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RÉDACTEUR EN CHEF

Pr Thomas Hanslik (hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt)


RÉDACTEURS EN CHEF ADJOINTS
Pr Hervé Lévesque (CHU de Rouen, Rouen), Pr Jacques Pouchot (hôpital européen Georges-Pompidou, Paris)
COMITÉ DE RÉDACTION
Dr Adrien Kettaneh (hôpital privé de Vitry, Vitry-sur-Seine), Dr Guillaume Moulis (hôpital Purpan, Toulouse), Pr David Saadoun
(La Pitié Salpêtrière, Paris), Dr Stéphane Vignes (hôpital Cognacq-Jay, Paris)
COMITÉ SCIENTIFIQUE
Pr Daniel Adoué (CHU de Toulouse, Toulouse), Pr Christian Agard (Hôtel-Dieu, Nantes), Dr Emmanuelle Amsler (hôpital Tenon,
Paris), Dr Laurent Arnaud (hôpital de Hautepierre, Strasbourg), Dr Sylvain Audia (Inserm, Dijon), Pr Ygal Benhamou (Rouen
university hospital, Bois-Guillaume), Dr Audrey Benyamine (Assistance publique hôpitaux de Marseille, Marseille), Dr Laurent Chiche
(Assistance publique hôpitaux de Marseille, Marseille), Pr Olivier Decaux (CHU de Rennes, Rennes ), Dr Claire Demoreuil (CHU
de la Cavale-Blanche, Brest), Dr Mikael Ebbo (hôpital de la Conception, Marseille), Pr Jean-Gabriel Fuzibet (CHU de Nice, Nice),
Dr Aurélie Grados (hôpital de la Timone, Marseille), Pr Brigitte Granel (Assistance publique hôpitaux de Marseille, Marseille),
Pr Bernard Grosbois (hôpital Sud, Rennes), Pr Pierre-Yves Hatron (hôpital Claude-Huriez, Lille), Pr Arnaud Hot (CHU de Lyon, Lyon),
Dr Yvan Jamilloux (hôpital de la Croix-Rousse, Lyon), Pr Jean-Emmanuel Kahn (hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt),
Pr Gisèle Kanny (CHU de Nancy, Nancy), Pr David Launay (hôpital Claude-Huriez, Lille), Pr Agnès Lefort (hôpital Beaujon, Clichy),
Pr Isabelle Marie (CHU de Rouen, Rouen), Dr Mickaël Martin (Nouvel hôpital civil, Strasbourg), Dr Arsène Mékinian (hôpital Saint-
Antoine, Paris), Pr Luc Mouthon (hôpital Cochin, Paris), Dr Antoine Néel (CHU de Nantes, Nantes), Pr Éric Pautas (hôpital Charles-
Foix, Ivry-sur-Seine), Pr Pierre Philippe (CHU Estaing, Clermont-Ferrand), Dr Gregory Pugnet (hôpital Purpan, Toulouse), Pr Pascal Rossi
(CHU Nord, Marseille), Dr Maxime Samson (CHU François-Mitterrand, Dijon), Pr Damien Sène (hôpital Lariboisière, Paris), Pr Pascal Sève
(Hôtel-Dieu, Lyon), Dr Benjamin Terrier (hôpital Cochin, Paris), Dr Salim Trad (hôpital Ambroise-Paré, Boulogne-Billancourt)
CORRESPONDANTS INTERNATIONAUX
Pr Abdelkrim Berrah (CHU Bab-El-Oued, Alger, Algérie), Dr Fadi Haddad (Saint Joseph University, Beyrouth, Liban),
Pr Habib Houman (hôpital La Rabta, Tunis, Tunisie), Pr Rachid Malek (CHU Saadna-Mohamed-Abdenour, Sétif, Algérie),
Pr Skander Mrad (CHU Mongi-Slim, Tunis, Tunisie), Dr Michel Pavic (CHUS Fleurimont, Sherbrooke, Canada),
Pr Zoubida Tazi-Mezalek (hôpital Ibn-Sina, Rabat, Maroc)
COMITÉ DE PARRAINAGE
Pr Bernard Devulder (Ancien chef de département de médecine interne, Lille), Pr Jean-Louis Dupond (CHU de Besançon,
Besançon), Pr Pierre Godeau (hôpital Pitié Salpétrière, Paris), Pr Loïc Guillevin (hôpital Cochin, Paris), Pr Robert Leblay (hôpital Sud,
Rennes), Pr Hugues Rousset (hôpital Lyon-Sud, Pierre-Bénite)
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La revue de médecine interne (ISSN 0248-8663) 2018 (volume 39) Un an ; 12 numéros.


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Imprimé en France par Jouve, 53101 Mayenne. CPPAP : 0121 T 81126 Nº AIP : 0001412
Dépôt légal à parution - ISSN : 0248-8663
Vol. 40, No. 1, January 2019

CONTENTS

Abstracted in: BIOSIS/Biological Abstracts; Current Contents/Clinical Medicine; EMBASE/Excerpta Medica; MEDLINE/
Index Medicus; Pascal/Inist-CNRS; Journal Citation Report/Science Edition; Science Citation Expanded (SciSearch);
Scopus®; LiSSa

Editorials
Biosimilars in Internal Medicine: Needed in-depth knowledge to best prescribe
C. Chapelon-Abric ................................................................................................................................................................ 1
Biosimilars in France, to understand the stakes in order to use them well
M. Scherlinger, J.-L. Pellegrin, V. Germain, E. Lazaro, P. Duffau, T. Schaeverbeke and pour le FHU ACRONIM ............ 5

Original articles
Upper-extremity venous thrombosis: A retrospective study about 160 cases
L. Drouin, M.-A. Pistorius, A. Lafforgue, C. N’Gohou, A. Richard, J. Connault and O. Espitia ....................................... 9
Day hospital in internal medicine: A chance for ambulatory care
A. Grasland and E. Mortier ................................................................................................................................................. 16

Reviews
Thiamine-responsive megaloblastic anemia or Rogers syndrome: A literature review
H. Lu, H. Lu, J. Vaucher, C. Tran, P. Vollenweider and J. Castioni .................................................................................... 20
Bell’s palsy
S. Prud’hon and N. Kubis .................................................................................................................................................... 28

Brief reports
Capillary leak syndrome secondary to decompression sickness: A case report
J. Morin, K. Simon, F. Chadelaud, D. Delarbre, A. Druelle and J.-E. Blatteau ................................................................. 38
Brucellosis with hepatic lesions: A diagnosis to keep in mind
A. Hamon, A. Lecadet, X. Amiot, F. Boudghene, C. Verdet, J. Ohnona, S. Georgin-Lavialle and C. Bachmeyer .............. 43

Ideas and debates


Educational assessment of the first computerized national ranking exam in France in 2016: Opportunities for improvement
E. Rivière, A. Quinton, D. Neau, J. Constans, J.R. Vignes and P. Dehail ........................................................................... 47

Case report of Printemps de la médecine interne


Fever associated with lips and eyelid edema in a 16 year-old woman
M. Ponsoye, S. Trad, A. Tron, A. Vanjak, T. Hanslik and G. Pugnet ................................................................................... 52

Images
Hands and feet lesions
B. Suzon, E. Arnaud, C. Galy and J. Broner ....................................................................................................................... 56

doi:10.1016/S0248-8663(18)31199-8
Weight loss and
CONTENTS fever
(continued)
M. Hocqueloux, A. Enfrein, V. Génin, A. Caristan, A. Néel and C. Agard ......................................................................... 58
Extensive cutaneous lesions
M. Fenot, M. Riegert, C. Poiraud, M. Gegu and V. André .................................................................................................. 60

Literature review
Viewpoint of recent articles
J. Rohmer, M. Lekieffre, B. Gramont, F. Cohen Aubart and A. Roeser .............................................................................. 62
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Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Éditorial

Les biosimilaires en Médecine Interne : bien les connaître pour bien


les prescrire
Biosimilars in Internal Medicine: Needed in-depth knowledge to best prescribe
C. Chapelon-Abric a,∗,b
a
Département de médicine interne et d’immunologie clinique, groupe hospitalier Pitié-Salpêtrière, AP–HP, 75013 Paris, France
b
Inflammation-Immunopathology-Biotherapy Department (DHU i2B) and Sorbonne universités, UPMC Université Paris 06, UMR 7211, 75005 Paris, France

i n f o a r t i c l e

Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 27 avril 2018

Mots clés :
Biosimilaires
Interchangeabilité
Substitution

La biotechnologie permet, à partir d’organismes vivants ou déri- fois le brevet expiré, ce qui implique qu’une entreprise qui souhaite
vés de ceux-ci, de mettre au point et de fabriquer des médicaments fabriquer un biosimilaire doit développer son propre procédé de
biologiques. Le principe exploite le processus naturel des cellules, fabrication. Ceci aura donc des conséquences sur la posologie, la
des virus et autres microorganismes en vue de modifier leur patri- pharmacocinétique, l’immunogénicité et les effets indésirables.
moine génétique et d’en tirer des résultats thérapeutiques précis. Sous la ligne directrice de l’Agence européenne des médi-
De ce fait, les biothérapies en Médecine Interne ont révolutionné la caments (EMA), le laboratoire biosimilaire doit s’assurer que le
prise en charge des maladies inflammatoires, permettant d’obtenir princeps et le biosimilaire n’ont pas de différence significative sur le
une rémission clinique et une transformation de la qualité de plan de la sécurité et de l’efficacité. L’obtention de l’AMM repose sur
vie des patients [1,2]. Ce progrès n’est pas sans inconvénients et la connaissance de son procédé de fabrication et le contrôle de son
contraintes, pour le patient (risque infectieux et risque de malignité efficacité et de sa tolérance par des essais biologiques, chimiques,
encore mal définis) [2], comme pour le laboratoire (fabrication physiques (phases I – III). Le bénéfice clinique du médicament
complexe du princeps, en termes de préparation, purification ou de référence étant établi, les essais cliniques pour le biosimilaire
formulation, sachant la nature biologique des produits, avec comme seront donc plus limités [3].
conséquence un coût élevé) [3,4]. L’EMA et les autorités sanitaires respectives des pays de l’Union
Un biosimilaire n’est pas un générique (principe actif identique à Européenne, comme l’Agence nationale de sécurité du médicament
celui du princeps). Il diffère par la matière première vivante utilisée (ANSM) en France, sont le garant du contrôle de toutes les phases
(qui n’est pas celle du fabricant du produit princeps), les procédés de développement, de production, de post-commercialisation et
de fabrication, le mode d’action et les procédures d’obtention de de pharmacovigilance d’une molécule princeps. Cette rigueur,
l’Autorisation de mise sur le marché (AMM). Un biosimilaire est un éminemment justifiée, s’est effritée pour le développement des
médicament biologique qui contient une version d’une substance génériques. En 2014, 700 génériques ont été retirés du marché
active d’un médicament biologique déjà autorisé dans l’espace européen après la découverte de « graves déficiences dans le sys-
économique européen (EEE) et dont le brevet est tombé dans le tème de qualité » des études de bioéquivalence réalisées sur le site
domaine public [3,5–7]. Les procédés de fabrication ainsi que le d’Hyderabad en Inde [8]. Suite à cette affaire, de nouvelles mesures
contrôle de la qualité sont la propriété du fabricant du produit ont été prises vis-à-vis des laboratoires génériqueurs. Qu’en est-
d’origine. Toutes ces informations ne deviennent pas publiques une il des biosimilaires issus de Laboratoires siégeant dans des pays
ou la réglementation est moins rigoureuse ? Dès 2012, la demande
d’AMM d’une biothérapie a été stoppée sur demande du Comité des
médicaments à usage humain (CHMP) [9], compte tenu des réserves
∗ Correspondance. sur la fabrication du biosimilaire et sur les données des études
Adresse e-mail : catherine.chapelon@aphp.fr

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.04.005
0248-8663/© 2018 Publié par Elsevier Masson SAS au nom de Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI).
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présentées par la société, notamment des erreurs statistiques et • d’assurer une surveillance clinique appropriée au traitement ;
l’absence de certaines informations. L’inspection du site (Bombay • d’assurer une traçabilité sur les produits concernés (le produit
Bioreasearch Centre, en Inde) par trois agences nationales (Alle- prescrit doit être inscrit dans le dossier du patient).
magne, Royaume-Uni, Suède) a confirmé que les études n’avaient
pas été réalisées selon les bonnes pratiques cliniques (BPC) et ont De leur côté, pour limiter les risques liés à l’interchangeabilité,
sérieusement mis en doute la fiabilité de leurs résultats. Actuelle- les Laboratoires doivent assurer un approvisionnement fiable et
ment, deux laboratoires indiens fabriquent des biosimilaires (dont constant, indispensable pour une continuité des soins en toute
un via une usine localisée en Afrique du Sud !). Allons-nous assister sécurité.
avec les biosimilaires à la même course aux coûts de production que L’immunogénicité des produits issus de la biotechnologie est
l’on connaît avec les génériques ? Plus de 700 biosimilaires seraient très influencée par la complexité des procédés de fabrication, les
en préparation (études précliniques et cliniques) sans compter les taux circulants de biothérapie, la maladie, le patient, le mode
copies de biosimilaires proposés par la Chine et l’Inde, qui inondent d’administration, les traitements associés. Elle conditionne les
l’Amérique Latine et le Moyen Orient [10]. C’est dire l’importance réflexions et les discussions sur les risques potentiels des biosimi-
d’un enregistrement, d’une traçabilité et d’une pharmacovigilance laires. L’enquête sur l’érythropoïétine recombinante a été rendue
très rigoureuse. difficile par la variabilité dans le temps de latence et l’introduction
L’Europe est, depuis plus de 10 ans, le leader dans la pres- du traitement, et les difficultés d’interprétation du fait de multiples
cription des biosimilaires avec cependant des grandes disparités changements de biosimilaires [15]. Pour la Société de néphrologie
dans les recommandations en fonction de chaque autorité sani- et francophone de dialyse (SNFD), il est indispensable de mettre
taire concernée [11]. Ces désaccords portent essentiellement sur en place une démarche de pharmacovigilance accrue et prolon-
l’interchangeabilité et la substitution automatique entre une bio- gée, avec constitution d’une sérothèque pour recueillir du sérum
thérapie princeps et le biosimilaire, avec des réserves concernant avant chaque changement [22]. Il est particulièrement important
l’efficacité et les effets indésirables [12] ? Mc Kinnon et al., dans une de contrôler l’immunogénicité du biosimilaire qui ne peut en aucun
revue très complète de la littérature, a rappelé les carences d’études cas être extrapolée à la biothérapie de référence.
sur la sécurité du switch entre la biothérapie princeps et un biosi- La pharmacovigilance est un point clé pour intégrer le biosi-
milaire et surtout entre biosimilaires [13]. Les preuves obtenues en milaire en pratique clinique. À la différence des génériques qui
termes d’efficacité pour les biothérapies sont rassurantes (études ne sont soumis à aucun plan de gestion de risques (PGR), depuis
Egality et Nor-Switch). Néanmoins, l’étude Nor-Switch accorde la 2005 les biosimilaires sont soumis, dès l’obtention de l’AMM, à
non infériorité du biosimilaire lors d’une analyse combinée de tous un PGR. Ce PGR concerne également les variations d’AMM impli-
les groupes, alors que celle-ci n’est pas établie de façon significative quant un changement significatif (nouvelle indication ou extension
lors de l’analyse individuelle dans cinq maladies sur les six étudiées d’indication, modification du dosage, du procédé de fabrication, du
[14]. Ces carences s’expliquent en partie par des analyses statis- mode d’administration). La SNFD propose d’autres mesures, outre
tiques inadaptées pour l’évaluation de la sécurité des switchs [14]. le signalement obligatoire et exhaustif de tout effet secondaire :
L’interchangeabilité représente un acte médical qui consiste, à une sérothèque, un dépistage de l’immunogénicité et la mise en
l’initiative du prescripteur, à remplacer un médicament biologique place d’études de phase IV pour des études en double aveugle avec
par un biosimilaire figurant dans la liste des biosimilaires [7]. Ceci la biothérapie de référence [22].
diffère de la substitution d’une molécule princeps par un générique, Le choix des pharmaciens répondant essentiellement à des
qui n’est pas un acte médical puisque pouvant être proposée par le considérations économiques et/ou commerciales, ceux-ci n’ont pas
pharmacien, voire demandée par le malade. La substitution n’est le droit de substituer une biothérapie princeps par un biosimilaire
pas de mise pour les biosimilaires puisque l’expérience a mon- et encore moins de changer de biosimilaire. Il ne s’agit en aucun
tré que de légères différences entre deux produits avaient été à cas de génériques. Bien qu’il n’y ait pas actuellement d’ambiguïté,
l’origine de résultats imprévus, voire de réactions immunitaires les conventions d’appellation font l’objet de nombreuses discus-
indésirables. Ainsi en Europe, le « Bioeprex » a provoqué des cas sions. En Europe, le princeps et le biosimilaire sont souvent donnés
d’érythroblastopénie chronique acquise, conséquence de change- en DCI, avec des risques de confusions au moment de l’attribution
ments mineurs (changement de stabilisant) apportés aux procédés d’un effet indésirable ou d’un manque d’efficacité. Le patient reçoit-
d’élaboration de l’époétine alpha en Europe [15]. il la biothérapie prescrite ? Certains pays seraient partisans, pour
Il n’existe pas d’information de comparabilité entre « biosi- éviter tout malentendu entre le prescripteur et le pharmacien, de
milaires » [1,16], les études ne se faisant qu’entre la biothérapie ne pas prescrire en DCI.
princeps et un biosimilaire. L’EMA précise que « les médicaments Les lois de financement de la sécurité sociale (LFSS) successives
biosimilaires et biologiques de référence n’étant pas identiques, viennent compliquer la tâche des autorités de santé et donc des
la décision de traiter le patient avec un biosimilaire ou un biolo- médecins [23]. Elles révèlent que demain l’interchangeabilité dans
gique de référence doit être prise suivant l’avis d’un professionnel le domaine des biothérapies va laisser place à la substitution. Le
de santé qualifié » [17]. La FDA « compte élaborer des normes texte voté le 19 octobre 2017 par le parlement en première lecture
visant à prévenir la substitution par inadvertance d’un produit stipulait dans son article 50 que « . . . La substitution est placée
de référence à des produits qui ne sont pas jugés interchan- sous la responsabilité du prescripteur. Le prescripteur est tenu
geables sans le consentement du prescripteur » [18]. Même si les d’informer le patient de la spécificité de ces médicaments. Il doit
études à moyen terme (12 mois pour la majorité) sont rassurantes mettre en œuvre une surveillance clinique adaptée au patient
en termes d’efficacité, d’effets indésirables et d’immunogénicité (. . .) ». Le texte définitif voté le 5 décembre 2017 est rédigé comme
[19–21], aucune ne permet de valider l’interchangeabilité entre suit : « Dans le cas où il initie un traitement avec un médicament
biosimilaires [13,14]. L’EMA et la FDA n’autorisent pas une sub- biologique, le prescripteur informe le patient de la spécificité des
stitution, voire l’interchangeabilité pour un biosimilaire chez des médicaments biologiques et, le cas échéant, de la possibilité de
patients stables [17,18]. substitution. Le prescripteur met en œuvre la surveillance clinique
Cet acte médical d’interchangeabilité implique donc (selon nécessaire ». Suite à ce vote de l’article 92 de la LFSS, l’article
l’ANSM, l’EMA, la HAS, l’EULAR. . .) : L5125-23-2 du Code santé publique est devenu le suivant : « Dans
le cas où le prescripteur initie un traitement avec un médicament
• d’informer le patient et de recueillir son accord (information biologique, il porte sur la prescription la mention expresse “en
claire et transparente) ; initiation de traitement”. Le prescripteur peut exclure, pour des
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raisons particulières tenant au patient, la possibilité de substitution être obligés de rechercher sur internet les dérapages de production
par la mention expresse “non substituable” portée sur la prescrip- à bas prix.
tion sous forme exclusivement manuscrite » [23]. En terme plus Pour le moment, toutes les décisions de prescription relèvent
simple, la délivrance du biosimilaire, sauf mention manuscrite de en premier lieu de la responsabilité première du médecin pres-
« non-substitution », pourra être faite par un pharmacien ou pour- cripteur. L’ANSM doit fournir aux médecins toutes les informations
quoi pas choisie par le patient via des avantages de tiers payants. nécessaires en respectant une totale transparence quant à l’origine
La LFSS 2018 (Article 51) met en place un système incitant les du produit, et les assurer de sa traçabilité et de son haut niveau de
professionnels de santé à une juste prescription, notamment des pharmacovigilance. Le Comité pour la valorisation de l’acte offici-
biosimilaires. Mais quelles incitations ? Le législateur a choisi, sans nal (CVAO) met déjà en alerte les pharmaciens et souhaite qu’une
tenir compte des recommandations des agences du médicament, pédagogie rigoureuse explique au pharmacien les différences entre
d’ouvrir le marché des biosimilaires. Comment va se faire cette princeps biosimilaires, comme entre biosimilaires, ainsi que les
redistribution entre le laboratoire princeps et biosimilaires ? Les enjeux sanitaires qui en découlent. Cette éducation doit avoir pour
prescriptions initiales de biosimilaires vont-elles être influencées objectifs de donner tous les éléments d’un choix éclairé et équilibré,
par les pharmacies des hôpitaux qui auront pour des raisons écono- si ce choix est donné au pharmacien [28]. Dès 2016, six associations
miques choisis plutôt tel biosimilaire qu’un autre ? Va-t-il exister de patients se réunissaient pour écrire une lettre ouverte sur les bio-
une incitation financière à la substitution en ville, par les pharma- similaires à la Ministre de la Santé et lui faire part de leur inquiétude
ciens ou par des prescripteurs en médecine générale, comme cela vis à vis des biosimilaires et des nouveaux plans de financement qui
est actuellement le cas pour les génériques ? Pour le moment, un s’orientent, contre l’avis de l’ANSM, non pas vers une interchan-
biosimilaire ne peut être substitué en cours de traitement et inver- geabilité mais vers une substitution. Ces courriers sont restés sans
sement. C’est dire l’enjeu de la prescription initiale qui se fait le plus réponse. . .
souvent en milieu hospitalier. L’avenir nous le dira à la lecture des À l’horizon 2019, de nombreuses biothérapies vont tomber dans
décrets, des ordonnances etc. Mais il ne faudra pas oublier que cette le domaine public avec comme conséquences l’apparition de mul-
loi de financement qui impose, ne nous met en aucun cas à l’abri tiples biosimilaires dont le développement commercial est soutenu
des procédures que pourront engager les patients, puisque cette par les lois de financement et les pressions économiques. Même si
loi va à l’encontre des recommandations de l’ANSM et de l’EMA. les conséquences économiques sont importantes, elles n’ont jamais
Notre responsabilité médicale peut donc être engagée si un été estimées par des études spécifiques de coût [14,29,30], Dans
biosimilaire entraîne un effet indésirable ou une diminution de tous les cas, les économies potentielles sont sans commune mesure
l’efficacité. Le switch entre deux biothérapies princeps est admis avec l’économie observée grâce aux médicaments génériques (15 à
quand sont notés : inefficacité, effets indésirables, immunogénicité, 30 % pour les biosimilaires, versus plus de 80 % pour les génériques).
adhésion au traitement aléatoire, choix du patient ou du médecin Ceci s’explique par les difficultés de production, la nécessité de
[24]. Le switch ou le choix avec un biosimilaire engage différem- développement clinique et de programmes de pharmacovigilance
ment le médecin. Si le patient est naïf, le médecin aura fait un imposés pour la commercialisation des biothérapies princeps et
choix parmi plusieurs produits qui exposent à un risque similaire biosimilaires. Si les biosimilaires enrichissent l’éventail thérapeu-
et rien ne peut prédire que l’effet contesté n’aurait pu être observé tique, ils ne sont en aucun cas innovants. Leurs avantages financiers
avec un autre traitement tant que celui-ci n’a pas été pris. Si le doivent être mis en balance avec leurs risques potentiels, les don-
patient est non naïf, le switch avec un biosimilaire est un choix qui nées scientifiques et la sécurité du patient. Comment vont se situer
se fait d’une option dont on connaît la réponse individuelle, vers les connaissances médicales sur toutes ces thérapies qui vont enva-
une option pour laquelle c’est l’inconnu [24,25]. Et que dire si tout hir le marché ? Une harmonisation globale des Autorités de santé
cela s’est fait sans l’accord du patient ! La cour de cassation du dans le monde est indispensable pour améliorer la crédibilité des
3 juin 2010, confirmée par celle du 10 octobre 2012 « admet la biosimilaires. Leur sécurité et efficacité doivent être démontrées
possibilité pour le patient de prétendre à l’indemnisation d’un pré- sur des essais cliniques de grande envergure, couplés à des pro-
judice uniquement lié au manquement du médecin à son devoir grammes de pharmacovigilance significatifs avec un suivi à long
d’information, indépendamment de la réalisation de tout préjudice terme de patients chez qui des switch séquentiels auront été effec-
corporel : il s’agit d’un préjudice d’impréparation au risque : tout tués [11].
défaut d’information est constitutif en soi d’une faute qu’il y ait
ou non un trouble ». « L’absence d’information du patient cause,
Déclaration de liens d’intérêts
en elle-même un préjudice indemnisable sur le fondement de la
responsabilité délictuelle ». Le médecin a l’obligation de rappor-
L’auteur déclare ne pas avoir de liens d’intérêts.
ter la preuve qu’il a effectivement donné une information loyale,
claire, appropriée (art L 1111-2 du code de santé publique) [26].
Comment un médecin peut-il apporter une information « loyale, Références
claire et appropriée sur un traitement prescrit différent de celui
qui aura été délivré par le pharmacien ou renouvelé par le médecin [1] Toussirot E, Marotte H. Switching from originator biological agents to similar:
what is the evidence and what are the issues. RMD Open 2017;3:e000492.
généraliste » ?
[2] Lanculescu L, Weisman MH. Infection, malignancy, switching, biosimilars, anti-
Une information complète impartiale du corps médical est body formation, drug survival and withdrawal and dose reduction: what we
indispensable, associée à des explications claires et transparentes have learned over the last year about tumor necrosis factor inhibitors in rheu-
fournies aux patients afin d’obtenir leur consentement éclairé matoid arthritis. Curr Opin Rheumatol 2016;28(3):303–9.
[3] Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé. État des
[25]. La responsabilité médicale étant engagée, il est nécessaire lieux sur les médicaments biosimilaires; 2016 http://ansm.sante.fr.
d’envisager une étroite collaboration entre les médecins hospita- [4] Dictionnaire Vidal. Médicaments biosimilaires.; 2017 https://www.vidal.fr/
liers et la pharmacie hospitalière et surtout de ne pas banaliser infos-pratiques/id13307.htm#medicamentsbiosimilaires.
[5] Haute Autorité de santé. Les médicaments biosimilaires; 2017 https://.
la biothérapie et les biosimilaires. Les biosimilaires doivent établir HAS-sante.fr/portail/jcms/c 2807411/fr/lesmedicamentsbiosimilaires.
leur fiabilité, efficacité et sécurité. Il a été dernièrement démon- [6] Agence fédérale des médicaments et des produits de santé. Biosimilaires; 2018
tré que l’effet nocebo d’un biosimilaire est largement diminué https://www.afmps.be/fr/humain/medicaments/medicaments/procedures
damm/Procedures enregistrement/Biosimilaires.
quand les équipes médicales ou paramédicales ont pris le temps [7] Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des Produits de Santé.
d’expliquer, associé à la responsabilisation du patient [27]. Pour Les médicaments biosimilaires; 2017 http://ansm.sante.fr/Activites/
cela, les médecins doivent connaître la biothérapie prescrite, sans Medicaments-biosimilaires/Les-medicaments-biosimilaires.
4 C. Chapelon-Abric / La Revue de médecine interne 40 (2019) 1–4

[8] Sciences et Avenir. 700 médicaments génériques retirés du, marché; 2015 chronic diseases in daily clinical practice: The experience of Cochin University
https://www.sciencesetavenir.fr/sante/700-medicaments-generiques-retires- Hospital, Paris, France. Semin Arthritis Rheum 2018;47(5):741–8.
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La Revue de médecine interne 40 (2019) 5–8

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Éditorial

Les biosimilaires en France, bien en comprendre les enjeux pour bien


les utiliser
Biosimilars in France, to understand the stakes in order to use them well
M. Scherlinger a,∗,b,e , J.-L. Pellegrin b,c,e , V. Germain a,b,e , E. Lazaro b,c,e , P. Duffau b,d,e ,
T. Schaeverbeke a,b,e , pour le FHU ACRONIM
a
Service de rhumatologie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, place Amélie-Raba-Léon, 33076 Bordeaux, France
b
Université de Bordeaux, 146, rue Léo-Saignat, 33076 Bordeaux, France
c
Service de médecine interne, hôpital Haut-Levêque, CHU de Bordeaux, avenue Magellan, 33600 Pessac, France
d
Service de médecine interne, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux, 1, rue Jean-Burguet, 33000 Bordeaux, France
e
Centre de référence maladies auto-immunes et systémiques rare Est/Sud-Ouest, CHU de Bordeaux, 33076 Bordeaux, France

i n f o a r t i c l e similarité pharmacocinétique et – contrairement aux génériques –


clinique par le biais d’une étude randomisée de non infériorité
Mots clés : par rapport au biologique princeps [1]. Le nombre de biosimilaires
Biosimilaires
disponibles à la prescription est en augmentation rapide. Il devient
Économie de santé
Biothérapies
important pour les prescripteurs de biothérapies de connaître
le concept de médicament biosimilaire mais également de com-
prendre les enjeux et les particularités de leur prescription, les
patients étant eux-mêmes parfois très bien documentés [2].
i n f o a r t i c l e

1. Un enjeu économique
Keywords:
Biosimilars
Parmi les dix traitements délivrés en ville coûtant les plus chers à
Health economics
Biotherapy l’assurance maladie, on dénombre six traitements biologiques, pour
un coût total de 1,451 milliards d’euros pour la seule année 2016 [3].
Ces six médicaments correspondent à deux anti-TNF alpha (adali-
Les biothérapies ont révolutionné la prise en charge d’un mumab et étanercept), deux anti-angiogéniques (bévacizumab et
certain nombre de maladies inflammatoires (rhumatismes inflam- aflibercept), l’insuline glargine et une érythropoïétine (darbepoetin
matoires, vascularites à ANCA. . .), permettant d’obtenir une alfa).
rémission prolongée jusqu’alors difficilement envisageable. Cette Notre formation médicale et certains défenseurs de la liberté ont
révolution thérapeutique est toutefois associée à des coûts socié- fortement ancré dans notre esprit que la santé est un bien inesti-
taux élevés inhérents aux prix de ces traitements. Quinze ans après mable qui ne pouvait avoir de prix. Ainsi, la prise en compte par les
la mise sur le marché d’une biothérapie, l’expiration de l’exclusivité médecins des enjeux économiques de leurs prescriptions ne sau-
du brevet permet la commercialisation des biosimilaires. Un bio- rait se faire aux dépens de la santé de leurs patients. L’avènement
similaire est une biothérapie ayant la même séquence d’acides des biosimilaires et leur diffusion contrôlée par les agences régu-
aminés que son princeps mais pouvant présenter des différences latrices du médicament, sont à même de répondre aux besoins de
minimes en termes de structure quaternaire (glycosylation notam- baisse des coûts de santé tout en assurant la poursuite du meilleur
ment) liées aux modifications post-traductionnelles. Pour recevoir traitement disponible pour nos patients, à une époque où se multi-
une autorisation de mise sur le marché, l’industriel doit faire la plient d’autres sollicitations très fortes des ressources du système
démonstration de la similarité structurale du biosimilaire, de la de santé notamment en cancérologie.
Les biosimilaires actuellement disponibles présentent des prix
de l’ordre de 30 % inférieurs aux princeps, des prix jusqu’à 50 %
inférieurs ayant même été négociés dans les pays du nord de
∗ Auteur correspondant. l’Europe. Avec l’arrivée d’une multitude de biosimilaires, une baisse
Adresse e-mail : marc.scherlinger@chu-bordeaux.fr (M. Scherlinger). des prix (y compris du princeps) est à prévoir selon les lois de la

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.10.383
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
6 M. Scherlinger et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 5–8

concurrence. Plusieurs études médico-économiques ont d’ailleurs formule provoquant un plus faible nombre de réactions au site
montré l’impact positif de l’utilisation des biosimilaires sur les d’injection [12].
coûts de santé [4,5]. Cependant, malgré l’enjeu économique, un Il existe deux situations très différentes d’utilisation du biosi-
certain nombre de freins limitent encore la prescription des bio- milaire : en initiation ou en substitution (ou interchangeabilité)
similaires en France. du biologique princeps. L’utilisation d’un biosimilaire en cas
d’initiation ne pose pas de problème particulier et devrait être pri-
vilégiée pour des raisons économiques. Chez un patient déjà traité
2. La réticence des médecins par un biologique princeps, la substitution par un biosimilaire est
l’objet de nombreux débats [13–16]. L’instruction de la Direction
Il existe parfois parmi les médecins une réticence à l’utilisation générale de l’offre de soin (DGOS) du 3 août 2017 assure que la
des biosimilaires, celle-ci est multifactorielle et mal étudiée. Dans prescription d’un biosimilaire peut être réalisée à tout moment
une étude portant sur des rhumatologues de Belgique, les prin- d’un traitement biologique et qu’une substitution par un biosi-
cipales craintes portaient sur une moindre efficacité, un spectre milaire « induit la même obligation d’information du patient ou
différent d’effets indésirables et une moindre qualité [2]. À l’heure de traçabilité que les médicaments biologiques de référence, mais
actuelle, il n’existe aucun argument scientifique substantiel pour aucune obligation supplémentaire » [17].
alimenter ces craintes comme le montre une méta-analyse de Proposer à un patient une substitution par un biosimilaire pour
90 études étudiant la substitution du princeps au biosimilaire sur raison non médicale (un euphémisme signifiant raison écono-
un total de 14 225 patients [6], ainsi que l’étude randomisée NOR- mique) est un acte médical à part entière nécessitant un temps et
SWITCH [7]. des explications conséquentes de la part du médecin. Des recom-
Les craintes concernant une moindre qualité des produits biosi- mandations d’un groupe international publiées dans le journal de
milaires sont essentiellement fondées sur l’idée commune qu’un l’EULAR encouragent d’ailleurs leur utilisation en substitution d’un
produit moins cher serait nécessairement d’une moindre qua- traitement princeps dans le cadre d’une décision partagée avec le
lité, une telle association d’idées étant également retrouvée pour patient [18]. La perception de cette modification thérapeutique,
les génériques [8]. Les récentes polémiques associées aux géné- influencée par de nombreux facteurs, détermine l’acceptation du
riques comme celle du Levothyrox© contribuent à augmenter cette biosimilaire et, en toute vraisemblance, explique le ressenti d’une
défiance [9]. Les règles imposées par les agences de régulation du efficacité moindre chez certains patients.
médicament ont cependant établi un cahier des charges visant à
garantir une qualité et une sûreté du produit identiques au princeps
[10]. Par ailleurs, les laboratoires de biosimilaires (qui sont parfois
les mêmes qui produisent une autre spécialité de biologique prin- 3. La perception des patients
ceps) utilisent les même standards de production que les produits
princeps et il n’existe aucun argument aujourd’hui pour suggérer La perception de la substitution au biosimilaire est influencée
le contraire. par un certain nombre de facteurs externes (ex., opinion a priori du
De minimes modifications du procédé de fabrication d’un traite- patient sur les biosimilaires, préoccupation vis-à-vis des coûts de
ment biologique modifient sa structure quaternaire (glycosylation santé. . .) et interne à la consultation (explications et réassurance
notamment). Ces modifications sont-elles susceptibles de modi- du médecin, présence de documentation écrite, champs lexical et
fier l’efficacité, l’immunogénicité et le spectre d’effets indésirables langage non verbal utilisés. . .).
de la molécule ? Si l’on se pose la question pour le biosimilaire, La prescription d’un traitement chez un malade atteint d’une
il n’est pas inutile de rappeler que les procédés de fabrication des pathologie chronique est perçue comme un contrat réalisé avec
biomédicaments font régulièrement l’objet de modifications par- son médecin. Le patient met dans les mains du praticien sa santé et
fois importantes. À titre d’exemple, depuis sa mise sur le marché accepte la prise d’une thérapeutique lui étant inconnue. Les médi-
®
en 1999, le Rémicade a vu sa formule changer plus de 50 fois, et caments sont appréhendés de façon ambivalente par les patients :
ce, sans qu’aucune étude clinique d’équivalence ne vienne confir- ils représentent le fruit de la science et de la technique, susceptibles
mer l’absence de modification des propriétés thérapeutiques de la d’apporter l’effet thérapeutique escompté [19]. Ils représentent
molécule [11]. Ainsi, les biosimilaires sont très probablement plus également une molécule étrangère potentiellement toxique et
proches des princeps d’aujourd’hui que ne l’étaient les princeps susceptible d’induire des effets néfastes [19]. Les biosimilaires pres-
d’il y a 15 ans. . . Et nos patients sont traités par (l’équivalent de) crits en substitution d’un princeps, c’est-à-dire lorsque la maladie
biosimilaires depuis de nombreuses années. est déjà contrôlée, sont par conséquent considérés uniquement du
Il est parfois évoqué que les biosimilaires n’apportent aucune côté potentiellement toxique. Enfin, il en résulte parfois une incom-
innovation, voire qu’ils constituent un frein à l’innovation. Plusieurs préhension de la part du patient : le médecin modifiant ce contrat
éléments vont à l’encontre de cette assertion. Premièrement, les en introduisant une « nouvelle » molécule alors que la maladie
laboratoires de biothérapie princeps ont bénéficié durant 15 ans est déjà contrôlée. Le patient peut alors être amené (à tort) à se
d’un monopole leur laissant largement le temps de rentabiliser demander si son praticien ne serait pas prêt à lui proposer une
le développement de leur produit et de réinvestir en recherche prise en charge sub-optimale dans le but de réaliser des économies.
et développement. La limitation de la durée d’exclusivité d’un Les politiques incitatives récemment proposées apportant un gain
brevet est d’ailleurs à la base même du principe d’incitation à financier au service prescripteur (qui seront détaillées plus bas)
l’innovation : la durée est suffisamment longue pour garantir un pourraient par ailleurs participer à ce sentiment.
fort retour sur investissement, et la limite temporelle impose aux La communication au patient d’une information claire et rassu-
laboratoires de réinvestir dans l’innovation pour rester sur des rante est un élément clé dans l’acte thérapeutique d’introduction
niveaux de marge bénéficiaire élevés en produisant de nouvelles d’un biosimilaire [20]. L’accompagnement de l’information orale
molécules originales. Enfin, on constate qu’un grand nombre de par une information écrite améliore la qualité et l’efficacité du
laboratoire de biologiques princeps investissent dans le domaine message [8]. Comme souligné par une étude française récente,
des biosimilaires, ce qui démontre que la commercialisation d’un il est également indispensable d’apporter une formation des
biosimilaire reste une opération rentable. Dernier point, les biosi- intervenants non-médicaux (pharmaciens, paramédicaux) car une
milaires peuvent apporter des innovations au bénéfice du patient discordance dans les discours de différents professionnels de santé
comme par exemple un stylo injecteur moins douloureux ou une peut induire un sentiment de méfiance chez le patient [20].
M. Scherlinger et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 5–8 7

