se trouve dans un
de foi dans Le Journal du diman­ Dans l’un de ses seize « chan­ que je n’ai pas un droit d’expres­ temps » après avoir été état critique, selon le parquet.
che (JDD) qui présentait son tiers » thématiques, le programme sion ou que je n’ai pas de choses in­ condamné, le 7 mars, Trois des suspects interpellés
équipe. A ses côtés, onze signatai­ de la liste Grill mentionne la né­ Le candidat telligentes à dire. » Florian Grill et pour « non­dénonciation dimanche peu après les faits,
res. Des dirigeants qui représen­ cessité d’« interdire toute relation ses colistiers ont prévu de lancer d’agressions sexuelles sur commis vers 22 heures, et
tent le monde amateur, comme d’affaires avec la FFR pour un élu ou
à la présidence leur première réunion de campa­ mineurs ». Il s’agit de Michel placés en garde à vue, sont
lui, mais aussi d’anciens joueurs un salarié ». Le programme prévoit a dénoncé le gne en août, dans le Puy­de­ Dubost, 77 ans, archevêque âgés de 14 et 15 ans. Ils sont
internationaux (Serge Blanco, Fa­ aussi d’« interdire statutairement Dôme. Avant cela, ils pourraient émérite d’Evry, qui exercera hébergés dans un foyer pour
bien Pelous, Jean­Claude Skrela, la démission d’élus pour devenir sa­
« fonctionnement croiser la route de Bernard La­ la totalité des compétences mineurs. Une femme âgée de
Jean­Marc Lhermet, Eric Champ). lariés de la FFR ». Ce point renvoie à très clanique » porte à Nantes dès le vendredi de l’archevêque. Le procès 19 ans et deux hommes de
« Coup de chapeau aux grands un épisode précis. Dès le début de 28 juin, à l’« agora » du congrès en appel du cardinal 23 ans ont également été in­
noms qui m’entourent d’avoir su l’année 2017, Annick Hayraud et
de la direction annuel de la fédération.  Barbarin devrait avoir lieu terpellés lundi après­midi et
comprendre qu’il fallait un chemi­ Philippe Rougé­Thomas quit­ actuelle adrien pécout le 28 novembre. placés en garde à vue. – (AFP.)
ÉCONOMIE & ENTREPRISE | 13
0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Tensions à l’assemblée générale de Nissan
Les actionnaires ont voté un nouveau schéma de gouvernance, renforçant les contrôles après l’affaire Ghosn

tokyo ­ correspondance (par applaudissements), l’atmos­ Mais une offre de fusion formu­ gnie nippone, rappelant notam­ renforcement des liens capitalis­
Le conseil

C’
phère pleine d’électricité, de cris lée par le groupe français en avril, ment avoir « abandonné son tiques entre Renault et Nissan.
est une assemblée et d’interpellations des dirigeants puis le projet avorté de rappro­ d’administration droit » à présider Nissan. Quant à « L’AG a démontré qu’il existe une
générale (AG) de présents à la tribune n’avait rien à chement entre Renault et Fiat une fusion avec FCA, « cela aurait défiance de nombreux actionnai­
crise, mais, parado­ voir avec les AG précédentes, du Chrysler (FCA), négocié depuis fé­
de Nissan a été été un projet formidable pour Nis­ res de Nissan envers Renault, af­
xalement, aussi de temps où Carlos Ghosn, vrier sans que Nissan en soit in­ remanié, passant san et pour l’Alliance », a estimé M. firme une source proche du cons­
sortie de crise, qui s’est déroulée, aujourd’hui poursuivi pour mal­ formé, ont ravivé la crise. Senard, regrettant « cette occa­ tructeur japonais. Beaucoup consi­
mardi 25 juin, à Yokohama, au sud versations financières au Japon,
à onze membres, sion perdue ». « Je vous prie de me dèrent qu’il y a eu double jeu, cour­
de Tokyo. Les actionnaires de Nis­ présidait Nissan. Pas moins de « Très attachés à l’Alliance. » dont sept croire, je n’avais aucune intention toisie en apparence et manœuvres
san ont approuvé un nouveau vingt­cinq questions ont pu être La défiance est encore montée agressive », a­t­il répété à plu­ en coulisses. Ils ne veulent pas bra­
schéma de gouvernance à trois co­ posées, contre seulement sept d’un cran, lorsque le constructeur
indépendants sieurs reprises. der les technologies de Nissan à
mités (des rémunérations, des no­ autorisées par M. Ghosn, en 2018. français a menacé de ne pas voter De son côté, M. Saikawa, mani­ FCA, ils ne veulent pas que les inté­
minations et de l’audit), destiné à Sur le fond, la tension demeure la réforme de la gouvernance de à la tonalité xénophobe, accusant festement bien préparé à l’exer­ rêts de Renault passent avant ceux
renforcer les contrôles internes vive entre Renault et Nissan. Et Nissan si certains de ses représen­ « les Français » d’hypocrisie et de cice, a eu beau jeu de s’en tenir à sa de Nissan. Mais ils restent, malgré
après l’affaire Ghosn. Le patron M. Saikawa n’a rien fait pour dis­ tants ne siégeaient pas dans les double jeu. L’un d’entre eux a pris ligne en faveur de l’indépendance tout, très attachés à l’Alliance. »
exécutif du constructeur japonais, siper les doutes sur l’avenir de la comités nouvellement créés. Le à partie M. Senard. « En tant qu’ad­ de Nissan. « Nissan sera toujours Le sujet sera, en tout cas, sur la
Hiroto Saikawa, qui a présenté l’AG première alliance automobile groupe nippon a fini par accepter ministrateur de Nissan, quelle est Nissan », a­t­il affirmé. Il est table au cours de la rencontre à To­
comme une « étape majeure » vers mondiale, qui inclut également que Jean­Dominique Senard fasse votre mission, M. Senard ?, s’est même apparu conciliant avec Re­ kyo, les 26 et le 27 juin, du prési­
le redressement du groupe, a par Mitsubishi. La mésentente existe partie du comité des nomina­ emporté le petit porteur. Les six nault, insistant sur l’importance dent français, Emmanuel Macron,
ailleurs été reconduit au conseil depuis le 19 novembre 2018 et tions et que Thierry Bolloré, le di­ premiers mois, vous auriez dû d’une « relation gagnant­ga­ avec le premier ministre japonais,
d’administration. Celui­ci a été l’arrestation de Carlos Ghosn, recteur général de Renault, fasse prendre le temps d’observer et de gnant », qui pourrait vite se rom­ Shinzo Abe. « Ce sera l’occasion
profondément remanié, passant à alors patron de Nissan, de Renault partie de celui de l’audit. bâtir une relation de confiance. » pre en cas de changement. S’il a pour le président de réaffirmer l’at­
onze membres, dont sept admi­ et de l’Alliance. La nomination de Les questions des actionnaires Le responsable de Renault, considéré que Nissan devait tachement fort de la France à l’Al­
nistrateurs indépendants. Jean­Dominique Senard comme ont souvent porté sur leurs inter­ courtois, mais ferme, a assuré de d’abord se focaliser sur son re­ liance », a fait savoir l’Elysée. 
Si l’ensemble des résolutions président de Renault, en janvier, rogations à propos de l’Alliance, ac­ sa bonne foi, de sa volonté de tout dressement, il n’a pas exclu de re­ éric béziat (à paris)
ont été approuvées à la japonaise avait contribué à l’apaisement. compagnées parfois d’un discours faire « pour le bien » de la compa­ prendre des discussions sur le et philippe mesmer

Une mise en demeure


vise Total en Ouganda
Selon Les Amis de la Terre, le groupe ne
respecterait pas la loi sur le devoir de vigilance

M auvaise passe pour To­


tal. Econduite par la
Mairie de Paris pour
devenir sponsor des Jeux olympi­
ques de 2024, sommée de respec­
« Nous mettons en demeure To­
tal d’établir un plan de vigilance
qui prenne en compte les risques
d’atteinte aux droits humains et à
l’environnement engendrés par la
ter ses engagements climatiques construction de ces infrastructu­
par plus d’une dizaine de collecti­ res », précise Thomas Borrel, de
vités locales et des ONG, la com­ l’association Survie. Les repro­
pagnie pétrolière est aujourd’hui ches faits à Total sont énumérés
mise en demeure pour ses activi­ dans un document d’une tren­
tés en Ouganda. Et plus précisé­ taine de pages.
ment pour les agissements de sa
filiale et de ses sous­traitants au « Des menaces sur les paysans »
nom du devoir de vigilance Les ONG se sentent d’autant plus
auquel elle est tenue de s’astrein­ fondées dans leur action qu’elles
dre depuis la promulgation de la disent avoir déjà recensé des vio­
loi sur les obligations des multi­ lations aux principes auxquels la
nationales en mars 2017. multinationale affirme souscrire.
L’action engagée, lundi 24 juin, Dickens Kamugisha croit en tout
par Les Amis de la Terre et Survie, cas bien plus en la justice française

imagine
auxquels se sont jointes quatre qu’en celle de son pays pour obte­
ONG ougandaises, est une pre­ nir que les droits des populations
mière et pourrait déboucher sur déplacées par le projet soient res­
une saisie de la justice si l’entre­ pectés. Le directeur exécutif de
prise ne répond pas d’une manière l’Africa Institute for Energy Gover­
jugée satisfaisante aux accusa­ nance (Afiego), associé à la mise
tions portées contre elle d’ici trois en demeure, se bat depuis plu­

4-6 octobre 2019


mois. « Jusqu’à présent, les multina­ sieurs années contre Tilenga.
tionales avaient beau jeu de faire Son association a porté plainte
remonter les bénéfices de leurs filia­ en mai contre l’Autorité nationale
les vers la société mère, mais jamais de gestion de l’environnement
leurs responsabilités en matière de (NEMA) pour les conditions dans
respect des droits humains ou de lesquelles le certificat d’évaluation
préservation de l’environnement. d’impact social et environnemen­
La loi sur le devoir de vigilance ré­ tal du projet a été approuvé. « Total
pare cette faille », rappelle Juliette Ouganda sous­traite l’acquisition
Renaud, des Amis de la Terre. de terres nécessaires au projet, le
Le texte oblige les sociétés de déplacement et la réinstallation
plus de 5 000 salariés à établir une des communautés à Atacama Con­
cartographie précise des risques sulting. Or cette société exerce des
associés à leur activité et à dé­ menaces sur les paysans. Elle les
tailler les mesures prises pour les contraint à céder leurs parcelles à
prévenir dans un plan de vigi­ un prix qui ne leur permet pas de se
lance rendu public. réinstaller loin du futur site d’ex­
Or le projet Tilenga, développé ploitation et de ses nuisances et leur
par une filiale détenue à 100 % par interdit de cultiver leur terre dès le
Total aux abords du lac Albert en contrat signé. Ces acquisitions for­
Ouganda, ne fait l’objet d’aucune cées contreviennent aux conven­
attention spécifique dans le plan tions internationales et Total ne
de vigilance de la première entre­ peut l’ignorer », dénonce le juriste,
prise française, selon Les Amis de de passage à Paris.
la Terre et ses partenaires. Il pré­ Poing levé, il se dit prêt pour le
sente pourtant un niveau de ris­ combat, tout en sachant que, face
ques très élevé, tout comme l’oléo­ à une entreprise dont le chiffre Opéra Bastille - Théâtre des Bouffes du Nord - Cinéma Beau Regard
duc qui acheminera le pétrole ex­ d’affaires pèse près de huit fois le
trait au sein de l’aire naturelle pro­
tégée de Murchison Falls vers les
PIB de son pays, « ce sera dur ». En
tout cas, même à 6 000 km de dis­
Programme et inscription sur festival.lemonde.fr
côtes tanzaniennes, à 1 445 kilo­ tance, il n’est plus impossible
mètres de là. Pour la construction d’exiger des comptes. Contacté
du East African Crude Oil Pipeline par Le Monde, Total indique réser­
(EACOP), un ouvrage présenté ver sa réaction après l’examen de
comme « le plus long pipeline de l’intégralité des pièces citées par
pétrole brut chauffé au monde », les ONG dans leur mise en de­
la major française est associée à la meure et dont une partie ne lui
société chinoise CNOOC et à la bri­ est pas parvenue. 
tannique Tullow Oil. laurence caramel
14 | économie & entreprise 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

URBANISME  EN  ÎLE­DE­FRANCE

Transports : la révolution sur les rails


LES DÉFIS DU GRAND PARIS  1|5 Les 200 kilomètres de lignes
RÉCIT et les 68 gares du métro du Grand Paris ques publiques devront continuer à s’en oc­

C’
cuper, abonde la directrice de l’Apur. Il ne

est un train climatisé et


devraient changer la vie quotidienne de millions faudra pas tout lâcher une fois l’équipement
livré, comme on l’a fait pour les villes nouvel­
connecté, dont les ra­
mes automatiques vê­
de Franciliens. Reste que les nouvelles lignes les ou les grands ensembles, mais continuer à
se préoccuper du logement social, de l’accès
tues de blanc et bleu em­
portent chacune un mil­
pourraient être rapidement saturées et aux soins. »
Surtout, des acteurs du transport crai­
lier de voyageurs à
60 km/h dans les profondeurs du Grand Pa­
que subsiste un besoin criant d’investissements gnent que les chantiers lancés soient déjà in­
suffisants. Les nouvelles lignes, comme la 14
ris, avalant les distances, effaçant les fron­ et la 15, risquent d’être saturées dès leur en­
tières, réparant les fractures. Le Grand Paris trée en fonction. Le Grand Paris Express va
Express, ses 200 kilomètres de lignes et ses soulager certaines lignes, mais aussi dépla­
68 gares vont inscrire des territoires perdus naissent une hausse du trafic de 2 % à 3 % par nagement sortent de terre, des millions de cer la congestion sur d’autres en ouvrant de
sur la carte de l’agglomération parisienne an, concentrée en proche couronne, c’est une mètres carrés s’empilent, laissant les habi­ nouvelles connexions. « La conviction qu’il
désenclaver des îlots isolés de l’archipel ur­ dynamique monstrueuse », soupire Jacques tants souvent stupéfaits, parfois révoltés par faut réaliser un métro en rocade date du dé­
bain, se connecter aux métros, s’accrocher Baudrier, conseiller municipal (PCF) de Pa­ cette soudaine densité. « Si l’on veut éviter but des années 1990… Le Grand Paris Express
aux tramways. A la fois colonne vertébrale ris et administrateur d’IDFM. Par ses l’artificialisation des terres en grande cou­ va arriver avec vingt ans de retard, et il n’aura
et système artériel, le métro du Grand Paris liaisons circulaires, ses connexions multi­ ronne, il faut que la proche banlieue avoisine pas tout résolu », estime Jacques Baudrier.
doit enfin donner corps à cette métropole ples avec les autres transports, le Grand Pa­ une densité comparable à celle de Paris », dé­ Les élus communistes plaident pour met­
qui se résume souvent à un face­à­face mé­ ris Express devrait alléger à la fois les RER et fend Fouad Awada. Il y a de la marge : Paris tre à l’étude dès à présent le prochain métro :
fiant entre la capitale et sa banlieue. les routes, donner une bouffée d’oxygène à héberge 2 millions d’habitants sur 105 kilo­ une autre ligne en rocade, plus proche de Pa­
L’attente a été longue, les échéances plu­ tout le réseau. mètres carrés, la petite couronne 5 millions ris, connectée aux métros et aux RER, pour
sieurs fois reculées. Encore en 2018, le pre­ Et à beaucoup de Franciliens aussi, qui vont sur 700 kilomètres carrés… La région gagne anticiper la densification de la petite cou­
mier ministre, Edouard Philippe, a retardé voir leur vie chamboulée par une nouvelle plus de 50 000 habitants chaque année, or ronne. Coût estimé : 7 milliards d’euros,
des lignes et échelonné leur mise en service échelle de temps. Un chercheur ira d’Orly à cette croissance démographique s’effectue pour un million de voyageurs par jour,
entre 2024 et 2030, par « réalisme » techni­ Saclay en un quart d’heure, contre plus aux deux tiers en grande couronne, accen­ autant que le RER B aujourd’hui.
que et financier. Des aléas surviendront qui d’une heure aujourd’hui. Pour se rendre à tuant la pression sur les terres agricoles et
ajouteront six mois ici, un an là. Mais l’es­ l’université de Créteil (Val­de­Marne), une les grandes radiales de transport. LE VÉLO, INGRÉDIENT MANQUANT
sentiel est acquis : l’ensemble de ce réseau à étudiante de Clichy­sous­Bois ou de Mont­ UN CHERCHEUR IRA  Les gares peuvent être le levier de ce chan­ Ce n’est pas tout. « Le Grand Paris Express a
35 milliards d’euros a été confirmé. Les tun­
neliers creusent, les chantiers avancent.
fermeil (Seine­Saint­Denis) mettra une de­
mi­heure, trois fois moins qu’actuellement.
D’ORLY À SACLAY  gement de densité, le centre de ces nou­
veaux pôles d’habitat. « Le Grand Paris Ex­
un peu éclipsé d’autres projets plus anciens
qui, aujourd’hui, sont dans l’incertitude », re­
« Après le métro parisien et les RER Paris­ Il faudra trente­six minutes, contre près EN UN QUART  press a fait prendre conscience aux acteurs grette le président de la Fédération natio­
banlieue, on passe à la troisième époque des d’une heure, à un habitant de Chelles (Seine­ qu’il faut diversifier l’offre de logements dans nale des associations d’usagers des trans­
réseaux : un métro circulaire, en rocade, de et­Marne) pour aller à La Défense (Hauts­de­ D’HEURE, CONTRE  les quartiers de gare, c’est positif, mais il faut ports (Fnaut) en Ile­de­France, Marc Pélis­
banlieue à banlieue », apprécie Valérie Pé­
cresse (DVD), présidente du conseil régional
Seine)… On pourrait continuer longtemps :
la Société du Grand Paris, l’établissement pu­
PLUS D’UNE HEURE  aussi veiller à requalifier l’ancien, pas unique­
ment construire du neuf », avertit Stéphanie
sier. Des tronçons de tramways, des prolon­
gements de métros sont mis entre
et du syndicat des transports Ile­de­France blic chargé de réaliser le super­métro, pro­ AUJOURD’HUI. Jankel, urbaniste à l’Apur. D’autant plus que parenthèses, certains projets sont gelés…
Mobilités (IDFM), pour qui le Grand Paris Ex­ pose sur son site un calculateur de trajets 10 % du parc de logements de la métropole « On nous avait aussi annoncé des bus en site
press s’inscrit dans « une révolution des pour tester les futurs gains de temps. UN HABITANT sont sous­occupés ou vacants, l’équivalent propre TZen, censés être plus faciles à dé­
transports qui va se faire tous azimuts ». Pro­ « Le nouveau métro est avant tout un outil ployer, et ils progressent encore moins vite
longement de lignes de métro historiques, d’équité sociale, qui va concrétiser l’égalité DE CHELLES QUI  de dix années de production neuve…
Au final, sur la moitié ouest, où le réseau que les tramways », rappelle M. Pélissier.
création de tramways et de trams­trains en­ des chances dans la métropole », estime Do­ VOUDRA SE RENDRE  passe à faible distance de la capitale, « il n’y Les 2 milliards d’euros prélevés sur le bud­
tre villes de banlieue, renouvellement des minique Alba, la directrice générale de l’Ate­ aura plus de différence entre être Parisien ou get de la Société du Grand Paris en 2013 pour
RER et des bus remodèlent l’agglomération lier parisien d’urbanisme (Apur). Alors que À LA DÉFENSE  non », anticipe Fouad Awada. « Le Grand Pa­ réaliser d’autres infrastructures ont été con­
parisienne… « C’est une révolution écologi­ le transport est, aujourd’hui, l’une des prin­ ris Express va conduire à un élargissement de sommés. « Il manque déjà 30 millions de la
que, économique, sociologique, comporte­ cipales contraintes qui entravent la vie des METTRA TRENTE­ Paris, ça va être un effet considérable, un saut part de l’Etat pour 2019, et le contrat de plan
mentale, qui va profiter à toute la région »,
s’enthousiasme Mme Pécresse.
Franciliens, « un grand nombre de gens vont
retrouver des temps de trajets “parisiens” de
SIX MINUTES,  qualitatif », pense le directeur de l’IAU. Pour
le croissant est, là où le Grand Paris Express
Etat­région s’arrête en 2020. On ne sait pas ce
qu’il se passera ensuite », s’inquiète le prési­
Des 7 millions d’habitants de la métropole vingt minutes pour aller au travail et avoir CONTRE part irriguer des terres plus lointaines, la dent de la Fnaut. La situation est d’autant
aux milieux économiques, des élus locaux accès à des services démultipliés en matière mue urbaine est plus incertaine. plus préoccupante qu’au­delà des créations
aux acteurs de la mobilité, chacun attend de culture, de sport, de santé, d’éducation, PRÈS D’UNE HEURE  Les opportunités vont se multiplier pour de lignes il y a un besoin criant d’investisse­
énormément de ce bouleversement. Peut­
être trop. « Il y a d’abord un enjeu de conges­
sans qu’il soit besoin de construire davantage
d’équipements », analyse­t­elle.
ACTUELLEMENT les habitants de ces territoires en grande dif­
ficulté. Clichy­Montfermeil va voir le nom­
ments pour renforcer les capacités des li­
gnes existantes. « Ce sont des centaines de
tion de tous les transports, un décalage de bre d’emplois accessibles en un trajet de millions d’euros qui ne figurent nulle part, qui
l’offre par rapport à la demande qui impose LES GARES, VÉRITABLE LEVIER 45 minutes de transports en commun bon­ restent à l’étude depuis des années », estime
des investissements massifs après un long re­ Le Grand Paris Express alimentera directe­ dir de + 990 %, Aulnay­sous­Bois de + 730 %, M. Pélissier.
tard », rappelle Fouad Awada, le directeur gé­ ment près de 2 000 équipements sportifs et Champigny­sur­Marne de + 260 %. Pour de Au total, pour compléter le réseau et ache­
néral de l’Institut d’aménagement et d’urba­ 130 établissements d’enseignement supé­ nombreuses communes, le gain est supé­ ver un maillage qui donne sa cohérence à
nisme (IAU) d’Ile­de­France. Tous les dix ans, rieur. Des hôpitaux métropolitains et de rieur à 50 %… « Si on ne faisait pas ce métro, l’ensemble, il faudrait dépenser entre 15 mil­
près de 2 millions de personnes supplémen­ grands pôles de santé comme l’Institut Gus­ les tensions sociales deviendraient insoute­ liards et 20 milliards d’euros en plus du
taires ont besoin de se déplacer dans la ré­ tave­Roussy à Villejuif (Val­de­Marne) ver­ nables, mais le métro ne changera pas la Grand Paris Express d’ici à 2035, estime Jac­
gion capitale. « Les transports publics ont ab­ ront leur accès facilité. Pour tous, le métro va structure de la population ni les inégalités de ques Baudrier. Une paille, alors que la rééva­
sorbé les trois quarts de cette croissance, par rebattre les cartes. « Les élus commencent à revenus ; la mobilité a elle seule ne crée pas luation de la facture du super­métro de
une surcongestion de certaines lignes », cons­ prendre conscience qu’ils doivent fonctionner l’égalité », prévient Dominique Alba à l’Apur. 25 milliards à 35 milliards d’euros en 2017 a
tate M. Awada. en réseau, partager les ressources », observe Car il ne suffira pas d’attendre que le provoqué une grave crise. « Aujourd’hui,
Chaque année, la fréquentation du RER A la directrice de l’Apur. Grand Paris Express accomplisse ses pre­ pour tous les projets lancés, on va investir
s’accroît de 50 000 passagers par jour, celui Au final, une métropole redessinée s’an­ mières boucles pour régler les déséquilibres 5 milliards d’euros par an jusqu’en 2030 ; il
du RER B de 30 000 voyageurs. Toutes les li­ nonce, plus compacte, plus urbaine. Autour de la métropole. « Le marché immobilier suffit de maintenir ce rythme quelques an­
gnes craquent. « Les transports publics con­ des gares, des dizaines d’opérations d’amé­ s’occupe de ce qui est facile ; le reste, les politi­ nées de plus », relativise l’élu communiste.
Un effort considérable pour, in fine, faire
passer la part modale des transports en
Le téléphérique urbain s’invite dans le ciel de la métropole commun de 20 % à 30 %…
Pour compléter ces investissements
lourds et faciliter le rabattement vers les ga­
un nouveau venu pourrait faire son apparition mois, les conclusions de l’audit mené, avec un bu­ « La visibilité sera limitée, on sera à 15 mètres des ha­ res, un ingrédient manque encore : le vélo.
dans le paysage des transports du Grand Paris. At­ reau d’études spécialisé, sur douze projets de télé­ bitations au plus près et on travaillera avec le fabri­ « Nous voulons tripler l’usage du vélo : la moi­
tendu et débattu depuis des années, le premier télé­ phériques urbains recensés dans la métropole. cant des cabines pour limiter les vues vers le bas », as­ tié des trajets domicile­travail dans la région
phérique urbain francilien est en passe d’obtenir « Peu de projets tiennent vraiment la route », cons­ sure Mme Hanen. Reste que l’opposition des habi­ font moins de 7 kilomètres, et la moitié des
son dernier feu vert : la commission d’enquête pu­ tate Elodie Hanen, directrice générale adjointe tants, notamment quand le câble doit passer au­des­ 16 millions de trajets en voiture effectués cha­
blique doit rendre son avis dans les jours qui vien­ chargée du développement chez IDFM. Tous affi­ sus de calmes zones pavillonnaires, a déjà fait que jour font moins de 3 kilomètres », rap­
nent, prélude à une déclaration d’utilité publique. chent un taux de rentabilité nettement inférieur à capoter un projet à Issy­les­Moulineaux (Hauts­de­ pelle Valérie Pécresse. Aujourd’hui, les pistes
Cette liaison de 4,5 kilomètres et cinq stations 8 % – à partir duquel un projet devient envisagea­ Seine) et fragilise celui envisagé entre Pont­de­Sè­ en site propre sont parcellaires, indigentes,
doit relier Villeneuve­Saint­Georges à Créteil, dans ble –, quand celui du Câble A monte à 11 %. « Le câble vres et Vélizy (Yvelines). Pour contourner les difficul­ des pans entiers de parcours manquent,
le Val­de­Marne, où elle sera connectée à la ligne 8 est pertinent quand on doit franchir des obstacles tés, les lignes doivent multiplier les changements de sans parler des parkings… La région a mis en
du métro. Un trajet aérien de vingt minutes dans qui imposent de gros détours par la route, comme direction, donc les stations intermédiaires, ce qui est place un plan doté de 100 millions d’euros
des cabines de dix places accessibles aux vé­ des faisceaux ferroviaires, mais il présente aussi des très coûteux. Quand une solution existe par la route, pour accélérer les investissements. Mais il
los, suspendues entre 25 et 45 mètres au­dessus du difficultés », avertit Mme Hanen. mieux vaut souvent renforcer une ligne de bus. Ce faudrait investir 3 milliards sur dix ans pour
sol et circulant toutes les trente secondes aux heu­ sera sans doute le cas pour le projet de téléphérique faire passer la part modale du vélo dans la
res de pointe, pour un trafic estimé à 11 000 voya­ D’autres projets pourraient voir le jour entre Roissy et Goussainville, dans le Val­d’Oise. métropole de 2 % à 10 %.
geurs chaque jour. Les règles de sécurité imposent de passer à plus de Quelques projets pourraient toutefois sortir des Le jeu en vaut la chandelle : si l’on consi­
D’un coût de 132 millions d’euros, ce projet de Té­ 20 mètres au­dessus des habitations, ce qui rend cartons, notamment si des améliorations techni­ dère un rayon de 2 kilomètres autour des ga­
léval a été rebaptisé Câble A par Ile­de­France Mobi­ presque impossible le survol d’immeubles de plus ques diminuent leur coût ou si leurs prévisions res, la combinaison vélo­métro propulse
lités (IDFM). Manière de suggérer qu’il pourrait y de trois étages. Et passer au­dessus de zones boi­ de trafic augmentent, à la faveur de la mise en ser­ 95 % des habitants de la métropole dans des
avoir, un jour, des lignes B, C, etc. Mais si les envies sées oblige à défricher des corridors. Deuxième vice de nouvelles lignes métro ou de tramway. temps de transport d’une demi­heure. La vie
de téléphérique ne manquent pas dans le Grand Pa­ obstacle : l’acceptabilité de ces téléphériques. A C’est le cas du téléphérique entre Bobigny et Ro­ parisienne. 
ris, il n’est pas sûr que d’autres liaisons voient le Créteil, les riverains du quartier des Sarrazins ne mainville (Seine­Saint­Denis), ou entre Melan et grégoire allix
jour rapidement. IDFM a douché les espoirs des sont pas ravis de l’arrivée de ces cabines avec vue Les Mureaux (Yvelines). 
élus franciliens en leur présentant, ces derniers plongeante chez eux. g. a. Prochain volet La métropole invisible
économie & entreprise | 15
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MERCREDI 26 JUIN 2019

Le Mesnil-Amelot
Aéroport-
Le doublement du réseau francilien d’ici à 2030 Roissy-CDG

Aéroport-Charles-de-Gaulle-T2
DATE DE MISE EN SERVICE DES LIGNES
2020-2021 2022 2024-2025 2027 2030
Triangle-de-Gonesse
17
Prolongement envisagé VAL-D’OISE Parc-des-Expositions
17 CDG Express
Prolongement incertain
Aulnay Sevran-
Le Bourget-Aéroport 16 Beaudottes
Vers Mantes-la-Jolie
N E Saint-Denis-
EI
S Pleyel
Sevran-Livry
16 17
Le Bourget-RER
Eole
Mairie-
Tronçon Ouest d’Aubervilliers Drancy-Bobigny
Mairie- SEINE-
de-Saint-Ouen 12 SAINT-DENIS
Aubervilliers- Clichy-Montfermeil
Nanterre-la-Folie Front-Populaire
Bondy

12
4 Eol
e 16
La Défense
1 11
Zone Rosny-Bois-Perrier
urbaine Rueil-Malmaison- 14 Saint-Lazare Mairie-des-Lilas Chelles
dense Mont-Valérien 11 15 NE
AR
14

15 M
PARIS
YVELINES HAUTS- Val-de-Fontenay
DE-SEINE
10 1 1 Noisy-Champs
Saint-Cloud 8 Austerlitz 10
Château-de-Vincennes
4

12 Mairie-de- Olympiades SEINE-


Montrouge ET-MARNE
Pont-de-Sèvres 14
4
15
Fort-d’Issy- 15 Ivry- Eol
Gambetta Champigny-Centre e
Vanves-Clamart
Versailles-Chantiers Bagneux
Vitry-Centre Créteil-L’Echat
Villejuif-Institut-
Gustave-Roussy
L. 8

18 Les Ardoines
8 Créteil-Pointe-du-Lac
Saint-Quentin-Est 14
VAL-DE-MARNE
Pont-de-Rungis
Téléphérique
CEA-Saint-Aubin
(Saclay) Bois-Matar
Massy-Palaiseau (Villeneuve-Saint-Georges)
18
Aéroport-d’Orly S E IN
E
SOURCES : IDF MOBILITÉS ;
ESSONNE
SOCIÉTÉ DU GRAND PARIS ; RATP Palaiseau
Orsay-Gif 2 km
INFOGRAPHIE LE MONDE

Des logements par milliers avec ou sans métro


Plus de 6 000 logements sont programmés à Neuilly­sur­Marne, malgré l’abandon de l’extension de la ligne 11

A l’entrée du parc de l’an­


cien hôpital psychiatri­
que de Maison­Blanche, à
Neuilly­sur­Marne, en Seine­
d’annoncer sobrement « de nou­
veaux transports pour une des­
serte renforcée ». Car, entre­
temps, il est devenu évident qu’à
ambitions du maire pour sa com­
mune, qui va grossir de 50 %.
De toute façon, les deux tiers
des 1 250 logements de la pre­
L’OPÉRATION 
VA AJOUTER 
terrement de première classe », es­
time Gaëtan Grandin.
« L’hypothèse d’une extension
de la ligne 11 a été actée par le syn­
Pour lui, la construction se justi­
fie, avec ou sans métro : « On ne
doit pas construire de logements
dans la pampa, là où on ne peut
Saint­Denis, huit promoteurs at­ l’heure du super­métro, du déve­ mière tranche étaient déjà pré­ AU BAS MOT 15 000  dicat des transports sans aucune pas vivre sans voiture, mais, ici, ce
tendent les acheteurs dans leurs loppement durable et de la cons­ vendus au moment du change­ étude préalable, pour accélérer n’est pas le cas : on est à moins de
cabanes de vente. Sur les images truction du Grand Paris, la plus ment de ton sur le métro. « Ça ne À 20 000 PERSONNES,  l’opération immobilière. Il y a eu quinze minutes de trois RER. »
qui se veulent alléchantes, de fu­
turs habitants radieux déambu­
grosse opération immobilière de
toute la métropole serait réalisée
fait pas une grosse différence, ça
continue à bien se vendre quand
DANS UNE VILLE  une entente entre la ville, l’Etat et
la région », accuse Henriette Zou­
Alors que la région ne parvient
pas à tenir ses objectifs de bâtir
lent dans un parc arboré semé sans le prolongement de ligne qui même : les gens n’achètent pas que DE 35 000 HABITANTS,  ghebi, ancienne vice­présidente 70 000 logements chaque année,
d’immeubles sagement contem­ devait la desservir… pour les transports », assure un (Front de gauche) du conseil ré­ pas question de renoncer à une
porains, mêlant peinture blanche Quatre mille deux cents loge­ promoteur. MAIS SANS TRANSPORTS  gional d’Ile­de­France, qui mi­ opération aussi ambitieuse. « Si
on ne construit pas ici, sur un fon­
et parement de briques, terrasses
et maisons sur le toit.
ments programmés sur le parc de
Maison­Blanche, 2 000 de plus « Aucune étude préalable » SUPPLÉMENTAIRES lite, au côté de son conjoint, Mi­
chel Tavet, conseiller municipal cier public, si près de Paris, où dia­
Pour 3 800 à 4 500 euros le mè­ prévus de l’autre côté de la route « Faire autant de logements sans (Parti communiste français) de ble le ferons­nous ? », interroge
tre carré, cette opération emblé­ sur des terrains de l’autre hôpital métro, c’est de la folie douce », se Neuilly­sur­Marne, pour que la l’aménageur.
matique de la « ville durable » pro­ psychiatrique de la commune, ce­ désole Gaëtan Grandin. Ce con­ Comment en est­on arrivé là ? commune revoie ses projets de Michel Tavet et Henriette Zou­
met un « quartier ambitieux » lui de Ville­Evrard… Soit 15 000 à seiller départemental (Les Répu­ En 2011, la future portion de mé­ développement. ghebi bataillent pour que les tran­
dans un « site exceptionnel » de 20 000 personnes de plus au bas blicains) a tenté, en 2018, de faire tro entre Rosny­Bois­Perrier et Quelques années plus tard, ces ches suivantes de logements
58 hectares, entre deux parcs na­ mot, dans une ville de 35 000 ha­ voter un moratoire sur l’opéra­ Noisy­Champ, d’un coût de études sont finalement réalisées soient réexaminées à la baisse et
turels en bord de Marne. Tout ça bitants, mais sans transports sup­ tion au sein du conseil du terri­ 1,5 milliard d’euros, était pro­ et le verdict tombe : le taux de remplacées par un programme
« au pied de la future station ligne plémentaires. toire Grand Paris­Grand Est, qui grammée comme une branche rentabilité prévisible n’atteint mêlant nature, culture et forma­
11 », proclamaient les panneaux « La réalisation de la ligne 11 est réunit quatorze communes. Le de la ligne 15 du Grand Paris Ex­ pas les 2 %. A moins de 8 %, les tion, mettant en valeur le parc et
placardés le long du site lors du vitale pour notre commune et feu vert finalement accordé par press, dotée de ses propres res­ projets ne sont même pas envi­ l’héritage psychiatrique du site. Le
lancement de la commercialisa­ pour cette partie délaissée de la les élus l’a conduit à démission­ sources financières. Mais, sagés… « A mesure que ce secteur maire, lui, hausse le ton : « Le mé­
tion des appartements, en 2017… Seine­Saint­Denis », plaide Jac­ ner de ce conseil territorial… « On en 2013, le tronçon est passé, d’un s’urbanise, le menu des mobilités tro a été programmé par un décret
Mais si le site Internet de l’opé­ ques Mahéas, maire (DVG) de va installer l’équivalent de la po­ trait de crayon, de la ligne 15 à un sera réexaminé, les taux de renta­ en Conseil d’Etat et le gouverne­
ration garantit encore « une fu­ Neuilly­sur­Marne depuis plus de pulation d’une petite ville de ma­ prolongement de la ligne 11… Un bilité peuvent évoluer : je crois que ment de l’époque s’y est engagé. Je
ture gare du réseau Grand Paris quarante­deux ans. Pas question nière très dense sur un petit terri­ changement de couleur en appa­ le métro se fera, même si le calen­ vais finir par attaquer en justice ! »
Express » à l’entrée du quartier « à toutefois pour l’édile de stopper toire, alors que la route nationale rence anodin, mais qui faisait dé­ drier n’est pas connu », rassure Maison­Blanche sera sans aucun
l’horizon 2025 », plus personne l’opération : il aurait fallu indem­ et la ligne de bus sont déjà satu­ sormais dépendre sa réalisation Thierry Lajoie, le PDG de Grand doute au menu des prochaines
n’y croit. Les affiches autour du niser les promoteurs, les entre­ rées tous les matins », déplore des arbitrages financiers d’Ile­de­ Paris Aménagement, qui pilote élections municipales. 
chantier se contentent désormais prises… et renoncer aux grandes Gaëtan Grandin. France Mobilités. « C’était un en­ l’opération. grégoire allix
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MERCREDI 26 JUIN 2019

PERTES & PROFITS | FACEBOOK
Capgemini absorbe Altran par philippe es cande

pour numériser les usines Un éléphant dans la


jungle des monnaies
L’opération donnera naissance à un leader de la transformation digitale
Au Zimbabwe, on a trop d’élé­ parlait commerce des éléphants,

