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Travaux de la Maison de l'Orient

Approche ethno-comparative des emmanchements de l'outillage


lithique néolithique de quelques stations littorales du canton de
Fribourg (Suisse occidentale)
Pierre-Alain Albasini-Roulin

Résumé
De nombreux outils emmanchés (couteaux à lame de silex, haches et herminettes en pierre polie) ont été découverts dans les
principaux sites néolithiques du canton de Fribourg. Leur très bon état de conservation nous permet, en plus de l'approche
archéologique traditionnelle, de faire appel, pour leur étude, à un mode particulier d'investigation : l'ethnoarchéologie
technologique. Celle-ci, basée sur l'analyse morphologique des pièces, permet également, sous certaines conditions très
précises, de mieux comprendre les modes de fabrication et d'utilisation des outils préhistoriques emmanchés. Dans cette brève
approche, quelques liens technomorphologiques sont établis entre les outils néolithiques de la Suisse occidentale et les haches
et couteaux amazoniens et océaniens actuels.

Abstract
In the main neolithic sites of the canton of Fribourg many hafted implements such as axes, adzes and flint knives have been
discovered. Since they were very well preserved a particular approach was made besides the traditional one: the
ethnoarchaeological technology. Based on the analysis of the morphology of the archaeological and ethnological tools it allows
us, under certain precise conditions, of better understanding the manufacture and the use of the prehistoric hafted tools. With
this brief approach we have tried to establish a few technomorphological links between neolithic implements of the West part of
the Switzerland and the actual axes and knives from Amazonia and Oceania.

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Albasini-Roulin Pierre-Alain. Approche ethno-comparative des emmanchements de l'outillage lithique néolithique de quelques
stations littorales du canton de Fribourg (Suisse occidentale). In: La Main et l’Outil. Manches et emmanchements
préhistoriques. Table Ronde C.N.R.S. tenue à lyon du 26 au 29 novembre 1984, sous la direction de D. Stordeur. Lyon :
Maison de l'Orient et de la Méditerranée Jean Pouilloux, 1987. pp. 219-228. (Travaux de la Maison de l'Orient)

http://www.persee.fr/doc/mom_0766-0510_1987_act_15_1_1712

Document généré le 25/09/2015


APPROCHE ETHNO-COMPARATIVE DES EMMANCHEMENTS
DE L'OUTILLAGE LITHIQUE NÉOLITHIQUE DE QUELQUES
STATIONS LITTORALES
DU CANTON DE FRIBOURG (SUISSE OCCIDENTALE)

Pierre-Alain ALBASINI-ROULIN

RÉSUMÉ : De nombreux outils emmanchés (couteaux à lame de silex, haches et herminettes en pierre
polie) ont été découverts dans les principaux sites néolithiques du canton de Fribourg. Leur très bon
état de conservation nous permet, en plus de l'approche archéologique traditionnelle, de faire appel,
pour leur étude, à un mode particulier d'investigation : l'ethnoarchéologie technologique. Celle-ci, basée
sur l'analyse morphologique des pièces, permet également, sous certaines conditions très précises, de
mieux comprendre les modes de fabrication et d'utilisation des outils préhistoriques emmanchés. Dans
cette brève approche, quelques liens technomorphologiques sont établis entre les outils néolithiques de
la Suisse occidentale et les haches et couteaux amazoniens et océaniens actuels.
ABSTRACT: In the main neolithic sites of the canton of Fribourg many hafied implements such as
axes, adzes and flint knives have been discovered. Since they were very well preserved a particular
approach was made besides the traditional one: the ethnoarchaeological technology. Based on the
analysis of the morphology of the archaeological and ethnological tools it allows us, under certain precise
conditions, of better understanding the manufacture and the use of the prehistoric hafied tools. With
this brief approach we have tried to establish a few technomorphological links between neolithic implements
of the West part of the Switzerland and the actual axes and knives from Amazonia and Oceania.

INTRODUCTION
Cette étude comparative a pour finalité l'établissement d'un premier réseau d'analogies
entre des pièces néolithiques provenant des stations littorales du canton de Fribourg (cf.
article D. Ramseyer), et des outils ethnographiques décrits dans différents ouvrages ou provenant
du Völkerkunde Museum de Bâle.
Ce seront des critères concernant la morphologie générale des outils (et plus spécialement
leur type d'emmanchement) et les matières premières ayant servi à leur élaboration qui
formeront le support analogique de cette brève analyse comparative.

