Vous êtes sur la page 1sur 9

Extrait de : Corpus dei papiri filosofici greci e latini,

Parte I : Autori noti, vol. 1** (Firenze, Olschki, 1992)


229-242
LES NOUVEAUX FRAGMENTS D’HÉRACLITE
cités dans POxy LIII 3710

[Cf. reproduction, texte, traduction et apparats complets sous T 291 dans Heraclitea II.A.1, p.
210-213. Nous reprenons ci-dessous la version française originale de notre commentaire* ]

Le texte examiné constitue la totalité (moins, hélas, la grosse lacune au début de la


col. III) de ce qui semble n’être à première vue qu’une digression sur l’astronomie
lunaire suggérée par la phrase d’Euryclée a≥≥d ¥c≥ı 샧 µÄ∑µ…`§ }√|® ≤`® √k«§µ
}∑ƒ…ç “mais ils verront bientôt pourquoi c’est la fête pour tous” (Od. XX, 156).
Rien en tout cas (hormis bien sûr la contiguité des vers homériques commentés) ne
le rattache ni à ce qui précède, ni à ce qui suit dans ce fragment sur papyrus d’un
commentaire anonyme du I er s. ap. J. C. consacré au chant XX de l’Odyssée.
Son interprétation pose trois problèmes cruciaux : 1) Y a-t-il un rapport plus
étroit que la simple association d’idées (fête → fête d’Apollon → néoménie →
éclipse solaire...), d’une part, entre les diverses informations fournies par la digres-
sion et, d’autre part, entre chacune de ces informations et le texte d’Homère ? 2)
Quelles sont les sources de notre texte et comment ses diverses parties se répartis-
sent-elles entre elles ? 3) Quels sont : le nombre, l’extension, le sens immédiat et le
rôle contextuel exact des citations d’Héraclite ?
Vu l’état assez lamentable du textus receptus, les solutions proposées ici ne
possèdent qu’un certain degré de plausibilité qu’il ne nous appartient pas d’évaluer.
Et comme les incertitudes qui en découlent, ainsi que notre ignorance du contexte
héraclitéen, rendent aléatoire — du moins à ce stade de la recherche — toute tenta-
tive de percer la fonction philosophique originelle des citations identifiées, nous
préférons pour l’instant suspendre notre jugement sur ce point.
Tout comme M. W. Haslam (p. 107, 110) — qui abandonne pourtant cette hypo-
thèse sans chercher à l’approfondir (« seems to lead nowhere ») — et Mme D.
Manetti (communication épistolaire), je pense que notre digression est appelée à
supporter une certaine conception de la chronologie interne de cette partie de
l’Odyssée ou, plus exactement, la thèse — soutenue par certains commentateurs
d’Homère, mais rejetée par d’autres — qu’une éclipse solaire avait réellement été
prévue par le poète pour le jour du massacre des prétendantrs, comme le suggère la
prédication faite peu avant par Théoclymène : åÄ≥§∑» {Å ∑Àƒ`µ∑◊ }∂`√∫≥›≥|
(XX, 356-7 ; cf. Eust. in h. l. = 1895,1 ss. ; Schol. D in h. l. : Eust. in Od. XIV,161
= 1755,40 ; Heraclit. All. Hom. 75, 1-7 ; Plut. VHom. 108 ; Fac. lun. 931 F).
Outre cette prédiction, les partisans de l’éclipse citaient : 1) deux passages où
Odysseus, non reconnu, annonce qu’il reviendra à Ithaque (= se fera reconnaître en
tant qu’Odysseus) à la charnière entre deux mois, c’est-à-dire à la néoménie : …∑◊

