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226 Grandeur La mesure 227

que le pur quantum, néanmoins « il est clair; que la TROISIÈME SECTION


puissance appartient essentiellement au quantum» 46•
Hegel rappelle donc dans cette remarque qu'une catég0• LA MESURE
rie de la quantité, quelle qu'elle soit, ne peut être érigée en
modèle de l'idée logique, et pas davantage de son
extériorisation dans la nature ou dans l'esprit, car on y
perdrait la négativité infinie du concept. Avec cette troisième section s'achève le procès des détermina­
Quant à s'en servir comme moyen commode de tions logiques de l'être. Pour sa part, le dernier chapitre de la
représentation symbolique, c'est-à-dire comme auxiliaire quantité a déjà présenté et explicité les présuppositions qui
que l'imagination fournirait à la raison, c'est là un procédé conditionnent ce mouvement de réunification de la quantité et de
étranger à la marche du concept, qui n'a pas besoin de la qualité correspondant précisément à cette nouvelle catégorie,
telles béquilles. la mesure, dont nous abordons maintenant l'exposition.
Mais avant d'entrer dans la présentation détaillée des moments
dialectiques de la processualité interne à cette catégorie, il nous
CONCLUSION
faut, avec Hegel, la situer structurellement dans le développe­
ment de la logique de l'être, dont elle constitue ,le point
Le mouvement général de la quantité est un mouvement de d'accomplissement. Il importe, tout d'abord, de rappeler les
détermination. Le point de départ est abstrait, la quantité conditions de surgissement de cette catégorie en la rattachant à
résultant de la sursomption de la qualité. Le développement de la celles qui l'ont précédée. Par ailleurs, en raison de sa proximité
quantité est donc une réduction progressive de l'abstraction <l'es étymologique avec les termes de «mode» et de «modalité», la
catégories quantitatives, de sorte que le qualitatif, qu'elles mesure risque d'être entendue et interprétée d'une manière
avaient initialement sursumé, réémerge en elles. équivoque ou erronée. Il convient donc d'écarter ce risque en
La relation quantitative a déployé l'unité complexe <l'es montrant l'insuffisance ou l'inopportunité de tels rapproche­
déterminités quantitative et qualitative, telles qu'elles se présen­ ments. Une fois cette démarche critique et négative accomplie, la
tent au sein de la quantité. A chaque étape se noue une unité catégorie de mesure pourra être présentée selon sa signification
contradictoire spécifique de ces deux déterminités. Cependant, authentiquement spéculative. Celle-ci trouvera son expression
nous n'avons plus affaire pour finir à une déterminité qualitative, discursive dans l'enchaînement des trois chapitres constitutifs de
mais à la qualité elle-même. la sphère de la mesure, dont l'annonce forme l'ultime moment de
Ainsi, c'est au sein même de la quantité qu'a resurgi la qualité, ce texte introductif.
de sorte que la quantité ne fait plus face à la qualité comme son Les textes précédents nous ont appris et confirmé que l'être ne
autre. Hegel indique dans l' Encyclopédie que c'est seulement peut s'énoncer qu'à la condition d'être déterminé et qualifié. La
dans la conscience ordinaire que «la quantité et la qualité valent qualité est bien, en effet, la détermination première et immédiate
comme un couple de déterminations qui subsistent de façon de l'être, même si sa signification proprement spéculative nous la
indépendante l'une à côté de l'autre» 47• découvre comme le résultat du procès d'unification de la
Mais cette unité, bien que devenue, se présente à ce point du détermination et de la disposition, ou, ce qui revient au même,
discours logique comme immédiate.' C'est «la quantité qualita­ incluant le rapport à l'être-autre dans le déploiement de son
tive, ou la mesure» 48• Il va s'agir maintenant d'expliciter cette rapport à soi 1• Mais nous savons également que l'être n'est pas
unité de la qualité et de la quantité, passant de leur unité déterminable quantitativement, du moins immédiatement, car la
immédiate et formelle à leur unité réelle. quantité est «la déterminité qui est devenue indifférente à
l'être» 2• Ce qui signifie, entre autres choses, que la quantité est

46. W.L., 1812, p. 162; S.L., I, p. 290. 1. W.L., 1812, p. 67 sq.; S.L., I, p. 102 sq.
47. Encycl. add. § 98; trad. p. 532. 2. W.L., 1812, p. 130; S.L., I, p. 163.
48. Encycl. add. § 106; trad. p. 542.
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bien la sursomption de la qualité, le moment logique correspon­ l'infini quantitatif aura donc conduit à voir dans la relation
dant à l'explicitation des déterminations du fini, mais prises cette quantitative, et notamment dans Je rapport différentiel, ou dans
fois comme différentes de l'être, comme extérieures à l'être. Ces la relation de puissances, des éléments appropriés au mouvement
déterminations quantitatives ne désignent aucunement l'être du concept et vérifiant la possibilité d'une réunification logique
lui-même, mais uniquement les manipulations qui portent sur lui. de la qualité et de la quantité. Ainsi, par exemple, dans la
Ce qui est, certes, une reconnaissance de leur caractère relation de puissances, les côtés constitutifs du nombre (Einheit
relationnel ou, dans notre langage, de leur aspect opératoire, et Anzahl) s'y déploient de telle manière que le nombre y est
mais aussi de leur extériorité apparemment insurmontable. Telle toujours médié par la multiplication de l'unité.
était, semble-t-il, la contradiction propre à la quantité. Mais on Tel est le moment logique du surgissement de la catégorie de
peut la préciser davantage. On avait vu, précédemment, que la mesure, définie initialement comme l'u11ité advenue, par le
caractéristique processuelle du qualitatif, et notamment des moyen du rapport quantitatif, de la qualité et de la quantité.
déterminations qualitatives du fini, était la variation. Cette Toutefois, en dépit de la reconstitution rigoureuse des moments
variation n'a pas disparu, mais elle a changé de forme et son de ce procès, des malentendus peuvent apparaître, et des
statut logique s'est modifié. On avait noté à quel point, par interprétations erronées venir altérer ou occulter la compréhen­
exemple, la catégorie de limite était essentielle pour la sion du sens spéculatif de cette catégorie de mesure. Ici
compréhension du fini. L'élément qualitatif ne peut changer sa s'introduit une sorte de digression terminologique et sémantique,
!imite sans cesser d'être le même et sans devenir un autre. Au concernant l'histoire de la philosophie, et qui s'apparente
contraire, dans la quantité, un élément peut toujours repousser davantage au style et à la fonction des Remarques qu'à ceux des
sa limite sans changer lui-même. On est ainsi passé de la énoncés spéculatifs.
détermination différenciante à la déterminité indifférente, et Prenant prétexte de la parenté étymologique des termes de
·dans doute serait-il préférable de parler ici de différenciation mesure et de mode, mais aussi de la place et de la fonction que les
indifférente. Il s'agissait alors de penser davantage une variabilité notions de mode et de modalité occupent respectivement à
qu'une variation proprement dite, une variabilité qui est un l'intérieur de la systématicité conceptuelle de Spinoza ou de
passer dans l'extériorité pure et par rapport à quoi ce qui varie Kant, Hegel cherche à prévenir ou à écarter tout risque de
reste pourtant le même, ou encore demeure indifférent 3. C'est ce confusion, engendré par ces interprétations, avec la signification
que Hegel lui-même signifie en parlant de « différenciabilité » 4• dialectique que la Science de la Logique propose de cette
Cependant en explicitant les déterminations du quantum infini, catégorie de mesure.
et en analysant les constituants logiques du concept d'infini En ce qui concerne Kant, il est bien exact que les catégories de
mathématique, au moins usuellement et opératoirement manié la modalité suivent celles de la relation, précédées elles-mêmes
par les mathématiciens de l'époque, Hegel était parvenu à la par celles de la quantité et de la qualité. Toutefois, même sans
conviction que l'infinitésimal n'appartient pas au domaine parler de l'inversion opérée par Hegel dans l'ordre de présenta­
numérique, que « dx » n'est pas un nombre, et s'était donné la tion et d'explicitation de ces deux derniers groupes de catégories,
possibilité de présenter le rapport différentiel � comme Je celles de la modalité ne forment pas le troisième mais le
dy quatrième groupe des concepts purs de l'entendement. Leur
modèle même d'une relation quantitative unissant des termes qui place ne correspond donc pas exactement, en toute rigueur, à
ne sont ni l'un ni l'autre des quanta. Ainsi, la relation peut celle qu'occupe la mesure dans l'économie interne de la logique
apparaître comme l'expression du resurgissement de la qualité au de l'être. Par ailleurs, chez Kant, ces catégories de la modalité ne
sein même du domaine de la quantité, commme la détermination concernent nullement les déterminations objectives du savoir,
spécifique du quantitatif, pris dans toute sa rigueur et dans toute c'est-à-dire le contenu de l'objet, mais renvoient au rapport de
sa profondeur, à savoir comme la détermination qualitative l'objet de connaissance à l'acte du pouvoir subjectif de
propre à ce quantitatif. L'explicitation des différents aspects de connaître 5• Tout en soulignant et critiquant le caractère
3. Encycl., § 106, Addition, p. 542-543.
4. W.L., 1812, p. 135; S.L., I, p. 169. 5. Kant, Critique de la Raison Pure, trad. fr., PUF, p. 91-92 et 211-212.
230 La, mesure La mesure 23]

