Que sais-je ?
ISSN 0768-0066
re
Dépôt légal – 1 édition : 2008
e
5 édition mise à jour : 2016, janvier
L’entreprise peut-elle s’affranchir de toutes obligations autres que légale et économique vis-à-vis
de son environnement social, humain, politique et écologique ? À l’heure du réchauffement
climatique, des scandales financiers à répétition, des controverses sur les comportements contraires à
l’éthique des dirigeants d’entreprises et de la globalisation des échanges marchands, peu de
personnes doutent encore du fait que l’entreprise, en tant qu’organisation localisée au cœur des
changements économiques et sociaux contemporains constitue une « affaire de société 1 ». L’idée de
responsabilité sociale de l’entreprise (désormais RSE) répond à cet enjeu en proposant une
représentation élargie de l’environnement des firmes – entendu dans ses dimensions non seulement
économiques et financières, mais aussi sociales, humaines, culturelles, politiques et écologiques – et
en posant la question de la capacité des entreprises à en gérer simultanément toutes les dimensions.
La RSE renvoie donc à la fois à l’intégration des dimensions marchandes et non marchandes dans la
gestion et à la prise en compte des effets externes positifs et négatifs des entreprises sur la société.
Elle se situe ainsi au cœur des dynamiques contemporaines du capitalisme et offre une illustration de
la capacité de ce système à s’adapter à ses critiques en les internalisant au sein même des processus
de gestion 2.
La notion de RSE s’efforce en effet de rendre compte de l’exercice par les entreprises d’une
responsabilité vis-à-vis des différents groupes avec lesquels elles interagissent – souvent désignés
sous le terme de parties prenantes ou stakeholders 3 – et qui se situent au-delà de leurs strictes
obligations, techniques, légales et économiques. Cette définition liminaire suffit à souligner le
caractère ambigu et complexe de la RSE en tant que concept et pratique corporative : où commencent
et où s’arrêtent ces responsabilités étendues ? La responsabilité sociale des entreprises ne se limite-
t-elle pas à la maximisation du profit ? Vis-à-vis de quels groupes sociaux l’entreprise doit-elle et
peut-elle exercer ses responsabilités ? Quels outils permettent de détecter les attentes et de gérer les
relations avec ces différentes parties prenantes au développement de l’entreprise ? Quels sont les
fondements normatifs de la RSE ? La RSE procède-t-elle uniquement de la volonté de l’entreprise ou
doit-elle être encadrée légalement ? Quels facteurs affectent la définition des contours et du contenu
de la RSE ? L’engagement des entreprises vers la RSE est-il sincère ou constitue-t-il simplement une
nouvelle forme de communication marketing ? L’investissement des entreprises dans les actions de
RSE est-il économiquement rationnel ?
Toutes ces questions invitent à analyser de manière plus approfondie une notion qui a connu en
France et dans le monde, auprès de nombreuses communautés de professionnels de la gestion, un
regain d’attention et d’intérêt considérable pendant les quinze dernières années. Marginales à la fin
des années 1990, les pratiques de gestion de la RSE se sont institutionnalisées très rapidement en
France depuis le début du siècle, au point que presque toutes les entreprises du CAC40 comportent
désormais un responsable du développement durable ou de la RSE en charge du déploiement de la
stratégie sociétale de l’entreprise. De nombreux autres signes témoignent du dynamisme du champ
organisationnel et institutionnel de la RSE : la création de think tanks dédiés à ce thème (ex. :
l’Observatoire pour la responsabilité sociétale des entreprises), l’émergence d’agences de rating
(notation) social (RiskMetrics/MSCI, Sustainalytics, ou encore Vigeo), la croissance exponentielle
du marché de l’investissement responsable ou encore la parution en novembre 2010 de la norme ISO
26000 intitulée : « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale 4 ».
Du fait de ces évolutions très rapides, la RSE a souvent été assimilée à une nouvelle mode
managériale. Pourtant, Howard R. Bowen pouvait déjà constater en 1953 que la RSE était non
seulement une idée acceptable dans les cercles américains de dirigeants de grandes entreprises, mais
qu’elle était même « devenue à la mode 5 ». Contrairement à une idée reçue, la RSE n’est donc pas un
nouveau concept, mais s’inscrit dans le prolongement de pratiques d’entreprises plus anciennes telles
que la philanthropie corporative et fait l’objet outre-Atlantique de nombreux débats académiques
depuis les années 1920 6. Un détour historique s’impose donc comme un passage obligé pour
présenter ce concept et comprendre les enjeux liés à son institutionnalisation et à sa diffusion
contemporaine au sein des entreprises.
Les fondements théoriques de la RSE seront ensuite présentés, en répertoriant ses définitions,
mais surtout en montrant comment les représentations des relations entre l’entreprise et la société
rendent compte de la diversité des approches théoriques de cette notion. La délicate question de la
mesure de la RSE peut alors être abordée, ainsi que le problème de l’impact financier pour les
entreprises de l’adoption de pratiques de RSE, qui constitue l’un des thèmes récurrents de la
littérature consacrée aux liens entreprise-société. Mais la gestion de la RSE implique aussi
l’existence d’un outillage spécifique, dont le développement a pour corollaire l’émergence
de nouveaux marchés dans les domaines du consulting, de la communication, de l’audit et de
l’investissement financier.
Finalement, les défis contemporains de la gestion de la RSE peuvent être étudiés comme autant
de paradoxes : gestion difficile d’un concept étroitement lié au contexte institutionnel national dans un
système économique globalisé ; décalages entre discours sur la RSE et pratiques de RSE qui
suscitent le scepticisme et peuvent s’interpréter au prisme des travaux sur l’apprentissage
organisationnel ; limites d’une instrumentation nécessaire mais parfois excessive de la RSE qui
menace en permanence ses fondements normatifs et sociaux et finalement sous-exploitation de
pratiques ayant un potentiel de réforme important par des mouvements sociaux qui tendent parfois à
négliger les leviers d’action offerts par la RSE.
1. R. Sainsaulieu (éd.), L’Entreprise, une affaire de société, Paris, Presses de Sciences Po, 1992.
2. L. Boltanski, E. Chiapello, Le Nouvel Esprit du capitalisme, Paris, Gallimard, coll. « NRF-Essais », 1999.
3. Le terme de stakeholder ou partie prenante a été popularisé par l’ouvrage de R. E. Freeman, Strategic Managment : a
Stakeholder Approach, Boston, Pitman, 1984, et désigne les « individus ou groupe d’individus qui peuvent affecter ou être affectés par
la réalisation des objectifs organisationnels » (p. 46).
4. M. Capron, F. Quairel-Lanoizelée et M.-F. Turcotte, ISO 26000, une norme hors norme ?, Paris, Économica, 2011.
5. H. R. Bowen, Social Responsibilities of the Businessmen, New York, Harper & Brothers, p. 48.
6. J.-P. Gond, « La responsabilité sociale des entreprises, encore une mode managériale ! », in A. Pezet et S. Sponem (éds.), Petit
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bréviaire des idées reçues en management, Paris, La Découverte, 2 éd., 2010, p. 229-237.
CHAPITRE PREMIER
Contrairement à une idée reçue qui voudrait faire d’elle un nouveau paradigme ou une mode
managériale, l’idée de RSE est relativement ancienne et trouve ses fondements dans des pratiques
d’entreprise vieilles de plus d’un siècle outre-Atlantique. Dans de nombreux pays européens tels que
la France, sa résurgence contemporaine capitalise sur une tradition de paternalisme économique.
Cependant, le développement de la RSE comme concept académique est plus récent, et on attribue en
général à Howard R. Bowen le titre de « père fondateur » de la RSE. Son ouvrage de 1953, intitulé
Social Responsibilities of the Businessman, constitue l’un des premiers efforts systématiques
d’analyse des discours et des comportements liés à la responsabilité sociale. Cet ouvrage témoigne
de l’ancrage religieux de la RSE et marque l’entrée de cette notion dans le champ académique.
Depuis cette période, la RSE suscite des controverses relatives aux dangers politiques liés à un
engagement de l’entreprise au-delà de ses prérogatives économiques et s’impose comme un concept
« par essence contesté ».
La responsabilité sociale s’est constituée en doctrine structurant les discours et pratiques des
hommes d’affaires américains entre la fin du XIXe siècle et le début du XXe siècle, durant la seconde
révolution industrielle. Elle s’inscrit dans une tradition de philanthropie corporative qui répond tout
autant à une inspiration religieuse protestante (sauver son âme dans l’au-delà) qu’à des enjeux
pratiques (fixer une main-d’œuvre compétente). L’entreprise Pullman en fournit l’illustration, ses
installations communautaires à l’usage des employés offrent une vitrine exemplaire du paternalisme
industriel de cette époque. Le principe dominant de cette forme embryonnaire de responsabilité
sociale est celui de la philanthropie, posée comme devoir de l’homme d’affaires qui a réussi et dont
la prospérité ne se trouve justifiée, d’après l’idée protestante du stewardship, que si elle contribue
aussi au bien-être de la communauté au sein de laquelle ses affaires ont pu prospérer ; son mot
d’ordre est giving back, et sa figure emblématique est sans nul doute celle d’Andrew Carnegie, dont
l’article de 1889 consacré à l’analyse des « devoirs de l’homme de bien » donnera naissance au
mouvement de l’« évangile social ».
D’après l’historien américain Morrell Heald, « ce dont le XIXe siècle manquait, et que le
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XX siècle va fournir, c’est une justification – une conceptualisation de la relation entre l’entreprise et
la communauté – suivant laquelle la responsabilité sociale est considérée non seulement comme une
charge pesant sur la conscience et l’intérêt individuel, mais aussi sur les ressources des
entreprises 1 ». C’est entre les années 1900 et 1920, dans un contexte de réforme sociale où dominent
les idées des progressistes, que s’élabore cette nouvelle approche des relations entre l’entreprise et
la société aux États-Unis, qui va donner naissance à une première ébauche de responsabilité sociale.
Durant cette période où les premières lois antitrusts sont mises en place, l’idée qu’il est nécessaire
pour les entreprises de maintenir de bonnes « relations publiques » s’impose auprès de grands
dirigeants tels que J. D. Rockefeller, qui fera évoluer en conséquence la politique de l’entreprise
Standard Oil, et les premiers départements chargés de la gestion des relations publiques se
développent. Le terreau idéologique sur lequel se construit la notion de responsabilité sociale
s’enrichit alors des notions d’intérêt et de service public, et il devient clair dans les milieux
d’affaires qu’une meilleure prise en compte de l’opinion dans la conduite de l’entreprise s’impose
désormais. Ce développement de l’idée de responsabilité sociale répond alors à des enjeux de
légitimation, car les entreprises américaines, dont certaines ont vu leur taille augmenter dans des
proportions jusqu’alors inégalées, sont parfois perçues comme une menace directe pour le bon
fonctionnement des marchés et de la démocratie. Des journalistes d’investigations – les muckrakers –
dénoncent de manière documentée et systématique les méfaits de certains entrepreneurs à l’origine de
ces géants qui seront parfois surnommés les « barons voleurs ».
Pendant les années 1920, la doctrine de la responsabilité sociale se consolide avec la notion de
trusteeship, qui stipule que les personnes mandatées pour gérer le bien d’autrui se doivent d’exercer
cette fonction comme s’il s’agissait de leur bien propre. Cette idée sécularise et complète la notion
antérieure de stewardship. De nombreux dirigeants tels qu’Owen D. Young et Gerard Swope de la
General Electric ou encore Elbert H. Gary de la United Steel Company prennent publiquement des
positions en faveur de cette approche et affirment une vision partenariale de leur rôle de dirigeant,
cherchant à concilier les objectifs des détenteurs du capital et de la force de travail. Cependant,
l’idée que l’entreprise a des responsabilités vis-à-vis du grand public est parfois contestée dans les
milieux dirigeants. Ainsi, Henry Ford oppose à cet objectif « trop flou » une stricte focalisation sur la
production, mieux à même selon lui de servir la société à long terme. Cette seconde vague
d’élargissement et de conceptualisation d’une responsabilité sociale correspond à un besoin pour la
classe émergente de dirigeants gestionnaires, qui ne sont plus nécessairement propriétaires des
entreprises qu’ils gèrent, d’affirmer leur respectabilité sociale. Cette période voit l’émergence et la
formalisation des premiers codes de conduite au niveau des industries et peut s’interpréter comme
une tentative d’autorégulation visant à éviter le développement de régulations contraignantes.
L’effondrement économique de la crise de 1929 et la perte de prestige social des dirigeants et
des entreprises auront pour conséquence une mise en berne des discours relatifs à la responsabilité
sociale. Si les politiques du New Deal conduisent, de la part des entreprises, au développement de
mesures sociales qui ont pu être qualifiées de responsabilité sociale « encadrée 2 », ce n’est qu’après
la Seconde Guerre mondiale, dans les années 1950, que se réaffirme à nouveau la doctrine de la
RSE. D’après Morrell Heald, le principal apport de cette période sera précisément la qualification
de ces pratiques au travers de l’acronyme RSE, l’ensemble des idées et des représentations
nécessaires à son développement étant déjà en place depuis les années 1920. Les pratiques de RSE
se développeront progressivement au sein des entreprises américaines en s’appuyant sur des
mouvements sociaux : le mouvement pour les droits civiques et les luttes contre la discrimination
dans les années 1960, les mouvements écologistes et les mouvements étudiants contre la guerre du
Vietnam qui cibleront les entreprises polluantes ou productrices d’armes dans les années 1970, la
lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980.
Au-delà d’une consolidation des pratiques de RSE autour de problèmes sociaux et
environnementaux spécifiques, la Seconde Guerre mondiale marque surtout le passage de la RSE du
monde des affaires au monde académique : pendant les années 1950 et 1960, on observe la
multiplication d’ouvrages et d’articles académiques et de prises de positions relatives à la RSE.
L’ouvrage d’Howard Bowen est sans doute celui qui illustre le mieux le passage de la responsabilité
sociale du statut de doctrine formée dans le monde des affaires à celui de concept académique, enjeu
de débats théoriques.
* W.R. Solberg, S. Tomilson, « Academic McCarthyism and Keynesian Economics : the Bowen Controversy at the
University of Illinois », History of Political Economy, 1997, vol. 29, p. 55-81.
** Ces informations biographiques sont disponibles sur le site Internet de l’université de l’Iowa, à l’adresse suivante :
http://www.iowalum.com/magazine/presidents/bowen.cfm
IV. – La RSE,
un concept par essence contesté
Le développement des travaux sur la RSE dans les années 1950 et 1960 est marqué par une série
de débats qui opposent, dans un contexte de guerre froide, les défenseurs de l’idée selon laquelle
l’entreprise puisse avoir des responsabilités élargies vis-à-vis de la société, à ses détracteurs, pour
lesquels l’objectif de l’entreprise doit être cantonné à la recherche d’un profit maximum. Tandis que
les premiers voient dans la RSE un argument de vente du système capitaliste au peuple américain, les
seconds considèrent au contraire que la RSE est un véritable « cheval de Troie » de l’idéologie
communiste.
