ARTHALA
LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE
DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
IRMC Karthala
20, rue Mohamed 22-24,
Ali Tahar boulevard Arago
1002 Tunis 75013 Paris
« Le Maghreb revisité. Nouvelles lectures en sciences sociales et humaines »
« Nouveaux paradigmes maghrébins »
« Savoirs maghrébins : Nouvelles lectures en sciences humaines et sociales »
AMAU
Professeur émérite des universités, spécialiste du
monde arabe et musulman, Ex directeur de l’IRMC
Le titre d’un livre n’est jamais qu’un choix parmi d’autres possibles
dans une quête du meilleur. Il lui faut, en effet, concilier précision et
concision, description et « séduction ». Son énoncé produit des effets
d’annonce qui orientent la lecture, à moins qu’ils n’en dissuadent. Le titre,
résume Gérard Genette, « est un relais, et, comme tout relais, il lui arrive
parfois, si l’auteur a la main trop lourde, de faire écran et finalement
obstacle à la réception du texte ». Et de conclure, « Moralité : ne soignons
pas trop nos titres – ou, comme disait joliment Cocteau, ne parfumons pas
trop nos roses ». Prolongeons le propos, les bons livres offrent toujours
plus que ce que leur titre promet. Pour tenir la promesse, ils construisent
et mettent en œuvre des catégories de pensée, des « notions communes »
dans l’acception spinozienne d’idées générales ou généralisables.
Autrement dit, leur relation avec le titre dépasse la simple littéralité.
Le prix de l’engagement politique dans la Tunisie autoritaire est de ceux-là.
Michaël Ayari, oserais-je, n’a pas trop parfumé ses roses. Il a adopté un
titre d’une grande sobriété, qui ouvre sur une série d’inter-rogations. Le
livre y apporte des réponses précises et circonstanciées, fondées sur les
résultats d’une vaste enquête et l’analyse de données biographiques de
près de 250 militants « gauchistes » et « islamistes ».
L’accroche du titre fixe notre attention sur « le prix de l’engagement ».
Avec le référent « de Tunisie autoritaire », elle sollicite notre imaginaire de
la répression et de ses victimes ou ses héros. Tout honnête homme – le
français, langue masculine, n’offre pas d’équivalent féminin dépourvu
d’équivoque – entend une petite voix intérieure laissant planer le doute
8 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
« la jonction ». Porté par une demande d’islam, il n’en a pas retiré des
ressources politiques suffisantes pour rallier à lui l’ensemble des
composantes sociales et notamment le salariat ouvrier, jalousement
encadré par la Centrale syndicale, l’UGTT.
Le dépassement de la contradiction intrinsèque au phénomène élitaire
dépend, dans une large mesure, d’une circulation des élites, entendue ici
au double sens d’élargissement et de renouvellement. Les élites
nourrissent le dessein d’aller au peuple, mais dans quelle mesure en
proviennent-elles ? En Tunisie, elles sont majoritairement issues des
bourgeoisies des villes anciennes ainsi que des sociétés villageoises du
littoral oriental. Michaël Ayari ne se borne pas au rappel de cette
pesanteur sociale, qui recoupe largement la « ségrégation régionale » dont
parlait le regretté Habib Attia. Il spécifie la teneur et la portée de l’origine
sociale à partir de l’élaboration et de la mise en œuvre d’une catégorie
synthétique, dite « origine socio-identitaire ». Celle-ci lui permet de cerner
l’espace de socialisation primaire des militants contestataires. Elle se prête
néanmoins à une montée en généralité sur les caractéristiques de
l’ensemble des élites tunisiennes. Notre auteur, à bon droit, ne s’en
prive pas.
Entrons librement dans l’atelier du chercheur pour comprendre
comment il élabore l’artefact « origine socio-identitaire ». Dans les
pratiques sociales, le nom de famille et l’origine géographique opèrent
comme marqueurs identitaires. À propos d’un tout autre objet d’étude –
Proust et les noms ! – Roland Barthes faisait état de « l’épaisseur
sémantique » du nom et, plus encore, de son « feuilleté ». Retenons la
formule pour souligner combien le nom de famille est chargé de
significations. Il renvoie à l’origine géographique de la parentèle et avec
elle, à des relations affinitaires saisies généralement en termes de
localisme ou de régionalisme. De plus, ce « feuilleté » incorpore des
référents de statut et des signes de distinction, liés aux transformations de
la société tunisienne durant la période coloniale. Par définition, il
fonctionne tel un raccourci, qui fait fi de la complexité des trajectoires
individuelles. Le prendre au sérieux suppose de le déconstruire et de le
recomposer sur la base de récurrences observables. Du moins, est-ce ainsi
que j’interprète la démarche qui a présidé à la fabrication de la catégorie
« origine socio-identitaire ». Celle-ci saisit ce que j’appellerais le capital
12 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
familial, pour ne pas dire « social » compte tenu des acceptions multiples
du « capital social » dans la littérature sociologique. Elle combine, à
l’échelle de la parentèle, l’origine géographique avec les parcours scolaires,
professionnels et éventuellement politiques avant l’indépendance.
L’analyse des données biographiques afférentes à ces indicateurs permet
de dégager quatre types d’origine. Vraisemblablement, les dénommer n’a
pas été la tâche la plus aisée, étant donné la nécessité d’adopter des noms
qui ne soient pas pures conventions mais témoignent, eux aussi, d’une
« épaisseur sémantique ». L’auteur a opté pour les appellations élites
médinales, médinaux, publiciens et extra-muros.
Les deux premiers profils, qui en définitive ne se distinguent que par la
variable professionnelle et les ressources associées à celle-ci,
correspondent aux anciennes élites de la société précoloniale. Ils ont pour
attaches, et non point nécessairement pour lieux de résidence, des villes
anciennes dites « traditionnelles ». Ils recouvrent des trajectoires
d’ajustement, sous peine de déclassement, aux nouveaux fondements de
la hiérarchie sociale générés par le choc colonial. Avec les « publiciens»
nous avons affaire à des familles qui ont pu et su saisir les opportunités de
mobilité ascendante offertes par ce même choc, avec notamment les
filières d’enseignement bilingue. Le néologisme « publicien » vise, de mon
point de vue, à rendre compte de la conquête de positions de médiation
entre les formes de vie de la société tunisienne et les dispositifs ou
référents de « l’espace public » colonial. Il en allait ainsi d’un large éventail
de professions, depuis l’administration jusqu’au barreau en passant par
le journalisme. Autant de fonctions propices à la revendication de rôles
de porte-parole des sans-voix. Tout Tunisien y reconnaîtra volontiers « les
Sahéliens », bien que ces lignées de promus ou de grimpeurs sociaux ne
proviennent pas toutes du littoral oriental.
Le quatrième type d’origine, le moins fréquent, se révèle
particulièrement instructif sur le problème de la circulation des élites. Les
« extra-muros » se définissent par un faible capital familial, dépourvu des
ressources dont les trois autres ensembles sont dotés à des titres divers.
Ces outsiders sociaux renvoient l’image de l’autre Tunisie, celle des
« classes inférieures », des régions de l’intérieur et des périphéries des
grandes agglomérations. D’évidence, une telle origine offre beaucoup
moins de chances de mobilité. La scolarisation massive et l’élargissement
PRÉFACE 13
Michel Camau
Novembre 2015
Introduction
1. « […] Mystique, nationaliste, révolutionnaire et philosophe ». Selon Abderrazak Cheraït (2002, 115),
Aboul Kacem Chebbi est le poète romantique le plus connu dans le monde arabe.
16 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
gagner ce respect. Tout comme le calviniste qui cherche dans son activité
professionnelle et dans sa réussite économique les signes de son élection,
il avait besoin de prouver au monde et à lui-même qu’il était un élu de la
modernité. Il était convaincu que le peuple, conforme à son image allait le
soutenir dans cette tâche. Finalement, le fait de ne trouver aucun groupe
social pour réaliser ses desseins renforça son sentiment de séparation vis-
à-vis de la société. Or, cela était l’inverse du but poursuivi (Brown, 1974,
315-363). Et depuis l’époque du premier bey réformateur, les élites
politiques tunisiennes se sont senties en mesure de traduire les
aspirations du peuple et de s’ériger en avant-garde imaginant que l’alter
« peuple » était identique à leur ego. Puis, elles ont toutes réalisé le
décalage qui les en séparait et tenté de le remodeler à leur image.
Le 20 mars 1956, la France reconnait solennellement l’indépendance
de son protectorat. Durant les décennies qui suivirent, plutôt que
d’attendre, à l’instar d’Aboul Kacem Chebbi, le jour où des têtes bien faites
auront compris le sens intime de leur révolte, des étudiants, « combattants
du savoir », demeurent persuadés que le mouvement de libération
nationale n’est pas achevé. Mieux, ils pensent que, jeunes, instruits,
maitrisant les doctrines politiques « à la page », la véritable indépendance
ne peut avoir lieu que sous leur égide. Les fondateurs des groupes que,
faute de mieux, nous nommerons contestataires/révolutionnaires 2 , ont
puisé leur inspiration de leurs voyages d’études « lointains » à Paris,
Damas ou le Caire. Ils ont erré dans des « contrées mystérieuses »,
découvrant des idéologies fortement mobilisatrices 3. De retour en Tunisie
2. C’est à dire dont le discours anti-régime est en règle générale perçu comme subversif par les autorités
et dont les modes d’action politique bien que largement non violents en Tunisie, sont considérés comme
transgressifs par ces mêmes autorités. Nous faisons référence aux groupes nationalistes arabes,
gauchistes et islamistes. Nous n’appliquerons pas ce qualificatif au parti communiste tunisien (PCT) qui,
bien que clandestin de 1963 à 1981, met en œuvre une politique de « soutien critique » à l’égard du
régime. Comme nous le verrons, cette perception des autorités est évolutive. Le traitement sécuritaire
que leur réserve le pouvoir est inconstant. Il n’évolue pas en fonction directe de la radicalité de leur
discours et de leurs modes d’action politique, lesquels changent au fil du temps.
3. Nous emploierons le terme « idéologie » dans le sens synchrétique de Gerald M. Platt et de Rhys
H. Williams (2002, 333) : « Ideology is an assemblage of ideas about the construction of activities and
circumstances oriented to achieve interests and life experiences as visualized in an idealized past,
present, and future. Ideology comes into play when cultural meanings and the structuring of the social
world run into trouble. […] Ideologies arise when cultural meanings and practices become inadequate,
indifferent, or in dispute ».
INTRODUCTION 17
et, afin de ne pas se sentir étrangers parmi leurs compatriotes, ils créent,
de concert avec les étudiants de l’Université moderne, des collectifs
politiques dont les positions à l’égard de l’État ont évolué en fonction,
sinon de l’origine familiale et des parcours politique et professionnel des
militants qui les ont composés, du moins de la nécessité d’opérer la
jonction avec un « peuple » que le régime autoritaire rendait quasiment
introuvable.
Cet ouvrage est tiré d’une thèse de doctorat en science politique
soutenue en janvier 2009 à l’Institut d’Études Politiques d’Aix-en-
Provence sous la direction de Michel Camau (Ayari, 2009a). Destiné à un
lectorat plus large que le public universitaire, il tente de comprendre sous
un angle sociologique le sens de cette quête de « peuple », ainsi que les
obstacles auxquels celle-ci s’est heurtée. Il apporte également des
éléments permettant de comprendre les limites du politique dans la
Tunisie post Ben Ali. En effet, le milieu politique élitaire des années 2010
est un petit monde où la plupart des individus, non seulement se
connaissent, mais partagent un passé commun de militantisme étudiant.
Les conflits passés entre anciens activistes d’extrême-gauche et islamistes,
les rapports entre les organisations contestataires/révolutionnaires et le
pouvoir, les traumatismes cumulés, les rancœurs personnelles, les secrets
partagés au sein du microcosme étudiant déterminent parfois certaines
prises de position publiques qui ont une influence sur la vie de millions
de citoyens.
C’est ainsi, que la polarisation entre islamistes et anti-islamistes de
2012-2013 ne peut véritablement s’appréhender sans comprendre
l’histoire des groupes antagonistes, celle de leurs militants ainsi que
l’évolution de leur positionnement par rapport à l’autoritarisme. Car, à
bien des égards, anciens gauchistes des années 1960-1970 devenus
proches du Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD) – parti
hégémonique du président Ben Ali, héritier du Parti socialiste destourien
(PSD) de Bourguiba – ou militants des droits de l’Homme dans les années
1990-2000, gauchistes, islamistes et ex-islamistes, semblent régler leurs
comptes politiques tout en exprimant une lutte plus profonde. Celle-ci est
au cœur même des tensions sociales et politiques que connaît le pays
depuis le départ de Ben Ali : une lutte entre élites clivées sur le plan social,
géographique et identitaire, rappelant parfois la lutte entre élites
18 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
4. Le terme « gauchiste » servira de terme générique pour dénommer les organisations et les individus
situés à gauche du Parti communiste tunisien (PCT), clandestin entre 1963 et 1981 mais situé, en un
sens, à la lisière de la contestation/révolution. Nous le préférerons à « gauche radicale » ou « nouvelle
gauche arabe ».
5. Nous retiendrons la définition de Olivier Roy même si celle-ci ne s’applique pas de manière exacte
à l’islamisme tunisien « mouvements qui voient dans l’islam une idéologie politique et qui considèrent
que l’islamisation de la société passe par l’instauration d’un État islamique et pas seulement par la
mise en œuvre de la charia » (Roy, 2004, 33).
6. Notre échantillon compte plus d’un militant sur quatre ayant effectué plus de cinq ans de prison
ferme. Seul un activiste sur cinq n’a jamais été condamné par la justice tunisienne pour son
engagement politique. En outre, les militants sont parfois condamnés plusieurs fois à l’occasion de
procès politiques différents. 191 individus de l’échantillon forment ainsi 272 occurrences parmi les
noms figurant sur les listes des procès politiques.
7. Le logiciel Sphinx.
20 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
second. Les grands procès politiques de la fin des années 1960 à celle des
années 1970 ne concernent pratiquement que des militants d’extrême-
gauche. Il en va ainsi du procès de 1968 (principalement des activistes du
GEAST), de ceux dits des « 202 » et des « 101 » de 1974 et 1975 et de celui
de 1979 (dit Echa’ab es serri 13) regroupant des membres de Cho’ola. Par
ailleurs, le mouvement islamiste, pourtant déjà structuré, a été toléré
jusqu’en juillet 1981. À partir de cette date et jusqu’en 1994, les gauchistes
encore actifs à la fin du cycle de contestation au début des années 1980 ne
seront pas traduits en justice. En revanche, les comparutions d’islamistes
s’enchaîneront à un rythme régulier (1981-1983-1986-1987) pour
culminer entre 1989 et 1992 avec l’emprisonnement ou l’exil de la majorité
des activistes. Les gauchistes et les islamistes se sont ainsi alternativement
présentés – alors qu’ils étaient sensiblement du même âge (18-30 ans) –
devant les différentes juridictions avec une décennie d’écart. En
conséquence, il n’est pas exagéré d’affirmer, d’une part, que l’islamisme a
pris le relais du gauchisme et, d’autre part, que ces mouvements ont été les
deux principales forces contestataires/révolutionnaires et transgressives,
organisées, depuis le début des années 1960, c’est-à-dire après la réduction
des derniers yousséfistes et la stabilisation de l’État indépendant 14. De ce
point de vue, les salafistes jihadistes, que nous nous contenterons d’évoquer,
remplaceront, à bien des égards, les islamistes de type « Frères musulmans »
à partir de la deuxième moitié des années 2000, comme nous le verrons.
En ce sens, les étudiants, ont été les principaux citoyens à avoir milité
activement contre le régime et à en avoir payé le prix. En effet, si l’on
retranche les syndicalistes de l’Union générale tunisienne du travail
(UGTT) traduits en justice au lendemain de la grève générale du 26 janvier
1978 (Yousfi, 2015), la majorité des inculpés des procès politiques tenus
13. Echa’ab clandestin (Le peuple clandestin), un journal créé par Cho’la détournant le nom de celui
de l’UGTT (Echa’ab – Le peuple).
14. Les yousséfistes désignent les partisans de Salah Ben Youssef. De 1934 à 1955, celui-ci dirige
l’appareil du Néo-Destour (le principal parti politique qui a encadré le mouvement national, créé par
Habib Bourguiba en 1934). Les yousséfistes s’opposent aux conventions franco-tunisiennes du 3 juin
1955 qui spécifient que la France contrôlerait la sûreté intérieure et extérieure de la Tunisie pendant
dix ans. Ils préconisent l’indépendance totale et immédiate du pays. La lutte entre yousséfistes et
partisans de Habib Bourguiba faillit dégénérer en guerre civile. Salah Ben Youssef a été étroitement
soutenu par Ahmed Ben Bella et un temps par Gamel Abdel Nasser. Il sera assassiné en 1961 à
Francfort-sur-le-Main (Allemagne) sur l’instigation, entre autres, de Habib Bourguiba.
INTRODUCTION 23
Les 244 militants de l’échantillon sont nés entre 1934 et 1974. Au cours
de leur enfance respective qui s’étend des années 1930 aux années 1980 1,
la société tunisienne a connu de profondes transformations. Si la
hiérarchie sociale et la manière dont les citoyens se la représentent ont
évolué, des constantes demeurent toutefois. L’origine géographique et la
trajectoire éducative et sociopolitique de la famille élargie – ou parentèle –
définissent le statut prescrit 2 d’un individu ainsi que le cadre dans lequel
il acquiert d’éventuelles dispositions politiques au cours de son jeune âge,
de manière plus précise que la simple origine sociale (profession des
parents dans une famille nucléaire).
La société tunisienne apparait beaucoup plus homogène culturel-
lement, religieusement et linguistiquement que la société libanaise
(Picard, 1988), marocaine (Waterbury, 1975), algérienne (Leca, Vatin,
1975 ; Laroui, 1982) ou syrienne (Dupret et al., 2007) où les clivages
ethniques, communautaires, linguistiques et confessionnels sont bien plus
manifestes. Or, les clivages régionaux et identitaires y sont importants et
1. Nous pourrions fixer la limite de l’enfance à l’âge de douze ans. Cet âge correspond aux premières
années de l’enseignement secondaire (entrée au lycée en Tunisie, quasi systématiquement des années
1960 au milieu des années 1970, début de l’internat, et entrée au collège en France). Par ailleurs, sur
le plan psychologique, comme le note Annick Percheron (1993), c’est le moment où l’enfant peut
relativiser les informations venant de différentes sources, établir des relations logiques entre les
choses et classer les éléments de son environnement les uns par rapport aux autres.
2. Yves Schemeil (1978 ; 1982) utilise cette notion dans le cadre de la société libanaise. Elle signifie :
naissance dans une famille, une ethnie ou une communauté.
28 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
« don contre don » qu’il effectue ce choix. L’enjeu est de « contrôler » les
actes de la personne à travers un réseau affinitaire ou familial élargi. Ceci
rappelle les « réseaux particuliers de confiance » décrits par Charles Tilly 3.
L’attachement mutuel cimente la relation tout autant que l’intérêt (Lenclud,
1993). On pourrait pour être plus précis, parler de relations clientélaires à
base régionale, de clientélisme régional, de groupes de coopération ou de
solidarité à base de contiguïté territoriale. Autrement dit, sur le plan
sociologique, l’identité prescrite par le nom de famille et l’origine régionale
de la parentèle désignent de manière métonymique un éthos qui partagé
par les acteurs d’une relation de réciprocité est l’indice du respect des
normes définies par la nature de cette relation.
Cette manière de considérer les rapports sociaux en Tunisie semble
renvoyer ce pays dans le champ des sociétés « pré-modernes ». À bien des
égards, la majorité des chercheurs en sciences sociales connaissant le
terrain tunisien considèrent cette caractéristique comme un tabou. D’une
part, cela rappelle une conception intellectuelle qui prévalait sous la
colonisation. La plupart des historiens coloniaux considéraient, en effet, la
Tunisie comme une société mosaïque, divisée sur le plan géographique,
social et culturel et largement tribale (Gautier, 1952). D’autre part, cela
va à l’encontre du mythe d’une Tunisie « moderne », unie et homogène,
entretenue durant les années 1960-1980 par nombre de chercheurs qui se
faisaient en cela les relais des thèses bourguibistes considérant les clivages
identitaires régionaux comme des survivances tribales appelées à
disparaître avec la modernité.
Pourtant, nous le verrons au cours de ce travail, malgré les mutations
de la société tunisienne au cours desquelles les distinctions sociales se
sont construites autour des hiérarchies socioprofessionnelles et de la
possession de capital culturel et surtout économique, le référent
identitaire de la parentèle continue de faire sens pour la plupart des
Tunisiens, exerçant, par ce fait même, des effets bien concrets tant sur le
plan de la classification sociale que des destinées individuelles au niveau
politique et professionnel.
3. « Trust networks […] consist of ramified interpersonal connections, consisting mainly of strong
ties, within which people set valued, consequential, long-term resources and enterprises at risk to
the malfeasance, mistakes, or failures of others » (Tilly, 2005, 12).
30 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
5. Az-zaytûna est la plus ancienne université arabe et islamique. La grande mosquée de Tunis, qui
abrite l’établissement Zitouna, a été construite en l’an 116 de l’Hégire correspondant à l’an 734.
Les enseignements ont commencé trois ans plus tard.
6. Appelé enseignement traditionnel de la Zitouna pour le primaire, les enquêtés emploient le terme
« école coranique » que l’on ne doit pas confondre avec les koutteb.
7. Qui deviendra la direction de l’Instruction publique (DIP) en 1934.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 33
8. Les Tunisiens admis aux deux parties du baccalauréat vont de 27 par an en 1927 à 96 en 1954,
moins d’une dizaine sont certifiés en 1948 de l’Institut des hautes études. On compte 64 étudiants
tunisiens en France en 1934 et 163 en 1946. Pour les données sur l’enseignement secondaire et
supérieur durant la période coloniale le lecteur peut utilement se référer aux travaux de Noureddine
Sraïeb (1974, 1995a).
34 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
9. Le Néo-Destour est fondé en 1934 par Habib Bourguiba. L’Archéo-Destour, a été créé en 1920 par
Abdelaziz Tha’albi. La composition sociologique du Néo-destour par rapport à l’Archéo-Destour reflète
un changement sociodémographique notable des responsables nationalistes, principalement un
rajeunissement qui attestait de l’entrée des nouvelles élites sahéliennes sur la scène du mouvement
national, lesquelles remplacent les élites traditionnelles. Par rapport à l’Archéo-Destour, il se caractérise
par « un plus grand ancrage populaire, une relative prédominance des éléments provinciaux, une
meilleure ventilation régionale, moins de méfiance et de réticences à l’égard des masses et moins de
retenue – voire une certaine aisance – dans leurs rapports mutuels, et, à partir de 1937-1938, une nette
propension à l’activisme, au recours à la propagande et à l’action directe » (Hamza, 1985, 69).
10. Au début des années 1950, l’UGTT encadre les ouvriers et employés tunisiens (80 000 adhérents)
ainsi qu’une partie du lumpen-prolétariat des périphéries urbaines. Elle organise de nombreuses
grèves et manifestations – dont un important rassemblement le 1er mai 1951. Elle prend en quelque
sorte le relais du Néo-Destour lorsque ses dirigeants sont emprisonnés par les autorités coloniales.
Elle apporte une dimension économique et sociale aux revendications nationalistes. C’est par
l’intermédiaire de son fondateur et secrétaire général Ferhat Hached, que la question tunisienne est
présentée pour la première fois à la tribune de l’Organisation des nations unies (ONU), le 4 décembre
1952. Ce dernier sera assassiné le lendemain par une organisation de colons liée aux services français.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 35
12. Le 17 juillet 1961, le refus de la France de quitter la base navale de Bizerte à la demande du
président tunisien, Habib Bourguiba, provoque une crise. Un blocus par les Tunisiens entraîne une
intervention en force des Français. Le communiqué officiel tunisien fera état de 630 morts et
1 555 blessés (Belkhodja, 1998).
13. Le combattant suprême en arabe, El moujahid el Akbar, signifie le combattant le plus grand d’où
le combattant suprême et également celui qui réalise le grand combat, en l’occurrence, poursuivre le
développement national qui est l’affaire de tous.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 37
(trois quarts contre un quart pour les individus issues d’autres régions),
et forme ainsi une « élite composite » (Vermeren, 2002).
Sur le plan socioéconomique, depuis la pénétration du capital financier
et commercial européen au début du XIXe siècle, les enjeux de contrôle des
ressources rares liés aux divergences des niveaux de développement
régional et local, a reconfiguré les particularismes traditionnels 19. Durant
la période précoloniale, le pays était bien plus urbanisé que le reste du
Maghreb. Tunis, Nabeul, Hammamet, Soliman, Zaghouan, Kairouan, Sousse,
Monastir, Mahdia, Sfax, Gabès, Gafsa, Tozeur, Nefta, Béja, Testour, Tebourba
et Bizerte constituaient de véritables villes. Or, au début du XIXe siècle, les
clivages traditionnels intra et extra-muros ont été exacerbés par le
développement de la bourgeoisie commerçante et la crise concomi-tante de
la petite paysannerie. L’économie citadine a subi l’ouverture aux échanges
internationaux, ce qui a entrainé une crise de l’artisanat et une
concentration de la collecte et de la commercialisation des produits
agricoles dans les ports. Le commerce caravanier dans le Sud du pays, à
Tozeur, à Nefta dans le Nefzaoua et à Gabès a fortement décliné.
Les principaux centres d’artisanat traditionnel ont été contraints de réduire
drastiquement leur activité. Les intérêts européens réorientant les
courants d’échanges traditionnels, ont concentré la vie urbaine sur le
littoral 20, conférant à Tunis le monopole de l’importation des marchandises
étrangères.
Le protectorat a essentiellement mis en place une économie coloniale
extravertie s’appuyant sur les mines de phosphate, les exploitations
agricoles, les chemins de fer et les ports. Le système agraire colonial a
rompu les bases de l’économie traditionnelle, fondée sur la complémen-
tarité « céréales-élevage ». Avant la colonisation, les steppes du Sud-Est, de
vastes zones de pâturage, domaines de tribus nomades 21 constituaient les
principaux nœuds des routes de la Tunisie méridionale. La France en fit
des territoires militaires. Les officiers des affaires indigènes s’appuyèrent
19. Notamment les conflits dynastiques du début du XVIIIe siècle agrégeant des tribus, quartiers et
villages en çoffs (clans) qui se sont réactivés lors de l’insurrection de 1864.