LES HACHES
Trois types d'emmanchement de haches néolithiques nous intéressent plus particulièrement,
à savoir :
- la hache à emmanchement direct
- la hache à gaine
- la hache à perforation.

La Main et l'Outil : manches


et emmanchements préhistoriques
TMO 15, Lyon, 1987
220 P.A. ALBASINI-ROULIN

La hache à emmanchement direct (Fig. 1)


Notre collection de manches intacts n'est pas suffisamment large pour nous permettre de
déterminer des caractéristiques ayant une valeur générale. Par contre, les lames, en roche
verte partiellement polie, nous sont familières. Elles mesurent entre 8 et 13 cm de longueur,
3,7 et 5,1 cm de largeur, 2,4 et 3,1 cm d'épaisseur. L'emploi de bétuline est parfois attesté,
tant pour coller la lame au manche que pour colmater le jeu résultant d'une adaptation
morphologique imparfaite de la pierre.
Ce type de hache était, il y a quelques décennies, encore utilisé dans au moins deux régions
du monde : en Amazonie et en Océanie.
En Amazonie, il existait, au début des années cinquante, une demi-douzaine de communautés
sachant fabriquer des haches en pierre. Cependant, parmi ces tribus, seuls les Héta (ou Xéta)
provenant de l'état du Parana au sud du Brésil, réalisaient des haches de pierre polie dont
l'emmanchement direct (Fig. 2) ressemblait à celui de notre Néolithique. V. Kozàk (1972)
décrivait cet outil et le processus de la fabrication de son emmanchement de la manière
suivante : le manche (long. env. 80 cm) a un diamètre de 5 cm dans sa partie inférieure et
de 9 cm au niveau de la mortaise. Seule l'extrémité tranchante de la lame est polie, le talon
étant bouchardé afin de s'insérer avec plus de sécurité dans le manche. Dans le processus
de fabrication de cette hache, la première opération consiste à enlever l'écorce du morceau
de bois choisi. Ensuite, à l'aide d'un os (le condyle) de tapir préalablement affûté sur un
poussoir, il sera possible de creuser la mortaise, l'os de tapir, martelé à l'aide d'une pierre,
servant à la fois de couteau et de gouge. Il suffit ensuite d'insérer la pierre dans la mortaise
et de consolider l'ensemble en frappant de petits coups sur le dos de la hache. Aucune résine
ou autre moyen adhésif n'est utilisé pour faciliter l'emmanchement. Dans des conditions
favorables, les Héta sont capables de réaliser une hache de pierre en trois ou quatre jours,
avec un demi-jour supplémentaire pour l'emmanchement.
Notons encore les utilisations multiples de cette hache. En effet, si la lame sert à couper
des arbres, casser des noix ou fragmenter des os, l'extrémité conique du manche permet
d'attraper des larves d'insectes dans la souche des arbres, de creuser des trous dans lesquels
viendront se placer les perches soutenant le toit d'un abri. Ce manche fonctionne également
comme bêche.
En Nouvelle-Guinée, et dans ses îles périphériques, nombreuses étaient, durant les années
quarante, les communautés qui employaient la hache de pierre à emmanchement direct. Si
l'on se réfère à l'ouvrage de P. Hinderung (1949), nous constatons que ces communautés se
répartissent en 6 régions géographiques principales. Parmi toutes ces régions, la côte sud-ouest
de la Nouvelle-Guinée retiendra tout particulièrement notre attention. C'est en effet dans
cette contrée que se trouvent les haches dont la conception est la plus proche de nos haches
néolithiques (Fig. 3 et 4).
Une dizaine de ces haches, dont la fonction pouvait être religieuse ou utilitaire, se trouvent
dans les collections mélanésiennes du Musée ethnographique de Bâle. Leurs lames, généralement
façonnées à partir de pierres érodées dans un cours d'eau, ont des morphologies très diverses,
puisque leur forme peut être trapézoïdale, ellipsoïdale ou triangulaire, et que leur longueur
varie globalement entre 12 et 35 cm! De par son manche notamment, la hache cérémonielle
se distingue immédiatement de la hache-outil. En effet, si dans le premier cas, il est fait
d'un bois richement décoré, dans le deuxième, il est constitué de bois sommairement débité
ou d'une simple tige de bambou. Il est intéressant de signaler l'existence de similitudes
technologiques dans cette régions côtière du sud-ouest :
1 - Les pierres de hache sont symétriquement polies, alors que pour les herminettes, leur
polissage est assy métrique.
2 - La mortaise est traversante lorsqu'il s'agit de haches ayant fonction d'outil. Les haches
cérémonielles n'ont pas sur l'arrière cet orifice qui permet à la fois de déchausser la
pierre pour son réaffûtement ou son remplacement, et d'amortir le contre-coup consécutif
à une percussion.
APPROCHE ETHNO-COMPARATIVE 221