d'extériorité réciproque de l'acte subjectif de connaître et de la l'extériorité propre au quantum. La catégorie de mesure transcrit
chose en soi dans le kantisme, Hegel admet, en raison de cette logiquement cette sursomption de l'extériorité du quantum, issue
signification subjective, que les catégories de modalité puissent elle-même de la sursomption de la détermination qualitative. Si
renfermer, au moins de façon relative, la détermination de la donc l'on peut dire que la mesure marque le retour dans soi de
réflexion dans soi. l'être, c'est à la condition d'admettre que cette nouvelle catégorie
A propos de Spinoza, Hegel semble plus fondé à dire que le ne signifie rien d'autre, du moins immédiatement, que le procès
mode apparaît comme le troisième terme, après la substance et de sursomption de l'extériorité quantitative.
l'attribut 6. Dès lors, le mode défini comme ce qui est et est conçu Cette immédiateté de la mesure, initialement entendue,
« in alio » paraît devoir exprimer, en regard de la substance, dont semble s'opposer directement à la médiation et à l'extériorité du
il est une affection, la pure extériorité. Hegel reproduit ici un quantum. Ce qui implique, au moins dans un premier temps, que
grief, déjà plusieurs fois exprimé, à l'encontre de la philosophie la réunification du qualitatif et du quantitatif ne se montre que
spinoziste et qu'il développera plus amplement dans la Doctrine comme l'identité de leur différence, et non pas comme l'identité
de l'Essence 7• de leur identité et de leur différence. C'est seulement dans
Cette digression étant close, qui concerne l'interprétation à l'effectuation du procès de la mesure que s'opérera le passage de
donner d'une conceptualité relevant de l'histoire de la philoso­ la première formule à la seconde. Au terme de ce procès, l'être
phie, il est désormais possible de revenir à la présentation du sens aura achevé le cycle de ses métamorphoses 9 ; son immédiateté
effectivement spéculatif de la catégorie de mesure. Nous avons disparaîtra, en même temps d'ailleurs que celle de la mesure, et
déjà indiqué que la mesure marquait le point d'achèvement des cette disparition de l'immédiateté de l'être coïncidera avec le
dialectiques de l'être. Cette formulation doit cependant s'en­ surgissement de la médiation propre à l'essence. Mais tout au
tendre au sens strict. Ce n'est qu'avec La Doctrine du Concept long du procès, qui commence avec la mesure entendue comme
que s'accomplira et s'achèvera effectivement le retour dans soi de unité immédiate du qualitatif et du quantitatif, s'élaborent et
l'être. Pour le moment, il ne s'agit encore que du retour dans soi s'explicitent progressivement les conditions d'un paraître de
de l'être à l'intérieur de sa propre sphère 8, c'est-à-dire d'un l'essence qui, de présupposée, devient, avant d'être enfin posée.
passer à l'ultime catégorie de cette logique de l'être, avant que ne Les dialectiques de la mesure ont donc pour fonction spéculative
s'introduisent les premières déterminations réflexives et médiati­ d'exposer et d'expliciter les différents moments logiques de ce
santes de La Doctrine de !'Essence. Du même coup se dessinent, devenir de l'essence, d'abord implicite, puis de plus en plus
à la fois, la fonction et les limites de ce concept de mesure, encore manifeste.
marqué partiellement de cette abstraction et de cette extériorité Mais avant d'en arriver à ce terme qui marque la sursomption
relatives à toutes les catégories de l'être. de toutes les déterminations de l'être, il nous faut indiquer
En termes un peu différents, on dira que la mesure marque le sommairement les étapes de cette dialectique de la mesure :
retour dans soi de l'être sous l'aspect de la réflexion dans soi de 1. La mesure est d'abord un quantum entendu comme qualité.
Puis elle se déploie dans la différence de ses moments constitutifs
6. Spinoza, Ethique, partie I, Définition V. qui sont respectivement l'être déterminé qualitativement et le
7. Hegel, W.L., 1812,p. 77,219 sq., 265; S.L., I,p. 112,249 sq., 292; cf. La
Doctrine de /'Essence, W.L., Il, p. 162 sq.; S.L., li, p. 235 sq. quantitatif. La relation de ces moments conduit à faire de chacun
On pourrait néanmoins préciser que, dan.s la lettre XII, Spinoza explicite d'eux une qualité, un tout de la mesure, chacun enveloppant en
clairement la distinction qu'il convient d'établir entre le mode, comme affection soi les deux déterminations dont la mesure est d'abord l'unité
de la substance, rattaché à celle-ci par la causalité interne d'une productivité
infinie, et à ce titre authentiquement et physiquement réel, et ce que l'on peut immédiate. Ainsi la quantité spécifique - ou spécifiante et
nommer les «auxiliaires de l'imagination», simples manières de penser, ou spécifiée - s'achève en relation de qualités, chacune de celles-ci
simples procédures opératoires,destinées à permettre la détermination quantita­ étant elle-même mesure, et par conséquent déjà implicitement
tive de la nature, et parmi lesquelles il range expressément, à côté du nombre et
du temps, la mesure elle-même. Spinoza est conduit à souligner ainsi le double
caractère abstrait et arbitraire de ces«auxiliaires». Hegel développe lui-même un
thème voisin dans le premier chapitre de la mesure : W.L., 1812, p. 269; S.L., I, 9. Rappelons cette formule de l'Encyclopédie: «La métamorphose n'appar­
p. 296-297. tient qu'au concept car seul le changement de celui-ci est un développement»,
8. W.L., 1812, p. 265; S.L., 1, p. 292. Encycl. § 249.
232 La mesure La. mesure 233

pourvue d'une certaine autonomie, d'une indépendance et d'un quantitative ou indifférente. En effet, la mesure nous enseigne
subsister au moins relatif. que la variation quantitative cesse d'être indifférente lorsqu'elle
2. Dans un second moment, les quanta spécifiques, dont le est rapportée à celle d'un être-là, d'ur. quelque chose, d'un
premier chapitre a restitué la processualité dialectique, se être-en-soi, bref à la variation qualitative d'une réalité détermi­
montrent en tant que relations-de-mesures autonomes. Ainsi les née. Mieux, il existe sans doute une relatfon entre l'une et l'autre
moments logiques de ce nofiveau concept de mesure paraissent variations, et l'univers de la mesure est peut-être d'abord
acquérir à la fois une certaine concrétude et un statut propre, étroitement solidaire de la découverte ce la loi de correspon­
alors même que la mesure tend à devenir un vaste système de dance entre l'une et l'autre, ce que Hegel 1ppelle l'exposant de la
relations cherchant à enserrer la réalité dans les mailles de ses relation de mesures. Mais conforménent au sens de la
déterminations quantifiées et spécifiques. C'est ici qu'éclate la contradiction apparue dans le domaine dela quantité, cette loi de
contradiction propre à la catégorie de mesure. En effet, l'élément correspondance entre les variations respectives de deux gran­
spécifié par la relation de mesure se découvre finalement deurs définit « une relation incommensu·able à un nombre » 10•
irréductible à la mesure, il en devient pour ainsi dire le substrat, Autrement dit, la relation fonctionnelle k deux grandeurs, par
et la mesure se dissout dans l'absence de mesure (das Masslose), exemple les espaces parcourus et les terrps mis à les parcourir,
résurgence de l'infinité au sein même du développement suffirait, semble-t-il, à spécifier qualitati�ment l'état d'un corps
processuel de la catégorie de mesure. matériel, en l'occurrence ici d'un mobie.
3. Enfin dans le dernier chapitre, nous assistons tout d'abord à On serait ainsi conduit à penser, à propos de la catégorie de
une nouvelle transfiguration de la catégorie de mesure, conçue, mesure, telle qu'elle est déployée et expo:ée dans la Science de la
cette fois, comme relation inversée de mesures. Cette réémer­ Logique, que Hegel s'est proposé d'internger et d'expliciter le
gence, à l'intérieur de la sphère de la mesure, d'un des moments mode de relation authentique, c'est-à-dire dialectique et concep­
de la relation quantitative, conduit au terme du procès puisque tuel, du qualitatif et du quantitatif, bref ce passer outre à ce que
l'identité des différences qualitatives de chaque terme ou élément Husserl a considéré comme la présupp'.>sition implicite de la
s'y découvre dans la forme d'une unité processuelle qui n'est rien « mathématisation galiléenne de la mture » 11• Par-delà les
d'autre que l'immédiateté négative, ou encore médiatisée, de évidences toujours déjà admises de la ·ationalité classique, il
l'essence. Celle-ci s'affirme comme l'impossibilité pour l'être de s'agit de revenir à la « chose même» pour y déceler la
coïncider pleinement et définitivement avec la mesure. Elle est signification des modes d'inscription - Hegel dit plus exacte­
bien, en ce moment du déploiement du discours, la sursomption ment les déterminations - du quantitatf au sein même de son
de l'être considéré sous l'aspect de la mesure, ou encore l'identité être qualifié. L'entreprise hégélienne s:rait ainsi directement
en devenir de· chaque terme, médiée négativement par la orientée vers une mise à l'épreuve et unerefonte dialectique des
différence de ses moments. catégories fondamentales des sciences mathématiques de la
Dans le texte de la seconde édition, Hegel a ajouté à cette nature, et notamment de celles d'espace de temps, de matière,
introduction plusieurs considérations, concernant, d'une part, la de mouvement et de force, où s'indiquen des préoccupations en
difficulté propre à l'exposé de la mesure et d'autre part, son rupture avec la philosophie et la scie1ce classiques. Il n'est
rapport aux sciences de la nature, et d'une manière plus large, à peut-être pas exagéré d'estimer que l'e1jeu essentiel de cette
la philosophie de la nature. Sans prétendre commenter ici ce troisième section de la logique de !être n'est autre q.ue
texte qui ne figure pas dans l'édition de 1812, il est sans doute l'élaboration des constituants et des µ-océdures logiques du
opportun d'attirer l'attention sur quelques points essentiels et concept de corps matériel, qu'il serait vaü de vouloir réduire à la
d'évoquer ainsi les enjeux les plus importants de cette troisième seule considération de quelques détermilations numériques ou
section de la logique dialectique de l'être. métriques. Un tel projet, s'il pouvai être vérifié dans le
Le dessein de Hegel semble d'abord apparaître clairement. La
compréhension du sens de la catégorie de mesure exige que l'on 10. W. L., 1812, p. 274; S. L., I, p. 301.
explicite le mode de liaison qui s'établit entre deux types de 11. E. Husserl, La crise des sciences europé,nnes et la phénoménologie
variation : la variation qualitative ou déterminée, et la variation transcendantale, § 9, trad. fr. p. 27 sq.