Malgré une information optimale et l’acceptation d’une tran- et il appartient aux prescripteurs de s’approprier leur usage pour
sition au biosimilaire, plusieurs études de vie réelle des patients en garantir la meilleure utilisation au bénéfice des patients et de la
atteints de rhumatismes inflammatoires rapportent l’apparition de collectivité.
symptômes douloureux, en l’absence de signe objectif d’activité de
la maladie [21,22]. Compte tenu du fait que ces études étaient réa-
Déclaration de liens d’intérêts
lisées en ouvert et surtout de l’absence de tels symptômes dans les
études menées en double insu [7,23,24], ces symptômes ont été
MS, JLP et PD déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
mis sur le compte d’un effet nocebo des biosimilaires [25]. Il est
EL a reçu des honoraires en tant que consultant de : MSD, Pfizer,
estimé que cet effet nocebo est lié à une acceptation incomplète
Roche Chugaï, UCB.
du biosimilaire et concerne environ 15 % des patients substitués
TS a reçu des honoraires en tant que consultant de : Amgen,
au biosimilaire [22]. De nombreux facteurs comprenant la patholo-
AbbVie, Biogen, BMS, Janssen, MSD, Novartis, Pfizer, Roche Chugaï,
gie sous-jacente, les caractéristiques des patients mais également
UCB. TS a reçu une bourse de recherche de Pfizer (non liée à ce
le discours médical peuvent participer à cet effet nocebo [26]. Ce
travail).
potentiel effet nocebo ne doit pas décourager les médecins à pro-
poser un biosimilaire en substitution, une reprise du biologique
princeps permettant en règle le retour à l’état initial [22]. Des Références
stratégies de prise en charge de ces effets nocebo (traitement symp-
tomatique, réassurance, wait and see) pourraient en outre améliorer [1] Weise M, Bielsky M-C, De Smet K, Ehmann F, Ekman N, Giezen TJ, et al. Biosi-
milars: what clinicians should know. Blood 2012;120:5111–7.
la maintenance des biosimilaires dans ce sous-groupe (minoritaire)
[2] van Overbeeke E, De Beleyr B, de Hoon J, Westhovens R, Huys I. Perception
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arthritis patients and rheumatologists. BioDrugs 2017;31:447–59.
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La pénétration des biosimilaires en France reste faible par Immunol 2015;11:43–52.
rapport à ses voisins européens : à six mois de la mise sur le [5] Aladul MI, Fitzpatrick RW, Chapman SR. Impact of infliximab and etanercept
biosimilars on biological disease-modifying antirheumatic drugs utilisation
marché du premier anti-TNF biosimilaire sous-cutané (étanercept and NHS budget in the UK. BioDrugs Clin Immunother Biopharm Gene Ther
biosimilaire), sa pénétration en France était de 3 %, contre 19 % 2017;31:533–44.
en Allemagne et 31,6 % au Royaume-Uni [27]. Plusieurs raisons [6] Cohen HP, Blauvelt A, Rifkin RM, Danese S, Gokhale SB, Woollett G. Switching
reference medicines to biosimilars: a systematic literature review of clinical
peuvent être invoquées à l’inertie de l’utilisation des biosimilaires outcomes. Drugs 2018;78:463–78.
en France. Il s’agit principalement du manque d’information, de la [7] Jørgensen KK, Olsen IC, Goll GL, Lorentzen M, Bolstad N, Haavardsholm EA,
réticence des médecins ou des patients et de l’absence initiale de et al. Switching from originator infliximab to biosimilar CT-P13 compared with
maintained treatment with originator infliximab (NOR-SWITCH): a 52-week,
politique incitative à leur prescription. randomised, double-blind, non-inferiority trial. Lancet 2017;389:2304–16.
Début 2018, une instruction publiée par la Direction générale de [8] Jacomet C, Allavena C, Peyrol F, Pereira B, Joubert LM, Bagheri H, et al. Perception
l’offre de soin (DGOS) a mis en place un dispositif financier incitatif of antiretroviral generic medicines: one-day survey of HIV-infected patients
and their physicians in France. PloS One 2015;10:e0117214.
en faveur des établissements de santé qui prescrivent des biosi- ®
[9] Wémeau J-L, Ladsous M. [Lévothyrox : the teachings of a senseless polemic].
milaires au titre des prescriptions hospitalières réalisées en ville Presse Med 2017;46:887–9.
(PHEV), dans le cadre d’un contrat d’amélioration de la qualité et de [10] World Health Organization. Guidelines on evaluation of similar biotherapeutic
l’efficience des soins (CAQES) [28]. Pour chaque biosimilaire pres- products (SBPs) [n.d.].
[11] Vezér B, Buzás Z, Sebeszta M, Zrubka Z. Authorized manufacturing changes
crit (en initiation ou en substitution), l’établissement de santé se for therapeutic monoclonal antibodies (mAbs) in European Public Assessment
voit reverser 20 % de l’écart de prix entre les deux spécialités, soit Report (EPAR) documents. Curr Med Res Opin 2016;32:829–34.
30 euros par mois de traitement pour l’étanercept. [12] Girolomoni G, Feldman SR, Emery P, Ghil J, Keum JW, Cheong SY, et al. Com-
parison of injection site reactions between the etanercept biosimilar SB4 and
L’échec de la politique de diffusion des génériques où les autori- the reference etanercept in patients with rheumatoid arthritis from a Phase III
tés ont choisi d’inciter financièrement les pharmaciens à effectuer study. Br J Dermatol 2018;178:e215–6.
la substitution doit servir de leçon pour les biosimilaires. Le para- [13] Cantini F, Benucci M. Switching from the bio-originators to biosimilar: is it
premature to recommend this procedure? Ann Rheum Dis 2017, http://dx.doi.
digme proposé est de profiter du renouvellement annuel de la org/10.1136/annrheumdis-2017-212820 [annrheumdis-2017-212820].
prescription initiale hospitalière (PIH) pour que les biosimilaires [14] Scherlinger M, Schaeverbeke T. Response to: ‘Switching from the bio-
soient utilisés en substitution des originaux, au bénéfice des établis- originators to biosimilar: is it premature to recommend this procedure?’
by Cantini and Benucci. Ann Rheum Dis 2018, http://dx.doi.org/10.1136/
sements de soins (et bien sûr, de la collectivité). Il faut cependant annrheumdis-2018-213021 [annrheumdis-2018-213021].
noter que ce renouvellement de PIH n’est, dans la grande majo- [15] Cantini F, Benucci M. Response to: “Seeing the glass either half full or
rité des cas, pas réalisé par le spécialiste traitant. Compte tenu half empty: response to the correspondence ‘Switching from the bio-
originators to biosimilar: is it premature to recommend this procedure?”’
de l’importance de la perception du patient sur l’efficacité et la
by Scherlinger and Schaeverbeke. Ann Rheum Dis 2018, http://dx.doi.
maintenance thérapeutique du biosimilaire, nous pensons qu’il org/10.1136/annrheumdis-2018-213044 [annrheumdis-2018-213044].
est indispensable de placer l’interniste/rhumatologue traitant au [16] Scherlinger M, Schaeverbeke T. Additional response to the correspondence:
centre du processus de prescription du biosimilaire, surtout en ‘Switching from the bio-originators to biosimilar: is it premature to recom-
mend this procedure?’ by Cantini and Bennuci. Ann Rheum Dis 2018, http://dx.
cas de substitution d’un biologique princeps. Les dispositifs inci- doi.org/10.1136/annrheumdis-2018-213342 [annrheumdis-2018-213342].
tatifs devraient donc cibler le spécialiste traitant (souvent libéral) [17] DGOS, DSS, DGS. Instruction no DGOS/PF2/DSS/1C/DGS/PP2/CNAMTS/2017/
au même titre que les structures hospitalières. 244 du 3 août 2017 relative aux médicaments biologiques, à leurs similaires
ou « biosimilaires », et à l’interchangeabilité en cours des traitements; 2017.
[18] Kay J, Schoels MM, Dörner T, Emery P, Kvien TK, Smolen JS, et al. Consensus-
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enjeux économiques et sociétaux liés à leur utilisation sont majeurs Arthritis Rheum 2018, http://dx.doi.org/10.1016/j.semarthrit.2018.07.005.
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with maintenance of CT-P13 in ankylosing spondylitis: 102-week data from no DSS/1C/DGOS/PF2/2018/42 du 19 février 2018 relative à l’incitation à
the PLANETAS extension study. Ann Rheum Dis 2017;76. la prescription hospitalière de médicaments biologiques similaires, lorsqu’ils
[24] Yoo DH, Prodanovic N, Jaworski J, Miranda P, Ramiterre E, Lanzon A, et al. Effi- sont délivrés en ville. http://circulaires.legifrance.gouv.fr/index.php?action=
cacy and safety of CT-P13 (biosimilar infliximab) in patients with rheumatoid afficherCirculaire&hit=1&r=43152 [n.d. accessed June 11, 2018].
La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15

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www.sciencedirect.com

Article original

Épidémiologie des thromboses veineuses des membres supérieurs :


étude rétrospective de 160 thromboses aiguës
Upper-extremity venous thrombosis: A retrospective study about 160 cases
L. Drouin a , M.-A. Pistorius a , A. Lafforgue a , C. N’Gohou b ,
A. Richard a , J. Connault a , O. Espitia a,∗
a
Service de médecine interne, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes, France
b
Département d’information médicale, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Objectif. – Décrire les caractéristiques cliniques et les étiologies des thromboses veineuses des membres
Disponible sur Internet le 16 août 2018 supérieurs (TVMS).
Méthodes. – Les patients pour lesquels un écho-Doppler veineux des membres supérieurs a été demandé
Mots clés : pour suspicion de TVMS dans un hôpital universitaire, de janvier à décembre 2016, ont été inclus
Thrombose veineuse du membre supérieur rétrospectivement. Les signes cliniques faisant suspecter une TVMS, les caractéristiques cliniques, la
Embolie pulmonaire topographie des TVMS et la prévalence des embolies pulmonaires (EP) symptomatiques ont été analy-
Cathéter
sés. Les sensibilités (Se), spécificités (Sp), valeurs prédictives positives (VPP) et négatives (VPN) signes
cliniques faisant suspecter une TVMS ont été estimées en comparant les patients avec TVMS confirmé à
l’écho-Doppler à ceux sans TVMS.
Résultats. – Parmi les 488 suspicions de TVMS incluses, 160 TVMS étaient confirmées par écho-Doppler,
dont 80 thromboses veineuses profondes (TVP) et 80 thromboses veineuses superficielles (TVS). Une EP
symptomatique était retrouvée dans 2,5 % des cas chez les patients présentant une TVMS (n = 4). Aucun
des signes cliniques faisant suspecter une TVMS n’avait une sensibilité supérieure à 40 %. Pour les TVP,
la présence d’un syndrome cave supérieur avait une VPP de 100 %, une VPN de 71,6 % et une Sp de 100 %.
Pour les TVS, la présence d’un cordon induré avait une VPP de 85,7 %, une VPN 75,3 % et une spécificité de
98,4 %. Un dispositif endoveineux était présent dans 87,5 % des TVP et 97,5 % des TVS. Un cathéter central
à insertion périphérique ou un site implantable étaient présents respectivement dans 40 % et 17,5 % des
TVP. Une hémopathie maligne était présente chez 43,8 % des patients présentant une TVP et 31,3 % une
TVS. Un sepsis ou une néoplasie solide était présents dans 25 % et 15 % des cas, respectivement. Aucune
TVMS n’a été révélatrice de néoplasie solide, d’hémopathie ou de thrombophilie.
Conclusion. – Les dispositifs endoveineux sont impliqués dans la 92,5 % des TVMS. La prévalence des
EP symptomatiques est faible. Les hémopathies malignes, les sepsis et les néoplasies solides sont les
pathologies les plus fréquemment chez les patients présentant une TVMS.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Aim. – To describe the clinical features and etiologies of upper limb venous thrombosis (ULVT).
Upper-extremity vein thrombosis Methods. – All patients with a clinically suspected ULVT, were included retrospectively from January to
Pulmonary embolism December 2016. Diagnosis of ULVT was based on doppler-ultrasonography. Clinical features, topography
Venous catheter and symptomatic pulmonary embolism (PE) were analyzed. The sensitivity (Se), specificity (Sp), positive
predictive value (PPV) and negative value (NPV) of clinical symptoms leading to ULVT suspicion were
estimated by comparing patients with and without ULVT.

∗ Auteur correspondant. Service de médecine vasculaire, Hôtel-Dieu, CHU de Nantes, 1, place Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes, France.
Adresse e-mail : olivier.espitia@chu-nantes.fr (O. Espitia).

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.07.012
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
10 L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15

Results. – Among 488 patients with a suspected ULVT, 160 were diagnosed with ULVT, including, 80 with
deep venous thrombosis (DVT) and 80 with superficial venous thrombosis (SVT). Symptomatic PE was
found in 2.5 % of cases (n = 4). None of the clinical symptoms of ULVT had a sensitivity greater than 40 %.
For DVT, presence of superior vena cava syndrome had a 100 % PPV, 71.6 % NPV and 100 % Sp. For SVT, the
presence of an cord-like induration had a 85.7 % PPV, 75.3 % NPV and 98.4 % Sp. An endovenous device was
present in 87.5 % of DVT and 97.5 % of SVT cases. Malignant hemopathy was found in 43.8 % and 31.3 % of
cases of DVT and SVT, respectively. Sepsis and solid neoplasia were present in 25 % and 15 % of cases of
ULVT, respectively. Peripherally inserted central catheter or implantable sites were present in 40 % and
17.5 % of DVT patients. No solid neoplasia, hematological malignancy or thrombophilia were diagnosed
in patients with ULVT.
Conclusion. – An endovenous device was involved in 92.5 % of cases of ULVT. The prevalence of sympto-
matic PE was low. Hematological malignancies, sepsis and neoplasia were the most common conditions
present in patients with ULVT.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All
rights reserved.

1. Introduction épisodes de TVMS distincts, chaque épisode était inclus. Les réci-
dives ou extensions de thromboses déjà diagnostiquées étaient
La maladie thromboembolique veineuse est l’une des princi- exclues de l’analyse.
pales causes de morbi-mortalité chez les patients hospitalisés. Toute EP diagnostiquée par angioscanner thoracique ou par
Les thromboses veineuses du membre supérieur (TVMS) sont de scintigraphie pulmonaire de ventilation perfusion dans les dix jours
plus en plus fréquentes notamment en milieu hospitalier chez précédant le diagnostic de TVMS ou dans un délai de trois mois
des patients porteurs de lourdes co-morbidités, en raison de à partir du diagnostic était considérée comme en rapport avec la
l’augmentation du recours aux cathéters veineux centraux (CVC) TVMS.
pour les chimiothérapies, les antibiothérapies prolongées ou dans Une grille de recueil standardisée permettait le recueil des infor-
le cadre d’une nutrition parentérale. mations concernant les données démographiques et les pathologies
L’étiologie des TVMS est le plus souvent évidente, avec dans associées à la TVMS. Les motifs de demande de l’échographie Dop-
l’immense majorité des cas la présence d’un dispositif endoveineux. pler ont été analysés en les groupant de la manière suivante :
Cependant, certaines pathologies spécifiques comme le syndrome douleur, œdème du membre supérieur, signes inflammatoires
de Paget-Schroetter (thrombose d’effort), de rares cas de syndrome locaux, cordon veineux induré, impotence fonctionnelle, syn-
des anti-phospholipides ou les syndromes d’hyperstimulation ova- drome cave supérieure, dysfonctionnement du cathéter, échec de
rienne sont également rencontrés et nécessitent une démarche pose d’un cathéter veineux et découverte fortuite d’une TVMS à
diagnostique rigoureuse. l’imagerie tomodensitométrique.
La prise en charge d’une TVMS est parfois complexe, en rai- Le groupe de patients suspects de TVMS mais sans thrombose
son de l’absence de recommandations de haut niveau de preuve retrouvée à l’écho-Doppler a été utilisé comme groupe témoin pour
et des multiples co-morbidités de ces patients. Diverses straté- les calculs de sensibilité (Se), spécificité (Sp), valeur prédictive posi-
gies thérapeutiques peuvent être appliquées ; ainsi une étude tive (VPP) et valeur prédictive négative (VPN) des signes cliniques
récente issue d’un registre suédois a montré la sécurité d’usage faisant suspecter une TVMS.
des anticoagulants oraux directs dans la prise en charge des TVMS Pour la description topographique des thromboses, nous avons
[1]. Ces thromboses impactent grandement la prise en charge des retenu le segment le plus proximal du thrombus pour définir la
patients : cure de chimiothérapie retardée, risque hémorragique lié localisation de la TVMS :
à l’anticoagulation, réduction du capital veineux chez des patients
porteurs de maladies chroniques ayant recours à des perfusions
itératives. L’objectif de ce travail était de décrire les présentations
cliniques, les topographies des TVMS diagnostiquées sur une année • thromboses veineuses profondes (TVP) proximales : atteinte du
dans un centre hospitalier universitaire. tronc veineux brachiocéphalique, des veines sous-clavière ou
axillaire;
• TVP distales : veines humérales, ulnaires et radiales;
2. Méthodes
• thromboses veineuses superficielles (TVS) brachiales : veines
Cette étude descriptive, rétrospective, monocentrique, menée céphalique et basilique dans leur portion brachiale;
• TVS antébrachiales : veines céphaliques et basiliques dans leur
au CHU de Nantes du 1er janvier au 31 décembre 2016, a inclus
les patients pour qui un écho-Doppler veineux des membres supé- portion antébrachiale.
rieurs avait été effectué en raison d’une suspicion de TVMS. Ce
travail a obtenu l’accord du comité d’éthique du CHU de Nantes.
Le diagnostic de TVMS était confirmé par un écho-Doppler
retrouvant la présence d’au moins une thrombose veineuse défi- La TVMS était considérée en rapport avec un matériel endo-
nie par une incompressibilité de la veine ou une absence de flux veineux si la thrombose était localisée sur le trajet de la voie en
en mode couleur sur au moins 5 mm, avec une partie du throm- place ou récemment retirée (ablation dans les 10 jours précédents
bus en contact avec la paroi veineuse. Les thromboses incluses le diagnostic de TVMS).
intéressaient les veines brachiocéphaliques, sous-clavières, axil- Les valeurs qualitatives ont été exprimées en effectifs et pour-
laires, humérales, radiales et ulnaires ainsi que les veines basiliques centages. Les comparaisons de moyenne, ont été effectuées par un
et céphaliques brachiales comme antébrachiales. Les thromboses t-test ou une ANOVA. Les comparaisons de fréquence par un test
jugulaires isolées étaient exclues. Si le patient présentait plusieurs Chi2 ou le test de Fisher en fonction des effectifs.
L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15 11

3.1. Caractéristiques de la population

Les caractéristiques générales de la population sont décrites


dans le Tableau 1. Les co-morbidités associées les plus souvent pré-
sentes étaient les hémopathies malignes, les sepsis et les néoplasies
solides. Sur l’ensemble des TVMS recensées en 2016, on ne rapporte
qu’un seul cas de TVMS isolée. Aucune de ces 160 TVMS n’a été
révélatrice de néoplasie solide, d’une hémopathie ou encore d’une
thrombophilie.

3.2. Indications de l’échographie Doppler

Les indications de l’échographie Doppler sont détaillées dans le


Tableau 2. La présence d’un syndrome cave supérieur, d’une circu-
lation veineuse collatérale (CVC) ou d’un cordon induré étaient les
signes les plus fréquemment associés aux TVMS. Les demandes sans
aucun renseignement clinique représentaient respectivement 7,5 %
des TVP, 13,8 % des TVS et 1 % des contrôles. Les valeurs de sensibi-
lité, spécificité, valeur prédictive positive et négative des différents
Fig. 1. Diagramme de flux de sélection des patients. signes cliniques sont présentées dans le Tableau 3.

3.3. Caractéristiques de la thrombose

La topographie des thromboses veineuses est décrite dans le


3. Résultats Tableau 4. On retrouve autant de TVP que de TVS. La localisation la
plus fréquente était le réseau veineux profond proximal (46,9 %),
La stratégie de sélections des patients est présentée sur la Fig. 1. dont 34 TVMS situées au niveau du tronc veineux brachiocépha-
Parmi les 488 suspicions de TVMS, 160 TVMS ont été confirmées lique (TVBC), parmi lesquelles 6 thromboses de la veine jugulaire
par écho-Doppler (32,8 %). interne étendues au TVBC. Seulement 23 TVS étaient de localisation

Tableau 1
Caractéristiques de la population et comparaison des caractéristiques entre les patients contrôles, les cas de thromboses veineuses profondes et les cas de thromboses
veineuses superficielles.

Caractéristiques de la population Contrôles n = 328 TVP n = 80 TVS n = 80 p

Sexe (Homme) n (%) 169 (51,6 %) 56 (70,0 %) 58 (72,5 %) 0,002


Âge moyen (années) ± écart-type 52,2 ± 23,8 60 ± 20,6 58,1 ± 15,9 0,41
Présence d’un dispositif endoveineux homolatéral à la thrombose 200 (60,9 %) 70 (87,5 %) 78 (97,5 %) < 0,001
Hémopathie maligne 109 (33,2 %) 35 (43,8 %) 25 (31,3 %) 0,16
Leucémie aiguë 39 (12,0 %) 12 (15,0 %) 13 (16,3 %) 0,50
Lymphome 39 (12,0 %) 10 (12,5 %) 7 (8,8 %) 0,70
Myélome 19 (5,7 %) 6 (7,5 %) 3 (3,8 %) 0,59
Syndrome myélodysplasique 5 (1,6 %) 3 (3,8 %) 1 (1,3 %) 0,38
Maladie de Waldentström 0 2 (2,5 %) 0 0,006
Syndrome myéloprolifératif 7 (2,1 %) 1 (1,3 %) 1 (1,3 %) 0,79
Leucémie lymphoide chronique 0 1 (1,3 %) 0 0,07
Sepsis 51 (15,6 %) 27 (33,8 %) 13 (16,3 %) 0,0007
Néoplasie solide 50 (15,1 %) 16 (20,0 %) 8 (10,0 %) 0,21
Idiopathique 0 1 (1,3 %) 0 0,07
DCT 0 0 0 –

TVP : thrombose veineuse profonde ; TVS : thrombose veineuse superficielle ; DCT : défilé cervicothoracique.

Tableau 2
Manifestations cliniques à l’origine de la suspicion de thrombose veineuse du membre supérieur.

Contrôles n = 328 TVP n = 80 TVS n = 80 Taux de TVMS en présence


du signe clinique %

Syndrome cave supérieur, n (%) 0 4 (5,0 %) 0 100,0


Cordon induré, n (%) 5 (1,6 %) 4 (5,0 %) 18 (22,5 %) 81,5
Circulation veineuse collatérale, n (%) 2 (0,5 %) 8 (10,0 %) 0 80,0
Écoulement purulent, n (%) 2 (0,5 %) 2 (2,5 %) 1 (1,3 %) 60,0
Échec de pose de voie centrale, n (%) 3 (1,0 %) 4 (5,0 %) 0 57,1
Érythème, n (%) 34 (10,4 %) 8 (10,0 %) 31 (38,8 %) 52,8
Douleur, n (%) 32 (9,9 %) 13 (16,3 %) 12 (15,0 %) 43,9
Présence d’un dispositif endoveineux, n (%) 200 (60,9 %) 70 (87,5 %) 78 (97,5 %) 42,5
Œdème, n (%) 80 (24,5 %) 31 (38,8 %) 15 (18,8 %) 36,5
Dysfonction de la voie veineuse, n (%) 14 (4,2 %) 2 (2,5 %) 3 (3,8 %) 26,3
Fièvre, n (%) 121 (37,0) 22 (27,5 %) 20 (25,0 %) 25,8
Hémoculture positive, n (%) 67 (20,3 %) 15 (18,8 %) 8 (10,0 %) 25,6
Suspicion thrombose sur une autre imagerie, n (%) 15 (4,7 %) 2 (2,5 %) 1 (1,3 %) 16,7

TVMS : thrombose veineuse du membre supérieur ; TVP : thrombose veineuse profonde ; TVS : thrombose veineuse superficielle.
12 L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15

Tableau 3 Tableau 5
Sensibilité, spécificité, valeur prédictive négative, valeur prédictive positive des Caractéristiques des dispositifs endoveineux.
différentes manifestations cliniques faisant suspecter une thrombose veineuse du
membre supérieur en fonction de la topographie de la thrombose. Dispositifs endoveineux TVP n = 70 TVS n = 78

PICC Line 32 (40,0 %) 22 (27,5 %)


VPP VPN Spécificité Sensibilité
Chambre implantable 14 (17,5 %) 0
TVP Cathéter de dialyse 3 (3,8 %) 0
Syndrome cave supérieur 100,0 71,6 100,0 5,0 Cathéter jugulaire 1 (1,3 %) 0
Circulation veineuse 88,9 72,6 99,5 10,0 Autre cathéter veineux central 12 (15,0 %) 0
collatérale Cathéter veineux périphérique 1 (1,3 %) 52 (65,0 %)
Écoulement purulent 66,7 71,0 99,5 2,5 MID Line 1 (1,3 %) 2 (2,5 %)
Échec de pose de voie 66,7 71,4 99,0 5,0 Pacemaker 6 (7,5 %) 2 (2,5 %)
centrale
PICC Line : cathéter central à insertion périphérique ; MID Line : cathéter périphé-
Cordon induré 57,1 71,3 98,4 5,0
rique profond de longue durée.
Douleur 40,6 72,1 90,1 16,3
Œdème 39,7 74,7 75,5 38,8
Érythème 28,6 70,5 89,6 10,0
Cinq patients présentaient des TVMS bilatérales : un homme de
Hémoculture positive 27,8 70,2 79,7 18,8
Fièvre 23,7 67,6 63,0 27,5 17 ans présentant un syndrome cave supérieur avec des TVP proxi-
Dysfonction de la voie 20,0 70,2 95,8 2,5 males révélant un lymphome B médiastinal compressif, un homme
Suspicion thrombose sur 18,2 70,1 95,3 2,5 de 47 ans avec un sepsis sévère compliquant une péritonite avec
une autre imagerie
des thromboses bilatérales sur les voies veineuses périphériques,
TVS
Cordon induré 85,7 75,3 98,4 22,5
un homme de 44 ans greffé rein-pancréas présentant des TVS dans
Érythème 60,8 77,8 89,6 38,8 un contexte de pancréatite et de sepsis non documenté, un homme
Écoulement purulent 50,0 70,7 99,5 1,3 de 70 ans hospitalisé pour état de choc hémorragique sur diver-
Douleur 38,7 71,8 90,1 15,0 ticule colique avec des TVS bilatérales sur voies périphériques et
Dysfonction de la voie 27,3 70,5 95,8 3,8
un homme 47 ans avec TVS bilatérales, hospitalisé pour un syn-
Œdème 24,2 69,0 75,5 18,8
Fièvre 22,0 66,9 63,0 25,0 drome obstructif sur une sténose duodénale avec un ulcère dans
Hémoculture positive 17,0 68,0 79,7 10,0 un contexte de nutrition parentérale avec multiples perfusions,
Suspicion thrombose sur 10,0 69,8 95,3 1,3
une autre imagerie
3.4. Embolies pulmonaires et décès
TVS : thrombose veineuse superficielle ; TVP : thrombose veineuse profonde ; VPN :
valeur prédictive négative ; VPN : valeur prédictive négative.
Quatre EP sont survenues dans un délai de trois mois suivant le
diagnostic de TVMS, pour deux patients, l’EP a été diagnostiquée
Tableau 4 dans un délai de moins de deux semaines suivant le diagnostic de
Topographie des thromboses veineuses du membre supérieur.
TVMS. Dans le groupe des TVP, on rapportait 3 EP, soit une pré-
Topographie n % valence de 3,8 % des TVP. Ces EP sont survenues dans un contexte
Profonde 80 50,0 de leucémie aiguë myéloïde, de lymphome non hodgkinien et de
Profonde proximale 75 46,9 thrombose sur sonde de pacemaker. Aucune n’a été compliquée de
Tronc veineux brachiocéphalique 34 21,3 décès. L’unique EP associée aux TVS, compliquait une thrombose
Sous-clavière 26 16,3 de la veine céphalique brachiale favorisée par un cathéter veineux
Axillaire 15 9,4
Profonde distale 5 3,1
périphérique chez un patient présentant une colite à Clostridium.
Humérale 4 2,5 La prévalence de l’EP était de 1,3 % des TVS.
Ulnaire 0 0 Quatre patients ayant une TVP et deux patients ayant une TVS
Radiale 1 0,6 sont décédés dans les trois mois suivant leur diagnostic de TVMS,
Superficielle 80 50,0
suite à l’évolution de leur néoplasie. Aucun de ces six décès (3,8 %)
Basilique 39 24,4
Basilique brachiale 33 20,6 n’a été rapporté à une EP.
Basilique antébrachiale 6 3,8
Céphalique 40 25,0
4. Discussion
Céphalique brachiale 23 14,4
Céphalique antébrachiale 17 10,6
Veine médiale 1 0,6 4.1. Présentation clinique des TVMS
Latéralité
Droite 96 60,0 Cette étude rappelle que la plupart des signes cliniques asso-
Gauche 59 36,9
ciés au TVMS ont une sensibilité médiocre, que ce soit pour les
Bilatérale 5 3,1
TVP comme pour les TVS. Certaines manifestations cliniques, à
type d’obstruction veineuse comme le syndrome cave supérieur
antébrachiale exclusive (14,4 %). Le type de dispositif endovei- ou la présence d’une CVC ont de forte spécificité, respectivement de
neux et sa fréquence au sein de la population sont décrits dans le 100 % et de 99,5 % pour les TVP. Au cours des TVS, la présence d’une
Tableau 5. Dans cette étude, les dispositifs endoveineux étaient pré- CVC a une spécificité de 99 %. De plus, les manifestations obstruc-
sents dans 92,5 % des cas de thrombose (n = 148), et dans 52,5 % des tives ont une forte valeur prédictive positive (VPP), de 100 % pour
cas (n = 84) il s’agissait de VVC. Douze patients n’avaient aucun de les syndromes caves supérieurs et 88,9 % pour les CVC au cours
matériel veineux en place au moment ou dans les jours précédents des TVP. Les manifestations inflammatoires comme l’érythème, la
le diagnostic de la TVMS. Il s’agissait de dix TVP (thrombose d’effort fièvre ou la positivité des hémocultures ont des VPP médiocre. Pour
(n = 2), fracture de clavicule avec compression extrinsèque (n = 1), les TVS, le seul signe ayant une bonne VPP est la présence d’un
compression par des adénopathies de lymphome (n = 4), compres- cordon induré. Ces données mettent en évidence que les signes
sion par un carcinome épidermoïdes ORL (n = 2), compression dans loco-régionaux sont des éléments à prendre en compte lors des sus-
un contexte de prise d’alcool et de toxique (n = 1)) et de deux TVS picions de TVMS ; alors que les signes généraux comme la fièvre,
(fracture de clavicule (n = 1), contexte de carcinome épidermoïde l’œdème ou les douleurs peuvent également être rapportés aux
métastatique (n = 1)). pathologies sous-jacentes que présentent ces patients.
L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15 13

En cas de difficulté diagnostique, des scores prédictifs comme « banalisé » en service de médecine conventionnelle ; même si à
celui de Constans ont été élaborés [2]. De façon plus récente, un la différence des TVMS sur PICC Line, les TVMS dues aux cathéters
algorithme décisionnel utilisant les signes cliniques, les d-dimères veineux périphériques sont quasi exclusivement des thromboses
et l’écho-Doppler, a été proposé pour exclure de manière formelle veineuses superficielles, brachiales ou antébrachiales. La présence
une TVMS [3,4]. prolongée des cathéters pourrait expliquer cette forte prévalence
en hospitalisation conventionnelle. Or ces unités reçoivent une
4.2. Topographie des thromboses veineuses population importante de patients avec des maladies chroniques
qui auront recours aux thérapeutiques intraveineuses de façon
Dans cette étude, nous avons observé autant de TVP que de répétée et pour qui l’importance de maintenir une perméabilité
TVS. Dans la littérature, la plupart des études ont décrit les throm- du réseau veineux des membres supérieurs est grande.
boses veineuses proximales notamment dans deux grandes série
de 300 et 598 patients : 23 % étaient localisées au tronc veineux TVMS non associées aux cathéters
innominé [5], de 53,7 à 78,1 % à la veine sous-clavière [5,6], 35,7 % Dans cette étude la majorité des TVMS étaient d’origine secon-
en veine axillaire [5] ou 13,4 % au niveau de la veine jugulaire daire : hémopathie ou néoplasie solide dans 52,5 % des cas, sepsis
interne [6]. La fréquence des TVP distales et des TVS des membres dans 28,1 %. Ces thromboses survenaient soit en présence d’un
supérieurs est mal connue. cathéter, soit de façon plus exceptionnelle par compression vei-
Ici, 50 % des TVMS intéressaient le réseau superficiel. La neuse extrinsèque. La présence d’une néoplasie multiplierait par
veine basilique brachiale était la seconde localisation la plus fré- 2 à 3 le risque de survenue d’une TVMS profonde [13].
quente, toutes localisations confondues. Ceci peut être expliqué par Les TVMS, lorsqu’elles surviennent sans facteur déclenchant
l’utilisation importante de cathéters centraux à insertion périphé- évident doivent faire rechercher une étiologie néoplasique. Un
rique (PICC Line) qui sont implantés de façon préférentielle dans registre danois, ayant analysé 1087 TVMS, a identifié 232 néopla-
cette veine. Dans cette étude, les TVS survenaient plus fréquem- sies, diagnostiquées essentiellement dans les six premiers mois
ment en présence d’un dispositif endoveineux ; dans 65 % des cas suivant la TVMS. Il s’agissait essentiellement de cancers pulmo-
il s’agissait d’un cathéter veineux périphérique ; un seul patient naires, prostatiques et colorectaux [14].
présentait une extension au réseau veineux profond. Certaines Lors d’une TVMS sans contexte néoplasique ou traumatique
hypothèses peuvent être avancées pour expliquer ces phénomènes évident, un syndrome de Paget-Schroetter ou thrombose veineuse
comme l’importance de la réduction de la lumière circulante dans d’effort, doit être recherché. Il s’agit de thromboses veineuses
des veines de petit calibre, le fait qu’il existe des traumatismes axillaires ou sous-clavières qui surviennent lors d’efforts répéti-
endothéliaux répétés en raison des difficultés de fixation de ce tifs des membres supérieurs ou au décours d’un effort chez des
matériel au niveau cutané et d’une moindre vigilance des équipes sujets en général masculins, avant 30 ans, avec une incidence de
médicales quant à ce type de dispositif par rapport aux PICC Line et 1/100 000 patient-année [15,16]. Un syndrome du défilé cervi-
aux autres cathéters veineux centraux. cothoracique avec la présence d’une côte cervicale, d’une bande
fibreuse congénitale, d’une hypertrophie des scalènes ou d’une
4.3. Étiologies des TVMS insertion anormale du ligament costo-claviculaire associés à des
traumatismes répétitifs de l’endothélium de la veine sous-clavière
Dispositifs endoveineux : facteurs favorisant les TVMS sont des facteurs clés dans initiation de la thrombose et sa pro-
Dans cette étude, un matériel endoveineux était présent dans gression. L’activité musculaire intense du bras est rapportée chez
92,5 % des cas, et dans 52,5 % des cas il s’agissait de voies veineuses environ 25 % des patients et est associée à un risque deux fois plus
centrales. Les cathéters veineux centraux et plus particulièrement élevé de TVMS primaire [17–20]. D’autre part, le syndrome du défilé
les PICC Line seraient un facteur de risque majeur de TVMS. Winter cervicothoracique seul est moins présent chez les patients atteints
et al. ont montré que l’utilisation d’un cathéter veineux central aug- de TVMS primaire ; il a été diagnostiqué chez 7 % des cas seulement
mentait le risque de TVMS de 14 fois, mais sans augmentation du [21].
risque d’EP [7]. Avec les PICC Line, le risque de TVMS était augmenté Chez les patients atteints de TVP des membres inférieurs, une
d’un facteur 13, alors qu’avec les autres cathéters veineux centraux thrombophilie biologique est rapportée dans 30 % à 40 % des cas, à
ce risque était augmenté de 3,4 fois, comparativement aux patients la différence des TVMS où les données sur la présence d’anomalies
n’ayant pas de voie veineuse centrale [7]. Certaines séries prospec- prothrombotiques manquent. Une étude sur 31 cas de TVMS non
tives oncologiques retrouvaient une fréquence de complications secondaires à la présence d’un cathéter avait retrouvé un syn-
thrombotiques de 1,9 % à 4,1 % avec les PICC Line [8–10]. D’autre drome des anti-phospholipides dans 45,2 % des cas, une mutation
part, les TVMS sur cathéters veineux centraux sont le plus souvent du facteur V Leiden dans 12,9 %, une mutation du gène de la pro-
localisées aux veines axillaires ou sous-clavières, or ces localisa- thrombine dans 9,7 % et un déficit en protéine S dans 1 % des cas
tions seraient les plus à risque de syndrome post-thrombotique [22]. Ainsi la recherche d’un syndrome des anti-phospholipides doit
(SPT). La fréquence du SPT varie entre 7 et 46 % des cas de TVMS systématiquement être pratiquée en cas de TVMS non expliquée ;
proximales [11]. la recherche systématique d’une thrombophilie constitutionnelle
La grande fréquence des TVMS en présence de PICC Line a fait n’étant à l’inverse pas recommandée. Les syndromes myéloprolifé-
développer des modèles prédictifs de thrombose chez les patients ratifs ne sont qu’exceptionnellement révélés par une TVMS.
devant recevoir ce type de cathéter, avec une évaluation de l’activité Depuis le début du 20e siècle, un certain nombre de cas de TVMS
du cancer, de la présence d’une autre voie veineuse centrale, de sont survenues lors de procréation médicalement assistée compli-
l’utilisation d’un PICC Line à multiple lumière, d’antécédent throm- quées de syndrome d’hyperstimulation ovarienne [23]. Les veines
botique et du taux de leucocytes, permettant d’estimer le risque sous-clavières et axillaires, les veines jugulaires et les sinus céré-
thrombotique et aidant à sélectionner les patients pouvant bénéfi- braux sont plus souvent impliqués. Une explication possible de
cier de l’insertion du PICC line [12]. cette localisation particulière (territoire cave supérieure) est que les
Les données de la littérature sur la prévalence des TVMS des femmes atteintes du syndrome d’hyperstimulation ovarienne pro-
cathéters veineux périphériques sont insuffisantes. Il est pro- duisent un liquide péritonéal avec une concentration d’œstrogène
bable que le nombre de TVMS associées aux cathéters veineux très élevée, qui est recueillie dans le système lymphatique et drainé
périphériques est fortement sous-estimé. Le cathéter veineux péri- via le canal thoracique dans les veines des membres supérieurs à
phérique, facteur de risque considérable, est pourtant souvent proximité des jugulaires internes. Ces concentrations d’œstrogènes
14 L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15

très élevées provoqueraient une activation excessive de la coagu- supérieures qui représentent la moitié des TVMS et dont la prise en
lation locale conduisant à la formation de thrombus localement charge est mal codifiée et mériterait des travaux spécifiques.
[24].

