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MME Lita Lundquist

Noms, verbes et anaphores (in)fidèles. Pourquoi les Danois sont


plus fidèles que les Français ?
In: Langue française. N°145, 2005. pp. 73-91.

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Lundquist Lita. Noms, verbes et anaphores (in)fidèles. Pourquoi les Danois sont plus fidèles que les Français ?. In: Langue
française. N°145, 2005. pp. 73-91.

doi : 10.3406/lfr.2005.6627

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/lfr_0023-8368_2005_num_145_1_6627
Lita Lundquist
École des Hautes Études Commerciales de Copenhague

Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

Pourquoi les Danois sont plus fidèles

que les Français

I. INTRODUCTION

U est difficile de s'imaginer qu'il y ait texte sans qu'il y ait anaphore,
l'anaphorisation constituant un lien cohésif clé des textes. Or, le danois et le
français, les deux langues qui sont au centre de nos préoccupations dans cet
article, choisissent, bien que disposant, grosso modo, des mêmes formes de
reprise anaphorique nominale, des stratégies anaphoriques différentes, le
danois montrant une prédilection pour les anaphores fidèles, et le français
pour les anaphores infidèles.

Le plus souvent, cette différence de textualisation est attribuée à des


normes rhétoriques et stylistiques qui diffèrent dans les deux cultures (Korzen
& Lundquist 2003), normes disant en français de varier les renvois anaphori ¬
ques dans un texte afin de faire beau et intéressant (« la loi de variété »,
Corblin 1995: 195), et en danois de répéter afin d'être clair et univoque.

11 se peut, cependant, qu'il y ait aussi une explication linguistique à cette


différence, explication à chercher dans des différences typologiques entre les
deux langues. Du moins, c'est cela que nous allons essayer de défendre ici,
espérant montrer qu'une analyse contrastive de l'anaphore infidèle entre ces
deux langues appartenant à des familles différentes, le danois aux langues
germaniques, le français aux langues romanes, voire à des types de langues
différents, le danois aux langues endocentriques, le français aux langues
exocentriques (voir infra), pourra mettre au jour des caractéristiques inédites
de l'anaphore infidèle.

LANGUE FRANÇAISE l<$ 73


Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

1. L'ANAPHORE INFIDÈLE

L'anaphore infidèle, qui - rappelons- le - se constitue d'un syntagme


nominal défini ou démonstratif dont le noyau lexical varie par rapport à
l'antécédent tout en maintenant une relation d'identité avec son réfèrent, est
extrêmement fréquente en français. Surtout dans les constructions à antécé ¬
dent nom propre repris par une anaphore- sujet, sur lesquelles nous nous
concentrerons ici. En effet, les exemples abondent en français, surtout dans les
articles de journaux, genre « reportage-portrait», comme en 0)-(3):
1. Luc. Ferry pour une autonomie des universités. [...] L'annonce de cette
réforme!...] tombe à pic pour redonner du crédit à un ministre accusé de
préférer le verbe à l'action. En un an, le philosophe de ln rue de Grenelle n'est
pas parvenu à s'imposer. . .
2. « Suivez- moi, je ne vais pas vous tromper», avait promis Carlos Menem en
arrivant au pouvoir en juillet 1989. Le caudillo péronistc de La Rioja (Nord)
avait pourtant très vite troqué ses promesses populistes... |...] Ce péronistc
version rouflaquettes, costumes cintrés et Ferrari, se représentait et était arrivé
en tête du premier tour du scrutin...
3. Qui est Nestor Kirclmer? Le gouverneur de la lointaine ei riche province pétro¬
lière de Santa Cruz (Patagonie) reste un mystère. [...] Ce patngon de 53 ans est
apparu sur la scène électorale [...] [ Le programme] de ce poulain sans
charisme reste flou [ . . .]

Les syntagmes nominaux, SN, apparaissant dans le rôle d'anaphore dans ces
trois extraits de textes, sont tantôt des SN définis (le philosophe de la rue rie
Grenelle, Le caudillo péronistc de La Rioja (Nord), Le gouverneur rie la lointaine et
riche province pétrolière rie Santa Cruz (Patagonie)), tantôt des SN démonstratifs
(Ce péronistc version rouflaquettes, costumes cintrés et Ferrari, Ce patngon rie
53 ans, ce poulain sans charisme). Nous les considérons ici, nonobstant le type
de déterminant, comme des anaphores infidèles, étant donné qu'ils apportent
tous, de par la reformulation lexicale du N et par l'ajout d'éventuels complé ¬
ments, des caractéristiques nouvelles au réfèrent discursif. Nous suivons par
là Le Pesant (1998: 4): « Le déterminant de l'anaphore infidèle est soit l'article
défini, soit l'adjectif démonstratif. Suivant la forme du déterminant, on
parlera d'anaphore infidèle définie ou d'anaphore infidèle démonstrative». Nous
n'entamerons pas, pour l'instant, la discussion sur la différence sémantique
entre le déterminant défini et le déterminant démonstratif, bien que le premier
effectue, selon Corblin (1987, 1995), une mise en contraste externe (le philosophe
étant opposé aux non- philosophes), et le second une mise en contraste interne
(ce philosophe étant opposé aux autres philosophes).