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234 1l!,a 'mesttYe /1,a mesure 115

développement même de la disclftSivilé hégélienne suffirait� à Cette difficul!é, dQ!lt Hegel est pleinement conscie,::i, résul1e,
donner son sens et son originalilé à cette section de la mesu(e. 1\ vrai dire, de la complexité et de l'hétéwgén_éité des différents
Mais sa réalisation ne va pas sans diffict,!:és et sans obscmités, domaines scienlifiques concernés par l'enHeprise dialectique
Dans la section de la quanti:é, Hegel avait certes évoqué hégélienne, D'un côté, en effet, on se trouve en présence dlun
explicitement un certain nombre de questions inhérentes au, corpus théorique presque entièrement mathémat, isé, correspon­
développemettt des sciences mathéma_tiques : calcu-1 inftnitési- ­ dant à l'élaboration newtonienne de la mécanique rationnelle,
mal. développement en séries, relation dé puissances. etl!': Mir la base des travaux antériems de-Kepler et de Galilée. Hegel
To1ttefois, la mathématique y était moi. ns interrogée dans son croit pouvoir interpréter ceux-ci comme constituant le moment
• sens même. ses modes opératoires propres ou son style de de l'effeetuation authentique du système des lois ma1héma1iques
discmsivité, que pour les exemples <1u'elle était susceptible de de la nature. En revanche, la formalisation ma_thématiq11.e
fournir à titre de confirmation des articulations dialectiques dit newtonienne ne lui apparaît que comme une entreprise taut-ologi•
mouvement de concept. Celui-ci pouvait donner légitimement que, inutile, superflue -la discursivité analytique ne faisant.qlle
Himpression de se déployer indépendamment et d'm1e manière répéter selon un autre style des résultats déjà acquis - ret
autonome par rapport au procès d'intelligibilité scientifique inefficace puisque cette déduction 1-ui semble incapable de
caractéristique de la pensée mathémallque. Avec les dialectiqtre_s légiti,ner. par exemple, le caractère elliptique des orbites des
de la mesure. c·est sans doute toujou-rs Je mouvement immanent• planètes. D'un autre côté, l'investigation de Hegel le CO!lttain_t à
du concept qui commande et détermine l'enchaînement de_s· recouper et rencontrer les travaux d'une chimie mathématisée,
analyses et la connexion des moments logiques. Mais. cette fois, laquelle est tme science en voie de constitution, dont lors
q,,eJques éléments nouveaux apparaissent. prémisses sont à peine élaborées et empruntent notamment à une
En premier lieu, le con:enu de sens des calégortes et théories conceptualité que Hegel va i-uger sévèrement, la considérant, à la
scientifiques n'intervient plus seulement ,dans les Remarques à fois, comme métaphysique, au sens critique et négatif du mot,
ütre d'i!Justration ou de corroboration a posteriori des résultat.s insuffisante et dérisoire. Cette extrême hé!érogénéi!é retentit
acquis par le déploiement des enchaînements dialectiques. Il est j,Jsque sur le pla,i des énoncés spéculatifs et constitue l'une des
au _contrnire visé - au sens de concerné -et présent -au sens raisons de la complexité et de la difficu-Jté de la théorie dè la
d'éprouvé et critiqué - dans Je développement des énoncés mesure.
spécclatifs. La distance ou la différence de discursivité, entre le Enfin, la confrontation organisée entre un corpus scientifique
. landes énoncés et celui des Remarques est ici beaucoup molns
p constit11é_. ou seulement en voie de constimtion, et l'ensemble des
sensible et marquée que dans les sections précédente-s, au poinJ conditions logiques et conceptuelles qu'il présuppose et requiert,
d'aller parfois jusqu'à l'imbrication. Caor l'enjeu n'est plus se redouble et s'altère en raison de l'il::ervention. sur le plan
maintenant Je sens de telles procédmes scientifiq-Ues, privilégiées épistémologique et idéologique. d'une Natt,rphilosophie. Celle­
à raison de leur compatibilité avec les déterminations concep- ci revendique le dynamisme pour l'opposer au ,nécanisme
1i1elfos élaborées par le discours spécL-latif-comme c'était le cas essentiellement solidaire de l'ensemble des résultats scienlifiques
des modes opératoires liés à la manipulation de !'i:ifini acquis j.usque-là, et lui-même lié à l'apparition et au développe­
mathématique. mais celui de tout un mouvement de pensée ment des théories atomiques, notamment dans le cadre des
p<enant son origine dans les travaux de Kepler et de Galilée, et travaux de Dalton, que Hegel ne cite jamais"· Celui-ci est donc
aya,tt son point d'aboutissement dans les développements de la contraint dese démarquer aussi bien de ce qu'on pourrait appeler
chimie. au début du x1x• siècle. L'enjeu de ,ces textes est donc la métaphysique spontanée inhérente à la pbysico-chimie
bien la signification - spéculativement éprouvée - d'une
science mathématique de la nature, d'une physico-chimie
mathématique". panicularîté réelle des c.hoscs. laquelle n'est donnée que da11s la nature concrète..
Elle serait. cependant, à cause de la nature extérieure de la grandeur. la scicnœ la
12. \V.l,., 1812. p. 282; S.L.., J, p. 309. Cf. Encycl.§ 259. Remarque: «La plus difficile de toutes.»
science viritablement philosophique de la mathé1t1atique comme théorie des 13. A l'exc·eprion d'une all\1.sion rapide et Sé\•èrc dans une Additioff de
srandeurs serait la S('. ienc.e de la mcsorc, mai-s ceue science pr6suppose déjà la I'Encyc/opldle. § 333, Zuss1z, Eo. Suhrkamp, p. 236.
,23'6 & <mesure
mat-hématiqµe, que de la métaphysique élaborée et réfléchie. des CJ-IAPTTR'F. PRBMiER
philosophies de la nature et notamment de Schelling".
Toutefois, ici comme en d'autres lieux, et malgré les efforts LA QUANTITE SPECIFIQUE
tentés pom s'en dégager conceptuellement. la démarche du
pllilosophe reste trilmtafre de son appréciatio!I du degré de
développement des connaissances scienti.fiques aussi bien. que de
son environnement historique et culttuel. Certaines affirmations Ce premier chapitre expose la sig,iification de la mesure prise
imprudentes ou erronées de la part de Hegel ont pu amener les d'abord dans son immédiateté. c·est-à-dire relie qu'elle rés<tlte du
lecteurs à sous-estimer ou à dénier la pertinence et l'i.r:lérêt des procès de smsomption de la quantité. procès qui s·esl exprimé
investigations spéculatives. Néanmoins. et compte t.enu de notamment sous la forme de l'infinité du quantum et de la
quelques incertiludes du propos hégélien, il nous semble q.u•it relation quantitativ-e.
serait inopportun et préj.tidiciable de renoncer aux enseigne­ Plus précisément, l'immédiateté de la mesure se transcrira
ments dialectiques qu'il comporte. dans la ca:égorie de qua,1tum spécifique. dé1ermination initiale
de la quantité spécifique. Cette terminologie souligne te double
aspect contradictoire et processucl de cet.te nouvelle catégorie.
o·uae part, nous nous maintenons encore dans l'horiion du
qua�tum. même si celui-ci a déjà sursumé son extériori:é et son
indifférence. D'autre part, ce quantum est lui-même devem1
qualité. déterminité immédiate mais aussi spécl!lque d'un être-1-ii.
d'tm quelque,chose. Car dire que le quantum a sursumé son
ex.tériorité iHdifférente. c'est affirmer du même coup qu'il est
devenu la mesure d'un être: «Tot!! ce qui est a une mesure- 15 • »
Mais si. dans le quantum spécifique. se montre d'abord
l'identité ou l'unité de la quafüé et de la quantité. Cèla ne suffit
pas à dissimuler la duafüé contradictoire de ces deux types de
détermination. En fait. dans sa spécificité même. le quantum ne
cesse pas d'être - sinon de manifester déjà - la dual!:é de cieux.
moments. Dès lors. il suffira de laisser se déployer cette dualité
des moments du quantum spécifique pour parvenir à l'instance
logique qui permet de penser lem relation. ce que Hegel nomme
la règle et qui est, en effet. la mesure considérée dm1s la
différence de ses moments, c'est-à-dire, d'une part. comme
14. Si Hegel a erfcctivement subi l'influence de là N;:1turphilosophic, et de la
pensée r. omantiquc. dans les premièr.cs années de. son séjour à Iéna. il .n·a guèr:e extériorité iP.tériorisée ou se rapportant à soi-même, bref comme
tarcdé à réagir contre leurs débordements. el il faut rappeler J'impor:ancc capîtate quantum devenu qualité, être-en-soi, et d'autre part, comme
et la gravité de la i:upture. donl t�moigne le tex�e de la />ré/are au Syl·tème de ln quantum extérieur, maintenu à titre de moment idéel, après la
S..c.i�.Jtce. de 1807. clans leque.l Hegel oppose. d'une manière définitive e_t
irr. éversible. aux fadaises de la se.ns..ibilité, et aux fictions de l'imagination, sursomption de cette extériori:é pleinemerit indifférente. Car la
l'cxi. genœ austère du ooncept. JI r.e\i· endra d'ailleurs lui•mêmc avec beaucoup de résorption de l'u,lilatérallté de cette extériorilé indifférente ne la
ferme.té sur le sens de cette rupture dans une Addition de l'Eueyclopédie.
Ad_dîtion qui sert d'introduction à la Philosophie de la Nature : «Je ne. veu,t pas détruit pas, mais la reprend comme l'un des moments constitutifs
cafac.tériser plus précisé:ment les t-x<.-ès, pour lesque.ls l'Idée ou plutôt ses formes de la mesure, et notamment de cette mesu.re immédfate qu'est la
i;_cndues înenes ont été utili�ées. J'en ai dit da,•antage là•dC5Sus. il y a longIemps.
<.hrns la Préface à ltt Phénoménologie de l'Bsprit (... ). Par de te.lies duperies. la
Philosophie de la Nature. et de façon générale. la philosophie de Schelling. sont 15. W.L., 1812. p. 269: S.L., !, p. 296. Cl. Eriqd., § 107: • La mesure eSI te
tombées da11.s le . dt-sc;édit. » Encyt/. die N;:itur:philosophic. Einleitung. Zusatz. quanlUm qualilàtif, tout d'abord wmmc-immtdiat. un quantum ·auquel es.t lié un
Ed. Suhrkamp. p. 9. êtr-e.Jà ou une qualité.:»