Déclaration de liens d’intérêts


4.4. Embolie pulmonaire
Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
En comparaison des TVP du membre inférieur, les TVP du
membre supérieur se compliquent moins souvent d’embolie pul-
monaire (5,4 % versus 27,9 %) ; cependant le taux de mortalité des Références
TVMS est plus élevé que celui des TVP du membre inférieur (7,6 %
[1] Montiel FS, Ghazvinian R, Gottsäter A, Elf J. Treatment with direct oral anti-
versus 4,2 %) [25]. Dans une étude portant sur 598 patients, la mor- coagulants in patients with upper-extremity deep vein thrombosis. Thromb J
talité des EP diagnostiquées dans un contexte de TVMS a été évaluée 2017;15:26, http://dx.doi.org/10.1186/s12959-017-0149-x.
à 29 % à 2 mois dans le groupe TVMS proximale (axillaire ou sous- [2] Constans J, Salmi L, Sevestre-Pietri M, Perusat S, Nguon M, Degeilh M, et al. A
clinical prediction score for upper-extremity deep venous thrombosis. Thromb
clavière) ; il n’existait pas de différence significative de mortalité Haemost 2008;99:202–7.
entre les groupes TVMS profondes proximales et brachiales [6] ; [3] Kleinjan A, Di Nisio M, Beyer-Westendorf J, Camporese G, Cosmi B, Ghirarduzzi
ainsi, il semble que les TVMS proximales (axillaires, sous-clavières) A, et al. Safety and feasibility of a diagnostic algorithm combining clinical pro-
bability, d-dimer testing, and ultrasonography for suspected upper-extremity
soient associées à la même prévalence d’EP que les thromboses deep venous thrombosis: a prospective management study. Ann Intern Med
profondes distales (brachiales). La mortalité importante des EP 2014;160:451–7, http://dx.doi.org/10.7326/M13-2056.
dans ce contexte est à rapporter aux pathologies associées plus [4] van Es N, Bleker SM, Di Nisio M, Kleinjan A, Beyer-Westendorf J,
qu’à l’évènement thromboembolique en lui-même. Les PICC Line Camporese G, et al. Improving the diagnostic management of upper-
extremity deep vein thrombosis. J Thromb Haemost 2017;15:66–73,
seraient associés à un risque plus important de TVP du membre http://dx.doi.org/10.1111/jth.13536.
supérieur mais pas à un risque accru d’EP, en comparaison des [5] Levy M, Albuquerque F, Pfeifer J. Low incidence of pulmonary embolism
autres étiologies de TVMS [26]. Cependant dans le registre RIETE associated with upper-extremity deep venous thrombosis. Ann Vasc Surg
(3), l’évolution des EP compliquant une TVMS associée à un cathéter 2012;26:964–72.
[6] Hingorani A, Ascher E, Marks N, Schutzer R, Mutyala M, Yorkovich W, et al.
central semblait moins favorable [27]. Morbidity and Mortality Associated with Brachial Vein Thrombosis. Ann Vasc
Les TVMS sont plus souvent associées à un cancer que les throm- Surg 2006;20:297–300.
boses veineuses du membre inférieur ce qui pourrait expliquer ces [7] Winters JP, Callas PW, Cushman M, Repp AB, Zakai NA. Central venous catheters
and upper-extremity deep vein thrombosis in medical inpatients: the Medical
résultats [28]. Dans une méta-analyse évaluant les complications Inpatients and Thrombosis (MITH) Study. J Thromb Haemost 2015;13:2155–60,
des TVMS, la mortalité serait de 24 % à un an selon une revue des http://dx.doi.org/10.1111/jth.13131.
études prospectives, contre 35 % pour les études rétrospectives [13]. [8] Chemaly R, de Parres J, Rehm S, Adal K, Lisgaris M, Katz-Scott D, et al.
Le cancer augmenterait par 8 le risque de mortalité au cours des Venous thrombosis associated with peripherally inserted central catheters:
a retrospective analysis of the Cleveland Clinic experience. Clin Infect Dis
TVMS [6]. 2002;34:1179–83.
[9] Kang J, Chen W, Sun W, Ge R, Li H, Ma E, et al. Peripherally inser-
ted central catheter-related complications in cancer patients: a prospective
4.5. Limites de l’étude study of over 50 000 catheter days. J Vasc Access 2017;18:153–7,
http://dx.doi.org/10.5301/jva.5000670.
[10] Bertoglio S, Faccini B, Lalli L, Cafiero F, Bruzzi P. Peripherally inserted cen-
Cette étude a inclus uniquement les patients symptomatiques tral catheters (PICCs) in cancer patients under chemotherapy: a prospective
au niveau des membres supérieurs comme sur le plan respira- study on the incidence of complications and overall failures. J Surg Oncol
toire. Une exploration systématique aurait probablement permis 2016;113:708–14, http://dx.doi.org/10.1002/jso.24220.
de diagnostiquer davantage d’EP ; cependant le pronostic de ces [11] Elman E, Kahn S. The post-thrombotic syndrome after upper-extremity
deep venous thrombosis in adults: a systematic review. Thromb Res
EP asymptomatiques reste inconnu et la prise en charge n’en 2006;117:609–14.
est pas modifiée. Il existe également des limites liées au carac- [12] Chopra V, Kaatz S, Conlon A, Paje D, Grant PJ, Rogers M, et al. The Michigan Risk
tère rétrospectif de l’étude, qui peut expliquer le faible taux de Score to predict peripherally inserted central catheter-associated thrombosis.
J Thromb Haemost 2017;15:1951–62, http://dx.doi.org/10.1111/jth.13794.
dysfonctionnement de cathéter observé et l’absence de caractérisa-
[13] Bleker S, van Es N, van Gils L, Daams J, Kleinjan A, Buller H, et al. Clinical course
tion quantifiable des thromboses (longueur du thrombus, diamètre of upper-extremity deep vein thrombosis in patients with or without cancer:
maximal du thrombus sous compression). Les thromboses vei- a systematic review. Thromb Res 2016;140:S81–8.
neuses des veines jugulaires internes n’ont volontairement pas été [14] Adelborg K, Horváth-Puhó E, Sundbøll J, Prandoni P, Ording A, Sørensen
HT. Risk and prognosis of cancer after upper-extremity deep venous throm-
inclues, notre objectif étant d’étudier les seules TVMS. Enfin, nous bosis: a population-based cohort study. Thromb Res 2017;161:106–10,
n’avons pas suivi les patients et nous ne connaissons donc pas http://dx.doi.org/10.1016/j.thromres.2017.11.017.
l’évolution de ces TVMS. [15] Illig KA, Doyle AJ. A comprehensive review of Paget-Schroetter syndrome. J
Vasc Surg 2010;51:1538–47, http://dx.doi.org/10.1016/j.jvs.2009.12.022.
[16] Lindblad B, Tengborn L, Bergqvist D. Deep vein thrombosis of the axillary-
subclavian veins: epidemiologic data, effects of different types of treatment
5. Conclusion
and late sequelae. Eur J Vasc Surg 1988;2:161–5.
[17] Blom JW, Doggen CJM, Osanto S, Rosendaal FR. Old and new risk factors for
Cette étude rappelle que les TVMS surviennent le plus sou- upper-extremity deep venous thrombosis. J Thromb Haemost 2005;3:2471–8,
http://dx.doi.org/10.1111/j.1538-7836.2005.01625.x.
vent dans des contextes cliniques particulier : hémopathie maligne,
[18] Martinelli I, Battaglioli T, Bucciarelli P, Passamonti SM, Man-
infection évolutive ou néoplasie solide. Pour les TVP comme pour nucci PM. Risk factors and recurrence rate of primary deep vein
les TVS, un dispositif endoveineux est presque toujours présent (de thrombosis of the upper extremities. Circulation 2004;110:566–70,
87,5 à 97,5 % des cas). Certaines manifestations cliniques comme http://dx.doi.org/10.1161/01.CIR 0000137123.55051.9B.
la présence d’un syndrome cave supérieur, d’une CVC ont une très [19] Héron E, Lozinguez O, Alhenc-Gelas M, Emmerich J, Fiessinger JN. Hypercoa-
gulable states in primary upper-extremity deep vein thrombosis. Arch Intern
bonne VPP pour les TVP alors que la présence d’un cordon induré Med 2000;160:382–6.
a une VPP de 85,7 % pour les TVS. A contrario, la présence de fièvre [20] Vaya A, Martinez Triguero M, Romagnoli M, López M, Ricart A, Corella
ou d’hémocultures positives en présence de cathéter ont une faible D. Lack of association between hemorheological alterations and upper-
extremity deep vein thrombosis. Clin Hemorheol Microcirc 2009;41:279–85,
VPP de TVMS. Les PICC Line, dans ce travail comme dans la littéra- http://dx.doi.org/10.3233/CH-2009-1179.
ture, sont plus pourvoyeurs de TVP que les chambres implantables. [21] Lechner D, Wiener C, Weltermann A, Eischer L, Eichinger S, Kyrle PA. Compari-
De plus, cette étude apporte des données sur les TVS des membres son between idiopathic deep vein thrombosis of the upper and lower extremity
L. Drouin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 9–15 15

regarding risk factors and recurrence. J Thromb Haemost 2008;6:1269–74, [25] Williams GW, Giri S, Siwakoti K, Sodhi A, Kadaria D. Incidence, risk factors
http://dx.doi.org/10.1111/j.1538-7836.2008.02998.x. and outcomes of upper-extremity deep venous thrombosis among hospitalized
[22] Hendler MF, Meschengieser SS, Blanco AN, Alberto MF, Salviú MJ, Gen- patients in the United States. Am J Respir Crit Care Med 2016;193 [A7768].
nari L, et al. Primary upper-extremity deep vein thrombosis: high [26] Chopra V, Anand S, Hickner A, Buist M, Rogers M, Saint S, et al. Risk of venous
prevalence of thrombophilic defects. Am J Hematol 2004;76:330–7, thromboembolism associated with peripherally inserted central catheters: a
http://dx.doi.org/10.1002/ajh.20131. systematic review and meta-analysis. Lancet 2013;382:311–25.
[23] Chan WS, Dixon ME. The “ART” of thromboembolism: a review of assis- [27] Baumann Kreuziger L, Cote L, Verhamme P, Greenberg S, Caprini J, Munoz F,
ted reproductive technology and thromboembolic complications. Thromb Res et al. A RIETE registry analysis of recurrent thromboembolism and hemorrhage
2008;121:713–26, http://dx.doi.org/10.1016/j.thromres.2007.05.023. in patients with catheter-related thrombosis. J Vasc Surg Venous Lymphat
Disord 2015;3:243–50, http://dx.doi.org/10.1016/j.jvsv.2015.03.002.
[24] Bauersachs RM, Manolopoulos K, Hoppe I, Arin MJ, Schleussner E. More on: the
“ART” behind the clot: solving the mystery. J Thromb Haemost 2007;5:438–9, [28] Girolami A, Prandoni P, Zanon E, Bagatella P, Girolami B. Venous thrombosis
http://dx.doi.org/10.1111/j.1538-7836.2007.02339.x. of upper limbs are more frequently associated with occult cancer as compared
with those of lower limbs. Blood Coagul Fibrinolysis 1999;10:455–7.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 16–19

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Article original

L’hôpital de jour en médecine interne : un atout pour le virage


ambulatoire
Day hospital in internal medicine: A chance for ambulatory care
A. Grasland ∗ , E. Mortier
Centre VI’TAL, hôpital Max-Fourestier, 403, avenue de la République, 92000 Nanterre, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Introduction. – La médecine interne est une spécialité hospitalière. À côté de son expertise dans les mala-
Disponible sur Internet le 16 avril 2018 dies rares, cette spécialité partage avec la médecine générale la prise en charge globale des patients.
Son positionnement dans le virage ambulatoire reste à préciser. L’objectif de notre travail était d’évaluer
Mots clés : l’intérêt d’un hôpital de jour de médecine interne ouvert sur la médecine de ville.
Hôpital de jour Méthodes. – Nommé Centre Vi’TAL (ville–hôpital), cet hôpital de jour s’adresse aux médecins traitants
Médecine interne qui font face à des difficultés diagnostiques, thérapeutiques, ou de synthèse chez un patient complexe. La
Patients complexes
demande du médecin, adressée par courriel entraîne une concertation avec un interniste le jour même.
Virage ambulatoire
Si la demande relève bien d’un hôpital de jour, le patient est accueilli dans les 7 jours. Dans les autres
situations, les patients sont dirigés vers la consultation, l’hospitalisation complète voire les urgences.
Résultats. – En 14 mois, le centre Vi’TAL a accueilli 213 (144 femmes, 69 hommes) patients, d’âge moyen
53,6 ans, adressés par 88 médecins de ville pour un nombre total de 282 séances d’hôpital de jour. Les
motifs de demande étaient un problème diagnostique (n = 105), thérapeutique (n = 43) ou de synthèse
(n = 65).
Conclusion. – Dans le virage ambulatoire prôné par les tutelles, la médecine interne a toute sa place dans
la valorisation de l’hôpital de jour comme lieu de diagnostic et de synthèse en lien avec la ville, tout en
laissant le médecin traitant coordonnateur des soins de leur patient. Ce temps de synthèse est utile pour
les patients et efficient pour le système de santé.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Introduction. – Internal medicine is an in-hospital speciality. Along with its expertise in rare diseases, it
Day hospital shares with general medicine the global care of patients but its place in the ambulatory shift has yet to
Internal medicine be defined. The objective of our work was to evaluate the benefits of an internal medicine day-hospital
Complex patients devoted to general medicine.
Ambulatory care
Methods. – Named “Centre Vi’TAL” to underline the link between the city and the hospital, this novel
activity was implemented in order to respond quickly to general practitioners having difficulties to syn-
thesize their complex patients or facing diagnostic or therapeutic problems. Using preferentially email
for communication, the general practitioners can contact an internist who is committed to respond on
the same day and take over the patient within 7 days if day-hospital is appropriate for his condition. The
other patients are directed either to the emergency department, consultation or full hospitalization.
Results. – In 14 months, the center has received 213 (144 women, 69 men) patients, mean age 53.6,
addressed by 88 general practitioners for 282 day-hospital sessions. Requests included problem diagnoses
(n = 105), synthesis reviews for complex patients (n = 65), and treatment (n = 43).

∗ Auteur correspondant.
Adresses e-mail : Anne.grasland@ch-nanterre.fr, Anne.grasland@aphp.fr (A. Grasland), emmanuel.mortier@aphp.fr, emmanuel.mortier@ch-nanterre.fr (E. Mortier).

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.03.379
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
A. Grasland, E. Mortier / La Revue de médecine interne 40 (2019) 16–19 17

Conclusion. – In the ambulatory shift advocated by the authorities, this experience shows that internal
medicine should engage in the recognition of day-hospital as a place for diagnosis and synthesis reviews
connected with the city while leaving the general practitioners coordinator of their patient care. This
activity of synthesis in day-hospital is useful for the patients and efficient for our healthcare system.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All
rights reserved.

1. Introduction ne nécessite qu’un avis de spécialiste ou si les informations cli-


niques paraissent insuffisantes pour organiser un hôpital de jour,
La médecine interne est une spécialité principalement exercée les patients sont vus rapidement en consultation dans le souci
à l’hôpital. Ce n’est pas totalement inexact de dire que la médecine d’éviter de demander des examens sans avoir examiné le patient. Si
interne est le versant hospitalier de la médecine générale avec la l’état du patient relève plutôt d’une hospitalisation complète, après
même approche du patient qui est perçu dans sa globalité médico- concertation avec le médecin de ville, le patient est admis directe-
psychosociale. La médecine interne se situe en relais de la médecine ment dans le service. Dans les autres cas, l’interniste programme
générale et de la médecine spécialisée [1]. En dehors de la prise un hôpital de jour et décide des examens complémentaires (pla-
en charge des maladies systémiques (connectivites, vascularites), teau technique) et consultations avec des spécialistes avec le souci
l’interniste est souvent amené à soigner des patients hospitalisés d’éviter les doublons par apport aux examens déjà réalisés en ville.
via les urgences. La particularité de cette spécialité repose aussi La demande d’hôpital de jour est ensuite adressée à l’infirmière
sur sa capacité à faire un diagnostic difficile avec un regard plus qui organise la journée, dans un délai le plus souvent de moins de
transversal que dans d’autres spécialités, face à des symptômes 7 jours. Les patients sont vus en hôpital de jour par l’interniste qui a
atypiques. assuré en amont l’organisation des soins en ayant souvent contacté
L’hospitalisation de jour a montré son intérêt dans certains le patient au préalable. La synthèse même provisoire est envoyée le
domaines (chirurgie ambulatoire, cancérologie, endoscopie). Elle même jour au médecin traitant. De fait, ce dernier reste le coordon-
participe au « virage ambulatoire » dont l’objectif principal est nateur des soins du patient. L’information des médecins de ville de
d’éviter des journées d’hospitalisations complètes inutiles [2]. l’ouverture du Centre Vi’TAL s’est faite en se déplaçant dans tous les
Selon les orientations des services de médecine interne (infec- centres municipaux de santé, dans des amicales de médecins, via
tiologie, rhumatologie, hématologie), les hôpitaux de jour de ces l’intermédiaire d’un réseau de santé ville hôpital (réseau 92 Nord)
services accueillent des patients pour des explorations spécifiques et par flyer adressé avec les courriers de consultation. Un journal
(bilan de synthèse pour le VIH par exemple) ou pour des traitements municipal a également présenté cette nouvelle activité.
(biothérapies, chimiothérapies).
Nous présentons ici une nouvelle dimension de l’hôpital de
3. Résultats
jour en médecine interne ouverte sur la médecine de ville. Deux
jours par semaine sont consacrés à l’admission en hôpital de jour
Après 14 mois de fonctionnement, le centre Vi’TAL a accueilli
de patients adressés directement par leur médecin traitant pour
213 patients (144 femmes et 69 hommes) d’âge moyen 53,6 ans
un problème diagnostique ou thérapeutique notamment chez des
[16–95] pour un total de 282 séances d’hôpital de jour. Quatre-
patients complexes. Nous décrivons ici la mise en place de cette
vingt-huit médecins différents ont sollicité le centre Vi’TAL dont 39
nouvelle activité, les premiers résultats à un an ainsi que les avan-
(44 %) au moins 2 fois. Pour ces derniers, le nombre moyen de sollici-
tages et limites de cette nouvelle stratégie.
tations est de 6 [2–28] au cours de cette période. Le nombre mensuel
de nouveaux médecins qui sollicitent le centre Vi’TAL est assez
2. Méthodes stable et régulier (moyenne : 5,9 nouveaux médecins/mois) alors
que le nombre d’hôpitaux de jours varient légèrement (moyenne :
Appelé centre Vi’TAL pour marquer le lien entre la ville et 18,8/mois sur 2 jours par semaine) en fonction des périodes de
l’hôpital, il a été proposé fin 2016 à l’ensemble des médecins libé- vacances (Fig. 1). La Fig. 2 montre le nombre cumulatif des nou-
raux et salariés du nord des Hauts-de-Seine une offre nouvelle de veaux médecins et celui des hôpitaux de jour. La courbe des
lien ville–hôpital tournée vers l’ambulatoire (consultation, hôpital hôpitaux de jour croit plus rapidement que celle des nouveaux
de jour). Les médecins, principalement généralistes, ou spécia-
listes (rhumatologues, gastro-entérologues en particulier) peuvent
contacter préférentiellement par courriel un interniste lorsqu’ils
sont en difficulté avec un patient dont l’état de santé est soit
complexe soit nécessite une expertise pluriprofessionnelle rapide.
Les difficultés rencontrées par les médecins de ville peuvent por-
ter sur un problème diagnostique ou sur l’intrication de plusieurs
pathologies mais aussi sur la vulnérabilité physique (handicap),
psychologique ou sociale du patient.
En pratique, le médecin de ville rédige en quelques lignes les
difficultés rencontrées et adressent un courriel à un des deux méde-
cins internistes du centre Vi’TAL. Chaque jour, l’interniste réserve
un temps de travail pour l’analyse des courriels, accuse récep-
tion auprès du médecin de ville et éventuellement demande des
informations complémentaires auprès du médecin et/ou du patient
en les contactant directement. Les situations d’urgence vitale ne
relèvent pas de cette offre. Si la demande du médecin de ville Fig. 1. Nombre d’hôpitaux de jour et nombre de nouveaux médecins par mois.
18 A. Grasland, E. Mortier / La Revue de médecine interne 40 (2019) 16–19

4. Discussion

L’hôpital de jour s’intègre dans le virage ambulatoire. Le


développement de l’ambulatoire est un axe fort des évolutions hos-
pitalières depuis plusieurs années. En effet, en 2014, la chirurgie
ambulatoire représentait 45 % des interventions en France, soit une
progression significative de +1,8 point par an depuis 2007 [2]. La
psychiatrie, avec ses prises en charge “hors les murs”, est un acteur
historique de la démarche de soins en ambulatoire. En médecine, les
hôpitaux de jour représentent un quart des séjours et parmi eux, un
quart sont assurés par les chimiothérapies, les autres séances étant
dominées par la dialyse et les endoscopies en forte croissance [3].
Le développement des prises en charge ambulatoires hospitalières
Fig. 2. Cinétique du nombre d’hôpitaux de jour et de nouveaux médecins au cours en médecine a fait l’objet d’un certain nombre de recommandations
des 14 premiers mois. [4]. Y a-t-il une place pour un hôpital de jour labellisé « médecine
interne » comme aide aux médecins traitants à l’intersection de
la consultation et de l’hospitalisation complète ? Des discussions
Tableau 1
Répartition et nombre d’hôpitaux de jours selon la demande.
préalables à l’ouverture du centre Vi’TAL avaient mis en évidence
l’attente des médecins de ville d’avoir une prise en charge rapide
Motif d’adressage Nombre de patients (%) Nombre séances (%) (moins d’une semaine) et d’éviter des hospitalisations complètes
Bilan complexe 65 (31) 69 (25) lorsque cela est possible. De plus, une étude pilote avait montré
Traitement 43 (20) 94 (33) qu’un hôpital de jour de médecine interne avait toute sa place dans
Difficultés diagnostiques 105 (49) 119 (42)
l’offre de soin et le parcours des patients complexes suivis en ville
Total 213 282
[5].
Les échanges entre les médecins de ville et de l’hôpital facilités
par les courriels semblent apporter une réponse au fossé sou-
médecins, illustrant ainsi que les médecins généralistes sollicitent vent rapporté entre la médecine de ville et l’hôpital [4]. Parmi
le centre Vi’TAL plusieurs fois. les 770 médecins de ville qui ont répondu à un questionnaire
Les motifs de demande par les médecins traitants sont regrou- de l’assistance publique–hôpitaux de Paris (AP–HP) sur leur lien
pés en 3 catégories : réaliser un bilan de synthèse pour des patients avec l’hôpital, seulement 30 % estiment pouvoir échanger direc-
ayant une ou des pathologies chroniques associées et présentant tement avec un médecin hospitalier senior alors que cette offre
une vulnérabilité (exemples : dépendance liée à l’âge, addiction, est une attente pour 80 % d’entre eux [6]. La conception du centre
troubles cognitifs, difficultés psychosociales), aider à porter rapi- Vi’TAL, pensée par des médecins de ville et de l’hôpital qui avaient
dement un diagnostic (exemples : amaigrissement, adénopathie, l’expérience d’un travail en réseau, a prévu dès son initiation un
syndrome inflammatoire) et assurer un traitement non réalisable contact privilégié par courriel, à défaut par téléphone. Plus de 90 %
en ville (exemples : transfusion, fer injectable, bisphosphonates des hôpitaux de jour, ont été sollicités par courriel. Ce mode de com-
injectables). Le Tableau 1 résume la répartition des patients et des munication permet de poser en quelques lignes les antécédents, les
séances d’hôpital de jour selon ces 3 catégories. Les patients adres- traitements et surtout la problématique du patient. Il peut servir en
sés pour une synthèse sur un terrain vulnérable représentent un outre de lettre d’introduction dans le dossier d’hôpital de jour. Le
tiers des patients et généralement ne viennent qu’une fois en hôpi- jour de l’hospitalisation, le courriel permet l’envoi d’une synthèse
tal de jour. Les patients adressés par le médecin traitant pour un provisoire en temps réel. Un questionnaire de satisfaction dont
traitement sont les moins nombreux (20 %) mais représente un tiers l’analyse est en cours souligne ce mode de communication comme
des séjours. La majorité de ces demandes porte sur l’administration étant privilégié par les médecins de ville. Cette donnée rejoint les
de fer par voie veineuse qui nécessite souvent plusieurs séances, informations recueillies auprès des médecins de ville par l’enquête
pour les perfusions et le bilan étiologique. Près de la moitié des AP–HP puisque le courriel et le SMS sont soulignés par les méde-
patients sont adressés pour un problème de diagnostic difficile. cins de ville comme étant des outils simples et efficaces s’intégrant
Parmi ces patients plus d’un quart relève d’une maladie spécifique facilement dans l’organisation de travail des médecins [6].
à la médecine interne, et un autre quart de pathologies relevant Près de la moitié des patients sont adressés pour une aide diag-
d’autres spécialités. Le Tableau 2 détaille les diagnostics retenus. nostique. Dans la majorité des cas, les diagnostics relèvent de
La venue en hôpital de jour a conduit 29 patients (14 %) à une la médecine interne : maladies systémiques, cancers, infections,
hospitalisation complète programmée. pathologie fonctionnelle. . . Lorsque le diagnostic relève d’une

Tableau 2
Classifications des 105 diagnostics portés après le séjour en HDJ.

Nombre Diagnostics ou spécialités concernées

Maladies systémiques 28 Sjögren (12), sarcoïdose (3), polyarthrite rhumatoïde (3), CREST (1), vascularite à
ANCA (1), Sharp (1), purpura rhumatoïde (1), syndrome d’Evans (1), SPA (3),
maladie de Behçet (2)
Maladies infectieuses 9 Tuberculose (1), neuroborreliose (2), bilharziose (1), pneumopathie (3)
furonculose (2)
Cancer 11 Pulmonaire (3), gastrique (1), colique (3), sarcome (2), col utérin (1), ORL (1)
Pathologie fonctionnelle 11 Fibromyalgie (5), syndrome anxiodépressif (6)
Pathologie rhumatologique 13 Pathologie dégénérative
Autres 26 Cardiologie (2), digestif (4), endocrinien (6), iatrogénie (2), dermatologie (3),
érythème noueux (4), uvéite (2), neurologique (3)
Pathologie inexpliquée 7
Total 105
A. Grasland, E. Mortier / La Revue de médecine interne 40 (2019) 16–19 19

spécialité d’organe, l’interniste assure la coordination des soins et la alternative à une hospitalisation complète lorsque l’état de santé du
synthèse globale en lien avec le médecin de ville. Aucun patient n’a patient lui permet de rester chez lui, mais la décision d’admission
dû passer par un service d’urgence grâce à la régulation en amont revient statutairement au médecin hospitalier. Ce choix est impor-
entre le médecin de ville et celui de l’hôpital. L’hôpital de jour a tant pour laisser le médecin généraliste coordonnateur des soins de
conduit à une hospitalisation complète programmée chez environ son patient avant et après l’hôpital de jour. Pour certains patients
dix pour cent des patients. âgés ou vulnérables, la structure de l’hôpital de jour est aussi plus
Les limites de cette offre nouvelle d’hôpital de jour tournée rassurante pour se rendre à l’hôpital avec moins d’appréhension. De
vers la ville reposent sur la capacité d’organisation des demandes plus, la prise en charge personnalisée par des internistes seniors
d’examens ou de consultations par la structure hospitalière. Ce permet aux médecins généralistes de rassurer leurs patients en
délai rapide de prise en charge avait été mis en évidence dans l’adressant, non pas à une structure, mais à médecin connu. Cepen-
une enquête auprès de 422 médecins généralistes sur leur attente dant ce type de structure pourrait aussi devenir un excellent lieu
quant au délai de prise en charge par un interniste, 94 % sou- de formation, à la fois pour son intérêt médical, mais aussi en par-
haitait une prise en charge rapide (inférieure à 48 heures) ainsi ticipant à faire mieux connaître aux étudiants la médecine de ville
qu’une transmission rapide des conclusions [7]. Les délais volontai- et ainsi participer au décloisonnement entre la ville et l’hôpital.
rement courts d’accueil des patients (moins de 7 jours) qui étaient
un engagement du centre Vi’TAL, sous-entendent l’implication de 5. Conclusion
l’ensemble des services de l’hôpital et doit faire partie d’un pro-
jet d’établissement, comme c’est le cas dans l’hôpital. Dans notre Un hôpital de jour labellisé « médecine interne » tournée vers
expérience, nous n’avons pas réservé de plages d’imagerie mais le la médecine de ville pourrait être une nouvelle offre de soins
service était très réceptif à nos demandes. Les services de spécialité proposée par les établissements hospitaliers entre la consultation
ont participé au projet en libérant des plages de spécialistes avec et l’hospitalisation complète. La médecine interne doit pouvoir
leur plateau technique respectif. prendre cette place. Cette offre paraît adaptée aux patients com-
Comme le rappelle l’IGAS, les prises en charge en hôpital de plexes, vulnérables ou pour une aide diagnostique. Réaliser cette
jour supposent une organisation « millimétrée » en matière de prise en charge en un jour profitant du plateau technique et de
planification, de programmation et de coordination. Le rôle des l’expertise hospitalière doit permettre d’éviter la multiplication des
personnels infirmiers, et particulièrement de l’encadrement soi- examens et des déplacements et apporter une réponse rapide aux
gnant, est essentiel en la matière. Cette organisation est d’autant demandes des médecins de ville, coordonnateurs des soins de leur
plus importante qu’il n’y a pas, en médecine, de lieu pivot comme le patient. Il permet en outre de raccourcir les délais diagnostiques,
bloc opératoire en chirurgie. Elle repose sur des modalités d’entrée en particulier dans les pathologies graves comme la cancérolo-
et de sortie efficaces et rapides, et suppose une coordination forte gie. L’hôpital de jour, outil de prise en charge, se situant entre la
de l’ensemble des acteurs, notamment pour garantir l’accès aux ville et l’hôpital, pourrait de plus être un terrain formateur pour
plateaux techniques [4]. L’organisation de la journée et la suc- les internes. Le fonctionnement d’une telle structure nécessite son
cession des examens nécessitent une vigilance permanente des intégration dans un projet d’établissement pour avoir les moyens
infirmières et des médecins pour optimiser la fluidité du parcours. nécessaires et l’implication de tous les acteurs.
L’autre frein qu’il convient de bien prendre en compte est le temps
médical et paramédical nécessaire à cette nouvelle activité puisque Déclaration de liens d’intérêts
chaque séjour nécessite du temps en amont pour recueillir le plus
d’éléments possible auprès du médecin traitant, des structures hos- Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
pitalières, voire du patient (par téléphone) et en aval pour une
synthèse la plus complète et utile possible (relecture d’examens,
Remerciements
participation à des staffs, recherche d’avis. . .). La prise de contact
personnalisée avec le patient en amont est apparue essentielle pour
Nous remercions particulièrement les médecins généralistes qui
lui expliquer les modalités de leur prise en charge, pour préciser les
nous ont aidés à développer ce projet, les infirmières de l’hôpital de
antécédents, les symptômes et les explorations déjà réalisées ; une
jour et la communauté médicale de l’hôpital qui ont adhéré plei-
des exigences était de ne pas faire de doublon d’examens complé-
nement à cette démarche et aux docteurs Simonpoli et Chan Chee
mentaires.
pour leur relecture avisée.
Ce temps médical et paramédical a un coût. Or comme le sou-
ligne l’IGAS, les ambiguïtés d’interprétation et d’application de
l’instruction dit « frontière » qui permet de qualifier les actes Références
entre séances d’hôpital de jour et actes externes, peuvent para-
lyser les projets de développement d’hôpital de jour [4]. Le temps [1] Lévesque H. Profession interniste. Rev Med Interne 2002;23:411–4.
[2] Maringue C. Le « virage ambulatoire » ou l’effet de masse. Soins Cadres
de synthèse par un interniste en hôpital de jour pouvant inclure 2016;25:22–5.
un avis psychiatrique difficile à obtenir par ailleurs, permet aussi [3] Analyse de l’activité hospitalière. Synthèse Atih; 2016 [http://www.atih.sante.
aux médecins de ville d’avoir des arguments pour limiter certaines fr/sites/default/files/public/content/3245/synthese mco had psy ssr 2016 vd.
pdf].
explorations, en particulier dans les situations de troubles fonction- [4] Développement des prises en charge hospitalières en médecine. Rap-
nels. port IGS et IGAS; 2016 [http://www.ladocumentationfrancaise.fr/var/storage/
Dans le cadre d’un hôpital de jour de médecine interne comme rapports-publics/164000394.pdf].
[5] Mortier E, Grasland A, Simonpoli AM, Mahe I. Un hôpital de jour de médecine
celui proposé par le centre Vi’TAL, ces consultations de synthèse interne organisé par des médecins de ville : expérience de 2 ans de fonctionne-
souvent longues devraient être reconnues et défendues par la com- ment. Rev Med Interne 2014;35(Suppl. 2):A38.
munauté des internistes comme un acte majeur d’hôpital de jour [6] Enquête APHP : devenons partenaires; 2016 [http://www.sfmg.org/data/
actualite/actualite fiche/402/fichier medecins partenaires resultats du
de médecine interne. questionnaire 201609198a289.pdf].
Le centre Vi’TAL s’appuie sur l’initiative du médecin traitant [7] Charmion S, Piatek I, Bencharif L, Cathébras P. Qu’attendent les médecins géné-
de proposer la prise en charge en hôpital de jour comme une ralistes de la médecine interne ? Rev Med Interne 2002;23:840–6.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Mise au point

L’anémie mégaloblastique thiamine dépendante ou syndrome


de Rogers : une revue de la littérature
Thiamine-responsive megaloblastic anemia or Rogers syndrome:
A literature review
H. Lu a,∗ , H. Lu b , J. Vaucher a , C. Tran c , P. Vollenweider a , J. Castioni a
a
Service de médecine interne, centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), rue du Bugnon, 46, 1011 Lausanne, Suisse
b
Service des urgences adultes, centre hospitalier universitaire Antoine-Béclère, Assistance publique–Hôpitaux de Paris (AP–HP), 157, rue de la Porte de
Trivaux, 92140 Clamart, France
c
Service de médecine génétique, centre hospitalier universitaire vaudois (CHUV), rue du Bugnon, 46, 1011 Lausanne, Suisse

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : L’anémie mégaloblastique thiamine dépendante (AMTD), aussi appelée syndrome de Rogers, est une
Disponible sur Internet le 19 juillet 2018 maladie génétique autosomique récessive, dont la forme classique associe une anémie mégaloblastique,
un diabète insulino-dépendant, une hypoacousie ou une surdité de perception. Elle se développe habi-
Mots clés : tuellement au cours de l’enfance voire durant l’adolescence. Le diagnostic repose sur la mise en évidence
Anémie mégaloblastique de variations génétiques (allèles) au niveau du gène SLC19A2, codant pour un transporteur ayant une
Diabète haute affinité pour la vitamine B1. Ce transporteur est exprimé principalement dans les tissus hémato-
Surdité neurosensorielle
poïétiques, les cellules bêta du pancréas et les cellules cochléaires, expliquant la présentation clinique. En
Carence en thiamine
Analyse de mutations d’ADN
s’appuyant sur une prise en charge multidisciplinaire, le traitement cardinal repose sur une supplémenta-
tion orale en vitamine B1 à vie (25 à 100 mg par jour) permettant de corriger l’anémie et possiblement, de
retarder l’apparition du diabète. Toutefois, la supplémentation en vitamine B1 ne permet pas de réduire
un déficit auditif préexistant.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Thiamine-responsive megaloblastic anemia (TRMA), also known as Rogers syndrome, is a rare autosomal
Megaloblastic anemia recessive disease characterized by three main components: megaloblastic anemia, diabetes mellitus and
Diabetes mellitus sensorineural deafness. Those features occur in infancy but may arise during adolescence. Diagnosis relies
Sensorineural hearing loss on uncovering genetic variations (alleles) in the SLC19A2 gene, encoding for a high affinity thiamine
Thiamine deficiency
transporter. This transporter is essentially present in hematopoietic stem cells, pancreatic beta cells
DNA mutational analysis
and inner ear cells, explaining the clinical manifestations of the disease. Based on a multidisciplinary
approach, treatment resides on lifelong thiamine oral supplementation at pharmacological doses, which
reverses anemia and may delay development of diabetes. However, thiamine supplementation does not
alleviate already existing hearing defects.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS.
All rights reserved.

1. Introduction Rogers et al. [1]. Ils ont émis l’hypothèse qu’une anomalie du méta-
bolisme de la vitamine B1 est à l’origine de l’anémie, confirmée par
L’anémie mégaloblastique thiamine dépendante (AMTD) ou la correction de cette dernière après supplémentation orale en vita-
syndrome de Rogers a été décrit pour la première fois en 1969 par mine B1. Une dysfonction d’un transporteur de la thiamine de haute
affinité (THTR-1), responsable du transport transmembranaire de
la vitamine B1, provoque l’anémie ainsi que des atteintes extramé-
∗ Auteur correspondant.. dullaires [2], entrant dans le cadre d’un syndrome. Une présentation
Adresse e-mail : henri.lu@chuv.ch (H. Lu). clinique parfois atypique et une méconnaissance du syndrome sont

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.06.005
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27 21

souvent à l’origine de retards diagnostique et thérapeutique. La plu- la vitamine B1 est convertie sous sa forme active, la thiamine pyro-
part des publications rapportant ce syndrome ont été faites sous phosphate, par la thiamine pyrophosphokinase.
forme d’observations isolées, et peu de données sont disponibles Chez les patients atteints d’AMTD, les mutations du gène
dans la littérature francophone. Nous proposons une présentation SLC19A2 codant pour la protéine THTR-1 altèrent la fonction du
de ce syndrome à partir d’une revue de la littérature. transporteur [2]. Ainsi, à des concentrations physiologiques de
vitamine B1 (apport par l’alimentation seule), le transport intracel-
2. Objectifs et stratégie de recherche lulaire est inefficace. Au niveau cellulaire, un déficit en vitamine
B1 provoque des altérations de la synthèse des chaînes d’acide
Cet article a pour objectif de faire le point sur l’épidémiologie de désoxyribonucléique (ADN) et de la transcription d’acide ribonu-
l’AMTD, sa physiopathologie, sa présentation clinique, ses critères cléique (ARN) et peut conduire à une apoptose prématurée [15].
diagnostiques et ses modalités de traitement et de suivi. Nous avons Le transporteur THTR-1 est principalement localisé dans les cel-
utilisé la base de données MEDLINE et cherché les termes suivants : lules bêta du pancréas [16], les cellules cochléaires [17] et les tissus
thiamine-responsive megaloblastic anemia, Rogers syndrome, mega- hématopoïétiques [11], expliquant ainsi la triade clinico-biologique
loblastic anemia, sideroblastic anemia pour la période d’avril 1969 à classiquement décrite : anémie mégaloblastique ou sidéroblas-
février 2018. tique, diabète insulino-dépendant et surdité de perception. Dans
les autres cellules de l’organisme, un autre transporteur ayant
une haute affinité pour la vitamine B1 (THTR-2), codé par le gène
3. Épidémiologie/population
SLC19A3, reste fonctionnel et assure le transport intracellulaire de
vitamine B1 [18].
L’AMTD est rare, avec moins de 80 cas rapportés dans la littéra-
Une supplémentation orale quotidienne en vitamine B1 entraîne
ture [3]. La prévalence et l’incidence ne sont pas connues. La plupart
une augmentation de la concentration sérique et ainsi la diffusion
des cas proviennent de familles consanguines ou de communautés
passive de la vitamine à travers la membrane cellulaire, permettant
isolées originaires de pays du Proche-Orient, du Moyen-Orient ou
de court-circuiter la voie déficiente.
d’Asie centrale [4] : Iran [5], Turquie [6], Inde [7], Pakistan. Des
individus affectés ont également été signalés en Chine [8] et au
Japon [9]. Quelques cas sporadiques chez des sujets caucasiens sans
notion de consanguinité ont été décrits en Europe [3,10,11]. Il est
4.2. Déficit en vitamine B1 sans dysfonction du transporteur
possible que ce syndrome soit de plus en plus souvent retrouvé dans
THTR-1
les pays occidentaux en raison des flux de population observés ces
dernières années.
Dans la population générale adulte, le déficit en vita-
mine B1 peut-être secondaire à une insuffisance d’apport par
4. Physiopathologie l’alimentation ou à une diminution de l’absorption intestinale. Des
facteurs de risque ont été identifiés : consommation chronique
Une bonne connaissance du métabolisme de la vitamine B1 est d’alcool [19], maladies inflammatoires chroniques de l’intestin [20],
importante pour comprendre les symptômes et les anomalies bio- infection par le virus de l’immunodéficience humaine (VIH) [21],
logiques rencontrés dans le cadre du syndrome et expliquer la base chirurgie bariatrique [22], dialyse rénale.
du traitement. Une carence en vitamine B1 se manifeste par deux tableaux cli-
niques distincts : le béribéri et le syndrome de Wernicke-Korsakoff.
4.1. Métabolisme de la vitamine B1 Le béribéri était historiquement répandu dans certaines popu-
lations d’Asie qui se nourrissaient de riz décortiqué, le cuticule du
La vitamine B1 est une vitamine hydrosoluble retrouvée en riz qui était éliminé contenant la vitamine B1 [23]. On retrouve
grandes concentrations dans tous les tissus, en particulier dans le actuellement le béribéri dans les populations dénutries ou avec
muscle squelettique, le cœur, le foie, le rein et le cerveau. Sa forme une alimentation déséquilibrée (personnes âgées, consommation
active principale est la thiamine pyrophosphate. Elle intervient d’alcool à risque) [24].
dans plusieurs processus métaboliques énergétiques majeurs : On décrit habituellement deux formes de béribéri : sèche et
transformation du pyruvate en acétyl-coenzyme A dans le cycle humide. La première est définie par une atteinte neurologique péri-
de Krebs (comme cofacteur de la pyruvate déshydrogénase et de phérique : polynévrite sensitivo-motrice longueur-dépendante des
l’alpha-cétoglutarate déshydrogénase), voie des pentoses phos- quatre membres, touchant principalement les membres inférieurs.
phates (comme cofacteur de la transcélotase) [12], et catabolisme La deuxième forme est caractérisée par une atteinte cardiaque : car-
des acides aminés ramifiés, tels la leucine, l’isoleucine et la valine diomégalie, insuffisance cardiaque, risque augmenté de troubles du
(comme cofacteur du complexe alpha-céto-acide décarboxylase) rythme [25].
[13]. Ces voies métaboliques sont illustrées sur la Fig. 1. La vitamine Le syndrome de Wernicke-Korsakoff regroupe deux phases
B1 joue également un rôle encore non élucidé dans la conduction d’une même atteinte neurologique. L’encéphalopathie de Gayet-
nerveuse, indépendamment de son rôle de cofacteur [12]. Wernicke, urgence diagnostique et thérapeutique, est caractérisée
La vitamine B1 est apportée presque exclusivement par par un syndrome cérébelleux statique, une ophtalmoplégie et
l’alimentation, avec des besoins journaliers recommandés variant un état confusionnel aigu. Le syndrome de Korsakoff, atteinte
de 1,1 mg à 1,4 mg selon l’âge et le sexe [14]. Elle est absorbée essen- neurologique chronique faisant suite à l’encéphalopathie de Gayet-
tiellement dans le jéjunum et l’iléon distal [10] puis traverse les Wernicke, est défini par une amnésie antérograde, des fausses
cellules de la muqueuse digestive sous une forme déphosphorylée, reconnaissances et des confabulations associées à des signes fron-
avant de pénétrer dans la circulation sanguine grâce à une pompe taux.
Na+ -ATPase dépendante. Le transport intracellulaire de la vitamine De manière intéressante, aucune des atteintes cliniques ou bio-
B1 se fait selon deux voies principales : 1) lors de concentrations logiques de la triade classique de l’AMTD n’est retrouvée dans la
plasmatiques physiologiques (< 1 ␮mol/L), via des transporteurs de carence en vitamine B1 [25].
haute affinité saturable (auxquels appartient la protéine THTR-1) ; Le traitement du béribéri et du syndrome de Wernicke-
2) lors de concentrations plus élevées, essentiellement par diffu- Korsakoff repose sur une supplémentation parentérale en vitamine
sion passive à travers la membrane cellulaire [11]. Dans la cellule, B1 (200–600 mg par jour) suivie d’une administration per os [26].
22 H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27

Fig. 1. Voies métaboliques énergétiques intracellulaires impliquant la vitamine B1. Branched-chain amino acids : acides aminés ramifiés (leucine, isoleucine, valine) ; BCKDH :
complexe ␣-céto-acide décarboxylase ; TPP : thiamine pyrophosphate ; CoA : coenzyme A. Image adaptée et reproduite avec l’aimable autorisation de la Linus Pauling Institute.
Used with permission of the Linus Pauling Institute. Tiré du site internet : http://lpi.oregonstate.edu/mic/vitamins/thiamin.