* Nous avons integré dans cette version quelques ajouts effectués par la rédaction du CPF dont la plupart ne
changent rien quant au fond de notre commentaire, mais le rendent mieux intelligible. (Ceux de ces changements
qui ne reflètent pas pleinement notre opinion sont signalés comme tels.) Et nous avons rétabli quelques passages qui
avaient été supprimés dans la version italienne.
¥Åµ Ÿ¢ßµ∑µ…∑» ¥äµ∫», …∑◊ {ı ¶«…`¥Äµ∑§∑ (XIV, 162 ; XIX, 307 ; cf. Schol. et
Eust. in hh. ll. ; Eust. in XIV, 457 = 1769,20 ; Heraclit. All. Hom. 75,7 ; Plut. Sol.
25, 3-4) ; 2) trois passages prouvant que le jour du massacre des prétendants est
jour de fête en l’honneur d’Apollon (XX, 156 ; 275-8 ; XXI, 258-68 ; Schol. et
Eust. in hh. ll.) ; 3) le fait connu de tous que la néoménie est considérée comme un
jour de fête dédié à Apollon et que ce dieu est identique au Soleil, l’astre respon-
sable de la néoménie (Schol D in XX, 155-6 ; Eust. in XX, 156 = 1887,19 ss. ; cf.
[Herod.] VHom 462 et 282 ALLEN ; Apollod. FGrH 244 F *98 = Heraclit.
All.Hom. 6,6 ss. ; Philoch. FGrH 328 F 88 = Procl. Schol. in Hes. Op. 770 + Schol.
D in Od. XX, 156 ; Schol. in Pind. Nem. III, 4, 36 ; Theagen. DK 8 A 2 ; Parmenid.
DK 28 A 20 ; Oenopid. DK 41 A 7 ; etc.) ; 4) le fait scientifiquement établi que les
éclipses solaires ne peuvent avoir lieu que les jours de néoménie (de conjonction)
(Anaxag. DK 59 A 42 ; Thuc. II, 28 ; Plut. Nic. 23 ; Stoici ap. Diog. Laert. VII,
146 ; Hipparch. ap. Heraclit. All. Hom. 75, 5-6 ; Gemin. VIII, 14 ; X, 6 ; Cic. De
republ. I, 16 ; 25 ; etc.).
Si toutes ces conditions étaient ainsi réunies pour qu’une éclipse puisse se
produire le jour de la vengeance d’Odysseus, la prédiction de Théoclymène
(l’« Écoute-Dieu ») n’était sans doute pas seulement destinée à annoncer aux pré-
tendants que π ë≥§∑» è{ä }√§≥Ä≥∑§√|µ (`À…∑±») fl» …|¢µä∂∑¥Äµ∑§» (Eust. in XX,
356-7 = 1895,15), mais aussi l’avènement d’une éclipse solaire véritable.
Ainsi se trouvent expliquées les lignes II (b) 34-43, notamment la mention des
éclipses solaires.
Cette explication est toutefois insuffisante, car elle ne rend pas compte du rôle joué
par le texte restant, celui qui se rapporte (ou semble se rapporter) à Héraclite. Pour
comprendre ce rôle, il faut faire appel à encore un passage d’où semble découler
l’impossibilité d’une telle éclipse : selon Homère (XIV, 457), la première nuit pas-
sée par Odysseus chez Eumée, trois jours et trois nuits avant le massacre des pré-
tendants, avait été «≤∑…∑¥çµ§∑». Sachant que l’intervalle entre la disparition de la
vieille lune et l’apparition de la nouvelle (interlunium) est le plus souvent égal à
trois jours et que la conjonction se produit à peu près au milieu de cet intervalle, la
néoménie (1er jour du mois coïncidant avec la conjonction ou venant juste après) —
et, partant, la prétendue éclipse — ne pouvait pas avoir eu lieu le jour indiqué. Et
effectivement, la scholie D (in XIV, 457) semble interpréter µŒ∂ «≤∑…∑¥çµ§∑» en
tant que nuit même de la conjonction ≤`¢ı íµ å «|≥çµä a√|«≤∫…›…`§ …ï§ √ƒª»
…ªµ ë≥§∑µ « µ∫{›§, ce qui est tout à fait incompatible avec la thèse de l’éclipse
(HASLAM 110).
Cependant, le texte correspondant d’Eustathe (qui m’a été signalé par Daniela
Manetti) est beaucoup plus nuancé et affirme juste le contraire : Eust. in XIV, 457
(1769,18) «≤∑…∑¥çµ§∑» {Å µŒ∂ ∑À¤ b√≥Ë» å a«Ä≥äµ∑», a≥≥d ≤`¢ı íµ å «|≥çµä
a√∑«≤∑…∑◊…`§, Ÿ`«ßµ, }zzß«`«` å≥ß›§ √ƒª» «Õµ∑{∑µ, æ…| ≤`® ¥|…ı ∏≥ßz∑µ
aƒ√`z§¥`ß` z|µ∑¥Äµä Çµäµ ≤`® µÄ`µ √∑§ç«|§, …∑◊ ¥Åµ Ÿ¢ßµ∑µ…∑» ¥äµª» ≤`…d
…ªµ √∑§ä…çµ, …∑◊ {ı ¶«…`¥Äµ∑§∑... æ…§ {Å …∑§`Õ…äµ {|± µ∑|±µ eƒ…§ …éµ
«≤∑…∑¥çµ§∑µ µÕ≤…` {ä≥‡«|§ ≤`® π }Ÿ|∂ï» √∑  ≤`§ƒ∫». Ã√∫≤|§…`§ zdƒ }µ
…∑§`Õ…ä§ …ªµ ıQ{ ««Ä` å¥Äƒ`§ }≤Ÿ`µ¢ïµ`§ …∑±» ¥µä«…§, ≤`¢ı íµ å≥ß›§
« µ∑{|Õ∑ «` «|≥çµä √∑§ç«∑§ fµ Ç≤≥|§‹§µ. Ÿ`µ|±…`§ {Å å …∑§`Õ…ä å¥Äƒ` ¥|…d
…ƒ|±» }Ÿ|∂ï» ∑≠¥`§ µÕ≤…`», ‰«…| å µŒ∂ `—…ä }zzßâ|§ …ï§ « µ∫{›§/ ≤`® ≤`…d
…∑◊…∑ |•≤∫…›» fµ |©ä «≤∑…∑¥çµ§∑».
Ainsi, selon Eustathe et la tradition qu’il représente, la vieille lune pouvait fort
bien avoir disparu même trois nuits avant la conjonction. Il ne nous explique pas
pourquoi. Or c’est justement ce que dit la première citation d’Héraclite (II, 43-47)
et ce que confirme l’astronomie moderne (cf. infra).
De tous les noms cités par le commentateur, il n’y en a qu’un qui fasse problème.