20. La concentration sur le littoral des principales villes est un fait antérieur à la colonisation (Signoles,
1985, 126).
21. Les Touazine entre Médenine et Ben Gardane, les Khazour au Nord-Ouest de Médenine, les
Ouderna, Accara et Jebelia qui formaient la confédération des Ouerghamma.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 39
22. Les anciens pasteurs, les Ouled Ayar, les Ouled Naji et les Ouled Ali, nomadisent au début du siècle
dans le Sud-Ouest du Tell.
23. La colonisation s’est particulièrement étendue et a provoqué l’extension de la céréaliculture, la
sédentarisation des nomades et le recul de l’élevage traditionnel.
40 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
24. De surcroît, depuis le début du XIXe siècle, les migrations successives dans les centres villes et les
faubourgs ont battu en brèche l’opposition urbain/rural.
25. Le beldi, le « bourgeois véritable », selon Jacques Berque, celui qui demeure dans la médina de
Tunis où il est généralement propriétaire, est par son métier typiquement urbain et par sa
participation à la « vie collective et sa symbiose avec la cité ». Trois attributs le caractérisent
principalement dans l’imaginaire social de cette époque et encore de la nôtre : la possession d’une
maison, d’une olivette et d’un coin de cimetière (Ben Achour, 1989, 74).
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 41
26. Nous avons rangé les familles de grands et moyens propriétaires agricoles sous la catégorie élite
médinale. Au niveau de la superficie de terres cultivées par la famille, la variable climatique joue
puisqu’avant l’indépendance, dans les régions au climat méditerranéen comme celles du littoral
méridional ou dans la presqu’île du Cap-Bon, quatre hectares environ suffisaient à assurer la
subsistance. Dans d’autres régions, la même superficie conduit souvent à l’exode vers les centres
urbains en tant qu’ouvriers dans l’industrie embryonnaire ou vers des propriétés agricoles plus
grandes, en tant qu’ouvriers agricoles ou khamesset (métayage au Quint).
42 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
27. Au début de la décennie 1950-1960, le cousin du père de Mohamed devient responsable du Néo-
Destour à Sfax. Mohamed Charfi, entretien avec l’auteur, 2005.
28. Najib Chebbi, entretien avec l’auteur, 2005.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 45
29. Une grande tribu de la Tunisie centrale qui s’était convertie à la commercialisation de produits
issus de l’agriculture (dattes). La famille compte également des cheikhs de la Zitouna et des magistrats
au sein des tribunaux chariaïques.
30. Malika Horchani voit le jour dans le Sud tunisien en 1941. Elle est une des primo-militantes du
groupe Perspectives. Elle jouera un certain rôle au sein du mouvement féministe tunisien dans les
années 1970-1980.
31. Mohamed Sayah, né en 1933, d’abord proche du Parti communiste tunisien (PCT) et président de
l’Union générale des étudiants tunisiens (UGET), a été directeur du PSD de 1964 à 1969 et de 1973 à
1980. Il a également dirigé de nombreux ministères de 1969 à 1987. « Mémorialiste » et historien du
mouvement national, il est considéré communément comme représentant l’aile autoritaire du
bourguibisme. Il a joué un rôle clé au niveau des querelles de palais et supervisé les services d’ordre
musclés du parti au pouvoir (Disney, 1978, 12).
32. Une grande famille kairouannaise intra-muros de muftis, caids et imams à la Zitouna.
46 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
33. Mohamed Saddam est né à Kairouan en 1940. Dans les années 1970, il est un des leaders en exil
d’El Amel el Tounsi (Le travailleur tunisien, nouvelle appellation, datant du début des années 1970,
du GEAST dit groupe Perspectives), principale organisation d’extrême-gauche tunisienne dont nous
parlerons longuement au cours de ce travail. Mohamed Saddam, entretien avec l’auteur, 2005.
34. À l’indépendance, les terres agricoles relèvent des régimes juridiques suivants : 750 000 hectares
de propriété étrangère, 400 000 de terre Melk, 1 600 000 Habous publics et semi privés et 3 000 000
de terres collectives. Les terres Melk sont des propriétés privées qui se définissent par le plein droit
d’exploitation, de jouissance et de disposition. Les Habous publics et semi privés sont théoriquement
« inaliénables » et placés sous l’autorité des instances religieuses, un droit d’usufruit est conféré aux
exploitants jusqu’à extinction de la descendance. Les terres collectives appartiennent aux tribus, sans
titre de propriété individuelle, se caractérisant par une gestion collective indivisible. Entre mai et
juillet 1956, les Habous semi privés et privés sont abolis ainsi que la tenure collective des terres qui
ont maintenu une certaine forme d’organisation tribale. En septembre 1957, le gouvernement procède
au partage des terres collectives. Un nombre notable de propriétaires fonciers sont accusés de
collaboration avec la colonisation et leurs biens mis sous séquestre (Kraïem, 2003, 192). Entre 1958
et 1963, les 750 000 hectares les plus fertiles qui fournissent 40 % de la production nationale
agricole – en l’occurrence les terres des colons – sous le protectorat, sont nationalisés et gérés par
l’Office national des terres domaniales avant d’être intégrés en grande partie dans les unités
coopératives de production. La loi du 7 mai 1959 sur les terres insuffisamment exploitées en confisque
de facto un bon nombre, notamment dans la région de Kairouan, dont certaines sont vendues à bas prix
à des leaders fellagas ayant rendu les armes au moment opportun.
35. Deux oncles de Mohamed Saddam appartiennent à la promotion sadikienne de Habib Bourguiba
au début des années 1920.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 47
36. Ce qualificatif désigne Habib Bourguiba. Le combattant suprême en arabe, El moujahid el Akbar,
signifie le combattant le plus grand d’où le combattant suprême et également celui qui réalise le grand
combat qui est l’affaire de tous.
37. Mohamed Saddam, entretien avec l’auteur, 2005.
48 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Sur le plan politique, il n’est pas rare que les membres des parentèles
de filiation élite médinale, encore enfants au lendemain de l’indépendance,
soient socialisés dès leur plus jeune âge au nationalisme arabe, en
l’occurrence le yousséfisme. Ils se souviennent, par exemple, avoir lu le
journal Es Sabah 39 et écouté l’émission de radio qui rapporte les « hauts
faits des frères algériens », Saout el Arab (La voix des Arabes) 40. Le cas de
Noureddine Ben Kheder, future figure emblématique du groupe
Perspectives, [décédé en 2005,] est, à cet égard, édifiant. Noureddine naît
à la fin des années 1930 à la Hamma de Gabès, un village du Sud tunisien,
sorte de petit watan contestataire ; c’est en effet un district de sédentaires
nourrissant une tradition intellectuelle et d’opposition aux pouvoirs en
place 41. Son grand-père paternel possède à cette époque une palmeraie
et un magasin de produits agricoles. Après avoir obtenu le diplôme
supérieur d’enseignement de la Zitouna, il est nommé cheikh par les
autorités du protectorat. Le père de Noureddine suit sa scolarité primaire
dans une école franco-arabe et obtient le certificat d’études primaires, ce
qui est l’indice d’une stratégie familiale d’adaptation aux nouvelles réalités
sociales. Après l’acceptation de l’autonomie interne par Habib Bourguiba
en 1955, il rejoint les positions de Salah Ben Youssef. Il milite activement
avec les yousséfistes de la Hamma. Lettrée, sa défense de la cause
yousséfiste ne s’explique pas uniquement par un intérêt de position
menacée. Il s’engage pour la libération du Maghreb et attaque
39. Un quotidien de langue arabe qui a défendu ouvertement Salah Ben Youssef.
40. Fondée en 1953 un an après la chute de la Monarchie en Égypte, cette radio a joué le rôle de
porte-voix en Égypte et dans le monde arabe, du nouveau régime des officiers libres de Gamal Abdel
Nasser.
41. La Hamma de Gabès, un village près de Gabès dans le Sud tunisien répond aux caractéristiques du
watan décrites par Moncer Rouissi : « Ainsi pour bien délimitée qu’il soit, ce pays recouvre bien des
« patries » ou watan qui sont autant de particularismes qui nourrissent un genre de vie aussi bien
qu’une histoire. Un watan est un « pays », un district de sédentaires par opposition à une tribu
nomade », (Rouissi, 1987, 63). De la Hamma de Gabès provient également Tahar Haddad, un poète et
militant nationaliste tunisien membre de la direction de la Confédération générale du travail
tunisienne (CGTT) dans les années 1920. Tahar Haddad a poursuivi un travail intellectuel sur l’idée
de régénérescence de la société par la promotion de ses différents secteurs (syndical, féminin,
éducatif) et a joué un rôle déterminant dans la formalisation de la pensée « éducationniste » tunisienne
en actualisant l’idée des premiers réformateurs (Ahmed Bey, Khereddine) selon laquelle l’arriération
et la dégradation de la population étaient l’explication ultime de la « colonisabilité » de la Tunisie.
Mohamed Ali, un des fondateurs de la CGTT et Rached Ghannouchi, dirigeant historique du parti
islamiste Ennahdha, sont originaires de ce watan.
50 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
42. Gilbert Naccache, est juif-tunisien. Il est l’un des six activistes d’extrême-gauche tunisiens détenus
pendant plus de dix ans dans différentes prisons du pays. Il a notamment écrit un roman en prison,
devenu classique, intitulé Cristal du nom des paquets de cigarettes qui lui servaient de papier.
Cf. Gilbert Naccache, Cristal, Tunis, Éditions Salammb, coll. « Identités » (1982).
43. Il est né en 1953 à Kebili dans le Sud tunisien. Dans les années 1970, Il milite au sein du groupe
d’extrême-gauche El Amel el Tounsi (Le travailleur tunisien).
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 51
jerbiennes, via le « rapatriement » d’une fraction des bénéfices, de se maintenir dans l’île. Notons
qu’en 1860, 65 % des Jerbiens ont quitté Jerba. Les Jerbiens établis à Tunis ou demeurés à Jerba ont
particulièrement sympathisé avec Salah Ben Youssef, Jerbien et issu lui-même de la bourgeoisie
commerciale de filiation élite médinale.
48. Militant d’extrême-gauche du milieu des années 1960 au début des années 1980.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 53
53. À partir de 1971-1972, ce journal désignera le GEAST. Dans les années 1960, le GEAST était appelé
du nom de sa revue, Perspectives tunisienne pour une Tunisie meilleure, abrégé en Perspectives.
54. Les rapports entre Archéo et Néo-Destour étaient particulièrement conflictuels. Rappelons le
« sabotage » du congrès de l’Archéo-Destour du 26 avril 1934 par l’intervention musclée de militants
du Néo-Destour, les rixes à l’arme blanche, à l’arme à feu pour faire capoter la tournée de propagande
entreprise par Abdelaziz Tha’albi en 1937. Notons également que durant le conflit entre yousséfistes
et bourguibistes, l’Archéo-Destour était considéré comme allié des yousséfistes, notamment en raison
de son soutien au mouvement des étudiants zitouniens (Moula, 1971, 162).
55. Radhia Nasraoui, militante d’extrême-gauche dès les années 1970, est avocate, particulièrement
médiatisée en France, et engagée depuis les années 1980 dans différentes organisations de lutte pour
le respect des libertés publiques.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 55
56. Sous le protectorat, les femmes tunisiennes scolarisées sont encore plus rares dans le Nord-Ouest
du pays que dans les zones urbaines.
57. Radhia Nasraoui, entretien avec Éric Gobe, Tunis, mai 2007 et Michaël Ayari, base prosopo-
graphique, 2007.
58. Ainsi que le développement du civisme républicain composé de morale sociale et d’exaltation du
sentiment national.
56 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
59. Complétons en signalant que l’instruction était l’axe central de la revendication réformiste dès le
début du XXe siècle. L’hebdomadaire Le Tunisien, sous la direction d’Ali Bach-Hamba, revendiquait en
1908 dans le sillage des lois Ferry l’instruction primaire gratuite et obligatoire, en arabe et en français,
dans les agglomérations d’au moins 5 000 habitants, déjà avec l’idée sous-jacente de bataille contre
l’ignorance qui sera profondément exploitée les premières années de l’indépendance. La question de
l’instruction a également été abordée dans le neuvième point du programme du l’Archéo-Destour de
1920, puis récupérée par le Néo-Destour en 1934.
60. Qui plus est, cette perception s’est également construite sur une tradition « islamique » de
valorisation sociale du alim (savant), de la science et de l’éducation de la jeunesse qui se manifestait
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 57
notamment au sein des groupements à tendance religieuse, les zaouïas, les confréries et des
associations parascolaires durant la période coloniale.
61. Les exemples de réussite sociale sans diplôme, légitimés socialement par la participation, plus ou
moins avérée, au combat nationaliste n’entament pas cette vision.
58 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
62. La mobilité structurelle désigne les mouvements entre catégories sociales liées à la modification
des places à pourvoir d’une génération à l’autre.
63. Rached Ghannouchi, entretien avec Vincent Geisser et Choukri Hamrouni, Londres, 2002.
Cf. également Abdelkader Zghal (1995, 197-212).
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 59
L’oncle, chef de famille, envoie trois enfants, dont Chérif, à l’école primaire
du village le plus proche. Cela est singulier puisque ces trois enfants sont les
seuls « nomades » de l’école. À ce moment, alors qu’une partie de la famille
continue son errance, l’autre se sédentarise et vit sous la tente à quelques
kilomètres de l’école, en l’occurrence à Blata à 30 km au nord de
Kairouan 64. Au début des années 1960, Chérif, qui sait lire et écrire, devient
« l’écrivain public » du village. Il rédige les lettres collectives destinées à
l’administration. Il s’éloigne ainsi de la condition du simple nomade illettré.
En outre, son grand-père maternel est un « grand ami » de Hassan
Abdelaziz Ouardani. Celui-ci, bandit de grand chemin qui s’est attaqué à
plusieurs reprises pendant les années 1940-1950 aux fermes des colons, a
rejoint le mouvement national, où il a dirigé des troupes de choc du Néo-
Destour. Le grand-père de Chérif semble avoir suivi un itinéraire
semblable, à la différence près qu’il n’a pas capitalisé cette notoriété après
l’indépendance. Toutefois, le père de Chérif contactera cet Hassan
Abdelaziz Ouardani dans les années 1970 lors de l’incarcération de son fils.
À défaut d’une libération, il obtiendra l’ajournement de la procédure
d’expulsion de la femme de Chérif, de nationalité française.
Ici, malgré une origine extra-muros, le réseau de relations familiales dont
bénéficie Chérif le met en contact avec des militants bourguibistes d’origine
nomade que l’indépendance a véritablement « surclassés » sur le plan
sociologique. Les cas de mobilité ascendante de grande amplitude ont été
fréquents au sortir du protectorat. Les familles d’ascendance extra-muros,
dont certains membres avaient coordonné les activités de terrorisme
urbain durant le mouvement national et fourni des éléments d’information
aux comités de vigilance anti-yousséfistes, aux milices et autres services
d’ordre du parti, ont pu bénéficier, en guise de récompense pour services
rendus, de postes de responsables au sein de la garde nationale et de
l’armée ou, plus généralement, dans les instances gouvernementales
régionales et locales. En outre, le réseau de relations constitué durant les
activités nationalistes les a mis en contact avec des futurs dignitaires du
régime en mesure de les gratifier par différents procédés.
64. À la fin des années 1960, la famille devait remonter vers le Nord pour échapper à la mise en
coopérative du cheptel. Le père de Chérif vit sous la tente jusqu’en 1985, refusant de se départir de
l’attribut principal de la fierté nomade. Chérif Ferjani, entretien avec l’auteur, 2005.
60 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
B. Filiation publicienne
Origine géographique : En majorité du Sahel/Cap-Bon ;
Profession des membres de la parentèle avant l’indépendance: petits
agriculteurs, fonctionnaires de catégorie B ou C dans l’administration
française, professions libérales ;
Éducation des membres de la parentèle avant l’indépendance :
Scolarité secondaire ou supérieure moderne et bilingue ;
Choix politique de certains membres de la parentèle durant le
mouvement national : militantisme au sein du Néo-Destour
(tendance Bourguiba) et plus marginalement au sein de l’Archéo-
Destour ;
Posture émotionnelle et cognitive familiale transmise au militant
durant l’enfance : éducationnisme prononcée (croyance immodérée
en un mythe éducatif), vision en phase avec l’idéologie de l’État
indépendant (républicanisme, modernisme, développementalisme) ;
Perspectives de mobilité sociale ascendante fortes.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 67
C. Filiation extra-muros
Origine géographique : en majorité de l’Ouest, du Centre et du Sud du
pays en dehors des centres-villes de vieille urbanisation ;
Profession des membres de la parentèle avant l’indépendance :
petits agriculteurs, ouvriers, ouvriers agricoles ou dans l’industrie
naissante, petits métiers proches du lumpenprolétariat dans les
périphéries urbaines ;
Éducation des membres de la parentèle avant l’indépendance :
aucune ou éducation primaire voire secondaire unilingue ;
Choix politique de certains membres de la parentèle durant le
mouvement national : militantisme au sein du Néo-Destour tendance
Habib Bourguiba et Salah Ben Youssef pour celles issues du Sud et
dans une moindre mesure du Nord-Ouest ;
Posture émotionnelle et cognitive transmise au militant durant
l’enfance : stigmate (descendants de tribus nomades, gens de
l’intérieur, etc.), éducationnisme et vision en phase avec l’idéologie
de l’État indépendant (républicanisme, modernisme, dévelop-
pementalisme), frustrations sociales ;
Perspectives de mobilité sociale ascendante faibles, dépendantes en
partie du degré de mobilité structurelle et du réseau de relations
affinitaires.
relativement développés. Les emplois dans l’agriculture ont baissé 71. Dans
les années 2000, le sous-emploi (travail à temps partiel, emplois générant
des revenus « insignifiants ») représente encore plus de 20 % de la
population active occupée et le chômage environ 20 % de la population
active (Letaief, 2000, 30-35 ; 46). Toutefois, l’OSI et notamment l’origine
géographique de la parentèle continue toujours de jouer un rôle majeur
dans le processus d’identification sociale. Si les individus d’origine extra-
muros ont majoritairement accédé à l’éducation moderne et bilingue, le
stigmate demeure.
Dans le cadre de cette étude, nous généralisons ces OSI, en l’état, –
celles-ci demanderaient à être affinées – au-delà de notre population
d’enquête, afin d’analyser, notamment, les conflits inter-élites au sein du
parti au pouvoir durant les années 1960 et de comprendre les
caractéristiques sociodémographiques assez homogènes des opposants
de la moitié des années 1990 à la fin des années 2000. Ces catégories sont
loin d’expliquer à elles seules les trajectoires professionnelles et
politiques. Toutefois, elles définissent en premier lieu le cadre de
socialisation au sein duquel le militant qui vient au monde à un instant
précis évolue. Celui-ci, nous le verrons, est autant héritier qu’interprète
d’un champ d’expérience politique et familial. Il se forge sa propre vision
du monde tout au long de sa vie, notamment sa jeunesse, au cours d’une
socialisation politique secondaire davantage structurante sur le plan
idéologique que sa socialisation politique primaire.
71. Néanmoins en 1989 l’agriculture fournit encore 25 % de l’emploi total (Letaief, 2000, 30).
72. En Tunisie, l’entrée au lycée (collège et lycée ne sont pas dissociés) va souvent de pair, notamment
dans les années 1960 et 1970, avec l’accès à l’internat, c’est-à-dire l’expérience d’une décohabitation
parentale précoce. Le fait de ne plus vivre au sein de l’espace familial marque dans une certaine
mesure les débuts du processus de socialisation secondaire de l’enfant ou du jeune individu.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 69
73. Cette « provenance » rappelons-le n’a rien à voir avec le lieu de résidence, elle désigne autant le
lieu de naissance que l’origine géographique de la parentèle.
74. Notons également qu’il n’y a pas de pic de surreprésentation de militants originaires du Sud du
pays au sein de l’extrême-gauche après 1973, année où l’extrême-gauche est autant marxisante que
pro-palestinienne et nationaliste arabe.
70 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
particulièrement élevé chez ceux nés entre la fin des années 1930 et la fin
des années 1940, avec un pic pour ceux nés entre 1955 et 1959, tandis que
les militants de lignée extra-muros sont largement majoritaires parmi les
individus les plus jeunes. Cependant, le glissement n’est ni graduel ni
linéaire.
75. Ces dates d’entrée en militance délimitent, plutôt que des générations, des micro-cohortes
générationnelles. Comparativement au concept de génération, celui de micro-cohorte permet de
souligner le faible laps de temps (comparé aux trente ans généralement retenues pour une génération)
séparant les « grappes d’acteurs » qui passent à l’acte (Favier, 2004 ; Whittier, 1997).
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 71
Total 100 (52) 100 (34) 100 (45) 100 (26) 100 (35) 100 (29)
Si l’on croise l’OSI avec le groupe politique simplifié (tableau 5), nous
constatons que les islamistes comprennent près de 45 % de militants
d’origine extra-muros contre 18 % pour la gauche, 15 % d’acteurs
d’ascendance publicienne contre 28 % pour la gauche, ce qui constitue une
différenciation fondamentale du point de vue du recrutement sociologique
des mouvements. Nous avons ainsi un écart aux effectifs théoriques
de +14 pour les islamistes de lignée extra-muros (-13 pour les gauchistes
d’ascendance extra-muros), +7 pour les gauchistes d’origine élite médinale
contre -6 pour les islamistes du même type de parentèle (tableau 6).
72 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Gauche Islamistes
Extra-muros 18 45
Publicienne 28 15
Médinale 28 27
Élite médinale 26 13
Total 100 (148) 100 (82)
Total 100 (4) 100 (6) 100 (3) 100 (32) 100 (29) 100 (7)
76. Entendu comme le processus postérieur à la socialisation primaire, qui permet d’incorporer un
individu déjà socialisé dans de nouveaux secteurs du monde objectif de sa société (Berger, Luckmann,
op.cit., 186).
77. Dans le même ordre idée, certains auteurs parlent également d’identité instable.
78 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
78. Effectivement, lors d’un entretien biographique, le narrateur sélectionne et ordonne les
événements qu’il juge importants. Il met en œuvre un code narratif qui préexiste partiellement à la
situation d’entretien et est affiné au cours de l’entretien lui-même. En déployant un code narratif il met
en intrigue, il « organise les éléments consécutifs d’un récit de manière à ce qu’ils constituent une
énigme ou un problème à résoudre, il les introduit comme autant de pièces à conviction dans un
procès, d’arguments dans une démonstration. Il transforme une suite chronologique en une
argumentation logique (une série d’ « après », « ensuite », un enchaînement de « donc », « parce que »,
« de ce fait ») et fait une histoire à raconter avec une thèse à défendre » (Dubar, Demazière, 1997).
79. Moncef Marzouki insiste également sur les souffrances familiales qui ont résulté de l’exil marocain
forcé de la famille. Moncef Marzouki, entretien avec l’auteur, 2004.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 79
80. Rached Ghannouchi, entretien avec Vincent Geisser et Choukri Hamrouni, Londres, 2002 et
Salah Karker, entretien avec Vincent Geisser et Choukri Hamrouni, Digne, 2002.
80 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
81. Les éléments que nous développons à propos de la socialisation primaire sont valables également
lorsque l’acteur a dépassé les douze ans. Tant que l’espace familial demeure le principal cadre de
sociabilité, les interactions sociales avec des membres de la parentèle sont plus nombreuses par
rapport à d’autres interactions (camarade de quartier par exemple).
82. Un groupe d’une centaine de personnes en majorité proches ou membres de l’ex-PCT, devenu
Ettajdid (Renouveau) deux ans après la chute du mur de Berlin. L’Initiative démocratique se constitue
en 2002 à la suite de la réforme constitutionnelle autorisant le président de la République à briguer
plus de deux mandats. Nous la qualifierons de tentative de regroupement de l’opposition « de gauche ».
83. Salah Zeghidi, entretiens avec l’auteur, Tunis, Paris, 2005-2007.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 81
84. En outre, un frère de Najib Chebbi a été également membre du PCT et d’autres cousins membres
de Perspectives après avoir rompu avec le Ba’ath ou dès leur premier engagement.
85. Nous avons déjà fait référence à ce militant.
82 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Krichen, l’aîné de Zyed de dix ans, est l’un des « théoriciens » et dirigeant
d’El Amel el Tounsi entre 1972 et 1974, jouant un rôle de premier plan
dans les querelles doctrinales au sein de Perspectives à la fin des années
1960. Leader étudiant, il a été arrêté une première fois en 1966, puis
condamné lors du procès de septembre 1968 avec les Perspectivistes. Son
frère, quant à lui, entre à l’université environ dix ans plus tard, c’est-à-
dire en 1976. Il devient rapidement leader du mouvement islamiste à la
Faculté des sciences de Tunis. Il quitte toutefois la Jama’a al islamiyya
avant les premières répressions, non sans avoir entretenu des relations
très proches avec ses dirigeants historiques. Dans le même temps, il
cofonde le Mouvement des islamistes progressistes (MIP) à la fin des
années 1970 86.
Citons, enfin, Salah Karker, sahélien, de lignée médinale, aux ascendants
professeurs à la Zitouna 87, leader de la tendance « putschiste » 88 au sein
d’Ennahdha dans les années 1980 [décédé en 2012]. Il a un frère de sept
ans son aîné, Hassan Karker, militant de Perspectives à Paris en 1968, des
Jeunesses communistes révolutionnaires (JCR), puis du PCT. Les exemples
sont nombreux, comme Habib Mokni, d’origine publicienne, également
leader d’Ennahdha, dont le frère est engagé au PCT. Slaheddine Jourchi,
d’origine médinale, l’un des premiers militants de la Jama’a al islamiyya,
début des années 1970, cofondateur du Mouvement des islamistes
progressistes (MIP), journaliste-écrivain connu dans le monde arabe dans
les années 2000, a un cousin germain incarcéré en septembre 1968 pour
avoir participé à la création d’une cellule du PCT interdit en janvier 1963,
à Bab Souika dans les faubourgs de Tunis. Nabil A. dont les deux jeunes
frères sont, selon ses termes, « intégristes » dans les années 1980 alors
que lui milite au sein du Watad, groupuscule d’extrême-gauche,
particulièrement virulent sur les campus à l’encontre des militants
islamistes. Nous avons également des fratries divisées sur le plan politique
comptant un frère dans l’« opposition », recherché par la police, et un autre
responsable local du parti au pouvoir. De même, nous dénombrons de
nombreuses parentèles comptant autant de militants d’« opposition » que
de membres du parti unique ou hégémonique. Mais, sur ce point, aucune
régularité n’est observable.