Fig. 1 Hache à emmanchement direct. Monûlier/Platzbunden. Civilisation de Horgen. Échelle : 1/3.


Dessin M. Perzinska. Service archéologique cantonal, Fribourg.
Fig. 2 Hache à emmanchement direct des Héta (ou Xéta) ; État du Parana sud du Brésil. Échelle : 1/10.
Dessin : V. Kozak, 1972, 26.
Fig. 3 Hache à emmanchement direct des Mimika ; côte sud-ouest de la Nouvelle-Guinée. Manche en
bois de 57cm de longueur. Échelle: 1/10. Cote du Musée Ethnographique de Bâle: Vb 2789.
Fig. 4 Hache à emmanchement direct de Eilander River; sud-ouest de la Nouvelle-Guinée. Manche en
bambou de 63 cm de longueur. Échelle : 1/10. Cote du Musée Ethnographique de Bâle : Vb 6089.
222 P.A. ALBASINI-ROULIN

3 - La fixation de la pierre se fait sans utilisation de colle ou de résine naturelle.


4 - Les haches ont, à quelques très rares exceptions près, un manche dont la longueur est
comprise entre 55 et 65 centimètres.
D'autres contrées sont également représentées dans les collections du musée bâlois. C'est
ainsi que nous pouvons constater que les haches des îles du détroit de Torres ont une lame
de pierre, parfois de coquillage, entièrement polie, mesurant de 8,3 à 11,3 cm de longueur,
de 4,3 à 4,9 cm de largeur, 2,4 à 2,8 cm d'épaisseur. Cette lame est insérée dans un manche
de bois d'une soixantaine de centimètres et de section circulaire, ce dernier étant évasé dans
sa partie supérieure (Hinderung, 1949, 41).
Deux autres haches à emmanchement direct méritent d'être signalées. Elles proviennent
du Swart-Tal (centre de la Nouvelle-Guinée) et des îles de l'Amirauté. La hache du Swart-
Tal est de conception proche de nos haches néolithiques, alors que celle des îles de l'Amirauté,
à usage guerrier, possède une lame d'obsidienne d'une quinzaine de centimètres de longueur.