Thalès et Aristarque de Samos se passent de présentations ; Aristonicos est évi-
demment le grammairien alexandrin de l’époque d’Auguste ; il n’y a que pour
Diodore que plusieurs identifications sont possibles. Et si celle qu’a proposée
Lobel (ap. HASLAM, 108) — il s’agirait de l’astronome et mathématicien
d’Alexandrie contemporain de César et de Cicéron [RE V.1 (1903) 710-712, n° 53]
— semble être la plus convaincante, elle n’en demeure pas moins hypothétique.
Plus difficile encore est la délimitation des parties du texte revenant à chacun.
Une chose est sûre : Aristonicos cite Aristarque citant Thalès. Mais qui cite
Héraclite : Aristonicos, Aristarque, Diodore ou notre commentateur ? Qui cite
Diodore : Aristonicos ou le commentateur ?
Comme Héraclite et Diodore vont ensemble (cf. II, 47-48), il semble logique
de penser que cette partie du texte provient d’un commentaire où le second citait le
premier. La source principale du commentateur de POxy 3710 serait alors de toute
évidence Aristonicos (cité plusieurs fois dans le papyrus où il joue un rôle impor-
tant), lequel dépend de façon notoire du matériel exégétique du grammairien
Aristarque de Samothrace (début du IIe s. av. J. C.). L’extrait du papyrus avait cer-
tainement pour source principale l’ouvrage d’Aristonicos sur les «ä¥|±` homé-
riques d’Aristarque, d’où la présence d’une diplê d’Aristarque à la ligne 156, ou-
vrage dont Aristonicos avait repris l’exégèse (situation tout ce qu’il y a de plus
commune dans notre documentation sur l’exégèse homérique antique).
Aristarque de Samothrace pouvait avoir eu comme source immédiate l’astro-
nome Aristarque de Samos avec les citations de Thalès et d’Héraclite. Mais il pou-
vait aussi avoir ajouté la citation d’Héraclite à cette source, où seul Thalès aurait
été cité. Et Aristonicos lui-même aurait ensuite ajouté le commentaire de Diodore.
En ce cas le commentateur anonyme du papyrus n’aurait eu recours qu’à
Aristonicos chez qui il aurait trouvé toute sa documentation. Mais l’addition de
Diodore pouvait également venir de lui, si elle ne figurait pas déjà chez
Aristononicos.
Hypothèse alternative (proposée par L. Lehnus) : tout le matériel astrono-
mique (citation d’Aristarque de Samos incluse) proviendrait de Diodore et aurait
été ajouté en tant que complément au commentaire plus restreint d’Aristonicos.
Elle présente l’avantage de préserver l’unité de la tradition astronomique, tout en
réduisant considérablement le rôle d’Aristonicos et de la tradition alexandrine qu’il
représente. Or, même abstraction faite du rôle exceptionnel, déjà signalé, que joue
Aristonicos dans notre papyrus, la présence de ce genre d’observations dans notre
commentaire reflète un sujet de préoccupation tout à fait alexandrin : le problème
de la chronologie interne du poème et en particulier des événements dont il est
question au livre XX. Non seulement nous possédons de nombreux parallèles (à
partir de Zénodote), mais il en reste de nombreuses traces dans les propres scholies
d’Aristonicos (cf. NICKAU, «Zenodotos» 2 : RE X A [1972] 36-38). [À cet argu-
ment avancé par la rédaction du CPF nous en ajouterions un second : le rôle de
pièce décisive du dossier que devait avoir joué la citation d’Héraclite en tant que
preuve de la durée parfois exceptionnelle de l’interlunium (cf. infra).]
Et voici un argument en faveur d’Aristarque de Samos en tant que la source
des deux citations présocratiques : II 38 π ¥Åµ J`≥ï» appelle 43 <π {ı>
ˆHƒc≤≥|§…∑» (Haslam 107) et 42 ∑¶ ¥Åµ... ∑¶ {Å semblent se rapporter, le premier,
à Thalès (cf. Diog. Laert I, 24) et le second, à Héraclite (cf. 45). Par contre (à
moins qu’il s’agisse d’un autre Diodore), l’astronome Aristarque ne pouvait avoir
cité son cadet de deux siècles l’astronome Diodore. Les explications de ce dernier
auraient alors été ajoutées par Aristonicos ou notre commentateur après coup, ce
qui signifierait qu’elles étaient non des commentaires suscités par le texte d’Héra-
clite, mais des données scientifiques utilisées (par Aristonicos ou le commentateur)
pour interpréter celui-ci.
S’il en a réellement été ainsi (d’autres schémas sont également concevables),
cela permettrait peut-être d’expliquer une particularité curieuse du papyrus : les