En 1958, Theodore Levitt publie dans la Harvard Business Review une première critique en
règle des débordements politiques susceptibles d’être engendrés par la « nouvelle orthodoxie » que
constitue à ses yeux la RSE avec un article intitulé « The Dangers of Corporate Social
Responsibility 6 ». Levitt voit dans la RSE une ingérence du monde des affaires dans la sphère
politique menaçant le bon fonctionnement d’une société démocratique pluraliste. La RSE s’inscrit
selon lui dans un mouvement de centralisation des fonctions économiques, sociales, politiques et
spirituelles qui pourrait conduire à la construction d’une société monolithique, qu’il compare
successivement à l’Église médiévale, un nouveau féodalisme, un Léviathan ou plus simplement du
fascisme. La concentration de la gestion du bien-être dans les mains d’un petit nombre d’acteurs,
qu’il s’agisse de l’État, des syndicats ou des entreprises, est à proscrire, et tout mouvement
renforçant cette tendance doit être combattu. L’accroissement du pouvoir des entreprises sur la
société qui résulterait d’une diffusion de la RSE signerait donc bel et bien la mort du capitalisme, qui
tomberait victime de ses propres bonnes intentions. C’est la raison pour laquelle Levitt exhorte les
hommes d’affaires de son temps à s’écarter de la doctrine de la responsabilité sociale et à se
focaliser sur la recherche du profit afin de maintenir séparées les fonctions de régulation sociale. Ce
faisant, il ne nie pas que les entreprises doivent répondre aux attaques qui leur sont faites et
contribuer à résoudre certains problèmes sociaux. Mais il suggère qu’une réponse plus appropriée de
leur part consisterait tout simplement à accepter l’existence de l’action gouvernementale et syndicale
et à en reconnaître les bénéfices potentiels. Aux discours lénifiants sur la vertu, les bonnes œuvres et
l’altruisme – un « gospel de la tranquillité qui est un soporifique » (p. 50), Levitt oppose donc un
credo capitaliste dur : « Au lieu de lutter pour sa survie en se déguisant en industrie de service
public, le monde des affaires devrait lutter comme s’il était en guerre. Et comme dans toute bonne
guerre, il doit lutter galamment et audacieusement, mais surtout pas moralement » (p. 50).
C’est à Milton Friedman que l’on doit une seconde critique de la doctrine de la RSE qui restera
la plus célèbre bien qu’elle ne soit pas la plus innovante. Son article du New York Times Magazine,
publié en 1970, qui synthétise et reprend dans ses grandes lignes les arguments développés à
l’encontre de la RSE dans un ouvrage antérieur, Capitalism and Freedom (1962), est paradoxalement
l’une des références le plus souvent citées tout à la fois par les défenseurs tout comme les détracteurs
de la RSE 7. L’analyse de Friedman recoupe en partie des arguments de critiques politiques déjà
développés par Bowen et Levitt, mais il en généralise et en étend la portée en inscrivant son
argumentation dans la perspective économique d’une relation d’agence qui lie un manager (l’agent) à
ses actionnaires (le principal).
Dans le contexte de cette relation principal/agent, Friedman postule que la responsabilité ne peut
être qu’individuelle, la responsabilité sociale ne peut donc être que celle du manager (l’agent) ou de
l’actionnaire (principal). Par ailleurs, il exclut les actions de RSE qui seraient profitables, car elles
ne correspondent selon lui qu’à une labellisation hypocrite de la recherche de profit. En s’appuyant
sur ces hypothèses, et après avoir évacué la situation où les actionnaires souhaitent utiliser pour des
raisons personnelles leur argent à des fins sociales via les entreprises qu’ils possèdent, Friedman n’a
aucun mal à démontrer qu’un investissement par un manager de l’argent de son entreprise dans des
programmes de RSE va soit à l’encontre de ses obligations fiduciaires vis-à-vis des actionnaires (en
diminuant le profit), soit équivaut à faire supporter par les consommateurs ou par les employés le
coût des actions sociales et environnementales de l’entreprise. Quel que soit le cas de figure, ceci
revient pour le manager à se substituer au gouvernement en imposant arbitrairement un impôt à
certains acteurs économiques pour gérer un problème environnemental ou social.
La question qui se pose alors est celle de la capacité et de la légitimité d’un manager pour définir
ainsi les problèmes sociaux prioritaires et pour les gérer. Pour Friedman, les hommes d’affaires ne
disposent ni des compétences nécessaires à la gestion d’un service public ni de la légitimité politique
pour administrer le bien commun, car ils ne sont pas élus démocratiquement. Dès lors, la RSE
constitue une menace pour la démocratie et la société américaine – surtout dans un contexte de guerre
froide –, et elle peut être comparée à du socialisme rampant et finalement assimilée à une « doctrine
fondamentalement subversive » (p. 223). Si les citoyens américains souhaitent voir les entreprises
adopter des techniques de production moins polluantes, Friedman leur conseille de voter et d’utiliser
le processus démocratique pour élire un gouvernement qui pourra légiférer en ce sens. Les fonctions
sociales peuvent ainsi être clairement séparées : d’une part, la gestion du bien public incombe à
l’État et, d’autre part, « il n’existe qu’une seule et une seule responsabilité sociale de l’entreprise,
celle d’utiliser ses ressources et de s’engager dans les activités qui vont accroître ses profits dans le
respect des règles du jeu, à savoir une compétition libre et ouverte, sans tromperie ni fraude »
(p. 223). Selon cette perspective, la RSE est donc définie de manière minimaliste comme la
recherche d’un profit maximum dans le respect du cadre légal.
Face à ces controverses, les auteurs défendant la notion de RSE vont toujours chercher à justifier
l’existence et la pertinence d’une responsabilité sociale qui s’étend au-delà de l’approche
minimaliste définie par Friedman, ouvrant des débats sur les limites et les frontières de la
responsabilité sociale qui resurgissent à période régulière 8. Il n’est donc pas exagéré, à la suite de
Jeremy Moon, d’assimiler la RSE à un concept « par essence contesté », au sens de Gallie 9, les
développements théoriques sur cette notion étant structurés par des tensions récurrentes présentes dès
les années 1950 et 1960. Les différentes approches de la RSE issues de ces débats sont présentées
dans le chapitre III. Elles intègrent des travaux qui prolongent les réflexions initiées par Levitt et
Friedman sur la dimension politique de la RSE en cherchant à comprendre comment réguler le
comportement des entreprises multinationales qui peuvent opérer dans des régimes où les systèmes
politiques n’offrent pas aux citoyens un contexte démocratique. Cependant, la remise en question de
l’argumentation de Friedman s’est surtout affirmée au travers de travaux empiriques s’efforçant de
démontrer la compatibilité entre la poursuite du profit et l’adoption de comportements socialement
responsables 10. Ces travaux sont l’objet du chapitre V.
Avant de présenter ces développements, il est utile d’analyser les raisons pour lesquelles un
concept américain forgé dans les années 1950 revient aujourd’hui au cœur des préoccupations
managériales en France et en Europe en identifiant les moteurs contemporains de la RSE.
1. M. Heald, The Social Responsibilities of Business. Company and Community, 1900-1960, Press of Case Western Reserve
University, 1970.
2. J. Pasquero, « La responsabilité sociale de l’entreprise comme objet des sciences de gestion : un regard historique », in M.-
F. Bouthillier-Turcotte, A. Salmon (éds.), Responsabilité sociale et environnementale de l’entreprise, Sillery, Presses de l’Université
du Québec, 2005, p. 80-112.
3. A. Acquier, J.-P. Gond, « Aux sources de la responsabilité sociale de l’entreprise : (re)lecture et analyse d’un ouvrage fondateur :
o
Social Responsibilities of the Businessman d’Howard Bowen, 1953 », Finance-Contrôle-Stratégie, vol. 10, n 2, 2007, p. 5-35.
4. Pour une comparaison des approches protestantes et catholiques de la RSE, voir A. Acquier, J.-P. Gond et J. Igalens, « La religion
dans les affaires : la RSE », Note de la Fondation pour l’innovation politique, mai 2011. Deux présentations des idées de cette note
par leurs auteurs sont disponibles aux adresses suivantes : http://www.youtube.com/watch?v=GxPkLAs_y8E et
http://www.youtube.com/watch?v=9-tcgXMCyJ8.
5. M. Weber [1904-1905], L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme, Paris, Plon, 1964.
6. T. Levitt, « The Dangers of Social Responsibility », Harvard Business Review, vol. 36, 1958, p. 41-50.
7. M. Friedman, « The Responsibility of Business Is to Increase Its Profits », New York Times Magazine, 1970, vol. 33, p. 122-126.
8. Voir « The Good Company », The Economist, 20 janvier 2005.
9. Selon Gallie, un concept est « par essence contesté » lorsque sa signification et ses applications sont sujets de débats permanents de la
part de ses utilisateurs : « Essentially Contested Concepts », Proceedings of the Aristotelician Society, vol. 56, 1956, p. 187-198.
10. J. D. Margolis, J. P. Walsh, « Misery Loves Company : Whither Social Initiatives by Business ? », Administrative Science
Quarterly, vol. 48, 2003, p. 268-305.
CHAPITRE II
L’institutionnalisation de la responsabilité
sociale de l’entreprise
Si la RSE possède aux États-Unis et en France des racines qui remontent loin dans l’histoire
contemporaine, ce n’est que depuis peu qu’elle est devenue une préoccupation permanente et
parfois une priorité des entreprises. Les explications sont nombreuses, elles proviennent à la fois de
l’initiative d’institutions internationales, de l’apparition de nouveaux acteurs proposant des
services innovants relatifs à la RSE et d’un travail de normalisation important.
En 2000, le Conseil européen a fixé un objectif stratégique visant à faire de l’Union européenne
« l’économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde d’ici 2010,
capable d’une croissance économique durable accompagnée d’une amélioration quantitative et
qualitative de l’emploi et d’une plus grande cohésion sociale ». Cette stratégie, connue sous le nom
de « stratégie de Lisbonne », a été suivie en 2001 de la publication par la Commission européenne
d’un Livre vert intitulé Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des
entreprises. Ce document définit la RSE comme « l’intégration volontaire des préoccupations
sociales et écologiques des entreprises à leurs activités commerciales et leurs relations avec les
parties prenantes ». La Commission invitait « les pouvoirs publics à tous les niveaux, y compris les
organisations internationales, les entreprises (des PME aux multinationales), les partenaires
sociaux, les ONG, ainsi que toute autre partie prenante ou personne intéressée à exprimer leur
opinion sur la manière de bâtir un partenariat destiné à ériger un nouveau cadre favorisant la RSE,
en tenant compte des intérêts à la fois des entreprises et des diverses parties prenantes ».
La Commission a reçu plus de 250 réponses qui ont mis en évidence de nombreuses
convergences mais aussi quelques divergences.
Dans leur réponse, les autorités françaises (il s’agissait alors du gouvernement dirigé par
L. Jospin) ont soutenu le principe de la complémentarité entre le droit et l’initiative volontaire des
entreprises tout en affirmant que cette démarche devait s’articuler avec le rôle naturel des
partenaires sociaux et du dialogue social. Le MEDEF et les entreprises qui ont répondu ont mis en
avant la nature volontaire de la RSE en demandant expressément qu’il n’y ait pas de réglementation
au niveau européen, car une telle initiative briderait la créativité et l’innovation. Les syndicats de
salariés, presque unanimement, ont développé le point de vue opposé en soulignant que les
initiatives volontaires ne sont pas suffisantes. Pour le syndicat Force ouvrière par exemple « il ne
peut y avoir de substitut à la responsabilité des gouvernements et des législateurs », et la soft law
est en fait une privatisation du droit.
Les investisseurs ont invoqué la nécessité d’améliorer la méthodologie des agences de notation
et la gestion de fonds d’investissement socialement responsables. Les organisations de
consommateurs ont appelé de leurs vœux « de meilleures pratiques qui seront celles qui se
construisent suite à un dialogue non confrontatif » tout en signalant l’importance de disposer
d’informations fiables et exhaustives.
Fort de l’ensemble des réponses, la Commission a engagé en 2004 un forum des parties
prenantes qui s’est malheureusement soldé par un échec : les positions des syndicats et des ONG,
d’un côté, la position des employeurs de l’autre sont apparues trop éloignées pour que des
principes soient proposés au Parlement européen.
Malgré cet échec, il est indéniable que le Livre vert de la Commission européenne a contribué
à donner à la RSE une impulsion telle que de nombreuses initiatives privées et publiques ont pu
voir le jour et ont définitivement inscrit la RSE sur l’agenda des dirigeants d’entreprise.
Il revient au secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, d’avoir donné au forum de Davos,
en 1999, un signal fort de l’intérêt de la communauté internationale pour la RSE. Il appela les
dirigeants des grandes entreprises à adhérer au Pacte mondial, c’est-à-dire à s’engager à respecter
et à militer pour que dix principes soient appliqués partout dans le monde grâce aux entreprises
(encadré 2). En septembre 2015, le site du Pacte mondial dénombrait 8 343 entreprises et
2 860 organisations non lucratives, ce qui représente un succès important pour cette initiative
internationale.
En 2003, inspirés par le Pacte mondial, les principes Équateur sont signés par de grandes
banques internationales, dont le Crédit Lyonnais, afin de prendre en compte des critères sociaux,
sociétaux et environnementaux dans les projets qu’elles financent.
En France, il faut attendre les premières années de la décennie 2000 pour que des initiatives,
essentiellement publiques, voient le jour.
En 2001, la loi dite NRE (Nouvelles régulations économiques) du 16 mai 2001, par son
article 116, introduit une obligation nouvelle de reddition de comptes pour les entreprises cotées
sur un marché financier français. Désormais, le rapport annuel de gestion doit comprendre des
informations sur la manière dont la société prend en compte les conséquences sociales et
environnementales de son activité. Pour la dimension sociale, on trouve nombre d’informations qui
figuraient au bilan social de l’entreprise ; pour la dimension environnementale, les informations
étaient souvent inédites.
En 2001 également, la loi définissant les modalités de fonctionnement du Fonds de réserve des
retraites précise que le directoire du fonds doit rendre compte régulièrement au Conseil de
surveillance de la manière dont la politique d’investissement du fonds a pris en compte des
considérations sociales, environnementales et éthiques.