L’
phants et pas assez de dollars. Au la banque centrale du Zimbabwe
usine 4.0 a trouvé un coup de passion », c’est qu’il crée à 80,6 millions) en raison de l’inté­ pouvoir depuis fin 2017, le prési­ a donc annoncé que les mon­
leader de la numérisa­ « un superchampion parfaitement
« Nous serons très gration de l’américain Aricent. dent Emmerson Mnangagwa naies étrangères ne seraient plus
tion des processus in­ doté de capacités dans les deux puissants dans Une acquisition marquée par un tente désespérément de relancer autorisées pour les transactions
dustriels et des pro­ parties IT [technologies d’infor­ incident financier chez Aricent l’économie d’un pays laissé ex­ locales. Le dollar zimbabwéen,
duits. Le groupe de services infor­ mation] et OT [technologies d’ex­
l’automobile, précédant le rachat qui avait en­ sangue après trente­sept ans pas­ espèce en voie de disparition, fait
matiques Capgemini a annoncé, ploitation] ». l’aéronautique, traîné une chute en Bourse, avant sés sous la férule du dictateur son grand retour. Mais la valeur
lundi 24 juin, qu’il allait lancer que le titre retrouve un niveau pro­ Robert Mugabe. Le pays est prêt de la nouvelle devise chute
une OPA amicale sur la société de Un marché « très fragmenté »
les télécoms, che de celui de juillet 2018. à vendre des éléphants « à tous inexorablement, comme au
conseil en technologies Altran, « Nous avons regardé dans diffé­ la high tech » Les marchés devraient approu­ ceux qui veulent de la nature sau­ temps du sinistre Mugabe.
dont les métiers sont complé­ rentes directions. Altran, c’est le ver l’opération, même s’il n’est ja­ vage », a affirmé, lundi 24 juin, la
PAUL HERMELIN
mentaires et les marchés de plus groupe le plus mondial. Quand mais facile d’intégrer 46 000 sala­ ministre du tourisme, Prisca Mu­ L’alternative du libra
patron de Capgemini
en plus proches. L’opération don­ nous les avons appelés, ils n’ont pas riés dans une entreprise. Cela fait pfumira, à Bloomberg, à l’occa­ C’est en pensant à ce genre de si­
nera naissance, selon les deux en­ été surpris », raconte le patron de quelques années que les analystes sion d’une réunion des quatre tuation que Facebook a annoncé
treprises, à « un leader mondial de Capgemini. Paul Hermelin dit vi­ et les spécialistes du secteur envi­ pays (Zimbabwe, Zambie, Nami­ le lancement prévu en 2020 de sa
la transformation digitale des en­ vre là « un grand moment d’inno­ formation digitale des entreprises sageaient un tel rapprochement. bie et Botswana) qui hébergent monnaie virtuelle, le libra. En
treprises industrielles et de techno­ vation, de création et de combinai­ industrielles ». L’industrie recourt Il n’est donc pas une surprise, plus de la moitié de la population théorie, il permettrait de payer
logie » qui pèsera 17 milliards son des savoir­faire » des deux de plus en plus à la 5G, aux objets même si Capgemini avait jusqu’à mondiale de ces pachydermes. ses biens dans une monnaie qui
d’euros de chiffre d’affaires et em­ groupes. Il ne s’agit pas, assure­t­il, connectés, aux imprimantes 3D, à présent privilégié des acquisi­ Car l’animal menacé, à Harare, ne se déprécierait pas, puisque sa
ploiera 256 000 collaborateurs. de synergies sur les coûts qui se l’intelligence artificielle et à la tions plus modestes, notamment la capitale, c’est la monnaie, dont valeur est calée sur un panier de
Approuvée à l’unanimité des traduiraient par des suppressions réalité augmentée. Cette « Intelli­ aux Etats­Unis depuis quatre ans. la gestion est le casse­tête quoti­ devises fortes comme le dollar ou
deux conseils d’administration, d’emplois. Mais l’opération géné­ gent Industry » a besoin d’experts De son côté, l’expertise d’Altran dien des quelque 16 millions l’euro. Mais cela soulève deux
l’opération se fait sur la base de rera des économies de 70 millions pour s’équiper et fonctionner, bénéficiera de la taille et des bases d’habitants. Après une année problèmes. D’une part, le fait que
14 euros par action Altran (+ 22 % et 100 millions d’euros avant im­ grâce à des groupes comme Ac­ offshore à bas coût de Capgemini 2008 cauchemardesque, qui a vu le libra évolue comme le dollar
par rapport au cours du 21 juin). pôts en année pleine et un chiffre centure, Siemens ou Dassault Sys­ (Inde, Europe de l’Est…) pour se l’inflation atteindre 500 mil­ pose le même problème de coût
Cela porte la transaction en nu­ d’affaires additionnel de 200 mil­ tèmes. « Nos expertises sont par­ déployer. liards de pourcents, le gouverne­ du change pour les gens payés en
méraire à 3,6 milliards, auxquels lions à 350 millions. En outre, il ne faitement complémentaires et A l’heure de l’explosion du big ment a abandonné le dollar zim­ monnaie locale. D’autre part, les
s’ajoute une dette nette de pense pas être obligé de céder des nous proposerons une combinai­ data, les sociétés traditionnelles babwéen pour de simples certifi­ Etats vont interdire ce concurrent,
1,4 milliard. Capgemini indique actifs par les autorités de la con­ son unique sur le marché. Nous se­ sont face à des choix aussi straté­ cats, dont la valeur dépendait des comme ils le font avec le dollar
avoir sécurisé un financement re­ currence sur un marché qui reste rons notamment très puissants giques qu’urgents pour éviter devises étrangères. Les adminis­ américain et déjà, dans certains
lais de 5,4 milliards. « Ce rappro­ « très fragmenté ». dans l’automobile, l’aéronautique, d’être distancées par leurs concur­ trations ont fini par accepter les pays, avec les actuelles crypto­
chement n’est pas un changement Ce projet permettra à Capge­ les télécoms, la high­tech », se féli­ rents, voire « disruptées » par de règlements en dollars américains monnaies. Or Facebook a indiqué
de stratégie pour nous », a souli­ mini, selon M. Hermelin, de cite le patron de Capgemini. nouveaux venus comme Space X ou en rands sud­africains. Mais que le libra ne serait pas utilisé
gné Dominique Cerutti, PDG d’Al­ « prendre le leadership sur le seg­ « Capgemini va gagner dix, voire dans les lanceurs spatiaux ou leur rareté étrangle l’économie, dans les pays qui n’en voudraient
tran. S’il l’a défendue « avec beau­ ment très prometteur de la trans­ vingt ans dans la construction de Google dans le véhicule auto­ et les fonctionnaires payés en pas et dans ceux sanctionnés par
son offre, comparé au temps que nome. Les entreprises qui ne sont monnaie locale ne pouvaient les Etats­Unis, comme l’Iran. Un
cela lui aurait pris s’il l’avait fait par pas « digital native » doivent plus s’offrir des services ou des éléphant qui ne fera donc pas

17 MILLIARDS
croissance organique, note Nicolas s’adapter. « Elles essaient de le faire biens vendus en dollars améri­ beaucoup de dégâts dans la jungle
David, analyste chez Oddo. Il ac­ en interne, mais elles ont du mal », cains. Ce même lundi, où l’on monétaire mondiale. 
cède ainsi à une base d’ingénieurs constate Patrick Darmon, direc­
énorme qu’il lui aurait fallu des an­ teur exécutif d’Accenture Applied
nées pour recruter. Et cela à un prix Intelligence. Il y a donc un marché
Ce sera, en euros, le chiffre d’affaires du nouvel ensemble formé par plutôt correct dans la mesure où colossal pour les accompagner. 
Capgemini et Altran. La transaction estimée à 5 milliards d’euros en
comptant la reprise d’une dette de 1,4 milliard d’euros devrait per-
mettre des économies de 70 à 100 millions d’euros en année pleine.
Altran revient un peu de loin. »
En 2018, la société a accusé un fort
recul de son bénéfice net (– 38,4 %,
jean­michel bezat,
zeliha chaffin
et vincent fagot
Les réalisateurs de
documentaires s’unissent
Un syndicat est créé dans le but de peser
A Radio France, Sibyle Veil T RA N S P O RTS
Catherine Guillouard
devrait être reconduite
dans les négociations face aux producteurs

L
à la tête de la RATP
change de numéro deux Emmanuel Macron a fait part,
lundi 24 juin, de son intention
de reconduire Catherine
e mouvement de revendi­
cations des réalisateurs de
documentaires grandissait
fournissant des contrats types et
des grilles de salaires selon le pro­
gramme, pour savoir quoi deman­
Guillouard au poste de PDG depuis plusieurs semaines sur les der à certains producteurs qui
Guy Lagache, directeur des antennes, est remplacé par Dana Hastier de la RATP. Les présidents de réseaux sociaux. Il va se traduire fonctionnent parfois à la tête du
l’Assemblée nationale et du par la création du premier syndi­ client », ajoute le journaliste Sté­

V
Sénat ont été saisis, « afin que cat professionnel, alors qu’il phane Bentura.
irage sur l’aile chez Radio une source bien informée. Le jour­ firme une source. « Il commençait la commission intéressée de n’existait jusqu’à présent qu’une
France. Sibyle Veil a con­ naliste aurait même anticipé son à s’imposer ici », modère un cadre. chacune des [chambres] se multitude d’associations. « Volume démultiplié »
firmé, lundi 24 juin, le dé­ départ de quelques jours, en rai­ Contrairement à Guy Lagache, prononce » sur la nomination, Cette Guilde des auteurs­réali­ La précarisation du secteur s’est
part de Guy Lagache, nommé il y a son de désaccords avec « la tech­ Dana Hastier, même si elle est dit un communiqué. – (AFP.) sateurs de reportages et docu­ accélérée avec le foisonnement
un an au poste de directeur délé­ nostructure » de Radio France. également sans expérience radio, mentaires, dont la naissance à des chaînes de télévision au bud­
gué aux antennes. L’ex­présenta­ Comprendre Sibyle Veil et son en­ est une habituée du service pu­ D I ST R I B U T I O N l’automne devait être annoncée, get modeste. « Le volume de la
teur star de l’émission « Capital », tourage. « Il ne fait pas partie du sé­ blic, où elle a passé trente ans. En­ Régis Schultz pourrait mardi 25 juin, au festival du docu­ production de documentaires a
diffusée sur M6, sera remplacé par rail, d’où la difficulté et les tirs de tre 2014 et 2018, elle a été direc­ quitter Casino mentaire Sunny Side of the Doc à été démultiplié avec les chaînes
Dana Hastier, qui a quitté France barrage », explique un cadre de la trice exécutive de France 3, après Régis Schultz, PDG de Mono­ La Rochelle, a émergé fin mars thématiques ou de la TNT, qui ont
Télévisions en 2018. Pourquoi un Maison de la radio. avoir dirigé les unités documen­ prix (groupe Casino), sera sur Facebook, en réaction à la des capacités financières moins
départ aussi rapide ? Au sein de la Au cœur des crispations du di­ taires de France 2 et de France 3. remplacé, le 15 juillet, par Jean­ proposition, formulée par des grandes que les chaînes histori­
direction, on préfère botter en recteur d’antenne, la manière de Auparavant, elle est passée par le Paul Mochet, le patron de syndicats de producteurs, d’un ques », explique Stéphane Le Bars,
touche. « C’est un moment char­ diriger de Sibyle Veil, soupçonnée Centre national du cinéma et de Franprix, après son départ de salaire minimum – exigé de lon­ délégué général de l’Union syndi­
nière pour Radio France, avec la d’adapter ses décisions en fonc­ l’image animée, l’Institut natio­ l’entreprise pour rejoindre le gue date par les documentaristes cale de la production audiovi­
présentation du projet stratégique tion d’un agenda politique, au dé­ nal de l’audiovisuel et Arte. groupe de Dubaï Al­Futtaim, – de 120 euros par jour, un mon­ suelle. Pour un documentaire de
2022. Sibyle Veil a estimé que l’expé­ triment de l’intérêt seul de la radio. Aidera­t­elle Sibyle Veil à en­ spécialisé dans la distribution tant jugé « méprisant » par ces cinquante­deux minutes, un
rience de Dana Hastier serait un rayer la gronde sociale qui tra­ non alimentaire, comme l’in­ derniers. Le 20 mai, 500 réalisa­ réalisateur est ainsi payé, en
atout dans [sa] mise en œuvre », Plan drastique d’économies verse la Maison de la radio ? La dique Les Echos, mardi 25 juin. teurs ont voté pour la formation moyenne, 17 090 euros sur les
explique­t­on, tout en niant avoir Il faut dire que la présidente navi­ présidente doit économiser de ce syndicat. grandes chaînes publiques, con­
commis une « erreur de casting ». gue dans un contexte particulier. 60 millions d’euros et mener un HABILLEMENT « Notre rémunération, mais tre 9 805 euros sur la TNT.
Sibyle Veil, qui assurait encore Non seulement elle doit mener un plan de réduction des effectifs SMCP négocie le rachat aussi le temps de tournage, Au­delà des négociations avec
au Monde, début juin, être entou­ plan drastique d’économies en rai­ compris entre 270 et 390 postes les costumes De Fursac baisse depuis plusieurs années, les producteurs, le syndicat ambi­
rée « d’une équipe soudée », af­ son de la baisse des dotations pu­ d’ici trois ans. La pilule passe mal La maison mère des marques alors qu’on nous demande de tionne donc de porter la voix des
fronte une première déconvenue. bliques, mais, en plus, le gouverne­ auprès des salariés. Le 18 juin, une de prêt­à­porter Sandro, Maje faire des films toujours plus exi­ auteurs­réalisateurs auprès des
Ce recrutement était le premier ment a prévu de réformer la gou­ première journée de grève a été et Claudie Pierlot (SMCP) a geants », déplore Elizabeth Dré­ chaînes, mais aussi du Centre na­
acte fort de son mandat. Le jour­ vernance de l’audiovisuel public. très suivie. annoncé, mardi 25 juin, être villon, membre du comité provi­ tional du cinéma et de l’image
naliste de télévision, passé par Un projet de loi doit être adopté Dimanche 23 juin, Charline Van­ entrée en « négociations ex­ soire de la Guilde et coréalisa­ animée (CNC). En 2015, le CNC a
l’agence CAPA, M6, et Direct 8 (de­ en 2020. Parmi les pistes envisa­ hoenacker a résumé l’amertume clusives » en vue d’acquérir la trice de Religieuses abusées, recentré ses aides sur les docu­
venu C8, propriété de Vincent Bol­ gées, la création d’une holding ressentie en interne. « Je suis en co­ totalité de la maison De Fur­ l’autre scandale de l’Eglise, dif­ mentaires originaux et exporta­
loré) était censé faire vivre le pro­ chapeautant notamment France lère, car je ne comprends pas pour­ sac, afin de se renforcer sur le fusé sur Arte en mars. bles, pour cesser de soutenir la
jet de « média global » de la prési­ Télévisions et Radio France. quoi, alors qu’on a d’excellents ré­ marché de l’« homme ». Ce futur syndicat entend peser profusion de programmes moins
dente, en faisant exister les conte­ Il est vrai que, pour Guy Laga­ sultats, on coupe les budgets ? A dans les négociations avec les créatifs des chaînes de la TNT.
nus du groupe public sur tous les che, la mayonnaise a eu du mal à quoi ça sert d’être premier, si on P R E SS E producteurs pour « réaffirmer les Mais cette réforme a aussi eu
supports (smartphones, vidéos, prendre. L’arrivée d’un spécialiste veut te saborder ? On va devoir France-Antilles demande bonnes pratiques », indique pour effet de priver de cette enve­
enceintes connectées…). de l’image sans expérience radio faire quoi de plus ? Ouvrir un centre son placement en Mme Drévillon. Parmi les pre­ loppe certains documentaires
Les deux parties ont eu des diffi­ avait suscité des remous en in­ commercial ? On ne vole pas nos redressement judiciaire miers griefs que la Guilde por­ empruntant aux codes du repor­
cultés à collaborer et ont, de bonne terne. Accueilli au lance­flammes, congés. C’est tellement injuste », La direction du groupe Fran­ tera : la rétribution systématique tage ou du magazine.
source, signé un accord de rupture comment le fringant quinquagé­ s’est désolée, dans Le Parisien, ce­Antilles a demandé, lundi du travail d’écriture en amont, Face à ce paysage fragilisé, M. Le
dès avril. « Il y a des binômes qui naire pouvait­il faire entendre sa l’humoriste belge de France Inter. 24 juin, l’ouverture d’une des forfaits moins déconnectés Bars ne se dit « pas surpris par cette
fonctionnent plus ou moins, voilà voix auprès des puissants patrons « Sibyle et Guy », sa pastille humo­ procédure de placement en du temps de travail effectif du réa­ mobilisation des réalisateurs »,
tout », a confirmé Guy Lagache à des antennes, comme Laurence ristique réalisée avec Alex Vizo­ redressement judiciaire lisateur ou encore une transpa­ mais il conteste que ces derniers
L’Opinion. « C’est un univers très Bloch (France Inter) ou Sandrine rek, parodiant le tandem à la tête auprès du tribunal de com­ rence sur la répartition du finan­ soient la « variable d’ajustement »
technocratique. Guy Lagache Treiner (France Culture) ? « C’était de la Maison de la radio, n’aura fi­ merce de Fort­de­France, à la cement du documentaire. des producteurs, comme l’affirme
n’avait plus envie de travailler dans compliqué au départ, car il n’avait nalement duré qu’une saison.  suite d‘importantes difficul­ « Le service juridique pourra le jeune syndicat. 
un ministère de la radio », explique pas la légitimité de la radio », con­ sandrine cassini tés financières. aussi jouer un rôle de conseil en alexandre berteau
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MERCREDI 26 JUIN 2019 campus | 17

Partir étudier au Québec, un aller sans retour


La province canadienne incite de nombreux Français à convertir leur voyage d’études en projet d’installation

montréal ­ envoyée spéciale Des opportunités, Margaux Du­

E
puis, 23 ans, en a également trouvé
xit les doudounes. Hello, dans la Belle Province : « J’avais
la petite veste, avec sac en grandi en France en me faisant à
toile coincé sous le bras. l’idée que mon travail serait sûre­
« L’hiver a été long », ad­ ment nul. Au Québec, j’ai découvert
met Cécile Huysman, qui n’entend cette possibilité de trouver un em­
pas rater le plaisir des beaux jours. ploi qui correspond vraiment à son
Qu’importe que le ciel soit encore domaine et de vite progresser. »
gris et les températures un peu Partie après le bac pour éviter le
fraîches pour la mi­mai, la Fran­ « système classes prépa » français,
çaise de 28 ans ne tarit pas d’éloges elle étudie l’économie et les scien­
sur le Québec. ces politiques à l’université de
En août 2018, elle arrive en tant Montréal. Quand la question du
qu’étudiante, pour suivre une maî­ retour se pose à la fin de son « bac­
trise (équivalent du master) en lit­ calauréat » local (équivalent de la
térature à l’université du Québec à licence française), elle hésite un
Montréal (UQAM). Dans son pa­ peu. Mais elle est séduite par la
villon universitaire, Cécile loue un qualité de vie québécoise et ne se
enseignement qui « sort des sen­ voit pas rentrer dans sa Haute­
tiers battus », avec une large place Loire natale. Elle poursuit avec
donnée à la parole de l’étudiant. une maîtrise à HEC Montréal et,
Des reproches à faire à la Belle Pro­ une fois diplômée, est embauchée
vince ? La Parisienne de naissance comme conceptrice de cours en li­
en trouve peu, elle qui est « tombée gne pour des entreprises.
en amour », comme disent les
Québécois, avec Montréal. Elle y Vie « douce »
apprécie l’ambiance et les services A Montréal, Margaux Dupuis ap­
« excellents ». Sa décision est prise : précie un climat plus propice à
elle restera ici à la fin de ses études. l’égalité entre les femmes et les
Comme elle, beaucoup d’étu­ hommes. Comme toutes les Fran­
diants français, partis pour des çaises rencontrées dans la Grande
universités québécoises, font le Ile, la jeune expatriée, qui s’ex­
choix de ne pas embarquer dans prime aujourd’hui avec un déli­
leur avion de retour. Ils y voient cieux accent québécois, s’enthou­
l’occasion de poser un premier siasme : « Ici, le harcèlement de rue
pied en Amérique tout en conser­ ANNA WANDA GOGUSEY est quasiment inexistant. Je n’ai ja­
vant la langue de Molière. En 2017, mais ressenti le moindre stress en
on comptait près de 12 000 Fran­ ment de l’université de Montréal dans le Mile End, ancien quartier 3D chez Ubisoft. « Le secteur infor­ rentrant tard le soir chez moi.
çais sur les 35 000 étudiants inter­ (UDEM). Cela assure aux em­
Les jeunes ouvrier qui s’est gentrifié. L’entre­ matique se porte extrêmement Même dans les bars, il n’y a aucune
nationaux présents dans des uni­ ployeurs la maîtrise de la langue Français y voient prise de jeux vidéo française doit à bien à Montréal, il y a même trop de remarque macho. »
versités et des écoles de Montréal. française, mais aussi une intégra­ son studio montréalais – où elle jobs à pourvoir ! », s’enthousias­ Une vie « douce » dans une ville
Cette proportion importante s’ex­ tion déjà bonne à la culture québé­
l’occasion emploie 4 000 personnes – de me­t­il. Alexandre a déposé sa de­ à taille humaine et très vivante,
plique notamment par les accords coise. » Quelque 8 500 permis de de poser nombreux succès, dont le lucratif mande de résidence permanente. forte de nombreux festivals en
bilatéraux entre le Québec et travail post­diplôme ont été déli­ Assassin’s Creed Origins. François Bousquet a saisi sa été : c’est ainsi que les jeunes
l’Hexagone. Ils permettent aux vrés en 2018 au Québec à des jeu­
un premier pied Dans un pub, à deux pas du bâti­ chance à Montréal. Il y arrive à Français décrivent leur expatria­
étudiants français de bénéficier de nes diplômés. Des permis s’inscri­ en Amérique tout ment, Alexandre commande un l’âge de 19 ans, pour un bachelor de tion québécoise. Une vie d’autant
tarifs universitaires préférentiels – vent dans une logique « d’immi­ café au lait. Le jeune homme de relations internationales à plus douce que son coût y est bien
malgré une hausse en 2015. gration choisie » et qualifiée, qui
en conservant 24 ans glisse deux pièces de pour­ l’UDEM. Là, avec ses colocataires moindre que dans les autres vil­
devrait être renforcée avec un pro­ la langue boire. C’est l’usage. Il connaît bien étudiants, il monte une start­up, les américaines et que dans de
Pénurie de main-d’œuvre jet de loi adopté lundi 17 juin, vi­ les habitudes de la région. Arrivé à Outline Montréal, créatrice de nombreuses métropoles occi­
Du côté des établissements québé­ sant à sélectionner plus drastique­
de Molière Montréal à 17 ans, il y a démarré masques LED qui s’illuminent au dentales.
cois, la communication est intense ment les étrangers en fonction des une carrière dont il aurait à peine contact de la musique. Lancée Les loyers y sont en effet assez
pour « recruter » des élèves. Ils écu­ besoins du marché du travail. Les rêvé quand, lycéen dans l’Hexa­ en 2015, elle est aujourd’hui écono­ peu élevés, pour des salaires plus
ment les salons étudiants étran­ bénéficiaires de ces permis post­ gone, il lorgnait le monde du miquement viable. importants qu’à Paris dans de
gers et envoient des ambassadeurs diplôme trouvent alors assez faci­ game. Son envol pour le Québec, il Dans la ville, il s’est senti soutenu nombreux secteurs. Montréal se
dans les lycées. Les moyens enga­ lement un emploi, particulière­ le doit à une visite de l’université dans son projet. « L’entrepreneuriat positionne à la 147e place dans le
gés trouvent leur retour sur inves­ ment dans les secteurs comme les de Montréal dans son lycée de Co­ est valorisé au Québec, souligne le palmarès mondial Mercer de
tissement : le nombre d’étudiants nouvelles technologies. La métro­ lomiers (Haute­Garonne). La mé­ jeune homme de 25 ans. Et Mon­ 2018, qui classe les villes des plus
internationaux a augmenté de pole s’est imposée comme un des tropole canadienne est « une capi­ tréal est une ville créatrice, un petit chères aux moins chères. C’est
37 % en cinq ans au Québec. Une leaders mondiaux en intelligence tale du jeu vidéo », et le Français y microcosme multiculturel où beau­ loin derrière Paris, Londres ou,
nécessité pour la région, qui fait artificielle, mais aussi en concep­ voit une opportunité : « C’était ça coup de jeunes lancent leur entre­ outre­Atlantique, les voisines New
face à un ralentissement de sa tion de jeux vidéo. ou la fac à Toulouse. J’ai eu la prise. » C’est sans crainte que beau­ York, Chicago et Boston. Une si­
croissance démographique et à On peinerait à croire que, avec chance que mes parents puissent coup de Québécois et d’étrangers tuation qui ne séduit pas que les
une pénurie de main­d’œuvre, et son style vintage, la tour de brique payer mes frais de scolarité québé­ tentent des aventures d’entrepre­ étudiants : en 2019, 14 500 permis
ne pourrait plus se passer des étu­ rouge accueille les activités d’une cois. » Il s’inscrit en informatique à neurs. « Ici, ce n’est pas grave de travail temporaires ont été ac­
diants étrangers. des entreprises les plus l’UDEM, poursuit avec une maî­ d’échouer. Il y a une culture de cordés à des Français, venus tenter
Alors que la province connaît un innovantes de Montréal. Ubisoft trise. Et ne revient plus en France. l’échec très à l’anglo­saxonne. » Lui l’aventure au Québec. 
boom économique, les jeunes fait aujourd’hui figure de proue Aujourd’hui, il est programmeur non plus ne compte plus repartir. alice raybaud
Québécois(es) délaissent les uni­
versités, et les entreprises peinent
à recruter des travailleurs quali­
fiés. En mai, le taux de chômage
« Le Québec n’est pas une Bretagne éloignée »
s’élevait à seulement 5,4 %, et s’éta­
blissait même à 2,8 % dans la ré­ si le québec fait rêver de jeunes Français, la lune de elle pourra bénéficier au Québec qui lui pose problème. souvent aux Frenchies qui débarquent comme en pays
gion de la ville de Québec. De quoi miel n’a pas toujours lieu. Souvent, le motif du retour Beaucoup de Français regrettent en effet des droits conquis, et qu’on appelle ici, affectueusement, « ces
faire rêver plus d’un Français. vers le pays natal porte un nom : l’hiver. S’étirant sur moins importants qu’en France. maudits Français ».
L’un des sésames pour trouver cinq mois, avec des températures pouvant descendre « On présente souvent le Québec comme un eldorado,
un emploi sur place est sans nul jusqu’à − 30 0C, il peut être un choc pour les étrangers. Choc culturel observe Laurence Haguenauer, consule générale de
doute de venir y faire une partie de Cécile Huysman, arrivée en août 2018 pour suivre une Habiter au Canada implique aussi une adaptation que France à Québec. Les Français se pensent parfois dispen­
ses études. Celles­ci terminées, maîtrise en études littéraires à l’Université du Québec à ne mesurent pas toujours les nouveaux arrivants. « Les sés de préparer leur expatriation. Pourtant ici tout est dif­
l’étudiant devient alors éligible à Montréal (UQAM), se souvient encore de son premier Français ont tendance à imaginer le Québec comme le férent : le climat mais aussi la manière de faire des affai­
un permis de travail post­diplôme hiver, ses bras endoloris après la découverte du perce­ 21e arrondissement de Paris ou comme une Bretagne res, les habitudes, les coutumes, même le français n’est pas
(équivalent au temps d’études glace et du déblayage d’allée les matins où sa porte éloignée », s’agace Rodolphe Barrere, 27 ans, installé à le même. » Si bien que parfois les chocs se transforment
passé dans le pays, jusqu’à trois s’ouvrait à peine sous le poids de la neige. Pour autant, Montréal depuis dix ans. A HEC Montréal, où il a fait ses en tensions entre « cousins » transatlantiques. « Il y a
ans). « Il y a une valorisation sur le la jeune femme n’est pas découragée : elle a décidé de études, il a lancé sa start­up, Potloc, prestataire spécia­ toujours comme une relation d’amour­haine entre les
marché du travail des étrangers ve­ rester à Montréal à la fin de ses études. « Dès que le soleil lisé en études de marché. Il se souvient cependant avoir Français et les Québécois », dit François Bousquet, 25 ans,
nus étudier au Québec, indique Mi­ arrive, tout le monde sort dans les rues, fait la fête, profite connu un choc culturel à son arrivée. « Nous parlons la cofondateur de la start­up Outline Montréal. Un « je
chèle Glémaud, directrice du ser­ des parcs… », a découvert la Parisienne de 28 ans. Plus même langue mais ça ne veut pas dire que nous avons la t’aime, moi non plus » qui ne dit pas son nom. 
vice de l’admission et du recrute­ que le climat, ce sont finalement les droits sociaux dont même culture, qui est ici très américaine », rappelle­t­il a. ra.

MARCEL PROUST
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HORS-SÉ E, UNE Œ
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ÉDIT 9
201

A L’OMBRE DE L’IMAGINAIRE
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Prou e Un hors-série du « Monde » - 124 pages - 8,50 €
À l’ombr inaire
de l’im
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Chez votre marchand de journaux
Enthoven
aphaël
PauletR
18 | horizons 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

londres ­ correspondant

Q
uatre jours après l’ouver­
ture des Jeux olympiques
de Londres, en 2012, Boris
Johnson, alors maire de la
ville, avait trouvé un
moyen de braquer les pro­
jecteurs sur sa personne.
Casqué et harnaché, agitant deux drapeaux
britanniques, il s’était élancé du haut d’une
tyrolienne installée à Victoria Park, non loin
du stade des JO. Faute d’élan, il s’était arrêté à
mi­course, demeurant suspendu pendant un
moment au­dessus des promeneurs, avant
d’être secouru. « Je suis resté en l’air un
moment avec ce harnais qui comprimait mes
parties basses, avait­il commenté. Mais j’ai
adoré, je recommande. » Les images du maire
guignol gesticulant sous les yeux d’une foule
hilare sont restées dans la légende. Pour
Boris Johnson, faire rire et faire de la politi­
que n’ont jamais constitué deux activités
séparées. « Comment voudriez­vous que les
gens élisent un neuneu qui reste coincé sur une
tyrolienne ? », avait­il alors souligné pour
faire taire des rumeurs sur son ambition de
gouverner le pays.
Sept ans plus tard, le « neuneu » est aux Boris Johnson devant son domicile, dans le sud de Londres, le 21 juin. MATT DUNHAM/AP
portes de Downing Street, plébiscité par des

Un gaffeur aux
conservateurs qui, de guerre lasse, ont fini
par s’en remettre à lui pour sortir le pays de
l’impasse du Brexit. Il a domestiqué sa
tignasse blonde autrefois désordonnée, évite
les jeux de mots, suit des éléments de lan­
gage et se montre étonnamment sérieux et
totalement vague. Les députés tory, tétanisés

portes du pouvoir
par le succès électoral du Parti du Brexit (ex­
trême droite) qui prospère sur un sentiment
de trahison répandu parmi les partisans de la
sortie de l’UE, ont fait taire leurs réticences
pour l’adouber. Tout porte à croire que la
majorité des adhérents du parti
conservateur, appelés à le départager de son
challenger, Jeremy Hunt, le choisiront
comme l’ultime recours pour sauver les
tories et leur nouvelle religion : le Brexit. Malgré ses frasques et son goût pour la provocation, méthode dans sa folie, confie­t­il lors d’un
dîner privé en juin 2018. Imaginez Trump
« LE BEURRE ET L’ARGENT DU BEURRE » Boris Johnson est bien parti pour succéder, fin juillet, gérant le Brexit. Il y aurait toutes sortes de
« Quelle révélation pourrait encore faire crises, de chaos. Mais au moins, on arriverait
dérailler sa marche vers Downing Street, à Theresa May au poste de premier ministre à quelque chose. »
alors qu’il s’est maintes fois rendu coupable Pour se faire élire, en 2008, à la mairie de
de mensonge, de tricherie, de déloyauté, de Londres, l’une des villes les plus cosmo­
paresse, d’indiscrétion, d’incompétence, de polites de la planète, « BoJo » a joué la carte de
mépris cynique pour les autres, sans jamais explication psychologique dans la hargne du les avantages de l’UE sans les contraintes de l’ouverture au monde et du libéralisme
en subir les conséquences ? », se demandait la fils d’eurocrate contre l’Union, on peut la l’adhésion, au risque d’exaspérer les 27. sociétal : défense du mariage gay et du vélo.
journaliste Sonia Purnell, une ancienne trouver dans ses mauvais souvenirs d’une De ses années bruxelloises, « Bojo » a Mais sous ses deux mandats, cette ville en
subordonnée de Boris Johnson pendant ses enfance bruxelloise où ses parents se déchi­ conservé la méthode de dénigrement de l’UE manque cruel de logements abordables s’est
années de journaliste au Telegraph, juste rent, et sa mère, une artiste, tombe en admirablement analysée par Fintan O’Toole, couverte de gratte­ciel, dont les apparte­
avant qu’une scène de ménage avec sa com­ dépression. Toujours est­il que lorsque, après chroniqueur de l’Irish Times, dans son livre ments de luxe achetés par des investisseurs
pagne, Carrie Symonds, révélée par des voi­ ses études à Eton et à Oxford, il retourne à Heroic Failure. Brexit and the Politics of Pain russes ou arabes sont souvent vides. Né à
sins, vendredi 21 juin, ne vienne jeter le trou­ Bruxelles en 1989, à l’âge de 24 ans, envoyé (« Echec héroïque. Le Brexit et la politique de New York, longtemps citoyen américain,
ble dans le pays sur la réalité du « nouveau comme correspondant par le quotidien la douleur», Head of Zeus, 2018, non traduit). Boris Johnson se fait fort de rappeler que son
Boris ». « Il peut passer de la bonhomie à la conservateur Daily Telegraph pour couvrir la Considérant la spécificité des goûts alimen­ arrière­grand­père était un Turc musulman à
fureur noire en quelques secondes, pour peu CEE, il connaît le terrain. taires – en particulier les aliments industriels chaque fois qu’il est pris en flagrant délit de
que l’on remette en cause le sentiment que Très vite, le jeune journaliste prend le consommés dans les classes populaires – xénophobie. En 2008, il décrit les « négrillons
tout lui est dû ou que l’on blesse son amour­ contre­pied des comptes rendus insipides de comme le symbole ultime de « l’anglicité » et agitant des drapeaux » avec des « sourires de
propre », a ajouté Sonia Purnell dans le ses confrères sur la vie des institutions euro­ du libre choix, il a présenté les réglementa­ pastèques » sur le passage de la reine Eliza­
Times au lendemain de la rixe. péennes. Mêlant son goût de la provocation tions européennes comme une machine de beth. Et lorsque, en 2016, Barack Obama met
Si Boris Johnson n’était qu’un personnage et sa relation distante avec la vérité, il guerre antianglaise. Reprise par les tabloïds, en garde contre le Brexit, il dénonce « l’aver­
de roman, il pourrait personnifier la quintes­ enchante ses lecteurs en dénonçant avec drô­ sa dénonciation d’un texte européen – ima­ sion héréditaire à l’égard de l’empire britanni­
sence d’une certaine catégorie d’Anglais : lerie des turpitudes de la CEE souvent inven­ ginaire – visant à interdire les « chips britan­ que d’un président à moitié kényan ».
bien né et sûr de son fait, dilettante jusqu’au tées. Bruxelles, écrit­il, veut normaliser les niques saveur cocktail de crevettes », le nec Ses années à la tête du Foreign office (2016­
cynisme, spirituel jusqu’à la clownerie. Son cercueils et les préservatifs, interdire aux en­ « IMAGINEZ TRUMP  plus ultra à l’époque chez les Anglais défavo­ 2018) ont été largement vues comme lamen­
assurance n’a d’égale que sa capacité à gaffer
et à se ridiculiser. D’où les consignes de ses
fants de moins de huit ans de gonfler des bal­
lons et empêcher de recycler des sachets de
GÉRANT LE BREXIT.  risés, a mis dans le mille, enrôlant le petit
peuple dans sa croisade ultralibérale. « J’ai
tables. Chargé de consolider les relations
internationales après le Brexit, il stupéfie par
communicants : éviter au maximum les thé. Il cultive son image d’Anglais snob avec IL Y AURAIT TOUTES  passé mes meilleurs moments [à Bruxelles] son dilettantisme, sa condescendance et ses
débats et les interviews en direct. « Fini de sa voiture de sport rouge cabossée, ses vête­ dans un état de semi­incohérence, composant gaffes. Comme ce jour où, dans un sanctuaire
rire, Boris », semble être la consigne. ments troués et sa manière d’écorcher volon­ SORTES DE CRISES,  des hymnes écumants de haine contre la der­ bouddhiste birman, il murmure un poème
De fait, l’heure n’est pas aux galéjades. Lui
qui se prétend l’héritier des plus remarqua­
tairement son français parfait.
Pareil aplomb a de quoi désarmer les auto­
DE CHAOS.  nière euro­infamie », confesse­t­il en 2002. de Kipling datant de la colonisation. Avec ses
« amis » européens, ce n’est guère mieux : il
bles premiers ministres britanniques – Ben­ rités de Bruxelles. Mais à Londres, il devient MAIS AU MOINS,  DIPLOMATE PEU DIPLOMATE traite les Italiens de « vendeurs de prosecco ».
jamin Disraeli (1804­1881) et Winston Chur­ la coqueluche des conservateurs de Marga­ Son leitmotiv : l’Europe, dominée par les « Les Français, pourquoi cherchent­ils à nous
chill (1874­1965) – se prépare à succéder à ret Thatcher. Boris Johnson a contribué à ON ARRIVERAIT  vaincus de la seconde guerre mondiale, cher­ baiser ? », l’entend­on interroger, à propos du
faire de l’euroscepticisme « une cause
Theresa May, fin juillet. Lui qui se fait fort de
réunir un royaume coupé en deux sur l’Eu­ attrayante (…) pour la droite », alors qu’il À QUELQUE CHOSE » che à humilier la vieille démocratie britanni­
que. Ces références incessantes à la guerre de
Brexit, dans un documentaire de la BBC.
Le désarroi des conservateurs est tel qu’ils le
rope est un « candidat Marmite », du nom de était jusque­là associé à la gauche, analyse BORIS JOHNSON 1939­1945 tournent d’ailleurs à l’obsession : considèrent tout de même comme le seul
cette pâte à tartiner salée terriblement Sonia Purnell. « Tout ce que j’écrivais depuis ancien maire de Londres pour servir sa rhétorique pro­Brexit, il com­ d’entre eux dont le bagou peut surpasser celui
anglaise dont le slogan est « Vous l’aimez ou Bruxelles produisait un effet explosif éton­ pare l’UE au IIIe Reich d’Hitler, et François de Nigel Farage, le leader du Parti du Brexit.
vous la détestez ». Les trois quarts des élec­ nant sur le parti, a confié l’intéressé à la BBC Hollande à un kapo. Pour lui, l’Europe est une Après Theresa May, maladroite mais digne,
teurs conservateurs se situent dans la pre­ en 2005. Je crois que cela m’a donné cet pieuvre étouffant la fière Angleterre impé­ cet animal politique constitue le dernier es­
mière catégorie, les trois quarts des tra­ étrange sentiment de pouvoir. » riale. Il favorise l’alliance de deux nationalis­ poir de la droite britannique. Chacun connaît
vaillistes dans la seconde. « Boris », alias De retour à Londres en 1994, il s’installe à mes par­delà les intérêts de classe : celui de la son narcissisme et ses mensonges, mais il ras­
« BoJo », est une marque à lui tout seul, Islington, quartier bobo du nord de la ville, et grande bourgeoisie anglaise en deuil de l’em­ sure les électeurs europhobes en promettant
connue pour son excentricité et ses posi­ devient une figure populaire dans tout le pays pire et celui des pauvres du nord du pays, que le Brexit aura eu lieu avant le 31 octobre –
tions pour le moins élastiques. Pourtant, grâce à ses apparitions télévisées dans une convaincus que le Brexit leur redonnera du sans expliquer, et pour cause, comment il
derrière les pitreries pointent deux constan­ émission de divertissement. Après plusieurs travail. Le 23 juin 2016, jour du vote du pourrait y parvenir. Mais avec son insatiable
tes dans sa pensée : la détestation de l’Union échecs, il finit par obtenir de son parti une cir­ Brexit ? C’est « le jour de l’indépendance bri­ besoin d’être aimé et son aplomb phénomé­
européenne et l’ultralibéralisme. conscription « sûre » de l’Oxfordshire, où il se tannique », trompette­t­il avant de déserter, nal, tout est possible, même un mouvement
Il aurait pu suivre les traces de son père, fait élire député en 2001. Sommé de quitter la laissant le fardeau à Theresa May. de girouette si sa demande de renégociation
Stanley, un des premiers hauts fonctionnai­ rédaction en chef de l’hebdomadaire conser­ Au seuil de Downing Street, ce démagogue se heurte à un « niet » des Vingt­Sept. Un
res britanniques envoyés par Londres à vateur The Spectator pour éviter les conflits ultralibéral se pose en Trump britannique brexiter pour stopper le Brexit ? Boris John­
Bruxelles en 1973, juste après l’adhésion à la d’intérêts, il rétorque : « Je veux le beurre et l’ar­ au petit pied. Après avoir dénigré le milliar­ son sait qu’il a rendez­vous avec l’histoire, et
Communauté économique européenne gent du beurre. » La formule lui servira plus daire président, il avoue d’ailleurs son « ad­ c’est le rêve de sa vie. 
(CEE), ancêtre de l’UE. Si l’on cherche une tard de ligne de conduite pour le Brexit : il veut miration croissante » à son égard. « Il y a de la philippe bernard
CULTURE | 19
0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