diplai qu’on trouve aux extrémités des lignes II 43 et 44, 51 et 54 et III 10 (cf. en-
core I 31, 42, 48) et les barres inclinées qu’on peut distinguer dans la marge, à
gauche des lignes II 44-45 (à peine visible) et III 7-8 (très nette).
Ces signes présentent un double intérêt. Sachant que les lignes II 43-47
contiennent une indéniable citation textuelle d’Héraclite, et les lignes III 7-11 une
autre citation textuelle très probable du même (cf. infra), il est logique, primo, de
suspecter une troisième citation dans ce qui nous reste des lignes II 51 ss. (où faute
de marge — elle ne s’est pas conservée —, il est impossible de vérifier si là aussi il
y avait une barre inclinée à gauche), et secundo, de s’interroger sur la signification
exacte de ces signes.
Aristonicos, avons-nous dit, était un spécialiste des signes critiques introduits
par ses prédécesseurs, en particulier par Aristarque de Samothrace (cf. ses ouvrages
√|ƒ® …˵ «ä¥|ß›µ dans l’Iliade, l’Odyssée et la Théogonie hésiodique) et il n’est
pas étonnant qu’il s’en soit servi lui-même. La barre inclinée signale parfois, dans
les papyrus, les citations de textes ne provenant pas de l’ouvrage commenté (celles
qui en proviennent sont signalées par des paragraphoi), cf. e. g. PBerol 9782
(Anonym. in Pl. Theaet.) [et TURNER, GMAW2, 14-15 et n. 76]. Les diplai, comme
on sait, sont couramment utilisées en début de ligne pour marquer les renvois à des
hypomnemata ne faisant pas bloc avec le texte (V. GARDTHAUSEN, Gr. Paläogr. II
[1913] 411 ; TURNER GP 117-8), mais aussi en fin de ligne, apparemment pour
marquer le discours direct (V. GARDTHAUSEN, Die Schrift, Unterschriften und
Chronologie II, 406 ; cf. E. MAUNDE THOMPSON, An Introduction to Greek and
Latin Palaeography [Oxford, 1912] 63), ou encore comme simple paragraphoi
(MAUNDE THOMPSON 58). Ici, le plus probable est que nous avons affaire à un
cas mixte : à des renvois (non compris comme tels ?) se rapportant à des parties de
citations et placés (pour cette raison ?) à la fin des lignes. D’où cette hypothèse :
la, ou les, citation(s) d’Héraclite aurai(en)t d’abord été copiée(s) par Aristonicos
(d’après Aristarque de Samothrace), puis il leur aurait ajouté, sans doute en marge,
des « notes » puisées dans Diodore, en marquant au moyen de diplai le début et la
fin du passage commenté. Notre commentateur à nous (qui était un compilateur
invétéré, mais aussi certainement un abréviateur énergique qui, par exemple, a
supprimé sans pitié tout l’encadrement logique des citations) aurait combiné les
unes et les autres, en les faisant alterner dans le corps du texte, en conservant aussi
bien les signes « critiques » au bout des lignes que les barres dans la marge qu’il a
sans doute interprétées comme de simple « quotation marks » (cf. MAUNDE
T HOMPSON 63). [On pourrait aussi repousser toute cette opération d’un cran en ar-
rière, en supposant que les marginalia diodorienne figuraient déjà en tant que telles
chez Aristarque de Samothrace, voire chez un Zénodote — contemporain aîné
d’Aristarque de Samos —, à condition d’abandonner l’identification lobélienne de
Diodore et de reculer d’un ou deux siècles l’époque du nôtre.]
Dans cette hypothèse, les diplai des lignes II 43 et 44 marquaient le début
(« µ§∫µ…›µ) et la fin (Ÿ`ßµ|…`§) du texte commenté et renvoyaient à l’explication
48 } √ | ® — 50 å≥ß∑  ; la d i p l ê de la ligne III 10 marquait la fin
(…|««`ƒ|«≤`ß{|≤`) du texte commenté (celle qui en marquait le début — 7 ¥|®»
— ne s’est pas conservée) et renvoyait à l’explication 11 |• zdƒ — 19 å¥|ƒËµ. Et
c’est compte tenu aussi de cette hypothèse que nous avons tenté de reconstruire la
citation et l’explication des lignes II 52-55 (cf. apparat III ap. II.A.1, p. 213) : la
diplê de la ligne 51 y marque le début (52 }√® ¤ƒ∫µ∑µ) et celle de la ligne 54 la fin
(¥|ß») du texte commenté1 (avec la glose intrusive supposée …∑ …&Ä«…§ %Ÿ`ßµ|…`§)
et elles renvoyaient à l’explication 54 æ…`µ etc. dont nous ne possédons que le dé-
but. (Cette reconstruction demeure naturellement conjecturale à l’extrême ; cf.
infra.)
[Nous omettons ici la partie du commentaire consacrée aux lignes II, 37-40 contenant le
témoignage d’Aristarque de Samos sur Thalès ; cf. CPF I/1** (1992) 238-9.]