Des doses plus importantes ont été proposées sans montrer de hématopoïétiques [29]. Si la leucopénie et la thrombopénie sont
bénéfice clinique [27]. présentes, elles sont en général modérés ; toutefois, des cas de
pancytopénie ont été décrits dans la littérature [10].

5. Présentation clinique et biologique

5.1. Anémie 5.2. Diabète insulino-réquérant

L’anémie est une des manifestations cardinales de l’AMTD, sou- Le diabète est un autre élément cardinal de l’AMTD, de révé-
vent retrouvée à un âge précoce (nourrisson ou enfance). Elle est lation habituellement précoce (souvent avant l’âge de 5 ans [30])
classiquement macrocytaire arégénérative, avec au myélogramme et bruyante, avec une hyperglycémie importante et une nécessité
des érythroblastes d’aspect mégaloblastique ou sidéroblastique d’instaurer rapidement une insulinothérapie. Des cas de diabète
en couronne, sans déficit martial, en vitamines B9 ou B12 associé. révélé par une décompensation acido-cétosique inaugurale ont été
Le reste du bilan étiologique standard pour l’anémie (recherche décrits [31].
de stigmates d’hémolyse, fonctions rénale et thyroïdienne) est La vitamine B1 est nécessaire au bon fonctionnement des
normal. La mégaloblastose serait due à un déficit de synthèse de cellules bêta du pancréas, en participant au transport transmem-
l’ARN, secondaire à la diminution du taux de concentration de branaire du glucose et à la sécrétion de l’insuline [32]. Un modèle
vitamine B1 intracellulaire [15]. L’aspect sidéroblastique serait lié animal a montré que des rats avec une carence en vitamine B1 déve-
au rôle de la vitamine B1 dans la production du succinyl-coenzyme loppent une intolérance au glucose [33]. Dans l’AMTD, le diabète
A, ce dernier étant le substrat de la delta-aminolévulinate synthase n’est pas auto-immune par définition (absence des auto-anticorps
2 (ALAS2), une enzyme qui catalyse la première étape de synthèse retrouvés dans le diabète de type 1 [31]). De manière corollaire,
de l’hème [28]. La profondeur de l’anémie est variable, certains la supplémentation en vitamine B1 n’a aucun effet thérapeutique
auteurs décrivant une valeur de l’hémoglobine inférieure à 70 g/L chez les patients atteints de diabète de type 1 [32]. À un stade pré-
lors de la découverte du diagnostic [29,30]. La leucopénie et la coce de la maladie, un taux de peptide C sérique est détectable
thrombopénie sont rares, probablement en raison de besoins [34], suggérant que la synthèse de l’insuline est préservée initiale-
différents en vitamine B1 des cellules progénitrices de ces lignées ment. Une évolution au cours du temps de l’atteinte pancréatique,
H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27 23

avec un dysfonctionnement graduel des cellules pancréatiques, est La présentation clinique peut cependant être trompeuse.
probable. L’anémie, le diabète et la surdité n’apparaissent pas dès la naissance
et se manifestent de façon progressive [3]. L’atteinte génétique,
5.3. Surdité de perception bien que constante (pénétrance complète), s’exprime de manière
variable, comme le suggère la différence de gravité des manifes-
La surdité de perception (ou neurosensorielle) est la dernière tations entre les différents cas. Des patients avec une AMTD ne
manifestation de l’AMTD. L’étude des potentiels évoqués auditifs présentant pas l’une des trois manifestations cardiales ont été
permet de poser le diagnostic de surdité de perception. L’atteinte décrits [8]. D’autres cas avec des atteintes autres (digestive, psy-
auditive est souvent découverte pendant l’enfance, plus tardive- chiatrique [43]), en plus de la triade classique, ont également
ment que l’anémie et le diabète. Une baisse partielle de l’audition été publiés. Enfin, il n’existe pas de test biologique pathognomo-
peut en effet passer inaperçue dans les premiers mois ou années nique, les individus affectés ayant des taux normaux de vitamine
de la vie. L’atteinte auditive est due à la présence du transporteur B1 sérique [4]. Ces éléments, associés à la rareté du syndrome,
THTR-1 dans les cellules ciliées internes [35]. Pour rappel, ces der- contribuent au retard diagnostique et thérapeutique.
nières sont des cellules vibratiles situées dans l’organe de Corti, La présence de deux atteintes cardinales sur trois chez un même
l’appareil sensori-nerveux de la cochlée. Sa mise en mouvement par patient doit faire évoquer le diagnostic. En cas de doute avec un
une onde sonore déclenche la libération de neurotransmetteurs, diagnostic différentiel (cf. infra), une analyse génétique peut être
qui véhiculent alors le signal vers les aires auditives du cerveau. demandée.
Une étude a montré qu’un déficit en vitamine B1 chez des souris
provoque une apoptose prématurée de ces cellules vibratiles, avec
6.1. Diagnostic génétique
comme conséquence clinique une neuropathie auditive [36].
Le caractère héréditaire autosomique récessif du syndrome a été
5.4. Autres manifestations cliniques suspecté par Haworth et al. [44] dès 1982 sur la base de l’étude de
deux patients d’origine pakistanaise appartenant à la même fratrie,
En plus de la triade précédemment décrite, d’autres atteintes corroboré en 1984 par Mandel et al. [45] grâce à cinq autres indivi-
pourraient survenir dans le cadre du syndrome. dus. Le gène causal a été identifié en 1999 par Labay et al. [46], qui
Les manifestations ophtalmiques suivantes ont été rapportées : ont également suggéré qu’une protéine de transport de la vitamine
rétinopathie pigmentaire (dystrophie des cônes et des bâtonnets), B1 dysfonctionnelle est à l’origine du syndrome.
atrophie du nerf optique, maculopathie, nystagmus permanent Le gène SLC19A2 est situé sur le bras long du chromosome 1
[37,38]. La protéine THTR-1 est retrouvée dans les cellules de (position 1q23,3) et code pour un récepteur pour la thiamine de
l’épithélium rétinien pigmentaire. Elle serait nécessaire à ces der- haute affinité (THTR-1) [47]. Il appartient à la famille des gènes dite
nières pour assurer leur rôle de transfert de nutriments et de SLC (pour solute carrier ou transporteur de solutés), qui comprend
métabolites aux couches sous-jacentes de la rétine [11]. Une pro- au moins 400 autres gènes codant pour des protéines spécialisées
téine THTR-1 défectueuse inhibe ce rôle de transfert, conduisant dans le transport transmembranaire de molécules diverses (acides
à un fonctionnement sous-optimal de la rétine [39]. Une supplé- aminés, oligopeptides, glucose et autres saccharides, cations et
mentation en vitamine B1 n’aurait pas d’impact sur le pronostic anions inorganiques) [48].
visuel en cas d’atteinte rétinienne préexistante [40]. L’effet pré- De multiples mutations responsables d’un tableau d’AMTD ont
ventif d’un traitement vitaminique sur l’apparition de symptômes été identifiées, sans corrélation entre le génotype et le phénotype
ophtalmologiques est inconnu. clinique [30]. À ce jour, le gène SLC19A2 est le seul identifié dans
Des atteintes cardiaques ont été rapportées chez 27 % des le syndrome [3]. Depuis la découverte du gène, plus de 30 muta-
patients avec une AMTD [4]. Les manifestations cardiovasculaires tions différentes majoritairement homozygotes ont été décrites [3].
décrites dans la littérature sont diverses : dextrocardie, fibrillation La plupart des mutations produisent des codons stop-prématurés,
auriculaire paroxystique et tachycardie supraventriculaire, com- responsables d’une forme tronquée et non fonctionnelle de la pro-
munication interauriculaire ou interventriculaire, cardiopathies téine THTR-1. Seule une minorité entraîne un changement ponctuel
congénitales (maladie d’Ebstein, canal atrioventriculaire), troubles d’acide aminé dans la structure de la protéine [49].
de conduction intracardiaque (bloc atrioventriculaire du premier Le dépistage génétique est conduit selon plusieurs modalités en
degré, bloc de branche droit complet), « wandering pacemaker » fonction du niveau de suspicion diagnostique : séquençage ciblé
[6,41]. Le rôle du gène SLC19A2 dans la pathogenèse de ces atteintes du gène SLC19A2 en cas de suspicion forte, ou d’un panel de gènes
cardiaques est actuellement inconnu. (association avec d’autres gènes susceptibles de donner la même
De rares cas de manifestations neurologiques ont été décrits : présentation clinique, à la recherche de diagnostics différentiels)
maladie épileptique focale ou généralisée, accidents vasculaires en cas de présentation atypique [4].
cérébraux, retard de développement staturo-pondéral chez l’enfant
[42].
Les principales atteintes cliniques et biologiques sont résumées 7. Examens complémentaires
sur la Fig. 2.
Il n’existe pas de protocole de prise en charge standardisé de
l’AMTD dans la littérature. Du fait des atteintes précédemment
6. Critères diagnostiques
décrites, il semble licite en cas de suspicion diagnostique ou de
mise en évidence d’un cas, de réaliser les examens suivants :
Le diagnostic d’AMTD est évoqué devant un faisceau
d’arguments : manifestations citées précédemment, anémie
mégaloblastique et/ou sidéroblastique au myélogramme, présence • analyse du frottis sanguin et du myélogramme à la recherche
d’autres cas d’AMTD dans la famille, origine ethnique (Proche ou d’une anémie mégaloblastique ou sidéroblastique, d’une atteinte
Moyen-Orient), résolution partielle ou totale des atteintes après d’une autre lignée hématopoïétique ;
supplémentation en vitamine B1. Le diagnostic est formellement • bilan biologique standard de l’anémie, en particulier dosage des
posé par la mise en évidence d’allèles pathologiques du gène vitamines B9 et B12 et de la ferritine à la recherche d’une carence
SLC19A2 par analyse génétique moléculaire. vitaminique autre et/ou martiale, qui orienterait vers une autre
24 H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27

Fig. 2. Atteintes d’organes possibles dans l’anémie mégaloblastique thiamine dépendante. * : fait partie de la triade clinique. AC-FA : arythmie cardiaque par fibrillation
auriculaire ; CIA : communication interatriale ; CIV : communication interventriculaire ; AVC : accident vasculaire cerebral.

étiologie. À noter que la concentration sérique de la vitamine multidisciplinaire, ont un impact sur le devenir du patient et son
B1 est classiquement normale ; pronostic.
• évaluation de la fonction auditive par oto-émission acoustique et
potentiel évoqué auditif ; 8.1. Supplémentation en vitamine B1
• dépistage d’un diabète sucré : glycémie à jeun, hyperglycémie
provoquée par voie orale, dosage de l’hémoglobine glyquée ; Différentes posologies ont été proposées pour la supplémenta-
• en présence d’un diagnostic de diabète : dosage des anticorps tion en vitamine B1 : 25 à 100 mg/jour [4] voire plus, sans étude
retrouvés dans le diabète de type 1 (auto-anticorps anti-insuline, spécifique sur le sujet. La voie d’administration préférentielle est la
anti-GAD65 et anti-IA2), bilan d’atteinte des organes cibles du voie orale. De manière générale, le traitement en vitamine B1 per
diabète ; os ou parentéral est sûr, peu coûteux, sans effet secondaire majeur
• bilan ophtalmologique complet à la recherche d’une atteinte réti- ni toxicité connue [14,50].
nienne, maculaire ou du nerf optique (atteinte primaire ou dans Le traitement permet une normalisation des valeurs
le cadre du diabète) ; d’hémoglobine, classiquement en l’espace de moins d’un mois
• évaluation cardiaque avec au moins un électrocardiogramme et [1,10,29]. La macrocytose en revanche ne se corrige pas, ce qui
une échographie cardiaque trans-thoracique ; suggère la persistance d’une anomalie de l’érythropoïèse malgré
• imagerie cérébrale selon la clinique ; l’apport de vitamine B1, non élucidée à ce jour [51]. Au cours
• prise en charge spécialisée avec conseil génétique. de la puberté, la supplémentation peut devenir insuffisante pour
corriger l’anémie, avec une nécessité de soutien transfusionnel
[30].
La fréquence des suivis cliniques et des examens est décidée
Concernant le diabète, une supplémentation précoce en vita-
au cas par cas. Elle se fait selon la gravité des différentes atteintes.
mine B1 permet, dans la population pédiatrique, un contrôle relatif
Toutefois, un suivi régulier (environ une fois par an) des paramètres
des glycémies, permettant de diminuer la posologie d’un trai-
suivants est conseillé : numération de la formule sanguine, réticulo-
tement insulinique ou de retarder son introduction [18,34]. Cet
cytes, dépistage du diabète, suivi des fonctions auditive, cardiaque,
effet de la vitamine B1 disparaît cependant à l’adolescence ou
neurologique et ophtalmologique [4].
à l’âge adulte, périodes pendant lesquelles une insulinothérapie
permanente devient habituellement nécessaire [30,52]. À notre
8. Traitements connaissance, l’efficacité des traitements antidiabétiques oraux n’a
pas été étudiée dans l’AMTD.
Le traitement est fondé d’une part sur la supplémentation Au plan auditif, la supplémentation en vitamine B1 même débu-
orale quotidienne à vie en vitamine B1, d’autre part sur le traite- tée précocement (avant l’âge de 20 mois) ne semble pas empêcher
ment symptomatique des différentes manifestations du syndrome. l’atteinte cochléaire [17], qui apparaît progressivement. Une fois
Dans tous les cas, une prise en charge multidisciplinaire (pédiatre installée, elle est irréversible malgré le traitement vitaminique [36].
puis interniste, généticien, hématologue, diabétologue, ORL, car- Certains auteurs ont noté cependant que la supplémentation vita-
diologue, autres spécialistes selon le contexte) doit être proposée. minique permettrait de ralentir la progression vers la surdité [53].
Le médecin interniste a un rôle prépondérant dans le diagnostic
de l’AMTD, du fait de la rareté de ce syndrome, et dans le suivi 8.2. Prise en charge symptomatique
du patient. Étant le médecin de première ligne après transition de
la pédiatrie aux soins adultes, son suivi attentif des organes cibles Le diabète, les atteintes cardiovasculaires ou neurologiques
et l’éventuel recours aux autres spécialistes, dans une démarche doivent être pris en charge selon les recommandations habituelles
H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27 25

de bonne pratique [4]. La mise en place d’un appareillage auditif, L’association du diabète et de la surdité est classiquement
voire une implantation cochléaire, est possible [54]. retrouvée dans certaines maladies mitochondriales. Parmi les
Le pronostic semble être conditionné par une prise en charge syndromes à retenir, nous évoquons :
optimale des complications liées au diabète et à l’anémie. • le syndrome de Pearson : souvent fatal avant l’âge de trois ans,
L’espérance de vie des individus affectés pourrait être dans ce cas il associe une acidose lactique, une insuffisance pancréatique
proche de celle de la population générale [3]. exocrine et un aspect de vacuolisation des précurseurs érythro-
Les principales atteintes cliniques et biologiques, ainsi que leurs blastiques et myéloïdes au myélogramme ;
prises en charge, sont résumées dans le Tableau 1. • le syndrome de Kearns-Sayre : de progression lente sur plusieurs
dizaines d’années, il est caractérisé entre autres par des atteintes
oculaires (ptose palpébrale, rétinite pigmentaire), cardiaques
(bloc de conduction), une myopathie des muscles squelettiques
9. Diagnostics différentiels et un diabète sucré [60].

Le syndrome de Wolfram (ou DIDMOAD pour Diabetes Insipidus,


Diabetes Mellitus, Optic Atrophy, Deafness) est l’entité la plus proche La transmission des mutations de l’ADN mitochondrial se fait
du syndrome de Rogers. Il s’agit d’une pathologie rare (200 cas cependant selon un mode maternel, et non autosomique récessif
décrits dans le monde), sévère, associant un diabète de type 1, tel que dans l’AMTD.
une atrophie optique, une hypoacousie, un diabète insipide et des L’existence d’une anémie sidéroblastique ouvre un diagnostic
manifestations neurodégénératives possibles. Manquent l’anémie différentiel large, outre les formes acquises : onco-hématologique
mégaloblastique et la réponse à la vitamine B1. Le syndrome de (syndrome myélodysplasique), toxique (alcool), médicamenteuses
Wolfram est une maladie génétique autosomique récessive liée (les exemples classiques étant l’isoniazide, le chloramphénicol et
dans 90 % des cas à des mutations du gène WFS1 [55] qui code le linézolide), métabolique (déficit en cuivre), on retrouve aussi
pour une glycoprotéine transmembranaire située dans le réticu- des formes congénitales rares s’intégrant ou non dans un tableau
lum endoplasmique, où elle jouerait un rôle dans l’homéostasie du syndromique.
calcium [4].
Une autre maladie génétique dont la présentation évoque
l’AMTD est le syndrome d’Asltröm, qui combine des signes 10. Conseil génétique
ophtalmologiques (dystrophie des cônes et des bâtonnets), une
hypoacousie bilatérale, une insulino-résistance, une cardiomyopa- En cas de diagnostic d’AMTD, une prise en charge génétique
thie dilatée [56]. spécialisée avec dépistage de la famille proche (parents, fratrie,
Citons encore trois autres maladies génétiques causées par des descendance) est recommandée [4]. La transmission étant auto-
déficiences de voies métaboliques dépendant de la vitamine B1 somique récessive, les règles générales suivantes s’appliquent :
[57] :
• les parents d’un cas index (individu affecté) sont hétérozygotes
obligatoires pour un variant pathogène du gène SLC19A2 ;
• le syndrome de Leigh, associant des atteintes ophtalmologiques • les porteurs hétérozygotes (asymptomatiques) ne sont pas à
(ophtalmoplégie, nystagmus) et neurologiques (ataxie, crises épi- risque de développer la maladie ;
leptiques, retard de développement psycho-moteur) [58] ; • un individu appartenant à la même fratrie que le cas index à 25 %
• la leucinose, causée par une accumulation des acides aminés
de chance d’être lui-même malade, 50 % de chance d’être porteur
ramifiés (leucine, isoleucine et valine) par déficit de leur dégra- asymptomatique de la mutation, 25 % de chance de ne pas avoir
dation, et entraînant une dégénérescence du système nerveux. la mutation.
Une forme répondant à une supplémentation en vitamine B1 a
été décrite [57,59] ;
• l’acidurie oxoglutarique, se manifestant par une hypotonie, des Un diagnostic prénatal peut être proposé pour les grossesses
troubles de l’état de conscience pouvant conduire dans les cas à risque par analyse génétique de cellules fœtales obtenues par
graves au décès [57] ; amniocentèse.

Tableau 1
Récapitulatif des atteintes dans le cadre de l’anémie mégaloblastique thiamine dépendante.

Organes touchés Mécanismes physiopathologiques Manifestations cliniques et biologiques Traitements


a
Système hématopoïétique Déficit de synthèse de l’ARN ribose Anémie mégaloblastique ou sidéroblastique Vitamine B1 : correction de l’anémie
Défaut de synthèse de l’hème Leucopénie ou thrombopénie associée Soutien transfusionnel si besoin
Pancytopénie (rare)
Pancréasa Défaut de production ou de sécrétion Diabète insulino-dépendant Vitamine B1 : retarde l’introduction de
de l’insuline par les cellules bêta des l’insulinothérapie
îlots de Langerhans Insulinothérapie
Oreille internea Apoptose des cellules ciliées de Hypoacousie ou surdité de perception Vitamine B1 : limite la progression vers
l’organe de Corti la surdité
Appareillage auditif
Œil Défaut de transfert de nutriments et Rétinopathie, dystrophie des cônes et des Prise en charge ophtalmologique
métabolites aux couches profondes de bâtonnets, atrophie du nerf optique, spécialisée
la rétine maculopathie, nystagmus permanent Vitamine B1 : effet inconnu
Cœur Inconnu Dextrocardie, troubles du rythme, CIA ou CIV, Selon manifestations cliniques
cardiopathie congénitale Vitamine B1 : effet inconnu
Cerveau Inconnu AVC, épilepsie, retard de développement Selon manifestations cliniques
staturo-pondéral chez l’enfant Vitamine B1 : effet inconnu

AC-FA : arythmie cardiaque par fibrillation auriculaire ; CIA : communication interatriale ; CIV : communication interventriculaire ; AVC : accident vasculaire cérébral.
a
Fait partie de la triade clinique.
26 H. Lu et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 20–27

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temporaire, du diabète. Toutefois, le traitement ne semble pas jouer [25] Galvin R, Bråthen G, Ivashynka A, Hillbom M, Tanasescu R, Leone MA. EFNS
de rôle dans une surdité de perception déjà constituée. La qualité de guidelines for diagnosis, therapy and prevention of Wernicke encephalopa-
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La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37

Disponible en ligne sur

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www.sciencedirect.com

Mise au point

La paralysie faciale périphérique a frigore


Bell’s palsy
S. Prud’hon a,b , N. Kubis a,b,c,∗
a
Université Paris Diderot, Sorbonne Paris Cité, 75475 Paris, France
b
Service de physiologie clinique, hôpital Lariboisière, AP–HP, 75475 Paris, France
c
CART, Inserm U965, 75475 Paris, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : La paralysie faciale périphérique a frigore ou idiopathique, dite encore de paralysie de Charles Bell chez les
Disponible sur Internet le 31 mars 2018 anglo-saxons, représente plus de la moitié des causes de paralysies faciales périphériques de l’adulte. S’il
s’agit d’une pathologie dite bénigne, son retentissement fonctionnel et psychologique peut être impor-
Mots clés : tant. L’hypothèse physiopathologique principale est celle d’une réactivation du virus HSV-1 dans le
Électrophysiologie ganglion géniculé à l’origine d’un œdème du nerf facial et sa compression dans l’aqueduc de Fallope, canal
Électroneuromyogramme osseux inextensible. La symptomatologie, un déficit moteur d’intensité variable intéressant les muscles
PF
faciaux ipsilatéraux des territoires supérieur et inférieur, cesse de progresser le plus souvent en moins
Nerf facial
de 24 heures et toujours en moins de trois jours. Fréquemment, elle est précédée ou accompagnée de
douleurs rétro-auriculaires et/ou de sensation d’engourdissement de l’hémiface concernée. Le diagnostic
est clinique et s’appliquera à éliminer les diagnostics différentiels représentés par les paralysies faciales
de cause centrale ou périphérique secondaire (infections, néoplasies, pathologies auto-immunes). Dans
les trois-quarts des cas, l’évolution est spontanément satisfaisante avec une récupération complète. Une
corticothérapie orale de courte durée instaurée précocement (dans les 72 heures) améliore encore les
taux de récupération complète, alors que l’intérêt de l’associer à un traitement antiviral n’est pas démon-
tré. Des spasmes hémifaciaux (contractions involontaires des muscles de l’hémiface) ou des syncinésies
(contractions involontaires accompagnant une contraction volontaire en lien avec un phénomène de réin-
nervation aberrante) peuvent émailler son évolution. L’électroneuromyographie peut montrer le bloc de
conduction, la perte axonale, puis la réinnervation, et aider au diagnostic des complications.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Idiopathic peripheral facial palsy, also named Bell’s palsy, is the most common cause of peripheral facial
Electrophysiology palsy in adults. Although it is considered as a benign condition, its social and psychological impact can be
Electroneuromyography dramatic, especially in the case of incomplete recovery. The main pathophysiological hypothesis is the
Facial palsy reactivation of HSV 1 virus in the geniculate ganglia, leading to nerve edema and its compression through
Facial nerve
the petrosal bone. Patients experience an acute (less than 24 hours) motor deficit involving ipsilateral
muscles of the upper and lower face and reaching its peak within the first three days. Frequently, symp-
toms are preceded or accompanied by retro-auricular pain and/or ipsilateral face numbness. Diagnosis
is usually clinical but one should look for negative signs to eliminate central facial palsy or periphe-
ral facial palsy secondary to infectious, neoplastic or autoimmune diseases. About 75% of the patients
will experience spontaneous full recovery, this rate can be improved with oral corticotherapy when
introduced within the first 72 hours. To date, no benefit has been demonstrated by adding an antiviral

∗ Auteur correspondant. Service de physiologie clinique-explorations fonctionnelles, UI 965, hôpital Lariboisière, 2, rue Ambroise-Paré, 75010 Paris, France.
Adresse e-mail : nathalie.kubis@aphp.fr (N. Kubis).

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.03.011
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
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treatment. Hemifacial spasms (involuntary muscles contractions of the hemiface) or syncinesia (invo-
luntary muscles contractions elicited by voluntary ones, due to aberrant reinnervation) may complicate
the disease’s course. Electroneuromyography can be useful at different stages: it can first reveal the early
conduction bloc, then estimate the axonal loss, then bring evidence of the reinnervation process and,
lastly, help for the diagnosis of complications.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS. All
rights reserved.

1. Introduction interne), forment le nerf VII proprement dit. Le contingent sensoriel


et végétatif est véhiculé par le nerf VII bis, dit aussi intermédiaire
Si la paralysie faciale (PF) a frigore demeure pour les anglo- de Wrisberg, qui partage une partie de son trajet avec le VII [10]
saxons la paralysie de Bell ou Bell’s palsy en hommage à l’apport (Fig. 1).
majeur des travaux du chirurgien anatomiste écossais Sir Charles
Bell (1774–1842) dans la caractérisation fonctionnelle du système
nerveux périphérique, des représentations de la civilisation Maya 2.1. Les voies efférentes
[1], des masques des céramiques péruviennes datées de 500 de
notre ère [2] ou des sculptures du Moyen-Âge comme celle de Nico- Les noyaux des nerfs moteurs sont localisés dans le pont en avant
las de Leyde (?–1473) témoignent de l’ancienneté de ce trouble et en dehors de ceux du nerf abducens (VI). Une certaine somato-
comme de son caractère pan-ethnique. Des mentions de ce type topie est respectée à leur niveau. Ainsi, le noyau facial supérieur
de paralysie sont retrouvées dès la Grèce antique dans les descrip- assure l’innervation motrice de la partie supérieure ipsilatérale
tions cliniques d’Hippocrate (460–370 avant notre ère) et d’Arétée de la face alors que le noyau facial inférieur est responsable de
de Cappadoce (Ier siècle avant notre ère). Elle semble cependant l’innervation motrice de sa partie inférieure ipsilatérale. Le noyau
caractérisée pour la première fois et individualisée du spasme facial facial supérieur reçoit des afférences centrales des voies corticonu-
par deux médecins perses Tabari et Razi, respectivement au IX et Xe cléaires ipsilatérales et controlatérales tandis que sur le noyau facial
siècle de notre ère [3]. Dans son traité « al hawi », Razi insiste déjà inférieur, se projette uniquement la voie corticonucléaire contro-
sur ce qui la différencie de la PF centrale, en termes de présentation latérale. Cette différence explique que les PF de causes centrales
clinique, des comorbidités associées et de pronostic. prédominent sur la partie inférieure controlatérale de la face alors
La PF a frigore est la plus fréquente des mononeuropathies des que celles de causes périphériques s’expriment de manière homo-
nerfs crâniens. Son incidence pour 100 000 habitants est estimée gène sur les parties inférieure et supérieure ipsilatérales de la face.
de 11,5 (Suède) à 40,2 (Japon) selon les études et les zones géo- En plus des afférences pyramidales, les noyaux moteurs reçoivent
graphiques [4]. Elle peut survenir à tous les âges de la vie mais aussi des projections des voies extra-pyramidales et du cervelet.
elle est plus fréquente chez l’adulte et la personne âgée et touche Cette riche innervation sous-tend le phénomène de dissociation
de manière égale les hommes et les femmes [5–7]. Les facteurs automatico-volontaire observé dans les PF de cause centrale, la voie
de risques identifiés sont la grossesse (spécialement au cours des « volontaire » pyramidale étant la seule lésée.
trois mois pré- et post-partum) [8], le diabète et l’hypertension De ces noyaux, émergent les fibres motrices du nerf VII au niveau
artérielle, l’immunodépression et la période post-infection virale de la partie latérale du sillon bulbo-protubérantiel du tronc céré-
des voies aériennes supérieures [7]. Une discrète prédominance au bral, en arrière du nerf Abducens, et côte à côte avec le nerf VII bis et
cours des saisons froides est également décrite [4,9]. Si la PF a fri- le nerf cochléovestibulaire (VIII), formant ainsi le paquet acoustico-
gore est extrêmement fréquente et récupère favorablement dans la facial. Elles pénètrent alors au niveau du conduit auditif interne (ou
majorité des cas, le praticien doit rester vigilant et ne pas mécon- méat acoustique interne) puis cheminent dans le rocher à l’intérieur
naître une PF périphérique secondaire ou une PF centrale, dont les de l’aqueduc de Fallope pour émerger de la base du crâne par le
enjeux thérapeutiques sont importants. foramen stylomastoïdien. Ce segment nerveux est particulièrement
Dans cette mise au point, seront traités successivement vulnérable du fait du caractère inextensible du canal osseux qui
l’anatomie du nerf facial, ses constituants, son trajet anatomique pourra engendrer une compression en cas d’inflammation générant
et les cibles d’innervation de ses différentes branches afin de un œdème du nerf. Juste après son émergence de la base du crâne,
comprendre quels sont les sites lésionnels possibles et leurs consé- le nerf VII donne des fibres destinées à l’innervation des muscles
quences cliniques ; les signaux d’alerte permettant d’évoquer une cervicaux et auriculaires. Il pénètre ensuite dans la parotide et va
PF secondaire ou une PF centrale ; les hypothèses physiopatholo- se diviser en éventail en plusieurs branches terminales : la branche
giques qui sous-tendent les complications au cours du temps de la cervicale qui assure l’innervation des muscles peauciers du cou, la
PF a frigore, ses modalités d’évaluation et les stratégies thérapeu- branche mandibulaire pour les muscles triangulaire des lèvres et
tiques. de la houppe du menton, la branche buccale pour les muscles buc-
cinateurs et orbiculaires des lèvres, la branche zygomatique pour
2. Anatomie les muscles nasaux et zygomatiques et enfin la branche temporale
pour les muscles frontaux et orbiculaires des yeux. Cette liste n’est
Le nerf facial ou 7e paire crânienne (VII) est un nerf mixte pas exhaustive, tous les muscles de la face étant innervés par des
composé de fibres afférentes (sensorielles) et efférentes (motrices branches du VII à l’exception du muscle releveur de la paupière qui
et végétatives parasympathiques). Les fibres motrices, majoritaires, dépend du nerf oculomoteur (III). Il existe de plus d’importantes
destinées à l’innervation des muscles de la face, du cuir chevelu variations anatomiques interindividuelles même si les différentes
et des peauciers du cou, aux muscles buccinateur (muscle de la branches sus-citées sont le plus souvent individualisées. Le nerf
joue qui permet de vider le contenu de la bouche), au stylohyoï- facial pouvant être lésé à différents endroits de son trajet, l’atteinte
dien et au ventre postérieur du muscle digastrique (élévateur de ou l’épargne de l’une ou l’autre de ses collatérales peut aider au
l’os hyoïde lors de la déglutition), et enfin au muscle stapédien (ou diagnostic topographique, mais dans la PF a frigore la plupart des
muscle de l’étrier qui atténue le niveau des sons transmis à l’oreille branches terminales sont affectées de manière homogène.
30 S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37

Fig. 1. Schéma du nerf facial et de ses rapports anatomiques.

La partie végétative du nerf facial est représentée par les otoscopique, de la cavité buccale, la palpation de la parotide
fibres nerveuses parasympathiques pré-ganglionnaires émanant et d’éventuelles adénopathies, l’examen neurologique vérifiera
des noyaux pontiques salivaire supérieur et lacrymo-nasal. Elles l’absence d’atteinte d’autres paires crâniennes, des voies longues,
constituent avec les fibres afférentes le nerf VII bis qui chemine de syndrome méningé. En cas de suspicion de PF centrale ou de
accolé au nerf VII jusqu’au ganglion géniculé, dans le conduit auditif PF périphérique symptomatique d’une pathologie plus vaste, des
interne. De cet endroit partent des rameaux qui vont constituer les explorations complémentaires orientées devront être réalisées.
nerfs pétreux superficiels, assurant l’innervation parasympathique
des glandes lacrymales. Plus loin dans le rocher, le nerf VII bis donne
des fibres parasympathiques destinées à l’innervation des glandes 3.1. Diagnostic positif
salivaires submandibulaires et sublinguales par l’intermédiaire de
la corde du tympan. Le tableau classique consiste en l’apparition subaiguë d’une
Il existe de très nombreuses possibilités d’anastomoses entre le paralysie des muscles faciaux ipsilatéraux des territoires supérieur
nerf facial et d’autres paires crâniennes, en particulier le nerf trigé- et inférieur qui atteint son maximum en 24 à 72 h. Seront observés
miné (V), en lien avec leur développement embryologique parallèle, avec une intensité variable, du côté atteint, au repos : une chute
et expliquant certains aspects cliniques de la PF ou de ses compli- de la commissure labiale, un effacement du sillon naso-génien,
cations [11,12]. un abaissement du sourcil avec effacement des rides du front,
une déviation des traits vers le côté sain. Les différentes épreuves
2.2. Les voies afférentes vont faire apparaître du côté atteint : un défaut de contraction des
muscles peauciers du cou (visible lorsqu’il est demandé au patient
La sensibilité gustative des deux-tiers antérieurs de la langue
d’abaisser sa lèvre inférieure), une impossibilité de gonfler la joue
est médiée par des fibres nerveuses qui cheminent dans la corde du
ou de siffler, une attraction de la bouche du côté sain lors du sou-
tympan jusqu’au ganglion géniculé. Les axones rejoignent le nerf VII
rire, un signe de Souques (défaut d’enfouissement des cils à la
bis et font synapse au niveau du noyau gustatif du tractus solitaire
fermeture des yeux) voire un signe de Charles Bell (déviation du
localisé au niveau du bulbe.
globe oculaire en haut et en dehors à la tentative de fermeture des
L’innervation sensitive de la zone cutanée de Ramsay–Hunt
yeux) selon l’intensité de la paralysie. L’irritation cornéenne du côté
(comprenant le tympan, la paroi postérieure du conduit auditif
atteint liée au défaut de clignement peut rapidement engendrer des
externe et la conque de l’oreille) est assurée par des fibres ner-
mouvements compensatoires observables du côté sain. Ainsi il n’est
veuses qui rejoignent le nerf VII bis à son émergence du crâne et
pas rare de constater par exemple une fréquence excessive de cli-
se projettent ensuite sur leur noyau correspondant dans le tractus
gnements de paupières du côté sain [13], témoignant des circuits
solitaire.
réflexes V–VII explorés via le Blink reflex en électrophysiologie (voir
3. Diagnostic positif Section 6).
Dans 60 % des cas, des douleurs rétro-auriculaires ainsi
Le diagnostic de la PF a frigore est clinique, après un exa- qu’une sensation d’engourdissement de l’hémiface concernée sont
men ORL et neurologique. L’examen ORL comprendra l’étude mentionnées par le patient [14], expliquées par les relations
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Tableau 1 Tableau 2
Échelle de gradation de sévérité de la PF périphérique de House–Brackmann. Signes d’alertes devant une PF.

Au repos Lors des mouvements Drapeaux rouges Diagnostics à Conduite à tenir


évoquer
Grade I Pas de paralysie Normal Normal
Grade II Dysfonction Visage symétrique et Légère asymétrie ; Atteinte prédominante du Atteinte centrale Imagerie cérébrale en
légère tonus normal fermeture oculaire sans territoire facial inférieur, urgence (au mieux IRM)
difficulté ; présence dissociation
possible de discrètes automatico-volontaire,
syncinésies association à d’autres
Grade III Dysfonction Visage symétrique et Diminution globale de déficits neurologiques
modérée tonus normal la mobilité avec Contexte de traumatisme Fracture de l’os Imagerie cérébrale en
asymétrie non crânien ± hémotympan, temporal urgence
défigurante ; fermeture otorragie
oculaire complète avec Éruption vésiculeuse zone Zona géniculé Sérologie VZV, PCR VZV des
effort ; spasmes et de Ramsay–Hunt lésions cutanées et/ou de la
syncinésies modérées salive
Grade IV Dysfonction Symétrie globalement Asymétrie importante Conduites sexuelles à PFP satellite d’une Sérologies VIH, TPHA VDRL
modérée à sévère conservée et/ou défigurante ; risque ou toxicomanie infection par le
fermeture oculaire VIH, neurosyphilis
incomplète même avec Diplégie faciale Maladie de Lyme, Sérologies Lyme, VIH, PL,
effort ; syncinésies ou VIH, ENMG 4 membres, dosages
spasmes sévères Guillain–Barré, ECA, BGSA, prélèvements
Grade V Dysfonction Asymétrie évidente Mobilité à peine sarcoïdose, lèpre selon le contexte
sévère perceptible au niveau Signes d’atteinte Otites, mastoïdite, Consultation spécialisée
de l’œil et de la otologiques ± fièvre cholestéatome ORL
bouche ; à ce stade pas Progression lente, récidive, Causes tumorales Consultation spécialisée
de syncinésie ni absence de récupération, ORL, bilan d’extension
spasme possible paralysie segmentaire,
Grade VI Paralysie Asymétrie évidente Aucun mouvement altération de l’état général
complète
PF : paralysie faciale ; PL : ponction lombaire ; ENMG : électroneuromyogramme ;
PF : paralysie faciale. BGSA : biopsie des glandes salivaires accessoires.

anatomiques entre le V et le VII [15]. Une hyperacousie,


une sécheresse oculaire et/ou buccale ainsi qu’une hypogueu- Les PF traumatiques, d’apparition brutale (section) ou différée
sie sont fréquemment rapportées, en lien respectivement avec (œdème) dans un contexte évocateur de traumatisme crânien, sont
l’innervation faciale du muscle stapédien et à ses contingents végé- fréquentes, et devront faire réaliser une tomodensitométrie des os
tatifs et sensoriel. du crâne et adresser le patient dans un service spécialisé de maxil-
lofacial. Les étiologies iatrogènes post-chirurgicales peuvent être
classées dans cette catégorie, et là encore le contexte donne le
3.2. Gradation de sévérité diagnostic (chirurgie de l’articulation temporomandibulaire, paro-
tidectomie, tympano-mastoïdectomie. . .) [20].
Il existe plusieurs échelles de gradation de la sévérité clinique Les causes acquises de manière rapidement progressive ou sub-
des PF a frigore [16,17]. En dépit d’une variabilité inter-observateurs aiguë sont infectieuses, systémiques telles la maladie de Lyme,
en rapport avec la part subjective inhérente à certains items, elles l’infection par le VIH, la tuberculose ou la syphilis, ou locales en
demeurent très utiles en pratique dans le suivi des patients, notam- cas d’otites moyennes aiguës, de cholestéatome, de mastoïdite ou
ment pour poser l’indication ou évaluer l’efficacité d’une éventuelle de réactivation du virus VZV (zona otique également appelé zona
intervention chirurgicale. Aussi, certains spécialistes rapportent géniculé ou syndrome de Ramsay–Hunt). Leur fréquence varie en
avoir de plus en plus fréquemment recours à l’enregistrement vidéo fonction du terrain immunitaire du patient et des zones d’endémies
au repos ainsi qu’à l’occasion de certains mouvements standardi- de ces agents infectieux :
sés de la face [18]. L’échelle de House–Brackmann [16], proposée en
1985, restituée dans le Tableau 1, reste aujourd’hui la plus utilisée.
• la PF périphérique de la maladie de Lyme est volontiers bilatérale.
Elle survient au cours de la phase de dissémination secondaire et
3.3. Les autres paralysies faciales
devra faire rechercher à l’interrogatoire la notion de piqûre de
tiques et d’érythème migrant ;
La PF périphérique a frigore restant un diagnostic d’élimination, • l’infection par le VIH est associée à une fréquence plus élevée de
l’interrogatoire et l’examen clinique doivent s’appliquer à recher-
PF périphériques qui peuvent être « idiopathiques », le plus sou-
cher des signes en faveur d’une cause de PF périphérique secondaire
vent au moment de la séroconversion, ou bien en rapport avec
ou d’une PF centrale (Tableau 2). Dans la grande majorité des cas,
des pathologies infectieuses ou tumorales (lymphomes) liées à
aucun examen complémentaire n’est nécessaire.
l’immunodépression. Une sérologie VIH devrait donc raisonna-
blement être réalisée lors du bilan d’une PF chez un patient
3.3.1. PF périphériques secondaires présentant un comportement à risque d’infection [22] ;
Les PF périphériques secondaires peuvent être classées comme • un contexte fébrile associé à un syndrome méningé doit faire évo-
congénitales ou acquises. Les causes congénitales, c.-à-d. présentes quer une méningoradiculite et hospitaliser le patient en urgence ;
dès la naissance, peuvent être traumatiques liées à l’accouchement • la présence d’une éruption vésiculo-croûteuse au niveau de la
(dans ce cas des syncinésies pourront être observées et la récupé- zone de Ramsay–Hunt, parfois aussi retrouvée dans la cavité buc-
ration est habituellement bonne) ou s’intégrer dans des syndromes cale, précédant classiquement l’installation de la paralysie, doit
génétiques. Chez l’enfant, Les PF périphériques acquises sont rare- être recherchée en faveur d’un zona géniculé ;
ment (dans 9 à 16 % des cas) « idiopathiques » [19] alors qu’elles le • des signes otoscopiques et généraux en faveur d’une otite
sont dans plus de 50 % des cas chez l’adulte [20,21]. moyenne aiguë ou chronique éventuellement compliquée
32 S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37

Fig. 2. Diplégie faciale. En A, noter l’absence totale d’expressivité faciale. En B, signe de Charles Bell bilatéral alors que la patiente de fermer les yeux. En C, absence de
contraction des muscles peauciers du cou (consigne d’abaisser la lèvre inférieure).