La hache à gaine
Les pierres polies emmanchées dans une gaine à tenon simple sont nombreuses dans les
gisements du Néolithique récent et final de Portalban et Montilier. Sur l'ensemble des
exemplaires examinés, on constate que les lames emmanchées par l'intermédiaire d'une gaine
sont de dimensions plus réduites que celles des haches à emmanchement direct. Leur longueur
varie entre 2,5 et 10,1 cm, leur largeur entre 4 et 5 cm, leur épaisseur entre 1,1 et 3,4 cm.
Ces pierres se fixent, généralement à l'aide de bétuline, dans des gaines de bois de cerf dont
les formes ont évolué jusqu'à la fin du Néolithique (Ramseyer et Billamboz, 1979). Ces gaines
s'insèrent elles-mêmes dans un manche en frêne (10 exemplaires recensés) ou en hêtre (2
exemplaires), long d'une soixantaine de centimètres. Ce manche est soit droit, soit légèrement
courbé vers l'arrière au niveau de la mortaise.
L'étude ethno-comparative de ce type d'outil, n'est pas si aisée car lorsqu'une gaine et sa
pierre sont désolidarisées de leur manche, il est extrêmement difficile de savoir si nous avons
affaire à une hache ou à une herminette. En effet, les critères basés sur la dimension de la
pierre ou sur sa symétrie axiale ne sont pas suffisamment précis pour que nous puissions
nous prononcer avec certitude. Seule la morphologie de la gaine peut, dans certains cas, nous
informer sur la nature de l'outil. Si la gaine bifide appartient toujours à une herminette, la
douille semble, par contre, conçue aussi bien pour une hache que pour une herminette.
Cependant il semblerait que la morphologie du fût, rectiligne ou courbe, puisse déterminer
la fonction et l'utilisation de l'outil.
L'emploi de gaines comme pièces intermédiaires entre le manche et la lame ne semble
qu'isolément attesté au sein des communautés récentes à technologie lithique. Seule la Nouvelle-
Guinée est à même de nous en fournir quelques exemples. Si la conception des haches à
gaine néo-guinéennes nous permet l'établissement de certaines analogies, leur aspect
morphologique et les matériaux les éloignent de nos haches néolithiques. La figure 6 nous montre
une herminette à gaine ayant appartenu à la communauté des Jee-Amin. Cet outil se compose
d'un manche de bambou long de 60 cm. La lame de pierre (11 cm de longueur, 4 cm de
largeur, 3 cm d'épaisseur) est insérée dans une gaine de bois. Celle-ci, traversant le manche,
est composée de deux parties distinctes, ligaturées entre elles par un jonc qui a été préalablement
plongé dans de l'eau pour l'assouplir. L'angle décrit entre le manche et l'axe de la pierre
est de l'ordre de 85 degrés. Illustration intéressante, la figure 7 représente une hache, et non
pas une herminette comme le fait la figure précédente. Bien que sur ce second outil la gaine
soit plus longue que sur le premier, il est intéressant de remarquer que cette pièce intermédiaire
peut aussi bien être utilisée lors de la réalisation d'une hache que d'une herminette, alors
que l'emmanchement direct ne concerne que la hache. Le mode d'emmanchement des gaines
perforantes, caractéristiques de la civilisation de Cortaillod classique en Suisse occidentale
(Néolithique moyen), aménagées sur andouillers de bois de cervidés, semble être assez proche
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Fig.5 Hache à gaine. Montilier /Platzbunden. Civilisation de H orgen. Échelle : 1/6. Dessin M. Humbert.
Service archéologique cantonal, Fribourg.
Fig. 6 Herminette à gaine de Jee-Amin, Nouvelle- Guinée. Manche en bambou de 60 cm de longueur.
Échelle : 1/9. Cote du Musée Ethnographique de Bâle : Vb 6092.
Fig. 7 Hache à gaine des Jee-Amin, Nouvelle- Guinée. Manche en bambou de 68 cm de longueur.
Échelle: 1/11. Cote du Musée Ethnographique de Bâle: Vb 6091.

du type que l'on trouve en Nouvelle-Guinée. Si on dénombre plusieurs gaines perforantes


dans les collections néolithiques du canton de Fribourg, aucune de celle-ci n'a malheureusement
conservé son manche ou sa lame.
Ces deux outils ethnographiques sont les seuls à retenir notre attention car la majorité des
autres haches ou herminettes à gaine ne peuvent être comparées à nos outils néolithiques,
soit que leurs gaines aient des dimensions trop importantes, soit que l'angle entre le manche
et l'axe de la pierre diffère trop de celui des haches néolithiques.
Notons encore que si l'emmanchement direct est plus facile et rapide à réaliser que
l'emmanchement à l'aide d'une gaine, ce dernier possède de nombreux avantages : atténuer
le contre-coup, permettre l'emploi d'une gamme très large de pierres, creuser une mortaise
de plus faibles dimensions et donc diminuer les risques de cassure, et enfin fixer la pierre
avec plus de précision, le bois de cerf réagissant moins que le bois sous l'effet de certaines
contraintes physiques ou de l'humidité.