L’appartenance de II 43-47 à Héraclite est indéniable. (Pour la réstitution du texte


et la syntaxe, cf. infra « Addendum » = extrait de ZPE 71 [1988] 32-4). Le sens
général de ce passage est clair. L’interlunium dure normalement trois jours : la
veille de la néoménie (le 29 ou le 30 du mois finissant), le jour même de la néo-
ménie (le 1 er du mois nouveau coïncidant parfois avec le 30 du mois finissant, jour
de la conjonction) et le lendemain de la néoménie (le 2 du mois nouveau). Mais
(cet a≥≥ı a sans doute été omis par haplographie devant a≥≥∑…ı) il peut aussi durer
parfois tantôt moins de trois jours, tantôt plus de trois jours.
Ceci est une observation absolument correcte. La durée de la période d’invi-
sibilité de la lune varie en fonction d’un grand nombre de facteurs : durée du mois
synodique, latitude du lieu d’observation, saison de l’année, heure locale au mo-
ment de la conjonction, etc. (И. А. КЛИМИШИН , Календарь и хронология
[Москва, 2 1985] 33-40 ; O. NEUGEBAUER, The exact sciences in Antiquity
[Providence, Brown University Press, 21957] 106-10 = p. 114-6 de la trad. russe
[Moskva, Nauka, 1968] ; E. J. BICKERMANN, Chronology of the Ancient world
[London, Thames and Hudson, 1968] 16-9 = p. 15 de la trad. russe corrigée et
augmentée par l’auteur [Moskva, Nauka, 1975] ; F. K. G INZEL, Handbuch der
mathematischen und technischen Chronologie, I [Leipzig, Hinrichs, 1906] 93 et n.
2).