(mastoïdite) devront faire orienter le patient vers une consulta- Tableau 3


Différentes patterns de PF périphérique.
tion spécialisée ORL ;
• plus rarement, des PF périphériques peuvent aussi accompagner Diplégie faciale Dysimmunes : syndrome de Guillain–Barré, sarcoïdose,
des infections par EBV [23], la lèpre ou la poliomyélite. Wegener (granulomatose c-ANCA)
Néoplasiques : lymphome, infiltration méningée,
carcinomatose disséminée
Infectieuses : maladie de Lyme, cryptococcose méningée
(dans le cadre d’une infection au VIH)
PF récurrente Néoplasique : tumeur du nerf (schwannome), des
D’apparition subaiguë, la PF des polyradiculonévrites aiguës structures adjacentes (parotides, os temporal) ou du noyau
(syndrome de Guillain–Barré) est volontiers bilatérale [24] (Fig. 2). du VII (tronc cérébral)
Génétique : dans le cadre de la neuropathie héréditaire liée
L’interrogatoire retrouve une fatigabilité inhabituelle, une difficulté
à la pression (HNPP pour hereditary neuropathy with
rapidement croissante à se déplacer, monter ou descendre les esca- liability to pressure palsies) ou neuropathie tomaculaire
liers, alors même que le patient ne se plaindra d’aucune paresthésie Idiopathique = PF récurrente avec parfois caractère familial
ou déficit moteur. Il faut alors penser à vérifier la présence des (∼ 4 % des PF périphériques a frigore)
PF syndromiques Syndrome de Ramsay–Hunt : éruption vésiculeuse dans la
réflexes ostéo-tendineux.
zone de Ramsay–Hunt associé à une PF périphérique dans
Lorsque la PF périphérique, volontiers bilatérale, est associée le cadre du zona du ganglion géniculé
à une fièvre, une uvéite antérieure et une parotidite (syndrome Syndrome de Heerfordt : association d’une fièvre,
d’Heerfordt), une sarcoïdose doit être recherchée, la PF périphé- parotidite, uvéite antérieure et PF périphérique dans le
rique restant toutefois un mode d’entrée rare dans la maladie (5 %) cadre d’une sarcoïdose systémique
Syndrome de Melkersson–Rosenthal : association œdème
[25].
orofacial, PF périphérique récurrente, possiblement à
La vascularite à c-ANCA de Wegener ou d’autres maladies de bascule, et langue plicaturée. Rare, étiologie inconnue,
système peuvent aussi être responsables de la survenue de PF péri- prédisposition génétique suspectée
phériques. PF congénitale Syndrome de Möbius par anomalie développementale des
VIIes ± VIes paires crâniennes : diplégie faciale ± association
Une PF périphérique récidivante, qui se présente de manière
à troubles oculomoteurs
aiguë ou subaiguë, peut aussi révéler une neuropathie héréditaire Traumatiques au moment de l’accouchement (forceps. . .)
liée à la pression (HNPP) ou neuropathie tomaculaire, maladie
PF : paralysie faciale.
génétique de transmission autosomique dominante occasionnant
des démyélinisations segmentaires des troncs nerveux aux points
de compression. Dans ce cas, il est retrouvé dans l’histoire du 3.3.2. Paralysies faciales centrales
patient des atteintes monotronculaires subaiguës à répétition En cas d’atteinte du premier motoneurone central, la PF va pré-
(atteinte du nerf fibulaire au col avec pied tombant, etc.). La dominer sur le territoire facial inférieur (voir Section 2) et l’examen
recherche génétique de la mutation du gène PMP22 confirme le clinique peut révéler une dissociation automatico-volontaire, c’est-
diagnostic. à-dire une paralysie accentuée dans les mouvements volontaires
À l’inverse, une évolution lentement progressive, une localisa- (exécutés sur consignes), médiés par la voie pyramidale, par
tion circonscrite à certaines branches du nerf facial, la récidive ou rapport à ceux obtenus de manière automatique (mimiques sponta-
l’absence de récupération, même partielle à 6 mois, sont évoca- nées), médiés par les projections extra-pyramidales sur les noyaux
teurs d’une cause tumorale pouvant être bénigne ou maligne. Une moteurs du nerf facial. La PF est alors rarement isolée mais asso-
altération de l’état général, des signes locaux comme des adénopa- ciée à d’autres déficits neurologiques focaux (moteurs, sensitifs,
thies cervicales ou une masse parotidienne doivent être recherchés. cérébelleux, visuels, phasiques) qui dépendent du site d’atteinte
La cause la plus fréquente est le schwannome du VII, suivie des lésionnelle, mais qui alors ne pose pas vraiment de problème dia-
tumeurs parotidiennes et des lymphomes. gnostic. L’installation brutale d’une PF centrale, éventuellement
Enfin, le diabète est une cause possible même s’il reste un dia- associée à d’autres déficits neurologiques, a fortiori chez une per-
gnostic d’élimination. sonne présentant des facteurs de risques vasculaires, doit faire
Le Tableau 3 résume les différents tableaux cliniques intégrant évoquer un accident vasculaire cérébral ischémique ou hémorra-
la PF périphérique et les diagnostics qu’ils doivent faire rechercher. gique et une prise en charge urgente.
S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37 33

4. Physiopathologie complète qui ne commence à récupérer qu’après le 3e mois, vont


survenir des phénomènes parasites involontaires que sont les syn-
Si l’étiopathogénie de la PF a frigore n’est pas entièrement éluci- cinésies et les spasmes faciaux.
dée, l’hypothèse principale est aujourd’hui celle d’une réactivation
du virus HSV-1 à partir du ganglion géniculé à l’origine d’un œdème 5.2. Syncinésies et spasmes faciaux
du nerf et donc de sa compression dans sa portion intra-pétreuse.
Suite à une primo-infection, le plus souvent asymptomatique, Les syncinésies correspondent à des mouvements involontaires
ce virus, comme les autres virus du groupe herpès, témoigne d’un simultanément à des mouvements volontaires, rapportés à des
tropisme particulier pour le système nerveux et va persister de phénomènes de réinnervation aberrante après une lésion nerveuse.
manière latente, avec un faible taux de réplication, dans les gan- Il peut s’agir dans le cas des PF, d’une fermeture des paupières lors
glions nerveux [26]. Comme la primo-infection a le plus souvent du sourire ou à l’inverse de mouvements des lèvres à la ferme-
lieu par l’intermédiaire de la muqueuse oropharyngée et puisque la ture des paupières correspondant à des « erreurs » de réinnervation
partie antérieure de la langue est innervée par des fibres du nerf VII, entre les axones moteurs faciaux, ou plus rarement d’une produc-
il est licite de postuler que le ganglion géniculé puisse être un site de tion lacrymale accrue (epiphora) lors de la salivation (aussi appelée
latence du virus HSV1-1. Cette assertion a d’ailleurs été confirmée « syndrome des larmes de crocodiles »), par « erreur » d’innervation
par des études autoptiques qui ont retrouvé la présence du virus entre les axones destinés aux glandes salivaires et ceux destinés
dans la majorité des ganglions géniculés étudiés [27]. L’hypothèse aux glandes lacrymales. Les spasmes correspondent à des contrac-
d’une réactivation herpétique comme cause de PF a frigore a été for- tions involontaires paroxystiques d’un muscle voire de plusieurs
mulée pour la première fois par David P. McCormick en 1972 [28] et muscles, parfois douloureux, ici dans le territoire impliqué par le
confortée par la publication de données peropératoires de décom- déficit initial.
pression du nerf facial qui retrouvaient l’ADN du virus au sein des
fascicules du nerf facial chez 11 des 14 patients avec une PF périphé- 6. Place de l’électrophysiologie
rique a frigore et chez aucun des autres patients pour qui la chirurgie
avait une autre indication (syndrome de Ramsay–Hunt, cancer de Aux différents stades de la PF périphérique, l’examen électro-
la parotide. . .) [29]. Si le virus paraît détectable aussi dans la salive physiologique peut apporter des éléments de diagnostic positif de
chez 30 % patients et non pas chez les patients contrôles, cette ten- l’origine périphérique de la PF (parfois difficile quand elle est très
dance ne semble pas assez sensible pour être utilisable en pratique modérée), d’évaluation de la sévérité et du pronostic, ainsi que des
clinique [30]. Des données expérimentales viennent aussi soutenir arguments pour d’éventuelles complications. Cette évaluation n’est
cette hypothèse avec la possibilité d’induire des PF chez des sou- pas indispensable et devra être guidée par la clinique. En cas de sus-
ris par primo-infection par le virus HSV-1 (inoculé dans le pavillon picion de PF périphérique secondaire, l’électroneuromyogramme
de l’oreille) [31] ou par sa réactivation [32]. De plus, du temps où des quatre membres sera utile à la recherche d’une neuropathie
les chirurgies de décompression étaient fréquemment pratiquées sous-jacente, comme des lésions de démyélinisation dans le cadre
pour le traitement des PF périphériques a frigore sévères, les obser- d’un syndrome de Guillain–Barré ou d’une atteinte musculaire
vations peropératoires rapportaient un nerf de diamètre augmenté, associée dans la sarcoïdose.
siège d’une inflammation macroscopique, suggérant un mécanisme La compression du nerf dans le rocher peut provoquer des
compressif dans le canal osseux inextensible formé par l’aqueduc lésions circonscrites à la gaine de myéline, dites de neurapraxie,
de Fallope. Afin d’expliquer la perte axonale mise en évidence chez ou bien des lésions plus sévères axonales de dégénérescence wal-
les patients ayant une PFP sévère et ne récupérant pas, on peut lérienne (dégénérescence progressant du site de la lésion jusqu’en
émettre l’hypothèse que l’œdème compressif prolongé peut entraî- distalité de l’axone). Les premières sont de résolution rapide en
ner une ischémie du nerf surajoutée, comme pour n’importe quelle environ trois semaines alors que le processus de régénérescence
neuropathie. axonale est lent (∼ 1 mm par jour) et soumis à des possibilités
d’erreurs (réinnervation aberrante) qui sous-tendent le mécanisme
des syncinésies.
5. Histoire naturelle et complications
6.1. Le réflexe du clignement ou « Blink reflex »
L’histoire naturelle de la PF a frigore rapporte une proportion
de récupération complète sans traitement de 70 % environ, avec
Il s’agit d’un réflexe trigéminofacial, polysynaptique, bilatéral,
dans 85 % des cas, un début de récupération survenant dans les
induit par la stimulation électrique du nerf supra orbitaire (NSO,
trois semaines après l’installation du déficit. Les facteurs associés
branche du V1), dont les réponses (VII bilatéral) sont recueillies des
à une récupération incomplète sont une PF sévère (stades V et
deux côtés à chaque stimulation avec des électrodes de surface sur
VI de l’échelle de House–Brackmann), la durée avant le début de
le muscle orbiculaire de l’œil (OOc). Deux réponses sont obtenues
récupération ainsi que la persistance des douleurs [7]. Des straté-
suite à la stimulation du NSO, la réponse R1, ipsilatérale, brève, de
gies thérapeutiques ont été mises en place à partir des hypothèses
latence courte et stable (entre 10 et 12 ms), bi- ou triphasique et
physiopathologiques incriminant l’œdème et l’infection VZV. Leur
la réponse R2, bilatérale, de longue durée et de latence élevée et
évaluation a été difficile à mettre en place en raison même de la
fluctuante (30–40 ms) selon les stimulations (Fig. 3A). Cette der-
très bonne récupération spontanée de la plupart des patients.
nière réponse correspond au clignement clinique. La voie afférente
de ce réflexe est constituée des fibres sensitives du nerf trijumeau
5.1. Récupération incomplète et la voie efférente des fibres motrices du nerf facial. La réponse
R1 est médiée par un circuit pontique oligosynaptique alors que
Une récupération incomplète concernerait donc de 5 à 30 % des la réponse R2 empreinte un circuit bulbaire polysynaptique plus
patients selon la prise en charge (voir infra) et les facteurs pronos- complexe [33] (Fig. 4). En fonction des normes établies par chaque
tics individuels. La persistance du déficit neurologique peut avoir laboratoire, la différence de latence entre les réponses R1 doit res-
des conséquences majeures tant sur le plan social, psychologique ter inférieure à 1,2 ms, et à 7 ms entre les réponses R2 ipsilatérales
mais aussi fonctionnel (mauvaise perméabilité de la narine, occlu- et controlatérales.
sion palpébrale incomplète, dysarthrie, écoulement de salive. . .). Dès les 3 premiers jours, la recherche de ce réflexe pourra mon-
De plus, et de manière constante lors d’une PF initialement trer des anomalies en démasquant ainsi le bloc de conduction
34 S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37

Fig. 3. Réflexe du clignement à la stimulation du nerf supra orbitaire chez un volontaire sain (A) et chez un patient atteint d’une paralysie faciale (PF) périphérique a frigore
droite (B), 8 semaines après l’installation des symptômes. La stimulation est réalisée sur les nerfs supra-orbitaires gauche et droit et la réponse est enregistrée, pour chaque
stimulation, sur les muscles orbiculaires de l’œil bilatéraux. Chez le patient, on note, du côté lésé (à droite), l’absence de réponse R1 et R2 à la stimulation ipsilatérale ainsi
que l’absence de réponse R2c à la stimulation controlatérale. g : gauche ; d : droite ; OOC : muscle orbiculaire de l’œil ; c : controlatéral.

Fig. 4. Schématisation des circuits empruntés par le réflexe du clignement. Exemple de la stimulation droite. Le réflexe R1 (flèches vertes) est médié par un circuit oligo-
synaptique pontique ipsilatéral à la stimulation. Les réflexes R2 et R2c (flèches bleues) empruntent un circuit ponto-bulbaire ipsi- et controlatéral. M : mésencéphale ; P :
pont ; B : bulbe ; VM : noyau sensoriel du V ; VS : noyau du tractus spinal du V.

intra-pétreux empêchant le passage de l’influx nerveux dans le d’altération persistante, ceci suggère une dégénérescence axonale,
nerf. C’est l’outil électrophysiologique le plus précocement patho- mieux appréhendée par l’étude électroneuromyographique du nerf
logique. L’aspect le plus typique consiste en une abolition des facial.
réponses R1 et R2 ipsilatérales à la stimulation du NSO du côté
atteint et une conservation du R2 controlatéral, alors que les 6.2. L’étude électroneuromyographique du nerf facial
réponses R1 et R2 ipsilatérales à la stimulation du NSO du côté sain
sont normales tandis que la réponse R2 controlatérale est abolie Le degré de perte axonale pourra être estimé via l’amplitude du
(Fig. 3B). Lors d’une PF peu sévère, ces réponses peuvent être pré- potentiel d’action musculaire (PAM) après stimulation électrique
sentes mais de latence augmentée ou d’amplitude diminuée. De directe du nerf facial en avant du tragus, par comparaison au côté
plus, alors que chez un sujet sain la réponse R2 ipsilatérale à la sti- sain. Les muscles sur lesquels sont recueillis les PAM sont habi-
mulation (R2) est classiquement d’amplitude plus élevée que celle tuellement le muscle orbiculaire de l’œil, orbiculaire des lèvres et
controlatérale à la stimulation (R2c), ce rapport est souvent inversé muscle nasal. La perte axonale, si elle se constitue, n’apparaîtra
en cas de PF périphérique [34]. Cette observation peut apporter qu’après environ une dizaine de jours [34], le temps pour la dégé-
une explication à la fréquence accrue de clignements de paupières, nérescence wallérienne de progresser vers la distalité, c.-à-d. du
voire de blépharospasmes [13], observés du côté sain en cas de PF site d’atteinte lésionnel au site d’enregistrement musculaire.
périphérique (voir Section 3.1 Clinique). Une information semi-quantitative sur la perte axonale est éga-
Le suivi de l’étude du réflexe du clignement chez un même lement apportée par l’examen de détection à l’aiguille. Pour cela,
patient pourra informer, après une dizaine de jours, sur la réver- une aiguille couplée à un micro est placée dans l’orbiculaire des
sibilité du bloc de conduction ou sur sa pérennisation. En cas lèvres et des paupières, le sourcilier et la houppe du menton.
S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37 35

L’activité de repos, sous la forme de fibrillations et de potentiels chirurgie décompressive précoce au niveau de la 1re portion intra-
lents de dénervation, absente chez un sujet sain, est le reflet de pétreuse du nerf facial n’est pas claire, faute de critères fiables
la dénervation musculaire et donc de la perte axonale. À l’effort, la initiaux de mauvais pronostic [40]. Selon la gravité de la paralysie,
réponse peut être absente en cas de dénervation complète, ou mon- des mesures de protection oculaire doivent être mises en place pour
trer quelques potentiels d’unité motrice. Au cours de l’évolution, éviter les complications cornéennes liées à l’occlusion palpébrale
une réinnervation apparaît dans les muscles faciaux sous la forme incomplète.
de potentiels d’unité motrice souvent polyphasiques et de faible
amplitude lors de la détection à l’aiguille. Elle survient à partir 8.1. Corticothérapie
du troisième mois, compte tenu de la distance à parcourir du site
lésionnel à la cellule musculaire, et peut être difficile à obtenir L’utilisation des corticoïdes repose sur le mécanisme sup-
par stimulation directe du nerf facial ipsilatéral [35]. Des phéno- posé d’inflammation et d’œdème du nerf facial à l’origine de sa
mènes de réinnervation croisée, traduisant l’extension du territoire compression au passage de l’aqueduc de Fallope. Par leur effet
d’innervation du nerf facial sain aux muscles faciaux controlatéraux anti-inflammatoire, ils diminueraient cette compression et amé-
(souvent proches la ligne axiale), pourront aussi être mis en évi- lioreraient la récupération fonctionnelle du nerf.
dence par l’enregistrement (électrodes de surface ou l’aiguille) de la Leur efficacité a été démontrée dans des études multicentriques,
réponse musculaire du côté lésé suite à une stimulation électrique contrôlées, randomisées menées en double insu [41,42] et confir-
du nerf facial controlatéral. Si cette réinnervation est présente, elle mée par des récentes méta-analyses [43]. Dans ces études, le
est un élément de meilleur pronostic. traitement était instauré dans les 72 heures suivant l’installation de
L’enregistrement simultané de plusieurs muscles de la face la PF pour une durée de 10 jours (schéma de 60 mg les 5 premiers
au moyen d’électrodes de surface permet le diagnostic des syn- jours suivi d’une décroissance de 10 mg par jour les 5 derniers jours
cinésies. Par exemple, le clignement des paupières, enregistré ou de 50 mg par jour pendant 10 jours). Dans l’étude écossaise [42],
sur le muscle orbiculaire des paupières, pourra systématique- la proportion de récupération complète était de 83 % dans le groupe
ment s’accompagner d’une activité musculaire involontaire dans le corticothérapie versus 63,5 % dans le groupe sans corticothérapie
muscle orbiculaire des lèvres. De la même manière, des décharges à trois mois et respectivement de 94,4 % versus 81,6 % à 9 mois. La
spontanées involontaires pourront être mises en évidence dans un dernière revue Cochrane [44] calcule un nombre de sujets à traiter
ou plusieurs muscles au cours des spasmes. de 10 pour éviter une récupération incomplète, avec un intervalle
Les renseignements apportés par les explorations électrophy- de confiance à 95 % de 6 à 20. Aucun effet secondaire grave n’a
siologiques aux différents stades de la PF périphérique sont été rapporté à leur utilisation mais seulement des insomnies et des
résumés dans le Tableau 4. phénomènes de dyspepsie.

7. Place de l’imagerie 8.2. Antiviraux

L’imagerie du nerf facial, en particulier l’IRM cérébrale, peut Le rationnel de leur utilisation dans la PF a frigore est basé sur
permettre d’explorer une PF périphérique, en identifiant le site l’hypothèse de la réactivation du virus HSV-1 dans sa physiopa-
lésionnel et l’extension de la souffrance nerveuse par l’hypersignal thologie. Cependant, aucune des études précédentes n’a montré de
en séquence flair du nerf [36,37], et peut apporter des éléments bénéfice significatif à l’adjonction d’une thérapie antivirale (Vala-
pronostics. Cependant, l’interprétation des images reste controver- ciclovir 3000 mg/j pendant 7 jours ou Acyclovir 2000 mg/j pendant
sée et ces anomalies peuvent être observées dans les PF a frigore 10 jours) au traitement par corticoïdes [41,42]. Les proportions
comme dans celles de causes secondaires [38]. La prise de contraste de récupération complète étaient en effet de 71,2 % à trois mois
au gadolinium est difficile à interpréter (ne reflèterait que la vas- dans le groupe recevant de l’Acyclovir versus 75,7 % dans le groupe
cularisation du nerf) hormis celle correspondant à la 1re portion du n’en recevant pas et il n’y avait pas non plus de différence signi-
nerf, qui serait en revanche de plus mauvais pronostic [38,39]. ficative à 9 mois. Toutefois, il a été suggéré, notamment dans les
résultats d’études menées sur des échantillons plus restreints [45],
8. Traitements que le traitement antiviral pourrait être bénéfique dans des sous-
groupes de paralysie sévère, et que son effet pourrait être dilué
L’efficacité du traitement par corticothérapie a été clairement par l’inclusion de patients avec de PF de sévérité légère à modérée.
démontrée sur la récupération motrice au travers de diffé- Aucun effet indésirable grave n’a été rapporté à leur utilisation.
rentes études randomisées et de leurs méta-analyses. L’intérêt de À la lumière de ces différentes données, les dernières recom-
l’associer à un traitement antiviral reste débattu. La place de la mandations américaines [46] préconisent l’instauration précoce

Tableau 4
Explorations électrophysiologiques et résultats attendus aux différents stades de la PF périphérique.

2 jours–10 jours 10 jours–3 mois > 3 mois

Réflexe du clignement Recherche blocage de conduction Récupération ou non du bloc de Réversibilité du bloc traduisant une réinnervation
conduction
Étude des conductions Pas d’anomalie Abolition ou diminution d’amplitudes Réapparition ou augmentation d’amplitudes des PAM
nerveuses motrices du des PAM par rapport au côté sain du côté lésé à la stimulation ipsilatérale traduisant une
nerf facial Réinnervation croisée réinnervation
Enregistrement d’un PAM du côté lésé à la stimulation
controlatérale traduisant une réinnervation croisée
EMG à l’aiguille Absence ou manque de fibres Activité de repos (fibrillation, PLD) Preuves de réinnervation sous la forme de PUM
nerveuses fonctionnelles lors de la reflétant la perte axonale polyphasiques d’amplitudes augmentées à la
commande volontaire Absence ou manque de fibres stimulation ispi- ou controlatérale (en cas de
nerveuses fonctionnelles lors de la réinnervation croisée)
commande volontaire Explorations des complications : mouvements
syncinétiques ou décharges myokymiques

PF : paralysie faciale ; PAM : potentiel d’action musculaire ; PLD : potentiels lents de dénervation ; PUM : potentiels d’unités motrices.
36 S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37

(dans les 72 heures) d’une corticothérapie orale sur une durée de traitement antiviral dont la valeur ajoutée n’est actuellement pas
10 jours (schéma de 50 mg/j ou de 60 mg/j les 5 premiers jours suivi démontrée. Des spasmes hémifaciaux (contractions involontaires
d’une décroissance progressive les cinq derniers jours), éventuel- des muscles de l’hémiface) ou des syncinésies (contractions invo-
lement associé à un traitement antiviral (selon les schémas décrits lontaires accompagnant une contraction volontaire en lien avec
plus haut). Le bénéfice de ce dernier, s’il existe, est faible, et concer- un phénomène de réinnervation aberrante) peuvent émailler son
nerait les PF sévères. Leur bonne sécurité d’emploi et leur efficacité évolution. L’électroneuromyographie permet à chaque phase de la
sur l’un des diagnostics différentiels de la PF a frigore, le syndrome maladie de confirmer le diagnostic dans les cas difficiles – PF péri-
de Ramsay–Hunt dû au virus VZV, où l’éruption cutanée peut man- phériques bilatérales par exemple – et de statuer sur le pronostic
quer à la phase initiale, justifie aussi leur utilisation dans cette mais n’est le plus souvent pas utile pour les PFP modérées et qui
indication. commencent à récupérer dans les 3 semaines.

8.3. Mesures associées Déclaration de liens d’intérêts

Le clignement comme l’occlusion palpébrale complète sont Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
indispensables au phénomène de lacrymation qui joue un rôle
majeur dans la protection oculaire. En son absence en cas de Remerciements
PF, la cornée est vulnérable et exposée aux complications telles
que la kératite, les ulcérations cornéennes, qui peuvent menacer Nous remercions les patients qui ont accepté que leur photo et
le pronostic visuel. Des mesures de protection oculaire doivent leur enregistrement soient publiés.
être proposées dès la première consultation et le patient doit être
adressé à un ophtalmologiste en cas de douleurs et/ou déman-
Références
geaisons et/ou baisse d’acuité visuelle. Les mesures comportent le
port de lunettes de soleil, la lubrification oculaire (larmes artifi- [1] Glicenstein J. [The history of facial paralysis]. Ann Chir Plast Esthet
cielles diurnes et pommade à base de vitamine A nocturne) ainsi 2015;60(5):347–62.
que l’occlusion palpébrale complète (nocturne avec une compresse [2] Canalis RF, Cino L. Ceramic representations of facial paralysis in ancient Peru.
Otol Neurotol 2003;24(5):828–31.
occlusive voire diurne avec un monocle). Dans les PF de pronostic [3] Sajadi MM, Sajadi M-RM, Tabatabaie SM. The history of facial palsy and spasm:
réservé ou sur terrain fragilisé (diabète, pathologies ophtalmolo- Hippocrates to Razi. Neurology 2011;77(2):174–8.
giques préexistantes), la pose de prothèses palpébrales devra être [4] Myers EN, De Diego JI, Prim MP, Madero R, Gavilsaan J. Seasonal patterns
of idiopathic facial paralysis: a 16-year study. Otolaryngol Head Neck Surg
envisagée plus rapidement en plus des mesures précédentes [18]. 1999;120(2):269–71.
D’autres thérapies, telles que l’acupuncture, le biofeedback, la [5] Katusic SK, Beard CM, Wiederholt WC, Bergstralh EJ, Kurland LT. Incidence, cli-
kinésithérapie, l’électrostimulation, sont parfois utilisées dans la nical features, and prognosis in Bell’s palsy, Rochester, Minnesota, 1968–1982.
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prise en charge de la PF périphérique. Leur efficacité est difficile [6] Maire R, Meylan P. [Facial palsy: update for the practitioner]. Rev Med Suisse
à évaluer du fait de l’hétérogénéité des pratiques. Elles pourraient 2011;7(311):1901–7.
toutefois être utiles chez certains patients ainsi que dans la prise [7] Peitersen E. Bell’s palsy: the spontaneous course of 2500 peripheral facial nerve
palsies of different etiologies. Acta Otolaryngol Suppl 2002;(549):4–30.
en charge des complications à type de syncinésies [47].
[8] Hilsinger RL, Adour KK, Doty HE. Idiopathic facial paralysis, pregnancy, and the
menstrual cycle. Ann Otol Rhinol Laryngol 1975;84(4 Pt 1):433–42.
8.4. Les traitements à la phase chronique [9] Hsieh R-L, Wang L-Y, Lee W-C. Correlation between the incidence and
severity of Bell’s palsy and seasonal variations in Taiwan. Int J Neurosci
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Le principal traitement des syncinésies et des spasmes consiste [10] Toulgoat F, Sarrazin JL, Benoudiba F, Pereon Y, Auffray-Calvier E, Daumas-
en l’injection de toxine botulique en des points ciblés visant à la Duports B, et al. Facial nerve: from anatomy to pathology. Diagn Interv Imaging
fois à inhiber l’activité des muscles sujets aux contractions involon- 2013;94(10):1033–42.
[11] Diamond M, Wartmann CT, Tubbs RS, Shoja MM, Cohen-Gadol AA, Loukas M.
taires du côté atteint et à rétablir une certaine symétrie en ciblant Peripheral facial nerve communications and their clinical implications. Clin
certains muscles du côté sain (par exemple le muscle depressor Anat N Y N 2011;24(1):10–8.
angularis oris en charge de l’abaissement de la commissure labiale) [12] Lacombe H. [Functional anatomy of the facial nerve]. Neurochirurgie
2009;55(2):113–9.
[48]. Cette prise en charge est souvent efficace mais nécessite d’être [13] Valls-Solé J, Montero J. Movement disorders in patients with peripheral facial
répétée. Chez ces derniers patients, des solutions durables, chirur- palsy. Mov Disord 2003;18(12):1424–35.
gicales, peuvent être envisagées à type de myectomie voire plus [14] Masterson L, Vallis M, Quinlivan R, Prinsley P. Assessment and management of
facial nerve palsy. BMJ 2015;351:h3725.
récemment de neurectomie sélectives [49]. [15] Vanopdenbosch LJ, Verhoeven K, Casselman JW. Bell’s palsy with ipsilateral
Une collaboration multidisciplinaire devrait pouvoir remédier numbness. J Neurol Neurosurg Psychiatry 2005;76(7):1017–8.
aux principales difficultés rencontrées par le patient, en alliant de [16] House JW, Brackmann DE. Facial nerve grading system. Otolaryngol Head Neck
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manière adaptée une prise en charge ophtalmologique, une kiné-
[17] Ross BG, Fradet G, Nedzelski JM. Development of a sensitive clinical facial gra-
sithérapie, des injections de toxine botulique et des interventions ding system. Otolaryngol Head Neck Surg 1996;114(3):380–6.
chirurgicales ciblées. [18] Eviston TJ, Croxson GR, Kennedy PGE, Hadlock T, Krishnan AV. Bell’s palsy:
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treatment. Pediatr Emerg Care 2010;26(10):763–9 [quiz 770–773].
La PF périphérique a frigore ou idiopathique, dite encore de para- [20] Hohman MH, Hadlock TA. Etiology, diagnosis, and management of facial palsy:
2000 patients at a facial nerve center. Laryngoscope 2014;124(7):E283–93.
lysie de Charles Bell chez les anglo-saxons, représente plus de la [21] Rainsbury JW, Aldren CP. Facial nerve palsy. Clin Otolaryngol 2007;32(1):38–40
moitié des causes de PF périphériques de l’adulte. Son diagnostic [discussion 41].
est clinique mais ce dernier doit s’attacher à rechercher les signes [22] Riancho J, Delgado-Alvarado M, Valero C, Echevarría S, Fariñas MC. Clinical
spectrum of peripheral facial paralysis in HIV-infected patients according to
pouvant faire évoquer une PFP secondaire et surtout ne pas mécon- HIV status. Int J STD AIDS 2013;24(1):39–41.
naître une PF centrale. Dans les trois-quarts des cas, l’évolution est [23] Terada K, Niizuma T, Kosaka Y, Inoue M, Ogita S, Kataoka N. Bilateral facial
spontanément satisfaisante avec une récupération complète. Tou- nerve palsy associated with Epstein-Barr virus infection with a review of the
literature. Scand J Infect Dis 2004;36(1):75–7.
tefois, compte tenu du préjudice social et psychologique potentiel, [24] van den Berg B, Walgaard C, Drenthen J, Fokke C, Jacobs BC, van Doorn PA.
une corticothérapie orale de courte durée est généralement ins- Guillain–Barré syndrome: pathogenesis, diagnosis, treatment and prognosis.
taurée précocement (dans les 72 heures), parfois associée à un Nat Rev Neurol 2014;10(8):469–82.
S. Prud’hon, N. Kubis / La Revue de médecine interne 40 (2019) 28–37 37

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La Revue de médecine interne 40 (2019) 38–42

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Communication brève

Syndrome de fuite capillaire secondaire à un accident de


décompression : à propos d’un cas
Capillary leak syndrome secondary to decompression sickness: A case report
J. Morin a,∗ , K. Simon b , F. Chadelaud c , D. Delarbre d , A. Druelle a , J.-E. Blatteau a
a
Service de médecine hyperbare et expertise plongée (SMHEP), hôpital d’instruction des armées (HIA) Sainte-Anne, BP 600, 83800 Toulon cedex 9, France
b
Service d’accueil des urgences, hôpital d’instruction des armées Alphonse-Laveran, 13000 Marseille, France
c
Service de réanimation, HIA Sainte-Anne, BP 600, 83800 Toulon cedex 9, France
d
Service de médecine interne, HIA Sainte-Anne, BP 600, 83800 Toulon cedex 9, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Contexte. – Le syndrome de fuite capillaire est une complication rare d’accident de désaturation pouvant
Disponible sur Internet le 17 octobre 2018 être responsable de choc hypovolémique avec œdèmes.
Cas clinique. – Un plongeur amateur de 21 ans, victime d’un accident de désaturation cochléo-vestibulaire
Mots clés : après une plongée à l’air à 96 mètres, présentait une dégradation secondaire avec tableau d’hypovolémie
Accident de désaturation et œdème diffus causés par un syndrome de fuite capillaire.
Choc hypovolémique Discussion. – Dans la maladie de décompression, l’agression bullaire initiale altère la paroi des vaisseaux
Plongée sous-marine
sanguins et active des mécanismes biochimiques complexes qui entraînent une fuite protéique extravas-
Syndrome de Clarkson
Syndrome de fuite capillaire
culaire. L’expression clinique de la fuite capillaire est variable, allant d’une simple hémoconcentration
au choc hypovolémique. Une surveillance clinicobiologique rapprochée des patients présentant une élé-
vation de l’hématocrite associée ou non à une hypoalbuminémie est recommandée en phase initiale de
l’accident de désaturation. Un remplissage vasculaire précoce associé à une perfusion d’albumine pourrait
permettre d’éviter la survenue d’un choc hypovolémique et d’améliorer le pronostic.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS.
Tous droits réservés.

a b s t r a c t

Keywords: Background. – Capillary leak syndrome is a rare type of decompression sickness (DCS) that may be
Capillary leak syndrome responsible for hypovolemic shock with edema.
Hypovolemic shock Clinical case. – A 21-year-old amateur diver suffered from an inner ear DCS following air diving to 96 msw.
Scuba diving He presented subsequent deterioration with hypovolemia and facial edema secondary to capillary leak
Decompression sickness
syndrome.
Discussion. – In DCS, bubbles formation alters the wall of blood vessels and activates complex biochemical
mechanisms inducing extravascular protein leakage. The clinical expression of this syndrome is variable,
ranging from simple hemoconcentration to hypovolemic shock. Close clinical-biological monitoring of
patients with elevated hematocrit with or without hypoalbuminemia is advisable. Early vascular filling
with albumin infusion may prevent the occurrence of hypovolemic shock and improve the prognosis.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS.
All rights reserved.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : jean.morin@intradef.gouv.fr (J. Morin).

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.07.013
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
J. Morin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 38–42 39

1. Introduction Tableau 1
Score de gravité cochléo-vestibulaire.

Le syndrome de fuite capillaire est une complication rare Signes cochléo-vestibulaires Score de sévérité
d’accident de décompression (ADD) décrit dans des conditions Vertiges rotatoires
extrêmes d’exposition à de très hautes altitudes, des plongées expé- Absent 0
rimentales utilisant des mélanges He-O2 ou bien chez des plongeurs Inconstants ou simple sensation vertigineuse 1
en saturation [1–5]. Sémiologiquement, ce syndrome se rapproche Permanents 2

de la maladie de Clarkson. Plusieurs cas ont récemment été rap- Surdité/Acouphènes


portés dans le cadre d’accident de plongée loisir mais il existe peu Absent 0
Présents 8
d’information sur la chronologie clinicobiologique et sur le pronos-
tic de cette pathologie dans la littérature [6,7]. Nystagmus
Absent 0
Présent dans le regard décentré dans le sens de la 1
secousse rapide
2. Observation Présent dans le regard centré 2
Présent dans le regard décentré dans le sens de la 3
Un homme, âgé de 21 ans, sans antécédent particulier en dehors secousse lente
d’une amygdalectomie et d’une allergie à l’ibuprofène, était adressé Symptômes neurovégétatifs
Absent 0
fin août par le Service de Coordination Médicale Maritime du Var Nausées isolées 1
au service de médecine Hyperbare et d’expertise plongée de l’HIA Nausées et rares vomissements, notamment après 2
Sainte Anne de Toulon (SMHEP) pour une suspicion d’ADD cochléo- mobilisation
vestibulaire. Sportif de corpulence médioligne (1,84 m pour 76 kg), Vomissements incoercibles 3
le patient était un plongeur régulier depuis 3 ans (environ 150 plon- Instabilité à la station debout
gées). Breveté niveau 5 FFESSM, il utilisait un ordinateur de plongée Absente 0
pour réaliser depuis le début de l’été des plongées très profondes Présente ; yeux fermés 1
Présente ; yeux ouverts 2
(au-delà de 70 mètres à l’air). À noter une plongée à plus de Verticalisation impossible 3
100 mètres à l’air une semaine avant l’accident, une autre à l’air
Score < 10 : risque faible de séquelles.
la veille de 73 mètres de profondeur maximale pour 35 min de
durée totale. Les paramètres de la plongée en cause étaient : plon-
gée à l’air en circuit ouvert à 93 mètres maximum pour 3 min au Tableau 2
fond, avec 1 min de palier à 12 mètres, 1 min à 9 mètres, 2 min à Score de sévérité neurologique.
6 mètres et 7 min à 3 mètres. Les paliers ont été réalisés au Nitrox Score « MEDSUBHYP »
60 % sans notion de remontée rapide, ni de blocage expiratoire.
Signes neurologiques Score de sévérité
Les conditions environnementales étaient bonnes, sans effort au
fond ni fatigue ressentie avant la plongée. Immédiatement à la sor- Âge ≥ 42 ans
tie de l’eau, vers 11h00, il présentait un malaise généralisé avec Non 0
Oui 1
obnubilation et désorientation. Il décrivait une surdité bilatérale
avec vertiges, nausées et vomissements. Il se serait plaint secon- Douleur vertébrale
Non 0
dairement de douleurs rachidiennes lombaires. Il a été placé sous
Oui 1
oxygène normobare et héliporté vers un centre hyperbare.
À l’admission au SMHEP à 13 h 00, la cophose persistait, tandis Évolution avant recompression
Amélioré 0
que les vertiges et nausées avaient diminué. Le patient était orienté,
Stable 3
mais l’interrogatoire était difficile compte-tenu de la sévérité de la Aggravé 5
surdité. La verticalisation était impossible du fait de la recrudes-
Signes sensitifs objectifs
cence des vertiges. Il n’a pas été mis en évidence de nystagmus au Non 0
vidéonystagmoscope. Le score de sévérité de l’atteinte de l’oreille Oui 4
interne a été côté à 14 (Tableau 1).
Signes moteurs
Sur le plan neurologique, il existait un déficit moteur modéré Non 0
prédominant sur le membre inférieur gauche coté à 4 sur 5. Les Parésies 4
réflexes ostéotendineux étaient présents avec une trépidation épi- Paraplégies 5
leptoïde du pied gauche. Les réflexes cutanés plantaires bilatéraux Atteinte sphincter urinaire
étaient indifférents. Il n’existait pas de trouble sphinctérien. Le reste Non 0
de l’examen clinique était sans particularité. Le score neurologique Oui 6
de Medsubhyp était à 7 (Tableau 2). Les résultats des bilans biolo- Score < 8 : risque faible de séquelles.
giques des 48 premières heures sont présentés dans le Tableau 3.
Dans ce contexte d’ADD cochléo-vestibulaire avec atteinte
neurologique, une table d’oxygénothérapie hyperbare de type avec hémoconcentration, élévation des d-dimères et hypoalbu-
C18 (pression à 2,8 puis 1,9 Atmosphère Absolue, O2 100 %, minémie (Tableau 3). Les lactates artériels étaient augmentés à
durée 5 heures) était débutée. Un traitement intraveineux par 3,8 mmol/L. La troponine était mesurée à 102 ␮g/L (n < 14) sans
méthylprednisolone 80 mg, suivi d’une perfusion de lidocaïne de argument pour un syndrome coronarien aigu (pas de douleur
2 mg/min/8 h au pousse seringue électrique était associée à un thoracique, électrocardiogramme sans argument pour une cause
remplissage de 1 litre de NaCl 0,9 %. Lors de la séance de caisson ischémique et cinétique décroissante). L’échocardiographie trans-
hyperbare, le patient présentait une récupération partielle de la sur- thoracique retrouvait une fraction d’éjection du ventricule gauche
dité du côté gauche, une diminution des vertiges et une disparition correcte, sans trouble cinétique segmentaire, mais avec une hyper-
du déficit moteur du membre inférieur gauche. trophie ventriculaire gauche concentrique compatible avec un
À la sortie du caisson, le patient restait tachycarde à 115 batte- œdème myocardique. Il présentait un aspect de cardiomyopa-
ments par minute et avait une modification du bilan biologique thie hypertrophique obstructive avec septum interventriculaire à
40 J. Morin et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 38–42

Tableau 3
Chronologie des examens biologiques durant les 48 premières heures.