En 2002, quatre syndicats, CFDT, CFE-CGC, CFTC et CGT ont publié une déclaration dans
laquelle ils convenaient « de développer en commun des solutions pratiques, au service des
salariés, afin que ceux-ci maîtrisent leur épargne salariale dans des conditions optimales de
sécurité et de justice ». Pour cela, ils créèrent un label social qui est décerné aux fonds salariaux
qui répondent à plusieurs conditions, les deux premières étant les suivantes :
– l’ensemble des fonds doit être géré de façon socialement responsable ;
– les établissements financiers doivent s’appuyer sur une diversité de sources d’information externes
(une ou deux agences de notation extrafinancière) et posséder des compétences internes en matière
d’investissement socialement responsable.
En 2007 est lancé le « Grenelle de l’environnement » qui réunit au sein de groupes de travail
les acteurs du développement durable : l’État, les collectivités locales, les ONG, les entreprises et
les salariés. De nombreuses lois seront adoptées entre 2008 et 2010 à la suite des propositions
émises. L’une d’entre elles consiste à élargir le périmètre de la reddition de compte tel que l’avait
défini l’article 116 de la loi NRE et à compléter son contenu.
Enfin, dans une lettre adressée au Premier ministre le 24 juillet 2012, seize organisations
représentatives des employeurs, des salariés et de la société civile ont souhaité la création auprès
de lui d’une « Plateforme nationale de dialogue et de concertation qui associerait les différents
acteurs de la société française ayant un intérêt pour la RSE (représentants des entreprises, des
salariés, des associations et ONG, des structures multi parties prenantes…) et les représentants des
pouvoirs publics (administrations centrales, parlementaires, collectivités territoriales…). » Sa
mission prioritaire serait de préparer la réponse à la demande de la Commission européenne que
chaque État-membre se dote d’un « plan ou liste d’actions prioritaires visant à promouvoir la RSE
dans le contexte de la mise en œuvre de la stratégie Europe 2020 ».
Le Premier ministre, M. Jean-Marc Ayrault, a répondu positivement à cette proposition lors de
la première conférence environnementale, le 16 septembre 2012, et a installé la plateforme
nationale d’actions globales pour la responsabilité sociétale des entreprises le 17 juin 2013, une
fois créé le Commissariat général à la stratégie et à la prospective, dont elle est un groupe de
travail permanent. Placé auprès du Premier ministre, le Commissariat général garantit
l’indépendance des travaux de la plateforme. La composition de celle-ci, initialement fixée à une
quarantaine de membres, est évolutive, le cœur de l’activité étant la participation aux groupes de
travail. Elle comporte 48 organisations réparties en cinq pôles : économique, public, société civile,
syndicats et académiques (experts). Cette plateforme constitue une tentative intéressante de donner
corps à la mise en place d’une représentation des « parties prenantes ».
Aucun de ces exemples n’est exempt de critiques, on reproche le manque de transparence dans
l’application des principes Équateur, on regrette que le Pacte mondial ne soit pas pourvu d’un
dispositif de contrôle des engagements, on déplore que la plateforme RSE laisse trop de place aux
syndicats et pas assez aux ONG. Il n’en reste pas moins que la RSE n’est pas un effet de mode, la
convergence des initiatives publiques et privées a contribué à l’installer durablement dans le
paysage des entreprises et avec d’autant plus de forces qu’une offre de services a accompagné les
nouvelles obligations contribuant à créer ce qu’un auteur a appelé « le marché de la vertu 1 ».
Toute innovation dans les sciences de gestion crée son marché. Parfois, il s’agit d’innovations
en provenance du monde académique, et les cabinets de conseils servent alors de traits d’union
entre le monde de la recherche et celui de l’entreprise. D’autre fois, l’innovation provient
directement des consultants eux-mêmes ou encore de telle ou telle entreprise. Mais même dans ce
dernier cas, l’innovation est rapidement récupérée par le marché du conseil en gestion, en stratégie,
en organisation, en solutions informatiques, en audit, etc. 2.
Le cas de la RSE ne fait pas exception. En 1993, un premier cabinet spécialisé voit le jour en
France, sous forme associative, le cabinet Utopies. L’année suivante, il se transforme en structure
commerciale, stabilise son offre autour de la confection de rapport de développement durable avec
la publication du rapport de l’entreprise Nature et Découverte. Puis progressivement, de nouveaux
cabinets vont apparaître, et les grands cabinets internationaux et nationaux vont ajouter à leur
catalogue des services dans le domaine de la RSE et du développement durable. En 2015, environ
380 cabinets de conseil ont une offre structurée sur ces sujets.
Pour important que soit ce développement, il est somme toute banal, et on pourrait trouver
l’équivalent autour d’autres sujets, ce fut le cas dans les années 1980 avec les cercles de qualité,
dix ans plus tard avec le tableau de bord prospectif, etc. Dans le cas de la RSE, le processus de
marchandisation est original du fait de l’existence de marchés de produits dérivés. Ces marchés
sont nombreux, mais ils s’articulent, pour l’essentiel, autour de deux thèmes, l’ISR et la
consommation socialement responsable.
Dans le domaine de l’ISR, les marchés dérivés de la RSE sont nombreux et variés. Novethic
publie régulièrement « le baromètre de l’investissement socialement responsable ». Un extrait de
son bilan 2015 permet d’en quantifier les dimensions : « L’ISR en France pèse 223 milliards
d’euros. Avec une évolution de + 29 % en 2012 contre + 69 % en 2011, la progression de l’ISR
ralentit, mais le marché affiche toujours une forte dynamique. »
Novethic est une société privée dont l’actionnaire unique est l’établissement public Caisse des
dépôts. Novethic est un entrepreneur institutionnel créé au début des années 2000 qui a fortement
contribué à l’institutionnalisation de l’ISR en délivrant gratuitement une information de qualité et en
proposant un label. Pour qu’un marché financier fonctionne, il importe que tous les maillons de
traitement de l’information financière soient présents et raisonnablement compétents. L’ISR ne fait
pas exception. L’information doit être collectée et mise en forme par l’entreprise qui aspire à
figurer dans les fonds ISR, c’est le processus qui aboutit au rapport de développement durable et
qui mobilise de nombreuses directions. La qualité de cette information sociale et environnementale
doit, pour être crédible, faire l’objet d’examen et de processus d’assurance, c’est souvent le travail
d’auditeurs. Cette information est ensuite traitée et recoupée par des agences d’évaluation
qualifiées d’« extrafinancières » pour aboutir à des notes qui sont vendues ou données à des
analystes spécialisés. Ces derniers vont produire des analyses qui permettront à des gestionnaires
de fonds, eux aussi spécialisés, de prendre des décisions d’investissement. Ainsi, toute cette
« chaîne financière » a été créée, le plus souvent ex nihilo, pour que se développe l’ISR.
La consommation socialement responsable revêt de nombreux visages, durable, équitable,
solidaire, citoyenne, éthique, voire ethnique. Ces aspirations et ces tentatives de changement de
rapports à la consommation sont relayées de manière diversifiée tant par une frange d’acteurs
économiques privés que par une fraction du champ institutionnel (organisations de consommateurs,
collectivités territoriales, organisations publiques) ou par des mouvements associatifs alternatifs
plus ou moins radicaux (commerce équitable, économie et finance solidaire, mouvements pour une
autre mondialisation, mouvements anticonsommation, mouvements antipublicité, etc.). Le processus
de marchandisation est plus important dans le cas d’acteurs privés. La grande distribution, par
exemple, s’appuie sur l’existence de labels du commerce équitable pour proposer de nouvelles
gammes de produits. Mais ce processus existe aussi avec les acteurs publics et associatifs qui
utilisent également des labels, publient des guides de consommation et ainsi entretiennent une
activité, parfois bénévole mais le plus souvent marchande, d’observation et de jugement à propos
de la consommation. Les budgets des associations qui participent à ce mouvement peuvent être très
importants, à titre d’exemple celui d’Oxfam dépasse le milliard de dollars.
IV. – Un travail de normalisation national et international
Dans d’autres pays, les organismes nationaux de normalisation ont également mis au point des
normes de responsabilité sociale mais avec assez peu d’impact hors de leurs frontières.
En dehors des institutions normalisatrices traditionnelles, internationales et nationales, d’autres
organismes ont proposé des normes, avec plus ou moins de succès.
L’OCDE propose, depuis 1976, des principes directeurs aux entreprises multinationales, les
gouvernements nationaux servant de relais. Ces principes ont été revus en mai 2011, en plus des
thèmes classiques de la RSE, ils abordent la fiscalité, la science, la technologie, etc. Le MEDEF dit
de ces principes que « s’ils n’ont pas un caractère obligatoire, ils ne sont pas pour autant
facultatifs ».
L’OIT (Organisation internationale du travail) est à l’origine d’un référentiel normatif dans le
domaine de la sécurité et de la santé au travail, ILO OSH (2001), moins utilisé cependant que la
norme britannique sur le même sujet, OHSAS 18001 (2007).
SAI (Social Accountability International), qui est une société issue d’un groupe de pression
américain, proposa dès 1997 la norme SA 8000 révisée en 2001. Cette norme certifiable est, pour
l’essentiel, dérivée des principes fondamentaux du droit du travail de l’OIT, de la Déclaration
universelle des droits de l’homme de l’ONU et de la Déclaration des droits de l’enfant de l’ONU.
Beaucoup d’autres initiatives suivirent, notamment au Royaume-Uni. L’institut AccountAbility a
élaboré, deux ans après SAI, une norme AA 1000 axée sur la qualité du dialogue et des échanges
avec les parties prenantes. Cette norme est couplée avec des principes de reddition de comptes,
mais elle est peu appliquée au-delà des frontières du Royaume-Uni. The GoodCorporation est
également une entreprise britannique qui a créé une norme portant son nom, norme à laquelle
adhèrent six entreprises du CAC 40 dont l’entreprise Total.
Mais, à une exception près, toutes ces démarches privées ne remportent pas une adhésion à la
hauteur des enjeux de la RSE. L’exception concerne la rédaction des rapports de développement
durable, car, sur ce sujet, une initiative privée est devenue une référence incontournable, la GRI,
Global Reporting Initiative. La GRI est une société créée en 1997, située à Amsterdam, qui publie
en association avec les programmes spécialisés de l’ONU des lignes directrices pour la production
de rapport de développement durable que nous présentons au chapitre VI.
1. D. Vogel, The Markets for Virtue. The Potential and Limits of Corporate Social Responsibility, Washington, Brookings
Institution Press, 2005.
2. L. Brès et J.-P. Gond, « The Visible Hands of Consultants in the Construction of the Markets for Virtue : Translating Issues,
Negotiating Boundaries, and Enacting Responsive Regulations », Human Relations, vol. 67, 2014, p. 1347-1382.
CHAPITRE III
Si les pratiques de RSE se sont diffusées puis institutionnalisées, les débats relatifs à la
définition de la RSE et à son bien-fondé économique ont continué, conduisant à une fragmentation des
approches théoriques. Il est possible de saisir le champ de la RSE dans toute sa diversité à partir
d’une grille d’analyse simplifiée qui articule les approches de la RSE à des représentations de
l’interface entre l’entreprise et la société. Une telle grille de lecture s’offre comme une synthèse des
travaux sur la RSE. Cet outil permet de clarifier le positionnement des acteurs de la RSE.
La RSE a fait l’objet de nombreux développements théoriques depuis les années 1950, dans la
lignée des débats suscités par les écrits de Friedman, Levitt ou encore Bowen. Dans un article
de 1999, Carroll ne dénombrait pas moins d’une vingtaine de définitions différentes, mettant toutes
l’accent sur l’idée que la RSE renvoie à la fois aux obligations des entreprises qui s’étendent au-delà
des dimensions purement techniques, financières, légales et économiques et aux actions des
entreprises qui affectent potentiellement ou concrètement les groupes qui sont en relation avec
l’entreprise. La RSE apparaît aujourd’hui encore dans une large mesure comme une notion en cours
de définition, dont la théorisation s’effectue par vagues successives, avec l’introduction de nouveaux
concepts. Deux grandes approches ont dominé ces développements. La première pose la question de
la définition de la RSE et s’attache à préciser la nature et les niveaux de responsabilité sociale
des entreprises, la seconde s’efforce d’analyser envers qui les entreprises sont (ou devraient être)
socialement responsables.
En simplifiant les développements concernant la construction d’une approche visant à définir le
concept de RSE, il est possible, à la suite de Bill Frederick et de Donna Wood, de distinguer trois
grandes phases dans l’élaboration théorique de ce concept 1. La première période renvoie aux débats
des années 1950 et 1960, elle a été dominée par la question de la définition des frontières et du
concept de RSE ainsi que par les discussions relatives aux fondements éthiques et économiques de
cette notion, dans le cadre des controverses évoquées dans le chapitre I. Cette période se caractérise
donc par une approche normative et philosophique de la RSE.
Pendant les années 1970, dans un contexte où les mouvements sociaux et environnementaux
prennent souvent pour cible les entreprises, la recherche sur la RSE prend un tournant plus
pragmatique et managérial, bien illustré par les travaux d’Ackerman et Bauer, qui se concentrent sur
la question de la gestion très concrète des problèmes sociaux et environnementaux 2. Ces auteurs
s’attachent en effet à étudier les modes de réaction des entreprises aux pressions externes issues de
l’environnement marchand et non marchand. Ils introduisent ainsi la notion de réactivité ou sensibilité
sociale de l’entreprise (Corporate Social Responsiveness, ou « CSR-2 ») qui renvoie aux processus
de gestion de la RSE par les entreprises ainsi qu’au déploiement et à la mise en œuvre des pratiques
de RSE.
À partir des années 1980 et 1990, un nouveau concept s’impose à son tour et succède à la notion
de sensibilité sociétale : la Performance sociétale de l’entreprise (PSE) (pour Corporate Social
Performance). La PSE s’offre tout à la fois comme une tentative de synthèse des deux approches
antérieures et comme une nouvelle perspective focalisant l’attention sur les capacités de gestion de la
RSE, les impacts des politiques de RSE et la mesure de ces impacts. En effet, la PSE intègre tout à la
fois le niveau des principes de responsabilité sociale (débats normatifs des années 1950 et 1960)
avec celui des processus de gestion des problèmes sociaux (sensibilité sociale des années 1970),
mais il complète ces approches en intégrant un troisième niveau d’analyse : celui des résultats et des
impacts concrets des politiques de RSE.
Au niveau des principes, la notion de PSE se veut englobante, puisqu’elle distingue et intègre
quatre niveaux de responsabilité sociale : les responsabilités économiques et juridiques – qui
correspondent à la vision restrictive de la RSE défendue par Milton Friedman – et les niveaux
éthiques et discrétionnaires – qui renvoient aux dimensions de la RSE qui vont au-delà d’une bonne
gestion et du respect du cadre légal. Ainsi, les responsabilités éthiques correspondent aux normes
sociales implicites – non codifiées par la loi –, dont le respect est requis par la société, tandis que
les responsabilités discrétionnaires renvoient aux comportements des entreprises qui dépassent ces
attentes, au travers de la réalisation, par exemple, d’activités philanthropiques (ex. : mécénat). À la
suite des travaux de Carroll, ces quatre niveaux sont souvent représentés sous la forme d’une
pyramide, dont la base serait constituée des responsabilités économiques, et le sommet des
responsabilités discrétionnaires 3.