D’après ces quelques exemples qui peuvent être multipliés, l’origine
socio-identitaire (OSI) n’explique pas l’orientation idéologique du militant.
L’idée de transmission culturelle et politique directe semble peu
pertinente, bien que durant l’enfance le rôle des autruis significatifs et des
modèles d’identification politique soient loin d’être négligeables. Plus
précisément, le militant reformulera l’histoire de son enfance et de sa
parentèle en fonction des éléments de langage qui vont structurer son
système de représentation au cours de sa socialisation politique
secondaire. Ces différentes représentations expriment, en fait, un horizon
d’attente, lié à un champ d’expérience politique et familial, constitué dans
les frontières tracées par les OSI.
à l’horizon d’attente, il se « tourne vers ce qui n’est pas encore, mais peut
être envisageable ; l’espoir et la crainte, le souhait et la volonté, le souci,
l’analyse rationnelle, la contemplation réceptive ou la curiosité », comme
l’écrit Paul Ricœur (1985, 313) expliquant Reinhart Koselleck. Le fait de le
déployer transforme, par choc en retour, le champ d’expérience dans
lequel « se sont déposés les acquis du passé » (ibid, 379). Autrement dit,
les événements politico-historiques vécus au cours de l’enfance peuvent
avoir des conséquences concrètes sur la vie du militant et de sa famille
élargie (transformation des conditions matérielles d’existence,
arrestations, maltraitance policière, torture). Le fait qu’un discours
idéologique donne sens à ces traumatismes politico-familiaux favorise les
postures contestataires/révolutionnaires et réordonne l’échelle de valeurs
de l’individu (Jasper, Poulsen, 1995). Précisons que si naître à la même
époque prédispose à partager des expériences similaires qui forment
« contemporanéité » (Drouin, 1995), les événements n’affectent pas toutes
les générations à un instant T sans distinction d’âge (effet de période) ni
ne s’imposent à une même cohorte de naissance de manière homogène
(effet de génération) (Percheron, 1985). À l’intérieur d’une génération
existe un certain nombre d’unités générationnelles qui vivent la base de
leur expérience commune de différentes manières (Mannheim, 1990). Des
événements de portée nationale et internationale jugés marquants durant
l’enfance reviennent de manière récurrente dans les entretiens. On
pourrait les classer en différentes catégories :
Événements liés au mouvement de libération nationale : répression
des militants nationalistes par les autorités du protectorat et
assassinat de Ferhat Hached 89 ;
Événements liés au conflit entre yousséfistes et bourguibistes, lui-
même symptôme de la consolidation de l’appareil d’État et du
pouvoir des nouvelles élites : assassinats de yousséfistes, procès des
« collaborateurs » et mainmise du Néo-Destour sur les organisations
nationales ;
89. Ferhat Hached, secrétaire général de l’UGTT, a joué un rôle de premier plan dans le mouvement
national tunisien. Le 5 décembre 1952, il est assassiné par l’organisation de colons « La main rouge ».
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 85
90. L’attaque de la ville minière par un commando de trois cents Tunisiens armés par la Libye et
soutenus par les renseignements militaires algériens.
86 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
91. En Tunisie, d’une part, seuls l’islam – dont l’assise territoriale imaginée se projette dans une
Oumma (communauté) – et l’arabité – dont l’horizon d’attente transcende la personnalité nationale –
offrent aux gouvernés « des pôles d’identification collective dépassant les clivages ». D’autre part, seul
le réformisme tunisien, c’est-à-dire la « tentative d’adaptation de la civilisation occidentale à la société
et la culture “arabo-musulmane” », constitue pour les élites nationalistes, le seul véritable champ
d’expérience. En ce sens, nous pouvons mieux comprendre cette analyse de l’historien tunisien
Mohamed Chérif : « Le nationalisme tunisien n’abolit pas au niveau des masses populaires la
conscience d’appartenance à une Oumma musulmane et à une Koïne arabe, il enrobe, modèle et colore
un substrat arabo-musulman dont il s’est nourri et fortifié. D’où une certaine ambiguïté dans le
discours et l’action nationaliste, due à la confusion voulue ou non des concepts et des sentiments »
(Chérif, 1975, cité in Camau, Geisser, 2003, 227). En d’autres termes, « la communauté de langue et
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 87
structurel et permanent qui doit sans cesse être comblé. Ce déficit est perçu
comme d’autant plus menaçant que l’arrivée au pouvoir des nouvelles élites
et la construction de l’État moderne sont simultanées. La contestation des
dirigeants est ainsi ressentie comme la tentative de déstabilisation d’un édifice
étatique récent. L’effort continu pour imposer un consensus sur l’histoire du
mouvement national a donc pour fonction de délégitimer les dissensus
politiques, sociaux, culturels, et de consolider la position des nouvelles élites
à la tête de l’État.
De fait, tout discours qui traite du passé du mouvement national ou du
présent de la gestion des affaires publiques, quel que soit son cadre
énonciatif et son rayonnement, est potentiellement politique et clivant.
L’autoritarisme, dans la version d’État démiurgique mise en œuvre par le
projet bourguibien, est dans une certaine mesure à la fois la cause et la
conséquence de ce phénomène. Il investit les champs de la narration
collective d’une signification politique, y compris ceux traitants de sujets
anodins, et tente de limiter la diffusion des discours qui attaquent la
légitimité historique des gouvernants.
À titre de comparaison, la société française, dans les années 2010,
malgré la réactivation périodique de ses névroses nationales –
particulièrement la violente centralisation jacobine, la collaboration
pendant la Seconde Guerre mondiale, la guerre d’Algérie, etc. – n’est pas
véritablement l’objet de discours, lesquels produits de récents
traumatismes politico-familiaux, remettent en cause les gouvernants dans
leur principe même de légitimité. À l’inverse, dans la société tunisienne, les
discours politiques éveillent le sentiment nationaliste, justifient ou
rendent intolérable le présent vécu, tout en atteignant la légitimité des
de culture du monde arabe confronte l’État « national » à un autre type de tensions entre
particularismes et universalismes. Cet État est en lui-même symptôme de la fragmentation d’une
« nation arabe » dont la dimension politico-culturelle est plus ou moins démarquée de la dimension
religieuse de l’Oumma. Il se trouve pris entre l’affirmation de sa souveraineté à l’intérieur de ses
frontières et l’adhésion de principe à une communauté transétatique. Plus cet État, dont le caractère
« provincial », prétend asseoir sa souveraineté, plus il risque de s’affaiblir en termes de légitimité,
dans la mesure où il figerait un particularisme faisant obstacle à la réalisation de l’unité. Pour sortir
du dilemme, il peut afficher son déficit de légitimité, en invoquant l’argument de nécessité : il
constituerait un moment inévitable dont la finalité résiderait dans la réalisation de l’unité, autrement
dit dans son propre dépassement. Une autre perspective peut consister dans la constitution, à l’échelle
de la petite nation, d’une communauté politique susceptible d’étatiser l’aspiration à l’unité » (Flory
et al., 1990, 414).
88 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
92. En sociolinguistique, la modalité est la forme linguistique d’un jugement intellectuel ou d’une
volonté qu’un sujet pensant énonce à propos d’une perception ou d’une représentation de son esprit.
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 89
93. Sur cette thématique – expérience de la première et seconde confédération générale du travail
tunisienne (CGTT) –, cf. Mustapha Kraïem (1976, 355).
94. L’un des premiers numéros du journal du Groupe d’études et d’action socialiste tunisien
(Perspectives tunisiennes), consacre une édition spéciale à Ferhat Hached.
95. Ici cet enchaînement renvoie à la trame « islamiste ».
LES ORIGINES SOCIO-IDENTITAIRES (OSI) DES MILITANTS 91
Ce discours est dominant sur les campus dans les années 1980.
Les marqueurs modaux exprimant la combativité sont nombreux.
Le vocable « musulman » est davantage structurant que celui de
« Tunisien », même si l’idée de personnalité nationale est présente. Les
cheikhs et étudiants de l’enseignement traditionnel zitounien sont
présentés comme des libérateurs. On notera l’apologie des Sudistes.
Les yousséfistes semblent plus respectueux de l’« arabité » et de
l’« islamité » de la personnalité nationale que Habib Bourguiba le
« confiscateur » de la libération.
Ainsi, si ces discours constituants peuvent paraître simplificateurs,
ceux-ci font sens pour nombre de militants. Excepté « l’officiel
bourguibien » qui est une version du mouvement national destinée, en
particulier, à légitimer la classe politique issue de l’indépendance, ce sont
des discours contestataires/révolutionnaires qui au nom du communisme,
du nationalisme arabe ou de l’islamisme tentent d’expliquer et/ou
92 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
1. Cf. par exemple l’éditorial d’Afrique Action, Tunis, 7-18 octobre 1961.
2. Ces dernières prévoient la création d’un système coopératif dans l’agriculture, la mise en valeur des
terres domaniales, la modernisation des techniques agricoles, et la création de grands ensembles
industriels (Poncet, 1970, 164).
3. Le secteur privé malgré les incitations répétées ne se dynamise pas. L’État prend alors en charge le
développement de l’économie. Cf. le Rapport économique et social du congrès de l’UGTT de 1956,
in (Granai, 1965, 589). Cf. également Azaiez Boubaker Letaief (1980, 219).
4. L’UGTT créée en janvier 1946, est née de la fusion trois syndicats autonomes issues de la
Confédération générale du travail (CGT) française, la Fédération générale des fonctionnaires tunisiens,
l’Union des syndicats autonomes du Sud tunisien et l’Union des syndicats autonomes du Nord. Elle
intégre la Fédération internationale des syndicats libres en mars 1951 (monde libre pendant la guerre
froide) et rompt avec la Fédération mondiale des syndicats (FMS) associée à Moscou. Elle est
également héritière de la Confédération générale du travail tunisienne (CGTT), une organisation
nationale de défense des travailleurs autochtones créée en octobre 1924 (réprimée en 1938) et
entretenant des liens avec le mouvement communiste (la Fédération communiste de Tunisie).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 101
8. Nous ne disposons pas de l’origine socio-identitaire, mais de statistiques sur l’origine géographique.
Nous avons respectivement pour la rentrée 1963-1964 des étudiants originaires de Sousse/Cap-Bon
(31 %), Tunis (20 %), Sud – l’ensemble des gouvernorats de Gabès, Gafsa et Médenine – (17 %), Sfax
(17 %), Nord-Ouest (6 %), Centre (4 %) et Bizerte (4 %) (Signoles, 1985, 463).
9. L’Institut des hautes études de Tunis (IHE) et l’École nationale d’administration (ENA) sont les seuls
établissements d’enseignement supérieur tunisien – excepté la Zitouna qui n’est pas encore intégré
dans l’université moderne.
10. Sur cette période, une seule étude fournit des éléments contextuels précis sur le GEAST, celle de
l’épouse d’un des premiers militants du groupe (Khémais Chammari) (Chérif-Chammari, 1975).
11. Malgré certaines revendications inspirées de la charte de Grenoble de l’Union nationale des
étudiants de France (UNEF) (à cette époque plutôt corporatiste). Les comptes-rendus d’une partie
importante des travaux de l’UGET ont été publiés au Centre de documentation nationale, Tunis, tomes
1, 2 et 3. Leur lecture donne un aperçu de la tournure des résolutions.
12. Ils avaient achevé leur scolarité secondaire sous le protectorat, directement socialisés
politiquement par les structures « indigènes » du PCF.
13. Dès 1958, à Paris, les dirigeants du groupe de « langue tunisienne » (sorte de section tunisienne
du PCF) orientent les militants vers des lectures de Trotski, se faisant de plus en critique vis-à-vis de
la position du parti sur la guerre d’Algérie. En effet ce dernier refuse de se prononcer pour
l’indépendance totale. En janvier 1959, les militants de la section de langue tunisienne sont exclus, la
cellule est dissoute. Ils forment un groupe trotskiste. Une partie des militants de ce collectif
entretiendra des contacts réguliers avec le GEAST, quelques uns y entreront comme Hafedh Setom,
Dalila Ben Othman ou Gilbert Naccache.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 103
14. Ces ciné-clubs sont centralisés au sein de la Fédération tunisienne des ciné-clubs créée en 1949
et/ou sont liés à la Fédération tunisienne des cinéastes amateurs (FTCA), fondée en 1962.
Cf. Jeune Afrique, dossier « Le cinéma tunisien » (27 mai 1968).
15. Le 21 février 1961, les corporations de l’UGET décident de se réunir à la bourse du travail pour
protester contre l’assassinat de Patrice Lumumba. Après avoir interpellé la centrale syndicale, l’UGTT,
lui reprochant de rester inactive, une partie des étudiants entame un meeting où, pour la première fois,
des discours anti-impérialistes sont tenus. La police intervient et les bouscule assez vivement.
16. Les étudiants font circuler une pétition dénonçant la dissolution. Ils obtiennent les signatures de
deux cent ving-deux adhérents sur les quatre cents de la section de l’UGET. En mars, sept progressistes
sont élus au Comité de section mais celui-ci est de nouveau dissous.
104 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
17. Ahmed Smaoui, Hassan Ouardani, Hachemi Jgham, Mohamed Charfi et Salah Zeghidi, entretiens
avec l’auteur, 2004-2006.
18. Ces acteurs se partagent entre 70 % d’origine élite médinale et 30 % d’origine publicienne. Très vite
ce chiffre redescend de moitié.
19. La réunion constitutive du GEAST aurait eu lieu à Montreuil en juillet 1963 dans une petite maison
louée par Mohamed Charfi, la deuxième à la maison des provinces située dans la cité universitaire du
boulevard Jourdan et la troisième à la cité universitaire Antony. Hachemi Jgham, entretien avec
l’auteur, 2007.
20. Ils avaient achevé leur scolarité secondaire sous le protectorat, directement socialisés
politiquement par les structures « indigènes » du PCF.
21. Pour une description de l’ambiance à la cité universitaire d’Antony dans la première moitié des
années 1960, cf. Didier Fisher (2000, 286-290).
22. Elle regroupe notamment des étudiants du Parti communiste marocain et de l’Union des forces
socialistes progressistes (UFSP).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 105
23. On peut déceler également dans les écrits du groupe des éléments autogestionnaires : des slogans
du type « la terre aux paysans » et des mots d’ordre de défense de la petite paysannerie apparaissent
au fil des mouvements de résistance à la mise en coopératives.
24. Une cellule aux facultés de sciences, de droit, de lettres et de médecine.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 107
26. Les militants d’origine extra-muros passent de 4 % à 12 % pour les périodes 1950-1965 et 1966-
1970, ceux de filiation publicienne de 33 % à 38 %, médinale de 27 % à 21 % et élite médinale de
36 % à 29 %.
27. « C’était une brèche dans le monolithisme du parti. Tous les mardis, que je sois là ou non, la réunion
se faisait et les portes étaient ouvertes, n’importe qui pouvait venir. Qui peut dire que quelqu’un a été
inquiété ? Cela a duré cinq ans. Il y a des gens qui sont devenus ministres parce que Bourguiba les a
écoutés […] ». Ahmed Ben Salah, entretien avec l’auteur, 2005.
28. Deux géographes, Mohamed Tahrouan et Habib Attia et un linguiste, Salah Guermadi rejoignent
le cabinet d’Ahmed Ben Salah qui, un an avant sa disgrâce en septembre 1969, détient alors le
portefeuille ministériel de l’Éducation nationale. Ahmed Ben Salah, entretien avec l’auteur, 2005.
29. Ces dernières auraient eu lieu à l’instigation de Noureddine Bouarouj un membre du bureau
politique du PCT. Salah Zeghidi, Mohamed Sayah et Ahmed Ben Salah, entretiens avec l’auteur, 2005.
30. Gilbert Naccache et Mohamed Sayah, entretiens avec l’auteur, 2005-2006.
108 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
33. Le Comité Ben Jannet comprend des membres du PCT, des libéraux (pas en milieu étudiant
néanmoins), des perspectivistes et des ba’athistes. Des militants du PCT et de Perspectives se côtoient au
sein des Comités Vietnam et Ben Jannet, le mouvement étudiant de mars 1968 étant orchestré à travers
ce dernier (« le Comité de libération de Mohamed Ben Jannet »). Les communistes actifs dans ces comités,
comme Abdeljawad Jouneidi, ne sont pas tous étudiants. Leur audience à l’université est assez faible par
rapport à celle des perspectivistes. Le Comité Vietnam est créé pendant l’été 1967. On y trouve des
membres de Perspectives comme Hafedh Sethom et Mohamed Charfi, du PCT tel Abdelhamid Ben
Mustapha ainsi que des personnalités médiatiques comme le docteur Ben Sliman et Béchir Ben Yahmed,
le directeur et fondateur de Jeune Afrique qui avait à l’époque une audience certaine.
34. Note interne du 18 mars 1968 de la direction de Paris à la direction de Tunis, document ronéotypé.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 111
35. Ahmed Ben Salah est traduit en justice et incarcéré. Une partie de ses partisans, les « bensalistes »,
militeront au sein du Mouvement de l’unité populaire (MUP). Ce parti non reconnu est né en mai 1973,
trois mois après l’évasion d’Ahmed Ben Salah de la prison civile de Tunis. Son programme politique
(en 1977) est ici résumé en cinq points : libération de tous les détenus politiques, respect total de
toutes les libertés démocratiques, constitution d’un gouvernement de solidarité et populaire
transitoire, élaboration d’une charte constitutionnelle démocratique soumise au referendum, élections
présidentielles libres. Cf. la déclaration du MUP « luttons pour un changement démocratique » du
24 mars 1977.
112 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
36. C’est le cas notamment du livre de langue arabe de 4ème année primaire, « Le Jardin (el riyadh) ».
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 113
37. L’Action tunisienne des 27-28 décembre 1970 cité par Taoufik Monastiri (1971, 418).
38. A l’instar des gate keepers théorisés par David Easton comme le soulignent Michel Camau et
Vincent Geisser (Easton, 1974, cité in Camau, Geisser, 2003, 183).
114 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
39. Ces derniers proviennent des îles Kerkennah, de Gabès ou de Gafsa, les villes d’extraction et de
raffinement du phosphate. Près de la moitié des 142 membres des différents bureaux exécutifs de la
centrale entre 1956 et 1984 sont en effet originaires de Sfax-Kerkennah ou de la région de Gafsa
(Hamzaoui, 1989, 53). Récemment, depuis 2008, la domination historique des axes Kerkennah-Sfax,
Gabès-Gafsa commencerait à être remise en cause. M.H., responsable des publications de l’UGTT,
entretien avec l’auteur, 2008.
40. Pratique plus ou moins institutionnalisée qui permet à une personne d’obtenir ou de conserver un
emploi si elle appartient ou devient membre d’un des syndicats représentés dans l’entreprise.
41. Système de retenue des cotisations syndicales qui est opérée directement à la source par
l’employeur. Pratique admise en 1963 et suspendue en 1985 (Chekir, 1989). La retenue à la source
se pratique de nouveau dans les années 2000, notamment dans le secteur public. Dans les années
1960-1970, l’employeur présentait à l’employé la fiche d’inscription à l’UGTT en l’incitant de manière
prescriptive à y adhérer. Salah Zeghidi, entretien avec l’auteur, 2008.
42. Comme le note René Galissot lorsque le syndicat (union ou centrale) abandonne sa position
« combative », le mouvement étudiant prend le relais. Au moment où le syndicat, hypertrophié,
s’ossifie en appareil d’État, la protestation s’exprime à l’extérieur. Le militantisme se déplace, se
transportant vers l’agitation étudiante. Cf. le chapitre intitulé « Au Maghreb : le syndicalisme national
entre le Parti, l’État et les masses » de René Galissot (2000, 111-167).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 115
43. Les partisans d’Ahmed Ben Salah ont imposé leur programme économique sans disposer du
« pouvoir » au sein du parti.
44. C’est-à-dire par ordre décroissant de voix : Bahi Laghdram, né en 1913, originaire de Tunis, fils
d’un boulanger, laitier dans un quartier populaire ; Ahmed Mestiri est né en 1925 à Tunis (La Marsa),
issu d’une famille bourgeoise qui a fourni des cadres du Vieux-Destour. Il appartient à la même
parentèle que Mahmoud Mestiri fils d’un professeur à la Zitouna qui devient mufti de Tunisie sous le
protectorat, militant de l’Archéo-Destour. Sadok Mokaddem né en 1914 à Tunis d’une famille originaire
de Jerba, Jellouli Fares en 1909 à la Hamma de Gabès, Hedi Nouira en 1911 à Monastir, Mohamed Ben
Amara, en 1920 à Jerba. Caid Essebsi (proche ami et camarade de promotion au collège Sadiki de Taïeb
Mehiri, chef de cabinet de Mongi Slim entre 1954 et 1956) voit le jour en 1926 dans la zaouia de Sidi
Bou Saïd. Son grand-père maternel était un « grand bourgeois » de Tunis, son frère avocat international,
son père grand propriétaire. Mohamed Masmoudi naît en 1937 dans le Sahel/Cap-Bon. Hassib Ben
Ammar naît en 1924. Issu de la grande bourgeoisie de Tunis (commerçant et grand propriétaire dans
les activités d’import et d’export avec l’Europe), il est cousin de Wassila Ben Ammar la femme du
président de la République. Taïeb Slim est né en 1914 à Tunis d’une famille aisée, d’origine grecque. Il
est le frère cadet de Mongi Slim, célèbre leader du mouvement national. Rachid Driss naît en 1920 à
Tunis, Ferjani Bel Hadj Ammar, en 1916 à Tunis, d’un père cafetier, Taïeb Sahbani, en 1925 à Tunis,
Habib Boularès, en 1933 à Tunis, d’un charpentier militant nationaliste, créateur des premières cellules
du Néo-Destour. Enfin, Sadok Ben Jema’a naît en 1932 à Jerba d’un père grand commerçant, militant
du Néo-Destour. Cf. L’Action tunisienne du mois d’octobre 1971 et Ursel Clausen (1976).
116 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
45. La « doctrine » libérale ne se limite pas libéralisme économique. Elle prône la limitation des
obligations imposées à la société par l’État. Au sein du PSD cela revient à privilégier la logique « légale
rationnelle » des institutions sur la logique clientéliste et népotiste du chef de l’État et du Parti. À cette
époque en Tunisie, elle ne revét pas une forme démocratique au sens strict.
46. Le MDS s’exprime à travers une publication, El Moustaqbel (L’avenir), qui devient organe du parti
en 1983.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 117
47. « […] Il est nécessaire de lutter farouchement contre ces tentatives qui détournent le prolétariat
et les autres classes opprimées du front principal des luttes et leur font oublier que leurs luttes doivent
nécessairement être menées sur le terrain de chaque État aujourd’hui constitué. Or, nous attachant à
ce principe fondamental, il nous suffit de rappeler d’une part que la “nation arabe” ne dispose d’aucun
appareil d’État stable et que bien au contraire il existe une multitude d’États nationaux (Tunisie, etc.)
et d’États de nationalités (Israël, Irak, etc.) nés sur ce qui fut l’empire arabe du Moyen Âge […]. Il ne
s’agit donc pas de revendiquer une autonomie culturelle et religieuse des Palestiniens arabes d’Israël,
mais une totale émancipation politique passant par la destruction de l’actuel État d’Israël, quitte à ce
qu’ensuite on aboutisse à une fédération librement consentie entre l’État palestinien juif, l’État
Palestinien arabe et éventuellement d’autres États arabes » « La question palestinienne dans ses
rapports avec le développement de la lutte révolutionnaire en Tunisie », Perspectives Tunisiennes,
brochure n° 2, (1968, 22 et 25-26).
48. Cf. Projet de résolution soumis au 6e CNP sous le secrétariat général d’Hawatmeh, cité in Alain
Gresh (1983, 57).
118 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
49. Le premier numéro d’El Amel el Tounsi paraît en France en août 1969. Six mois plus tard la
publication de Perspectives tunisiennes cesse. Le journal, en langue dialectale de 1972 à 1974 puis en
arabe classique de 1974 à 1977, est composé de caricatures, de poèmes populaires d’Am Khémais
(malzoumat et gsims) qui décrivent les conditions des travailleurs dans l’immigration.
50. Celui-ci vient de quitter clandestinement la Tunisie avec la mission de réorganiser le groupe sur
les mêmes bases idéologiques que celles établies en 1967.
51. Sans nul doute pour qu’il contribue à fournir une ligne idéologique claire.
52. Selon cette circulaire du nom du ministre de l’Intérieur (Marcellin) et du ministre des Affaires
sociales (Fontanet), les travailleurs étrangers non déclarés ne peuvent plus prétendre à l’obtention
d’une carte de séjour. Perdre son emploi revient à perdre sa carte de séjour. Il n’est plus possible
d’être régularisé a posteriori. Les Tunisiens sont les premiers immigrés maghrébins touchés par la
circulaire. Les Algériens bénéficient d’un statut dérogatoire en matière d’immigration (Siméant, 1998,
15 et 131).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 119
la région de Lyon, un petit groupe de Tunisiens, très actifs dans les grèves
de la faim des sans-papiers, en contact plus ou moins rapproché avec la
direction française d’El Amel el Tounsi, se forme. Il est constitué par
Hmaied Ben Ayada (dit Mohamed Croix Rousse), Ridha Smaoui 53, Chérif
Ferjani dit Mohamed le noir et Zine Madhkouri, ouvrier immigré, d’origine
extra-muros, dit Mohamed le rouge. Ce noyau opère des va-et-vient à Paris
afin de prêter main-forte à El Amel el Tounsi, marginalisé par le
Mouvement des travailleurs arabes (MTA) 54. En effet, contrairement aux
leaders d’El Amel el Tounsi trop centrés sur la Tunisie, ces acteurs
bénéficient d’une influence notable dans le milieu des grévistes de la faim.
Le MTA, dirigé entre autres par un Tunisien, Saïd Bouziri, se focalise sur
les problèmes de l’immigration et la question palestinienne. Il ne se
préoccupe guère de la situation politique tunisienne.
