Age ANNEE No 208 {et JUILLET 1998
LA NOUVELLE
Revue FRANCAISE
POUR UN COLLEGE DE SOCIeLOGIE
{
Guoncrs Barattte . L’apprenti-corcier
Micuet Lemus. e sacré dans la vie
Roose Cartons...
Darew tA Rocaetts.
Awpné Svanis. Temples gre
Axpne Cia La Galere (i
— CHRONIQUES —
Air de Mai, par Fravers Jaxon
Essais critiques, par Mancet Ani
Ta Musique et Pétat mystigue, par P. J. Jouve
par J.-P. Sartne, — Lo Crépuscule
pat Bernard Barhe a3
Sueur de sang ; Le Paradis perin ; Kyr
‘par Pierre Jean Jouve sara ti 140
Les Essais, — L’expévience podtique, par A, Rolland de
Renéville era hse, 1B
Literature. — Carnets de Joubert.scss cscs, 187
—Leconcento enmi bonoldeStzavinaky. 152
Correspondance
— LAIR DU MOIS —
Erebus (da fiont poputave, — En Amésgue, — Réaclons, — Repro, —
La peinuce francine en Saine. — Poteshysiqee du mois, — Le Lette
BULLETIN,LA NOUVELLE
REVUE FRANCAISE
REVUE MENSUELLE
DE LITTERATURE ET DE CRITIQUE
TOME LI
PARIS
5, RUE SSBASTIEN-ROTEIN, 3
1938LA NOUVELLE
EVUE FRANCAISE
POUR UN COLLEGE DE SOCIOLOGIE
Introduction
“Il semble que ls citconstances actutles se tient ents particles
‘un raoaiteritigue ayant pour objet les rappatts matuels del’ Are
Brin ede eve de a seit: ce qu attend dels ce quel
ying deridres années auront vu en effevun des plus considérsbles
les intelletiels quo puisse imaginer. Rien de durable, sien de
Ho qui foude js tou seve et pord ses artes, ot te emp=
{eneare qu'un seul pas. Mais une extraoedinaie et prevsiinead
fermentation «es probitmes de la. veilleremis chaqe joa €
et quantité d'autres, news, extrtmes, dérontants, inlosable
1s par dos esprits prodigiousement actife et nom mois
sent icapables de patience ct de continté. Fn un mot,
ton submergeant rélement le marché, etwane Mestre vee
iy ot I eapacité méme de consommation.
Wie heuicoup de richesses, beaucoup d'espaces verges bresque-
js exploration, quetquefes & exploitation : Te reve, Vn
i, toutes es formes du mervslleax et de exebs('un définissant
Ap intvidalisme forcend, qui faisait du scandale une valen,
JP \Vioniowbio une sorte d'unicé affective et quasi lyrique. Cetai,
4o but sen tox: cas beanconp donner ita socitd que
ite ba provoquer. Peut-se doit-on voir i le germe dune
font Mamapleuscroissante devait fini par dominer sur un
vant
(superbe & pareeiper aux Jutees politiques et woyant
Paton ints wi inal s'accorder aux exigences de leur
sic apiiement se soumettee ou se démettre.
erminations cppenes, recherche das phénomenesTA NOUVELLE REVUE ¥RANGAISE
6
rains es grands fond slit
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POUR UN Colter Dz socIoLocrE y
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etquidonne iV entreprise tout son sens : Pambition que la commune
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Sitce tl vloté de panne, devine lenoyon Pane pls vase Sone
iow, — le cles dibéré qu ce carpe trouve une ane.
RCL’APPRENTI SORCIER*
1X. LIABSENCE DE BESOIN PLUS MALHEUREUSE
QUE 1/ABSENCE DE SATISFACTION
Un homme porte avec lui un grand nombre de besoins
auxquels i doit satisfaire pour éviter 1a détresse. Mais
Je malheur peut te frapper méme alors qu'il n'éprowve
as de souffrance. Le mauvais sort peut le priver des
moyens de subvenir & ses besoins : mais il n'est pas
moins atteint quand tel de ses besoins élémentaires tui
fait défaut, L’absence de virlité n'entraine le plus sou-
‘vent ni sonffrance, ni détresse ; ce n'est pas Ia satisfac
tion qui manque a celui qu'elle diminue : elle est pou
tant redontée comme tin malhetr. i
U1 est done un premier mal qui n'est pas ressenti par
ceux qu'il frappe : il n’est mal que pour celui qui doit
envisager la menace d’une mutilation & venir.
La phtisie qui détruit les bronches sans provoquer de
soufrance est sans aucun doute une des maladies les
1 Cx texte ne consttue pas exactement uve dae socbogqae, mais 2
nition in point de we fl goles reslat dei socihgle palzene appa:
tate comme des pense aux souls kx pus vii nou Aue proacupation
Sentlique spline. La soilgi allemene on eft pet dielenent
Gtr de Iie rq de cence pure en tant ile tun phénoméne
Ag disoiation, Sile Ht sol reprsete seal tlt te Teuisene, la
sige nagar gon, ence ol coving
Social ue peat pa atcindre son objet nh, Gal menue or elle Fata,
Alen Ie nigation Ge ser pn. scence sorlogqaeexge done ant
tate daute conn gure dispines qu ouecment en spect dao
tis de le nate, Hl ember develops —~ en patel en France
day ng ax unt nu Ot cnc eas
ln ec taeda Lex rts sso ate Yoouent
rete de canst amas firicuet peak soon ann ot
nt pws ab paul pate dana tove sn amps.