La définition de la PSE la plus fréquemment mobilisée souligne le caractère très large et
englobant de cette notion. En effet, selon Donna Wood, la PSE peut se définir comme « une
configuration organisationnelle de principes de responsabilité sociale, de processus de sensibilité
sociétale ainsi que de politiques, programmes et de résultats observables qui sont liés aux relations
sociétales de l’entreprise 4 ».
La figure 1 (ci-dessous) représente ce cheminement théorique qui a permis de spécifier
progressivement les dimensions du concept de RSE entre les années 1950 et 2000, aboutissant à une
approche qui distingue trois niveaux : les principes et les valeurs qui guident la RSE, les processus
de gestion de la RSE et les résultats et impacts obtenus en matière de RSE. Parallèlement à ces
efforts, un courant théorique issu de la stratégie d’entreprise et de l’éthique des affaires s’est attaché
à la question de savoir vis-à-vis de qui l’entreprise est socialement responsable.
À partir des années 1980, la théorie des parties prenantes (stakeholder theory) s’est en effet
progressivement imposée comme un cadre de référence complémentaire visant à préciser les groupes
vis-à-vis desquels l’entreprise exerce (ou devrait exercer) ses responsabilités sociales. L’ouvrage de
Freeman (1984) a popularisé cette théorie, en proposant de définir comme « partie prenante »
l’ensemble des personnes ou des groupes qui sont susceptibles d’affecter et/ou d’être affectés par le
déroulement de la stratégie de l’entreprise 5. Cette approche élargie de la conception de
l’environnement de l’entreprise permet d’inclure dans l’analyse stratégique des groupes d’acteurs
auparavant négligés dans les travaux de gestion, tels que les organisations non gouvernementales, les
groupes activistes, les riverains, les groupes politiques, etc. Ce faisant, elle s’offre comme un moyen
de penser l’environnement sociopolitique de l’entreprise, au-delà des aspects purement économiques
et commerciaux 6. La théorie des parties prenantes s’est attachée à étudier les fondements normatifs,
descriptifs et instrumentaux sur lesquels repose la prise en compte de demandes de groupes externes
autres que les actionnaires 7.
La perspective normative de la théorie des parties prenantes vise à clarifier les raisons pour
lesquelles les demandes de groupes qui ne sont pas nécessairement en relation contractuelle explicite
avec les entreprises peuvent être légitimes et doivent donc être prises en compte. Cette approche
s’appuie sur l’éthique des affaires et des fondements philosophiques, tels que l’éthique kantienne, la
théorie de la justice de John Rawls ou encore la théorie des droits de propriété afin de justifier la
prise en compte des parties prenantes dans la gestion de l’entreprise. La perspective descriptive de
cette théorie s’efforce de montrer la pertinence empirique de ce cadre d’analyse en soulignant que les
managers et dirigeants tendent à penser leur activité comme la gestion de multiples relations avec des
groupes internes et externes. L’approche par « parties prenantes » serait déjà ancrée dans les modes
de gestion des entreprises et serait donc plus « naturelle » qu’une approche centrée sur les
actionnaires, car spontanément adoptée par les managers. Finalement, la perspective instrumentale
s’attache à étudier les conséquences économiques et financières de la gestion des parties prenantes et
à répondre à la question suivante : dans quelle mesure la prise en compte des demandes de parties
prenantes plus ou moins distantes d’une organisation contribue-t-elle à améliorer sa performance 8 ?
En combinant ces deux courants, il est possible de proposer une définition synthétique de la RSE
qui croiserait le modèle de performance sociétale de l’entreprise avec une description de
l’organisation comme réseau de parties prenantes, incluant les salariés, consommateurs, fournisseurs,
actionnaires, ainsi que tous les autres groupes avec lesquels l’organisation est en relation. Une telle
approche consolidée définirait la RSE comme les principes de responsabilité sociale, les processus
de gestion de la RSE et les résultats de cette gestion tels qu’ils se déploient dans les interactions
entre une organisation et ses parties prenantes.
Si une telle définition unifiée de la RSE est relativement consensuelle, cette représentation tend
toutefois à négliger de nombreuses théories et concepts qui se sont développés depuis les
années 1980, 1990 et 2000 pour préciser ou compléter les efforts de définition antérieurs. En effet,
au-delà des trois concepts de RSE 1, de RSE 2 et de PSE, et au-delà de la théorie des parties
prenantes, de nombreux concepts ont été proposés afin d’enrichir les approches antérieures ou de s’y
substituer en recentrant l’attention des chercheurs sur des dimensions spécifiques des relations entre
l’entreprise et ses parties prenantes.
Ainsi, la notion d’entreprise citoyenne a été mobilisée en France au début des années 1990 par
le Cercle des jeunes dirigeants pour qualifier des pratiques de gestion correspondant à la RSE, et
refait surface aujourd’hui dans le monde anglo-saxon pour étudier les conséquences politiques du
développement des pratiques de RSE. Le concept de Développement durable appréhendé selon la
perspective de l’entreprise est parfois assimilé à celui de RSE dans les textes officiels des
institutions telles que l’Union européenne ou les Nations unies. Par ailleurs, le concept plus
managérial de triple résultat (triple bottom line) a été proposé en 1997 par John Elkington comme un
substitut à la notion de RSE, afin de souligner la nécessité pour les entreprises de gérer
simultanément les dimensions sociales, environnementales et financières de la performance. Porter et
Kramer ont, quant à eux, proposé en 2011 la notion de « création de valeur partagée ». La figure 2
(page suivante) illustre cette prolifération de concepts et de théories qui génère une confusion
grandissante dans le champ académique dédié à la RSE 9. En effet, chaque nouveau concept ne se
substitue pas nécessairement au précédent et se pose tantôt comme complément, tantôt comme
alternative ou comme synthèse des concepts antérieurs. De plus, de nombreuses théories
appréhendent le phénomène sous des angles complémentaires, et une même théorie ou une même
approche de la RSE se décline selon des visions distinctes, parfois contradictoires (ex. : les
trois approches de la théorie des parties prenantes). Dès lors, il n’est pas surprenant qu’un grand
nombre d’auteurs soulignent les contradictions et les ambiguïtés de ce champ d’étude. Ainsi, pour
Elisabeth Garriga et Domènec Melé, la « responsabilité sociale de l’entreprise n’est pas seulement
un paysage composé de théories, c’est aussi une prolifération d’approches qui sont souvent
controversées, complexes et qui manquent de clarté 10 ».
Face à une telle démultiplication des concepts et des approches, une façon de clarifier le champ
de la RSE consiste à s’appuyer sur le plus petit dénominateur commun à tous les travaux portant sur
ce thème, à savoir l’idée que la responsabilité de l’entreprise vis-à-vis de la société est un concept
qui, par définition, caractérise l’interface de l’entreprise et de la société. Il découle de ce point
commun que tout concept de RSE incorpore nécessairement une représentation de cette interface,
c’est-à-dire articule une vision du monde à une théorie de l’entreprise ou de l’organisation. À partir
de ce postulat, il est possible d’organiser les définitions et les théories de la RSE qui se sont
développées jusqu’à aujourd’hui en fonction des représentations de l’interface entreprise/société 11.
A priori, on peut considérer qu’il existe une très grande diversité d’approches de l’interface
entreprise/société et en conséquence un très grand nombre de théories de la RSE. Un moyen d’éviter
d’effectuer un recensement exhaustif de toutes ces approches consiste à s’appuyer sur la grille
d’analyse développée par Burrell et Morgan en 1979 pour classer les travaux sociologiques et les
grands courants de théorie des organisations en fonction de leurs orientations épistémologiques et
sociopolitiques 12. Cette grille est structurée selon deux axes.
Le premier axe est épistémologique et méthodologique, il oppose les approches objectivistes (ou
positivistes) en sciences sociales, qui considèrent que la réalité sociale existe indépendamment de
son observation et s’intéresse à la recherche de relations stables entre les concepts, aux approches
plus subjectivistes qui considèrent la société comme une construction sociale négociée et s’attachent
à étudier les représentations des acteurs, leurs interprétations et les processus grâce auxquels ils font
sens de leurs interactions et de leur environnement.
Le second axe de la grille de lecture de Burrell et Morgan oppose les approches s’efforçant
d’expliquer et d’analyser les mécanismes grâce auxquels la société peut se reproduire dans le temps
et voir ses composantes rester intégrées (ex. : sociologie parsonnienne) aux travaux qui se focalisent
sur les changements sociaux et cherchent à rendre des comptes de ces dynamiques de changement
radical (ex. : sociologie marxiste).
En adaptant cet outil au champ de la gestion, il est possible de distinguer quatre perspectives
contrastées de l’interface entreprise/société auxquelles correspondent quatre visions de la RSE qui
sont présentées sur la figure 3.
o
1. D. J. Wood, « Corporate Social Performance Revisited », Academy of Management Review, vol. 16, n 4, 1991, p. 691-718 ;
W. C. Frederick, « From CSR 1 to CSR 2 : the Maturing of Business and Society Thought », Working Paper Graduate School of
Business, Pittsburgh, University of Pittsburgh, 1978.
2. R. Ackerman, R. Bauer, Corporate Social Responsiveness : the Modern Dilemna, Virginia, Reston Publishing Company, 1976.
3. Voir A.B. Carroll, « A Three Dimensional Conceptual Model of Corporate Social Performance », Academy of Management Review,
vol. 4, 1979, p. 497-505.
4. D.J. Wood, op. cit., p. 693.
5. R. E. Freeman, op. cit., 1984.
6. A.-C. Martinet, Management stratégique : organisation et politique, McGraw-Hill, 1984.
7. T. Donaldson, L. E. Preston, « The Stakeholder Theory of the Corporation : Concepts, Evidence and Implications », Academy of
o
Management Review, vol. 20, n 1, 1995, p. 65-91.
8. Pour une synthèse des développements récents de la théorie des parties prenantes, voir B.L. Parmar, R.E. Freeman, J.S. Harrison,
A. C. Wicks, P. Purnell et S. de Colle, « Stakeholder Theory : the State of the Art », Academy of Management Annals, vol. 403, nº 4,
2010, p. 403-445.
9. Schéma construit d’après. A. Mohan, Strategies for the Management of Complex Practices in Complex Organizations : a Study
of the Transnational Management of Corporate Responsibility, thèse de doctorat, Royaume-Uni, université de Warwick, 2003.
10. E. Garriga, D. Melè, « Corporate Social Responsibility : Mapping the Territory », Journal of Business Ethics, vol. 53, 2004, p. 51.
11. Source : J.-P. Gond, « La responsabilité sociale au-delà du fonctionnalisme : vers un cadre d’analyse pluraliste de l’interface
entreprise/société. », Finance Contrôle Stratégie, vol. 14, nº 2, 2011, p. 37-66.
12. G. Burrell, G. Morgan, Sociological Paradigms and Organization Analysis. Elements of the Sociology of Corporate Life,
Newcastle, Athenaeum Press, 1979.
13. L. E. Preston, J. E. Post, Private Management and Public Policy : the Principle of Public Responsibility, New Jersey, Prentice-
Hall, 1975.
14. T. Parsons, Societies. Evolutionary and Comparative Perspectives, New Jersey, Prentice-Hall, 1966.
15. K. Davis, « The Case for and against Business Assumptions of Social Responsibilities », Academy of Management Journal, vol. 16,
o
n 2, 1973, p. 312-322.
16. M. Porter, M. Kramer, « Strategy and Society. The Link between Competitive Advantage and Corporate Social Responsibility »,
o
Harvard Business Review, vol. 84, n 12, 2006, p. 78-92.
17. M. Porter, M. Kramer, « Creating Shared Value. How to Reinvent Capitalism and Unleash a Wave of Innovation and Growth »,
Harvard Business Review, 2011, p. 62-77.
18. D. Vogel, op. cit., 2005.
19. Une synthèse de la perspective critique sur la RSE est proposée par A. El-Akremi, I. Dhaouadi, J. Igalens, « La responsabilité
sociale de l’entreprise sous l’éclairage des Critical Management Studies : vers un nouveau cadre d’analyse de la relation entreprise-
o
société », Finance-Contrôle-Stratégie, vol. 11, n 3, 2008, p. 65-94. Les débats critiques ont aussi été ravivés par l’ouvrage de
P. Fleming et M. Jones, The End of Corporate Social Responsibility : Crisis and Critique, Londres, Sage, 2013 ; et un numéro
spécial de la revue Organization publié en mai 2013.
20. Voir D. Matten, A. Crane, « Corporate Citizenship : toward an Extended Theoretical Conceptualization », Academy of Management
o
Review, vol. 30, n 1, 2005, p. 166-179. Le Journal of Management Studies a consacré en 2015 un numéro spécial au thème de la RSE
politique.
21. D.L. Swanson, « Toward an Integrative Theory of Business and Society : a Research Strategy for Corporate Social Performance »,
o
Academy of Management Review, vol. 24, n 3, 1999, p. 506-521.
22. Pour une synthèse complète, voir : F. Maon, A. Lindgreen et V. Swaen, « Organizational Stages and Cultural Phases : a Critical
Review and a Consolidative Model of Corporate Social Responsibility Development », International Journal of Management Reviews,
vol. 12, nº 1, 2010, p. 20-38. Voir aussi : Bertels S., Papania L. et Papania D., « Embedding Sustainability in Organizational Culture : A
Systematic Review of the Body of Knowledge », London, ON : Network for Business Sustainability, Simon Fraser University, 2010.
Disponible en ligne : http://www.nbs.net/wp-content/uploads/dec6_embedding_sustainability.pdf.
23. Voir I. Maignan, O. C. Ferrell, « Measuring Corporate Citizenship in Two Countries : the Case of United States and France »,
Journal of Business Ethics, vol. 23, 1999, p. 283-297.
24. D. Matten, J. Moon, « “Implicit” and “Explicit” CSR : a Conceptual Framework for Understanding CSR in Europe », Academy of
o
Management Review, vol. 33, n 2, 2008, p. 404-424.
25. J.-G. Padioleau, « L’éthique est-elle un outil de gestion ? », Revue française de gestion, vol. 74, 1989, p. 82-91.
26. S. Beaulieu, J. Pasquero, « Reintroducing Stakeholder Dynamics in Stakeholder Thinking. A Negociated-Order Perspective », in
J. Andriof, S. Waddock, B. Husted, S. S. Rhaman (ed.), Unfolding Stakeholder Thinking : Theory, Responsibility and Engagement,
Greenleaf Publishing, 2002.