 CHEF­D'ŒUVRE           À  NE  PAS  MANQUER           À  VOIR           POURQUOI  PAS           ON  PEUT  ÉVITER

Road trip 
enchanté 
au pays des 
jouets vivants
Le quatrième opus,
bâti autour d’un
jouet fait à partir
de déchets, fait de
nouveau mouche

Woody et Fourchette, deux des héros de « Toy Story 4 ». PIXAR

TOY STORY 4 (Joe Dante, 1998). On ne sera pas


surpris que ce retour à l’esprit
tionne l’incarnation des jouets,
leur présence induit le retour
charme du jouet ancien, péren­
nité des fictions d’antan, valeur
Les jouets son ami l’astronaute Buzz l’Eclair
– fidèle à sa mythomanie –, Bo, la
 d’enfance prenne deux grandes soudain à leur état d’objet. de l’artisanat et de la pièce uni­ rappellent jolie bergère aux trois moutons

C
formes, celles de l’épouvante et Il s’ensuit que les jouets sont que, recyclage des déchets. (Bi, Bop et Lulla) qui s’est émanci­
ette histoire, mine de de la féerie, revers de la même dotés d’une conscience supé­ Autant de motifs et de manières
les humains pée et roule en sconcemobile,
rien, dure depuis vingt­ médaille infantile, selon que les rieure à celle des humains, qui reconduites dans ce quatrième à l’idéalisme deux louches peluches de foire
quatre ans, et on ne par­ jouets s’y révèlent persécuteurs est de se savoir vivants alors que opus, qui s’ouvre, une nouvelle qui n’ont jamais échu à personne
vient toujours pas, en ou protecteurs. Nul hasard, dès les humains l’ignorent. C’est fois, sur l’inquiétude de Woody, le
de leur enfance et qui valent les trois Pieds nicke­
dépit du mauvais esprit prêté aux lors, si les enfants auxquels ap­ l’idée développée par Hervé sympathique shérif aux vertus sa­ oubliée lés, Duke Caboom, un cascadeur
critiques et des efforts désespérés partiennent le shérif Woody dans Aubron dans son excellent Génie crificielles, alors que Bonnie – la canadien motorisé tendance Vil­
pour s’en montrer digne, à s’en Toy Story et la poupée homicide de Pixar (Capricci, 2011) : la con­ fillette qui en a hérité en même lage People, tout droit sorti des se­
lasser. Inauguré en 1995 avec un dans Chucky portent le même quête par l’artefact de la maîtrise temps que certains autres jouets venties mais qui souffre de n’avoir
premier film de John Lasseter, ce nom (Andy). du vivant traduit l’inexorable dé­ d’Andy – le laisse moisir chaque De l’avoir ainsi créée rend Bon­ jamais eu de rôle à la hauteur de sa
fleuron des studios Pixar – entre­ rive solitaire des deux mondes, jour dans le placard. N’y tenant nie passionnément attachée à publicité, Gaby Gaby, une jolie
temps rachetés par l’empire Syndrome d’abandon celui de l’humain et celui de la plus, il se glisse dans son cartable Fourchette. Le problème, c’est que poupée esseulée en raison d’un
Disney, qui était toutefois déjà Mais Toy Story, premier dessin machine. à l’occasion du premier jour Fourchette ne se considère pas vice de fabrication sonore, qui
présent comme coproducteur dès animé intégralement réalisé en Ce sont donc ici, autre grand leit­ d’école de la fillette, si redouté. comme un jouet, mais comme un kidnappe Fourchette pour que
le premier opus – s’est transformé images de synthèse, présente motiv de la saga, les jouets qui déchet. Il passe sa vie à se sauver Woody lui cède sa boîte vocale, se­
en une des franchises d’anima­ cette particularité d’être intime­ rappellent les humains à l’idéa­ Courses-poursuites d’anthologie pour sauter dans la première pou­ condée dans ce projet par une
tion les plus appréciées et lucrati­ ment lié à l’avènement de la puis­ lisme de leur enfance oubliée, et C’est lui encore qui lui redonne belle venue, avec Woody, qui nuée de marionnettes de ventrilo­
ves du monde. sance numérique. Alors qu’il plus fondamentalement aux de­ sans se montrer du courage, en lui veille au grain, sur ses talons. Ce­ que au mutisme et au faciès plus
Ce succès tient au principe de la était le fruit d’un patient et pa­ voirs de leur humanité même. Un fournissant en douce les élé­ lui­ci l’extirpe régulièrement des qu’inquiétants.
franchise, qui rejoint une vieille thétique apprentissage dans Pi­ véritable syndrome d’abandon ments propices à la fabrication ordures ménagères et tente de Courses­poursuites d’antholo­
rêverie enfantine, dont la magie nocchio, le miraculeux passage ouvre à ce titre chaque film, tarau­ d’un personnage. Une fourchette l’intéresser, sans y croire tout à gie, idylle amoureuse touchante
animiste n’exclut pas la profon­ de l’inanimé à l’animé, du pantin dant des jouets qui craignent tout en plastique trouvée dans une fait, aux gratifications de l’amour et gags intrépides seront donc au
deur conceptuelle. On y dirait à l’enfant, de l’objet au person­ à la fois leur obsolescence tempo­ poubelle, un bout de ficelle pour et de la fidélité qui couronnent programme de ce quatrième
donc que les jouets se mettent à nage, il devient ici une routine relle et le tarissement affectif de les jambes, un élastique pour la une vie de jouet. Mais le jour où la opus où, plus que jamais, se célè­
parler et à vivre leur propre vie. incessamment réitérée, réversi­ leur propriétaire. Ce premier pa­ bouche, deux boutons disharmo­ famille part en camping­car pour brent les noces orphelines des
Vous avez dit Pinocchio (Disney ble à tout bout de champ, dispen­ radoxe se double d’un second. nieux pour les yeux, et le tour est un road trip, la désertion de Four­ enfants sans jouets et des jouets
déjà, ramollissant Carlo Collodi) ? satrice d’une nouvelle trivialité Qui veut que le nec plus ultra de la joué. C’est Duchamp qui s’invite chette sur la route prend, sou­ sans enfants. 
Oui, mais aussi bien La Révolte comique, où le vivant, pour in­ technologie par ordinateur tel chez Pixar, le pixel qui se la joue dain, d’autres proportions. jacques mandelbaum
des jouets (Hermina Tyrlova, verser la formule d’Henri Berg­ que Pixar l’incarne produise, de ready­made, le retour sans les L’aventure, entre une fête fo­
1946), Chucky. Jeu d’enfants (Tom son, se plaque sur du mécanique. Toy story à Wall­E, une apologie de mains à l’art primitif de l’anima­ raine et un magasin d’antiquités, Film d’animation américain
Holland, 1988) ou Small Soldiers L’absence des humains y condi­ la résistance et de la décélération : tion en volume. met désormais aux prises Woody, de Josh Cooley (1 h 40).

Le rugby, entre foi collective et trivialité


La documentariste Delphine Gleize a passé huit mois en immersion auprès des joueurs de l’Aviron bayonnais

 BEAU JOUEUR que centenaire originellement


consacrée, comme son nom l’in­
qu’avec une telle donne, en pas­
sant huit mois aux côtés de
Délaissant le De ce choix qui consiste à se te­
nir de l’autre côté du miroir, une
passe largement le cadre sportif.
Il y entre une grandeur tragique,
 dique, à la rame. Professionnalisé l’équipe en cet instant criti­ spectacle sportif, dialectique assez belle et en une sombre dignité face à l’adver­

D
en 1999, le club accède au Graal que, au bas mot 50% de son film même temps cruelle ressort. Elle sité, une métaphore en somme
elphine Gleize, auteure du Top 14 en 2004 et s’y main­ est gagné.
la réalisatrice est tient, d’une part, en l’inexorable de toute humaine destinée. Peut­
de ce documentaire tient jusqu’en 2015. Sous la nou­ présente dans scansion des matchs avec leur lot être fallait­il être une femme
sportif atypique, semble velle direction de l’entraîneur Un point de vue radical de lourdes défaites (54­5 contre le pour filmer cela ainsi et entendre
cultiver un tropisme pour les uni­ Vincent Etcheto, natif de la ville Imagine­t­on, en effet, meilleur
les vestiaires Stade français, 59­20 contre le Ra­ à son plus juste niveau d’honneur
vers virils, plus encore pour les et ancien joueur, l’Aviron bayon­ climat que cette tension sportive au moment des cing 92, 42­17 contre La Ro­ viril bafoué cet encouragement
valeurs d’amitié et de transmis­ nais, relégué en ProD2, recon­ et humaine, meilleur suspense chelle…). Et, d’autre part, aux lon­ du coach : « Ce qu’il faut c’est se vi­
sion qui y sont attachées. On se quiert aussitôt sa place au Top 14. que cette ombre taraudante du
compétitions gues séances de débriefing, de re­ der les couilles. Mais attention, se
souvient par exemple de Cava­ Encore faut­il la conserver. déclassement, meilleur défi que prise en main, de harangues, vider les couilles ça veut pas dire se
liers seuls (2010), coréalisé avec C’est ici que les choses se corsent ce sursaut d’orgueil demandé aux d’objurgations, de galvanisa­ branler, ça veut dire prendre du
Jean Rochefort, qui nous racon­ et que débarque (on ne sait hommes? Découvrant le film res sentis en voix off, la réalisa­ tion, de contrition, de promes­ plaisir. » Si vous avez en somme
tait de jolie façon la belle histoire d’où ni comment d’ailleurs) la trois ans plus tard, on sait évi­ trice adopte mine de rien un ses, de hontes bues, d’insultes, de aimé Le Grand Bain (2018), de
entre un vétéran et un adolescent réalisatrice, alors que le club, demment ce qu’il sera advenu de point de vue radical. Délaissant crises et d’espérances incessam­ Gilles Lellouche, vous ne pourrez
communiant autour de l’amour dès octobre 2016, ne parvient ce suspense. Il n’empêche que la totalement le spectacle sportif ment levées qui s’efforcent de qu’apprécier Beau joueur, qui en
du dressage équestre. plus à s’arracher du fond du vertu du cinéma, art de la pré­ (rien ne nous sera montré hormis leur répondre. est comme la réplique en docu­
La réalisatrice revient aujour­ classement, stagnation qui le sence, consiste à nous y replonger quelques images lointaines des On l’aura compris, quelque mentaire. 
d’hui du pays de l’Ovalie, d’où elle destine au spectre d’une nou­ comme si c’était aujourd’hui. matchs disputés), elle est, en re­ chose ici – dans cette doulou­ j. ma.
nous rapporte un documentaire velle relégation en deuxième di­ Adoptant le principe d’une in­ vanche, présente dans les vestiai­ reuse confrontation entre le sort
consacré au club de rugby l’Avi­ vision. Autant dire que la réalisa­ tervention invisible, tout juste re­ res au moment des compétitions funeste et réitéré de l’échec et le Documentaire français
ron bayonnais, association plus trice arrive au bon moment et haussée de quelques commentai­ et lors des entraînements. maintien d’une foi collective – dé­ de Delphine Gleize (1 h 43).
20 | culture 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Comédie macabre autour d’un meurtrier minable


Fatih Akin retrace le parcours d’un tueur en série des années 1970 en Allemagne, entre l’horreur et le kitsch

GOLDEN GLOVE L’effroi se mêle

D
 insidieusement
ans la carrière de Fatih
Akin, cinéaste alle­
à l’éclat de rire
mand d’origine tur­ méchant face
que qui obtint l’Ours
d’or à Berlin, en 2004, pour son
à une avalanche
film Head­On, et le Grand Prix du de situations
jury à la Mostra de Venise,
en 2009, pour sa comédie Soul
pénibles
Kitchen, Golden Glove apparaîtra­
t­il comme un pas de côté, un
exercice de style, une plaisanterie lesque tristesse. Derrière ce que
un peu salée ? Le cinéaste, avec l’on comprend être la reconstitu­
des bonheurs divers, a toujours tion exacte des lieux réels des
semblé se préoccuper de la di­ faits, comme le montre le généri­
mension sociale de certains des que de fin reprenant des images
récits qu’il mettait en scène, récits des endroits et des véritables
construits souvent sur la collision personnages de cette histoire, se
de cultures différentes, voire an­ dessine la peinture d’une société
tagonistes. Son dernier film en gangrenée par la misère mais
date semble, au premier abord, obsédée par l’ordre, une société
vouloir se contenter de jouer sur loin de toute rédemption. Celle
quelques réactions primitives du d’une Allemagne post­nazie
spectateur, notamment la peur et rattrapée par ce qu’elle ne
le dégoût, donnant pourtant le parvient pas vraiment à refouler.
vague sentiment que l’outrance C’est sans doute dans l’usage de
des situations décrites ne saurait la musique que se dévoile le plus
vraiment être prise au sérieux. explicitement cet état de fait. La
La première séquence relève de bande­son est en effet saturée de
la mise en condition. Pour le chansons de variété allemandes
spectateur, ça passe ou ça casse. de l’époque. Celles qu’écoute
Elle détaille un meurtre sordide notamment le personnage princi­
(une femme étranglée sur un lit pal et qui semblent illustrer ironi­
par un glauque individu, un quement ses macabres activités.
bigleux aux cheveux gras, au gros Les mélodies melliflues et fades de
nez tordu et aux dents de travers) la pop allemande ne constituent
suivi par le dépeçage immédiat du Jonas Dassler incarne Fritz Honka, un tueur en série, dans « Golden Glove », de Fatih Akin. WARNER BROS/GORDON TIMPEN pourtant pas un contrepoint
corps, par une décapitation à la humoristique aux horreurs éta­
scie. On est moins frappé par le lées sur l’écran (la douceur mièvre
réalisme graphique de la séquence obsédé sexuel qui emmène de Honka, un tueur en série sévis­ monde de déclassés (retraités, l’outrance elle­même, venue de la opposée à la barbarie). Elles en
– réalisme amoindri par la ma­ vieilles prostituées imbibées d’al­ sant dans le quartier de Sankt marins, prostituées, anciens SS) restitution d’événements, certes font partie. Le kitsch apparaît
nière dont est saisie l’action, par­ cool chez lui, en quête d’une rela­ Pauli, à Hambourg, meurtrier de fortement alcoolisés, une extrêmes, mais aussi du style comme une dimension supplé­
tiellement cachée – que par la di­ tion dont l’échec systématique se quatre prostituées dont il gardait humanité trompant l’ennui et le adopté, ne transformait cette mentaire de la terreur. Voici peut­
mension besogneuse du crime et solde par des meurtres. Ces assas­ les restes dans son appartement. désespoir et constituant le chronique nihiliste en comédie être, bien plus que les abjectes mi­
du découpage du cadavre. sinats sont essentiellement déter­ prétexte pour le cinéaste à quel­ macabre et grotesque – rien ne ses à mort et profanations commi­
L’extraordinaire est ramené à l’or­ minés par l’impuissance sexuelle Portraits pittoresques et atroces ques portraits pittoresques et sauve jamais aucun personnage, ses, la véritable expression d’une
dinaire de l’effort physique et de la du personnage principal. Der Goldene Handschuh est l’en­ atroces en même temps. ni aucune silhouette épinglée par résiliente sauvagerie historique. 
fatigue du tueur. Golden Glove est fondé sur la seigne d’un bar de ce quartier, un L’implacable et méticuleuse ce jeu de massacre. L’effroi se jean­françois rauger
D’autres séquences similaires reconstitution, du point de vue du lieu où se rend régulièrement le cruauté mise au service de la mêle insidieusement à l’éclat de
suivront, toutes amenées par le criminel, d’un fait divers qui en­ douteux héros de ce récit pour y peinture de cette sordide réalité rire méchant face à une avalan­ Film allemand de Fatih Akin.
destin minable et répétitif du per­ sanglanta l’Allemagne du début capturer ses proies. Dans cet en­ pourrait rapidement être consi­ che de situations pénibles et à Avec Jonas Dassler, Margarete
sonnage principal, un alcoolique des années 1970 : l’histoire de Fritz droit se réunit tout un petit dérée comme insupportable si une suite de portraits d’une bur­ Tiesel, Hark Bohm (1 h 50).

Avec « Le Chat noir », l’épouvante délaisse Viens chez moi, j’habite


le château hanté pour la maison d’architecte chez mon frangin
Très inventif, le film peine à trouver sa voix
Le film étonnant d’Edgar George Ulmer est réédité dans une très belle copie restaurée entre comédie et geste d’auteur

DVD l’époque : Bela Lugosi et Boris Kar­


Erigée sur sombres couloirs qui effraient,
LA FEMME Almodovar ou les envolées lyrico­

L
loff, interprètes respectivement de mais les surfaces nues, les volu­ pop de son ami Xavier Dolan.
a carrière d’Edgar George Dracula (Tod Browning) et de la les ruines de mes écrasants, l’excès de transpa­ DE MON FRÈRE D’une minutie de chaque ins­
Ulmer, né en 1904 dans créature de Frankenstein (James rence, le lissé hygiénique, la fonc­ tant, le long­métrage traduit un
la première 

R
l’Empire austro­hongrois et Whale), fleurons de la gamme de tionnalité aveugle. Le moder­ vrai bonheur de filmer, un désir de
mort soixante­huit ans plus tard à monstres estampillés « Univer­ guerre mondiale, nisme architectural affiche sa eparti de Cannes avec le ne rien laisser au hasard qui finit
Los Angeles, compte au rang de ces sal » qui avaient fait le succès du structure froide et hautaine où Coup de cœur du jury d’Un par se retourner contre lui. La jo­
bizarreries dont l’histoire du ci­ studio, au début des années 1930.
la maison est l’humain semble englouti : elle est certain regard, La Femme liesse de la saynète l’emporte sur le
néma n’a jamais été avare. Formé Mais aux rivages gothiques de un symptôme le signe d’une déshumanisation de mon frère, de l’actrice et réalisa­ travail plus imperceptible d’une
en Allemagne en pleine période ceux­ci, Le Chat noir substitue une qui ne tarde pas à rejaillir sur les trice Monia Chokri (qu’on a pu voir véritable dramaturgie. On glane çà
expressionniste, Ulmer fait ses épouvante ancrée dans le monde
du trauma personnages, tous sous l’emprise dans Les Amours imaginaires, de et là de belles idées, de beaux
classes sur un film coopératif, pe­ qui lui était alors contemporain, historique sadique du maître des lieux. Xavier Dolan) n’obéit pas au pro­ dialogues, de beaux costumes,
tit miracle des derniers temps de liée tout autant à l’histoire proche Mais cette maison est aussi un gramme de son titre vaudevilles­ sans que le film ne parvienne à
la République de Weimar (Les qu’aux nouvelles esthétiques des symptôme du trauma historique : que. S’il est question d’une bel­ homogénéiser cette somme de jo­
Hommes le dimanche, 1930), avant débuts du XXe siècle. rirent des milliers de soldats. Sur érigée sur les ruines de la première le­sœur encombrante, Sophia, son lies choses. La faute à une manière
de s’exiler aux Etats­Unis en 1933, place, le couple découvre que le guerre mondiale, elle est sortie héroïne, semble en vouloir à la d’envisager les scènes comme des
comme bon nombre de ses collè­ Un cauchemar insolite docteur et l’architecte ont un d’un massacre et ressemble à une terre entière. Brillante étudiante moments en constante ébullition,
gues berlinois. L’homme œuvrera Très vaguement inspiré par la lourd contentieux à régler. sorte de mausolée. Werdegast et qui vient de terminer une thèse au risque de l’épuisement.
le reste de sa vie dans les méan­ nouvelle d’Edgar Allan Poe du Le Chat noir doit d’abord son ori­ Poelzig, vétérans de la Grande sur le philosophe italien Antonio Si l’inventivité ne manque pas
dres de la série B et de la poverty même nom (seule la présence du ginalité à son inspiration compo­ Guerre, la continuent par d’autres Gramsci, elle vit chez son frère chez Monia Chokri, le dosage fait
row – ou « allée de la pauvreté » –, chat supposément maudit y fait site, entre deux âges, puisant moyens et parlent d’eux­mêmes adoré et peine, comme toute sa souvent défaut. En témoignent les
expression désignant les studios référence), le récit commence en autant dans les hallucinations ex­ comme de « morts­vivants ». Et il génération, à amorcer un début de disputes incessantes, les perpé­
les plus fauchés de Hollywood. Ce train pour ensuite basculer dans pressionnistes que dans les my­ n’est pas anodin que ce film de vie professionnelle ou affective. tuels changements d’angle et
cinéaste touche­à­tout s’est prêté un cauchemar de plus en plus in­ thes littéraires incarnés par les 1934, tourné à Hollywood par un L’atypique Anne­Elisabeth Bossé l’usage intempestif de la musique.
aux productions les plus hétérocli­ solite. Peter et Joan Alison (David deux comédiens vedettes. Met­ Européen en exil, ayant fui devant prête ses traits à cette parfaite fu­ La Femme de mon frère se veut là
tes, sachant tourner vite, et pour Manners et Julie Bishop), jeune tant en scène leur confrontation l’accession des nazis au pouvoir, se sion entre Bridget Jones et Daria, aussi hybride : à la fois l’expression
trois fois rien, avec un talent et une couple d’Américains en voyage de sur des musiques de Brahms, Bach dirige vers une messe noire en héroïne désabusée de la série ani­ d’un talent sûr mais qui enchaîne
créativité jamais démentis. noces dans les Carpates hongroi­ et Tchaïkovski, Ulmer compose guise de dénouement sidérant et mée de MTV qui porte son nom. les effets de manches de peur d’en­
Le Chat noir (1934), qu’Elephant ses, voient arriver dans leur com­ une suite d’images splendides qui inattendu. Dénouement suggé­ Mais la comparaison s’arrête là : nuyer son spectateur. Reste que le
Films réédite dans une très belle partiment un mystérieux passa­ empruntent aux sortilèges du rant que la folie des assassins, leur La Femme de mon frère est habité film recèle une indéniable décou­
copie restaurée, marque l’unique ger, le docteur Vitus Werdegast noir et blanc leur puissance hyp­ soif de sang et de sévices, leur force par une ambition formelle qui le verte : la drôlerie peste et bou­
incursion d’Ulmer au sein d’un (Bela Lugosi), sorti de quinze ans notique et leur poésie ténébreuse. de fascination n’étaient alors pas rend insituable, quelque part deuse d’Anne­Elisabeth Bossé. Jus­
grand studio, Universal, mais éga­ d’internement dans un camp de Mais le cœur du film n’est autre encore près de s’éteindre.  entre geste d’auteur et comédie, qu’ici méconnue en France, l’ac­
lement l’un des pics de sa filmo­ prisonniers. Dévié de sa route par que son décor principal : cette mathieu macheret option « les mésaventures d’une trice est désormais inoubliable. 
graphie. Produit par le grand ma­ un accident, le trio trouve un abri maison d’architecte ultramo­ célibataire ». Monia Chokri ne murielle joudet
nitou du cinéma d’épouvante Carl dans la demeure dernier cri de l’ar­ derne, qui s’offre ici en équivalent Film américain d’Edgar George choisit pas, tout occupée à affûter
Laemmle Jr., le film orchestre la chitecte Hjalmar Poelzig (Boris contemporain aux anciens châ­ Ulmer (1934). Avec Boris Karloff, chacun de ses plans comme des Film canadien de Monia Chokri.
rencontre au sommet des deux Karloff), construite sur l’ancien teaux gothiques. Ce ne sont désor­ Bela Lugosi (1 h 05). 1 Blu­ray joyaux qui évoquent Godard, la Avec Anne­Elisabeth Bossé,
grandes figures horrifiques de site d’un champ de bataille où pé­ mais plus les vieilles pierres et les + 1 DVD, Elephant Films, 16,99 €. Nouvelle Vague québécoise, Patrick Hivon (1 h 57).
culture | 21
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MERCREDI 26 JUIN 2019

William William
Lebghil
et Yves,

Lebghil,
son frigo
intelligent.
ECCE FILMS

bosseur lunaire
L’acteur qui incarne un rappeur
dans « Yves », abonné un temps au
rôle du gentil paumé, corse son jeu

PORTRAIT dans son dernier long­métrage

I
Voyez comme on danse, la suite,
l accueille chez lui, à Paris, les seize ans après, d’Embrassez qui
yeux immenses et le sourire vous voudrez. « Michel m’a appelé
large, qui lui fait retrousser le pour me dire : “Voilà, tu peux me
nez. William Lebghil, 28 ans, renvoyer ce rôle à la gueule si tu
a le don de la convivialité qui veux, je m’en fous, je te proposerai le
passe, sans que cela gêne, par le suivant.” Quand même, entendre
tutoiement immédiat. Son air de ça d’un mec comme lui, qui dirige
môme rigolard l’a mené long­ avec une précision inouïe… »
temps vers des rôles de gentil gar­ Enfin, et peut­être surtout, Riad
çon un peu paumé, un rien naïf. Sattouf, avec qui il a tourné une
Depuis quelque temps, il en va pub, à l’âge de 19 ans, avant que ce
autrement, des personnages plus dernier refasse appel à lui,
complexes lui étant offerts, aux­ en 2010, pour sa websérie Les Co­
quels il peut apporter ses nuances. locs, puis pour son deuxième
Comme dernièrement dans Pre­ long­métrage, Jacky au royaume nir d’autre », confie le jeune film, Les Mythos, de Denis Thy­ ont eu raison, puisque les films se de ne plus être aimé qui lui a fait
mière année, de Thomas Lilti, sorti des filles (2013), avec Vincent La­ homme, saisi par le théâtre à l’âge baud. « Je n’avais pratiquement sont succédé, Les Nouvelles Aven­ adopter l’humour comme arme
en septembre 2018, et aujourd’hui coste. « Riad est tout de suite de­ de 10 ans. « Je me suis retrouvé fait que du théâtre, et n’avais prati­ tures d’Aladin, d’Arthur Benza­ de séduction ? Peut­être faut­il
dans Yves, de Benoît Forgeard, où il venu comme un second père pour dans un cours de théâtre, entraîné quement joué que des tragédies, quen, où il retrouve Kev Adams, chercher du côté du père qui, en se
joue Jérem, un rappeur dont la vie moi. Avec lui, je me marre et je le par un ami, et j’ai tout de suite alors forcément, je fantasmais un La Fine Equipe, de Magaly Ri­ fâchant avec sa famille, a privé
se trouve chamboulée par l’arrivée trouve brillant. J’en ai fait mon pyg­ adoré. Chaque samedi, je ressen­ peu sur le cinéma. Et là, je dois re­ chard­Serrano, Le Sens de la fête, William Lebghil d’une partie de
dans son appartement d’un réfri­ malion, mon modèle », confie l’ac­ tais une réelle excitation à l’idée de connaître que la réalité m’a un peu d’Eric Toledano et Olivier Naka­ ses racines. Celles d’une Algérie
gérateur intelligent. teur, qui ne cesse de rendre hom­ me rendre sur cette scène où on déçu. En particulier, parce que je ne che, Cherchez la femme, de Sou qui l’interroge. « Je m’y intéresse,
Durant un mois, William Lebghil mage à ceux qui l’ont aidé à s’ins­ m’autorisait enfin à faire le con. » retrouvais pas l’esprit de troupe, de Abadi. parce que son absence dans ma vie
a dû répéter avec Doria Tillier, his­ taller dans le cinéma. Emerveillé Cinq ans plus tard, il se retrouve à bande, que j’aime par­dessus tout Comment ce garçon, qui a a sûrement créé un vide qui n’est
toire de roder les dialogues, d’éli­ autant qu’étonné de susciter de Avignon dans une pièce écrite par et qui m’enthousiasmait tant sur grandi dans un village de Seine­et­ probablement pas étranger à ce
miner ce qui ne marchait pas. Il a l’intérêt. son professeur. Il n’en revient pas. les planches. » Déprimé, William Marne, entouré de parents sentiment d’abandon qui m’ac­
aussi passé le même nombre de Arrêter de jouer serait, toutes Lebghil retourne chez ses parents, aimants – mère comptable et père compagne. » Avant d’ajouter, dans
semaines en studio d’enregistre­ proportions gardées, ce qui pour­ Souvent flippé se faire « dorloter » par sa mère. agent de banque –, qui l’ont encou­ un grand éclat de rire : « Ça fait un
ment, où il a appris à poser sa voix, rait lui arriver de pire. « C’est ma Après le baccalauréat, il entre à « Avec mon frère, ils ont fini par me ragé à suivre sa voie, a pu trouver peu flipper ce que je dis, non ? » 
à rapper durant des heures. « Pour terreur, je ne saurais pas quoi deve­ l’Ecole d’art dramatique Jean Péri­ secouer et me dire “bouge­toi”. » Ils ce terrain d’angoisse, cette crainte véronique cauhapé
être crédible, il me fallait trouver le mony, à Paris, dont il sort diplômé
flow. Au départ, j’ai trouvé le travail en 2011. Durant la même période,
facile, je me suis pris au jeu, mais il tourne Soda, la série de M6 dans
plus on avançait, plus cela devenait « Riad Sattouf laquelle il partage la vedette avec
compliqué et sérieux », constate Kev Adams. Les deux jeunes gar­
l’acteur, dont le caractère lunaire
est devenu çons deviennent des coqueluches
ne laisse rien soupçonner de sa comme un des adolescents. « Je me suis re­
puissance de travail, en particulier trouvé avec des centaines d’amis
avec les cinéastes qu’il admire.
second père pour sur Facebook, ça m’a fait flipper »,
Benoît Forgeard en fait partie. moi. Avec lui, reconnaît William Lebghil.
Pour lui, il est prêt à se lancer « avec Flippé, comme il dit, il l’est beau­
une ferveur folle ». Michel Blanc
je me marre et je coup, souvent. Parfois profondé­
également, qui lui a écrit un rôle le trouve brillant » ment, comme après son premier

Un frigo complètement givré


Dans le film de Benoît Forgeard, un réfrigérateur intelligent sème
la zizanie dans la vie d’un musicien en mal d’inspiration

YVES nie : de bug professionnel en dis­


pute amoureuse, le scénario puise
Yves prolonge cette critique du
capitalisme comptable, où le suc­

F
 dans les ressorts du quiproquo, du cès d’une œuvre musicale se me­
ini les pense­bête sur le vaudeville, en même temps qu’il sure au nombre de « vues » sur In­
« frigo » : dans Yves, de livre une réflexion sur les nouvel­ ternet. Le concepteur du « fribot »,
Benoît Forgeard, le réfrigé­ les technologies et sur la tyrannie pétri de philanthropie mar­
rateur parle, commande les cour­ de la célébrité. L’une des scènes les chande, Roger Philéa (Darius), est
ses et se mêle des histoires de son plus savoureuses est ce procès en persuadé que celui­ci a permis le
propriétaire. Nous voici plongés droits d’auteur, pour savoir qui, de « décollage » du rappeur. L’artiste
dans un futur proche où les pro­ Jérem ou d’Yves, a signé le dernier ne peut plus rien tout seul ; en
duits électroménagers sont des tube du rappeur. Petit détail, le rôle face, So a le blues de celle qui,
personnages. En l’espace d’une se­ du juge est confié au compositeur n’ayant aucune vocation, a
maine sortent en salle deux comé­ Bertrand Burgalat, qui signe la échoué dans l’entreprise.
dies où le héros est un objet : après musique d’Yves, tandis que les Avec sa bande de comédiens,
le blouson qui parle, dans Le Daim, morceaux de rap qui tache, tel Philippe Katerine, Anne Steffens et
de Quentin Dupieux, sorti le l’inoubliable Carrément rien à Darius, que rejoignent ici Doria
19 juin, voici donc Yves, le frigo in­ branler, sont dus à Mim & Tortoz. Tillier et Alka Balbir, Forgeard fait
telligent qui devient l’ami et com­ entendre sa musique désenchan­
plice d’un rappeur (William Le­ Capitalisme comptable tée. Plus optimiste, Yves traîne par­
bghil). Le Daim a fait l’ouverture de La marque de fabrique de For­ fois quelques longueurs et flotte­
la Quinzaine des réalisateurs, à geard, dont les films sont produits ments dans le rythme, comme si le
Cannes, Yves l’a clôturée, chacun par Emmanuel Chaumet (Ecce réalisateur avait du mal à relier en­
des réalisateurs apportant sa part Films), tient dans son aptitude à tre eux ses brillants sketchs. Mais
de loufoque et d’absurde. mêler, dans ses scénarios, le réel de le film séduit par ses inventions
Dans ce quatrième long­mé­ la société et son imaginaire débor­ scéniques, l’intelligence des dialo­
trage de Benoît Forgeard, Jérem, dant : profond et léger, agitateur gues et la folie douce des acteurs.
un rappeur en mal d’inspiration, de comédies, Forgeard pourrait En ce sens, le frigo, objet héros du
accepte de tester un frigo intelli­ être un sociologue qui juge plus film, loin d’éclipser les comédiens,
gent, le « fribot », qu’une char­ utile de monter une performance les magnifie (comme le blouson
mante chef de produit, étrange­ dadaïste que de rédiger sa thèse. La dans Le Daim). Il faut voir William
ment prénommée So (Doria même démarche l’animait dans Lebghil travailler au clavier avec
Tillier), vient lui livrer. L’artiste y son précédent film, Gaz de France Yves, faire une « battle » contre lui
voit une solution à ses fins de (2016), une plongée visionnaire ou s’énerver contre cet ami trop in­
mois, car les courses lui seront li­ dans le cabinet d’un président de telligent : « Je préfère être dans la
vrées gratuitement. la République au plus bas dans les lose toute ma vie que de devoir mon
Mais Yves fait du zèle, prend des sondages (Philippe Katerine). succès à un frigo… » 
initiatives en faisant tourner ses Réussir sa vie (2012), son premier clarisse fabre
algorithmes (Antoine Gouy lui « long », était quant à lui un éclat
prête sa voix doucereuse). L’ami de rire nerveux sur l’entreprise qui Film français de Benoît
qui veut du bien va semer la ziza­ impose sa loi, achète tout. Forgeard, (1 h 47).
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 Retrouvez l’intégralité des critiques sur Lemonde.fr


L E S   F I L M S   D E   L A   S E M A I N E

     À N E PA S M A N Q U ER
Toy Story 4
Film d’animation américain de Josh Cooley (1 h 40).

Yves
Film français de Benoît Forgeard (1 h 47).

     À VO I R
Bixa Travesty
Film brésilien de Claudia Priscilla et Kiko Goifman (1 h 15).

Beau Joueur
Film français de Delphine Gleize (1 h 43).

La Femme de mon frère


Film canadien de Monia Chokri (1 h 57).

Golden Glove
Film allemand de Fatih Akin (1 h 50).

     P O U R Q U O I PA S
Conséquences
Film slovène de Darko Stante (1 h 33).
Andrej, adolescent de 17 ans, est placé par ses parents dans un
centre de détention pour mineurs. Il intègre un groupe de gar­
çons avec qui il part en virée et pour lesquels il accepte de
commettre un certain nombre de délits et d’actes violents.
Dans sa première partie, le film de Darko Stante choisit la des­
cription naturaliste et le mélo social. Le film bascule dans la se­
conde partie, lorsque le personnage principal découvre, ou en
tout cas assume son homosexualité. De façon un peu atten­
due, de social le mélo devient sociétal.  j.­f. r.

Teen Spirit
Film britannique de Max Minghella (1 h 35).
Pauvre jeune fille qui se tue à la tâche sur la ferme familiale, Elle Linn da Quebrada, dans « Bixa Travesty ». ARIZONA DISTRIBUTION
Fanning pourrait illuminer de sa présence une version contem­
poraine de Tess d’Uberville. Mais Violet, son personnage, n’a
d’autre ambition que de remporter un télé­crochet qui lui per­
mettrait d’échapper à l’île de Wight et à sa mère, très catholique.
La grâce de l’interprète et le talent évident du metteur en scène
débutant se heurtent en vain à la banalité du projet.  t. s.
La douce radicalité d’une artiste
The Mountain
Film américain de Rick Alverson (1 h 46).
Le docteur Fiennes (Jeff Goldblum) lutte désespérément pour
son droit à pratiquer des lobotomies dans les hôpitaux psy­
brésilienne hors normes
chiatriques du Nord­Ouest américain. De ce vain combat face Icône du milieu queer, l’artiste transgenre Linn da Quebrada est
aux neuroleptiques (on est dans les années 1950), le réalisateur
fait une odyssée absurde, engluée dans les brouillards de l’héroïne d’un essai cinématographique entre documentaire et fiction
l’Oregon et de la raison, jusqu’à ce que la bizarrerie rende
le propos indéchiffrable. Reste l’impression marquante d’un
cauchemar sous thorazine.  t. s.