LAPPRENTI SORCIER 9
plus pernicieuses, Ht i en est de méme de tout ce qui dé-
‘compose sans éclat, sans qu'il soit concevable qu’on
putisse en prendre conscience. Le plus grand des manx
qui frappent les hommes est peut-étre la réduction de
leur existence & l'état d'organe servile, Mais personne ne
sfapergoit qu'il est désespérant de devenir politicien,
écrivain ou savant. Il est done impossible de remédier
8 Vinsuffisance qui diminue celui qui renonce & devenir
un homme entier pour n'étre plus qu'une des fonctions
de la société fmmaine.
2, Lome Privé DU BEsoM p'frRE HOMRNE
Le mal ne serait pas grand s'il n’atteignait qu'un cer-
tain nombre d’hommes dépourvus de chance. Celui qui
prend Ia gloire de ses ceuvres littéraires pour l'accom-
plissement de son destin pourrait se tromper sans que
1a vie bumaine fit entrafnée dans une défaillance géné.
rale, Mais il n'existe rien au dela de ta science, de la poli-
tique et de Yart — qui sont tenus de vivre isotés, chacun
pour soi, comme autant de serviteurs d’un mort.
La plus grande partie de lactivité est asservie & la pro-
duction des biens utiles, sans qu'un changement décisif
apparaisse possible, et homme n'est que trop porté 2
faire de Vesclavage du travail une limite & ne plus fran-
chir. Cependant Yabsurdité d'une existence aussi vide
exgage encore Vesclave & compléter sa production par
tine réponse fidéle a ce que l'art, la politique ou la science
tei demandent d’étre et de croire il rencontre la tout ce
qu'il peut prendre pour son compte de 1a destinée
humaine, Les « grands hommes» qui s'exercent dans ces
domaines constituent ainsi une limite pour tous les
autres, Et aucune souflrance alarmante n'est liée & cet
tat de demi-mort — & peine la conscience d'une dépres-
sion {agréable si elle coexiste avec le souvenir de ten-
sions déceveates).x0 . 1A NOUVELLE REVUE FRANCAISE
‘Test loisiblea homme de ne sien aimer. Car univers
sas cause et sans but qui lui a donné le jour ne Tui a pas
nécessairement accordé une destinée acceptable, Mais
Vhomme & qui la destinée humaine fait peur, et qui ne
peut pas supporter Venchainement de Varidité, des
crimes et des miséres,ne peut pas non plus étre viril.$'
se détourne de luiméme, il n’a méme pas de raison de
s'épuiser A gémir. Tl ne peut tolérer l'existence qui Jui
échoit qu’a lacondition doublier ce qu'elle est vraiment.
Les artistes, les politiciens, les savants regoivent 1a
charge de lui mentir : ceux qui dominent ators existence
sont presque toujours ceux qui savent le mieux se men-
tir A eux-mémes, en conséquence ceux qui mentent le
mieux aux autres. La virilité décline, dans ces conditions,
autant que amour de 1a destinée humaine. ‘Tous les
faux-fayants sont bienvenus pour écarter l'image héroi
que et séduisante de notre sort : il n'y a plus de place
dans un monde oit le besoin d’étre homme fait défaut,
sinon pour le visage sans attrait de homme utile.
Mais alors que cette absence de besoin est ce qui peut
arriver de pire, elle est ressentie comme une béatitude,
Le mal n’apparait que si la persistance de I’ « amor
inti » rend un homme étranger au monde présent.
3. L/HOMME DE LA SCIENCE
1) « homme que la peur @ privé du besoin d’étre
homme »a placé sa plus grande espérance dans la science.
Tla renoneé au caractére de /otalité que ses actes avaient.
eu tant qu'il voulait vivre son destin. Car Yacte de
science doit étre autonome et le savant exelut tout inté-
rét humain extérieur au désir de 1a connaissance. Un
homme qui prend sur Ini la charge de la science a changé
Je souci de la destinée humaine & vivre pour celui dela
‘vérité & découvrir. I1 passe de la totalité a une partie,
et le service de cette partie demande que les autres
VAPPRENT! SORCIER Ey
ne comptent plus. La science est ue fonction qui me
s'est développée qu’aptts avoir ovcupé la place de Ja des-
tinge qu'elle devait servir. Car elle ne pouvait rien tant
qu'elle était servante.
Tiest paradoxal qu’:tne fonction n’ait pu s'accomplir
qu’a Ia condition de se donner pour une fin libre.
