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Absi
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Pascale Absi, « Pourquoi les femmes ne doivent pas entrer dans les mines... Potosi, Bolivie »,
L'Homme et la société 2002/4 (n° 146), p. 141-157.
DOI 10.3917/lhs.146.0141
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Pascale Asst
7.
dire que là Pachamama était tombée amoureuse de lui Crime
passionnel ou étreinte fatale d'une mangeuse d'hommes, trop
souvent en tout cas, la montagne accapare à jamais la vie de ses
amants. Et la jalousie des épouses des mineurs envers cette
montagne-femme qui s'approprie leurs hommes répond à celle de
la Pachamama :
< On dit toujours du mineur: < Mais oir va-t-il encore ? Il doit avoir
une maltresse quelque part. > Mais non, c'est la mine qui prend tout notre
temps et les femmes sont totalement jalouses de la montagne. Parce que
les travailleurs sortent à 7 heures du matin de leur nraison et parfois à
l0 heures du soir ils ne sont toujours pas rentrés. Et les femmes aimeraient
tant que la mine n'existe pas. Du nroment, bien str, qu'elles ont leur
argent. Quand ils attrapent le mal de mine [a silicosc], les femmes
maudissent la mine. Et encore plus quand ils nreurent: < La mine m'a pris
mon mari, c'est pour cela que je souffre. >
(Victor Alcaraz,4T ans, mineur, coop. Unificada)
Rappetons que dans les mines d'État, leur travail fut interdit dès le
début des années cinquante, pour des raisons à la fois sociales et
productives. L'idéologie progressisûe qui motiva cette interdiction
inlluença également les pratiques des mineurs des coopératives.
Plus tard, lors de la crise minière du milieu des années quatre-
vin4s, I'abandon de la production d'étain pour celle de l'argent
commercialisé en brut supprima les tâches de tri, principales
consommatrices de main-d'ceuvre féminine à I'interieur et à
l'extérieur des mines. Les palliris durent alors se rabattre sur des
activités à ciel ouvert, notamment le recyclage des terrils et le
la femme au foyer
- qui prévaut dans les familles minières. Pour
les hommes, commenser à havailler dans la mine prend la valeur
d'un rite de passage viril. Souvent consécutif au mariage,
I'engagement du mineur comme tavailleur régulier confirme son
accession au statut d'homme adulte, capable d'entretenir sa
fami[e. Pour les femmes, par conte, le mariage marque l'abandon
de leur activité de palliri, réservée aux célibataires et aux veuves.
Etre mineur souterrain devient alors synonyme d'êhe un homme.
Les travailleurs les moins endurants, qui ne répondent pas à
l'équation masculinité : résistance physique et travail minier
< Il n'y a que les magons qui travaillent à ciel ouvert, les hommes, les
mineurs, c'est dans la mine. Ceux qui travaillent à I'ex1érieur ce sont des
femmelettes parce que nous, les honmes, nous aimons travailler à
l'intérieur de la mine n, raille David.
( Là, il y a des hommes qui balayent [e rninerai]. Ils font pareil que
moi. Ils n'ont pas honte', comment un homme va-t-il balayer ? C'est une
honte. C'est seulement pour les femmes. Les hommes ont le droit de
travailler dans la mine et seules les femmes ont le droit de balayer ici, à
l'extérieur. C'est pour cela que nous les critiquons. Celui qui balaye
devrait ss mettre enjupe ou en robe. >
< C'est dangereux pour nous, les femmes, de dormir ici, près de la
mine. Une fois, dans la montagne, il y avait une jeune lille de 2O ou 25
ans. C'était la fille de la gardienne de la nrine. On dit que sa mère était
descendue en ville. Pendant que sa mère était en bas, cette nuit-là,je ne
sais pas quelle fête c'était, un homne est entré [dans la maison de la
gardiennel. D'après ce que la fille a raconté en pleurant, il a abusé d'elle.
Alors la jeune fille est tombée enceinte. Elle répétait : < Je I'ai rêvé, je I'ai
rêvé. > On dil qu'ello s'était réveillée en criant, mais il n'y avait personne.
Depuis cejour, elle ne pouvait plus manger. Tout la dégottait. < De qui,
disaient les gens, de qui est oet enfant ? > Quand l'enfant est né, il n'étail
pas normal, il avait une tête de monstre. Par chance, il est mort. Son
oreille, ce n'était pas une oreille d'être humain, elle était longue comme
une corne. Qui était cet homme ? Même la fille ne le savait pas. Peut-être
le diable, le Tio était sorti [de la mine]. C'est pour ça que maintenant ils
n'emploient plus de femmes avec des filles jeunes. Ils prennent des
femmes âgées, parce que sinon le Tio en profite. >
@ilomena Fernandez,4S ans, gardienne, coop. l0 de noviembre)
cete pratique.
A première vue, les travailleurs des exploitations ouvertes aux
visites semblent remettre totalement en cause I'existence d'une
interférence néfaste entre les femmes et le minerai. Depuis que des
femmes visitent leurs mines, ils affirment ne déplorer aucune
disparition de filon. Cependant, cela n'est pas allé de soi. Au début,
les guides se sont heurtés au refus des mineurs d'admettre des
visiteuses sur leurs lieux de travail. Aujourd'hui encore, tous
n'acceptent pas leur présence et beaucoup veillent à ce qu'elles ne
s'approchent ni rop près, ni frop longtemps, de leurs filons. Même
ceux qui les acceptent sans réserve n'ont pas rompu avec la
croyance. Seulement, comme pour Julia et Isabel, c'est parce que
les femmes touristes ne sont pas reconnues comme des femmes à
part entière qu'elles peuvent entrer dans la mine sans altérer les
fondements de la croyance :
< Nos femmes ne veulent pas entrer, par peur de faire disparaltre les
filons. Et après, de quoi vivraient-elles ?
Mais alors, pourquoi les gringas entrent-elles ?
-Là, c'ost différent, les gringas vienneut pour s€ promener, pas pour
-
travailler.
Mais ce sont des femmes ?
- C'est different... ici à Potosi, les fetrrnres sont généralement en
-
jupe, il n'y en a presque pas qui sont en pantalou. >
(Conversation avec Marcos Rejas,43 ans, utiueur, mine Candelaria,
coop. Unificada)
< Ils ont des croyances : < Ma femme va lne porter nralclrance, mais
elfe, c'est une touriste. u Qu'il soit homme ou femme, le gringo, il a de
l'argent, donc il a de la chance. C'est pour cela qu'ils les mettent [dans la
minel. >
@liana Garnica,29 ans, fille de rnineur, vendeuse d'artisanat)
12. Les mineurs considèrent tous les Blancs comme des gringos.
Lesfanmæ ilanslæmines... Potæi,Bolioie 757