Ville Neuve BIXA TRAVESTY et récit fictif. Ce portrait kaléidos­


copique n’est pas qu’un pamphlet
« Bixa Travesty » En dehors de la scène, Linn da
Quebrada se montre drôle et

I
Film canadien de Félix Dufour­Laperrière (1 h 16).  dans un Brésil qui détient le triste n’est pas un film explosive avec ses proches. Elle
Librement adapté d’une nouvelle de l’écrivain américain l y a des films­manifestes qui record mondial du plus grand fait hurler de rire ses amis en
Raymond Carver, La Maison de Chef, le deuxième rencontrent leur époque, nombre de meurtres de person­
« sur » la imaginant au rayon jouets une
long­métrage de Félix Dufour­Laperrière mêle intime et Bixa Travesty en est un. nes transgenres. Bixa Travesty dé­ chanteuse queer, poupée qui dirait, avec sa pile
politique. En octobre 1995, tandis que les Québécois sont « Bixa », comme « tapette », ploie une énergie festive, crue, dans le dos : « Je suis une terro­
invités à se prononcer sur la souveraineté de leur province, un « pédé », l’expression est un stig­ underground, comme un acte de
mais il a été écrit riste du genre, ni homme ni
couple tente de renouer dans une maison isolée de Gaspésie. mate retourné en fierté, une gifle résistance. « avec » elle femme ! » L’héroïne de Bixa Tra­
Les aspirations nationalistes et les sentiments amoureux envoyée au machisme brésilien vesty exprime aussi une ten­
déçus s’expriment à travers une animation en noir et blanc qui se trouve plus qu’à son aise Magnifique tendresse mère-fille dresse magnifique envers sa
obtenue par la technique d’encre sur papier. Un film austère depuis l’élection de Jair Bolsonaro Visage d’ange qui évoque le chan­ contemporaine, entre ceux qui mère, qui faisait des ménages et
sur la solitude et les rêves abandonnés.  v. ca. à l’automne 2018. Autodétermi­ teur Prince et bouche conqué­ revendiquent l’existence de plu­ n’a pu l’élever. Le film les montre
née comme un peuple en voie rante à la Mick Jagger, collants ré­ sieurs sexes et les tenants d’un dans l’intimité de la maison, et
À L’A F F I C H E É GA L E M E N T d’émancipation, Linn da Que­ sille sur cuisses de gladiateurs, ordre binaire. Elle pose cette ces deux corps serrés nous rap­
Brightburn, l’enfant du mal brada est l’incarnation de ce corps Linn da Quebrada est un défi à question, en substance : que si­ pellent que l’on met au monde
Film américain de David Yarovevsky (1 h 30). politique théorisé en son temps toutes les normes. En décorti­ gnifie l’expression « sexe mascu­ des enfants pour qu’ils soient
Je la rencontrerai par Michel Foucault (1926­1984) et quant son identité, face caméra, lin », si la personne qui en a l’at­ heureux. C’est aussi le message
Film français de Raphaël Kirgo (1 h 20). aujourd’hui par Judith Butler : avec son gant métallique qui évo­ tribut se définit comme une de Bixa travesty, dans sa douce et
Made in China une marge qui fabrique ses pro­ que la fête, le combat ou le corps femme ? Direct, accessible, en­ suave radicalité. 
Film français de Julien Abraham (1 h 28). pres armes, ici la danse et le verbe en construction d’Edward aux traînant, son discours galvanise clarisse fabre
comme langage performatif. mains d’argent (1991), de Tim Bur­ les minorités et tous ceux qui
« Linn » comme « belle », « que­ ton, l’artiste brésilienne entend veulent repenser l’existence des Film brésilien de Claudia
brada » comme « cassée » dans s’adresser au plus grand nombre. hommes et des femmes en Priscilla et Kiko Goifman,
l’argot local, en référence à ses ori­ Linn da Quebrada pose les autant de nuances possibles, vers avec Linn da Quebrada, Jup do
LES MEILLEURES ENTRÉES EN FRANCE gines modestes : ainsi s’est nom­ questions qui divisent la société l’infini et au­delà… Bairro (1 h 15).
Evolution mée la jeune femme transgenre,
Nombre par rapport Total noire et brésilienne âgée de
de semaines
d’exploitation
Nombre
d’entrées *
Nombre
d’écrans
à la semaine
précédente
depuis
la sortie
28 ans, devenue en quelques an­
nées une icône queer dans son
Linn da Quebrada, corps désobéissant
pays. Elle est l’héroïne d’un essai
Men in Black 2 153 154 697 ↓ – 47 % 490 046 cinématographique qui navigue un bruit de pas lourds dans l’escalier de définir, même si elle n’aime pas ce mot qui
Beaux-Parents 1 124 519 391 124 519 entre documentaire et fiction, l’hôtel parisien chic et discret, niché au fond contient « l’idée de la fin » : « Je suis une trans,
réalisé par Claudia Priscilla et d’une impasse : Linn da Quebrada s’est enfin ré­ une travestie, une dissidente sexuelle, avec un
X-Men : Dark Phœnix 3 115 777 597 ↓ – 49 % 1 073 789 Kiko Goifman – auteurs de Look veillée et descend pour l’interview. Godillots à corps désobéissant. »
Aladdin 5 104 202 643 ↓ – 44 % 1 944 993 at me Again (2011), sur un homme semelles compensées, robe tube noire cachée
transgenre. sous un gros blouson, elle est immense et affi­ Une série d’émissions « très regardée »
Le Daim 1 72 641 313 72 641
Auréolé du Teddy Award du che un doux sourire. La traductrice s’assoit à En écoutant son langage poétique, on com­
Child's Play 1 68 760 248 68 760 meilleur documentaire à la Berli­ côté d’elle pour canaliser le flux de paroles. Par­ prend pourquoi elle touche un large public. Elle
Roxane 2 47 804 322 ↓ – 57 % 186 729 nale, Bixa Travesty sillonne les ler, scander son discours féministe, antima­ parle de la « multiplicité des corps » en utilisant
festivals et fait traînée de poudre. chiste dans ses albums de funk ou de rap con­ la métaphore du fleuve : « Ce fleuve avance, il y a
Rocketman 4 47 465 783 ↓ – 40 % 631 766 Avec Linn da Quebrada et sa mu­ testataire, c’est ce qui a fait le succès de cette des courants, un flux. Il y a des berges qui le con­
Noureev 1 39 085 161 39 085 sique électro­baile funk issue des chanteuse trans, noire, brésilienne, âgée de tiennent et déterminent où il doit aller. Est­ce
favelas, le queer devient popu­ 28 ans, héroïne de Bixa Travesty, de Claudia qu’on ne peut pas détourner ce fleuve, créer des
Nevada 1 38 305 135 38 305 laire. Sur scène, avec son amie Jup Priscilla et Kiko Goifman. Le film, qui arrive sur affluents, irriguer des zones désertes ? »
do Bairro, une jeune trans qui n’a les écrans français le 26 juin, ne sortira pas en Aujourd’hui, Linn da Quebrada veut montrer
AP : Avant­première * Estimation
Source : « Ecran total » Période du 19 au 23 juin inclus
pas son physique sculptural et vit salle au pays de Jair Bolsonaro – il a seulement qu’elle peut « sortir de la bulle trans ».
dans la pauvreté, elle combat le été présenté au Festival MixBrasil de Sao Paulo. Avec son amie et partenaire de la scène queer
machisme avec un humour dé­ A Paris, devant son café, l’icône queer essaie Jup do Bairro, elle anime une série d’émissions
Alors que les sorties en salle marquent un ralentissement, aucun film vastateur. La « prose combat » de de se concentrer sur l’essentiel. « Il n’y a pas eu sur la chaîne privée Canal Brasil, « très regardée
ne s’est imposé ce week­end. Quelques­uns parviennent cependant à l’artiste pulse en direct dans les de point de départ où je me suis dit “je suis et très respectée », dit­elle. « On reçoit des person­
tirer leur épingle du jeu. Pour la deuxième semaine consécutive, Men veines du public, lequel n’est pas trans” », commence­t­elle. Son éducation ul­ nalités du foot, de la politique, de l’économie.
in Black domine le box­office et atteint 490 046 entrées, tandis que forcément issu du milieu LGBTQI tranormée ne la préparait pas à l’expérimenta­ Cela montre à la société que l’on ne se restreint
deux comédies se hissent dans le top 5 : Beaux­Parents, d’Hector Ca­ (lesbien, gay, bi, trans, queer, in­ tion : « J’ai grandi avec ma tante, très religieuse, pas à nos problématiques. » L’arrivée au Parle­
bello Reyes, est numéro deux avec 124 519 entrées (sur 391 copies), de­ tersexe…). qui était chez les Témoins de Jéhovah. C’était un ment de la députée trans et noire Erica Malun­
vançant Le Daim, de Quentin Dupieux (72 641 entrées sur 313 copies), C’est lors d’une performance de monde d’évidence où l’on vous dit comment guinho, en mars 2019, un an après l’assassinat
en cinquième position. Le Daim a été en tête des entrées parisiennes à rue que Claudia Priscilla a décou­ vous habiller, vous comporter. Puis j’ai testé de la conseillère municipale à Rio et féministe
14 heures le jour de sa sortie, devant Noureev, de Ralph Fiennes. Man­ vert, en 2015, la force scénique de différentes identités. C’est dans le théâtre, la Marielle Franco, est un « moment historique »,
que à ce tableau le film Parasite, de Bong Joon­ho, Palme d’or à Cannes, Linn da Quebrada. Bixa Travesty danse, que j’ai trouvé un champ immense à ex­ dit­elle : « Les trans au Brésil sont de plus en plus
dont les chiffres n’ont pas encore été communiqués et ne seront dé­ n’est pas un film « sur » la chan­ plorer, une réflexion à mener sur la sexualité et nombreux. Ils et elles sont dans la politique, à la
voilés que mercredi. La semaine dernière, Parasite enregistrait plus de teuse queer, mais il a été écrit sa dimension plurielle. » Le mot tatoué sur sa télé, dans la rue, votent et produisent de la pen­
500 000 entrées (563 555) et pouvait espérer atteindre le million. La « avec » elle, mêlant images docu­ joue intrigue : « Nem », comme « ni l’un ni sée. C’est pour cela que l’Etat a peur. » 
sortie de Toy Story 4, ce mercredi 26 juin, devrait changer la donne. mentaires, archives personnelles l’autre ». Il y aurait mille façons pour elle de se cl. f.
0123
MERCREDI 26 JUIN 2019 télévision | 23
La vie après VOTRE
SOIRÉE
TÉLÉ
la tragédie
Un scénario tronqué, une sortie reportée :
la fiction sur les attentats du Bataclan pâtit MERCREDI  26  JUIN
d’un excès de bien­pensance
TF1
21.00 Grey’s Anatomy :
Station 19
FRANCE 2 tre la réalisation, la production et Série. Avec Jaina Lee Ortiz (EU, 2018).
MERCREDI 26 - 21 H 10 les associations de victimes. Et, 23.35 Cold Case :
TÉLÉFILM beaucoup de temps plus tard et affaires classées

C
avec l’assurance qu’un débat sui­ Série. Avec Kathryn Morris (EU, 2006).
omment et quand par­ vra le film, Ce soir­là et les jours
ler de l’horreur ? Quel d’après est enfin programmé, avec France 2
est le temps de décence dix­huit mois de retard. 21.10 Ce soir-là
pour qu’une fiction Une gestation difficile qui laisse et les jours d’après
puisse s’emparer d’un drame ? des traces. Le film de Marion Téléfilm de Marion Laine. Avec
Deux ans après les attentats du Laine (Un cœur simple, 2008 ; Sandrine Bonnaire, Simon Abkarian
13 novembre 2015, qui ont tué 131 A cœur ouvert, 2012) est lourd, en­ (Fr., 2018, 90 min).
personnes, France 2 annonçait le glué dans le drame et la bien­ 23.45 Le Rêve français
tournage de Ce soir­là et les jours pensance. Sandrine Bonnaire y Téléfilm de Christian Faure. Avec
d’après, sur l’attentat au Bataclan. incarne si bien le malheur… Son Sandrine Bonnaire et Simon Abkarian dans « Ce soir­là et les jours d’après », Aïssa Maïga (Fr., 2017, 90 min).
Plus précisément sur les voisins, personnage, Hélène, directrice de réalisé par Marion Lane. CH. LARTIGE/CAMINANDO PRODUCTIONS/ENDEMOLSHINE FICTION/FTV
les secouristes, les médecins qui, maternelle, a la compassion facile France 3
dans la nuit, ont porté secours mais entretient des rapports con­ Cela nous oblige à être plus justes. que. Celle d’un jeune homme cri­ riage ou dans le parking. Une en 21.00 Le Village préféré
aux victimes et éprouveront le flictuels avec sa fille, Céline (Ju­ C’est pourquoi il y a eu des discus­ blé de balles qui raconte des bla­ particulier les surpasse toutes, des Français 2019
besoin de se revoir « les jours liette Lamboley, excellente), qui sions sur le scénario. » gues à ses sauveteurs – « l’hu­ celle tournée dans la salle de Divertissement présenté par
d’après ». Des liens forts vont se travaille aux urgences à la Salpê­ Le film, effectivement, ne colle mour comme protection ultime ». garde de l’hôpital, lorsque la mé­ Stéphane Bern.
tisser entre eux, comme entre les trière, à Paris. pas avec la personnalité de son Il s’en inspirera pour le rôle de Sa­ decin chef (Elsa Tauveron, « gé­ 23.40 Avenue de l’Europe,
deux héros, Karan (Simon Abka­ scénariste, Nicolas Mercier, opti­ mira (Naidra Ayadi, épatante), niale ! », insiste le scénariste) dis­ le mag
rian) et Irène (Sandrine Bon­ «L’humour, protection ultime » miste invétéré (révélé par la série jeune femme énergique qui ne tribue les tours de garde aux in­ Magazine présenté par Véronique
naire), qui vont vivre une « grande A leurs côtés, Karan est un Clara Sheller). Lorsqu’il a proposé sait pas si elle remarchera un jour ternes. « Ma scène préférée », con­ Auger. Avec Michel Barnier.
histoire d’amour impossible », an­ homme d’affaires afghan qui a le ce sujet, il y a d’instinct cherché la mais choisit d’épouser l’homme firme Nicolas Mercier. « J’aurais
nonçait la production. charme et le charisme doulou­ lueur d’espoir : « Au milieu de ce qui l’aime. voulu que tout le film soit ainsi. » Il Canal+
Trop tôt. La journaliste Claire Pel­ reux de ceux qui ont traversé des chaos, de haine et de violence, une « Je déteste m’appesantir sur le n’est pas le seul.  21.00 Soixante
tier, dont le compagnon a été tué épreuves – Simon Abkarian a seule chose positive a été l’aide ap­ drame », explique Nicolas Mer­ catherine pacary Spectacle enregistré au Théâtre
au Bataclan, se dit « choquée » et vécu au Liban pendant la guerre portée, sans réfléchir, par des voi­ cier. Or « toute la part de comédie de l’Européen, à Paris.
lance une pétition – qui atteindra civile. « On ne peut pas dire la souf­ sins, des passants », explique­t­il. qui devait parsemer cette histoire Téléfilm de Marion Laine 22.25 Budapest
40 000 signatures. Face au tollé, le france de ceux qui ont perdu un D’où le thème retenu. tragique a été gommée ». Ce n’est (Fr., 2018, 90 min), suivi à 22 h 40 Film de Xavier Gens. Avec Manu
film est ajourné fin 2017. S’ensui­ proche, avait­il prévenu lors de la Pour l’étayer, il visionne des do­ pas totalement vrai. Quelques du débat « Attentats : la vie Payet (Fr., 2018, 100 min).
vent de longues négociations en­ présentation à la presse, fin mai. cumentaires et une scène le mar­ scènes restent drôles, lors du ma­ après », présenté par Julian Bugier.
France 5
20.50 Nus et culottés
Magazine présenté par Guillaume
Tisserand-Mouton, Nans Thomassey

La gymnaste russe au regard triste et Charlène Gravel (Fr., 2019 et 2017).


22.40 C dans l’air
Magazine présenté par Caroline Roux.
L’ancienne athlète Marta Prus a suivi les préparatifs de Margarita Mamun, championne de GRS, avant les JO de Rio Arte
20.55 Visages, villages
Documentaire d’Agnès Varda
ARTE jamais assez bien. Athlète russo­ nent les compétitions à un coach, Amina Zaripova, ex­gloire tion brisée par l’effort et les repro­ (Fr., 2017, 95 min).
MERCREDI 26 - 22 H 30 bangladaise, Margarita évolue au rythme effréné. A écouter Irina Vi­ de la GRS russe, qui elle­même a ches, a la tête ailleurs – son père 22.30 Limites
DOCUMENTAIRE sein de l’équipe nationale russe, ner invectiver Margarita devant été entraînée par Viner. La vio­ est gravement malade – et ne Documentaire de Marta Prus

T
dirigée d’une main de fer par la les autres gymnastes, médusées lence avec laquelle les deux fem­ semble tirer aucun plaisir de sa (Pol.-All., 2017, 71 min).
u n’es pas un être humain, redoutable Irina Viner. Et partage (« Va te faire foutre ! T’es nulle ! Pa­ mes traitent celle qui pourrait être discipline. Ça ne doit pas l’empê­
tu es une sportive. » le podium avec sa compatriote resseuse ! »), on pourrait croire que leur fille choque et interroge sur le cher de gagner, lui dit Irina, au M6
Margarita Mamun a à Yana Kudryavtseva. Peu importe les performances de la jeune sort de ces athlètes très jeunes, contraire : « Tu joues une tragédie, 21.05 Nouvelle vie
peine 20 ans. Teint olive, yeux laquelle des deux l’emporte, « le femme sont en baisse. Il n’en est malléables et éloignés de leur fa­ pense à ton père qui est en train de Magazine présenté par
foncés, cheveux tirés en chignon, drapeau russe doit toujours être à rien, comme le montrera la fin de mille par les compétitions. mourir », ose­t­elle lui suggérer Ophélie Meunier (épisode 3).
la jeune femme est au faîte de sa la première place », dit d’ailleurs cet excellent documentaire réalisé Limites fait penser à d’autres do­ avant un enchaînement. Elle ga­ 23.55 Vivre et travailler
carrière de gymnaste rythmique Yana aux journalistes. Pour la par Marta Prus, elle­même an­ cumentaires tournés dans les gnera, mais la victoire aura un sur une île au soleil : des
et sportive (GRS, combinant Russie, berceau de cette discipline cienne gymnaste. grandes académies de danse clas­ goût bien amer.  Français réalisent leur rêve !
gymnastique classique et manie­ terriblement exigeante, impossi­ Mais l’excellence de ses presta­ sique en Russie, qui font passer audrey fournier Documentaire de David Corre,
ment d’engins – ruban, cerceau, ble de ne pas y briller. tions vient au prix de nombreuses l’Ecole de l’Opéra de Paris pour un Mickael Beurdouche, Lise Thomas-
massues, ballon). Dans les yeux de En 2015, à un an des Jeux olympi­ heures d’entraînement sous le camp de vacances. Face à ses deux Limites, de Marta Prus Richard et Jean-Michel Vennemani
son entraîneuse, pourtant, ce n’est ques de Rio, les gymnastes enchaî­ regard sévère d’Irina Viner et de sa aînées, Margarita, athlète d’excep­ (Pol.­All., 2017, 71 min). (Fr., 2019, 115 min).

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24 | styles 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

PARIS | PRÊT-À-PORTER HOMME PRINTEMPS-ÉTÉ 2020

l’homme sera
romantique
ou ne sera pas
Le style masculin découvert
à la Paris Fashion Week,
du 18 au 23 juin, assume
son côté tendre. Tout
en mettant au placard
le duo sweatshirt­baskets

MODE

L’
homme 2020 sera une âme sen­
sible. Tel est le message de la Pa­
ris Fashion Week qui s’est tenue,
du 18 au 23 juin, dans les plus
beaux lieux de la capitale, du Grand Palais
au Jardin des plantes. Après le règne du
sportswear et du duo sweatshirt­baskets,
le style masculin se dirige vers une ère
plus romantique, une forme de virilité
moderne qui assume sa tendresse sans re­
noncer à sa force. Il y a un dress code re­
connaissable pour cela : du rose pâle et des
pastels, des transparences, du satin, des
textures délicates et savantes, un certain
goût pour les fleurs.
Si l’on remonte dans l’histoire, l’homme a
longtemps porté autant – voire plus – de
rubans, de soies et de bijoux que les fem­
mes. Pour son portrait de 1701, Louis XIV ne Dior Men.
prenait­il pas la pose en souliers à talons CHARLES PLATIAU/REUTERS
rouges assortis à ses rubans ? Puis la révo­ Nimbée de rose pâle, du sable au sol, la femmes à s’habiller au rayon masculin de
lution industrielle impose costumes som­ salle qui accueille le show Dior Men de Kim la maison.
bres et stricts comme signes extérieurs de Jones est déjà une promesse de douceur. Le Chez Louis Vuitton, Virgil Abloh a surpris
prospérité et de virilité. Il faudra attendre nouvel homme Dior est un geek romanti­ son public en délaissant ses effets street­
les rockstars charismatiques comme David que, un baroudeur­séducteur sûr de lui, en wear et sa culture hip­hop pour un style
Bowie, en robe de brocard sur la pochette costume Oblique (il doit son nom à son plus délicat. Les harnais d’épaules – une de
de The Man Who Sold the World, ou de Kurt boutonnage croisé) taillé dans le satin tour­ ses signatures – sont piqués de fleurs, ses
Cobain en robe à fleurs à la « une » du ma­ terelle, à porter avec une écharpe de soie chemises feuilletées et transparentes po­
gazine culte des années 1990 The Face pour qui caresse le sol. Avec ses grosses chaussu­ sent comme un arc­en­ciel pastel sur les
que les codes de la sphère féminine réappa­ res de marche transparentes, son porte­ corps athlétiques des mannequins. Même
raissent chez l’homme, façon provocation. AirPods en forme de collier­globe rose, sa les liens qui retiennent les manches et les
La mode de 2020 évite ces extrêmes et valise de voyageur compulsif cosignée par dos des vestes ressemblent plus à des ru­
c’est ce qui la rend intéressante et plau­ Rimowa ou ses chemises en organza bro­ bans qu’à des sangles d’équipement mili­
sible. Et puis cette masculinité douce et dées par l’artisan de la haute couture Le­ taire ou sportif.
subtile est défendue par les plus grands sage, il a une allure folle. Une grande mo­ Paul Smith donne un nouveau souffle
noms du luxe. dernité aussi, laquelle pousse pas mal de aux costumes qui ont fait son succès. Cette
saison, ils sont souples, amples et croisés,
habillés de couleurs bonbons ou fleurs de
jardins anglais. Les jeunes hommes qui les
portent ont de l’assurance, une foulée dy­
namique sans être agressive et un petit côté matelassé aux couleurs sorbet, pulls entiè­
insolent et flegmatique plein de charme. rement brodés de miroirs, il ose tout. Et
Cet appel à la sensibilité a gagné toutes dans le sillage de stars sportives comme
les catégories de la création, y compris des Neymar Jr. ou Victor Cruz (une star du foot
designers les plus inclassables et respectés américain), suit tout un public de jeunes
comme Rei Kawakubo. Pour Comme des hommes qui n’ont pas peur d’associer gla­
garçons Homme Plus, la radicale et énig­ mour, douceur et virilité.
matique Japonaise s’est attaquée au mythe Nouveau venu dans le calendrier, le
d’Orlando, de Virginia Woolf. Dans cette Néerlandais Sander Lak, fondateur de Sies
biographie imaginaire et surréaliste, le per­ LE NOUVEL HOMME  Marjan, transpose parfaitement la poésie
sonnage androgyne d’Orlando se réveille romantique de sa mode féminine à son
dans la peau d’une femme au cours de ses DIOR A UNE ALLURE  vestiaire masculin. Manteau­peignoir en
quatre siècles d’aventures, entre l’époque
élisabéthaine et le XXe siècle. De cette fable
FOLLE. UNE GRANDE  mohair, pantalon de satin porté avec un
tricot de corps ultra­fin, chemise en voile
« gender fluid » avant l’heure, la créatrice MODERNITÉ AUSSI,  de coton plissé évoquent le trousseau pour
tire un vestiaire hybride. homme à l’ancienne, un esprit cocooning
Grands manteaux à effet « corset sou­ LAQUELLE POUSSE  pour la ville raffiné et moderne.
ple » qui marque la taille, avec manches à
crevés portés, sur des bermudas, quilles de
PAS MAL  Quand il a créé sa marque à Londres
en 2008, Jonathan Anderson a fait sensa­
brocard ou tee­shirts brodés de faux bi­ DE FEMMES  tion avec une mode masculine qui em­
joux à la mode Tudor associés à des bas­ pruntait très volontiers au répertoire fémi­
Celine. ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP kets, le mélange est aussi excentrique que À S’HABILLER  nin. Son style avant­gardiste s’est raffiné
très naturel. Comme si Rei Kawakubo
avait saisi, à sa manière très particulière, AU RAYON  au fil des saisons et a largement contribué
à la poussée de sensibilité que connaît
Le dandy Celine l’envie de brouiller les contours de la mas­ MASCULIN  aujourd’hui la mode masculine. Pour
culinité qui est dans l’air. Loewe, il livre une des plus belles collec­
Pour clore la saison de défilés parisiens, ce balade les mains dans les poches. Aux Enfin, Paris peut compter sur une généra­ DE LA MAISON tions de la saison.
23 juin, l’homme Celine émerge d’une Français, il rappellera peut­être Serge tion de designers trentenaires pour les­ En longues chemises de popeline de co­
boîte carrée drapée de rideaux rouges et Gainsbourg ou Alain Pacadis, journaliste quels la virilité n’est pas strictement codi­ ton ou néodjellabas de veau velours aux
habillée de dizaines de spots, posée aux et figure de la vie nocturne parisienne des fiée et mélange tout ce qui leur plaît, sans teintes pâles, trenchs en satin, ensembles
Invalides. Il est vêtu d’un costume bleu années 1970 et 1980. Pour tout le monde, tabous mais avec un certain réalisme. Oli­ en maille souples, les jeunes hommes qui
ciel brillant, il a les cheveux longs et des il est la figure du dandy désabusé sous in­ vier Rousteing met ainsi en avant le côté passent dans la salle ont quelques plumes
lunettes noires vissées au visage. Il ne les fluences seventies, la dernière incarnation bête de scène de l’homme Balmain en or­ dans les cheveux, comme s’ils se ré­
quittera pas du show. Il aime les jeans du « jeune homme » selon Hedi Slimane, ganisant un festival de musique. Hybrides veillaient de la sieste. Ils ont la beauté in­
bleus et les pantalons de ville très serrés et directeur artistique à la vision tranchante de smoking et blousons de biker en satin souciante d’une jeunesse voyageuse. Un
à taille haute, il porte des vestes de costu­ de la maison.  portés avec des baskets, combinaison en appel à la liberté. 
mes avec un œillet à la boutonnière. Il se c. bi. cuir argent, blouson bombers en satin carine bizet
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MERCREDI 26 JUIN 2019

Sur tous les tons


Qu’on se le dise ! En 2020, les hommes se baladeront
en rose bonbon, vert menthe ou jaune poussin

T
outes les maisons n’ont
pas vocation à boule­
Loewe. verser les codes vesti­
LOEWE mentaires masculins :
certaines préfèrent mettre en
avant leur héritage, leur savoir­
faire, leur travail sur les matières,
affirmer et affiner leur esthéti­
que au fil du temps. Quand les
griffes font le choix d’un ves­
tiaire plus classique, elles
n’oublient pas pour autant de se
renouveler. Cette saison, le chan­
gement passe par une palette de
couleurs vives assumées. Soyez
prévenus : au printemps­été
2020, les hommes se baladeront
en rose bonbon, vert menthe ou
jaune poussin.
Mercredi 19 juin, au Grand Pa­
lais, Pierpaolo Piccioli a présenté
pour Valentino une explosion de
teintes domptée par le coup de
crayon de l’artiste Roger Dean,
connu depuis les années 1970
pour ses logos et illustrations de
pochettes de rock progressif.
Pour cette collection, il a réalisé Hermès.
des dragons de feu déployant VICTOR VIRGILE/
leurs ailes dans une tempête de GAMMA-RAPHO
bleus ou des paysages surnatu­ VIA GETTY IMAGES
rels où l’orange de la terre se con­
fronte au turquoise du ciel ; des
dessins solubles dans toutes sor­
tes de vêtements, imprimés sur
des chemises légères ou brodés
au dos d’un sweat à capuche. Sous
les trenchs, on découvre des djel­ Valentino.
labas azur ; les pantalons à pinces GREG KESSLER/KESSLER STUDIO
noirs courts sont portés avec des
baskets fluo. Le succès de cette Dans leurs pantalons légèrement Chez Berluti, Kris Van Assche a invoqué l’été et l’air marin. Le co­
collection réside dans la volonté baggy, chaussés de sandales, fou­ s’est aussi appuyé sur la tradition lorama lumineux de jaune, blanc
de Pierpaolo Piccioli de « trans­
Chez Hermès, lard au vent et chemise qui dé­ artisanale de la maison pour ses et bleu est injecté dans des vestes à
cender les frontières pour attein­ la palette passe de la veste, les jeunes hom­ costumes soleil, violet, orange col marin, des cirés, des casquettes
dre l’ailleurs, d’élargir les possibili­ mes incarnent une nonchalance ou bleu Klein : le choix des cou­ ou décliné sous forme d’imprimés
tés et d’imaginer des utopies ».
de couleurs est luxueuse : visuellement, rien leurs a été inspiré par la palette (des drapeaux nautiques ou des
Chez Hermès, la palette de cou­ mise en valeur n’indique que les cardigans sont de teintures utilisées par le étoiles de mer qui se baladent sur
leurs est mise en valeur par le tra­ en coton armuré déperlant, ou chausseur pour donner leur ri­ une veste). Même si cette collec­
vail des matières, toujours excep­
par le travail que les pantalons de jogging sont che patine aux souliers. tion évoque le travail de Jonathan
tionnelles. Véronique Nichanian des matières, faits en cuir de chèvre métis mol­ Pour sa deuxième collection Anderson, avec qui Bruno Sialelli a
a fait le choix de teintes toniques leton. Tant d’élégance, ça n’est pas « Plein soleil » chez Lanvin présen­ travaillé chez Loewe, elle n’en est
(menthe, prune, rose bonbon)
toujours une question de chance, mais de tée à la piscine Pailleron, diman­ pas moins réussie, et offre surtout
pour dynamiser des volumes exceptionnelles savoir­faire Hermès dans toute sa che 23 juin, dernier jour de cette à Lanvin une nouvelle vie. 
amples et des matières fluides. magnificence. semaine de la mode, Bruno Sialelli elvire von bardeleben

Louis Vuitton.
ANNE-CHRISTINE POUJOULAT/AFP
Quand les maisons
de mode s’échappent
des fashion weeks
Un « catwalk » sur une plage de Malibu
pour Saint Laurent, un ancien entrepôt
éclairé au néon à Shanghaï pour Prada :
deux présentations homme loin des grands
raouts que sont les semaines de la mode
parisienne et milanaise. Explications.
Défilé Saint Laurent, à Malibu (Californie), le 6 juin. MARIO ANZUONI/REUTERS