‘ensemble de connaissances dont l'homme dispose
est dit & cette sorte de supercherie. Mais s'il est vrai
que le domaine humain en est accru, c'est an bénéfice
@’une existence infirme *.
4 HOMME DE LA FICTION
La fonction que sattribute Fart est plus équivoque. IL
ne semble pas toujours que I'6crivain ou Vartiste alent
‘accepté de renoncer a existence, et leur abdication est,
plus diflieile a d&celer que celle de "homme de la science.
Ce que l'art ou la littérature expriment n’a pas Vaspect
oisean décervelé des lois savantes ; les troubles figures
quills composent, & Vencontre de la réalité méthodique-
ment représentée, n’apparaissent méme que revétues de
séduction choquante, Mais que signifient ces fantémes,
peints, ces fantomes écrits suscités pour rendze le monde
oi nous nous éveillons un peu mains indigne d’étre hanté
par nos existences déseeuvrées ? Tout est faux dans les
images de la fantaisie. Et tout est faux d’tm mensonge
qui ne comnait plus t’hésitation ni ta honte. Les deux
Aéments essentiels de la vie se trouvent ainsi dissociés
avec rigueur. La vérité que poursuit Ja science n'est
vraie qu’a la condition d’étre dépourvue de seus et rien
n’a de sens qu’a Ia condition d’étre fiction
Les servitenrs de la science ont exclu la destinge
humaine da monde de la vérité,et les serviteurs de/art
1, Tne stent pas que ln cence dave tre neji. Te rages moray
sont seul ertgués mais st pas impose dy eamieve Me we
‘csv en x qui emote saab dy canteen am ne do aa
wineongh fl pap wee?Fea EA NOUVELLE REVUE FRANCAISE
ont renoncé a faire un monde vrai de ce qu’tne estinée
anxieuse les a contraint de faire apparaitre. Mais il n'est
pas faciled’échapper pourautant ila nécessitéd’atteindre
une vie réelle et non fictive. Les serviteurs de l'art
peuvent accepter pour ceux qu’ils extent existence
fugitive des ombres : is m’en sont pas moins tenus
dentrer enx-mémes vivants dans le royaume du vrai,
de argent, de la gloire et du rang social. Tl leur est done
impossible avoir autre chose qu’une vie boiteuse. Us
pensent souvent qu’ils sont possédés par ce qu'ils
figurent, mais ce qui n'a pas lexistence vraie ne posséde
* rien : ils ne sont vraiment possédés que par leur carriere,
Le romantisme substitue aux diews qui possédent du.
dehors 12 destinge matheureuse du podte mais il est loin
aéchapper par 1A & la boiterie : il n'a pu que faire du
‘malheur une forme nouvelle de cattitre et il a rendu les
mensonges de cetx qu'il ne tuait pas plus pénibles
5. LA FICTION mist AU SERVICE Dx 1/AcTION
‘Lihypocrisie lige & la carriére et, d’une fagon plus géné-
rale, au moi de Vartiste ou de 'écrivain, engage & mettre
les fictions au service de quelque réalité plus solide.
Sil est vrai que art ot Ia littérature ne forment pas un.
monde se suffisant 4 Iti-méme, ils peuvent se subordon-
ner au monde réel, contribuer & la gloire de (iiglise on
de tat ou, si ce monde est divisé, a Vaction et & la
propagande religieuse ot politique. Mais, dans ce cas,
il n'y @ plus quiomement ou service d’autrui, $i les
institutions que Yon sert étafent elles-mémes agitées
par le mouvement contradictoire de 1a destinée, Yart
rencontrerait la possibilité de servir Yexistence profonde
et de Vexprimer; s'il s'agit d’organisations dont les int&
réts se lient & des circonstances, & des communautés par-
ticuliéres, Tart introduit entre Vexistence profonde et
/APFRENTI soncreR 13
Vaction partisane une confusion qui chogue parfois
miéme Jes partisans.
Le plus souvent, la destinge bumaine ne peut étre
vécue que dans la fiction. Or homme de la fiction
soufire de ne pas accomplir lui-méme ia destinge qu'il
décrit ; il soufire de n’échapper & la fiction que dans sa
carriére. 11 tente alors de faize entrer les fantimes qui
Je hantent dans le monde réel. Mais dés qu’ils appar-
tiennent au monde que Yaction rend vrai, dts que
Vauteur les lie & quelque verité particuliére, ils perdent
Je privilége qu’ils avaient d’acoomplir’ Vexistence
humaine jusqu’au bout : ils ne sont plus que les reflets
ennuyenx d'un monde fraguentaic.
6, L'Hown: pe 1/action
Si la vérité que ta science révéle est privée de sens
humain, si les fictions de esprit répondent seules a la
volonté étrange de homme, Yaccomplissement de cette
volonté demande que ces fictions soient rendues vraics.