138 L.a mesure La ·q1,amit� spécifique 239

quantité spécifique. Pour penser la rela1ion entre ces deux aussi une mesure. La sursomption de l'extériorité indifférenlecdu
aspec!s, à la fois scindés et rémiifiés. du quantum. il fattt en effet quantum, ilevenu spécjfique. acquiert désormais t!ne signification
une règle, permeua11t de déterminer et de maîtriser. par pins précise : la variation de la grandeur ne peut plus s'opérer
exemple, les vada.tions corrélatives de deux grandeurs. clans l'indifférence au statut qualitatif de l'ê_tre du quelque-chose.
Connue chacun de ces éléments se montre lui-même être une Au contratre. la variation de la détermination q�1anütati\te
quali:é, nous sommes ainsi condui.ts. dans lme dernière étape sïnscrit directement en correspondance avec la variation quallta­
processue!le à considé,er la mesme comme la relation de ces tivc de l'.êtreconsidéré: «Quelque-chose n'est pas indifférent <l'i!
qual::és. La dualité. celle fois, n'apparait plus set:lemer:t entre regard de celle grandeur de telle sorte que si elle était changée. il
lès côtés ou les momerits de la mesure. mais elle resurgit à resterait ce qu'il est. mais son changeme,:t à elle cha:igerait sa
l'i:t!érieur de l'une et l'autre de ces quafüés, dont chacune qualilé à lui. Le quantum a, comme mest:re. cessé d'être une
devient à son tour relation-de-me-sures••. c'est-à-dire se trouve litrtite qui n'en est pas; il est désormais la déte{mination de la
dolée d'un statut de totalité Îlltériorisée et au moins relative. chose. de telle sorte que, augmentée ou diminuée par-delà cette
d'une indépendance ou d'une autonomie (Setbststandigkeit), mesttre, elle s'effondrerait r_ »
expressive d'un certain degré de réalité et de concrétude d'une Mais une telle signification reconnue à la ca:égorie logique de
chose. d'un corps matériel. dont la sigdfication se trolwera mesure exige tout à la fois qu'on assume sa signification
engagée tout au long du second chapitre de la mesure. traditionnelle, mais qu'on ne ,la réduise pas pour autant à s.a
compréhension habituelle. celle d'u,ie simple unité. d'm1 étalon
permeuant de nombrer une déterminité externe. lei, nous avons
A • LE QUANTUM SPÉCIFIQUE presque affaire à une Remarque. Hegel intervient de façon à
éviter un malentendu sémantique, mais aussi en vue de· proscrire
L'explicitation des dialectiques de la mesure s'inaugure par la toute tentative d'instauration d'une mesi:re l:niverselle. Comme
c.a!égorie de quan:tilé spécifique. Ici s·amrme. en effet, la on l'avait allusivement indiqué précédemment, il tient à souligner
présupposition iacon:ournable de toute la théorie de la mesure, à le caractère arbitraire d.u choix d'une ud�é de rnesu:te. la
savoir la catégorie de quantum. Tou1efois. l'extériorité propre au m:iltiplicité des émions retenus, et ainsi à écarter l'idée
quantum, extériorité qui le conduis.rit à s'outrepasser constam• fallacieuse consistant à considérer Funivers comme intégralement
ment da,is ,m autre quantum, en repoussant sa limile, s ·'est mesmable à partir d'un système unique et mlitaire de détermina­
intériorisée sous la forme du rapport égal ou rdenlique à soi. tions métriques ou numériques. Sans doute est-ce le mythe d�une
Cette ex_tériori:é s·est ahisi redoublée, et ce redoublement, au harmonie ou proportion universelle qui est ici récusé. au ,profil.
sein même du quantltm, le fait apparaître comme détermi:iité semble+il, d'épistémologies régionales. .i.ffectées d'une particu­
immédiate. non pl:is indifférente à soi ou sllfsumée. mais lari:é que rien ne paraît pouvoir tout à fait effacer : H n'y a pas
q.llalitative, c'est•à-dice identique à soi, à son être. C'est donc d'absolu de la m.esure 18 • li est clair que Hegel n'entend pas ruse.r
bien la processualité contradictoire. propre à la ca:égorie de avec la problématique de la mesure. en présupposant par
quantum, qui témoigne de la nécessité pOl>r celle-ci de se exemple une mesu.re fondamentale qui uHifierait par avance la
déterminer quaHtativement et non plus seulement quantitative­ n:ultiplicité des mesl>res particulières et permettrait de coordon­
ment. Actr.ement dit, le quantum, conçu comme quali!é, désigne ner sans difficulté les variations corrélatives, directes, récipro­
bien cette réconciliation et cette réunification de l'être et de la q11es ou inverses de deux ou plusiems grandel:rs.
quantité. Telle est la forme conceptuelle sous laquelle surgit Même si l'on restreint initialement la mesure immédiate à la
i-nitialement la mesure immédiate. détermination simple d1 un quantum qui énonce le nombre
Puisque l'être-là est la première catégorie selon laquelle l'etre d'unités de mesme, arbitrairement fixées, conterrnes dans mie
peut-s'énoncer objectivement. on pomra résumer tout cela dans grandeur donnée, il semble bien que nous retrouvions i<:i la
un .e forJm:le propositionnelle : tout ce qui a la forme de l'être-là a 17. W,L., 1812. p. 269; S.L., J. p. 296. Cf. également \V.L., 1812, p. 261;
S.L., I, p. 289; Encycl. § 108. § 109. Addition.
16. IVL, 1812, p. 288: S./,., I, p, 3JS. 18. W.L., !SU, p. 270: S,L., 1. p. ·297.
'238 La mesµre .la quamité spécifrf/W! 239

quantité spécifique. Pour penser la relation entre- ces deux aussi une mesme. La sursomption de l'extériorité indtfftœnte dctt
aspects, à la fois scindés et réunifiés, du quantum, il fat>t en effet q.uantum. tlevenu spécifique, acquie.1:1 désormais 1:nesigrrification
ur1e règle. permettant de déterminer et de maîtriser. par plus précise : la vadation de la graadeur ne peut plus ,s'opérer
exemple. les variations corrélatives de deux grande1,rs. daas l'indifférence au statut qualitatif de l'être-du quelque-chose.
Comme chac1m de ces éléments se montre lui-même être une Au contraire. la variation de la déterminatlon q.uantitiltive
qualilé-, nous sommes a;nsi conduits, dans une dernière étape sïnscrit directement en corre-spondance avec la variation qual!ta­
processuclle /1 considérer la mest:re comme la relation de ces trve de l'être considéré , « Quelque-chose n'est pas indifférent en
qualités. La dualité. cette fois. n'apparaît plus seGJement entre regard de cette grnndem de telle sorte que si elle était changée, il
les côtés ou les moments de la mesure. mais elle resurgit i1 restem:t ce qu'il est, mats son changement à elle changerait sa
l'intérieur de l'une et l'autre de ces qualités, dont chacune qualité à lui. Le qua-c,tum a. comme mesure. cessé d'être une
devic'nt à son tour relation-de-mesures 16• c'est-à-dire se trouve, limite qt:i n ·en est pas; il est désormais la détermination de la
doJée d'un statut de totalité itilériorisée et au moins relative, chose. de telle sone que, augmen!ée ou diminuée par•deli, cette
d'une indépendànce ou d'une at:tonomie (Setbststandigkeit), mesure. elle s'effondrerait".»
expressive d'un certain degré de réalité et de concrétude d'une Mais une telle signification reco11r:!1e à la catégorie logique de
chose. d'un corps matériel. dont _la signification se trouvera, mesu- re exige tout à la fois qu'on assume sa signification
e_ngagée tout ati long du second chapitre de la mesure. traditionnelle. mais qu'on ne la réduise pas pour autant à sa
compréhension habituelle. celle d'une simple uni!é, d'un étalon
penneuan_t de nombrer une détermhiité externe. lei, nous avoirs
A- LE QUANTUM SPI\Cll'IQUE
presque affaire ù uae Remarque. Hegel intervient de façon à
éviter mi malentendu sémantique. mais aussi en vue de proscrire
L'explicitation des dialectiques de la mesvre sïnaugure par la toute tentative dïnsta»rati.on d'une mesure universelle. Comme
c11_tégo.rie de quantilé spécifique. Ici s'affirme. en effet, la on l'avait all.usi-vement indiqué précédemment. il tien.t à souligner
présupposition incontournable de toute la théorie de la mesure, à le caractère arbitra;re du choix d'une unité de mesure, la
savoir la catégorie de quantt»n. TOt>lefois, l'extériot.ité propre au 1:�ultiplicité des étalons retenas. et ainsi à écarter 1.'idée
qua,nmn, extériorité qui le conduisait à s'o1,trepasser constam­ fallacieuse consistantà considérer l'uni\•e-rs comme intégralement
ment dans tm autre quantum. en repoussant sa limite, s'est mesmable à partir d'un système uniqueet unitaire de détermina­
i,ttériorisée sous la forme du rapport égal ou identique à soi. tions métriques ou numériques. Sans doute est-ce le mythe d;une
Cette extériorité s'est ainsi redoublée, et ce redoublement, au harmonie ou proportion uni -veiselle qui est ici récusé, auprofit.
sein même du quantum. le (ait apparaître comme déterminité semble-t-jl, d'épistémologies régionales. affectées d'une particu­
immédlate. non pl!1s indifférente à soi ou sursumée, mals larilé- que - rien ne paraît pouvoir tout à fait effacer : il n'y a pas
qualitative, c'est-à-dire identique à soi, à son être. C'est donc d'absolu de la memre 18 • li est clair q:ie Hegel n'entend pas ruser
bien la processualilé contradict-oire. propre à la catégorie de avec la problématique de la mesu-re. en présupposant par
quantum, qui témoigne de la nécessité pour celle-ci de se exemple une mesure fondamentale q.ui unifierait par avance la
déterminer qualitativement et non plus seulement quantitative­ muftiplici!é des mesures particuliè.res et permettrait de coordon•
ment. Autreme11t dit, le quantum, conçu comme quafüé, désigne ner sans difficulté les variations corrélath•cs, directes, récipro­
bien cette réconciliation et cette réunification de l'être et de la ques ou inverses de deux ou plusieurs grandems.
quantité. Telle est la forme conceptuelle sous laquelle surgit Même si l'on restreir,t ia:tialemer:t la mesure immédiate à la
initialement la mesure immédiate. détermination simple d'un q.uantum qui énonce le nombre
Puisque l'être-là est la première catégorie selon laquelle l'être. d'unités de mesure, arbitrairement fixées. contenues dans m1e
peut s'énoncer objectivement. on pot>rra résumer tout cela dans grandeur donnée, il semble biei1 q.ue nous retrOt>vions ici la
une fornu:le propositionnelle : tout ce qui a la fo1me de l'être-là a 17. W.L.., 1812, p. 269: S.L., 1. p. 296. Cf. égalemcnr W.L., 1812, p. 261;
S.L., J. p. 289: Encycl. § 108, § 109. Addirion.
l6. W.L.. 1812, p. 288; S.l., 1, p. 315. 18. W.L., 1812, p. 270: S.l., 1. p. 297.