Ce qui caractérise encore les six occurrences d'anaphore infidèle ci-


dessus,
c'est qu'elles constituent des SN pleins: article + N + compléments, appelés
pour les SNdéf des descriptions définies, et pour les SNdém des descriptions
démonstratives. En réalité, l'infidélité de l'anaphore ne se produit que dans
l'emploi des SNdéf, lesquels, de par leur autonomie sémantique et référentielle,

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Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

pourraient référer à une autre entité discursive, voire introduire une entité
nouvelle, présente dans le contexte mental et/ ou physique, mais pas nécessaire¬
ment dans le contexte textuel. Cela n'est pas le cas pour les SNdém, qui, de par
l'article démonstratif justement, s'ancrent dans le contexte discursif proche et
immédiat, revêtant par là un caractère de fidélité.

Autre différence entre le SNdéf et le SNdém apparaissant dans le rôle


d'anaphore, c'est la question de savoir s'il s'agil vraiment d'anaphore! Si l'on
s'en tient, comme Corblin (1995), à une conception restreinte de l'anaphore
comme devant exiger un antécédent pour être interprétée, le SNdéf n'est pas,

et encore
rique,
démonstratif
tandis
en que
raison
nousledit
SNdém
dedeson
chercher
l'est:
autonomie
bien
un réfèrent
qu'autonome
sémantique
dans la
sémantiquement,
et proximité
référentielle,
contextuelle,
anapho
l'article¬

ce qui revient à identifier un co-


référent en amont ou en aval.

Comme l'objectif de la présente étude est de comparer l'emploi de refor¬


mulations nominales dans les séquences de co- référence des textes français et
danois, nous regroupons néanmoins ici les deux types sous l'étiquette
d'anaphores infidèles, afin de pouvoir cerner leur fonctionnement différent
dans les deux langues - et les deux types de langues - et de nous approcher
d'une explication linguistique.

Z.l. Emploi et fréquence de l'anaphore infidèle


dans des textes danois et français

11 a souvent été signalé, d'une part comme une impression intuitive,


d'autre part comme un fait appuyé par des analyses détaillées, la plupart
stylistiques
est beaucoup mais
plusd'autres
répandu
linguistiques,
en français que
qu'en
l'emploi
danois,
de etl'anaphore
dans les langues
infidèle

romanes
(Skytte & en
Korzen
général
2000comparées
: 536) a j"elevé,
aux dans
langues
une germaniques.
étude sur un corpus
Ainsi, se
1. compo
Korzen
¬
sant de textes italiens et danois, que les textes (écrits) italiens comportent 40 %
d'anaphores infidèles contre 10 % dans les textes (écrits) danois1, c'est- à-dire
qu'il y a quatre fois plus d'anaphores infidèles en italien. La même tendance,
mais encore plus accentuée, se déduit d'un petit échantillon de deux textes
français et de deux textes danois, produits dans des conditions identiques, à
savoir sur le même sujet politique (l'élection présidentielle en Argentine, mai
2003), à égale distance des deux cultures européennes, et dans des médias
semblables: les journaux Le Momie et Information. En ce qui concerne l'enchaî ¬
nement textuel, les quatre textes se concentrent sur l'un des deux candidats
argentins (Carlos Mènent ou Nestor Kirchner), érigé en réfèrent discursif prin ¬
cipal et porteur de la chaîne principale de co- référence de chaque texte. Les

italien
1. Danscontre
les « 6textes
% en parlés»
danois. dans les deux langues, c'est la moitié environ, c'est-àd
-ire IS % en

. AKGUE FRANÇAISE Kl 75
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

1 1. Pionersonnen Nestor Kirchner


pionnier-fils-DÉF Nestor Kirchner
12. Argentinas konintende président Nestor Kirchner
Argentine-GÉN futur président Nestor Kirchner
13. Provinspolitikeren Nestor Kirchner
province-politicien-DÉF Nestor Kirchner

14. Dennouveau-
Le nygifte Kirchner
marié Kirchner

Ces constructions ont ceci de particulier qu'elles renomment et re-


catégorisent

un réfèrent
pourrait
description
définir
discursif
ou comme
ces constructions
tout
desenanaphores
maintenant
comme
infidèles
son des
identité
avec
anaphoi-
ancrage
par eles fidèles
nom
ou désignation
propre.
avec On
re¬

explicite du réfèrent. Quoi qu'il en soit, ces expressions anaphoriques, de la


même fréquence grosso modo en danois que les anaphores infidèles en français,
témoignent de la « règle de non- variance» en danois disant d'être clair et non
ambigu en ce qui concerne les expressions anaphoriques.
En termes de modèle mental (Johnson-Laird 1983, Garnham 2001), l'opéra¬
tion cognitive liée à cette construction en danois consiste à assigner une prédi¬
cation secondaire nouvelle, véhiculée par les modificateurs précédant le NPr,
à un réfèrent discursif déjà présent et facilement repérable par la répétition du
nom propre. L'opération mentale exigée pour interpréter l'anaphore infidèle,
par contre, consiste à déterminer si les éléments descriptifs identifient un réfè ¬
rent discursif déjà présent ou s'il faut en ériger un nouveau.
La construction danoise article défini + modificateur(s) + nom + NPr n'est pas
possible en français, où un NPr se spécifie par une apposition ou par une relative:
1 3'. Nestor Kirchner, politicien de province.. .
11'. Nestor Kircher, qui est fils de pionnier.. .

Mais pourquoi choisir une telle construction quand une construction plus
élégante et économique, à savoir l'anaphore infidèle, se présente, et cela
surtout dans les langues romanes comme le français qui par ses caractéristi¬
ques lexicales et syntaxiques invitent à utiliser largement l'anaphore infidèle
dont l'interprétation ne pose pas de problèmes?