1 Mal traduit en italien par del testo eracliteo au lieu de del testo commentato.
À Athènes, selon les observations visuelles effectuées en 1859-1880 par Julius
Schmidt, l’intervalle de temps entre l’heure de la conjonction et celle de la première
apparition du croissant lunaire (intervalle à peu près égal à la moitié de la durée
totale de l’interlunium, période entre l’heure de la disparition du croissant mourant
et la première apparition du croissant naissant) oscille entre 15,25 heures minimum
et 76,0 (voire 82,2) heures maximum, ce qui correspond à un interlunium de 1 nuit
dans le premier cas et de 6 nuits dans le second. Plus généralement, sur un total de
59 observations, J. Schmidt a enregistré 1 cas de « demi-interlunium » de moins de
24 heures (= interlunium d’une seule nuit), 41 cas de plus de 24 et moins de 48
heures (2 ou 3 nuits), 15 cas de plus de 48 heures et moins de 72 heures (4 ou 5
nuits) et 2 cas de plus de 72 heures (6 nuits) [F.J. SCHMIDT : Astronomische
Nachrichten 71 (1868) nr. 1693, 202 ss. ; ID . ap. Aug. MOMMSEN, Chronologie.
Unteruchungen über das Kalendarwesen der Griechen (Leipzig, Teubner, 1883)
68-80 ; cf. GINZEL, loc. cit. : les chiffres de 29 heures maximum et 63 heures
minimum indiquées par Ginzel — et non 23 et 69 comme incorrectement reproduit
par Bickermann et Klimiäin — correspondent aux moyennes de toutes les
observations faites par Schmidt pour le mois où l’intervalle est le plus court et celui
où il est le plus long, autrement dit reflètent l’amplitude moyenne des variations et
non l’amplitude maximale dont la périodicité est de près de 9 ans ; cf. KLIMIáIN
35-36].2
Ces données modernes sont d’ailleurs confirmées par les observations an-
ciennes rapportées par Géminos qui notait (pour Rhodes ?) trois dates possibles
d’apparition du croissant nouveau : le 1er (…ï§ µ∑ ¥äµß`§), le 2 et le 3 (…ï§ …ƒß…ä§)
par rapport à la conjonction (c’est-à-dire au dernier jour du mois précédent, le 29
ou le 30, dont la date était établie en fonction de la durée moyenne du mois syno-
dique : 29,533 jours), ce qui correspond respectivement à des interlunia de 1, de 2
ou 3 et de 4 ou 5 nuits, selon que la conjonction a lieu le jour ou la nuit (Gemin. IX,
14-16 [cf. VIII, 1] ; Aug. MOMMSEN in h. l. 63-9).
La latitude d’Éphèse étant à peu près la même que celle d’Athènes et ne diffé-
rant que de deux degrés de celle de Rhodes, l’interlunium devait aussi y durer de 1
à 5 (ou 6) nuits.
Ainsi, le plus important dans cette citation, c’était la deuxième phrase qui
confirmait un fait observable, quoique rarement, à savoir que l’intervalle entre la
première nuit «≤∑…∑¥çµ§∑» et la nouvelle lune pouvait être supérieur à trois jours.
Chose curieuse, le commentaire de Diodore (48-51) ne concerne, lui, que la
première phrase d’Héraclite et ne nous propose qu’une explication qualitative du
phénomène : l’obscurcissement de la lune par les rayons du soleil.
La deuxième citation d’Héraclite (52-54) telle que nous l’avons reconstruite (cf.
T 291 traduction et app. III = vol. II.A.1 p. 212-213) faisait sans doute suite à la
première et décrivait la réapparition du croissant aµ…® …˵ `Àz˵ (?), sur le fond
plus sombre des premières lueurs de l’aube. [Sur une façon de concilier cela avec
Diog. Laert. IX, 9-10 (T 204 = T 705) et la théorie héraclitéenne des «≤cŸ`§, cf.
CONCHE HF (1986) 3102 et l’hypothèse attribuée à Bérose par Vitruve IX, 2, 1