J1 J2 J3

Chronologie 11 h 13 h 17 h 40 19 h 35 21 h 40 1 h 37 6 h 11 13 h 22 17 h 39 20 h 16 2 h 47 6h

ADD St Anne Caisson Fin caisson UHCD Œdèmes →USC Caisson Sortie USC

Hématocrite, % 64,7 58,7 64,5 68,4 57,7 56,1 52,6 42 45 39,2 36,2
Hémoglobine, g/dL 22,3 22,2 22,2 22,3 20,4 19,9 17,2 15,1 14,7 12,8 12,4
Leucocytes, G/L 28,2 45,4 44,4 40,7 38,2 25,9 14,9
D-dimères, mg/L 2,95 1,93
Créatininémie, ␮mol/L 110 110 118 103 91 75 67
Albuminémie, g/L 40,7 20,2 31 28,6 30,9 34,4
Lactates, mmol/L 3,8 2,9 1,7 1,2 1,1 0,6 0,6

18 mm et hypertrophie de l’apex. Il n’existait pas de valvulopathie manifestations clinicobiologiques précoces et de l’évolution à long
et le péricarde était sec. Le patient recevait alors un remplissage terme grâce au suivi à 6 mois.
vasculaire par 3 litres de Ringer lactate en 12 heures. Les paramètres de cette plongée étaient à risque, avec une plon-
Au matin du deuxième jour, il présentait de volumineux gée en air à 93 mètres de profondeur. La plongée à l’air n’est pas
œdèmes prédominants au niveau de la face associés à une tachy- autorisée au-delà de la profondeur de 60 mètres. L’air est considéré
cardie persistante à 105 battements par minute, avec une tension comme narcotique à partir de 30 mètres et la toxicité cérébrale de
artérielle stable à 142/84 mmHg. L’échographie pleuropulmonaire l’oxygène est admise pour des profondeurs au-delà de 70 mètres. De
ne retrouvait pas d’argument pour un œdème pulmonaire, il n’y plus, le patient utilisait un ordinateur de plongée qui acceptait ces
avait pas d’épanchement pleural. Devant ce tableau de syndrome paramètres de plongée dangereux, habituellement interdits dans
de fuite capillaire sévère à risque de choc hypovolémique, le patient les tables de plongée les plus fréquemment utilisées (tables MN
était transféré en unité de soins continus pour maintien de la volé- 90 et MT 92). Il se trouvait ainsi dans des conditions de plongée à
mie et rétablissement d’une pression oncotique efficace. Il était fort risque de toxicité liée aux gaz et d’accident de décompression.
équipé d’un cathéter veineux central, afin de surveiller la pression Ces calculateurs de plongée représentent des modèles statistiques,
veineuse centrale. La tension artérielle était monitorée de manière protecteurs du risque biophysique, qui intègre une saturation dif-
invasive. Il recevait une perfusion de 350 mL d’albumine 20 % (soit férente en fonction du gaz inhalé. Ils sont soumis aux variables
70 g d’albumine) associée à un remplissage vasculaire de 5L de solu- ordonnées par l’utilisateur qui se doit de respecter les règles liées
®
tion électrolytique isotonique (Isofundine ) sur 24 heures. La PVC aux risques biochimiques. Le protocole mathématique de plongée
passait alors de −10 à 5 mmHg. La fréquence cardiaque se norma- de l’ordinateur n’a pas a été mis en défaut, mais la conception de la
lisait parallèlement à l’apparition d’une hyperdiurèse à plus de 8 L plongée n’a pas été judicieuse.
en 24 h. La maladie de décompression correspond à une atteinte systé-
Le traitement de l’accident de décompression était poursuivi mique secondaire à la formation diffuse de bulles dans l’organisme,
avec une séance d’oxygénothérapie hyperbare à 2,5 atmosphère en particulier au niveau vasculaire. On observe notamment
absolue par jour, associée au traitement par lidocaïne à 3 g par jour une altération de la perméabilité capillaire, des réactions pro-
pendant 48 heures. Sur le plan biologique, les lactates se norma- coagulantes et immuno-inflammatoires [8–10]. Deux phénomènes
lisaient, l’hématocrite était contrôlé à 36,2 % et l’albuminémie à sont alors observés. Initialement l’effet occlusif propre des bulles
34,4 g/L (Tableau 3). provoque une ischémie d’aval ou d’amont par perturbation de
Le doppler transcranien permettait de mettre en évidence la perfusion tissulaire [11,12]. Secondairement, les bulles vont
l’existence d’un shunt droit-gauche sévère (grade 3) témoin d’un interagir avec l’endothélium vasculaire et les composants san-
très probable foramen ovale perméable. L’IRM cérébrale et médul- guins entraînant une activation de la cascade de coagulation, des
laire montrait l’absence de myélopathie œdémateuse et l’absence altérations de la microcirculation, des lésions hypoxiques cellu-
d’accident vasculaire cérébral ischémique. Il n’a pas été retrouvé laires, et une augmentation de la perméabilité vasculaire [13–15].
de facteurs compressifs médullaires cervicaux. L’audiométrie réa- Une hémoconcentration avec élévation de l’hématocrite est fré-
lisée à j + 8 retrouvait une atteinte prédominante à droite dans quemment décrite chez les victimes d’accident de décompression
les fréquences graves (−25 dB) et dans les aiguës (−45 dB). Le [16]. Elle témoigne de l’intensité de la fuite capillaire. Un taux
vidéonystagmogramme révélait une lésion vestibulaire droite avec d’hématocrite à la prise en charge supérieur à 48 % apparaît être
aréflexie. un marqueur de séquelles neurologiques à un mois [17]. Une
L’évolution clinicobiologique était favorable, permettant la sor- augmentation des séquelles neurologiques à trois mois est for-
tie du patient après 48 heures en médecine interne pour bilan tement associée avec l’élévation initiale des d-dimères [15]. Une
étiologique du syndrome de fuite capillaire. Le patient regagnait hypoalbuminémie inférieure à 35 g/L lors de la présentation ini-
son domicile après une semaine d’hospitalisation, avec initialement tiale à l’admission au centre hyperbare semble également être un
une contre-indication à toutes les activités subaquatiques ainsi qu’à marqueur prédisant l’apparition d’une maladie de décompression
la conduite automobile. À 6 mois de l’accident, le patient avait pu neurologique chez les plongeurs [18]. Plusieurs cas de syndromes
reprendre son activité professionnelle de pompier volontaire et de fuite capillaire secondaires à des accidents de décompression
d’élève infirmier, il restait asymptomatique, les examens paracli- ont été décrits dans la littérature [6,7]. Sur le plan histologique, la
niques ORL, neurologiques et cardiologiques étaient normaux. formation de multiples bulles systémiques entraînerait des lésions
endothéliales et provoquerait une fuite protéique du compartiment
vasculaire vers le secteur interstitiel, avec baisse de la pression
3. Discussion oncotique et donc fuite de liquide vers le compartiment extravas-
culaire [19].
Ce cas clinique apporte une notion inédite de la cinétique La forme idiopathique de ce syndrome de fuite capillaire est
d’apparition des troubles, lors d’un syndrome de fuite capillaire appelée syndrome de Clarkson et se décompose classiquement en
compliquant un accident de décompression, qu’il s’agisse des trois phases :
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• une phase prodromique (24 à 48 heures) caractérisée par une poumons, reins, cerveau, moelle, hémostase, système digestif). La
prise de poids associée à des signes ORL ou digestifs, en rapport fuite capillaire au niveau pulmonaire est responsable de l’œdème
avec la survenue d’un œdème muqueux ; pulmonaire dit « lésionnel » alors que l’œdème rénal participe
• une phase d’état (1 à 4 jours) associant œdèmes généralisés ou à l’apparition d’une insuffisance rénale aiguë. Un cas clinique
segmentaires en respectant le poumon, oligurie puis hypoten- d’accident de décompression avec syndrome de fuite capillaire
sion artérielle pouvant aller jusqu’au choc hypovolémique avec compliquée d’une insuffisance rénale aiguë avec rhabdomyolyse
conscience le plus souvent préservée ; a été décrit récemment chez un plongeur japonais, ayant nécessité
• une phase de récupération après 5 à 7 jours avec normalisation de de séances de dialyse intermittentes [7].
la pression artérielle, polyurie, disparition des œdèmes et perte Dans le choc septique on observe une atteinte cardiaque dont
de poids [20]. les mécanismes sont complexes (cytokines, NO, dysfonction mito-
chondriale, etc.), appelée usuellement cardiomyopathie septique.
Dans cette observation, le patient présentait, deux heures après Dans le cas rapporté ici, il a été également observé une atteinte
la sortie de l’eau, une hémoconcentration majeure avec un taux cardiaque avec œdème myocardique et élévation des marqueurs
d’hématocrite à 64,7 %, une hémoglobine à 22,3 g/dL et une albu- sériques (troponine).
minémie normale à 40,7 g/L. L’hypoalbuminémie a été mise en Les lésions de l’endothélium avec la libération de cytokines
évidence à la 6e heure et les œdèmes sont apparus 19 heures après. aboutissent à une activation du facteur tissulaire activant la cas-
Il a ensuite présenté un tableau d’hypovolémie avec tachycar- cade de la coagulation pouvant aboutir à un tableau de coagulation
die sinusale ayant nécessité un remplissage vasculaire important intravasculaire disséminée (CIVD). Or la maladie de décompression
et une admission en unité de surveillance continue. Les signes peut également entraîner des troubles de coagulation. D’ailleurs, il
cliniques se sont amandés après 48 heures de traitement symp- a été montré qu’un taux de d-dimères élevé à la prise en charge
tomatique avec hyperdiurèse et disparition des œdèmes. Sur le initiale, était un facteur de mauvais pronostic dans les accidents de
plan biologique, il existait une baisse des immunoglobulines G décompression [15].
sans baisse des immunoglobulines M, en faveur du diagnostic Dans le cas rapporté ici, la présentation clinique initiale était
de syndrome de fuite capillaire. Il n’y avait pas de pic mono- cochléo-vestibulaire sans atteinte hémodynamique. Cependant, le
clonal à l’électrophorèse des protéines sériques (souvent présent patient présentait une hémoconcentration majeure dès la prise en
dans le syndrome de Clarkson). On observait une baisse du taux charge initiale, ce qui constitue un marqueur de gravité. La dégra-
de prothrombine par probable fuite des facteurs de coagulation. dation clinicobiologique a ensuite eu lieu dans les 24 premières
L’orosomucoïde était normale, alors qu’il est souvent diminué au heures. Cette cinétique montre l’importance d’une surveillance cli-
cours du tableau de syndrome de fuite capillaire idiopathique. Le nique et biologique rapprochée des patients victimes d’un accident
complément C3 était abaissé sans baisse du C4. de décompression présentant une hémoconcentration initiale, si
Sur le plan étiologique, il n’a pas été mis en évidence d’argument possible en unité de surveillance continue. On peut supposer que
en faveur d’une autre cause de syndrome de fuite capillaire secon- le remplissage vasculaire précoce, de plus de 3 litres durant les
daire : absence d’hémopathie, de pathologies dermatologiques ou 12 premières heures a permis d’éviter l’évolution naturelle vers un
systémiques (lymphome cutané, maladie d’Ofuji, maladie de Gau- choc hyperkinétique. Ainsi comme chez les patients présentant un
cher, maladie de Kawasaki), absence de pathologies infectieuses choc septique, la rapidité du diagnostic et de la prise en charge sont
(sérologies Chlamydia pneumoniae, brucellose, hantavirus, néga- déterminantes dans le cas des maladies de décompression sévères.
tives), pas de prise de médicament inducteur (interleukine 2, Une réanimation invasive avec un remplissage vasculaire précoce
facteur de croissance G-CSF et GM-CSF, chimiothérapies, traite- et abondant associé à une supplémentation en albumine rapide,
ment du psoriasis) ni de contexte d’intoxication (monoxyde de permettrait de maintenir une bonne hémodynamique en préve-
carbone, venin de serpent). nant l’apparition de complications multiviscérales pouvant aller
La présentation clinique se rapprochait d’un choc hyperkiné- jusqu’au décès.
tique, comparable au modèle physiopathologique du choc septique.
En effet, comme celui-ci, la maladie de décompression est une 4. Conclusion
succession d’événements survenant après l’introduction anormale
dans l’organisme d’un composant étranger. La présentation de Le syndrome de fuite capillaire est une entité clinicobiologique
l’antigène au système immunitaire entraîne une cascade inflam- rare caractérisée par une prise de poids avec œdèmes, hypotension
matoire avec activation du complément responsable de la sécrétion artérielle et par l’association quasi pathognomonique d’une hémo-
de médiateurs de l’inflammation (qui eux-mêmes activent des concentration et d’une hypoalbuminémie paradoxale. Il s’agit d’une
polynucléaires), d’histamine ou de bradykinines, augmentant la forme particulière de la maladie de décompression secondaire à
perméabilité vasculaire. Cette réaction inflammatoire définit le l’action systémique des bulles de gaz sur la paroi endothéliale
syndrome de réponse inflammatoire systémique (SRIS). Ici, il des vaisseaux. La présence d’une hémoconcentration avec élé-
était noté la présence de marqueurs inflammatoires biologiques vation de l’hématocrite à la prise en charge doit être un signe
avec une hyperleucocytose massive à 45,4 G/L, une élévation d’alerte justifiant une surveillance rapprochée clinicobiologique du
de la procalcitonine à 0,319 ␮g/L malgré une CRP à 23 mg/L. patient. Un remplissage vasculaire précoce avec de l’albumine en
Le patient possédait trois des quatre critères clinicobiologiques cas d’hypoalbuminémie doit être réalisé dès les premières heures
de SRIS : fréquence cardiaque supérieur à 90 battements par de la prise en charge pour éviter la survenu d’un choc hypovolé-
minute, hypocapnie inférieure à 32 mmHg et leucocytose supé- mique.
rieure à 12,9 G/L [21]. L’activation des cellules endothéliales par les
médiateurs circulants (cytokines, bradykinine, histamine) entraîne Déclaration de liens d’intérêts
une augmentation de la perméabilité capillaire, responsable de
l’hypovolémie initiale décrite dans le choc septique [22–24]. Les Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
conséquences macrocirculatoires sont une hypovolémie et un état
hyperkinétique avec une augmentation du débit cardiaque. Références
Les conséquences viscérales de cette augmentation de per-
méabilité capillaire sont une hypoxie tissulaire entraînant des [1] Masland RL. Injury of the central nervous system resulting from de compression
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the literature. The Neurologist 2002;8:186. 2002;166:98–104.
[12] Barak M, Katz Y. Microbubbles: pathophysiology and clinical implications. [23] Hawiger J, Veach RA, Zienkiewicz J. New paradigms in sepsis: from pre-
Chest 2005;128:2918–32. vention to protection of failing microcirculation. J Thromb Haemost 2015;
[13] Goad RF, Neuman TS, Linaweaver PG. Hematologic changes in man during 13:1743–56.
decompression: relations to overt decompression sickness and bubbles scores. [24] Aubry A, Vieillard-Baron A. Sepsis, choc septique de l’adulte. In: Traité de méde-
Aviat Space Environ Med 1976;47:863–7. cine AKOS, Vol. 11. Paris: Elsevier; 2016. p. 1–6.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 43–46

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Communication brève

Brucellose avec abcès hépatiques : un diagnostic à ne pas oublier


Brucellosis with hepatic lesions: A diagnosis to keep in mind
A. Hamon a , A. Lecadet a , X. Amiot b , F. Boudghene c , C. Verdet d , J. Ohnona e ,
S. Georgin-Lavialle a , C. Bachmeyer a,∗
a
Service de médecine interne, hôpital Tenon, AP–HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France
b
Service d’hépato-gastro-entérologie, hôpital Tenon, AP–HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France
c
Service de radiologie, hôpital Tenon, AP–HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France
d
Microbiologie, hôpital Tenon, AP–HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France
e
Médecine nucléaire, hôpital Tenon, AP–HP, 4, rue de la Chine, 75020 Paris, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : Introduction. – La brucellose est rare en France et la diversité des tableaux cliniques peut parfois poser un
Disponible sur Internet le 13 septembre problème diagnostique.
2018 Observation. – Nous rapportons l’observation d’une femme de 76 ans d’origine tunisienne adressée pour
asthénie, amaigrissement, fièvre intermittente et douleurs de l’hypochondre droit, associés à des lésions
Mots clés : hépatiques ayant fait évoquer des lésions malignes au scanner, à l’IRM et au TEP-scan. Cependant, les
Brucellose hémocultures positives à Brucella melitensis permettaient de poser le diagnostic de brucellomes hépa-
Brucella melitensis
tiques.
Abcès hépatiques
Hépatite cytolytique
Conclusion. – Les abcès hépatiques sont rares au cours de la brucellose. Cette infection doit être évoquée
chez les patients de retour de zone d’endémie, même devant des manifestations atypiques.
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a b s t r a c t

Keywords: Introduction. – Brucellosis is a rare infection in France and its wide spectrum of clinical presentation can
Brucellosis be a diagnostic challenge.
Brucella melitensis Case report. – We report here the case of a 76-year-old Tunisian-born woman referred for fatigue, weight
Hepatic abscesses loss, intermittent fever, and pain in the right upper quadrant, along with hepatic lesions on CT-scan, MRI
Cytolytic hepatitis
and PET-FDG suggesting malignant lesions. However blood cultures were positive to Brucella melitensis
leading to a diagnosis of hepatic brucelloma.
Conclusion. – Hepatic abscesses are rare in brucellosis. This infection has to be evoked in patients coming
from endemic areas even with atypical manifestations.
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1. Introduction articulaires, génito-urinaires, neurologiques et digestives [1]. Nous


rapportons l’observation d’une patiente d’origine tunisienne chez
La brucellose, ou fièvre de Malte, est une anthropozoonose hau- laquelle a été diagnostiquée une infection à Brucella melitensis com-
tement contagieuse endémique du bassin méditerranéen due à un pliquée d’abcès hépatiques, ou brucellomes hépatiques, ayant fait
coccobacille Gram négatif du genre Brucella [1]. Les manifestations évoquer initialement des lésions malignes.
peuvent être polymorphes avec l’atteinte possible de différents
organes, permettant de décrire par exemple des formes ostéo- 2. Observation

Une femme, âgée de 76 ans, d’origine tunisienne, sans anté-


∗ Auteur correspondant. cédents médicaux, était hospitalisée pour de probables lésions
Adresse e-mail : claude.bachmeyer@tnn.aphp.fr (C. Bachmeyer). malignes hépatiques. Elle ne buvait pas d’alcool, n’avait jamais

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.06.006
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
44 A. Hamon et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 43–46

fumé, n’était pas toxicomane et prenait de manière irrégulière visée diagnostique. À l’examen clinique, elle était asthénique et
du paracétamol. Elle avait depuis 7 mois une fièvre intermit- la température était à 37,8 ◦ C. Les douleurs abdominales prédo-
tente, un amaigrissement de 8 kg et des douleurs de l’hypochondre minaient dans l’hypochondre droit, majorées à la palpation. Il
droit. Des examens réalisés à la demande de son médecin trai- n’y avait ni hépatomégalie, ni splénomégalie, les bruits hydro-
tant avaient objectivé une cytolyse hépatique, l’échographie et le aériques étaient présents, les aires ganglionnaires libres. Il n’était
scanner abdominaux avaient mis en évidence des lésions hépa- pas entendu de souffle cardiaque. Le reste de l’examen clinique
tiques mal limitées. L’IRM hépatique avait objectivé 5 nodules était sans particularité. Les examens biologiques montraient une
compatibles avec des métastases hépatiques (Fig. 1A,B). La tomo- anémie à 9,6 g/dL avec un volume globulaire moyen à 83 fL et des
graphie par émission de positons au [18F]-FDG montrait que ces réticulocytes à 56 000/mm3 , des leucocytes à 4900/mm3 avec 60 %
lésions étaient hypermétaboliques (SUV max à 12,7) (Fig. 2). La de polynucléaires neutrophiles et 29 % de lymphocytes et des pla-
patiente était adressée pour une ponction biopsie hépatique à quettes à 296 000/mm3 . La CRP était discrètement élevée à 19 mg/L

Fig. 1. Imagerie par résonance magnétique, séquences pondérées en T2 : au moins 5 lésions hyper-intenses homogènes du lobe droit hépatique (A), en diffusion : lésions
hyper-intenses, bien définies, de taille différente (B).

Fig. 2. Scintigraphie au FDG : nombreux foyers hypermétaboliques des deux lobes hépatiques, le plus volumineux siégeant dans le segment VII avec un SUV max à 12,7.
A. Hamon et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 43–46 45

(normale < 5). La fonction rénale et l’analyse du sédiment urinaire (60 % des cas, le plus souvent des spondylodiscites), neurolo-
étaient sans particularité, l’électrophorèse des protéines trouvait giques (16 % des cas), cardiaques (6 % des cas), génito-urinaires
une albuminémie à 30 g/dL. Les ASAT étaient augmentées à 137 U/L (4 % des cas) ou cutanéo-muqueuses [1,4]. La brucellose chronique
(n < 32), les ALAT à 136 U/L (n < 32), les phosphatases alcalines (10 % des cas, en particulier lors des atteintes osseuses et neu-
et la bilirubine étaient normales. Alors que la ponction biopsie rologiques) se définit par une évolution prolongée au-delà d’un
hépatique était prévue, le laboratoire de bactériologie nous préve- an. Elle comprend les rechutes sous traitement, les réactivations
nait que les hémocultures prélevées à l’arrivée étaient positives à d’infections latentes (souvent à la faveur d’une immunodépres-
des coccobacilles Gram négatif, secondairement identifiés comme sion) et la survenue de phénomènes immuno-allergiques comme
B. melitensis biovar 3. La sérologie de Wright (détection des IgG l’érythème noueux ou l’uvéite [1]. Chez l’adulte, les abcès hépa-
et IgM par technique d’agglutination quantitative) était également tiques surviennent lors de la forme chronique de l’infection. Chez
positive au 1/160 (seuil 1/20), ainsi que le Rose Bengale (détection l’enfant, ces lésions sont exceptionnelles : l’atteinte hépatique se
des IgG spécifiques par technique d’agglutination). L’échographie traduit le plus souvent par une cytolyse modérée à la phase aiguë de
cardiaque écartait une endocardite. Le diagnostic retenu était donc l’infection [5].
celui de brucellose avec abcès hépatiques. La patiente rapportait la Une revue récente de la littérature a colligé 119 cas d’abcès
consommation de raïeb, un lait fermenté préparé à la maison à base brucelliens hépato-spléniques incluant 70 % d’abcès hépatiques
de lait de vache, lors d’un voyage en Tunisie, un mois avant le début et 2 % d’abcès hépatiques et spléniques, dus essentiellement à
des symptômes. Un traitement par voie orale associant doxycycline, B. melitensis [6]. Les signes cliniques sont peu spécifiques : fièvre
200 mg par jour, et rifampicine, 900 mg par jour, était prescrit pour ondulante, prolongée d’au moins 1 à 2 mois, fatigue, sueurs, amai-
une durée de 6 semaines, avec la régression des signes généraux, grissement, douleur de l’hypochondre droit, plus rarement ictère,
des douleurs abdominales, la normalisation des tests hépatiques, hépatomégalie ou splénomégalie, liées à la survie intracellulaire et
et la régression des lésions hépatiques à l’IRM. à la réplication de la bactérie dans le système phagocytaire mono-
nucléé de ces organes [7,8]. Les examens biologiques retrouvent un
syndrome inflammatoire avec hyperleucocytose à polynucléaires
3. Discussion neutrophiles, une vitesse de sédimentation érythrocytaire accélé-
rée, une C-réactive protéine élevée, parfois une dysglobulinémie
La brucellose, ou fièvre de Malte, est l’anthropozoonose la plus monoclonale comme souvent au cours d’infection chronique, ainsi
fréquente au monde. Cette infection est transmise par contact qu’une cholestase et moins souvent une cytolyse hépatique [7]. Le
avec des animaux infectés (transmission cutanéo-muqueuse ou diagnostic de brucellose repose sur l’isolement en culture du germe,
aéroportée), ou par la consommation de produits laitiers non pas- les hémocultures étant positives dans 45 % des cas d’atteinte hépa-
teurisés [1]. Le genre Brucella, composé de coccobacilles Gram tique. En cas de culture négative, les tests d’agglutination comme
négatif aérobies intracellulaires facultatifs, comprend 6 espèces la sérologie de Wright (technique sérologique de référence selon
dont 4 seulement sont pathogènes pour l’homme. B. melitensis, l’OMS) ou le Rose Bengale offrent une aide au diagnostic avec une
espèce la plus pathogène, fut isolée pour la première fois en sensibilité supérieure à 65 % et une spécificité satisfaisante dans les
1887 par David Bruce à Malte chez des soldats anglais consommant pays de faible endémie. Les tests ELISA, d’apparition plus récente,
du lait de chèvre et présentant une fièvre jusqu’ici inexpli- affichent quant à eux une sensibilité de 98 % et une spécificité de
quée. Cette découverte conduisit à l’interdiction immédiate de la 63 %, mais leur utilisation reste limitée par leur mauvaise standar-
consommation de lait de chèvre dans l’armée. Le réservoir de la disation [1]. En cas de collection liquidienne, la biopsie percutanée
bactérie est exclusivement animal : chèvres, moutons, camelidés à l’aiguille fine peut constituer une aide diagnostique précieuse et
(B. melitensis), bovins (B. abortus), porcs (B. suis), chiens (B. canis) permet d’écarter d’autres infections comme l’hydatidose ou l’abcès
[2]. L’infection est endémique dans les pays du bassin méditerra- amibien [7]. L’examen anatomopathologique peut montrer des gra-
néen en particulier au Maghreb, en Turquie, mais également au nulomes avec nécrose, caséeuse ou non, dus à la persistance de
Moyen-Orient, en Amérique du sud et en Asie centrale, en par- Brucella dans les macrophages. Ces lésions peuvent faire évoquer
ticulier en Chine, du fait de développement rapide de l’élevage d’autres infections en particulier à Mycobacterium tuberculosis, Yer-
intensif. La prévalence en zone endémique peut atteindre 10 cas sinia enterocolotica, Francisella tularensis [8]. La mise en culture des
pour 100 000. L’incidence mondiale est estimée à 500 000 cas par an tissus ou la recherche du germe par PCR peut permettre d’affirmer
[3]. En France, les réglementations sur l’élevage ainsi que la pasteu- le diagnostic.
risation du lait ont permis une diminution drastique de l’incidence À l’imagerie, les abcès hépatiques peuvent mesurer entre 1 et
de la maladie depuis les années 1960 : moins d’une trentaine de 14 cm, siègent électivement dans le lobe droit (71 %), le lobe gauche
cas sont rapportés chaque année depuis 2004, tous sont impor- (19 %) ou les 2 lobes (10 %). Les lésions sont souvent uniques
tés de pays d’endémie (Algérie, Turquie, Portugal, Maroc, Tunisie), (70 %), d’aspect hétérogène avec une calcification centrale visible
excepté d’exceptionnels cas de maladies professionnelles (person- (77 %), dans 82 % en cas de lésion unique et 43 % en cas d’abcès
nels d’abattoirs et de laboratoires) [3]. multiples [6]. Ces lésions hépatiques peuvent être associées à une
L’incubation dure de quelques jours à quelques semaines, par- atteinte splénique [7,8]. L’aspect à l’échographie est celui de lésions
fois plusieurs mois. Les manifestations cliniques sont variées et mal limitées, hypo-échogènes, hypodenses, hétérogènes, présen-
dépendent du stade de la maladie, rendant le diagnostic parfois tant volontiers une calcification centrale et un cône d’ombre [6,7].
difficile. En effet, l’infection brucellienne se déroule typiquement Le scanner met en évidence des lésions mal limitées hypodenses
en 3 phases bien que chacune d’elle puisse rester pauci sympto- et pseudo-tumorales, avec une ou plusieurs calcifications intralé-
matique voire silencieuse. À la phase aiguë, la fièvre est présente, sionnelles [6,7]. Enfin, l’IRM objective des lésions hypo-intenses
parfois intermittente, accompagnée de sueurs, de frissons, de cour- hétérogènes sur les séquences pondérées en T1, et hyper-intenses
batures et d’arthromyalgies. L’anorexie est fréquente. Le tableau en avec une zone hypo-intense périphérique sur les séquences pon-
décrit classiquement sous l’appellation de « fièvre ondulante dérées en T2, montrant des cavités liquidiennes, et une prise de
sudoro-algique » semble peu fréquent. La brucellose subaiguë se contraste péri lésionnelle après injection de gadolinium [6,7]. Nous
traduit par une atténuation des symptômes cliniques et la sur- n’avons pas trouvé dans la littérature de TEP-scan dans des brucel-
venue de foyer secondaire. L’atteinte viscérale au cours de cette lomes hépatiques.
phase fait la gravité de la maladie. Tous les organes peuvent Chez notre patiente, l’échographie abdominale, le scanner
être le siège de l’infection, avec des atteintes ostéo-articulaires abdominal, l’IRM hépatique montraient des images multiples,
46 A. Hamon et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 43–46

sans calcification visible, mal définies, compatibles avec des cliniquement et évoquer le diagnostic chez des patients en pro-
lésions malignes, mais également avec des abcès. De plus, la venance de zones d’endémie.
scintigraphie au FDG peut mettre en évidence des foyers hyper-
métaboliques au cours des atteintes cancéreuses et infectieuses Déclaration de liens d’intérêts
en particulier, mais sans pouvoir les distinguer. Une mala-
die infectieuse avait été également évoquée d’emblée à son Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
admission et les hémocultures systématiques pratiquées chez
cette femme originaire d’Afrique du nord avaient confirmé le Références
diagnostic.
Le traitement des abcès hépatiques au cours d’une brucellose [1] Franco MP, Mulder M, Gilman RH, Smits HL. Human brucellosis. Lancet Infect
Dis 2007;7:775–86.
n’est que peu codifié [6,7]. Il repose sur une bi-antibiothérapie [2] Georgios P, Nikolaos A, Mile B, Epameinondas T. Brucellosis. N Engl J Med
systémique associant la doxycycline et la rifampicine pendant 2005;352:2325–36.
6 semaines chez l’adulte, mais un drainage percutané ou chirur- [3] Anonyme. Données épidémiologiques. Rapport de l’Institut national de veille
sanitaire 2015 https://www.invs.sante.fr/Dossiers-thematiques/Maladies-
gical est souvent nécessaire en cas de lésion de grande taille ou
infectieuses/Zoonoses/Brucellose.
d’échec du traitement médical (70 % des cas environ) [6,8]. La pré- [4] Mailles A, Garin-Bastuji B, Lavigne JP, Jay M, Sotto A, Maurin M, et al. Human
vention de la brucellose chez l’homme repose sur l’éradication de brucellosis in France in the 21st century: results from national surveillance
l’infection chez l’animal, l’interdiction de la consommation de lait 2004–2013. Med Mal Infect 2016;46:411–8.
[5] Kilicaslan B, Cengiz N, Pourbagher MA, Cemil T. Hepatic abscess: a rare manifes-
et produits laitiers non pasteurisés, une hygiène scrupuleuse chez tation of brucellosis in children. Eur J Pediatr 2008;167:699–700.
les individus en contact étroit avec les animaux comme les chèvres, [6] Heller T, Bélard S, Wallrauch C, Carretto E, Lissandrin R, Filice C, et al. Patterns of
les moutons et les vaches ainsi que sur une déclaration précoce des hepatosplenic brucella abscesses on cross-sectional imaging: a review of clinical
and imaging features. Am J Trop Med Hyg 2015;93:761–6.
cas aux autorités sanitaires [1]. [7] Barutta L, Ferrigo D, Melchio R, Boretta V, Bracco C, Brignone C, et al. Hepatic
Le nombre de cas de brucellose a considérablement diminué brucelloma. Lancet Infect Dis 2013:987–93.
dans de nombreux pays occidentaux. Cependant, les cliniciens [8] Koca Y, Barut I, Koca T, Kaya O, Aktas R. Acute abdomen caused by brucellar
hepatic abscess. Am J Trop Med Hyg 2016;94:73–5.
doivent garder en mémoire cette infection très polymorphe
La Revue de médecine interne 40 (2019) 47–51

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Idées et débats

Analyse docimologique des premières Épreuves classantes nationales


informatisées (ECNi) de 2016 : propositions d’amélioration
Educational assessment of the first computerized national ranking exam in France
in 2016: Opportunities for improvement
E. Rivière a,∗,b,c,d , A. Quinton b,d , D. Neau c,d,e , J. Constans c,d,f , J.R. Vignes c,d,g , P. Dehail b,c,d,h

a
Service de médecine interne et maladies infectieuses, hôpital Haut-Léveque, CHU de Bordeaux, 33604 Bordeaux, France
b
CRAME, centre de recherche appliquée aux méthodes éducatives, collège santé université de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
c
Conférences de préparation aux ECN, université de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
d
UFR des sciences médicales, université de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
e
Fédération des maladies infectieuses, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
f
Service de médecine vasculaire, hôpital Saint-André, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
g
Service de neurochirurgie, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France
h
Service de rééducation fonctionnelle, hôpital Pellegrin, CHU de Bordeaux, 33000 Bordeaux, France

i n f o a r t i c l e r é s u m é

Historique de l’article : En juin 2016, les 8124 étudiants en sixième année de médecine de France ont passé les premières épreuves
Disponible sur Internet le 6 août 2018 classantes nationales informatisées (ECNi). Cet examen conditionne la pratique clinique des futurs méde-
cins car ils choisissent leur discipline d’exercice et leur université de formation selon leur classement.
Mots clés : Nous avons réalisé la première analyse docimologique de ces ECNi selon deux critères : la pertinence des
Épreuves classantes nationales questions posées (pertinentes/discutables/non pertinentes) et le niveau cognitif principalement sollicité
informatisées pour y répondre (mémoire seule/réflexion simple/raisonnement complexe). Nous évoquons des pistes
Docimologie
d’amélioration qui pourraient être mises en place pour les épreuves futures : diminuer à 10 le nombre
Pédagogie médicale
total de questions d’un dossier clinique progressif en augmentant leur nombre total de 18 à 27, et propo-
ser une majorité de mini vignettes cliniques sollicitant un raisonnement approfondi de l’étudiant pour
les 120 questions isolées.
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a b s t r a c t

Keywords: In June 2016, 8124 medical students in their sixth year of graduation passed the first computerized
Medical education national ranking exam (CNRE) in France after which they will have to choose what medical specialty they
Medical education will be practicing all their life. We conducted the first educational assessment of this CNRE according to
Educational assessment two criteria: the relevance of the questions and the cognitive domain mainly required to answer these
Educational measurement
questions. We propose two improvements for the future CNRE: promote student reasoning in the multiple
choices questions, reduce to 10 the number of multiple choice questions in the progressive clinical cases
and increase by 9 their total number (from 18 to 27), and use a majority of mini-clinical cases for isolated
multiple choice questions in order to focus students on reasoning instead of simple knowledge restitution.
© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Published by Elsevier Masson SAS.
All rights reserved.

∗ Auteur correspondant.
Adresse e-mail : e.riviere@neuf.fr (E. Rivière).