L e 6 juin, officiellement, il
n’y avait aucune fashion
week en cours : celle de
New York s’était finie la veille,
celle de Londres reprenait deux
Prada avait investi un ancien en­
trepôt éclairé au néon, baigné
dans une pénombre bleutée.
Le choix de l’exotisme et des da­
tes en décalé peut se comprendre
dernières saisons, les maisons
concurrentes de LVMH ont beau­
coup monopolisé l’attention avec
un mercato intense à la direction
artistique de Berluti, Dior homme
l’identité de la ville, sa fusion dy­
namique du passé et du présent,
de l’ancien et du neuf ».
Ces dernières années, Prada n’a
eu de cesse de renforcer ses liens
fié son choix en qualifiant Los An­
geles de « nouveau Marrakech » (la
ville de villégiature et d’inspira­
tion d’Yves Saint Laurent). Par
ailleurs, la maison a ouvert au
jours plus tard. Et pourtant, ce comme une manière d’attirer l’at­ et Vuitton homme. avec la Chine : en 2017, elle a no­ même moment deux boutiques­
jour­là, deux défilés ont eu lieu tention. « Aujourd’hui, les semai­ tamment restauré un palais histo­ concepts « Rive Droite », l’une à
(et pas des moindres) : Saint Lau­ nes de la mode sont tellement den­ De l’ADN et du sens rique à Shanghaï pour en faire un Paris, l’autre à Los Angeles. Cha­
rent avait organisé son show mas­ ses et saturées de défilés qu’une La délocalisation est un exercice centre culturel, où elle a fait défi­ cune propose une gamme de pro­
culin à Los Angeles et Prada à marque qui n’a pas d’actualité [un délicat : pour qu’il ne paraisse ler sa collection croisière en 2018. duits sans lien avec la mode, tels
Shanghaï. changement de designer ou une pas artificiel, le choix de l’endroit Par ailleurs, la Chine reste l’un des que des briquets, des verres en
Deux maisons, deux ambian­ collaboration, par exemple] peut doit être compatible avec l’ADN plus importants marchés de pro­ cristal de Baccarat ou encore des
ces, mais une mise en scène passer relativement inaperçue, de la marque. Et faire sens. « La duits de luxe au monde, et les haltères en marbre. Si Saint Lau­
somptueuse pour chacune. Saint même s’il s’agit d’une grande mai­ Chine et Shanghaï, en particulier, acheteurs chinois représentent rent a le projet de se poser en
Laurent avait misé sur le grand son », analyse Benjamin Simme­ ont toujours occupé une place près du tiers des achats mon­ griffe de lifestyle plus globale, il
air, en installant un « catwalk » à nauer, professeur à l’Institut fran­ proéminente dans l’imaginaire diaux, selon le cabinet McKinsey. semble logique d’organiser des
quelques mètres du Pacifique, sur çais de la mode et philosophe. de Prada », explique Miuccia Anthony Vaccarello, le directeur événements hors fashion week. 
une plage de Malibu ; de son côté, C’est d’autant plus vrai que ces Prada, qui loue « l’attitude et artistique de Saint Laurent, a justi­ e. v. b.
26 | carnet 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Aristide et Valentin, Paris. Le Croisic. Nantes. Dinan. Madeleine Pigasse, Le Suprême Conseil de France
ses enfants, son épouse, Michel WECK
Angélique Collardey, Il aimait sa famille, ses amis, Nicolas, Virginie, Matthieu, Sophie, a décerné son 3e prix de thèse à :
Le Carnet sa compagne sa Gendarmerie. ses enfants, nous a quittés le jeudi 20 juin 2019, M. Adjobi Dingui,
et ses enfants, Juliette et Gabriel, Il aimait les oiseaux, la nature, pour sa thèse de doctorat
nous plongeant dans une grande en philosophie :
Mireille et André Cuissot, la musique, les livres, les pensées ont la grande tristesse d’annoncer
Vous pouvez nous envoyer
le décès brutal de peine. « L’espérance comme expérience
ses parents, de son cher Montaigne.
vos annonces par mail : ontologique chez Gabriel Marcel »,
Pascal et Didier,
Jean-Daniel PIGASSE, Sa famille soutenue à l’université de Rennes 1
carnet@mpublicite.fr ses frères, Le général d’armée - Et ses amis. en cotutelle avec
Corentin, Axel et Sonny, gendarmerie (2S) l’université catholique
ses neveux, survenu le 17 juin 2019.
en précisant vos coordonnées André LORANT, de l’Afrique de l’Ouest.
(nom, adresse, téléphone Toute sa famille commandeur
Selon ses dernières volontés,
Assemblée générale
et votre éventuel numéro d’abonné Et ses amis, de la Légion d’honneur, Il a attribué un accessit à :
ou membre de la SDL) les obsèques ont été célébrées La société des employés du Monde
officier de l’ordre national du Mérite, dans la plus stricte intimité. M. Yves Gardes,
ont la douleur de faire part du décès officier dans l’ordre des Palmes (SDEM) pour sa thèse de doctorat
Réception de vos annonces : brutal, survenu dans sa quarante- académiques, et la société des cadres du Monde en littérature américaine :
Cet avis tient lieu de faire-part
du lundi au vendredi sixième année, de (SCM) « Paradoxes de la poétique dans
et de remerciements.
est décédé le samedi 22 juin 2019, ont décidé de réunir conjointement l’œuvre de Ralph Waldo Emerson »,
jusqu’à 16 heures soutenue
Arnaud CUISSOT dans sa soixante-dix-neuvième année. 2, rue de La Hauteur, leurs associés en assemblée générale
le samedi et les jours fériés (1973-2019), à l’université Lumière Lyon 2.
50590 Regnéville-sur-Mer. ordinaire au siège du journal,
jusqu’à 12 h 30 directeur Il espère retrouver, dans ce 80, boulevard Auguste-Blanqui,
de la Grande Maison du Morvan, La Grande Loge de France
mystérieux Ailleurs, ses deux enfants Isabelle, François, Vanessa Paris 13e, a remis un accessit à :
Pour toute information et leurs familles, le jeudi 27 juin 2019, à 14 heures, M. Christian Trottmann,
Les obsèques auront lieu dans la David et Anne-Cécile. pour sa thèse de doctorat
complémentaire Carnet : plus stricte intimité. dans l’auditorium.
01 57 28 28 28 ont la tristesse de faire part du décès Ordre du jour : en théologie catholique :
De la part de de « Bernard de Clairvaux
La Grande Maison du Morvan, - Lecture du rapport
Mireille, et la Philosophie des Cisterciens
2, chemin des Granges, Jeanne PIQUARD, du conseil de gérance, du XIIe siècle »,
AU CARNET DU «MONDE» son épouse,
- Approbation des comptes
58140 Saint-Martin-du-Puy. Béatrice, soutenue à l’université
sa fille, survenu à Santeny, le 20 juin 2019, des sociétés des cadres et employés de Strasbourg.
Décès Avrillé (Maine-et-Loire). Paul, à l’âge de quatre-vingt-dix-huit ans. au 31 décembre 2018 et quitus,
- Mouvements de co-gérants Le Suprême Conseil Féminin
La Possession (La Réunion). son petit-fils. La cérémonie aura lieu le 27 juin,
Pierre, pour la SCM et la SDEM, de France
son fils, à 15 heures, au crématorium de a remis un accessit à :
Geneviève, La cérémonie religieuse sera - Questions diverses,...
Marguerite, Champigny-sur-Marne. Mme Tamiyo Shiroya,
sa petite-fille, son épouse, célébrée vendredi 28 juin, pour sa thèse de doctorat
Anne-Claire et Nour, à 14 heures, en l’église Notre-Dame- Concerts en sociologie :
Franz et Béatrice, Mme Marie Louise Pouzenc,
ont la tristesse de faire part de la de-Pitié du Croisic. « La "Spiritualité", une nouvelle
son épouse,
disparition de ses enfants, Gilles et Françoise Colas, forme rhizomique de religiosité.
Carla, Enzo, Mattéo, Son corps repose à la maison Dominique Pouzenc, Etude comparative s’appuyant
Catherine ARDOUIN, ses petits-enfants, funéraire, 32, avenue Jean Mermoz, Claudine et Guillaume Le Foyer de sur des festivals de spiritualité
Marie-Noëlle, à La Baule, jusqu’à 17 h 30. Costil, au Japon, en France et aux Pays-Bas »,
le 17 juin 2019. sa sœur, Gilles Pouzenc et Gaëlle Rio, soutenue à l’Institut d’Etudes
Cet avis tient lieu de faire-part ses enfants, Politiques d’Aix-en-Provence.
La cérémonie se déroulera le ont la douleur de faire part du décès et de remerciements. Antoine, Julie, Louis, Pauline,
mercredi 26 juin, à 15 h 30, en la salle de Claire, Dorothée, Nicolas, Camille, https://www.scdf.net
de la Coupole du cimetière du Père- PFG, Le Croisic. Maud, Lucas, Léo, Pia,
Lachaise, Paris 20e. M. Daniel JARRY, ses petits-enfants,
Tél. : 02 40 23 00 17. 19 Festival Européen
e
Lou, Manon, Brune, Maxime,
Charlotte, Faustine, Hector, Tristan, Jeunes Talents
Nous apprenons le décès de survenu le 22 juin 2019,
Le Touquet. Paris-Plage. Arthur, Timothée, Axelle, Gaël,
à l’âge de soixante-quinze ans. Marin, Alma, Léopold, Du 30 juin au 20 juillet 2019,
Paul CAZAYUS, Ses enfants, ses arrière-petits enfants,
La cérémonie religieuse sera profitez de trois semaines
professeur de psychologie Ses petits-enfants,
à l’université de Bordeaux, célébrée le mercredi 26 juin 2019, ont la tristesse de faire part du décès de musique de chambre
à 14 heures, en l’église Saint-Gilles Ses arrière-petits-enfants, au cœur du Marais,
de
survenu le 9 juin 2019, dans sa d’Avrillé. dans la Cathédrale
ont la grande tristesse de faire part Jean POUZENC, Première convention européenne
quatre-vingt-quatorzième année. Sainte-Croix-des-Arméniens
Cet avis tient lieu de faire-part du décès de de l’Ecole de Psychanalyse
survenu le 22 juin 2019, de Paris. de l’Internationale
La crémation a eu lieu à Pau. et de remerciements. Venez (re)découvrir les talents
à l’âge de quatre-vingt-treize ans. des Forums du Champs lacanien
Georges MOREL, de demain et leurs aînés :
Familles Cazayus, Hourcau, Guillet. Condoléances sur
chirurgien orthopédiste La cérémonie religieuse sera Emmanuelle Haïm, Johan Farjot, Les 12 et 13 juillet 2019,
www.settimiotombini.com. célébrée le mercredi 26 juin, à 14 h 15,
pédiatrique, le Trio Messiaen, Lise Berthaud, de 9 heures à 17 heures,
6, rue de la Ribère, en l’église Saint-Pierre de Neuilly, « Le dire des exils »,
Settimio Tombini, chapelle haute, suivie de Aurélien Pascal, Marie-Ange Nguci,
64800 Beuste.
Le Choix Funéraire, l’inhumation au cimetière ancien de Xavier Phillips, Ismaël Margain, le 14 juillet 2019,
49100 Angers. survenu le 20 juin 2019, dans son Neuilly. Mathilde Caldérini, de 9 heures à 17 heures,
Christine et Etienne Boyer, Tél. : 02 41 48 55 00. chalet, à l’âge de quatre-vingt-dix- le Local Brass Quintet,
Hannah et Catherine Dauvergne, « Ecole des Cartels ».
huit ans. 16, rue de la Ferme, Thibaut Garcia, Adrien Boisseau,
92200 Neuilly-sur-Seine. Maison de la Chimie, Paris 7e.
ont la tristesse d’annoncer le décès Son époux, Jérôme Ducros, Bruno Philippe
Le docteur Georges Morel a exercé Renseignements :
de Sa maman, et tant d’autres...
trente-cinq ans à l’Institut Calot de Saint-Cloud. Piriac-sur-mer. Tél. : 01 56 24 22 56.
Ses filles,
Berck où il a créé le service de www.champlacanienfrance.net
Françoise COLONI, Son frère et son épouse,
chirurgie orthopédique pédiatrique. Concerts du mardi au dimanche,
Ses beaux-fils, Philippe Rapine,
son époux, à 20 heures.
sœur de Ses nièce et neveu,
Les obsèques auront lieu le Florence et Frédéric Susini, Tarifs de 8 € à 20 €.
mercredi 26 juin, à 15 heures, en David Rapine, Informations et réservations sur
Marie-Jeanne (†) on la douleur de faire part du décès
l’église Sainte-Jeanne-d’Arc du Olivier (†), Isabelle (†), Christelle (†), www.jeunes-talents.org
de ses enfants,
et de Touquet. Tél. : 01 40 20 09 20.
Remi, Elian, Emma, Manon et
Joëlle KOPF, Hannah,
Michel COLONI (†), Cet avis tient lieu de faire-part.
née BAHL, Communications diverses
parolière de « Femme Libérée », ont la tristesse d’annoncer le décès,
le 17 juin 2019, à Paris 12e. martine.buffiermorel@orange.fr le 20 juin 2019, de
« Adam et Yves » L’Association des Alumni SOS AMITIE
La cérémonie religieuse aura lieu et d’autres belles chansons, et Amis de l’Assistance Publique- Envie d’être utile ? Rejoignez-nous !
En union avec Jean-Marie (†), Jeanne RAPINE,
le jeudi 27 juin, à 10 heures, en l’église née DORMOY, Hôpitaux de Paris (AAA-APHP)
Saint-Etienne-du-Mont, Paris 5e. survenu à l’âge de soixante-neuf ans. son époux, Les bénévoles de SOS Amitié
professeur d’allemand. organise un dîner-débat :
Didier Pény et Jacques Perrot, écoutent
« L’Hôpital à travers les âges. par téléphone et par internet
Une cérémonie aura lieu le 26 juin Christine et Serge Auffret, Ses obsèques auront lieu le
Le monde du transport, de la 2019, au crématorium d’Ibiza, route Bernard Pény présent et futur de l’hôpital », ceux qui souffrent de solitude,
logistique et de l’enseignement mercredi 26 juin, à 14 h 30, avec le professeur Jean-Noël Fabiani,
Santa Eularia. et Emmanuelle Baraquin, mal-être et pensées suicidaires.
au temple de Saint-Cloud, suivies de
supérieur, Françoise et Jérôme Rivière, l’inhumation au cimetière du Père- président de l’Association,
Sa famille Une autre cérémonie, à Paris, aura ses enfants, Lachaise, Paris 20e. « Chez Jenny », Nous ne répondons
Et ses amis, lieu ultérieurement. 39, boulevard du Temple, Paris 3e, qu’à 1 appel sur 3
Ses dix-huit petits-enfants,
le jeudi 27 juin 2019, et recherchons des écoutants
Ses dix arrière-petits-enfants, La Rochelle. Muizon.
pleurent le décès de bénévoles.
Kaori Le Gac Sugiyama, de 19 heures à 22 heures.
L’écoute peut sauver des vies
son épouse, ont la tristesse de faire part du décès Nous avons l’immense tristesse A 19 heures, accueil et enrichir la vôtre.
Micheline COUSTURE, de d’annoncer la disparition, le 20 juin et dédicace de l’ouvrage
fondatrice Clément, Sacha et Lisa, Horaires flexibles, formation
ses enfants, 2019, de L’incroyable histoire de la médecine, assurée.
de l’IUT Logistique et Transport, Mme Annie PÉNY,
Christiane, par les auteurs Jean-Noël Fabiani
docteur en gestion, née LAURENT, Henri TEYCHENIÉ,
sa mère, et Philippe Bercovici. En IdF RDV sur
professeur universitaire, professeur au lycée Clémenceau
décorée de l’ordre des Palmes Jacques et Michèle, de Reims, Réservation : www.sosamitieidf.asso.fr
son père et sa belle-mère, survenu le 22 juin 2019, dans sa manuela.goncalves@opas.fr En région RDV sur
académiques, principal honoraire
Yannick, Anne, Aude, Marine, quatre-vingt-onzième année. du collège de Gueux. ou 06 80 16 49 33. www.sos-amitie.com
survenu le 22 juin 2019, à l’âge de Marie-Christine et Alexandra, (PAF.) : 43 euros.
son frère et ses sœurs, La cérémonie religieuse aura lieu Anne-Marie Teychenié,
soixante-dix-huit ans.
Takashi et Masako, le mercredi 26 juin, à 15 heures, son épouse,
ses beaux-parents en l’église Saint-Charles-de-Monceau, Claire et Yves,
Un hommage et une bénédiction
religieuse lui seront rendus le jeudi
27 juin, à 9 h 30, en l’église Notre-
Ainsi que l’ensemble de ses
proches,
Paris 17e. ses enfants
et leurs conjoints, ANNONCEZ
Dame-de-la-Nativité, 5, rue Charles
ont la tristesse de faire part du décès
L’inhumation suivra au cimetière
de Montmartre, Paris 18e.
Ses petits-enfants.
VOS ÉVÉNEMENTS LE CARNET
Peguy, à Lozère-sur-Yvette (Essonne).
de
Sylvie Cornille Pichon,
Les obsèques auront lieu dans
l’intimité familiale. ENTREPRISE
Nominations, colloques, forums,
M. Eric LE GAC, son épouse, Cet avis tient lieu de faire-part.
Société éditrice du « Monde » SA conventions, séminaires...
Président du directoire, directeur de la publication Maxime,
Louis Dreyfus survenu le 17 juin 2019, Maric et Tom, Anne-Marie Teychenié,
Directeur du « Monde », directeur délégué de la 34, rue Lamartine,
publication, membre du directoire Jérôme Fenoglio à l’âge de cinquante ans. Mélanie et Magali,
51140 Muizon.
Directeur de la rédaction Luc Bronner ses enfants et beaux-enfants,
Directrice déléguée à l’organisation des rédactions « Pour celui qui part, Zoé et Léo,
Françoise Tovo Pour celui qui reste,
Direction adjointe de la rédaction ses petits-enfants, Laurence, Caroline et Isabelle
Philippe Broussard, Alexis Delcambre, Benoît Hopquin, Deux automnes. » Thibault,
Franck Johannes, Marie-Pierre Lannelongue, Yosa Buson. ont la tristesse de faire part du décès ses sœurs,
Caroline Monnot, Cécile Prieur
Direction éditoriale Gérard Courtois, Alain Frachon, de Bernardo
Sylvie Kauffmann Et toute sa famille,
Rédaction en chef numérique M. Alain Lemonnier,
Hélène Bekmezian, Emmanuelle Chevallereau son époux, François PICHON, ont la tristesse de faire part du décès
Rédaction en chef quotidien
Michel Guerrin, Christian Massol MM. Loïc et Frédéric Lemonnier, docteur en médecine, de
Directeur délégué au développement du groupe ses enfants, interniste, spécialiste de la douleur,
Gilles van Kote
Directeur du numérique Julien Laroche-Joubert
attaché des hôpitaux Denis THIBAULT,
Rédacteur en chef chargé des diversifications
ont l’immense tristesse et douleur de la Pitié-Salpêtrière,
éditoriales Emmanuel Davidenkoff de faire part du décès de Saint-Antoine et Cochin, survenu le 18 juin 2019.
Chef d’édition Sabine Ledoux
Directrice du design Mélina Zerbib Les obsèques auront lieu le
Direction artistique du quotidien Sylvain Peirani Mme Nicole LEMONNIER. survenu le 21 juin 2019, à Paris.
Photographie Nicolas Jimenez vendredi 28 juin, à 15 h 30, au
Infographie Delphine Papin cimetière de Montmartre, 20, avenue
Médiateur Franck Nouchi
Un dernier hommage lui est Un hommage lui sera rendu Rachel, Paris 18e. Pour toute information :
Directrice des ressources humaines du groupe rendu ce mardi 25 juin 2019, le mercredi 26 juin, à 10 heures,
Emilie Conte à 17 heures, au cimetière des Hautes en l’église Saint-Denys-du-Saint- Cet avis tient lieu de faire-part.
01 57 28 28 28
Secrétaire générale de la rédaction Christine Laget
Conseil de surveillance Jean-Louis Beffa, président, Roches de Conflans-Sainte-Honorine Sacrement, 68, rue de Turenne, carnet@mpublicite.fr
Sébastien Carganico, vice-président (Yvelines). Paris 3e. laurence.lorthibault@gmail.com
IDÉES | 27
0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Marie-Jo Thiel
« Les prêtres
n’étaient pas
censés avoir
de pulsions »
Alors que le pape vait miser sur la transparence. Deux ans
après, il y a eu le fascicule Lutter contre la
François s’apprête pédophilie, qui a été très largement diffusé.

à annoncer sa réforme L’affaire Barbarin ne montre­t­elle pas


que ce travail est resté insuffisant ?
de la gouvernance Il est vrai que l’affaire du père Bernard
du Vatican, Preynat, qui en est la source, a été mal gé­
rée. En 2000, les évêques ont ouvert les
la théologienne yeux sur ce qui pouvait se passer au pré­
sent, sans mesurer l’importance des faits
analyse les causes, antérieurs, et des risques de récidive.
Autre lacune : je pensais que, lorsque je
historiques leur parlais des victimes, ils comprenai­
ent quelle réalité humaine cela recou­
notamment, des vrait, mais ils ne mesuraient pas non plus
l’ampleur des traumatismes. La première
dérives pédophiles fois que la Conférence, en tant que telle, a
rencontré des victimes, c’était en 2018 !
d’une partie du clergé YANN LEGENDRE

Que peut apporter, au­delà de


ces prises de conscience, l’approche
théologique ?
ENTRETIEN La crise des abus n’est pas le fait de quel­
ques moutons noirs. Elle est liée à des entre parenthèses de la dimension pape François dit que l’Eglise est tout en­

M
fonctionnements systémiques dans la sexuée du corps du prêtre. Ça a fait des tière synodale. Cela veut dire, en gros, que
édecin, professeure d’éthique gouvernance de l’Eglise. La structure hié­ ravages. Le prêtre n’était pas formé à maî­ l’Eglise est un peuple de Dieu. Il faut se
à la faculté de théologie de rarchique a certainement des avantages, triser ses pulsions, puisqu’il n’était pas parler, marcher ensemble, fonctionner
Strasbourg, présidente de mais, en posant une distinction trop censé en avoir, ou presque. dans la communion, à tous les niveaux.
l’Association européenne de forte entre clercs et laïcs, en ayant une C’est un des enjeux de la réforme de la cu­
théologie catholique, Ma­ compréhension du sacerdoce ministériel Vous citez un prêtre coupable d’agres­ rie [le gouvernement de l’Eglise] qui doit
rie­Jo Thiel a été en France parfois faussée, ou encore en accordant sions sexuelles vous disant : « Puisque être annoncée dans les prochains jours.
une des premières personnalités catholi­ une place excessive au secret, on a forgé la masturbation est interdite, tant On pourrait avoir des laïcs à la tête de cer­
ques à alerter sur les actes pédophiles ce que le pape François nomme une « cul­ qu’à faire, autant caresser et se faire tains dicastères [les subdivisions adminis­
commis par des prêtres. Elle publie
L’Eglise catholique face aux abus sexuels
ture de l’abus », non au sens où ces dys­
fonctionnements systémiques provoque­
LA VIRGINITÉ EST caresser par un jeune, la culpabilité
est la même. »
tratives de la curie]. Le fonctionnement se­
rait beaucoup plus «communionnel», il
sur mineurs (Bayard, 300 p., 24,90 €), qui raient les abus, mais dans la mesure où ils UNE VERTU QUI POSE Des propos de cette nature reviennent favoriserait davantage le dialogue. J’espère
dresse un tableau à la fois historique, fac­ les favorisent. C’est sur ce plan­là qu’une souvent dans les études. L’abuseur éla­ aussi qu’on décidera de placer des femmes
tuel, juridique, psychologique et théolo­ remise à plat, sur le plan théologique, LE PRÊTRE TRÈS bore une liste mentale de ce qui est à des postes décisionnels. Bien sûr, il y
gique de la question. A quelques jours de
l’annonce par le pape François d’une ré­
doit être accomplie.
AU-DESSUS. AUSSI possible pour lui. Il se débrouille pour
que la norme serve ses pulsions. Et il ne
aura toujours une différence entre prêtres
et laïcs, et c’est normal. Les rôles ne sont
forme de la gouvernance du Vatican, ce Vous centrez votre réflexion SE RETROUVE-T-IL peut le faire que parce qu’il est dans une pas les mêmes. Mais cela doit se fonder
travail unique offre l’occasion de réfléchir sur une notion­clé : le cléricalisme… conception « hétéronome » de la loi – où sur une égalité entre baptisés. Le pape,
aux causes profondes de dérives qui, se­ Ce mot ne date pas d’aujourd’hui. Je cite DÉTENTEUR la loi s’impose de l’extérieur, sans l’im­ dans des textes comme la Lettre au peuple
lon la théologienne, mettent en cause la Gambetta, déclarant, en 1877 : « Le clérica­ pliquer intimement. de Dieu [en août 2018], rappelle que le peu­
structure même de l’Eglise. lisme, voilà l’ennemi ! » Mais il faut re­ D’UN TEL POUVOIR ple de Dieu, quand il prend des décisions
monter encore plus loin pour compren­ QU’IL EST DANS UNE Vous opposez à ce rapport à la loi en tant que tel, et que tout le monde est
Les rapports que vous avez étudiés dre de quoi il s’agit : le concile de Trente la théorie de l’autonomie de Thomas ensemble, prêtres, laïcs, hommes, fem­
permettent­ils d’avoir une idée pré­ [1545­1563], qui, en opposition au protes­ IMMUNITÉ TOTALE d’Aquin (1225­1274), longtemps négli­ mes, ne peut pas se tromper dans sa foi.
cise du nombre de prêtres impliqués ? tantisme, lequel insiste sur la parole de gée par l’Eglise malgré l’importance
Les chiffres sont difficiles à établir, les Dieu, va mettre l’accent sur la liturgie, no­ qu’elle accorde au thomisme… N’y a­t­il pas là une dimension
victimes ayant toujours beaucoup de mal tamment sur le sacrifice eucharistique. C’est une dimension fondamentale du de croyance presque magique
à parler. Sur le plan mondial, on peut dire Ce qui en ressort, c’est une figure sacra­ christianisme depuis toujours. Au fond, il en une pureté naturelle du peuple ?
que les chiffres varient entre 4 et 10 % de lisée du prêtre qui va prévaloir jusqu’au n’y a pas d’acte s’il n’y a pas d’intention. Je ne parlerais pas de pureté. Croire en
prêtres ayant commis des abus, voire, XXe siècle. On en trouve encore des traces Pour Thomas, c’est extrêmement clair. Le la Trinité, c’est privilégier la conjonction
ponctuellement, 15 % – le chiffre est ap­ aujourd’hui. Le rôle de médiateur de la discernement passe par une triangula­ « et » : nous avons un Dieu qui est un et
paru à propos de l’Australie. En France, je parole est mis au second plan. Le prêtre tion : la conscience interroge une loi par trois en même temps. Et l’Eglise est à la
pense qu’on est autour de 4 ou 5 %. est d’abord lié aux sacrements, on le rapport à une situation. Et cette triangu­ fois une et plurielle, sainte et pécheresse.
« consacre », ce qui signifie « sacré avec » lation s’appuie sur l’autonomie du sujet. C’est en étant relié aux fondements de la
A quand la prise de conscience et, donc, « mis à part ». On crée alors, peu La loi ne s’applique pas d’elle­même. C’est foi, en relisant l’Ecriture, en relisant la tra­
de ce problème dans l’Eglise à peu – cela prendra au moins un siècle –, moi qui considère qu’elle est une loi pour dition, qui n’est vivante qu’à condition
de France remonte­t­elle ? des séminaires destinés à former les prê­ moi, au service de mon humanisation. d’être retravaillée en permanence, que ce
A la fin des années 1990, les choses ont tres dans cet esprit. Il s’agit de conférer Alors que, dans une perspective hétéro­ qu’il convient de faire émergera. C’est
commencé à bouger. J’y suis d’ailleurs aux postulants une identité nouvelle. Et, nome, la loi s’impose parce qu’elle est la tout à fait différent d’une perspective se­
étroitement mêlée. J’étais alors régulière­ dans cette identité, la virginité joue un loi. Il faut obéir. Or, si je suis consciente lon laquelle le haut impose au bas ou l’in­
ment sollicitée par des victimes, et je me rôle capital. C’est une vertu en quelque du fait qu’elle est au service de mon hu­ verse. Il faut retrouver la voie d’une com­
suis aperçue que je n’avais pas de réponse sorte angélique. Elle pose le prêtre très manisation, je serai beaucoup moins ten­ munion entre tous les membres de
à leur apporter. En 1998, j’ai proposé à la au­dessus. Aussi se retrouve­t­il déten­ tée de la transgresser, parce que trans­ l’Eglise, et je ne crois pas qu’on puisse es­
Conférence des évêques de France un arti­ teur d’un tel pouvoir qu’il est dans une gresser ne représentera pas seulement pérer traiter en profondeur le drame des
cle sur le sujet. A ma surprise, elle l’a im­ immunité quasi totale face à une masse une désobéissance mais une atteinte à abus sur mineurs sans un renouvelle­
médiatement publié dans son bulletin, de laïcs privés de tout rôle décisionnel. ma propre humanité. ment de cette ampleur. L’Eglise a pris
Documents Episcopat. Ensuite, une com­ conscience, dès Benoît XVI, mais surtout
mission a été créée, dont j’ai fait partie. Comment cet idéal angélique finit­il, Que faire, donc ? Vous mettez en avec le pape François, de la gravité spécifi­
Nous avons beaucoup consulté, et notre comme vous le montrez, par créer avant ce que vous appelez le fonction­ que de ces actes, et je crois qu’elle est réso­
rapport a abouti, en novembre 2000, à la un terrain favorable aux abus ? nement synodal de l’Eglise. De quoi lue à changer les choses. Il lui reste désor­
première déclaration des évêques de Jusqu’à une période récente – c’est en s’agit­il ? mais à se changer elle­même. 
France sur cette question, pour dire qu’on cours de règlement –, la formation des Syn, c’est « avec » ; odos, « le chemin ». Sy­ propos recueillis par
ne pouvait pas continuer ainsi, qu’on de­ séminaristes était fondée sur une mise nodos, c’est donc « marcher ensemble ». Le florent georgesco
28 | idées 0123
MERCREDI 26 JUIN 2019

Droit de l’environnement en France,


une régression généralisée
Un collectif de juristes, dont Corinne Lepage, dresse

A
lors que le gouvernement ne cesse de magne, autorise de nouvelles autoroutes, le
proclamer sa volonté « écologique », et
un bilan des atteintes à la démocratie environnementale contournement de Strasbourg, le projet im­
qu’il a ouvert un débat sur une modifica­ et des reculs en matière des obligations de l’Etat. mobilier Europa City, et prévoit même de nou­
tion constitutionnelle qui intégrerait le velles voies comme le contournement d’Arles
climat et la biodiversité, la triste réalité que nous
Et dénonce une communication « perverse » des autorités au risque de massacrer la Camargue. Le même
constatons, nous, juristes, est celle d’une régres­ constat peut être fait en matière de santé envi­
sion continue du droit de l’environnement. ronnementale avec le refus des parlementaires
Bien que le principe de non­régression ait été re­ d’interdire le glyphosate dans la loi Egalim, etc.
connu par le Conseil d’Etat, c’est une régression d’obtenir la démolition d’une construction illé­ adressée à la France de mettre un terme à des En bref, la régression n’a jamais été aussi pa­
généralisée posée en principe qui s’applique en gale. Sans compter la cohorte de lois qui, de­ critères qui ne sont pas admis par le droit euro­ tente. Mais la particularité des temps présents
France et ce, dans tous les domaines. puis la loi d’engagement national pour le loge­ péen. Peu d’études d’impact, mais aussi peu est de devoir se battre à la fois contre des actes
Tout d’abord dans les domaines concernant ment de 2006, n’ont cessé de réduire la capa­ d’autorisations au titre de la législation des et contre une communication d’une perversité
la démocratie environnementale, c’est­à­dire cité d’action des associations et de permettre la installations classées, toutes les grandes ins­ extrême puisqu’elle prétend le contraire de ce
l’information à la participation et à la prise de condamnation des requérants pour des re­ tallations agricoles en particulier en étant dé­ qui est réellement fait. 
décision en matière environnementale et l’ac­ cours sans qu’ils aient à être abusifs dès lors sormais déliées, de même que des installa­
cès au juge. Il s’agit d’obligations à la fois com­ qu’ils ont créé un préjudice aux défendeurs. tions très polluantes comme les traitements
munautaires et internationales (convention Enfin, la jurisprudence du Conseil d’Etat est de surface. La saisine de l’autorité environne­
d’Aarhus, 1998). La disparition programmée de extrêmement favorable à l’administration, qui mentale, dont les avis indépendants gênent
la Commission nationale du débat public, qui réduit considérablement les chances des justi­ manifestement le gouvernement qui souhaite
avait su mettre en place une procédure et une ciables par rapport à ce que serait une jurispru­ la réduction de ses interventions, sera désor­ Jean-Pierre Beurier, professeur émérite
méthodologie de la conférence de consensus, dence judiciaire dans laquelle les intérêts en mais réglée au cas par cas, le choix de la saisir (université de Nantes) ; Philippe Billet,
est incontestablement un recul. De même que présence sont appréciés de manière plus équi­ ou pas étant dans les mains du préfet… Parallè­ professeur agrégé de droit public (université
la suppression expérimentale des enquêtes table. Cette régression du droit à la participa­ lement, les sites inscrits ont été réduits massi­ Jean-Moulin-Lyon-III), directeur de l’Institut
publiques dans deux régions, qui préfigure tion et du droit au juge apparaît d’autant plus vement et l’intervention du Conseil national de droit de l’environnement de Lyon ; Marie-
certainement sa généralisation, comme si le anormale que toute la communication du gou­ de la protection de la nature supprimée dans Pierre Camproux Duffrene, professeure
fait de pouvoir consulter un dossier sur Inter­ vernement se fait sur son souhait de mieux as­ de très nombreux cas. des universités en droit privé (université de
net équivalait à celui de pouvoir débattre avec socier les Français à la prise de décision, en ma­ On rajoutera les prébendes données aux Strasbourg) ; Hubert Delzangles, professeur
un commissaire­enquêteur et de contraindre tière environnementale comme dans d’autres chasseurs et à la fusion programmée entre agrégé de droit public, Sciences-Po Bordeaux ;
ce dernier à fournir un rapport et, surtout, un domaines. On voit ce qu’il en est dans la réalité. l’Agence pour la biodiversité et l’Office national Alexandre Faro, avocat à la cour de Paris ;
avis indépendant ; la radiation du commissai­ Le deuxième volet de régression est incon­ de la chasse et de la faune sauvage, laissant Jérôme Fromageau, conseiller pour la cul-
re­enquêteur Gabriel Ullmann pour cause testablement celui des études et des autorisa­ supposer que les chasseurs auraient pour seule ture auprès de la Commission nationale fran-
d’avis défavorable émis sur un projet en Isère a tions préalables, en particulier, des études vocation la protection de la nature. Les autori­ çaise de l’Unesco ; Christian Huglo, avocat
rappelé la fragilité des commissaires­enquê­ d’impact. Celles­ci sont désormais réduites à la sations d’abattre des oiseaux protégés qu’ils à la cour de Paris, docteur en droit ; Simon
teurs qui osent donner un avis négatif. Les sup­ portion congrue, ne concernant que très peu ont pu obtenir récemment sont loin de confor­ Jolivet, maître de conférences en droit pu-
primer résout évidemment le problème ! de projets, à telle enseigne qu’une mise en de­ ter cette approche… Ainsi, à l’heure où on berce blic (université de Poitiers) ; Corinne Lepage,
meure de la Commission européenne a été nos concitoyens de considérations sur le rôle avocate à la cour de Paris, docteure en droit,
Nouvelle jurisprudence du Conseil d’Etat majeur de la biodiversité, on en détruit systé­ ancienne ministre de l’environnement ;
A cela s’ajoutent les atteintes multiples portées matiquement les outils de protection comme Grégoire Leray, maître de conférences
à la recevabilité des requêtes, après que la com­ ceux de la santé humaine. La dernière innova­ agrégé de droit privé ; Agnès Michelot,
mission chargée de simplifier les procédures tion est la volonté de supprimer dans les docu­ maîtresse de conférences en droit public (uni-
d’autorisation d’urbanisme en cas de conten­ ments d’urbanisme les mesures de protection versité de La Rochelle), présidente de la So-
tieux a fait droit à tous les souhaits des cons­ de l’environnement. Ainsi, la messe est dite et, ciété française pour le droit de l’environne-
tructeurs et promoteurs. Créée sous la prési­ DERNIÈRE INNOVATION : dans le droit souhaité par le pouvoir en place, ment (SFDE) ; Michel Prieur, professeur
dence de Christine Maugüé, membre du Con­
seil d’Etat, cette commission a aussi permis
VOULOIR SUPPRIMER « l’environnement ça suffit ! »
Enfin, et sans entrer dans un inventaire à la
émérite à l’université de Limoges, directeur
scientifique du Crideau, doyen honoraire de la
d’enfermer la procédure dans des règles extrê­ DANS LES DOCUMENTS Prévert qui pourrait occuper plusieurs pages, il faculté de droit et des sciences économiques
mement strictes que la plupart des associa­ faut ajouter des décisions ponctuelles ou plus de Limoges, président du Centre international
tions ignorent totalement. Enfin, cerise sur le D’URBANISME générales qui s’inscrivent directement à l’en­ de droit comparé de l’environnement ;
gâteau, la nouvelle jurisprudence du Conseil contre des obligations françaises en matière de Francois-Guy Trebulle, professeur des uni-
d’Etat qui permet de régulariser de manière ex­ LES MESURES réduction des émissions de gaz à effet de serre : versités, directeur de l’école de droit de la Sor-
trêmement large des autorisations illicites, an­ DE PROTECTION ainsi, le projet de loi d’orientation des mobili­ bonne (université Panthéon-Sorbonne-Paris-I) ;
nihilant tout intérêt aux recours, comme la loi tés, qui ne résout rien et n’interdit le moteur Jean Untermaier, professeur émérite
Macron, a presque réduit à néant la possibilité DE L’ENVIRONNEMENT thermique à la vente que dix ans après l’Alle­ (université Jean-Moulin-Lyon-III)

Corine Pelluchon nouveaux écologistes, a soulevé le pro­


blème de l’influence des lobbys, qui expli­
que le blocage des réglementations pro­
vie et respecter la planète et les vivants sup­
pose une transformation de soi, un élargis­
sement de la sphère de sa considération où
son destin. Elle impose de nouvelles finali­
tés politiques qui incluent, en plus de la sé­
curité et de la réduction des inégalités, la

L’écologie politique, un posées par la Commission européenne en


matière d’énergie, de bien­être animal,
d’alimentation, de protection des espèces
menacées ? Quant à ceux qui insistaient sur
l’on éprouve le lien profond l’unissant aux
autres, humains et non­humains.
L’écologie s’inscrit dans un long proces­
sus d’émancipation. La fiction théorique du
protection de la biosphère, le souci pour les
générations futures et l’amélioration subs­
tantielle de la condition animale. Une des
missions principales de l’Etat est de les

projet d’émancipation la nécessité d’une approche holistique de


l’écologie afin d’en souligner les enjeux
moraux et civilisationnels, ils se sont récla­
més de l’écologie intégrale, invoquant le
sujet pensé comme individu a permis de
conférer à chaque personne des droits,
d’abolir l’esclavage et d’affirmer l’égalité en­
tre les hommes et les femmes. Ces progrès
adapter aux contextes géographiques et so­
ciaux. Cela suppose de remettre l’économie
au service de la vie, d’organiser les échanges
et les sphères d’activité, comme la santé,
L’écologie peut­elle servir de réservoir à idées pour droit à la vie pour condamner pêle­mêle doivent être défendus contre toutes les ten­ l’agriculture, l’élevage, la culture, la produc­
l’accaparement des ressources, l’avorte­ tatives visant à promouvoir une société tion d’énergie, les transports, en fonction
le renouvellement des partis de droite et de gauche ? ment et les procédures de limitation et d’ar­ close reposant sur l’appartenance ethnique de leur sens, de leur impact social et envi­
Pour la philosophe, au­delà des étiquettes politiques, rêt des traitements chez un malade pauci­ et le refus de l’autre, consacrant les hiérar­ ronnemental, et de la valeur des êtres impli­
relationnel. Le syncrétisme est à la mode. chies traditionnelles ou invoquant « pour qués. Enfin, les choix technologiques, qui
elle est une chance pour la liberté et la démocratie Tout le monde pioche çà et là, effaçant les notre bien et celui de l’humanité » la néces­ sont dictés par une minorité se souciant
sources, les triturant et transformant la sité d’une tyrannie verte. uniquement de ses intérêts, doivent répon­
pensée en idéologie. Si les partis de gauche Nous reconnaissons aujourd’hui que la li­ dre aux impératifs de justice et contribuer à
n’ont pas su convaincre les électeurs, c’est mite à notre bon droit n’est pas seulement la transmission d’un monde habitable.

L
ors des élections européennes, pres­ aussi parce que la critique du capitalisme et la liberté de l’autre être humain, mais égale­ Avec l’entrée de l’écologie en politique, le
que toutes les formations politiques le rejet d’un modèle de développement ment l’existence des autres vivants et le conflit n’est plus seulement entre la droite
ont affiché leurs préoccupations éco­ fondé sur le profit et l’exploitation illimitée droit des générations futures à jouir de et la gauche, mais aussi et surtout entre
logiques. Mais à quoi l’écologie enga­ de la Terre et des vivants ne suffisent pas à biens naturels et sociaux indispensables à ceux qui défendent un projet d’émancipa­
ge­t­elle ? N’est­elle qu’une composante au construire un projet politique innovant. la vie, à la liberté et à la paix. C’est en pre­ tion et ceux qui utilisent la politique pour
sein d’un programme politique ou bien la nant au sérieux notre condition terrestre et asseoir leur domination. Bientôt, les parti­
prendre au sérieux n’impose­t­il pas d’affir­ Ni alibi ni idéologie notre dépendance à l’égard des écosystè­ sans du retour à l’ordre moral, les pronu­
mer sa centralité ? La transition écologique L’écologie n’est pas le supplément d’âme ou mes et des autres formes de vie que nous cléaires, les champions de la géo­ingénierie
exige, en effet, une reconfiguration du poli­ l’alibi d’une politique néolibérale ni une pouvons affirmer qu’il n’y a qu’une seule et les pourfendeurs de la cause animale
tique, un plan de reconversion de l’écono­ idéologie. Il s’agit d’un projet d’émancipa­ Terre et une seule humanité et défendre les montreront leur vrai visage. L’écologie aura
mie ainsi qu’un remaniement profond de tion. Elle est une chance pour la liberté et la idéaux d’égalité, de liberté et de dignité atta­ redistribué les cartes politiques, non pour
ses valeurs et de la perception de la place de démocratie. C’est pourquoi elle ne saurait chés au projet civilisationnel des Lumières. en finir avec les partis, mais pour les obliger
BIENTÔT, l’humain dans la nature. cautionner une politique de la peur. L’er­ Ainsi, c’est en s’affranchissant des présup­ à montrer qui ils sont et dans quel monde
L’ÉCOLOGIE AURA On a vu les chasseurs se présenter comme
les plus grands écologistes de France, sans
reur des catastrophistes est de ne pas ac­
compagner leur discours qui fait état de la
posés dualistes caractéristiques des Lumiè­
res du XVIIIe siècle, qui séparaient la nature
ils veulent nous faire vivre. 