27. A. Acquier, Les Modèles de pilotage du développement durable : du contrôle externe à la conception innovante, thèse de
doctorat en sciences de gestion, École des Mines de Paris, 2007.
28. Voir F. Déjean, L’Investissement socialement responsable, Paris, Vuibert, 2006 ; J.-P. Gond, Gérer la performance sociétale de
l’entreprise, Paris, Vuibert, 2010 ; S. Giamporcaro et J.-P. Gond, « Calculability as Politics in the Construction of Markets : The Case of
Socially Responsible Investment in France », Organization Studies, 2016 (à paraître).
CHAPITRE IV
Un adage célèbre affirme que « ce qui n’est pas mesuré n’est pas géré », et la doctrine de
Lord Kelvin, affichée sur le frontispice de l’université de Chicago, nous rappelle que si « l’on ne
peut mesurer, notre connaissance est maigre et insatisfaisante ». La prise en compte sérieuse de la
RSE par les entreprises tout comme l’étude scientifique de cette notion par le monde académique
supposent donc que l’on puisse parvenir à la mesurer. Après avoir analysé les enjeux pratiques et
théoriques de la mesure de la RSE, les approches de cette mesure sont présentées. Les obstacles au
développement de mesures robustes de RSE sont finalement évalués.
Source : A. El Akremi, J.-P. Gond, V. Swaen, K. De Roeck, J. Igalens, « How do Employees Perceive Corporate
Responsibility ? Development and Validation of the Multidimensional Corporate Stakeholder Responsibility Scale »,
Journal of Management, 2016 (à paraître).
Les agences de notation sociale, aussi appelées organismes d’analyse sociétale ou encore
agence de rating social et environnemental, se sont développées entre la fin des années 1980 aux
États-Unis et en Angleterre (création de EIRIS en 1983, de KLD en 1988) et à la fin des
années 1990 (création d’ARESE en 1997) en France et dans le reste du monde. Elles ont pour
objectif la production d’une information synthétique sur les performances des entreprises en matière
éthique, sociale et environnementale à destination des investisseurs, et peuvent être des
organisations à but non lucratif tout comme des entreprises à part entière. Certaines agences de
notation utilisent aussi leurs données pour construire et commercialiser des produits financiers
éthiques et/ou produisent des indices boursiers éthiques ou socialement responsables qui intègrent
les entreprises jugées plus responsables. L’agence KLD, par exemple, a joué un rôle pionnier dans
ce domaine, en offrant en 1990 le premier indice dit « éthique » le Domini Social Index 400.
L’analyse sociétale est définie par l’Observatoire de la responsabilité sociétale des entreprises
(ORSE) comme l’activité permettant de « mesurer la qualité des engagements, des politiques et des
performances sociales, environnementales et de gouvernance de l’entreprise. À partir des
informations […] communiquées par l’entreprise ou révélées par d’autres parties prenantes (les
ONG, les médias, etc.), l’organisme d’analyse sociétale évalue les engagements, les politiques
mises en œuvre et les performances de l’entreprise liées à ses activités économiques et à ses
impacts sociaux, environnementaux et de gouvernance. L’organisme établit, sur la base d’un
ensemble de critères pertinents pondérés selon leur degré d’importance, un score ou une note
globale qui positionne l’entreprise sur une échelle de notation 4 ». D’après cette même source, les
méthodes de ces organismes d’évaluation se répartissent en trois catégories :
– les approches fondées sur les méthodes d’exclusion, telles que celles employées par les premiers
fonds éthiques et visant à identifier – pour pouvoir les exclure des politiques d’investissement – les
entreprises appartenant à certains secteurs (ex. : alcool, tabac, armement) ou adoptant certaines
pratiques (ex. : tests sur les animaux) jugées inadéquates à l’aune de critères moraux, religieux ou
éthiques ;
– les approches fondées sur la performance, plus managériales, qui visent à évaluer au travers de
critères positifs, souvent quantifiés et en général grâce à des méthodes comparatives (d’où leur
autre nom d’approche best-in-class), la performance des entreprises dans des domaines sociaux ou
environnementaux (ex. : quelles sont les entreprises qui traitent le mieux leurs employés dans le
domaine de la GRH dans le secteur bancaire ?) ;
– les approches fondées sur les risques et les opportunités, qui s’attachent à cerner les risques
sociaux et environnementaux associés aux entreprises et qui présentent la RSE aux investisseurs
comme un outil complémentaire de gestion des risques.
Il existe aujourd’hui une trentaine d’organismes d’évaluation dans le monde, basés pour la
majorité d’entre eux soit en Europe, soit en Amérique du Nord et dont l’inventaire a été publié et
actualisé en 2012 sur le site Internet de l’ORSE 5.
Au-delà des spécificités de chaque organisme, il est possible de schématiser leur processus de
traitement de l’information en s’appuyant sur une vision systémique de leur mode de
fonctionnement, conformément à la figure 4 page suivante. Ces agences peuvent être appréhendées
comme des « systèmes » s’appuyant sur des principes directeurs ou modèles pour transformer,
grâce à une méthodologie, des « données brutes » relatives aux entreprises (input) et collectées
auprès de diverses sources (les entreprises elles-mêmes, des ONG ou d’autres parties prenantes) en
« données raffinées » (output) qui prennent soit la forme de rating, de scores, de séries de chiffres
ou d’indicateurs et qui reflètent la performance relative des entreprises dans différents domaines de
la gestion de leur RSE.
Le degré de sophistication des techniques à chaque maillon de la production des notations varie
grandement d’une agence à une autre, en fonction des objectifs de l’agence, des demandes de ses
clients, des moyens dont elle dispose et de son expérience dans le domaine de la notation.
Ainsi, les méthodes les plus avancées combinent des informations issues de multiples parties
prenantes, des consultations avec les ONG avec des informations primaires (ex. : entretiens avec
les managers) et secondaires (ex. : informations publiées dans la presse) au lieu de ne se référer
qu’à une unique source. Ces méthodes de collecte sont parfois explicitées au travers d’un manuel de
qualité qui définit les étapes de l’analyse, les procédures de va-et-vient entre les différentes parties
prenantes pendant le processus de notation, ce qui garantit la fiabilité du processus de collecte. En
termes d’analyses et de traitement, les agences les plus avancées organisent et évaluent les
informations recueillies grâce à des référentiels clairement définis et administrés et traitent cette
information à l’aide de techniques statistiques robustes. Elles produisent in fine des classements ou
notation, d’entreprises présentant parfois de bonnes qualités statistiques en termes de fiabilité de
leur mesure et de validité.
Le modèle d’évaluation de l’entreprise Vigeo constitue un bon exemple de méthodologie
aujourd’hui relativement avancée et sophistiquée. Les grandes lignes de sa méthodologie sont
synthétisées dans l’encadré 5 ci-après.
Encadré 5. – Un exemple de méthodologie d’agence de
notation : Vigeo
L’entreprise Vigeo, aujourd’hui dirigée par Nicole Notat, s’est appuyée sur l’expérience de l’agence Arese (créée
en 1997) avec laquelle elle a fusionné en 2002 pour élaborer sa méthode d’évaluation de la performance sociale et
environnementale des entreprises. Vigeo s’impose aujourd’hui comme le système de mesure le plus utilisé sur le marché
français de l’investissement socialement responsable. C’est aussi l’une des principales agences de notation européennes,
suite à sa fusion avec de nombreuses organisations situées dans des pays européens.
La méthode d’évaluation de Vigeo s’appuie sur un ensemble de principes définis à partir d’un ensemble de textes,
chartes et codes de référence fondamentaux émanant d’institutions telles que l’OIT ou l’OCDE et qui définissent des
principes d’action. Selon l’agence, ces principes sont « opposables » à toutes les entreprises car, d’après ces textes,
« leur prise en compte et leur promotion sont non seulement souhaitables, mais nécessaires ».
Ces principes d’action sont organisés en six domaines d’évaluation présentés ci-après, qui couvrent 37 critères et
200 objectifs de RSE.
Les domaines d’évaluation
• Droits humains : droits humains fondamentaux, libertés syndicales, négociation collective, non-discrimination, lutte
contre le travail forcé et le travail des enfants.
• Ressources humaines : dialogue social, conditions de travail, santé et sécurité, valorisation des emplois et des
compétences, systèmes de rémunérations.
• Environnement : protection de l’environnement dans la fabrication, la distribution, l’utilisation et l’élimination du
produit.
• Comportements sur les marchés : relations avec les clients, les fournisseurs et les sous-traitants, respect des règles
concurrentielles, prévention de la corruption.
• Gouvernement d’entreprise : conseil d’administration, audits et mécanismes de contrôle, droits des actionnaires,
rémunération des dirigeants.
• Engagement sociétal : impacts sur les territoires d’implantation, contribution au développement économique et
social, causes d’intérêt général.
Selon les secteurs, l’organisation tient compte et pondère de manière différenciée les composantes de ces
six domaines.
Pour chacun de ces domaines, Vigeo évalue neuf dimensions appelées « angles d’approches » et qui correspondent
au discours, à la mise en œuvre et aux résultats obtenus en matière de RSE, selon un référentiel inspiré des méthodes de
gestion de la qualité.
Les angles d’approche
• Les politiques et les objectifs : visibilité (intégration des objectifs de RSE dans le but de l’organisation), contenu
(exhaustivité des buts aux objectifs) et portage (attribution de responsabilités managériales).
• Le déploiement : processus (formalisation des procédures) ; moyens mis en œuvre (tangibilité des moyens et
adéquation aux buts) ; contrôle et reporting (intègre les modalités de contrôle internes et externes).
• Les résultats : indicateurs (niveaux absolus et variation dans le temps) ; point de vue des parties prenantes
(appréciation des engagements) ; controverses/tendances (gravité des allégations, degré de transparence de l’entreprise).
Un score est attribué sur une échelle en quatre points pour évaluer chacune de ces dimensions. Les scores sont
ensuite consolidés pour chacun des six principaux domaines.
Calcul d’un rating
(évaluation comparative sectorielle)
C’est à partir de ces scores que la position d’une entreprise est comparée par rapport à la moyenne de son secteur,
pour évaluer s’il s’agit d’une entreprise faisant partie des entreprises les moins avancées du secteur (notées – –), en
dessous de la moyenne du secteur (–), dans la moyenne du secteur (=), au-dessus de la moyenne du secteur (notées +)
ou parmi les plus avancées du secteur (notées + +) pour chacun des six domaines. Le rating final pour une entreprise X
prendra donc la forme d’une série de six ratings renvoyant au positionnement relatif des six scores de l’entreprise
considérée par rapport aux entreprises de son secteur :
er
Source : documents du site Internet de Vigeo, consulté le 1 septembre 2008 :
http://www.vigeo.com/csr-rating-agency/fr/blogcategory/methodologie-vigeo.html
http://www.vigeo.com/csr-rating-agency/images/pdf/Products/isr/brochure_isr_vigeo.pd
Les données des agences de notation ont permis de réaliser des progrès substantiels dans la
mesure empirique de la RSE en se substituant progressivement à des mesures moins valides et en
synthétisant de nombreuses données disponibles de manière cohérente et sous forme quantifiée. Au-
delà de cet apport, la mise en chiffre de la RSE opérée par les agences de notation a aussi
directement participé au développement des nouveaux marchés de la vertu, par exemple en offrant
des solutions techniques aux investisseurs soucieux de construire des produits intégrant les
dimensions socialement responsables et en apportant plus de crédibilité et de légitimité au thème de
la RSE sur la place financière 6. Cette évolution s’inscrit dans un mouvement de
professionnalisation des acteurs de l’investissement socialement responsable qui est aujourd’hui
bien amorcé.
Cependant, les mesures des agences ne constituent pas une solution définitive à tous les
problèmes évoqués antérieurement. D’une part, la diversité des mesures reste souhaitable car
certaines approches sont fortement complémentaires. D’autre part, les systèmes aujourd’hui
proposés par les agences ne constituent pas une panacée.
En effet, plusieurs problèmes liés à ces mesures ont été mis en lumière par des études récentes.
Ainsi, la structure interne des données produites par les agences ne reflète pas toujours les
dimensions théoriques des modèles de PSE, et certaines méthodes d’évaluation manquent de
fondements théoriques solides. Ensuite, une étude récente sur la validité des données produites par
l’agence KLD, qui a corrélé les scores produits par cette agence aux scores des mêmes entreprises
évaluées par d’autres agences, a souligné la faible convergence de ces mesures. La covariance des
mesures avoisine les 20 %, ce qui est insuffisant pour considérer que toutes ces métriques mesurent
effectivement un même concept de RSE 7. Finalement, une seconde étude sur la même organisation
portant uniquement sur ses données environnementales montre que si la capacité de l’agence à
synthétiser l’information passée est bonne, son pouvoir prédictif des performances futures des
entreprises est quasiment nul 8. Les mesures développées par les agences restent donc perfectibles à
l’aune des critères de validité scientifique, même si ces organisations ont progressé de manière
importante sur leur courbe d’expérience pendant les dernières années.
À ces problèmes de fiabilité s’ajoutent des problèmes d’ordre économique et managérial.
Comme le montre la thèse d’Emma Avetisyan, les agences de notation extrafinancière peinent à
construire des modèles d’affaires stables assurant à la fois leur viabilité économique et leur
indépendance. Pour faire face à ces défis, l’industrie de la notation s’est engagée depuis les dix
dernières années dans une phase de consolidation qui pourrait conduire à la constitution d’un
oligopole, comme dans le cas de la notation financière 9.
Le développement de collaborations entre chercheurs et agences de notation permettra sans
doute dans le futur de faire encore progresser le champ encore émergent de la mesure de la RSE
tant du point de vue académique que managérial. Les forces institutionnelles évaluées au chapitre II,
en systématisant et en fiabilisant la production de données sur leur RSE par les entreprises,
contribueront elles aussi à consolider ces pratiques d’évaluation de ce concept.
1. S. Waddock, The Difference Makers. How Social and Institutional Entrepreneurs Created the Corporate
Responsibility Movement, Sheffield, Greenleaf Publishing, 2008.
2. Cette section s’appuie sur J. Igalens et J.-P. Gond, « La mesure de la performance sociale de l’entreprise : une analyse
critique et empirique des données ARESE », Revue de gestion des ressources humaines, vol. 50, 2003, p. 111-130.
3. Cette métaphore pirandellienne a été utilisée par A. Ullmann, « Data in Search for a Theory : a Critical Examination of the
Relationship Among Social Performance, Economic Disclosure and Economic Performance of US Firms », Academy of Management
Review, vol. 10, 1985, p. 540-557. Pour une synthèse actualisée sur les problèmes liés à la mesure de la PSE, voir J.-P. Gond,
A. Crane, « Corporate Social Performance Disoriented : Saving the Lost Paradigm ? », Business and Society, vol. 49, nº 4, 2010,
p. 677-703.