2 Cet alinéa a été omis dans CPF.


(cf. Lucret. V, 720-730 ; Epic. Ad Pythocl. 94 ; C. BAILEY in hh. ll.) et Doxogr.
(Aetius) II, 25, 2 ; 28, 1 ; 29, 2 (FGrH 680 F 20 ; 19).]
La grosse lacune de la col. III pouvait aussi renfermer une ou deux citations
héraclitéennes continuant les deux premières et s’accompagnant d’explications du
même Diodore — si c’est à lui qu’on attribuera (compte tenu de leur ressemblance)
celles qui suivent la troisième citation (III, 11-19).
Quant à cette troisième citation préservée (pour son attribution à Héraclite, cf.
WEST 16 et « Addendum » infra ; pour la restitution du texte, T 291 traduction et
app. III = vol. II.A.1, p. 212-213, et « Addendum » infra), elle affirme que même
lorsque le croissant lunaire apparaît avec un jour de retard (par rapport à la date la
plus fréquente), c’est-à-dire le surlendemain de la néoménie (le 3) — situation qui
doit correspondre à e≥≥∑…| √≥|◊µ`» dans la première citation — et devient pleine
lune 14 jours après (le 16), il trouve le moyen de disparaître seulement 13 jours
après (entre le 28 et le 29), en récupérant ainsi à la fin du mois la journée perdue
[littéralement : « en perdant le “surmoins” < de temps> » (…ªµ Ã√∫¥|…ƒ∑µ <sc.
¤ƒ∫µ∑µ> = le manque de temps, le retard pris) au début du mois. (Sans doute
avait-il été question un peu avant de la situation opposée — e≥≥∑…ı }≥c««∑µ`» —
c’est-à-dire de “surplus” de temps — Ã√ă¥|…ƒ∑» ¤ƒ∫µ∑»—, du jour d’avance que
la lune, apparue le 1er et pleine le 14, se débrouillait pour perdre en 15 jours au lieu
de 14 et disparaître comme il se doit entre le 28 et le 29 et pas avant.)
Ce raisonnement suppose que la date de la disparition du croissant est consi-
dérée comme fixe (c’est sans doute elle qui sert à déterminer celle de la néoménie)
et la durée de la période de croissance de la lune, comme constante (14 jours ou,
plus exactement, 13,5 jours [= (30 — 3) : 2], le jour de la pleine lune appartenant à
la fois aux deux périodes). Il entre aussi en contradiction avec le début de la pre-
mière citation où il était question de la durée moyenne (3 jours) de l’interlunium,
mais qui suppose elle aussi que le croissant nouveau apparaît pour la première fois
le 3 (le lendemain de la {| …ăä). Pour être conséquent Héraclite aurait dû écrire
soit (disons) {| …Äƒäµ Ÿ¢ßµ∑µ…∑» √ƒ∑…Äƒäµ µ∑ ¥äµßäµ dans la première citation,
soit …|…cƒ…ä§, ~√…`≤`§{|≤c…ä§ et §x˝ ({‡{|≤`) dans la dernière.
Mais il s’agit probablement d’une simple erreur d’inattention qui, d’une part,
montre combien peu l’Éphésien se souciait de ces détails, et d’autre part, ne change
rien au message fondamental : la durée de l’absence de la lune a beau varier de
beaucoup, celle du mois demeure constante, car la lune corrige pendant sa décrois-
sance les écarts qu’elle s’était permis durant l’interlunium. Elle aussi ∑À¤
Ã√|ƒxç«|…`§ ¥Ä…ƒ` (cf. F 3-94).
Si la grande citation d’Héraclite (qui était sans doute un texte continu dont il nous
manque le milieu) convenait assez bien comme pièce à l’appui de l’interprétation
de XIV, 437 reproduite par Eustathe (citée supra), en revanche la dernière explica-
tion de Diodore (III, 11-19 ; cf. Haslam 108) — si elle est de lui, ce qui naturelle-
ment n’est pas certain — n’est qu’une plate et laborieuse répétition du contenu de
la première phrase et, pas plus que les explications précédentes, n’a rien à voir avec
le texte d’Homère et la thèse de l’éclipse. Ceci suggère que les hypomnemata de
Diodore n’étaient pas destinées originellement à figurer dans le commentaire de
l’Odyssée (étaient par exemple des notes qu’Aristonicos avait prises pour son
propre usage), mais y ont été bêtement introduites par notre compilateur anonyme.
Comme en outre il n’est pas du tout certain que le texte héraclitéen dont fai-
saient partie nos deux ou trois citations fût réellement consacré à l’explication des
phases (ou a fortiori des éclipses) lunaires et ne servait pas simplement d’exemple
illustrant la mesure cosmique que rien ne peut transgresser, nous ne pouvons pas
dire non plus quel était le but du commentateur d’Héraclite : seulement d’expliciter
l’opinion du philosophe ou encore de polémiquer avec lui et de proposer une autre
explication du phénomène concerné. L’explication de II 48-51 ne contredit aucune
des interprétations du mécanisme des phases, ni l’héraclitéenne (Diog. Laert. IX,
10 = T 204 = T 705), ni la bonne, car elle explique seulement pourquoi la lune est
invisible non au moment même de la conjonction, mais avant et après ce moment.
Celle de III 11-19 n’ajoute strictement rien au texte qu’elle explique. Et nous igno-
rons tout des explications intermédiaires qui pouvaient avoir figuré dans la grosse
lacune.
Quoi qu’il en soit, notre texte est un cas typique de l’accumulation érudite qui
s’opère au cours des diverses phases de l’exégèse homérique antique.