En France, au mois de mars 1972, le reflux du cycle de contestation
gauchiste est perceptible 55. Les groupes d’extrême-gauche sont
profondément affectés par les mesures répressives du ministre de
l’Intérieur Raymond Marcellin (Rajsfus, 1998). La défense des sans-
papiers, les débats sur la meilleure manière de soutenir la résistance
palestinienne, l’autodissolution des collectifs gauchistes, le recours ou
non à l’action armée ou au terrorisme témoignent de l’entrée dans la
phase descendante du cycle (Sommier, 1998). Comme pour rivaliser avec
le discours de plus en plus mobilisateur de défense des droits des
étrangers et de l’appui aux « frères palestiniens », El Amel el Tounsi insiste
de plus en plus sur la nation arabe et les intérêts immédiats des cols bleus
immigrés.
53. Perspectiviste condamné au procès de septembre 1968, cousin d’Ahmed Smaoui un des
cofondateurs du GEAST.
54. Sur les rapports conflictuels entre le MTA et El Amel el Tounsi (Siméant, 1998, 101).
55. En témoigne la confusion régnant au sein des groupes d’extrême-gauche français lors de
l’enterrement d’un militant de la Gauche prolétarienne (GP) tué aux portes de l’usine Renault à
Boulogne-Billancourt. L’enterrement de cet activiste, Pierre Overney, rassemble plus de 120 000
personnes au cimetière du Père Lachaise à Paris. Jean Antoine Tramoni, le vigile qui l’avait tué, sera
assassiné en 1977 par les Noyaux armés pour l'autonomie populaire (NAPAP) composés pour partie
d’anciens militants de la Gauche prolétarienne (GP) (Sommier, 1998, 201 et 208).
120 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
56. « Aguerris par des années de lutte, nos peuples sauront déjouer toutes les manœuvres impérialo-
sionistes. Désormais, les peuples arabes sont prêts à tenir, cinq, dix, vingt ans de guerre populaire
jusqu’à la libération complète des territoires occupés et des pays de la férule impérialiste et sioniste
[…] ». Déclaration d’El Amel el Tounsi dans un tract, El Amel el Tounsi, Gloire à l’héroïque lutte des
peuples arabes, 9 octobre 1973. D’autres tracts distribués à Paris et à Tunis vont même jusqu’à faire
de Salah Ben Youssef un des hérauts de la construction de la Oumma el Arrabiyya (nation arabe).
« L’assassinat de Ben Youssef n’était que le couronnement de la répression du mouvement populaire
armé qui combattait pour la liberté et l’indépendance. La répression de l’avant-garde révolutionnaire
et démocratique n’est que la continuation de la répression du mouvement revendicatif ouvrier et
populaire qui s’est développé aussi bien à l’intérieur que dans l’émigration ». Extrait d’un tract de la
section de Saint-Étienne d’El Amel el Tounsi, Les assassinats et la répression de Bourguiba ne pourront
jamais arrêter la lutte du peuple (1973).
57. Lorsque l’union est annulée le lendemain, les comités de soutien sont censés devenir des comités
d’« imposition de l’union ».
122 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
58. Notamment Gilbert Naccache et Abdelaziz Krichen. La majorité de ces débats théoriques a été
publiée à la fin des années 1980 (GEAST, 1989).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 123
59. Le nombre d’étudiants passe de 5 000 en 1964-1965 à 10 000 en 1970-1971 (Signoles, 1985, 445).
60. L’augmentation des effectifs étudiants se fait sans bouleversement des positions des grands
ensembles régionaux. Les écarts interrégionaux se réduisent néanmoins. Les zones littorales (Sahel,
Cap-Bon, Bizerte) fournissent encore plus de 70 % des étudiants en 1972 (Signoles, 1985, 446).
61. Equivalent d’un assistant à la même époque en France, en général titulaire d’une thèse de 3e cycle.
62. Perspectiviste, Simone Lellouche est « juive tunisienne » et ne possède pas la nationalité tunisienne.
Déclarée en fuite, elle est condamnée à cinq ans de prison par contumace lors du procès de septembre
1968. Après la grâce présidentielle de mars 1970, elle obtient la levée de sa mesure d’expulsion. Elle
se marie avec Ahmed Ben Othman après son retour en Tunisie en juillet la même année.
63. En juillet 1971, lors du congrès de Korba, les étudiants progressistes non destouriens (perspectivistes,
étudiants communistes et indépendants) sont renforcés par les étudiants partisans d’Ahmed Ben Salah.
Au cours des discussions, la tendance libérale du PSD, les « mestiristes » se joignent également à ceux
qui contestent l’hégémonie destourienne sur la centrale étudiante Alors qu’on compte cent-vingt-un
délégués non destouriens et quatre-vingts destouriens, les discussions s’éternisent jusqu’à ce que le
congrès soit stoppé sur l’intervention des forces de l’ordre. Le lendemain, les étudiants du PSD se
réunissent de leur côté et élisent une direction totalement destourienne. Les délégués non destouriens
ne reconnaissent pas le leadership du parti et créent une commission provisoire pour gérer l’UGET. Lors
du mouvement étudiant de février 1972, cinq commissions composées chacune de quatre étudiants de
chaque faculté sont mises sur pied et forment le Comité universitaire provisoire (CUP) afin de préparer
un nouveau congrès de Korba, c’est-à-dire un 18e congrès extraordinaire qui élira une direction « non
inféodée au parti unique ». Le CUP centralise les « structures provisoires », qui forment en quelque sorte,
une centrale syndicale étudiante parallèle non reconnue par le régime. La revendication de la tenue de
ce 18e congrès sera continue en milieu étudiant jusqu’à sa tenue en 1988.
124 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
64. El Amel el Tounsi, Bulletin d’information (février 1972) ; (Monastiri, 1971) ; L’Action tunisienne du
1er au 10 février 1972.
65. À Paris, un groupe se crée dans son sillage, le Mouvement démocratique de masse (MDM).
Il disparaît rapidement au fil des querelles doctrinales entre les différents militants qui l’investissent,
chacun appartenant en même temps à une autre organisation politique.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 125
70. Trois personnes fondent le Watad à Tunis en 1976 (sa création aurait été annoncée dans un
numéro du journal du Front populaire de libération de la Palestine – FPLP – El Hadaf – La cible). Alors
étudiants en maîtrise lorsqu’ils intègrent Cho’la, les deux premiers rejoignent Paris (Hamadi Redessi
et Zouhair Daouendi), tandis que le troisième, Mohamed Jmour, reste en Tunisie.
71. Le Mawad, Mounathiloun Wataniyyoun Demoqratiyyoun – Les militants patriotes démocrates – est
créé en 1980. Il quitte les structures provisoires de l’UGET en 1984, alors que le Watad y demeure. Il
soutient la thèse d’une nécessaire révolution nationale et démocratique (RND) déclenchée
simultanément dans le monde arabe. Sur la Palestine, il défend l’idée de la révolution avant la
libération. Le Mawad échafaude sa ligne politique à partir du bulletin d’information d’Ahmed Jibril
qui entre en Tunisie par l’intermédiaire d’étudiants tunisiens partis étudier en Syrie, proches du Ba’ath
syrien. Le Mawad est représenté par Ahmed Kahlaoui. Le collectif est particulièrement présent à Sfax
dans les ciné-clubs du lycée et contrôle même une association, l’Organisation tunisienne pour
l’enfance. Le Mawad, à la suite du soutien inconditionnel d’une partie de l’UGTE (syndicat d’obédience
islamiste) à la tendance « achouriste » (i.e. ceux qui soutiennent Habib Achour, leader historique de
la centrale) de l’UGTT et au ralliement d’Ahmed Jibril aux islamistes palestiniens du Hamas, quitte
l’UGET et rejoint l’UGTE à l’occasion de son quatrième congrès au mois de décembre 1990. Notons
qu’Ahmed Jibril est le fondateur et chef du mouvement d’extrême-gauche Front populaire pour la
libération de la Palestine-Commandement général (FPLP-CG). Il se rapproche des « mouvances »
islamistes dans les années 1980, notamment du Jihad islamique palestinien et du Hezbollah.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 127
72. C’est à la suite de cette réunion que Cho’la crée l’UTIT. Celle-ci est constituée entre autres par
Khaled Faleh. Ses leaders les plus connus, Kamel Jendoubi (futur fondateur du Comité pour le respect
des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie (CRLDHT), association très active sur le plan
politique, dénonçant notamment les violations des libertés en Tunisie et défendant les militants
tunisiens réfugiés en France – gauchistes et islamistes compris durant les années 2000, organisant des
collectes d’argent pour les familles des activistes du bassin minier en 2008) et Mohieddine Cherbib
(en 2008, président de la Fédération tunisienne des deux rives, un prolongement de l’UTIT),
l’intégreront entre un et deux ans plus tard.
73. On pourrait même en compter une cinquième regroupant quelques militants en prison autour de
Gilbert Naccache et Noureddine Ben Kheder. Ces derniers considèrent que depuis le début de l’année
1974 (le journal passe à l’arabe classique et les appels à la construction de la nation arabe oblitèrent
toutes les autres préoccupations politiques), l’appelation GEAST a été détournée par des activistes
n’ayant plus rien de commun avec les « perspectivistes » des années 1960 (GEAST ancienne formule).
128 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
El Khatt es Sa’id (La ligne dominante), formé par Najib Chebbi, après son
retour clandestin sur le territoire tunisien (elle rejoint le courant albanais
après la rupture sino-albanaise de 1977) qui se subdivise en deux
mouvances et La tendance des trois mondes à Paris qui en Tunisie prend le
nom d’El Amel el Tounsi 77. Cette dernière fraction demeure fidèle à la
position officielle du PCC après la mort de Mao Tse Toung en 1976 et
l’éviction de la bande des quatre en 1977. Elle remet en cause la révolution
culturelle et abandonne toute référence maoïste.
Entre 1979 et 1980, après cinq-six ans passés sous les verrous pour plus
d’une cinquantaine d’entre eux, les détenus d’El Amel el Tounsi, ainsi que six
activistes du GEAST des années 1960 dont la grâce avait été retirée en 1973
sont libérés à la suite d’une « amnistie de fait ». La majorité des militants
exilés condamnés par contumace lors des procès précédents rentrent
individuellement sur le territoire. Généralement, ils passent quelques
heures ou jours au ministère de l’Intérieur, demandent à « faire opposition
à leur jugement » et sont remis en liberté. Une partie de El Khatt es Sa’id
regroupe les militants emprisonnés durant la deuxième moitié des années
1970 et finit par se confondre avec Hamma Hammami et Mohamed Kilani 74
avant de devenir le Parti communiste des ouvriers de Tunisie (PCOT) dans
la deuxième moitié des années 1980. Un autre groupe au sein d’El Khatt es
Sa’id rassemble les activistes en clandestinité entre 1977 et 1979. Proches
de Najib Chebbi, ces derniers formeront le noyau de base du
Rassemblement socialiste progressiste (RSP – créé en 1983) qui deviendra
en 2001 le Parti démocrate progressiste (PDP), le parti d’opposition légale,
le plus important sur le plan numérique et le plus indépendant du régime.
La tendance des trois mondes ou El Amel el Tounsi 77 continue ses réunions
jusqu’en 1983, puis se saborde. Excepté le PCOT qui se réclame encore, en
2008, du marxisme-léninisme, les autres fractions rompent avec le discours
révolutionnaire avant le début des années 1980. L’Union des travailleurs
immigrés tunisiens (UTIT) donnera naissance à la Fédération des Tunisiens
citoyens des deux rives (FTCR), au sein de laquelle évoluent en 2008
d’anciens militants d’El Amel el Tounsi et de Cho’la. Un des dirigeants
historiques de Cho’la, Kamel Jendoubi, [président de l’Instance supérieure
74. Mohamed Kilani quittera le PCOT pour former El Kotla qui deviendra le Parti socialiste de gauche
(PSG), une formation partisane sans base militante.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 129
75. L’Action tunisienne du 19 janvier 1971, cité in Taoufik Monastiri (1971, 442).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 131
adopté un schéma pyramidal à direction tripartite avec Rached Ghannouchi, Émir, H’mida Enneifer,
adjoint de l’Émir et Salah Karker, adjoint de l’adjoint de l’Émir (Allani, 1993). Salah Ben Abdallah,
Fadhel Baldi, Saïd Merkarzi, Hassan Ghodbani, Habib Mokni intègrent le groupe au cours de l’année.
Salah Karker, entretien avec Vincent Geisser et Choukri Hamrouni, Aix-en-Provence, août 2002.
83. Entretien avec Rached Ghannouchi (Nsiri, 1989) et Salah Karker, entretien avec Vincent Geisser
et Choukri Hamrouni, juillet 2001 (Camau, Geisser, 2004).
84. Slaheddinne Jourchi, entretien avec l’auteur, 2005.
85. En l’occurrence des articles qui mettent en cause la politique intérieure ou étrangère du
gouvernement (Nsiri, 1989).
86. Ces derniers avaient conclu que le fiasco n’avait pas été la conséquence d’une infériorité militaire
mais le fruit d’une crise identitaire.
87. Al Mujtamma cesse de paraître en mars 1982. Une autre revue islamiste très populaire en Tunisie,
El Fajr, organe du mouvement islamiste, sera légalisée un court temps au début de l’année 1990.
88. À ce propos, cf. Rached Ghannouchi (1988, 83) ; cet article a été originellement publié dans
Al Ma’arifa, n° 3, 1979.
134 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
89. Notamment par Jacques Julliard et Bernard Kouchner sous la forme d’une polémique dans les
pages du Nouvel Observateur en 1978. Ce récit servira de base à un ouvrage intitulé Le tiers monde et
la gauche. Quelques années plus tard suivra le Sanglot de l’Homme Blanc de Pascal Bruckner. L’ouvrage
de Soljenitsyne, l’Archipel du Goulag a également un impact très fort. Sur ce point cf. Kristin Ross
(2005).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 135
90. L’indépendance de ces deux pays acquise respectivement en 1974 et 1975 débouche rapidement sur
une guerre civile. Pour une chronique « à chaud » des événements, cf. Thomas H. Henriksen (1977).
91. Nous empruntons cette expression, non sans l’extraire de son contexte d’énonciation, à François
Hartog (2003).
92. Les accords de Camp David sont signés le 17 septembre 1978 par le président égyptien Anouar el-
Sadate et le premier ministre israélien Menahem Begin sous la médiation du président des États-Unis
Jimmy Carter. Ils sont suivis de la signature du premier traité de paix entre Israël et un pays arabe :
le traité de paix israélo-égyptien de 1979.
136 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
93. Sur les politiques d’arabisation en Tunisie, cf. Pierre Vermeren (2002).
94. Et dans une moindre mesure de Sousse dans le Sahel.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 137
les élèves eux-mêmes y prennent part 95. Certains d’entre eux fréquentent
déjà des étudiants de Tunis encadrés par la Jama’a al islamiyya. Ils créent
une petite bibliothèque de livres « islamiques » au lycée. Dès l’année scolaire
1974-1975, plus de trois cents lycéens font, semble-t-il, la prière
collectivement dans la mosquée du lycée, soit 10 % des élèves.
Grâce à la multiplication des établissements d’enseignement
secondaire sur le territoire tunisien, la Jama’a al islamiyya élargit les
scènes d’énonciation de son discours 96. Les lycées où de nombreuses
mosquées s’érigent durant toute la décennie 1970-1980 jouent un rôle
essentiel de socialisation politique. Quelle que soit la période, les
islamistes commencent à militer majoritairement dès le secondaire, à
l’inverse des activistes d’extrême-gauche (tableau 11) qui débutent leur
engagement quasi systématiquement à l’université.
Les vieux lycées de la capitale et des grands centres urbains, qui ont
scolarisé la plupart des « Perspectivistes » des années 1960, n’hébergent
pas particulièrement, dans les années 1970, de lycéens proches de la
Jama’a al islamiyya. Les acteurs entrés en militance durant les années 1970
qui y avaient suivi leur scolarité 97 n’ont pas été recrutés dans l’enceinte de
leur établissement. Ils n’ont pas dirigé des mouvements de protestations
d’élèves sous la supervision de la Jama’a al islamiyya, contrairement à ceux
scolarisés dans les nouveaux lycées dès les années 1970, particulièrement
les lycées techniques 98 du Sud du pays et du grand Tunis 99.
Au vu des données sur les 855 condamnés lors des deux grands procès
islamistes de 1992 (Tribunaux militaires de Bouchoucha et de Bab
Sa’adoun) 100, on constate que la quasi-totalité des individus, quelle que
soit leur profession au moment de l’arrestation, sont passés au moins par
l’enseignement secondaire (figure 1).
97. Les cheikhs « anti-bourguibiens » Abderrahman Khelif et Taïeb el Ouartani enseignent durant les
années 1960 au lycée de garçon de Sousse. Ils auraient à ce titre sensibilisé certains lycéens à un
discours yousséfiste teinté de religiosité. Salah Karker affirme en effet que ces derniers (Ouartani et
Khelif) « furent nommés au lycée des garçons de Sousse à partir de 1962, où ils pratiquèrent leur
enseignement en littérature arabe, éducation civique et religieuse. Je les ai eus personnellement comme
enseignants et j’ai pu constater l’influence qu’ils exerçaient sur les élèves du lycée. Ils avaient gardé une
rancune contre Bourguiba et nous le sentions. Entre 1962 et 1963 ils firent pression sur la direction du
lycée pour obtenir une salle de prière, pour que les horaires du ramadan soient respectés et pour avoir
un imam attaché à l’établissement. On peut dire qu’ils avaient une marge de manœuvre par rapport aux
autorités éducatives. Ce fut en quelque sorte le noyau de l’identité morale à l’origine du mouvement
islamiste tunisien ». Salah Karker, entretien avec Vincent Geisser et Choukri Hamrouni, Digne, 2002.
98. Précisons que les lycées techniques ne regroupent pas des élèves qui n’ont pas respecté les règles
du jeu de la scolarité « générale ». Les lycées techniques préparent à des cursus supérieurs moyens
et longs et ne sauraient se confondre avec des filières professionnelles « dévalorisées ».
99. Taïeb el Ouartani et Rached Ghannouchi étaient enseignants au lycée de Zahra dans la banlieue de
Tunis durant la deuxième moitié des années 1970. Abdelwahab el Hani, entretien avec l’auteur, 2005.
100. Effectifs construits par l’Association internationale de soutien aux prisonniers politiques (AISPP),
2002. Ces tris plats étaient un temps disponibles sur Internet dans un bulletin en ligne de l’association.
Nous avons récupéré les données et converti les effectifs bruts en pourcentage.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 139
101. Si l’on considère l’année 1971 comme marquant les débuts de la présence du discours islamiste
et de la religiosité dans les lycées et que la scolarité secondaire dure en moyenne six ans, on peut
déduire que la quasi-totalité des individus ont été lycéens à partir de l’année 1971. En effet, selon la
loi de probabilité uniforme – p (j) = b – a –, parmi les 394 ayant entre 30 et 40 ans en 1992 (nés
théoriquement entre 1952 et 1962), en supposant que l’acteur entre au lycée à l’âge de 12 ans,
l’intervalle comprenant ceux qui étaient lycéens en 1971 est p [1952 ; 1962]. Donc on estime à 331 –
p (j) = 1 – 0,16 – le nombre d’étudiants étant lycéens à ce moment.
102. Cf. l’enquête par questionnaire de John P. Entelis (1974) (la seule à notre connaissance réalisée
auprès des étudiants tunisiens dans les années 1970).
140 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
103. Du point de vue organisationnel, les statuts prévoient l’élection d’une assemblée législative, le
Majlis al Choura, tous les trois ans (14 membres élus par congrès) qui se réunit tous les trois mois. Un
bureau exécutif composé de différentes commissions est dirigé par un émir (qui met en œuvre les
décisions du majlis). Un gouverneur est élu à la tête de chaque région divisée en circonscriptions
dirigées par des délégués (Kraïem, 2003, 138-139).
104. L’Émir est Rached Ghannouchi (d’origine extra-muros du Sud), l’adjoint Salah Karker (Sahélien
de filiation publicienne). Le Bureau exécutif est composé de Rached Ghannouchi, Salah Karker (d’OSI
publicienne du Sahel), Abdelfattah Mourou (d’origine médinale de Tunis), Dhaou Meskine (d’extraction
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 141
extra-muros du Sud), Salah Ben Adballah, Abdelmajid Najer, Fadhel Baldi (de parentèle élite médinale
de Mejaz el Bab), Najib Ayari et Abderraouf Boulabi. Le conseil consultatif comprend Habib Mokni
(de filiation publicienne du Sahel), Abdelfattah Mourou, Fadhel Baldi, Salah Ben Abdallah, Salah Karker,
Hamadi Jbeli (d’OSI publicienne du Sahel ), Salah Hichri et Najib Ayari.
105. Cf. Tahar Belkhodja, entretien avec Michel Camau et Vincent Geisser (2004, 563-576).
106. Ce dernier est de nouveau légalisé le 18 juillet 1981. Les anecdotes sur les circonstances de sa
légalisation abondent dans les entretiens. Celle qui revient de manière récurrente présente Habib
Bourguiba, sénile, convoquant Mohamed Harmel (leader historique du PCT) au palais présidentiel et
lui disant : « Je ne me souviens pas vous avoir interdit, mais de toute façon, vous ne les aimez pas les
islamistes, moi non plus, dans ce cas, je vais vous légaliser ».
142 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
107. En mars 1977, 23 militants du MUP sont arrêtés et emprisonnés, parmi lesquels trois des quatre
précurseurs du MUP2 ou MUP Comité provisoire (MUP-CP) : Ces derniers déposent le 20 janvier 1980,
une demande de visa pour un nouveau parti le MUP2 (ou MUP-CP) qui devient le Parti de l’unité
populaire (PUP) en 1985, l’idéal type du parti/client, selon Michel Camau et Vincent Geisser (2003).
Si l’on en croit Ahmed Ben Salah : « En 1977, lorsque nous avons rédigé les cinq points du MUP tout
le monde a été emprisonné. Les services secrets tunisiens se sont alors occupés de noyauter en prison,
ceux qui probablement étaient déjà noyautés, pour faire cette scission […]. Les scissionnistes ont
ensuite été présentés à Bourguiba comme fruit du formidable travail destiné à casser le MUP et par
la même occasion Ahmed Ben Salah ». Ahmed Ben Salah, entretien avec l’auteur, 2005.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 143
108. Abdelfattah Mourou a en effet fait campagne au sein du mouvement pour la demande de
reconnaissance légale en 1981 et proposera de saborder le mouvement en 1991 après l’affaire de
Bab Souika. Il finira par faire défection à cette occasion.
109. Citons par exemple Fadhel Baldi, Hicham Ben Youness et Zyed Doulatli.
110. Abdelfattah Mourou prend publiquement ses distances avec Ennahdha le 14 février 1991 dans
une interview au quotidien français La Croix. Il les réitère après les événements de Bab Souika
(un local du parti au pouvoir avait été incendié par des militants d’Ennahdha, un gardien était mort à
la suite de ses blessures). Le 7 mars, il est suivi par Noureddine Bhiri, Aissa Demni et Fadhel Baldi
(Daoud, 1993, 943).
144 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
111. Tous les auteurs s’accordent sur ce point. Cf. également pour l’Algérie Smaïl Hadj Ali (1999, 69-
75). Dans le cas du Maroc, on peut consulter Raffaele Cattedra et Mahamed Idrissi Janati (2003).
Cf. également Guilain Pierre Denoeux (1990, 459).
112. Les prêches sont parfois enregistrés et se passent de mains en mains, notamment ceux de Rached
Ghannouchi, Abdelfattah Mourou et Hassan Ghodbani.
113. Affichettes murales écrites à la main particulièrement utilisées en Chine de 1966 à 1979 traitant
de manière critique de sujets politiques et sociaux.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 145
114. Il assistait aux prêches de Mohamed Salah Enneifer le vendredi à la mosquée Abay Mohamed.
115. Slaheddine Jourchi, entretien avec l’auteur, 2006.
116. La plus importante organisation de jeunesse du parti est la Jeunesse destourienne rebaptisée
étonnamment en 1977 Jeunesse socialiste destourienne (JSD). Toute personne âgée de 15 à 25 ans
pouvait y adhérer à condition qu’elle accepte la charte du parti et prête serment de fidélité. La JSD est
dépendante des cellules destouriennes. En 1980, le nombre d’adhérents aurait atteint les 220 000
(Dasser, 1986, 320). On pourrait même parler d’une crise de la Jeunesse destourienne et du
mouvement scout. Le mouvement scout atteint ainsi les 25 000 adhérents en 1964, descend à 3 285
en 1971 (le nombre de 25 000 adhérents ne sera plus jamais atteint). De même, l’organisation de la
Jeunesse scolaire perd une grande partie de son influence en milieu scolaire à partir de 1970 (Dasser,
1986, 317-329).
146 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
117. Comme s’inscrire à l’académie militaire. Une structure au sein du MTI centralise les activités en
matière d’éducation, le complexe éducatif (Morabek Tahlim). Abdelwahab el Hani, Choukri Hamrouni
et Mohamed Ben Salem, entretiens avec l’auteur, 2005-2006.
118. Le MTI étudiant s’est également impliqué dans les activités pédagogiques : constitution d’annales
vendues au prix de revient avec l’aide de professeurs proches du mouvement.
119. Mise sur pied par le comité des élèves de l’École d’ingénieurs de Tunis.
120. Une sorte de semaine d’introduction à la vie étudiante où les activités culturelles
(cinématographiques, théâtrales, musicales) et intellectuelles de caractère politique (conférences
diverses, cercles de discussions, clubs de philosophie) sont présentées par faculté.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 147
Sur les campus, les troupes de théâtre, les groupes de musique pro-islamiste
mais également gauchistes et nationalistes arabes sont légions 121.
Les troupes musicales pro-islamistes se produisent, notamment à la maison
de la culture de Den-Den, une ville de la banlieue ouest de Tunis.
Les étudiants proches ou membres du MTI étudiant assistent également aux
colloques organisés autour des journées cinéma-tographiques de Carthage,
rendez-vous incontournables des « Perspectivistes » et des activistes
d’El Amel el Tounsi des années 1960-1970.
Suivant cette logique d’encadrement de la jeunesse, un syndicat
étudiant d’obédience islamiste se constitue au milieu des années 1980,
l’Union générale des étudiants tunisiens (UGTE). Il sera légalisé en 1988.