Gelui qu'un besoin de eréer posside ne fait qu'éprouver
te besoin d’étre homie. Mais il renonce & ce besoin s'il
Tenonce & créer plus que des fantaisies et des mensonges,
Tne demeure viril qu’en cherchant & rendre ta réalité
conforme A ce qu'il pense : chaque force en iui réclame
de soumettze au captice du réve le monde manqué dans
Tequel il est surven
Cependant cette nécessité n'apparait le plus souvent
Gite sous une forme obscure, II apparatt vain de se bor-
er réfléchir la réalité comme Ia science, et vain de Ii
échapper comme ta fiction. I,action seule se propose de
Sransformer Je monde, c'est-a-dire de le rendre sem-
lable au séve, « Agir » résonne dans l'oreille avec l'éclat
es trompettes de Jéricho. TI n’est pas d'impératif qui
osside mne eficacité plus rude et, pourestui quitentend,
In nécessité d'en venir atx actes est imposée sans lad
1‘ Z4 TA NOUVELLE REVUB PRANGAISE
possible et sans condition, Mais celui qui demande &
Paction de réaliser 1a volonté qui l'anime regoit vite
d’étranges réponses. Le néophyte apprend que la volonté
d’action efficace est celle qui se limite a des révesmornes,
Ti accepte : il comprend alors lentement que V'action ne
Jui laissera que le bénéfice davoir agi. Il croyait trans-
former le monde selon son réve, il n’a fait que transicr-
mer son réve h Ja mesure de la séalité la plus pauvre : i
he peut qu’étouffer en Ini 1a volontt qu'il portait ~
afin de pouvoir AGIR.
7. WACTION CHANOAE PAR LE MONDE, TMPUISSANTH
ALE CHANGER
‘Le premier renoncement que action demande & celui
qui veut agir st qu'il éduise son réve & des proportions
écrites par la science. Le souci de donner & la destinée
numaine un autre champ que la fiction est méprisé par
Jes doctrinaines de le politique. II ne peut pas étre Eoarté
dans la pratique des partis extrémes qui exigent des
‘militants qwils jouent leur vie. Mais la destinée d'un
homme ne devient pas réelle & 1a seule condition qu'il
combatte, 11 faut encore que cette destinge se confonde
vee celle des forces dans les rangs desquelles il affronte
ta mort. Et des doctrinaires, disposant de cette destinée,
la réduisent au bien-étre égal pour tous. Le langage de
Faction n’accepte qu’ane formule conforme aux prin-
cipes rationnels qui régissent 12 science et Ja main-
tiennent étrangere & 1a vie hnumaine. Personne ne pense
quiune action politique puisse se définir et prendre
figure de la méme fagon que ‘existence se définit et
prend igure sous la forme personnelle des héros de, le
Tégende. La juste repartition des biens matériels et cul-
turels répond setile au souci qui les posstde d’éviter tout
ce qui ressemble au visage humain et & ses expressions
de désir avide ou de défi heureux devant la mort. Tis
L/AFPRENTI SORCIER i
sont persuadés qu'il est haissable de s'adresser & la
multitude en lutte comme & une foule de héros dja mou-
rants, Ils parlent donc le langage de I'intérét A ceux qui
sont en quelque sorte déja ruisselants dur sang de leurs
‘propres blessures.
Les hommes de Yaction suivent ou servent ce qui
exist. Si leur action est une révolte, ils suivent encore
ce qui existe quand ils se font tuer pour le détruire. La
destinée humaine les posséde en fait quand ilsdétruisent
dle leur échappe dés qu’ils n’ont plus que la volonté
ordonner leur monde sans visage. A peine la destruc-
fion estelle achevée qu’ils se trouvent autant que
autres A la suite, & 1a merci de ce¥quiils ont détruit,
qui recommence alors & se construire. Les réves que la
seience et la raison avaient réduits & des formules vides,
Jes réves amorphes cessent eux-mémes d’étre plus que
Ja poussitte soulevée au passage de ACTION. Asservi
et brisant tout ce qui n'est pas courbé par une nécessité
quills subissentavant tes autres, les hommes de action
Sabandonnent aveuglément au courant qui les porte et,
‘que leur agitation impuissante accélere.
8. LExIsTENcE Drssocnix:
Lrexistence ainsi brisge en trois morceaux a cessé
etre Vexistence : elle n’est plus qu’art, science ou poli-
tique. La of la simplicité sauvage avait fait dominer des
hiommes, il n'y a plus que des savants, des politiciens et
des artistes, Le tenoncement 4 existence en échange
de la fonction est la condition souscrite par chacun
deux. Quelgnes savants ont des soucis artistiques et
politiques ; des politiciens, des artistes peuvent aussi
bien regarder en dehors de leur domaine : ils ne font
quadditionner trois infirmités qui ne font pas un
homme valide. Une totalité de Vexistence a peu de
| choses 4 voir avec inne collection de capacités et de
“romaimnees, Fille ne se Taisse pas plis découper en16 TA NOUVEL REVUE FRANCAISE
parties qu'um corps vivant. La vie est I'unité virile des
Géments qui la composent. I ya en elle la simplicité
dun coup de hache.