2.2. La traduction de l'anaphore infidèle du français en danois

Une traduction directe en danois des anaphores infidèles des textes fran ¬
çais en (l)-(3) produirait des expressions danoises perçues comme mal
formées dans l' enchaînement textuel :
la. Luc Ferry (er) for universiteterites selvstyre. L...]??Pâ et âr er det ikke
lykkedes filosoffcn fra rue dc Grenelle at seette sig igennem.. .
2a. « Fslg ntig, jeg vil ikke svigte jer», lovede Carlos Mènent, da han kom til
magten i juli 1989. VDen peronisliske hxrfarer fra La Rioja (Nord) fik dog
hurtigt borttusket sine populistiske valglofter [...] IDenne peronist mai

LANGUE FRANÇAISE Uï 77
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques ei contrastives

bakkenbarter, i figursyel loj og Ferrari |...] stillede op til ferste valgrunde og


vandt den I...]

3a. Hvem er
(Patagonicn)
Nestor Kirchner
er et mysterium.
? " Guzvrimren
[...]fra
'Demie
den fjcrne
53- nrige
og rige
patagonier
Sauta Cruz
optrâdte
olieproz'ins
pâ valgscenen [...] 7Dcniie ukarismatiske protégé har et program uden
konturer..
.
Les anaphores infidèles danoises à article défini paraissent mal formées parce
qu'elles induiraient facilement pour le lecteur danois une lecture non co-référentielle,
démonstratif
c'est-
sont,
à-dire
de disjointe,
leur côté, des
mal deux
formées
SN. parce
Les anaphores
qu'elles marquent
infidèles àdes
l'article
tran ¬

sitions ou des ruptures, trop proches et répétées, par rapport à ce qui précède.

Les deux types d'anaphore infidèle sont donc trop marqués dans la chaîne
co-référentielle en danois, fait qui justement a retenu notre attention, et que
nous allons éclaircir par des explications linguistiques en recourant d'une part
à des critères lexico-synlaxiques (section 3), d'autre part à des principes prag ¬
matiques (section 6).

Cette brève présentation de l'emploi de l'anaphore (in)fidèle aura suffi à


illustrer la prédilection du danois pour les fidèles et celle du français pour les
infidèles. Fait qui - comme nous le montrerons ci- dessous - prend son origine
dans des différences lexicales et syntaxiques entre les deux langues et qui
mène à des différences d'interprétation de l'anaphore infidèle.

3. DIFFERENCES TYPOLOGIQUES ENTRE LE DANOIS ET LE FRANÇAIS

Les exemples (l)-(7) montrent que le français présente dans ses expressions
anaphoriques plus de contenu sémantique que les expressions choisies en
danois. En fait, les anaphores infidèles présentent des paquets, et parfois de
gros paquets, de contenu sémantique nouveau par rapport aux anaphores
fidèles qui n'en présentent pas du tout. « En revanche», le français fait
l'économie d'une prédication, celle qui aurait consisté, et qui en danois
consiste,
dèle. En (15)
à appliquer
et (16), exemples
au réfèrent
authentiques2,
la propriétél'une
désignée
des deux
par l'expression
propriétés prédiquées
infi ¬

par deux formes verbales finies en danois se trouve en fait hypostnsiée


(cf. « hypostatization of second and third order entities in first order entities».
Lyons 1977: 455, 657) dans l'anaphore infidèle en français (dont le réfèrent est
identique à celui du NPr Kirchner du texte précédent) :
15. Kirchner [...] (1) har skabt sig et ry som en effektiv administrator, men en
kedelig politiker, i de 10 âr, (2) han har bestridt posten som provinsguvernor
i den sydargentinske provins Santa Cruz. (Information 23 mai, 2003)

2. Et nous
que provenant
n'avonsprobablement
malheureusement
de la pas
mêmepu vérifier).
source, c'est-àd
-ire de la même agence de presse (ce

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Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

16. (2) Le gouverneur de la province pétrolière de Santa Cruz, en Patagonie, (1) est
considéré comme bon gestionnaire sans charisme. (Le Monde 23 mai, 2003)

Là où le danois utilise plusieurs prédications primaires pour apporter du


nouveau de
permet surdire
le réfèrent
du nouveau
désigné par
fidèlement
la prédication
(ici par un
seconde
nom propre),
contenue
le français
dans

l'anaphore infidèle3.
Cette possibilité qu'a le français de concentrer beaucoup de contenu lexical
dans les SN et de faire l'économie de verbes (finis) versus la préférence du
danois
« pleines»
pourestdes
en fait
SN une
« vides»
des caractéristiques
dans des structures
des différences
syntaxiques
plus prédicatives
générales et
typologiques entre les deux langues. Qui plus est, c'est une différence qui
génère d'autres différences, systématiques et prévisibles, lesquelles - nous le
postulons - concourent aussi à faciliter l'accès à l'anaphore infidèle en fran ¬
çais, par comparaison au danois. Nous essayerons, par la suite, de cerner
quelques-unes de ces caractéristiques.