••
24.2 1La mesure ù, qua,(tité spé_cifique' 2!13

2. Q11ali1é et qwmlllm lequantitatif, c'est au contrahe la manière spécifique dont il" se


rappone à ce quantitatif qui fa.it que nous n'avons pas affaire
Au point où nous en sommes. les deux quanta se montrent seulement à une qualité ,quelconque,. mais à une qualité
conune divers au sein de la relation en extériorilé qui les mlit, dé1erminée. La sursomption de l'indifférence et de l'extériorité
c'est-à-dfre la règle. Cette relation en extériorité explique que les du q.,iantum lui cottfère cette capacité singulière de désigne� et
deux quai:ta « s·outrepassent » et que chacun « ait son au-delà définir un être-là en tant qu'être-mesuré.
dàiiS Pà\1h'é» 20 • Cêtte rélàtlon. dônt l'expOSMit éSt l'éxptéSSÎOfi, Hegel a ressenti la nécessité d'éclairercette dialectique encore
n'e-st donc pas encore une médiat-ion véritable. Pour l'instar:t, le abstraite de la mesure en recourant à un exemple empru1l!é au
rapport ne définit qu' ,, une <1ualité ,, . domaine de la calorimétrie. On se trouve ici en présence d'une
Hegel explicite ensuite ce qtte nous pourrions appeler les Rema[que implicite, devenue d'aitlems explicite dans le texte de
procédures d'abstraction dans lesquelles est cont. rainte de la seconde édition.
s'engager tott!e tentative de quantification de la quali:é. Le Dans cet exemple, la température est prése,ttée comme une
qualitatif est caractécisé par son rapport négatif au quantum, ce qualité comportant la double détermination du qiamlum exté­
qui signifie q:1'il prend. face à l'immédiateté sursumée dont rieur et du quantum spécifique. Du premier point de vue. la
témoigne le quan11,m, l'aspect d'un être négatif à l'égard de cette température n'est rien d'autre que l'indication d'tm degré
trégation, ou encore d'.un être déterminé dont le sta-tut semble particùlier do,:t chacun succède arithmétiquement au précédent.
s'apparenter à celui de l'être-en-soi. Plus précisément. le En revanche. ch;icun des corps placés dans ce milieu externe. de
qualitatif apparaît comme un être immédiat dont l'être-là est le température définie, réagit différemment, et d'une manière qui
quantitatif. Telle est bien la contradiction à laquelle nous bi est propre. à cette ialfüence qu·exerce sur lui la température
Rarvenons. D'un côté, nous avons affafre à une qua!ilé. Mais extérieure. Cette réaction spécifique à chaque corps est .l'expres­
cette qualité indéfinie - ou quelconque, comme dit Hegel - sion de sa mesure immane,::e.
n'est déterminée que par sa relation au quantum. et elle est donc Deux cas peuve,tt ,être envisagés :
aussi bien quanti. té pure. Touiefois, puisq,1e le quantum se 1. Si des corps différents sont plongés dans un milieu de
sur_sume en elle. en faisant retour à soi, cette qualité est deveiiue température constante ou identique, leurs réactions so,,t fonction
désormais « l'uriité négative de sa propre immédiateté première de leur mesure interne et les relations ,mmériques, qui exprime1n
et du quantum,, 2'. A partir des structures de l'être-en-soi nous en les résultats de la comparaison, traduisent à vrai dire leurs
venons aiasi à celles de l'être-dans-soi et de Fêtre-pour-soi, dont chalems spécifiques - si l'on raisonne par unité de masse - ou
la réémergence est destinée à rendre compte des modalités selon leurs capaci!és de chaleur - si l'on considère une masse
lesquelles cette qualité quantifiée. q,1·est la mesure, se déploie donnée n.
processuellemen1. 2. Mais la capacité de chaleur de chaque corps n'est pas une
Pourtant. à la différence de ce qui se passait à propos de variable indépendante de la tempérall:re. Elle varie, au
l'être-pour-soi qualitatif.. .si Je quantt:-:n est bien la disposition du contraire, selon une fonction croissante de cette température.
quelque-chose étant-pour-soi, celui-ci ne passe plus daos sa Ainsi le rapport entre ce que Hegel appelle tempérntm-e
disposition. il s'y maintient. Le procès de sursomprion de la extéri,mre, et la tempéra!llrc propre ou spécinque au corps. �e
quali:é dai1s la quantité ne Sijurait ici se reproduire. Nous rapport ne varie pas d'une manière dfrecte ou proportionnelle,
assistons bien plutôt à la sursomption du quantum, faisant c'est-à-dire qu1il ne s·exprime pas selon une fonction li>iéaire. Ce
désormais retom dans la qualité. Ce qui est le propre de la
mesure, au moins en ce point du procès, c�est l'acte dè 22. W.L., 1812, p. 2n; S.L., t. p. 304. Dans une note de son _commentaire.
spécification du quantum comme acte de détermination de la A. 0oz rappelle que Hegel ne distingue pas, du moins e,:plicitem_cnt. la
température dè la quan1i1é de chaleur. laquelle est p0ur1ant le seul concept
qualité. Loi11 donc que le qualitatif s·absorbe ou se dissolve dans physique approprié à t•tnonc::6 d'une grandeur mesurable. Si bien que le J�pport
ne doit pas $'établir entre deux temp6raturcs. l'une externe et l'autre interne ou
spécifique au corps considéré. mais en1rc:- la quantit6 de chalcuc: rournle et la
20. \V.L.. t8l2. p. 274; S.l... 1. pc 301. tcmp6rBture d6termin6e de- ce cor.p$. (A. Doz. La tliiorie de la mes11re. PUF.
21. \V.L., mz. p. 275-276; S.l,,, 1, p. 303. p. 117-llS)