REDISTRIBUÉ LES s’inquiéter, par exemple, du fait que certai­ gravité du réchauffement climatique par de la culture et faisaient de l’humain un em­
nes pratiques traditionnelles comme la une réflexion sur les ressorts psychologi­ pire dans un empire et même d’un certain
CARTES POLITIQUES chasse à la glu tuent des oiseaux apparte­ ques de notre addiction à la consommation type d’humain la norme, que l’on accomplit
nant à des espèces protégées. Leurs amis, et de nos comportements écocides. Ce fai­ leur œuvre inachevée. Comme elles, l’écolo­
POUR OBLIGER LES représentés par les candidats de l’actuelle sant, ils paralysent les individus ou renfor­ gie désigne un processus dynamique dans Corine Pelluchon est philosophe
PARTIS À MONTRER majorité et, de manière générale, par les cent leurs résistances au changement. lequel rien n’est fixé à l’avance et qui re­ et professeure à l’université Paris-Est-
partis de droite, n’ont pas hésité à parler de L’écologie exige la sobriété qui implique le quiert la liberté de pensée de chacun et la Marne-la-Vallée. Elle a notamment écrit
QUI ILS SONT l’érosion de la biodiversité. Qui, parmi ces désir. Modifier durablement ses styles de confiance en sa capacité à prendre en main «Ethique de la considération » (Seuil, 2018)
idées | 29
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MERCREDI 26 JUIN 2019

A Paris, des « forêts urbaines » entre béton et bitume


ANALYSE ville et la rafraîchir en luttant contre les îlots Paris datent des années 1980 et 1990, et des payer jusqu’à 10 000 euros par spécimen

D
de chaleur urbains, en particulier pendant mandats de Jacques Chirac et de Jean Tiberi. supprimé, qu’elle ne coupe que le minimum
es « forêts urbaines » sur le parvis les épisodes de canicule, que multiplie le Depuis, à l’exception du parc Martin­Luther­ nécessaire, qu’elle en replantera bien plus
de l’Hôtel de Ville de Paris, der­ changement climatique. King et du jardin d’Eole – aménagé sous la qu’elle n’en a rasé. Mais là où Mme Hidalgo
rière l’Opéra Garnier, devant la Des arbres, l’équipe de Mme Hidalgo en pression des habitants –, c’est par addition de promet des forêts urbaines, les associations
gare de Lyon et sur les berges de la plante, et c’est heureux : 20 000 nouveaux petits squares, oasis souvent précieuses d’un parlent de déforestation.
Seine : l’annonce de la maire (PS) de la ville, spécimens sont programmés pendant la hectare ici ou là, que chaque mandature a pu Vendre du foncier à des promoteurs rem­
Anne Hidalgo, le 13 juin, dans Le Parisien, a mandature, sans compter le remplacement revendiquer la création d’espaces verts plit les caisses de la Ville, quand créer des
fait tomber de leur arbre non seulement les de certains des 200 000 arbres déjà présents – Mme Hidalgo annonce un bilan de 40 hecta­ parcs les vide. La philosophie de l’équipe
élus parisiens, qui l’ont appris dans la presse dans la ville ni les 300 000 arbres des bois de res supplémentaires pour 2020. Hidalgo, incarnée par les appels à projet du
au moment même où se tenait une séance Boulogne et de Vincennes. Depuis 2014, très type « Réinventer Paris », consiste à faire fi­
POUR LES  du conseil municipal, mais aussi bon nom­ exactement 16 287 plants avaient déjà été mis Modestes jardins nancer bon nombre d’équipements d’intérêt
ASSOCIATIONS  bre d’amoureux de l’urbanisme et de défen­
seurs de l’environnement dans la capitale.
en terre à la mi­juin dans les rues, les squares,
les cours d’école, selon la municipalité.
Alors que les friches SNCF, dernières grandes
réserves foncières de la capitale, seraient le
public en les incluant dans des opérations de
promotion privée. Pas de quoi favoriser
ÉCOLOGISTES,  Quelques arbres plantés serrés sur la dalle Mais, pour les associations écologistes, la terreau idéal de grands parcs boisés, leur ur­ l’ouverture de grandes trouées de nature. La
d’un parking souterrain font­ils une forêt, ville ne cesse d’artificialiser les sols, de les banisation ne programme que de modestes municipalité propose même aux investis­
LA VILLE NE CESSE  même urbaine ? L’ironie était facile, la imperméabiliser et d’y insérer des arbres en jardins : 2,5 hectares de verdure sur les 18 hec­ seurs de bâtir sur de l’espace public, comme
D’ARTIFICIALISER  moquerie tentante.
Plus sérieusement, le coup de communica­
pot qui peinent à se développer entre béton
et bitume, leurs racines emprisonnées dans
tares aménageables de la ZAC Bercy­Charen­
ton ; 3,5 hectares pour le parc Chapelle­Char­
la place Mazas, dans le 12e arrondissement,
pourtant plus facile à boiser que le parvis de
LES SOLS ET D’Y  tion, orchestré dans la foulée du bon score des fosses de 12 mètres cubes. Paris devien­ bon, « poumon » des 200 hectares de l’opéra­ monuments historiques.
des Verts aux élections européennes, drait ainsi la championne d’une nature hors tion Paris­Nord­Est (la municipalité assure Derrière la polémique sur la place des ar­
INSÉRER DES ARBRES sonnait pour beaucoup comme une provo­ sol, toitures végétalisées et arbres « jetables » que ce n’est qu’une première phase)… bres, c’est la densification de Paris qui est en
EN POT QUI PEINENT  cation : de grands espaces boisés en pleine
terre, les associations écologistes, les partis
qu’il faut remplacer régulièrement et qui ont
peu de chances de rendre les mêmes services
La ville a progressivement abandonné la rè­
gle non écrite qui imposait de consacrer 30 %
jeu. Et qui promet d’être un des thèmes ma­
jeurs de la prochaine municipale. L’équipe
À SE DÉVELOPPER d’opposition et les collectifs de riverains écologiques que des arbres en pleine terre. de chaque opération d’aménagement à des Hidalgo défend que la ville a besoin de loge­
désespèrent d’en voir pousser un jour, Les « forêts urbaines » de l’Opéra et de l’Hô­ espaces verts. Pire, au fil des révisions des rè­ ments, de crèches, de gymnases… Les écolo­
notamment dans les quartiers populaires du tel de Ville, comme la création d’un parc, an­ gles d’urbanisme, les limites de densité ont gistes, comme La France insoumise et une
nord et de l’est de Paris. noncée au mois de mai, entre le Trocadéro et été supprimées et les 50 % minimum de sols partie de la droite, estiment que Paris est déjà
Dépourvue de grands parcs intra­muros, le Champ­de­Mars, avec ses arbres plantés en pleine terre à conserver en cœur d’îlot ont trop dense, trop peuplée, et que c’est sur le
Paris affiche un ratio de nature par habitant – nul ne sait par quel miracle – sur le pont été abolis. Résultat : plus rien ou presque Grand Paris que le développement doit dé­
inférieur de moitié aux 10 mètres carrés d’Iéna, s’apparentent surtout, pour les con­ n’empêche d’ajouter des bâtiments dans les sormais se porter, pour laisser la capitale res­
prescrits par l’Organisation mondiale de la tempteurs de Mme Hidalgo, à un verdisse­ interstices du tissu urbain, fût­ce en coupant pirer. Respirer : le titre du livre­programme
santé. Au­delà de l’agrément et du décor, le ment cosmétique des beaux quartiers. des arbres. Et des arbres, Paris en abat par di­ de Mme Hidalgo, publié il y a à peine un an… 
rôle des arbres est essentiel pour fixer le CO2, Belleville, Brassens, Citroën, Bercy : les der­ zaines dans les chantiers de la capitale. La grégoire allix
absorber les particules fines, ombrager la niers grands parcs ouverts par la Ville de Ville répète que les promoteurs doivent (service économie)

CHRONIQUE  | PAR MARIE DE VERGÈS INGRAO, HISTORIEN D’UN PAROXYSME


Etre ou ne pas être LE LIVRE médiévale et moderne, ou de parti d’un positionnement intel­

O
l’historien Stéphane Audoin­Rou­ lectuel d’une légitimité tout autre.

une start-up africaine n connaît Christian In­


grao pour ses maîtres li­
vres sur l’histoire cultu­
zeau, dont la pensée le frappe par
sa clarté et sa force. La mise en sé­
quence des deux conflits mon­
Soucieux de contrôler son « in­
sertion dans la Cité », Ingrao renâ­
cle à franchir le pas qui le ferait dé­
relle du militantisme nazi : Les diaux, envisagés dans leur conti­ livrer un message viscéralement

I
Chasseurs noirs (Perrin, 2006), nuité, le problème du corps, de la politique. Il s’y laisse gagner une
l n’est pas forcément facile – et cer­ la décision la plus sensée du point de Croire et détruire. Les intellectuels violence et de ses pratiques, et seule fois, dessinant l’horizon qu’il
tainement pas anodin – d’être une vue de l’entreprise », écrivait, mi­juin, dans la machine de guerre SS l’ébauche de son questionne­ appelait de ses vœux en 2015,
licorne en Afrique. Ainsi nomme­ Eliot Pence, du Center for Strategic and (Fayard, 2010) et La Promesse ment en anthropologie histori­ quand la confrontation devenue
t­on, en jargon financier, les start­up International Studies, un think tank de l’Est. Espérance nazie et géno­ que, et voilà l’horizon d’Ingrao directe avec l’espérance djihadiste
valorisées plus de 1 milliard de dollars de Washington. Comme le rappelle cide 1939­1943 (Seuil, 2016). formidablement révisé. obère l’avenir et ruine les perspec­
(plus de 878 millions d’euros). Tel est le l’analyste, les places africaines sont Aujourd’hui, avec une pudeur per­ tives occidentales. Et encore, la
cas de Jumia, le leader du commerce encore peu liquides. Une cotation sur ceptible tout au long de l’entretien Ligne éthique gêne d’oser ce pas de côté conduit
en ligne sur le continent. le NYSE offrait l’accès le plus direct à que mène Philippe Petit, l’histo­ Tout tourne autour de la violence l’historien à ne confier la diffusion
Peu connue hors de son marché, l’en­ des investisseurs aux poches profon­ rien se livre sur sa formation, de guerre, objet replacé dans une de ce texte qu’aux canaux infor­
treprise s’est retrouvée en bonne place des, susceptibles de miser avant tout ses engagements et les outils optique qui fait la part du politi­ mels ou confidentiels. Avec la
dans les colonnes de la presse finan­ sur le « potentiel » de l’affaire. dont il s’est doté pour mener une que, du social, de l’étatique et de même prudence, il ne s’essaie
cière mondiale lors de son introduc­ réflexion d’histoire culturelle l’institutionnel. Le nazisme ? Un qu’une fois à l’enivrante liberté du
tion, mi­avril, au New York Stock Pedigree polémique nourrie d’anthropologie sociale. paroxysme de violence. Et « il est romancier dont il envie l’absence
Exchange (NYSE). Et pour cause : Jumia Tout cela conduit à la troisième polé­ Il le fait sans rien masquer de ses particulièrement éprouvant d’être de contrainte en termes d’admi­
est la première société technologique mique, de loin la plus toxique : celle LES URGENCES  aveuglements premiers sur l’Eu­ historien d’un paroxysme ». Il faut nistration de la preuve. Il écrit les
d’Afrique à entrer à Wall Street. Un portant sur l’identité de Jumia. Latente D’UN HISTORIEN rope de sa jeunesse, dont il ne per­ affronter la force du corporel et derniers instants d’un officier SS,
baptême boursier en forme de success depuis les débuts de l’aventure, de Christian Ingrao çoit pas encore les codes et les de l’émotion, l’accepter dans pendu à Belgrade en 1948, fiction
story : le titre a aussitôt flambé, en 2012, elle s’est déployée à la faveur Cerf, 136 p., 12 euros fondements ; sans rien taire de la l’écriture de l’historien quand son qu’il livra sur scène, à Blois, avant
comme pour célébrer la promesse du buzz de l’introduction en Bourse. place capitale qu’a occupée très objet est le frisson. de remiser le texte sans le publier.
d’une transformation numérique du Ses détracteurs ne supportent pas tôt son épouse Laetitia, dont la D’autant que l’historien du C’est cette honnêteté scrupu­
continent et l’avènement d’une nou­ d’entendre la société se présenter brusque disparition a rebattu les temps présent, s’il reconnaît la leuse qui fait le prix de cette plon­
velle classe de consommateurs. comme «africaine». Oui, Jumia opère cartes de sa vie; sans omettre non place des acteurs, juges, policiers, gée dans l’atelier d’un chercheur
Las. Une marée de polémiques a vite dans quatorze pays du continent. Mais plus les dettes qu’il contracte militants dans le champ de la de­ que l’urgence de l’heure ne fait ja­
recouvert l’enthousiasme ambiant. Le n’est­elle pas d’abord la création de auprès des maîtres de l’histoire mande sociale, ne peut accepter la mais dévier de sa ligne éthique. 
cours de l’action est retombé aussi vite l’incubateur allemand Rocket Inter­ culturelle et religieuse des ères confusion des statuts et la prise à philippe­jean catinchi
qu’il avait grimpé après des alléga­ net ? Dirigée par deux Français établis
tions de fraude portées par le courtier à Dubaï ? Dotée d’un centre technolo­
Citron Research. Le cabinet d’analyse gique basé au Portugal ?
accuse Jumia d’avoir gonflé le nombre A l’ère du capitalisme mondialisé,
de ses clients comme de ses vendeurs
et omis certaines informations,
l’argument se discute. Fleuron fran­
çais, le Club Med appartient au conglo­
L’heure du Tweet | serguei
comme le taux très élevé de comman­ mérat chinois Fosun, tout comme les
des retournées. biscuits LU sont la propriété de l’amé­
Fondée par le sulfureux Andrew Left, ricain Mondelez. Tandis qu’Axa, pre­
Citron Research est connue pour mier assureur tricolore, est dirigé par
« jouer » les titres à la baisse. Mais la un Allemand.
firme a réveillé les doutes sur la viabi­ L’acrimonie vis­à­vis de Jumia sem­
lité d’un modèle économique pion­ ble, malgré tout, en partie justifiée.
nier en Afrique. Marchés fragmentés, D’abord parce qu’une start­up 100 %
infrastructures déficientes, faible africaine aura un mal fou à trouver des
pénétration d’Internet, sous­bancari­ financements et à capter l’attention
sation de la population… Les défis ne des médias. Les rares chiffres qui cir­
manquent pas. Les opportunités non culent révèlent qu’en Afrique de l’Est
plus, réplique Jumia. 90 % des jeunes pousses parvenant à
C’est bien parce qu’il s’agit d’un pari lever des fonds comptent au moins un
de longue haleine que le groupe a jeté Européen ou un Américain parmi
son dévolu sur Wall Street plutôt que leurs fondateurs. « Une cotation sur le
Nairobi ou Lagos. Balayons ici la NYSE est totalement inatteignable pour
deuxième controverse. « Il s’agissait de nous », se désolait, sur Twitter, l’Ou­
gandais TMS Ruge, une figure de l’éco­
système technologique africain.
Les déclarations de Jumia sur la diffi­
culté à trouver sur le continent de
EN AFRIQUE DE L’EST,  bons développeurs en nombre suffi­
90 % DES JEUNES POUSSES  sant ont jeté de l’huile sur le feu. « Nous
sommes 1,2 milliard à vivre en Afrique
PARVENANT À LEVER  et il n’y aurait pas ce qu’il faut !, s’étran­
glait l’ex­patronne d’un groupe de télé­
DES FONDS COMPTENT  coms ghanéen rencontrée mi­mai à
Accra. Pourquoi Jumia ne s’occupe­t­il
AU MOINS UN EUROPÉEN  pas de créer un pipeline de talents ?
OU UN AMÉRICAIN PARMI  Voilà comment gagner un label de
groupe africain. » A bon entendeur… 
LEURS FONDATEURS marie de vergès
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MERCREDI 26 JUIN 2019

FRANCE | CHRONIQUE PALESTINE :


par f r ançoi se f r e s s o z
UN PLAN 
AMÉRICAIN rents pays donateurs, l’administration amé­ palestinien aux côtés de l’Etat hébreu, le

Le malaise NI FAIT NI À FAIRE
ricaine prétend créer 1 million d’emplois,
multiplier par deux le produit intérieur brut
palestinien et réduire de moitié la pauvreté
document Kushner pousse l’incohérence
jusqu’à incorporer, à titre d’illustration, des
photos d’écoles de l’UNRWA, l’agence de
démocratique attendra en Cisjordanie et dans la bande de Gaza.
Mais le document élaboré par Jared Kush­
ner, qui détaille les projets censés permet­
l’ONU chargée des réfugiés palestiniens, et
de projets financés par USAID, l’agence de
développement américaine. Or, Washing­
tre d’atteindre ces nobles objectifs, est aussi ton a coupé tout crédit à la première et a or­

T
alléchant de l’extérieur qu’affligeant à l’in­ donné à la seconde de cesser ses opérations
out l’hiver, une France
en colère a débattu de la
L’ÉTÉ EST ARRIVÉ ET  térieur. Il débite tous les clichés de la no­
vlangue développementaliste contempo­
dans les territoires palestiniens.
Jared Kushner qui, comme son beau­père,
crise démocratique, de PSCHITT !, PLUS  raine – « libérer le potentiel économique », a fait fortune dans l’immobilier, répond à
l’éloignement des élus, « améliorer la gouvernance » – en faisant ses détracteurs qu’il pose un regard neuf
du sentiment des citoyens d’être RIEN, LA RÉVISION  mine de croire que la Palestine est un pays sur un vieux conflit. Mais son plan, loin
mal représentés et peu entendus.
CONSTITUTIONNELLE  comme un autre. d’être novateur, est un pot­pourri d’idées

C
L’été est arrivé, et pschitt !, plus Le plan appelle à faire de la Cisjordanie et pour la plupart préexistantes. Ces projets,
rien, la révision constitutionnelle A FAIT LONG FEU ent trente­cinq pages sur le dévelop­ de Gaza un carrefour commercial, bien qui ont souvent buté sur le carcan de l’occu­
a fait long feu. Le premier minis­ pement de la Palestine et, pas une qu’aucun de ces territoires ne contrôle ses pation israélienne, semblent avoir été dé­
tre lui a réglé son compte en pro­ seule fois, le terme « occupation ». frontières et ne dispose d’un port ou d’un poussiérés et compilés à la va­vite pour les
nonçant, le 12 juin, sa déclaration sition. Qu’ils appartiennent au Dans l’histoire des tentatives de règlement aéroport. Il promet la 5G aux Palestiniens, besoins de la conférence de Bahreïn.
de politique générale devant les vieux ou au nouveau monde, les du conflit israélo­palestinien, un exercice alors que ceux­ci viennent à peine d’obte­ La particularité de l’approche du trente­
députés. « Nous ne mobiliserons élus français ont une étrange ca­ diplomatique traditionnellement prodigue nir la 3G, après douze années de tractations naire new­yorkais réside dans son mépris
pas du temps parlementaire pour pacité à s’emballer pour des cau­ en évitements, chimères et autoaveugle­ avec l’armée israélienne, qui a le monopole ostensible du droit à l’autodétermination
in fine constater le désaccord du ses puis à les abandonner lors­ ment, le volet économique du plan de paix des fréquences dans les territoires occupés. des Palestiniens. Au principe de la terre
Sénat », a déclaré Edouard Phi­ que le soufflé retombe, comme si échafaudé par Jared Kushner, le gendre du Il les exhorte à mieux protéger la propriété contre la paix, socle de toute résolution du
lippe, alors que trois textes tout cela, finalement, n’avait président américain, Donald Trump, peut privée, pour stimuler les investissements, conflit, sauf à s’aventurer sur le terrain
étaient prêts à passer en conseil guère d’importance ! postuler au titre de chef­d’œuvre. en passant sous silence le fait qu’en Cisjor­ miné de l’Etat binational, il veut substituer
des ministres. L’atonie constatée vient peut­ Dévoilée à la veille de la conférence écono­ danie le principal risque pesant sur le fon­ le principe de l’argent contre la paix. Cin­
Plutôt que de risquer un long être de l’habileté qu’a eue mique qui se tient, les 25 et 26 juin, à Ba­ cier provient des colons juifs, maîtres en quante milliards de dollars en échange du
bras de fer avec la Haute Assem­ Edouard Philippe de ne fermer hreïn, cette initiative voit très grand : spoliation. renoncement des Palestiniens à un Etat di­
blée dont il n’était pas assuré de aucune porte pour l’avenir. moyennant un investissement record de Galimatias hors­sol, hors histoire et hors gne de ce nom. Si le mot « occupation »
sortir gagnant, le gouvernement « Nous attendrons le moment pro­ 50 milliards de dollars (44 milliards réalité, directement inspiré d’une droite is­ n’apparaît pas dans le plan Kushner, c’est
a préféré remettre aux calendes pice et la manifestation de volonté d’euros), issu du secteur privé et de diffé­ raélienne qui rejette le principe d’un Etat parce qu’il a vocation à la perpétuer. 
grecques ce qui, pourtant, appa­ du Sénat, qui peut­être ne viendra
raissait comme la réponse la plus qu’après le renouvellement de la
forte et la plus complète à la grave Haute Chambre en 2020 », a­ t­il
crise qui vient de secouer le pays. déclaré. Le premier ministre est
Outre la réduction du nombre même allé jusqu’à brandir l’arme
des parlementaires, qui était une du référendum pour passer outre
promesse de campagne d’Emma­ les résistances.
nuel Macron, figurait, dans l’un Mais plus le quinquennat
des textes, l’introduction d’une avance, plus la prédiction de Fran­
dose de proportionnelle dans le çois Bayrou se renforce : si elle
scrutin législatif pour assurer une n’est pas adoptée en tout début de
meilleure représentation des mi­ quinquennat, une réforme cons­
norités. Le cœur de la révision titutionnelle a très peu de chance
constitutionnelle se concentrait d’aboutir à cause de la stratifica­
sur quelques dispositions­clés, tion des oppositions qu’elle sus­
parfaitement en phase avec l’air cite et parce qu’il faut du temps
du temps. parlementaire pour la faire abou­
Comme l’indiquait Le Monde tir. Cette donnée a d’ailleurs for­
dans son édition datée du 1er juin, tement pesé dans le choix de
l’écologie faisait une entrée en l’exécutif : s’embarquer dans
force dans la Constitution à tra­ l’examen hasardeux des trois tex­
vers la nouvelle rédaction de l’ar­ tes en condamnait à court terme
ticle 1 indiquant que la Républi­ d’autres, notamment le projet de
que française « agit pour la préser­ loi bioéthique, qui comprend
vation de l’environnement et de la l’ouverture de la procréation mé­
diversité biologique et contre les dicalement assistée (PMA) aux
changements climatiques ». Au ti­ couples de femmes. Entre la PMA
tre des avancées démocratiques, et la révision constitutionnelle,
le champ du référendum était
élargi aux questions de société, la
Edouard Philippe a choisi.
L’ironie de l’histoire est que l’ac­
LIBERTÉS, ÉGALITÉ,
participation citoyenne encoura­ cord entre le président de la Répu­
gée par un assouplissement des
modalités du référendum d’ini­
blique et le président du Sénat
n’était pas si éloigné. Car si, en ap­
VIABILITÉ : LA VILLE MONDE
tiative partagée (RIP), tandis que parence, tout sépare le premier et
le Conseil économique, social et
environnemental (CESE),
le troisième personnage de l’Etat,
à commencer par l’affaire
FACE AUX DÉFIS DU SIÈCLE
aujourd’hui décrié, devenait un Benalla, l’un et l’autre partagent
« conseil de la participation ci­ la même inquiétude sur l’état
toyenne », notamment chargé
d’organiser des conventions de ci­
fracturé du pays et le même senti­
ment que la réparation passe par
28 JUIN 2019 ∙ 8h30–12h30
toyens tirés au sort. un nouveau deal entre l’Etat et les
territoires. Mais depuis le résultat
Atonie et habileté des élections européennes du
Autre innovation de taille : afin de 26 mai, qui a laissé la droite en Charolais Club ∙ Ground Control
répondre au besoin de proximité, perdition, Gérard Larcher a ajouté
un principe de différenciation une nouvelle casquette à celles 81 Rue du Charolais ∙ 75012 Paris
était introduit pour permettre qu’il porte déjà : il est devenu un
aux collectivités locales qui le combattant politique qui veut ab­
souhaitent d’adopter un mode solument bloquer l’hémorragie
d’organisation particulier ou de des électeurs LR vers le camp ma­
mener des politiques spécifiques croniste. Cela laissait peu de
INSCRIPTION SUR LEMONDE.FR/CITIES-PARIS
sans que l’Etat ait ensuite obliga­ chance à un accord sur la révision
tion de les généraliser à l’ensem­ constitutionnelle.
ble du territoire. La spécificité de Les ultimes discussions ont
la Corse était reconnue, étape es­ porté sur la réduction du nombre
sentielle dans la tentative de réso­ de sénateurs : un geste présiden­
lution des tensions entre la mé­ tiel, annoncé en clôture du grand
tropole et l’île. Enfin, l’indépen­ débat national, avait adouci le
dance du parquet devait être ren­ couperet, tombé de 30 à 25 %. Les
forcée via une réforme du Conseil sénateurs de droite ont alors ré­
supérieur de la magistrature, torqué qu’ils n’accepteraient pas
maintes fois différée. plus de 20 % au terme d’un raison­
Toutes ces dispositions dor­ nement dont ils ne dévieraient
ment désormais dans les car­ pas et qui faisaient d’eux les maî­
tons, sans, d’ailleurs, que cela tres du scrutin : la Constitution
suscite le moindre émoi sur les devait reconnaître le départe­
bancs de la majorité ou de l’oppo­ ment comme la circonscription
d’élection des sénateurs. Quant au
critère démographique que le
L’IRONIE DE L’HISTOIRE  Conseil constitutionnel impose
pour répartir les parlementaires
EST QUE L’ACCORD  département par département, il
devait être assoupli afin d’assurer
ENTRE LE PRÉSIDENT une surreprésentation des dépar­
tements ruraux. « Peut­on accep­
DE LA RÉPUBLIQUE ET ter que le mode de scrutin sénato­
LE PRÉSIDENT DU SÉNAT  rial soit constitutionnalisé ? », s’est
interrogé le premier ministre. Et
N’ÉTAIT PAS SI ÉLOIGNÉ tout s’est arrêté. 

Tirage du Monde daté mardi 25 juin : 168 266 exemplaires


La dictature
de l’impatience
SARAH BOUILLAUD/HANS LUCAS

Le numérique nourrit et se repaît de l’attrait


de notre cerveau pour les gratifications Un bref détour sur le site Thinkwithgoo­ réduits des changements drastiques – tels que
immédiates. Tout va toujours plus vite. gle.com, rubrique « Test My Site » (en français
« Penser avec Google », rubrique « Tester mon
30 % de nouveaux produits chaque année. Cette
accélération est symbolisée, pour les entreprises
Avec quelles conséquences ? Enquête site ») permet de prendre le pouls de cette sidé­ cotées en Bourse, par les rapports d’activités à des­
rante course mondiale à la rapidité numérique : il tination des marchés financiers : entre le début du
sur un hold-up attentionnel massif suffit d’y inscrire le nom d’un site pour connaître XXe et du XXIe siècle, ces demandes de preuves de
sa performance de vitesse… et le verdict de résultats sont passées d’une périodicité annuelle,
Google. Le site Lemonde.fr, mesuré à 2 secondes, à semestrielle puis trimestrielle.
est ainsi considéré comme « lent ». Il est vrai que En quoi cet environnement a peu à peu modifié

P
laure belot Des sondages, souvent diligentés par des entre­ pour Google, qui propose comme Facebook des notre propre rapport au temps ? « L’impatience
prises qui annoncent vouloir nous faire gagner du solutions techniques pour aller plus vite, un site croissante des individus résulte d’une évolution sur
ester car une application ne s’ouvre temps, l’affirment. Ainsi, 82 % des Français se di­ ne mérite l’appellation « rapide » que si son plusieurs siècles liée au passage du temps cyclique
pas instantanément sur un smart­ sent « plus impatients qu’auparavant », selon une temps de téléchargement avoisine celui d’un des sociétés prémodernes, en relation avec les ryth­
phone (pour rappel, un ordinateur étude pour la banque en ligne ING. Une étude, réa­ battement de cil, 0,1 seconde. Son slogan com­ mes naturels, au temps linéaire des sociétés indus­
portable mettait plus de 2 minutes à lisée en 2018 pour la direction du site Lemonde.fr, mercial va droit au but : « Un site mobile lent trielles où la vitesse est placée au centre, analyse la
démarrer avec le système d’exploita­ a mesuré qu’après 5 secondes d’attente, sur dix lec­ limite votre business. » sociologue italienne Carmen Leccardi. Cependant,
tion Windows 2000) ; renoncer à entrer dans un teurs potentiels derrière l’écran, trois jetaient Le lien entre vitesse et performance économi­ la pression, ces dernières décennies, des marchés
magasin car il y a trop d’attente aux caisses ; regar­ l’éponge. La nouvelle formule, lancée en novem­ que n’est pas nouveau. En 1998, deux chercheuses financiers sur la production et la performance, tout
der un vieux film et se surprendre à penser que le bre 2018, a répondu à ce besoin d’immédiateté : le américaines, Kathleen Eisenhardt et Shona comme la simultanéité proposée par les outils
rythme est trop lent, etc. Sommes­nous de plus en temps de téléchargement du site est passé de 8 à Brown, publiaient un ouvrage, Competing on the numériques, a intensifié cette tendance, constate
plus impatients ? Il suffit de poser la question 2 secondes et la fréquentation a bondi, gagnant Edge (Harvard Business Review Press, non tra­ celle qui, depuis plus de trente ans, conduit des
autour de soi pour rallonger sans peine cette liste « 24 % de pages vues par visite », explique Kevin Sin­ duit), décrivant comment les entreprises les plus recherches sociologiques sur le temps.
d’anecdotes prises dans la vie quotidienne. ger, responsable du pôle audience. performantes s’imposaient à intervalles de temps → LIRE L A S U I T E PAG E S 4 - 5

Obstétrique : L’aphantasie Entretien


le risque négligé ou l’absence Un psychiatre au 
du cytomégalovirus d’« œil intérieur » chevet des puissants
En France, entre 1 000 et Près de 2 % de la population est Patrick Lemoine a dressé le por­
1 500 enfants naîtraient chaque privée d’imagination visuelle. trait psychiatrique d’une galerie
année avec des séquelles neuro­ Mais les personnes concernées, de personnages historiques.
sensorielles dues à une infection qui ont développé des stratégies Il s’interroge sur le rôle qu’ont
pendant la grossesse, alors qu’il de compensation, n’en sont pu jouer leurs failles psychologi­
existe des mesures préventives pas toujours conscientes ques dans leur accès au pouvoir
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Cahier du « Monde » No 23158 daté Mercredi 26 juin 2019 ­ Ne peut être vendu séparément
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ACTUALITÉ
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019

Gare au cytomégalovirus pour l’enfant à naître
OBSTÉTRIQUE - En France, près de 1 500 bébés par an naîtraient avec des séquelles, à la suite d’une infection de la femme enceinte par ce virus

S
ur les sièges colorés, 6 jeunes femmes
patientent. Seules, ou accompagnées
d’une mère ou d’un compagnon. Leur
point commun : un ventre­ballon im­
pressionnant. Nous sommes dans le
service d’obstétrique et de médecine fœtale du
professeur Yves Ville, à l’hôpital Necker­Enfants
malades à Paris (AP­HP). Plus précisément, dans la
consultation de diagnostic prénatal.
« C’est ma deuxième grossesse. Mon aîné a
21 mois et il est gardé en crèche, raconte Muriel.
Tout se déroulait parfaitement jusqu’à l’échogra­
phie du troisième trimestre. Cet examen a détecté
une petite anomalie du cerveau du bébé : un ven­
tricule gauche un peu dilaté. Très vite, j’ai été
orientée ici. Une amniocentèse [analyse d’un pré­
lèvement de liquide amniotique] a révélé que le
bébé était infecté par un virus que je ne connais­
sais pas, le cytomégalovirus. Et l’IRM a montré
qu’il avait un kyste au cerveau. » Mais le suivi du
bébé montre un développement rassurant. « La
seule incertitude concerne un éventuel déficit
auditif, qu’on ne pourra détecter qu’après la nais­
sance. » Le nouveau­né sera alors étroitement
suivi dans le Centre national de référence des
infections à CMV, à Necker, que dirige le docteur
Marianne Leruez­Ville.

Un banal syndrome grippal


Le cytomégalovirus : qui a entendu parler de ce
virus au nom étrange ? Il est pourtant respon­
sable d’infections fréquentes mais bénignes,
qui passent inaperçues ou se traduisent par un
banal syndrome grippal. Mais ce caractère ano­
din est trompeur. Car ce germe réserve sa noci­
vité aux fœtus, quand ils sont infectés dans le L’infection prénatale au cytomégalovirus peut entraîner des séquelles, allant du simple trouble auditif au retard psychomoteur sévère. BURGER/PHANIE
ventre maternel. « Environ 0,3 % des grossesses
sont à risque. Plus précisément, 1 % des femmes
enceintes vont faire une infection au CMV, dont Pour autant, les infections à CMV sont « mécon­ au courant, j’aurais fait bien plus attention ! » infirmières et sages­femmes, se désole­t­elle, ne
un tiers en début de grossesse. Or nous avons nues du public et négligées des pouvoirs publics, Maëva, elle aussi, attend son deuxième enfant. Sa connaissent pas ou ne partagent pas cette infor­
montré que seules les infections acquises lors des déplore l’obstétricien. Etant donné la fréquence et fille aînée, âgée de 2 ans, est gardée en crèche. mation. Fin 2018, le HCSP se prononçait, lui aussi,
douze premières semaines de grossesse entraî­ la gravité du risque, l’omerta n’est plus de mise ! ». Il « Un bilan sanguin a révélé que j’avais contracté pour « diffuser largement les informations » sur le
nent un risque de handicap neurosensoriel pour milite aussi pour un dépistage généralisé de ces une infection à CMV avant même cette seconde sujet – un aveu implicite de l’inertie des pouvoirs
l’enfant à naître », résume Yves Ville. infections en début de grossesse, voire dès l’exis­ grossesse. Et l’amniocentèse, à 4 mois de grossesse, publics. Le CNGOF prônait, lui, de « sensibiliser les
L’importance du problème a été reconnue, en tence d’un projet d’enfant. Mais ce dépistage fait a montré que le bébé était infecté. » Orientée vers couples à cette infection en préconceptionnel », dès
février 2018, par le Collège national des gynécolo­ débat. En 2018, le CNGOF et le Haut Conseil de la Necker, elle y reçoit un traitement quotidien par qu’un projet d’enfant existe.
gues et obstétriciens français (CNGOF) : « Effecti­ santé publique (HCSP) s’étaient prononcés contre. un antiviral, le valaciclovir, pour limiter le risque Mais ces deux instances recommandaient aussi
vement l’infection en période prénatale représente Une certitude : la priorité reste l’information de séquelles du bébé. L’imagerie montre que tout « de ne pas dépister l’infection à CMV, ni chez la
un vrai problème de santé publique puisque de des familles. « Le portrait­robot » des femmes à est normal. « Mais je ne serai pleinement rassurée femme enceinte ni chez le nouveau­né ». Le CNGOF
0,7 % à 0,8 % des nouveau­nés sont infectés pen­ risque est connu. De niveau socio­économique qu’à la prochaine IRM. Cette grossesse est vrai­ soulignait « l’évaluation pronostique difficile », en
dant la grossesse, avec un taux de transmission de élevé, elles ont déjà un enfant âgé de 6 mois à ment différente de la première. Nous n’avons pas cas d’infection. Autre frein, selon lui : « Les don­
30 % à 40 % pour les primo­infections. Le pourcen­ 3 ans. Et cet aîné est gardé en crèche : un foyer fait d’achats, ni donné de prénom au bébé. » nées sur les effets et l’innocuité d’une thérapie pré­
tage d’enfants présentant une atteinte à la nais­ d’épidémies potentielles. « En crèche, quatre en­ natale sont insuffisantes. » Pourtant, le traitement
sance est de l’ordre de 13 %, dont 30 % à 40 % garde­ fants sur cinq sont infectés par le CMV », alerte Yves Des mesures d’hygiène antiviral par valaciclovir, à l’efficacité partielle,
ront des séquelles variables, allant du simple trou­ Ville. Depuis un an, il a envoyé des courriers répé­ Anne­Hélène Labissy préside l’Association CMV peut être mis en place. « Il est un bon profil de sécu­
ble auditif au retard psychomoteur sévère. » En tés à tous les directeurs des crèches privées pari­ qu’elle a créée en 2006, et qui regroupe 700 fa­ rité pour la mère et l’enfant. A Necker, nous l’utili­
France, « on pourrait évaluer de 1 000 à 1 500 [le siennes – sans retour à ce jour. Son but : les alerter milles. « Ma fille est née en 2005 avec un polyhandi­ sons depuis 1998. Et nous avons montré que ce trai­
nombre des] enfants nés avec séquelles chaque an­ sur l’importance d’informer les familles sur les cap, à la suite d’une infection par le CMV. J’avais tement réduit de 40 % le risque de séquelles de l’en­
née », avance le CNGOF. Pour les cas les plus mesures préventives. Il s’agit d’éviter le contact pourtant entendu parler de ce virus et demandé, en fant à la naissance », indique Yves Ville. Une étude
lourds, les parents peuvent décider d’une inter­ avec les larmes, la salive et l’urine. « Par exemple, si début de grossesse, un test à mon gynécologue. non randomisée contre placebo, certes. « Mais ce
ruption médicale de grossesse. leur aîné pleure, les mères doivent éviter de l’em­ Mais il m’avait dit que cela ne servait à rien. » Dès type de protocole n’est pas éthique dans ces situa­
Selon un travail de l’équipe d’Yves Ville (sou­ brasser, au moins durant le premier trimestre de septembre 2004, observe­t­elle, la Haute Autorité tions.» Son équipe va bientôt évaluer un nouveau
mis à publication), une femme non immunisée grossesse », indique Yves Ville. de santé (HAS) prônait, à propos de ces infections traitement prometteur, le letermovir, qui sera
contre le CMV (séronégative) a un risque de 8 % Encore faut­il que les mères soient averties ! « Je à CMV : « une information concernant les mesures comparé au valaciclovir. « En l’absence de vaccin,
de faire une infection à CMV au premier trimes­ n’avais jamais entendu parler du CMV, déplore d’hygiène universelle doit être donnée aux femmes une information avant la grossesse et une sérologie
tre de grossesse, « ce qui se traduit par un risque Muriel. Seule la sage­femme qui me suivait enceintes ». Mais « quinze ans plus tard, cette pour toutes les femmes au premier trimestre se­
de 2 % de handicap neurosensoriel pour l’enfant à m’avait conseillé de porter des gants, quand je recommandation n’est toujours pas appliquée ! », raient les seuls moyens efficaces de prévenir et de
venir. Aucun autre risque prénatal n’est aussi changeais mon aîné. “A cause d’un virus”, m’avait­ se révolte Anne­Hélène Labissy. La grande majo­ dépister les situations à risque », conclut­il. 
élevé dans la population générale ! ». elle dit, sans m’informer des risques. Si j’avais été rité des médecins généralistes, gynécologues, florence rosier

L’électricité pour soigner les migraines
NEUROLOGIE - Cefaly, un appareil qui stimule le nerf trijumeau, réduit fortement la douleur et prévient l’apparition des crises

U ne douleur vrillante, des


pulsations dans les tem­
pes, des nausées… Près de
15 % de la population souffre de
migraines, une affection qui a
action diminue la douleur pour
85 % des patients.
Pour Philippe Ryvlin, chef du
département des neurosciences
cliniques au Centre hospitalier
une heure de stimulation, 32 %
des patients n’en ressentaient
plus aucune. Et 86 % notaient une
baisse significative de celle­ci, soit
une proportion trois fois plus
des millions de migraineux. Mais
les triptans induisent chez certains
d’importants effets secondaires
(malaises, nausées, vomisse­
ments) et on ne devrait pas en
cros le conseille à ses patients.
« L’application est simple : il faut
juste le coller sur le front, dit­elle. Au
début, on peut mettre un ampérage
bas, pour s’habituer à la sensation,
vant, essentiellement pour les
céphalées de tensions musculaires.
Pour la migraine, je le trouve moins
efficace », indique­t­il. Dans la liste
des autres idées simples qui agis­
longtemps été traitée par des universitaire vaudois à Lausanne, élevée que chez les patients trai­ prendre plus de huit par mois. puis l’augmenter jusqu’à arriver au sent contre la dilatation des vais­
antalgiques, avec un succès parfois cette étude est significative, car tés par placebo. Dans ce cas, le Cefaly peut être une bon dosage. L’électricité agit sur le seaux, il cite le froid – une poche de
mitigé. Mais depuis quelques elle démontre pour la première Le Cefaly a été inventé en 2006 et aide efficace, surtout quand il est circuit de la douleur. » glace appliquée sur la zone dou­
années, la médecine a beaucoup fois que le spectre d’efficacité du développé par une société belge utilisé vingt minutes chaque soir, loureuse – ou le masque à oxy­
progressé dans la prise en charge Cefaly s’étend au traitement de la avec l’aide de l’ingénieur genevois en prévention. Mais aussi, mon­ Lamproie et oxygène gène, utilisé pendant une ving­
des patients concernés. crise, et pas seulement à son utili­ Pierre­Yves Muller. Ce système de trent les derniers résultats, lors­ « Ce système existe depuis l’Anti­ taine de minutes en cas de crise.
Parallèlement aux médica­ sation préventive. stimulation électrique transcuta­ qu’il est utilisé en pleine crise. quité, relativise le neurologue pa­ Si tout cela ne fonctionne pas, il
ments existants, d’autres métho­ née (TENS) n’est pas nouveau. Pour En France, le Cefaly n’est pas rem­ risien Dominique Valade, spécia­ reste l’Erenumab, une molécule
des plus mécaniques se dévelop­ Diminution des traitements le neurologue Philippe Ryvlin, boursé, mais entre 500 et 600 ap­ liste de la migraine. Quand So­ fabriquée par Novartis et mise
pent actuellement. C’est le cas du L’étude a été menée aux Etats­ « c’est une approche extrêmement pareils y sont vendus chaque an­ crate et Aristote se mettaient une sur le marché en Suisse à l’été
Cefaly, un petit appareil que l’on Unis (universités Yale et Colum­ classique et reconnue du traite­ née, indique la société belge, qui le lamproie sur la tête, ils faisaient la 2018 sous le nom d’Aimovig : il
place sur le front et qui stimule le bia, et Rowe Neurology Institute, ment des douleurs en général ». propose d’abord en location­essai même chose que [nous avec] le s’agit d’un vaccin, sous la forme
nerf trijumeau au moyen d’une au Kansas) sur 106 patients suivis Son avantage est important sur pendant 40 jours (49 euros) et en­ Cefaly. Les Belges en ont fait un d’une injection par mois, qui em­
légère décharge électrique. Les pendant un an, entre février 2016 des patients qui prennent réguliè­ suite à la vente (300 euros), les outil commercial coûteux, qui pêche l’apparition de migraines.
résultats d’une nouvelle étude et mars 2017, qui utilisaient le rement des triptans, ces molécules électrodes réutilisables entre 20 et donne un peu une allure de héros A 450 euros la dose, en France,
clinique, parus fin 2018 dans la Cefaly pendant leurs crises de mi­ découvertes dans les années 1990 30 fois étant ensuite achetées en li­ de Star Trek. » son remboursement n’est pas
revue de l’International Heada­ graine et devaient noter l’inten­ qui, en réduisant la dilatation des gne (19 euros le kit de 3). A Mont­ Pour ce neurologue, l’appareil encore fixé par l’Etat. 
che Society, montrent que son sité de la douleur ressentie. Après vaisseaux sanguins, ont soulagé pellier, la neurologue Anne Du­ est cependant « un excellent adju­ marie maurisse (« le temps »)
ACTUALITÉ
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019 |3

L’aphantasie ou l’imagination aveugle TÉLESCOPE
b
NEUROLOGIE - Environ 2 % de la population serait dépourvue d’imagination visuelle. Pour ces M É T I SS AG E
Narluga ou béluval ? Un étrange
aphantasiques se représenter le visage d’un proche ou d’un animal est quasi impossible hybride de mammifères marins
L’ADN d’un crâne énigmatique trouvé dans
les années 1990 dans l’ouest du Groenland