3.1. La lexicalisation: le nom et le verbe

Nous avons dans un projet de recherche danois sur « Les aspects linguisti ¬
ques de la traduction» (Herslund [dir.] 2003) constaté qu'il y a des différences
systématiques entre le danois et le français (et les autres langues romanes) au
niveau de la lexicalisation des noms et des verbes, différences qui se répercu ¬
tent jusqu'au niveau de la syntaxe et de la textualisation. En effet, il s'avère,
par une
2003) queanalyse
la lexicalisation
des noms des
« basiques»
noms français
(Rosch
s'opère
et al. 1976,
à un niveau
Kleiber plus
1990,concret
Baron

que celle des noms danois qui sont plus abstraits et par conséquent plus vides
de contenu. C'est le cas par exemple pour la lexicalisation des artefacts, où un
lexème danois couvre toute une série de lexèmes français, co- hyponyntes par
rapport à l'hyperonyme danois (Baron 2003, Lundquist 2002, 2003) :
kande (cruche, broc, pichet, pot.. . |
stol {chaise, fauteuil, stalle, chaire, tribune.. . !
banc (court, piste, champ, terrain, couloir.. . 1
Le danois ne lexicalisé dans ces monosèmes qu'un seul trait sémantique:
FONCTION - qui encore est très abstrait - là où le français est plus concret en
lexicalisant les traits sémantiques de FORME, MATIÈRE, etc., bref les traits de
CONFIGURATION en termes de qualia (Pustejovsky 1995) 4.

3.liste
Voir
» enHerslund
« celui qui
(dir.)
est journaliste».
1997: 136 qui propose une analyse sémantique possible de « le journa¬
4. 11 est possible, évidemment, en danois, de préciser au même degré qu'en français, mais cela se
fait par une composition nominale où l'hyperonyme fonctionne comme noyau: leiniis-banc,
fodbold-bane, skojle-bnne, etc.

LANGUE FRANÇAISE 1 4 5 79
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

La lexicalisation des verbes montre une situation inverse. Une analyse des
verbes de mouvement, par exemple, révèle que là ce sont les lexèmes danois
qui portent le plus de contenu sémantique par le fait que les verbes prototypi ¬
ques lexicalisent toujours le trait MANIERE: on ne peut pas « aller» en
danois sans dire comment on « va». Ainsi à aller à pied correspond gri, à aller à
vélo cykle, à aller à cheval ride, et ainsi de suite. De même, on ne peut pas mettre
le livre, le verre ou le vase sur la table indifféremment de l'objet direct en
question, puisque ces objets ne se « mettent» pas de la même manière: on
Ixgger bogen, stiller glasset, setter zmsen.
mettre Uxgge, stille, sxtte, puttc.. . I

11 semble donc qu'il y ait une sorte de complémentarité entre le nom et le


verbe (Herslund 2000), de sorte que le poids informatif balance vers le nom ou

Ltien
la
Baron
phrase
vers
ce volume)
le
dans
vérité,
les: cedeux
qui langues
donne la (Herslund
physionomie
2000,
suivante
Baronà 2003,
la construction
Herslund de&

| NOM | verbe 1 NOM |

-c

gique
contrebalancée
formes
la
coup
trans-
çais
faisant
les
tion
prédication
sujet
80
Lesdernière
phrase,
exocentrique,
endocentrique.
Or,
restrictions
17.
17a.
17'.
3.2.
formes
images
de
parataxique
grammatical:
plus
pet
Danois:
Français:
hrastique
cette
l'économie
et
hiérarchiser
Morphologie
justifient
syntaxique.
Otant
Han
Il
modes
non-
restrictive.
est
enleva
du
et
complète
différence
tog
inexistante
du
imposées
français
sa
alors
f
par
inies:
des
slips
verbaux.
cravate
sa
danois
des
du
de
une
cravate
les
et
que
propositions.
En
og
Cette
sujet
dire
infinitif,
et
informations;
sub-/
avec
lexicale
richesse
propositions
et
jakke
aux
«fait,
le
avec
en
son
expliquée»
Ce
et
que
grammatical;
co-
danois
différence
l'armature
autres
danois,
son
af
la
veston,
qui
ole
participes
rdination
og
le
alégèreté
morphologique
veston
verbe
des
nous
0français
Les
formes
est
et
kastede
il-VERBE
conséquences
c'est-
importe
se
les
(Wilmet
et
en
de
un
formes
comme
intéresse
jeta
0
sémantique
présent
en
autres
satellites,
la
représentant
non-
se
à
appartient
sig
sur
phrase
danois,
jeta
d
-non-
ire
pa
pour
f
centre
1998:
son
en
inies
employées
particulièrement
et
sur
sin
une
ce
fpassé,
lit
échafaudée
àinies
son
l'absence
seng.
aux
la
favorisent
des
qui
l'arrière-
607)
«structuration
structuration
aux
lit.
orchestrateur
des
niveaux
permettent
concerne
verbes
et
des
de
langues
le
langues
ele
p
gérondif,
manière
propriétés
une
par
lan
français
gérondif,
morpholo
ici,
les
les
- intra-et
linéarisa
de
en
de
avec
tout
ce
»temps,
nomsarguments,
beau
de
fran
type
dont
type
sontest
du
enla
et
la¬¬
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

Nous percevons dans la « désententialisation» de la construction participiale


française avec « dé- subjectivisation» (1. Korzen 2000: 68; 2003: 99-100) le
premier pas vers la grammaticalisation de relations textuelles que nous
voyons exploitée à l'extrême dans l'anaphore infidèle.