Cette centrale crée des « ligues d’action estivale » 122 qui coordonnent des
activités sociales et culturelles 123. Celles-ci s’étendent à une grande partie
des gouvernorats. L’UGTE crée un fond de solidarité estudiantine ainsi
que différents comités de soutien comme celui destiné aux victimes des
inondations de Tunis en 1990. Elle dispose d’un organe de presse, une
revue murale, Nachra, qui traite de politique nationale et internationale,
centralise et diffuse les informations concernant la vie estudiantine 124.
Dans la deuxième partie des années 1980, le mouvement islamiste élargit
son recrutement au-delà du milieu lycéen ou étudiant grâce notamment
aux mosquées et au prosélytisme de voisinage. C’est le cas dans quelques
périphéries urbaines, notamment du grand Tunis (Ben Arous, cité
Ettadhaman etc.). En revanche, il ne réussit pas à investir l’Union générale
tunisienne du travail (UGTT) (Alexander, 2000), quasiment imperméable
à l’islamisme, ou la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme
(LTDH) 125, même s’il n’est pas totalement absent de ces organisations.
121. On peut citer les Pigeons Blancs, Ba’th el Musiki, Chems el Musika, Aouled Bou Makhlouf ou Aouled Gafsa.
122. Ces ligues sont constituées en partenariat avec les secrétaires généraux des comités culturels,
sortes de délégués régionaux à la culture, des gouverneurs, préfets, sous-préfets du MTI.
123. Comme les campagnes d’alphabétisation, de collecte de vêtements usagers et de médicaments
périmés.
124. La revue se compose de caricatures, de poèmes dans la lignée du journal d’El Amel el Tounsi dans
les années 1970 et est confectionnée à la cité universitaire Ras Tabia où, vingt-cinq ans plus tôt, avant
de devenir militant du GEAST, Brahim Razgallah écoutait à travers les murs de sa chambre les
étudiants « perspectivistes » débattre de la réforme agraire.
125. Nous reviendrons sur cette association, centrale dans la vie politique tunisienne dans les années
1980-1990.
148 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
126. L’expression « décompression autoritaire » désigne une relative ouverture de l’arène politique et
une tolérance de certaines expressions publiques d’opposition en régime autoritaire (Bayart, 1991, 12).
150 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
127. L’UGTE mène une campagne pour la libération de ces étudiants (publication de photos, prise de
contact avec Amnesty International). Le ministère de l’Intérieur a sans doute opté pour cette solution
inaugurée en 1966, moins risquée que le procès politique ; il n’a d’ailleurs pas arrêté les membres du
bureau exécutif de la centrale étudiante (UGTE). Cf. Abdelwahab el Hani, Abdellatif el Mekki, N.A. et
M.E., entretiens avec l’auteur, Paris, Tunis, 2004-2005.
128. Un des deux gardiens décède de ses blessures quinze jours plus tard.
129. Le ministère de l’Intérieur annonce le démantèlement d’Ennahdha le 22 septembre 1992 (Erdle,
2006).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 153
130. C’est le cas par exemple du discours sur la mise à niveau des administrations et des entreprises.
154 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
131. Décret n° 92-2142 portant statut du Comité supérieur des droits de l’Homme et des libertés
fondamentales (Sraïeb, 1995, 599).
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 155
132. En l’occurrence Maître Najib Chebbi, secrétaire général du PDP, Hamma Hammami, porte-parole
du PCOT, Maître Abderraouf Ayadi, vice-président du CPR, Maître Mohamed Nouri, président de
l’AISPP, Maître Samir Dilou, membre de l’AISPP, Maître Ayachi Hammami, coordinateur du Comité
de défense de Maître Mohamed Abbou (CDMA), et Lotfi Hajji, président du Syndicat des journalistes
tunisiens (SJT) Le huitième gréviste est le juge Mokhtar Yahyaoui, président du Centre tunisien pour
l’indépendance de la justice et membre de l’association internationale de soutien aux prisonniers
politiques (AISPP). Il n’appartient pas à notre échantillon.
133. Déclaration finale du 8e Congrès du mouvement d’Ennahdha, 2008.
156 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
134. Au mois d’avril 2006, environ vingt jihadistes tunisiens, coordonnés par un ancien garde national
recruté à Milan dans le Groupe salafiste pour la prédication et le combat (GSPC) algérien, infiltre la
Tunisie depuis l’Algérie par la région montagneuse du Djebel Chambi. Une quinzaine de jeunes
originaires de la côte est n’ayant pu joindre la résistance irakienne contre les États-Unis se joint à lui.
Ils stationnent dans un massif dans la région de Grombalia à quelques heures de marche des zones
touristiques qu’ils entendent prendre pour cible. La traque du groupe dure dix jours et se termine le
3 janvier 2007 par une fusillade à Soliman, au sud-est de Tunis. Elle fait plusieurs victimes, dont une
parmi les forces de l’ordre.
DU GEAST À ENNAHDHA (1963-2011) 157
percevant la menace d’un nouvel ennemi, cherche des alliés pour y faire
face. Des militants d’Ennahdha négocient avec les autorités à propos de
l’éventualité de la création d’un parti islamiste légal sur le modèle du Parti
de la justice et du développement (PJD) marocain (Hamrouni, 2007).
Certains dirigeants du parti récemment sortis de prison en 2008, sont
reçus régulièrement par des ambassades étrangères qui verraient en eux
des « modérés » en mesure, si une grave crise sociale éclatait, de
discipliner les salariés et les chômeurs, de juguler l’immigration
clandestine et de couper l’herbe sous le pied des salafistes-jihadistes
(Ayari, 2008).
[Après le départ de Ben Ali en janvier 2011, Ennahdha parviendra à
réactiver son réseau de militants – celui de ses prisonniers politiques et
des exilés – ainsi que ses canaux d’intégration au jeu politique
institutionnel, déjà ouvert depuis le début des années 1980, et surtout
durant la deuxième moitié des années 2000, afin de prendre part à la
compétition électorale et se poser comme alternative au gouvernement.
Vainqueur du scrutin pour une Assemblée nationale constituante (ANC)
en octobre 2011, leader de la troïka (2011-2014) puis membre de la
nouvelle coalition gouvernementale (2015-) et première force politique
représentée au parlement (2016-), le parti islamiste consacrera sa sortie
du champ de la contestation/révolution malgré son double discours
ambiguë à l’intention d’une partie de ses militants ainsi qu’aux salafistes-
jihadistes (Ayari, 2012) qu’il tentera, en vain, de 2011 à 2013
d’accompagner de manière pragmatique vers le légalisme (ICG, 2013)].
Qu’est-ce qui fait courir les militants
en régime autoritaire ?
2. Howard S. Becker précise ainsi : « Ce n’est pas tant l’auteur d’un acte déviant exceptionnel qui nous
intéresse, que celui qui maintient sur une longue période une forme déterminée de déviance, qui fait
de la déviance un genre de vie, et qui organise son identité sur la base d’un mode de comportement
déviant » (Becker, 1985, 53).
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 161
3. Selon les témoignages de plusieurs nahdaouis incarcérés en 1991-1992, ayant passé plus d’une
dizaine d’années dans les geôles tunisiennes, plus de 10 000 personnes auraient fait de la prison ferme.
A.M., A.H. et S.D., entretiens avec l’auteur, Tunis, mai 2005. Ennahdha parle de 30 000 personnes,
Amnesty international de 8 000 et la Ligue tunisienne de défense des droits de l’Homme (LTDH) de
3 000 qui seraient passés entre 1990 et 1991 par les locaux de la police (Daoud, 1993, 950).
4. Anthony Oberschall (1973) qualifie ce rapport ambigu que l’État entretient avec les groupes
contestataires/révolutionnaires, nous l’avons déjà évoqué, d’activités de « channeling » qui affectent
l’offre politique : financement de collectifs, interdiction de certains, etc. (Earl, 2005).
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 165
6. Un bagne traditionnellement réservé aux grands condamnés qui devait accueillir les « perspectivistes »
en 1968, les militants du comité tunisien du Ba’ath en 1969 et nombre d’islamistes vingt ans plus tard.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 167
9. Les levées de grâce concernent les six militants « perspectivistes » condamnés en septembre 1968
et libérés en mars 1970, dont la grâce a été retirée par le président de la République en 1974.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 169
10. Même si l’acteur s’investit « totalement » au sein du collectif très rapidement, par exemple au bout
de quelques jours.
11. On notera quelques écarts inter groupes. De nombreux nahdaouis entrent en militance entre 1978
et 1981, période de faible risque pour le mouvement islamiste. Le chiffre d’islamistes s’engageant à
faible risque est de dix points plus important que celui de l’extrême-gauche (83 % contre 73 % environ).
170 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
12. Effectuée également à l’aide du logiciel Sphinx, l’analyse factorielle des correspondances, c’est-à-
dire la représentation graphique des écarts aux effectifs théoriques allégeant la présentation des
occurrences significatives, le montre assez clairement. Précisons qu’une analyse factorielle des
correspondances est une simple projection graphique de variables sur un espace déterminé par deux
axes. La taille du carré reflète le nombre d’observations ou d’individus statistiques. Lorsque deux
carrés sont proches l’un de l’autre, cela signifie que la corrélation est forte. Plus ceux-ci sont éloignés
du centre et plus les variables sont significatives et vice versa.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 171
À la prison civile de Tunis, il y a des cellules prévues pour cent. On était trois cent
cinquante. À l’intérieur, il n’y avait que deux toilettes et deux robinets. Une toilette
et un robinet étaient occupés par une vingtaine de bandits qui y avaient toujours
accès. Les trois cent trente autres n’avaient droit qu’à une toilette et un robinet,
divisez ça par le nombre, vous n’avez que quelques minutes par jour et, à partir, de
minuit il est interdit d’aller aux toilettes et au robinet, les gens doivent dormir. Pour
nous, c’était le régime d’isolement, mais ils nous sanctionnent en nous transférant
dans les chambres des droits communs. Dans les deux, il y a du positif et du négatif.
Dans l’isolement, le minimum est respecté, vous êtes avec trois ou quatre
prisonniers avec des stylos et tout, c’est mieux qu’une chambre de trois cent
cinquante où il y a de la saleté, des poux, des tiques, des vols […]. Je pensais
beaucoup, je réfléchissais beaucoup, je n’avais pas d’espace, donc je mettais un petit
sceau en plastique entre deux lits en guise de chaise. Je m’assoie, je ferme les yeux,
je pense. J’ai passé sept ans en isolement et le reste comme ça [trois ans]. Parfois il
y a un isolement très particulier. On est déplacé dans des chambres de pervers
exprès pour nous intimider psychologiquement. Mais la majeure partie s’est passée
en isolement, soit avec une ou deux personnes, soit tout seul. À la prison du 9 avril,
à Sfax, à Monastir, je me rappelle qu’on était tout seul dans une cellule de deux
mètres et demi sur trois où il y a un trou pour les toilettes et une porte en fer. Pour
l’aération et la lumière, il y avait un petit trou de douze centimètres 13.
15. Pour un récit détaillé des conditions carcérales des gauchistes en 1968-1970 et 1973-1979,
cf. Bessis et Othmani (2002), Fethi Belhaj Yahia (2010) et Mohamed Cherif Ferjani (2014), Gilbert
Naccache (2009). Pour les islamistes, cf. Sami Ben Gharbia (http://www.kitab.nl/borj-erroumi-xl/),
Se référer également au rapport d’Human Right Watch (2004), ou aux témoignages d’islamistes
emprisonnés publiés régulièrement sur le site de Tunis News.
174 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Les étudiants 17, en tant que groupe social, possèdent plus que d’autres
catégories de la population une ressource assez vite épuisée par
l’engagement politique : le temps 18. Il paraît logique, à première vue, que
leur propension à militer soit forte. Cette disponibilité en termes de temps
19. C’est même la seule variable sociologique qui justifie leur qualificatif de groupe social (OVE, 2000).
176 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
20. Selon Mara Loveman (1998), ils entrent dans la définition des coûts du militantisme.
21. En effet, en France, le temps de la retraite se caractérise par un accroissement des activités
associatives et politiques. Celui-ci s’accompagne de l’augmentation de la taille du réseau de sociabilité,
du moins chez certaines catégories sociales (cadres supérieurs et professions libérales). Cf. les
enquêtes de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), notamment la
collection « Données sociales ».
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 177
22. C’est-à-dire en règle générale les deux dernières années d’enseignement secondaire.
23. Cette variable faisait d’autant plus sens à l’aube des indépendances. Le milieu étudiant était
davantage élitaire et la mission d’avant-garde perçue dans une plus large mesure (Waardenburg,
1966, 73-118).
178 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
24. Cf. Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron (1964). Les auteurs notent ainsi que les étudiants en
lettres et sociologie des années 1960, confrontés à l’absence de débouchés professionnels, sont parfois
contraints afin de sauver le sens de leur entreprise (études supérieures), de la considérer comme une
aventure intellectuelle.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 179
29. Par exemple, lors de la grève générale de janvier 1978, il manifeste devant son établissement
secondaire avec des amis qui se font arrêter.
30. Cheikh imam, de son vrai nom Iman Issa, joueur de oud, a été très populaire dans le monde arabe,
notamment dans les années 1970 parmi les gauchistes. Chanteur égyptien engagé, emprisonné à
plusieurs reprises, c’est d’ailleurs Hachemi Ben Frej, le cofondateur d’El Amel el Tounsi qui a enregistré
et produit son premier disque.
31. En Tunisie, l’orientation à l’université est prescriptive, l’élève et/ou sa parentèle ne peuvent choisir
la filière qu’à partir du moment où les résultats scolaires le lui permettent. L’OSI joue probablement,
dans la même mesure que l’origine sociale en France, sur le choix d’une filière revalorisée socialement.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 181
Dans les années 1950, le ciné-club de Tunis 33, installé dans la salle du
cinéma « Le Paris », est contrôlé par les professeurs du lycée Carnot
proches des partis communistes français ou tunisien. Tous les dimanches
matins s’y réunissent les « intellectuels progressistes » majoritairement
français ou juifs-tunisiens, des professeurs de lycée ou de l’Institut des
hautes études, des avocats, des médecins, des psychiatres et des élèves du
lycée Carnot. À la même époque, Mohamed Charfi, l’un des fondateurs du
GEAST en 1963, élève dans la section sadikienne du lycée de Sfax, retrouve
ses professeurs, les époux Gilles et Tahar Cheria’a 34, au ciné-club de Sfax.
Le lycée de garçons de Sousse abrite également durant cette période un
ciné-club. Quelques années plus tard à Tunis, le lycée Alaoui accueille une
panoplie d’activités culturelles, dont un ciné-club qui projette tous les
samedis un film suivi d’un commentaire et d’un débat animé par un
professeur de français du lycée. Les deux maisons de la culture de Tunis,
Ibn Khaldoun et Ibn Rachik, hébergent également des activités
cinématographiques. La fin des projections appelle des débats sur
l’esthétique et, bien sûr, sur le politique d’une manière générale. De
nombreux militants évoquent l’influence de ce genre de loisir culturel sur
leur « prise de conscience politique ». Ciné-clubs, clubs de théâtre, voire
cercles de philosophie ou de réflexion sont, quelles que soient les périodes,
indissociables des cursus scolaires et supérieurs. Généralement, les
pratiques culturelles (lectures, arts, etc.), politiques ou non, sont fortement
développées chez les étudiants lorsqu’elles fournissent des savoirs
directement mobilisables dans le cadre des études. Sur ce point, la
concordance entre la France et la Tunisie est étonnante.
Le marxisme structuraliste était dominant dans le champ académique
français du début des années 1960 environ jusqu’à la fin des années 1970
(Anderson, 1977 ; Dosse, 1992), notamment en histoire, économie et
sociologie. En Tunisie, cette période s’est prolongée et il n’est pas rare de
lire des articles de la Revue tunisienne des sciences sociales rappelant, dans
33. Ses activités sont liées à celles de l’Université nouvelle, une association du PCF qui organise dans
la salle des fêtes du lycée Carnot des rencontres avec des écrivains français anticolonialistes et des
séminaires sur des thèmes divers.
34. Tahar Cheria’a crée en 1966 les journées cinématographiques de Carthage, un festival de cinéma
principalement africain dans les années 1960 qui se tient tous les deux ans. D’abord directeur du
cinéma au ministère de la Culture, il devient un cinéaste tunisien de renom.
184 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
41. Pour des jeunes faiblement pourvus en capitaux culturels et scolaires, la formation intellectuelle
donnée par le parti apparaît comme le substitut d’une culture légitime (Pudal, 1989).
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 187
augmente les chances de s’engager vu que le risque y est plus faible et que
la socialisation politique secondaire s’effectue majoritairement au sein de
ces espaces. Être lycéen mais surtout étudiant ouvre une période de
disponibilité biographique et cognitive qui augmente le poids des micro-
socialisations – les rencontres influencent davantage. Par ailleurs, en
militant, l’étudiant semble gagner sur trois plans. Premièrement, il s’affilie
au milieu académique en adhérant au rôle d’intellectuel engagé (cas des
gauchistes). Deuxièmement, il acquiert une autorité intellectuelle et
religieuse valorisable en particulier en dehors de l’enceinte universitaire
(majorité des islamistes). Troisièmement, il cumule un capital qu’il pourra
investir dans d’autres domaines de la vie sociale. Tout ceci encourage son
entrée au sein d’un collectif contestataire/ révolutionnaire, même si les
motifs de son passage à l’acte militant sont autres.
Or, les répressions ouvertes qui surviennent sans signes annonciateurs
clairs au moment où les contestations atteignent leur paroxysme,
démantèlent très rapidement les groupes contestataires/révolutionnaires.
En entamant leur engagement, la plupart des acteurs ont des difficultés à
percevoir distinctement les risques auxquelles ils s’exposent,
contrairement au chercheur qui, lui, les reconstruit a posteriori. Un certain
nombre de facteurs réduit, en effet, la perception des coûts et des risques.
Sur le plan individuel, le sentiment nationaliste motive et contribue à
inhiber cette perception. Lors d’intenses mobilisations, c’est-à-dire durant
la phase ascendante des cycles, le militantisme est souvent vécu comme
une période d’effervescence créatrice durant laquelle les militants ne
saisissent plus les tenants et aboutissements de leur activité (Dobry, 1992,
155). La défense de la cause est satisfaisante à part entière et constitue sa
propre récompense (Hirschman, 1983). Les coûts et les risques sont peu
perçus, voire carrément inhibés.
Au moment où le cycle de contestation transnational entame sa phase
descendante, c’est-à-dire, en Tunisie, après une phase de répression
ouverte, l’activité militante constitue de moins en moins une récompense
en elle-même. Passée l’euphorie et étant donné l’augmentation du risque
objectif, le calcul coût/avantage peut reprendre ses droits, affaiblir la
disposition à supporter les coûts (efforts fournis) et conduire à leur
diminution voire à une défection. Le problème est que la grande majorité
des activistes passent à l’acte durant la phase ascendante du cycle et se
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 189
S’insérer professionnellement
45. 70 % des intellectuels engagés font défection lorsque le risque objectif augmente et 100%
diminuent leurs coûts au même moment.
46. Nous avons utilisé la nomenclature des professions et catégories socioprofessionnelles ( 2003) de
l’INSEE pour certaines professions et regroupé les autres selon le domaine d’activités afférent. À ceci
nous ajouterons l’item « militant de métier », non répertorié par l’INSEE.
47. 5 % de hauts fonctionnaires voire ministres, 7 % de PDG, directeurs ou chefs de service.
48. 10 % de professeurs du supérieur ou chercheurs.
49. On dénombre principalement des médecins (8 %), des avocats (11 %) et d’autres professions
comme architecte ou notaire (5 %).
50. 6 % de journalistes et deux cinéastes.
51. Le reste comporte quelques techniciens (3), un traducteur, un correcteur et une animatrice socio-
culturelle.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 191
Médecin 3 -2
Professeur du 2 -1
supérieur/Chercheur
Avocat 0 0
Journaliste -2 3
Enseignant dans le public/privé -2 3
Sans emploi -1 2
Haut fonctionnaire/Ministre 3 -2
Domaine de l’édition 0 0
Cadre supérieur 4 -3
Entreprenariat/Commerce -3 4
Militant de métier -2 3
Professions libérales hors 3 -2
avocats (architecte, notaire, etc.)
Employé/Technicien 0 0
Total 61 165
Employé/Technicien 0 0
Total 61 165
Source : Michaël Ayari, base prosopographique, 2007.
Sur les 55 individus sur 244 n’ayant pas comparu à un procès politique,
34 sont des intellectuels engagés. Près de la moitié sont entrés en militance
au sein du Groupe d’études et d’action socialiste tunisien (GEAST) avant
1966. Seuls 14 % ont milité au sein du mouvement islamiste (neuf sur
soixante-quinze). Ces intellectuels engagés sont surreprésentés parmi les
acteurs d’origine élite médinale/médinale 52 et dans une moindre mesure
52. Notons que les catégories élite médinale et publiciennemontrent des écarts aux effectifs théoriques
relativement faibles.
194 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
53. On pourrait citer également Françoise Valensi, juive tunisienne, cofondatrice du GEAST, sœur de
Lucette Valensi, historienne spécialiste de l’islam méditerranéen.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 195
Se détacher du groupe
Les intellectuels engagés perçoivent plus que les autres types
d’activistes (engagés politiques équilibrés et totaux) les pressions directes
de leur parentèle ou de leur conjoint, les enjoignant à cesser leur
militantisme lorsque celui-ci devient hautement risqué. Cette pression
familiale existe, que les membres de la parentèle entretiennent ou non des
relations affinitaires avec les élites gouvernantes ou qu’ils fassent eux-
mêmes partie de ces élites, comme cela est le cas pour une dizaine
d’activistes d’extrême-gauche. Il n’est guère étonnant que ce processus
ayant pour effet d’augmenter la perception des couts et des risques, se
retrouve chez les parentèles d’origine élite médinale/médinale dont la
posture émotionnelle et cognitive porte la marque de stratégies de
repositionnements politiques et économiques. C’est le cas notamment de
Malika Horchani, qui dès ses premiers engagements au sein du Groupe
d’études et d’action socialiste tunisien (GEAST) en milieu étudiant en
1963-1964 fait l’objet de remarques anodines de la part de son oncle
maternel, militant destourien.
On militait à l’UGET [Union générale des étudiants tunisiens]. On était de ceux qui
essayaient de lutter contre les destouriens, et je me rappelle que Mohamed
Sayah 55 allait voir mon oncle. Il lui disait : qu’est-ce que c’est cette nièce que tu as ?
Elle n’a pas honte ! Son oncle vote dans un sens et elle, elle vote dans l’autre [rires].
En effet, dans les congrès de l’UGET, quand il y avait des motions à voter, il essayait
de faire pression sur moi 56.
Peu avant l’entrée dans la période de haut risque, alors qu’elle a déjà
pris des distances avec l’extrême-gauche, elle reçoit même des
avertissements explicites de la part d’inconnus :
Béhija B., née en 1954 62, d’origine élite médinale, poursuit sa scolarité
secondaire au lycée de Montfleury à Tunis. Au lycée, Béhija qui souhaite
devenir violoniste, participe aux activités de la maison de la culture. Son
oncle, algérien, militant FLN, monte des pièces de théâtre engagées. Béhija,
durant ses études secondaires, fait partie d’un club culturel où, avec ses
camarades, elle prépare une représentation théâtrale. Mohamed Salah
Fliss, un « Perspectiviste », entretient des relations avec la troupe de
théâtre. Il fait circuler des journaux du Groupe d’études et d’action
socialiste tunisien (GEAST) parmi les jeunes lycéennes. À la suite de
l’interdiction de la représentation de la pièce au théâtre de Tunis, Hamma
Hammami, leader d’El Amel el Tounsi, prend contact avec Béhija qui entre
dans un cercle clandestin. Elle est très vite arrêtée, condamnée à une peine
de prison avec sursis puis interpellée de nouveau et emprisonnée un an
dans une prison de femmes à la Manouba (banlieue de la capitale). Par la
suite, elle occupera un poste de responsabilité nationale au sein du
syndicat des transports maritimes. Elle s’impliquera dans le mouvement
féministe, notamment le club Tahar Haddad, qui regroupe des femmes
passées par l’extrême-gauche, en étant sorti déçues. À la fin des années
1980, Béhija immigre en France et milite en 2008 au sein de la Fédération
des Tunisiens des deux rives (FTCR).
Béhija B. présente son engagement « post-gauchiste », à savoir défense
des prisonniers, syndicalisme, féminisme, luttes pour le droit des
immigrés, comme l’activité l’ayant véritablement motivée. Elle décrit son
militantisme au sein d’El Amel el Tounsi comme une aventure politique
qui n’était pas désirée, et qui est l’effet secondaire d’une disposition aux
activités culturelles « légitimes » en milieu bourgeois (théâtre, violon)
« C’est par accident, le militantisme, ce n’était pas un truc dans lequel je me
suis décidée à rentrer, c’était un peu les circonstances, le hasard. Je voulais
faire de la musique, du violon 63 ». En 1973, alors que l’ouvriérisme et
l’arabisme bat son plein au sein de l’extrême-gauche, Béhija évolue dans
un cercle bien qu’elle cumule deux handicaps : être femme et
« bourgeoise », ie. d’extraction élite médinale. Elle dit avoir dû faire face
64. Idem.
65. Idem.
200 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
66. En effet, une fois l’image publique de la cause devenue peu légitime à la fin du cycle de contestation
ou à une fois celui-ci terminée, il est plus aisé de « prendre du recul » et de discréditer l’ancienne
croyance sans se sentir en situation de « dissonance cognitive » – éprouver des difficultés à maintenir
une vision de soi et du monde (idéologique) cohérente et légitime par rapport à soi même et à autrui.
Ceci est classique chez les militants d’extrême-gauche à l’échelle internationale (Bessis, Othmani [Ben
Othman], 2002, 242). On pourrait songer par ailleurs aux autobiographies d’activistes américains
comme Eldrige Cleaver, Jerry Rubin, Rennie Davis ou Tom Hayden (Fillieule, 2005, 22) ; aux
témoignages d’anciens soixante-huitards français comme Daniel Cohn-Bendit et Serge July (Cohn-
Bendit, 1992) ; de même qu’aux récits d’ex-révolutionnaires chiliens, Hernan Biichi, Carlos Ominami
et Vargas Llosa (Santiso, 2002) ; ou à ceux d’ex-gauchistes marocains tels Hassan Bennadi, Hamid
Berrada (Berdouzi, 2000).
