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SYSTEMATIQUE DES PROGRESSIONS HARMONIQUES Nicolas Meets Jean-Marie Rens et Guy Dusart ont proposé dans le dernier numéro des FAM, une schématisation des progressions harmoniques quelque peu diffé- rente de celle que j'avais décrite moi-néme dans le nunéro précédent (voir vol. I, p. 87 8s. et p. 168 ss.). La discussion est intéressante et mérite d'étre’poursuivie. Il faut souligner d'abord certains aspects inhérents 4 la systématique elle-néme. Toute théorie systématique est par définition simplificatrice et réductrice. La réalité musicale que nous cherchons a décrire et & expliquer est évidenment plus complexe. C'est néanmoins par 1a simplifica- tion ou par 1a réduction, et par elles seules, que l'analyse peut opérer En néme temps, il est évident a priori que les modéles et les régles qu'elle propose ne peuvent qu'étre approximatifs par rapport a la réalité qu'ils cherchent & décrire. Les modéles n'y sont tout au mieux que des nétaphores, plus ou moins parlentes et plus ou moins efficaces, mais qui ne représentent que trés inexactement la vérité. Lorsque Rens et Dusart écrivent que la tonique “est libre de ses mouve~ ments", ce n'est évidenment qu'une facon de parler. Il n'y a pas en musi- que d'autre Liberté que celle que le compositeur s'accorde, et cette liberté1a est difficile & mesurer. Lorsque j'analyse certains accords comme des substituts d'autres accords, ce n'est évidenment qu'une méta— phore: il est clair que ces accords ne se substituent les uns aux autres que dans le cadre d'une certaine explication théorique. Jean-Marie Rens n'apprécie pas beaucoup, je crois, le concept d'accord "sans fondamenta- Je", qui est pour moi l'une des formes de 1a substitution: c'est peut-étre parce qu'il prend 1a_métaphore trop a la lettre. Aucun théoricien défen- dant ce concept n'a jamais prétendu que les substituts d'un accord lui sont totalement identiques: ils ne le sont qu’d un certain niveau de systématisation. On pourrait dire 1a méme chose des renversenents d'accords: 1a simili- tude entre eux n'existe gu’d un certain niveau d'analyse. Il est évident qu'au niveau de oeuvre écrite, un accord en position de sixte n'est pas identique au méne accord en position fondanentale; ils ne sont pas simple— ment interchangeables. Constater ceci, néanmoins, ne diminue en rien la puissance analytique de 1a théorie des’ renversenents. La systématique des progressions de Rens et Dusart est décrite dans un schéna reproduit sommairenent ci-aprés: n 12 NZ pico oh oe fr Xa NG 1 6te augm. vow ve Le chiffrage du type VII, TIT, VI, etc., qui représente les "dominan— tes secondaires ou emprunts", est criticable parce qu'il laisse entendre que les dominantes en question effectuent 1a "tonicalisation" de l'accord qu'elles préc&dent, en d'autres termes qu'elles anénent une modulation. Rens et Dusart objecteront sans doute que ce n'est qu'une métaphore; elle est inefficace et peut-tre trompeuse. La notion de dominante secondaire ne peut qu'entratner avec elle celle de tonique secondaire, et celle-ci déséquilibre tout 1'édifice de 1'unité tonale. S'il faut préciser, par exemple, qu'un accord du Tle degré a 1a forme déune septiéme de dominante 7 Covec te 4o dgeé host), te chitraze ff ceable aussi isibte et pls v proche de la réalité que V tout en n'entrafnant aucune idée de modulation, fut-elle passagére. D'une certaine maniére, les deux lignes principales di schéna de Rens et Dusart font donc double emploi l'une avec l'autre. Le schéma pourrait se réduire alors presque entiérement & une seule ligne VII-III-VI-II-V-I-IV, avec des substitutions possibles du VI pour le I, di I ou de 1a sixte augmentée pour le TI. Si je devais construire un schéna du méme type que celui de Rens et Dusart, j'arriverais 4 ceci: Tl stagit, on le voit, d'une sorte de réseau qui pourrait étre étendu a 1'infini dans toutes les directions, et dont tous les noeuds sont semble bles. Tl y aen réalité des points de dissymétrie 14 oi nos systémes musicaux comportent des quintes fausses: c'est la raison pour laquelle L'enchainenent IV-VII est marqué par une fléche pointillée; il faudrait faire de néne pour VI-IT en mineur. Je reviendrai sur ceci ci-dessous. Les flaches sont orientées dans le sens qui correspond 4 ce que j'avais appelé les vecteurs dominants (vers 1a droite); mais la progression peu aussi_se faire dans l'autre sens (vecteurs sous-dominants). Les degrés alignés verticalenent sont les substituts les uns des autres: le passage vertical d'une ligne 4 une autre ne constitue pas une progression harmoni- que & proprenent parler. 