3.3. Les constructions détachées


Apparaissant souvent à cheval entre deux phrases, les constructions nonfinies
sont assignées à fonctionner comme propositions intermédiaires entre
des phrases principales. C'est ce que Combettes (1998a, 1998b) a exposé dans
sa théorie des constructions détachées, les « CD ». Regroupant sous cette
étiquette appositions, « épithètes détachées», gérondifs et constructions abso ¬
lues, Combettes souligne, en mettant en avant les aspects diachroniques, leur
caractère de transition « dynamique» et communicationnelle inter-propositionnelle
:
« ...parler d'une structure: CD + Sujet + SV est relativement simplificateur. 11
semblerait préférable, pour ce type de CD, de considérer que le constituant
"" détaché" fonctionne, durant toute une période de l'histoire du français, connue
une sorte de transition, de passage, entre deux propositions, dans une progres¬
sion discursive: Pl + CD + P2.» (Combettes 199Sb: 130. C'est nous qui souli ¬
gnons).
La CD est caractérisée par deux traits fondamentaux: présence d'une
prédication seconde et nécessité d'une co-
référence avec une autre expression.
Pour le premier, Combettes avance que:
« la CD introduit dans l'énoncé une nouvelle structure prédicative, réduite
certes, qui ne pourrait fonctionner seule, mais qui établit avec un sujet une rela ¬
tion identique à celle d'une prédication complète» (Combettes 1998a: 12).

Ce qui entraîne une relation de co-


référence entre la CD et une entité d'une
prédication première:
« La CD, en tant que proposition réduite, sous-entend obligatoirement un réfè ¬
rent qui serait représenté par le groupe sujet dans une proposition complète»
(ib. 13).
La co-référence dans cette construction « intermédiaire» entre le « sujet sousjacent
et un réfèrent recouvert par une expression située en principe dans la
phrase» (ib. 13) peut aller dans les deux sens5, vers le sujet de la phrase hôte,
tout comme vers un antécédent d'une phrase antérieure:
« Celte construction apparaît nettement comme un prolongement du contexte
antérieur: elle renvoie, de façon systématique, à un réfèrent nommé, déjà
évoqué dans la proposition qui la précède» (Combettes 1998b: 131).

5. D'où son fonctionnement dynamique à cheval entre thème et rhème: « La valeur de prédica ¬
tion seconde de la CD, étroitement liée à celle de rhème (ou de thème secondaire) » (Combettes
1998a: 69).

.ANGU E FRANÇAISE KJ 8I
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

Ces deux caractéristiques de la CD en français: « présence de la prédication


seconde, nécessité de la co-référence avec une autre expression» (Combettes
1998a: 14), s'accordent avec celles de l'anaphore infidèle, sauf que celle- ci
n'est pas une construction détachée, mais intégrée à la phrase et liée gramma¬
ticalement en tant que sujet. Ce qui s'illustre en changeant la formule
'P1+ CD+ P2' de Combettes (voir supra), en "Pl+ P2( sujet anaphore infidèle)'.
Nous y voyons un effet de grammaticalisation, laquelle consiste justement à
intégrer un élément détaché dans une construction grammaticale liée, ce qui
rejoint la définition de la grammaticalisation que donne entre autres
Combettes:

des
« grammaticalisation
tiellement
cadres par
syntaxiques
des facteurs
: une
plus pragmatiques,
construction
ou moins stricts»
à informationnels,
valeur
(Combettes
textuelle,1998a:
doit
commandée
se40).
mouleressen
dans¬

Parmi les CD figurent aussi les constructions nominales (ib. 25) : Secrétaire rie
mairie, X a beaucoup rie travail, dites « attributs indirects», « attributs libres» ou
« prédications libres» dans la tradition danoise (H. Korzen 2000b, 2002, ce
volume). Examinons ces attributs indirects de plus près, étant donné qu'il
semble s'y
textuels en français.
produire encore un pas vers la grammaticalisation des rapports

3.4. L'attribut indirect

En danois, les attributs indirects sont peu fréquents, et les attributs indi¬
rects se composant de noms comme en (18)-(20) sont carrément impossibles
(H. Korzen 2002 et ce volume) :
1 8. Travailleur méthodique, Dupont augmentait sa clientèle.
1 Sa. * Metodisk arbejder fik (verbe fini) Dupont kundekredsen til at vokse. "
19. Juriste, Inigo Mendez est depuis "1999 titulaire de la chaire Jean-Monnet.
19a. * Jurisl fik (verbe fini) I.M. i 1999 Jean-Monnet-professoratel.
20. Parisien de naissance, François Dugas connaît la ville par c• ur.
20a. * Indf0dt pariser kender (verbe fini) F.D. byen ud og ind.
Pour traduire de tels attributs indirects français en danois, il faut avoir recours
à des de
reste phrases
la phrase:
complètes, explicitant la relation entre l'attribut indirect et le

1 Sa'. Eftersoin/ Dn han gik metodisk til vxrks, fik Dupont kundekredsen til at vokse.
18'. clientèle.
Comme/ Etant donné qu'il travaillait méthodiquement, augmentait Dupont la

19a'. Soinfl sin egenskab afjurist fik lnigo Mendez i 1999 Jean-Monnet professoratet.
19'. En tant que juriste/Dans sa qualité de juriste obtint lnigo Mendez la chaire
lean-Monnet.

6. L'antéposition d'un complément provoque l'inversion du sujet en danois (voir aussi 3.5).

82
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

20a'. çois
Di? han
Dugas
er fodtbyen
i Pnris/
ud Dn
og han
ind./
cr iudfodt
François
fiariscr/
Dugas,Somsom
indfodi
er iudfodt
pariser,pariser,
kenderkender
Fran ¬
byen ud og ind.
20'. Comme il est né à PnrisjCoinme il est Parisien de naissance/ En tant que Parisien de
naissance, connaît François Dugas la ville
Une explication de cette impossibilité en danois de détacher un attribut indi ¬
rect nominal pour l'attacher au sujet grammatical se trouve sans doute dans la
résistance à des SN lourds en général, mais peut- être plus dans les règles
régissant l'ordre des mots à l'intérieur de la phrase danoise, ordre avec des
positions très strictement grantntaticalisées.