244 'll,a mesure La qIui111itê spt�ifique 245

qui confirme et vérifie, au regard de Hegel, la liaison proces�uelle immédi·ateté. c'est-à-dire dans -son être-on-soi. bref selon m1e
établie avec la relation de puissaffces. modafüé elle-même qualitative. Dt a.utre part, le côté proprement
Hegel conclut l'analyse de cet exemple en soulignant qu'il quantitatif-ne se montre jamais comme quantum pcr et simple,
n'è1eiste pas d'étalon de mesure universel et abstrait de l'a mais bien comme quantum rapporté au quantum spécifique,, ou,
température, que la gradation de référence est toujours elle­ si l'on préfère, conrn1e un quantum se rapportant lui-mc!me au
même une température spécifique. par exemple celle de Fair. li qualitatif. Eta,11 essentiellement relation au qualitatif. le qua,ili­
èn résulte que nous n'avons plus affaire à une simple relatio11 latif peut être carac!éris6 co,nme Hegel le fai.t : « lei. en la
d'un qua111um extérieur et, d'tm quanlttm spécifiant et qtrnEfiant. mesure, le quan.titatif lui-même se comporte comme un
mais au rapport de deux qualités d01:t chacune est en elle-même quaJ;tatif ... » 23•
mesure. Nous sommes ainsi conduits à la troisième et dernière On peut donc légitimement apercevoir dans la processuaH!.é de
étape du développement dialectique de celle catégorie de règle. la règle. l'unification de ces deux qualités, en tant que leu.,
relalion définit «une» mesure. Dans la relation de mesures, ce
sont désormais des qualités qui se rapportent réciproquement
3. Différenciation des deux côtés comme qualités l'une à l'autre, chacune de ces qualités étant précisément
Dam ce troisième moment du procès de différenciation de Ja· spécifi6e par la détermination de grandeur qui l'exprime et 'lui
règle s'exposent les modafüés selon lesquelles en s·approfondis­ corre.spond. Si l'on admet d'exemplifier le procès logique par des
saat la duali!é contradictoi·re du qualitaüf et du quantitatif finit catégories emprn::tées à la philosophie de la nature, comme
par s'intérioriser dans chacu11 des côtés de la relation-de­ l'espace et le temps, on conviendra de dire qu'à chacune de ces
mesures. puis se sursume en transformant à son tour charnn de quali:és on peut lier corrélativement des déterminations de
ces côtés en qualité et en instaurant ainsi l'ultime structure grandeur spécifiques. Chacun des côtés de la relation de memre,
processuelle de la quantité spécifique : la relation de qualités. On en tant qu'il présuppose celle-ci. la constitue et l'exprime.
doit cependant préciser que tout ce développement qui aboctin. manifeste donc un certain type de relation entre le qualitatif etle
par un procès de réunification. i1 tme restauration de l'îden1ité ,- quantilatif. signe de leur unification et de lem identification
continue de privilégier le point de vue de la différence. La règle processuelle en cours.
demeure donc bien le moment logique de la différenciation des Si leur rapport est envisagé. toujours d'u,1e manière exempli­
éléments constituants de la mescre immédiate. et l'identité à ftcatrice, comme celui. de la racine et du carré, peu importe-.
laquelle elle conduit n'est encore qu'une ide1:tité de détermina• semble-t-il. le côté qi1e l'on considère comme variant d'une
lions différencié -e-s. c'est-à-dfre affectées d'abstraction et d'tmila­ manière extérieu.re, c'est-à-dire comme progressant d'une façon
téralité. arithmétique. Il semblerait donc y avoir mie certaine réversibillté
Nous avons déjà vu resmgir la structure conceptuelle dè possible dans la considération de la relation de mesures.
J'éta,11-pour-soi, permettant de dési.gner la particularité q.uafüa­ Toutefois, cela ne signifie pas que les deux côtés soient
tive iuéductible de l'être-mes1>ré. ce qui signifie l'impossibifüé absolume�t identiques. Chacun présente au contraire llne
d'exprimer une qualité intrinsèque dans la forme d'un simple différence d'accent et de tonalité. Daas l'un prévaut la
détermination-de-quantité indifférente. Je quantum pris selon
quantum, bref d1assimiler entièrement cette quali!é à l'énoncé
d'une ou plusiems déterminations numériques. Mais la dualité de son extériorité. Dans l'attire semble privilégiée la détermination­
cet étant-pour-soi. qu'est l'être-mesmé. est tout entière définie de-grandetrr qualitalive. On retrouve donc ici. mais sur le mode
par sa manière spécifique de se rapporter au quantum. D'une approprié à la mesure, une dualité oppositionneUe,comme celle
part, en effet. le qualitatif. dans la sphère de la mestrre. est qui était ap,parue antérieurement sous la forme du rapport -
réapparu comme le résultat de la sursomption du qua,:tum. Ce qualitatif - réel/idéel ou sous la forme du rapport - qual'\tita_tif
dernier est donc à la fois le point de départ et la présupposition - extensif/intensif. Plus près encore du moment actuel du procès
de cette ré-surgence de la quafüé. Or. là détermination de mesure logique-. qui en est la résmgence modifiée et enrichie. no.t>s
qu11litative étant l'explicitation processuelle de sa propre prés.up­
position. elle conduit à poser le quantum lui-même dans son 23. IV..l,., l812, p. 27,8; S.L.. 1, p. 3@5,
246 11La mesure 'f_a qumrrité �pécijique 247

trouvedons l'opposition des termes divWende/i.livisecur à l'fo'!é­ parcomir. ta vitesse pnuvaat alors être définie comme le
rie11r de la relation directe ou simple. et racine/puissance à quotiem - que Hegel nomme exposant - du rap]Yort de
l'intériem de la relation de puissances, dénommée ici relâtion deux termes : v = .!., selon la symbolique en usage dans
spécifiante. Ce rappel des différentes opposi1ions de termes,
pré.cédemment renco,ttrées, ne vise pas seulemei:t à restituer u,ic l'Encyclopédie 24 • Il pourrait alors paraître indifférent de
conthmüé processuelle, ma,s à marquer le caractère duel et prendre l'u,i ou l'a11tre des deux termes comme unité.
contradictoire des déterminaiions encore trop abstraitement Pourtant, déjà Hegel souligne lme certaine dissymétrie,
unifiées dans la relation de mesme. l'espace éta,11 extériori:é et réalité, le temps, au contrafre,.
Bien plas. cc procès de différenciation des côtés de la relation se situant du côté dn négatif. de l'idéel et de l'unité. Or,
conduit à un véritable renversemecnt de perspective. Si l'on une telle dissymétrie n"est compréhensible que du point de
accepte de considérer comme naturelle la progression arithméti• vue de la processuafüé. en ce sens que l'espace n'est qu'un
que,. alors c"est le côté spécifiant qui varie selon cette progres­ devenir-temps. et le temps, le résultat advenu de la
sion, car c'est lui qui joue ici le rôle déterminant, et le côté sursomption de la pme el simple inxtaposilion caractéristi·
extérieur varie selon une loi de série différente. Celle-ci trouve sa que de Vcspace 2.1. Ce sont donc les exigences dialecti{J.ues
règle dans la première. à laquelle elle se subordonne et dontelle propres au mouvement du concept qui légitiment l'enchaî•
dépend. Cette hétérogénéité interne au procès de variation des nement des déterminations catégorielles, et non pas tel ou
déterminations de grandem propres i• chaque quali!é assigne les tel choix arbitraire.
limites strictes de validité et de légitimi:é des procédttres Cette afürmation sera encore mieux vérifiée si l'on
mathématiques à l'œuvre daas les opéra-lions de mesure. Erie envisage d'autres types de mouvement. Ce n'est que dans
paraît bien mettre en cause Ja capaci:é du quanütati.f à explicite r le mo_ uvement recliligne uniforme que la vitesse est
adéqu_atement et exhausti,,ement les caractéristiques qualitatives l'expression directe de la relation de l'espace au temps. En
inhérentes à to11t être déterminé. Ce sera l'<tn des objectifs de la l'occurrence, la vitesse apparaît comme la rèlation ,en
Remarque, qui suit immédiatement, que de préciser cette extériodté de deux termes. pris com,ue séparés l'un de
insuffisance et de tenter de proposer les moyens logiques et ; l'attire. Vision abstraite. unilatérale et insuffisante. q.u.i ne
spéculatifs appropriés pom y remédier. correspond qtt'à l'énoncé du principe d'inertie. dont on sait
qu'il n ·est pas observable dans la réalité naturelle. et dont il
Remarque : Mes1ires-11a111relles. n'y a pas de preuve expérimentale. En revaache. dès que
Cette Remarque comporte un double exposé. Le: l'on considère le mouvemer.t libre. on voit apparaitre la
premier est une illustration des investigati.ons spéculative_ s relation-de-mesures sous sa forme spéctilative, celle de,�
antérie11res, au moyen de la catégorie de vitesse, entendue relalion de pllissances. Encor.e convient-il de disti,iguer
comme rapport déterminé de l'espace au temps; condui, deux cas. Dans celui de la chute. que l'on appelle ltbre
sant enst:ite à une différenciaiion logique des mouvements. parce qu'elle s'effectue apparemment sans obstacle, nous
Le second se présente comme une critique épistémologiqu<l' n'avons encore affaüe qu'à un mouvement rela• tivement
des prétentions, des limites, et des insuffisances des libre. Libre, parce que cc mouvement rést:l!e d'un principe
·sciences physico-mathématiques de la natllre, notammcn'li q.ui lui est immanent, sa propre gravité. et quïl est donc
sous la forme que leu-r a conférée Newton. En même posé par le concept de ce corps. Mais il est également
temps, Hegel tente de définir ce qt1e pourrait être un conditionné par la distance du corps au centre de gra-vité,
programme spéculatif, approprié aux exigences et au ce qui lui confère un élément d'extériorité et d'ltnila!érali•
mouvemenl du concept. dans le domaine des sciences de la té. Ce n'est qu'avec les trajectoires des planètes que nous
matière.
24. Encyd.• § 2.61, Remarque-; «s,. d6signc l'e.space pat«:>uru, <(t» 1.e temps.
En effet. si l'on· considère le cas de la vitesse. on peu_t; et «:a» un coefficient spécifique, qui inter\'iCnl notamment dans la loi de la c.hule
dire qu'il vérifie l'établissement d'une relation simple ou des corps.
directe entre l'espace parcouru et Je temps mis à le: 25. Ibid.. sur l'cspo«: : § 254-256, sur le temps , § 257-259.

"'
248 La· mesure La q1umtilé -sp'é.c.ifiq.ite 249

aeçédons au mouvement ahsolumertt li:bre, exprnssion de la abstrait de fonm:lations math.énratiq:ues, de simplès,détc-r­