L
et conservé au Muséum d’histoire naturelle
aura (le prénom a été modi­ du Danemark a parlé : il appartiendrait à un
fié) n’a jamais « compté les spécimen mâle descendant directement de
moutons » avant de s’endor­ l’union d’une femelle narval et d’un béluga
mir. Elle n’avait même jamais mâle – un exemple unique en son genre.
compris littéralement cette phrase L’analyse génétique a été conduite sur
qui relevait pour elle du « dic­ de l’ADN extrait de ses dents, disposées
ton débile », aussi métaphorique de façon singulière à l’avant de la mâchoire
que l’expression « pleuvoir des cor­ inférieure. L’animal était dépourvu du rostre
des ». Jusqu’au jour où elle a appris qui vaut parfois aux narvals le surnom de
que la plupart des gens étaient « licorne des mers ». L’analyse isotopique du
réellement capables d’imaginer collagène crânien a aussi montré une com­
des moutons. position différente de celle rencontrée chez
C’était il y a trois ans. Sur l’écran les deux espèces parentes. Les chercheurs
de son ordinateur, elle découvrait l’interprètent comme l’indice d’un compor­
le témoignage de Blake Ross, co­ tement de recherche de nourriture sur les
fondateur du logiciel libre Mozilla fonds marins plutôt qu’en pleine eau. (PHOTO
Firefox, qui racontait ce à quoi res­ MIKEL HOEGH POST/NATURAL HISTORY MUSEUM OF DANEMARK)
semblait la vie d’un « aveugle de > Skovrind et al., « Scientific Reports » du 20 juin.
l’imagination ». « C’était édifiant, je
fonctionnais exactement comme
lui », raconte cette traductrice de
32 ans, alors « stupéfaite » de se ren­
dre compte que les personnes
autour d’elle ont un « projecteur
dans la tête » dont elle ne concevait
même pas l’existence. Comment
l’aurait­elle pu, elle pour qui il est
impossible d’imaginer visuelle­
ment la naissance de ses enfants,
sa maison, son dernier lieu de
vacances ou un rhinocéros ?
« Je sais que c’est quelque chose de
plutôt gros, de gris, avec deux cor­
nes, énumère­t­elle en se concen­ É T H O LO G I E
trant. J’en reconnaîtrais un sans Au Brésil, des capucins utilisent
problème dans la réalité, mais mon des outils en pierre depuis 3 000 ans
esprit ne le “voit” pas. Ce n’est qu’un Il y a trois ans, une équipe britannico­
concept pour moi. » brésilienne avait décrit la façon dont des
capucins du Parc national de la serra da Capi­
Pas d’« œil mental » vara, au Brésil, pouvaient de façon accidentelle
Cette incapacité à former de façon créer des outils de pierre évoquant ceux pro­
consciente des images mentales a duits par notre propre espèce. Ils avaient aussi
été évoquée pour la première fois à OTTO DETTMER/IKON IMAGES/PHOTONONSTOP montré que ces singes utilisaient des galets
la fin du XIXe siècle par Francis comme marteau pour extraire des noix de ca­
Galton puis par le docteur Désiré jou ou des graines. la même équipe a procédé
Bernard, qui a travaillé auprès du aujourd’hui sa fille s’inventer des Il a beau ne jamais se départir du Elle n’est cependant pas sûre de à une fouille archéologique du site et a pu
neurologue Jean­Martin Charcot histoires dans lesquelles elle a l’air « voile sombre » qui obstrue son vouloir changer. Elle apprécie par montrer que Sapajus libidinosus utilisait déjà
à Paris. Il a cependant fallu atten­ de se « voir » ou de s’imaginer être imagination lorsqu’il est éveillé, il exemple de n’être jamais « hantée » des outils percussifs en pierre il y a trois
dre 2015 pour qu’une équipe de une licorne lorsqu’elle joue, et elle ne s’en estime pas diminué. Ses par une image. Même les plus mille ans. Les chercheurs distinguent cepen­
neuropsychologues britanniques est catégorique : elle n’en a elle­ souvenirs se déclinent en conver­ effrayantes disparaissent de son dant plusieurs périodes, au cours desquelles la
mette un nom sur ce trouble : même jamais été capable. sations, émotions, sensations, et esprit une fois la photo couverte, taille des enclumes et des marteaux de pierre
l’aphantasie, du grec phantasia, Chez la plupart des personnes, n’en sont « pas moins vivaces ». les yeux fermés ou la télévision employés a varié. Les chercheurs s’interro­
« imagination ». « le recours à l’image mentale est Les aphantasiques compensent éteinte. Elle ne peut pas non plus gent : est­ce en raison de changements dans
La recherche, encore balbutiante, quasi permanent, même lorsque ainsi inconsciemment ce que la s’empêcher de sourire devant ceux l’abondance des différents fruits à coques dis­
estime que 2 % de la population en nous n’y faisons pas attention, plupart des personnes font facile­ qui « s’énervent sur l’adaptation ponibles, ou de « cultures » de différents grou­
serait affectée. Difficile cependant explique Lilianne Manning, pro­ ment grâce à la visualisation. d’un roman en film parce que pes de singes qui se sont succédé sur ce site ?
de savoir à quoi est due cette fesseure de neuropsychologie à Laura est par exemple incapable l’acteur ne correspond pas à ce > Falótico et al., « Nature Ecology & Evolution »,
absence d’« œil mental ». « Nous l’université de Strasbourg jus­ d’épeler un mot à haute voix car qu’ils avaient imaginé ». du 24 juin.
savons seulement que le cerveau du qu’en 2018. Voyager dans le temps, elle ne peut pas se « l’écrire » dans Pour elle, qui adore lire mais
premier patient que j’ai étudié dans le passé, le futur, se projeter la tête, ce qui ne l’a jamais empê­ saute toujours les passages des­ R E CT I F I C AT I F
[aphantasique à la suite d’une opé­ dans un ailleurs, tout cela est possi­ chée d’avoir « toujours 20/20 en criptifs qui ne lui ont jamais rien Marie-Paule Cani, informaticienne
ration lors de laquelle il aurait fait ble grâce à l’imagination et revient dictée » : « Je me sers des sons, de la évoqué, « l’erreur de casting n’existe créatrice de mondes virtuels
un bref accident vasculaire céré­ à ouvrir une sorte de livre d’images logique, je lis beaucoup, l’orthogra­ pas ». Pas plus que la déception en Dans le portrait consacré à Marie­Paule Cani
bral] n’arrivait pas à “activer” les stockées dans notre cerveau. » phe est très intuitive pour moi. » découvrant un lieu ou une per­ (supplément « Science & médecine » du daté
zones visuelles lorsqu’il essayait de Pour les aphantasiques, qui doi­ Son plus grand problème, sonne qui ne correspondrait pas à 19 juin), nous avons écrit par erreur qu’elle
former une image mentale », expli­ vent se passer des images, les con­ comme pour Patrick, vient de la l’image qu’elle s’en serait faite. était entrée à l’Ecole normale supérieure
que Adam Zeman, coauteur de séquences sont diverses. « Certains difficulté à reconnaître les visages. Ces aphantasiques s’estiment­ils en 1987 alors que c’était en réalité en 1984.
l’étude de 2015. ont une très mauvaise mémoire Toute personne qui sort de son pour autant dépourvus d’imagina­ En outre, le cadeau de départ de la présidence
Avec son équipe de la faculté de autobiographique, d’autres pas ; champ de vision disparaît du tion ? Laura l’assure, elle est incapa­ de l’association Eurographics était un stage
médecine d’Exeter, il compare ac­ certains ont du mal à reconnaître même coup visuellement de son ble de dessiner un monde dans de sculpture et non de poterie.
tuellement des données d’image­ les visages, d’autres pas ; certains rê­ esprit, à tel point qu’elle peut ne son esprit, mais elle sait imaginer
rie cérébrale de personnes aphan­ vent en images, alors que d’autres, pas reconnaître une connaissance « des scénarios, des concepts et sur­
tasiques (ou afantaisistes, les deux pas du tout », détaille le Dr Zeman, qui se teindrait les cheveux. tout des sons ». « J’ai une véritable
termes existent en français), hy­ qui explique a priori ces différen­ radio dans la tête ! », dit­elle.
perphantasiques (dont les images ces par la complexité du réseau des Notes mentales Julien, lui, voulait même être
mentales sont très vives) et dotées zones du cerveau impliquées dans Elle n’a pas de galerie de portraits écrivain lorsqu’il était plus jeune, il
d’imagerie moyenne. Aucun résul­ la visualisation mentale. ou de lieux à l’esprit, seulement pratique la musique, dessine très
tat n’est encore publié, mais le Laura et Julien concèdent en effet des descriptions verbales reposant bien et se dit « plutôt créatif ». Une
chercheur note qu’il « semble exis­ avoir une « mauvaise mémoire ». sur les « notes mentales » qu’elle affirmation qui n’a rien de para­
ter des différences intéressantes ». Lui s’est marié il y a un an et ne s’astreint à prendre en perma­ doxal pour le Dr Zeman :
Ce qu’il sait déjà, en revanche, peut pas imaginer une seule scène nence. Lorsqu’elle ne le fait pas, elle « La visualisation est un aspect
c’est que les aphantasiques ne de cette journée. « Je sais que j’ai peut se trouver démunie face à des important de l’imagination pour la
constituent pas une catégorie dansé car j’ai vu des photos, mais je questions en apparence simples, plupart d’entre nous, mais de nom­
homogène. « Il existe au moins ne me revois absolument pas le comme décrire la forme des breuses personnes aphantasiques
deux types d’aphantasie, dit le cher­ faire », explique ce développeur, oreilles d’un lion. Une information sont très créatives, dans le domaine
cheur. L’aphantasie de naissance, pourtant capable de mémoriser qu’elle n’a jamais « mentalement des sciences comme des arts. »
qui semble être la forme la plus des langages informatiques et des notée » et apprise, et qu’elle est Patrick non plus ne croit pas que
courante, et l’aphantasie acquise, manuels techniques. donc incapable de restituer faute son aphantasie l’empêche d’ima­
consécutive à des lésions cérébrales Elle se souvient qu’enfant elle de­ de pouvoir imaginer l’animal. giner et de s’évader. « On ne per­
ou à des troubles psychologiques. » mandait toujours à ses parents « Je passe beaucoup par l’écrit çoit pas qu’avec les yeux, assure
Illustration : Agathe Dahyot / Le Monde

C’est le cas de Julien, 33 ans, qui se d’acheter le plus de cartes postales pour compenser. Quand je ren­ cet hypnothérapeute, passionné
rappelle avoir créé des images possible sur leurs lieux de vacan­ contre quelqu’un, je couche une de poésie et de photographie.
mentales jusqu’à l’adolescence, en ces, sans pour autant en envoyer description sur le papier en ren­ Lorsque j’invente, que je me pro­
s’imaginant des jeux de rôle ou en une seule. Elle les accumulait tou­ trant chez moi parce que je sais jette, j’imagine avec tous les autres
lisant des livres. Sans comprendre tes dans une boîte, qu’elle rouvrait que je ne la reverrai pas dans ma sens, c’est peut­être ce qui me per­
pourquoi, il est aujourd’hui inca­
pable de visualiser ce qu’il a mangé
chaque fois qu’elle voulait retour­
ner mentalement aux endroits
tête, sauf peut­être en rêves. Je
tiens un journal où j’écris tous les
met d’être créatif, différent des
autres. J’encode juste le monde CARNET DE SANTÉ
pour son déjeuner ou d’imaginer visités. « Cette boîte devait être un soirs ce que j’ai fait, ce que j’ai vu, avec des données qui ne sont pas La série qui prend le pouls de l’Afrique
son futur lieu de vacances, même peu l’imagerie que d’autres ont et je fais régulièrement des syn­ visuelles. » Comme pour souli­
avec une description précise. dans la tête », dit­elle aujourd’hui. thèses. C’est ce qui m’aide à fixer gner que l’imagination porte par­
Laura, elle, est aphantasique Mais ce n’est pas le cas de Patrick, dans mon esprit ce que d’autres fois mal son nom.  DÉCOUVRIR LA SÉRIE SUR LEMONDE.FR/AFRIQUE-SANTÉ
depuis toujours. Elle observe 52 ans, aphantasique de naissance. ont l’air de conserver en images. » éléa pommiers
4|
ÉVÉNEMENT
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019

Des lecteurs du Monde en quête d’immédiateté


La vitesse de téléchargement, un facteur-clé
Depuis novembre 2018
et la nouvelle formule

Comment le numérique 
0123
A partir de 5 secondes d’attente de chargement
de la page, 3 lecteurs sur 10 jettent l’éponge

45 % le temps de chargement

accélère nos vies
39 % d’une page est passé de
Taux de « rebond »
28 % 8 à 2 secondes
Taux de lecteurs
n’attendant pas
l’ouverture de
Temps de la page
soit
chargement
en secondes 5 sec. 10 sec. 17 sec.
+ 24 %
de pages vue par visite

Une volonté grandissante d’être informé en temps réel


▶ SUITE DE LA PREMIÈRE PAGE pont…) se veut « très différente pour tenir en Trafic généré sur l’application lors d’alertes d’informations émises
haleine, il s’agit de créer des gimmicks, des impul­ De janvier à mai 2018 De janvier à mai 2019
sions toutes les 20 secondes environ ».
Pour Carmen Leccardi : « L’impatience est le résul­
tat d’une vie sociale gérée par l’idée de vitesse. »
Même notre environnement olfactif participe
de cette dynamique. « Aujourd’hui, un consom­ 20 004 26 100
Elle poursuit : « Notre temps est de plus en plus mateur potentiel doit être accroché par un parfum visites visites
fragmenté. Nous sommes impliqués dans une en moins d’une demi­minute dans une grande
multitude de situations, endroits, actions, rela­ chaîne de distribution, autrement il s’en détourne,
tions…, confrontés à des informations supplémen­ alors que dans les années 1980 il prenait de 5 à
taires nous arrivant quotidiennement. Dans nos 10 minutes pour se décider dans une boutique de Des interactions de plus en plus fortes sur les réseaux sociaux
vies professionnelles et personnelles, nous bâtis­ proximité », explique Arnaud Guggenbuhl, direc­ Nombre de likes, partages ou commentaires sur Facebook après la mise en avant d’un article
sons sans cesse de nouvelles hiérarchies et priori­ teur marketing fine fragrance chez Givaudan. De janvier à mai 2018 De janvier à mai 2019
tés avec une impression diffuse que notre vie est « Pour répondre à cette impatience, nous tra­
saturée et que le temps ne nous suffit pas. » vaillons sur l’excitation olfactive et l’impact des
senteurs sucrées, fruitées, qui donnent envie beau­
1 619
De fait, que ce soit pour s’informer, communi­
quer, consommer, etc., le nombre de stimuli coup plus vite. Les plus grands succès mondiaux 1 062
cognitifs et sensoriels que nous recevons et ont des notes de tête, celles qui se révèlent les pre­ réactions réactions
émettons chaque jour ne cesse d’augmenter en mières, très travaillées pour être accrocheuses. »
fréquence et en intensité.
Au cinéma, notre rétine s’est habituée depuis Des interactions exponentielles
plus d’un siècle à de plus en plus de vitesse : la Quant à la vie relationnelle, les arrivées successi­ Des vidéos regardées plus longtemps mais pas toujours en intégralité
longueur moyenne d’un plan est passée d’envi­ ves du Web, des réseaux sociaux puis des smart­ Part de visionnage d’une vidéo sur le site Durée moyenne d’une vidéo
ron 12 secondes en 1930 à 2,5 secondes en 2010, phones, il y a respectivement une trentaine, une Le Monde ou Youtube
selon une étude universitaire présentée en 2010 quinzaine et une dizaine d’années, ont boule­
De janvier à mai 2018 De janvier à mai 2018
par James Cutting, de l’université Cornell, menée versé celle de tous ceux qui ont accès aux outils
sur 15 000 films. numériques. Depuis décembre 1992, date du pre­ 71 %
Même tendance dans notre environnement mier SMS, « Merry Christmas », envoyé sur un ré­ 2,48 min
sonore : le rythme moyen des « tubes » améri­ seau téléphonique anglais, nos interactions sont
cains s’est intensifié « de presque 8 % entre 1986 et exponentielles, encore plus rapides à travers les
2015, passant de 94 à 101 battements par minute », applications de messageries instantanées telles
De janvier à mai 2019 De janvier à mai 2019
précise le docteur en théorie musicale Hubert que WhatsApp, Facebook Messenger, WeChat : 62 %
Léveillé Gauvin, qui a étudié 303 titres du top 10 pour ne donner qu’un chiffre, en 60 secondes 3,48 min
américain. Sur cet échantillon, la voix arrive en 2019, 41,6 millions de messages s’y échangent
désormais bien plus tôt, 5 secondes après le début en moyenne dans le monde, 40 % de plus Sources : Statista, Ford, Deloitte, Le Monde, Oxford-Our world in data project, baromètre 2019 Fondation April
d’un morceau, contre 23 secondes en 1986. « La qu’en 2017 selon Statista.
voix vient plus vite car, en une minute, il faut que les Les conséquences de cette stimulation à l’in­
gens aient compris d’emblée l’essence d’une chan­ tensité croissante commencent à être docu­
son », commente le directeur artistique Julien mentées par des équipes scientifiques. L’étude
Bescond qui produit Christine and the Queens et « Accelerating Dynamics of Collective Atten­
Charlotte Gainsbourg chez Because Music. Sur les tion », publiée le 15 avril dans Nature Communi­ « ON PEUT BASCULER individus aux XIXe, XXe et XXIe siècles. Ainsi, sur
plates­formes de streaming, telles que Deezer ou cations, décrit une société où les individus un échantillon de 43 milliards de Tweet émis
Spotify, « les gens écoutent beaucoup de morceaux « obtiennent beaucoup d’informations sur un FACILEMENT DANS UNE entre 2013 et 2016, les chercheurs ont découvert
et ont de moins en moins de temps ». sujet très rapidement, mais s’en désintéressent de DYNAMIQUE OÙ ON ESSAIE qu’un sujet restait dans le classement des
Aux Etats­Unis, « la musique pop tend désor­ plus en plus vite. Ils sont saturés plus tôt », expli­ 50 premiers hashtags (mot­clé) les plus populai­
mais vers un format de 2 minutes 30, alors qu’il y que Philipp Lorenz­Spreen de l’Institut de physi­ D’EN AVOIR PLUS, LE PLUS res de moins en moins longtemps : 17,5 heures
a encore quatre ans on éditait des morceaux à que théorique à Berlin. Pour arriver à cette SOUVENT POSSIBLE » en 2013, 11,9 heures en 2016.
3 minutes 30 pour la radio », explique le produc­ conclusion, le scientifique et ses trois coauteurs, Même cycle d’intérêt puis de désintérêt en
JEAN-PHILIPPE LACHAUX
teur. La composition même des titres s’adapte : tous physiciens des systèmes complexes, ont NEUROSCIENTIFIQUE analysant la persistance des expressions « à la
chaque partie d’un morceau (couplet, refrain, analysé des séries d’informations reçues par les mode» en littérature. A l’aide des données de la

« LES ALGORITHMES NE FONT QUE VOUS APPÂTER »


L a chercheuse en intelli­
gence artificielle Nozha
Boujemaa, ancienne direc­
trice de recherche à l’Inria, est
directrice science & innovation
Une course dans laquelle nous
sommes devenus acteurs…
Le consommateur a tout d’abord
pris l’habitude d’être accroché par
des « breaking news » venant des
entreprises annonceuses – qu’il y
a bien, derrière l’écran, une
audience capable de recevoir les
messages publicitaires. Google va
développer des algorithmes de
extrême, etc. Les ressorts psycho­
logiques actionnés ne sont pas
toujours les mêmes. Ces stimuli
sont imaginés pour vous étonner,
vous inciter à rester plus, et ainsi
d’ailleurs. Il est toujours en attente
de quelque chose qui l’étonne. Cela
stimule son envie d’en savoir plus,
et tout de suite, et vite, et encore. Il
faut passer à autre chose.
Pourquoi d’ailleurs feraient­elles
attention à l’individu ? Leur fina­
lité est de vendre du temps dispo­
nible à ceux qui vendent de la pu­
blicité. Quelqu’un qui consomme
chez Median Technologies, de­ médias officiels qui construi­ recommandation pour garantir et consommer plus de publicité. tous azimuts, sans faire attention,
puis février 2019. Contributrice saient leur ligne éditoriale et la dif­ mesurer cette présence. Ce mo­ Apple, qui ne se rémunère pas peut être lobotomisé. Le citoyen
du supplément « Science & méde­ fusait. Puis, ce modèle en étoile a dèle d’affaire, au départ très confi­ Plus vous êtes utilisateur, plus sur la publicité, propose n’est pas protégé. C’est une pollu­
cine », elle analyse l’accélération disparu, le consommateur est de­ dentiel, va se généraliser auprès ces logiciels apprennent sur désormais une surveillance tion des cerveaux.
impulsée par le numérique. venu lui­même producteur d’in­ des grands industriels du numéri­ vous, plus leurs stimulations du temps passé sur ses télépho­
formation. Les sources informa­ que qui proposent des services font mouche. Quelles peuvent­ nes. De quoi est­ce le signal ? Quelles questions éthiques
Notre rapport au temps change. tionnelles sont désormais multi­ gratuits : édition collaborative, être les conséquences ? Ils sentent que des phénomènes cela soulève­t­il dans votre
Quel rôle ont les outils numéri­ ples, elles viennent aussi des indi­ mails, streaming de contenu cul­ Il peut y avoir, petit à petit, une d’accoutumance s’installent. En discipline, l’IA ?
ques dans cette évolution ? vidus et cet effet a été amplifié par turel, réseaux sociaux. sorte d’accoutumance, et cela nous donnant les moyens de me­ On ne se rend pas compte, à
Il est central car ces outils rappro­ les réseaux sociaux. peut être dangereux pour cer­ surer le temps passé sur des appli­ l’échelle d’un individu, des effets
chent l’information de la per­ Quel impact ont ces tains. On regarde YouTube un cations tierces, ils nous disent de ces développements. Des étu­
sonne : nous n’avons plus besoin En 2003, un chercheur algorithmes sur notre façon temps, et puis, on a envie d’y reve­ « Nous Apple, on vous aide ». Cela des sociologiques et socio­écono­
d’aller très loin, ni d’attendre. Les de Stanford, B.J. Foog, publie d’être en ligne ? nir parce que ces algorithmes ne promeut leur entreprise responsa­ miques qui intègrent les services
téléphones mobiles donnent accès un livre autour de la « captolo­ Ces algorithmes de recomman­ font que vous appâter. Ils sont ble, cela peut donner bonne cons­ proposés par l’IA doivent être
à Internet sur pratiquement toute gie », des recherches dont dation, une variante de l’intelli­ réussis quand ils « gardent » la cience et ressemble à une publicité menées en utilisant les données
la planète, dans toutes les langues. la finalité est de capter par tous gence artificielle, sont imaginés personne le plus possible. déguisée. D’autant que, pour un que possèdent les plates­formes.
Dans les années 2000, Larry Page les moyens notre attention… pour vous garder le plus long­ parent vigilant, cette fonctionna­ On ne peut pas arrêter le déve­
voulait que Google [qu’il a cocréé] C’est l’arrivée de l’économie de temps possible « captif ». Dans Des vidéos qu’on ne regarde lité peut être un argument d’achat loppement de l’IA parce que cer­
soit « the mind of god », l’esprit de l’attention et cela marque un tour­ tout algorithme existe une fonc­ pas jusqu’au bout, des boutons pour le portable de son enfant. tains abusent de son usage. Ces
Dieu, capable de « savoir exacte­ nant. C’est Google, le premier, qui tion objective à optimiser : ici, qu’on actionne pour visionner algorithmes de recommandation
ment ce que vous voulez et vous va l’appliquer. Comme son mo­ c’est d’éviter la monotonie du plus vite… comment analysez­ Quel problème principal pose n’ont pas été développés pour
donner exactement ce dont vous teur de recherche est un service contenu pour accrocher celui qui vous cette surstimulation ? cette évolution des algorithmes ? une application particulière. Ils
avez besoin ». Avec la multiplica­ gratuit, il se rémunère sur la vente consomme. Quand vous êtes sur C’est dans la suite logique. Le con­ L’effet à limiter tient à la multi­ peuvent être, par exemple, très
tion des acteurs du numérique, de publicité, c’est son modèle éco­ YouTube et consommez une vi­ sommateur s’est habitué à aller sur plication des plates­formes qui utiles pour le diagnostic ou la re­
l’instantanéité est devenue un cri­ nomique qui est à l’époque très in­ déo, par exemple, une autre va diverses sources et typologies d’in­ ciblent un même citoyen. Elles ne commandation de médicaments
tère de compétitivité. Une course novant. Pour ce faire, Google doit vous être proposée. Il s’agit de formation, sans qu’il y ait forcé­ se concertent pas entre elles, sont ou de soin. Mais indéniablement,
mondiale pour la livraison de l’in­ garantir à ses clients – non pas les favoriser le butinage par une in­ ment de logique entre elles. Quitte en compétition et au final l’indi­ un cadrage est indispensable. 
formation s’est alors mise en place. utilisateurs du moteur mais les formation surprenante, un peu à ce que ce soit des « fake news », vidu n’est pas pris en compte. propos recueillis par l. be.
ÉVÉNEMENT
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019 |5
Des technologies de plus en plus rapidement adoptées
Taux d’adoption des technologies, mesuré avec la part des ménages qui les utilisent, aux Etats-Unis, en %

100 %
En moins de vingt ans,
les réseaux sociaux
dio ont conquis 70 %
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des ménages
LES NEUROSCIENCES
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e ourquoi devenons­nous impa­ ligence artificielle. Mais ces choses­là
iqu la moitié des foyers
on tients ? Que se joue­t­il dans n’ont pas une temporalité propre. Le
ph en moins de cinq ans
notre cerveau ? Avec quelles propre du biologique, c’est d’avoir des

20 %

conséquences ? Le regard de trois constantes de temps. Nous avons une


ne

Ebook reader
Lig

neuroscientifiques… rythmicité entre jour et nuit. Notre


activité cérébrale va se situer sur des
constantes de temps de quelques
0% « Une illusion millisecondes à quelques secondes.
d’autonomie » Tous ces mécanismes participent à
notre capacité à avoir conscience du
1903 1920 1940 1960 1980 2000 2016 Lionel Naccache, neurologue moment présent.
La notion d’impatience à l’attente, Les neurosciences travaillent sur
dont nous faisons personnellement l’hypothèse que toutes les cent milli­
l’expérience, est entretenue par le fait secondes, nous sommes capables de
Une addiction grandissante... ... et un début de prise de conscience que, en quelques années à peine, cette rafraîchir notre contenu conscient,
impatience est désormais externali­ même si c’est vraiment pousser les
72 % 57 % sée dans notre environnement : à un
arrêt de bus, on vous dit quand il va
limites du système. Actuellement, en
spéculant un peu, mais c’est un vécu
des Français des parents en France
52 pensent que limiter avouent ne pas maîtriser
arriver ; dans votre voiture, votre GPS
vous donne le délai pour atteindre
que nous avons tous, nous sommes
en train d’atteindre les limites de
C’est le nombre le temps passé sur le temps de
73 %
votre destination… Auparavant, on vitesse que notre corps peut suppor­
de fois où une les outils numériques serait connexion
avait une sorte d’estimation interne ter. Il y a un moment donné où l’exci­
personne bénéfique pour leur santé de leur enfant
des Français se disent de cette impatience. tation peut être intéressante pour se
consulte son « dépendants » vis-à-vis Si vous faites attention, quasiment surpasser. Si c’est constant, nous
téléphone par de leurs outils connectés, Pistes choisies pour déconnecter chaque situation qui nous met en sommes dans un monde qui nous
jour dans en 2019 D’après un sondage réalisé en 2017 aux Etats-Unis rapport avec un délai temporel à gé­ dépasse un peu.
le monde, rer bénéficie de cette externalisation. Quand le cerveau reçoit trop d’in­
en 2018 32 % 30 % On nous renvoie directement un pe­ formations d’un coup, dans le cas
éteignent gardent leur téléphone tit marqueur temporel qui, s’il d’une personne multitâche par
les notifications dans leur poche quand
85 %
n’existe plus, génère désormais une exemple, on arrive à ce que l’on ap­
ils rencontrent des gens
des Américains 57 % 26 %
frustration.
Par la multiplication de ces outils,
pelle dans le jargon le bottle neck
(« goulot d’étranglement »), le cer­
utilisent leur des Français déclarent avoir suppriment devenons­nous de plus en plus auto­ veau est obligé de traiter les informa­
téléphone tout déjà traversé la route en leurs applications 27 % nomes ? On pourrait se dire qu’ils tions de manière sérielle. Quelle
en parlant avec utilisant leur smartphone. Dans laissent leur téléphone soulagent l’individu de certaines esti­ échappatoire peut­il avoir si la stimu­
leurs amis et plusieurs pays, des panneaux dans leur sac quand mations ou calculs d’attente, et facili­ lation cognitive s’intensifie ? Il ne
leur famille, en de signalisation apparaissent 26 % ils sont seuls tent ainsi la prise de conscience de traite plus l’information, tout simple­
2017 l’éteigne la nuit nos ressources attentionnelles qui ment, car il n’a plus assez de ressour­
Infographie : Laure Belot, Audrey Lagadec sont précieuses, limitées et détermi­ ces pour le faire. Avec des conséquen­
nantes. On pourrait se sentir de plus ces physiologiques, tel l’épuisement,
en plus responsable de l’allocation qu’on peut imaginer mais qui dépas­
éclairée et informée de nos ressour­ sent ma compétence.
ces : en caméra subjective, l’individu a
ainsi l’impression qu’il va être de plus
bibliothèque numérique Google Books, les cher­ smartphone le regardent moins de 5 minutes en plus capable de choisir les cibles de « Notre système
cheurs ont mis en évidence que l’effet de mode
d’un terme « accrocheur » issu d’un livre était de
après leur réveil. Dans l’heure, c’est huit person­
nes sur dix. D’où l’essor, en contrepoint, de mou­
son attention. Ne plus devoir atten­
dre, comme jusque dans les années
attentionnel a des failles
six mois en moyenne à la fin du XIXe siècle, vements citoyens précurseurs prônant depuis 1980, 20 heures pour voir le film que de sécurité »
contre un mois désormais. « Notre hypothèse de plusieurs années une « slow life ». « On assiste toute la France visionnera en même Jean­Philippe Lachaux,
départ est que toutes les informations que nous bien à une prise de conscience d’un nécessaire temps, avec une seule chaîne de télé. directeur de recherche à l’Inserm
recevons se disputent notre attention », explique ralentissement, constate Dominique Boullier, Mais en face existe cet enjeu, une Pourquoi notre cerveau se laisse­
le physicien, féru du livre d’Hartmut Rosa Accé­ mais aucune grande entreprise n’endosse pour sorte d’or contemporain résumé par t­il happer par ces stimuli numéri­
lération. Une critique sociale du temps (La Décou­ l’instant cette tendance à long terme et ne prend la formule du « temps de cerveau dis­ ques incessants ? Notre système
verte, 2010). Le chercheur veut poursuivre ses en compte ce critère en termes de productivité. Le ponible» de TF1. L’enjeu, c’est l’atten­ attentionnel a des « failles de sécu­
travaux en étudiant « le rôle des plates­formes en modèle économique reste basé sur la réactivité. » tion, une ressource personnelle qui, rité » intrinsèques. Des failles qui
ligne et de leurs algorithmes afin d’imaginer quel­ « Nous vivons une période de change­ sans verser dans une posture com­ nous ont d’ailleurs sauvé la vie et ont
les pistes permettraient de recevoir moins d’infor­ ments profonds, résume la sociologue Carmen plotiste, est convoitée par de nom­ permis à l’espèce de se perpétuer :
mations et de meilleure qualité ». L’une des diffi­ Leccardi. Poussés par l’activité, adultes, adoles­ breux acteurs, notamment économi­ nous avons un intérêt spontané pour
cultés, poursuit­il « est d’obtenir de ces acteurs cents mais aussi enfants dorment de moins en ques, publicitaires, médiatiques ou tout ce qui est social ; nous n’arri­
numériques des données autour de sujets qui moins dans les pays développés. » Le pédopsy­ politiques. Ou comment suggérer vons pas à ignorer le danger ; nous
concernent le bien commun ». chiatre Patrice Huerre reconnaît observer « une une illusion d’autonomie de l’alloca­ recherchons ce qui peut nous procu­
tendance à l’impatience chez les enfants et ado­ tion de sa propre attention, alors que rer une sensation agréable, ce qui
Monétisation des données lescents qui part des parents eux­mêmes. Dès le cette dernière fait l’objet de subtiles et nous permet d’aller boire quand on a
Le Monde a contacté une multitude de plates­ début de la vie, le calendrier physiologique ou puissantes stratégies de capture. Il soif. En jouant sur ces facteurs, on
formes, de YouTube à Spotify, de Uber à Deezer, psychologique d’un enfant peut être bousculé serait intéressant de relier ce que peut faire « rentrer » du contenu
pour tenter d’obtenir des données mesurant no­ au profit du calendrier des idéaux parentaux : nous vivons aux travaux réalisés dans un cerveau et l’y laisser là. C’est
tre impatience : sommes­nous plus nombreux à leur enfant doit être précoce ou en avance ». En autour des phénomènes d’endoctri­ un système de réorientation auto­
utiliser l’avance rapide des vidéos, à zapper un conséquence, poursuit­il, « l’enfant va être surs­ nement de masse dans la première matique de l’attention actionné par
morceau de musique, à utiliser la livraison en ex­ timulé, ce qui développe chez lui un sentiment moitié du XXe siècle. certains types de stimuli.
press ou à renoncer à un Uber car il y a 5 minutes que, pour exister, il faut s’exciter ». Je ne suis pas totalement négatif Quand des pickpockets jouent un
d’attente ? La récolte auprès de ces acteurs a été « Toutes ces stimulations font que notre atten­ pour autant. Face à quelque chose spectacle et volent votre montre, iIs
nulle. Un refus qui n’étonne pas le sociologue tion se divise. Tout comme, mathématiquement, qui prend une ampleur délirante, arrivent à le faire car ils ont cette con­
Dominique Boullier, chercheur au Digital Huma­ le temps passé sur chaque chose. D’où cette des solutions vont apparaître, des naissance des théories de l’esprit, ils
nities Institute de l’Ecole polytechnique fédérale impression d’accélération, il faut aller vite tout régulations venant aussi des indivi­ comprennent ce que l’autre pense…
de Lausanne (EPFL) : « Les plates­formes peuvent le temps, analyse le neuroscientifique Jean­ dus : contrôle du temps de présence mais ils sont face à une seule per­
comprendre intimement nos motivations, mais el­ Philippe Lachaux, directeur de recherche à sur les réseaux sociaux, tendance à sonne. Face à un million d’internau­
les vont bloquer l’accès à ces données car elles veu­ l’Inserm. Notre cerveau recherche sans cesse le la déconnexion temporaire… L’enjeu tes, ce type d’approche est impossible
lent les monétiser, explique le chercheur. Le pro­ sentiment de gratification immédiate. Or, une est bien d’aménager un espace men­ à développer, c’est là où la technolo­
blème ne réside même plus dans l’accès à des don­ information nouvelle, qu’elle soit positive ou né­ tal afin de déployer une vie mentale gie apporte un plus… Les plates­for­
nées considérées comme personnelles : rien qu’en gative, stimule cette gratification, c’est le circuit intérieure, un élément fondamental mes numériques, qui veulent capter
analysant nos microtraces numériques tels les taux de la récompense. Résultat : on peut basculer fa­ pour la pensée humaine. Si votre en­ notre attention par de multiples sti­
d’abandon, elles obtiennent des statistiques massi­ cilement dans une dynamique où on essaye d’en vironnement ne vous permet pas de muli, vont utiliser des informations
ves que n’ont pas les chercheurs universitaires. » avoir plus, le plus souvent possible. » vivre ce genre d’expériences, le ris­ personnelles, des choses qui nous
Quel rôle a le numérique dans cette évolution Pour Carmen Leccardi, « nous allons devoir bâ­ que, évidemment, est un appauvris­ intéressent, tout ce qu’on a fait, les
de notre rapport au temps ? « Il est central », tir de nouveaux équilibres entre temps humain, sement de l’imaginaire, ou alors un traces numériques qu’on a laissées.
explique la chercheuse en intelligence artifi­ qui anthropologiquement est lié aux rythmes na­ asservissement à cette immédiateté. Ces informations vont permettre aux
cielle (IA) Nozha Boujemaa, qui souligne que les turels, temps social, technologique et financier ». systèmes informatiques de deviner
services « tout gratuit » ont généralisé l’utilisa­ La difficulté, poursuit­elle « est de continuer à ce qui va attirer notre attention et la
tion de l’IA pour maintenir l’attention des usa­ avoir du temps pour soi, pour s’asseoir, regarder « Un monde qui nous capter. La captation attentionnelle
gers sur les plates­formes. Au prix du respect de
l’individu lui­même, stimulé de toute part, qui
le ciel, se promener, lire un livre ». Si vous avez lu
cet article jusqu’à la fin, ce qui a dû prendre envi­
dépasse un peu » n’a pas été inventée par les neuros­
ciences. On peut mettre un vernis
peut avoir tendance à vouloir « tout tout de ron 9 minutes selon l’estimation de l’algo­ Virginie van Wassenhove, scientifique, mais c’est avant tout de
suite », dit la chercheuse, et développer « une rithme élaboré par Lemonde.fr affichée sur le directrice de recherche au CEA la psychologie comportementale de
sorte d’accoutumance ». site dès la première ligne, c’est plutôt bon si­ Le ressenti de tout le monde est que base, utilisée maintenant à très
Certaines statistiques sont déjà impression­ gne !  le temps s’accélère et qu’on est de plus grande échelle. 
nantes : 35 % des Américains possédant un laure belot en plus régi par l’électronique et l’intel­ propos recueillis par l.be.
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RENDEZ-VOUS
·
LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019

LE LIVRE DES BULLES EN GELÉE

Internet regorge de vidéos de


bulles de savon se couvrant de

Au­delà 
cristaux au contact d’une surface
froide, comme de la neige. Le phé-
nomène n’avait pourtant pas fait

de la fragilité l’objet d’une analyse scientifique.


Jonathan Boreyko (Virgina Tech)
et ses collègues s’en sont avisés,
et, dans Nature Communications
du 18 juin, remédient à cette la-
Atteint de la maladie des os cune. Ils ont observé la formation
du givre à la surface des bulles
de verre, Thomas Mordant dans deux conditions : l’une où la
bulle, à température ambiante,
a été reçu à l’ENS. Sa mère était déposée sur une surface
gelée, et l’autre où l’air ambiant
raconte ce combat pour comme la surface se trouvaient à
la scolarisation et la vie une température négative. Dans le
premier cas, les cristaux croissent
depuis la base de la bulle, mais

C
leur progression s’arrête en che-
omment scolariser un enfant porteur min. Dans le second, les cristaux
d’un handicap et, au­delà, comment formés au contact de la glace cir-
faire pour qu’il vive la meilleure vie culent dans le film, agités de mou-
possible ? Ces sujets sont centraux pour les vements qui évoquent ceux pro-
parents concernés. Pour certains, cela duits dans une « boule à neige ». Ils
croissent ensuite jusqu’à recouvrir
devient même le combat de leur existence,
toute la surface (photos ci-contre).
tant le chemin est semé d’embûches. Isabelle Les chercheurs ont mis en équa-
Mordant, qui se consacre à l’accompagne­ tions ces deux situations, dont la
ment de Thomas, son fils aîné atteint d’une seconde met en jeu un fort effet
forme atypique d’ostéogenèse imparfaite Marangoni, qui décrit un transport
(maladie des os de verre), en a fait un livre de matière en fonction de la
remarquable : Mystère de la fragilité, qui vient tension de surface dans un liquide.
de paraître aux Editions du Cerf. (PHOTO : FARZAD AHMADI
Le début de l’ouvrage aurait pu être son ET CHRISTIEN KINGETT)
épilogue : il se situe à la rentrée 2015 où Tho­
mas, même pas 17 ans, est brillamment reçu
à l’un des concours les plus difficiles qui soit,
l’Ecole normale supérieure. « Tous les jeunes
sont heureux d’avoir réussi, tous les parents
sont fiers. Pour moi, cela signifie beaucoup
plus. Aujourd’hui, Thomas commence une
nouvelle vie. Et cette vie, tout jusqu’ici sem­ DIX MILLE PAS ET PLUS
blait la lui interdire », écrit Isabelle Mordant.