3.5. L'ordre des mots


La phrase danoise est rigidement structurée, jusqu'à former « a tight-knil,
phrase-like topological organisation with slols pre-reserved for the différent
GRs (grammatical relations) and adjuncts» (Herslund 2002: 103).
Plus particulièrement, le danois est une langue « V 2 », ce qui veut dire
que la position seconde dans une phrase indépendante est toujours occupée
par le verbe fini, ou en d'autres mots, qu'un seul constituant peut précéder le
verbe fini (Herslund 2002: 95).
Cela revient à dire que la séquence française avec un nom, attribut indirect
(relation grammaticale, RG1) précédant le sujet (RG2) comme dans la figure
ci-
dessous, est interdite en danois:
Français: SNRG1, SNRG2 VpoJ?
Danois: " SN^, SNRG2 Vpils?
Nous pensons que cette contrainte sévère sur l'ordre des mots en danois
explique l'impossibilité d'avoir un SN dans le rôle d'attribut indirect au sujet
dans celle langue.

4. LA GRAMMATICALISATION DE L'ANAPHORE INFIDÈLE EN FRANÇAIS

Nous arguons donc que l'accessibilité immédiate en français de noms


pleins, offerte par les attributs indirects détachés de la phrase mais attachés
au sujet, constitue un tremplin actif vers la grammaticalisation de l'anaphore
infidèle.
18. Travailleur méthodique, Dupont augmentait sa clientèle.
18b. Dupont était depuis 1980 gérant de l'entreprise. Ce travailleur méthodique en
augmentait la clientèle.
19. Juriste, lnigo Mendez est depuis 1 999 titulaire de la chaire Jean-Monnet.
19b. Tous les jours, lnigo Mendez envoie une chronique au quotidien conserva ¬
teur espagnol ABC. Ci' juriste est depuis 1999 titulaire de la chaire Jean-
Monnet.

IANUE FRANÇAISE KS 83
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

20. Parisien de naissance, François Dugas connaît la ville par cur.


20b. François Dugas veut embellir la capitale. Ce Parisien de naissance connaît la
ville par caur.

Pour finir, un exemple authentique de SN en position d'attributs indirects


(21) qui sont grammaticalisables en anaphores infidèles (21') :

21. M. Kirchner
tions. ... Dauphin
accède...
du président
à la présidence
sortant, péronistc
argentine
peu dans
connudeet mauvaises
sans charisme,
condi
il ¬a
promis de s'attaquer en priorité à la pauvreté. (Le Monde, 16 mai 2003).
21'. M. Kirchner accède... à la présidence argentine dans de mauvaises condi ¬
tions. Le dauphin du président sortant el péronistc peu connu el sans charisme/ Ce
dauphin du président sortant el péronistc peu connu et sans charisme a promis de
s'attaquer en priorité à la pauvreté.
Cette possibilité de grammaticaliser des attributs indirects nominaux en
anaphores infidèles n'existe pas en danois, ce qui explique, sans doute,
l'emploi beaucoup plus restreint de cette forme de reprise dans les textes
danois.

5. ANAPHORE INFIDÈLE ET RELATIONS RHÉTORIQUES

Dans les exemples (18')-(20'), nous avons vu explicitée dans les traductions
danoises, par des conjonctions du type parce que, étant donné que, etc., la rela¬
tion implicite établie entre la prédication seconde de l'attribut indirect et la
prédication primaire de la phrase française. C'est là une troisième caractéris ¬
tique des constructions détachées qui vaut aussi pour l'anaphore infidèle, à
savoir les liens logiques qui s'établissent entre la prédication seconde et la
prédication primaire. Combettes parle de « rapports de sens», souvent quali ¬
fiés de « circonstanciels»... (causalité, hypothèse, concession, opposition)
(Combettes 1998b: 133), et H. Korzen de constructions « établissant des rela¬
tions» temporelles et/ou logiques (2002: 76). 11 ressort des études contras¬
tives de H. Korzen sur les attributs indirects en français et en danois que les
attributs établissant des relations temporelles et/ ou logiques (comme en (22))
sont extrêmement rares en danois, contrairement aux attributs indirects « de
description» (23) qui existent et s'utilisent sans problème en danois comme en
français:

22. Petite,H.cette
dans Korzen
main
1 999
devait
: 20) appartenir à un enfant. (Pedersen et ni. 19S0:39,

22a. * Lille ntâtte demie hând nok tilhore et bani.


22b. Da hânden var lille, ntâtte den nok tilhore et barn.
i Ivre-mort, Dupont descendait le Boulevard des Italiens. (H. Korzen 1999: 6)
23a. Fuld som en allike vaklede lensen ned ad Stroeet.
Cet effet de construction d'une relation interprétative entre attribut indi ¬
rect, c'est-
à-dire prédication seconde, et prédication primaire, se retrouve

84
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

également dans les constructions avec anaphore infidèle, dans lesquelles


s'établit une relation logique entre le contenu sémantique de l'anaphore

sujet et la
l'exemple (18):
prédication
une négationprimaire
de la phrase
de hôte
la phrase
((
18'") ci-
hôte.
dessous)
Reprenons
modifie
complètement la relation « rhétorique» (Thompson & Mann 1988) entre
anaphore et prédication; in casu, on passe d'une relation de causalité
(rionc), à une relation d'opposition (pourtant pas), qu'il faut, en danois, expli ¬
citer par une conjonction appropriée.
18'". Dupont
n'en augmentait
était depuis
pas la19S0
clientèle.
gérant de l'entreprise. Ce travailleur méthodique

18a'". Dupont overtog i 1980 ledelsen af firniaet. Selv oui han gik metodisk til
VKrks, fik han ikke kundekredsen til at vokse.
18"". Dupont était depuis 1980 gérant de l'entreprise. Bien qu'il fût un travailleur
méthodique, il n'en augmentait pas la clientèle.