4. Cette définition est fournie dans la version courte du Guide des organismes d’analyse sociale et environnementale, 2007, p. 3,
disponible sur Internet : http://www.orse.org/
5. Voir le lien : http://www.orse.org/guide_des_organismes_d_analyse_sociale_et_environnementale-52-246.html
6. Voir F. Déjean, J.-P. Gond, B. Leca, « Measuring the Unmeasured : an Institutional Entrepreneur Strategy in an Emerging
o
Industry », Human Relations, vol. 56, n 7, 2004, p. 741-764.
7. A. K. Chatterji, R. Durand, D. I. Levine, S. Touboul, « Do Ratings of Firms Converge ? Implications for Managers, Investors and
Strategy Researchers », Strategic Management Journal, 2015 (à paraître).
8. A. K. Chatterji, D. I. Levine, M. W. Toffel, « How Well Do Social Ratings Actually Measure Corporate Social Responsibility ? »,
o
Journal of Economics and Management Strategy, vol. 18, n 1, 2009, p. 125-169.
9. E. Avetisyan, Corporate Social Responsibility Rating Agencies’ Influence and Contribution to the Standardization and
Institutionalization of the CSR Field, thèse de doctorat, université de Genève et Skema Business School, 2013.
CHAPITRE V
Les explications théoriques visant à clarifier la nature des relations entre performances
sociétale et financière sont nombreuses. Elles peuvent être organisées en distinguant trois
catégories : les explications postulant l’existence de relations linéaires entre ces deux construits,
les explications suggérant l’absence de liens entre les deux construits et finalement les explications
postulant l’existence de relations non linéaires entre ces deux variables. Le tableau 4 synthétise les
huit hypothèses renvoyant à ces différentes explications que nous détaillons ci-après.
Hypothèse 1 : la PSE influence positivement la PF. Selon cette hypothèse, dite du « bon
management » ou de l’« impact social positif », les entreprises ayant un niveau de PSE élevé
démontrent leur capacité à maîtriser les coûts implicites et les externalités négatives de
l’organisation et signalent ainsi aux parties prenantes la qualité de leur gestion. Ainsi, les
investisseurs vont interpréter une forte PSE comme un signal de qualité gestionnaire et récompenser
financièrement par leurs comportements les entreprises les plus socialement responsables. Les
stakeholders qui cherchent à exercer une pression sur les entreprises se focaliseront sur des
concurrents présentant un niveau de PSE plus faible, etc. In fine, les entreprises les plus
performantes sur les critères extrafinanciers bénéficieront donc de comportements des parties
prenantes relativement plus favorables que leurs concurrentes et auront donc une performance
financière plus élevée. Cette hypothèse a été défendue par les tenants de la théorie instrumentale des
parties prenantes qui considèrent qu’une meilleure prise en compte des parties prenantes se traduira
par une amélioration de la performance économique.
Depuis 1972, plus de 300 études empiriques ont cherché à tester la nature des relations entre la
PSE et la PF. La plupart de ces travaux s’appuient sur l’une des mesures de PSE présentées dans le
chapitre IV et une ou plusieurs mesure(s) de performance financière et appliquent des techniques de
régression afin d’évaluer la mesure dans laquelle la PSE influence la PF.
Fig. 5. – Les résultats de 109 études sur les liens PSE-PF (causalité PSE → PF)
Des bilans de ces études empiriques ont été publiés régulièrement. La figure 5 présente une
synthèse des principaux résultats obtenus par les 109 études empiriques publiées entre 1972 et 2002
qui se sont attachées à évaluer l’influence de la PSE sur la PF 6. Ce graphique montre l’évolution de
la popularité de ce thème de recherche pendant les années 1990 et signale qu’une majorité d’études
exhibe une relation positive entre PSE et PF (environ 50 % au total). Toutefois, une proportion non
négligeable de recherches identifie un lien neutre (relation statistiquement non significative, 26 %)
ou présente des résultats mixtes (18 %), la relation avec la PF étant par exemple positive pour
certaines dimensions de la PSE (ex. : PSE orientée vers les parties prenantes primaires telles que
les employés et les consommateurs) et négatives pour d’autres (ex. : activités purement
philanthropiques). Cependant, la proportion d’études ayant mis en évidence une relation négative
entre PSE et PF est au total extrêmement faible (6 %). Cette première approche de ces travaux
confirme la plausibilité de l’hypothèse du « bon management » (H. 1) et, dans une moindre mesure,
de l’existence de relations plus complexes (H. 8).
Dans ce même bilan des recherches, Margolis et Walsh soulignent que presque toutes les études
qui ont étudié une causalité inversée, allant de la PF vers la PSE, mettent en lumière une relation
positive, affirmant la plausibilité de l’hypothèse du slack organisationnel (H. 3) par rapport à celle
de l’opportunisme managérial (H. 4).
Cependant, un tel bilan des travaux présente de nombreuses limites d’un point de vue
méthodologique, car il revient à considérer que toutes les études empiriques se valent, alors que la
nature des échantillons d’entreprises considérées (taille et secteur) diffère d’une recherche à
l’autre, ainsi que l’opérationnalisation de la PSE et de la PF. Ainsi, une forte corrélation obtenue
avec une mesure robuste de PSE pour un grand nombre d’entreprises et en contrôlant de nombreux
effets devrait être pondérée plus fortement dans le bilan des recherches qu’un résultat s’appuyant
sur un seul secteur et mesurant les construits de PSE et PF avec des mesures moins solides. Pour
tenir compte de ces limites, une vague de travaux s’est attachée à appliquer les techniques de méta-
analyse à ce corpus de recherches. Ces techniques permettent de mesurer une corrélation globale
entre les concepts qui tiennent compte des biais à l’échantillonnage, aux modes de mesure de la
PSE et de la PF ainsi qu’aux variables de contrôle introduites ou non dans les études. Les résultats
de quatre méta-analyses conduites en 2003, 2005, 2009 et 2015, s’accordent sur l’existence d’une
relation statistique faible, mais positive, entre la PSE et la PF 7.
1. Extrait d’une interview de Michael Porter par Mette Morsing (« CSR – A Religion With Too Many Priests ? ») réalisée en
septembre 2003 à la Copenhagen Business School.
2. J. D. Margolis, H. A. Elfenbein, J.-P. Walsh, « Does it Pay to Be Good… And Does it Matter ? A Meta-Analysis of the
Relationship between Corporate Social and Financial Performance », March 1, 2009. Disponible sur SSRN :
http://ssrn.com/abstract=1866371. Les biais en faveur de la publication d’études présentant des relations positives entre RSE et
performance financière sont présentées par M. Orlitzky, « Institutional Logics in the Study of Organizations : the Social Construction of
the Relationship between Corporate Social and Financial Performance », Business Ethics Quarterly, 2011, vol. 21, nº 3, p. 409-444.
3. S.D. Waddock, S.B. Graves, « The Corporate Social-Financial-Performance Link », Strategic Management Journal, vol. 18, 1997,
p. 303-319.
4. A. McWilliams, D. Siegel, « Corporate Social Responsibility : a Theory of the Firm Perspective », Academy of Management
Review, vol. 26, 2001, p. 117-127.
5. M.L. Barnett, R.M. Salomon, « Beyond Dichotomy : the Curvilinear Relationship between Social Responsibility and Financial
o
Performance », Strategic Management Journal, vol. 27, n 11, 2006, p. 1101-1122.
6. Graphique construit d’après les données de J. Margolis, J.P. Walsh, op. cit., 2003, et issu de J.-P. Gond, op. cit., 2006, p. 364.
7. J. Allouche, P. Laroche, « A Meta-Analytical Investigation of the Relationship between Corporate Social and Financial
Performance », Revue française de gestion des ressources humaines, 57, 2005, p. 18-41 ; J. Margolis, H. Elfenbein, J. Walsh,
op. cit., 2009 ; M. Orlitzky, S. Rynes, F.L. Schmidt, « Corporate Social and Financial Performance : a Meta-Analysis », Organization
o
Studies, vol. 24, n 3, p. 403-441 ; Q. Wang, J. Dou, J. Shenghua, « A Meta-Analytic Review of Corporate Social and Financial
Performance : The Moderating Effect of contextual Factors », Business and Society, 2016 (à paraître).
8. . « The 2007 Global Business Barometer », Economist Intelligence Unit, 2008.
9. Voir M. Orlitzky, « Corporate Social Performance and Financial Performance. A Research Synthesis », in A. Crane, D. Matten,
A. McWilliams, J. Moon, D. Siegel (eds.), The Oxford Handbook of Corporate Social Responsability, Oxford, Oxford University
Press, 2008, p. 113-134.
CHAPITRE VI
La relative rapidité avec laquelle la RSE s’est imposée dans le paysage gestionnaire s’explique
en partie par la mise à disposition des entreprises d’outils de gestion performants concernant de
nombreuses applications. Pour Hatchuel et Weil (1992), l’existence d’un outil de gestion suppose
un substrat technique, une philosophie gestionnaire et une vision simplifiée des relations
organisationnelles 1. Concernant la RSE, le substrat technique varie d’un outil à l’autre, car chaque
profession de gestion qui intervient dans le domaine de la RSE a moins cherché à créer un outil
ex nihilo qu’à proposer une extension adaptée à la RSE des outils déjà à sa disposition. Ainsi, les
auditeurs ont moins cherché à auditer la RSE qu’à rendre la RSE auditable. La philosophie
gestionnaire en revanche a pu, parfois, faire l’objet de controverse et notamment concernant le
business case de la RSE : la RSE relève-t-elle de l’ordre des fins ou de celui des moyens ? Doit-on
mettre en œuvre la RSE pour accroître le profit ou pour d’autres raisons telles que la recherche de
pérennité, de légitimité de l’entreprise, l’exigence éthique ?
La vision des relations organisationnelles dépend, en partie, de la réponse à ces questions, car
le rôle et la place des parties prenantes, autres que les actionnaires, ne sont pas les mêmes suivant
le cas. Parmi les outils de la RSE les plus utilisés figurent le reporting social, l’audit de la RSE et
enfin la dimension RH de la RSE.
I. – Le reporting social
– indicateurs de performance de base : par exemple, l’indicateur LA1 concerne l’effectif total par
type d’emploi, contrat de travail et zone géographique ;
– indicateurs supplémentaires : par exemple, l’indicateur LA3 concerne les prestations versées aux
salariés à temps plein qui ne sont pas versées aux intérimaires, ni aux salariés en CDD ;
– indicateurs sectoriels : par exemple, pour le secteur des mines, il est demandé de décrire les
procédures d’indemnisation et de réalisation lorsque l’entreprise ferme un site.
La GRI recommande que les informations contenues dans les rapports soient l’objet de
vérification. Le contrôle interne et des missions d’audit interne peuvent contribuer à ce résultat,
mais généralement il est également demandé de recourir à des vérificateurs externes du fait de leur
indépendance, même s’ils sont payés par l’entreprise pour accomplir ce travail. Les grands cabinets
d’audit proposent des services en appliquant des méthodes d’audit dérivées de l’audit comptable.
Leurs conclusions se traduisent par une « attestation d’assurance » qui peut être « modérée » en cas
de vérification superficielle ou « raisonnable » si le travail de l’auditeur est plus approfondi.
Toutefois, le recours à l’évaluation par d’autres acteurs, les panels de parties prenantes notamment,
a tendance à se développer. Ils s’ajoutent plus qu’ils ne remplacent le travail des cabinets d’audit.
À la suite du modèle de Wood (1991) [voir chap. III et IV], on compare parfois la PSE à une
pyramide à trois degrés :
– le sommet est constitué par les principes (précaution, équité, transparence, etc.) et les engagements
que l’entreprise a souscrits vis-à-vis de ses parties prenantes ;
– le centre se compose de processus de déploiement opérationnel ;
– la base comprend l’ensemble des résultats obtenus.
Ainsi, le principe d’équité peut se traduire par des processus de fixation des salaires, des
primes et des augmentations, tandis que les résultats de ce principe et de ces processus sont
constitués par les décisions prises et par les niveaux de rémunération absolus et relatifs qui
résultent de ces décisions. L’audit (interne ou externe) de la RSE portera, d’une part, sur l’existence
et la qualité des processus au regard des principes et des engagements, et d’autre part, sur les
résultats atteints au regard des principes, des engagements et des processus. La gestion d’une RSE
arrivée à maturité consiste en un bon alignement des trois niveaux : les principes et les engagements
de RSE sont clairement exprimés et communiqués, ils sont déployés en processus efficaces et
efficients et l’ensemble donne de bons résultats, exprimés de façon compréhensible et avec
transparence.
L’audit de la RSE peut être interne ou externe. Dans le premier cas, l’audit interne a pour
première mission de « contrôler » la qualité du contrôle interne : tout débute par une analyse des
risques qui est réalisée une ou plusieurs fois par an. Cette analyse met en évidence et évalue les
risques liés à la RSE, ils sont nombreux. Ils peuvent concerner la non-conformité de certaines
pratiques de l’entreprise par rapport aux différentes législations et réglementations existantes dans
le domaine social et environnemental. La notoriété, l’image de marque de l’entreprise peuvent être
compromises lors de controverses avec les parties prenantes. Le non-respect d’engagements
souscrits peut fermer à l’entreprise des opportunités de marché ou d’approvisionnement. Un manque
de réactivité par rapport à certains clients de plus en plus sensibilisés à la cause écologique peut
faire perdre du chiffre d’affaires. Des atteintes à l’éthique sont de nature à sanctionner l’entreprise
sur certains marchés publics. Cette liste, non exhaustive, illustre la diversité des risques rattachés à
la RSE. En fonction de cette analyse, la direction générale planifie des missions d’audit de la RSE,
l’articulation entre audit interne et externe dépend souvent des moyens de la direction de l’audit
interne, l’audit externe pouvant compenser les faiblesses et compléter les compétences de l’audit
interne.
Il est un domaine très important pour lequel l’audit externe est souvent sollicité, c’est la chaîne
de sous-traitance et les fournisseurs. De plus en plus d’entreprises s’engagent à mettre sur le marché
des produits et services « socialement responsables », ce qui suppose qu’elles vérifient les
conditions de production de leurs partenaires en amont et en aval. Les principes fondamentaux du
travail définis par l’OIT font partie de ces conditions : interdiction du travail des enfants,
interdiction du travail forcé, non-discrimination et droit pour les travailleurs de former des
syndicats. L’audit social de la chaîne de sous-traitance est difficile, car les sites sont situés dans des
pays qui ont des cultures éloignées de celle des donneurs d’ordre. De plus, l’entreprise est souvent
face à un dilemme, car elle a choisi des fournisseurs pour obtenir des produits à bon prix puis elle
présente un code ou des principes de RSE dont l’application se traduit souvent par des
augmentations de charges pour ses partenaires. Pour effectuer ces audits, l’entreprise s’appuie
parfois sur des ONG qui sont implantées dans les pays des fournisseurs et des sous-traitants 2.