FAUT-IL RENOMMER CETTE CHRONIQUE ?


C’est ce « tout » qu’elle raconte, pas à pas,
dans Mystère de la fragilité.
Il y a bien sûr au premier plan le handicap
au quotidien, généré par les fractures en
chaîne dès les premiers mois de vie, entraî­
nant douleurs intenses, immobilisations, Par PASCALE SANTI baisse du taux de mortalité (de 38 %), comparative­ une combinaison des deux. Pour beaucoup, l’avan­

A
interventions chirurgicales… La situation est ment aux femmes qui ne dépassaient pas 2 700 pas tage de la marche est évident. « C’est l’exercice le plus
d’autant plus traumatisante pour cette l’origine, l’injonction de faire 10 000 pas par par jour. Au­delà de 7 500 pas par jour, le taux de naturel et le plus spontané qui soit (…), les risques et
jeune maman, polytechnicienne de forma­ jour pour être en bonne santé, qui donne mortalité ne baissait plus et restait stable. Ce qui contre­indications sont rares », souligne le docteur
tion, que le diagnostic de maladie des os de son nom à cette chronique, ne repose pas corrobore les travaux de Catrine Tudor­Locke. Eric Griez, qui vient de publier Guérir par la marche
verre qu’elle évoque d’emblée est d’abord sur un argument scientifique validé, comme nous « Comme pour toute autre capacité humaine, l’âge (Editions Eyrolles, 158 p., 16 €).
réfuté par les médecins (il ne sera formelle­ l’avons déjà expliqué… L’idée est venue d’un fabri­ réduit progressivement le nombre de pas, surtout Pour Herman Pontzer, professeur en anthropolo­
ment confirmé, par des tests génétiques, cant de podomètres japonais qui a lancé son produit, après 60 ans », rappelle le professeur Jean­François gie de l’évolution à l’université de Duke (Caroline du
qu’à l’âge de 13 ans). Pire, elle se retrouve appelé Manpo­kei (littéralement « mesure des Toussaint, directeur de l’Institut de recherche bio­ Nord, Etats­Unis), les bienfaits de l’activité physique
accusée de maltraiter son bébé. Le couple est 10 000 pas ») pendant les Jeux olympiques de Tokyo, médicale et d’épidémiologie du sport. Pour ce spé­ pour notre santé sont connus depuis longtemps,
finalement innocenté après avoir pu faire en 1964. Le slogan a fait florès. Environ une personne cialiste, pas de doute, « la valeur des 10 000 pas, écrit­il dans un article publié le 15 juin dans New
intervenir un spécialiste de l’ostéogenèse sur deux le connaît aujourd’hui. facile à retenir, garde toutes ses vertus pour le grand Scientist. Mais il pose la question de combien
imparfaite, mais le traumatisme reste pro­ Se pourrait­il qu’il ait néanmoins quelque vertu public, surtout que les adultes, juste deux à trois devons­nous en faire. Il rappelle qu’une étude
fond. « On prétend qu’il est moins domma­ sanitaire ? Pour la chercheuse américaine Catrine générations avant nous, en faisaient pas loin de anglaise sur les services postaux à Glasgow avait
geable d’incriminer à tort des parents que de Tudor­Locke (université du Massachusetts), cet ob­ 20 000 quotidiennement ». « L’important est d’être montré que les personnes qui marchaient plus de
passer à côté d’un cas de maltraitance. C’est jectif convient bien aux adultes de 21 à 60 ans, sans physiquement actif et de ne pas être sédentaire », 15 000 pas par jour pour distribuer le courrier, soit
faux : les dégâts provoqués par ces accusa­ restriction physique, et, dans ce cas, « le plus est le ajoute Anne Vuillemin, professeure des universités environ deux heures de marche rapide par jour,
tions infondées sont considérables », s’in­ mieux ». Pour les plus âgés, les personnes sédentaires en sciences et techniques des activités physiques et avaient une santé cardio­métabolique équivalente à
surge Isabelle Mordant, en soulignant que ou souffrant de maladies chroniques, l’important est sportives (Staps) à l’université Côte d’Azur. celle des populations des chasseurs­cueilleurs.
« l’Association de l’ostéogenèse imparfaite ne de se lever, de bouger et d’ajouter progressivement D’autant plus que la population est loin de respec­ Alors, les 10 000 pas ? « C’est un bon point de départ,
compte plus les témoignages effarants : des des pas à sa journée, pour atteindre au moins ter les recommandations de l’Organisation mon­ répond Herman Pontzer, mais nous devrions nous
couples se séparent, des enfants malades sont 7 500 foulées quotidiennes. diale de la santé pour une activité physique favora­ efforcer d’en faire plus. La dose optimale semble être
placés en foyer, parfois avec toute leur fratrie Ce que montre d’ailleurs une étude publiée le ble à la santé, soit au moins 60 minutes par jour plus proche des niveaux constatés avec les popula­
bien portante, pendant des mois ». 29 mai dans JAMA Internal Medicine. Des chercheurs d’activité physique d’intensité modérée à soutenue tions hadza [chasseurs­cueilleurs de Tanzanie] ».
La maltraitance, c’est Thomas et ses parents ont mesuré le nombre de pas de 16 741 femmes, de pour les enfants et adolescents de 5 à 17 ans, et, pour En matière de posologie, la seule qui puisse être
qui vont la subir pendant des années. Admis 72 ans d’âge moyen. Quatre ans plus tard, l’étude a les adultes, pratiquer au cours de la semaine au dangereuse serait de ne faire aucun pas… alors,
« de haute lutte » à l’école maternelle, où il est mis en évidence que le fait de marcher plus de moins 150 minutes d’activité d’intensité modérée non, nous n’allons pas changer le nom de cette
accompagné d’une assistante de vie scolaire 4 400 pas par jour était significativement lié à une ou 75 minutes d’activité d’intensité soutenue, ou chronique ! 
(AVS), le garçon, qui est déjà en fauteuil rou­
lant, est pris en grippe. « Alors, feignant, quand
est­ce que tu vas te décider à bouger tes fesses
de ton fauteuil ? », l’accueille ainsi un matin
l’enseignante, devant sa mère. Un exemple AFFAIRE DE LOGIQUE - N° 1106
parmi bien d’autres des humiliations et des
situations ubuesques vécues par la famille.
Mais l’intelligence et la volonté hors nor­ Ils ne font pas leur âge ! N° 1106
Solution du problème 1105
mes de Thomas, la mobilisation de ses pa­
rents – et de professionnels bienveillants – Bob a représenté dix membres de sa famille sur ce dessin, leur Il y a 129 pions dans la jatte.
viendront à bout des obstacles pour réaliser âge étant inscrit dans le rond correspondant. On divise les nombres en deux catégories :
le rêve de cet enfant : faire des études. Tho­ Il indique que, pour chacun d’eux, si son âge est égal à N (en - les nombres « gagnants », notés G, qui permettent au
mas a aujourd’hui 19 ans, vit alité et ne peut années), la somme des âges des personnes directement reliées joueur qui s’y trouve confronté de l’emporter ;
ni marcher ni écrire. Il est élève de qua­ à lui est égale à 3N – 1. - les nombres « perdants », notés P, qui entraînent la
trième année en mathématiques à l’Ecole défaite du joueur qui s’y trouve confronté.
normale supérieure.  Ainsi, 1, les nombres premiers (2, 3, 5, 7…) et les multiples
1. Sauriez-vous montrer que les deux ronds jaunes représentent
sandrine cabut de 6 sont G, puisque le joueur peut vider la jatte.
des jumeaux ? Idem pour les deux ronds bleus.
Mais 4 est P, car le joueur ne pourra enlever que 1, 2 ou 3
2. Complétez le dessin avec les 10 âges. pions et laissera à son adversaire une position G.
Mystère de la fragilité, d’Isabelle Mordant
(Ed. du Cerf, 336 p., 20 €). De même, 8 est le deuxième nombre P, car il ne peut
« OFF » D’AVIGNON DU 5 AU 28/07 Very Math Trip Voyage en rêve
conduire qu’à 7, 6, 5, 3, 2 ou 1 qui sont des nombres G.
LES MATHS FONT LEUR SHOW Un spectacle phénomène qui vous récon- L’histoire, inspirée du concept mathéma- Plus généralement, de proche en proche, on attribue à
Comme chaque année, certains spectacles cilie avec les maths ! Débordant d’énergie, tique de ruban de Möbius – une boucle qui tous les entiers le caractère P ou G de la façon suivante :
LIVRAISON du festival « off » d’Avignon n’hésitent pas
à parler mathématiques.
En voici une sélection.
le Belge Manu Houdart s’amuse à nous
démontrer que les mathématiques se
cachent partout autour de nous et offre un
ne possède qu’une seule face – et des pein-
tures ambigües de M.C. Escher, explore la
relation entre créateur et création.
- un nombre sera P s’il ne conduit qu’à des nombres G ;
- un nombre sera G s’il peut conduire à un nombre P (ou
permet de vider la jatte).
E N TO M O LO G I E show familial et drôle, voyage à la fois Collège de la Salle, 19 h 50.
Emilie du Châtelet ludique et pédagogique. On montre ainsi que tous les nombres de 9 à 84 sont G, car
« Insectes : un monde secret » A une époque où les mathématiques Théâtre de l’Etincelle à 19 heures, relâche les La Machine de Turing ils peuvent mener à 4 ou 8 en enlevant 1, un nombre pre-
Ils ont inventé l’agriculture et l’élevage, ont étaient interdites aux femmes, la marquise 8, 12 et 22/07. Cette pièce, de retour en Avignon après son mier ou un multiple de 6. En revanche, 85 est P, car il ne peut
appris à fabriquer du papier avec de la cellu­ du Châtelet, alter ego de Voltaire, première succès parisien, retrace l’aventure du génial mener à 0, 4 ou 8. Le nombre P suivant est 89.
lose bien avant nous, chassent au filet depuis scientifique française reconnue en son La Leçon, d’Eugène Ionesco mathématicien Alan Turing, à l’origine du Ensuite, il faut attendre 129, premier nombre ne permettant
temps, a traduit en français l’œuvre de Un drame comique sur une relation déli- décryptage du code de la machine Enigma
des millions d’années. Ce sont les insectes. pas d’atteindre 0, 4, 8, 85 ou 89.
Newton. Entre lecture, théâtre et récit, voici rante entre maître et élève. Des mathéma- pendant la seconde guerre mondiale.
Pour chaque humain, on compte 200 mil­ présentée la correspondance pleine d’esprit tiques les plus folles aux exigences de la Théâtre Actuel, 10 h 10 du 05 au 12/07. 129 est le seul nombre P supérieur à 100.
lions de ces bestioles. Indispensables à notre entre elle et l’écrivain philosophe. syntaxe, Ionesco sait « parler avec légèreté En effet, les restes de la division par 6 de 4, 8, 85, 89 et 129
survie, elles sont pourtant en danger, par Théâtre de la Carreterie à 19 h 15, relâche les des choses graves ». Informations sur: sont respectivement 4, 2, 1, 5 et 3. Tout nombre supérieur
notre propre faute. Plonger dans cet ouvrage 9, 16 et 23/07. Au magasin, à 15 heures. www.avignonleoff.com/programme à 129 est donc gagnant puisqu’il permet, s’il n’est pas mul-
apparaît donc essentiel. Vital, même. tiple de 6, de parvenir à l’un d’entre eux en enlevant un
E. BUSSER, G. COHEN ET J.L. LEGRAND © POLE 2019 affairedelogique@poleditions.com
> D’Anne Sverdrup­Thygeson (Arthaud, 320 p., 21 €). multiple de 6.
RENDEZ-VOUS
· LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019 |7
CARTE
BLANCHE Numérique en santé : mobilisons­nous 
Le regard de biais aujourd’hui pour ne pas déchanter demain
des sociologues
TRIBUNE - Dominique Le Guludec, présidente de la Haute Autorité de santé, évoque les promesses
des nouveaux outils, et les écueils dont il conviendra de protéger les usagers de la protection sociale
Par BAPTISTE COULMONT

L a pratique de la sociologie guérit rapi­


dement de la naïveté. La moindre
enquête, avant d’être productrice de
connaissances, est génératrice de biais. S’il
n’y en avait qu’un seul, on arriverait à s’en
L a Haute Autorité de santé
(HAS), autorité indépendante,
dont l’objectif est d’assurer à
tous un accès pérenne et équitable à
des prises en charge de qualité, a
– c’est­à­dire la capacité à trouver et à
comprendre l’information en santé –
et en construisant avec l’intéressé. Il
en va ainsi de l’espace numérique de
santé qui sera bientôt offert à chaque
IL NE FAUT PAS
NÉGLIGER LE RISQUE
QUE LE NUMÉRIQUE,
et lutter contre les discriminations.
Avec la croissance du numérique et le
recours à l’intelligence artificielle, ce
sont des risques systémiques qu’il
faut prévenir. Le secteur de la santé et
sortir, mais on en compte au moins trois, choisi de consacrer son rapport an­ citoyen, comme le prévoit la nouvelle AU LIEU D’ÊTRE de la protection sociale se caractérise
écrivent Céline Braconnier et Jean­Yves nuel d’analyse prospective à l’étude loi de santé : sa conception doit abso­ INCLUSIF, REMETTE par la grande sensibilité des données
Dormagen dans « Un cens caché dans la du numérique en santé, et de ses lument tenir compte des utilisateurs. qui y circulent. Du risque de commer­
constitution des échantillons de répon­ apports dans les champs sanitaires, Les professionnels, quant à eux, EN QUESTION cialisation des données personnelles
dants » (La Politique désenchantée ?, Presses sociaux et médico­sociaux. peuvent espérer une facilitation et un NOS DROITS à celui de sélection assurantielle en
universitaires de Rennes, 2018). Une nouvelle décennie va s’ouvrir. enrichissement de leur travail quoti­ fonction du risque et du comporte­
Le plus simple est le biais de sélection. Si Dans le domaine des soins et de l’ac­ dien, grâce en particulier à des outils FONDAMENTAUX ment, en passant par celui de remise
l’on augmente fortement les frais de scola­ compagnement social, ce doit être de coordination et de suivi sécurisés en cause des garanties d’anonymat
rité à l’université, la réussite aux diplômes une décennie de progrès par le nu­ et à des logiciels qui, déjà, les aident prévues dans notre droit national, on
va augmenter. Pourquoi ? Pas parce que mérique. Pour que ces progrès se réa­ dans leurs diagnostics ou leurs déci­ mesure la portée des enjeux. Le règle­
payer motive ou que débourser incite : c’est lisent, l’ensemble des acteurs doi­ sions thérapeutiques. La HAS plaide Telles sont les promesses et les ment général sur la protection des
parce que n’auront pu entrer à l’université vent unir leurs efforts. Les potentia­ pour la structuration d’une réflexion conditions de leur réalisation. Il ne données est un socle protecteur en
que celles et ceux qui disposent des revenus lités du numérique sont très fortes collective, sur le mode d’états géné­ faut pas non plus négliger les ris­ Europe, qu’il faut rendre plus visible.
suffisants et que l’origine sociale prédit, en pour améliorer l’accès et la qualité raux, par exemple, afin que chacun se ques. Un risque sanitaire d’abord ; et La désignation d’un parlementaire en
moyenne, la réussite scolaire. des soins et des accompagnements penche sur l’évolution potentielle des le risque que le numérique, au lieu mission, pour faire le tour de ces
Autre exemple : les immigrés, à leur arri­ sociaux, mais des précautions doi­ pratiques et métiers. d’être inclusif, remette en cause nos questions cruciales, serait d’une
vée en France, ont un état de santé meilleur vent être formulées. C’est ce qui fera Grâce au big data (données de prati­ droits fondamentaux. grande aide et un préalable à une tra­
que celui des Français. Pourquoi ? Parce de la (r)évolution numérique de no­ que en vie réelle, résultats cliniques, Les industriels qui conçoivent et duction législative.
qu’il est beaucoup plus difficile d’émigrer, tre système de santé et d’accompa­ retours d’expériences des usagers…) et diffusent leurs solutions numéri­ La HAS est convaincue que nous pou­
de partir loin de chez soi, quand on n’est pas gnement social un succès collectif. à l’explosion de nos capacités d’ana­ ques bénéficient souvent de la soli­ vons tirer le meilleur du numérique
en bonne santé. Les hommes mariés se sui­ Pour les usagers du système de lyse, la qualité des prises en charge et darité nationale, qui finance leur tout en nous prémunissant d’un ris­
cident moins que les célibataires. N’est­ce santé et de protection sociale, le nu­ des outils numériques pourra aussi créativité. En contrepartie, nous que sanitaire ou d’une remise en cause
pas un effet de la sélection, se demandait mérique peut apporter un progrès être puissamment améliorée. devons pouvoir exiger la qualité de de nos droits fondamentaux. Il faut
déjà Emile Durkheim en 1897 : si le mariage en termes d’accès, de qualité et de Ces objectifs ne pourront être at­ ces solutions. C’est une garantie pour cela une prise de conscience par
sélectionne les plus aptes socialement, mobilisation personnelle ou collec­ teints que si ces outils se conforment apportée à tous, usagers comme pro­ l’ensemble des acteurs que cette cause
alors les célibataires ne seraient­ils pas les tive. Il peut être source d’améliora­ à des exigences techniques (au pre­ fessionnels et industriels. Et c’est un nous est commune. Croyons en notre
« déchets du genre humain », d’une nature tion de l’équité, de l’efficacité et de mier rang desquelles l’interopérabi­ garde­fou contre les gaspillages et capacité collective à relever le défi. 
tellement défectueuse que leur suicide s’ex­ l’autonomie. Encore faut­il réduire lité) et de conception (coconstruction les scandales sanitaires. Ce cadre
plique ? (Rassurez­vous, il répond que non : les fractures numériques, territoria­ avec les acteurs, « explicabilité » des d’évaluation, cette « matrice », est
le mariage ne sélectionne pas assez.) les, générationnelles, sociales. Cela algorithmes d’intelligence artifi­ indispensable pour renforcer et jus­
impose de favoriser l’appropriation cielle). Ils doivent aussi faire l’objet tifier la confiance. Il permettra à
Objet d’étude fuyant par les utilisateurs du bon usage des d’une évaluation large : de leur usage chacun de faire des choix au nom de ¶
En se posant la question « comment le nouveaux outils : en développant la en conditions réelles, de leurs répon­ la qualité et de la sécurité. Professeure
groupe que j’étudie a été constitué ? », on médiation numérique et en pro­ ses à des exigences ou à des besoins, Les pouvoirs publics doivent aussi Dominique Le Guludec,
arrive à identifier ce biais de sélection. Mais mouvant les outils de la littératie du bénéfice individuel ou collectif. garantir la protection des individus présidente de la Haute Autorité de santé
les sociologues ont un autre problème : leur
objet d’étude, parfois, est fuyant, et parfois
est au contraire enthousiaste à l’idée de Le supplément « Science & médecine » publie chaque semaine une tribune libre. Si vous souhaitez soumettre un texte, prière de l’adresser à sciences@lemonde.fr
participer à une enquête. C’est ce qu’on ap­
pelle le biais d’autosélection : « Interviewez­
moi ! Oh, j’en ai, des choses à dire. » Les indi­
vidus sont inégalement disposés à collabo­
rer. Pour le dire vite, les plus enclins à
contribuer sont les personnes les plus pro­ UN CLASSEMENT MONDIAL DE LA SCIENCE
ches de nous, par l’origine sociale, le
diplôme, les modes de vie. Voilà pourquoi Une hiérarchie du monde de la recherche, par pays Le top 10 des institutions scientifiques
on apprend aux étudiants en socio que Surfaces proportionnelles à la part des chercheurs, pour chaque pays, Ce classement s'appuie sur la part de
« Oh, moi, j’ai rien à dire » est le signe d’un dans la publication d'articles scientifiques dans des revues scientifiques de renom ces institutions dans les articles publiés
monde inconnu. Que les réponses évasives par 82 journaux scientifiques
ou les individus apparemment renfermés Argentine 7 autres pays Arabie saoudite Afrique du Sud
valent double au grand Scrabble de l’en­ 18 autres pays Egypte 1 - Académie chinoise des sciences (Chine)
quête. Que les refus caractérisés nécessi­
Brésil Chili Israël Iran 36 2 - Université Harvard (Etats-Unis)
tent d’être analysés : ils permettent de saisir autres
l’autosélection des autres. N’en voulez pas à pays 3 - SociétéMax Planck (Allemagne)
Autriche Suède
la prochaine sociologue un peu collante 6 - France Italie 4 - CNRS (France)
que vous croiserez : elle ne fait que son tra­ 5 - Université Stanford (Etats-Unis)
vail. Acceptez avec grand enthousiasme de Belgique 4 - Royaume-Uni
participer à son étude, et elle vous trouvera 8 - Suisse 6 - Massachuse�s Institute of Technology (Etats-Unis)
tout de suite moins intéressant. Rép. tchèque Pays-Bas 7 - Helmholtz Association (Allemagne)
3 - Allemagne
Une fois vaincu ces deux biais, le travail 8 - Université de Cambridge (Royaume-Uni)
n’est pas fini. Le sociologue qui pose ses Danemark Norvège Pologne
questions se trouve rapidement face à des Espagne Russie Portugal
9 - Université de Tokyo (Japon)
27 autres
Finlande pays 10 - Université de Pékin (Chine)
individus qui vont à la messe tous les
dimanches, à la salle de musculation tous Singapour
les jours, et qui adorent les épinards. Dans 9- 22
les enquêtes par sondage, après une élec­ Corée du Sud autres
pays
Un second classement normalisé
tion, on trouve toujours un peu trop de Ce classement pondère la part des articles publiés
personnes ayant voté pour le vainqueur de 2 - Chine dans les meilleurs journaux par rapport
l’élection. C’est ce qu’on appelle le biais de à leur production totale. De plus petites institutions
désirabilité : on se présente sous son Inde 5 - Japon performantes peuvent y percer. Le second chiffre
meilleur jour, face à un enquêteur, on cher­ désigne leur rang dans le classement non normalisé
che à sauver la face. Ce ne sont pas nécessai­ Mexique
rement de gros mensonges, juste de petits 1 - 345 Cold Spring Harbor Laboratory (CSHL) (Etats-Unis)
10 - Australie
arrangements avec la réalité. 16 autres 2 - 410 Institut autrichien de science et de technologie (Autriche)
Ainsi, à mesure qu’ils vieillissent, les Fran­ pays
3 - 56 Institut Weizmann de technologie (Israël)
çais déclarent aux sociologues un diplôme 1 - Etats-Unis
plus élevé que celui obtenu : mais un CAP 4 - 422 Institute for Advanced Study (Etats-Unis)
décroché en 1960, ça « vaut » peut­être un 5 - 292 Brandeis University (Etats-Unis)
bac de 2010, semblent se dire les « répon­ Légende 6 - 161 The Rockefeller University (Etats-Unis)
dants », surtout si, en fin de carrière, ils 7-
avaient un statut professionnel élevé. Asie-Pacifique Asie de l’Ouest Afrique Canada 7 - 413 Centre Jawaharlal-Nehru (Inde)
Voilà nos clients naturels à nous, sociolo­ Europe Amérique du Nord Amérique du Sud 8 - 38 Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (Suisse)
gues : plus ou moins mal sélectionnés, en­ Les nuances plus foncées signalent un classement 9 - 24 Université Princeton (Japon)
thousiastes et affabulateurs. Pour les com­ dans les dix meilleurs places
prendre, un « regard de biais » s’impose. 
10 - 361 Institut de science et technologie d’Okinawa (Japon)
SOURCE : BASÉ SUR UNE INFOGRAPHIE DE MACMILLAN PUBLISHERS LIMITED, APPARTENANT À SPRINGER NATURE

Régulièrement, la revue Nature publie une fois de plus en tête, mais la Chine relatif le plus marqué, avec une baisse malisé, valorisant plus la qualité que la
un classement des institutions et des continue une percée marquée par la de 7,6 %. L’institution la mieux classée quantité de la production scientifique :
Baptiste Coulmont nations les plus productives en scien­ plus forte progression entre 2017 et est l’Académie des sciences chinoise, Nature y place en tête le laboratoire
Professeur de sociologie ces, fondé sur l’analyse du nombre d’ar­ 2018. La France, au 6e rang, derrière l’Al­ devant Harvard, la Société Max­Planck américain Cold Spring Harbor, qui arri­
à l’université Paris-VIII ticles parus dans 82 journaux scientifi­ lemagne, le Royaume­Uni et le Japon, et le CNRS. Mais l’organisme français vait au 345e rang non normalisé. 
(http://coulmont.com) ques « prestigieux ». Les Etats­Unis sont est le pays du top 10 qui a connu le recul disparaît d’un autre classement dit nor­ hervé morin
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RENDEZ-VOUS
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LE MONDE SCIENCE & MÉDECINE
MERCREDI 26 JUIN 2019

« Tous les tyrans sont des modèles  ZOOLOGIE
Les secret 
de grands paranoïaques » de la longévité 
ENTRETIEN - D’Alexandre le Grand à Churchill en passant par Louis XIV ou Hitler, le psychiatre des chauves­souris
Patrick Lemoine a étudié les failles psychiques des gouvernants, monstres ou héros

L
C
es chauves­souris effraient les uns, fasci­
nent les autres. Chacun ou presque le
elles et ceux qui nous gouver­ sait : non contentes de posséder nos sens
nent sont­ils sains d’esprit ? A tra­ habituels, ces bestioles en ont développé un
vers une galerie de dix­neuf por­ sixième, l’écholocation. Elles émettent des clics
traits d’hommes et de femmes dont la réflexion sur les objets alentour lui per­
qui ont fait l’histoire, le psychia­ met d’entendre de nuit comme d’autres voient
tre Patrick Lemoine tente de répondre à cette en plein jour. Autre particularité, et pas des
question dans son dernier opus, La Santé psy­ moindres pour un mammifère: elles volent.
chique de ceux qui ont fait le monde (Odile Mais il est encore une spécificité, nettement
Jacob, 304 pages, 22,90 euros). Un fameux moins connue celle­là : leur longévité. Chez
florilège qui compte autant de monstres les mammifères, une règle presque intangible
(Hitler, Staline…) que de héros (Churchill, de veut que les plus gros vivent plus longtemps.
Gaulle…), mais aussi des autocrates éclairés Nous autres humains y faisons figure d’excep­
(Napoléon, Catherine II de Russie, Louis XIV, tion, avec une durée d’existence particulière­
Jules César, Alexandre le Grand…), des saints, ment élevée compte tenu de notre poids. Un
des sages ou des dieux (Jeanne d’Arc, ours brun, communément quatre fois plus
Bouddha, Jésus… ou même Yahvé). lourd, vit ainsi en moyenne deux fois moins
longtemps. Dix­neuf espèces font toutefois en­
Vous proposez un diagnostic psychiatrique core mieux que nous, parmi lesquelles dix­huit
de dix­neuf personnalités qui ont changé espèces de chauves­souris (la dix­neuvième est
le cours de l’histoire – pour le meilleur le rat­taupe nu, autre merveille de la nature).
ou pour le pire. Tous ont cependant disparu. Champion incontesté, le minuscule murin
Comment avez­vous procédé ? de Brandt, avec ses 7 grammes, taquine les
En psychiatrie, il y a deux façons d’envisager quarante printemps. Le grand murin (Myotis
un diagnostic. L’examen clinique en face­à­ myotis), cinq fois plus lourd, en fait autant.
face, d’abord : il permet d’interroger son pro­ Mais outre qu’il reste 2 000 fois plus léger que
pre ressenti. C’est l’outil le plus puissant. Mais, nous, il présente l’avantage de vivre dans nos
pour mes dix­neuf « patients », la méthode contrées. Une équipe internationale s’est lan­
s’avérait impossible. J’ai donc recherché et ana­ cée dans une étude longitudinale de huit ans
lysé leurs symptômes dans les documents his­ pour tenter de percer les mécanismes molécu­
toriques. J’ai disséqué leurs biographies, traqué laires capables d’expliquer la santé insolente
les anecdotes, sondé les récits des témoins de de l’animal. Ses résultats, publiés le 10 juin,
l’époque, qui ont livré leurs ressentis. Et je n’ai dans la revue Nature Ecology & Evolution
pas manqué de témoignages ! C’est une mé­ ouvrent des pistes prometteuses pour la
thode moins robuste que l’examen de visu, recherche sur le vieillissement.
certes. Mais, en dépit de ses limites, elle n’a pas L’équipe s’est appuyée sur les naturalistes de
manqué d’efficacité. la Société d’étude et de protection de la nature
de Bretagne (SEPNB) pour collecter 70 indivi­
Hitler, Staline et tant d’autres : autant dus, d’âge connu, et les suivre pendant huit
de tyrans à la folie funeste et manifeste. ans. Les biologistes de l’University College de
Sur eux, qu’avez­vous appris de nouveau ? Dublin ont ensuite réalisé le séquençage du
Tous sont des « modèles » de grands para­ transcriptome de 150 prélèvements sanguins.
noïaques. Orgueil démesuré, ego surdimen­ Contrairement au génome, composé d’ADN, le
sionné, méfiance, susceptibilité, délire de per­ Patrick transcriptome est constitué par l’ensemble des
sécution associé à un jugement faussé : les Lemoine, ARN issus de la transcription du génome. Il
symptômes de ce trouble mental sont connus. à Paris, Dépendances, phobies, stress post­traumati­ ment, me semble être l’un des plus malades permet d’étudier l’expression des gènes et
La paranoïa, cependant, est un délire logique, en janvier. que, variations d’humeur, impulsivité, déli­ de ma galerie de portraits. Une personnalité « d’obtenir ainsi rapidement une vision d’ensem­
qui peut sembler crédible – ce qui explique HANNAH res, mégalomanie : la liste est longue des dé­ caractérielle, impulsive et abandonnique ble des processus en cours chez un organisme »,
qu’on s’y laisse prendre, à ses débuts du moins. ASSOULINE/OPALE/ sordres mentaux que vous pointez chez eux… – comme d’ailleurs son fils, Jésus. Et probable­ explique Sébastien Puechmaille, maître de
Tous ces dictateurs, par ailleurs, ignorent le LEEMAGE Un trait commun les rassemble. Tous ont eu ment psychopathe, un trouble qu’on pourrait conférences à l’université de Montpellier, et
doute, l’hésitation, la nuance. Ils n’aiment rien une soif immodérée de gouverner, de diriger résumer par : je ne pense pas, j’agis, je cogne… l’un des signataires de l’article.
tant qu’écraser, dominer, laminer pour attein­ les foules. Le pouvoir est une drogue puis­ éventuellement je réfléchis après. L’analyse de quelque 1 700 milliards de bases
dre leur but. Ce sont de terrifiantes machines à sante. Nombreux sont celles et ceux qui a mis en évidence « des patrons d’expression de
conquérir et à garder le pouvoir. Avec ce para­ souffraient par ailleurs d’une autre addiction En quoi certaines névroses ont­elles gènes tout à fait originaux », souligne Eric Petit,
doxe : chez eux, les faiblesses psychiques se forte : à l’alcool ou au tabac (Churchill, Charles pu favoriser les succès politiques,
muent en une force implacable, dès lors qu’il Quint, Alexandre le Grand…), au sexe (Cathe­ religieux ou militaires ?
s’agit de s’emparer des rênes d’un pays. rine II de Russie, Louis XIV et tant d’autres…), On peut en effet s’interroger. N’est­ce pas
aux dépenses compulsives (Marie­Antoi­ son trouble bipolaire qui a donné à Churchill
Le constat n’est pas neuf… nette, Louis XIV…). cette invraisemblable énergie pour sauver le
C’est vrai, mais on peut l’affiner. Hitler, par monde du nazisme ? Au Moyen Age, n’est­ce
exemple, était un paranoïaque de la forme cli­ L’exercice du pouvoir a­t­il pu déclencher pas sa phobie du dépucelage, associée à son
nique dite « idéaliste passionné ». Un terme qui – ou aggraver – certaines vulnérabilités ? anorexie mentale, qui a permis à Jeanne d’Arc
renvoie à des revendicateurs délirants, des per­ Peu ont échappé au « syndrome d’hubris », d’arracher la France des griffes de la perfide
sonnalités extrêmement rigides et procéduriè­ cette démesure, cet orgueil, cette prétention à Albion ? Au IVe siècle avant notre ère, n’est­ce
res, souvent psychopathiques ou névrotiques. se croire au­dessus des lois communes, réser­ pas son impulsivité qui a insufflé à Alexandre
Mais aussi à des individus persuadés d’agir vées aux « simples mortels ». L’exercice du le courage ou l’inconscience de conquérir
« pour la bonne cause », comme le fondateur pouvoir transforme souvent ces grands narcis­ l’Asie ? Autant d’interrogations troublantes. « Myotis myotis ». PATRICK PLEUL/AFP
d’une secte, le chef d’un parti prônant la haine siques en vrais mégalomanes. D’où ce cortège
de tel groupe. Autant d’utopies qui s’achèvent d’effets pernicieux : impression d’omnipo­ Pourquoi avoir exclu tout contemporain de la SEPNB. Des comparaisons ont, en effet,
en désastres. Staline, lui, me semble avoir été tence, perte de contact avec la réalité, attrait de cette enquête ? été réalisées entre Myotis myotis et trois autres
un paranoïaque plus « ordinaire » : méfiant, démesuré pour l’apparence, tendance à voir le Ce pourrait être, qui sait, l’objet d’un futur espèces : la souris, le loup et l’homme. Là où,
cynique, retors et dénué de tout scrupule, monde comme une arène où afficher sa puis­ ouvrage ? Mon livre compte pourtant une chez les autres mammifères, les voies métabo­
malgré son allure débonnaire, il était surtout sance et sa gloire… Là encore, le constat était exception notable : j’y mentionne le cas de liques associées à la réparation de l’ADN, à
hanté par l’idée de sa propre mort. connu, mais j’en montre d’éclatants exemples. notre actuel président de la république. Où l’immunité, à l’autophagie (nettoyage et recy­
Un des plus frappants est celui de Jules César. vous découvrirez comment le couple Macron clage des cellules) ou à la suppression des
Comment prévenir les désastres liés a pu se former sur une base qui n’est pas sans tumeurs faiblissent avec l’âge, celles du grand
aux délires de ces despotes ? Venons­en maintenant à quelques cas évoquer… l’union du mâle alpha et de la murin demeurent intactes.
Dans l’idéal, il faudrait rendre obligatoire un particuliers. Churchill, tout d’abord… femelle alpha, dans une espèce de mammifè­ En étudiant cette fois les micro­ARN, des mé­
examen psychiatrique préliminaire, par un Son diagnostic de trouble bipolaire n’est pas res bien connue de l’homme, qui vit tradition­ diateurs de la régulation de l’expression des gè­
expert assermenté, de tous ceux qui souhai­ un scoop. Dans cette maladie, le patient alterne nellement en meute. nes, les biologistes ont eu confirmation de ces
tent exercer la magistrature suprême. Une des phases d’exaltation créatrice et de noire résultats. Ainsi, non seulement les micro­ARN
proposition peu réaliste, il est vrai. On ne don­ dépression – une plongée dans des abîmes que Et Vladimir Poutine, ou Donald Trump ? liés à la suppression des tumeurs augmentent
nerait pas cher, en effet, de la peau de cet Churchill nommait son black dog (« chien Aux Etats­Unis, le cas de Donald Trump sus­ avec l’âge, mais ceux favorables à la carcinoge­
imprudent expert… noir »). Ce qui est bien moins connu, c’est l’exis­ cite un âpre débat. Certains croient lire en lui nèse, un mécanisme de formation des cancers,
tence, chez le Vieux Lion, d’un très probable tous les symptômes d’un trouble de la person­ diminuent dans le temps chez le grand murin.
Et ceux qui ont régné, guerroyé, prêché syndrome d’apnées du sommeil, cette suite nalité antisociale. D’autres jugent qu’il est une De quoi expliquer chez lui l’absence totale de
au plus haut niveau, sans être pour autant d’interruptions incontrôlées de la respiration personnalité narcissique de première classe, cette pathologie. Pour asseoir encore la dé­
des tyrans patentés ? Souffraient­ils aussi de lors du sommeil, qui entraîne somnolences sans qu’il souffre pour autant d’un trouble monstration, les chercheurs irlandais ont mo­
fragilités psychiques plus ou moins cachées ? diurnes, difficultés de concentration ou de mé­ mental. Pour ma part, je le vois plutôt comme difié génétiquement des souris en s’inspirant
Plus j’ai avancé dans cet étrange projet de moire, mais aussi accidents cardio­vasculaires. un être impulsif, complètement mythomane. des résultats trouvés sur la chauve­souris : les
livre, plus j’en suis venu à me demander s’il Syndrome d’apnées du sommeil : tel est aussi Je voudrais conclure… en me contredisant, rongeurs ont vu leur longévité augmenter.
existe des dirigeants réellement équilibrés. le diagnostic que je porte chez un autre bipo­ d’une certaine façon. Il me semble en effet Derrière les murins pointent évidemment
Premier constat : sur ces dix­neuf personna­ laire de légende, Napoléon. Ce syndrome pour­ possible, dans certaines démocraties, d’exer­ les humains. « Ces résultats ouvrent de nouvel­
ges, seuls deux m’ont paru exempts de mala­ rait expliquer, chez ce génie militaire vieillis­ cer le pouvoir sans souffrir de dépendance, de les perspectives et identifient de nouvelles cibles
die psychique. L’un d’eux est de Gaulle. Si sant, des erreurs aussi monumentales que la phobie, de trouble bipolaire, ni sans être trau­ pour combattre le vieillissement », se réjouit Sé­
haute qu’ait été son idée de lui­même, elle s’ef­ campagne de Russie. matisé, impulsif, délirant ou mégalomane. La bastien Puechmaille. Ils offrent une leçon plus
façait toujours devant sa conception glorieuse Suisse et certains pays d’Europe du Nord mon­ fondamentale encore pour la science en mon­
de la patrie. Reste que deux sur dix­neuf, c’est Et Dieu dans tout ça ? Vous envisagez trent ici l’exemple : nul besoin d’être narcissi­ trant le parti à tirer de l’étude non pas d’espèces
bien peu. Mais peut­on être « normal » quand même un diagnostic pour Yahvé… que pour être président en Suisse, puisque modèles, telles les souris, mais d’animaux ex­
il s’agit de conquérir et d’exercer de tels pou­ d’après la lecture de la Bible. Il fallait oser ! (presque) personne ne vous connaît !  traordinaires. L’exception plutôt que la règle. 
voirs, par essence supranormaux ? Yahvé, tel que décrit dans l’Ancien Testa­ propos recueillis par florence rosier nathaniel herzberg

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