gravitation universelle,. dans laqueHe Hegel pense sa. isir la mtnations empi.riques. On sait, pour l'avoir déjà rencontfée
véritable détermination du concept de corps matériel. Dans et appréciée. la sévérité des jugem.ent$ de Hegel à l'égatd
ces deux types de mouvement. le rapport de l'espace et llui de. Newton. En gros. -On peut dire que ces critigues portent
temps y est transcrit soit s. elon le rapport de la racine au sur trois points pt.incipaux. D'une part, l'œuvre de Newton
caué (s = a1 1) dans le cas de la loi galiléenne de la cht:le> témoignerait de la survivance de certaines notions d'origine
métaphysique, ou même théologique. transposées sans
des corps. soit selon la relalion du cube au carré (.!.), examen ni cri1igue préalable dans le champ de la
t'
conformément à la troisième· loi de Kepler régissant le connaissance scientifique et rationnellè '"'. D'autre part,
mouvement des planètes'•· Hegel suspecte, dans l'édifice des Principia, une tentative
Or, de telles lois mathématiques n'on.t de sens que par le• de démonstration a priori, selon un modèle mathématique,
rapport qu'elles établissent entre ces qualités que sont de l'ensemble des déterminations naturelles. Peut-êtftl
l'espace et le temps, pensés l'm1 et l'autre selon leur double faut-il trouver là la raison fondamentale de son opposition
détermination qualitaüve et q.uantirative. Il est c.lair qu'il obstinée à l'énoncé d.u principe d'i,iertie, et de sa volor.té
s'agit pottr Hegel de reconnaitre et de légit-imer les sans cesse réaffirmée d'en récuser la significat- ion scierui­
principales conquêtes des sciences physico-mathématiqaes fique expérimentale 19• Enfin Hegel souligne l'incapacité de
de la nature, notamment sous la forme des travaux de la science newtonienne à rendre compte de la réa!Hé
Galilée et de Kepler, mais en en vérifia:lt la compatibilité; naturelle et de sa qualité intrinsèque, notammeRt lorsqu'il
et même la concordance rigomeuse avec les enchaînemer.ts s'agit pour elle de déduire le caractère ellipti(1ue des orbites
dialectiques des catégories logiques issues et expressives de des planètes 30• PhHosophiqueme1it pa-rlant, l'intervention
l'aut-o-mouvement du concept. C'est ce qui permet de de Hegel n'est sans doute pas sans fondement ni intérêt.
c-0mprendre le second moment de son in1ervention épisté­ On peut, en revanche, regretter que Hegel ail été conduit,
mologique dans le champ de la mécanique rationnelle.. parfois trop rapidement et injustement, à transposer sa
Ce second moment est lui-même dédoublé. D'une part, critique des i,isuffisances épistémologiques et conceptue!IJlS
il prend la forme d'u11e appréciation critique de l'œuvre de de la mécanique classique sur le plan de la validité des
Newton. D'autre part, il présente les linéamerHs de ce que énoncés scientifiques que celle-ci proposait.
pourrait être une épistémologie dialectique et spéculative Il nous fau.t revenir rna;ntenaet il l'esquisse de méthodo­
daas le domaine de la physique mathématique. Le principe logie des science.s de la natufe présenlée par Hegel en
d'une telle science n·est nuHement contesté par Hegel, bien conclusion de cette Remarque. La science physique est tollt
au contraire. puisqu'rl correspondrait aux exigences logi­ d'abord discipline expérimentale,. pom ne pas dire empiri­
ques propres à la catégorie de mesure 2'. Mais H lui semble que, en ce sens qu'il lui fam commencer par collati.or.ner les
que ce principe est dévoyé, particulièrement sous la forme données concrètes. Disons que ln science de la matière
que cette science a prise sous l'influencee de Newton, àqui s'inaugure par la collecte et le rassemblement d'un
il ne cesse de reprocher d'avoir enrobé, da<1s un tissu ensemble de mesures particulières, de déterminations
numériques ou métriques, accordées aux multiples aspects
de cette réalité rna1érielle. Pour Hegel, l'objectivité
26. W.L., 1812. p. 281-282: S.L., 1. p. 309. Cf. Enc ycl. § 247 à 270.
27. W.L., 1812. p. 282;S.L., 1, p. 309. Cf. Encycl. §259. lc,dcmières lignes· physique implique un élément d'empiricité irréductible. qui
de la Remarque. déjà citées dans la note 12. Egalement.§ 267. le:s pr.emières invalide et rend ineffectuable tout projet, toute tentative de
lîgnes de la Remarque : • Les lois du mou.vcmcnt o<.mcerncnt la gràndeur, physique mathématique entièrement déductive et in:égra-
essentiellement celtes du temps icoulé et <le l'espace parcouru dan-s ce même
temps: cc sont d'immortelles décOuYertes, qui ront le plus grand honneur à
l'analyse de f'cntcndement. S'y est ajoutte une démonstra'lion non empiflque dè, 28. Encycl.� § 38. Rcm�rquc. Cf. également Les orbites dts pitmères. Vrin.
ces lois. et elle a été donnéc• p3r la m6canique mathématique. de telle sot.te que la p. 151-3.
science qui se !onde sur l'c mpfriquc ne se satl$fait pas de la $lmple monstration 29. Enc)'d.. § 266. Remarque.
empirique.» 30. Encycl., § 270. Remarque.

C
250 La, mesure• 'La quamùé ,sptcifitp,e m
lement formalis11bl_e. Puis, dans un second temps, c, .es d'tm tel débat n'est autre, après 10111, que celui de la
données numérigu·es concrètes sont üuégrées et univC"rs:aJi­ possibfüté et de la féeondité théorique d'une épistémologi- e
sées dar1s la fomudation d'm1e loi, mathématiquement dialectique.
expr.imée. qui rend imelligible l'ensemble des cas observés·
ou observables. Telles sont les lois de la chute des corps,
élaborées par Galilée, ou les lois ,régissant les trajectoh:es t' · LA MESURE COMM� RELATION DE QUALl'IBS : l!MEROENCJ! DE
des planètes. énoncées par Kepler. Ces lois fondamentales L'!Dtll O'UNll MATBRIALITÉ A- UTONOME
qui déterminent; par le moyen de la mesure, les mou�,
ments effectif$ des corps matériels sont légüimes. li faut Ce troisième et dernier moment processuel de la quantité
non seulement approuver leur élaboration, mais encofita, �pécifique, ou, si l'on préfèr.e, de la mesure immédiate, comporte
ger leur découveite. Toutefois, même si, comme l'écrit plusieurs enseignements. Tout d'abord, si la mesme est issue de
Hegel, « la naissance et la forma-tian de la scien_ce_ ln sursomption du quantum, dans la forme de l'unité de la q.ualité
philosophique ont la physique empirique pour présltpposi•• ét de la quanti!é, cette unité est apparue comme immédiate et
tion. et conditio.n» 31 , ri ne faut pas oublier que toute présupposée. Le rétablissement · du q.uali.tatif, par-delà les
présupposition exige d'être explicitée. Or, nous avons dialectiques de la quantité, a pu donner l'impression d'une
constaté, tout au long de ce premier chapitre de la mesm;e•, prédomiuance de l'élément q.ualilatif au détrimel'lt du côté
l'incapacité de la détermination qua,Hitativ-e à exprimer à quantitatif. Il s'agit donc, désormais, d'expliciter cette présuppo­
elle seule la plénitude de l'être-déterminé ou mesmé, etcà sition, ou de- poser cette urn.t-é du qualitatif et du qua11.titalif.de
rendre compte exhaustivement de son statut q.ualitatif. telle manière qu'aacun des deux, ter.mes ne prenne le pas sur
:route mesure est un complexe re.lalionnel et processuel oil, l'autre. En second lieu, nous verrons que cette restauration du
se d;fférencient. s'opposent et s'unissent qualitatif ce:t quantitatif dat1s son égali:é pleine et entière avec le quafi.tatif au
quantitatif. Tel est le motif spéculatif profond, original, sein de Ja mesure oblige à explicite!'cette autre présupposition de
i-rréductible, celui de l'unité contradictoire et dialectisée 'èlu1 la physiq.ue expérimentale, qui est celle d'un élément irréductible
qualitatif et du q.uamitatif q.ui, au regard de Hegel, mffit ' à d'empidci!é, présupposition fortement soulignée dans la Remar­
discréditer et à récuser aussi bien le réductionnisme q.'Je précédente, et caractéristique comme telle de la catégorie Ile•
formaliste de la mathématique q.ue l'intuitionnisme méta­ mesure. Enfin, cette dialectique de l'unification du qualitatif e.t
physique de la NaturphHosophie. Dès lors, la physique du quantitatif conduira à l'intériodser entlèremcr.t dans la
comme science des corps et des mouvements matédeJs,, mesure ► à la considérer comme une relation in�erne à lcrmesure
reste une hypothèse vraisemblable et commode, si elle ne et plus précisément encore comme lm système de relations de
parvient pas à «prouver» les lois qu'elle élabore. O,r, mesures. Mais cette systématicité des memres relationnelles
prouver ces lois, ce n'est pas seulement en vérifier laissera présager, puis permettra de repérer et de désigner. la
expérimentalement la compa-tibili.té avec les données présence d'éléments ma!ériels caractéristiq�tes, dotés d'une
concrètes, c'est en éprouver la cohérence conceptueile; certaine spécificité ou autonomie. plus exactement, d'uue sorte
intégrer l'universalité encore abstraite de la loi dans la, d'auto-subsistance, correspondan1 à ce qu'il est convenu d'appe­
processualité, l'auto-mouvement et l'universali!é concrère ler des corps matériels. ou, d'une façon plus équivoq.ue, des
du concept. Ce que Hegel exige, c'est que la pratiqu.e scbstances. Tel est, sommairement esquissé, le trajet dialectique
opératoire et expérimentale du physicien soit confron1ée et de ce troisième moment.
co11formée au mouvement de la théorisa-lion conceptuelle, Le résultat du développement précédent, résultat issu de la
Que la démarche historique de la connaissance scientifique. processualité logique de la catégorie de règle, f<.>t donc le
ait ignoré ou méprisé cette exigence n'est peut-être pas une surgissement de qualités réunies en «une» mesure, qui assure
raison suffisante pour contirruer de la dédaigner. L'enjeu lem relation. et dont elles constituertt les moments.
:M.ais si ces qualités sont bien posées comme telles, c·est-à-dfre
31. Encycl., § 246, Remarque. à titre de déterminations de grandeur, par la (ègle, elles ne s'y