9. VRRISTENCR PLEINE ET L/mmacE DE r'érRe ance
‘Liexistence simple et forte, que la servilite tonction-
nelle n'a pas encore détruite, est possible seulement
dans la mesure ob elle a cessé de se subordonner & quel-
que projet particulier comme agir, dépeindre on mesn-
rer : elle dépend de image de la destinée, du mythe
séduisant et dangereux dont elle sesentsilencieusement
solidaire. Un étre humain est dissocié quand il se voue
& un travail utile, qui n'a pas de sens par Iui-méme :
ne peut trouver Ja plénitude de Vexistence totale que
séduit. La virilité n'est rien de moins que expression
: quand un homme n’a plus la force de
répondre & Vimage de Ia nudité désirable, it reconnatt
Ja perte de son intégrité virile. Et de méme que la viri-
Jit8 se lie A Yattrait d’um corps mu, existence pleine se
lie & toute image qui suscite de l'espoir et de I'eliroi.
V/ETRE AIME dans ce monde dissons est devent ta
seule puissance qui ait gardé la vertu de rendre & la cha~
leur de la vie. Si ce monde n’était pas sans cesse par-
vouru par les mouvements convulsifs des tres qui se
cherchent I'am autre, s'il n'était pas transfiguré par te
visage « dont absence est douloureuse », il aurait l'appa-
rence d'une derision offerte & ceux qu'il fait naitze :
existence humaine y serait présente & l'état de souvenir
‘ou de film des pays « sauvages o. ILest nécessaire d'excep-
ter la fiction avec un sentiment irrté. Ce qu'un tre pos-
sade au fond de lui-méme de perdu, de tragique, la « mer-
veille aveuglante » ne peut plus étre reneontrée que sur
un lit, I] est vrai que Ja poussiére satisfaite et les soucis
issociés du monde présent envahissent aussi les cham=
brea : les chambres verfouillées nen demeurent pas
LIAPPRENTT SORCLER 7
moins, dans le vide mental presqu'illimité, autant @’ilots
ot les figures de 1a vie se recomposent.
10. LE CARACTERE MLUsOIRE DE /prRE arti
Léimage de Vétre aimé apparait tout d’abord avec un
éclat précaite, Elle éclaire en méme temps qu'elle effraie
celui qui la suit des yeux. II I’écarte et sourit de son
agitation puézile s'il place au premier rang le souci de
ses fonctions. Un homme devenu « sérieus » eroit facile
de trouver existence ailleurs que dans 12 réponse qu’ll
doit faire & cette sollicitation, Cependant, méme si
quelqu’autre moins lourd se laisse briler par la séduc-
tion qui lui fait pear, il doit encore seconnaitre le carac-
tire illusoire d’une telle image.
Car il suflit de vivre pour la contredire, Manger, dor-
mir, parler la vident de sexs, Si un homme rencontre
tune femme et si l’évidence se fait en lui que la destinée
lle-méme est 1a, tout ce qui Venvahit alors de la méme
fagon qu'une tragédie silencieuse est incompatible avec
Jes alles et venues nécessaires de cette femme. L/image
dans laquelle un instant la destiuée est. devenue vivante
se trove ainsi projetée dans un monde étranger &
Vagitation quotidienne. La femme vers laquelle un
_ homme est porté comme a la destinge humaine incamée
_ pour tui n’appartient plus & Yespace dont argent dis-
"pose. Sa douceur échappe au monde réel oi elle passe
‘Mins se faisser enfermer plus qu'un réve. Le malheur
tavagerait Vesprit de celui qui se laisserait posséder par
ts besoin de la réduire, Sa réalité est aussi douteuse
{Wane ineas qui vacille, mais que la nuit rend violente.
TE, 1B MONDE VRAT DES AMANTS
Cependant ta premfére apparence donteuse des dewx
‘gui se rejofgnent dans tear nuit de destin nest
218 HA NOUVELLE REVUE PRANGAISIE
pas de la méme nature que les illusions du théatre ou des
livres, Car le théétre et Ia littérature ne peuvent pas
seals créer un monde of des étres se retrostent. Les plus
Aéchirantes visions représentées par Vart n'ont jamais,
eréé qu'in lien fagace entre ceux qu’elles ont tou-
chés. S'ils se tencontrent, ils doivent se contenter
dexprimer ce qu'ils ont éprouvé par des phrases qui
substituent la comparaisnn et I'analyse & des réactions
communicables. ‘Tandis que les amauts communient
méme au plus profond d’an silence ob chaque mowy=-
iment chargé de passion brilante a le pouvoir de donner
Vextase, Il serait vain de nier que le foyer ainsi enflammé
ne constitue 1n monde réel, le monde ot les amants se
retrouvent tls qu’ils se sont apparus une fois, chacun
dentre excx ayant pris la figure émouvante du destin,
de Yautre. Ainsi le mouvement orageux de Yamour rend,
vrai ce qui n’était le premier jour qu’tune illusion.