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.07.006
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
48 E. Rivière et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 47–51

1. Introduction attendue dans la question n + 1. Ceci permet de lier les questions du


dossier. Nous avons considéré ici comme « progressif » un dossier
C’est en fonction de leur classement aux épreuves classantes dans lequel au moins deux questions sur 15 donnaient la réponse
nationales (ECN), introduites en 2004, à la fin de la sixième année, à la question précédente, soit un dossier avec un lien direct entre
que les étudiants en médecine choisissent leur discipline d’exercice deux questions ou plus.
et leur université de formation pour le troisième cycle [1]. Les Pour procéder à l’analyse docimologique, un comité local
épreuves des ECN en 2004 consistaient en 9 dossiers rédactionnels d’experts a été constitué, rassemblant deux internes de neuvième
corrigés manuellement selon une grille. Une épreuve de lecture semestre et six chefs de clinique-assistants (CCA) tous confé-
critique d’article (LCA) a été ajoutée en 2009 avec un article en renciers depuis plusieurs années, 18 universitaires expérimentés
français dont il fallait rédiger le résumé et répondre à des ques- (PU-PH), dont 4 membres de groupes experts du Conseil national du
tions d’analyse statistique, méthodologique et épidémiologique. En concours de l’internat (CNCI), tous certifiés SIDES et impliqués dans
2016, une avancée technologique notable a permis d’entièrement les conférences de préparation aux ECN depuis plusieurs années.
informatiser les ECN pour la première fois en France. Les épreuves Tous étaient spécialistes de la thématique du dossier, et ont donné
étaient constituées de questions à réponses multiples (QRM), et leur avis sur des questions de leur spécialité dans d’autres dossiers.
les étudiants ont passé l’examen sur tablettes dans leur université Trois experts au minimum se sont prononcés pour chaque question
de formation entre le 19 et le 23 juin 2016. Les QRM ont été uti- de chaque dossier progressif et pour chaque question isolée dans
lisées dans plusieurs épreuves : 18 dossiers cliniques progressifs leur domaine de compétence. Quatre experts ont analysé les deux
(DCP), chacun comportant 14 ou 15 QRM, 120 QRM isolées (QI) sans épreuves de LCA. L’analyse statistique a été réalisée sur Excel© et
lien entre elles, et la LCA composée de deux articles donnant lieu à sur Graphpad Prism© version 6 (test du Chi2 ).
30 questions. Les DCP ont été conçus de manière à ce que l’étudiant
réponde progressivement aux questions sans pouvoir revenir sur 3. Résultats
les réponses précédentes. Ce format permet de donner la réponse
à la question précédente à la lecture de la question suivante. En août 2016, après les ECNi 2016, ce sont 15 DCP de 15 ques-
Nous avons effectué la première analyse docimologique du tions, 3 DCP de 14 questions, soit 267 questions, 120 questions
contenu des premières ECN informatisées (ECNi) qui ont eu lieu isolées qui ont été analysés, soit au total 387 questions. Par ailleurs,
en juin 2016. L’objectif était, en fonction des résultats obtenus, l’épreuve de LCA comportait 30 questions supplémentaires.
de proposer d’éventuelles pistes d’amélioration de la qualité doci-
mologique des questions qui seront posées lors des prochaines
épreuves. 3.1. L’analyse des 387 questions des DCP et des QI

Trois cent six (79 %) questions étaient jugées pertinentes et 81


2. Méthode (21 %) ne l’étaient pas (Fig. 1). Parmi ces questions, 66 (17 %) étaient
jugées discutables et 16 (4 %) étaient jugées non pertinentes.
Les dossiers des ECNi 2016 ont été récupérés sur le forum de La moitié des questions sollicitaient le niveau cognitif de la
l’association des étudiants en médecine de France (ANEMF). Nous « mémoire seule », et seulement 9 % requéraient un raisonnement
avons conçu une analyse critique des questions selon deux critères : complexe.
Nous avons d’abord analysé le niveau cognitif exploré pour les
• la pertinence de chaque question. Les questions étaient classées questions pertinentes uniquement. Le pourcentage retrouvé est
comme pertinentes, discutables ou non pertinentes suivant : superposable à l’analyse globale, avec 48 % des questions ne sol-
◦ leur formulation : correcte ou ambiguë, licitant que la mémoire seule des apprenants, 46 % requérant un
◦ leur adéquation avec les objectifs du deuxième cycle des études raisonnement simple et 6 % un raisonnement complexe.
médicales [2], Quand on s’intéressait au niveau cognitif exploré dans les ques-
◦ leur adéquation avec le contenu des référentiels de chaque dis- tions jugées « discutables ou non pertinentes » des QI et des DCP, on
cipline. constatait que deux tiers des questions étaient de type « mémoire
Une question était jugée pertinente si les 3 critères étaient seule », et que 56 % des questions étaient jugées difficiles.
favorables, discutable si un des critères n’était pas rempli, non
pertinente si 2 ou 3 critères faisaient défaut ; 3.2. Analyse docimologique comparative des QI et des DCP
• le niveau cognitif principalement sollicité pour pouvoir répondre
à la question : Même s’il n’y avait pas de différence significative pour le nombre
◦ mémoire seule : connaissance simple (on sait/on ne sait pas), de questions pertinentes entre les deux épreuves, on relevait une
soit le niveau 1 « connaissance » du domaine cognitif de la nette différence dans les niveaux cognitifs sollicités avec plus
taxonomie de Bloom, de questions de raisonnement (réflexion simple ou raisonnement
◦ réflexion simple : écarter les leurres simples, soit les niveaux 2 complexe) dans les DCP (146 sur 267 versus 46 sur 120, p = 0,003),
« compréhension » et 3 « application » du domaine cognitif de mais aussi plus de questions jugées difficiles (85 sur 267 versus
la taxonomie de Bloom, 22 sur 120, p = 0,006) (Tableau 1).
◦ ou raisonnement complexe, élaboré, soit les niveaux 4 « ana- Dans notre expérience, nous avons constaté une augmentation
lyse », 5 « synthèse » et 6 « évaluation » du domaine cognitif de croissante de la difficulté des questions au sein d’un même DPC.
la taxonomie de Bloom. Ceci nous a amené à comparer dans les DPC des ECNi les questions
1 à 10 aux questions 11 à 15 (Tableau 2). Ainsi, 84 % des questions
Nous avons également évalué le critère de « progressivité » 1 à 10 étaient jugées pertinentes (152 sur 180) alors que seules
des dossiers cliniques progressifs. Pour rédiger un dossier progres- 74 % (64 sur 87) des questions 11 à 15 l’étaient, la différence étant
sif, deux « règles du jeu » sont proposées : la première est que significative (p = 0,03). En revanche, il n’y avait pas de différence
lorsqu’une réponse à une question a été formulée et validée, il n’est notable entre les 10 premières questions et les 5 dernières pour
plus possible pour l’étudiant de la modifier. De cette première règle le niveau cognitif sollicité, ou la difficulté, même si une tendance
découle la seconde : lorsque la question n + 1 est dépendante de à une augmentation de la difficulté des 5 dernières questions se
la réponse à la question n, il est souhaitable de donner la réponse dessinait (p = 0,08).
E. Rivière et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 47–51 49

Fig. 1. Analyse poolée (QI + DCP) des questions à réponses multiples (QRM) des ECNi 2016.

Tableau 1
Comparaison des questions isolées et des dossiers cliniques progressifs au regard de la pertinence, du niveau d’étude et cognitif requis, et de la difficulté pour y répondre.

Critères Questions isolées (n = 120), n (%) Dossiers progressifs (n = 267), n (%) p

Pertinentes 89 (74) 216 (81) 0,13


Discutables/non pertinentes 31 (26) 51 (19)
Mémoire seule 74 (62) 121 (45) 0,003
Réflexion simple/raisonnement complexe 46 (38) 146 (55)

Tableau 2
Comparaison des 10 premières questions de chaque dossier clinique progressif (DCP) avec les 5 dernières en termes de pertinence, de niveau d’étude ou cognitif, et de
difficulté.

Critère Questions 1 à 10 Questions 11 à 15 p

Pertinentes 152 (57 %) 64 (24 %) 0,03


Discutables/non pertinentes 28 (11 %) 23 (8 %)
Mémoire seule 83 (31 %) 38 (14 %) 0,71
Réflexion simple/raisonnement complexe 97 (36 %) 49 (18 %)

Tableau 3 14 questions (47 %). Une analyse inspirée de l’approche par pro-
Nombre de questions dites « fondamentales » dans les ECNi 2016.
blème permettait d’identifier quelles questions relevaient plutôt
Thématique fondamentale Occurrence dans les questions de la compréhension du texte de l’article lui-même, de celles impli-
quant une réflexion sur ce qui avait été lu par l’étudiant. Ainsi, on
Total DCP QI
retrouve le même pourcentage global, avec 16 questions plutôt de
Physiologie/physiopathologie 7 3 4
type « compréhension du texte » et 14 questions plutôt de type
Anatomie 5 3 2
Épidémiologie/statistiques 2 2 0
« réflexion sur le texte ».
Pharmacologie 2 2 0
Microbiologie 1 1 0 4. Discussion
Histologie/anatomopathologie 0 0 0
Chimie/biochimie 0 0 0
Physique/biophysique 0 0 0 Cette première épreuve informatisée des ECN a été une réus-
site incontestable au plan technique et organisationnel et une
DCP : dossiers cliniques progressifs ; QI : questions isolées.
première en France. En l’espace de trois années, les nombreux
enseignants impliqués au plan national se sont conformés aux
Notre expérience locale nous a aussi montré qu’il était plutôt nouvelles exigences docimologiques requises pour les ECNi et ont
difficile de concevoir un dossier « progressif ». Sur 18 DCP des ECNi, rédigé de nombreux DCP et QI pour implanter la banque nationale
8 étaient considérés comme « progressifs ». On notait que les ques- sous l’égide des comités d’experts. Comme lors de toute intro-
tions de 5 dossiers sur 18 ne donnaient aucune réponse à la question duction d’une nouvelle docimologie pour un examen de cette
précédente, ce qui laissait l’étudiant qui avait fait une erreur à cette importance, nous avons souhaité analyser les qualités docimolo-
question dans une impasse. Enfin, dans 5 dossiers, on ne trouvait giques des épreuves, et examiner leur adéquation avec les objectifs
qu’une réponse à une question précédente. annoncés de cet examen qui clôture le deuxième cycle des études
médicales [2]. L’idée était de proposer des pistes d’amélioration si
3.3. Questions portant sur des disciplines fondamentales dans les cela s’avérait nécessaire en vue des futures ECNi.
DCP et les QI Nous avons constaté que 79 % des questions des DCP et des QI
étaient jugées pertinentes ; néanmoins 21 % étaient discutables ou
Sur l’ensemble des questions (DP et QI), l’analyse a montré que non pertinentes, et seize questions n’étaient pas jugées pertinentes.
seules 17 questions sur 387 (4 %) portaient sur des connaissances La moitié des questions faisaient appel uniquement aux capaci-
dites « fondamentales » (Tableau 3). tés de mémorisation des étudiants. De manière attendue selon les
consignes SIDES [3], les questions des DCP nécessitaient plus de
3.4. Analyse des questions de LCA réflexion que les QI pour y répondre. Elles étaient également jugées
plus difficiles. Par ailleurs, seulement 4 % des questions portaient
En ce qui concerne la pertinence des questions posées sur les sur les matières « fondamentales », majoritairement de physiopa-
deux articles de LCA, 27 questions sur 30 étaient pertinentes (90 %). thologie ou d’anatomie, ce qui est nettement moins que ce qui
Le niveau cognitif exploré était du type « réflexion simple » pour était officieusement souhaité ou craint. Enfin, la moitié des ques-
16 questions (53 %), et de type « raisonnement complexe » pour tions de LCA analysait la compréhension du texte lui-même par
50 E. Rivière et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 47–51

l‘étudiant, et l’autre moitié sa réflexion sur ce qu’il lisait. Aucune Ces deux pistes d’amélioration sont concordantes avec le tour-
question ne relevait du niveau cognitif de type « mémoire seule ». nant pédagogique pris depuis plus de vingt ans par les pays
Seuls 8 DCP sur 18 étaient réellement « progressifs », c’est-à-dire anglophones comme le Canada par exemple, où les internes
qu’au moins deux questions sur 15 donnaient la réponse à la ques- en médecine générale (résidents de médecine familiale) suivent
tion précédente pour éviter de laisser l’étudiant dans l’impasse. actuellement un cursus commun précoce (dès l’externat, dans une
C’est peu au regard de l’importante refonte du format des dos- approche par compétences) appelé SHARC-FM [9]. Les modalités
siers cliniques qui a d’ailleurs, en partie, justifié le passage aux d’évaluation sont notamment fondées sur l’exploration du raison-
ECNi. Notons enfin que très (trop) peu de questions concernaient nement clinique, comme les approches utilisant des cas cliniques
les matières fondamentales pour lesquelles l’utilisation de l’outil de type « key features » qui focalise l’analyse du raisonnement de
numérique — que sont les tablettes tactiles — aurait été tout à fait l’étudiant sur le nœud du raisonnement médical dans une situation
appropriée. donnée [10].
Deux limites de cette étude sont un nombre restreint de relec-
teurs par dossier et des relecteurs de niveau universitaire différents. 5. Conclusion
Même si l’analyse de notre groupe d’experts, empreinte de subjec-
tivité, ne donne pas un caractère absolu à ces chiffres, leur ordre Les ECNi 2016 ont été indéniablement une réussite technolo-
de grandeur mérite néanmoins d’être retenu. Au-delà de l’étendue gique en un temps restreint. Notre analyse des épreuves des iECN
des connaissances des étudiants, il nous semble important que 2016 a montré que 4 questions sur 5 pouvaient être jugées comme
les DCP et les QI de ces nouvelles épreuves testent également pertinentes, mais que moins d’une question sur dix nécessitait
leurs capacités d’analyse et de raisonnement face à des situations un raisonnement élaboré de la part des étudiants pour pouvoir y
cliniques auxquelles ils seront rapidement confrontés en qualité répondre. Nous avons noté une différence significative en termes
d’interne. de pertinence entre les questions 1 à 10 des DCP versus les ques-
Ainsi, au terme de cette analyse des premières ECNi, deux pistes tions 11 à 15. Face à ce constat, nous proposons de réduire à 10 le
principales nous semblent pouvoir être facilement envisagées afin nombre de questions par DCP en ajoutant 9 nouveaux dossiers
d’améliorer la qualité des épreuves de DCP et QI en termes de per- pour évaluer le plus largement et de la manière la plus adéquate
tinence et de meilleure exploration du raisonnement de l’étudiant. possible le niveau des étudiants. Par ailleurs, il nous semble impor-
Propositions d’amélioration : premièrement, il nous semblerait tant de recentrer les questions d’un examen d’une telle importance
plus adapté de réduire au nombre de 10 les questions des DCP, vers du raisonnement plutôt que vers la simple restitution de
ce qui pourrait être compensé par l’ajout de 9 nouveaux dossiers connaissances. Ajouter 9 DCP supplémentaires, en diminuant à
pour conserver le même total de questions et maintenir une éva- 10 le nombre de questions par dossier, et privilégier les questions de
luation des connaissances des étudiants la plus transversale et la raisonnement, pourrait permettre d’améliorer la justesse du clas-
plus globale possible. Nous avons montré que les 5 dernières ques- sement obtenu à l’issue de ces épreuves. Ainsi, les QI pourraient
tions des dossiers cliniques progressifs étaient en général moins être préférentiellement conçues sous la forme de mini vignettes cli-
pertinentes et plus spécialisées que les 10 premières. La rédaction niques. De telles modifications sont immédiatement possibles, car
systématique de 15 questions par DCP peut conduire à la produc- elles ne demandent qu’une minime adaptation de la part des ensei-
tion de questions plus litigieuses ou à la recherche de questions gnants, ainsi qu’une simple modification du format de l’examen.
transversales artificielles. De plus, un dossier plus court pourrait
permettre d’éviter le caractère progressif forcé observé dans cer- Déclaration de liens d’intérêts
tains cas. En effet, la progressivité qui est maintenant souhaitée,
nécessite que le rédacteur s’adapte au terrain et à l’histoire qu’il Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
développe au fil des questions, pour rester le plus authentique et
réaliste possible. La conception des dossiers et la cohérence du lien
Remerciements
entre les questions, y compris au plan temporel, pourraient être
facilitées par la réduction du nombre de questions. Mais pour que
Ce travail est dédicacé à la mémoire du Professeur André Quin-
le caractère progressif soit véritablement respecté, il sera égale-
ton, médecin humaniste et pédagogue dévoué à l’amélioration de
ment important de donner plus systématiquement la réponse à la
la qualité de l’enseignement de la médecine et des soins apportés
question précédente dans l’énoncé de la suivante. Enfin, il nous
aux malades.
semble important d’ajouter plus de questions fondamentales dans
Par ailleurs, merci au panel d’experts de l’université de Bordeaux
les dossiers et d’enrichir l’iconographie (en donnant des séries
de s’être livré à cette analyse critique docimologique des ECNi 2016,
de coupes de scanner par exemple), notamment en renforçant
et au Dr Jean-Arthur Micoulaud-Franchi pour sa relecture construc-
le travail collaboratif pluridisciplinaire pour la rédaction des
tive du manuscrit.
dossiers.
Deuxièmement, il semblerait pertinent d’orienter les questions
isolées vers davantage de mini vignettes cliniques demandant Références
un effort de raisonnement de la part de l’étudiant. En effet, au-
[1] Rivière É, Quinton A, Roux X, Boyer A, Delas H, Bernard C, et al. Analyse du choix
delà du simple contrôle des connaissances, il paraît également des 7658 étudiants en médecine après les épreuves classantes nationales 2012.
important d’axer l’évaluation des étudiants en médecine sur des Presse Med 2013;42:e417–24.
méthodes permettant de mieux appréhender le développement [2] Bulletin officiel no 20 du 16 mai 2013. Études médicales. ESRS1308333A — ESR :
enseignementsup-recherche.gouv.fr n.d. http://www.enseignementsup-
de certaines composantes de la compétence de l’expertise médi- recherche.gouv.fr/pid20536/bulletin-officiel.html [accessed July 5, 2016].
cale [4–7] comme les stratégies de raisonnement clinique. D’autres [3] Certification SIDES — disponible sur http://www.side-sante.org
types de QCM qui demandent un raisonnement parfois très appro- (http://www.side-sante.org/?q=node/49) n.d. http://www.side-sante.
fr/certification/learn/ [accessed August 19, 2016].
fondi de la part de l’étudiant existent et pourraient être proposés : [4] Levine MF, Shorten G. Competency-based medical education: its time has arri-
ce sont par exemple les QCM sans leurre, les QCM évaluatives, les ved. Can J Anaesth J Can Anesth 2016;63:802–6.
QCM dont les propositions de choix sont de différents types, images, [5] Hawkins RE, Welcher CM, Holmboe ES, Kirk LM, Norcini JJ, Simons KB, et al.
Implementation of competency-based medical education: are we addressing
cycles, protocoles, etc. [8] Ces types de QCM mériteraient d’être étu- the concerns and challenges? Med Educ 2015;49:1086–102.
diés et pourraient être progressivement intégrés dans l’épreuve de [6] Dath D, Iobst W. The importance of faculty development in the transition to
QI des ECNi futures. competency-based medical education. Med Teach 2010;32:683–6.
E. Rivière et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 47–51 51

[7] Frank JR, Snell LS, Cate OT, Holmboe ES, Carraccio C, Swing SR, et al. [9] Keegan DA, Scott I, Sylvester M, Tan A, Horrey K, Weston WW. Shared Canadian
Competency-based medical education: theory to practice. Med Teach Curriculum in Family Medicine (SHARC-FM): creating a national consensus
2010;32:638–45. on relevant and practical training for medical students. Can Fam Physician
[8] Quinton A. QCM pour l’étude du raisonnement clinique. C.R.A.M.E. 2017;63:e223–31.
Université de Bordeaux; 2016 http://www.sante.u-bordeaux. [10] Page G, Bordage G, Allen T. Developing key-feature problems and examinations
fr/College-Sante/CRAME/Cours-du-DU-de-Pedagogie. to assess clinical decision-making skills. Acad Med 1995;70:194–201.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 52–55

Disponible en ligne sur

ScienceDirect
www.sciencedirect.com

Cas clinique des Printemps de la médecine interne

La couturière était pressée


Fever associated with lips and eyelid edema in a 16 year-old woman
M. Ponsoye a,∗ , S. Trad a , A. Tron a , A. Vanjak a , T. Hanslik a , G. Pugnet b
a
Service de médecine interne, faculté de médecine, hôpital Ambroise-Paré, université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines, 9, avenue Charles-de-Gaulle,
92100 Boulogne-Billancourt, France
b
Service de médecine interne, hôpital Purpan, place du Docteur-Baylac, TSA 40031, 31059 Toulouse cedex 9, France

i n f o a r t i c l e

Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 24 juillet 2018

Mots clés :
Maladie de Kikuchi-Fujimoto
Dacryoadénite
Œdèmes des lèvres

Keywords:
Kikuchi-Fujimoto disease
Dacryoadenitis
Edema of the lips

1. L’observation Divers traitements antihistaminiques oraux et topiques pour une


suspicion de conjonctivite allergique restaient sans efficacité. Un
Une femme, âgée de 16 ans, était adressée en médecine interne traitement par amoxicilline était prescrit du 26 au 30 juin. Le
en juillet 2017 pour une fièvre associée à un gonflement des lèvres 30 juin, apparaissait un premier pic fébrile à 40 ◦ C. Un méde-
et des paupières. Cette patiente, née en France, ne présentait pas cin prescrivait de la prednisolone, 60 mg, pris une seule fois le
d’antécédents particuliers. Collégienne, elle vivait chez ses parents. 1er juillet. L’amoxicilline était remplacée le même jour par de
Elle n’avait pas d’antécédents allergiques et elle ne prenait aucun l’amoxicilline-acide clavulanique. Le 2 juillet, apparaissaient un
médicament. œdème labial et une chéilite. Le 3 juillet, une suspension orale
Elle avait consulté aux urgences d’un autre hôpital en mars d’amphotéricine B et divers collyres étaient prescrits. L’ensemble
2017 pour la découverte d’adénopathies cervicales sans autre signe de ces traitements se révélait inefficace.
associé. Des examens complémentaires en ville avait été pratiqués : Elle consultait aux urgences le 6 juillet et était transférée en
sérologies EBV, parvovirus B19 (infections anciennes), CMV, VIH et médecine interne. À son arrivée, la température était à 38,3 ◦ C. Il
VHB négatives, anticorps antinucléaires (AAN) à 1/160 mouchetés existait un gonflement palpébral bilatéral, un œdème des lèvres
avec anticorps anti-ENA et anti-ADN natif négatifs, hypergam- avec chéilite et de discrètes lésions érosives de la face interne
maglobulinémie polyclonale à 24 g/L. La patiente était perdue de des joues. On retrouvait des adénopathies centimétriques jugulo-
vue, les adénopathies régressaient spontanément en une à deux carotidiennes, sus claviculaires et sous mandibulaires. Les autres
semaines. aires ganglionnaires étaient libres et le reste de l’examen sans par-
Le 19 juin 2017, elle constatait l’apparition d’un œdème palpé- ticularité. Le bilan biologique retrouvait : leucocytes à 1600/mm3
bral bilatéral avec une quasi impossibilité d’ouvrir les yeux (Fig. 1). (polynucléaires neutrophiles 53 %, lymphocytes 40 % avec quelques
lymphocytes hyperbasophiles au frottis), hémoglobine 10,9 g/dL,
VGM 80,9 fL, plaquettes 97 000/mm3 , fibrinogène 3,5 g/L, iono-
∗ Auteur correspondant. gramme sanguin normal, urée 2,1 mmol/L, créatinine 55 ␮mol/L,
Adresse e-mail : matthieu.ponsoye@aphp.fr (M. Ponsoye). CRP 107 mg/L, procalcitonine 1,18 ␮g/L, bilan hépatique normal,

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.07.001
0248-8663/© 2018 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
M. Ponsoye et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 52–55 53

Fig. 1. Œdème palpébral et labial.

LDH 2593 U/L, ferritine 1992 ␮g/L, bilan phospho-calcique nor- L’hypothèse infectieuse serait possible, la tuberculose en pre-
mal. Le TCA était allongé à 1,6 × N. L’électrophorèse des protéines mier lieu, responsable de syndrome fébrile ganglionnaire mais nous
plasmatiques retrouvait une hypergammaglobulinémie à 20 g/L ne retrouvons pas de notion de contage et pas de notion de contact
®
et une hyper alpha1-globulinémie à 2,9 g/L. Les sérologies VIH, sur le test Quantiféron , et l’histoire est trop rapide pour supporter
VHB, VHC restaient négatives ainsi que les PCR CMV, parvovirus cette hypothèse. Nous aurions pu évoquer une trypanosomiase ou
®
B19 et EBV. Le Quantiféron et la recherche d’herpès sur écou- une tularémie qui donnent des œdèmes de la face et des adénopa-
villons buccaux étaient négatifs. L’enzyme de conversion était à thies cervicales, mais là encore, le contexte et l’absence de voyage
59 UI/L (n < 52) et l’étude complète du complément était nor- n’est pas évocateur, tout comme une toxoplasmose ou une maladie
male (C3, C4, CH50, absence de déficit du C1 inhibiteur antigène de Whipple qui n’expliquent pas l’ensemble du tableau.
et fonctionnel). L’immunophénotypage lymphocytaire ne retrou- Cette présentation aurait pu nous faire évoquer une cause iatro-
vait pas d’anomalie phénotypique. Les AAN, anti-ENA, anti-ADN gène devant ce tableau clinique qui se complète sous amoxicilline ;
natif et les ANCA étaient négatifs. Les anticorps anticardiolipine un angiœdème histaminique à l’amoxicilline pourrait expliquer le
étaient positifs en IgM à 27 UMPL (n < 20). Un myélogramme tableau cutanéomuqueux mais n’expliquerait pas complétement le
montrait une moelle riche avec de nombreux macrophages et tableau ganglionnaire ni biologique. Ensuite un lupus induit pour-
des images d’hémophagocytose. Un scanner thoraco-abdomino- rait être évoqué. Celui-ci pourrait expliquer le tableau clinique,
pelvien ne retrouvait pas d’anomalies. Une biopsie labiale était encore faudrait-il que l’on nous ait omis des prises médicamen-
non contributive. Une consultation ophtalmologique retrouvait une teuses telles que la minocycline ou les rétinoïdes.
hémorragie sous-conjonctivale bilatérale et une dacryoadénite. Un Nous ne pouvons pas méconnaître une maladie onco-
examen permettait d’expliquer les œdèmes des lèvres et des pau- hématologique devant ce tableau associant signes généraux,
pières, huit jours après son admission. syndrome tumoral, cytopénies et augmentation des LDH. Une biop-
sie ganglionnaire pourrait nous faire avancer. Ce n’est toutefois pas
l’hypothèse que nous retiendrons.
2. L’avis de l’expert-consultant1 Cette observation nous incite plutôt à nous concentrer sur les
maladies dysimmunes ou granulomateuses. D’abord la maladie
L’observation rapporte l’histoire d’une jeune femme de 16 ans associée aux IgG4 [1] qui peut se présenter par une altération de
sans contexte médicochirurgical particulier, sans prise de médica- l’état général fébrile, un syndrome polyganglionnaire, un dacryo-
ment. Son histoire commence en mars 2017 par des adénopathies adénite, toutefois la chéilite ou le SAM ne sont pas à notre
cervicales, isolées, sans signes généraux ou autre signe associé. Le connaissance décrits comme associés à cette maladie. Il faudrait
bilan étiologique sérologique viral, à ce moment-là, était négatif rechercher une augmentation des IgG4 circulants et la présence de
(EBV, CMV, B19, VIH et VHB). Le bilan immunologique était non plasmablastes circulants IgG4 dans le sang ou bien une infiltration
spécifique, excepté pour les AAN à un titre de 1/160 et une hyper- tissulaire d’IgG4. Ensuite, une maladie de Still peut se présenter, à
gammaglobulinémie polyclonale, mais les anti-ENA, les anti-ADN cet âge, par un syndrome fébrile associé à des polyadénopathies,
natifs étaient négatifs. Ce tableau clinique régressait en 15 jours. une hyperferritinémie et un SAM mais nous ne retrouvons pas
Quatre mois plus tard, cette jeune patiente présentait un œdème d’atteintes cutanéo-rhumatologiques évocatrices. Toutefois pour
palpébral bilatéral, ne répondant ni aux antihistaminiques, ni à la être exhaustif, un dosage de la ferritine glycosylée pourrait être
corticothérapie, ni à la mise sous amoxicilline. Avec cette antibio- proposé. Lorsque l’on part de l’atteinte ganglionnaire nous discu-
thérapie, le tableau clinique se complétait par un syndrome fébrile, tons bien sûr, la sarcoïdose et la maladie de Rosai-Dorfman. Une
une chéilite, des érosions de la face interne des joues, la réap- sarcoïdose peut se présenter par un syndrome fébrile avec atteinte
parition du syndrome polyganglionnaire cervical et enfin, par la ganglionnaire. Cette maladie granulomateuse peut donner des infil-
présence d’une dacryoadénite compliquée d’une hémorragie sous- trations labiales ou des dacryoadénites et retrouve une élévation de
conjonctivale. Biologiquement, il était retrouvé une pancytopénie l’enzyme de conversion et une hypergammaglobulinémie polyclo-
en rapport avec un syndrome d’activation macrophagique (SAM) nale [2]. Ce tableau est tout à fait compatible. Toutefois la biopsie
sur le médullogramme, un syndrome inflammatoire biologique, ne retrouvant pas de granulome labial nous fait discuter d’autres
avec une augmentation importante de la ferritine et des LDH et la possibilités comme la maladie de Rosai-Dorfman décrite dans la
persistance de l’hypergammaglobulinémie. Un nouveau bilan viral population pédiatrique ou chez le jeune adolescent qui se présente
®
était négatif tout comme le Quantiféron . Le bilan immunologique classiquement par un syndrome fébrile et des adénopathies cer-
revenait négatif pour les AAN, anti-ENA, anti-ADN natifs, ANCA. Le vicales qui sont le siège d’une prolifération histiocytaire bénigne.
complément n’était pas consommé. Toutefois, ce bilan retrouvait Les atteintes orbitaires sont rarement décrites [3]. Il est rapporté
des anticorps anticardiolipides positifs en IgM à 27 UMPL (n < 20) des cytopénies lors d’exceptionnel envahissement médullaire [4].
et une enzyme de conversion à 59 U/l (n < 52). L’histologie de la Nous avons également discuté mais pas retenu les granulomatoses
biopsie labiale n’était pas contributive. orofaciales ou le syndrome de Melkersson-Rosenthal n’expliquant
Après lecture de cette observation plusieurs cadres nosolo- ni l’ensemble du tableau ni l’absence de granulome à la biopsie [5].
giques se dégagent. Nous avions aussi évoqué un lupus chez cette femme jeune, avec
un syndrome fébrile, un syndrome polyganglionnaire, une chéi-
lite, une atteinte ophtalmologique (également possibles dans cette
1
Grégory Pugnet, service de Médecine Interne, Hôpital Purpan, Toulouse.
maladie), qui est pourvoyeur de cytopénies ou de SAM. Toutefois,
54 M. Ponsoye et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 52–55

dans un contexte de maladie lupique active clinique et biologique, systémique et la maladie de Still peuvent se présenter de façon
nous ne retrouvons pas les arguments immunologiques attendus inaugurale par ce type de tableau. Il n’existait pas d’argument cli-
(AAN, anti-Sm et anti-DNA natifs) et le complément n’est pas nique, biologique ou immunologique en faveur d’un lupus et la
consommé. maladie de Still reste un diagnostic d’élimination. Des vascularites
La maladie de Kawasaki ou syndrome adéno-cutanéo-muqueux associées à un SAL ont également été décrites. Ainsi, une granu-
correspond sur le plan nosologique à une vascularite des vaisseaux lomatose avec polyangéite aurait pu expliquer la dacryoadénite
de moyen calibre affectant avec prédilection l’enfant d’âge présco- classiquement décrite au cours de cette pathologie. En l’absence
laire mais aussi l’adulte jeune [6]. Son pronostic est conditionné par d’élément orientant vers une étiologie génétique, infectieuse ou
la constitution d’anévrismes coronariens dans 15 à 25 % des cas, auto-immune, une hémopathie restait au premier rang de nos
dont l’apparition peut être prévenue par l’administration précoce hypothèses. La biopsie ganglionnaire était donc un examen indis-
d’immunoglobulines polyvalentes. Les manifestations cliniques pensable.
cardinales de cette maladie sont toutes présente dans cette obser- Une adénopathie cervicale était prélevée, et l’analyse histo-
vation (chéilite, stomatite, conjonctivite bilatérale, adénopathies logique montrait une lymphadénite histiocytaire nécrosante non
cervicales) à l’exception de l’atteinte cutanée. Cette vascularite suppurée, non granulomateuse, faisant évoquer en premier lieu
peut également se compliquer exceptionnellement de SAM [7]. une maladie de Kikuchi-Fujimoto. Une corticothérapie à 1 mg/kg
Le coroscanner serait-il l’examen permettant d’expliquer l’atteinte s’accompagnait d’une évolution très favorable en 24 heures. La
labiofaciale, huit jours après son admission ? décroissance progressive en un mois était marquée par une récidive
Puisqu’il faut choisir, nous retiendrons plutôt une maladie de des symptômes alors que la dose de prednisolone était de 10 mg par
Kikuchi-Fujimoto, lymphadénite nécrosante du sujet jeune, tou- jour. Le traitement était augmenté à 20 mg par jour et un sevrage
chant préférentiellement les femmes, d’évolution bénigne [8]. Il définitif réalisé en décembre 2017.
s’agit d’une maladie rare, au Japon, la maladie de Kikuchi-Fujimoto
représentait 9,3 % des 2790 biopsies ganglionnaires analysées sur
une durée de 11 ans. Le tableau clinique comprend des adénopa- 4. La discussion
thies surtout cervicales et de la fièvre [9]. Les atteintes orofaciales
et orbitaires sont extrêmement rare [10,11]. Un syndrome inflam- La maladie de Kikuchi-Fujimoto (MKF) ou lymphadénite
matoire modéré et une leucopénie sont fréquemment retrouvés. histiocytaire nécrosante est une cause rare et bénigne de lympha-
Diverses associations ont été rapportées, en particulier, le lupus dénopathies décrite pour la première fois en 1972 dont l’étiologie
systémique, mais aussi l’hémophagocytose [12,13] ou un syndrome reste inconnue [15–18]. Elle touche classiquement des femmes
des antiphospholipides [14]. Nous aurions donc proposé une biop- jeunes avec une prédominance chez les asiatiques. La présentation
sie exérèse ganglionnaire cervicale à la recherche de lésions focales clinique comprend généralement des adénopathies, une fièvre, une
bien circonscrites contenant un agrégat de larges lymphocytes et odynophagie et des symptômes respiratoires hauts. D’autres symp-
histiocytes (CD68+ KP1) avec ou sans image de phagocytose et de tômes comme des frissons, sueurs nocturnes, arthralgies et perte
débris nucléaires, et occasionnellement une nécrose cellulaire avec de poids sont plus rares. Une atteinte des lèvres et de la bouche
dépôt de fibrine éosinophile et des histiocytes spumeux autour des à type d’œdème labial, desquamations et petites érosions, telle
foyers de nécrose. que celle présentée par la patiente, ont déjà été rapportées [18].
Des atteintes ophtalmiques à type de diplopie, ptosis, exophtalmie,
œdème papillaire bilatéral, uvéite antérieure bilatérale voire panu-
3. La démarche diagnostique des auteurs véite ou nodules dysoriques ont également été observés au cours
de cette pathologie [8]. À notre connaissance, il s’agit du premier
Nous sommes devant le cas d’une femme jeune avec un gon- cas décrit de dacryoadénite associée à une MKF. La présence d’un
flement important des paupières et des lèvres d’apparition rapide SAL au cours de la MKF est rare mais décrite [19]. Une association
associé à une fièvre et une polyadénopathie cervicale dans un de la MKF avec le lupus est fréquemment reportée. Le lupus sys-
contexte de syndrome inflammatoire, cytopénies et augmentation témique peut survenir avant, au cours ou plusieurs années après
des LDH. Devant un tel tableau, l’obsession des cliniciens a été de le diagnostic de MKF en particulier en cas de présence d’anticorps
rechercher et éliminer une hémopathie. L’âge, les adénopathies anti-nucléaires au diagnostic. L’évolution de cette pathologie est
multiples et l’élévation importante des LDH pouvaient évoquer un généralement favorable spontanément en quelques semaines ou
lymphome en particulier hodgkinien. avec une corticothérapie de courte durée. En cas de sévérité du
Le myélogramme a confirmé l’existence d’un syndrome tableau des bolus de méthylprednisolone peuvent être proposés.
d’activation lymphohistiocytaire (SAL) évoqué devant le tableau
clinique et biologique. Les atteintes labiale et oculaire restaient Déclaration de liens d’intérêts
cependant atypiques dans un contexte de SAL. Nous étions donc
probablement devant une manifestation rare d’une maladie plus Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
« classique ». Devant un SAL chez une patiente de 16 ans une forme
primaire ou génétique pouvait être évoquée. Cependant, la lym-
phohistiocytose familiale, qui en est la forme la plus fréquente, Références
touche généralement le jeune enfant (âge moyen de deux mois).
Le syndrome lymphoprolifératif lié à l’X (syndrome de Purtilo) [1] Kamisawa T, Zen Y, Pillai S, Stone JH. IgG4-related disease. Lancet Lond Engl
2015;385:1460–71.
peut toucher l’adulte jeune mais, étant lié à l’X, quasiment que les [2] Valeyre D, Prasse A, Nunes H, Uzunhan Y, Brillet P-Y, Müller-Quernheim J.
garçons. Sarcoidosis Lancet 2014;383:1155–67.
Nous étions donc probablement devant un SAL secondaire. Pra- [3] McClellan SF, Ainbinder DJ. Orbital Rosai-Dorfman disease: a literature review.
Orbit Amst Neth 2013;32:341–6.
tiquement toutes les infections bactériennes, virales, fungiques ou [4] Huang Q, Chang KL, Weiss LM. Extranodal Rosai-Dorfman disease involving the
parasitaires ont été décrites comme pouvant évoluer vers un SAL, en bone marrow: a case report. Am J Surg Pathol 2006;30:1189–92.
particulier dans des contextes d’immunodépression ce qui n’était, [5] Grave B, McCullough M, Wiesenfeld D. Orofacial granulomatosis–a 20-year
review. Oral Dis 2009;15:46–51.
a priori, pas le cas de notre patiente. Les principales infections
[6] Fraison J-B, Sève P, Dauphin C, Mahr A, Gomard-Mennesson E, Varron L, et al.
bactériennes, virales et mycobactériennes ont été recherchées et Kawasaki disease in adults: observations in France and literature review.
éliminées. Enfin, certaines maladies auto-immunes comme le lupus Autoimmun Rev 2016;15:242–9.
M. Ponsoye et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 52–55 55

[7] García-Pavón S, Yamazaki-Nakashimada MA, Báez M, Borjas-Aguilar KL, Murata [14] Papaioannou G, Speletas M, Kaloutsi V, Pavlitou-Tsiontsi A. Histiocytic
C. Kawasaki disease complicated with macrophage activation syndrome: a sys- necrotizing lymphadenitis (Kikuchi-Fujimoto disease) associated with anti-
tematic review. J Pediatr Hematol Oncol 2017;39:445–51. phospholipid syndrome: case report and literature review. Ann Hematol
[8] Astudillo L. La maladie de Kikuchi-Fujimoto. Rev Med Interne 2010;31:757–65. 2002;81:732–5.
[9] Dumas G, Prendki V, Haroche J, Amoura Z, Cacoub P, Galicier L, et al. Kikuchi- [15] Petitpierre S, Bart PA, Spertini F, Leimgruber A. The multiple etiologies of
Fujimoto disease: retrospective study of 91 cases and review of the literature. angioedema. Rev Med Suisse 2008;4:1030–4.
Medicine (Baltimore) 2014;93:372–82. [16] Kikuchi M. Lymphadenitis showing focal reticulum cell hyperplasia with
[10] Imai K, Yokozeki H, Nishioka K. Kikuchi’s disease (histiocytic necrotizing lym- nuclear debris and phagocytosis: a clinicopathological study. Acta Hematol Jpn
phadenitis) with cutaneous involvement. J Dermatol 2002;29:587–92. 1972;35:379–80.
[11] Guerriero S, Ruggeri E, Piscitelli D, Pomes L. Kikuchi-Fujimoto disease: a rare [17] Fujimoto Y, Kojima Y, Yamaguchi K. Cervical subacute necrotizing lymphade-
case of orbital involvement. Orbit Amst Neth 2012;31:420–2. nitis. A new clinicopathological entity. Naika 1972:920–7.
[12] Sykes JA, Badizadegan K, Gordon P, Sokol D, Escoto M, Ten I, et al. Simultaneous [18] Imai K, Yokozeki H, Nishioka K. Kikuchi’s disease (histiocytic necrotizing lym-
acquired Self-limited hemophagocytic lymphohistiocytosis and Kikuchi necro- phadenitis) with cutaneous involvement. J Dermatol 2002;29:587–92.
tizing lymphadenitis in a 16-year-old teenage girl: a case report and review of [19] Dumas G, Prendki V, Haroche J, Amoura Z, Molina T, Fain O, et al. Kikuchi-
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[13] Lin YW, Horiuchi H, Ueda I, Nambu M. Recurrent hemophagocytic Medicine (Baltimore) 2014;93:372–82.
lymphohistiocytosis accompanied by Kikuchi’s disease. Leuk Lymphoma
2007;48:2447–51.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 56–57

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Des lésions des pieds et des mains


Hands and feet lesions
B. Suzon a,∗ , E. Arnaud a , C. Galy b , J. Broner a
a
Service de médecine interne, CHU Carémeau Nîmes, place du Professeur-Robert-Debré, 30000 Nîmes, France
b
Service d’oto-rhino-laryngologie, CHU Carémeau Nîmes, place du Professeur-Robert-Debré, 30000 Nîmes, France

i n f o a r t i c l e

Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 21 septembre
2017

Mots clés :
Syndrome de Bazex
Acrokératose paranéoplasique

Keywords:
Bazex syndrome
Acrokeratosis paraneoplastica

1. L’histoire biologie retrouvait un syndrome inflammatoire isolé avec une CRP


à 150 mg/L.
Un homme, âgé de 56 ans, était hospitalisé pour éruption cuta-
née, polyarthralgies inflammatoires et asthénie évoluant depuis 2. Le diagnostic
1 mois. On notait un éthylisme chronique évalué à 80 g d’alcool
par jour, ainsi qu’un tabagisme actif à 46 paquets-année. Les trai- Une acrokératose paranéoplasique de Bazex (APB) révélant une
tements comportaient un inhibiteur de l’enzyme de conversion de métastase ganglionnaire d’un carcinome épidermoïde kératinisant
l’angiotensine et 20 mg de prednisone à visée antalgique, inefficace. peu différencié.
L’examen clinique ne notait pas d’arthrite mais une hyperkéra-
tose palmoplantaire et de la face dorsale des interphalangiennes 3. Les commentaires
proximales et distales sans vésicules ou pustules (Fig. 1). Le centre
des paumes et les voûtes plantaires étaient épargnés. Les lésions L’APB est une dermatose rare et toujours paranéoplasique. Elle
n’étaient pas inflammatoires ni prurigineuses. Il n’y avait pas de est définie par des lésions hyperkératosiques psoriasiformes de
signe de la manucure, d’érythème en bandes ou de papules de Got- topographie acrale atteignant les pieds et les mains, associées de
tron. On ne notait pas de psoriasis du scalp, des coudes, genoux manière caractéristique à une desquamation des oreilles et du
ou des lombes. L’exposition solaire ne modifiait pas les lésions nez. Les lésions peuvent précéder de plusieurs années la néoplasie
qui étaient extrêmement invalidantes en raison de la gêne fonc- sous-jacente [1]. Elles sont le plus souvent corrélées à l’évolution
tionnelle et esthétique. Il signalait une aggravation progressive du cancer et on distingue classiquement trois phases. À la phase
depuis un mois. L’élément déterminant était la présence associée primaire, le cancer est souvent méconnu. L’atteinte est érythéma-
d’une desquamation des oreilles et du nez, d’apparition synchrone tosquameuse, parfois suintante, et touche le nez, classiquement
à l’atteinte palmoplantaire (Fig. 1). Le reste de l’examen clinique l’hélix ainsi que les faces palmaires et dorsales des doigts et
complet était normal. Il n’y avait pas d’adénopathie palpable. La des orteils. L’atteinte unguéale est très fréquente et variable :
simple dystrophie, xanthonychie, striation ou onycholyse complète
[2]. À la phase secondaire, le cancer est patent cliniquement ou
∗ Auteur correspondant. métastasé, le plus souvent au niveau ganglionnaire. Les lésions
Adresse e-mail : benoitsuzon@gmail.com (B. Suzon). s’étendent à l’ensemble des zones de pression des faces palmaire