Les haches à perforation


Ce type d'emmanchement apparaît au début du Néolithique moyen (Cortaillod classique).
Toutefois, à cette époque, les haches à perforation étaient rares et semblent avoir été, pour
une partie d'entre elles, importées. Leur fabrication autochtone ne se généralisera qu'au
Néolithique récent (civilisation de Horgen). Dans un premier temps, elles seront utilisées
comme masse, car si elles n'ont pas d'extrémité tranchante, leurs bouts sont arrondis et
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portent de nombreuses traces de percussion (Ramseyer, ce volume, fig. 1/1). Plusieurs haches
à perforation proviennent des gisements de Montilier et Portalban. Les dimensions de ces
lames varient entre 9 et 18cm (longueur), 4 et 5, (cm (largeur), 3,5 et 5cm (épaisseur). La
perforation, circulaire, s'évase parfois largement dans sa partie inférieure, comme nous le
montre la figure 8. Dans le cas de cette lame, son diamètre passe de 4 cm (partie supérieure)
à 1 ,8 cm (partie inférieure la plus étroite). De plus, l'existence sur de nombreuses pièces de
traces d'abrasion en forme de « pas de vis » nous laissent supposer que, outre l'utilisation
d'un percet en os ou en bois de sureau, l'homme néolithique avait probablement recours au
silex pour évaser certaines perforations.
Ce ne sera qu'au Néolithique final (civilisation de la céramique cordée) que la hache à
perforation deviendra tranchante et servira donc à couper, et non plus à écraser. Les pièces
entières en notre possession ne sont pas en nombre suffisant pour que nous puissions en
donner les dimensions précises. Toutefois il apparaît que la perforation de ces lames est
moins évasée que celle du Horgen, et que des traces verticales de polissage, sur les faces
internes de la perforation, sont nettement visibles. Plusieurs de ces lames ont été jetées en
cours de fabrication, ayant cassé lors de leur perforation {Fig. 9).
Les haches à perforation sont rarement mentionnées dans les ouvrages ethnographiques, à
tel point que tant P. Hinderung dans son livre sur les haches océaniennes, que A. Bühler
(1946-49) lorsqu'il traite des outils en pierre de Polynésie et de Mélanésie, n'en font mention.
Pourtant il en existe. CA. Schmitz (1962) s'est intéressé à l'étude de l'une d'entre elles. Cette
hache (Fig. 10), provenant de la vallée du Markham (nord-est de la Nouvelle-Guinée), possède
une lame, de section circulaire, mesurant 21 cm de longueur pour un diamètre maximal de
6 cm. Une extrémité de cette pierre est pointue, alors que l'autre est arrondie, ce qui fait
dire à CA. Schmitz que cette hache servait de massue. Son manche en bois, de 77,5 cm est
retenu à l'intérieur de la perforation par de la résine d'arbre dans laquelle, sous et sur la
lame, ont été fixés de petits coquillages. Cet auteur nous cite encore l'existence d'une pièce
similaire ayant servi de marteau.
Dans la vallée de la Waghi, les haches, ou massues, de pierre ont une morphologie quelque
peu différente. Les lames que nous présente P. Wirz (1951) étaient utilisées par les Era
(Fig. 11) et les Kia (Fig. 12). Leurs dimensions respectives sont 16 et 28 cm de longueur, 9
et 8,5 cm de largeur. Leur perforation a été réalisée simultanément des deux côtés, ce qui
fait que leur diamètre, à la surface de la pierre, est parfois double de celui mesuré à l'intérieur
de cette perforation.
Un problème se pose dès lors. Celui de la fixation du manche à une pierre perforée de
la sorte. L'étude de l'emmanchement de certaines massues circulaires peut, à ce propos, nous
éclairer. Les pierres de ces armes sont parfois calées à l'aide d'une baguette de bois qui,
placée obliquement par rapport au manche puis ligaturée à celui-ci permet au système de
trouver une certaine homogénéité. L'évasement de la pierre présentée sur notre figure laisse
supposer l'utilisation d'une telle méthode d'emmanchement.
Quant à la lame des Kurugu, longue de 1 6 cm et large de 8 cm, décrite par H. Tischner
(1939) (Fig. 13), sa valeur ne serait que symbolique -représentation de formes magiques- et
nous ne savons rien, ni de son mode d'utilisation, ni de son utilisation antérieure, si ce n'est
qu'elle a été importée dans cette communauté.
Notons en conclusion que si la technique de perforation est connue en Nouvelle-Guinée,
elle s'utilise dans la fabrication de casse-têtes ou de « clubs » circulaires ou en étoile, c'est-à-
dire d'outils dont le centre de gravité de la pierre est confondu avec celui du manche. Ce
phénomène est important car il nous démontre, a contrario, les limites du système
d'emmanchement à perforation appliqué à un outil dont le centre de gravité n'appartient
pas à cet axe. De fait, il n'est pas osé d'affirmer que si les haches à perforation sont rares
aussi bien au Néolithique qu'auprès des peuples « primitifs » actuels, cela est dû à leur
efficacité toute relative. En effet, il n'est pas difficile d'imaginer que lors de son utilisation,
la lame de la hache vacillera au moment de l'impact et donc effectuera une rotation autour
de son axe. Ainsi il en résultera à la fois une dispersion de la force et une difficulté réelle
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Fig. 8 Hache à perforation. Delley-Portalban II. Civilisation de Horgen. Échelle : 1/2. Dessin C. Collaud.
Service archéologique cantonal Fribourg.
Fig. 9 Hache à perforation. Delley-Portalban II. Civilisation cordée. Échelle 1/2. Dessin M. Humbert.
Service archéologique cantonal, Fribourg.
Fig. 10 Massue à perforation du Markham-Tal, Nouvelle-Guinée. Échelle: 1/12. Dessin tiré d'après
photo ; CA. Schmitz, 1962, 109.
Fig. 11 Massue de la région des Era, Waghi-Tal, Nouvelle-Guinée. L: 16,2cm; ép : 8,8cm. Échelle:
1/3. Dessin tiré de P. Wirz, 1951, 297.
Fig. 12 Massue ou hache de la région des Kia, Waghi-Tal, Nouvelle- Guinée. Échelle 1/3. Dessin tiré
de P. Wirz, 1951, 297.
Fig. 13 Lame de pierre des Korugu, Waghi-Tal, Nouvelle-Guinée. L: 16,3cm; l: 8,2cm; ép : 2,5cm.
Échelle: 2/3. Dessin tiré de H. Tischner, 1939, 58.
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Fig. 14 et 15 Couteaux des Ngatatjara, Désert de l'ouest australien. Échelle : 2/3. Dessins tirés de
A. Gould, D.A. Koster and A.H. Sontz, 1971, 149.
Fig. 16 Couteau à emmanchement latéral. Font, néolithique. Échelle : 1/2. Inv. n°799. Service archéologique
cantonal, Fribourg.
Fig. 17 Couteau à emmanchement latéral. Aléoutiennes ; Échelle: 2/3. Dessin tiré de A. Leroi-Gourhan,
1946, 321.
APPROCHE ETHNO-COMPARATIVE 227