Lobstacle rencontré par les activités fragmentaires
ignorant les autres — par Vaction ignorante du réve —
est done franchi lorsque deux étres amoureux unissent
teurs corps. Les ombres poursuivies jusqu’a Vétreinte
n’émerveillent pas moins que es lointaines créatures des
égendes. L’apparition d'une femme, tout & coup, semble
appartenir au monde bouleversé du réve ; mais 1a pos-
session jette la figure de réve nue et noyée de plaisirs
dans le monde étroitement réel d'une chambre.
‘L/action heureuse est Ia « sceur dit réve », str le lit
méme oi Ie secret de la vie est révélé a 1a connaissance.
‘Btla connaissance est la découverte extasiée dela destinge
humaine, dans cet espace préservé ott [a science — au-
tant que Vart ou V'action pratique —~ @ perdu la possi-
bilité de donner un sens fragmentaire & l'existence *
Sete eo aa ha eee
ene eee eer a
cbucolo
ee re ee eee
pes eee ere Te ee
WAPpRENTT SORCTER
132. LHS ENSEMBLES DE HASARDS
Te renoncement au réve et la yolonté pratique de
Vhomme d'action ne représentent donc pas les seuls
‘moyens de toucher Je monde réel. Te monde des amants
n'est pas moins ural que celui de 1a potitique. 1 absorbe
méme la totalité de I'existence, ce que la politique ne
peut pas faire, Et ses caractéres ne sont pas ceux du.
monde fragmentaire et vide de Y’action pratique mais
ceux qui apparticnnent a la vie Mumaine avant qu'elle
ne soit servilement réduite : le monde des amants se
construit, comme la vie, a partir dwn %nsemble de hasards
donnant la réponse attendve & une volonté d'étre avide et
puissante,
Ce qui détermine 1'élection de Vetre aimé — telle que
la possibilité d'un autre choix, représentée avec logique,
inspire Phorreur — est en effet réductible & un ensemble
de hasards. De sixaples coincidences disposent Ia ren-
contre et composent la figure féminine du destin a
Taguelle un homme se sent 1i¢ quelquefois, jusqu’a
en mousir, La valeur de cette figure dépend d’exi-
gences depuis longtemps obsédantes et si difficiles a
satisfaire qu'elles prétent a l'étre aimé les couleurs de
Ja chance extréme. Quand une configuration de cartes
entre dans un jeu, elle décide du sort des mises : la
rencontre inespérée d’ume femme, de la_méme fagon
que 1a donne rare, dispose, elle, de existence, Mais
Ja plus belle domme n’a de sens que si les conditions
ol elle Gchoit permettent de s'emparer de I'argent
aw jeu. La figure qui gagne n'est qu'une combinai-
son arbitraire : Vavidité du gain et le gain la rendent
réelle, Des conséguences dorment seules un carac-
tere vrai @ des ensembles de hasards qui wauraient
ne eeu le consilérer comme ta fonne dmentie de a ss La
‘no apts lel e eon serait a based ait fck a faa
‘aiGe yt ley Fans qu sent dss20 1A NOUVELLE REVUE PRaNcaIsH,
pas de seus si le caprice hnmain ng les avait pas choisis.
La rencontre d'une femme ne serait qu'une émotion
esthétique sans la volonté de Ia posséder et de rendre
vrai ce que son apparition avait semble signifier. Une
fois seulement conquise, ou perdue, l'image fugitive du
destin cesse d’étre une figure aléatoire pour devenir In
r6alité artétant Ie sort.
Une « avide et puissante volonté d’étre » est donc Ia
condition de la vérité ; mais individu isolé ne posstde
jamais le pouvoir de eréer un monde (jl ne le tente que
sill est lui-méme dans le pouvoir de forces qui font de
Ini un aliéné, un fou) : la coincidence des volonités 2est
‘Pas moins nécessaire & la naissance des mondes hnmains
que Ja coincidence des figures de hasards. Seul T'accord
des amants, comme celui de la table des joucurs, erée Ja
réalité vivante de correspondances encore informes (si
Vaccord manque, le malheur, dans lequel Yamour reste
réel, est toujours ta conséquence d'une premiére com-
plicité. L’accord de deux, ou de quelqnes-ans, s'ajoute
@ailleurs & Ja croyance générale donnant une valeur
a des figures déja décrites, La signification de amour
est déterminge dans les Iégendes qui illustrent la des-
tinge des amants dans ‘esprit de tous.
Mais cette « avide volonté d’étre », en rapport méme
avec le fait qu’elle est commune, n'est nutlement sem-
Dlable A la volonté qui délibére et intervient. Bile est
volonté comme une aveugle intrépidité devant la mort
et doit, & exemple de celui qui affronte un feu meurtrier,
s'en remettre en grande partie att hasard. Seul un mou-
vement hasardé peat donner la réponse que la passion
obscure exige & l'apparition fortuite des «ensembles »
Un beau jeu n'a de valeur que si les cartes sont battues,
coupées et non disposées par un arrangement antérieur
qui coustituerait Ja tricherie, La décision du joueur doit
clle-méme étre hasariée, dans Vignorance duu jeu des
WAPPRENTE sORcTER ar
partenaires. La force secrtte des éires aimés et la valeur
de leur conjonction ne peuvent pas non plus résulter de
décisions ou d’intentions arrétées & I'avance, Tl est vrai
gue, méme au dela de la prostitution ou du mariage, le
monde des amants est encore plus abandonné & la tri-
+ cherie que celui du jeu. J n'y a pas de limite précise
mais des nuances nombseuses entre la rencontre ingénue
de personnages incapables d'arrigre-pensée etla coquette-
rie impudente ordonnant sans répit des supercheries et
des manceuvres. Mais Vinconscience naive a seule le
pouvoir de conquérir le monde de miracles of les amants
se retrouvent,
4
Tee hasard, 1a chance, qui dispute la vie & 1a disposi-
tion téléologique, & T'ordonnance des moyens ct: des
fins, lemporte ainsi, survenant avec une fougue divine.