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2017.08.007
0248-8663/© 2017 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
B. Suzon et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 56–57 57

Fig. 1. Hyperkératoses palmaire et plantaire, desquamations des oreilles et de la pyramide nasale.

des mains et des pieds, comme en témoigne le respect de la voûte un diagnostic de psoriasis indûment porté. Le traitement de
plantaire, pouvant réaliser une véritable kératodermie. L’atteinte choix est étiologique avec disparition des lésions chez 91 % des
initialement nasale peut gagner les joues et le philtrum [2,3]. À la patients dans la série de Bolognia [2]. Cependant, les lésions
phase tertiaire, le cancer n’est souvent pas diagnostiqué ou traité. unguéales ne régressent pas toujours et leur réapparition signe la
L’atteinte touche alors l’ensemble du tégument. On retrouve les rechute.
zones classiquement touchées par le psoriasis vulgaire, principal
diagnostic différentiel : coudes, genoux, scalp. Le thorax peut lui
aussi être atteint. Il est à noter que chez les sujets à peau noire, la Déclaration de liens d’intérêts
topographie est identique mais les lésions sont volontiers hyper-
pigmentées [1,3]. Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.
L’histologie est non informative – hormis dans l’hypothèse d’un
diagnostic différentiel – car aspécifique, associant hyperkératose,
acanthosis, parakératose, dyskératose et infiltrat lymphocytaire Références
périvasculaire dans une revue systématique de 61 biopsies [3]. Les
premières descriptions rapportaient uniquement des cancers des [1] Poligone B, Christensen SR, Lazova R, Heald PW. Bazex syndrome (acrokeratosis
voies aérodigestives supérieures (VADS) chez des hommes d’âge paraneoplastica). Lancet 2007;369:530.
[2] Bazex A, Griffiths A. Acrokeratosis paraneoplastica – a new cutaneous marker of
mûr [2]. Cependant, alors que Bolognia et al. dénombraient 61 % malignancy. Br J Dermatol 1980;103:301–6.
de cancers de VADS en 1991 [4], la revue systématique de Räßler [3] Bolognia JL. Bazex’ syndrome. Clin Dermatol 1993;11:37–42.
et al. allant de 1990 à 2015 fait diminuer cette fréquence à 39 % [4] Bolognia JL, Brewer YP, Cooper DL. Bazex syndrome (acrokeratosis paraneoplas-
tica). An analytic review. Medicine (Baltimore) 1991;70:269–80.
[5] avec d’autres cancers : carcinome pulmonaire à petites cellules [5] Räßler F, Goetze S, Elsner P. Acrokeratosis paraneoplastica (Bazex syndrome) - a
(11 %), adénocarcinome pulmonaire (4 %), gastrique (5 %), tumeurs systematic review on risk factors, diagnosis, prognosis and management. J Eur
génito-urinaires (5 %), lymphomes (5 %). Les autres cancers (solides Acad Dermatol Venereol 2017;31:1119–20.
et hémopathies) regroupent 28 % des cas.
Les traitements topiques sont inefficaces. De fait, la résistance
au traitement est un élément majeur en faveur du diagnostic
d’APB ou, inversement, un élément devant mettre en doute
La Revue de médecine interne 40 (2019) 58–59

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Un amaigrissement fébrile
Weight loss and fever
M. Hocqueloux , A. Enfrein , V. Génin , A. Caristan , A. Néel , C. Agard ∗
Service de médecine interne, pôle hospitalo-universitaire 3, centre de compétences maladies systémiques et auto-immunes rares, hôpital Hôtel-Dieu, place
Alexis-Ricordeau, 44093 Nantes cedex 1, France

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Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 4 septembre 2017

Mots clés :
Cholécystectomie
Calcul biliaire perdu

Keywords:
Cholecystectomy
Lost gallstones

1. L’histoire 3. Les commentaires

Un homme, âgé de 70 ans, était hospitalisé pour le bilan d’une Les 3 images hyperdenses déclives de cette collection cor-
altération de l’état général fébrile évoluant depuis 6 mois. Dans respondaient à des calculs biliaires perdus dans les suites d’une
ses antécédents, on notait une sarcoïdose pulmonaire stade IV cholécystectomie compliquée 3 ans plus tôt. Le compte-rendu opé-
ancienne et non évolutive, une cirrhose Child-B9 sur un éthy- ratoire, récupéré secondairement, rapportait en effet une rupture
lisme chronique sevré, et une cholécystectomie sous cœlioscopie peropératoire du canal cystique avec effraction biliaire. Les suites
en 2014. Son traitement comportait diazépam, vitamine PP et inda- opératoires avaient été marquées par une infection abdominale
catérol. L’examen clinique était peu contributif hormis une fièvre péri-calculaire (fièvre, douleurs de l’hypochondre droit, apparition
à recrudescence vespérale jusqu’à 39,5 ◦ C et un amaigrissement de d’une collection sous-hépatique) à 3 mois de la cholécystectomie,
8 kg en 6 mois. Biologiquement, la CRP était à 19 mg/L, les leuco- traitée alors par une antibiothérapie ambulatoire. Le corps étran-
cytes à 2,8 G/L, avec une lymphopénie à 0,59 G/L, les plaquettes ger n’ayant pas été retiré, une nouvelle infection s’est organisée de
à 85 G/L, et le taux d’hémoglobine à 12,6 g/dL. Les prélèvements manière insidieuse, révélée par un amaigrissement fébrile.
infectieux (hémocultures, ECBU, recherche de BK) étaient négatifs. La perforation des voies biliaires lors d’une cholécystectomie
Un TEP-scanner révélait un infiltrat tissulaire hypermétabolique sous cœlioscopie est bien connue des chirurgiens digestifs, et peut
péri-hépatique postérieur avec une suspicion de carcinose périto- survenir jusqu’à 40 % des cas [1]. En cas de perforation, l’incidence
néale. Un scanner abdominal injecté était pratiqué (Fig. 1). de la perte de calculs biliaires s’élève à 2 % [2]. Le risque de compli-
cations liées à ces calculs est d’autant plus élevé que la vésicule
biliaire est inflammatoire, le nombre de calcul est élevé, les cal-
culs sont pigmentés ou le patient âgé [2]. Selon la littérature,
2. Le diagnostic les calculs biliaires perdus se compliquent ultérieurement dans
8,5 % des cas, essentiellement d’infections précoces ou tardives
Une surinfection de calculs biliaires de la cavité péritonéale, avec [2]. Elles surviennent la plupart du temps dans les 3 ans mais
organisation d’un abcès sous-hépatique. l’intervalle est parfois plus long, jusqu’à 8 ans [3]. La localisation
préférentielle est le récessus hépatorénal, donnant alors un tableau
d’abcès sous-hépatique. Les localisations gastro-coliques peuvent
quant à elles se manifester par des masses fibreuses douloureuses
∗ Auteur correspondant. [1]. Le contact des calculs avec la paroi abdominale ou les autres
Adresse e-mail : christian.agard@chu-nantes.fr (C. Agard). viscères peut donner lieu à des fistules bilio-cutanées, bilio-

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2017.08.004
0248-8663/© 2017 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
M. Hocqueloux et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 58–59 59

entériques pouvant conduire à un iléus biliaire [1–3]. En cas de


perforation des voies biliaires sous cœlioscopie, les éventuels cal-
culs perdus doivent être recherchés et dans la majorité des cas, ils
sont récupérés via des techniques d’irrigation abondante. Il n’y a pas
de recommandations sur la nécessité d’une antibiothérapie systé-
matique au décours d’une perforation des voies biliaires, hormis
la multiplication des prélèvements peropératoires. Le traitement
des complications repose sur la radiologie interventionnelle, et la
chirurgie ouverte ou non selon le tableau [2].

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Références

[1] Zaliekas J, Munson JL. Complications of gallstones: the Mirizzi syndrome, gall-
stone ileus, gallstone pancreatitis, complications of “lost” gallstones. Surg Clin
North Am 2008;88:1345–68.
[2] Zehetner J, Shamiyeh A, Wayand W. Lost gallstones in laparoscopic cholecystec-
tomy: all possible complications. Am J Surg 2007;193:73–8.
[3] Bouasker I, Zoghlami A, El Ouaer MA, Khalfallah M, Samaali I, Dziri C. Parietal
abscess revealing a lost gallstone 8 years after laparoscopic cholecystectomy.
Tunis Med 2010;88:277–9.

Fig. 1. Scanner abdomino-pelvien injecté, en coupe axiale (haut), et coronale (bas) :


collection sous-hépatique, contenant 3 images spontanément hyperdenses, corres-
pondant à des calculs biliaires « perdus ».
La Revue de médecine interne 40 (2019) 60–61

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Des lésions cutanées étendues


Extensive cutaneous lesions
M. Fenot a,∗ , M. Riegert b , C. Poiraud a , M. Gegu c , V. André d
a
Service de dermatologie, CHD Vendée, Les Oudairies, boulevard Stéphane-Moreau, 85925 La Roche-sur-Yon, France
b
Cabinet libéral de dermatologie, 48, rue de Verdun, 85000 La Roche-sur-Yon, France
c
Service de gériatrie, CHD Vendée, Les Oudairies, boulevard Stéphane-Moreau, 85925 La Roche-sur-Yon, France
d
Service de rhumatologie, CHD Vendée, Les Oudairies, boulevard Stéphane-Moreau, 85925 La Roche-sur-Yon, France

i n f o a r t i c l e

Historique de l’article :
Disponible sur Internet le 24 août 2017

Mots clés :
Horton
Artérite
Nécrose
Front
Scalp

Keywords:
Horton
Arteritis
Necrosis
Frontal
Scalp

1. L’histoire nécrose sèche (Fig. 2). Il n’y avait pas de fièvre, ni d’adénopathie, ni
de douleur, ni de céphalées. L’amaigrissement et l’asthénie étaient
Une femme, âgée de 92 ans, consultait pour des lésions difficiles à évaluer en raison des troubles cognitifs. Les pouls tem-
médianes du front (Fig. 1) apparues en quelques jours. Elle poraux étaient présents, sans induration des artères temporales. Il
avait comme antécédents une hypertension artérielle, une dysli- n’y avait a priori pas de claudication intermittente de la mâchoire,
pidémie, une maladie d’Alzheimer à un stade modéré à sévère, ni de troubles visuels. Il n’y avait pas de myalgies ou d’arthralgies
un syndrome anxio-dépressif, une ostéoporose, une hypoacousie en faveur d’un tableau de pseudopolyarthrite rhizomélique.
appareillée, des escarres fessière et talonnière gauche cicatri-
sées, une cataracte bilatérale, une colectomie sur sigmoïdite 2. Le diagnostic
diverticulaire. Son traitement comprenait amlodipine, mémantine,
paroxétine, paracétamol, trimébutine, rabéprazole, furosémide, Une maladie de Horton.
ainsi que des compléments alimentaires. Initialement, les lésions
étaient frontales, médianes, indurées et croûteuses sur un placard 3. Les commentaires
inflammatoire. Une biopsie cutanée mettait en évidence un infil-
trat polymorphe dense à prédominance lymphocytaire T CD3 sans Le diagnostic de maladie de Horton était évoqué sur l’âge,
argument pour un lymphome. Les lésions s’étendaient rapidement, l’atteinte cutanée évocatrice (nécrose du scalp) et le syndrome
de façon bilatérale au niveau temporal puis pariétal avec une pré- inflammatoire biologique bien que les critères de l’ARA [1] ne soient
dominance droite. Les lésions ont évolué vers de larges plaques de pas strictement remplis. En effet, selon ces critères, il faut 3 des
5 signes parmi le début de la maladie après 50 ans, les céphalées
récentes, la sensibilité ou la diminution des battements d’une artère
∗ Auteur correspondant. temporale, la vitesse de sédimentation > 50 mm, et une biopsie
Adresse e-mail : marion.fenot@chd-vendee.fr (M. Fenot). montrant des lésions de vasculite avec infiltrat lymphocytaire ou

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2017.07.001
0248-8663/© 2017 Société Nationale Française de Médecine Interne (SNFMI). Publié par Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.
M. Fenot et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 60–61 61

La maladie de Horton est une vascularite des moyens et


gros vaisseaux. Il s’agit d’une panartérite segmentaire et plurifo-
cale à cellules géantes. Les symptômes classiquement retrouvés
sont : céphalées, anomalie à la palpation des artères tempo-
rales, troubles visuels, tableau de pseudopolyarthrite rhizomélique,
signes généraux de l’inflammation, claudication de la mâchoire.
On peut aussi avoir un tableau d’ischémie subaiguë des membres
supérieurs. Parfois, la maladie peut se manifester par signes
neurologiques, psychiatriques ou respiratoires. Plus rarement,
les signes sont dermatologiques avec les nécroses cutanéo-
muqueuses.
Cette dernière manifestation est rare (5 cas sur 260 observa-
tions dans une étude rétrospective [3]), mais peut être révélatrice
de la maladie de Horton. Habituellement, les nécroses concernent
surtout le territoire de l’artère temporale superficielle dans les
régions temporales et temporopariétales, mais l’atteinte frontale
Fig. 1. Lésions frontales initiales. est possible aussi. Le cuir chevelu étant une zone habituelle-
ment bien vascularisée, une ulcération à ce niveau signe une
atteinte vasculaire extensive, synonyme de mauvais pronostic en
particulier oculaire. Trois observations récentes rapportent une
nécrose du cuir chevelu plutôt occipitale [4–6]. L’atteinte fron-
tale est beaucoup moins classique et moins décrite. Le pronostic
de la maladie de Horton avec une nécrose du scalp est moins
bon avec un risque augmenté de perte de vision et de mortalité
[6].
Dans notre observation, les seuls signes présents étaient la
nécrose du scalp et le syndrome inflammatoire biologique. De plus,
la nécrose du scalp était atypique par son mode de présentation
initiale avec l’atteinte frontale médiane ayant entraîné un retard
diagnostique. Le diagnostic était rendu difficile en raison de la
démence de la patiente.

Déclaration de liens d’intérêts

Les auteurs déclarent ne pas avoir de liens d’intérêts.

Fig. 2. Évolution après 15 jours : aggravation des lésions.


Références

à polynucléaires et habituellement cellules géantes. Une seconde [1] Hunder GG, Bloch DA, Michel BA, Stevens MB, Arend WP, Calabrese LH, et al. The
American College of Rheumatology 1990 criteria for the classification of giant
classification contient 6 critères. Il s’agit des mêmes critères mais
cell arteritis. Arthritis Rheum 1990;33:1122–8.
la vitesse de sédimentation est remplacée par la présence d’une [2] Bienvenu B, Ly KH, Lambert M, Agard C, André M, Benhamou Y, et al. Management
claudication de la mâchoire et une sensibilité (ou des nodules) du of giant cell arteritis: recommendations of the French Study Group for Large
scalp [2]. Une corticothérapie générale était débutée sans avoir fait Vessel Vasculitis (GEFA). Rev Med Interne 2016;37:154–65.
[3] Becourt-Verlomme C, Barouky R, Alexandre C, Gonthier R, Laurent H, Vital
de biopsie préalable de l’artère temporale, du fait de la gravité du Durand D, et al. Symptômes inauguraux de la maladie de Horton sur une série
tableau et de l’absence de professionnel disponible en urgence pour de 260 patients. Rev Med Interne 2001;22:631–7.
réaliser le geste. Elle permettait une stabilisation des lésions et [4] Akram Q, Chinoy H. Scalp necrosis associated with giant cell arteritis. N Engl J
Med 2016;374:e6.
une normalisation de la CRP, confortant alors l’hypothèse diagnos- [5] Wierzbicka-Hainaut E, Anyfantakis V, Bonnefoy M, Miremont H, Bonneric-
tique de maladie de Horton. Après trois semaines de corticothérapie Malthieu F, Guillet G. Nécroses du cuir chevelu révélatrices d’une maladie de
générale à 1 mg/kg/jour, la patiente était hospitalisée pour une Horton. Ann Dermatol Venereol 2008;135:890–1.
[6] Tsianakas A, Ehrchen JM, Presser D, Fischer T, Kruse-Loesler B, Luger TA, et al.
détersion mécanique de la nécrose. Plusieurs séances de détersion Scalp necrosis in giant cell arteritis: case report and review of the relevance
ont eu lieu sous mélange équimolaire d’oxygène et de protoxyde of this cutaneous sign of large vessel vasculitis. J Am Acad Dermatol 2009;61:
d’azote. Deux mois plus tard, la ré-épidermisation était en cours 701–6.
lorsque la patiente est décédée.
La Revue de médecine interne 40 (2019) 62–65

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Littérature commentée
Viewpoint of recent articles
J. Rohmer a , M. Lekieffre a , B. Gramont a , F. Cohen Aubart b,∗ , A. Roeser a
a
Amicale des jeunes internistes, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, 75013 Paris, France
b
Service de médecine interne 2, hôpital de la Pitié-Salpêtrière, Sorbonne université, Assistance publique–Hôpitaux de Paris, 75013 Paris, France

i n f o a r t i c l e la maladie thromboembolique et dans la fibrillation auri-


culaire, leur utilisation dans le SAPL vient à nouveau d’être
Mots clés : remise en question par la publication de résultats montrant
Aspirine
Syndrome des anticorps antiphospholipides
un excès de risque thrombotique sous rivaroxaban com-
Anticoagulants parativement à la warfarine, dans une sous-population à
Sarcoïdose haut risque de SAPL. Il en est de même pour l’utilisation
de l’aspirine en prévention primaire, avec plusieurs études
Keywords:
qui viennent remettre en question son utilité, en dehors
Aspirin
Antiphospholipid syndrome des patients diabétiques. Pour les internistes, ces résultats
Direct oral anticoagulants sur des situations, l’une rare, l’autre fréquente, nécessitent
Sarcoidosis d’être connus. Nous vous livrons les dernières actualités sur
ces sujets, et d’autres, en espérant votre regard attentif et
sympathique.
Nous ouvrons la littérature commentée de ce mois avec
Lucien Jerphagnon, historien, philosophe : « Chaque phi- Aspirine en prévention primaire : pour tous ou pour cer-
losophe, en fait de vérité ne peut énoncer que la sienne, tains ?
dont l’examen attentif et sympathique peut nous aider à Gaziano JM, Brotons C, Coppolecchia R, Cricelli C, Darius H,
découvrir la nôtre ». C’est dans cet esprit, certes plus scien- Gorelick PB, et al. Use of aspirin to reduce risk of initial vas-
tifique que philosophique, que nous vous proposons la cular events in patients at moderate risk of cardiovascular
littérature commentée de ce mois-ci. Toujours écrite pour disease (ARRIVE): a randomized, double-blind, placebo-
vous par les jeunes internistes, elle est cette fois dédiée controlled trial. Lancet 2018;392(10152):1036–46
aux affections cardiovasculaires, des affections fréquentes, à The ASCEND Study Collaborative Group. Effects of aspirin
for primary prevention in persons with diabetes mellitus. N
l’expression cardiologique des maladies multisystémiques,
Engl J Med 2018;379(16):1529–39
et au syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL),
McNeil JJ, Wolfe R, Woods RL, Tonkin AM, Donnan GA,
une pathologie rare dont l’épidémiologie est mal connue. Nelson MR, et al. Effect of aspirin on cardiovascular
« Toute vérité franchit trois étapes. D’abord elle est ridi- events and bleeding in the healthy elderly. N Engl J Med
culisée. Ensuite, elle subit une forte opposition. Puis, elle 2018;379(16):1509–18
est considérée comme ayant été une évidence ». Cette McNeil JJ, Woods RL, Nelson MR, Reid CM, Kirpach B, Wolfe
célèbre citation d’Arthur Schopenhauer pourrait illustrer R, et al. Effect of aspirin on disability-free survival in the
le cheminement des dernières années sur l’utilisation des healthy elderly. N Engl J Med 2018;379(16):1499–508
anticoagulants oraux directs (AOD) dans le SAPL. Alors que McNeil JJ, Nelson MR, Woods RL, Lockery JE, Wolfe R, Reid
les AOD sont de plus en plus utilisés dans le traitement de CM, et al. Effect of aspirin on all-cause mortality in the heal-
thy elderly. N Engl J Med 2018;379(16):1519–28

Malgré de nombreux essais et méta-analyses, l’efficacité


de l’aspirine en prévention primaire des évènements
∗ Auteur correspondant. Service de médecine interne 2, hôpital Pitié-Salpêtrière,
cardiovasculaire reste débattue. Trois essais cliniques, inter-
47–83, boulevard de l’Hôpital, 75651 Paris cedex 13, France.
Adresse e-mail : fleur.cohen@aphp.fr (F. Cohen Aubart). nationaux, randomisés et contrôlés contre placebo ont

https://doi.org/10.1016/j.revmed.2018.10.385
0248-8663/
J. Rohmer et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 62–65 63

été publiés récemment. Chacun s’est intéressé à évaluer 0,95 ; IC95 % : 0,83 à 1,08). Le pourcentage d’événements
l’efficacité de la prise orale quotidienne de 100 milli- hémorragiques était significativement plus élevé dans le
grammes d’aspirine, en prévention primaire d’évènements groupe aspirine, avec un sur-risque plus important pour
cardiovasculaire, dans des populations particulières : les hémorragies digestives hautes. Cependant, la mortalité
patients à risques cardiovasculaires modérés (Gaziano en lien avec une hémorragie n’était pas différente entre les
et al.), patients diabétiques (étude ASCEND), et patients âgés deux groupes.
(Mc Neil et al.). En résumé, la prise quotidienne orale de 100 milli-
Dans le premier essai (ARRIVE), 12 546 patients ont été grammes d’aspirine :
inclus de juillet 2007 à novembre 2016. Les patients inclus • ne semble pas diminuer le risque de survenue d’un pre-
étaient des hommes de 55 ans ou plus ayant ≥ 2 facteurs de mier évènement cardiovasculaire chez les sujets à risque
risque cardiovasculaires (FDRCV), ou des femmes de 60 ans cardiovasculaire modéré, ni chez les patients âgés, mais
et plus ayant ≥ 3 FDRCV. Les patients ayant un antécédent seulement chez les sujets diabétiques ;
d’événement cardiovasculaire, un diabète, ou un très haut • augmente dans toutes les études le risque d’hémorragie,
risque hémorragique étaient exclus. Pendant une durée de notamment digestive.
suivi de 6 ans, 269 participants (4,29 %) du groupe aspirine et
281 (4,48 %) du groupe placebo ont présenté un événement
cardiovasculaire (critère composite incluant un infarctus 䊏 SAPL : l’utilisation des AOD n’est toujours pas
myocardique, un accident vasculaire cérébral ischémique d’actualité
constitué ou transitoire, un décès en lien avec un évènement
Pengo V, Denas G, Zoppellaro G, Jose SP, Hoxha A, Ruffatti
cardiovasculaire, ou un angor instable), ce qui n’était pas A, et al. Rivaroxaban vs. warfarin in high-risk patients with
statistiquement différent (p = 0,6038). Les différences sur la antiphospholipid syndrome. Blood 2018;132(13):1365–71
mortalité globale et cardiovasculaire n’étaient également
pas significatives. Concernant la tolérance du traitement Le syndrome des anticorps antiphospholipides (SAPL) est
à l’étude, 1266 événements indésirables graves (EIG), soit caractérisé par l’association d’événements thromboembo-
20,19 %, sont survenus dans le groupe aspirine contre 1311 liques ou obstétricaux et la présence d’anticorps antiphos-
(20,89 %) dans le groupe placebo. Dans le groupe aspirine, pholipides persistants. Les patients dits « triple positifs »,
61 participants (0,97 %) ont présenté un saignement diges- chez qui sont identifiés simultanément des anticorps
tif contre 29 (0,46 %) dans le groupe placebo, représentant anticardiolipines, anti-bêta2-glycoproteine 1 (beta2GP1),
un sur-risque significatif. Il s’agissait principalement de sai- et un anticoagulant circulant de type lupique, repré-
gnements de faible gravité. sentent un sous-groupe de patients à risque thrombotique
Dans l’essai ASCEND, les auteurs ont évalué l’efficacité de et obstétrical particulièrement élevé. Comparativement
l’aspirine en prévention primaire chez des patients diabé- aux anticoagulants oraux directs, la warfarine peut
tiques. De 2005 à 2011, 15 480 patients ont été randomisés sembler d’utilisation plus complexe, nécessitant une sur-
en deux groupes. Après un suivi moyen de 7,4 ans, le veillance régulière, des adaptations de dose, et l’éviction
pourcentage de patients ayant présenté un évènement car- d’interactions médicamenteuses. Après plusieurs séries
diovasculaire (critère composite comprenant un infarctus rapportant l’utilisation de ces anticoagulants oraux directs
myocardique non fatal, un AVC non fatal, un accident vas- au cours du SAPL, après (faut-il le rappeler), l’échec de
culaire cérébral transitoire ou un décès en lien avec un cause l’essai randomisé RAPS sur le critère de jugement primaire
vasculaire) était significativement plus faible dans le groupe [1], les résultats de l’essai TRAPS comparant la warfarine
aspirine (8,5 % versus 9,6 % ; p = 0,01), avec une différence au rivaroxaban dans un sous-groupe de SAPL triples posi-
de risque principalement observée dans les 5 premières tifs est paru durant l’été 2018. Cet essai, multicentrique,
années. Aucun effet de l’aspirine n’a été observé sur la mor- de non-infériorité, comparant l’efficacité et la sécurité du
talité cardiovasculaire. Dans le groupe aspirine, il existait rivaroxaban (à la posologie de 20 mg/j, diminuée à 15 mg/j
un sur-risque de saignement (4,1 % versus 3,2 % ; p = 0,003) en cas d’insuffisance rénale modérée) versus warfarine
majoritairement d’origine digestive. Le taux de mortalité (objectif d’INR entre 2 et 3) a été mené chez des patients
en lien avec une hémorragie était similaire dans les deux présentant un SAPL triple positif avec antécédent de throm-
groupes. Aucune différence n’a été mise en évidence concer- bose (60 % thrombose artérielle, 20 % thrombose veineuse,
nant le risque de survenue de cancer du tube digestif. 20 % thrombose mixte). Le critère de jugement principal
L’essai ASPREE a été mené chez des patients âgés de était composite comprenant les évènements thromboem-
70 ans ou plus, naïfs de tout évènement cardiovasculaire. boliques, les hémorragies majeures et les décès de cause
De 2010 à 2014, 19 114 patients ont été randomisés. Après vasculaire. L’essai a été interrompu précocement devant
une durée moyenne de suivi de 4,7 ans, le critère compo- un excès d’événements dans le groupe rivaroxaban avec
site de jugement principal comprenant la survenue d’un 19 % d’événements versus 3 % dans le groupe warfarine
décès, d’une démence ou d’une incapacité physique était (hazard ratio : 6,7, p = 0,01). La durée moyenne de suivi
observé chez 921 patients du groupe aspirine contre 914 du était de 611 jours. Il était observé 7 thromboses artérielles
groupe placebo (HR : 1,01 ; IC95 % : 0,92 à 1,11 ; p = 0,79). (4 accidents vasculaires cérébraux ischémique et 3 infarctus
Le taux d’évènements cardiovasculaire (infarctus du myo- myocardiques) dans le groupe rivaroxaban et aucune dans
carde fatal ou non fatal, AVC ischémique ou hémorragique le groupe warfarine (p = 0,01). Il n’y avait pas de différence
fatal ou non fatal ou hospitalisation pour insuffisance car- significative entre les deux groupes en termes d’événement
diaque) n’était pas différent entre les deux groupes, avec un veineux ou de complications hémorragiques. Il n’y avait pas
taux d’évènement pour 1000 personne-années de 10,7 dans de différence concernant les traitements associés pouvant
le groupe aspirine contre 11,3 dans le groupe placebo (HR : expliquer cette différence (aspirine, hydroxychloroquine).
64 J. Rohmer et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 62–65

L’adhésion au traitement par rivaroxaban, vérifiée par un probablement un intérêt dans ce contexte, de façon à mieux
compte des comprimés, était estimée à 96 %. On peut donc cibler les candidats à une prophylaxie primaire.
conclure que le rivaroxaban est inférieur à la warfarine
pour la prévention des événements thrombotiques chez les
patients ayant un SAPL thrombotique avec une triple positi- 䊏 SAPL : évaluation du pronostic obstétrical par un
vité. Son intérêt dans les SAPL à plus faible risque pourra être « score sérologique »
discuté, mais pour l’heure les anticoagulants oraux directs
Latino JO, Udry S, Wingeyer SP, Romero DF, Micone P, de
ne doivent pas constituer une alternative à la warfarine. Larrañaga G. What is the best time to assess the anti-
Référence phospholipid antibodies (aPL) profile to better predict the
[1 ]Cohen H, Hunt BJ, Efthymiou M, Arachchillage DR, obstetric outcome in antiphospholipid syndrome (APS)
Mackie IJ, Clawson S, et al. Rivaroxaban versus patients? Immunol Res 2018 [Epub ahead of print]
warfarin to treat patients with thrombotic antiphos- https://doi.org/10.1007/s12026-018-9024-5
pholipid syndrome, with or without systemic lupus
erythematosus (RAPS): a randomised, controlled, open- Le traitement par aspirine et HBPM a permis de
label, phase 2/3, non-inferiority trial. Lancet Haematol diminuer la survenue des complications obstétricales
2016;3(9):e426–36. au cours du SAPL. Les facteurs de risque de surve-
nue de ces complications sont la triple positivité de
la biologie antiphospholipide (c’est-à-dire la présence
䊏 SAPL : où en est-on de la prophylaxie primaire ? simultanée et persistante d’un anticoagulant circulant de
type lupique, d’anticorps anticardiolipines et d’anticorps
Bala MM, Paszek E, Lesniak W, Wloch-Kopec D, Jasinska anti-bêta-2GP1), la consommation du complément et les
K, Undas A. Antiplatelet and anticoagulant agents for
anomalies au doppler des artères utérines. L’objectif de
primary prevention of thrombosis in individuals with
cette étude était d’évaluer l’impact des dosages sériques
antiphospholipid antibodies. Cochrane Database Syst Rev
2018;7:CD012534 d’anticorps antiphospholipides, avant et pendant la gros-
sesse, sur la survenue de complications obstétricales. Il
Il existe peu de données pour savoir si les patients pré- s’agissait d’une étude monocentrique argentine ayant inclus
sentant une biologie antiphospholipide sans antécédent entre 2009 et 2014 des patientes en cours de grossesse,
d’événement thrombotique pourraient bénéficier d’une atteintes d’un SAPL obstétrical, et disposant d’un dosage
prophylaxie primaire des événements thrombotiques. Une d’anticorps antiphospholipides dans l’année précédant la
revue Cochrane s’est intéressée à l’intérêt de la prescription grossesse ainsi qu’avant la 8e semaine d’aménorrhée. Toutes
de traitement anticoagulant et/ou antiagrégant plaquettaire les patientes recevaient le traitement conventionnel (aspi-
dans ce contexte. Neuf essais thérapeutiques randomisés rine dès la période de conception puis HBPM dès que
(incluant 1044 participants) ont été analysés, dont sept la grossesse était confirmée). Le « risque sérologique »
concernaient des patientes dans un contexte obstétrical. était évalué comme élevé ou faible avant la grossesse
La comparaison d’un traitement antiagrégant seul ou asso- et au cours du premier trimestre. Un risque sérologique
cié à une anticoagulation orale efficace montrait, parmi élevé était défini par une triple positivité ou un titre
493 patientes, une absence de différence en termes de d’anticorps > 80 UI/L.
risque thrombotique (RR : 0,98 ; IC95 % : 0,25–3,77) mais Parmi les 97 patientes incluses, 8 sont passées d’un risque
une augmentation du risque hémorragique (RR : 22,45 ; élevé à un risque faible et n’ont pas présenté de complica-
IC95 % : 1,4–374,8). Les trois autres types d’essais ne tions au cours de la grossesse. Les 13 patientes présentant
retrouvaient pas de différences en termes de risques throm- un risque faible dont la sérologie est devenue négative au
botiques ou hémorragiques : premier trimestre n’ont également pas présenté de com-
• antiagrégant versus placebo (un seul essai de 98 patients, plications. À l’inverse, une patiente est passée d’un risque
105 thromboses pour 1000 versus 20 pour 1000 ; RR : 5,21, faible à un risque fort et a présenté une perte fœtale malgré
IC95 % : 0,63–42,97) ; le traitement. Ainsi un risque sérologique fort au cours du
• antiagrégant et héparine de bas poids moléculaire (HBPM) premier trimestre était associé à un échec de la grossesse
versus placebo ou immunoglobulines intraveineuses dans 86,3 % des cas (19/22) et permettait de prédire l’issue
(aucune thrombose sur 258 participants) ; de la grossesse sous traitement conventionnel dans 91,8 %
• antiagrégant et HBPM dose curative versus antiagré- des cas (OR : 88,7, IC : 19,4–404,8). Les auteurs évaluaient
gant et HBPM à dose préventive (aucune thrombose sur la sensibilité du risque sérologique fort avant la grossesse
120 participants). à 75 % versus 79,2 % au premier trimestre (p = 0,731), et la
Cette méta-analyse ne permet pas de démontrer un inté- spécificité à 84,9 % versus 95,9 % (p = 0,024). Une meilleure
rêt à un traitement antithrombotique prophylactique chez stratification du risque permettrait de mettre en place des
des patients avec une biologie antiphospholipide sans anté- traitements complémentaires adaptés.
cédent d’événement thrombotique. Cependant les auteurs
jugent la qualité de preuve globale comme étant basse à 䊏 Troubles de conduction au cours de la sarcoïdose
modérée, du fait du faible nombre d’études et du potentiel cardiaque : mettre ou ne pas mettre un
risque de biais, notamment la durée de suivi peu impor- défibrillateur
tante dans certaines études. L’évaluation d’autres facteurs
de risque de thrombose, ou la stratification du risque au Nordenswan H-K, Lehtonen J, Ekström K, Kandolin R, Simo-
sein des patients ayant une biologie antiphospholipide a nen P, Mäyränpää M, et al. Outcome of cardiac sarcoidosis
J. Rohmer et al. / La Revue de médecine interne 40 (2019) 62–65 65

presenting with high-grade atrioventricular block. Circula- syndrome auto-inflammatoire avec un tropisme vasculaire.
tion: Arrhythmia and Electrophysiology 2018;11:e006145 La présentation clinique associe des accidents vasculaires
cérébraux précoces, une atteinte vasculaire avec un livedo
La complication redoutée de l’atteinte cardiaque au cours ou des ulcères, et des éléments évocateurs de syndrome
de la sarcoïdose est la mort subite par troubles du rythme auto-inflammatoire (fièvre récurrente, éruption cutanée,
ou de conduction. Un quart des blocs atrioventriculaires arthralgies et douleurs abdominales) et de déficit immuni-
(BAV) du sujet jeune (< 55 ans) est lié à une sarcoïdose. taire. Le mécanisme de ces signes cliniques n’est pas élucidé
Chez ces patients, les recommandations actuelles préco- mais il est probable que la protéine ADA2 puisse servir
nisent la mise en place de défibrillateurs (plutôt que de de facteur de croissance pour les cellules endothéliales et
pacemakers) en cas de BAV de haut degré (BAV III et BAV soit impliquée dans la différenciation des monocytes. Alors
II Mobitz 2), avec cependant un niveau de preuve insuf- que les corticoïdes et les immunosuppresseurs classiques
fisant. L’incidence et les facteurs associés à la survenue semblent peu efficaces, les agents ciblant le tumor necrosis
des troubles du rythme grave (morts subites, tachycardies factor (TNF)-alpha peuvent être efficaces sur les manifes-
ventriculaires) sont toutefois mal connus. Le registre fin- tations inflammatoires. Cette lettre rapporte la description
landais de myocardites inflammatoires a permis d’étudier de deux nouvelles mutations du gène CECR1 (codant la pro-
prospectivement 143 patients avec atteinte cardiaque de téine ADA2) avec un phénotype clinique mimant celui d’un
sarcoïdose se présentant initialement comme un BAV de SAPL dans son phénotype artériel avec des AVC, un livedo,
haut degré. Seuls 17 patients étaient connus pour une des ulcères cutanés, et des complications obstétricales qui
sarcoïdose extra-cardiaque au moment du diagnostic de n’avaient jamais été décrites. La recherche d’anticorps anti-
l’atteinte myocardique. Pour certains patients, le diagnostic phospholipides était négative. L’évolution des ulcères a été
de sarcoïdose a été autopsique. On notait une prédominance favorable sous adalimumab, un anticorps monoclonal blo-
de femmes (78 %). Cent vingt-huit patients ont été traités quant le TNF-alpha.
par corticostéroïdes, le plus souvent associé à un immu-
nosuppresseur. Malgré l’implantation d’un pacemaker chez
107 patients (dont 19 secondairement changés pour un défi- 䊏 Épilogue
brillateur) et de défibrillateur d’emblée chez 35 patients, on
observait 16 décès de cause cardiaque, dont 14 par mort Geleris JD, Shih G, Logio L. Analysis of diagnostic test orde-
subite à une médiane de suivi de 52 mois, et 10 arrêts car- ring habits among internal medicine residents. JAMA Intern
diaques récupérés. Neuf patients étaient transplantés, dont Med 2018 [Epub ahead of print]
https://doi.org/10.1001/jamainternmed.2018.3519
6 ne présentaient initialement aucune atteinte de la fonc-
tion ventriculaire gauche. Les 579 935 prescriptions d’analyses biologiques et
L’estimation de l’incidence des morts subites à 5 ans était les 29 881 prescriptions d’examens radiologiques de
de 34 % pour les patients à fraction d’éjection (FE) alté- 139 internes de médecine interne de New York durant
rée < 50 %, 14 % pour une FE entre 35 et 50 %, mais également l’année universitaire 2016–2017 ont été analysées. Le
de 9 % pour les patients chez qui la FE n’était pas altérée. nombre de prescription était ajusté sur le nombre de
L’âge, le sexe féminin, et un antécédent de tachycardie ven- patients et de séjours. Le principal message était qu’il exis-
triculaire au diagnostic étaient des facteurs de risque de tait une grande variabilité de prescription entre les internes,
survenue de troubles du rythme menaçants. En revanche, allant jusqu’à un facteur 8 pour les examens radiologiques
ni une valeur élevée de NTproBNP (fragment N-terminal du et 9 pour les examens biologiques. Il existait une cor-
Brain Natriuretic Factor) ou de troponine, ni une prise de rélation entre l’ancienneté de l’interne et le nombre de
contraste tardive à l’imagerie par résonance magnétique prescriptions biologiques par patient (les plus « anciens »
myocardique, ni un hypermétabolisme sur la tomographie prescrivant moins), cette corrélation n’étant pas statisti-
par émission de positons au 18 flurodéoxyglucose n’étaient quement significative pour les prescriptions radiologiques.
corrélés à la survenue de ces complications rythmiques. Les raisons de cette variabilité dans la prescription n’étaient
pas étudiées, essentiellement par défaut d’informations dis-
ponibles (notamment sur la supervision), mais mériteront
䊏 Curiosité : le déficit en ADA2 peut mimer un
d’être élucidées, compte tenu du fait que les habitudes de
SAPL
prescription perdurent probablement au-delà de la période
Sharma A, Naidu GSRSNK, Chattopadhyay A, Acharya N, Jha de formation. « On ferme les yeux des morts avec dou-
S, Jain S. Novel CECR1 gene mutations causing deficiency of ceur, c’est aussi avec douceur qu’il faut ouvrir les yeux des
adenosine deaminase 2, mimicking antiphospholipid syn- vivants » (Jean Cocteau).
drome. Rheumatology (Oxford) 2018 [Epub ahead of print]
https://doi.org/10.1093/rheumatology/key258

Le déficit en adénosine déaminase 2 (ADA2) est


une maladie autosomique récessive responsable d’un

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