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voie médiane entre social-démocratie et extrême


gauche –, on repérait une similitude de situations.
L’échec de Syriza illustre le défaut
Les partis les plus scrutés se situaient plutôt au sud
«d’organisation» de la gauche radicale de l’Europe, dans des pays traversés par des crises
PAR FABIEN ESCALONA
ARTICLE PUBLIÉ LE MARDI 9 JUILLET 2019 simultanément économiques et politiques, et dont le
basculement dans une expérience de transformation
sociale pouvait provoquer de fortes répercussions
internationales.

Alexis Tsipras en 2018. © Reuters/Alkis Konstantinidis


La victoire de Syriza a ressuscité les espoirs
des partisans d’une troisième voie entre les partis
communistes épuisés et la social-démocratie ralliée à
la gestion néolibérale. Mais Tsipras et ses alliés ont été
absorbés par l’appareil d’État.
Voilà le seul parti de gauche radicale qui dirigeait
un pays de l’Union européenne renvoyé dans
l’opposition. Les dirigeants européens avaient déjà
obtenu la «capitulation» idéologique de Syriza à
l’été 2015, en poussant ses dirigeants à appliquer
l’austérité qu’ils étaient censés conjurer. La «
capitulation » électorale de la formation grecque est
désormais acquise elle aussi, en dépit d’un recul Alexis Tsipras en 2018. © Reuters/Alkis Konstantinidis

contenu en parts des suffrages. L’eurocommunisme ayant échoué, un certain nombre


de défis restaient pendants pour ses lointains héritiers.
Il y a quatre ans, nous évoquions les espoirs suscités La défaite de Syriza signifie-t-elle que ces derniers
par Syriza, mais aussi Podemos en Espagne, à travers sont tombés dans les mêmes travers, sans rien avoir
le fil rouge les unissant aux courants des années appris du passé ? Comme à l’époque, un nouvel hiver
1970 en quête d’une voie démocratique vers le néolibéral de quatre décennies sera-t-il le prix à payer
socialisme. Parmi ces courants, l’eurocommunisme pour les adversaires de l’ordre social capitaliste ?
a constitué une source intellectuelle importante pour
Syriza. Les tenants de cette orientation vieille de À plusieurs égards, Syriza était débarrassé de certains
quarante ans, au sein des partis communistes italien, handicaps qui avaient pesé sur les partis engagés dans
espagnol, français ou nordiques, se distinguaient par l’eurocommunisme. Dans le contexte de la guerre
leur contestation de la tutelle moscovite, ainsi que leur froide, ceux-ci maniaient l’ambiguïté quant à leur
volonté d’épouser les radicalités qui se manifestaient caractérisation des régimes de l’Est, parfois qualifiés
dans les mouvements ouvrier, étudiant, féministe et de « socialistes » alors qu’ils tentaient d’identifier ce
écologique. label à une démocratie élargie ou radicalisée.
Au-delà d’un cap doctrinal commun entre
eurocommunistes d’hier et nouvelles gauches
radicales contemporaines– à savoir la recherche d’une