13 Laspect le plus intéressant de ce réseau est que chaque degré y est relié d'une maniére ou d'une autre & chacun des six autres degrés de L'échelle: trois par vecteurs dominants, les trois autres par vecteurs sous-dominants. Les deux substitutions de chaque degré font double emploi avec des degrés accessibles 1'un par vecteur dominant et l'autre par vecteur sous-dominant. Le passage d'un accord 4 un de ses substituts peut donc toujours s'analyser aussi comme une progression harnonique. Ltapparence fondamentalenent synétrique de ce schéma est probablenen ce qui le différencie le plus nettement de celui de Rens et Dusart. Ils décrivent les parcours "les plus utilisés" et laissent entendre que ceux— ci ont quelque chose d'obligatoire: "les chemins sont multiples et variés mais la direction du vent sera impératiyenent 1a méme". Seule “la tonique est complétement libre de ses mouvements". Ceci s'inserit sans aucun doute dans le contexte d'une pédagogie de l'écriture, oi il est nécessaire de guider 1'étudiant dans le choix des progressions qu'il aligne, en lui fournissant des critéres et des consignes plus ou moins inpératifs. Non point de vue est différent. Je pars de l'idée que toutes les progressions sont possibles a priori et je tente de proposer une structure de leurs conditions d'utilisation. Un premier tri consiste a les classer en vecteurs dominants ou sous-dominants, un autre A séparer les progres~ sions directes des progressions par substitution. Cette classification préalable permet ensuite une étude statistique, d'oi découleront des régles stylistiques qui pourraient sans doute servir A l'écriture de pastiches, mais cet aspect d'écriture (ou de réécriture) n'est pour mo: qu'assez secondaire. Les préoccupations stylistiques ne sont pas absentes de la schématisation de Rens et Dusart, qui "se fonde essentiellenent sur 1'observation d'ocu- vres des XVITIe et XIXe sidcles". C'est un autre point de divergence entri nos approches. a systénatique que j'ai tenté de construire repose san: aucun doute sur 1'examen d'un répertoire considérablenent plus large qui va, disons, des débuts de 1'écriture harmonique (mais pas encore tonale) au’ 16e siécle jusqu'a ses derniéres productions (mais déja plus tout & fait tonales) au début du 20e. Les quelques analyses proposées ci-aprés illustreront cet aspect. En préparation de ces analyses, il faut s'arréter un instant a la question de la tonalité, qui constitue évidenment 1'élénent central de la discussion de L'analyse harmonique. Ona vu plus haut que le réseau des progressions harmoniques comporte des dissynétries en raison de l'inter- valle de fausse quinte qui sépare certains de ses degrés. C'est 1'un des problénes fondanentaux de la théorie musicale: le cycle des quintes ne peut boucler sur lui méme que par un artifice La fausse quinte tend a établir les limites de 1a partie utilisable d systéme. Fn majeur, celle-ci est limitée d'un cété par le VIT, de l'autre par le IV: 1a série est donc VII-ITI-VI-II-V-I-IV. Le bouclage de IV vers VIT, dont on trouve assez d'exemples dans le répertoire classique, est fondamentalement artificiel et ne peut s'opérer que par analogie avec des enchafnements de quinte juste; il se justifie souvent d'ailleurs par progression ou par séquence harmonique. Le cas du mineur est plus complexe encore, puisqu'il y apparaft d'autres quintes fausses, entre VII (sensi- ble) et IIT ou entre VI (baissé) et IT. Le traitement de ces intervalles constitue toujours un cas particulier; ils sont d'ailleurs souvent évités

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