Jean Racine
Rival de Corneille, de son temps comme dans les esprits du public d'aujourd'hui, Jean Racine
reste le maître de la tragédie classique française. Ses pièces campent, dans un décor antique,
des héros intemporels, victimes sublimes de leurs passions incontrôlables. Le héros racinien
aime quelqu'un qui en aime un autre, dans une succession terrible à l'issue fatale.
Jeune homme pauvre qui parvint à la faveur du roi Louis XIV, Racine connut une promotion
sociale considérable. Sa religion, empreinte de la morale austère du jansénisme de Port-Royal,
fut l'autre grande affaire de sa vie.
Famille
Appartenance à la moyenne bourgeoisie. Mort de la mère, puis du père de Racine, alors que
celui-ci n’a que deux puis quatre ans.
Premier succès
Andromaque (1667), un triomphe qui, de l’avis général, impose désormais Racine comme
l’égal de Corneille.
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Racine, Oreste et Hermione
L'année suivante, il publie la Lettre à l'auteur des « Hérésies imaginaires », contre son ancien
maître janséniste Pierre Nicole, qui venait de condamner le genre théâtral. Pourtant, le jeune
dramaturge, enivré de ses succès, entend bien persévérer dans la voie criminelle du théâtre. La
rupture avec Port-Royal est alors consommée.
En 1667, Andromaque est créée dans les appartements de la reine, puis jouée à l'Hôtel de
Bourgogne. Cette fois, le succès est immense. Désormais, Corneille sait qu'il a un rival.
L'amour du théâtre est propice aux liaisons avec les comédiennes : Racine s'éprend d'abord
de la Du Parc, qui le paie de retour, puis de la Champmeslé, qu'il fait débuter à l'Hôtel de
Bourgogne dans le rôle d'Hermione au printemps 1669. Cependant, ce n'est pas sur lui-même
que Racine a étudié les effets et les ravages de l'amour-maladie : son imagination, sa
sensibilité, son talent ont fait leur office. Son œuvre n'est pas une confidence.
La décennie glorieuse
Racine, les Plaideurs
En 1668, Racine écrit ce qui sera son unique comédie, les Plaideurs. Mais c'est surtout
avec Britannicus (1669) – dans lequel, en prenant pour sujet et pour cadre l'histoire romaine,
Racine s'engage sur le terrain de prédilection de son rival, Corneille – que sa gloire devient
éclatante. Dès lors, il rencontre le succès avec chacune de ses pièces : en 1671 avec Bérénice,
en 1672 avec Bajazet, en 1673 (année où le poète est élu à l'Académie française)
avec Mithridate, en 1674 avec Iphigénie en Aulide. Trois ans plus tard, Racine fait éditer son
théâtre et donne Phèdre. Louis XIV lui octroie alors une gratification exceptionnelle de
6 000 livres et le charge, avec Boileau, d'être son historiographe.
Chacune des pièces de Racine fit lever cabales, libelles, parodies et pamphlets, qui
témoignèrent à la fois de ses succès et de l'acharnement d'une opposition qui ne désarma pas.
Au service du roi
Négligeant désormais le théâtre que la cour, de plus en plus dévote, voit d'ailleurs avec moins
d'enthousiasme, Racine joue sans hésiter son rôle d'écrivain thuriféraire du roi. Cela lui vaut,
en retour, d'être parmi les familiers de la cour, d'avoir un logis à Versailles, et ses entrées dans
le cercle privilégié que le roi réunit à Marly. En 1678, il suit Louis XIV dans ses campagnes.
Sa production d'historien reste cependant mince ; on lui devra surtout un Éloge historique du
Roi sur ses conquêtes (1684) et une Relation du siège de Namur (1692). Réconcilié avec Port-
Royal (il laissera un Abrégé de l'histoire de Port-Royal, posthume), Racine entre en 1683 à
l'Académie des inscriptions et se trouve, avec Boileau encore, chargé de préparer les
inscriptions latines que le roi fait graver au-dessous des peintures qui décorent Versailles. Il
achète en 1690 une charge de gentilhomme ordinaire de la chambre.
Inspiration sacrée
Costume de MlleDumesnil dans le rôle d'Athalie
Durant cette période, Racine jouit également de la protection de Mme de Maintenon. Celle-ci
avait ouvert à Saint-Cyr une institution pour jeunes filles nobles démunies. Afin de leur faire
pratiquer le chant, le jeu théâtral, et leur donner en même temps des divertissements édifiants,
elle commande au poète des tragédies religieuses. Racine revient donc au théâtre mais à un
théâtre d'inspiration sacrée : il écrit Esther, créée à Saint-Cyr en 1689 en présence du roi et
très appréciée du public de cour, puis Athalie (1691).