67. Notons néanmoins une augmentation du risque objectif après la nomination de Raymond
Marcellin à l’Intérieur, en juin 1968. Sur la période mai 1968 à mars 1974, cf. Maurice Rajsfus (1998).
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 201
68. Le 4 décembre 2005, dans le sillage de la grève de la faim d’un mois de huit « personnalités de
l’opposition tunisienne » initiée à la mi-novembre lors du Sommet mondial de la société de
l’information (SMSI) à Tunis, le « Collectif du 18 octobre pour les droits et les libertés » voit le jour. Il
se fixe pour but de poursuivre l’action amorcée par les grévistes de la faim « avec pour objectif – sous
des formes d’interventions rénovées et audacieuses et dans un cadre unitaire intégrant sans exclusive
toutes les sensibilités politiques intéressées y compris des militants du Parti islamiste Ennahdha – la
lutte pour la liberté d’association, la liberté d’information, la libération des détenus politiques et
l’amnistie générale au profit des victimes de la répression politique ». Déclaration du comité du
18 octobre à l’occasion du premier anniversaire du mouvement du 18 octobre.
69. Abderraouf Ayadi, entretien avec Éric Gobe, Tunis, mai 2007 ; Michaël Ayari, base
prosopographique, 2007 ; Gilbert Naccache (2009).
70. Notamment des écrits d’Althusser et de Samir Amin (1996).
202 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
peu à peu que son engagement s’intensifie et atteint une sorte de point de
non-retour. Il subit la répression ouverte de 1972 et supporte mal la
prison, sur le plan psychologique, ce qui pourrait s’expliquer en partie par
le fait qu’il la perçoit subie, comparée aux ressorts de son militantisme
initial plus portés vers l’intégration au milieu universitaire ou à l’affiliation
au rôle d’intellectuel engagé.
Plus exactement, quels que soient les déterminants du passage à l’acte
d’Abderraouf, retenons que la logique autoritaire, en l’occurrence la
répression policière, transforme l’étudiant contestataire/révolutionnaire
en militant reconnu par ses pairs. Autrement dit, l’authentifie comme tel.
En règle générale, lors de l’accroissement du contrôle social de la
protestation plus ou moins violent, le réseau affinitaire de l’activiste
commence à se transformer. De nombreuses anecdotes dans les récits de
vie évoquent des individus qui arrêtent de fréquenter le militant et
d’autres qui s’en rapprochent. Lorsque celui-ci a atteint une certaine
visibilité publique (il est connu), en marchant dans la rue, par exemple,
des quidams le saluent discrètement, d’autres changent de trottoir. Dans
les périodes de haut risque et notamment durant les répressions ouvertes,
un simple membre de son réseau (collègue, ami) peut être menacé de
sanctions dans le domaine universitaire ou professionnel 71 s’il ne
collabore pas épisodiquement avec les services de sécurité.
Cette authentification s’accompagne d’une perception assez claire du
risque de subir la violence des autorités. Ces risques sont connus de
l’entourage. La violence des forces de sécurité ou des agents du parti au
pouvoir peut tout autant contribuer à attacher l’acteur au collectif, aux
individus qui le composent et à la cause qu’il défend que de le pousser à
faire défection. La première fois qu’un activiste est exposé à ce type de
violence, une sorte de socialisation accélérée facilite la structuration de
son horizon d’attente. Cette exposition individuelle – laquelle peut
découler d’un évènement de portée nationale ou internationale – agit tel
un révélateur, qui peut provoquer un choc moral – lorsqu’un discours
politique intériorisé l’a rendu illégitime – et réordonner l’échelle de
valeurs du militant (Jasper, Poulsen, 1995). Lors des interrogatoires, des
71. En l’espèce, des mutations dans une zone reculée du pays lorsque l’individu exerce dans la fonction
publique.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 203
La rupture était consommée, totale. Cinq ans plus tard, à l’âge de dix-neuf ans, j’ai
commencé à faire des problèmes au collège Sadiki, à organiser des piquets de
grève. J’ai organisé, une fois, une grève de façon très idiote, j’avais eu vent d’un
mouvement étudiant à l’université, j’ai crié « grève générale jusqu’à nouvel ordre »,
tout le monde m’a souri 72.
réunis, caractérisent ces derniers 73. Ils s’en distinguent également par leur
propension à anticiper les répressions ouvertes et les tolérer en tant que
coût/risque connu de l’engagement. Ils semblent également entamer leur
activité politique avec un horizon d’attente plus clairement structuré
(Zwerman, Steinhoff, 2005), en particulier ceux entrés en militance en
période de haut risque (HR). Annette Linden et Bert Klandermans (2006)
observent un phénomène similaire dans un autre contexte. En s’inspirant
de John P. Mayer et Natalie J. Allen (1996), on pourrait affirmer que leur
engagement suppose un degré d’attachement affectif à l’organisation, un
coût perçu d’une éventuelle défection et un sentiment d’obligation de
demeurer dans le collectif, plus élevés que ceux de l’intellectuel engagé.
Comme le montre le tableau 18 l’intellectuel engagé est quasiment le propre
des gauchistes. L’engagement politique total est surreprésenté chez les
militants d’extrême-gauche (+7). Quant à l’engagement politique équilibré,
il est fortement corrélé à l’appartenance à l’islamisme (+18), même si on
compte plus de 30 % d’islamisme parmi les engagés politiques totaux.
Gauche Islamistes
% écarts théo. % écarts théo.
Intellectuels engagés 34 13 11 -12
Engagement politique total 45 7 32 -6
Engagement politique 19 -17 51 18
équilibré
Équilibré → total 2 -1 6 2
Total 100 157 100 84
73. C’est-à-dire, préférence nettement marquée pour les activités intellectuelles et les loisirs en relation
avec l’activité militante (militantisme comme style de vie) et diminution des coûts lorsque le risque
objectif augmente (défection en période de haut risque (HR) ou prise de distance avec le collectif pour
différents motifs). Ils peuvent en effet réunir le premier mais non les deux. Sur le plan statistique, notons
que 5 % des engagements totaux et 15 % des engagés équilibrés font défection lorsque le risque
augmente et, à ce titre, diminuent leur coût au moment de l’accroissement du risque objectif.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 207
journal El Amel el Tounsi. Cette base servait pour tout. Je logeais là-bas et en même
temps je confectionnais le journal. On se débrouillait, je n’avais pas besoin
d’argent pour vivre, on recevait 150 ou 200 francs par mois, en fait on s’organisait.
Il y avait des gens qui travaillaient normalement. Ils nous aidaient financièrement
pour acheter les provisions. Puis, on ramassait des fruits et légumes sur les
marchés. Nos besoins se limitaient à manger, on n’avait pas d’autres besoins ; des
gens fumaient, buvaient, moi je ne fumais pas, je ne buvais pas, je mangeais et je
militais, c’est tout 75.
La dialectique de l’engagement
On pourrait se demander si l’engagement n’est pas de ce point de
vue ― attachement en partie affectif au groupe aux individus qui le
composent, et à la cause poursuivie (horizon d’attente) ― l’opposé du
désengagement (Klandermans, 2005, 99 ; Gottraux, 1997). Les facteurs
qui poussent un militant à diminuer son investissement et à quitter son
groupe pourraient être, en règle générale, l’opposé plus ou moins exact
des facteurs le conduisant à s’y attacher. Se détacher serait une forme
atténuée de défection, s’attacher, le début de la carrière militante au sens
plein du terme. S’engager et se désengager seraient ainsi les deux
moments d’un processus dialectique. Les facteurs en rendant compte se
situeraient sur une échelle d’analyse tant macro que meso et micro. Ils
208renverraient, au niveau le plus élémentaire, au coût évolutif de
l’activité militante, aux transformations du risque objectif et surtout aux
modulations de la perception des coûts et des risques. Nous raisonnerons
en termes de facteurs favorisant et défavorisant l’attache-ment : cet
attachement cachant aux yeux de l’engagé l’augmentation du risque
objectif, en d’autres termes l’inhibant. Nous nous focaliserons notamment
sur les techniques de mobilisation et de rétention en vigueur au sein des
collectifs. Nous verrons que l’adéquation entre des dispositions militantes
constituées avant le passage à l’acte et pendant le militantisme et celles
attendues par le groupe, explique en grande partie cet attachement.
Les groupes militants encouragent l’engagement par une série de
techniques de mobilisation et de rétention visant à réduire la perception
des coûts et des risques du militantisme. La finalité de ces techniques est
210 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
77. Cet ouvrage est un livre de référence pour tout militant du PCOT sur les campus universitaires
tunisiens.
78. Citons, en outre, ce passage de l’entretien : « Le 28 septembre 1974 dans la rue, encore une fois
j’étais sauvagement torturé, tu peux lire ça dans le récit [Le chemin de la dignité], mais cette fois pour
moi c’était un grand tournant dans ma vie de militant, parce que j’étais arrêté en tant que membre de
la direction de El Amel el Tounsi. Et le grand tournant, c’était qu’après vingt-huit jours de tortures les
flics ne sont pas arrivés à m’arracher un mot, et depuis jusqu’à maintenant ils ne sont pas arrivés à
m’arracher un mot. C’était pour moi la rupture avec l’expérience de février 1972, c’était pour moi un
regain de dignité ». Hamma Hammami, entretien avec l’auteur, 2006.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 211
passer par toute une série d’étapes : assister de manière assidue aux
dourous (séance d’études) dans les mosquées, participer à des cercles de
discussion, y commenter des ouvrages de penseurs musulmans. À ce stade,
l’individu appartient à la deïra (cercle). Au bout d’un certain temps, un
Émir dont l’identité est inconnue (même si l’individu le fréquente par
ailleurs) le convoque et lui fait prêter le serment d’allégeance (la bey’a).
Dans les années 1980, le Mouvement de la tendance islamique (MTI) de
plus en plus structuré, à l’instar d’un parti politique assez important,
possède un petit comité qui examine les demandes d’adhésion, a priori,
afin d’éviter les infiltrations. Celui-ci effectue notamment une enquête sur
les mœurs du prétendant.
Mais, ce sont moins ces techniques de mobilisation et de rétention dont
le travail symbolique de glorification du héros militant fait partie, qui
jouent le rôle de facteur favorisant de l’engagement, que la force des liens
entre les membres des collectifs. La valorisation de certaines qualités
militantes est liée, en un sens, à des nécessités pratiques auxquelles le
collectif est confronté – c’est le cas par exemple de l’éloge des attributs
« héroïques » et « guerriers » que nous venons d’évoquer. Les dispositions
militantes, objets de gratifications symboliques ou matérielles au sein du
groupe de pairs, sont un aspect de l’intégration au sein de ce groupe. Plus
que des compétences militantes, ces dispositions reflètent en quelque
sorte la manière dont le parcours personnel de l’individu reflète les
relations (dispositifs au sens de Michel Foucault) entre les différents
éléments des ensembles hétérogènes propres à chaque époque. Pour
prendre un exemple concret, un acteur de filiation extra-muros, originaire
du Sud, issue d’une parentèle yousséfiste et, en même temps, fils d’ouvrier
ou de petit agriculteur, sera plus valorisé au sein des groupes d’extrême-
gauche, toute chose égale par ailleurs, au début des années 1970 c’est-à-
dire au moment où l’État tunisien desserre son étau sur le discours
constituant yousséfiste/arabiste et où les collectifs gauchistes deviennent
plus ouvriéristes et nationalistes arabes. Plus ces dispositions
correspondent à celles qu’attendent les autres individus du groupe, plus
l’intensité des liens entre l’acteur qui les possèdent et les autres membres
du collectif se renforce. Ceci même si ces derniers raisonnent à l’aide de
raccourcies de pensées tels « un Sudiste est plus courageux qu’un
bourgeois de Tunis » ou « moins porté vers l’intellectualisme », etc.
212 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
79. Si nous suivons fidèlement la perspective de Mark Granovetter (1973), nous devrions préciser :
plus les liens sont nombreux et faibles.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 213
Direction locale, -7 3 3 1
régionale
Chef de cellule -2 4 0 0
Cellule 10 -5 -1 -1
Sympathisant 80 23 -14 -6 0
Compagnon de route 81 -2 0 4 0
Total 63 97 72 8
80. Sympathisant signifie participant aux cercles de discussion (étape avant la participation régulière
aux activités de la cellule ou l’introduction dans le cercle – deïra).
81. Compagnon de route signifie un individu rendant des services ponctuels au groupe.
214 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
86. Nous avons déjà évoqué le cas de cet acteur fondateur du parti du peuple révolutionnaire tunisien.
Il avait réuni un petit groupe armé et tenté d’entrer sur le territoire tunisien par la frontière algérienne.
87. Chérif Ferjani, entretien avec l’auteur, 2005.
88. Être renvoyé à la base signifie perdre toutes ses responsabilités au sein du collectif, redevenir un
militant « de base ». Chérif Ferjani, Najib Chebbi, Abdelwahab Majdoub, Mohamed Saddam et Brahim
Razgallah, entretiens avec l’auteur, 2005-2006.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 217
89. L’expression « oblats » est empruntée à Pierre Bourdieu (1981). Bernard Pudal (1989) utilise
également ce terme. Il désigne les militants formés par l’appareil nourrissant une « dette » à son égard.
90. Zyed Krichen, entretien avec l’auteur, 2005.
91. Ils redécouvrent Mohamed Abdou (réformiste musulman du XIXe siècle) en allant directement aux
textes originaux. Ils commencent à situer géographiquement et historiciser l’expérience des Frères
musulmans.
92. En l’occurrence « son jusqu’au-boutisme qui a mené à sa mort et au démantèlement du groupe »
et sa tendance à « réduire les conflits doctrinaux à des problèmes de plus ou moins bonne religiosité ».
Ces éditoriaux ne seront pas publiés. H’mida Enneifer, entretien avec l’auteur, 2005.
218 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
que Habib Mokni, sur une ligne beaucoup plus frère musulmane, laquelle
s’impose davantage dans le groupe, prend la relève à la tête d’Al Ma’arifa 93.
Au sein de l’échantillon, les exemples d’activistes propulsés à des
postes de décision, notamment pendant les périodes de répressions
ouvertes ou lorsqu’ayant été condamnés à des peines plus légères, la
direction leur confie la mission de réorganiser le collectif 94, sont
nombreux. L’« effet de propulsion » attache davantage le militant au
groupe. Il agit, de même, comme un révélateur des nouveaux attributs
revalorisés au sein des organisations. À l’inverse, sans que cela n’aboutisse
nécessairement à des défections, les « effets de sélection », se manifestant,
la plupart du temps, par la rétrogration officielle dans la hiérarchie de
l’organisation, détachent le militant tout en mettant en lumière les
nouvelles dispositions attendues par le groupe. Ces acteurs se sentent
floués comme Mohamed Charfi, marginalisé en 1966 par des activistes,
plus jeunes, davantage tournés vers l’action militante que l’étude des
textes marxistes et développementalistes, comme Brahim Razgallah. Les
répressions ouvertes créent donc un espace vide entre les micro-cohortes
ou les générations étudiantes (environ cinq ans) lequel renforce les effets
de propulsion et de sélection. Sur le plan individuel, les motivations du
militantisme quittent les « vieux » pour rejoindre les « jeunes ». C’est ainsi
que tout semble s’emboiter à différentes échelles afin que les identités
politiques des groupes changent dans la lignée de l’évolution des relations
(dispositifs) au sein des ensembles hétérogènes propres à chaque époque.
93. Peu de temps après, en 1981, la Jama’a al islamiyya change son nom en MTI, demande une
reconnaissance légale, comme nous l’avons noté, et modifie ses statuts.
94. Cela est le cas par exemple d’Abdelaziz Krichen en 1969, Brahim Razgallah en 1971, Hamma
Hammami en 1973 ou Hicham Abdessamad en 1975.
QU’EST-CE QUI FAIT COURIR LES MILITANTS EN RÉGIME AUTORITAIRE ? 219
█
Trauma politico-familiaux ;
█
Sentiment nationaliste.
█
Phase ascendante des cycles de contestation et donc augmentation de
l’offre politique contestataire/révolutionnaire ;
█
Période de faible risque objectif et de conflit inter-élites ;
█
Perception d’opportunités institutionnelles et politiques.
█
Accès aux espaces de socialisation politique, mosquées, lieux liés à
l’éducation nationale (lycée, universités, activités extrascolaires) ;
█
Disponibilité biographique et cognitive (temps des études) ;
█
Propension à s’affilier au milieu universitaire ou au rôle d’intellectuel
engagé ;
█
Choc moral et horizon d’attente structurée par un langage idéologique
qui rend la violence subie injustifiable.
█
Être intellectuel engagé (forte propension à l’affiliation au milieu
universitaire ou au rôle d’intellectuel engagé, plus grande perception
des risques et réceptivité aux pressions familiales, tendance à
privilégier la socialisation pré-professionnelle et l’insertion socio-
professionnelle sur le militantisme) ;
█
Inadéquation entre dispositions militantes et dispositions attendues
par le groupe ;
█
Effet de sélection (rétrogradation dans la hiérarchie du collectif) lié
notamment à un fossé générationnel et un changement d’identité des
groupes.
Les conséquences biographiques du
militantisme et l’opposition à Ben Ali
2. Omar, neveu d’Ahmed Mestiri (chef de files des libéraux au sein du PSD et fondateur du MDS) est
d’origine élite médinale. Il est activiste d’El Amel el Tounsi en clandestinité durant la deuxième moitié
des années 1970. D’abord révolutionnaire professionnel et leader d’El Amel el Tounsi El Khatt ath
Thaouri, il se rapproche d’El Amel el Tounsi El Khatt Es Sa’id dirigé par Najib Chebbi, puis rejoint le RSP
(futur PDP), constitué par ce dernier. Il est en outre cofondateur du FDTL (Ettakatol) avec Mustapha
Ben Ja’afar. Sa sœur est mariée à Najib Chebbi.
3. Ancien activiste du MTI, cofondateur des islamistes progressistes. Il est l’un des plus plus jeunes
militants du MTI arrêté le 18 juillet 1981.
226 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
L’acteur dont la trajectoire n’a pas été bloquée exerce une profession
relevant des catégories socioprofessionnelles « cadres et professions
intellectuelles supérieures » ou « professions intermédiaires » (figure 9).
Il était plutôt intellectuel engagé ou engagé politique équilibré. Il a cessé
de militer lorsque le risque a augmenté (figure 10) – passage de FR à HR.
C’est le cas de Malika Horchani 4, intellectuelle engagée d’origine élite
médinale, primo militante de Perspectives. Elle se désinvestit graduel-
lement du GEAST avant la fin de son cursus universitaire. Son engagement
n’empiète pas sur ses études, qu’elle achève en 1967 par un doctorat de
psychologie. De retour en Tunisie, elle obtient très rapidement un poste de
maître-assistante (maître de conférences) à l’Université de Tunis. À la fin
des années 1970, elle intègre Amnesty international. Puis, elle rejoint un
club informel de réflexion sur la condition des femmes (Club Tahar
Haddad), avant d’adhérer, en 1990, à l’Association tunisienne des femmes
démocrates (ATFD). La même année, elle devient la première présidente
8. Notons que ces deux acteurs, mariés à deux sœurs de la famille Rekik, sont beaux-frères.
9. Mohamed Charfi, entretien avec l’auteur, 2005.
10. Ahmed Smaoui, entretien avec l’auteur, 2005.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 231
11. Michel Camau définit ces collectifs comme des organisations non gouvernementales qui : « […]
Se fixent pour objectif la défense de causes qui peuvent être qualifiées de “politiques” au sens où elles
ont trait au fonctionnement et aux orientations de l’ordre politique : les droits de l’Homme, la condition
féminine, l’environnement, la “transparence”… Au-delà des différences de contexte, elles se prêtent à
des rapprochements avec les associations de militance morale observables en France et en Europe.
À l’instar de celles-ci, elles interviennent dans des domaines relevant traditionnellement du
champ d’action des partis politiques et des syndicats » (Camau, 2002, 227).
12. Terminologie officielle qui caractérise le nouveau régime.
13. Les programmes scolaires seraient contraires à l’esprit de tolérance de l’Islam et aux principes
démocratiques. Le nouveau ministre déclare impossible de laisser se poursuivre de tels enseignements
qui relèvent d’une orthodoxie étroite, figée et révélatrice de l’endoctrinement de la jeunesse (Daoud,
1991, 687). La loi du 29 juillet 1991 relative au système éducatif prévoit qu’il est nécessaire de « lutter
contre l’intégrisme en protégeant les jeunes contre l’obscurantisme » (Van Buu, 1994, 999).
232 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
14. Mohamed Mahfoudh, de filiation élite médinale, est né à Sfax en 1934. Membre du noyau fondateur
du GEAST, rédacteur de nombreux articles de Perspectives tunisiennes, il fait le lien entre les directions
de Tunis et de Paris en période de haut risque (HR), après les émeutes de juin 1967. En 1968, il est
emprisonné et quitte l’espace carcéral en même temps que Mohamed Charfi, par ailleurs, son ami
intime. Il fait son stage d’avocat au cabinet de Mohamed Chakroun, ancien ministre de la Justice, avocat
et enseignant à la Faculté de droit. Il arrête de militer à sa sortie de prison, peu avant son insertion
socioprofessionnelle. Après l’arrivée de Zine el Abidine Ben Ali au pouvoir, il travaille un temps au sein
du Haut comité des droits de l’Homme, une instance créée par le régime.
15. Ce collectif « lutte pour empêcher la présidence à vie en Tunisie, instaurer la démocratie et les
droits de l’Homme et restaurer la noblesse politique » (Perspectives tunisiennes, www.perspectives
tunisiennes.net/nous07.htm).
16. Un des chefs de file des libéraux d’origine élite médinale, au sein du PSD, cofondateur de la LTDH,
cousin de Wassila Ben Ammar, l’épouse de Habib Bourguiba.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 233
18. Khémais Ksila, J.B.H., H.J. et T.B., entretiens avec l’auteur, 2005-2007.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 235
19. Khémais Ksila, J.B.H., H.J. et T.B., entretiens avec l’auteur, 2005-2007 et Michaël Ayari, base
prosopographique, 2007.
236 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Combattre le déclassement
Si le militantisme de près de la moitié des islamistes et d’un tiers des
gauchistes a eu pour effet de bloquer leur trajectoire scolaire/
universitaire et/ou professionnelle, ces activistes ne sont pas forcément
déclassés. On se rend compte que nombre d’entre-eux réussissent à
combattre avec succès le déclassement et le sous-emploi.
22. Pour une étude approfondie du processus de changement des élites sous l’ère Ben Ali, cf.
Stephen Erdle (2006).
238 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Les déclassés
26. Il refuse notamment de diriger une cellule à Hammam-Lif au sein de laquelle un de ses supérieurs
chez les Scouts évolue.
27. Cela pourrait s’expliquer notamment par ses origines publiciennes et la forte implication de son
père au sein du PSD durant les années 1970-1980.
28. Il rejoint El Amel el Tounsi 77, appelé en exil La tendance des trois mondes. Rappelons qu’El Amel
el Tounsi 77 continue ses réunions jusqu’en 1983 avant de se saborder.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 241
30. Un collectif constitué dans le sillage de la grève de la faim initiée à la mi-novembre 2005 lors du
Sommet mondial de la société de l’information (SMSI). Samir Dilou était l’un des huit grévistes de
la faim.
31. Notons qu’Abdelfattah Mourou à la suite de la politisation de la Jama’a al islamiyya dans la seconde
moitié des années 1970 est contraint de quitter sa profession de magistrat pour se consacrer à l’avocature.
244 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
d’études avec un ami. En 2000, il crée une entreprise de mise en page, mais
tombe malade en 2002. Après cet incident, il « laisse tout tomber » en
Tunisie et décide de partir en France avec sa femme et son fils.
Dans le domaine de l’entreprenariat, les destinées varient. Certains
réussissent mieux que d’autres. C’est le cas de Tahar Benhassine 37. Né en
1946, il poursuit ses études secondaires au sein de l’annexe Khaznadar du
collège Sadiki à Tunis, où il obtient un baccalauréat scientifique en 1966.
Puis, il s’inscrit en médecine et intègre le GEAST. Arrêté durant les
événements de mars 1968, il est condamné et détenu jusqu’en 1970. À sa
sortie de prison, assigné à résidence à Mahdia, il s’exile en 1971 en Libye
où il travaille en tant qu’enseignant dans un lycée. En 1972, il gagne Paris
et crée, quelques années plus tard, une société de traduction particulière-
ment lucrative.
C’est le cas également de Mohamed Ben Salem 38. Mohamed Ben Salem,
d’origine extra-muros, est né en 1953. Après des études primaires, il intègre
le lycée technique de Nabeul en tant qu’interne, puis le lycée agricole de
Mograne, où en 1973 il obtient l’habilitation à poursuivre des études
supérieures (l’équivalent du baccalauréat). Ensuite, il s’inscrit à l’École
supérieure d’agriculture de Mejaz El Bab où il reste jusqu’à la validation de
son diplôme d’ingénieur des travaux (bac+4). Durant ces années, déjà
sensibilisé à l’islamisme au lycée, il fréquente les mosquées, assiste à des
conférences, puis intègre la Jama’a al islamiyya durant l’année universitaire
1977-1978, après une période de spiritualité soufie. Parallèlement, il est
assistant à l’université jusqu’à ce qu’il décroche une bourse de coopération
pour suivre un 3e cycle à Strasbourg en 1982. Il réussit son diplôme
d’ingénieur en hydraulique (bac+6) et dans la foulée retourne en Tunisie où
il obtient un poste d’enseignant à l’École d’ingénieurs de Mogranne.
Conjointement, il poursuit ses activités militantes. Il monte, parallèlement
à sa carrière d’enseignant, une entreprise de bâtiment en prévision d’un
éventuel renvoi. Son engagement équilibré aboutit à une condamnation au
procès de 1987 et un emprisonnement de 9 mois. À sa sortie, ne pouvant
réintégrer son poste d’enseignant, il s’occupe de son entreprise de bâtiment
tout en continuant de militer. Durant la répression ouverte de 1990-1992,
il est détenu pendant un peu plus d’un mois puis relâché. Cet épisode
marque le début de quelques mois de clandestinité au cours desquels il
deviendra président du parti islamiste avant son exil à Paris. En France,
avec un ingénieur, également militant Ennahdha qu’il a connu en
clandestinité, il crée une entreprise spécialisée dans l’exportation de
machines industrielles d’occasion vers des pays du Golfe. Il milite toujours
à Ennahdha où il représente, à la fin des années 2000, l’une des principales
figures du bureau politique. [Il sera ministre de l’Agriculture sous la troïka
(2011-2014) et député (2014-)]. Enfin, soulignons que Mohamed occupe
une position centrale au sein de son réseau de sociabilité militant, dans la
mesure où il embauche régulièrement des militants et ex-militants
islamistes.