Addendum

Extrait de : « P.Oxy. LIII 3710. Les nouveaux fragments d’Héraclite » :


Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 71 [1988] 32-4.

(...) L’idée-maîtresse du fragment A (II 43-47), à en juger par le contexte et le


texte, est que « there is a variable number of days between one month and the
next » (HASLAM 108) ou, plus exactement, « there is a variable number of moon-
less days between the old moon and the new one ». Ce qui suggère la leçon ∑À
Ÿ`ßµ|…`§ <¥|ß»>. Il faut donc ponctuer devant √ƒ∑…Äƒäµ et devant e≥≥∑…ı et in-
terpréter tous les accusatifs pluriels comme des accusatifs « of time elapsed »
(LOBEL ap. HASLAM, l. c.).
Cela étant, FP%. .& . (cf. facsimilé) ne peut remplir qu’une fonction : qualifier
å¥Äƒ`» en précisant de quels jours ou de combien de jours il s’agit. La solution
semble être : ~∂%ï»& z˝ « 3 jours de suite » [amendement proposé par Merkelbach],
ces trois jours étant évidemment ceux qu’Héraclite énumère juste après.
La durée moyenne (et la plus fréquente) de l’intervalle entre la disparition du
dernier quartier et l’apparition du premier est effectivement de trois jours à la lati-
tude d’Éphèse. Mais la durée de cet intervalle oscille, elle, entre 1 jour et 5. C’est
ce qu’affirme la deuxième phrase de A (II 46-47)...
Par contre, la durée du mois est, elle, relativement constante : 29 ou 30 jours.
D’où cette constatation : même quand la lune tarde à se montrer, elle finit toujours
par rattraper le temps perdu. C’est sans doute ce qu’affirme Héraclite dans le
fragment B (III 7-11) sur lequel M. L. West a fort pertinemment attiré l’attention
(ZPE 67 [1987] 16). Que c’est une citation, les signes marginaux le prouvent. Et
son appartenance à Héraclite est sinon prouvée, du moins fortement supportée,
outre les ionismes, par le contexte : apparemment l’auteur du commentaire cite tou-
jours Diodore, lequel est censé commenter Héraclite ; par le style : laconisme,
asyndète, parallélisme, rythme syllabotonique, hardiesse d’expression (cf. le hapax
Ã√∫¥|…ƒ∑», néologisme sans doute calqué sur Ã√ă¥|…ƒ∑»)… et last but not least,
par son rapport de sens évident avec le fragment A.
Ce second fragment pose quelques problèmes textuels. — Je préfère …ƒß…ä§ à
…ƒ§…`±∑» à cause de {| …Äƒäµ et ~≤≤`§{|≤c…ä§ . — Je suis convaincu que le co-
piste s’est trompé non en écrivant zßµ|…`§, mais en le corrigeant en Ÿ`ßµ|…`§: il
était distrait (4 corrections de sa main rien que dans nos fragments !) et se méfiait
de lui-même au point de voir des erreurs là où il n’y en avait pas : ¥|±»...
Ÿ`§µ∫¥|µ∑»... Ÿ`ßµ|…`§ est du charabia. — Enfin, a√∑≥§¥√cµ|§ …ªµ Ã√∫¥|…ƒ∑µ,
« laisse derrière le démesuré par défaut », se laisse interpréter assez facilement
compte tenu du contexte héraclitéen. Même quand le croissant apparaît le surlen-
demain de la néoménie, c’est-à-dire le 3, et devient pleine lune 14 jours après, le
16, il se débrouille pour <paraître une dernière fois le 28>, c’est-à-dire 13 jours
après, et ne plus réapparaître le 293, autrement dit pour rattrapper et dépasser
(« laisser derrière ») le temps (le masculin de Ã√∫¥|…ƒ∑» suggère ¤ƒ∫µ∑») qui lui
manque, — nous dirions aujourd’hui son retard.
BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE

M. W. HASLAM (éd.), The Oxyrhinchus Papyri LIII (1986) 96-99 (cf. 89-91 ; 106-110)
M. L. WEST, « A new fragment of Heraclitus » : Zeitschrift für Papyrologie und Epigraphik 67
[1987] 16.

3 Nous avons précisé quelque peu notre formule originelle.

Vous aimerez peut-être aussi