L'anaphore infidèle semble donc être la manière la plus économe de


condenser
tionnels, tout
du encontenu
suggérant
propositionnel,
une relation logique
voire deentre
lier ces
deuxcontenus:
contenus proposi ¬

1. Dupont est un travailleur méthodique + 2. Dupont augmente sa clientèle


(relation: donc).
2. Dupont est un travailleur méthodique + 2. Dupont n'augmente pas sa clien ¬
tèle (relation: pourtant pas).

Cette imbrication de deux (ou plusieurs) contenus propositionnels en français


constitue, nous l'avons vu ci- dessus, un procédé de grammaticalisation
typique
aux langues
des relations
endocentriques
textuelles
comme
dans le
lesdanois
langues
qui
exocentriques,
préfèrent descontrairement
progressions

textuelles linéaires (1. Korzen 2000, 2003) sans structuration grammaticale.


Avec l'anaphore infidèle on peut dire que le processus de condensation
typique des langues exocentriques a atteint son niveau maximum d'hypostasiation,
et la grammaticalisation ses limites ultimes.

6. L'INTERPRÉTATION DE L'ANAPHORE INFIDÈLE EN DANOIS ET EN FRANÇAIS

Tout en étant d'un emploi rare en danois, l'anaphore infidèle n'en existe
pas moins dans cette langue. Or, vu que son emploi est plus fréquent et que sa
grammaticalisation est plus avancée en français, il serait intéressant d'étudier
de plus près s'il y a une différence dans l'interprétation que donnent Danois
et Français, respectivement, de l'anaphore infidèle.
On pourrait émettre l'hypothèse que l'emploi de l'anaphore infidèle étant
plus rare en danois qu'en français, l'emploi danois serait plus marqué. En
utilisant ce ternie, nous nous inspirons de Levinson (1987), qui dans son trai ¬
tement des paradigmes d'expressions co- référentielles dislingue les formes
« minimales » : zéro et pronoms, des formes « maximales», c'est- à-dire de

. AKGUE FRANÇAISE KJ 85
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

plus en plus denses en contenu informatif, telles les SNdéf et SNdém, nus ou
avec compléments. Levinson établit une « échelle de la pragmatique et de la
grammaire de l'anaphore», prédisant que plus une forme est minimale,
moins elle est marquée, et plus elle conduit vers une lecture co-référentielle;
et vice versa, plus une forme est maximale, plus elle est marquée, et plus elle

«mène
néo-g
à ricéen
une lecture
» de l'interprétation
disjointe (Lundquist
d'expressions
1990). potentiellement
Ce principe pragmatique
co-
référentielles

expliquerait pourquoi une expression infidèle, c'est- à-dire potentielle¬


ment anaphorique, se perçoit en danois souvent comme étant non coréférentiel e.
Mais il invite aussi à prédire qu'un lecteur danois attribuerait
plus de contenu sémantique à une expression infidèle donnée que le lecteur
français, cette forme étant plus répandue et donc plus habituelle en français.
Nous avons soumis (Lundquist 2002, à paraître) cette prédiction à un « test
d'enchaînement», mais « d'enchaînement intraphrastique» 7, où il s'agissait
de combiner chaque anaphore infidèle de toute une série (exemplifiées
en
(exemplifiées
(24)) avec une
en (25)).
prédication primaire d'une série de prédications alternatives

24. gouvernement
Lionel Jospin vient de remanier le gouvernement. Le chef du

Lionel Jospin vient de remanier le gouvernement. L'ancien ministre dc


l'Education nationale
Lionel Jospin vient de remanier le gouvernement. L'ancien premier secrétaire
du parti socialiste français
25. - fait appel à deux ténors du parti.
- a mis fin aux spéculations.
- a cédé à la pression des enseignants.
- cherche à regagner la sympathie de son électorat.
- veut se concentrer sur la politique intérieure.

L'hypothèse était que plus les sujets divergeaient dans le nombre de prédica ¬
tions primaires qu'ils permettaient pour chaque expression anaphorique,
moins cette expression était porteuse de sens et d'information. L'expérience,
menée sur des lecteurs français et danois, a donné un nombre différent de
prédications attirées par chaque expression anaphorique dans les deux popu ¬
lations, résultats calculés ensuite en ternies d'entropie, qui mesure la disper ¬
sion et le désordre8. Plus il y a de désordre pour une anaphore infidèle
donnée, plus elle est faible en information sémantique. Et vice versa, moins une
anaphore infidèle attire de prédications différentes, moins elle crée d'entropie,
et plus forte est la quantité d'information sémantique qu'elle véhicule.

/. Contrairement
de
ment« l'argumentation
de l'anaphore
auxinfidèle
tests d'enchaînement
dans la(Lundquist
langue», argumentation
2003).rrans-phraslique,
qui joue
effectués
aussi un
parrôle
Ducrot
dansdans
le fonctionne
sa théorie¬

S. L'entropie est une notion probabiliste qui désigne l'incertitude et le désordre. Nous n'entrerons
pas ici dans les détails techniques du calcul en entropie (voir Shannon 194S), ni dans son explica ¬
tion (voir Lundquist et Gabrielsen 2001, Lundquist à paraître).