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De plus, ces partis avaient risqué et parfois perdu caractérisées par une dégradation des capacités du
leur unité en raison des conflits suscités par la peuple à peser dans le rapport de forces social
ligne eurocommuniste, qui remettait en cause les condensé par chaque formation étatique.
fondations idéologiques et organisationnelles des PC Ce n’est pas seulement affaire de défaites
occidentaux. conjoncturelles. De la même façon que les chaînes
L’absence de telles difficultés a certainement permis de production se sont allongées et fragmentées autour
à Syriza d’apparaître plus cohérent et attractif aux du globe, l’autorité politique s’est dispersée ou
yeux de l’électorat, au point d’accéder à la direction concentrée en dehors des frontières censées abriter une
d’un gouvernement là où les eurocommunistes avaient vie démocratique.
tous échoué. En revanche, le contexte de l’exercice du Dans le cas de la crise de la zone euro, les parlements
pouvoir allait sans doute se révéler pire pour Syriza ont clairement été contournés par des processus
qu’il aurait pu l’être il y a quarante ans, d’autant de décision rapides entre exécutifs nationaux et
plus dans un État dit « périphérique » de l’Union européens, dans des lieux de négociation échappant
européenne. à toute publicité des débats. De ce point de vue,
Comme il y a quarante ans, la coordination entre les dirigeants de Syriza n’ont pas seulement sous-
partis de la même sensibilité s’est révélée très estimé la volonté politique de détruire la contestation
faible à l’échelle supra-nationale. Syriza appartient de l’ordre européen qu’ils incarnaient. Ils étaient
à un groupe parlementaire (la Gauche unitaire également très mal préparés à une « matrice
européenne, GUE) qui est l’un des moins homogènes institutionnelle » complexe, déployée sur des échelles
de l’Assemblée de Strasbourg (ce qui ne s’est pas temporelles et spatiales qui les dépassaient.
arrangé avec les dernières élections européennes), et Sur mediapart.fr, un objet graphique est disponible à cet endroit.
à une fédération de partis (le PGE) dont l’activité Dans leur dernier livre en anglais sur « le
et l’influence sont marginales dans le jeu politique défi socialiste aujourd’hui », sous-titré « Syriza,
européen. Sanders, Corbyn », les intellectuels critiques Leo
Hormis des soutiens verbaux, aucune campagne de Panitch et Sam Gindin insistent sur le grave déficit
solidarité massive n’a été organisée en faveur du d’« organisation » de la gauche radicale face au
peuple grec mobilisé contre l’austérité. Et dans pouvoir d’État, dont Syriza apparaît comme un cas
les négociations au plus haut niveau, les sociaux- d’école. Selon eux, tout parti qui entend dépasser
démocrates dont certains commentateurs annonçaient l’ordre néolibéral, sans parler de l’ordre capitaliste,
naïvement le soutien se sont révélés des agents plus doit investir les lieux de pouvoir avec des cadres
ou moins actifs de la discipline néolibérale. formés et compétents, mais en gardant à tout prix un
Des dirigeants mal préparés à un terrain stratégique pied dans un mouvement social faisant pression pour
miné des politiques alternatives.
Surtout, les responsables gouvernementaux de Syriza En ce sens, ce qui a échoué avec Syriza est moins
ont joué sur un terrain stratégique particulièrement l’inspiration eurocommuniste en tant que telle que
miné. En leur temps, les théoriciens eurocommunistes sa version la moins ambitieuse, baptisée « libérale-
avaient identifié le problème posé par les appareils gouvernementale » par ses contempteurs, qui revient
d’État à toute stratégie de transformation sociale. à emprunter une voie réformiste négligeant toute
Sauf cas exceptionnels, leur capacité d’absorption dialectique entre le parti et les mobilisations sociales.
institutionnelle est biaisée en faveur de l’accumulation Dans un texte récent, très détaillé, le militant
capitaliste. Or, les quatre dernières décennies se sont Éric Toussaint montre comment la nomination de
Varoufakis et sa façon de mener les négociations
ont été empreintes non seulement d’une illusion sur

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le caractère « raisonnable » des élites européennes, Mieux, les forces de déstabilisation des systèmes
mais aussi d’une prise de distance radicale avec les partisans continuent à travailler jusqu’au centre de
militants de Syriza et les mouvements sociaux, laissés l’UE, par exemple en Allemagne avec la crise du SPD
ignorants ou impuissants face aux renoncements et la fragilisation de la grande coalition.
successifs, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Une D’autre part, l’échec de l’eurocommunisme
tentation qui peut guetter quiconque s’empare du s’accompagnait de la montée en puissance de
pouvoir gouvernemental, et sur laquelle la production la configuration néolibérale du capitalisme, qui
théorique des partis existants reste bien pauvre. allait restructurer les rapports de forces sociaux
Même si Alexis Tsipras a été assez fin tacticien pour plusieurs décennies, et au sein de laquelle
pour limiter la casse électorale, la promesse initiale la paix sociale allait être achetée au moyen de
de Syriza d’un tiers chemin entre une radicalité divers artifices. Eux aussi sont cependant épuisés,
impuissante et une gestion conformiste s’est en tout à l’exception de l’injection massive de liquidités
cas évanouie. Les récentes mésaventures de Podemos par les banques centrales dans le système financier,
et de La France insoumise témoignent plus largement ce qui n’est pas sans susciter des inquiétudes
d’un reflux des forces les plus originales de la gauche sévères. Avec les menaces planant sur le destin
européenne, dont le rôle aurait pu être de retisser le des classes moyennes diplômées, la gauche radicale
fil les reliant aux tenants d’un socialisme à la fois contemporaine dispose en outre d’une base sociale
transformateur et démocratique. La situation grecque, potentielle plus substantielle qu’au cours des années
après le récent retour en grâce du vieux parti socialiste 1980-90.
espagnol, indique-t-elle une normalisation du champ Enfin, le dérèglement climatique et la sixième
politique aux dépens de la gauche radicale ? extinction de masse posent maintenant des problèmes
Un tel diagnostic serait sans doute trop hâtif. S’il concrets, qui radicalisent les enjeux de justice et de
est vrai qu’un retour à l’ordre semble gagner les démocratie longtemps portés par la gauche critique.
États périphériques de l’UE, celui-ci pourrait être de Cela ne présage pas des débouchés politiques qui
courte durée. En Grèce, le paysage politique post- seront sélectionnés par les citoyens, mais participe
dictatorial reposait sur des compromis de classe dont d’un contexte qui devrait rendre audibles les principes
les conditions ont largement disparu (notamment les défendus par les partisans d’une transformation sociale
ressources pour le clientélisme). ambitieuse.
De plus, des pays échappent à cette tendance, comme
l’Italie, toujours dirigée par des forces jusqu’alors
extérieures au club des partis de gouvernement.

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