Dans le domaine de la GRH, la RSE a entraîné une extension du périmètre de la fonction. Cela
vaut pour la surveillance des fournisseurs et des sous-traitants, encore que cette dernière incombe
parfois aux acheteurs, mais cela est encore plus sensible concernant des sujets tels que l’éthique,
l’égalité homme-femme, la diversité, les restructurations et les relations sociales.
Le besoin d’éthique a toujours existé, notamment de la part des salariés qui entendent être
respectés en tant que personne et être traités avec justice. Dans certains cas, ils ont également
besoin de savoir ce qui est permis et ce qui est interdit dans les relations avec les tiers : peut-on
accepter un cadeau d’un fournisseur ? Sur ces sujets sensibles et, parfois, sous l’influence de
sociétés multinationales anglo-saxonnes, nombre d’entreprises se sont dotées de chartes éthiques
plus ou moins détaillées. Ces chartes deviennent des références pour tous, mais elles peuvent
également poser des problèmes d’application dans des contextes différents de celui qui les a vu
naître. En France, par exemple, le problème de l’adaptation d’une pratique américaine, le
whistleblowing, a soulevé des difficultés. Outre-Atlantique, il s’agit d’une procédure qui permet à
un salarié de dénoncer un comportement illégal dans son entreprise en jouissant d’une entière
protection. Connu en France sous la dénomination de droit d’alerte professionnelle, ce dispositif a
eu du mal à trouver sa place, notamment du fait de l’existence de la CNIL, la Commission nationale
informatique et libertés, qui exige que ce dispositif lui soit déclaré et fasse l’objet d’un engagement
à ses principes.
L’égalité homme-femme dans l’entreprise possède des fondements qui remontent avant
l’apparition des préoccupations liées à la RSE, mais force est de constater que c’est parfois au nom
de la RSE que ce thème resurgit. Ainsi, le gouvernement a créé récemment un label « égalité
professionnelle » obtenu par des entreprises telles qu’AXA, EADS, PSA, LCL, etc. Elles doivent
signer un accord d’entreprise dans ce domaine et apporter la preuve qu’elles ont mené des actions
sur ce sujet (sensibilisation, communication, articulation vie professionnelle et vie privée, etc.).
La diversité est un thème plus récent, il a d’abord touché la grande distribution dont les unités
(super- et hypermarchés) ont dû prendre en compte l’environnement humain dans lequel elles
étaient implantées. Mais rapidement ce thème s’est répandu et s’est précisé à travers la lutte contre
les discriminations, notamment à l’embauche. La Halde, « Haute Autorité de lutte contre les
discriminations et pour l’égalité », autorité administrative indépendante, a été créée par la loi du
30 décembre 2004. Elle a pour mission générale de lutter contre les discriminations prohibées par
la loi, de fournir toute l’information nécessaire, d’accompagner les victimes, d’identifier et de
promouvoir les bonnes pratiques pour faire entrer dans les faits le principe d’égalité. La Halde a
été dissoute le 1er mai 2011 et ses missions transférées au Défenseur des droits.
Les restructurations constituent également un thème important dans le champ de la RSE, car il
s’agit d’un événement lourd de conséquences pour les salariés, ceux qui sont licenciés au premier
chef, mais aussi ceux qui restent et auxquels la littérature scientifique a donné le nom de
« survivants » pour marquer qu’ils ont eux aussi subi un traumatisme. Peut-il exister des PSE (plan
de sauvegarde de l’emploi) « socialement responsables » ? Au-delà des obligations légales, qui
sont substantielles dans le cas français, deux catégories de bonnes pratiques ont pu être mises en
évidence. La première d’entre elles concerne la préservation de l’« employabilité » des salariés.
Cette dernière repose sur de bonnes pratiques de formation et de mobilité tout au long de la vie
active. La seconde a trait à la qualité des conditions qui accompagnent le plan social et notamment
aux mesures d’accompagnement telles que cellule de reclassement, aide personnalisée (coaching),
etc.
La RSE a renforcé la pratique des ACI, Accords-cadres internationaux, entre direction et
syndicats. Dans une étude de 2007 consacrée au respect de la liberté syndicale et au droit à la
négociation collective dans 511 grandes entreprises de 17 pays, Nicole Notat, présidente de Vigeo
et ancienne secrétaire générale du syndicat CFDT, concluait ainsi :
« L’engagement fort des dirigeants est un facteur différentiant. Ce nouveau dialogue social au
niveau mondial à l’heure de la globalisation constitue-t-il l’amorce de la reconnaissance d’une
entité de travail qui dépasse les frontières nationales et qui trouve sa réalité dans l’entité mondiale
du groupe ? »
Si une réponse positive est apportée à cette question, les pratiques de relations sociales telles
que l’information, la négociation, la consultation, la concertation, la participation, voire dans
certains cas la codécision (pratique essentiellement allemande aujourd’hui), pourraient se
développer à l’échelle des sociétés multinationales alors que ces sujets sont pour la plupart traités
à l’échelle nationale ou européenne.
L’outillage de la RSE est donc diversifié et même si dans de nombreux cas des techniques
existantes ont été repeintes aux couleurs de la RSE, dans d’autres cas il s’agit bien d’innovations
dans le champ de la gestion. Cet équilibre entre continuité et rupture n’est que l’un des défis
contemporains de la RSE qui en contient beaucoup d’autres.
S’il est généralement admis que la RSE n’est pas un simple mouvement de surface de la vie des
affaires, l’accord est loin d’être réalisé sur la portée des changements, car le mouvement est encore
trop récent pour que les défis que pose la RSE et les défis auxquels la RSE est confrontée soient
définitivement tranchés. La RSE renferme encore des paradoxes théoriques et empiriques, bien
qu’issue de la mondialisation elle a du mal à s’inscrire dans un contexte globalisé, elle souffre de
difficultés d’apprentissage. En définitive, elle est politiquement suspecte, car elle est susceptible de
s’appuyer sur des mouvements sociaux bien différents en fonction des thèmes et des lieux dans
lesquels elle opère.
La RSE s’appuie sur des valeurs, et souvent ces valeurs sont incarnées par des textes émanant de
grandes institutions internationales, ainsi on leur prête une portée universelle. Mais, dans certains
cas, ces valeurs sont jugées comme peu adaptées, car elles émanent d’une partie du monde (l’Europe,
l’Amérique du Nord) et sont susceptibles de heurter économiquement ou culturellement les habitants
d’autres parties du monde.
L’exemple du travail des enfants est éclairant : les chartes d’entreprise en matière de RSE
s’appuient sur les conventions 138 (sur l’âge minimum) et 146 de l’OIT, souvent accompagnées de la
déclaration de l’ONU sur le sujet. La convention 138 constitue l’une des conventions fondamentales
de l’OIT. L’importance juridique d’une convention « fondamentale » réside dans le fait que tous les
États membres de l’OIT, même ceux qui ne la ratifient pas explicitement, sont responsables de son
exécution. Pour l’opinion publique occidentale, le cas des enfants travaillant dans les entreprises
textiles ou du jouet est souvent mis en avant, et la réponse fournie par la RSE semble constituer une
solution satisfaisante. Or, le problème est beaucoup plus complexe que ne le laissent entrevoir les
médias occidentaux, car les usines de jouet et les ateliers textiles masquent le fait que plus des trois
quarts du travail des enfants se trouvent dans l’agriculture ou les activités domestiques et que ce
travail constitue le plus souvent un élément d’équilibre indispensable à la cellule familiale.
Les points sensibles concernent plus sûrement les conditions de scolarisation des enfants et, bien
sûr, dans certains cas « les pires formes de travail ». La convention no 182 de l’OIT de 1999 (peu
reprise dans la RSE) définit ainsi toutes les formes d’esclavage ou pratiques telles que la traite des
enfants, la servitude pour dettes, le servage ainsi que le travail forcé ou obligatoire et autres
pratiques qui, par leur nature ou les conditions dans lesquelles elles s’exercent, sont susceptibles de
nuire à la santé, à la sécurité ou à la moralité de l’enfant.
D’autres exemples sont fournis par les conventions de l’OIT relatives à la liberté syndicale en
contradiction avec la constitution de la Chine ou par les conventions relatives à la non-
discrimination, parfois difficiles à appliquer dans les pays musulmans. Les conventions de l’OIT sont
généralement prises entre deux exigences contradictoires, pour être appliquées les acteurs locaux (et
en premier lieu les États auxquels elles sont destinées) doivent se les « approprier », mais cette
appropriation ne doit pas être synonyme d’affaiblissement, de détournement ou de reniement.
Tout observateur de la vie des grandes entreprises depuis vingt ans devrait répondre « oui » à
cette question puisque le thème de la RSE était quasiment absent et qu’il est aujourd’hui omniprésent.
Mais au-delà des apparences, de nombreuses questions se posent : qu’en est-il des PME ? Les
grandes entreprises progressent-elles réellement ou communiquent-elles davantage ? Qu’est-ce qui
change réellement dans les pratiques des entreprises ? Les leçons des erreurs sont-elles vraiment
tirées ?
La RSE dans les PME est très dépendante de la personnalité et des convictions du dirigeant mais,
avec un certain retard, des signes permettent de penser que les PME sont de plus en plus nombreuses
à s’engager dans la voie de la RSE. Le plus souvent, elles le font en « imitant » ce qui est fait par les
grandes entreprises ou en appliquant un code de conduite défini par un donneur d’ordre ou un client.
Le problème de l’adaptation du concept de RSE à la PME n’a pas encore trouvé de solutions
satisfaisantes.
Les grandes entreprises ne progressent pas uniformément et, dans certains cas, notamment lors de
difficultés économiques, la RSE fait partie des premiers sacrifices. Beaucoup d’experts en RSE ont
longtemps cité en exemple l’action de Suez en Argentine et le raccordement au réseau d’eau potable
de 1,6 million de personnes à Buenos Aires. Il a suffi d’un premier exercice déficitaire pour que Suez
joue la carte du repli. Plombée par une perte nette de 900 millions d’euros en 2002, la multinationale
(eau, énergie, propreté) a ainsi décidé de repenser ses stratégies de « citoyenne du monde » ce qui lui
a valu ce commentaire des journaux : « Suez, le développement durable qui ne dure pas… 3 »
De façon plus générale, l’apprentissage de la RSE, comme tout apprentissage, suppose qu’une
boucle de rétroaction soit introduite dans la séquence traditionnelle, principes, processus, résultats 4.
En d’autres termes, c’est à partir d’une analyse critique de ses résultats qu’une entreprise peut puiser
la volonté de progresser. En matière d’apprentissage, la volonté est en effet l’essentiel tant les
mécanismes de résistance au changement sont puissants. Ensuite, les moyens sont nombreux :
imitation des meilleures pratiques, recours à du conseil, réexamen, voire re-engineering des process.
Mais, en définitive, l’apprentissage de la RSE repose sur le sommet de la pyramide, c’est-à-dire les
valeurs réellement partagées par les dirigeants qui peuvent être différentes des valeurs affichées.
Lorsque ces valeurs sont celles de l’arrogance, du syndrome de la toute-puissance et parfois même du
mépris pour le reste du monde, elles n’autorisent aucun apprentissage.
Le mouvement ouvrier a été la principale force de contestation de l’ordre établi durant plus d’un
siècle (1850-1970), depuis, de nouveaux mouvements sociaux participent à la transformation de la
société. Les mouvements pacifiste, consumériste, étudiant, féministe, écologiste, autonomiste sont
porteurs de valeurs différentes de celles de la « classe ouvrière », mais ils ont également d’autres
moyens d’action que le triptyque traditionnel, revendication-négociation-grève. Les ONG les plus
puissantes, qui sont l’incarnation des nouveaux mouvements sociaux, s’adressent à la fois à la sphère
politique, aux entreprises mais aussi directement à la population pour faire évoluer les mentalités et
les habitudes.
Yannick Jadot, responsable des programmes de Greenpeace (1 200 salariés dans le monde,
2,8 millions d’adhérents, 200 millions d’euros de budget en 2008) définit ainsi son action :
« Une campagne se construit d’abord autour d’une solide expertise et d’un argumentaire complet.
C’est la première raison pour laquelle Greenpeace est reconnue comme un interlocuteur crédible et
incontournable sur les sujets qu’elle traite, au niveau national, européen ou dans les négociations
internationales. Après cette première phase intervient une phase de documentation et d’information
des décideurs et du public autour de l’atteinte à l’environnement que nous voulons stopper. Nous
organisons des concertations et des discussions avec les responsables de l’atteinte à l’environnement
et ceux en charge de la solution (entreprises et État le plus souvent) pour les convaincre de mettre fin
à cette situation inacceptable. Si nous n’obtenons pas satisfaction, nous pouvons organiser des
pétitions et des manifestations (devant les supermarchés par exemple) pour faire pression. Si cela ne
suffit toujours pas, alors nous organisons des actions de confrontation non violente, pour alerter
l’opinion publique et forcer les décideurs à changer de politiques, à prendre les bonnes décisions en
faveur de l’environnement. Ces actions n’auraient aucune chance de réussite si les phases
précédentes ne donnaient pas crédibilité et légitimité à notre interpellation directe. Les actions de
confrontation, même si elles représentent la partie la plus visible de notre travail, si elles sont une
grande spécificité de Greenpeace, ne représentent donc qu’une partie mineure de notre travail
quotidien 5. »
En intervenant ainsi dans le débat, ces nouveaux mouvements sociaux bousculent les formes
traditionnelles de la démocratie. En France, par exemple, les questions liées à l’environnement
débordent de toute part la représentation politique. Ni les Verts ni les autres partis politiques ne
peuvent, à eux seuls, canaliser les initiatives et les revendications écologiques. La fondation de
Nicolas Hulot a joué un rôle certain durant la campagne présidentielle de 2007 en exigeant des
engagements des candidats. Le « Grenelle de l’environnement », fin 2007, s’est appuyé sur des
collèges au sein desquels étaient représentés, pour la première fois, l’État, les collectivités locales,
les ONG, les employeurs et les salariés. Cette forme de consultation nouvelle en France a débouché
sur des engagements de l’État. Ainsi, la démocratie politique s’élargit à de nouvelles formes
d’expression et de mobilisation que le philosophe allemand Habermas résume sous le terme
d’éthique de la communication :
« Au lieu d’imposer à tous les autres une maxime dont je veux qu’elle soit une loi universelle, je
dois soumettre ma maxime à tous les autres afin d’examiner par la discussion sa prétention à
l’universalité. Ainsi s’opère un glissement : le centre de gravité ne réside plus dans ce que chacun
souhaite faire valoir, sans être contredit, comme étant une loi universelle, mais dans ce que tous
peuvent unanimement reconnaître comme une norme universelle 6. »
À travers les consultations des parties prenantes, les démarches d’élaboration de normes de
consensus, les études d’impact, les entreprises engagées dans la RSE donnent une place aux nouveaux
mouvements sociaux. Entre les partisans de l’intervention étatique et ceux qui ne pensent que par la
régulation des marchés, se dessine un groupe d’entrepreneurs et de dirigeants qui ont le souci de
prendre en compte l’expression de ces nouveaux mouvements sociaux, qu’ils soient liés à
l’environnement, à la lutte contre les pandémies, aux grandes causes sociales ou encore à la question
de la lutte contre la pauvreté dans le monde. Force est de constater toutefois que ce groupe n’est ni
homogène ni universel. De nombreux facteurs de contingence tels que le niveau de développement
économique, la culture nationale, la conjoncture financière expliquent la diversité des chemins
qu’emprunte la RSE même au sein du groupe des multinationales qui la mettent en œuvre
régulièrement.