86
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

Les résultats calculés en entropie confirment notre hypothèse: on constate


une entropie significativement moins élevée dans les combinaisons

d'anaphores
danoise que dans
infidèles
la population
avec les française
prédications
(voir primaires
figure en annexe:
dans la 1population
équivaut à
l'entropie maximale, c'est-
à- dire que toutes les réponses sont différentes; 0 à
l'entropie minimale où toutes les réponses sont identiques). C'est là pour nous
une preuve qu'il s'agit pour les Danois d'un type d'expression anaphorique
plus dense en contenu sémantique, et donc plus marqué

Mais les résultats montrent aussi que les réponses faites par les deux popu ¬
lations suivent une ligne identique, cf. les deux courbes parallèles dans la
figure en annexe.
consensus dans leIljugement
semble donc
d'appartenance
y avoir, à travers
d'une les
anaphore
deux populations,
donnée à une
un

prédication principale. Les différences entropiques constatées entre les


expressions anaphoriques et leur combinatoire prédicative, dans le contexte
donné, nous permettent de distinguer trois groupes d'anaphores infidèles,
séparés par des différences statistiquement significatives.

Un premier groupe comprenait les anaphores infidèles simples, les

«male,
leur
premier
naient
plus
L'ancien
groupe
expérience
dans
fortement
tions
désignateurs
rôle
détaillées,
ce
primaires
sur
une
c'est-
ministre
contenait
dernier
fonctionnaire
et
la
argumentatives
entropie
analogue
fonction
sélection
à d
- ire
standards»
du
groupe
étaient
proposées.
les
genre
une
significativement
;menée
d'une
ces
riu
expressions
combinables
d'anaphores
convergence
ministère
L'ancien
anaphores
et
Les
pour
prédication
en
axiologiques;
danois
anaphores
référer
premier
ries
infidèles
avec
infidèles
du
moindre,
presque
Affaires
avec
jusqu'à
type
àsecrétaire
pratiquement
des
du
des
celles-
encore
Le
se
deuxième
personnages
Étrangères9;
portaient
totale
sujets
obtenir
trouvaient
chef
cdu
i plus
imposaient
du
parti
dans
danois
gouvernement
une
toutes
des
groupe,
spécifiques.
socialiste
des
le
d'actualité
et
entropie
qualifications
a choix
le
les
montré
expressions
des
troisième
qui
prédica
français,
restric
d'une
obte
mini
et
Une
que
par
Le¬¬
¬
¬

prédication primaire.

C'est ce phénomène de relations rhétoriques de type argumentatif qui


entre aussi dans l'interprétation de notre premier exemple (reproduit cidessous),
qui illustre comment l'anaphore infidèle le philosophe rie la rue rie
Grenelle se lie d'une part en amont à la prédication préférer le verbe à l'action, et
d'autre part en aval par une relation causale: c'est parce qu'il est philosophe
qu'il n'est pas parvenu à s'imposer. L'exemple illustre bien comment

9.
àdésigner
& un
Onétat
Reichler-
parle
une
antérieur,
Bdans
éguelin
entitécesoit
soumise
1995:
caspar
de243).
référence
«à métonymie
un devenir
à un étal
chronologique»
ou à ultérieur,
un processus
prévisible,
oudede
transformation,
« de
métalepse»,
son évolution
soit
quipar
» «(Apothéloz
consiste
référenceà

I A N G U I ERAIKAIH ZZ 87
Le génie de la langue française. Perspectives tyjiologiques et contrastives

l'anaphore infidèle peut servir de médiateur entre deux phrases et deuxcontenus


propositionnels:
1. Luc Ferry pour une autonomie des universités. I... J L'annonce de cette
réforme [...] tombe à pic pour redonner du crédit à un ministre accusé de
préférer le verbe à l'action. En un an, le philosophe rie la rue de Grenelle n'est
pas parvenu à s'imposer...

L'expérience menée montre que dans le contexte donné, c'est- à-dire dans les
paradigmes d'anaphores infidèles et de prédications primaires présentées
dans l'expérience, les expressions anaphoriques infidèles les plus denses en
quantité informationnelle exercent les contraintes les plus sévères sur le choix
de la prédication primaire. Et plus généralement, que les sujets interprétants
se laissent diriger par le contenu prédicatif véhiculé par l'anaphore infidèle.
Le choix d'une anaphore infidèle n'est pas innocent.

7. CONCLUSION

Nous espérons avoir montré, par le tour fait ici à travers différentes strates
linguistiques - lexique, morphologie, syntaxe, ordre des mots, enchaînement
de phrases, structures textuelles -, d'une part que l'anaphore infidèle cons ¬
titue un accès privilégié à des différences typologiques entre le danois et le
français, et d'autre part que ces différences systématiques expliquent pour ¬
quoi les Français sont plus infidèles que les Danois: le français se prête mieux,
de par ses caractéristiques lexico- syntaxiques, à la grammaticalisation de
certains liens transphrastiques dans l'anaphorisation infidèle.

88
Noms, verbes et anaphores (in) fidèles.

z rr,£=5 *_ZLU<

"^ 13-
ô Ci- M
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CL ^

C\ oc
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LANGUE FRANÇAISE MS 89
Le génie de la langue française. Perspectives typologiques et contrastives

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