à diriger cette force en un point déterminé à l'avance. Par contre, l'utilisation d'un système
d'emmanchement à perforation se justifie pleinement dans le cas d'un casse tête à pierre
circulaire puisque, en cas de rotation de celle-ci, elle offrira toujours la même surface de
contact à l'objet touché.

LES COUTEAUX
Si les couteaux à lame de pierre existaient, il y a quelques années encore, dans plusieurs
régions du monde, les couteaux en silex à emmanchement latéral ne semblaient être utilisés
qu'en quelques rares endroits. Un cas tout particulièrement intéressant provient du désert de
l'ouest australien (Fig. 14 et 75). Gould, Koster et Sontz (1971, 149) écrivaient à propos de
couteaux provenant des Ngatatjara : « Λ flake with a thin sharp edge suited for slicing or
cutting is termed tjimari. Western Desert knives (tjimari) are retouched only if the cutting
edge needs it. In most cases, however, the extremely sharp edge of the freshly- struck flake
is regarded as sufficient. Flakes used as knives are sometimes given a 'handle' by attaching
a lump of spinifex resin (kiti)». Ces couteaux ont les dimensions approximatives suivantes:
longueur 8 cm, largeur 5 cm, épaisseur 1 ,5 cm. Ils servent principalement à trancher et couper
la viande et se différencient des racloirs par le fait que l'angle de leur bord retouché est plus
aigu que celui de ces derniers.
La figure 16 nous montre un type de couteau néolithique. Le silex emmanché est un éclat
à retouches envahissantes bifaciales, collé à l'aide de bétuline. La pièce provient d'une fouille
ancienne (date inconnue). Son contexte stratigraphique n'est pas connu. Des traces de lustré
caractéristiques donnent une indication précieuse de son utilisation : l'outil a servi à couper
des céréales ou autres tiges siliceuses (joncs, ...)· Un couteau de forme similaire, provenant
des Aléoutiennes (Fig. 17) a été publié par Leroi-Gourhan (1946). La matière dont il est fait,
ainsi que son mode d'utilisation ne sont malheureusement pas précisés.

Résidence Saint-Georges
1711 CORMINBŒUF (Suisse)

BIBLIOGRAPHIE
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die heilige Steinschale der Minembi. Études sur l'Océanie, Basel, 289-303.

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