Lintelligence a cessé depuis longtemps de sentir I'uni-
vers dans le pouvoir dela raison qui prévoit. existence
elle-méme se reconnatt & la disposition du hasard pourv
qu'elle se regarde & la mesure du ciel éoilé ou de la
mort. Elle se reconnait dans sa magnificence faite &
Vimage d'um univers que n'a pas touché la souillure dix
mérite ou de 'intention.
13. LA Destinés Br Lae wvtm
Il est impossible de songer sans tomaber aussit6t dans
tune longue angoisse & Ia foule qui se détoume de cet
empire « horrible » du hasard. Cette foule exigeen effet
‘qt’'une vie assurée ne dépende plus que du caleul et de la
décision appropriés. Mais cette vie « qui se mesure seule-
ment & la mort.» échappe & ceux qui perdent le gott de
‘riler, comme fe font les amants et les joueurs, 3 tra-
vvers «es flanames de lespoir et de Ieffroi », La destinée
hhounaine yeut que te hasard capriciewx propose ;
ce que la raison substitue & In riche véxétation des22 TA NOUVELLE REVUE FRANCAISE
‘hasards n’est plus une aventure a vivre mais la solution,
vide ot correcte des difficultés de Vexistence. Tes actes,
engazés dans quelque fin rationnelle ne sont que des
répontes faites & Ia nécessité servilement subie. Les
‘ctes engagés dans la poursuite des images séduisantes,
de Ia chance sont les seuls qui répondent ax besoin de
vivre & exemple de la flamme. Car il est humain de
briler et de se consumer jusqu’au suicide devant la
‘table du baceara : méme si les cartes font apparaitre une
forme déchue de fa bonne ox de la mauvaise fortune, ce
quielles figurent, qui donne ow perd argent, posséde
anssi la vertu de signifier Te destin (la dame de pique
signifie parfois la mort). Il est au contraire inhumain
d’abandonner l'existence & Tenchainement des actes
utiles. Une partie des disponibilités humaines, inévita-
Dlement, est vouée au souci des souffrances dont il faut
se délivrer, telles que la faim, le froid, les contraintes
sociales. Ce qui échappe & ta servitude, la vie, se joue,
Clest-a-dire se place sut les chances qui se tencontrent.
La vie se joue : le projet de la destinge se réalise. Ce
qui n'était que figure de réve devient le mythe. Et le
mythe vivant, que la poussidre intellectuelle ne connatt
que mort et regarde comme la touchante erreur de l'igno-
rance, le mythe-mensonge figure fa destinée et devient
Vétre. Non Tétre que la philosophie rationnelle trahit
en lui donnant Fattribut de Pimmuable. Mais I'etre
qu’énonce le prénom et le patronyme ; puis Vétre double
qui se perd dans Jes interminables étreintes ; Vétre
enfin de la cité « qui torture, décapiteet faitla guerre.
Le mythe demeure 2 la disposition de celui que art,
Ja science ou la politique étaient incapables de satisfaire,
Bien que l'amour constitue & Ini seul un monde, i! laisse
intact ce qui Yentoure. L’expérience de l'amour aceroit
méme Ia Iucidité et 1a souffrance : elle développele
malaise et I'épuisante impression de vide qui résulte
LIAPPRENTT SORCTER 23
du contact de la société décomposée. Le mythe seul
renvoie & celui que chaque épreuve avait brisé l'image
dune plénitude étendue & la communauté oh se ras-
semblent Jes hommes. Le mythe seul entre dans les corps
de coux qu'il lie et leur demande ta méme attente. II est
Ja précipitation de chaque danse ; il porte existence
«son point d’ébullition »: il fai communique l'émotion
tragique qui rend son intimité sacrée accessible, Car le
mythe n'est pas settlement la figure divine de la destinge
et le monde oit cette figure se déplace : il ne peut pas
@tre séparé de la communauté dont il est la chose et qui
prend possession, rituellement, de son empire. TI serait
fiction si Yaccord qu'un peuple manjfeste dans Vagita-
tion des fétes ne faisait pas de Iui la réalité humaine
vitale, Ile mythe est peut-etre fable mais cette fable est
placée & Yopposé de Ia fiction si Yon regarde le peuple
qui la danse, qui ’agit, et dont elle est Ia vérité vivante.