Houcine Jaziri 39 [Secrétaire d’État chargé de l’Immigration (2011-
2014), député Ennahdha à l’Assemblée des réprésentants du peuple (ARP)
en 2014] a également réussi sa reconversion dans l’entreprenariat. Né en
1968 et de filiation médinale, il prend la tête de quelques manifestations
au lycée puis commencé à fréquenter des militants du MTI. En 1987, il
obtient un baccalauréat littéraire qui lui permet de s’inscrire en
philosophie à la Faculté des lettres de Tunis. Au moment des arrestations
de 1990-1992, Houcine fuit la Tunisie pour se rendre au Maroc où il milite
au sein d’Ennahdha et se réinscrit à l’université. En 1993, après avoir
obtenu une licence de philosophie, il part pour Paris. Tout en continuant
son engagement au sein du mouvement islamiste, il poursuit ses études
jusqu’à l’obtention d’une maîtrise. Il travaille dans un hôtel jusqu’à son
licenciement en 1998. Considérant que son renvoi est injustifié, il saisit
les prud’hommes et obtient une indemnisation. Avec cet argent, il ouvre
une pizzeria qui « marche bien ». En 2008, Houcine est toujours membre
du bureau politique d’Ennadha.
Parfois, le réseau de sociabilité militant joue le rôle de « filet de
protection ». Si dans certaines circonstances son absence peut conduire
au déclassement, comme avec Abdelwahab el Hani, sa présence peut, au
moins, préserver du sous-emploi. Salim Ben Hamidane 40 [ministe des
domaines de l’État et des affaires foncières et constituant Congrès pour la
Hizb et Tahrir 45. Il est blessé à la jambe lors d’une intervention de police
à l’ENIT. Deux ans après le début de ses études universitaires, il est arrêté
et incarcéré pendant cinq ans, de 1991 à 1996. À sa sortie de prison, le
ministère de l’Enseignement supérieur lui interdit de reprendre ses
études. Sa trajectoire universitaire est donc bloquée. Il rejoint la France
où, après l’obtention du statut de réfugié politique, il effectue une
formation directement liée à l’exercice d’une profession. En effet, il
s’inscrit en informatique à l’université, suit parallèlement une formation
en base de données, réalise un stage dans une entreprise puis est
embauché dans une société d’ingénierie informatique.
Mentionnons enfin le cas d’Imad Daïmi. Né en 1970, d’origine médinale
du Sud (son père est zitounien, professeur de civilisation arabo-islamique
au lycée), il termine ses études secondaires au lycée de Médenine et
obtient un baccalauréat scientifique en 1988. Entre-temps, il entretient
des liens avec des militants du MTI. Il s’inscrit à la Faculté des sciences de
Tunis, où il redouble sa première année. À l’université, il s’engage dans le
syndicat étudiant d’obédience islamiste, participe aux activités du MTI-
étudiant puis, en 1990, en devient responsable de l’information. Quelques
mois plus tard, il est arrêté, torturé et détenu pendant quatre-vingts jours.
Il s’exile en France où en poursuivant ses activités au sein d’Ennahdha, il
s’inscrit à l’université et obtient un DEA d’économie. Toutefois ne trouvant
pas de travail même intérimaire, il intègre, à l’instar d’autres activistes
cités précédemment, la société d’import-export de Mohamed Ben Salem.
N’ayant pas acquis d’expérience professionnelle pouvant être réinvestie
dans un domaine d’activité, il suit une formation professionnelle (stage
d’ingéniorat informatique). En 2002, Imad Daïmi rejoint le Congrès pour
la république (CPR) et s’occupe de la maintenance du site Internet du parti.
Par ailleurs, il devient ingénieur d’études et de développement dans une
société d’informatique. [Après le soulèvement de décembre-janvier 2010-
2011, il sera élu constituant (2011-2014) d’une circonscription des
Tunisiens à l’étranger (France). Il deviendra directeur de cabinet du
président de la République Moncef Marzouki de 2011 à 2013, Secrétaire
général du CPR (2013-) et député CPR de Médenine (2014-)].
45. Parti de la libération islamique (PLI), un groupuscule prônant l’instauration de l’État et de la société
islamiques.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 251
Nous avons noté un effet groupe politique majeur sur l’origine socio-
identitaire (élite médinale pour les gauchistes contre extra-muros pour les
islamistes) et le type d’études (droit et sciences humaines et sociales pour
les gauchistes contre école d’ingénieur, de commerce, théologie et sciences
pour les islamistes). Nous avons observé par ailleurs un effet groupe
politique important sur la profession exercée. Les entrepreneurs/
commerce, les sans emploi (+5), dans une certaine mesure, les journalistes
et les employés techniciens (+1) se retrouvent davantage chez les
islamistes. À l’inverse, les avocats, professeurs du supérieur/chercheurs,
hauts fonctionnaires/ministres, enseignants dans le public/privé
proviennent en plus forte proportion de l’extrême-gauche. Les conclusions
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 253
compte. Les activistes ne sont pas tous des engagés politiques totaux ayant
sacrifié les autres domaines de leur vie sociale et payé le prix fort de leur
activisme, d’autant que le militantisme islamiste mais surtout gauchiste
permet d’accumuler des ressources qui peuvent être réinvesties, ce qui
peut conduire, au contraire, à mieux se placer sur le plan socio-
professionnel, tout en se reconvertissant parfois politiquement, à défaut
d’avoir cessé toute forme d’activisme.
50. Toutefois, son nom n’apparaît pas dans le texte de demande de reconnaissance légale de 1981.
Document reproduit dans Mohamed Harbi (1991, 176-177).
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 259
51. L’UOIF a été fondée par des étudiants maghrébins, notamment tunisiens liés à Ennahdha, et par
des étudiants frères musulmans syriens et égyptiens. L’UOIF est en grande partie issue du
Groupement islamique en France (GIF), un groupe qui a fait sécession en 1979 de l’AEIF fondée par
Mohamed Hamidullah en 1962.
52. Le courant maoïste spontanéiste (dit Mao Spontex) est incarné en France notamment par le groupe
de Roland Castro, Vive la révolution. Il se constitue autour du noyau de militants pro-chinois de
l’Université de Vincennes. Il s’oppose au courant dit Dogma privilégiant la clarification théorique sur
les activités dites de conscientisation des masses. Cf. notamment Marianne Debouzy (1995).
260 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
53. Programme du Comité culturel (comité lié au GEAST), document interne, 1972.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 261
1984, il reprend une société du même genre, Africa Voice, jusqu’en 1990,
année durant laquelle il fait faillite. En 1991, fort de son expérience dans le
domaine culturel, il est nommé secrétaire général du festival de
Hammamet, un événement culturel d’importance. Puis, en 1996, il crée une
autre société, Technosen, spécialisée dans les appels d’offres et la vente
d’appareils audiovisuels. Parallèlement, il milite à la section tunisienne
d’Amnesty international et intègre en 2003 la direction nationale de
l’Initiative démocratique, un regroupement d’anciens militants du Parti
communiste tunisien (PCT) et d’extrême-gauche anti-islamistes.
54. Mokhtar Trifi, entretien avec Éric Gobe, 2007 et Michaël Ayari, base prosopographique, 2007.
55. À ce moment le secteur H qui se revendique de la ligne du journal El Amel el Tounsi et le comité de
coordination de Perspectives.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 263
Celui-ci, dès son retour au pays, au début des années 1980, est conduit
au ministère de l’Intérieur où il s’entretient avec un responsable politique.
Au cours de la discussion, il exprime sa nouvelle position politique,
consistant à ne plus considérer le régime comme un « ennemi ». Puis il
postule en tant que conseiller juridique à la Banque centrale et dans
plusieurs ministères. Sa candidature est retenue dans chaque secteur. Il
décide d’intégrer le ministère de l’Économie en tant que conseiller
juridique dans un organe chargé des études stratégiques tout en devenant
secrétaire général d’un syndicat au sein de ce ministère. Parallèlement à
cette activité, il rejoint le RCD en 1988. La même année, il quitte le
ministère et ouvre un cabinet d’avocats avec Jeddi Jilani, qui lui de son
côté signe des pétitions pour la défense des libertés publiques et défend à
l’occasion des personnalités de l’opposition.
Sadok Marzouk 56, avocat d’affaire, principal fondateur de la section
tunisienne d’Amnesty international à la fin des années 1970. Intellectuel
engagé au sein du GEAST dans la deuxième moitié des années 1960, il est
arrêté en mars 1968, comparaît au procès de septembre mais est
rapidement libéré. Auparavant, il avait étudié à l’ENA et à la Faculté de
droit de Tunis. Il avait obtenu deux DES en science politique et en droit
public. À la suite de sa libération, il s’éloigne de Perspectives, devient
assistant à la Faculté de droit et s’inscrit au barreau. Au début des années
1970, sa condamnation au procès du GEAST engendre des conséquences
professionnelles : il est radié de l’ordre des avocats jusqu’à l’arrivée d’un
nouveau bâtonnier qui lui permet de quitter l’enseignement supérieur et
de se consacrer entièrement à l’avocature.
Évoquons également le cas de Hachemi Jgham, cofondateur du GEAST
entre juillet et octobre 1963. Après des études de droit à Paris, il s’inscrit
en 1965 à Strasbourg en troisième cycle d’économie et de sciences
juridiques. Durant ces années, il prend graduellement ses distances avec
le collectif d‘extrême-gauche. En 1971, il rentre en Tunisie et devient
avocat. Tout comme Sadok Marzouk, il participe à la création de la section
tunisienne d’Amnesty international. Membre de la LTDH, il s’est constitué
à plusieurs reprises pour des affaires « politiques », notamment pour
Moncef Marzouki.
58. À la rentrée 1975-1976, Driss Guiga, ministre de l’Éducation nationale aurait renforcé la sélection en
« dressant de nouvelles barrières à l’entrée et à la poursuite des études universitaires ainsi qu’aux
épreuves du baccalauréat ». Ce dernier remplace les élections dans les facultés par des désignations et
institue le système des vigiles baptisé « gardes universitaires ». Selon El Amel el Tounsi, les étudiants se
mobilisent pour la défense de leurs « conditions matérielles » et de conditions d’études convenables et
pour l’exercice de leurs « droits syndicaux et démocratiques, la libération des détenus politiques et plus
généralement contre la réforme Guiga ». Cf. El Amel el Tounsi, Bulletin d’information, février, 1976.
266 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
59. Selon ses statuts, l’ALTT est une association « dont la création a été annoncée le 26 juin 2003 à
l’occasion de la journée internationale des Nations-Unies pour le soutien aux victimes de la torture.
Elle s’est fixée pour objectifs de promouvoir la législation locale de protection contre la torture,
recenser et faire le suivi des cas de torture et fournir une assistance aux victimes sur le plan médical,
ainsi que sur le plan judiciaire en vue du dépôt de plaintes auprès des instances nationales et
internationales. L’ALTT n’a pas pu être enregistrée légalement du fait du refus qui lui a été opposé par
les autorités » (ALTT- CRLDHT, 2008).
60. Sorte d’association de défense des droits de l’Homme plus radicale que la LTDH, sur laquelle nous
reviendrons.
61. « Les associations civiles sont des associations qui, par définition, s’appuient sur un mode
d’adhésion contractuel combiné à la défense de causes à caractère général, collectif à la communauté
des citoyens ; d’autre part, ce sont des organisations qui agissent dans l’antichambre du politique, ou
qui se situent par rapport aux structures étatiques et politiques existantes » (Karam, 2006, 93).
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 267
71. Il serait hasardeux d’en déméler les causes. L’intéressé affirme avoir eu des difficultés à se départir
de ses attaches amicales avec d’anciens camarades d’El Amel el Tounsi, militants de la LTDH, ce qui
s’est traduit par un certain manque de zèle. Cela expliquerait qu’il ait été accusé d’indiscipline par la
commission disciplinaire du bureau politique du parti au pouvoir et partant exclu du RCD. Khémais
Ksila, entretien avec l’auteur, 2005.
72. À partir de 1996, il est harcelé par la police. Il finit par être condamné pour avoir causé un accident
de la route au cours duquel un homme a trouvé la mort.
73. Cet exil volontaire est facilité par la nationalité française de sa mère.
74. Organisation créée par les associations issues de l’immigration.
272 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
pour le droit de vote des immigrés 75. En 2000, il devient secrétaire général
de la FTCR. En 2005, il est élu conseiller régional d’Île de France, tête d’une
liste « gauche populaire et citoyenne ». En 2008, il exerce toujours son
mandat. Notons que la spécialisation de Tarek Benhiba dans les domaines
associatif et politique en France est directement liée au réseau de
sociabilité militant des anciens gauchistes exilés.
Sur ce plan, citons également Nabil A., qui bénéficie du même réseau, ou
Lakhdar Ellala, l’un des leaders du mouvement étudiant de février 1972,
sympathisant du PCT, militant d’Ettajdid et de l’Initiative démocratique
dans les années 2000. Nabil A., d’origine publicienne, est né en 1959. Il
milite au Watad durant la fin de ses études secondaires et le début de ses
études universitaires. En 1984, il est renvoyé de l’ENS. Lakhdar Ellala, de
lignée médinale, fils d’un moyen propriétaire oasien de Nefta, naît en 1949.
Il commence à s’engager au lycée dans le syndicalisme étudiant.
À l’université, il se rapproche du PCT après avoir sympathisé avec le
GEAST. Il est arrêté en mai 1973 puis libéré fin juin. Lors du procès des
« 202 » de juillet 1974, les activistes n’étant pas censés appartenir à El
Amel el Tounsi sont incorporés dans l’armée ; c’est le cas de Lakhdar Ellala.
Après son service militaire forcé, il continue à militer dans les structures
provisoires de l’UGET jusqu’en octobre 1975, date de son exclusion
définitive de l’université.
Leur renvoi du système éducatif les incite à quitter la Tunisie. Tous deux
se rendent à Paris où ils poursuivront des études universitaires. Nabil A.
s’inscrit en histoire à Paris. Peu à peu, il s’intéresse aux droits de l’Homme ;
en témoigne la réalisation de ses mémoires de maîtrise et de DEA sur ce
sujet. Lakhdar parvient par l’intermédiaire de Serge Adda 76, militant du
PCT, personnage central du réseau de sociabilité des communistes
75. Votation citoyenne, un mouvement créé à l’initiative de Saïd Bouziri, membre du comité central
de la Ligue des droits de l’Homme.
76. Serge Adda, juif-tunisien d’origine médinale, est né en 1948. Il est le fils de Georges Adda, célèbre
militant communiste. En 1963, Serge Adda devient représentant du Parti communiste tunisien à Paris
au sein de l’Union des étudiants communistes (UEC). Sur le plan des questions politiques proprement
tunisiennes, il adopte les positions du GEAST, il s’oppose notamment à la politique communiste de
soutien critique vis-à-vis du développement des unités de production. Il entretient des contacts
réguliers avec les militants perspectivistes. Toutefois, il n’a jamais appartenu à une cellule du groupe.
Il est le principal dirigeant du Parti communiste tunisien de 1967 à 1981. Après son départ du PCT
dans les années 1980, il milite à la LTDH au sein de laquelle il entre en conflit ouvert avec l’avocat
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 273
Béchir Essid, dirigeant d’un groupe pro-libyen. Par l’intermédiaire de la LTDH, il entre en contact avec
André Rousselet, ministre de l’Intérieur du gouvernement Mendès France (juillet 1954-février 1955)
et fondateur de la chaîne de télévision Canal + en 1984, qui lui propose en 1990 la direction générale
de Canal+ Horizons. D’octobre 2001 à sa mort en novembre 2004, il prend la présidence de TV5 Monde.
La sœur jumelle de Serge Adda, Leïla Adda, a été l’épouse de Salah Zeghidi. Cf. Michaël Ayari, base
prosopographique, 2007 ; Gilbert Naccache (2009) ; George Adda, entretien avec l’auteur, 2005.
77. L’ENAR est un « réseau de plus de six cents ONG européennes œuvrant pour lutter contre le
racisme dans tous les États membres de l’Union européenne et la voix du mouvement antiraciste en
Europe » (www.enar-eu.org).
274 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
78. C’est-à-dire contribuer à la formation d’une élite ouvrière et paysanne [au XIX e en Russie], se
mettre au service de ses intérêts immédiats, ne plus lui parler de révolution en général mais tenter de
susciter peu à peu sa lutte (Venturi, 1972, 932).
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 275
79. Pour avoir une idée de la terminologie par laquelle les associations immigrées mettent à l’index
les coups politiques du Parti socialiste français, cf. Mogniss H. Abdallah et le réseau No Pasaran (2000).
276 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
86. Lui-même qualifie cette expérience « d’initiation à un nouveau métier », à savoir consultant en
droits de l’Homme. Khémais Chammari, entretiens avec l’auteur, 2004-2005.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 279
87. En tant que tels ils ne font pas partie de notre échantillon sauf s’ils se sont rapprochés de l’extrême-
gauche en tant qu’agitateurs étudiants, comme Salah Zeghidi ou Lakhdar Ellala.
280 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
88. Ce n'est pas le cas des activistes d'extrême-gauche qui ont commencé à militer sur les campus
dans les années 1980 mais qui ne font pas parti de notre échantillon. Nombre d'entre eux atteindront
des postes de responsabilité régionale et nationale au sein de la centrale syndicale. C'est le cas par
exemple de Jilani Hammami, Hafeidh Hafeidh ou Abid el Briki.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 281
89. Certaines sections régionales de l’UGTT, notamment à Béja et Tataouine, avaient commencé par
être investies par des militants du MTI dans les années 1980. Mais, en règle générale, excepté
Abdelmajid Kidhaoui qui demeure une figure emblématique de l’islamiste syndicaliste, aucun
nahdaouie n’a occupé de poste de responsabilité nationale dans la centrale syndicale.
90. La Jama’a al islamiyya créée en 1972 se mue en MTI entre 1979 (constitution) et 1981 (demande
de reconnaissance légale). Le MTI devient Ennahdha en 1988.
91. Nous savons qu’une poignée d’islamistes de notre échantillon a rejoint le CPR à Paris en 2002 de
même qu’Abderraouf Ayadi, ancien engagé total à El Amel el Tounsi...
92. C’est toutefois le cas de militants étudiants sur les campus durant les années 1980. Ces derniers
sont, par exemple, proches d’un groupuscule d’extrême-gauche en entrant à l’université puis
rejoignent le MTI. Le cas contraire est possible, du moins durant cette décennie.
282 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Dans le tiers des cas, les militants de l’échantillon sont engagés dans
plusieurs types d’activités : syndicalisme, instances de représentation et
de défense de la profession, militantisme partisan et associatif. On ne peut
compter avec précision le nombre d’acteurs engagés dans telle ou telle
organisation. En effet, le militantisme est multipositionné. Autrement dit,
ces activistes occupent des positions diverses dans le champ de
l’« opposition ». De plus, on ne peut se contenter d’énumérer leurs
appartenances organisationnelles à un instant T, des individus ayant pu
s’affilier au fil du temps à des collectifs différents, en quitter et en rejoindre
de nouveaux. Nous pouvons toutefois regrouper ces activités militantes
en pôles plus ou moins étanches. En effet, les collectifs ne forment pas un
secteur ouvert au sein duquel les acteurs se déplaceraient de manière
aléatoire. Nous soulignerons que le militantisme à la LTDH, le plus
fréquent dans le domaine associatif 93, est corrélé avec l’appartenance au
MDS, au RSP-PDP, au régime, au MIP, au PCOT, au syndicalisme et au
CNLT. Le militantisme syndical, lui, va de pair avec l’appartenance à
Ettajdid (ex PCT) pratiquement indissociable de l’affiliation à l’Initiative
démocratique. Nous retrouvons également dans ce pôle les associations
de défense des immigrés sur le territoire français (l’ATF et la FTCR), la
LTDH, Amnesty international et les associations de défense des
prisonniers d’opinion, les quelques femmes de notre échantillon se
trouvant au sein de l’ATFD et de l’AFTURD. Enfin appartenir ou avoir
appartenu au MTI-Ennahdha exclut des activités précédemment citées.
Ennahdha est simplement corrélé au CPR 94, au PDP 95, aux instances de
représentation et de défense de la profession 96, à l’AISPP et à
Liberté et Équité.
93. Nous avons déjà présenté l’historique de sa création, en étroite relation avec les élites médinales
libérales issus du PSD.
94. Le CPR compte des anciens militants d’Ennahdha exilés en France, notamment des ex-responsables
régionaux de l’UGTE.
95. Le PDP (ex-RSP) rassemble huit anciens d’extrême-gauche de notre échantillon, plus précisément
des proches de Najib Chebbi, son créateur, ayant milité jusqu’à la fin du cycle gauchiste au sein
d’El Amel el Tounsi El Khatt es Sa’id et un ancien islamiste progressiste, Mohamed Goumani.
96. Notamment le Conseil de l’ordre des avocats, l’ancienne association des journalistes tunisiens
(AJT), le Syndicat des journalistes tunisiens (SJT) non reconnu et les associations de défense des
prisonniers d’opinion, notamment l’AISPP.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 283
97. De janvier à juillet 2008, cette ville, de la région minière de Gafsa dans le Sud du pays, a été le
théâtre d’un important mouvement social (Gantin, Seddik, 2008).
98. H.J., entretien avec l’auteur, 2008.
99. Et depuis 1994 aux présidentielles.
100. Des sortes de Governement-organized non governemental organisations (GONGOs) et de Quasi-
autonomous national government organisations (QUANGOs)
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 285
101. Sa déclaration constitutive stipule par exemple comme objectif politique: « Instauration d’un
tribunal constitutionnel pour protéger les libertés individuelles et collectives, mise en place d’une
structure nationale contre la corruption dont les prérogatives seront étendues pour éduquer, surveiller
et traîner en justice [...] ». Déclaration constitutive du Congrès pour la République, 24 juillet 2001.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 287
102. Il la quitte définitivement en juin 1990. Mustapha Ben Ja’afar, entretien avec l’auteur, 2005.
103. L’ensemble des partis de l’opposition reconnue a obtenu officiellement 2,7 % des voix.
104. Sur l’itinéraire de cet acteur, cf. Éric Gobe et Larbi Chouikha (2000).
105. La ligne dominante, plus précisément la tendance des activistes en clandestinité à la fin de la
décennie 1970.
288 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
106. Celui-ci ne milite pas en clandestinité mais participe aux débats constitutifs du RSP dès 1979.
107. Notamment Sadri Khiari, futur fondateur du Rassemblement pour une initiative internationale
de développement (RAID).
108. Le FDTL se veut un parti travailliste moderne promouvant l’alternance démocratique, la justice
sociale et la solidarité sans décourager l’initiative privée. Le parti est membre de l’internationale
socialiste. Il est légalisé en 2002 mais il n’est pas représenté au parlement (Erdle, 2006, 226).
109. Nous ne décrirons pas l’historique de ce type de mouvements. Le lecteur peut se référer à
l’ouvrage de Michel Camau et Vincent Geisser (2003, 256-261).
110. Le texte et le nom des signataires est disponible sur le site www.tunisitri.net.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 289
du RSP à la suite de leur échec électoral en 1994. Il intègre dans ses rangs
Ali Ben Romdhane, ancien secrétaire général adjoint de l’UGTT, considéré
par les Kerkénniens comme le fils spirituel de Habib Achour, Tijani Harcha,
ancien partisan d’Ahmed Ben Salah dans les années 1970 puis dirigeant du
PUP qu’il quitte à l’issue des législatives d’avril 1989, et Omar Mestiri qui
à cette époque s’était éloigné du RSP de Najib Chebbi, son beau-frère.
Le FDTL entend renouer avec la tradition libérale critique des fondateurs
du MDS, Son dirigeant, Mustapha Ben Ja’afar, était dans les années 1960, un
ardent défenseur de l’orientation développementaliste bourguibienne 111
mais proche des libéraux du PSD de part son OSI élite médinale. Proche des
milieux tunisois, en 1977, il participe à la création de la LTDH 112 et du MDS.
La même année, il fonde le Syndicat des médecins hospitalo-universitaires
(SMHU) et prend position notamment dans Er Raï 113 pour les dirigeants
légitimes emprisonnés de l’UGTT. Durant les années 1980, il est membre du
bureau politique du MDS, puis en devient le secrétaire général jusqu’à son
éviction en juillet 1989 114.
En 1998, le Conseil national pour les libertés en Tunisie (CNLT),
advocacy NGO’s, est créé par un groupe de militants de divers horizons,
dont Moncef Marzouki, Mustapha Ben Ja’afar et Sihem Ben Sedrine.
L’organisation qui n’a jamais été reconnue, intègre la défense des droits de
l’Homme dans un faisceau de revendications démocratiques (Garon,
Moalla, Broustau, 2005). Elle franchit les lignes rouges que la LTDH n’ose
plus outrepasser après 1992 de peur d’être interdite 115. De fait, le CNLT
est à l’origine des campagnes publiques de dénonciation de l’autoritarisme
les plus médiatisées en Europe. Ces dernières sont relayées en France par
le Comité pour le respect des libertés et des droits de l’Homme en Tunisie
(CRLDHT), fondé à Paris en 1996 par Kamel Jendoubi, un des dirigeants de
111. Mustapha Ben Ja’afar, entretien avec l’auteur, 2005. Sur la biographie de Mustapha Ben Ja’afar,
cf. également Ridha Kéfi (1999).
112. Il en est le vice-président de 1986 à 1994.
113. Quotidien légalisé et créé par Hassib Ben Ammar, élite médinale libérale, fondateur de la LTDH.
114. En mai 1992, les activités partisanes de Mustapha Ben Ja’afar sont suspendues.
115. En effet, la loi sur les associations du 2 avril 1992 promulgue une nouvelle classification des
associations en huit catégories dont une à caractère général. Selon la loi, il est interdit de cumuler des
responsabilités dans différents groupements politiques et/ou associatifs. Il est également défendu à
toute personne privée de ses droits politiques et civiques d’y adhérer. Enfin, aucune demande d’adhésion
ne peut être refusée. Les associations doivent se conformer à ces dispositions sous peine d’être dissoutes.