'
252 •la mesure
1La qootUilé spécifique 253
réd11isent cependant pas. Leu-r dualité n'en .est pas effacée" 011 réel dans la natt::re. Il faut donc ent
détnlile.. Or, en tant qu'elles ne sont pas seulement celte mes.ure rer dans fa. compl exi:é même
de la .celati_on de me s.ure afin de voi
Ulle qui les pose en les unifiant, elles diffèrent de
r conuner:t les qualités, prises
cette règle, bjen sous forme de quanta, s'y compor
tent
plus elles y échappent et fruisseut par la sursumec Cette� i:westigation montre que le problèm dialectiqaemem. Cette
smsomption est en vérité celle du quantum spécifique o u. . e s'y déplace des quanta
eux-mêmes aux unités q.ui les déli
quantum quafita-tif déterminé dans la forme d e son rapport à soi, nissenl et l es constituent, li
nous est d'aiileurs devenu mai::!enan
et la double surso. mption - ou négation - conduit à voir t familier que tout quant um,
dans le cm tai;t que détermillé (Zahl) envelop
quotient, le rétablissement pur et simple du quantmn immédiat.. pe les deux côtés de l'unité
(Ebheit) et du nombre-nombré
Aias.i la dialectique de ltunifica-tion spéculative du qualifica.ttf'.et (Anzahl).. dont il est le
déploiement dîalectisé. Ici la diffic
ulté se redouble puisqu
du quarttitatif, loin de rejeter ce dernier à titre de gu.Fe avons affaire à une relation de e nous
présupposition du premier, nous contraint à le rétablir ét à, le mesures ectre les unités
respectives de deux séries cmnériq
ues viuiant scion des typ
poser dans sa p.ropre i,mnédiale!é : « Pour autant donc qureJlllS progression différents. On peut ·illus es de
ne sont en-dehors de la mesure et côtés libres à l'égard dec son tre r ce problème, C{Ucial
pour la catégorie de mesure. en se
rapport qu'en étant elles-mêmes en rapport à la mes1tre, afo;s, référant, comme le fait Hegel
l11i-même, à l'exempl.e du mouvemen
elles ne sont que la mesme niée, la détecmil1ation quaHtatlv.e ,diJ t accéléré. Dans le cas d u
1no1ive1nent de ch�tte. le rapport de
quantum it nouveau smsumée, ou le quantum immédiat rétabli l'espace au temps est une
relation de puissances_, l'espace par
Ce moment appartient à l'accomplissement du concept de la courn étant. proportionnel au
c,u•ré des temps. Pourtant. ce n'es
qualité, telle qu'elle est ici déterminée.. ."» Ainsi s'indique t encore qu'une manière de
,·exprimer. En effet, si là· vi!esse
clairement le fait que la mesure n'est pas, pour- Hegel unesi1}îplo d'un corps peut êtr e définie
comme le déplacem ent effectué par
transgression du quarttitatif au profil du qualitatif, o.u la ce coi:ps en un.e unité de
temps, et s'énoncer par exemple en
subversion ambiguë et suspecte du premier par le second, mai• mètres par s econde, da:1s le
cas d u mouvement accéléré. Je
une pJeine, entière et originale égalisation ou identification de changement surve11u dans la
v,tesse du mobile est l'accélération
l'tm et de l'autre. Quali!é et qualltité s'explicitent comme par seconde du déplacement
1•ar seconde de cc même corps et elle
moments égaux et u,)i.taires dans le procès dialecti-que• de l1 s'exprimera alo rs eo mètres
pa r seconde au carré. C'est donc
catégori e de mestue, accomplissement effectif, sous fonn, bien au niveau des unités
IC$pec1ives des deux séries de déterm
quantifiée ou quantifiable, d e l'unité de l'être-en-soi et do inations numériques que se
�llt1en1 les problèmes de la mem
l'être-pour-autre-chose, de la détermination et de la dispositîon re. Or. Galilée. da:1s les
Discorsi, raisonnait en tamenant les
Le présent développement expose et explici!e les comll.tions el nombres correspondant au
111ou,•ernent tmiformément accélér
l. es modalités logiques re.quises po ur l'élaboration et la cmnpr6 é à ceux du mouvement
1,•ctiligne m1iforme. Il s'agissait, à
hension du sens de ce que nous pourrions appeler l.a réah chaque instant du temps. ou
11•1é de temps-Hegel dit «Z.eitmom
matérielle objective. ô ent»- de déterminer une
"' sse moyenne 33. Mais cette vite
On peut le vérifier en constatar.t que les deux qualités unies )'Ill sse moyenne, si elle fi�e un
11• ,,that. ne nous permet pas de com
la relation de mest�re, se montrent dans la forme de q,um1 prendre le processus qui y
1 ,unduit, elle ne rend pas compte
extérieurs ou immédiats, et que la nalt>re de leur rappon n 1·114 de l'accélération elle-même,
, ht•A-dire du changement sucven
alors rien d'autre que la relation directe - ou simple. Ain" rN u dans la vitesse de dépface­
"'''''t du mobile au cours d'tme tmi
est-il, par exemple. dans la relation de proportionnalité dlm• té de temps. li semble bien
,,1 11c1 Hegel melte en garde le phy
de l'espace parcouru a:, temps employé à le parcourir. Mai, 1, sicien contre l'impossibilité de
11·111lrc compte exhaustivement du
mouve
choses nesont jamais aussi silnples dans la réalilé. et on'a dé/11 t ,;1 recot�rs a,i mouvement incrtial3'. ment accéléré par le.
l'occasion de souligner q ue. pom Hegel, le mouvement i11011 ..�
l l CiàHlée, Discours amc
ou mouvement rectiligne uniforme, expression citrém,1111 • ,,f111c l-1 proposition I.
trna,u deux .sciences t:tmvellts, 1roisième
joumée_.
1 11 C--ec, npparnitr beautrad . fr., A. Colin. p. 139 sq.
-simple et abstrait e . du principe d'inertie, ne corresponélà nçn coup plus
tlt ,,., W I�, l1 p, n355-357; trad. fr..nett ement �ans le tcx1e de la ec-onde

,, PUf'. cr. le commentaire, p. 141• p. 47-50, rn A. 0oz, La tlrfone de la
32. W.L., 1812, p. 284; S.l.. , J. p. 311-312. kem, •tUc.\ f 270. Ucnmrquo. 142. Cf. tgale-ment J::1rcycl., § 267,

,
254 La mes.we

On peut exprimer cette difficulté en revenant aux énonc6.s CHArtrRE SECOND


�péculatifs proprementdlts. Chaque qualiJé, comme constiti>tlve
d'un des moments de la mesure, se mo_nue désormais elle-mêm•e RELATION DE MESURES AUTONOMES
comme relation-de-mesures, sous la foune, soit de la relation
directe et immédiate, soit de la relation spécifiante,, Et ce sont ces
deux types de relation, un,s dans la mesme, qui en ma(quent, au
moins provisoirement, Je degré de réalisation et de concFétisa• La con�litutiort de la catégorie de mesure a1aonome. expres­
lion. Le point actuellement atteint par ce développementl sive du statut des réalités mat-érielles, témoi,gne d'un mouvement
processuel de la catégorie de mesure. traduit le retour à soi de.la de réalisation de la mesure 1, dor.t le précédent chapitre a
mesure dans et par la médiation de l'être-autre. Nous avons inauguré les conditions. bien que sur un mode encore relat, ive­
.affaire ainsi à l'unité nég,Hive avec soi de la mesme, c'est-_à-dire à mem abstrait et tmilatéra-1. L'explicita,tion de la cat-égo(ie de
l'émergence d'tme strucmre logique de totalisation, et c'est cette quantité spécifique traduisait l'émergence, à partir de la quanti:é,
identifica-tion réciproque de la qmrli!é qui donne naissaace à c-e de détenuhiations spécifia11tes et qualitatives; elle a ainsi condttit
qt1e Hegel désigne par le terme d'amonomie (Selbststan.digkejt). à faite apparaître la mesure, sous ses différentes formes et à
Mais il est non moins cli1ir que ce résultat de la processualité, travers ses degrés de complexité, comme un système de relations
dialectiquement explicitée, de Ja qua,iti!é spécifi<;ue ne fait' réglées permettant l'assignation de qualités au travers de
paraître cette identification que- sur le mode de l'en-soi. H reste procédures de type quantitatif.
donc à en déployer et en exposer les modalités détaillées au coms Il s'agit maintenant d'éprouver la valeur opératoire de ce.s
desquelles la mesure finira par être posée telle qu'elle est en-soi. instruments. Le deuxième chapitre étudie donc les conditions
Ce sera l'objet des deux derniers chapitres de ceHe logique de. dialectiques d'une analyse de la réalité matérielle en termes de
l'être, et· finaleme,11 de son passage à l'essence. Malgré Ill mesure , 2• La mesure. ou phitôt les structmes relationnelles dont
complexité du présent chapitre, nous sommes encore loin d'avoi� ce terme est la désignation générale, signifie bien id la possibililé
p-arcouru et épuisé spéculativement t-oute la rkhesse conceptuelle' d'ur-1e conceptualisation de l'être matériel. A l'époque où écrit
de la catégorie de mesure. Comme on a pu s'en rendre compte Hegel, la chimie n'en offre encore qu'une ébauche, eu égard aux
par le biais des exemples et des références évoqués jusqu'ici. lèll exigences théoriques qui sont celles du philosophe. Ceci explique
premier chapitre n'engage guère plus que l'ensen:ble des­ l'intégration au discours spéculatif de notions et de ca!égories
questions suscitées par le développement de la mécanique, e1l forgées par les sciences de la namrc, au prix toutefois d'mre
nornmment de ses concepts les plus abstraits comme ceu"" interrogation critique quant à leur sens, et d'un remani-ement
d'espace et de temps, de mouvement et de matière. L'obj.et dit dialectique de leur contenu.
chapitre suivant sera de déborder largement ce domaine, encore Puisque son apparition résultai-! de la mise en évidence, au sein
restreint, d'm1e science mathématisée et quantffiéc de la natt<re. de la quantité, d'une modali!é quafüative, la mesure immédiate
impliquait tme certaine prévalence des procédures opérntoires et
abstrai!es. Dans le déploiement dialectique de la catégorie
d'amonomie, il s'agira de produire les conditions d'lme pleine
égalisation des moments de la mesure; cette égalisation, e_ntamée
dès la fin du chapi.tre précédent, signitiera au demeurant la
nécessité d'une au-to-sursomption de la mesure, puisqu'H apparaît
en elle une dimension d'infinité et de négativité qui se révèle

l. Le Chapitre correspondant de la deuxième édition s'intitule : ta mtsurt


rlt/le.
2. Les termes de réalit� (Rcalitat), de matière (Materic), de chose (Sache) et
de substrat apparatlroot ou s�rom plus systématiquement utilisés dans la seconde
édition.

.,,

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