Une commuauté qui n'accomplit pas 1a possession
rituelle de ses mythes ne posséde plus qu'une vérité
qui décfine : elle est vivante dans la mesure od sa vo-
Tonté d’étre anime Yensemble des hasards mythiques
quien figurent existence intime. Un mythe ne peut
done pas étre assimilé aux fragments épars d'un en-
semble dissocié, Tl est solidaire de I'existence totale dont
il est expression sensible,
Le mythe rituellement véeu ne révéle rien’ de moins
que Métre véritable : en Ini la vie n’apparalt pas moins
tetrible ni moins belle que la femme aimte sur le lit otelle
est nue. La pénombre du Tien sacré qui contient la pré-
sence réelle oppresse davantage que celle de la chambre
oot s'enferment les amants ; ce qui s'offre & la connais-
sance n’est pas moins étranger la science des labora-
toires dans le lien sacré que dans Ialedve, L’existence
humaine introdnite dans te lieu sacré y rencontre ta,
figure du destin fixée par le caprice du hasard : les lots
Werminantes que désinit Ia science sont & Yopposé de24 1A NOUVELLE REVUE FRANGATSE
ce jett de Ia fantaisie composant la vie. Ce jeu s'écarte
de la science et coincide avec le délire engendrant tes
figures de l'art. Mais ators qne l'art reconnait la réalité
demiére et le caractére supérienr du monde rai qui
contraint tes hommes, le mythe entre dans Vexistence
humaine comme tne force exigeant que la réalité
‘inférieure se soumette A son empire.
14, L/areREnt: soncTER
‘Test vrai que ce retour & la vieille maison humaine est
peut-étre instant Je plus inquiet d'une vie vouée & la
succession des illusions décevantes. La vieille maison
du mythe & mesure qu'une démarche singaliére se rap-
proche d’elle n’apparait pas moins désertée que les dé-
combres « pittoresques » des temples. Car la représenta-
tion du mythe exprimant la totalité de existence n'est
‘pas le résultat d’une expérience actuelle. Le passé seu,
‘ou la civilisation des « arriérés », ont rendu possible la
connaissance mais non la possession d'un monde qui
semble désormais inaccessible. Il se pourrait que l'exis-
tence totale ne soit plus pour nous qu'un simple réve,
nourri pet les descriptions historiyues et par Jes Iueurs
seerétes de nos passions. 1,25 hommes présents ne pour-
yaient se rendre maitres que dn amas représentant les,
débris de existence. Cependant cette vérité reconnue
apparait vite la merci de la Incidité que commande le
‘vesein de vivre. II faudra tont au moins qu’tmne premiére
expérience soit suivie d'échec avant que Ie négateur
ait acquis le droit au sommeil que sa négation Ini ga~
rantit. Ia description méthodique de Vexpérience 2
tenter indique d’aillewrs qu'elle ne demande que des,
conditions séalisables, I,’ « apprenti sorcier », tout,
Wabord, ne rencontre pas d’exigences différentes de
celles qu'il aurait rencontrées dans la voie difficile de art.
Les figures inconséquentes de ta fiction n’exciuent pas
VapPeen sone 35
moins Vintention déterminée que Jes figures arides du
mythe. Les exigences de invention mythologique sont
seulement plus rigoureuses. Elles ne renvoient pas,
comme le voudrait une conception rudimentaire, &
obscures facultés d'invention collective. Mais elles
- refuseraient toute valeur & des figures dans lesquelles Ia
part de Varrangement youl n’aurait pas &é é&artée
avec la rigneur propre au sentiment du sacré. D’un bout
a Yantre, I’ « apprenti sorcier » doit daillenrs se faire &
cette rigueur (& supposer qu'elle ne réponde pas & son
impératif le plus intime). Le secret, dans le domaine
cit il s'avance, n'est pas moins nécessaire & ses étranges
démarches qu'il ne Vest aux transpoxts de I’érotisme
(le monde total du mythe, monde de Tétre, eat séparé
dn monde dissocsé par les limites mémes qui séparent le
sacré du profane). I.a « société secréte » est précisément
Tenom dé la réalité sociale que ces démarches composent.
Mais cette expression romanesqne ne doit pas étre en-
tendue, comme il est d'usage, dans fe sens vulgaire de
« société de complot ». Car le secret touche & In réalité
constitutive de Mexistence qui séduit, non & quelque
action contraire'A la stireté de 'Rtat, Ie mythe nait dans
Jes actes rituels dérobés & la vulgarité statique de la
eociété désagrégée, mais la dynamique violente qui lui
appartient n’a pas d’autre objet que le retour & la tota-
lite perdue : meme sit est vrai que Ja répercussion soit
Aécisiveet transforme a face dn monde {alors que Vaction
es partis se perd dans Je sable mouvant des paroles qui
se coutredisent), sa répercussion politique ne peut étre
ne le résultat de Vexistence, L/obscurité de tels projets,
arexprime que la déconcertante nouveauté de direction
- sévessaire att moment paradoxal dn désespoir.
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