290 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Cho’la dans la deuxième moitié des années 1970. L’« effet boomerang » se
produit en 2000 avec la large médiatisation des revendications de la grève
de la faim de Taoufik Ben Brik, correspondant tunisien du quotidien
français La Croix (Ben M’Barek, 2003). En 2005, la grève de la faim de huit
personnalités de l’opposition 116 lors du Sommet mondial sur la société de
l’information à Tunis (SMSI) a eu un effet presque comparable 117.
Par ailleurs, on trouve parmi ces advocacy NGO’s deux organisations
reconnues, l’Association tunisienne des femmes démocrates (ATFD) – une
organisation féministe – et l’Association des femmes tunisiennes pour la
recherche et le développement (AFTURD) – un collectif de Gender
development – créées et légalisées en 1989. Elles accueillent la plupart des
féministes d’extrême-gauche reconverties qui ont fait leurs armes au sein
du GEAST. Citons, en outre, le Rassemblement pour une initiative
internationale de développement (RAID), créé en 1999 par Sadri Khiari,
d’OSI élite médinale, militant trotskiste dans les années 1980, membre actif
du CNLT et cofondateur du groupe « Les Indigènes de la République » en
France, en 2005. Citons également, le Centre tunisien pour l’indépendance
de la justice (CTIJ) fondé en 2002 par un magistrat dissident, Mokhtar
Yahyaoui 118, et enfin l’Association internationale pour le soutien des
prisonniers politiques (AISPP) constituée en 2002 et légalisée en 2004.
Présidée jusqu’en août 2007 par l’avocat Mohamed Nouri, cette dernière
s’occupe de la défense des prisonniers politiques, presque intégralement
islamistes. Elle est secondée par une organisation de défense des droits de
l’Homme indépendante, Liberté et Équité, dirigée, en septembre 2008, par
Mohamed Nouri et Karim Harouni, ex-secrétaire général de l’UGTE,
islamiste libéré en novembre 2007 [ministre du transport de 2011 à 2014].
119. Les modes de cooptation à la LTDH font apparaître des clivages politiques et extra-politiques. Au
début des années 1980, malgré les communiqués communs entre MDS et MTI, seul le MDS contrôle
les flux d’adhérents à la LTDH, du moins jusqu’en 1994. Seuls les islamistes proches des réseaux élites
médinales et médinaux du MDS, ont occupé des positions de responsabilité. Quelques sections locales
comme celle du Bardo dans la banlieue de Tunis comptent des islamistes progressistes sous la
houlette de Slaheddine Jourchi, membre du comité directeur. Un seul nahdhaoui a fait partie de la
direction nationale de la LTDH, Sahnoun Jouhri Ben Aissa Demni, responsable régional d’Ennahdha,
médinal de Bizerte, qui se sépare du MTI en 1991 avec Abdelfattah Mourou, est membre du conseil
national de la LTDH la même année. De même, Walid Bannani, président d’Ennahdha en 1991, en
2008 vice-président du parti exilé à Bruxelles, a créé une section locale à Kasserine dans les années
1980, en partenariat avec le MDS.
120. Nous pourrions ajouter l’hebdomadaire Le Maghreb d’Omar S’habou, élite médinale de Tunis, se
considérant comme libéral. Omar S’habou, entretien avec l’auteur, 2005.
121. Rappelons, afin de nuancer nos propos, la présence d’un ancien islamiste progressiste d’origine
extra-muros, Mohamed Goumani au bureau politique du PDP.
292 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
124. Depuis le début des années 1990, le nombre d’inscrits au tableau de l’ordre augmente de façon
significative ; un DEA de sciences juridiques suffit en effet pour y accéder. La croissance des effectifs des
avocats stagiaires, plus particulièrement dans la capitale, inquiète les dirigeants de l’ordre qui
commencent à évoquer l’encombrement du barreau. Face à l’afflux de nouveaux arrivants, les bâtonniers
successifs ne cessent de demander au ministère de la Justice de mettre en œuvre une réforme donnant
les moyens de contrôler et d’homogénéiser les entrants. Pour ce faire, ils réclament l’unification de
l’accès à la profession et la création d’un institut autnome du barreau (Gobe, Ayari, 2007).
296 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
125. Les avocats revendiquent aussi la mise en œuvre d’une politique législative permettant
d’accroître leurs revenus en élargissant leur champ d’intervention. Ils revendiquent également la mise
en place d’une couverture sociale au profit de la profession et un accroissement des ressources
destinées au financement de la caisse de retraite et de prévoyance des avocats (Gobe, Ayari, 2007).
126. On pourrait citer notamment le programme européen « Actions positives pour les droits de
citoyenneté des femmes et l’égalité des chances au Maghreb » auquel participe activement l’AFTURD.
LES CONSÉQUENCES BIOGRAPHIQUES DU MILITANTISME ET L’OPPOSITION À BEN ALI 297
offrant en guise de consolation aux individus qui y avaient pris part des
espaces professionnels ou politico-professionnels de valorisation des
ressources. Et, à bien des égards, l’« opposition » au régime autoritaire,
dans les années 2000 ressemble à ce type d’espaces où les intérêts
sectoriels cherchent à s’exprimer.
Au final, il faut admettre que la Tunisie n’a jamais été à la hauteur du
projet totaliste de ses élites nationalistes. Ce petit pays demeure largement
clivé par des particularismes recomposés qui battent en brèche le mythe
bourguibien d’un pays uni et homogène. Le départ de Ben Ali en 2011
semble avoir levé l’hypothèque sur les origines socio-identitaires (OSI).
Bien que ces catégories soient dynamiques sur le plan historique,
notamment celle d’extra-muros qui repose en partie sur la mobilité sociale
et la maîtrise du bilinguisme des ascendants, celles-ci demeurent, à notre
avis, d’autant plus pertinentes que dans les années 2000 pour comprendre
la formation et l’évolution des alliances politiques et extrapolitiques. Une
série d’études sur la constitution des « réseaux particuliers de confiance »
dans la « Tunisie de la transition (2011-) », en termes d’OSI, ou à défaut,
en termes de simple origine géographique, laquelle, pour la plupart des
acteurs, est un raccourci de pensée qui exprime, pour partie, les attributs
de l’OSI, le montrerait certainement. Le parcours des militants de
l’échantillon gagnerait également à être actualisé de manière plus détaillée
et de nouveaux individus intégrés à l’analyse.
Contrairement à l’image d’Epinal qui décrit la Tunisie comme une
plaine ouverte sur la mer peuplée d’habitants pacifiques car urbanisés de
longue date ainsi qu’une société hautement différenciée, les clivages
sociaux, géographiques et identitaires, le régionalisme voire le clanisme
sont prononcés, du moins de manière relative par rapport aux autres pays
du Moyen Orient et d’Afrique du Nord. En témoigne les revendications
d’égalité régionale présentes dans les slogans du soulèvement de
décembre-janvier 2010-2011, lesquelles expriment un profond sentiment
d’inégalité et d’indignité. [En témoigne également le renouveau des
conflits entre clans familiaux (a’rouchet) notamment entre les parentèles
d’origine extra-muros, parfois meurtriers, dans le bassin minier, à propos
de l’emploi, lesquels pourraient un jour avoir pour enjeu la propriété
foncière et devenir encore plus violents ; la composition en termes d’OSI
des instances de transition comme l’Instance supérieure pour la
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Mohamed Dhifallah, professeur à l’université de La Manouba
Khaled Faleh
Younes Wali
Mokhtar Marzouk
Jameleddine karkni
Noureddine Hmila
Otman Ben Youssef Baba
Hachemi Alya
Belkacem Chebbi
Abdelhamid Ben Mustapha
Hicham Skik
Salah Zeghidi
Mustapha Ben Lamine
Mohamed Ayyed
Taoufik Jourchi
Mongi Denguezli
Mohamed Salah Bouaziz
Habib Riahi
Mahmoud Shili
Bassem Zbis
Taoufik Khouja
Hassan Dankir
Najia Zemni
Mohamed Fakhfekh
Mohamed Ben Smida
Mohamed Lamine Ben Nasser
Hachemi Ben Frej
(Jean) Pierre Darmont
Marie-Paule Bronio
Hassan Ouardani
Jilani Jeddi
Mohamed Takia
Yves Younes
Mondher Gargouri
Abdelhamid Hermassi
Abdelaziz Ess’gheaïer
Mohamed Chebbi
Ali Youssef
Mongi Takia
Gaston Robert
Jean Gategno
Simone Lellouche
332 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Mounir Ketata
Mounir Charfi
Ridha Makni
Amel Challouf
Houcine Bouwazra
Sadok N’iri
Hassan Tayyeb
Othman Ajimi
Mounir Chbil
Najib Challouf
Noureddine Ben Henia
Abderrazek N’iri
Mohamed Hachemi Hayzem
Ridha Fassi
Amor Cherni
Kamel Essid
Ahmed Elbrikni
Khaled Hassairi
Mohamed Mongi Amami
Noureddine Mahfoudh
Othman Ma’acha
Farida Ghedamsi
Khadija Eddami
Faouzi Ben Khadher
Mohamed Seifallah Jaber
Mohamed Hachemi Troudi
Amel Ben A’ba
Dalila Mahfoudh
Zeineb Bent Saïd Cherni
Salah Kchaou
Younes Bouwazra
Farida Bent Abdessalem Kassem
Leila Bent Ennafti Ben Temim
Sadok Alya
Mohamed Habib Marsit
Abdelkarim Ben Rebah
Salah Bakkari
Hedi Ayadi
Abdessalem Mkaouer
Zouheir Charfi
Hicham Griba’a
ANNEXE 335
Khalifa kafi
Abdelkader Hamza
Abdelhafidh Bechikh
Hassan Ben Abdellah
Habib Morjan
Khaled Zwabi
Fadhila Triki
Wahida Ellouz
Ahmed Ben Ali Maydani
Abdellatif A’amri
Souad Triki
Hafedh Halwani
Najib Halwani
Najet Halwani
Boulbaba Boua’abid
Amor Ben Ibrahim Halwani
Brahim Razgallah
Abdelaziz Krichen
Abdelwaheb Majdoub
Ridha Smaoui
Mohamed Ben Jannet
Dalila Ben Othman
Mohamed Najib Chebbi
Mohamed Saddam
Taïeb Ketari
Khaled Faleh
Simone Lellouche
Hatem Touil
Fathi Hamrouni
Ali Ghamraoui
Najib Masmoudi
Chedli khantouch
Mohamed Belhaj Kassem
Noureddine Ba’aboura
Mohamed Bahri
Habib Tajouri
Makhlouf Jerbi
Hachemi Triki
Mohamed Toumi
Najib Ben Youssef fallah
336 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Abderrazek Torki
Habib Sfar
Mahfoudh Romdhani
Fathi Ben Haj Yahia
Hassan Ghali
Mahmoud Ghammarti
Ridha Hossni
Mahmoud Ben Mahmoud
Noureddine Hanoun
Moncef Ben Slama
Khaled Belkhiria
Tajeddine Karafi
Abdelmajid Ellouz
Ibrahim Othman Lasmar
Abdelaziz Ben Khemaies Trabelsi
Fathallah Ben Amor Cherif
Hmida Ben Mustatpha
Abdelkader Ben Ibrahim Ben Sebti Zitouni
Mohamed Fadhel Jaziri
Salwa Ayyachi
Mohamed Mokhtar Razgallah
Youssef Chtourou
Mondher Sfar
Rachid Hamri
Sarra Chakroun
Mohamed Ben Mansour Mansouri
Bouraoui Zeghidi
Hedi Jilani
Mustapha Tlili
Abdelhamid Hzami
Mohamed Habib Ben Cheikh Khelifa
Aziza Rekik
Roudha Gharbi
Kalthoum Triki
Noureddine Hafsi
Faouzia Ben Salem
Abderrazek Behiri
Najib Ghali
Mohamed Boukhriss
Mustapha Dridi
338 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Noureddine Ferchichi
Hicham Abdessamad
Fayza Mehrez
Ibrahim Lasmar
Sassia Rouissi
Dalila Mahfoudh
Aïcha Gallouz
Mounira Bakar
Najib Chabbi
Abdelwaheb Majdoub
Mohamed Saddam
Mohamed Hedi Krichen
Mohsen Ben Abdellah
Abdelaziz Soula
Mohamed Falhi
Dalila Ben Othman
Lilia Borsali
Jamila Smaoui
Mohamed Boughanmi
Habib Mhenni
Omar Mestiri
Hammadi Gharbi
Nasser Kasraoui
Mohamed Sidhoum
Othman Baba
Mohamed Moncef Chabbi
Habib Zyadi
Mohamed Jemaï
Farid Zammouri
Abdel Hafidh Awadi
La’aroussi Ouerchfani
Abdelmajid Ellouz
Mohamed Guendouri
Nizar Krichen
Bahija Dridi
Houcine Khemili
Chabbi Khemili
Hedia Ben Ammar
Salah Zeghidi
Dhafrallah Hababou
Raoudha Gharbi
Aziza Rekik
Salwa Ayachi
Nadia Abidi
340 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Abdelfattah Laghouane
Mohamed Nouira
Mohamed Elaïd Boutera’a
Hedi Ben Haj Ibrahim
Mohamed Tlili Brahmi
Hammouda Baldi
Ezzeddine Khadhraoui
Adel Hediji
Abdelkader Trabelsi
Mabrouk Guerira
Lotfi Masmoudi
Kamel Ben Younes
Houcine Jendoubi
Salah Sfaxi
Lotfi Hajji
Mohamed Ben Ali Maghrebi
Ali Ben Hamid Ghali
Abdellah Tabboubi
Mohamed Lamine Khammassi
Mahmoud Barakat
Noureddine Ben Issa
Hassan Toumi
Adel Hamzaoui
Ali Khadhraoui
Nassreddine Khelifi
Mohamed Mouldi Mansouri
Alila Bent habib Kassraoui
Mohamed Salah Enneifer
Khelifa Kadri
Abdelaziz Loukil
Cherif Bourezgui
Othman Ben Salah Houimdi
Abdelwaheb Kafi
Zied Doulatli
Mokhtar Goubantini
Yahiya Ben Hassine
Karim Barouni
Ali Meftah
Touhami Gharssallah
Salah Ma’atoug
342 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Salah Hicheri
Abdelkader Jedidi
Dhaou Meskine
Abderraouf Boula’abi
Habib Ellouz
Fadhel Baldi
Habib Mokni
Abderraouf La’aribi
Salah Takkaz
Ahmed Ben Amor
Samira Cheikhrouhou
Mustapha Ben Halima
Mohammed Ali Touzri
Sawssan Mokni Sadfi
Mokhtar Dridi
Abdelmajid Ess’ghaier
Lazhar Aba’ab
Mohamed Hedi Zemzemi
Mustapha Louniss
Mohamed Ben Salem Nassr
Taoufik Ben Hammadi
Abdellatif Ben Ibrahim Ben Mohamed
Ali Ga’alich
Kamel Ghozzi
Salah Bouali
Abdessalem Bouchaddekh Bouslimi
Sahnoun Jouhri
Zouheir Ben Youssef
Slaheddine Rached
ANNEXE 343
Mohamed Boudaga
Boulbaba Dekhil
Ali La’aridh
Hamadi Jebali
Salah Karkar
Abdelmajid Mili
Fathi Ma’atoug
Rached Ghannouchi
Fadhel Baldi
Habib Ellouz
Walid Bannani
Ali Zarrouri Tayeb
Mohamed Chammam
Zied Doulatli
Habib Mokni
Mohamed Chemli
Mohamed Hachemi Hamdi
Abderraouf Boula’abi
Slaheddine Ben Ali Tlili
Mabrouk Zran
Salah Dridi
Mohamed Sadki La’abidi
Jameleddine Gaoudar
Mohamed Ben Ayad Akrout
Mohamed Ben Najma
Abdelkarim Ayyachi
Abdallah Zouari
Salah Khalfi
Hedi Brik
Bacha Boua’assida
Mohamed Kaloui
Mohamed Khedhiri
Benïsssa Damni
Ali Nouir
Hafedh Lassoued
Ali Ben Romdhane
Lazhar Mokdad
Taher Hasni
Toumi Mansour
Dhaou Souid
Farhat Ben Khedher
Hedi Hajji
Mohamed Belfkih
ANNEXE 345
Sadok Sghiri
Mohamed Ben Abdelhamid Chrada
Faouzi Saraj
Fathi Jabran
Bouadellah Bouabdallah
Abdelfattah Mourou
Lazhar El’ab’ab
Salah Boughanmi
Moncef Ben Salem
Abdelmajid Ezzar
Khemaïs Majri
Jamel La’aoui
Sahnoun Jouhri
Najib Mrad
Abdelkader Abbes alias Jedidi
Mohamed Aoun
Chokri Bahria
Abderraouf Majri
Hsouna Naïli
Karim Harouni
A’ajmi Lourimi
Mohamed Salah Boua’aleg
Kotb Mounir Boudali
Moncef Boughattas
Daniel Zarrouk
Kamel Hajjem
Mohamed Hedi Zemzemi
Abdellatif Trabelsi
Abdelmajid Ennajar
Ali Bousrour
Mohamed Naser Triki
Noureddine Bhiri
Hachemi Jamni
Kamel Romdhane
Hachemi Hamdi
Hamadi Myara
Abdelwahab Kafi
Mounir Abroug
Mondher Kacem
Adel Ben Mohamed Ben Amara
Jalel Elouni
Najib Ferchichi
Ammar Boughanmi
Mokhtar Goubantni
Mohamed Ben Hamed Belkhiriya
Ali Ben Sassi Belhaj
Procès d’Ennahdha, tribunal de Bouchoucha, juillet 1992 (liste non exhaustive)
346
LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
Extrait de la base prosopographique
(contenu de
l’instruction civique).
-il participe à la création d’un R. B. : né à la fin Néant. - études de - professeur Mariage : marié
groupe nationaliste arabe des années géographie à d’histoire- à une française
(socialiste arabe). -il milite au sein 1930, il est Paris. géographie, à la (première
de Perspectives à partir de 1963. De originaire d’une retraite. noce).
retour en Tunisie en 1965, il est grande famille
condamné en 1968 et emprisonné de Msecon (un
au Borj Erroumi. Après sa libération de ses oncles est
en mars 1970, il est assigné à un ancien
résidence. En février 1972, il est de ministre).
nouveau arrêté parce qu’il participe -OSI :
à l’évasion de Dalila Ben Othman. Il publicienne
reste en prison jusqu’en 1979.
-après sa libération, il intègre
l’association de sauvegarde de la
Medina. -il fait partie d’un des
groupes constitutifs d’Amnesty
international.
347
- sympathise avec des groupes H. S. : né en -études - il débute ses -il débute sa carrière Mariage :
348
d’inspiration marxiste et l’UGET de 1944 à Gabès, primaires et études de de chirurgien à alliance
Montpellier. Il est contacté par d’une famille de secondaires à médecine en Marseille (de 1975 matrimoniale
Perspectives en 1965 (par Hachemi milliardaires. Gabès. Il octobre 1962 à jusqu’au début des avec son réseau
Ben Frej). Il organise un cercle Son père obtient son Montpellier. Il se années 1980). de sociabilité
jusqu’en 1972. En 1973, il rejoint le cultivait et baccalauréat spécialise en -chef de service du militant (sa
COP (participe aux luttes contre El faisait le en 1962. chirurgie. département de femme milite
Rattesa’aid). En octobre 1973, il commerce des chirurgie à l’hôpital au PCMLF,
prend la direction de la section de dattes. régional de Gabès. secrétaire de la
Marseille. Il prend ses distances au -OSI : élite section de
début des années 1980 et se médinale Montpellier).
rapproche du PSD (afin de pouvoir -elle est
exercer la chirurgie en Tunisie). professeur
agrégé. -ils
auront des
enfants.
-divorce.
en 1971.
C. B. : né en -études - il débute ses - il est coopté par Mariage : marié
1959-1960 et secondaires études Khémais Chammari à à F.D. (famille
originaire de au lycée universitaires la banque tunisienne du Sud qui
Hammam Lif. Zahra. en gestion à vers 1984-1985. dirige une
Son père est Sfax. - à sa sortie de prison, entreprise de
cheminot et - il s’oriente en il fait la plonge à diffusion de
condamné en théologie et Hammam Lif (copains journaux).
1985 à cause de réalise un de l’école primaire
ses activités au troisième l’ont embauché).
sein de l’UGTT. cycle à Tunis.
Sa sœur est Il devient
proche du docteur en
Watad et théologie.
membre du
bureau légitime
de l’association
des magistrats
(réprimée).
- OSI : extra-
muros
ANNEXE
- au lycée, il est sympathisant du L. G. : né en -école - il s’inscrit à -il crée un salon de thé. Mariage en
mouvement. Il assiste aux dourous 1961 à Tunis, primaire à l’université à -il ouvre ensuite une 1984.
dans les mosquées. Lorsque la d’une famille Hammam Lif. Toulouse en maison d’édition et la
répression s’amorce et qu’on révèle « un peu » beldi - études psychosociolo revue Founoun) à Paris.
les appartenances au mouvement selon lui. Son secondaires gie jusqu’à la
islamiste, il quitte la Tunisie en 1984 père est dans un lycée maîtrise. -il
et va en France. fonctionnaire au technique, s’inscrit
- il est de temps en temps sollicité ministère de lycée ensuite à
par Ennahdha. l’Agriculture. Zaghouan, Ibn l’université à
Son frère, cadre Charaf. Il Paris, continue
du MTI fuit en obtient un sa maîtrise,
1990 (est baccalauréat ensuite il
condamné à maths s’oriente en
perpétuité). technique en cinéma puis
- OSI : médinale 1983. informatique.
349
350 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE
UTIT, défense des immigrés, FTCR, jusqu’en 1984, conseil administratif ATF de
directeur entre 1992-2002 (salarié), porte- 1984-1985, groupe de réflexion Ibn
parole d’un collectif et lutte pour le droit de Khaldoun (création), SG de l’ATF de 1985-
vote des immigrés, vice-président du 1993, mouvement Ettajdid en 1993,
réseau européen racisme, association de législatives du gouvernorat de Tozeur en
lutte contre le sida en milieu immigré 1994, 1999 et 2004, 2008 est délégué
(création) avec un copain général de l’ATF
Retour en Tunisie en 2002
Réseau de sociabilité militant (RSM) fort TBEN OTHMAN
permettant de développer TP
TP poste d’assistant jusqu’en 2003 grâce à Extra-muros
un camarade ancien d’El Amel el Tounsi, TS : collège Sadiki. Bac en 1965
exclu à cause de TM (dossier politique) TU : En 1965, il obtient une bourse d’études
Antécédents TM bloquent TP assistant et rejoint l’ENS de Tunis
TP enseignant lycée français de TM durant TU : UGET et Perspectives
Mutuelleville Prison 1968-1970
Arrêt total de TM (son épouse joue un rôle) Sortie en 1970
TM Perspectives, le secteur H (création)
TELLALA Prison 1971-1972
Sortie en 1972
Médinale Prison 1973-1979 réussit à faire publier
TS : lycée Gafsa et lycée de Sfax. Bac dans Les temps modernes son fameux
scientifique en 1970 (redouble) « Témoignage de la prison » (à noter qu’il
TM durant TS : UGET en 1967 est en contact avec le comité de défense des
TU : faculté des sciences de Tunis en maths prisonniers dont sa femme est membre)
physique mais il est exclu. En 1972, il Sortie de prison en 1979, assigné à
s’inscrit en économie, il obtient sa première résidence pendant trois mois dans sa région
année. natale
TU bloquée : exclu de la faculté en 1973 et Réseau de sociabilité militant (RSM) fort
1975 permettant de développer TP
TM durant TU : PCT, UGET TM : Amnesty international
TP enquêteur jusqu’en 1977 TP bureau d’études en 1981 à Tunis où il
Exil en France en 1977 (pas de passeport, travaille sur la question de la faisabilité des
passe par l’Algérie) projets.
TU France : Sorbonne grâce à Serge Adda. Il TU : licence d’économie à Vincennes (Paris
obtient une maîtrise en 1980 VIII), termine un DEA en économie et
Réseau de sociabilité militant (RSM) fort sociologie du travail et entame une thèse
permettant de développer TP qu’il laissera inachevée
Spécialisation dans l’associatif : UGET, TP traducteur (traductions du français à
collectif 26 janvier, président de l’ATF l’arabe pour l’UNESCO)
(création) avec un collègue du collectif Militant de métier en France et à Londres :
ANNEXE 353
TJGHAM TNACCACHE
Publicienne Médinale
TS : école coranique (bilingue), lycée de TS : lycée Carnot. Bac scientifique en 1956
Sousse. Bac lettres philosophie en 1958 TM durant TS : UGET, PCT en 1954
TM durant TS : cofondateur de la section de TU : Il va en France en 1956 en prépa
l’UGET du lycée de Sousse d’agronomie puis s’inscrit à l’école
TP : instituteur jusqu’en 1961 d’agronomie (1959-1962), il obtient son
TU : part à Paris effectuer des études de diplôme d’ingénieur en agronomie en 1962
droit, puis en 1965 à Strasbourg faire un TM durant TU : PCF, UEC, groupe de langue
troisième cycle tunisienne (étudiants), UGET, AEMNA,
TM durant TU : Perspectives (création) groupe trotskiste (création)
TP : Rentre en Tunisie en 1971, devient Retour en Tunisie en 1962
avocat TP ingénieur au bureau des études
TM TP (imbrication), défend des coopératives en 1962 du ministère de
syndicalistes et opposants dont M. l’Agriculture
Marzouki. TP bloquée
TM LTDH en 1979, Amnesty international TM groupe trotskiste
(création), est président de la section de TM syndicat d’agents techniques de
Sousse l’agriculture (création en 1965)
TP CERES en octobre 1967 où il crée une
TDILOU sous section d’économie rurale
TM Perspectives en juin 1967, en août il est
Médinale à la direction.
TS : lycée Rassis Ben (renvoyé du lycée TM syndicat de l’enseignement supérieur
360 LE PRIX DE L’ENGAGEMENT POLITIQUE DANS LA TUNISIE AUTORITAIRE