1. Sur les paradoxes liés à la RSE et au DD, voir T. Hahn, L. Preuss, J. Pinkse, J.-F. Figge, « Cognitive Frames in Corporate
Sustainability : Managerial Sensemaking with Paradoxical and Business Case Frames », Academy of Management Review, vol. 39,
2014, p. 467-487.
2. Cette approche correspond aux stratégies dites du « bas de la pyramide ». Voir C. K. Prahalad, The Fortune at the Bottom of the
Pyramid. Eradicating Poverty through Profit, Philadelphia, Wharton School Publishing, 2004. Pour une introduction en français à ce
os
concept, voir le numéro spécial de la Revue française de gestion consacré au thème « Entreprises et pauvretés », n 9-10, 2010.
3. Libération, 11 janvier 2003.
4. Voir J.-P. Gond, « Apprendre à devenir tous responsable ! », in J. Igalens, Tous responsables, Paris, Éditions d’Organisation, 2004,
p. 109-130.
5. Source : site Internet de Greenpeace, http://www.greenpeace.org/france/connaitre-greenpeace/yannick-jadot.
6. J. Habermas, Morale et communication. Conscience morale et activité communicationnelle, Paris, Le Cerf, 1996, p. 88.
Conclusion
I. – L’individu et la RSE
Concernant l’individu, quels sont les enjeux de la RSE pour le consommateur, pour le salarié
ou pour le citoyen ?
Pour le consommateur, la RSE est très liée au développement du commerce équitable, aux
produits verts, mais aussi à la perception des préoccupations de comportement éthique de la part
des entreprises. Ceci explique les différences d’appréciation de la RSE selon les religions, les
cultures régionales ou plus simplement les choix personnels. Ici un consommateur exigera que
l’entreprise socialement responsable ne fasse pas souffrir les animaux, là il demandera qu’elle
observe les préceptes de l’islam, ailleurs il sera sensible aux garanties relatives à la protection de
l’enfance ou aux problèmes de corruption. Alors que la RSE est souvent décrite à partir de
« principes », de « codes de conduite » ou de normes à vocation universelle, dès que le niveau
d’analyse devient l’individu et particulièrement le consommateur, les différences l’emportent sur
les facteurs d’uniformité.
Pour le salarié, la question peut être ainsi formulée : « Qu’ai-je à gagner personnellement à
travailler dans une entreprise socialement responsable ? » En France, on peut remarquer le
parallélisme entre la montée en puissance de la RSE et l’importance de questions de gestion des
ressources humaines telles que l’égalité homme/femme ou la représentation des minorités. Ainsi,
une femme ou un membre d’une minorité peuvent légitimement attendre d’être mieux traités par une
entreprise bien notée en matière de RSE. La fierté de travailler dans une entreprise assumant sa
RSE présente des avantages : elle participe à l’estime de soi du salarié et elle est susceptible de
favoriser des comportements d’engagement personnel. Du point de vue du salarié se pose également
la question des contours du « licenciement socialement responsable ». L’entreprise socialement
responsable est-elle celle qui ne licencie pas ou bien celle qui préserve l’employabilité de ses
salariés et leur permet ainsi de retrouver du travail en cas de licenciement ?
Pour le citoyen, la RSE est une réalité polymorphe. Selon la devise qu’appliquait Hippocrate à
la médecine, l’essentiel, notamment d’un point de vue environnemental, est souvent « de ne pas
nuire ». Mais l’entreprise présente également un ancrage territorial et le citoyen attend un
comportement responsable par rapport à ce territoire, l’entreprise responsable participe au
développement économique des territoires sur lesquels elle intervient en soutenant la création
d’activité, en participant à son développement éducatif ou même culturel.
Les exemples pourraient être multipliés, la RSE n’est pas uniquement une réalité
organisationnelle, elle a des conséquences pour l’individu quels que soient sa place et son rôle vis-
à-vis de l’entreprise. Il semble raisonnable de prévoir qu’à l’avenir un moteur de la RSE soit situé
au niveau des attentes individuelles, même si ce niveau n’est pas toujours le plus visible. Le
comportement d’un étudiant diplômé qui choisit son premier employeur en tenant compte de sa
réputation en matière de RSE n’apparaît dans aucune statistique, il peut cependant être lourd de
conséquences dans le cas d’une compétition entre entreprises concurrentes pour attirer les talents.
Au chapitre III, plusieurs conceptions des relations entre l’entreprise et la société civile ont été
envisagées, car chacune d’entre elles façonne une forme de RSE particulière. Concernant l’État, il
convient toutefois de rajouter un troisième pôle à ces relations dyadiques, le gouvernement. Il
semble qu’aucun gouvernement moderne ne puisse se désintéresser de la RSE. Contrairement à une
analyse superficielle, les gouvernements les plus libéraux sont souvent plus engagés en matière de
RSE que les autres. Aux États-Unis, l’administration du président Clinton a fortement contribué à la
mise en place d’un contrôle de la chaîne de sous-traitance portant sur les Droits de l’homme et du
travail dans les secteurs sensibles du vêtement et des articles de sport avec la création d’une ONG
spécialisée : Fair Labour Association. Au Royaume-Uni, un secrétariat d’État à la RSE a vu le jour
au sein du ministère du Commerce. L’une des explications de cet apparent paradoxe tient au quasi-
consensus qui existe concernant la nature volontaire de la RSE. Un gouvernement économiquement
libéral craint d’imposer trop de règles aux acteurs économiques et notamment aux entreprises, il fait
confiance aux forces du marché et tout particulièrement à la concurrence pour que s’établisse un
équilibre permettant le développement des affaires. Le thème de la RSE permet à un gouvernement
libéral d’agir par des incitations ou encore en favorisant l’échange de « bonnes pratiques » donc
sans contraintes de nature législative ou réglementaire. Par la soft low, la loi douce, reposant sur
des engagements volontaires, les gouvernements tentent d’orienter le monde des affaires sans
affronter ses représentants.
L’exemple de la reddition de comptes est illustratif des objectifs qu’un gouvernement peut
poursuivre en matière de RSE. En France, la reddition annuelle de comptes en matière de RSE fut
imposée par une loi aux sociétés cotées, dans beaucoup d’autres pays de nombreuses incitations
furent créées par le biais des marchés financiers, des fonds de pension ou des compagnies
d’assurance. Une norme internationale soutenue par l’ONU a réussi à inspirer la forme et le contenu
de cette reddition de comptes. Le véritable enjeu de la reddition de comptes dépasse l’asymétrie
traditionnelle d’informations qui caractérise la situation des managers vis-à-vis des parties
prenantes. Rendre des comptes en matière de RSE c’est s’exposer au regard de la société et rendre
visible des défaillances, des imperfections que l’entreprise « responsable » doit s’engager à faire
disparaître. Ainsi, l’enjeu de la reddition de comptes n’est pas uniquement la transparence, mais
bien l’amélioration continue de la performance sociale de l’entreprise.
Concernant l’Europe, en 2001, la Commission a pris une initiative forte en publiant un Livre
vert dont l’ambition était de promouvoir un cadre européen pour la RSE. En octobre 2011, par une
communication de la commission au Parlement européen, l’Union européenne a défini une nouvelle
stratégie pour la période 2011-2014.
La commission a l’intention :
– de créer en 2013 des plateformes RSE plurilatérales dans un certain nombre de secteurs
industriels ;
– d’aborder la question des pratiques commerciales trompeuses (« écoblanchiment ») ;
– d’organiser un débat public avec les citoyens, les entreprises et les autres parties prenantes sur le
rôle des entreprises ;
– d’engager en 2012 un processus d’élaboration d’un code en matière d’autorégulation et de
corégulation ;
– de faciliter une meilleure prise en compte des considérations sociales et environnementales lors de
la passation de marchés publics.
Dix ans après la parution du Livre vert, l’Union européenne reprend l’initiative en matière de
RSE.
Concernant la planète, il est devenu patent que la libéralisation des échanges et des marchés
financiers ne s’est pas accompagnée de progrès vers une gouvernance mondiale notamment dans les
dimensions sociales et environnementales. Dans le domaine social, l’OIT est capable d’édicter des
principes que les États ratifient, elle a même obtenu un consensus sur certains d’entre eux, les
principes fondamentaux, mais cette organisation est incapable de les faire appliquer, car elle ne
dispose ni de moyens de contrôle indépendants des États ni de moyens de coercition. Pour
l’environnement, la gouvernance mondiale est encore plus inexistante, seul un programme de l’ONU
lui est consacré mais il ne dispose que de faibles moyens et d’aucun pouvoir. La pratique de la RSE
est-elle capable de combler, au moins en partie, les effets de cette absence de gouvernance
planétaire ? Trois indices permettent d’en douter.
Le premier d’entre eux consiste à constater que, sauf exception, la RSE n’est pas une priorité
pour l’entreprise. Même pour une entreprise confrontée à des risques sociaux et environnementaux,
ce qui n’est pas directement en rapport avec son cœur de métier est secondaire. Au mieux certaines
entreprises essaient sincèrement de se comporter de façon plus responsable en intégrant des
préoccupations liées à l’environnement, aux questions sociales et sociétales à la conduite de leurs
activités. Mais nombre d’entre elles n’ont pas atteint ce stade et font de la RSE une préoccupation
séparée de la conduite de leurs activités. Le deuxième indice résulte d’un simple décompte. On
évoque souvent les engagements des très grandes entreprises occidentales dans le domaine de la
RSE. La plupart des PME occidentales et des entreprises de toutes tailles des pays émergents n’ont
aucun engagement en la matière et ne semblent pas disposées à évoluer en l’absence de contrainte
réglementaire. Le dernier indice tient à l’aspect cyclique de la RSE, lorsque la conjoncture devient
défavorable et que le climat des affaires se durcit, les engagements « durables » ne durent pas.
La RSE constitue certainement une innovation importante dans la gestion des entreprises et tout
laisse à penser que cette innovation n’est pas un simple effet de mode, car elle répond à de très
nombreuses attentes, individuelles et collectives. Comme pour toute innovation de gestion, les
entreprises ne réagissent pas toutes de la même façon, et de nombreux classements font d’ores et
déjà apparaître les « champions de la RSE ». Force est de constater que si la France possède des
champions, Danone, Lafarge, Véolia notamment, en Europe, les entreprises du Royaume-Uni
obtiennent le plus souvent les meilleures places dans les classements internationaux. Il ne convient
d’attendre de la RSE ni la résolution des grands problèmes que connaît la planète ni une
transformation des entreprises, encore moins du capitalisme contemporain. Comme de nombreuses
innovations de gestion, la RSE et les outils dont se dotent les entreprises pour la gérer efficacement
introduisent des progrès de moyenne portée qui progressivement s’intègrent dans les outils de
gestion traditionnels.
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REVUES ET DOSSIERS
Revues spécialisées sur le thème de la RSE : Business and Society, Business and Society Review,
Business Ethics. A European Review, Business Ethics Quarterly, Entreprise éthique, Journal of
Business Ethics, Revue de l’organisation responsable.
Autres revues publiant régulièrement des articles et/ou des numéros spéciaux sur le thème de la
RSE : Academy of Management Journal, Academy of Management Review, California
Management Review, Finance-Contrôle-Stratégie, Gestion 2000, Journal of Management
Studies, M@n@gement, Revue des sciences de gestion, Revue française de gestion, Revue
gestion, Strategic Management Journal, Personnel Psychology, Organization.
Aguinis H., Glavas A., « What Do we Know and Don’t we Know about Corporate Social
Responsibility : a Review and Research Agenda », Journal of Management, vol. 38, nº 4, 2012,
p. 932-984.
Garriga E., Melè D., « Corporate Social Responsibility : Mapping the Conceptual Territory »,
Journal of Business Ethics, vol. 53, 2004, p. 51-71.
DÉBATS CONTEMPORAINS
PERSPECTIVE FONCTIONNALISTE
Barnett M. L., « Stakeholder Influence Capacity and the Variability of Financial Returns to Corporate
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McWilliams A. & Siegel D., « Creating and Capturing Value : Strategic Corporate Social
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Morgenson F. P., Aguinis H., Waldman D. A. et Siegel D. S., « Extending Corporate Social
Responsibility Research to the Human Resource Management and Organizational Behavior
Domains : a Look to the Future », Personnel Psychology, vol. 66, no 4, 2013, p. 805-824.
Porter M. E., Kramer M. R., « Strategy and Society. The Link between Competitive Advantage and
Corporate Social Responsibility », Harvard Business Review, vol. 12, 2006, p. 78-79.
Banerjee B., « Corporate Social Responsibility. The Good, the Bad and the Ugly », Critical
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Dahouadi I., « La conception politique de la responsabilité sociale de l’entreprise : vers un nouveau
rôle de l’entreprise dans une société globalisée », Revue de l’organisation responsable, vol. 3,
no 2, 2008, p. 19-32.
Fleming P., Jones M., The End of Corporate Social Responsibility : Crisis and Critique, Londres,
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Frynas, J.-G. Stephens, S., « Political corporate social responsibility : Reviewing theories and setting
new agendas », International Journal of Management Reviews, vol. 17, no 4, 2015, p. 483-509.
Scherer A., Palazzo G., « Towards a Political Conception of Corporate Responsibility – Business
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PERSPECTIVE CONSTRUCTIVISTE
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Gond J.-P., Boxenbaum E., « The Glocalization of Responsible Investment : Contextualization Work
in France and Québec », Journal of Business Ethics, vol. 115, no 4, 2013, p. 707-721.
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Performance Relationship », Best Papers and Proceedings of the Academy of Management,
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TABLE DES MATIÈRES
Introduction
Conclusion
I. – L’individu et la RSE
II. – L’État et la RSE
III. – L’Europe et la RSE
IV. – La planète et la RSE
BIBLIOGRAPHIE
www.quesais-je.com