Autographe de Jean Racine
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Un zèle imprudent pour Port-Royal à une époque où la persécution se faisait sentir le met en
délicatesse avec Mme de Maintenon et en demi-disgrâce à la Cour. Après avoir souffert d'un
abcès au foie, Racine s'éteint le 21 avril 1699. Louis XIV lui accorde la sépulture à Port-
Royal.
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de peu d’invention. Ils ne songent pas qu’au contraire toute l’invention consiste à faire
quelque chose de rien ». Il s'agit pour lui en effet d'« attacher durant cinq actes leurs
spectateurs par une action simple, soutenue de la violence des passions, de la beauté des
sentiments et de l’élégance de l’expression. » Ainsi s’oppose-t-il aux auteurs dont les pièces
accumulent les incidents et les coups de théâtre…
Quelques exceptions
Racine, Bajazet, acte I, scène I
D’une manière paradoxale, le théâtre classique – et surtout le genre de la tragédie – place sa
modernité dans une transposition des actions et des sentiments dans un contexte antique. Les
pièces doivent le plus possible puiser dans la mythologie gréco-romaine, les tragédies des
Anciens ou les faits relatés par les historiens grecs et latins. Racine a plusieurs fois dérogé à
ce principe.
L’action des Plaideurs se passe de son temps, puisque c’est une charge contre la justice telle
qu’il l’a connue (même si la trame est inspirée des Guêpes d’Aristophane), mais cela est
admis dans le registre comique, genre moins noble.
Plus inattendu : l’action de Bajazet a lieu au XVIIe siècle, mais en Turquie. Dans sa seconde
préface, Racine soutient que la distance géographique a le même sens que la distance dans le
temps (« On peut dire que le respect qu’on a pour les héros augmente à mesure qu’ils
s’éloignent de nous [… ] L’éloignement des pays répare en quelque sorte la trop grande
proximité des temps »). Enfin, les deux tragédies tardives, Esther et Athalie, ont prennent
leurs sources dans les « Saintes Écritures » – ce qui est une autre forme d’éloignement.
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peuple de la Grèce. » Les contemporains de Racine y voyaient même parfois des allusions
transparentes à des personnages de la Cour…
2. 4 La passion mise à nu
Racine a parfois affirmé que son théâtre était une école de vertu. Si cela est vrai pour ses deux
dernières tragédies, Esther et Athalie, il n’en est rien pour ses principales tragédies. Toutes, et
surtout ses chefs-d’oeuvre les plus célèbres, donnent à voir la passion amoureuse dans sa
violence la plus incontrôlable. Chez les amants raciniens, il n’y a plus de morale, plus de
religion, plus d’interdit – même si certains commentateurs discernent en arrière-plan un sens
caché du péché et d’un Dieu chrétien jamais totalement effacé. Ces amoureux sont transportés
par leurs passions, jusqu’à la mort – la leur ou celle des autres.
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le contraire : les scènes sont fortes, structurées, pas du tout fondées sur la seule incantation.
Mais, alors que Corneille et Molière ont une formation rhétorique et jouent volontiers avec la
forme du discours, Racine se place davantage à l’intérieur du flux de la conscience de ses
personnages et leur donne un langage plus fluide, où les mots se répondent dans une forme
d’assonance et de chant. Les propos sont en situation, participent à l’action mais peuvent être
aussi détachés, isolés, comme des phrases dont la beauté enchante et la profondeur
bouleverse.
Ainsi Phèdre se voyant tout haut à la place d'Ariane et menant un Hippolyte-Thésée :
« Et Phèdre au Labyrinthe avec vous descendue
Se serait avec vous retrouvée ou perdue. »
(Phèdre, acte II, scène V).
Ou Junie répondant à Britannicus :
« J’ose dire pourtant que je n’ai mérité
Ni cet excès d’honneur, ni cette indignité »
(Britannicus, II, 3).
Balancements, symétries, juxtapositions de termes antinomiques (oxymores) et assonances
suggestives traduisent brillamment dans le vers racinien les impasses qui enferment, la fureur
qui transporte, l'effarement qui rend fou ; ainsi dans le célébrissime alexandrin d'Oreste
perdant la raison : « Pour qui sont ces serpents qui sifflent sur vos têtes ? »
(Andromaque, V, 5).
La maîtrise du lyrisme stylistique donne au vers une mélodie prégnante propre à Racine.